(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 296) M. Huveners procède à l'appel nominal à une heure et un quart.
M. Albéric Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Lenoir, ancien employé au service des prisons, pensionné avant la promulgation de la loi sur les pensions, demande ce qu'il doit faire pour assurer éventuellement à sa veuve les avantages de cette loi. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de la commune de Farciennes demandent que leurs enfants puissent recevoir gratuitement l'instruction primaire.»
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de la ville d'Anvers demandent la réforme postale basée sur la taxe uniforme de 40 centimes. »
« Même demande de plusieurs habitants de la ville de Hasselt. »
- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
M. Rodenbach. - Messieurs, voilà déjà 20 où 30 pétitions de cette nature qui nous sont arrivées, et que nous avons renvoyées à la commission avec demande d'un prompt rapport. Je désire que ce prompt rapport nous soit enfin présenté. Il semble enseveli dans les cartons de la commission.
« Le sieur Kinsom, entrepreneur à Tournay, prie la chambre d'allouer au gouvernement la somme nécessaire pour satisfaire à sa créance à charge du département de la guerre. »
- Renvoi à la section centrale du budget de la guerre.
« Le conseil communal de Grâce-Montegnée prie la chambre de rejeter le projet de loi qui sépare, pour être érigées en communes distinctes, les sections de Grâce-Berleur et de Montegnée. »
- Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet.
« Plusieurs habitants de Bruxelles prient la chambre de porter au budget de 1846, la dotation de l'amortissement des rentes sur l'Etat créées par la loi des indemnités. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la dette publique.
(page 354) « Les compositeurs typographes employés à l'impression du Moniteur et des Annales parlementaires réclament l'intervention de la chambre pour obtenir le maintien de leur salaire actuel. »
(page 296) M. le ministre des finances (M. Malou) présente trois projets de loi tendant à accorder des crédits provisoires : 1° de 5 millions au département de la guerre ; 2° de 3,208,212 fr. 95 c. au département des travaux publics, et 3° de 118,000 fr. au département des affaires étrangères.
- La chambre ordonne l'impression de ces projets et les renvoie aux sections centrales chargées de l'examen des budgets des départements pour lesquels les crédits dont il s'agit sont demandés.
M. le ministre des finances (M. Malou). -Messieurs, depuis la séance d'hier, j'ai pris des renseignements sur quelques faits qui ont été signalés par l'honorable M. Verhaegen.
D'abord, messieurs, se présente l'affaire de la forêt de Chiny. La note qui se trouve à la suite du rapport de la section centrale indique quel est l'état actuel de l'instance encore pendante au sujet du payement des droits d'enregistrement. Cette instance est la seule qui soit engagée, car le prix d'acquisition de la forêt de Chiny a été intégralement payé, et le gouvernement n'a point consenti à diminuer ses garanties avant que ce payement n'eût eu lieu. L'acte auquel l'honorable M. Verhaegen a fait allusion avait pour effet de subroger celui qui payait au nom de l'acquéreur primitif, de le subroger aux droits de l'Etat, du chef de la somme qu'il acquittait. Voici ce que porte le quitus qui a été donné par cet acte :
« Quant à l'inscription d'office pour sûreté du prix de ladite adjudication, il a été réservé, par acte passé devant Me Van Bevere, notaire à Bruxelles, le 1er septembre 1840, à MM. de M.....et fils, payant par subrogation pour M. le comte de G....., de la faire radier en vertu de cet acte, ou de la conserver s'ils pouvaient le trouver convenable. »
Ainsi, messieurs, en ce qui concerne le prix d'acquisition de ce domaine, les droits de l'Etat n'ont pas été négligés. Je tiens en main le décompte qui a été fait, et d'où résulte qu'il ne reste actuellement plus rien à payer sur le prix d'acquisition.
L'honorable membre a parlé encore d'une créance dont le principal seul aurait été recouvré, et des intérêts de laquelle il aurait été fait remise. Les renseignements donnés à l'honorable membre sont complétement inexacts. Je suis encore en correspondance au sujet du payement de ces intérêts, et s'il est démontré que les intérêts sont dus, je puis donner l'assurance à l'honorable membre que je ne négligerai aucun moyen légal de les recouvrer.
Il est une seule des observations de l'honorable membre à laquelle il m'est impossible de répondre parce que je ne sais pas à quelle créance il a voulu faire allusion. Je veux parler de la créance de 52.000 fr. qu'il a mentionnée. Lorsque l'honorable membre aura indiqué de quelle affaire il s'agit, je ne doute pas que je ne puisse expliquer complétement, comme je l'ai fait pour les autres affaires, la manière dont elle a été traitée ou terminée.
M. Delfosse. - Le discours que j'ai prononcé hier avait pour but principal de démontrer que le découvert du trésor ira toujours en croissant tant que le budget des voies et moyens n'offrira pas un excédant de ressources de quelques millions. Cet excédant est nécessaire pour parer aux éventualités qui viennent toujours modifier les prévisions des budgets dans un sens défavorable.
M. le ministre des finances a cru me répondre en disant que l'accroissement successif du déficit provient des crédits extraordinaires que les chambres ont votés en dehors des budgets pour divers travaux publics.
Cette allégation de M. le ministre des finances manque d'exactitude. J'ai sous les yeux le tableau des crédits supplémentaires votés pour l'exercice 1843. Ils s'élèvent à 7,698,675 francs 41 centimes. Le département des travaux publics figure pour 4,716,000 francs, et les autres départements pour trois millions environ.
Je ferai en outre remarquer à M. le ministre des finances que les crédits supplémentaires ne sont pas la seule cause de l'accroissement de déficit produit par l'exercice 1845 ; les recouvrements de cet exercice sont restés en dessous des évaluations de 4 millions, et les économies sur les crédits votés n'ont été que d'un million.
L'insuffisance de cet exercice était, au 1er septembre dernier, de 9,854,191 francs 42 c ; au 1er septembre 1845, M. Mercier n'évaluait cette insuffisance qu'à 2,915,796 fr. 75 c, mais il ajoutait que l'on devrait encore demander des crédits supplémentaires s'élèvent à peu près à cinq millions ; l'évaluation de M. Mercier était donc trop faible d'environ deux millions.
J'ai aussi sous les yeux le tableau des crédits supplémentaires pour l'exercice 1844 ; ils s'élèvent à 6,682,264 fr.54 p., dont 1,816,113 fr. 44 c. seulement pour les travaux publics.
Quand même l'allégation de M. le ministre des finances serait aussi vraie qu'elle est inexacte, quand même la seule cause de l'accroissement du déficit serait dans le vote de crédits relatifs aux travaux publics, qu'en résulterait-il ? Est-ce que le déficit serait moins dangereux pour le pays ? Est-ce que le gouvernement en aurait moins le devoir de proposer des mesures efficaces pour l'empêcher de s'accroître, pour l'éteindre même ?
Je dis à M. le ministre des finances ce que j'ai dit plusieurs fois à ses prédécesseurs. Depuis 1840, il y a eu, pour chaque exercice, des éventualités qui ont aggravé la situation financière de plusieurs millions ; tout porte à croire que des éventualités de même nature se reproduiront pour l'exercice qui va s'ouvrir. Votre devoir est de parer à ces éventualités ; votre devoir est de présenter un budget qui offre un excédant de ressources de plusieurs millions. Vous avez deux moyens d'atteindre ce but : proposer ou de nouveaux impôts, ou des réductions de dépenses. Les prédécesseurs de M. Malou n'ont pas voulu m'écouler ; ils ont été imprévoyants. M. Malou ne veut pas m'écouler non plus ; eh bien, je l'accuse aussi d'imprévoyance.
M. le ministre des finances a, il est vrai, indiqué un autre moyen d'arrêter le déficit. M. le ministre des finances voudrait que les chambres ne votassent plus, en dehors des budgets, des crédits supplémentaires pour les travaux publics, et il m'a en quelque sorte reproché le vote que j'ai émis en faveur du canal de Liège à Maestricht.
Je demanderai d'abord à M. le ministre des finances pourquoi le gouvernement vient nous demander ces crédits supplémentaires ; je lui demanderai comment la chambre aurait pu refuser le crédit que le gouvernement est venu demander pour l'achèvement des travaux du chemin de fer, alors que le gouvernement affirmait que ces travaux étaient nécessaires et urgents.
(page 297) Quant à mon vote en faveur du canal de Liége à Maastricht, je m'en fait honneur. M. le ministre des finances a cru être fort habile en rappelant ce vote, mais il n'a pas songé que le reproche, qui était dans sa pensée, allait directement à l'adresse de son collègue M. le ministre des affaires étrangères, qui a présenté et soutenu le projet de loi.
Je ne suis pas de l'école de M. le ministre des finances qui nous disait il y a quelque temps qu'il fallait faire une halte dans les travaux publics (je ne sais, du reste, si M. le ministre des finances est encore de cet avis aujourd'hui qu'il est au pouvoir, j'en doute un peu), je regarderais, au contraire, une halte dans les travaux publics comme un malheur ; les travaux publics, c'est un des principaux éléments de la prospérité publique ; c'est la vie et l'âme d'un pays.
La chambre a voté le canal de Liège à Maestricht, elle a voté d'autres travaux également utiles, elle a bien fait ; elle en votera encore, et elle fera bien. C'est au gouvernement à prévoir qu'il y aura de ces votes-là dans le courant d'un exercice, et c'est à lui à proposer les moyens d'y faire face.
En résumé, M. Mercier nous disait, en 1840, que l'existence d'une dette flottante de 8 à 10 millions est un grand danger pour un pays, et il avait raison. Comment se fait-il donc que le gouvernement laisse subsister une dette flottante plus considérable ? Comment se fait-il surtout que M. Mercier émette un vote favorable à un budget des voies et moyens qui suppose une dette flottante beaucoup plus forte que celle qu'il regardait comme un grand danger pour le pays ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, en répondant hier à l'honorable M. Delfosse, j'ai voulu le rendre attentif à une distinction qu'il n'avait pas faite, qu'il ne fait pas encore aujourd'hui.
La situation financière est changée depuis l'année dernière, nous le reconnaissons ; mais pour quelle cause est-elle changée ? Et quelles doivent être, et pour le gouvernement et pour les chambres, les mesures à prendre par suite de ce changement ?
D'abord, messieurs, la situation n'est pas changée, parce que depuis deux années, l'on aurait exagéré les évaluations dans les budgets, parce que les recettes n'auraient pas répondu aux prévisions ; elle n'est pas changée non plus, parce que, sur les crédits ordinaires, on aurait dépassé les recettes réelles ; mais elle est changée, parce qu'on a voté une espèce d'emprunt temporaire pour les travaux publics, et jamais, messieurs, il n'a pu entrer dans les intentions, ni du gouvernement, ni de la chambre, de faire couvrir par les revenus ordinaires, par l'impôt, les capitaux qu'on consacre à des travaux d'utilité publique.
Dans le cours de la dernière session, vous avez voté 17 millions de travaux publics extraordinaires ; et maintenant l'on reprocherait au gouvernement le changement intervenu dans la situation financière ! On lui reprocherait de ne pas avoir couvert par les revenus ordinaires ce découvert du trésor ! Mais encore une fois, c'est confondre complétement les revenus de l’Etat affectés aux dépenses courantes, et les capitaux que- vous empruntez, lorsque vous dépensez des sommes aussi considérables en dehors des évaluations portées dans vos budgets, pour des travaux publics.
Ainsi, pour les budgets, d'après la situation du trésor, d'après les recettes constatées, l'exercice 1844 offre un excédant de recette réalisé de 1,341,000 fr comparativement aux prévisions. L'exercice 1845, d’après les faits qui sont connus aujourd'hui et qui ne pouvaient l'être tous au 1er septembre, donnera environ un excédant de 1,500»,000 fr. sur les prévisions des recettes.
L'honorable préopinant parle des crédits supplémentaires qui sont nécessaires pour les exercices en cours d'exécution. Mais ce qu'on perd de vue d'abord, c'est qu'il a été tenu compte de ces éventualités dans la situation même sur laquelle nous raisonnons. Ainsi, pour les exercices en cours d'exécution, en a porté au passif du trésor une somme de 1,500,000 fr. en vue de ces éventualités.
En second lieu, je renouvelle l'observation que j'ai faite hier ; les crédits alloués au budget ne sont jamais dépensés intégralement, il reste en moyenne une somme d'à peu près deux millions, non dépensée.
Les crédits supplémentaires extraordinaires qui ont été votés en 1843 et en 184 i, se reproduiront-ils à l'avenir ? Il ne suffit pas de citer des chiffres ; il faut les analyser, il faut considérer l'origine de chacun de ces chiffres, il faut savoir voir si pour les exercices 1843 et 1844, il ne se trouve pas des capitaux payés parmi les crédits supplémentaires votés. Eh bien, en 1843, vous avez fait, à l'aide d'un crédit supplémentaire, un remboursement de 4,460,000 fr. pour la Sambre canalisée. En 1844, vous avez fait un changement d'imputation de 3,868,000 fr. pour le service de la dette. Ce sont là des faits exceptionnels, qui ne se reproduiront plus à l'avenir ; ce sont, en partie du moins, des revenus consacrés au remboursement de capitaux.
Je ne cite que ces deux chiffres, parce qu'ils sont les plus considérables, et parce qu'ils font voir que l'honorable préopinant, en supposant que chacun des exercices en cours d'exécution, donnera lieu à des demandes de crédits supplémentaires de 4, 5 ou 6 millions, ne tient pas compte de ces faits, n'analyse pas les chiffres sur l'ensemble desquels il raisonne.
