(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 296) M. Huveners procède à l'appel nominal à midi et quart.
M. Albéric Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Chalbert, secrétaire communal à Arlon, demande l'établissement d'une caisse de retraite ou de prévoyance pour les employés des administrations communales. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de Termonde demandent la réforme postale basée sur la taxe uniforme de dix centimes. «
« Même demande de plusieurs habitants de Braine-le-Comte et de plusieurs habitants de Louvain. »
M. de Terbecq. - Je demande le renvoi de la pétition des habitants de Termonde à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
M. de La Coste. - La pétition de Louvain m'a été remise de la part du commerce de cette ville ; elle porte les noms les plus respectables. J'en demanderai également le renvoi à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
M. Duvivier. - Je fais la même demande pour la pétition de Braine-le-Comte. Elle est aussi signée par les habitants les plus notables de cette ville.
- Les trois pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
M. Zoude présente le rapport de la section centrale sur le budget des finances.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. Osy présente le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant au département des affaires étrangères un crédit supplémentaire de 24,600 fr., pour faire face à diverses créances arriérées.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
(page 306) Plusieurs membres. - La lecture du rapport.
M. Osy. - Je pourrais vous donner lecture du rapport ; mais je crois qu'il nous faudra attendre la présence de M. le ministre des affaires étrangères pour la discussion. Il sera nécessaire d'avoir quelques explications. Il s'agit de crédits arriérés remontant jusqu'à 1832.
M. le président. - A quel jour la chambre veut-elle fixer la discussion de ce projet de loi ?
Plusieurs membres. - A demain.
M. Delfosse. - Je propose de le mettre à l'ordre du jour de la prochaine séance.
M. Dubus (aîné). - Je crois, messieurs, que nous pouvons décider immédiatement qu'il y aura séance demain. Il est impossible que la chambre chôme pendant 24 heures, et retarde d'autant l'envoi au sénat du budget des voies et moyens. Cette assemblée n'aura déjà pas un temps suffisant pour examiner ce budget. A l'époque de l'année où nous sommes parvenus, nous devons continuer nos travaux sans désemparer.
Je fais la motion formelle qu'il y ait séance demain.
M. Delfosse. - Je crois qu'on pourrait ne se prononcer sur ce point qu'à la fin de la séance. Si le budget des voies et moyens était adopté aujourd'hui, il serait inutile d'avoir séance demain.
M. Eloy de Burdinne. - Je partage jusqu'à un certain point l'opinion de l'honorable M. Delfosse. On pourrait décider qu'il y aura séance demain si le budget des voies et moyens n'est pas voté aujourd'hui.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je ferai remarquer que le budget de la dette publique et plusieurs lois qui expirent au 31 décembre, doivent également être votés avant que la chambre se sépare, de sorte que, dans toute hypothèse j'appuie la proposition de l'honorable M. Dubus.
M. Osy. - Je ne m'oppose pas à ce qu'il y ait séance demain. Mais je crois que nous devrons encore nous réunir lundi. Ainsi, tout en me prononçant pour que nous ayons demain séance, je demande qu'on n'étouffe pas la discussion dans le but de terminer dans les 24 heures.
M. Delfosse. - La raison que l'honorable M. Dubus nous a donnée à l'appui de sa motion, c'est que le sénat doit pouvoir s'occuper lundi de l'examen du budget des voies et moyens. Dès lors, si le budget des voies et moyens était voté aujourd'hui, il serait inutile d'avoir séance demain ; le but de l'honorable M. Dubus serait atteint.
On nous dit que nous devons encore voter le budget de la dette publique et plusieurs autres projets avant de nous séparer. Mais nous pouvons encore avoir séance lundi, mardi et mercredi.
M. de Garcia. - Messieurs, j'appuie la proposition d'avoir séance demain. Si nous remettons la suite de nos discussions à lundi, les membres qui appartiennent aux localités les plus voisines de la capitale retourneront chez eux, et ainsi il arrivera que lundi nous n'aurons qu'une séance insignifiante, qui ne peut jamais commencer qu'à 2 heures, à 2 heures et demie. Pendant ce temps, les membres appartenant aux localités les plus éloignées, doivent rester dans la capitale et y perdre leur temps.
Messieurs, nous avons encore un grand nombre d'objets à l'ordre du jour, et si nous ne pouvons pas terminer demain, ce n'est pas une raison pour s'arrêter, c'est une raison pour avancer nos travaux.
- La chambre, consultée, décide qu'il y aura séance demain, et met le projet sur lequel M. Osy vient de faire rapport à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. Maertens, au nom de la commission des naturalisations, présente plusieurs rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
- Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à l'examen des articles qui sont adoptés, sans observations, dans les termes suivants :
« Art. 1er. Le contingent de l'armée pour 1846, est fixé au maximum de quatre-vingt mille hommes.
« Art. 2. Le contingent de la levée de 1846 est fixé à un maximum de dix mille hommes, qui sont mis à la disposition du gouvernement.
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1846. »
Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble du projet ; il est adopté à l'unanimité des 63 membres présents.
Il sera transmis au sénat.
Ces membres sont : MM. de Tornaco, de Villegas, d'Hoffschmidt, Donny, Dubus aîné, Dubus (Albéric), Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Orban, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Savart, Scheyven, Sigart, Simons, Troye, Van Cutsem, Vandensteen, Veydt, Vilain XII11, Zoude, Biebuyck, Brabant, Cans, Clep, Coppieters, d'Anethan, David, de Breyne, de Corswarem, de Garcia de la Vega, de Haerne, de la Coste, Delfosse, de Mail d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmet, de Terbecq, de Theux.
- Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à l'examen des articles, qui sont adoptés, sans observation, dans les termes suivants :
« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre, un crédit provisoire de cinq millions de francs (5,000,000 de fr.), à valoir sur le budget des dépenses de l'exercice 1846 dudit département.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité par les 65 membres présents.
- M. Liedts monte au fauteuil.
M. Zoude présente le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur la répartition de la contribution foncière.
La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport et en fixe la discussion à la suite des objets qui se trouvent à l'ordre du jour.
M. Rodenbach. - Messieurs, dans la séance d'hier, j'ai fait suffisamment connaître l'extrême misère qui règne dans les deux Flandres. Je ne reviendrais pas sur ce sujet, si je n'avais reçu aujourd'hui même, de ma province, des nouvelles dont il résulte que le malheur augmente de jour en jour. Aujourd'hui on a dû fermer les portes de la ville de Bruges et y placer la force armée pour interdire l'accès de la ville aux malheureux ouvriers qui manquent de travail et de pain. Ces malheureux ont été reconduits dans leurs villages par la gendarmerie. Eh bien, messieurs, ils ne demandent que du travail ou du pain, et il est de votre devoir, il est du devoir du gouvernement de leur procurer l'un ou l'autre.
Un honorable orateur a parlé de la prospérité des autres provinces, des tories journées que les ouvriers y gagnent. Je sais très bien, messieurs, que dans certaines parties du pays, le travail ne manque pas ; je sais que l'industrie métallurgique, l'industrie des mines, par exemple, sont prospères ; mais c'est précisément ce qui doit permettre de venir avec d'autant plus d'efficacité au secours des localités le plus fortement frappées. C'est dans les Flandres que la misère est la plus grande ; c'est dans le centre de la Flandre occidentale, c'est à Roulers et dans son arrondissement qu'est le centre de la misère. Là, il n'y a point de travail ; là, rien ne se fait, et je demande à M. le ministre des travaux publics de bien vouloir y songer. Déjà, messieurs, l'on a ruiné en grande partie les communes par les dépôts de mendicité, certes la plus mauvaise de toutes nos institutions. Les dépôts de mendicité sont le réceptacle de l'écume de la société : on y admet jusqu'à des voleurs et des malfaiteurs de toute espèce. On y admet, aux frais des communes, bien entendu, tous ceux qui se présentent, sans s'inquiéter le moins du monde d'où ils viennent. Je dis que le gouvernement doit y faire attention. Aujourd’hui le dépôt de mendicité de Bruges est comble ; on a été obligé d'employer la force armée pour chasser les mendiants.
On a demandé aux chambres et l'on a obtenu sans la moindre difficulté un subside de 2 millions pour venir au secours des classes nécessiteuses. Eh bien, si je suis bien informé, le gouvernement ne veut accorder des secours aux communes qu'à titre de prêt ; c'est à titre de prêt seulement qu'il consent à accorder quelques centaines de francs aux communes. Mais, messieurs, les communes sont déjà presque ruinées. Ou veut donc les ruiner complétement ; on veut donc anéantir nos communes et nos provinces ! J'espère que le gouvernement y regardera à deux fois avant de prendre la résolution définitive de ne faire que de simples prêts sur les 2 millions que les chambres ont mis à sa disposition. Le gouvernement a adjoint au ministère de la justice une commission d'hommes capables, distingués par leur humanité ; cette commission doit avoir exprimé l'opinion qu'il faut accorder des secours gratuits et non pas des prêts qui ne pourraient que ruiner complétement les communes. Je prie le gouvernement de faire la plus grande attention aux observations qui ont été faites. Je dois répéter ce que j'ai dit hier : on en est réduit, dans les Flandres, à manger des féveroles, à manger ce qu'on donne aux animaux, à manger même du cheval.
M. de Mérode. - Chaque année j'ai fait tous tes efforts qui étaient en mon pouvoir pour amener l'équilibre des recettes et des dépenses ; craignant quelque calamité imprévue, j'ai constamment supplié cette chambre et le gouvernement de recourir, eu temps calme et heureux, non pas aux emprunts, aux aliénations de la fortune publique, mais aux impôts, pour subvenir aux besoins annuels de l'Etat. Malheureusement rien n'est moins populaire que l'augmentation des taxes, rien n'est plus populaire que les dons accordés aux frais du trésor ; ainsi va-t-on bientôt célébrer à Liège la munificence du précédent ministre des travaux publics qui vous a persuadé de consentir à un large tribut en faveur du commerce de cette ville. Quant à moi, messieurs, qui ai constamment cherché à vous convaincre de la nécessité de prendre d'une main ce que vous sèmeriez de l'autre, je ne serai invité à aucune fête, pour la tâche ingrate et pénible que j'ai remplie.
L'un des orateurs précédents vous a fait un discours dans lequel il a critiqué l’assiette de presque tous les revenus productifs pour l'Etat, il a déclaré qu'il recommencerait chaque année future la même philippique que nous avons entendue l'année dernière et dont l'honorable M. Mercier, ministre des finances, avait cependant de la manière la plus complète redressé les erreurs par une réfutation péremptoire ; et ce même orateur n'en a pas moins soutenu le pied militaire de l'armée, l'augmentation du traitement des magistrats que je me suis abstenu de voter, à cause de l'insuffisance des voies et moyens ; or, ce serait en vain que l'honorable membre voudrait accommoder ses deux combinaisons d'idées, l'une hostile aux recettes, l'autre favorable aux dépenses, en vous indiquant de nouvelles bases de contributions dont rien ne démontre l'exécution pratique ; tandis que nous connaissons les résultats financiers des taxes actuelles. Attaquer ces ressources en sollicitant des dépenses notables, ne peut être un acte raisonné sérieusement, parce que l'on crée des impôts faciles à percevoir en imagination, (page 307) sans qu'aucune preuve expérimentale en démontre le produit. N'est-il pas singulier ensuite qu'un représentant de la capitale attaque constamment les propriétaires qui viennent y passer une partie de l'année, y déverser une partie plus grande encore de leur fortune ? Il a signalé comme devant être fortement frappées de contributions les maisons écartées de la rue aux Laines, et cependant ces maisons que rapportent-elles à ceux qui les habitent ? Généralement j'en puis parler par expérience, que leur rapportent-elles ? Rien absolument que des frais ! Si les habitants de ma commune de Rixensart, district de Nivelles, vous adressaient des pétitions pour me forcer à résider constamment avec eux, je le concevrais ; car avec ce que me coûte la maison même, très peu décorée que j'occupe l'hiver tue aux Laines, j'aurais bientôt construit une route pavée vers la Hulpe ou vers Hulpe et par goût je préférerais infiniment employer ainsi ce qui me reste de disponible. Taxer à outrance, à Bruxelles, ce qu'on appelle les hôtels, ce serait simplement exciter la désertion de ceux qui, je le répète, viennent souvent y manger le plus clair de leur bien ; ce ne peut être la mission réfléchie d'un mandataire de la capitale belge, et bien que les députés de chaque localité représentent la nation tout entière, ce serait pousser loin le principe que de les obliger à une abnégation telle des intérêts de leurs commettants qu'ils se constitueraient les promoteurs de ce qui peut leur nuire d'une manière plus directe qu'à tous autres habitants du pays. J'ai cité une des conceptions qu'on nous a proposées comme si heureuses pour remplacer nos voies et moyens, et l'on voit qu'elle aboutirait facilement à zéro.
J'en viens à un objet plus important. La situation particulièrement malheureuse de certains districts des Flandres. Je crois, messieurs, que nous devrions cette année spécialement abandonner les utopies soi-disant populaires et chercher tous les moyens de remédier à de très grandes misères trop réelles.
Avec le système de prévoyance que j'ai souvent réclamé, nous ne serions pas dans l'embarras, nous aurions une réserve applicable à ces maux intenses.
Vu l'état des choses, la première mesure à prendre, c'est d'abord de ne réduire en rien les ressources du trésor, de repousser toutes les réductions de recettes proposées. Il faudrait, en outre, que M. le ministre des finances cherchât pendant le premier semestre quelques accroissements de voies et moyens recouvrables pendant la seconde moitié de l'année et fît prévaloir toutes les économies acceptables dans la discussion des budgets.
Pour équilibrer les recettes et les dépenses, il y a quelques moyens d'impôts que l'on pourrait saisir immédiatement. Parmi ces impôts, le meilleur à établir est, sans nul doute, un droit de succession en ligne directe pour les héritiers uniques, pour les héritiers qui n'ont point de partage à faire, qui recueillent seuls toute une succession.
Quiconque s'est trouvé engagé dans ces partages sait combien ils entraînent de frais, d'embarras, de retards, de procès parfois, inconvénients dont l'héritier unique est complétement affranchi, indépendamment de l'avantage qu'il a de recueillir seul ce dont il n'aurait qu'une fraction s'il avait des copartageants.
A l'égard des travaux publics, il conviendrait aussi de réserver les sommes qui leur sont applicables aux districts où la misère est à un haut degré et d'ajourner ailleurs les dépenses. Je sais qu'à peu près partout on a besoin de travail pendant l'hiver, mais les besoins sont relatifs, il faut aller au plus pressant et le plus pressant est, sans nul doute, dans certains districts des Flandres, ceux d'Alost et d'Audenarde, par exemple. Toutefois il est indispensable de se bien persuader que le gouvernement en aucun pays ne peut se charger d'en faire subsister les habitants. Le gouvernement et le pays ne font qu'un. Le gouvernement ne possède que ce que possède le pays. La lune et les autres planètes pas plus que les contrées voisines ne lui donneront ni vivres, ni pécule, et lorsque j'entends demander ce que fait le ministre de la justice pour entretenir les pauvres des Flandres, je me demande aussi comment le ministre de la justice peut les entretenir. Il est vrai qu'on a voté en session extraordinaire deux millions, mais ces deux millions ne sont pas une rivière qui roule à flots continus l'argent liquide comme au pays d'Eldorado. Quant à moi, bien que n'appartenant pas aux Flandres, je consens volontiers à ce que les deux millions y soient spécialement verses, c'est-à-dire, dans les districts flamands les plus accablés. Dans une autre circonstance ce serait ailleurs peut-être qu'il faudrait porter des secours. Cette fois le plus grand mal étant là, c'est là qu'il faut agir.
Une circonstance que je dois cependant signaler, c'est l'absence du mouvement parmi les populations des Flandres pour trouver de l'occupation hors de leurs cantons. On m'assurait, hier encore, qu'à Couillet on avait fait venir deux cents ouvriers flamands et qu'il n'en était resté que huit. Ne serait-il pourtant pas préférable que l'on pût employer dans nos établissements du pays wallon . des Belges, que des Anglais ou des Allemands ?
M. Delehaye. - Mon honorable ami M. Delfosse, avec cette franchise et ce talent qui le distinguent, a exposé à la chambre tous les secrets de notre situation financière. Il a prouvé que nous nous trouvons en présence d'un découvert de 14 millions et 1/2, qui, si l'on tient compte de tout ce qui s'est passé jusqu'à présent, devra être porté, avant la fin de l'exercice, à 20 ou peut-être même à 25 millions. Lorsque mon honorable ami a fait ses calculs, il n'a pas même tenu compte d'autres éventualités qui doivent encore aggraver cette position. Il n'a point parlé du déficit probable à résulter des cotes irrécouvrables de la contribution foncière et de la contribution personnelle.
Vous savez, messieurs, que la calamité dont le pays a été atteint cette année, a surtout sévi dans les Flandres. Vous savez aussi, que dans ces provinces le morcellement de la propriété est extrême, que la plupart des propriétaires n'y possèdent guère qu'un hectare ou un hectare et demi. Eh bien, la position de ces petits propriétaires est devenue tellement embarrassante qu'ils seront dans l'impossibilité de payer leurs contributions ; de ce chef donc, le trésor ne percevra rien ou percevra très peu de chose.
La contribution personnelle laissera aussi de très grands vides ; là encore le trésor ne pourra pas recouvrer une grande partie des ressources sur lesquelles on a compté
Il est une troisième circonstance, messieurs, qui viendra encore diminuer les ressources et aggraver le découvert du trésor. C'est la malheureuse loi sur les sucres. Depuis longtemps, nous demandons la modification de cette loi ; elle vient enfin de nous être promise, et j'espère que, sous ce rapport, le gouvernement ne reculera plus devant son devoir. Si mes renseignements sont exacts, l'impôt sur les sucres rapportera, en 1845, à peu près un million de moins qu'il n'a rapporté en 1844.
Ainsi, messieurs, de quelque côté que nous nous tournions, partout nous rencontrons le déficit.
Mon honorable ami, M. Delfosse, a indiqué aussi quelles étaient, d'après lui, les mesures au moyen desquelles on pourrait mettre un terme à ces déficits toujours croissants. Parmi ces mesures, l'honorable membre en a signalé une à laquelle je ne saurais donner mon assentiment. Je pense que cette fois l'honorable M. Delfosse s'est trompé, et il m'est d'autant plus permis de le lui faire observer, que la chose lui arrive plus rarement. Il pense que, pour mettre un terme au déficit, il faudrait qu'il y eût un excédant de trois ou quatre millions des recettes sur les dépenses.
Eh bien, messieurs, je pense qu'un semblable état de choses amènerait précisément un résultat inverse de celui qu'en attend l'honorable membre ; je crois que si le budget des voies et moyens dépassait de trois ou quatre millions le budget des dépenses, vous seriez inévitablement amenés à voir surgir continuellement de nouvelles demandes de crédits ; ce serait à qui le premier ferait brèche à l'excédant. Si la situation financière présentait un excédant quelconque, vous verriez surgir de toutes parts ces demandes de dépenses nouvelles auxquelles vous aurez d'autant plus de mal de résister qu'on vous dirait que les fonds sont votés.
