(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 2)
(page 51) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
La séance est ouverte à une heure. (P. V.)
M. Henri de Brouckere, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :
Des habitants de Papegnies demandent l'exemption de la contribution personnelle.
M. Caymax demande des secours pour les pauvres de la commune qu'il habite. (U. B., 10 janv. et P. V.)
- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)
M. le président – J'ai reçu quelques pétitions évidemment contraires aux décisions du congrès national ; je les ai anéanties. (Marques générales d'assentiment.)(U. B., 10 janv.)
M. le président – La parole est à M. Wannaar pour un rapport de pétitions. (C., 9 janv.)
M. Wannaar fait, au nom de la commission des pétitions, un rapport sur les pétitions suivantes :
1° Du sieur Collin, relative à des infractions aux arrêtés sur la recomposition des régences.
- Renvoi au comité de l'intérieur.
2° Du sieur de Clercq, sur l'introduction de poissons faite par les Hollandais,
- Renvoi au comité des finances et dépôt au bureau des renseignements.
3° Du comte de Rangraff qui se plaint de sa détention.
- Renvoi au comité de la justice.
4° De M. Levae, qui se plaint de ce que des emplois et grades sont conférés à des personnes qui en sont indignes, et de ce que les autorités se servent exclusivement de la langue française dans leurs actes.
- Renvoi aux diverses administrations générales. (P. V.)
M. Destriveaux fait, au nom de la même commission, un rapport sur les pétitions ci-après :
1° Du sieur Wauters de Terweerde qui demande que sa requête tendante à être nommé directeur de la poste à Gand soit prise en considération.
- Ordre du jour.
2°Du sieur Steenhoudt, qui se plaint d'avoir été destitué de ses fonctions de garde champêtre.
- Renvoi au comité de l'intérieur.
3° Du sieur Guilmard, demandant le rétablissement des foires dans les lieux où elles ont été supprimées par les régences.
- Renvoi au comité de l'intérieur.
4° Du sieur Hoornaert, tendant à ce qu'on établisse une déduction uniforme pour tous les sauniers quand ils travaillent le sel brut d'Angleterre.
- Dépôt au bureau des renseignements.
5° De plusieurs distillateurs de la Flandre, exposant les causes qui, selon eux, ont jeté leur industrie dans la plus triste situation.
- Renvoi au comité de l'intérieur et à l'administrateur général des finances. (P. V.)
La commission a reçu en outre communication d'une pétition évidemment pseudonyme et conçue en des termes peu convenants ; cette pétition sera regardée comme non avenue. (P. V.)
Le congrès décide qu'il sera désormais consacré une séance du soir, par semaine, au rapport des pétitions. (U. B., 10 janv.)
M. le président – L'ordre du jour est la discussion de la section 1ère du chapitre II, titre III, du projet de constitution, intitulée : Du chef de l'État.
« Art. 35. Les pouvoirs constitutionnels du chef de l'État sont héréditaires, dans la descendance directe, naturelle et légitime de..., de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance. » (U. B., 10 janv. et A. C.)
- Cet article est adopté sans discussion. (P. V.)
L'art. 36 est nota bene (on rit) ; « cet article est destiné à régler l'ordre de succéder en ligne collatérale ou à déclarer la vacance, en cas que le chef de l'État n'ait pas de descendance masculine ; » c'est une chose à régler plus tard. (U. B., 10 janv. et A. C.)
« Art. 37. Un enfant mâle du chef de l'État, en se mariant sans le consentement des chambres, perd le droit de succéder aux pouvoirs constitutionnels de celui-ci. » (A. C.)
M. Devaux – Il y a une omission dans cet article. On dit : « Un enfant mâle du chef de l'État, en se mariant sans le consentement des chambres, perd le droit de succéder, etc., » et on ne dit rien du chef de l'État lui-même qui se marierait sans ce consentement ; et ensuite on dit : l'enfant mâle. Ne faudrait-il pas dire les héritiers ? (U. B., 10 janv.)