Quelle est véritablement la situation ?
L'équilibre existe dans le budget qui vous est soumis ; et dans quelles circonstances existe-t-il ? En présence de dépenses accrues, en présence de ressources qui sont atteintes par la crise que le pays traverse.
Ainsi, dans le budget actuel, je trouve une augmentation de dépense de plus de 600,000 francs pour la magistrature, et pour les commissaires d'arrondissement ; et pour les établissements de bienfaisance, une augmentation à raison des circonstances où le pays se trouve. Le crédit de la dette flottante est porté de 150,000 fr. à 600,000. Dans la situation actuelle, nous maintenons l'équilibre dans notre budget, en faisant face aux intérêts des capitaux que nous avons consacrés à des travaux d'utilité publique. Il y a plus encore ; au budget des travaux publics, nous portons,, pour les routes, un crédit extraordinaire de 4 à 500,000 fr.
Ainsi plus de deux millions qui se trouvent au budget, sont dos dépenses nouvelles, résultant de votes de la chambre. Et cependant, en présence d'évaluations qui sont très modérées, nous conservons entièrement l'équilibre entre les recettes et les dépenses.
Je dis que ces évaluations sont très modérées. Et en effet prenons garde de nous exagérer trop les effets financiers de la crise que nous traversons. Déjà, depuis plusieurs mois, elle se fait sentir ; et cependant, messieurs, nous pouvons le constater par les récoltes réalisées depuis le mois de juin, il ne faut pas trop s'effrayer des effets de cette crise, quant aux revenus de l'année prochaine.
Loin de moi la pensée de dire qu'il n'y a rien à faire pour améliorer notre situation financière ! J'ai une conviction contraire. Jamais, messieurs, je n'ai méconnu l'utilité que pouvaient avoir les travaux publics ; mais dans les observations que j'ai eu l’honneur de présenter hier, je n'ai pas non plus déclaré d'une manière absolue qu'il fallait s'arrêter, qu'il ne fallait plus rien faire ; je me suis borné à faire remarquer qu'en présence de la situation que l'honorable membre signalait lui-même, il y avait, dans notre pensée, plusieurs motifs pour être sobre de dépenses considérables qui viennent aggraver une situation qu'on ne connaît bien que lorsqu'on l'apprécie dans son ensemble. Telle a été ma pensée, et je suis convaincu que la chambre ne l'aura pas interprétée en ce sens qu'il faudrait s'abstenir désormais de tous travaux publics pouvant être utiles au pays.
(page 304) M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, un honorable député de Liège s'est exprimé hier en ces termes dans cette enceinte. « J'avais espéré que le ministre des finances actuel compenserait les griefs politiques, que nous avons contre lui, par des qualités financières, dont nous eussions été heureux de lui tenir compte ; j'avais espéré qu'il aurait le courage de présenter franchement, sans détour, la situation financière, telle qu'elle est, de signaler le mal dans toute sa gravité, et le courage plus grand de proposer le remède. »
Quant à moi, messieurs, je vous avouerai, car je crois que c'est remplir un devoir que de dire ici toute sa pensée ; je vous avouerai, que j'ai éprouvé aussi un sentiment pénible, je dirai plus, un désappointement, lorsque j'ai parcouru pour la première fois nos budgets des dépenses et les voies et moyens destinés à les couvrir.
En effet, j'augurais mieux de l'exercice, qui va s'ouvrir, j'espérais mieux de la situation de nos finances dirigées par un honorable collègue dont j'ai souvent admiré la fermeté de caractère et la haute intelligence.
Depuis lors, la réflexion m'a fait comprendre que M. le ministre des finances était appelé depuis trop peu de temps aux affaires, qu'il y avait été appelé dans des circonstances trop défavorables, pour pouvoir le rendre responsable d'une situation dont il n'a pas encore eu le temps de s'emparer.
Comment aurait dû agir le ministre des finances pour nous faire une position moins tendue, moins précaire ?
L'honorable M. Delfosse nous l'a dit hier, il aurait dû, ou augmenter les recettes, ou diminuer les dépenses.
Majorer les recettes ; nous conviendrons tous autant que nous sommes, qu'il ne pouvait en être question pour le moment.
Diminuer les dépenses ; mais le chef du département des finances n'est pas de droit, comme en Angleterre, le chef du cabinet.
Il n'a pas à discuter comme le premier lord de la trésorerie anglaise, de concert avec un conseil de trésorerie, les besoins de ses collègues ; il ne fixe pas les propositions de crédits.
Cela se passe tout différemment en Belgique ; lors de la formation des budgets, chaque chef de département détermine lui-même ses propositions de dépenses, il tâche d'obtenir la part la plus large dans la distribution du trésor public.
Le ministre des finances peut tout au plus hasarder quelques représentations sur l'appétit désordonné de ses collègues.
Je ne pense pas que nous puissions songer, pour le moment au moins, à introduire des usages semblables.
C’est donc à la législature, c'est à nous, que le devoir incombe de témoigner avec énergie la volonté de sortir de la voie où nous nous traînons péniblement depuis tant d'années.
Nous devons déclarer au cabinet, que notre appui ne lui est acquis qu'à une condition, c'est qu'il prenne l'engagement de ne nous proposer à l'avenir que des combinaisons de dépenses et de recettes de nature à réduire la dette flottante au lieu de l'augmenter.
Nous espérons que le ministre des finances s'engagera à déposer les budgets des dépenses à une époque qui permettra de les discuter avant ceux des recettes.
Puissions-nous, à l'avenir, avoir terminé les questions qui concernent noire ménage financier avant la fin de l'année ! Puissions-nous consacrer aux améliorations, que réclame le pays, l'époque la plus favorable à leur examen !
J'espère que le cabinet n'hésitera pas à prendre ces engagements, et s'il les remplit, je lui souhaiterai une existence qui lui permettra d'étudier et d'améliorer notre système d'impôts, d étudier et de réduire noire système de dépenses.
Je me repose avec confiance sur l'activité et le dévouement qui distinguent le chef de l'administration des finances.
J'aime à compter sur d heureux résultats, s'il reste ce qu'il était, lorsqu'il siégeait sur nos bancs.
J'espère donc mieux pour l'avenir, pourvu toutefois que nous nous aidions nous-mêmes ; cette garantie me semble indispensable, mais quant à présent, que nous reste-t-il à faire pour prévenir le découvert qui se prépare pour la clôture de l'exercice 1846 ?
Je pense qu'il ne nous reste qu'à réduire les dépenses, car les ressources seront insuffisantes pour couvrir celles qu'on nous propose.
La section centrale a examiné les prévisions de recettes avec la plus scrupuleuse attention.
Cet examen l'a convaincue de la nécessité de réduire leurs prévisions.
Elle n'a pas reculé devant ce droit, bien qu'il en résultât un excédant de dépense, parce qu'elle a pensé, que c'était rendre un mauvais service au pays que de le bercer d'illusions ; parce qu'elle a cru que c'était un mauvais calcul que de s'étourdir sur l'avenir.
C'est une manière de vous faire comprendre combien l'équilibre est périlleux, puisqu'il suffit d'une réduction de 400,000 fr. sur 2 articles, dont les recettes ne sont rien moins que certaines, pour amener un découvert.
La chambre comprendra qu'un équilibre rigoureux exigeait une estimation rigoureuse ; et je n'ai qu'une crainte, c'est que nos estimations n'aient été trop larges encore.
D'ailleurs, le vote de la section centrale ne nuira en rien aux recettes, puisqu'il n'atteint pas les tarifs.
Ce que nous désirons le plus, c'est de nous être trompes.
Vous comprendrez, je le répète, messieurs, que le seul remède efficace à une situation de ce genre, c'est de diminuer les dépenses, c'est de rejeter plusieurs majorations qu'on vous propose.
J'ai jeté un coup d'œil rapide sur nos dépenses, et j'estime qu'il en est pour 5 ou 600,000 francs qui sont susceptibles au moins d'être ajournées.
Je vais avoir recours au discours préliminaire de M. le ministre des finances.
Le budget de l'intérieur a reçu plusieurs augmentations : Les principales ont pour objet ; la première partie des frais d'un recensement général, fr. 45,000.
(page 305) Le personnel ou le matériel des administrations provinciales, fr. 20,360.
L'organisation plus complète du service civil de santé, fr. 56,300.
L'école vétérinaire et d'agriculture, fr. 28,920.
L'instruction moyenne, fr. 14,700.
L'Académie des sciences et belles-lettres, fr. 10,000.
Le musée d'histoire naturelle, fr. 20,850.
Le Conservatoire de musique de Liège, fr. 7,000.
Ce qui fait un total de fr. 211,130.
Il me semble qu'il est plusieurs de ces dépenses qu'il serait possible d'ajourner.
Je ferai observer ensuite que la direction de l'industrie et du commerce a été transférée au département des affaires étrangères. On propose à cause de ce changement une majoration de 13,700 fr. en faveur du département des affairés étrangères pour le personnel et le matériel ; je ne trouve pas qu'on ait diminue de pareille somme, le crédit nécessaire pour le personnel du ministère de l'intérieur. Le résultat de toutes ces modifications dans les attributions des départements ministériels, est toujours en définitive une majoration de dépense.
Si je passe ensuite au département des travaux publics, j'y trouve une somme de 400 mille fr. pour constructions de routes nouvelles et l'on motive cette proposition, je pense, sur ce qu'il y a lieu de donner de l'ouvrage à la classe ouvrière. Je trouve qu'il est fort bien de donner de l'ouvrage à la classe ouvrière qui en a besoin, et j'appuierai toujours des travaux faits dans ce but.
Mais je crains qu'on ne se serve de ce prétexte pour nous faire voter des dépenses nouvelles. Nous avons voté il y a à peine 5 ou 6 mois 15 millions environ destinés à des travaux publics.
Nous avons voté des canaux dans la Campine, des canaux dans la province de Liège et des travaux de chemin de fer ; il ne faut pas se le dissimuler, l'ouvrage ne manque pas autant qu'on le pense aux ouvriers dans la plupart de nos provinces (Réclamations.)
Dans la province de Liège il est des ouvriers qui gagnent jusqu'à 4 fr. 50 par jour, et l'on fait usage d'ouvriers allemands. En Campine on se sert d'ouvriers hollandais !
Je conviens qu'il est deux provinces où les ouvriers souffrent beaucoup, ce sont les deux Flandres. Qu'on propose des travaux pour ces provinces, je les voterai avec le plus grand plaisir.
Maintenant, messieurs, je demanderai encore un moment d'attention. Je désire adresser quelques mois à quelques honorables membres qui ont parlé dans la séance d'hier.
Le ministre des finances a déclaré qu'il fallait apprécier ses estimations dans leur ensemble ; qu'il était resté en dessous de certaines bases. Je souhaite ardemment que ses prévisions se réalisent ; mais vous conviendrez que le rôle de la section centrale n'était pas d'augmenter les estimations du ministre ; la section centrale a pu abandonner ce soin à l'administration des finances.
L'honorable M. Eloy de Burdinne, en abordant le travail de la section centrale d'une manière assez peu bienveillante, a dit : On devait s'attendre à ce que l'augmentation obtenue dans deux de nos provinces, du chef de l'impôt foncier, eût servi à dégrever les autres.
Je lui répondrai que je m'attendais, de sa part, à un généreux abandon de ce produit pour le trésor, qui en a un grand besoin. L'honorable député de Waremme aurait dû se rappeler que, dans la séance du 20 janvier dernier, il a tenu le langage suivant : il s'agissait du vote du projet de loi de péréquation générale de la contribution foncière pour une année.
« Un seul motif, disait l'honorable M. Eloy, me fait pencher à voter cette augmentation ; c'est l'espoir que le montant de cette augmentation sera voté en dépense au budget de l'intérieur et destiné à l'amélioration des chemins vicinaux.»
Eh bien ! qu'est-il arrivé ? La chambre a majoré le crédit destiné aux chemins vicinaux et l'a porté à 300,000 fr. Nous savons tous que l'honorable député a beaucoup contribué à l'adoption de ce crédit.
Le même honorable collègue a dit ironiquement, que la section centrale avait sans doute trouvé, que la remise de 3 centimes additionnels extraordinaires, était un trop grand cadeau pour l'agriculture.
La section centrale comprend toute l'importance de l'agriculture, elle comprend quels égards elle mérite, et elle compatit à ses maux. Mais elle n'a pu se dissimuler, que l'agriculture était celui des éléments de nos richesses qui avait le moins à se plaindre pour le moment.
Il n'est pas nécessaire d'étudier l'agriculture d'après nature pour apprécier cette situation ; il suffit d'être consommateur de ses produits, et de comparer le prix du pain à Bruxelles avec ce qu'il se vend à Paris. Car la récolte n'a pas été meilleure en France qu'en Belgique.
L'honorable M. Verhaegen s'est plaint de ce que la section centrale ne se soit pas occupée de l'assiette de l'impôt ; il aurait désiré de nous des études sur cette matière. Il me permettra de lui faire observer que nous avons eu peu de jours pour examiner le tableau des produits qui alimentent le trésor public, que l'époque de l'année exigeait que le rapport fût promptement déposé.
D'ailleurs les éléments d'études semblables nous font complétement défaut.
Pour étudier dans ce but d'amélioration notre système d'impôts, il faudrait que le gouvernement publiât annuellement un compte détaillé des recettes, semblable à celui que publie le gouvernement français par suite de l'article 10 de la loi du 9 juillet 1836 ; ce compte fait connaître par branche de revenu, par nature de perception, les droits constatés, les recouvrements effectués ainsi que les soldes restant à recouvrer à l'époque de la clôture de l'exercice ; il contient des développements administratifs nécessaires pour faire connaître les valeurs, matières ou quantités, qui ont été soumises à l'application des tarifs, et qui ont déterminé le montant des droits perçus par le trésor public.