J'indiquerai, messieurs, un moyen qui me paraît beaucoup plus efficace pour arrêter l'accroissement continuel du déficit ; mais il faudrait qu'à cet égard la chambre se soumit également à la mesure. Ce serait de prescrire au gouvernement le devoir de ne jamais présenter un projet de loi entraînant des dépenses quelconques sans que ce projet ne soit accompagna d'un autre projet Créant les ressources nécessaires pour y faire face. Si la chambre prenait une bonne fois la résolution de déclarer d'une matière formelle que jamais elle ne votera une dépense quelque urgente, quelque utile qu'elle puisse être, sans la couvrir à l'instant même par de nouvelles ressources ; si la chambre prenait cette résolution et si elle la maintenait, il est évident que tout nouveau déficit serait impossible. Lorsqu'il s'agit uniquement de dépenser, sans s'inquiéter le moins du monde du point de savoir comment on couvrira la dépense, alors on est toujours porté à accorder tous les crédits demandés ; mais s'il fallait à l'instant même décider comment la dépense sera couverte, par quels contribuables les fonds nécessaires seront fournis, soyez persuadés, messieurs, que l'on y regarderait à deux fois ! Voter des dépenses ne présente pas d'inconvénient ; mais rien n'est plus impopulaire que de nouvelles charges, de nouveaux impôts. Si vous ne prenez pas cette mesure, le découvert du trésor ira constamment en augmentant.
Messieurs, je n'en dirai pas davantage sur cette question. Je pense que le gouvernement s'empressera de déclarer que, d'après lui, il y a nécessité, d'un côté, de modifier immédiatement la loi sur les sucres, et, d'un autre côté, de pourvoir au déficit qui résultera de la perception de la contribution personnelle et de la contribution foncière.
Messieurs, je dirai maintenant un mot sur un point qui a été touché par un honorable membre de cette chambre, et pour lequel je me suis opposé qu'on clôturât hier la discussion générale.
Messieurs, vous n'ignorez pas que la calamité dont le pays est frappé, par suite de la disette des pommes de terre, sévit principalement dans les Flandres. Vous savez, messieurs, que déjà la position des deux Flandres était très mauvaise avant l'apparition de ce fléau ; et aujourd'hui, on peut dire que cette position est devenue intolérable. Je m'expliquerai aujourd'hui à cet égard avec une entière franchise. Si nous n'avions pas conclu une nouvelle convention avec la France, j'aurais gardé le silence ; on m'eût reproché de nous créer de nouvelles difficultés. Mais puisque cette convention est conclue, je n'ai plus de ménagements à garder envers personne.
Messieurs, vous n’ignorez pas qu'environ les cinq sixièmes de la population des deux Flandres se trouvent aujourd'hui réduits à se nourrir exclusivement de navets. J'ai reçu d'une commune une lettre dans laquelle on dit que, les navets étant venus à manquer, on s'est jeté sur le colza. Le colza sert donc aujourd'hui de nourriture aux hommes, à défaut de toute autre substance alimentaire. Je me demande si les sentiments d'humanité que vous avez si souvent exprimés, ne seront pas douloureusement affectés, à la vue d'un pareil spectacle ? Votre sympathie ne sera-t-elle pas acquise à une pareille situation ? Je me demande si la chambre n'est pas d'avis, avec nous, qu'il faut prendre des mesures promptes et efficaces pour parer à d'aussi grands maux.
Dans mon opinion, ces mesures doivent être passagères, comme le sera sans doute la calamité qui les provoque.
C'est assez vous dire, messieurs, que je ne m'explique pas le singulier projet que l'on prête à M. le ministre de la justice, et qui consisterait à augmenter le nombre actuel des dépôts de mendicité.
Si ce qu'on m'a rapporté est exact, M. le ministre de la justice serait en (page 308) instance pour créer de nouveaux établissements de ce genre à Ruysselede et ailleurs. Messieurs, je ne crains pas de dire, que si telle est l'intention réelle du gouvernement, l'exécution de cette idée malheureuse produirait un double résultat également funeste : la ruine des communes et la démoralisation des populations.
Tout le monde sait, en effet, qu'il suffît qu'un individu ait passé seulement quelques jours dans un dépôt de mendicité, pour qu'il retourne, dans le sein de sa famille, plus vicieux qu'il ne l'était avant d'en sortir. Les individus, enfermés dans un dépôt, y perdent tout sentiment de famille, toute notion de leurs devoirs ; rentrés dans leurs communes, ils ne peuvent donc qu'y augmenter la démoralisation.
Messieurs, les dépôts de mendicité présentent, d'ailleurs, un autre inconvénient. Il n'est pas de commune qui, du chef d'une ou de deux personnes entretenues dans un dépôt, ne soit obligée de faire une dépense double de ce qu'elle serait si elle nourrissait ces individus au sein de leur famille. L'entretien d'un seul individu dans le dépôt impose aux communes une charge plus grande que l'entretien d'une famille tout entière.
En les secourant donc à domicile, non seulement on réaliserait une grande économie dans les dépenses, mais on empêcherait encore la démoralisation de se propager dans les campagnes, on y maintiendrait l'esprit de travail et d'ordre qui distingue encore aujourd'hui ces populations. Que M. le ministre de la justice renonce donc au système qu'il a en vue, car, d'un côté, il tend à augmenter les charges des communes et, d'autre part, il détruit les sentiments de moralité.
Je pense dès lors que le projet attribué à M. le ministre de la justice doit être abandonné, s'il existe réellement ; et si les deux millions que nous avons votés au mois de septembre dernier devaient servir à l'acquisition de nouveaux dépôts de mendicité, je déplorerais amèrement la confiance que j'aurais eue dans le ministère, en lui accordant ces deux millions (Interruption.)
Je suis heureux de voir que d'autres membres de cette chambre partagent ma manière de voir sur les inconvénients que présenterait l'établissement de nouveaux dépôts de mendicité.
Messieurs, on m'a dit que d'autres mesures avaient été prises au ministère de l'intérieur. Je ne sais pas quelles sont ces mesures. Mais qu'il me suit permis de le dire, les antécédents digues de toute confiance de M. le ministre de l'intérieur, me donnent l'assurance que les mesures prises, comme celles qu'il prendra, seront réellement favorables aux communes ; j'ai la conviction intime qu'avec les idées qui distinguent M. le ministre de l'intérieur, les deux millions seront bien employés ; et je suis convaincu que le ministre ne démentira pas la confiance que nous lui avons montrée, en mettant les deux millions à sa disposition.
Pour ma part, je m'en rapporte donc entièrement à ce que fera, à cet égard, M. le ministre de l'intérieur qui, je l'espère, ne craindra point de nous demander de nouveaux subsides si les sommes mises à sa disposition n'étaient point suffisantes. Pour le moment, nous nous contenterons donc de l'expression de sympathie que M. le ministre manifeste pour tes malheureux.
M. David. - Vous vous contenterez, pourvu qu'on vous donne le tout, comme vient de le demander M. de Mérode.
M. Delehaye. - En supposant même qu'on donnât toute la somme aux Flandres, la chose serait-elle si exorbitante ? L'honorable M. David ne doit pas oublier que pendant quarante ans la Flandre orientale a dû supporter un tiers de contributions de plus que les autres provinces. Ainsi, si vous consacriez aujourd'hui la totalité des deux millions aux deux Flandres, ce ne serait qu'une faible restitution de ce que ces provinces ont payé de trop.
D'un autre côté, je ne comprends pas l'interruption de l'honorable M. David. L'honorable membre nous a reproché notre misère, il y a quelques jours ; il a ajouté que si nous étions dans une position misérable, par contre, les habitants de son district étaient riches. Mais s'ils sont riches, pourquoi enviez-vous alors ce qu'on veut faire en faveur des populations pauvres des Flandres ? Que l'honorable membre ne perde pas de vue que notre misère ne nous pousse point à demander l'aumône, qu'elle ne nous avilit pas à ce point. Nous ne voulons que du travail, c'est la seule faveur que nous sollicitions.
Je finis par une dernière observation.
Pendant la session extraordinaire, M. le ministre des travaux publics nous avait promis de faire exécuter immédiatement tous les travaux à charge de l'Etat, dont l'exécution pouvait avoir lieu ; et d'inviter aussi les compagnies à commencer les travaux dont elles avaient été déclarées concessionnaires.
Or, je ne pense pas que dans les deux Flandres, c'est-à-dire dans les provinces où il y a le plus de besoins, le gouvernement ail fait entamer un seul travail d'utilité publique. Je sais que l'on travaille à la double voie du chemin de fer entre Bruges et Ostende. Mais c'est un travail très-peu important, et qui sera terminé en peu de temps. Dans la Flandre orientale, on est resté inactif jusqu'ici ; on n'a rien fait jusqu'ici ni dans le district de Saint-Nicolas, ni dans celui de Termonde, ni dans celui de Gand, ni dans celui d'Eecloo.
Cependant, messieurs, il y a des travaux urgents à exécuter, qui aujourd'hui présenteraient une double utilité : celle d'abord de fournir du travail et celle non moins grande d'augmenter la richesse publique ; nous nous sommes plaints souvent des inondations qui désolent nos campagnes, qui détruisent nos récoltes ; ne serait-ce pas le moment de mettre la main à l'œuvre pour remédier à ce fâcheux état de choses ? Je sais très bien que M. le ministre des travaux publics, répondra qu'il vient seulement de recevoir le travail de la commission, et que les conclusions proposées sont conçues sur une si grande échelle qu'il est impossible de se prononcer immédiatement.
Mais je ferai remarquer à M. le ministre des travaux publics que le travail de la commission se divise en plusieurs parties, et que, parmi ces parties, il y en a qui occasionneraient une très faible dépense. Parmi les travaux hydrauliques partiels, indiqués par la commission et dont l'exécution peut se faire immédiatement, se trouve l'élargissement du canal de Nevele. Ici il n'y a pas d'expropriation à faire ; toutes les propriétés appartiennent au gouvernement ou à la province. Il y aurait à faire une dépense de 110,000 fr. ; cette dépense consisterait uniquement en main-d'œuvre ; elle ferait disparaître immédiatement le grave inconvénient qui a été signalé depuis longtemps et qui résulte de la trop grande masse d'eau qui nous arrive de la France par la Lys.
Pourquoi M. le ministre des travaux publics n'a-t-il pas songé à distraire du projet général ces travaux partiels dont l'exécution aurait donné du travail à de nombreux ouvriers, pendant une partie de l'hiver, et cela précisément dans les localités les plus souffrantes. Il y a d'autres travaux en amont et en aval de Gand que l'on réclame depuis longtemps et dont la construction utile procurerait un long travail à la classe ouvrière. Je suis persuadé qui si M. le ministre des travaux publics était venu présenter dans ce but un projet à la chambre, le projet n'aurait rencontré aucune difficulté : la chambre se serait rappelé les nombreuses et vives réclamations que les députés, non seulement des Flandres, mais aussi du Hainaut, ont faites en cette enceinte, pour qu'on mette un terme à ces inondations qui viennent périodiquement effrayer de nombreuses population.
M. David. (pour un fait personnel). - Messieurs, je suis convaincu que tous, vous avez été frappés de l'évidente exagération avec laquelle l'honorable préopinant vient de s'exprimer, à l'occasion de quelques paroles prononcées par moi dans une séance précédente, et à cause de l'interruption que je viens de lui adresser.
Il est manifeste que les réclamations des Flandres sont tellement vives et sans cesse renaissantes, que nous pouvons légitimement présumer qu'on consacrera la presque totalité des deux millions au soulagement des populations de ces provinces. Or, nous avons une autre province à soulager, une province industrielle qui éprouve aussi de grands besoins. Elle réclame sa part du subside. A entendre seulement le discours de l'honorable membre, et les paroles de M. le comte de Mérode, on peut croire qu'il y a une forte tendance à faire profiter les Flandres seules de l'allocation.
Quand j'ai dit, il y a quelques jours qu’on faisait tout pour les Flandres, j'ai cité, à l'appui de cette assertion, ce que l'on accordait aux cotons, aux toiles ; j'ai rappelé le subside de 200,000 fr., les 10 p. c. à l'exportation des cotons, etc. ; toutes faveurs que j'ai évaluées de 16 à l,700 mille fr. Je Vous le demande, messieurs, si le reste du royaume devait être traité dans la même proportion, que deviendraient nos finances ?
Ce n'est pas tout : la partie industrielle de la province de Liége est à la veille de devoir faire un nouveau sacrifice ; on va écorner de nouveau l'industrie drapière de mon district, holocauste dans toutes les occasions où il faut soulager d'autres souffrances, pour assurer le renouvellement d'une convention qui aura été si insignifiante pour les Flandres et si onéreuse pour nous. Je veux parler du traité du 16 juillet.
M. le président. - Veuillez-vous restreindre au fait personnel.
M. David. - Je n'ai pas dit, comme le prétend l'honorable M. Delehaye, que nous étions riches à Verviers ; non, j'ai dit que nous étions industrieux. Je prie l'honorable membre de ne pas m'attribuer des paroles que je n'ai pas prononcées ; à Verviers, nous ne mourons pas de faim, mais nous ne demandons pas l'aumône. Nous n'en sommes pas réduits là, grâce à la libéralité, à la générosité sans limite de mes concitoyens
M. Delehaye. (pour un fait personnel.) - L'honorable M. David, complétant sa pensée manifestée par une interruption, nous dit que dans son district oh ne demande pas l'aumône. Nous ne la demandons pas davantage, nous la repoussons de toute notre énergie ; ce que nous demandons avec instance, c'est du travail. L'amour du travail est trop puissant dans les Flandres, il est trop noble à nos yeux pour que nous réclamions jamais de la charité publique, les moyens d'existence.
Messieurs, l'honorable député de Verviers parle des avantages dont jouit l'industrie cotonnière. Je ne sais ce que cette industrie vient faire dans cette discussion. Mais quel est l'avantage que vous faites à cette industrie qui a perdu l'immense débouché qu'elle trouvait dans les colonies hollandaises ?
On ne demande pas l'aumône chez vous ! Mais M. David veut-il nous cacher que sa province prospère précisément à l'abri d'un système prohibitif ? Vos fers, vos houilles, industries dignes de toute notre sollicitude sans doute, ne seraient jamais parvenus à un si haut degré de prospérité, si nous ne nous étions pas imposé, dans leur seul intérêt, des impôts énormes.
Messieurs, si en répondant à l'honorable M. David j'ai mis quelque vivacité dans mes paroles, vous l'attribuerez au sentiment pénible que j'ai dû éprouver en entendant l’étrange interruption dont mes paroles ont été l'objet. Il n'y a eu rien de désobligeant, dans ma réponse, pour l'honorable membre dont j'estime beaucoup le caractère ; mais je n'ai pas pu laisser sans réponse une insinuation qui tendait à mettre en doute l'activité, le zèle, la moralité de nos classes ouvrières que l'on outrage, messieurs, en supposant qu'elles demandent l'aumône.
M. Lejeune. - Messieurs, on ne peut méconnaître que la discussion du budget des voies et moyens ne soit une occasion très opportune de parler de la situation malheureuse dans laquelle se trouvent les ouvriers des Flandres. Cependant, messieurs, je me bornerai à très peu d'observations (page 309) à ce sujet. Car, cette discussion, si elle était poussée trop loin, ne serait pas, selon moi, sans danger. Ce n'est point par de longues discussions, ce n'est pas au bruit d'une grosse voix que l'on pourrait nourrir nos ouvriers.
M. Rodenbach. - Le silence est plus dangereux.
M. Lejeune. - Nous devons parler sur une pareille matière avec calme, avec circonspection, avec beaucoup de prudence.
Nous avons plusieurs écueils à éviter. Nous avons à craindre, messieurs, de faire naître des espérances qu'il serait impossible et au gouvernement et aux chambres de réaliser ; nous avons à craindre de faire naître des exigences auxquelles ni le gouvernement ni les chambres ne pourraient satisfaire. Nous devons craindre, messieurs, d'exagérer les moyens qui sont au pouvoir du gouvernement pour venir au secours de la classe ouvrière. Car cette fausse interprétation de nos discussions pourrait traîner après elle des exigences très embarrassantes.
En Angleterre, messieurs, il y a une partie du pays qui souffre aussi beaucoup. A l'occasion de la crise ministérielle en Angleterre, O'Connell déclare qu'il appuiera ceux qui nourriront le peuple anglais.
Et quel est le point de son programme qui répond à cette déclaration ? Ce point est l'abolition des lois sur les céréales. Voilà, messieurs, ce que dans ce moment il appelle nourrir le peuple anglais !
Messieurs, je désire qu'on ne se méprenne pas sur mes paroles ; je suis loin de croire que cela suffise chez nous ; cependant nous pouvons établir cette comparaison : Ce qu'on demande en Angleterre avec tant d'instance, nous l'avons déjà dans notre pays. Le gouvernement et les chambres se sont empressés de prendre cette mesure ; et cette mesure a été prise sans aucune opposition.
Je le répète, pour que ni l'honorable membre qui m'interrompt, ni aucun membre de cette chambre ne se méprennent sur ma pensée. Cette mesure, je l'ai considérée comme très bonne, comme nécessaire dès les premiers moments. Mais j'ajouterai que, selon moi, elle ne suffit pas pour notre pays.
Ce que je redoute, messieurs, c'est qu'on ne fasse croire au pays que le gouvernement est cause de la misère, qu'il dépendrait du gouvernement de la faire cesser. Il serait dangereux de laisser s'accréditer une pareille opinion. Mais quelle que soit ma réserve, il est cependant quelques points sur lesquels nous devons être rassurés.
Le gouvernement est-il bien pénétré de toute l'étendue de la misère ? Connaît-il bien la position des Flandres ? Je ne sais si je puis dire : J'en doute. Mais, du moins, ce que nous pouvons dire, c'est qu'il n'existe aucun acte significatif qui démontre que le gouvernement soit parfaitement au courant de la situation. C'est un point sur lequel nous devons être rassurés, avant de prendre des vacances.
Un deuxième point, c'est de savoir si le gouvernement est disposé à faire tout ce qui est possible pour soulager nos populations ouvrières, non seulement au moyen des fonds dont il dispose aujourd'hui, mais au moyen de toutes autres ressources pour lesquelles il croirait avoir besoin de l'intervention des chambres.
Le gouvernement ne peut croire que les chambres refuseraient leur concours aux mesures qu'il croirait nécessaires. Elles ont manifesté des dispositions tout opposées. Si ces mesures ne sont pas indiquées par le gouvernement, les ministres ne seraient pas admis à faire tomber sur les chambres une responsabilité qui pèse et qui ne doit peser que sur eux.
Il est un autre point sur lequel je désire fixer l'attention du gouvernement, ce sont les mesures nécessaires pour maintenir l'ordre et la sécurité publique.
Les circonstances où nous nous trouvons sont très malheureuses. Ce qui les aggrave, c'est que les malfaiteurs profilent de cette situation pour exercer leur industrie. Nous avons déjà connaissance de beaucoup de faits qui sont de nature à alarmer les habitants des campagnes. On a constaté que la plupart de ces mendiants qui vont, par bandes, inquiéter les fermiers, sont des repris de justice. Il est donc nécessaire d'établir des moyens de surveillance extraordinaire. Cela est nécessaire, surtout sur la frontière. Noire frontière qui touche à la Zélande est digne de toute l'attention du gouvernement. Là, les malfaiteurs peuvent faire leurs expéditions et se sauver immédiatement en pays étranger.