M. le président – Rédigez votre amendement. (U. B., 10 janv.)
M. Devaux – Voici, selon moi, comment il faudrait dire :
« Le chef de l'État et ses héritiers, en se mariant sans le consentement des chambres, perdent leurs droits aux pouvoirs que leur délègue la constitution. » (U. B., 10 janv. et A.)
M. de Robaulx – Il faudrait dire : et les héritiers habiles à succéder au trône. (U. B., 10 janv.)
M. le chevalier de Theux de Meylandt trouve qu'il serait trop rigoureux d'étendre la disposition au chef de l'État lui-même. Ce serait, dit-il, le forcer à descendre du trône, et souvent il ne le pourrait sans causer une révolution. On pourrait se contenter d'exclure du trône les enfants issus du mariage contracté par le chef de l'État sans le consentement des chambres. (U. B., 10 janv.)
M. Destouvelles fait observer que la question a été vivement débattue dans la section centrale, et qu'on a été d'avis de dire un enfant mâle, pour comprendre dans la même catégorie tous ceux qui pourraient être appelés au trône.
Comme M. de Theux, il trouverait trop rigoureux de forcer un roi à descendre du trône, s'il s'était marié sans l'assentiment des chambres. (U. B., 10 janv.)
M. le comte de Quarré – La question est extrêmement importante. On ne peut improviser une pareille discussion ; je propose de l'envoyer l'article à la commission, et d'ouvrir la discussion sur l'article suivant. (U. B., 10 janv.)
M. Devaux (page 53) propose un nouvel amendement qui concilie son premier amendement avec les observations de M. de Theux ; il est ainsi conçu :
« Tout héritier du chef de l'État, né d'un mariage non consenti par les chambres, perd ses droits à la succession au trône. » (C., 9 janv., P. V. et A.)
- Cet amendement est appuyé et développé. (P. V.)
M. Raikem présente la rédaction suivante :
« Aucun membre de la famille du chef de l'État ne peut parvenir au trône qu'autant qu'il est né d'un mariage contracté avec l'assentiment des chambres. » (P. V., et A.)
M. Van Meenen propose une rédaction conçue en ces termes :
« Les héritiers directs du chef de l'État en se mariant sans le consentement des chambres, perdent le droit de succéder aux pouvoirs constitutionnels de celui-ci. » (A.)
M. Barthélemy voudrait que l'on demandât le consentement des chambres pour le mariage de l'héritier présomptif de la couronne. (C., 9 janv.)
Sur la proposition de M. de Gerlache, l'article 37 est renvoyé à la section centrale pour s'entendre sur une nouvelle rédaction. (P. V.)
« Art. 38. Le chef de l'État, en Belgique, ne peut être en même temps chef d'un autre État sans l'assentiment des deux chambres.
« Aucune des deux chambres ne pourra délibérer sur cet objet, si deux tiers au moins des membres qui la composent ne sont présents, et la résolution ne sera adoptée qu'autant qu'elle réunira au moins les trois quarts des suffrages. » (A. C.)
M. Pirmez – Messieurs, lorsque vous fixez, dans une constitution forte, les limites du pouvoir royal et placer les lois au-dessus de ses atteintes, le choix du monarque paraît au premier abord de peu d'importance, puisque dans la réalité ce n'est pas lui, mais la loi qui règne, puisque l'empire de la force matérielle et brutale, rendu désormais impossible, a fait place à la souveraineté de la raison et de la justice, et au triomphe des droits naturels de l'homme.
Si les peuples pouvaient encore vivre isolés, sans rapports entre eux, sans appui mutuel pour leur indépendance, sans le commerce et l'industrie, les premiers besoins et les plus grands bienfaits de la civilisation moderne, certainement alors la personne du chef de l'État, considérée seulement dans ses relations avec les citoyens, relations réglées par un mandat clair et précis, nous serait indifférente, quels que fussent d'ailleurs ses titres, sa famille, ses mœurs et son caractère.