Les tableaux concernant les patentes accompagnés de notes explicatives annexés au rapport de la section centrale, peuvent faire comprendre l'utilité des développements administratifs publics chez nos voisins.
Si le gouvernement ne publiait que de la statistique de ce genre on ne critiquerait pas les dépenses que ses travaux occasionnent.
D'ailleurs, la section centrale, qui a examiné le projet de loi de comptabilité, a inséré une disposition nouvelle, qui en fera un devoir au gouvernement, si elle est adoptée ; j'espère que j'aurai alors l'appui de l'honorable député de Bruxelles.
Il me reste encore deux mots à adresser à cet honorable député.
Hier l'honorable M. Verhaegen, après s'être étendu longuement sur les injustices dont fourmillent, d'après lui, nos lois d'impôt, voulait que l'on imposât une patente aux propriétaires.
Je me permis, à ce propos, de l'interrompre, et je lui rappelai qu'il oubliait les avocats, qu'il devrait les comprendre dans ses propositions.
Ce matin en parcourant le Moniteur, je n'ai retrouvé ni l'interruption, ni les paroles qu'elle a provoquées, et qui, si je ne me trompe, tendaient à réparer cet oubli.
Je le regrette, car je liens beaucoup à ce que le Moniteur rende un compte fidèle de ce qui se dit dans cette chambre, et surtout des discours de l'honorable député de Bruxelles.
Je terminerai ici ce que j'avais à dire dans la discussion générale.
(page 297) M. Eloy de Burdinne. - En vue d'abréger la discussion générale sur le budget des voies et moyens, je me suis borné à faire quelques observations le plus laconiquement qu'il m'a été possible, dam la séance précédente.
Les discours qui ont été prononcés, après que j'eus parlé, ne me permettent pas de garder le silence.
Un honorable collègue a signalé la propriété comme favorisée dans les impôts ; ce n'est pas le propriétaire, a-t-il dit, qui paye les impôts fonciers, c'est le locataire. Je suis d'accord avec cet honorable collègue. C'est le locataire qui a payé à la décharge du propriétaire qui impose cette obligation dans le bail de location ; le repreneur a loué à raison de l'impôt foncier mis à sa charge, c'est-à-dire que si cette charge ne lui avait pas été imposée par son bail, il aurait payé le montant de la contribution foncière en sus du prix du rendage établi dans le bail de location.
Les propriétaires, d'après l'opinion de l'honorable membre auquel je fais allusion, ne payent pas ou presque pas d'impôt à l'Etat.
Si cet honorable collègue avait examiné attentivement le budget des voies et moyens, en attribuant à toutes les classes de la société la part qu'elles payent dans les 85,078,750 francs d'impôt, il aurait reconnu comme moi que la propriété paye :
1° intégralement l'impôt foncier ;
2° A peu près intégralement, les droits d'enregistrement et de mutations ;
3° Et les trois quarts des autres impôts, si j'en excepte les patentes, dont il paye indirectement une certaine quotité en consommant des marchandises que vend le commerce, lequel ne manque pas de faire figurer le montant de la patente dans le prix du revient de la marchandise qu'il vend aux consommateurs à raison de 10 p. c. de bénéfices, et plus, quand il lui est possible.
Somme ronde, la propriété représentée par le propriétaire, paye plus des 13/16 des impôts en Belgique, tant directement qu'indirectement ; c'est ce que j'ai démontré l'année dernière lors de la discussion du budget des voies et moyens, si ma mémoire est fidèle.
Mes calculs n'ont pas été contestés, donc ils restent debout.
Il paraît qu'on ne tient pas compte des faits que j'ai signalés. Si on croit qu'il y a exagération dans mes chiffres, qu'on les attaque et je répondrai. Mais pour détruire mes chiffres on se contente de signaler les propriétaires comme ne payant pas ou presque pas d'impôt à l'Etat.
Voilà les réponses qu'on me donne. J'ai aussi établi par des chiffres que la propriété en Belgique contribuait dans les impôts à raison de 46 p. c. du revenu établi par le cadastre, et si la propriété paye- cette quotité dans l'es impôts, me dira-t-on que ce n'est pas le propriétaire qui paye, mais bien la propriété, comme on nous a dit que l'impôt foncier n'était pas à la charge du propriétaire mais bien à la charge du fermier, ? Il est déplorable de voir combien la position des grands propriétaires belges est enviée par ceux même qui sont propriétaires sur une moindre échelle.
Ah ! croyez-moi, ne perdez pas de vue que de la propriété territoriale dépend la prospérité du commerce et des diverses industries de là Belgique.
La vraie richesse en Belgique, c'est la propriété ; le véritable Belge, c'est le propriétaire. L'industriel, le commerçant, s'ils ne sont pas propriétaires, sont à mes yeux des cosmopolites ; ils ne tiennent à la patrie qu'autant qu'ils vivent des propriétaires en leur vendant les produits de leur industrie et de leur commerce. Personne ne doute, que je sache, que si la propriété se trouvait dans un état de détresse, l'on verrait déserter l'industrie manufacturière en grande partie et le haut commerce, comme font les hirondelles au moment d'une gelée de septembre.
Dans la séance du 18, on s'est plaint de la loi sur la contribution personnelle.
On a regretté le retrait du projet de l'honorable M. Smits, alors ministre des finances.
Je suis loin d'être satisfait de la loi personnelle qui nous régit, mais j'applaudis au retrait d'une loi qui imposait les chevaux du cultivateur : comme si la propriété n'était déjà pas trop surchargée d'impôts.
(page 298) Dans tous les cas, si elle avait subi l'épreuve d'une discussion, elle aurait eu le sort qu'elle méritait, et je ne doute pas qu'elle n'eût été rejetée par plus des trois quarts des membres de la chambre.
Et croyez-moi, messieurs, ne grossissons pas notre budget des voies et moyens ; loin de là, tâchons de réduire l'impôt foncier en principal, réformons les centimes additionnels.
La position fâcheuse où se trouve l'agriculture, nous en impose le devoir.
Je désirerais voir également l'impôt sur le sel réduit, et, j'en suis persuadé, en le réduisant de moitié le trésor perdrait peu, si toutefois il éprouvait une perte par la grande consommation qu'on en ferait pour la santé du bétail.
En demandant une réduction d'impôt en faveur de l'agriculture, les partisans de la dépense ne manqueront pas de m'objecter que les besoins du trésor ne permettent pas de réduire les recettes.
La nécessité n'a pas de loi sans doute.
Sans doute, elle n'a pas de loi. Les dépenses indispensables doivent être faites ; mais dans un état de pénurie on peut, je dirai même on doit, ajourner les dépenses utiles, on ne doit faire que celles d'une nécessité absolue et chercher un moyen d'économie, pour soulager la partie de la nation qui se trouve en souffrance. Et cette économie, je la réclame d'avance dans la discussion des budgets de dépenses.
Dans un moment de détresse ou de pénurie, l'homme prudent réduit sa dépense pour établir l'équilibre avec sa recette. Dans un moment calamiteux, tel que celui qui accable l'Europe tout entière, l'homme philanthrope fait des économies sur sa recette en réformant les dépenses utiles et même jusqu'à certain point nécessaires, afin d'être à même de donner du travail à la classe ouvrière et de venir au secours de la veuve et de l'orphelin.
Si l'homme privé se conduit ainsi, à plus forte raison un gouvernement tel qu'est le nôtre ne devrait-il pas suivre ce bel exemple ? Que dis-je ! Il devrait être le premier à adopter ce principe ; il devrait être le modèle de cet acte philanthropique, afin d'encourager la charité publique à suivre cet exemple.
J'aime à croire que dans la discussion des budgets de dépenses, nous ferons des économies sur des propositions d'utilité secondaire, afin d'obtenir une réserve que nous emploierons à donner de l'ouvrage à la classe ouvrière, au moyen de constructions de routes, tant de grande communication que vicinales, et en venant au secours des bureaux de bienfaisance.
Tels sont mes intentions et mes désirs. Je fais des vœux pour ne pas être déçu dans mon attente.
J'aurai l'honneur de répondre à l'honorable collègue de la section centrale qui a voulu me mettre en contradiction avec ce que j'ai dit à la dernière session.
Messieurs, l'année dernière, j'ai combattu l'augmentation du contingent de la contribution foncière, l'augmentation que devaient subir les provinces de Limbourg et de Luxembourg ; mais j'ai bien vu que je perdrais mon temps et que je m'époumonerais inutilement en soutenant ma thèse ; j'ai vu qu'on ne voulait pas suivre la règle qui a été adoptée quand nous avons fait la péréquation des sept autres provinces ; qu'on voulait, en un mot, augmenter l'impôt foncier et qu'on se refusait à dégrever les provinces qui avaient été surchargées après les opérations cadastrales. Après cela, dit l'honorable rapporteur, cet honorable membre est venu dire qu'il acquiesçait à ce que cette augmentation du contingent de ces provinces tournât au profit du trésor ; mais c'était à condition que cet excédant fût employé à des constructions de chemins vicinaux. Eh bien, messieurs, j'ai été déçu dans mes espérances. Cette somme a-t-elle reçu cette destination ?
M. de Man d’Attenrode. - On a voté 300,000 fr. au budget de l'intérieur.
M. Eloy de Burdinne. - Combien la propriété foncière a-t-elle subi d'augmentation ? Je crois que c'est 600 mille francs. Eh bien, on n'a pas accordé 300 mille francs en plus pour les chemins vicinaux, mais 200 mille francs. Nous voyez que je suis conséquent avec moi-même. J'ai été trompé dans mon attente en croyant qu'en votant cette augmentation elle serait employée intégralement à l'amélioration de la voirie vicinale.
M. de Man d’Attenrode. - Vous n'avez pas dit intégralement !
M. Eloy de Burdinne. - Ah, je n'ai pas dit intégralement ! Mais j'ai dit que la somme serait employée à l'amélioration des chemins vicinaux. C'est une plaisanterie.
Je terminerai là la réponse que j'avais à faire à l'honorable membre.
L'honorable ministre des finances nous annonce qu'il a l'espoir que les recettes présenteront un excédant de 1,500 mille fr. sur les prévisions. Je prie la chambre de ne pas trop compter sur cette augmentation de recette. Il est vrai que depuis le mois de juin jusqu'à la fin de l'année, les recettes n'auront probablement pas diminué ; mais ne croyez pas que, pendant l'année 1840, les recettes sur les accises et d'autres objets pourront s'élever autant que l'année dernière ; si nous obtenons le même montant en 1846 qu'en 1845, nous aurons à nous louer ; mais sur l'excédant, il ne faut pas y compter. Quanta moi, au lieu d'un excédant de 1,500 mille francs, je crains une diminution de 1,500 mille francs à 2 millions. C'est pourquoi j'engage la chambre à ne pas faire de dépense imputée sur cet excédant qui n'est hypothèque que sur des brouillards.
M. de La Coste. - Messieurs, j'apprécie trop la position souvent difficile de nos rapporteurs, je suis pour ma part trop reconnaissant des soins que l’honorable baron de Man met à l'éclaircissement de notre situation financière, pour vouloir me ranger au nombre des adversaires qu'il a rencontras et qu'il peut rencontrer encore dans cette discussion. Tel n'est point mon but ; mais tout en admettant avec lui que la situation de la Flandre a très particulièrement droit à notre attention, je ne puis reconnaître que, dans d'autres parties du royaume, l'ouvrage soit généralement aussi abondant qu'il semble le croire. J'ai reçu encore très récemment des renseignements sur la situation des campagnes dans une partie de notre pays à laquelle l'honorable baron de Man porte comme moi un très vif intérêt ; j'ai appris qu'il s'y forme des associations, des bandes de paysans pauvres, qui, manquant de subsistances, les cherchent dans les campagnes d'une manière misérable et précaire et qui pourrait devenir coupable.
Je pense qu'il est nécessaire de leur donner de l'ouvrage autant que cela se trouvera possible. Je voudrais même que les travaux à faire dans cette contrée fussent réservés à ses habitants. Ceci peut se faire, quand on procède par régie. Autant que les intérêts du trésor le permettront, je désire donc que ce moyen soit employé ; car, quand on fait venir des ouvriers de l'Allemagne et de la Hollande, un but, il est vrai, est atteint, celui de créer de grandes communications, des ouvrages d'utilité publique ; mais l'intention de venir au secours de la classe ouvrière ne se réalise point et alors ce n'est plus là qu'un prétexte pour obtenir les ouvrages qu'on désire. Pour que le but soit réellement, complétement atteint, il faudrait qu'on employât les habitants du pays, principalement ceux de la localité, afin qu'ils n'aient pas à se transporter à de grandes distances, laissant leur famille peut-être dans la misère, tandis qu'ils auraient un superflu dont ils abuseraient.
On a soulevé dans cette discussion de graves questions, sur lesquelles je ne m'étendrai pas ; car elles ont été traitées de part et d'autre de telle manière, qu'en voulant y revenir, je m'exposerais à des redites.
Cependant il est un côté de ces questions qui ne me paraît pas avoir appelé l'attention des précédents orateurs.
On a dit qu'il y a deux manières d'améliorer notre situation financière ; un accroissement d'impôt, ou une diminution de dépenses.
Je crois qu'il, y a une troisième manière : c'est l'accroissement de la matière imposable, en d'autres termes l'accroissement de la richesse publique.