Je n'indiquerai pas les mesures, à prendre à ce sujet ; ces mesures, du reste, me paraissent très simples et ne sont pas de nature à entraîner des dépenses considérables.
Le meilleur moyen de sauver nos ouvriers, c'est de leur procurer de l'ouvrage. Je l'ai dit au mois de septembre, c'est le but vers lequel doivent tendre tous nos efforts.
J'insiste sur ce point, parce que, dans une séance précédente, on a déjà critiqué prématurément quelques-unes des propositions faites par M. le ministre des travaux publics, notamment pour la construction de routes. Je dois déclarer que je suis d'une opinion tout à fait contraire à celle qui a été exprimée à ce sujet. Loin de blâmer le gouvernement de ce qu'il a demandé des crédits pour l'exécution de travaux publies, je ne crains pas de dire qu'il en a demandé trop peu.
Au moyen de ces travaux, on pourra soulager la misère, venir au secours des ouvriers sans ouvrage ; mais, en outre, messieurs, c'est un des meilleurs moyens d'employer les fonds de l'Etat ; c'est un capital bien placé. Ce sont des travaux que vous feriez, que vous devez faire tôt ou tard. Plus tôt vous les ferez, plus tôt vous augmenterez les sources de la richesse nationale, de la prospérité du pays.
Dans les circonstances actuelles, je ne pourrais prendre la responsabilité de refuser au gouvernement les fonds nécessaires pour l'exécution de travaux publics dont l'utilité serait démontrée.
Je bornerai là mes observations.
J'espère qu'avant la fin de cette discussion, l'un ou l'autre des organes du gouvernement nous donnera, sur les divers points que j'ai indiqués, des explications de nature à nous rassurer.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - La chambre doit être frappée du sens des paroles qu'elle vient d'entendre et de l'extrême réserve, de la sagesse pratique toute particulière, avec laquelle l'honorable membre a abordé cette question, qu'on doit en effet éviter avec soin de jeter inopinément dans une assemblée délibérante.
Je conçois les devoirs que les membres de cette chambre ont à remplir envers leurs commettants ; mais ils comprendront aussi que la sollicitude du gouvernement doit être moins démonstrative que la leur, et que l'espèce d'inaction apparente dans laquelle le gouvernement se renferme sagement, lui est dictée par les règles les plus simples de prévoyance administrative que la chambre appréciera, j'espère.
Les honorables membres savent, par des renseignements puisés à la source même, que cette inaction apparente n'est pas de l'indifférence, que le gouvernement agit, mais dans la sphère où la prudence l'oblige à se renfermer.
Je ne pense pas que la chambre exige de moi d'autres explications.
M. de Corswarem. - Dans l'état où la discussion se trouve en ce moment, il n'y a plus guère quelque chose de neuf à dire. Je me contenterai donc d'émettre mon opinion sur quelques faits avancés par d'honorables membres de cette assemblée.
Je dois convenir avec l'honorable M. Delehaye que les non-valeurs seront très nombreuses l'année prochaine, surtout dans les campagnes.
La section centrale vous a dit que la perte d'un précieux tubercule était en quelque sorte compensée pour le cultivateur par la récolte satisfaisante des céréales et le prix élevé de tous les produits du sol. Je ne puis partager en aucune manière cette opinion de la section centrale. Dans les endroits où la récolte a été la plus satisfaisante, je crois qu'elle n'a pas été des trois quarts d'une bonne récolte.
En général, on peut dire qu'elle n'équivaut qu'à une demi-bonne récolte. Si dans quelques localités elle équivaut aux trois quarts d'une bonne récolte, c'est assurément le maximum.
Les cultivateurs qui ont récolté une partie de grains, plus que suffisante pour la consommation des personnes de leur ménage, n'y trouvent aucune ressource. Les pommes de terre étant perdues, ils sont obligés d'employer leurs grains à la nourriture de leur bétail. Si le prix du bétail était un peu élevé, ils trouveraient là une espèce de compensation.
Malheureusement, il n'en est rien ! Le bétail est aujourd'hui à vil prix. Le prix des bœufs maigres, des bouvillons et des génisses a baissé de 50 p. c. ; celui des vaches laitières a baissé de 20 à 30 p. c ; celui des cochons maigres a baissé certainement de 60 p. c.
M. Eloy de Burdinne. - On les donne pour rien.
M. de Corswarem. - Voilà donc encore une grande ressource totalement enlevée aux cultivateurs.
Cet état de choses sera cause que les cotes irrécouvrables monteront à un chiffre très élevé l'année prochaine.
Les importations considérables de céréales qui ont été faites dans le pays viennent heureusement dissiper toute crainte de disette jusqu'à la récolte prochaine.
Mais si la récolte prochaine est bonne, comme je le souhaite bien ardemment, nous sommes certains que lorsque le cultivateur pourra apporter des grains au marché, il ne pourra les vendre, à cause du bas prix auquel ils seront alors ; il sera obligé d'attendre jusqu'après l'hiver suivant, s'il veut seulement en obtenir le prix de revient.
J'applaudis à la générosité de l'honorable comte de Mérode. Cet honorable membre ne laisse passer aucune occasion, sans montrer toute la générosité de son caractère. Mais quelquefois il se laisse aller un peu trop loin. C'est ce qu'il a encore fait aujourd'hui en faveur des Flandres.
Il voudrait que les deux millions accordés au gouvernement dans l'intérêt des classes pauvres, fussent employés exclusivement dans les Flandres. Si la misère n'était que là, je partagerais entièrement son avis. Mais il y en a dans toutes les provinces. Dans celle dont je représente un district, je pourrais citer une localité où les habitants sont aussi malheureux que dans quelque autre partie du pays que ce soit. Ce sont les riverains de la vallée du Demer, dont les propriétés ont été inondées deux ou trois fois, dans le courant de l'année, et qui ont perdu, non seulement les pommes de terre, mais encore les céréales, les navets et tous les autres fruits que les Flandres ont encore conservés. Ceux-là ont droit à la bienveillance du gouvernement à un aussi haut degré que la partie la plus malheureuse de la population du pays.
L'honorable député de Bruxelles nous a proposé un système nouveau d'impôts ; si ce système était soumis à nos délibérations, nous l'examinerions, et je suis bien certain qu'alors beaucoup des résultats qu'il a indiqués viendraient à tomber ; il y a, par exemple, des mesures qui, au premier abord, paraissent équitables et qui changent complétement d'aspect quand on les examine attentivement.
L'honorable membre demande un droit de succession en ligne directe sur les préciputs. Tout homme qui a l'expérience des affaires sait qu'il existe deux espèces de préciputs. Celui qu'il a appelé majorat, est un véritable préciput ; et si on pouvait lui faire payer un droit, j'y applaudirais de grand cœur ; mais il en est un autre qui consiste en une avant-part que les parents laissent à quelques-uns de leurs enfants en compensation de ce qu'ils ont donné à d'autres.
Personne n'ignore que quand des enfants sont établis ils ont souvent recours à leurs parents pour demander des fonds en avancement d'hoirie ; pour éviter les frais qu'entraîne la constatation de ces avancements d'hoirie, (page 310) et pour ne pas le porter à la connaissance du public, les parents se bornent à laisser, par préciput, une portion égale aux enfants qui n'ont rien reçu, pour les mettre sur le même pied que ceux qui ont réclamé un avancement d'hoirie. Pour distinguer ce préciput de celui qu'on appelle majorat, je ne sais quel moyen on pourrait adopter.
L'honorable comte de Mérode voudrait, lui que l'héritier unique payât un droit de succession ; cela serait encore juste et équitable si l'héritier unique héritait plus que des héritiers en grand nombre. On sait que quelquefois le sixième ou le dixième d'une succession est plus considérable que toute la succession recueillie par un héritier unique. Voilà encore une idée qu'on ne peut guère ranger parmi celles qui sont susceptibles d'être mises en pratique.
M. de Mérode. - C'est en proportion.
M. de Corswarem. - L'honorable M. Verhaegen est revenu, je ne sais pour la quantième fois, sur la réduction à un demi pour cent du droit de 2 p. c. qui frappait les ventes d'arbres et de bois. J'ai déjà eu l'honneur de lui expliquer la cause de cette réduction. Quand la loi du 2 frimaire an VII a été portée, il y avait beaucoup d'arbres dans les forêts qui avaient appartenu à des corporations, à des majorais et à d'autres établissements de mainmorte, qui jusque-là n'avaient rien payé à l'Etat. En les soumettant à la contribution foncière, on frappait bien le fonds, mais non ce qui le garnissait. Pour atteindre cette dernière partie de la propriété, on a établi un droit d'enregistrement de 2 p. c. sur les ventes d'arbres et de bois. Depuis, les arbres qui couvraient ces propriétés ont disparu. Et la vente de ceux qui existent encore aujourd'hui en plus petit nombre ne produirait plus que des droits d'enregistrement insignifiants.
En 1822, le gouvernement des Pays-Bas a jugé à propos de ne plus faire payer le droit de 2 p. c. par les ventes d'arbres venus sur un terrain qui a payé tous les ans la contribution foncière et tous les autres impôts qui frappent la propriété.
Ce droit n'était pas seulement applicable aux arbres, mais encore aux fruits pendant par racines : ceux de ces fruits qui sont le plus souvent vendus publiquement appartiennent presque toujours à de petits cultivateurs ou à des personnes qui sont dans une position malheureuse.
Les fermiers, obligés d'abandonner leurs exploitations, laissent pour garantie à leurs propriétaires leur part des fruits pendant par racine. Le propriétaire prélève sur ces ventes ce qui lui revient pour fermages du fonds, et celui qui a semé ne retire que la différence entre sa dette et le produit de la vente ; si vous frappes cette vente d'un droit, c'est encore le malheureux qui le payera, et ce n'est pas celui-là que l'honorable députe de Bruxelles veut atteindre en rétablissant le droit de 2 p. c. qui a été réduit à 1/2 p. c.
Vous savez tous, messieurs, que tous les ans on signalait comme matière éminemment imposable le tabac ; on faisait un reproche au gouvernement de ne pas imposer cette marchandises. Mais aussitôt que le gouvernement a proposé un droit sur le tabac, de telles clameurs se soit élevées, une telle opposition s'est manifestée, qu'il a été rejeté à une grande majorité.
Si le gouvernement proposait d'établir un droit sur les successions en ligne directe, d'augmenter le droit d'enregistrement sur les ventes de fruits pendant par racine, il rencontrerait une opposition non moins forte que celle qu'a rencontrée la loi sur les tabacs. S'il était permis de ne pas agir sérieusement, je dirais que, pour se débarrasser de tous ces projets nouveaux, le gouvernement n'aurait qu'à les présenter ; ils seraient rejetés et jamais plus on en reparlerait.
Au lieu de changer les bases des impôts établis, il serait préférable de les conserver, mais en s'appliquant à les répartir avec le plus d'équité possible, en les dégageant de ce qu'elles ont d'arbitraire et de vexatoire. Les populations s'effrayent toujours de tout impôt nouveau ; lorsqu'elles sont habituées aux impôts existants, il faut les conserver et tâcher de les rendre plus légers.
Le but que nous devrions chercher à atteindre, c'est la suppression des centimes additionnels ; mais il se passera encore quelque temps avant qu'on puisse y parvenir. En attendant je fais des vœux pour que leur suppression arrive le plus tôt possible. Si on la proposait et qu'il fut démontré qu'il n'y aurait pas d'inconvénient à l'adopter, je m'engage dès à présent à appuyer la proposition de toutes mes forces.
M. de Roo. - J'applaudis beaucoup à la sage réserve de M. le ministre de l'intérieur ; mais dans l'occurrence cette sage réserve ne suffit pas, il faut quelque chose de plus explicite, de plus concluant. Je persiste donc à demander au gouvernement, ou à l'un ou l'autre des ministres, de vouloir s'expliquer sur les mesures qu'il entend prendre pour venir au secours de nos classes ouvrières, afin d'atténuer la misère qui afflige principalement et plus particulièrement les Flandres.
Messieurs, les communes se sont épuisées en secours accordés, les particuliers également, c'est maintenant au gouvernement à apporter son tribut, sur lequel on compte.
Messieurs, annuellement on retire des Flandres plus d'un demi-million de revenus, provenant d'anciennes rentes et obligations des ci-devant couvents et cloîtres, qui entretenaient, eux, les pauvres, laquelle somme reflue vers la capitale ; elle y sert au superflu, et à élever des palais, y tenir les pauvres pour ainsi dire dans l'opulence, leur donner des calorifères dans leurs corridors et leurs chambres, enfin des domestiques pour leur service ; tandis que dans les Flandres ils croupissent dans la plus grande misère, ils n'ont pas de quoi se vêtir, de quoi se nourrir, de quoi s'abriter des intempéries des saisons.
C'est là, messieurs, un contraste frappant, pour une même classe d'individus. Je crois que si le gouvernement se faisait rendre compte de tous les revenus de nos riches hôpitaux, les pouvait centraliser, et ainsi les distribuer équitablement dans l'intérêt de tous les pauvres en général, il y aurait de quoi entretenir tous les pauvres du pays.
Le pauvre ne demande pas des palais, du superflu ; il n'a besoin que de pouvoir subsister.
Messieurs, nos dépôts de mendicité sont également encombres, celui de Bruges, qui peut contenir neuf cents individus, en contient actuellement plus de douze cents ; ils sont niches jusque sous le loi ; et c'est là, il est vrai, une mesure imprudente pour les épidémies et le désordre qui pourraient en résulter. Mais force est de le faire ainsi, vu la grande quantité de pauvres qui y affluent journellement.
Le fait que vient de signaler l'honorable M. Rodenbach, n'est que trop exact, il se trouve consigné dans toutes les feuilles de Bruges. Une pauvre femme de Thielt s'est présentée à la porte de Bruges, accompagnée de quatre enfants en bas âge Sur la déclaration qu'elle voulait aller au dépôt de mendicité, défense lui fut faite d'entrer en ville. Sur ce refus, elle répondit en sanglotant, qu'il ne lui restait qu'une chose à faire, et elle se dirigea vers le fossé du rempart, pour s'y jeter avec ses quatre enfants. On l'empêcha d'exécuter ce triste dessein, et on s'empara de la pauvre femme et de ses enfants, et on la transporta, sur une charrette, accompagnée de la gendarmerie, à Thielt.
On demande si le gouvernement ouvrira enfin les yeux sur les maux qui affligent réellement les Flandres.
Je demande, à mon tour, si ce n'est pas au gouvernement à prescrire des mesures pour mettre fin à un pareil étal de choses.
Messieurs, les vieillards, et les enfants peuvent être une charge communale ; mais les gens valides, les ouvriers, qui ne demandent que du travail pour se procurer leur existence, doivent être secourus par le gouvernement ; c'est-à-dire, que c'est le gouvernement, qui doit aider à leur procurer du travail, qui doit venir au secours des comités de travail, afin de leur procurer le travail nécessaire pour y trouver leur subsistance. C'est là la tâche qui incombe au gouvernement.
Et puisque le gouvernement a maintenant reçu le rapport du comité institue par lui pour organiser le travail, qu'il en connaît les conclusions ; nous insistons pour qu'il s'explique relativement aux mesures qu'il est intentionné de prendre.
M. de La Coste. - Je voulais dire quelques mots sur ce droit de succession en ligne directe ; je croyais pouvoir me taire sur cette question, parce qu'il me semble qu'il y a beaucoup d'inconvénients à traiter incidemment des questions de cette nature. Cependant comme plusieurs orateurs l'ont encore traitée, je crois devoir faire observer à la chambre que cette proposition, dans l'étal de noire législation, tendrait à cumuler tout ce qu'il y a de plus fiscal dans deux législations qui partent d'un principe opposé, la législation hollandaise et la législation française ; en deuxième lieu, elle tendrait à aggraver la charge qui pesé sur les seuls individus qui par la nature de leur fortune sont atteints par l'impôt, en laissant en dehors ceux qui ne payent rien ; en troisième lieu elle rétroagirait sur une foule de transactions faites sur la foi d'une législation qui nous a régis pendant 25 à 50 ans. Je crois comme l'honorable M. de Corswarem que si une pareille proposition était faite elle rencontrerait une grande opposition. Je dis ceci pour qu'on ne prenne pas le silence d'un grand nombre de membres pour un acquiescement.
Je ne suis pas disposé à appuyer les amendements qui tendent à rejeter une partie des centimes additionnels soit sur le foncier, soit sur d'autres objets, parce que, dans l'état actuel des choses, nous devons laisser au gouvernement les ressources dont il peut disposer. Je demanderai au ministre si son intention est, s'il serait possible d'accorder un dégrèvement non aux gros fermiers, mais aux très petits cultivateurs dont la récolte a manqué, aux petits cultivateurs qui cultivent un hectare, un demi-hectare, et qui ayant planté cette étendue de terrain en pommes de terre, n'ont absolument rien, ni pour payer leurs loyers et leurs impôts, ni pour vivre.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je répondrai à deux observations qui m'ont été faites par l'honorable préopinant, l'une à la séance d’hier, l'autre à l'instant même.
La première observation se rapporte à un paragraphe du discours d'introduction des budgets. L'honorable membre a cru que le gouvernement, en se prononçant sur la législation relative aux bières, avait menacé cette grande industrie. Non, messieurs, le gouvernement, frappé comme la législature de la diminution du produit de l'accise sur les bières, s'est borné à dire que son attention se porterait sur les faits, qu'il les constaterait, et I qu'une fois que l'on serait rentré dans les circonstances normales, il verrait quelles sont les mesures qui peuvent être prises pour concilier les intérêts de cette industrie avec ceux du trésor.
Pour être plus explicite, messieurs, je dirai que lorsque le prix des céréales sera retombe à un taux normal, je me propose de réunir une commission dans laquelle cette industrie importante sera largement représentée, afin d'examiner si, comme je le pense, cette conciliation des intérêts est possible. Cette industrie, que mon intention est de représenter dans la commission, ne doit donc pas s'effrayer du paragraphe qui se trouve dans le discours explicatif des budgets.
Quant au dégrèvement à accorder sur les contributions directes pour l'année courante, je reconnais, messieurs, toute l'équité d'une pareille mesure. Mais je n'hésite pas à dire que dans l'application il y aurait une impossibilité absolue. Il s'agirait, en effet, d'accorder des dégrèvements à raison de faits qui n'ont pas été constatés et qui devraient l'être rétroactivement, et il s'agirait de constater ces faits pour des milliers de contribuables. Si ce système pouvait prévaloir, je ne sais où le gouvernement s'arrêterait, je ne sais où seraient les garanties contre les fraudes inévitables.
M. Lys. - Messieurs, je ne me proposais pas de prendre la parole (page 311) dans la discussion générale. Mais les observations de l'honorable comte de Mérode me forcent à venir vous dire quelques mots de la position du district auquel j'appartiens.
Cet honorable membre a engagé le gouvernement à employer exclusivement les deux millions mis à sa disposition, pour venir au secours des Flandres. Il m'est impossible, messieurs, d'appuyer cette invitation au gouvernement, car ce serait par là reconnaître que les Flandres ont seules besoin de secours.