Mais, messieurs, parce que nous ne sommes pas seuls sur la terre, nous ne pouvons régler notre situation intérieure sans égard à son influence sur notre situation vis-à-vis des autres peuples. Notre force numérique, hors de proportion avec celle de plusieurs puissances, notre position géographique, nos institutions, qui, menaçant sans cesse les rois absolus, nous en font autant d'ennemis, la circonscription étroite de notre territoire qui ne laisse aucun essor au commerce, à l'industrie aucune activité, tout nous engage à nous unir intimement avec un grand peuple qui nous précéda dans la carrière de la civilisation et de la liberté, dont les mœurs, les institutions, le langage sont presque les nôtres, et dont l'exemple et la sympathie nous aidèrent puissamment à accomplir l'œuvre de notre régénération politique.
Louis-Philippe, roi des Français et des Belges, me paraît être le lien le plus fort dont on puisse unir les deux peuples sans porter atteinte à leur nationalité respective. Me proposant de voter pour ce prince lorsque vous élirez le roi, je viens dès aujourd'hui vous exposer les motifs de mon vote (à la question ! à la question ! bruit), motifs qui militent en même temps pour le rejet de l'article 38 actuellement en discussion, lequel préjugerait absolument la question dans un sens contraire, s'il était adopté.
Messieurs ; en proclamant Louis-Philippe roi des Belges, nous obtenons tous les avantages d'une fusion complète avec la France sans rien perdre de l'indépendance à laquelle notre amour-propre national attache tant de prix. Par cet acte spontané et non équivoque de sympathie, nous nous approprions en quelque sorte son invincible armée qui brûle de combattre pour défendre nos droits ; de faibles que nous sommes, nous devenons forts de toutes les forces de cette puissante nation, et notre indépendance trouve un appui bien autrement solide que celui des traités d'alliance offensive et défensive, toujours à la merci des interprétations. La Belgique, que des mines nombreuses et abondantes, un sol fertile et l'esprit laborieux de ses habitants placent parmi les pays les plus productifs du monde, acquiert au midi un débouché immense ; car la suppression des douanes entre les deux pays est une conséquence naturelle de l'unité de chef. Trente-six millions de consommateurs, au lieu de quatre, décuplent ses richesses en donnant à ses forces productives un développement et une activité considérables. Au moyen du commerce, c'est-à-dire des échanges, (page 54) elle se procure, pour l'excédant de ses produits, toutes les choses utiles et agréables qui lui manquent, et augmente ainsi son bien-être matériel, bien-être qui ne paraît dédaigné que de ceux qui en jouissent au plus haut degré. La marine de France vient protéger son pavillon contre la déloyauté hollandaise, et le haut commerce belge trouve de nouvelles colonies qui compensent et au delà la perte de Java de ruineuse mémoire. Enfin ces avantages aussi acquièrent un principe de stabilité, et des garanties que n'offrent pas les traités de commerce qui, toujours interprétés suivant les circonstances, se modifient au gré de l'intérêt du plus fort. Ces avantages doivent durer autant que la dynastie que vous allez fonder, laquelle devient, si l'on peut ainsi s'exprimer, le lien vivant des deux peuples.
Les Nassau, impuissants pour nous nuire par eux-mêmes, ne renonceront pas facilement à leurs prétendus droits sur notre beau pays. Vous les verrez longtemps encore, comme les Tarquins chassés de Rome, mendier les secours des autres fois, fomenter leur haine contre notre révolution, la calomnier sans cesse, et faire naître dans toutes les occasions des prétextes de guerre. On ne craint pas sans doute les vaines démonstrations de leurs sujets, pour qui la blouse de nos soldats est la tête de Méduse, et qui, retranchés dans leurs marais, derrière les baïonnettes des Suisses, tremblent encore en nous menaçant. Cependant ils ressaisiraient leur proie, messieurs, si la France n'était là pour contenir l'Europe. Mettons-nous donc franchement sous cette grande et généreuse protection, et nous braverons impunément le ressentiment de ces hommes qui n'ont point de forces en propre, mais qui peuvent encore beaucoup par leurs manœuvres et leurs intrigues.