C'est principalement à ce point de vue que je diffère d'un honorable député de Bruxelles. Je ne reviendrai pas sur toutes les questions qu'il a traitées ; nous nous sommes trouvés quelquefois en désaccord à ce sujet. Il est inutile de répéter ce qui a été dit.
Mais, à mes yeux, lorsqu'il s'agit de ressources à créer pour le trésor, c'est surtout leur effet sur la valeur imposable, sur la richesse publique qu'il faut considérer.
Or, messieurs, c'est un des grands fondements de la prospérité publique que ces garanties dont jouit la propriété, la fortune privée, et quant à l'acquisition, et quant à la possession et la jouissance, et quant à la transmission ; je redouterais tout ce qui tendrait à ébranler, à atténuer ces garanties. Je suis loin d'accuser l'honorable député de Bruxelles de vouloir, de gaieté de cœur, sciemment, ébranler ces garanties ; mais j'aperçois une semblable tendance dans des mesures qui soumettraient la propriété, la fortune privée, dans son acquisition, sa possession, sa transmission, à des surcharges progressives, onéreuses, quelquefois exorbitantes. Ce n'est pas dans l'intérêt égoïste des propriétaires, c'est dans l'intérêt de la société que je les repousse.
Eh, messieurs, cette supériorité qu'a la race européenne sur tout le reste du globe, cette supériorité qui fait de l'Europe la maîtresse du monde, tient à quelques principes d'un ordre très élevé, à cet esprit de la liberté qui nous anime ; mais aussi au régime de la propriété.
Messieurs, ce principe que je viens d'énoncer, ce n'est point à la propriété seule que je veux qu'il soit appliqué ; je l'invoque également en faveur de l'industrie, et je viens réclamer son application à une industrie qui semble de nouveau menacée. Nous voyons en effet dans l'exposé de M. le ministre des finances que, selon lui, la loi sur l'accise des bières présente une lacune, qu'elle est altérée dans une de ses bases essentielles.
Je découvre là, messieurs, une nouvelle tendance à surcharger cette industrie, qui, comme le disait l'honorable M. Rodenbach dans une de nos dernières séances, produit une valeur de 8 millions, qui occupe des bras à proportion, et qui verse au trésor 6 à 7 millions.
Messieurs, il y a effectivement une décroissance dans cette accise, et une semblable décroissance est pour ainsi dire inévitable ; car, quelle que soit, la base de la loi, toute industrie qui est assujettie à une accise, se met toujours dans ses procédés en rapport avec le régime de la loi, de manière à en sentir moins le poids.
Mais, messieurs, d'autres causes concourent à ce résultat, et je voudrais qu'on s'occupât non pas uniquement à frapper cette industrie, à la faire payer plus au trésor, mais aussi à la faire prospérer. Alors mon principe recevrait une application : de l'accroissement de la matière imposable résulterait un accroissement de revenus pour le trésor.
Messieurs, il semble réellement qu'il y ait dans les industries une classification, qu'il y ait une aristocratie destinée à absorber les faveurs, et des prolétaires qui doivent supporter toutes les charges.
Je vous demanderai ce que vous avez fait pour cette industrie. Dans quels traités vous êtes-vous occupé d'elle ? Vous admettez des faveurs pour les boissons qui proviennent de l'étranger ; mais lui demandez-vous une réciprocité ? Avez-vous demande une réciprocité à la France ? Vous êtes-vous occupé de cette industrie dans votre traité avec les Etats-Unis ? Ici, toutefois, vous avez une excuse ; il n'y a rien de spécial pour aucune industrie. Mais dans vos négociations avec la Hollande, pensez-vous aux intérêts de celle-ci ? Ce serait, messieurs, une concession facile, je crois, à obtenir des puissances avec lesquelles nous traitons ; ce serait une légère compensation de leur part, pour les concessions assez larges que nous leur faisons d'ordinaire.
(page 299) Si l'exportation des bières était favorisée par nos traités avec le Zollverein, avec la France, avec la Hollande ; si, en outre, dans la restitution des droits à la sortie, on procédait avec un peu de cette faveur, dont l'exportation d'autres produits est l'objet, vous placeriez à l'étranger des quantités de bières assez considérables, ce qui, en stimulant la prospérité de cette industrie, augmenterait, par conséquent, la matière imposable.
Un autre moyen, messieurs, d'atteindre le même but, c'est celui que j'ai souvent signalé, que j'ai développé à la chambre longuement, trop longuement peut-être,, mais sur lequel on me permettra de revenir aussi souvent que l'occasion s'en présentera.
Messieurs, je vous parlais tout à l'heure des traités. Quelques-unes de nos industries, malgré tous nos efforts, rencontrent à l'étranger cette muraille de la Chine dont parlait M. le ministre des finances, de grands obstacles du moins, des lignes de douane difficiles à franchir. Mais il en est parmi ces industries, et entre autres celle dont je parle, qui rencontrent de plus ces lignes de douane au cœur du pays, aux portes de chaque ville. Là encore des droits protecteurs, des droits prohibitifs les repoussent.
Je ne saurais assez fixer l'attention du gouvernement sur les abus de cette nature, abus qui vont toujours croissant. Ainsi, messieurs, récemment encore, dans le conseil municipal de Verviers on a fait la proposition de mettre un droit d'octroi à l'entrée des fontes ouvrées. Vous voyez que ce n'est pas seulement de l'industrie des bières qu'il s'agit ; toutes les industries sont menacées. Chaque ville devient un petit Etat qui a sa ligne de douane et qui exclut les produits des autres villes.
Messieurs, nos diplomates ne croiraient-ils pas avoir remporté une victoire de quelque importance, s'ils obtenaient l'entrée pour nos marchandises dans quelques petits Etats contenant un à deux millions d'habitants ? Ce serait déjà un résultat dont nous serions reconnaissant. Mais, messieurs, au sein même du pays et sous les yeux du gouvernement, une population d'un million d'habitants, d'habitants qui comptent parmi les plus riches en Europe, ferment leurs portes à nos produits, proscrivent tantôt les bières d'autres villes, tantôt l'ébénisterie, tantôt la fonte ouvrée !
On peut certes arrêter les progrès de ces abus en refusant de sanctionner les changements proposés. Mais il faudrait être conséquent. Or les motifs pour lesquels on a demandé à Verviers une taxe sur les fers ouvrés sont précisément les mêmes pour lesquels à Bruxelles on maintient sur les bières fabriquées ailleurs une surcharge de 100 p.c., et qu'on peut même évaluer beaucoup plus haut, un droit destiné non pas à enrichir la caisse de la ville, à la mettre en état de faire face à ses dépenses, mais à faire l'office d'un droit protecteur, d'un droit prohibitif
Pour l'ébénisterie, messieurs, on peut dire que dans certaines villes, le travail, la main d'œuvre des autres villes paye un droit de 15 p. c. Car si j'ai bonne mémoire, on y perçoit un droit de 5 p. c. sur les bois non ouvrés et un droit de 10 p. c. sur les bois ouvrés. Ainsi, supposez que dans un meuble il y ait une valeur de 100 francs en bois et une valeur de 100 francs en main-d'œuvre, il payera 20 francs au lieu de 5 qu'aurait acquitté le bois ; c'est donc 15 francs qui sont dus pour la main d'œuvre.
Mais je m'aperçois, messieurs, que je sors de mon sujet. Je ne devais parler que des objets sujets à l'accise. J'ai voulu toutefois vous montrer que ma réclamation n'était point faite à un point de vue local, mais dans l'intérêt général de l'industrie.
Messieurs, cette réclamation n'est pas ici hors de saison ; elle pourra encore être renouvelée dans d'autres occasions ; mais elle est si peu hors de saison ici, que je ne fais que répéter en partie, en y ajoutant cependant d'autres considérations, ce que vous a dit, dans une session précédente, l'honorable M. Mercier, lors de la discussion du budget des voies et moyens. Il a considère la charge des octrois tombant sur les objets soumis à l’accise comme ayant une tendance incontestable à diminuer les revenus de l'Etat.
M. Mercier. - Un député de Liège nous a rappelé qu'en plusieurs occasions il avait émis l'opinion qu'il ne suffisait pas d'obtenir un équilibre rigoureux entre les recettes et les dépenses, mais que pour parvenir à une situation régulière il fallait un excédant de ressources de plusieurs millions. L'honorable membre a ajouté qu'il avait en vain signalé les inconvénients d'un tel état de choses, que le gouvernement n'avait pas voulu le croire ; en cela l’honorable membre s'est trompé ; qu'il me soit permis de lui faire remarquer qu'organe du gouvernement, lorsque j'avais l'honneur de siéger au banc des ministres, j'ai précisément tenu le même langage ; que des efforts divers ont été faits pour obtenir le résultat qu'il indique ; que tous n'ont pas été couronnés de succès et que c'est à cette circonstance qu'il faut attribuer l'exiguïté de l'excédant des recettes sur les dépenses. Le gouvernement avait pensé que l'on pouvait augmenter dans une proportion modérée les droits sur le café et sur le tabac, objets imposés ailleurs de dix et vingt fois au-delà du taux de la taxe perçue en Belgique. La chambre en a décidé autrement.
L'on a déjà atteint un grand but en établissant l'équilibre financier ; mais fidèle à ce que j'ai toujours soutenu dans cette enceinte, je suis d'accord avec l'honorable membre sur ce point qu'à moins d'une amélioration notable dans les produits des impôts actuels, il faudra aviser à créer quelques ressources nouvelles. Je partage l'opinion de l'honorable membre sur ce point. Il n'en est pas de même en ce qui concerne l'exposé un peu sombre qu'il a fait de la situation financière, ni quant aux résultats généraux ni quant aux détails dans lesquels il est entré. Ainsi que je l'ai déjà fait observer, l'honorable membre n'a pas tenu compte des crédits accordés pour des dépenses qui ont pour objet la création ou l'extension d'un domaine national ; les dépenses faites pour l'exécution de travaux publics, se retrouvent en nouvelles valeurs appartenant à l'Etat. C'est une simple transformation.
L'honorable M. Delfosse, dans la séance d'hier, a fait remarquer que, d'après l'exposé de la situation financière de 1844, le déficit n'était que de 7 millions, tandis qu'il est maintenant porté à 14 millions et demi. Donnant ensuite carrière aux éventualités, il suppose que, par suite des crédits qui pourront être demandés par la suite, ce chiffre s'élèvera à 20 millions. (Interruption.)
Comme il nous serait difficile de lire dans l'avenir, je m'en tiens aux faits accomplis, c'est-à-dire, au chiffre de 14 1/2 millions cité par l'honorable membre ; on peut d'ailleurs admettre que cette insuffisance n'augmentera pas, car si des crédits supplémentaires peuvent être demandés pour des dépenses ordinaires, il y aura aussi des économies comme il s'en fait chaque année sur les budgets des dépendes ; la modération avec laquelle les évaluations des recettes ont été opérées pendant les deux dernières années fait présumer que les prévisions seront dépassées d'environ deux millions. Ce fait, il faut l'espérer, se renouvellera encore par la suite.
L'honorable membre fonde ses reproches sur ce que le déficit de 7 millions que j'ai constaté en exposant la situation du trésor en 1844, s'élèverait aujourd'hui à 14 millions et 1/2.
Eh bien, messieurs, les crédits qui ont été votés dans les premiers mois de cette année, crédits que j'ai énumérés dans notre séance d'hier, montent ensemble à 13 millions et demi ; le découvert de 7 millions que j'ai signalé au mois de novembre de l'année dernière ne serait donc plus aujourd'hui que d'un million environ, si le gouvernement et les chambres n'avaient pas trouvé qu'il fut de l'intérêt du pays de compléter nos chemins de fer et de creuser de nouveaux canaux. Ainsi la situation financière se trouverait considérablement améliorée en suivant le raisonnement de l'honorable membre, sauf à tenir compte des dépenses transformées en d'autres valeurs. Je ne puis trop insister sur cette observation, que citer des chiffres sans les expliquer c'est dire la vérité, mais ce n'est pas dire toute la vérité ; l'honorable membre aurait, sans le vouloir, pu donnera la chambre et au pays une opinion très fausse de notre situation financière par le simple énoncé de l'aggravation du chiffre de la dette flottante.
Je crois, messieurs, devoir entrer dans quelques détails très courts sur les chiffres cités par l'honorable M. Delfosse.
L'honorable membre, en parlant de l'exercice de 1841, s'est récrié sur l'augmentation du chiffre de la dépense qu'il présentait.
Eh bien, messieurs, maintes fois dans cette enceinte j'ai indiqué la cause de cette augmentation apparente ; ce résultat ne provient ni d'une augmentation de dépenses, ni d'une diminution de revenus ; il est dû à une simple régularisation de comptabilité.
Précédemment les crédits accordés pour la dette publique étaient imputées sur l'exercice pendant lequel avait lieu l'échéance de la rente ; la chambre, d'accord avec le gouvernement, a jugé que ce mode n'était pas régulier et qu'il convenait de régler l'imputation des semestres de la rente au prorata du temps écoulé sur chaque exercice. Cette rectification a fait reporter une dépense de 10,726,000 fr. sur l'exercice 1841, qui a ainsi supporté deux fois une partie des dépenses relatives à la dette publique, sans que ces dépenses aient réellement été augmentées d'un centime.
Je pourrais donner d'autres explications encore sur l'exercice de 1841 et achever la démonstration qu'aucun crédit ordinaire n'a aggravé la situation ; mais j'en ai dit assez pour réduire à néant les observations qui ont été faites en ce qui le concerne.