Je crois, messieurs, que ce n'est pas le moment de venir discuter en séance publique les questions de misère, comme on l'a fait jusqu'ici. Je pense que lorsqu'on est à la veille de renouveler un traité ou au moins de le ratifier, il eût mieux valu que ceux qui avaient des observations à faire sur la situation de leur district, se rendissent dans le cabinet des ministres et leur fissent part de leurs observations, de la nécessité qu'il y avait de venir au secours de ces districts.
M. Vanden Eynde. - C'est très juste.
M. Lys. - Messieurs, je n'en dirai pas davantage sur ce point. Mais je dois déclarer à l'honorable comte de Mérode qu'il y a des districts ou des parties de district qui sont tout aussi malheureux qu'on dit les Flandres. Je vous citerai Verviers et ses environs. Ces localités ont autant d'ouvriers agglomérés que peuvent en avoir les Flandres, proportion gardée. Cependant la fabrique des draps de Verviers est depuis plus de six mois dans une position souffrante, position qu'il faut attribuer à la cherté des vivres qui cause une mévente sur le marché.
Nous avons entendu un honnête député de Gand venir nous dire que la situation des fabriques à Gand était dans un état prospère. Le ministère ne sait-il donc pas, nous a-t-il dit, que la prospérité industrielle dont nous jouissons depuis un an, est précisément due au défaut de concurrence de la part de l’Angleterre ?
Depuis six mois, nous ne sommes pas assez heureux pour en dire autant de Verviers et de ses environs. Cela vous prouve, messieurs, que Verviers a aussi besoin de secours que les villes de la Flandre.
J'ai entendu dire hier, messieurs, que les cultivateurs des Flandres ne pouvaient vendre leurs grains, parce qu'ils étaient obligés de s'en nourrir ; j'ai entendu dire aussi qu'ils étaient réduits à se nourrir de navets et de carottes. Mais, messieurs, dans la partie ardennaise du district de Verviers, le terrain ne permet de cultiver ni navets, ni carottes ; on ne peut y cultiver que des pommes de terre et quelque peu d'avoine. Ce sont là toutes les ressources des cultivateurs de Jalhay et des communes environnantes. Or, ils ne peuvent pas se nourrir de pommes de terre, ils ne peuvent non plus venir les vendre au marché de Verviers comme ils le faisaient les années précédentes, car dans ces localités la récolte des pommes de terre non seulement n'y est pas d'un cinquième comme dans quelques autres provinces, mais n'y est pas même d'un vingtième. Aussi, messieurs, ces communes sont-elles dans le plus pressant besoin, et je crois que j'ai plus de motifs pour parler en leur faveur que n'en ont eu d'honorables préopinants pour parler en faveur des Flandres.
Vous voyez donc, messieurs, que l'opinion de l'honorable comte de Mérode est une véritable utopie.
M. de Mérode. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. Lys. - Messieurs, la ville de Verviers reconnaît qu'elle n'a droit qu'à une part des deux millions qui ont été mis à la disposition du gouvernement, et que cette somme doit être partagée entre toutes les villes et les communes qui ressentent les effets de la calamité qui a affligé le pays. Mais cette part, elle l'attend avec impatience. Jusqu'ici le petit nombre de famines riches que renferme cette ville, ont, par une généreuse assistance, soutenu la classe malheureuse ; et je citerai, pour stimuler la charité des nombreuses familles riches qui habitent nos grandes villes, M. Armand Simonis, industriel, qui a envoyé au bureau de bienfaisance une traite de 10,000 fr. sur son banquier, et je suis persuadé qu'il ne bornera pas même ses dons à ce grand acte de bienfaisance ; qu'il aura des imitateurs dans sa famille. Mais, je dois le dire, les besoins sont si grands, que les subsides du gouvernement sont attendus avec une vive impatience.
M. de Mérode. (pour un fait personnel). - Messieurs, on m'a signalé comme ayant fait une motion qui est insoutenable. Je ne viens pas la défendre. Je déclare que si dans le pays il est quelques localités malheureuses qui n'appartiennent pas aux Flandres, je ne prétends pas les exclure. J'ai parlé d'une manière générale, et je crois qu'il faut convenir qu'en général, c'est dans les Flandres que la misère est la plus grande.
M. Osy. - Messieurs, je voudrais pouvoir appuyer les réductions qui sont proposées sur le budget des voies et moyens, mais le chiffre des dépenses n'étant pas encore connu, je crois que nous devons, cette année, nous abstenir de réduire les recettes. Je saisirai cette occasion pour exprimer mon regret de ce que depuis plusieurs années, nous votons les recettes avant d'avoir fixé les dépenses. C'est la une grande irrégularité, et j'engage beaucoup M. le ministre des finances a examiner si, dans le courant de cette session, il ne pourrait pas présenter les budgets des dépenses de 1847 en temps utile pour que nous puissions les voter avant de nous séparer, de manière à n'avoir plus à nous occuper, à l'ouverture de la session prochaine, que du budget des voies et moyens. Alors, messieurs, nous connaîtrions nos dépenses et nous pourrions tuer nos ressources en conséquence.
J'ai entendu faire la critique de plusieurs de nos lois d'impôt, et entre autres des lois sur la contribution personnelle et sur les patentes, ainsi que de la loi sur le débit des boissons distillées. Certainement, messieurs il y aurait beaucoup à faire en ce qui concerne les deux premières de ces lois, et je regrette que M. le ministre des finances n’ait pas pris l'engagement d'en proposer la révision dans la session actuelle. Quant à la loi sur les boissons distillées, il n'y a qu'une opinion dans la chambre pour reconnaître qu'elle doit être révisée dans le plus bref délai possible, car les petits débitants payent autant que ceux dont la vente est considérable. On pourra très bien répartir cet impôt d'une manière équitable, tout en conservant au trésor un revenu d'un million.
On a parlé aussi de la loi sur les successions, mais je n'entrerai pas maintenant dans des détails à cet égard. Il est certain que le trésor a beaucoup perdu par suite de l'abolition du serment. J'avais proposé, il y a quelques années, de le rétablir ; mais cette motion n'a pas eu d'écho dans cette chambre, et certainement je ne la reproduirai pas. Il y aurait cependant quelque chose à faire sous ce rapport, car les successions ne produisent presque plus rien au trésor. Les fonds publics au porteur, par exemple, qui se trouvent dans une succession, sont maintenant considérés comme ayant été abandonnés, avant la mort de celui dont la succession est ouverte ; cela est envisagé comme une donation entre vifs.
Cependant les fonds publics sont aujourd'hui un objet très important et ce sont précisément là les valeurs qu'il faudrait frapper le plus fortement. Anciennement, tous les fonds publics étaient en nom, et alors on pouvait les faire payer, mais aujourd'hui la plupart des obligations sont au porteur et il est impossible de les atteindre. Je demanderai à M. le ministre des finances, s'il n'y aurait pas un moyen d'imposer cette partie considérable de la fortune publique.
Je ne puis partager l'opinion de l'honorable M. de Mérode, en ce qui concerne le droit à établir sur les successions en ligne directe, surtout dans les familles où il n'y aurait qu'un seul héritier ; mais, comme l'a très bien dit l'honorable M. Verhaegen, nous devrions au moins frapper les préciputs.
Le budget présenté par M. le ministre des finances offrait un excédant d'environ 200,000 fr., mais je partage l'opinion de la section centrale, que les évaluations relatives aux bières et aux sucres, par exemple, sont trop élevées, et qu'il faut les réduire au moins de 400,000 fr. Il y aurait donc un déficit de 200,000 fr. à peu près. Si donc nous ne voulons pas rompre l'équilibre entre les recettes et les dépenses, nous ne pouvons pas voter la suppression des centimes additionnels proposée par l'honorable M. Savart. J'aurais vivement désiré pouvoir adopter cette proposition, mais je crois que, dans l'état actuel de nos finances, la chose est impossible.
En ce qui concerne les bons du trésor à émettre, je prierai M. le ministre des finances d'examiner ce que dit la section centrale, à la page 4 de son rapport. Il paraît que le gouvernement a perdu de vue que les 2 millions votés dans notre session extraordinaire doivent être ajoutés au déficit, qui serait ainsi porte de 14 millions et 1/2 à 16 millions et 1/2.
Je crois, messieurs, que vous serez obligés de repousser toutes les augmentations de dépenses qui vous sont proposées, et cette opinion est partagée par toutes les sections. Déjà la section centrale du budget des finances a rejeté toutes les nouvelles dépenses portées à ce budget, à l'exception d'une bagatelle de 200 francs. Je crois que la même marche sera suivie pour tous les autres budgets, et la chose est indispensable en présence du déficit que présente notre situation financière.
Je demanderai à M. le ministre des finances un mot d'explication sur la question de savoir si les deux millions votés au mois de septembre ne doivent pas, dans son opinion, être ajoutés au déficit des 14 millions et 1/2.
M. le ministre des finances (M. Malou). - En effet, messieurs, dans le cours de cette discussion je n'ai pas pris l'engagement de réviser immédiatement plusieurs de nos lois d'impôt les plus importantes. C'est que je suis profondément convaincu que les réformes à faire dans les lois d'impôt exigent une très grande prudence, une très grande circonspection. Outre les motifs que j'ai déjà fait valoir pour démontrer la nécessité de cette prudence, de cette circonspection, il en est un très important au point de vue des intérêts du pays ; notre système d'impôt se lie intimement à notre système électoral, et telle réforme d'impôts, préconisée, par exemple, par l'honorable M. Verhaegen, équivaudrait à un changement complet de l'organisation politique du pays. D'autres réformes moins vastes auraient cependant aussi des effets qu'il faut bien peser avant de les aborder.
En faisant cette observation, je n'entends nullement me déclarer partisan de l'immobilité de nos lois d'impôt, mais je dis qu'avant de proposer des innovations en cette matière, le gouvernement doit poser mûrement toutes les conséquences qui peuvent en résulter, non seulement au point de vue financier, mais encore au point de vue d'autres intérêts qui, certainement, ne sont pas non plus sans importance.
Les intérêts politiques ne sont pas les seuls qui se lient aux lois d'impôt ! Il est de ces lois, la loi sur les successions par exemple, qui se lient intimement à l'état des fortunes privées, à l'existence même de la famille. Ce serait se tromper étrangement que de voir seulement le côté financier dans les lois d'impôt. Ces lois ont des rapports avec d'autres intérêts tout aussi importants au moins que l'équilibre entre les recettes et les dépenses de l'Etat.
L'honorable membre a demandé si je ne connaissais pas un moyen d'atteindre d'une manière complète les fonds publics Je lui répondrai naïvement que non, et s'il connaissait ce moyen, il rendrait au gouvernement un très grand service en le lui indiquant.
Il ne faut, du reste, pas croire qu’on ne paye plus rien du chef des fortunes mobilières. La suppression du serment a atténué pendant quelques années les produits ; cependant, disons-le à l'honneur du pays, la fraude n'a pas l'étendue qu'on lui attribue quelquefois, et la preuve en est dans les produits que le trésor réalise sur les droits de succession. L'honorable membre ajoute que notre budget soldera en déficit. Messieurs, (page 312) cela n'est pas encore démontré. Je ne me rallie pas aux réductions proposées par la section centrale et, lorsque nous en viendrons à ces réductions, j'espère démontrer à la chambre qu'elles ne doivent pas être faites ; si la chambre partage cette opinion, l'équilibre pourra être maintenu. J'applique la même observation aux prévisions que forme l'honorable membre relativement aux réductions qu'il croit que la majorité de la chambre opérera sur les dépenses. Nous discuterons les propositions qui sont faites à cet égard, et je crois qu'il est impossible et à d'honorable membre et. à la majorité de la chambre de prendre, dès à présent, l'engagement de repousser systématiquement toutes les augmentations de dépenses qui sont demandées.
Les dépenses ainsi que les recettes seront discutées, mais on ne peut pas établir un préjugé contre les augmentations de dépense qui seront, je pense, pleinement justifiées.
L'honorable membre a perdu de vue les explications qui .ont été données dans la session extraordinaire sur l'imputation du crédit de 2 millions. Deux moyens se présentaient alors pour couvrir cette dépense : ou une émission de bons du trésor ou l'imputation directe sur le budget de 1845. D'après les faits connus à cette époque, nous pouvions espérer (et les faits postérieurs ont justifié cette prévision), nous pouvions espérer un excédant considérable sur l'exercice de 1845, et, d'un autre côté, nous avions l'espoir que les crédits portés au budget ne seraient pas entièrement dépensés. Dès lors, au lieu de demander à la chambre l'autorisation d'émettre des bons du trésor, j'ai fait remarquer que ces deux millions pouvaient être imputés directement sur l'exercice de 1845, que les ressources de cet exercice seraient suffisantes, mais que, par suite de cette imputation, l'exercice de 1845 n'influerait que peu ou n'influerait pas sur la situation générale du trésor.
- La clôture est demandée.
M. d’Elhoungne. (contre la clôture.) - Messieurs, je n'avais qu'une seule observation à faire, c'était pour adresser une interpellation à M. le ministre de l'intérieur sur les explications qu'il a données tout à l'heure. Je pense que la chambre doit me permettre de faire cette interpellation.
M. de Haerne. - Je désirerais aussi faire une interpellation à M. le ministre de la justice ; c'est pourquoi je demande que le débat continue encore pendant quelques instants.
M. de Villegas. - Je m'oppose aussi à la clôture, attendu que j'ai également à faire une interpellation. Cette interpellation serait tout à fait opportune, et je ne pourrais pas la présenter dans la discussion des articles.
- La chambre décide que la discussion continue.
M. Savart-Martel. - Messieurs, les centimes additionnels dont je demande la suppression, sont des centimes extraordinaires qui n'ont été mis que provisoirement en 1833, dans des circonstances qui n'existent plus.
Nous devons cet allégement à l'opinion publique, si tant est qu'on soit forcé à maintenir la loi odieuse qui concerne la contribution personnelle et la contribution des patentes. Je doute beaucoup du succès d’après ce que je viens d'entendre, mais je fais ici le sacrifice de mon amour-propre pour satisfaire au cri de ma conscience. Du reste, en faisant cette proposition, c'est avec l'opinion que sur les dépenses préavisées, on trouvera facilement à compenser la différence ; si l'on veut enfin ne pas confondre les dépenses nécessaires avec celles seulement utiles.
Messieurs, nous n'avons fait qu'une demi-justice en venant au secours des ouvriers et des indigents ; mais la classe voisine de celles-ci mérite aussi quelques considérations.
Quant à moi, je crois que vous recevrez plus facilement ces contributions avec la remise de 10 p. c, que si vous maintenez ces additionnels.
Qu'il me soit permis, messieurs, de finir par une observation que me suggère le discours que je viens d'entendre.
Vous avez fait (et je suis loin de m'en plaindre) de grands sacrifices en faveur des Flandres, à cause de l'industrie linière. Mais une partie du Hainaut avait aussi cette industrie. Je citerai, entre autres, le canton d'Ellezelles. Est-il juste que des communes, séparées des Flandres uniquement par une ligne intellectuelle, ne soient point traitées avec la même faveur que le habitants voisins, uniquement parce qu’ils appartiennent à une autre provinces ? J'appelle sur cette position l'attention de L'honorable ministre de l'intérieur.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, je m'associerais jusqu'à un certain point au reproche d’imprudence que l'honorable M. Lys a adressé aux députés des Flandres, si la misère qu'ils ont signalée à l'attention de la chambre et du gouvernement, était due à une cause permanente, et non à des circonstances exceptionnelles, à des circonstances auxquelles les négocia-tiens diplomatiques et les traités qui en sont la suite, ne peuvent apporter aucun remède immédiat.
Les députés des Flandres qui ont soulevé cette discussion, plus pénible, plus douloureuse pour eux que pour leurs collègues ; ces honorables députés ont obéi à un sentiment qu’ils ont clairement exprimé : c'est qu'ils pensaient que le gouvernement n'était pas assez informé, pas assez convaincu du degré où la misère est parvenue dans les Flandres. Cette opinion, que ces honorables membres sont venus exposer, existe malheureusement parmi toutes les populations des Flandres.
Là, messieurs, on est généralement persuadé que le gouvernement et les chambres ignorent la misère profonde et sans exemple qui pèse aujourd'hui sur nos deux provinces.
C'est à cette occasion et pour ce motif que je dois adresser à M. le militaire de l'intérieur l'interpellation que j'ai annoncée. M. le ministre de l'intérieur a fait ressortir avec beaucoup d'insistance que le gouvernement devait apporte : une grande réserve dans ses communications avec le pouvoir législatif au milieu des circonstances difficiles où nous nous trouvons. Mais je pense, messieurs, que M. le ministre de l’intérieur a poussé sa réserve trop loin. En présence de ce sentiment généralement répandu dans les Flandres, que le gouvernement et les chambres ignorent la véritable situation des choses, il me semble que M. le ministre de l'intérieur aurait dû nous rassurer, qu'il aurait dû laisser tomber du haut de cette tribune quelques paroles d'encouragement et d'espoir pour ces malheureuses populations qui se débattent contre la misère et la faim ; qu'il aurait dû annoncer à nos malheureux concitoyens que le gouvernement n'étudiait pas seulement d'un œil attentif leurs besoins et leur position, mais qu'il avait encore plus que personne le sentiment des immenses devoirs qu'il a à remplir ; en un mot, que le gouvernement faisait de la situation des Flandres l'objet de sa sollicitude constante, et qu'il était décidé à user de tous les moyens praticables pour venir au secours de ces provinces.
Ces paroles, je prie M. le ministre de l'intérieur de ne pas nous les refuser, avant notre retour dans nos foyers ; afin qu'il nous soit permis au moins de dire à nos commettants qu'il y a au pouvoir des hommes qui connaissent leur misère, qui ont les yeux fixés sur leurs souffrances, qui veillent sur leur avenir, et qui leur permettent d'espérer.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, j'ai eu un grand tort, je l'avoue, et je vais le réparer. J'ai parlé à la chambre avec trop de concision, je me suis borné à lui dire que le gouvernement agissait. J'ai pensé, messieurs, que ce simple mot en disait plus que toutes les paroles que l'honorable préopinant exige de moi. J'aurais pu sans doute, en cherchant à imiter son improvisation chaleureuse, en m'animant de ses sentiments philanthropiques ; j'aurais pu, dis-je, donner à cette parole des développements qui auraient peut-être provoqué des applaudissements sur ces bancs ; mais la réserve dans laquelle je me renfermais, m'a imposé cette concision de langage que j'espérais voir comprise par l'honorable préopinant.
Messieurs, dans la misère publique, il y a deux phénomènes frappant d'ordinaire les observateurs. Il y a l'impression que donne le spectacle de la misère, il y a la connaissance plus froide de cette misère. Entre les honorables députés des Flandres et le gouvernement, il y a précisément cette différence qu'ils sont, eux, sous l'impression immédiate de la misère qui frappe leurs yeux, et qu'ils en ont ainsi un sentiment plus vif, plus saisissant en quelque sorte. Mais, messieurs, le gouvernement placé à distance, et moins ému que ces membres, n'en a pas moins la connaissance approfondie de cette misère, pour n'être point sous cette impression immédiate, il n'en a pas moins étudié à fond l'état des choses.