Dans les dernières années, la prospérité croissante de nos manufactures a rassemblé sur notre sol un nombre considérable d'ouvriers, à qui la perte du débouché des colonies, de celui de la Hollande et de l'Allemagne par la Hollande, menace d'ôter le travail et le pain. Il est urgent de prévenir les conséquences incalculables de la misère publique, qui déjà se fait sentir et qui s'accroîtra encore dans les provinces manufacturières telles que le Hainaut, Namur et Liége. La révolution est en péril, messieurs, si les masses font la comparaison de leur état actuel avec le bien-être matériel dont elles jouissaient sous le régime hollandais ; car, pour les masses, le meilleur gouvernement est celui qui les nourrit. La France seule en ouvrant ses frontières à nos produits, remplacerait avantageusement des débouchés qui sont à jamais perdus pour nous. Les hommes éclairés qu'elle possède en grand nombre ont compris des premiers que les douanes sont une institution funeste au commerce ; cependant il existe chez elle des intérêts particuliers puissants, capables de lutter longtemps encore contre l'évidence que les économistes ont répandue sur cette matière. Pour paralyser ces influences il faut donner à cette France qui nous aime un gage éclatant de sympathie.
Messieurs, sans un débouché vers la France, la Belgique est perdue, ruinée sans ressources ; point de commerce, point d'industrie, point d'agriculture ; je ne vois que la misère, l'anarchie et la contre-révolution avec ses haines et ses vengeances. Car, je vous le demande, sans un débouché vers la France, que deviendra l'agriculture, la ressource de nos plus populeuses provinces ? Que deviendra l'industrie qui a couvert notre sol d'établissements immenses, élevés à grands frais ? Que deviendra le haut commerce lui-même, naguère protégé d'une manière toute spéciale par le roi Guillaume et déjà si porté à le regretter ? Que ferons-nous de nos houilles, de nos fers, puissants moyens de production, devenus désormais inutiles, dont nos provinces regorgent et que nous exportions à l'étranger ? Mais que ferons-nous des milliers d'ouvriers que le commerce, l'industrie et l'agriculture occupaient et qui dans un mois peut-être encombreront les avenues de ce palais pour vous exposer et leurs maux et leurs besoins ? Cependant la haineuse et vindicative Hollande ne consentira jamais à recevoir nos produits ; non, son intérêt même, tout égoïste qu'elle est, fléchira devant sa haine. Avec sa marine qui la met à même de se procurer directement les produits de toute l'Europe, le profit qu'elle retirerait du meilleur marché des nôtres serait si mince en comparaison du tort immense qui résultera pour le commerce belge de la perte de tout débouché, qu'elle nous fermera opiniâtrement ses frontières. La Hollande, ennemie naturelle de la Belgique, s'efforcera dans toutes les occasions de lui nuire. La ruine de notre commerce, qui traînerait à sa suite la plus épouvantable anarchie, serait pour elle un doux spectacle, parce que, outre le plaisir de se voir vengée, elle lui donnerait l'espoir et peut-être les moyens de nous réimposer son insolent et odieux régime.
Les motifs de l'article 38 du projet de constitution, qui exclut du trône tout chef d'un autre État, peuvent être le désir de voir la couronne royale sur la tête d'un Belge, la crainte que nos intérêts religieux ne soient compromis par un contact immédiat (page 55) avec la France, l'intérêt de Bruxelles qui réclame une cour, enfin la crainte de l'intervention étrangère.
S'il fallait décerner la royauté comme une récompense nationale, je conçois qu'alors nous pourrions élever sur le pavois, ou l'un de ces courageux citoyens qui bravèrent le despotisme au faîte de la puissance, ou le frère d'un illustre martyr de la liberté, ou le Lafayette de la Belgique, qui veillait à la sûreté de cette capitale sous le canon même du prince Frédéric, ou d'autres enfin dont les titres récents à l'amour et la reconnaissance du peuple valent mieux que les plus poudreux parchemins. Mais la royauté n'est point instituée pour récompenser les services, c'est un moyen de prospérité publique. Le roi n'est pas roi pour lui-même ; il l'est pour le peuple, et c'est l’intérêt du peuple seul que le congrès est appelé à consulter. Votre mission, messieurs, n'est pas de rémunérer ces actes éclatants de patriotisme dont l'Europe est encore émue. La couronne royale dont vous allez disposer n'est pas une couronne civique. D'autres élèveront des statues à nos grands citoyens, à nos héros ; l'histoire immortalisera leurs noms. Votre seule mission est de vous occuper de l'avenir de la patrie, de le fonder sur les bases d'une prospérité solide et durable. Vos affections personnelles doivent disparaître devant ces intérêts sacrés.