Quant à l'exercice 1843, je n'établirai pas la comparaison que l'honorable M. Delfosse a faite entre la balance établie lors de la présentation du budget de cet exercice et le résultat actuel ; je ne suis responsable que des chiffres que j'ai posés moi-même.
L'insuffisance des ressources de l'exercice 1843, selon l'exposé que j'ai présenté de la situation du trésor au 1er septembre 1844, était de 3,813,000 francs ; elle s'est accrue de différentes sommes qui déjà figuraient dans la situation générale du trésor, mais qui n'avaient pas encore reçu d'imputation d'exercice ; il est à remarquer surtout, que les principales ne constituent pas une augmentation de dépense ; ainsi un crédit a été accordé pour le remboursement fait aux concessionnaires de la Sambre ; il s'élèvera à 4,446,000 fr. L'honorable M. Delfosse n'en a pas tenu compte. Un autre crédit n'est qu'une simple régularisation ; l'honorable membre n'en a pas davantage fait la remarque ; on sait cependant que par suite de difficultés que la cour des comptes a élevées, l'indemnité du caissier général de l'Etat a toujours été reportée d'exercice en exercice ; pour rester dans la légalité, il a fallu ouvrir un crédit supplémentaire de 760,000 fr. qui n'est qu'un transfert d'autres exercices sur celui de 1843.
Une régularisation a été faite, en outre, pour le fonds des non-valeurs. Tous ces chiffres réunis formeraient un excédant de dépenses supérieur à celui qu'a signalé l'honorable membre, en prenant pour point de départ la situation de 1844, ce qui prouve qu'elle a été établie avec une grande circonspection et avec le désir bien sincère de rester dans le vrai.
Des observations de la même nature s'appliquent à l'exercice 1844 ; sur cet exercice un crédit de fr. 3,860,000 a été ouvert, par la loi du 17 décembre 1844, pour l'amortissement et les intérêts de l'emprunt converti, ce qui n'est qu'une régularisation ; en outre, les frais des emprunts portés en deux crédits ne peuvent être considérés comme une augmentation de dépenses, puisque ces emprunts eux-mêmes produisent un bénéfice considérable. Ce sont cependant ces seuls crédits qui ont fait considérer par l'honorable membre la situation actuelle comme étant moins favorable que celle de l'année dernière.
J'ai cru, messieurs, devoir répondre ces quelques mots à l'honorable M. Delfosse, parce que l'honorable membre en citant des chiffres sans remonter à leur origine, a dû, je le répète, donner une très fausse opinion de la situation financière. Telle n'était certainement pas son intention, mais (page 300) c’eût été inévitablement le résultat de ses observations, si les explications qu’il avait omises n'avaient pas été données à la chambre.
M. Delfosse. - Messieurs, je pourrais opposer des chiffres à ceux que l’honorable préopinant vient de produire, mais ce serait abuser de la bienveillance que la chambre a eue en m'accordant une troisième fois la parole.
L'honorable préopinant m'a reproché de ne pas avoir indiqué la nature de tous les crédits supplémentaires sur lesquels j'avais basé mes calculs ; je ne l'ai pas fait, messieurs, parce que cela m'aurait conduit trop loin ; parce que c'eût été vous associer, à l'ennui des nombreuses recherches auxquelles je me suis livré.
D'après l'honorable préopinant, beaucoup de ces crédits supplémentaires sont d'une nature exceptionnelle, ils ne se reproduiront plus ; oui, sans doute, il y en a d'une nature exceptionnelle et qui ne se reproduiront plus ; il est bien certain, par exemple, que le remboursement aux concessionnaires de la Sambre canalisée ne se reproduiront plus ; mais d'autres faits, d'une nature également exceptionnelle, surgiront ; l'expérience d'un grand nombre d'années prouve qu'il n'y a pas de budget dont les prévisions ne soient modifiées par des faits de ce genre.
Mais à quoi bon tous ces détails ? Ne sommes-nous pas en présence d'un résultat qui parle plus haut que tous les chiffres de l'honorable préopinant ? A la fin de 1839, le découvert n'était que de 14 millions. Depuis cette époque, les impôts ont été augmentés annuellement de 9 millions, les péages de 7, total 16 millions, ce qui, à 5 p. c, équivaut à un capital de 320 millions ; nous avons, en outre, absorbé de 12 millions provenant de la vente des domaines et du remboursement de capitaux, 17 millions provenant du traité avec la Hollande, 4 ou 5 millions dus à la conversion de nos emprunts, et malgré tout cela la dette flottante est encore plus élevée qu'en 1839, plus élevée surtout que celle que l'honorable préopinant considérait comme un grand danger pour le pays. Voilà un fait que l'on ne peut nier et dont tous les efforts de l'honorable préopinant n'atténueront pas la gravité.
Oui, sans doute, le pays a obtenu en échange de tous ces capitaux absorbés, de ces charges nouvelles, des travaux publics d'une utilité incontestable ; il a obtenu des canaux, des routes, des chemins de fer ; mais ces travaux équivalent-ils aux charges nouvelles, aux capitaux absorbés ? J'en doute, et dans tous les cas font-ils disparaître les dangers signalés en 1810 avec tant d'énergie par l'honorable préopinant ?
Un mot encore, messieurs. L'honorable préopinant nous a dit que le déficit de 7 millions qu'il avait avoué en 1844, aurait été presque entièrement éteint, sans les crédits extraordinaires votés en 1845, pour les travaux publics.
Je répondrai à l'honorable membre que quelques-uns de ces travaux étaient prévus à l'époque où il fixait le découvert à 7 millions, et que l'on a employé à l'extinction du découvert des fonds destinés à l’amortissement de nos emprunts. J'aurais d'autres observations encore à présenter sur ce point, mais je ne veux pas abuser de la patience de lu chambre.
M. Mercier. - En ce qui concerne les capitaux dépensés pendant les exercices antérieurs, l'honorable M. Delfosse ne fait que reproduire les observations que j'ai moi-même si souvent présentées pour que l’on sortît de cette voie ; depuis deux ans ce fait ne s'est pas reproduit.
Quant à la situation que j'ai exposée eu 1844, elle s'est améliorée au point que nous n'aurions plus qu'un découvert d'un à deux millions, si des crédits extraordinaires n'avaient été accordés pour des travaux publics. Je n'hésite pas, du reste, à déclarer qu'une dette flottante de 14 millions et demi est beaucoup trop considérable ; c'est aussi l'opinion du gouvernement, car M. le ministre des finances nous a dit que c'était temporairement que l'on couvrait cette dette avec des bons du trésor ; il faudra plus tard la couvrir par un emprunt ou l'éteindre par d'autres moyens extraordinaires. Nous avons toujours considéré une dette flottante comme un danger pour le pays ; nous l'avons répété cent fois. Mais, d'un autre côté, il faut choisir l'occasion opportune pour faire un emprunt ou quelque autre opération financière, et cette occasion ne se présente pas tous les jours.
M. Verhaegen. - Messieurs, je ne me propose pas de répondre en détail à toutes les objections dont mon discours d'hier a été l'objet ; ce serait prolonger inutilement la discussion et abuser des moments de la chambre. Je réduirai à deux ou trois objections principales ce qui a été dit, et ma réponse sera cette année ce qu'elle a été l’année dernière.
J'ai attaqué, messieurs, les bases de nos impôts ; j'ai fait, sur ce point, des observations dont vous aurez apprécié la justesse, car plusieurs sont restées sans réponse..
Les bases des impôts que j'ai attaquées sont notamment celles des trop fameuses lois du 28 juin 1822. Il est inutile, messieurs, de vous faire apprécier la portée de ces lois ; vainement voudrait-on oublier les paroles qui les ont flétries dans les premières séances du congrès. Vainement voudrait-on oublier que le système d'impôts sous le gouvernement déchu a été un des grands griefs de la révolution.
Je m'étonne, messieurs, que pour avoir attaqué ces bases et les avoir attaquées tous les ans, j'aie été l'objet de réponses assez vives de la part de plusieurs honorables collègues, qui, à l’époque à laquelle j'ai fait allusion, partageaient mon opinion.
Les lois du 28 juin 1832, messieurs, ont été attaquées avec violence dans les premiers jours de la révolution. Et cependant d'année en année on a renchéri sur leur rigueur, en frappant de centimes additionnels successifs divers impôts reconnus odieux.
Messieurs, en demandant qu'on démolisse, je veux aussi qu'on reconstruise, car je ne veux pas faire de vaines théories. Au système d'impôts que je combats, je propose d'en substituer un autre. Je demande qu'on me rencontre sur ce terrain. Les questions sont graves, j'en conviens ; mais il faut avoir le courage de les approfondir et de sortir enfin de la mauvaise ornière dans laquelle nous nous traînons d'année en année.
On dit, messieurs, qu'il est difficile de substituer des impôts nouveaux aux impôts existants, que c'est une réforme sociale ; mais avec ces idées, vous ne ferez jamais rien. Si vous êtes obligés de reconnaître l'injustice des impôts actuels, il faut savoir porter remède au mal.
J'ai dit hier, messieurs, que la propriété n'était pas imposée en proportion avec les autres objets imposables. J'ai parlé de l'impôt foncier, j'ai dit par qui cet impôt était payé ; et tout ce que j'ai dit sur ce point, je le maintiens.
J'ai proposé d'autres bases pour atteindre la propriété. Déjà à plusieurs reprises, je les avais indiquées, notamment l'année dernière, et la discussion qu'avaient soulevée mes observations avait déjà porté quelques fruits ; car j'étais tombé d'accord avec un honorable collègue, l'honorable comte de Mérode, qui m'avait concédé un droit sur les préciputs, même en ligne directe.
M. de Mérode. - Sur les héritiers uniques en ligne directe.
M. Verhaegen. - Sur les préciputs, ou, si vous l'aimez mieux, sur les majorats.
L'honorable comte de Mérode m'avait fait une concession sur ce point, et j'espère qu'avec le temps on m'en fera d'autres.
Messieurs, je vous ai parlé d'une taxe sur le revenu. Je voudrais que l'on frappât tous les revenus quelconques. En effet, si vous frappez le revenu de l'industriel, du marchand, de l'artisan même, pourquoi donc ne frapperiez-vous pas le revenu du propriétaire ?
Je n'imposerai pas la patente aux professions libérales, ce serait les dégrader ; mais je les ferais contribuer à la taxe sur le revenu, et j'atteindrais ainsi le même but.
Cette observation répond, messieurs, à l'interpellation personnelle que m'adressait hier, en m'interrompant, l'honorable M. de Man. Je ne recule devant aucune des conséquences de mon système ; je crois que les membres du barreau devraient, comme toutes les personnes qui exercent une profession, en supporter les conséquences.
Toutefois, messieurs, ne nous y trompons pas, cette taxe sur le revenu ne remplacerait pas tous les autres impôts ; elle n'est qu'une des bases de mon système. J'ai indiqué plusieurs autres bases à l'égard desquelles on n'a pas jugé à propos de me répondre.
Sans doute si l'on se bornait à établir une taxe sur le revenu, l'honorable M. de Theux aurait peut-être raison, la propriété y gagnerait. Mais je crois que l'honorable membre ne tiendrait plus le même langage, s’il voulait bien envisager l'ensemble de mon système.
Messieurs, à des observations très sérieuses on a répondu, il faut bien le dire, par des plaisanteries. Cette taxe sur le revenu, je serais allé la chercher dans les institutions du moyen âge, et on ajoute que je ne veux pas de ces institutions. Non, je ne veux pas de ces institutions comme vous en voulez ; je ne veux pas de la taxe à laquelle vous faites allusion. Mais qui payait cette taxe sur le revenu au moyen âge ? Etaient-ce les seigneurs ? Nullement, c'étaient les vilains ; et c'est là une circonstance qui explique les émeutes dont on a parlé, de la part des vilains contre les seigneurs qui se retiraient alors dans leurs châteaux-forts.
Ainsi, messieurs, rétablissons les faits dans leur exactitude : la taxe sur le revenu dont je voudrais voir l’établissement, est une taxe qui doit frapper tout le monde dans une juste proportion. Quant à l'arbitraire que l'on redoute, je dis qu'il n'est pas plus à craindre avec mon système qu'avec celui qui nous régit actuellement, il n'y aura pas plus d'arbitraire à taxer le propriétaire qu'il n'y en a maintenant à taxer l'industriel, le commerçant, l'artisan.
Je n'en dirai pas davantage sur ce point. Mon système forme un ensemble que l'on ne peut diviser. C'est parce que je voulais seulement examiner cet ensemble que j'ai résume en peu de mots toutes les objections de détails qui m'ont été faites dans la séance d'hier.
Il ne me reste plus qu'un mot à dire relativement au projet que nous avait présenté l'honorable M. Smits et qui a été retiré.
Un honorable préopinant a trouvé extraordinaire que j'eusse regretté le retrait de cette loi qui contenait des dispositions très aristocratiques, a-t-on dit d'un côté, très injustes, a-t-on dit de l'autre.
Messieurs, je n’ai jamais approuvé le projet présenté par l'honorable M. Smits, je l'ai toujours condamné et je le condamne encore. Mais j'en ai regretté le retrait parce que, quel que fût le projet, la révision étant soumise à la législature, il pouvait surgir au sein de cette chambre, des proposions qui auraient amélioré notre système d'impôts.
Messieurs, je vous ai signalé des injustices criantes ; ces injustices existent ; si l'on veut les maintenir d'année en année, force nous sera de renouveler chaque fois nos observations ; et si nous n'en obtenons aucun résultat, nous aurons au moins rempli un devoir.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, que la chambre me permette de dire encore quelques mots sur le système que préconise l'honorable préopinant.