Messieurs, vous avez parmi vous des administrateurs habiles et éclairés qui jouissent à la fois de la confiance du gouvernement et de l'attachement de leurs administrés. Ces hauts fonctionnaires n'ont pas manqué à leur devoir envers le gouvernement, envers les provinces dont l'administration leur est respectivement confiée ; ils ont rendu au gouvernement un compte exact et détaillé de la situation de leurs provinces. Si nous sommes éclairés sur la misère publique, c'est grâce aux renseignements qu'ils ont fournis, et c'est aussi d'après leurs données que le gouvernement agit.
Je pense, messieurs, que cette explication paraîtra suffisante à la chambre. L'honorable préopinant lui-même a reconnu que nous devions nous renfermer dans une extrême réserve. Cette réserve nous était d'autant plus commandée que si quelques députés des Flandres demandaient, avant de retourner dans leurs foyers, des explications propres à tranquilliser leurs commettants, d'autres députés de la même province déclaraient avoir, dans les projets du gouvernement, une confiance illimitée, déclaration à laquelle nous avons été très sensibles et que nous saurons justifier pleinement.
M. de Haerne. - Messieurs, mon intention n'est pas de forcer MM. les .ministres à nous exposer dans tous ses détails le plan qu'ils ont conçu pour faire face à la situation. Je ne veux pas leur demander de s'expliquer sur tous les moyens qu'ils croient devoir employer pour soulager la misère publique ; je pense aussi que les administrations qui possèdent la confiance du gouvernement et des populations doivent avoir donné à MM. les ministres des renseignements exacts sur la situation. Il n'en est pas moins vrai que dans le pays en général, et dans les Flandres, en particulier, on est dans une incertitude complète ; on perd courage, parce qu'aucune explication ne part du pouvoir ni de la chambre. C'est un état d'incertitude qu'il est de l'intérêt de la chambre, et du gouvernement avant tout, de faire cesser.
Et c'est pourquoi, messieurs, nous croyons, en acquit de notre conscience, pouvoir adjurer le gouvernement de nous faire connaître au moins quelques-unes des mesures qu'il a prises, et qui puissent au moins donner aux populations la garantie qu'elles ne seront pas abandonnées.
Il y a d'autres raisons qui nous engagent à rompre le silence ; c'est que, d'après les rapports qui ont déjà eu lieu entre le gouvernement et diverses administrations locales, il paraîtrait que le gouvernement a adopté, sa moins partiellement, un système de distribution de fonds qui ne rencontre aucune sympathie. Le gouvernement ferait sur les deux millions des prête, au lieu de dons gratuits. Ce système est généralement désapprouvé. Je vais en donner la raison.
Si le gouvernement adopte ce système au lieu de soulager la misère là où elle existe, là où elle est le plus intense, les fonds seront donnes aux localités qui en ont le moins besoin, car il s'agira de savoir si on pourra rembourser : il n'y aura que les villes, que les communes riches qui pourront se décider à accepter un prêt avec l'espoir de pouvoir le rembourser, tandis que les communes peu riches n'oseront pas les accepter, de crainte de ne pouvoir les rembourser ; vous détournez ainsi les fonds de leur véritable destination.
(page 313) Je sais qu'on insinue, c'est un bruit qui court, qu'on ne sera pas forcé à la restitution. Mais rien n'est décidé à cet égard ; on ne connaît pas ce secret, dans les campagnes.
Aussi longtemps qu'il n'y aura pas de décision positive, on n'osera pas accepter les prêts dans la crainte de se trouver obéré plus tard. Cette crainte arrêtera l'élan. J'avais donc des motifs suffisants pour élever la voix et pour demander des explications aux ministres.
Je crois qu'il n'y a pour le gouvernement aucun danger à indiquer la voie dans laquelle il entrera pour soulager la misère des ouvriers, en général, et de ceux des Flandres en particulier. Il ne s'agit pas de créer de nouvelles institutions, de recourir à des moyens inusités jusqu'à présent, mais il s'agit de suivre sur une plus large échelle les voies dans lesquelles l'administration est entrée précédemment. Quelles sont les voies dans lesquelles on est entré ?
Pour donner du travail aux ouvriers en général on a eu recours bien souvent aux travaux publics ; pour ceux qu'occupe l'industrie linière et qui sont dans la plus grande misère (je parle des Flandres, du Hainaut, de la province d'Anvers, du Brabant, car là aussi, des ouvriers sont dans la misère à cause de la crise de l'industrie linière), les moyens à employer sont connus. Vous savez que dans beaucoup de localités on a institué des comités de travail qui ont produit les plus grands et les plus heureux résultats, non seulement en améliorant l'industrie, mais aussi en soulageant la misère, en donnant du travail dans les communes de 5 à 6 mille âmes, à six ou huit cents ouvriers, qui, sans cela, eussent été dans la nécessité de recourir aux bureaux de bienfaisance. Ces institutions existent, le gouvernement n'a qu'à les soutenir qu'à les fortifier, les développer en donnant des subsides qui seront on ne peut mieux employés. Tous les jours, ces ouvriers viennent nous assiéger au nombre de 20 à 50. Ils viennent nous demander quoi ? Non l'aumône, mais des rouets de métiers perfectionnés, en nous assurant que cela leur suffit pour vivre. Et nous devrons les renvoyer ? Cette position est cruelle pour nous autant que pour eux.
Le gouvernement craint d'être débordé par les communes, une fois qu'il entrerait dans cette voie. Cette crainte est exagérée ; en suivant le système adopté précédemment, les communes ne seront pas aussi exigeantes qu'on le pense, car on ne leur a donné des fonds qu'à condition qu'elles intervinssent elles-mêmes pour une quote-part. Voilà la garantie qu'on a contre les exigences qu'on pourrait craindre de la part des communes.
On nous a fait un reproche de montrer ici une sympathie trop vive, en quelque sorte compromettante, en faveur de la population des Flandres, je dois le dire, quand on a parlé des ouvriers flamands, je n'ai pas entendu qu'on voulût exclure les autres ; tous les ouvriers sans travail nous sont chers au même titre ; membres d'une même famille ils doivent exciter notre sympathie au même degré comme hommes et comme Belges.
Je veux que les fonds soient répartis avec la plus grande justice distributive entre tous les pauvres du pays, je ne veux pas d'exception pour les Flandres ;- mais une vérité que la chambre reconnaîtra avec moi, c'est que dans les Flandres, les ouvriers sans travail sont beaucoup plus nombreux que dans les autres provinces. Voilà pourquoi, toujours au nom de la justice, on a réclamé pour ses ouvriers flamands une plus large part des fonds que le gouvernement a à sa disposition. Nous ne voulons pas rechercher où ils sont, mais les soulager là où ils se trouvent, porter le plus grand secours là où ils sont en plus grand nombre.
Un honorable membre vous a dit que si on accordait les deux millions aux ouvriers flamands, cette générosité de la part de la chambre et du pouvoir ne serait pas trop grande. Eh bien, je le pense aussi, mais je ne veux pas dire pour cela qu'il ne faille pas venir au secours des pauvres des autres provinces. Si je me rappelle bien, quand on a voté les deux millions, d’après ce que j'ai vu dans les feuilles publiques, car je n'ai pas assisté aux débats, la chambre n'a pas décidé qu'elle se bornerait à ce secours ; et s'il est reconnu que les fonds votés sont insuffisants. que de nouveaux secours sont nécessaires, je suis convaincu que du moment que le gouvernement les demanderait, les chambres ne feraient pas défaut.
Messieurs, j'ai dit que je prenais surtout la parole pour faire une interpellation à M. le ministre de la justice. Vous savez qu'il y a quelque temps, le ministre de la justice a nommé une commission chargée d'examiner quels sont les moyens de subvenir aux besoins de la classe ouvrière et de la classe indigente, surtout dans le moment actuel. Cette commission, dont j'ai l'honneur de faire partie, s'est réunie à plusieurs reprises ; elle a élaboré un travail. Ce travail a été discuté, et un rapport a été arrêté. Ce rapport expose toute la situation du moment ; il appelle l'attention du gouvernement sur les diverses classes de pauvres qui se trouvent dans le pays, surtout dans le moment actuel. La commission a très bien compris qu'il fallait faire de la situation de la Flandre une question spéciale.
C'est pourquoi la commission appelle l'attention particulière du gouvernement sur la situation des ouvriers flamands. Elle engage le gouvernement à venir au secours de cette classe le plus promptement possible, non en créant en leur faveur des moyens nouveaux, comme je l'ai dit, mais en fortifiant les institutions qui existent déjà, en venant au secours des comités industriels par des subsides extraordinaires afin d'étendre le travail plus qu'il ne l'a été, d'encourager la distribution des matières premières et des outils perfectionnés pour donner du travail a ceux qui n'en ont pas, pour mettre nos ouvriers à même de soutenir la concurrence et de gagner la vie.
Je crois pouvoir demander à M. le ministre de la justice s’il ne serait pas possible qu'il nous donnât non pas aujourd'hui, mais avant que la chambre se sépare, quelques explications sur le rapport qui lui a été communiqué et qu'il nous fît connaître quelles sont ses vues à cet égard.
Je désirerais qu'il voulût s'expliquer et nous dire jusqu'à quel point il approuve les conclusions de la commission, s'il croit pouvoir les adopter eu tout ou en partie ou s'il peut au moins nous faire connaître celles qu'il approuve. C'est une simple demande que je fais, un vœu que j'exprime pour rassurer les populations qui ont les regards tournés vers nous.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne sais jusqu'à quel point il est convenable de venir parler d'un rapport remis à un ministre, par une commission dont l'honorable membre fait partie, ce rapport ne devant recevoir de publicité qu'avec l'approbation du ministre auquel il est adressé. Ce rapport m'est parvenu hier, j'ai eu à peine le temps de le lire, c'est dire assez qu'il ne m'a pas été possible de me livrer à un examen approfondi. Mais je puis déjà dire que ce rapport me paraît contenir plusieurs vues très sages et très pratiques. La réserve dans laquelle M. le ministre de l'intérieur a cru avec raison devoir se renfermer, je la garderai également ; je me refuserai à donner des explications sur les moyens que le gouvernement compte employer pour venir en aide aux classes laborieuses. Quant au rapport en lui-même, j'examinerai ultérieurement s'il y a lieu de le publier ou de ne pas le publier.
Puisque j'ai la parole, je répondrai à quelques observations qui ont été faites. L'honorable M. Delehaye m'a critiqué en m'attribuant des intentions qui ne sont pas les miennes. Déjà, dans une séance précédente, j'ai répondu à une critique semblable de l'honorable M. Castiau.
Je n'ai que peu de chose à ajouter aux explications que j'ai données alors.
Je suis complétement de l'opinion de l'honorable M. Delehaye ; je pense, comme lui, que si le gouvernement se bornait à établir des dépôts supplémentaires pour combattre la misère, cette mesure isolée serait déplorable et désastreuse ; mais si je suis d'accord avec l'honorable membre sur ce point, d'un autre côté il m'est impossible de prendre l'engagement de n'établir dans aucun cas de dépôt supplémentaire ; la prudence commande au gouvernement d'être en mesure afin de pouvoir, dans les circonstances données, offrir un asile aux individus qui se présenteraient. Supposons un chômage dans le travail occasionné soit par la saison rigoureuse, soit par toute autre cause, n'est-il pas indispensable, je le demande, que le gouvernement ait des locaux disponibles pour recevoir les malheureux qui viendraient demander un asile et du pain, que le défaut de travail les mettrait dans l'impossibilité de se procurer ?
Je partage, je le répète, l'opinion de M. Delehaye, sur les inconvénients que présentent les dépôts actuels de mendicité, sur le danger de les multiplier sans une nécessité urgente ; aussi ai-je fait tous mes efforts pour en diminuer la population ; les mesures que j'ai prescrites ont eu déjà de bons résultats au moins dans quelques dépôts. Toutefois, plusieurs dépôts renferment encore une population tellement nombreuse, qu'il est impossible de l'augmenter, et cette circonstance fait un devoir au gouvernement de prendre les mesures que la prudence lui conseille, en organisant éventuellement et temporairement des locaux supplémentaires, dont il ne sera fait usage qu'à la dernière extrémité et dans un intérêt d'ordre public comme dans un intérêt d'humanité.
Je dois maintenant un mot de réponse à M. de Roo. Cet honorable membre, blâmant ce qu'on faisait pour venir au secours de la classe malheureuse, a parlé des palais que le gouvernement ferait bâtir dans les villes pour recevoir les indigents. Je ne sais à quels palais il a voulu faire allusion, mais cet honorable membre ignore-t-il que les constructions de cette nature sont élevées par l'administration des hospices, sans l'intervention du gouvernement, qui ne peut donc mériter de ce chef aucun reproche ?
Les fonds employés à la construction de ces édifices pourraient, d'après l'honorable membre, recevoir une autre destination : il faut, d'après lui centraliser la charité publique, donner des secours aux plus nécessiteux ; mais tout ce qui appartient aux hospices a été donné dans un but spécial. Détourner les fonds de la destination indiquée par les donateurs, par les fondateurs des hospices serait violer la volonté de ces fondateurs, et commettre un acte de la plus flagrante injustice.
Je ne répondrai pas à la singulière doctrine de l'honorable M. de Roo : Que la commune doit des secours aux enfants, aux vieillards aux infirmes, mais que les hommes valides doivent être à la charge de l'Etat ; où l'honorable membre a-t-il puisé cette distinction ? Je lui dirai du reste que, dans un Etat bien organisé, les hommes valides ne doivent être une charge pour personne ; ils doivent à l'aide du travail pourvoir à leurs besoins, et j'ajouterai que le gouvernement fait tous ses efforts pour que le travail ne manque pas.
Encore un mot relativement à un point qui a été touché par M. Lejeune. Cet honorable membre a parlé de faits graves et nombreux qui seraient de nature à inquiéter les populations, à troubler même la paix publique. Il est vrai que la mendicité en bandes s'organise dans quelques localités, que des vols assez nombreux ont été commis. Mais je dois confirmer ce qu’'a dit l'honorable M. Lejeune ; la plupart de ces vols out eu pour auteurs des repris de justice, et non des malheureux qui y auraient été poussés par la misère.
La misère n'est souvent qu'un prétexte ; et cela est si vrai que des vols de récoltes ont été commis par des individus que la misère était loin d'accabler ; mais qui, exploitant les malheureuses circonstances où le pays se trouve, ont espéré l’impunité en pensant qu'on attribuerait à de véritables indigents les vols commis, et qu'on ne ferait aucune recherche, aucune poursuite.
Au reste, aucun moyen de surveillance n'est négligé, des patrouilles se font dans la plupart des communes.
La gendarmerie est renforcée ; et à l'aide de ces mesures jointes à la vigilance des autorités administratives et des officiers de police judiciaire, (page 314) je suis convaincu que l’on parviendra à réprimer les crimes, à arrêter et à en punir les auteurs.
M. de Haerne. (pour un fait personnel). - M. le ministre de la justice m'a reproché d'avoir parlé de choses que, selon lui, je n'aurais pas dû mettre en avant. Pour répondre à ce reproche, il suffira de dire que je n'ai rien révélé du tout de ce qui s'est passé dans la commission ; j'ai parlé seulement de ce qui est publié dans tous les journaux de la capitale, y compris le Moniteur. Si cette publication n'avait pas eu lieu, je n'aurais point parlé de ce qui s'est passé dans la commission ; mais à cause de cette publicité, j'ai pensé que le gouvernement devait s'expliquer.
M. le ministre de la justice m'a mal compris, lorsqu'il a cru que je demandais des explications immédiates. J'ai dit que je désirais que M. le ministre de la justice s'expliquât avant que la chambre se séparât. Je n'ai pas demandé que le travail de la commission fût livré à la publicité, car j'admets qu'il pourrait peut-être y avoir à cela de l'inconvénient pour le gouvernement ; mais j'ai demandé si M. le ministre de la justice ne pourrait pas indiquer les mesures que le gouvernement croirait devoir prendre. En d'autres termes, j'ai demandé si parmi les idées que les journaux attribuent à la commission, il y en a que le gouvernement trouve bonnes. Je ne vois en cela ni inconvenance ni indiscrétion.
M. de Villegas. - L'interpellation que j'ai à adresser au ministère rentre entièrement dans les observations très chaleureuses qui ont été présentées par l'honorable M. d'Elhoungne. Comme je ne puis espérer obtenir de M. le ministre de l'intérieur une réponse plus catégorique, je renoncerai à la parole, moyennant toutefois une seule observation.
Dans la séance d'hier, les députés d'Audenaerde ont été mis en quelque sorte en demeure de vous présenter le tableau de la misère qui règne dans ce district.
Je n'apporterai pas dans cette discussion mon contingent de faits, pour vous démontrer toute l'étendue de cette misère, et de la multiplicité des attentats contre la propriété qui en sont la suite inévitable. Je me bornerai à déclarer que cette misère est extrême dans l'arrondissement d'Audenarde et qu'elle est parfaitement connue du gouvernement.
Je suis convaincu, pour ma part, que le gouvernement, dans le véritable intérêt de sa responsabilité, contribuera à venir en aide aux véritables besoins des populations.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je regrette la publicité anticipée qui a été donnée aux travaux de la commission qui n'ont été terminés qu'hier. Le gouvernement avait nommé cette commission pour s'éclairer ; c'était donc à lui qu'il appartenait de décider si ces travaux devaient ou non être publiés. La chambre n'est pas saisie de ce rapport, peu importe qu'il ait été publié dans les journaux.
Plusieurs membres. - C'est dans le Moniteur même.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, rien n'a été inséré dans la partie officielle du Moniteur. La chambre ne croit pas, sans doute, qu'il entre dans mes attributions de vérifier avant l'impression la partie non officielle de ce journal ; dès lors, je ne suis pas responsable des indiscrétions qu'il peut commettre.
Le rapport de la commission, rapport très remarquable, indique quelques mesures que, d'après la commission, le gouvernement devrait prendre pour venir au secours de la classe souffrante. J'examinerai avec la plus grande attention les mesures proposées ; mais je pense qu'il ne sera ni utile ni convenante que je fasse connaître à la chambre celles que j'adopterai. M. le ministre de l'intérieur a indiqué les motifs pour lesquels il croit devoir s'abstenir de donner des explications à ce sujet. Ces motifs ont reçu l'approbation de la chambre. J'imiterai la réserve de mon honorable collègue. Dans tous les cas, les mesures ne seront arrêtées qu'après en avoir conféré avec M. le ministre de l'intérieur, nos deux départements s'étant concertés pour toutes les mesures qui ont été prises depuis la loi qui met deux millions à la disposition du gouvernement.
M. Rogier. - Les questions soulevées dans cette discussion, ont toutes leur degré d'importance. Mais aucune ne me paraît avoir plus d'importance et d'opportunité, que celle soulevée en dernier lieu par tes représentons de deux de nos provinces les plus populeuses.
A entendre ces honorables représentants, la misère dans ces provinces serait arrivée à un état extrême ; ils sont unanimes à cet égard. Les fonctionnaires publics appartenant à ces provinces, qui, par leur position, sont en mesure d'apprécier la réalité de la situation, viennent eux-mêmes confirmer les faits avancés par leurs collègues.
Une pareille situation mente l'attention la plus sérieuse, non pas seulement du gouvernement, mais encore du parlement. Il ne suffit pas, dans de pareilles questions, de se retrancher dans un silence absolu, il ne suffit même point d'invoquer sa responsabilité éventuelle. Il faudrait, ce me semble, quand les faits sont réels et sont arrivés à un tel degré de gravité, que le gouvernement eût à répondre aux chambres autrement qu'en invoquant sa responsabilité.