D'une question de vie et de mort pour le pays on fait une question de vanité ou, si l'on veut, de sentiment. Il nous faut un prince belge, dit-on, un prince né parmi nous. Ici, messieurs, pardonnez-le-moi, je ne vois que des mots, je n'entends que des sons qui, dans ce moment même d'exaltation du patriotisme, disent peu au cœur et encore moins à l'esprit. Car quel est donc ce prestige du lieu de la naissance, auquel nos intérêts les plus positifs seraient impitoyablement sacrifiés ? Si à des motifs frivoles on pouvait opposer des considérations de peu de poids, je vous montrerais, messieurs, le trône belge du descendant de saint Louis et de Henri IV entouré du respect et de l'amour des peuples ; je montrerais dans Louis-Philippe un prince éclairé, modeste, ami des hommes, que ses vertus ont élevé au trône malgré ses liens de parenté avec un roi parjure ; enfin je montrerais dans les titres de roi des Français et des Belges une heureuse association de deux noms héroïques, l'expression d'une sorte de confraternité de gloire entre deux peuples dont les hauts faits, unis dans l'histoire, seront livrés ensemble à l'admiration de la postérité. Mais, messieurs, pour vous convaincre, il faut de plus solides raisons. Ce n'est pas parce que Louis-Philippe pourrait citer deux hommes vertueux dans une longue suite d'ancêtres que vous le jugeriez digne de régner sur les Belges. Vous ne ferez pas plus de cas de ses vertus comme homme privé, ni des vertus publiques qu'à son avènement il s'est empressé d'étaler aux yeux de la France ; les vertus royales, toutes personnelles, fussent-elles sincères et désintéressées, ne sont pas nécessairement transmises avec le sceptre aux successeurs des bons rois ; or c'est pour des siècles que vous allez élever un trône. Vous vous laisserez encore moins entrainer par des combinaisons de mots et de phrases sonores auxquels les partisans d'une dynastie belge seront forcés d'avoir recours pour essayer de charmer vos imaginations et de séduire vos esprits. Arbitres des destinées de la patrie, en toutes choses vous n'écouterez que ses vœux, vous ne verrez que ses besoins, et la révolution faite par le peuple, pour le peuple, aura ainsi des résultats dignes de son principe et de son objet.
Or, lorsque, après avoir consulté les mœurs, les habitudes, les besoins de la Belgique, circonscrite désormais dans ses propres limites, vous lui aurez donné des institutions toutes belges, quel caractère de nationalité ajouterez-vous à votre ouvrage en exigeant que le monarque soit né parmi nous ? Quel serait le but, le motif de cette condition d'éligibilité, nouvelle restriction apportée à la liberté de vos choix, où vous ne sauriez conserver trop de latitude ? En quoi la qualité de roi d'un autre État pourrait-elle nuire à cette nationalité que nous avons tant à cœur d'acquérir, puisque, conservant le nom de Belges, nous aurons des ministres et des députés belges, et par conséquent un gouvernement et des lois accommodés aux mœurs du pays.