Nos lois d’impôt tendent à atteindre la propriété ; et pour atteindre la propriété, elles supposent des signes représentatifs de la propriété. C'est là en réalité tout le système de nos lois. Il n'y a pas là d'arbitraire. Vous êtes taxé aujourd'hui parce que vous possédez telle base imposable, telle propriété, ou tel signe représentatif de la propriété.
Dans le système de la taxe sur le revenu, de deux choses l'une, ou bien vous vous référerez à la déclaration du contribuable, ou vous ne vous y référerez pas ; si l'on se référait à la déclaration du contribuable pour tous ses revenus, ce serait, je n'hésite pas à le dire, le système de législation le (page 301) plus absurde qu'on pût imaginer ; ce serait un système d'après lequel l’honnête homme payerait seul sa part des charges publiques, et celui qui voudrait n'être pas loyal envers le trésor, ne payerait rien.
On ne se référera pas, dira-t-on, à la déclaration du contribuable. Et, en effet, les lois d'impôt qui n'auraient que cette garantie, seraient, je pense, peu productives ; on ne se référera donc pas à la déclaration du contribuable ; mais alors il faut qu'une autorité taxe d'office, qu'elle pousse l'inquisition dans tous les éléments de la fortune privée, pour pouvoir évaluer les revenus. Par exemple, il faudra évaluer, au commencement d'une année, ce que produira l'industrie de telle ou telle société, de tel ou tel commerçant, etc.
Il y aurait là dans la pratique une impossibilité absolue, à moins d’avoir en permanence des moyens arbitraires qui ne sont pas dans nos mœurs, dans nos idées d'aujourd'hui, moyens que les circonstances politiques d'une grande crise peuvent seules faire accepter un instant.
Rappelons-nous ici ce qui s'est passé dans un pays voisin. Il s'est agi là, dans une grande crise financière, d'établir temporairement, pour une seule fois, une taxe sur le revenu, et cette mesure a inspiré au sentiment public une telle répulsion qu'on a préféré subir des sacrifices beaucoup plus considérables pour éviter de subir, même une seule fois, cette taxe sur le revenu.
L'on me dit : « Il en est de même pour les patentes. » Non, messieurs, il n'en est pas de même pour les patentes. La loi établit des bases différentes, l'application de ces bases est faite et elle n'est pas arbitraire. L'on a des garanties, et quant au principe de l'impôt, et quant au mode de répartition, et quant au jugement des différends qui peuvent s'élever. Tout cela est prévu par la loi. Mais tous ces moyens qui empêchent ici l'arbitraire, vous feraient défaut, le jour où vous viendriez à établir une capitation arbitraire sur toutes les sources du revenu.
Je renouvelle ces observations, parce qu'il ne suffit pas qu'une idée se produise, dans cette enceinte, à l'état de théorie ; il faut que celle idée, appliquée en fait, s'harmonise avec les idées et avec les mœurs du pays ; que ce ne soit pas seulement une abstraction, mais qu'elle soit susceptible de se traduire dans la pratique. Or, je n'hésite pas à le dire, la taxe sur le revenu, telle que l'honorable membre la présente, est impossible en Belgique, parce qu'elle est inconciliable avec les mœurs et avec les idées du pays.
M. Desmet. - Messieurs, l'honorable M. Verhaegen désire introduire en Belgique l’Income Tax que sir Robert Peel a fait adopter en Angleterre. Mais l'honorable membre ne sait-il pas à quelles critiques et à quelles plaintes la répartition arbitraire de cet impôt a donné lieu chez les Anglais ? La répulsion qu'a inspirée cet impôt en Angleterre, a été telle qu'on peut dire qu'aujourd'hui on a cessé de l'appliquer. Il ne serait pas exagéré d'ajouter que c'est pour ce motif que sir Robert Peel a cherché un prétexte pour remettre son portefeuille entre les mains de la Reine.
Certainement, s'il y avait moyen d'établir cette taxe sur le revenu, pour faire face aux charges publiques, l'application en serait favorable à tous les intérêts ; mais, il faut bien le reconnaître, c'est une chose absolument impossible. Ce moyen ne serait peut-être praticable qu'avec le système de la dîme. Or, je ne pense pas que la dîme soit fort du goût de l'honorable député de Bruxelles.
Dans le système de l'honorable membre, l'impôt devrait atteindre tout ce qui est bénéfice. Mais comment établir le gain que fait un avocat, par exemple ? Tel avocat exige de son client telle somme, pour défendre telle cause, tandis qu'un autre avocat demande et obtient, pour la même cause, une somme cinq ou six fois plus considérable. Comment fixerait-on dès lors, d'une manière équitable, la part que chacun de ces deux avocats devrait abandonner de son gain à l'Etat ? Ce système aurait peut-être été praticable anciennement, quand les avocats comptaient leurs vacations et travaillaient à quatre escalins l'heure ; mais à présent, on sait que cela ne se compte plus ainsi, l'échelle est un peu agrandie.
Je crois que si l'on s'avisait d'établir l’Income-tax en Belgique, on verrait surgir contre cette taxe beaucoup plus de réclamations dans la chambre qu'elle n'en reçoit aujourd'hui contre le système d'impôts actuellement existant.
J'avoue que tous les impôts, décrétés par la loi de 1822, sont plus ou moins injustes dans leur base. Rien n'empêche de modifier cette législation. Cependant la chose est presque impossible dans les circonstances actuelles.
Je voudrais du moins que le fisc, dans l'application, se relâchât un peu de ses exigences, à l'égard des classes peu aisées, quand il s'agit, par exemple, de l'impôt sur les bâtiments. Le fisc pousse aujourd'hui les choses jusqu'au point de faire payer aux chaumières l'impôt personnel, les experts du fisc forcent tellement les évaluations quand ils font celles des bâtiments, que très souvent ils élèvent la valeur réelle d'un tiers ou même d'une moitié, afin de pouvoir les faire entrer dans l'impôt personnel. Je pourrais citer bien d'autres fiscalités dans l'assiette de la contribution personnelle. Ce n'est pas le moment ! mais ce sont ces fiscalités au détriment du pauvre, qu'il faut arrêter.
Messieurs, j'avais surtout demandé la parole, pour répondre deux mots à l'honorable M. de Man d'Attenrode. L'honorable membre s'est trompé, lorsqu'il a prétendu que le travail était en abondance dans le pays. Que l'honorable membre me permette de le lui dire, il paraît ignorer entièrement ce qui se passe en Belgique.
M. de Man d’Attenrode. - Je demande la parole.
M. Desmet. - L'honorable membre a pris prétexte de cette allégation inexacte, pour reprocher au gouvernement de faire exécuter dans le pays une trop grande masse de travaux publics. Je répondrai a l'honorable membre que si on ne faisait pas exécuter ces travaux publics en ce moment, la classe ouvrière dans la plupart des provinces mêmes qui ne sont pas directement intéressées dans ces travaux, serait forcément désœuvrée. Qu'est ce qui alimente le travail des houillères, de la métallurgie, si ce ne sont les travaux publics dont l'honorable membre blâme l'exécution simultanée ?
Nous serions fort heureux, pour notre part, si dans notre contrée on voyait commencer les travaux dont la concession a été accordée par la législature dans le cours de la session dernière. Si l'on avait mis déjà la main à l'œuvre, on ne mourrait pas de fin dans ce pays-là. A cet égard, je demanderai quelques explications à M. le ministre des travaux publics. Je le prie de vouloir bien me dire à quelle époque aura lieu l'exécution des travaux que nous avons concédés et qu'on n'entame pas.
Je saisis cette occasion encore pour appeler l'attention sérieuse du gouvernement sur la situation alarmante d'une grande partie des Flandres. Cette situation est telle, que la plupart des campagnards ne s'y nourrissent en ce moment que de navets. Que deviendront-ils quand cette denrée alimentaire leur fera défaut ?
Les communes s'imposent tous les sacrifices imaginables pour donner du travail à cette malheureuse population. Elles attendent avec une légitimé impatience le secours du gouvernement. Ce secours est de la dernière urgence. Si le secours ne vient bientôt, l'élan généreux qui anime aujourd'hui les communes se ralentira, et vous verrez se tarir cette charité qui aujourd'hui réalise des prodiges ; on laissera le tout à l'abandon, et alors qu'en deviendra-t-il de la tranquillité publique ?
J'adjure donc instamment M. le ministre de l'intérieur d'opérer immédiatement la distribution des deux millions que les chambres ont votés. Et que le gouvernement ne le perde pas de vue : en allouant ce crédit, nous avons entendu mettre à la disposition du ministère des fonds, pour secourir GRATUITEMENT les communes. Il est d'autant plus urgent de venir au secours des classes malheureuses dans les Flandres que les fermiers n'ont plus aucune sécurité, n'osent plus se livrer au repos, crainte d'être volés, soit par les maraudeurs de profession, soit par les individus que le besoin seul entraîne à cet acte coupable.
Je voudrais, avec mes honorables collègues, MM. Savart et Eloy de Burdinne, voir diminuer l'impôt des patentes, du foncier et du personnel. Mais il me paraît impossible d'obtenir cette diminution cette année. Nos recettes et nos dépenses s'équilibrent à peine. Mais je ne puis, à cet égard, que répéter la recommandation que j'ai déjà faite à M. le ministre des finances, d'inviter ses agents à se montrer moins fiscaux dans l'application de l'impôt sur le personnel, surtout à la campagne. Il est très vrai, comme l'a fait observer l'honorable député de Waremme, les cultivateurs ont eu cette année une très médiocre récolte en céréales, la quantité a été moindre, et la qualité très mauvaise ; il aurait pu ajouter que la récolte de colza a entièrement été gelée, ce qui est une perte extraordinaire, surtout pour les fermiers ; c'est avec le prix de la récolte des graines de colza qu'ils payent ordinairement leur fermage. Je n'en dirai pas plus sur ce chapitre, mais je dois répéter que je ne peux assez engager le gouvernement de venir au secours des campagnes pour donner de quoi exister à leurs nombreux nécessiteux.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, plusieurs des orateurs qui ont pris la parole aujourd'hui, se sont occupés des travaux à donner pendant l'hiver à la classe ouvrière. Un de ces orateurs, l'honorable de Man d'Attenrode, a exprimé l'opinion que l'allocation, portée au budget de mon département pour construction de nouvelles routes, n'était pas motivée par les circonstances ; que dans la plupart de nos provinces, la classe ouvrière n'aurait pas besoin qu'on lui procurât du travail.
Messieurs, je serais heureux si je pouvais penser qu'il en fût ainsi. Mais les discours qui ont été prononcés, dans cette enceinte, et notamment à l'occasion de la session extraordinaire du mois de septembre dernier, les nombreuses réclamations qui sont arrivées de toutes parts, et entre autres, des administrations provinciales, m'ont prouvé que dans toutes les provinces, on réclame instamment du travail, on réclame la construction d'ouvrages d'utilité publique en faveur de la classe nécessiteuse. Si l'honorable rapporteur le désirait, je pourrais lui mettre sons les yeux les nombreuses réclamations qui ne cessent d'affluer à mon département et qui émanent de toutes les provinces.
Messieurs, j'ai déjà eu l'honneur de le dire plusieurs fois dans cette enceinte : je me suis attaché, dans les limites des allocations demandées, à organiser des travaux de route, à imprimer de l'activité à l'exécution des travaux déjà votés, et à engager les compagnies à commencer les ouvrages dont elles ont obtenu la concession. Si la chambre le désirait, je pourrais entrer dans de plus longs détails à cet égard (Non ! non !) mais je crois qu'il sera plus opportun de donner ces renseignements, lorsque la chambre discutera le budget du ministère des travaux publics (Oui ! oui !) Cependant si, comme cela a déjà eu lieu, on accusait encore à tort le département des travaux publics de ne pas faire tout ce qu'il est possible en ce moment en faveur de la classe ouvrière, je croirais de mon devoir de fournir immédiatement des explications.
Du reste, messieurs, les travaux de routes qui sont ordonnés, ne sont pas seulement exécutés en vue de donner du travail ; ils ont encore un but d'utilité publique.
La plupart des routes qui ont été décrétées depuis le mois de septembre dernier, sont des routes qui étaient vivement réclamées depuis plusieurs années, par les provinces et même dans cette enceinte.
Ces travaux ne sont donc qu'avancés de quelque temps ; ils eussent été faits d'ici à peu d'années ; ce n'est donc pas une dépense improductive, que nous ferons, si la chambre vote l'allocation que nous lui avons demandée. Je dois ajouter cependant que si la plupart de ces travaux ne sont (page 302) pas encore commencés, c'est à cause des nombreuses formalités qui malheureusement dans des circonstances comme celles-ci retardent la mise de la main à l'œuvre pour ces constructions, c'est surtout à cause des formalités d'expropriation.
On a parlé tout à l'heure de l'exécution des travaux pour les concessions de chemin de fer.
J'ai reçu aujourd'hui une lettre du directeur gérant du chemin de fer de la Flandre occidentale qui me dit que s'il n'a pas encore mis la main à l'œuvre pour le chemin de fer de Bruges à Thourout, c'est qu'il rencontre beaucoup d'obstacles dans l'expropriation des terrains ; mais il annonce que très incessamment il commencera les travaux.
L'honorable M. Desmet vous a parlé des voies de communication qui doivent traverser Alost, le chemin de fer et le canal de la Dendre. J'ai vu plusieurs fois le directeur gérant de la compagnie concessionnaire, il m'a dit que très probablement les travaux du canal seraient commencés d'ici à un mois.