On trouve quelquefois, messieurs, que les membres qui soulèvent des questions politiques, dans cette enceinte, ont tort. On va jusqu'à leur reprocher de faire de la métaphysique. Les questions politiques ont une haute importance, et nous ne renonçons nullement à les traiter en temps opportun, mais les questions matérielles dans lesquelles quelques opinions voudraient que toute l'activité parlementaire se renfermât, ces questions matérielles, quand elles se présentent, il ne faut pas non plus les étouffer par le silence. Il faut pouvoir les aborder franchement et courageusement.
Il m'est arrivé souvent de garder le silence en présence des plaintes soulevées par les représentants des Flandres. Je croyais qu'il y avait exagération dans ces plaintes. J'ai souvent pensé que ces malheurs vus de près parlaient trop haut aux sentiments des honorables représentants. Mais l'ensemble de ces plaintes, leur persistance, les renseignements qui de toutes parts nous parviennent sur l'état des Flandres, toutes ces circonstances, je dois le dire, ont fait que je m'associe aujourd'hui à ces plaintes parce que je les crois malheureusement fondées sur la réalité.
Si tel est, messieurs, l'état d'une grande partie de notre population il importe au gouvernement, il importe aux chambres d'y vouer toute leur sollicitude, et non pas seulement de prononcer des discours, mais de passer, s'il le faut, à des actes.
Le parlement anglais, messieurs, le gouvernement anglais s'occupent souvent, s'occupent longuement des intérêts de l'Irlande. La Belgique a-t-elle dans les Flandres une espèce d'Irlande attachée à ses flancs ? Le mal, je l'espère, n'est pas arrivé à un pareil degré ; mais s'il existe seulement tel qu'on le présente, il faut que la Belgique s'occupe des Flandres, comme la Grande-Bretagne s'occupe de l'Irlande.
Fermer les yeux, messieurs, sur une pareille situation, se renfermer dans un silence absolu, être effrayé d'un commencement de publicité donne par le journal officiel lui-même sur le résultat d'une première enquête, ce n'est pas là ce qu'on doit attendre du gouvernement. Le gouvernement doit savoir, depuis quatre mois qu'il est en possession des ressources qu'il est venu nous demander, ce qu'il en a fait, ce qu'il se propose d’en faire ; et je ne vois pas, pour moi, où serait le grand danger, où serait la grande indiscrétion de dire : Voilà ce que nous avons fait, voilà ce que nous nous proposons de faire. Mais loin de là, messieurs ; jusqu'ici le gouvernement n'a en aucune manière informé la chambre et par conséquent le pays d'aucun des actes qu'il a posés.
La somme de deux millions, qui était demandée pour faire face aux circonstances extraordinaires et malheureuses dans lesquelles nous nous trouvons, ne suffit-elle pas ? Qu'on le dise. Qu'on réclame une somme nouvelle, en nous déclarant la destination qu'on entend lui donner. La somme de deux millions, au contraire, suffit-elle ? Que l'on nous dise en quoi elle suffit, quelle destination on a commencé à lui donner, quelle destination on se propose de lui donner encore.
Je sais, messieurs, que lorsque le gouvernement se présente à vous et vient vous dire : Prenez garde, ne m'interrogez pas, il y a du danger à répondre ; beaucoup d'esprits s'associent à cette réserve et croient qu'en effet il y aurait indiscrétion, il y aurait de grands dangers à parler. Pour moi, dans des questions de cette importance, dans des questions qui touchent si essentiellement à l'existence du peuple, je crois qu'il y a plus de danger à se taire qu'à parler. Je crains qu'il n'y ait dans ce silence, je le déclare, plus d'impuissance que de discrétion.
Du reste, un pareil silence le refus de faire connaître la ligne de conduite que l'on a suivie et celle que l'on se propose de suivre, ne fait qu'ajouter a la responsabilité du gouvernement. Le moment viendra, messieurs, où il faudra bien qu'on s'explique ; j'espère qu'alors le gouvernement n'aura pas à regretter d'avoir en quelque sorte esquive la discussion publique, et repoussé les conseils utiles qui pouvaient en surgir.
Dans mon opinion, messieurs, la somme de 2 millions est tout à fait insuffisante dans les mains de l'Etat pour arriver au but qu'on veut atteindre. Avec 2 millions on pourra distribuer d'une manière plus ou moins déguisée quelques aumônes à un certain nombre de communes. Mais si l'on veut aboutir à un grand résultat, à un résultat efficace, les deux millions, suivant moi, ne suffiront pas.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, je ne m'attendais pas, à l’occasion de cette discussion, de voir en quelque sorte se renouveler la discussion politique, et de m'entendre reprocher aujourd'hui d'avoir traité de métaphysique vague les objections qui nous avaient été faites alors.
A entendre l'honorable préopinant, on serait tenté de croire que le gouvernement, honteux en quelque sorte de son rôle, ou sentant son impuissance, ne s'est renfermé dans une réserve qui lui est commandée par le plus impérieux des devoirs, que pour s'affranchir de toute responsabilité on pour dissimuler sa débilité ou son inaction.
Messieurs, en vous parlant des devoirs d'un gouvernement, on vous a dit qu'ils consistaient surtout à aborder courageusement les questions matérielles. Il y a, messieurs, pour un gouvernement un courage plus grand que celui-là : c'est le courage de s'exposer à l'impopularité momentanée, que son silence peut faire naître dans quelques esprits. Un gouvernement qui connaît sa mission. un gouvernement qui comprend ses devoirs et qui sait les remplir, ne cherche pas, messieurs, à capter votre approbation, à obtenir une popularité momentanée, en venant vous exposer pompeusement toutes les mesures qu'il a prises dans l'intérêt général, alors que la plus stricte réserve lui est commandée par ce même intérêt.
Le gouvernement, messieurs, ne cherche pas à s'abriter sous le silence ; il veut au contraire vous déclarer qu'il a agi, que son action est continuelle, qu'on peut en connaître le caractère en s'adressant, comme le conseillait un honorable représentant, aux membres mêmes du cabinet, prêts à montrer avec discrétion aux représentants de la nation que les mesures qui ont été prises, sont basées sur une connaissance parfaite de la situation des choses et sur les règles d'une prudence que quelques-uns d'entre eux ont déjà approuvée. Ils ont reconnu que les principes qui ont présidé à l'emploi d'une partie des deux millions mis à notre disposition, sont des principes que l’expérience a consacrés, et dont on ne s'écarterait point sans danger.
Je conçois, messieurs, que si pour la première fois nous nous présentions dans cette enceinte pour vous demander un crédit extraordinaire destine à subvenir aux besoins de la situation, le gouvernement aurait tort de ne pas prolonger cette discussion, et qu'il aurait au contraire intérêt à s'éclairer de vos idées. Mais cette discussion a déjà eu lieu dans voire sein. Nous ne ferons en quelque sorte que la renouveler en prolongeant ce débat.
Quoi ! messieurs, nous avons, dit-on, repoussé vos conseils ! Mais rappelez-vous (page 315) ce qui s'est passé lors de la session extraordinaire. Nous avons dit à la chambre que toutes les opinions seraient recueillies religieusement par le gouvernement, qu'elles lui serviraient de guide dans l'emploi des deux millions. Or, si la discussion devait se renouveler aujourd'hui, je crois, messieurs, que je pourrais porter en quelque sorte le défi qu'on indiquât au gouvernement une idée nouvelle qui ne s'est pas fait jour dans votre session extraordinaire.
Loin donc de repousser vos conseils, nous les avons demandés, nous les avons recueillis, et ce sont ces mêmes conseils qui nous servent de guide dans ce moment.
Le parlement anglais, dit l'honorable préopinant, ne recule pas devant des discussions pareilles. L'honorable membre se fait un parlement anglais a priori, parlement anglais qui a posé des actes qui ne sont pas jusqu'à présent parvenus à ma connaissance. S'il avait suivi attentivement l'histoire parlementaire de ce grand pays, il aurait vu que tomes les fois que l'Angleterre se trouve dans une circonstance extraordinaire, les membres du parlement se gardent bien d'accabler en quelque sorte journellement le ministère de leurs questions, qu'ils se bornent à poser des principes généraux et qu'ils en abandonnent l'exécution au gouvernement sous sa responsabilité. Il n'y aurait pas en Angleterre d'homme politique qui acceptât la direction des affaires, à la condition de venir tous les jours initier le parlement dans l'exécution de toutes les mesures qu'il aurait prises, et de demander s'il a bien ou mal fait.
Ce n'est pas ainsi qu'un gouvernement agit. Nous nous sommes posé un principe général ; nous le réalisons, nous l'exécutons. Nous sommes à la vérité obligés par la loi même à vous soumettre un rapport détaillé de toutes les mesures. Mais vous avez vous-mêmes fixé l'époque à laquelle ce rapport doit être présenté ; or, je le déclare, si je devais, à la première interpellation qui m'en serait faite, venir vous rendre compte, toutes les semaines, de l'emploi des fonds qui ont été mis à notre disposition, je n'accepterais point le pouvoir à ces conditions-là. De deux choses l'une, ou la chambre a confiance dans le gouvernement, et elle croit que l'emploi de ces fonds sera dirigé avec prudence et habileté, ou la chambre n'a point cette confiance ; dans ce dernier cas, je lui reconnais le droit de le déclarer, de le déclarer de la manière la plus solennelle. Que la chambre se prononce ; sa décision sera respectée. Mais j'abaisserais le gouvernement, si je venais toutes les semaines déposer en quelque sorte à vos pieds l'ensemble des mesures qui ont été prises, et si, succombant à une espèce de lâcheté ministérielle, je mendiais toutes les semaines votre approbation, et me mettais à couvert sous elle.
L'honorable membre a trouvé, messieurs, qu'il y avait, de la part du gouvernement, une timidité incroyable à reculer en quelque sorte devant la publicité d'une enquête qui vient d'être faite par une commission. Mon honorable collègue, M. le ministre de la justice n'a point dit à la chambre qu'il reculât devant la publicité du rapport de cette commission ; seulement il a fait ressortir l'espèce d'inconvenance (je demande pardon à l'honorable député de cette expression ; un mot plus doux ne m’arrive pas en ce moment) de l'espèce d'inconvenance qu'il y avait, de la part d'un membre d'une commission nommée par le gouvernement dans le but de s'éclairer lui-même, à exiger que la chambre fût saisie d'un rapport que le gouvernement ne connaît pas encore, puisqu'il ne l'a reçu que depuis hier. Ainsi, messieurs, il n'y a point de timidité ; mais je dirai plus, il y a du courage à accepter hautement toute la responsabilité des mesures que nous prenons.
Si, dans l'exécution de ces mesures, nous nous apercevons que les deux millions sont insuffisants, alors, messieurs, nous viendrons demander un supplément de crédit et alors la chambre décidera si le rapport dont elle a fixé le dépôt, je pense, au 31 décembre 1846, si ce rapport doit être présenté avant l'époque indiquée par la loi. Nous serons prêts alors à répondre à cette exigence dont nous reconnaîtrons la justice, et non seulement, nous justifierons de l'emploi des deux millions, mais nous serons prêts encore à accepter une responsabilité nouvelle.
L'honorable préopinant a, sans doute, été frappé d'une circonstance qui s'est révélée dans un pays voisin. Il a cité le nom du grand agitateur, (Interruption.) L'honorable membre a parlé de l'Irlande. Or, messieurs, en Irlande, le grand agitateur a déclaré qu'il soutiendrait le gouvernement à la condition que le gouvernement nourrirait l’Irlande. Eh bien, messieurs, je suis fâché de devoir le déclarer, mais si je ne puis avoir l'appui des honorables membres qu'en contractant l'obligation de nourrir la Belgique, je serai forcé de renoncer à cet appui.
M. Devaux. - Je demande la parole contre cette plaisanterie.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - A Dieu ne plaise que je plaidante sur une question aussi sérieuse que celle-ci ! J'ai voulu faire comprendre à la chambre quel est le devoir d'un gouvernement et dans quelles limites ce devoir doit être renfermé. J'ai voulu de plus faire comprendre à la chambre que le pouvoir législatif s'exerce en posant des principes généraux dont l'application est abandonnée à des ministres responsables. Or, ce serait intervertir la marche de toutes les affaires, ce serait en quelque sorte dépouiller le gouvernement de son action, que de permettre à une assemblée de s'immiscer continuellement, hebdomadairement, journellement dans les mesures que prend le gouvernement, et qu'il prend dans le cercle de ses attributions légitimes.
Voilà, messieurs, ce que j'ai voulu faire comprendre à la chambre, non pas en plaisantant, mais de la manière la plus grave, la plus sérieuse ; je prie l'honorable membre de le croire.
La situation des Flandres, messieurs, je le répète, est connue du gouvernement ; elle lui est connue de la manière la plus complète et la plus régulière ; elle lui est connue par les rapports les plus détaillés des fonctionnaires qui administrent ces deux provinces et dont la responsabilité est engagée envers le gouvernement. Je rends ici, messieurs, à ces fonctionnaires la justice de dire qu'il ne s'est point passé de jour sans que le gouvernement ait été mis complétement au courant de la situation des choses. C'est sur leurs rapports que les mesures ont été prises et qu'elles continueront de l'être.
M. Dumortier. - S'il s'agissait, messieurs, de venir demander au gouvernement, chaque semaine, l'emploi qu'il a fait des fonds mis à sa disposition ; s'il s'agissait de venir chaque semaine lui demander à quelles autorités il a alloué des fonds, à quelles administrations il a accordé ses bienfaits, alors je concevrais la réserve dans laquelle se renferme le ministère et je dirais avec lui qu'il ne serait pas possible de gouverner le pays à cette condition. Mais ici rien de semblable n'existe. Que demandent les députés des Flandres, que demandons-nous, nous députés d'autres provinces qui ont été également frappées ? Nous demandons et nous sommes en droit de demander quels sont les principes généraux adoptés par le gouvernement pour la répartition des subsides. Voilà ce que nous avons le droit de savoir ; et l'ignorance où le pays est laissé à cet égard paralyse l'action de la charité, elle empêche les établissements de charité et les autorités locales d'intervenir ; l'inaction du gouvernement entraîne à sa suite l'inaction générale. Ce système de réserve, ce système de silence, ce système de dignité ministérielle, si je puis l'appeler ainsi, est une véritable calamité pour le pays ; et pour mon compte, je dois blâmer de toutes mes forces le gouvernement d'entrer dans un semblable système.
Encore une fois, messieurs, s'il s'agissait de harceler le ministère, de lui demander chaque jour ce qu'il a fait, quels subsides il a accordés, je concevrais le refus du ministère de répondre. Mais on demande seulement à connaître les principes généraux sur lesquels repose la répartition des subsides, et nous avons le droit de le savoir, alors surtout que nous allons rentrer dans nos foyers et que nos commettants viendront nous demander ce que nous avons fait pour soulager la misère publique.
A cela on vient nous répondre, messieurs : « Le gouvernement agit et si vous voulez connaître les mesures qu'il prend, adressez-vous à MM. les ministres en particulier ; ils vous diront quelles sont ces mesures. » Ou ajoute : « Mais n'avez-vous pas la responsabilité ministérielle ? » La responsabilité ministérielle ! Vraiment il s'agit bien de responsabilité ministérielle quand le pauvre n'a point de pain. Qu'est-ce que la responsabilité ministérielle dans une semblable circonstance ? Eh, mon Dieu, quand la misère sera arrivée à son comble, à quoi servira la responsabilité ministérielle ? A quoi servira-t-elle lorsque l'on sera peut être obligé d'employer des mesures sévères pour empêcher l'émeute ? Oui, messieurs, je le dis avec un profond sentiment de douleur, si l'inaction du gouvernement se prolonge, si son silence continue et si par suite de ce silence les administrations des villes et des campagnes s'abstiennent de prendre des mesures actives pour adoucir la misère publique, alors de grands malheurs sont inévitables pour le pays.
Je ne crois pas, messieurs, qu’il existe ma moindre similitude entre la situation qui nous occupe et celle à laquelle on fait allusion lorsqu'on nous parle de l'Angleterre. Oui, en Angleterre lorsqu'il s'agit de grandes questions internationales, le cabinet vient répondre aux membres du parlement qui l'interrogent : « Les négociations ne sont point terminées et nous manquerions aux intérêts du pays si nous faisions connaître ces négociations. »
Pourquoi cette réserve, messieurs ? Parce qu'il ne faut pas que l'étranger sache ce qui se passe dans le sein du cabinet. Mais ici rien de semblable n'existe ; il n'est point question d'un acte international ; il est uniquement question de notre classe ouvrière. Eh bien, je dis, messieurs, que dès l'instant où l'on aurait adopté le système de faire acheter des denrées pour pourvoir les entrepôts afin d'empêcher la hausse à l'intérieur, dès ce moment aucune hausse n'aurait pu se produire ; au contraire, la baisse aurait eu lieu. Le silence du gouvernement ne se justifie donc par rien ; au contraire, les paroles du gouvernement, si elles étaient justes, si elles reposaient sur le principe des achats de subsistances, ces paroles auraient pour résultat de faire baisser le prix des denrées nécessaires au peuple.
On a parlé de l'inconvénient de l'interpellation faite par un honorable membre de cette chambre. Je suis en droit de m'étonner des paroles que MM. les ministres ont adressées à cet honorable membre. Comment ! on lui fait un crime de demander communication d'un rapport qui se trouve inséré au Moniteur ! (Interruption.) Il s'y trouve au moins en résumé. Eh bien, lorsqu'on fait ainsi connaître ce rapport au pays tout entier par la voie du journal officiel, y a-t-il inconvenance de la part d'un membre du parlement à réclamer ce document ?
Mais, messieurs, mettez-vous donc d'accord avec vous-mêmes, et si la chose est tellement mystérieuse que vous craigniez de la faire connaître à la chambre, alors ne la publie pas dans le Moniteur, de manière à la faire connaître au pays tout entier. Ou bien si le rapport pouvait être sans inconvénient public dans le Moniteur, alors ne reculez pas devant les interpellations qui vous sont adressées par un membre de la représentation nationale. (Interruption.) Vous n'avez pas le droit de venir blâmer un membre du parlement lorsqu'il demande communication d'un document que vous avez publié par extrait dans le Moniteur. Vous n'avez pas le droit de dire à un membre du parlement qu'il sort des convenances, alors qu'il demande communication d'une pièce que vous avez fait connaître vous-même à la Belgique entière.
Messieurs, je dois le dire, le silence du gouvernement en cette circonstance ne m'indique qu'une seule chose : c'est que le gouvernement n'a rien fait. Si le gouvernement avait posé quelque acte, il n'hésiterait pas à en donner connaissance à la chambre. Quel était le devoir du gouvernement ? (page 316) C'était de faire un appel à tous les établissements de charité publique ; c'était de donner de la publicité à ses actes, afin de donner du courage et de l'espoir à ceux qui n'en avaient plus, de donner de l'action à ceux qui en manquaient ; c'était de donner de l'aliment à ces sentiments de généreuse charité qui existent partout et qui sont si nécessaires dans le moment présent. Le silence du gouvernement est de nature à empêcher ces bienfaits que nous devons tant désirer de ne pas voir manquer à la classe nécessiteuse.