On dit que les libertés religieuses seraient compromises par une union intime avec la France, principal foyer de l’impiété en Europe. Messieurs, le clergé de France, imbu des principes appelés gallicans, d'où résulte une sorte de confusion du spirituel et du temporel, moins éclairé, moins libéral que le nôtre, habitué à la domination sous Charles X, a vu avec peine les événements qui ont précipité ce prince du trône. Déjà pendant ce règne dévot, sous le ministère semi-libéral de M. de Martignac, il criait à la persécution et appelait le martyre. Aujourd'hui son mécontentement s'est accru en proportion de tout ce que la révolution lui a fait perdre de richesses et de puissance ; de là ces clameurs qui étonnent d'abord, mais dont l'effet s'évanouit quand on en découvre la véritable cause. Le clergé belge au contraire, répudiant le droit divin et professant les théories (page 56) les plus sociales, a toujours voulu la séparation des deux pouvoirs. Plein de confiance dans la force des doctrines dont il est lui-même profondément convaincu, il ne demande pas un appui matériel pour les faire triompher ; il ne demande que la liberté d'opinion pour tous, c'est-à-dire, la liberté de conscience, la liberté de la presse et celle de l'instruction. Aussi, appréciant les vrais besoins de la religion, ne s'est-il pas alarmé de la révolution de juillet, qui l'a destituée en France de cette puissance physique qui répugne à sa nature et à son origine. Et quand même la France, que par une contradiction inexplicable on accuse en même temps d'indifférence en matière religieuse et de prosélytisme d'impiété, persécuterait réellement la religion par l'intolérance de ses doctrines philosophiques, je ne vois pas moins de danger dans la séparation la plus marquée que dans le contact le plus immédiat ou la fusion la plus complète des deux nations ; car en proclamant la liberté absolue des opinions, vous leur donnez droit de bourgeoisie parmi vous, quelle que soit leur nature, de quelque part qu'elles viennent. Les plus fortes barrières ne vous garantiront pas des productions de la pensée ; elles sont même les seules que le système des douanes, s'il est maintenu, ne pourra soumettre à aucun droit, puisque la contrefaçon les livrera toujours à meilleur marché ici qu'ailleurs. Ainsi notre situation religieuse ne pourrait être empirée sous ce rapport. La diminution du traitement des prélats est aussi regardée par quelques-uns comme une plaie pour l'église de France, à qui un certain éclat est nécessaire pour attirer le respect des peuples, et l'on craint que sous un prince français ce genre de persécution ne s'étende à nos prêtres, à qui la loi accorde déjà si peu. Mais, messieurs, sous un prince français comme sous un prince belge, ce sont vos représentants qui en proposant, discutant et votant la loi, fixeront le traitement des prêtres, et si Louis-Philippe n'est pas un prince éminemment religieux, ce que j'ignore d'ailleurs, le Belge que vous choisiriez pour roi ou ses successeurs que vous recevriez des mains du hasard vous offriraient-ils plus de garantie morale ? D'ailleurs ayant placé la religion, comme tous nos droits, dans une sphère élevée, sous l'égide de la loi, nous n'avons que faire d'aller scruter le cœur des candidats à la royauté, dont les sentiments religieux ne seront pas nécessairement demain ce qu'ils sont aujourd'hui. On ne pourrait porter atteinte aux libertés que réclame la religion, sans violer les principes sur lesquels reposent le trône et tous les intérêts nés de notre glorieuse révolution ; il doit même nous être indifférent, comme je l'ai déjà dit, que le roi soit bon ou mauvais.
Plusieurs pensent que sous Louis-Philippe, roi des Français et des Belges, Bruxelles serait privée d'une cour ; messieurs, à défaut d'autres obstacles, attendez-vous toujours à voir l'esprit étroit de localité venir se jeter au travers de vos plus graves délibérations. La patrie est perdue si Bruxelles n'a pas de cour ! Mais qui vous dit que Bruxelles n'aura pas de cour ? Louis-Philippe, roi des Belges, ne se fera-t-il pas naturellement représenter à Bruxelles par un de ses fils comme vice-roi ? Et rien empêche-t-il que vous n'établissiez la vice-royauté par une disposition expresse de la constitution ? Ceux qui font dépendre la prospérité de Bruxelles des profusions des courtisans trouveront-ils moins de luxe et de splendeur dans la cour du fils du roi des Français que dans la cour d'un roi belge dont la fortune privée, quelle qu'on la suppose, ne pourra jamais être comparée à celle des ducs d'Orléans.