D'autres travaux que vous avez votés sont déjà commencés ; ainsi on travaille au chemin de fer d’Entre-Sambre et Meuse, ainsi qu'au chemin de fer de Charleroy à Erquelinnes. On vient de commencer les travaux du chemin de fer de St-Trond à Hasselt ; de sorte que pendant l'hiver et d'ici à quelques mois il y aura du travail organisé dans toutes les provinces.
Mais on n'a pas pu répartir ces ouvrages d'une manière en quelque sorte mathématique, parce qu'il faut certaines circonstances pour les entreprendre. On ne peut pas ordonner de constructions de routes quand les études ne sont pas faites. On ne peut pas exécuter un canal quand le tracé n'en a pas été arrêté ; il a fallu prendre les projets rédigés, et c'est pour ce motif que certaines provinces seront peut-être mieux partagées que d'autres.
Je crois, d'après les renseignements oui m'ont été donnés par les ingénieurs en chef des provinces, que le département des travaux publics pourra, dans le cercle de ses attributions, procurer du travail à plus de 20,000 ouvriers. Dès lors, je crois qu'il aura rempli la mission qui lui est confiée dans ces circonstances et qui consiste, non à faire exécuter des travaux inutiles qui auraient constitué alors une espèce d'aumône, mais à faire exécuter des travaux dans le double but de l'utilité publique et du secours à apporter aux classes pauvres du pays.
Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !
- La clôture est mise aux voix. Elle n'est pas prononcée.
M. Rodenbach. - Je ne me proposais pas de pari r dans la discussion générait du budget des voies et moyens, mais j'ai demandé la parole en entendant l'honorable rapporteur. Je dois lui rendre justice pour son travail remarquable, mais en lui faisant cet honneur, je dois lui dire aussi qu'il s'est trompé quand il a parlé de journées de 4 fr. 50 ; je sais que quand il a avancé ce chiffre une rumeur s'est élevée dans cette enceinte, et qu'alors il s'est empressé de dire, qu'il exceptait les deux Flandres. Il n'a pas moins avancé que des ouvriers gagnaient des journées de 4 fr. 50.
Je dirai que dans nos deux Flandres, dont la population est de 14 à 15 cent mille âmes, si le gouvernement avait besoin de 70,000 hommes, à raison de 60 centimes par jour, il les trouverait et même plus qui s'empresseraient de venir. Le gouvernement n'est pas assez convaincu de l'extrême misère qui pèse sur ces deux malheureuses provinces. Cette grande misère tient à la perte d'un précieux tubercule et aussi à la grande population de ces provinces et à l'extrême division de la propriété. Dans nos Flandres, la population est double, triple de celle de certaines provinces eu égard à leur superficie.
Ainsi sur les 53 mille hectares des Flandres, c'est aussi, je crois, la superficie de la province de Liège, les Flandres ont deux habitants contre un habitant du pays de Liège, et quatre ou cinq pour un si je prends le Luxembourg pour point de comparaison. Ces quatre individus doivent se nourrir avec la même étendue de terre qui sert à nourrir un habitant du Luxembourg ; ils n'y trouvent pas les moyens. On croit que le gouvernement a beaucoup fait pour cette malheureuse population. Nous qui faisons partie du gouvernement, qui sommes venus en session extraordinaire pour voter la libre entrée des céréales, nous n'avons travaillé que pour les riches et pour la classe moyenne ; nous n'avons rien fait pour le malheureux ouvrier.
La division de la propriété est telle dans nos provinces que nous avons des villages de 6 à 7 mille âmes qui comptent plus de 200 petits cultivateurs ; ces petits cultivateurs ne vendent rien. On a dit que la cherté du grain leur donnait une compensation de la perte de la pomme de terre. Mais on oublie que le colza a aussi manqué. Ces petits cultivateurs doivent consommer tout le grain qu'ils ont récolté ; ils sont ruinés. Les propriétaires des Flandres le doivent savoir qu'ils ne doivent pas compter sur le produit de leurs baux.
Voilà l’état du pays ; on ne le connaît pas dans cette enceinte. Il nous faudrait 16 mille sacs de pommes de terre ; à leur défaut, les malheureux ne savent quoi manger.
Les fermes ont chassé leurs ouvriers parce qu'elles n'ont ni de quoi les nourrir, ni de quoi les occuper. Et cependant on vient nous dire que le travail ne manque pas ! Je dis, moi, que depuis des siècles on n'a pas vu une misère aussi effrayante.
Le gouvernement doit s'empresser de faire emploi des deux millions que nous avons votés, de les répartir entre les bureaux de bienfaisance. Je connais une commune de 7,000 habitants qui compte 3,500 pauvres. Grâce à l'extrême humanité, grâce à l'esprit de chrétienté, de véritable philanthropie de quelques hommes, non pas de cette fausse philanthropie qui ne fait quelque bien que pour le faire proclamer par les journaux, mais de cette humanité qui ne fait pas prôner ses largesses, grâce à cette philanthropie à laquelle se sont associes quelques prêtres, des sacrifices hebdomadaires ou mensuels ont été faits pour donner du pain à ceux qui en manquent, tandis que le gouvernement est lent dans sa bienfaisance. Cette lenteur est déplorable, je l'adjure de mettre à la disposition des bureaux de bienfaisance les deux millions qu'il a entre les mains.
Je citerai aussi la Flandre orientale, je ne veux pas qu'on m'accuse de ne parler que de ma province. J'en appelle aux députés de cette province ; c'est par vingt, trente, quarante, que les malheureux ouvriers, faute de travail, vont demander à manger ; la misère est si grande que beaucoup se nourrissent de féveroles, comme on donne aux chevaux, au bétail. Ceux qui travaillent, avec leurs 60 centimes ne peuvent pas acheter du grain. Vous n'avez donc rien fait en proclamant la libre entrée du grain ; vous les laissez dans la misère.
M. Dubus (aîné). - Faites une proposition.
M. Rodenbach. - Avant de partir, nous avons à rendre compte à nos commettants de ce que nous aurons fait pour le peuple. On a parlé d'un traité avec la France ; je sais qu'il y a des formalités à remplir avant de le communiquer, qu'il doit être sanctionné. Mais pour donner quelque espoir à ceux qui vivent de l'industrie linière, on devrait dire si le traité est à l'avantage du pays.
M. de Man d’Attenrode. - Il semblerait, d'après le langage qu'ont tenu quelques-uns de nos honorables collègues, que je m'oppose à ce qu'on donne du travail aux ouvriers nécessiteux, que je m'oppose à ce que le gouvernement fasse beaucoup travailler. Je ne puis laisser planer sur moi une accusation semblable. Car tel n'a été ni mon désir ni mon intention.
Mon désir est au contraire qu'on accorde du travail aux ouvriers nécessiteux et qu'on leur en distribue abondamment. Ce qui |me préoccupe c'est la crainte que les travaux ne soient pas accordés à ceux qui en manquent le plus.
En effet malgré les 15 millions de travaux publics que nous avons votés, malgré les 70 millions de travaux que nous avons concédés à des compagnies, il est encore des cantons qui manquent de travail. L'honorable M. de La Coste a appelé votre attention sur quelques points de l'arrondissement de Louvain ; eh bien, il est des routes dans cet arrondissement qui ont été étudiées, dont les plans et devis sont terminés, pour lesquelles les fonds sont faits, et que l'on ne parvient pas à faire exécuter.
C'est ainsi que mon honorable collègue de Louvain vous a cité, il y a peu de jours, une petite roule d'Aerschot vers Zammel qui est extrêmement nécessaire à telle localité, parce qu'elle tend à lui conserver le transit des produits d'une partie de la Campine vers la capitale. Il semblait que cette route allait s'exécuter ; les vœux des habitants paraissaient devoir être comblés, à la suite d’un arrêté royal qui ordonnait l'exécution de la route ; mais M. le ministre de la guerre est venu s'y opposer parce que cette route nuisait à son système de défense du pays. Il me semble qu'il serait convenable que le gouvernement levât au plus tôt cet obstacle.
Je voterai, je le répète, de grand cœur les crédits qu'on demandera pour donner de l'ouvrage aux ouvriers nécessiteux ; mais je désirerais avoir l'assurance que ces sommes seront dépensées dans les cantons qui en ont le plus besoin. L'honorable M. Rodenbach a mis en doute ce que j'avais dit concernant les salaires des ouvriers dans la province de Liége.
J'avais dit, la première fois que j'ai pris la parole, que les salaires s'élevaient jusqu'à 4 fr. 50 c. dans celle province. Eh bien, je puis vous assurer que cela est parfaitement exact : je le tiens d'un industriel très haut placé. Une personne qui s’occupe beaucoup de bienfaisance m'a assuré qu'il y a des usines aux environs de Bruxelles qui manquent d'ouvriers, et qui ne peuvent s'en procurer que difficilement. Je suis convaincu que les ouvriers ne manquent pas d'ouvrage dans la plupart des cantons des provinces wallonnes. Jamais, depuis l'extension immodérée donnée aux chemins de fer, il n'y a eu un aussi grand développement de travail. Tous les hauts fourneaux qui avaient été éteints sont rallumés ; on en a même construit de nouveaux. J'ai la conviction que la position n'est pas aussi fâcheuse qu'on nous le dit.
J'en excepte les Flandres et quelques cantons. Je l'ai dit, dès la première fois que j'ai pris la parole ; l'honorable M. Rodenbach peut être rassuré. Ces provinces excitent ma pitié au plus haut degré. Je voudrais pouvoir faire cesser cette misère, et j'adopterai tous les moyens qui nous seront proposés pour l'atténuer.
Il semble d'ailleurs que le traité avec la France a stipulé favorablement pour l'industrie linière ; il faut espérer que nous parviendrons à adoucir la position fâcheuse de ces provinces importantes.
M. de Garcia. - Je resterai dans les termes de la discussion générale. A ce point de vue, je dois rendre justice aux- considérations générales présentées par les honorables MM. Delfosse et Verhaegen ; je partage leur manière de voir sous plusieurs rapports ; je crois qu'ils ont indiqué des choses dignes de l'attention du gouvernement et des chambres. Je dis du gouvernement et des chambres ; car, pour la plupart des dépenses qui ont amené un déficit entre le budget des voies et moyens et le budget des dépenses, ce sont les chambres et le gouvernement qui en sont cause.
Tant que les lois de dépense ne sont qu'à l'état de projet, tant qu'elles n'ont pas reçu l'assentiment des chambres, le ministère en est responsable. Mais lorsque la majorité de cette assemblée a sanctionné les dépenses, il faut le dire, nous ne pouvons plus en faire un reproche exclusif au gouvernement, la responsabilité se déplace et tombe à charge de la représentation nationale. Je voudrais que beaucoup de membres fissent comme l'honorable M. Delfosse ; que, quand on présente un projet de loi de dépense, ils le combattissent de front, et n'attendissent pas le budget des voies et moyens pour faire des théories d'économie sans aucune application possible.
Qu'avons-nous vu dans tous les projets de loi de dépense dont il s'est agi depuis quelques années ? On est venu à la chambre en provoquer la (page 303) présentation ; l'on ne se donnait ni aise ni repos que l'on n'eût voté les lois qui mettaient de nouvelles charges sur les contribuables, lois organiques de toute espèce, lois tendant à augmenter les traitements des différentes classes de fonctionnaires, lois organiques pour immobiliser des dépenses au-dessus des ressources du pays, tout cela a été provoqué autant par la représentation nationale que par le gouvernement. Je dois le dire, j'ai vu avec peine cette tendance.
Avant cela, nous avions eu toutes les lois d'indemnités, qu'on n'a jamais défendues à l'aide des principes de droit, mais uniquement par des raisons d'équité qui ne sont propres qu'à détruire les principes politiques de l'existence d’une nation.
L'honorable M. Delfosse a voté contre la plupart de ces lois, et à ce point de vue, nous avons presque toujours marché ensemble.
Nous sommes en désaccord sur un seul point, c'est que le mal n'est pas exclusivement imputable au gouvernement. La représentation nationale doit prendre sa part dans cette responsabilité. Si le gouvernement a présenté ces lois, les chambres pouvaient les rejeter, c'est ce qui n'a pas eu lieu.
Quant à moi, je me félicite d'avoir voté contre la plupart des mesures. Il faut se garder, messieurs, de confondre des dépenses de cette nature avec celles qu'entraînent les grands travaux publics.
Il faut distinguer entre ces dernières et celles qui n'ont pour objet que des augmentations de traitement, ou des augmentations du personnel dans le service des administrations. Les premières augmentent presque toujours le domaine utile de la nation, et le plus souvent les secondes n'augmentent que les charges du contribuable.
Lorsqu'il s'est agi de la loi des pensions, qu'avons-nous vu ? Nous avons vu repousser la proposition tendant à ce que les fonctionnaires contribuent, par une retenue, au payement de leur pension pour la laisser tout entière à charge du peuple. Nous avons vu la majorité donner son assentiment à une loi qui accorde des pensions aux ministres après deux ans de ministère. Vous le voyez, lorsqu'on se plaint de déficit, la majorité des chambres est en cause.
Je dis, avec l'honorable M. Delfosse, qu'il faut mettre un terme à cet ordre de choses, et sa censure ne va pas seulement au gouvernement, mais elle va aussi à la représentation du pays, il faut mettre l'équilibre entre nos recettes et nos dépenses ; il faut aller plus loin ; il faut créer une réserve.