Ce ne sont pas les Flandres seules qui sont frappées. L'arrondissement auquel j'appartiens se trouve dans une position presque aussi malheureuse. Dans les communes de cet arrondissement, les paysans n'ont pas mangé de pommes de terre depuis deux mois, et vous savez que les pommes de terre constituent la nourriture principale des gens de la campagne. L'élévation du prix des céréales, d'un autre côté, nuit considérablement à leurs moyens d'existence. Que ferez-vous dans quelques mois, quand les denrées de l'automne et du printemps seront épuisées ? Si le gouvernement ne s'y est pas pris d'avance, pensez-vous qu'alors vous pourrez, dans un moment, trouver les moyens de faire face immédiatement aux nécessités qui se présenteront ? Rappelez-vous les plaies d'Egypte ; rappelez-vous les magasins que l'on fit alors. Attendrons-nous jusqu'au dernier moment, et dirons-nous alors au pays : Vous n'avez pas de pain, nous allons chercher le moyen de nous en procurer.
Messieurs, c'est en s'y prenant longtemps d'avance, c'est en agissant d'une manière prudente, et non pas en se tenant dans une prudente réserve que l'on paralyse la famine. Or, je vois ici, non pas une prudente activité, une téméraire réserve que je blâme de tous mes moyens, mais comme étant fatale au pays.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, les dernières paroles qui ont été prononcées par M. le ministre de l'intérieur me mettent dans la nécessité et m'imposent le devoir de lui faire une courte réponse.
Je n'ai pas entendu sans émotion le discours prononcé par mon honorable ami, M. Rogier. Je dois féliciter les Flandres du nouvel et éloquent défenseur qu'elles ont trouvé en lui. Mais je regrette d'autant plus que M. le ministre de l'intérieur, en répondant à mon honorable ami, bien loin de faire une juste part aux légitimes doléances des Flandres, ait paru, au contraire, vouloir leur ravir jusqu'à l'espérance.
M. le ministre de l'intérieur semble croire que l'insistance des députés des Flandres, dans cette pénible discussion, soit due à un vain désir de popularité. On dirait, à entendre M. le ministre de l'intérieur, que ceux qui se taisent, qui se renferment dans une réserve aussi facile qu'injustifiable, que ceux-là seuls dédaignent une vaine popularité, et que les autres parlent seulement dans le but de voir leurs paroles obtenir, au dehors, les applaudissements de la foule.
Pour ma part, je repousse une pareille insinuation, et je dirai à M. le ministre de l'intérieur que je n'entends être le courtisan ni du peuple, ni de personne.
Que le gouvernement y songe, la responsabilité qu'il prend devant les chambres et le pays est immense. Il ne s'agit pas seulement, M. le ministre de l'intérieur de savoir ce que vous ferez des deux millions que nous avons déjà votés. Des voix, appartenant aux diverses provinces se sont élevées dans cette enceinte ; elles proclament hautement, franchement, loyalement, que la ressource des 2 millions est insuffisante. Et en présence des députés des Flandres qui vous affirment que ces ressources ne peuvent parer ni aux nécessites du moment, ni aux nécessités de l'avenir ; en présence des députés d'autres districts qui vous tiennent le même langage, que faites-vous, M. le ministre ? Venez-vous nous dire que les ressources votées sont suffisantes ? Venez-vous nous rassurer ? Non, vous gardez le silence, vous affichez de la réserve, toujours de la réserve ; vous faites de la diplomatie !
Messieurs, nous ne demandons pas à M. le ministre de l'intérieur qu'il nous initie à tous les détails intimes du gouvernement ; nous n'avons pas l'absurde prétention d'exiger qu'il vienne nous rendre compte, semaine par semaine, de ce qu'il a fait, de ce qu'il compte faire.
Mais sous le coup de l'incertitude qui trouble les esprits, de l'anxiété, de l'angoisse qui règnent partout, nous remplissons un devoir, M. le ministre, en vous disant : « Les ressources que vous avez demandées, sont insuffisantes ; tous les hommes sages et expérimentés de la chambre proclament leur insuffisance ; eh bien, si vous aussi vous les croyez insuffisantes, déclarez-le sans hésiter ; si au contraire, elles vous paraissent suffisantes, hâtez-vous de nous rassurer en nous apprenant pourquoi vous différez d'opinion avec nous. »
Messieurs, on a cité l'Irlande ; en effet, le nom de l'Irlande vient naturellement à notre pensée quand nous parlons des Flandres. Il y a de tristes et cruelles analogies entre la position des Flandres et celle de l'Irlande. Le cœur m'en saigne d'y songer. Mais, cependant, si Daniel O'Connell, en demandant au ministère de la Grande-Bretagne de nourrir l'Irlande, forme un vœu qui peut paraître insensé, je pense, messieurs, que les députés des Flandres ne forment pas encore un vœu insensé en demandant à la Belgique de nourrir les Flandres, et de les nourrir en leur donnant du travail.
Quoi ! nous avons un des plus beaux et des plus riches pays du monde, si beau et si riche qu'on a pu dire que la Belgique serait un jour aussi le plus beau royaume, après le royaume du ciel ; dans ce pays, il y a un vaste ensemble de travaux publics dont l'exécution peut à l'instant même commencer ; les capitaux ne manquent nulle part ; partout des bras attendent pour se mettre à l'œuvre, partout des hommes affamés ne demandent que du travail ; les ressources sont là, le travail est là, et vous ne pouvez pas, avec tous ces éléments, avec toutes ces ressources, vous engager à nourrir les Flandres ! Ah ! M. le ministre de l'intérieur, vous seriez bien au-dessous de votre position, le gouvernement serait bien peu à la hauteur des devoirs que les circonstances lui imposent, il manquerait bien étrangement à sa mission, si, par son administration et par ses notes, il n'avait, comme par votre discours, à offrir en perspective à la Belgique que la famine et ses horreurs !
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, l'honorable préopinant s'est mépris sur le sens de mes paroles. Selon lui, j'aurais vu, au fond des discours qui ont été prononcés, je ne sais quel vain désir de popularité. Il n'en est rien.
Messieurs, lorsque j'ai parlé de popularité, j'ai seulement voulu faire entendre à la chambre qu'il y avait, en ce moment, plus de courage à se taire qu'à parler ; j'ai dit que si je pouvais révéler à la chambre les mesures qui ont été prises, je ne doutais pas que je n'obtinsse l'approbation de l'assemblée, mais que je ne voulais pas conquérir cette popularité, au prix du sacrifice de mon devoir.
Mon devoir (et mes collègues partagent ma conviction à cet égard), mon devoir est de faire et de me taire. Je me tairai donc, mais en me taisant, je continuerai à agir, j'apprécierai tous les besoins, je parerai autant que possible à toutes les exigences de la situation. Lorsque j'aurai rempli ce devoir pénible, et si je reconnais alors que la ressource des deux millions est insuffisante, je viendrai vous le dire, messieurs ; je viendrai vous demander un supplément d'allocation. Vous jugerez alors, comme je l'ai déjà dit, s'il y a lieu d'exiger du gouvernement qu'il vous fasse, soit immédiatement, soit à l'époque fixée par la loi, son rapport sur l'emploi du crédit des 2 millions.
Je ne pense donc pas, messieurs, par ces paroles simples et graves, décourager les députés des Flandres, jeter en quelque sorte la terreur dans leurs âmes ; je pense, au contraire, leur donner l'assurance la plus complète que le gouvernement n'est ni imprévoyant, ni inactif. S'ensuit-il y messieurs, que tout en agissant ainsi, nous puissions admettre que le gouvernement soit à même de nourrir, non pas seulement les Flandres (comme me le fait dire l'honorable préopinant, en dénaturant mes paroles), mais la Belgique toute entière. C'est là une responsabilité que je n'ai pas voulu accepter. J'accepterai la responsabilité de tous les actes que je poserai dans la sphère du possible, mais je n'irai pas au-delà. Si la chambre exigeait davantage, elle m'imposerait un devoir que je ne pourrais pas remplir.
M. Devaux. - Je crois qu'il n'est pas en mon pouvoir de faire prendre au gouvernement une position autre que celle qu'il a choisie ; mais je crois qu'il est de notre devoir de lui représenter que cette position de réserve et de mystère si absolu n'est ni sans inconvénients, ni sans dangers, et que, dans tous les cas, elle aggrave singulièrement sa responsabilité.
On ne demande pas qu'il vous rende compte jour par jour, semaine par semaine, des mesures qu'il adopte ; tout ce qu'on avait demandé, c'était de connaître leur caractère général ; ce serait même déjà quelque chose d'utile de savoir ce qu'il ne fera pas.
Les inconvénients du silence complet du gouvernement sont de plusieurs natures. D'abord, c'est l'incertitude où nous nous trouvons tous sur la suffisance de l'allocation que nous avons votée. En l'absence de toute explication du gouvernement, il nous est impossible de savoir si la somme que nous avons votée, est réellement suffisante pour être employée avec la moindre efficacité. Cette incertitude rend la position des députés des Flandres très pénible dans la discussion du budget ; si la somme allouée est insuffisante comme on peut le craindre, ils voudraient en proposer l'augmentation, et le silence où le gouvernement se retranche les en empêche.
Il est extrêmement pénible d'avoir à voter sur des budgets, sans savoir quelles sont les dépenses réellement nécessaires.
Un autre inconvénient, c'est de maintenir tous ceux qui peuvent aider au soulagement de ces maux dans l'incertitude sur ce que fera le gouvernement. Il doit naturellement arriver de là que les uns désespèrent de l'assistance du gouvernement, et qu'ils ne font pas ce qu'ils pourraient faire s'ils se sentaient soutenus par lui, et que d'autres au contraire, espérant trop du gouvernement, ne font pas assez par eux-mêmes : si le gouvernement avait adopté une marche plus assurée, s'il avait déterminé le caractère général que devait avoir son intervention, il n'y aurait point eu de mécompte ; on aurait su ce qu'on devait faire par soi-même ; les administrations provinciales et communales, les bureaux de bienfaisance, la charité privée, auraient eu un point de départ.
On aurait dû depuis plusieurs mois convoquer les conseils communaux des Flandres, leur dire ce qu'on pourrait faire, les travaux publics que le gouvernement pouvait entreprendre. Les provinces auraient su ainsi ce qu'elles devaient faire par elles-mêmes : les conseils auraient examiné s'ils n'avaient pas d'autres travaux à ajouter à ceux du gouvernement ; ils auraient pu en faire les fonds ; au besoin même voter des emprunts ; à leur suite seraient venus les conseils communaux, les bureaux de bienfaisance, les comités de charité et la charité privée. On aurait pu concevoir un ensemble de mesures ; le gouvernement aurait donné l'idée d'un système à suivre. Tout cela ne peut plus avoir lieu. On viendra faire un rapport, demander des secours nouveaux, ceux que vous avez accordés se trouvant insuffisants. Alors pourrez-vous encore prendre un ensemble de mesures de concert avec les provinces et les communes, comme vous auriez pu le faire dès le principe ? Sera-t-il encore temps de remédier au mal quand il aura acquis sa plus grande intensité ? Ne faisons pas, à l'égard des malheureux de l'intérieur du pays, ce qu'on a fait à l'égard des infortunés partis pour Guatemala que nous ne voyions pas nos concitoyens mourir de faim sous nos yeux ; sans leur porter secours. Alors aussi le gouvernement n'a pas voulu dire, (page 317) ce qu'il comptait faire pour les Belges, abandonnés au sort le plus affreux sur la plage de Santo-Thomas ; alors aussi on promettait un rapport ; en attendant, la mort les a moissonnés ; et Dieu sait ce qui en restera quand on se sera décidé à aller à leur secours !
Messieurs, on a parlé de la situation des dépôts de mendicité ; vous savez que, chez nous, à défaut de place, les prisons sont devenues forcément des suppléments de ces dépôts. Le hasard fait que j'ai sur moi, dans ce moment, une lettre que m'écrivait, il y a quinze jours, un membre de la commission administrative d'une des prisons de la Flandre. Permettez-moi de vous en lire quelques lignes. Je demande pardon à celui qui les a écrites de faire usage en public d'une lettre familière qui n'avait nullement cette destination. Mais, par cela même, elle n'en sera que plus propre à faire comprendre à nos collègues des autres provinces toute la réalité du malheur qui afflige les Flandres.
« Vous ne pouvez vous imaginer, me disait cette lettre, l'épouvantable aspect que présentent tous ces malheureux qui viennent encombrer la prison ; c'est surtout le quartier des femmes qui vous déchirerait le cœur. Nous avons de la place pour loger trente ou quarante femmes, eh bien, il y en a 166, savoir : 94 femmes et 72 enfants dont un tiers à la mamelle. Chambres à coucher, corridor, chauffoir, tout est couvert de paillassons l'un à côté de l'autre. Ces pauvres petites créatures couchent avec leur mère, au risque d'être étouffées par elles. Toutes ces femmes sont dans le dénuement le plus complet, sans chemise, sans bas ni sabots. Ce sont des familles entières qui nous arrivent de Zarren, de Clercken, de Vrybusch, etc. Une femme me disait que, pendant deux jours, elle n'avait eu que de l'eau pour toute nourriture, et elle avait trois enfants dont un au sein. Il faut voir comment ces malheureux dévorent la nourriture qu'on leur donne à leur arrivée dam la prison ! Qu'on ne dise pas que la misère publique a été exagérée, elle dépasse l'idée qu'on s'en fait... »
M. de Theux. - Messieurs, la question n'est pas de savoir s'il faut venir au secours des populations malheureuses, alors que le travail viendrait à manquer, et que les ressources locales manquent, telle n'est pas la question ; la chambre et le gouvernement sont d'accord sur la nécessité de venir au secours des populations malheureuses ; le véritable point de la discussion est celui-ci : le gouvernement peut-il dès maintenant faire connaître aux chambres les mesures qu'il entend prendre pour porter remède à cette calamité publique ? Il me semble qu'on perd de vue ce qui s'est passé dans la session de septembre dernier, quand deux millions ont été mis à la disposition du gouvernement.
A la section centrale on a demandé la présence des ministres ; des membres ont mis en avant, chacun de leur côté, différents moyens de venir en aide aux populations malheureuses. Le gouvernement a cru qu'il y aurait pour lui imprudence, même impossibilité de s'expliquer sur les mesures qui seraient le plus utiles au pays. Cette opinion du gouvernement a été consignée dans le rapport de la section centrale, et les deux millions ont été votée par les chambres à l'unanimité, avec cette intention de la section centrale, d'en laisser la libre disposition au gouvernement, sans exiger d'explications préalables sur leur emploi. Je sais que depuis lors des faits se sont passés ; il serait désirable de connaître quel sera l'emploi des deux millions pour que chacun put s'arranger en conséquence, dans les localités, dans les provinces. Mais il y a à cela une difficulté très sérieuse ; les deux millions ne sont pas la seule ressource ; c'est, au contraire, la moindre ; la principale consiste dans les nombreux travaux publics à exécuter, et par le trésor et par les compagnies. Quant à ceux qui doivent être faits aux frais du trésor, nous connaissons à peu près l'ensemble des travaux que le gouvernement a en vue. Pour les travaux à exécuter par les compagnies, nous ne sommes pas certains s'ils seront commencés pendant l'hiver ou ajournés jusqu'au mois de mai, époque obligatoire.
Si une grande partie des travaux concédés pouvaient être entamés dans un bref délai, la situation viendrait à changer, pourvu que l'hiver ne fût pas trop rigoureux et permît d'exécuter les travaux. Si, au contraire, les compagnies ne peuvent pas commencer les travaux, ou si la saison rigoureuse de l'hiver mettait obstacle à leur exécution, la situation changerait encore, mais, cette fois, d'une manière fâcheuse pour la classe laborieuse. Dans cette situation, les deux millions mis à la disposition du .gouvernement, seraient insuffisants ; le gouvernement devrait venir réclamer de nouveaux subsides de la législature.
Il me paraît donc certain que dans l'état actuel des choses, il est impossible de prévoir les mesures qui seraient nécessaires ou celles qu'on pourrait s'abstenir de prendre. Il a y encore une impossibilité physique dans le moment actuel. Une autre circonstance, c'est le changement qui pourra survenir dans le prix des denrées alimentaires. Ce changement peut être favorable ou défavorable ; un motif encore qui empêche d'annoncer l'ensemble des mesures qu'on croira devoir prendre. Mais, dit-on, le gouvernement pourrait en faire connaître quelques-unes. Ne perdons pas de vue, messieurs, que si le gouvernement annonçait quelques-unes des mesures qu'il se propose de prendre, elle seraient discutées ; on demanderait des mesures complémentaires, on viendrait démontrer l'insuffisance de celles annoncées, et finalement ce ne serait plus le gouvernement qui ferait l'emploi des deux millions, se serait la chambre qui en ferait la distribution par l'impulsion de la discussion parlementaire ; ce serait renverser tous les rôles ; pour moi, je n'accepterai pas la responsabilité de ce rôle, parce que les renseignements me manquent pour indiquer l'emploi le plus équitable.
On a signalé la misère des Flandres. Dans une grande partie de ces provinces la misère est réelle, mais elle n'est pas la même dans toutes les communes des deux Flandres ; heureusement pour le pays, il n'en est pas ainsi, car alors ce ne serait pas par deux millions, mais par dix millions qu'il faudrait procéder.
Je pourrais dire que dans le Limbourg il y a aussi beaucoup de misère : là il n'y a pas d'industrie, il n'y a pas de manufactures, les récoltes en pommes de terre ont été perdues là comme dans les autres provinces ; une partie de la récolte des céréales même a été moins bonne, là, que dans d'autres localités.
Dans le Hainaut, par exemple, la récolte des céréales a été infiniment meilleure que dans le Limbourg. On a cité aussi la population des Ardennes. Il est à ma connaissance que là, comme dans une partie du Limbourg, les populations vivent de privations, non seulement cette année, mais habituellement. Pourquoi ? Parce que le sol est stérile, que le travail agricole ne donne pas au cultivateur la juste récompense de sa peine.
Sans doute les membres de la chambre qui ont des communications à faire au gouvernement peuvent les faire, non seulement dans le cabinet des ministres, mais dans cette enceinte.
J'admets ce droit ; je conçois que quelques membres de cette chambre considèrent cela comme un devoir pour eux ; mais s'ensuit-il que le gouvernement doive suivre la discussion sur ce terrain et prendre l'engagement de faire tel emploi d'une partie des deux millions mis à sa disposition ? Si nous avions des motifs de croire que le gouvernement fût indifférent à la misère publique, nous devrions aller plus loin, prendre d'autres mesures ; mais il ne conste nullement que le gouvernement soit indifférent à la misère publique. Je dirai que le gouvernement et les chambres ont fait plus qu'il n'a été fait dans aucun autre pays où la maladie des pommes de terre a sévi. La Belgique a pris l'initiative d'interdire la sortie des denrées alimentaires et d'en permettre la libre entrée ; elle a fait plus, elle a donné une grande impulsion aux travaux publics ; en outre, une somme de deux millions a été votée pour satisfaire, sinon à tous les besoins, au moins aux plus urgents. Quant à l'intensité du mal, elle ne peut pas être connue ; elle dépendra de la rigueur de la saison et de l'importance et de la quantité des travaux qui pourront être commencés.