A ce point de vue, j'adhère complétement aux idées de mon honorable collègue. Mais je ne puis admettre comme exacts ses calculs, pour établir le déficit de nos finances, qui, selon lui, s'est accru depuis le ministère de M. Smits jusqu'au ministère actuel. Ces calculs me paraissent complétement détruits par les explications données par l'honorable M. Mercier et par l'honorable ministre des finances.
Quoi qu'il en soit il n'en est pas moins vrai que nos voies et moyens ne sont pas suffisants pour couvrir à tout événement, les dépenses qui peuvent incomber au pays ni à la réserve qu'il devrait se créer. Ce but ne peut être atteint que par des économies ou par des impôts nouveaux. Ce dernier moyen ne peut me convenir qu'à l'extrémité, et je désire vivement que par de sages économies on équilibre les recettes et les dépenses. Ici encore je me rallie complétement aux idées émises par l'honorable M. Delfosse.
Je passe à un autre ordre d'idées et aux considérations présentées par l'honorable M. Verhaegen. Cet honorable membre a fait une critique absolue et générale de tout notre système financier ; je partage ses opinions sous plusieurs rapports, mais je ne puis, comme lui, vouloir la réforme radicale de ce système. Je crois ce système susceptible de grandes améliorations.
Par exemple, je crois avec l'honorable membre, que le préciput, en succession directe, devrait payer un impôt, dans le principe très léger, mais, qui devrait être augmenté. Cet impôt est juste ; d'autant plus que le préciput est en désharmonie avec l’esprit politique de nos lois civiles qui veulent la division égale entre tons les enfants. Si un père de famille a des fantaisies, il les payera par un tribut au trésor ; l'impôt qui frappe ces fantaisies ne peut être que juste.
L'honorable M. Verhaegen veut établir, et là je ne l'ai pas trouvé tout à fait conséquent, une taxe sur le revenu, mais en maintenant toutes les bases actuelles d'impôt sur la propriété. Ce serait une base nouvelle qu'il introduirait dans le système actuel. J'avoue, messieurs, que les éléments de cette nouvelle base d'impôts sont pour moi une énigme. Comment apprécier le revenu d'un citoyen quelconque ? Comment déterminer sa fortune ? Comment, par exemple, déterminer la fortune d'un avocat, car l'honorable M. Verhaegen n'a pas hésité à déclarer qu'il les soumettait à son nouvel impôt ? Comment donc, dis-je, apprécier une base semblable d'impôts ? Messieurs, je le déclare : à mes yeux, la théorie est superbe, je voudrais qu'on pût l'appliquer. Mais de la théorie au fait il y a une distance immense, et le fait pour moi est impalpable.
Il est vrai que l’honorable M. Verhaegen est entré dans des détails d'application, il nous a dit : Pourquoi n'imposeriez-vous pas les créances hypothécaires, les créances sur l'Etat ? Ceci est palpable, j'en conviens.
Messieurs, l'honorable membre, dans son système, a surtout en vue l'intérêt des classes inférieures, des classes les moins aisées. Eh bien, en établissant un impôt sur les créances hypothécaires, je le demande, qui allez-vous frapper ? Vous allez frapper les classes les moins fortunées, qui manquent des moyens propres à développer la richesse publique. On le sait de reste, messieurs, les hommes qui jouissent d'une certaine position sociale, n'ont pas besoin de donner hypothèque pour avoir de l'argent ; ils ont leur crédit. Ceux-là donc ne payeraient rien ; tandis que le malheureux qui doit donner son bien en hypothèque payerait un tribut au trésor.
M. Verhaegen. - Ce ne serait pas le débiteur qui payerait, mais le prêteur.
M. de Garcia. - L'honorable membre me dit : Ce ne serait pas le débiteur qui payerait, mais le prêteur. Messieurs, je vous demande si, en faisant le contrat, on n'y introduira pas des stipulations ?
M. Verhaegen. - Vous ne me comprenez pas.
M. de Garcia. - Messieurs, je ne conçois pas d'hypothèque sans contrat. Or, vous aurez beau dire que ce sera le prêteur qui devra payer l'impôt que vous exigerez sur les créances hypothécaires. Le prêteur trouvera moyen de frauder la loi, et en définitive ce sera l'emprunteur qui payera.
Et puis, messieurs, prenez-y garde, si vous aggravez les difficultés des prêts, vous entravez la richesse publique. Presque tous les citoyens belges aujourd'hui sont devenus propriétaires, et nous devons nous en féliciter, cela leur inspire l'amour de la patrie. Mais la plupart de nos petits cultivateurs, pour faire l'achat d'un hectare ou d'un demi-hectare de terre, doivent emprunter, et ce serait cette classe déjà si peu heureuse, qui ne pourrait devenir propriétaire sans grever son bien, que vous frapperiez par votre impôt sur les rentes hypothécaires.
Admettons pour un moment que c'est le prêteur qui devra payer la taxe. Mais alors il ne prêtera plus son argent au cultivateur ; il cherchera d'autres placements, et vous aurez ainsi entravé une des sources de la richesse publique, le prêt aux cultivateurs.
M. Verhaegen. - J'ai dit que celui qui aurait des créances hypothécaires, payerait quelque chose tous les ans.
M. de Garcia. - Nous sommes complétement d'accord avec l'honorable M. Verhaegen ; seulement je ne sais comment vous parviendrez à faire payer ces prêteurs.
L'honorable membre, continuant à développer son système d'impôt sur les obligations et sur les rentes, s'est demandé pourquoi on ne ferait pas aussi payer une taxe par les porteurs d'obligations publiques ! Rien n'est plus facile, dit-il ; faites une retenue sur les coupons qui doivent être payés par l'Etat.
Au premier abord, messieurs, cette idée paraît bien simple, bien naturelle ; mais il faut voir le résultat. Il ne suffit pas de voir les choses à la superficie, il faut les voir au font et dans leurs conséquences. Qu'arriverait-il si vous adoptiez ce système ? C'est que vous discréditeriez vos fonds publics, que vos capitalistes placeraient leurs écus sur des fonds étrangers, et que vous feriez ainsi sortir les capitaux du pays.
L'application des principes de l'honorable membre serait donc très dangereuse pour le crédit public. J'ai cru devoir les combattre, non seulement pour les écarter de notre législation, mais pour prévenir le mal que peut faire sur l'opinion publique l'émission de théories séduisantes au premier aperçu, mais qui, appréciées à leur juste valeur, pourraient avoir des conséquences funestes.
- La clôture est demandée par dix membres.
M. Delehaye. (contre la clôture). - Messieurs, je vous ferai remarquer que le budget des voies et moyens est le plus important de tous les budgets. C'est à l'occasion de ce budget que nous sommes dans l'habitude, avant d'accorder notre vote à la demande de crédits, de nous assurer que la marche du gouvernement mérite notre confiance.
Nous nous trouvons dans des circonstances pénibles, que je ne veux ni atténuer ni grossir, mais qui nous imposent de rigoureux devoirs ; nous avons accordé au gouvernement toutes les mesures qu'il a sollicitées pour venir au secours des classes ouvrières. Nous devons savoir s'il en a fait un bon usage. C'est sur ce point qu'un honorable membre a interrogé le ministère ; jusqu'ici aucune réponse n'a été faite ; d'autres peuvent se joindre à lui, peut-être alors apprendrons-nous que le ministère n'est pas resté en dessous de ses devoirs.
On s'est beaucoup occupé du découvert du trésor, l'on a eu raison ; ce découvert qui augmentera d'année en année doit nous inspirer de graves inquiétudes. Il y a d'autres questions encore que l'on doit traiter, celles relatives aux contributions personnelle et foncière, foncière surtout, dont le produit sera nécessairement affecté par la misère qui vient d'atteindre un grand nombre de contribuables.
Plusieurs membres. - On les présentera à l'occasion des articles.
M. Delehaye. - Cela ne suffit pas. Puisque je trouve que l'on ne doit pas prononcer la clôture, vous me permettrez d'en dire les motifs.
Personne n'a encore dit un mot de ces deux bases principales de nos impôts et des articles qui s'y rattachent.
On fait remarquer qu'on pourra présenter ses observations à l'occasion des articles. Mais plusieurs membres peuvent avoir à faire des interpellations qui, ne se rapportant pas particulièrement à tel ou tel article, peuvent agir sur son vote quant à la loi tout entière ; ainsi l'orateur qui est le premier inscrit, l'honorable M. Rodenbach, a soulevé une question tout à fait neuve et qui est d'une immense importance, puisqu'il s'agit de la misère publique ; permettez-lui de compléter ses idées. Moi aussi, je me proposais de dire un mol à ce sujet. Mon devoir ni ma conscience ne me permettent point de garder le silence ; les souffrances sont devenues trop grandes, les inquiétudes trop vives, pour que, dans le silence que garde le ministère, je n'aie point à craindre qu'il faillira à sa tâche. En l'interpellant sur ses vues, sur ses projets, je me débarrasserai de la grande responsabilité qui pèse sur moi comme représentant du pays.
M. de Roo. - Je crois, messieurs, qu'avant de prononcer la clôture de la discussion générale, il faut que le ministère donne quelques mois de réponse à l'interpellation de l'honorable M. Rodenbach.
(page 304) Comme on vous l'a dit, messieurs, la misère est à son comble dans les Flandres. Il est urgent que le gouvernement vienne au secours de nos malheureuses populations. Nous avons mis à sa disposition une somme de deux millions ; il faut qu'il nous dise l'usage qu'il veut en faire et qu'il tranquillise le pays ou qu'il dise si d'une manière efficace il entend seconder les efforts de nos régences et de nos comités de travail, ou explique au moins ce qu'il a envie de faire, afin d'apaiser les esprits.
M. de Theux. - Messieurs, la question que viennent d'indiquer les honorables préopinants a déjà été agitée dans cette enceinte. Elle pourra encore se reproduire à l'occasion du budget des finances.
Quant aux autres observations qui seraient à faire, on pourrait les présenter dans la discussion des articles. On ne doit pas oublier que nous sommes près de la fin de l'année, et qu'il importe que le sénat puisse aussi examiner le budget des voies et moyens.
M. Delehaye. - Messieurs, ce que vient de dire l'honorable M. de Theux, me donne la conviction que j'ai très bien fait de m'opposer à la clôture.
Messieurs, nous sommes à la fin de l'année, à la veille de prendre une vacance. Mais croyez-vous que les députés des Flandres peuvent retourner tranquillement chez eux, lorsque la misère y est à son comble et y fait commettre forfaits sur forfaits ? Dans un grand nombre de nos communes, messieurs, on se nourrit exclusivement de navets, après les navets viendront les colzas. Nos récoltes sont menacées dans ce qu'elles ont de plus précieux. Et vous voulez qu'au moment de nous séparer, nous ne demandions pas au gouvernement quelles sont ses intentions, que nous n'ayons pas un mot de consolation à porter à nos commettants ?
Messieurs, je crois que le gouvernement doit nous dire quels sont les moyens qu'il se propose d'employer pour parer à la misère, je suis étonné que M. le ministre de la justice notamment, qui a les bureaux de bienfaisance, les hospices et les dépôts de mendicité dans ses attributions, ne nous dise pas ce qu'il se propose de faire pour venir au secours de nos populations. Il n'ignore pas que tous les dépôts de mendicité sont encombrés.
Il serait inouï, messieurs, que lorsqu'il s'agit d'un budget qui établit la question de confiance plus que l'adresse même, le gouvernement ne répondît pas à des interpellations sur des questions de cette importance.
Je conçois que MM. les ministres trouvent très convenable de ne pas nous répondre. Mais il nous faut des explications avant de nous séparer ; si les députés des Flandres retournaient chez eux sans connaître les intentions du gouvernement, sans savoir l'usage qu'il veut faire des ressources que nous avons mises à sa disposition, ils manqueraient à toutes les convenances, ils manqueraient à leur devoir.
M. de Mérode. - Il me paraît aussi, messieurs, que le budget des voies et moyens est un des objets les plus importants que nous ayons à traiter dans la session, précisément par le motif que viennent de faire valoir les honorables membres qui appartiennent aux provinces des Flandres. Il est hors de doute que ces provinces se trouvent dans une situation extrêmement difficile. Or, si l'on peut venir à leur secours, c'est évidemment par des voies et moyens. Car, je ne conçois pas la possibilité de donner d'un côté sans prendre d'un autre. Il faudrait donc s'assurer des moyens de se procurer des ressources pour fournir à des besoins aussi pressants.
Quant à moi, je crois qu'on pourrait consacrer encore un jour ou deux à cette discussion et que notre temps ne pourrait être mieux employé,
- La demande de clôture est mise aux voix. Elle n'est pas adoptée.
M. le président. - M. Savart a déposé, sur le bureau, deux amendements. Ils sont ainsi conçus :
« J'ai l’honneur de proposer la suppression des deux centimes additionnels extraordinaires, tant sur l'impôt personnel que sur les patentes. »
« Je propose que les droits de 5 p. c. sur les articles d'argent, soient réduits à un pour cent. »
- Ces amendements seront imprimés et distribués.
M. Pirson présente les rapports de la section centrale chargée d'examiner le budget de la guerre :
1° sur le projet de loi fixant le contingent de l'armée ;
2° sur le projet de loi ouvrant un crédit provisoire au département de la guerre.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
La chambre en fixe la discussion à l'ouverture de la prochaine séance.
M. David présente le rapport de la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics, sur le projet de loi ouvrant un crédit provisoire de 3,218,212 fr. au département des travaux publics.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
Il figurera à la suite des objets à l'ordre du jour.
La séance est levée à 4 1/2 heures.