Je disais que le gouvernement a à peu près pour 15 millions de travaux à exécuter aux frais du trésor. Si je ne me trompe, les travaux autorisés, je pourrais dire décrétés, car ils seront devenus obligatoires à une époque déterminée, les travaux à exécuter par voie de concession doivent s'élever à 70 millions.
Et ces travaux sont répartis, en général, dans les diverses provinces.
Vous voyez qu'il y a là encore un état d'incertitude qui ne permet pas d'annoncer quelque chose de définitif.
Si j'ai pris part à cette discussion, c'est uniquement dans l'intérêt du pays, pour que l'on ne pense pas que ni la majorité des députés de la nation, ni le gouvernement soient indifférents aux calamités publiques. Si une telle opinion se propageait dans le pays, ce serait une véritable calamité. Heureusement il n'en est pas ainsi. Je suis convaincu que le gouvernement, aidé du concours des chambres, saura faire face à ce qu'exige la situation.
M. de Roo. - J'avais demandé la parole pour répondre quelques mots à M. le ministre de la justice.
Lorsque j'ai dit que le gouvernement devait procurer du travail aux hommes valides, j'ai dit qu'il devait seulement intervenir dans ce but.
L'honorable ministre de la justice doit savoir que la loi sur la mendicité est, dans l'état actuel des choses, un véritable non-sens ; que les hommes valides, sortis des dépôts de mendicité, entrent presque tous dans les prisons de l'Etat, sous la prévention d'un délit, et deviennent ainsi une charge pour le gouvernement. Ne vaudrait-il pas mieux a priori les maintenir dans ; le sentier de la vertu, que de les voir s'adonner aux vices ?
J'ai signalé également ce fait qu'il y a des pauvres qui sont dans l'opulence, et qu'il y en a d'autres qui sont dans une extrême misère. J'ai demandé au gouvernement, qui a la main haute sur ces deux institutions, s'il ne pourrait pas les réunir et appliquer le superflu de l'une aux besoins de l'autre.
M. Rodenbach. - Je crois en avoir dit assez hier et aujourd'hui. Si ce que j'ai avancé était contredit, je réclamerais la parole. J'y renonce pour le moment.
M. de Brouckere. - J'ai écouté avec attention les nombreux reproches qui ont été adressés dans cette séance au gouvernement. Si l'on avait eu pour but de critiquer les mesures prises par le gouvernement, ou de démontrer que celles qu'il a prises ne sont pas suffisantes, si cela avait été établi, je m'associerais aux reproches qui ont été articulés. Mais veuillez remarquer qu'on s'est borner à reprocher au gouvernement de ne pas s'expliquer sur ce qu'il fera.
Plusieurs membres. - On demande ce qu'il a fait.
M. de Brouckere. - Ce qu'il a fait, tout le monde le connaît.
Plusieurs membres. - Il n'a rien fait.
M. de Brouckere. - Ce qu'on reproche au gouvernement, c'est de ne pas publier un programme général des mesures qu'il prendra à l'avenir, de ne pas nous donner le détail des mesures qui pourront être appliquées aux diverses provinces. Le gouvernement ne peut s'expliquer à cet égard. Ce serait impossible, parce que les mesures dépendront des circonstances qui peuvent varier à l'infini, non pas seulement suivant l'époque, mais même suivant les localités.
Ainsi la mesure qui peut convenir pour certaines parties des Flandres pourra ne pas convenir pour d'autres parties du royaume.
Mais, dit-on, si le gouvernement s'explique, il en résultera que la charité particulière sera plus active, parce qu'elle n'aura plus qu'à seconder les mesures que prendrait le gouvernement. Je crois au contraire qu'il faut (page 318) laisser agir la charité particulière, et que les localités où le gouvernement devra venir en aide sont celles où la charité particulière ne suffit pas, car il est évident que si le gouvernement doit secourir les 2,500 communes du royaume, ce n'est pas deux millions qu'il faudra, 25 millions ne suffiront pas. Nous devons nous rappeler ce vieil adage : « aide-toi, le ciel l'aidera ! » Il faut d'abord que les bureaux de bienfaisance et les communes fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour aider les habitants surchargés. Ce n'est que quand les moyens employés par les communes et les bureaux de charité seront insuffisants que le concours du gouvernement devra commencer.
Ici je diffère d'opinion avec l'honorable M. Devaux qui voudrait que le gouvernement commençât, que les provinces suivissent, puis les localités. Je crois, au contraire, qu'il faut laisser faire la charité particulière, les bureaux de bienfaisance, les communes et que c'est seulement quand leurs ressources auront été reconnues insuffisantes que le gouvernement devra intervenir par des secours pécuniaires ou en nature ; car je ne parle pas ici des moyens de fournir de l'ouvrage à la classe malheureuse. Mais lorsque le gouvernement vous dit qu'il agit sous sa responsabilité particulière, on lui répond : Qu'est-ce que la responsabilité ministérielle quand le peuple n'a rien ? Je vous le demande : le gouvernement aurait-il donné du pain au peuple en venant dans de longs discours faire étalage de ses sympathies pour la classe malheureuse ? Pour moi, j'aime mieux les actes que les discours.
Je demanderai aux honorables membres qui m'ont interrompu de démontrer que les mesures qu'il a prises ont été insuffisantes.
Plusieurs membres. - On n'a pas pris de mesures.
M. de Brouckere. - Le gouvernement n'a pas pris de mesures, mais n'a-t-il pas provoqué la libre entrée des céréales, des denrées de toute espèce et, par un arrêté récent, n'a-t-il pas autorisé celle des farines ? Je répète que jusqu'ici personne n'a démontré que les actes du gouvernement auraient été insuffisants. On demande en quoi consistent ces actes ? Mais au lieu de faire cette demande on devrait démontrer l'insuffisance des mesures qui ont été prises et expliquer en quoi elles devaient être plus efficaces. C'est ce qu'on n'a pas fait. La chambre a accordé au gouvernement 2 millions dont il dispose sous sa responsabilité. On veut qu'il déclare si ces deux millions suffisent ou non. Mais il ne peut répondre à cette question, cela dépendra des circonstances. Lorsque les deux millions seront épuisés, si les circonstances ne sont pas meilleures il est certain qu'il viendra solliciter un nouveau crédit. Vous serez alors en droit de lui demander quel usage il a fait des deux millions. Jusque-là, selon moi, selon la chambre entière, le gouvernement ne doit aucun compte. Je dis selon la chambre entière, parce que, quand elle a voté les deux millions, elle a été unanime pour reconnaître qu'il n'y avait pas de conditions à mettre à l'emploi de ce crédit, qu'il n'y avait pas de comptes à rendre avant que les deux millions ne fussent épuisés.
On ne connaît pas, dit-on, les mesures qu'a prises le gouvernement ; mais si le gouvernement n'a pas pris jusqu'ici de grandes mesures générales, c'est parce que la nécessité ne s'en est pas fait sentir. Le gouvernement a pris une foule de mesures de détails suivant les besoins des provinces, des localités, et ces mesures, dont quelques-unes au moins sont connues de beaucoup d'entre vous, ont produit un bien réel là où elles ont été exécutées. Il en est une dont je puis parler, que tout le monde connaît : c'est celle qui concerne les travaux publics. Il est de notoriété publique que le gouvernement, dans ces derniers temps, a accordé des subsides nombreux pour des travaux d'utilité publique, qu'il a fait en sorte que ces travaux soient répartis dans les différentes parties du royaume. C’était la meilleure mesure qu'il fût possible de prendre. Je ne puis parler de toutes les parties du royaume ; mais je connais une province où le gouvernement a fait ce qui dépendait de lui pour qu'il y eût des travaux dans les différentes parties de cette province.
Des demandes vont être adressées à M. le ministre de l'intérieur, à l'effet d'obtenir des subsides pour les chemins vicinaux ; je recommande spécialement ces demandes à M. le ministre de l'intérieur. D'ordinaire, le gouvernement n'accorde qu'une somme à peu près égale aux subsides des provinces. Dans les circonstances extraordinaires où nous nous trouvons, il est à désirer que le gouvernement se montre un peu plus généreux ; que les subsides qu'il accordera pour les chemins vicinaux excèdent dans certains cas ceux que les provinces peuvent accorder parce que les fonds provinciaux sont très restreints. Si l'on pouvait organiser des travaux aux chemins vicinaux dans toutes les parties du pays, ce serait un immense bienfait, parce que les habitants des campagnes trouveraient de l'ouvrage sans devoir aller à une grande distance.
Si l'on croit que le gouvernement peut prendre, dès à présent, d'autres mesures que celles qu'il a prises, qu'on les indique ; mais on ne peut demander un programme de toutes les mesures à prendre qui peuvent varier selon le temps, les besoins et les localités.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. Maertens. - Je suis inscrit après l'honorable M. de Brouckere. Je désirais répondre brièvement à son discours Je pourrais donner à la chambre des renseignements très précis, que ma position m'a mis à même de recueillir.
M. Rodenbach. - Il n'y a plus que trois orateurs inscrits. Je demande qu'on les entende. Déjà la clôture a été demandée Personne ne s'est levé. Il arrive que des personnes demandent légèrement la clôture, et quand il s'agit de se lever, ils ne se lèvent pas.
- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - M. Eloy de Burdinne a déposé un nouvel amendement à l'article premier. Je vais en donner lecture :
« J'ai l'honneur de proposer la suppression des dix centimes additionnels extraordinaires et des trois centimes additionnels supplémentaires à la contribution foncière. »
Plusieurs membres. - A demain ! à demain !
D'autres membres. - Non ! non ! Laissez développer l'amendement.
M. le président. - La parole est à M. Eloy de Burdinne pour développer son amendement.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, j'aurai l'honneur de vous prévenir d'abord, qu'en faisant cette proposition, je ne veux pas priver le trésor d'une somme égale à celle dont je demande la suppression. Je proposerai, au contraire, au gouvernement et à la chambre, un moyen non seulement de remplacer le déficit qui pourrait résulter de l'adoption de mon amendement, mais, en outre, de procurer au trésor une ressource annuelle de plus de 800,000 fr.
Messieurs, mon système est simple ; il a pour effet surtout de faire peser les charges sur les classes aisées, et non sur les classes nécessiteuses. J'espère donc que la majorité l'accueillera avec faveur.
Messieurs, je déclare que j'appuierai l'amendement de l'honorable M. Savart.
Je demande comme lui la suppression des 10 centimes additionnels extraordinaires sur le personnel et sur les patentes.
En outre, je demande la suppression des 10 et des 3 centimes additionnels extraordinaires à la contribution foncière, avec d'autant plus de droit que la position du cultivateur est dans un état plus digne de compassion que ne le sont les classes élevées sujettes à l'impôt personnel ; les financiers, par exemple, qui sont en général appelés à profiler de la suppression des centimes additionnels, demandée par l'honorable M. Savart, demande qui, j'en suis persuadé, trouvera de la sympathie dans cette chambre.
Si la proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre, est mûrement pesée et appréciée comme je l'apprécie moi-même, je ne forme aucun doute que la grande majorité m'appuiera et votera la suppression des 10 et des 3 centimes additionnels extraordinaires à l'impôt foncier.
Qu'on ne perde pas de vue que la suppression des centimes additionnels à l'impôt foncier ne profitera pas ou profitera fort peu aux grands propriétaires, mais bien à la classe des cultivateurs grands et petits, et, principalement à la classe des petits propriétaires qui cultivent leur propriété.
Et remarquez-le bien, pour un grand propriétaire, il y en a dix possédant de 4 à 20 hectares qu'ils cultivent eux-mêmes.
S'il est inexact de soutenir que l'impôt foncier n'est pas à charge du propriétaire parce qu'il a chargé son locataire de le supporter, on conviendra avec moi qu'une réduction dans cet impôt sera tout à l'avantage du fermier et des petits propriétaires cultivateurs ; comme une augmentation serait faite à son détriment pendant la durée de son bail, qui, en thèse générale, renferme la stipulation que l'impôt foncier des terres louées est à sa charge du repreneur ou du locataire.
Dix petits propriétaires cultivateurs éprouveront, sur un grand propriétaire, par la suppression des 10 et des 3 centimes additionnels à l'impôt foncier, un bien faible allégement et une bien minime indemnité des déficits qu'ils ont éprouvés par la perte des pommes de terre et le déficit dans le produit des céréales.
Je vous en ai donné les détails dans une séance précédente. Je me bornerai à faire remarquer que sur chaque hectare cultivé en pommes de terre, il y a un déficit de plus des trois quarts, soit plus de 400 fr. par hectare, et sur chaque hectare cultivé en froment dans la grande partie du pays, taux moyen, une perte de plus de 130 fr.
Cet état de choses mérite considération, je l'espère ; il sera apprécié par la chambre.
Malgré l'équité de la proposition que nous formulons, malgré les efforts que nous ferons pour la soutenir, nous rencontrerons une forte opposition de la part de M. le ministre des finances, ainsi que de la part de la section centrale, par l'organe de son honorable rapporteur.
On viendra peut-être encore nous dire que le cultivateur est indemnisé en partie des pertes éprouvées, par le haut prix des céréales et autres denrées alimentaires ; sans tenir compte de la réfutation que j'ai faite de ce raisonnement, si toutefois on ne reproduit pas les mêmes arguments pour obtenir une fin de non-recevoir.
On ne manquera pas de vous dire que des besoins du trésor ne permettent pas la suppression des centimes additionnels, dont nous demandons le retrait.
Eh bien, messieurs, si on ne croit pas trouver le moyen d'équilibrer les dépenses avec les recettes au moyen de réductions au budget des dépenses, il en est un bien simple d'augmenter les recettes et de faire supporter cette augmentation par la classe aisée, y compris les grands propriétaires.
La consommation du sucre, matière de luxe et dont font usage les grands propriétaires et toutes les classes aisées, pourrait très bien supporter une augmentation de droit d'accise ; et cette matière de luxe pourrait être frappée d'un droit double de celui qu'elle supporte, et donner au trésor une recette de 6 à 8 millions de francs au lieu de 2,800,000, que l'on nous dit être leur prévision ; soit, en plus qu'il ne donne, 3 à 4 millions.
Cette augmentation de recettes sur la consommation du sucre vous permet de faire disparaître les centimes additionnels, dont nous vous demandons le retrait sur la contribution foncière, sur le personnel et sur les patentes, tout en augmentant les recettes du trésor.
(page 319) En voici la preuve :
Les 10 centimes additionnels à l'impôt foncier rapportent au trésor, 1,550,000 fr.
Les 3 centimes, 534,750 fr.
Les 10 centimes à l'impôt personnel donnent en recette, 809,091 fr.
Les 10 centimes additionnels à l'impôt patente, 260,000 fr.
Total, 3,153,841 fr.
On peut obtenir sur la consommation du sucre, 4,000,000 fr.
En plus par la soustraction des centimes additionnels sur les impôts foncier, personnel et patente, vous aurez un déficit de 3,153,841 fr.
Soit en augmentation de recette au profit du trésor, 816,159 fr.
On me répondra peut-être que, pour obtenir une augmentation de recette de quatre millions sur les sucres, on doit avant tout voter une modification à la loi ; j'en conviens. Mettons-nous à l'œuvre, et nous parviendrons à obtenir ce beau résultat ; je ne crois pas l'opération bien difficile. Avec du bon vouloir, on parviendra à une législation qui donnera plus de quatre millions de recette au trésor sur l'accise des sucres. On y parviendra en augmentant le droit, et principalement en évitant les moyens d'éluder la loi, comme on le fait actuellement.
Messieurs, ce qui doit étonner, c'est que nous ayons, il y a deux ans, augmenté l'impôt sur le sel, impôt qui pèse sur les classes malheureuses, et qu'aujourd'hui tout en maintenant cet impôt sur ces classes malheureuses au secours desquelles nous devons venir, nous réduisons l'impôt sur le sucre. C'est réellement une chose que je ne puis m'expliquer, et que ni M. le ministre, ni M. le rapporteur de la section centrale, ni la section centrale tout entière elle-même ne pourraient, je crois, m'expliquer. N'est-il pas vraiment ridicule de percevoir sur les consommateurs du sel une recette de 4,800,000 fr. et de ne demander aux consommateurs du sucre que 2,800,000 fr. ? Messieurs, avec un pareil système, vous forcez le malheureux à se priver d'une matière qui lui est indispensable, et vous favorisez la consommation du sucre.
Messieurs, le sel en Belgique paye à raison de 400 p. c. à la valeur.
On me dira peut-être qu'en fait d'impôt 2 et 2 ne font pas quatre, et que les sucres exotiques, si on les frappait d'un droit élevé, entreraient en fraude. Messieurs, le sucre raffiné est frappé par notre tarif d'un droit de 95 fr. par 100 kil. et cependant on ne craint pas la fraude. Je ne la craindrais pas, quant à moi, davantage, si l'on frappait le sucre brut d'un droit de 80 et même de 100 fr. par 100 kil.
Un honorable collègue me fait remarquer qu'on n'importe pas de sucres raffinés. Mais à quoi devez vous cette absence d'importation, messieurs ? Vous la devez au droit de 95 fr. par 100 kil.
Messieurs, on me dira peut-être qu'un impôt de 8 millions sur la consommation du sucre en Belgique serait trop élevé. Mais voyons ce qui se passe en France.
En France, si je suis bien informé, la consommation du sucre rapporte environ 80 millions, pour une population de 34 millions d'habitants, soit plus de deux millions de francs de recette pour chaque million d'habitants, ou plus de 2 francs par tête d'habitant. Si on perçoit en France plus de deux francs par tête d'habitant sur la consommation du sucre, en Belgique, on pourrait, aussi bien qu'en France, percevoir un impôt sur cette consommation (le sucre), à raison de 2 fr. par tête d'habitant, soit plus de 8 millions de francs.
Une loi, en France, régit la matière. Modelons-nous sur la législation française, en frappant les sucres étrangers de droits aussi élevés qu'en France.
Vous le savez, les sucres de canne des colonies françaises sont considérés comme sucres indigènes. Messieurs, si nous avions des colonies, je serais aussi d'opinion que nous devrions frapper les sucres qui en proviendraient du même droit que le sucre de betterave que nous produisons ; mais, je le répète, imitons l'exemple de la France, frappons, comme elle, le sucre qui nous vient de l’étranger.
Toutefois, messieurs, je n'entends pas rendre impossible le raffinage en Belgique du sucre exotique. Si l'on peut trouver un système qui permette l'existence des deux industries, je serai le premier à lui donner mon assentiment. Mais nous devons chercher avant tout à assurer au trésor un revenu de 7 à 8 millions.
Vous voyez, messieurs, que si je demande la suppression d'un impôt qui pèse trop fortement sur les cultivateurs, je propose en même temps le moyen de combler le déficit par un impôt qui pèserait uniquement sur la classe aisée.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, j'ai l'honneur de présenter à la chambre un projet de loi de crédits provisoires pour le département de l'intérieur.
- Ce projet sera imprimé et distribué. Il est renvoyé à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
M. Loos. présente le rapport de la section centrale sur le projet de loi prorogeant la loi du 18 juin 1842, qui autorise le gouvernement à modifier le régime d'importation en transit direct et en transit par entrepôt.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
La chambre met le projet à la suite des objets à l'ordre du jour.
La séance est levée à quatre heures trois quarts.