On veut nous effrayer de l'intervention étrangère. Messieurs, il se forme une sainte alliance des peuples contre la tyrannie, car celle-là seulement peut s'appeler sainte sans blasphème. De leur côté les rois se liguent ; au premier bruit de notre révolution, des masses énormes d'esclaves se sont ébranlées dans l'Orient, prêtes à être déchaînées par leurs maîtres contre les hommes libres dont ils ne peuvent, hélas ! juger la cause, ni apprécier le bonheur. Quoi que nous fassions, nous ne déplairons pas aux peuples nos alliés. Les peuples, étrangers aux calculs de la diplomatie, se soucient peu de l'équilibre politique de l'Europe au, nom duquel ils étaient autrefois vendus, échangés, légués comme des masses inertes. La balance politique de l'Europe, système absurde et contre nature, a fait place aujourd'hui à une autre balance, celle de la justice éternelle, qui compte pour rien l'intérêt de quelques individus au prix du salut des peuples. Quoi que nous fassions aussi, nous déplairons aux rois absolus, nos ennemis : car cet équilibre de l'Europe, leur idée fixe, est déjà rompu par la séparation de la Belgique d'avec la Hollande, et plus encore par l'attraction mutuelle des nations civilisées. Placés dans la balance sur le même plateau que la France, il ne nous reste qu'à lui donner plus de poids, qu'à rendre indestructibles les liens que des révolutions également glorieuses ont formés entre deux peuples dignes aujourd'hui de marcher de front sous un même chef à la tête de la civilisation et de la liberté européenne. (J. B., supp., 10 janv.)
M. Devaux – Je demande à faire une motion (page 57) d'ordre. Comme je vois que la discussion va s'ouvrir sur le terrain où l'a portée l'orateur qui descend de la tribune, je viens faire observer qu'il n'était pas du tout dans la question. Je l'avais cru d'abord, mais bientôt je me suis aperçu qu'il n'y était pas. Son discours me prouve en outre qu'il a fort mal lu le rapport qui nous a été distribué ce matin, et que l'orateur a cru que l'article 38 était le même que celui qui avait été présenté primitivement. Dans le premier projet, le roi de la Belgique ne pouvait réunir, dans aucun cas, deux couronnes sur sa tête ; il y avait, sous ce rapport, prohibition absolue, tandis que l'article, tel qu'il est aujourd'hui, ne porte qu'une prohibition relative, et qui peut être levée avec l'assentiment des deux chambres. L'orateur n'était pas dans la question, parce que le congrès, en adoptant l'article, reste libre dans le choix du souverain : cet article ne peut lier que les chambres futures, si elles ont à élire un roi. (U. B., 10 janv.)
M. Jottrand et M. Van Meenen appuient les observations de M. Devaux. (U. B., 10 janv.)
M. Delwarde soutient que M. Pirmez était dans la question, et que l'article 38 étant adopté, le congrès ne pourrait plus choisir pour roi Louis-Philippe Ier ; il propose de dire : sans l'assentiment du congrès et des deux chambres. (U. B., 10 janv.)
- Un membre demande d'ajouter au paragraphe premier la disposition suivante : « Néanmoins le congrès national peut déférer la couronne au chef d'un autre État. » (A.)
M. le chevalier de Theux de Meylandt – Le congrès pourra choisir le prince qu'il voudra ; mais lorsqu'il sera sur le trône, il ne pourra accepter une autre couronne sans le consentement des chambres. (J. B., 10 janv.)
M. Trentesaux – Tout le monde est d'accord, si l'on convient que le congrès n'est limité que par l'exclusion des Nassau et qu'il puisse choisir, s'il veut, le roi des Français pour roi de la Belgique. (U. B., 10 janv.)
M. Charles Rogier – Il faut que l'article soit clair et précis, car il importe que, dans quelques années, l'on ne reproche pas au pouvoir du chef de l'État une origine douteuse. (U. B., 10 janv.)
M. Surmont de Volsberghe – Il ne s'agit pas de savoir maintenant si le roi de France peut être choisi pour roi de la Belgique, mais si, lorsque la Belgique aura un roi, ce roi pourra accepter une seconde couronne sans l'assentiment des deux chambres. (U. B., 10 janv.)
M. Claus – Je propose d'ajouter à l'article 38 la disposition suivante :
« Le présent article n'est point applicable au premier choix du chef de l'État. » (P. V. et A.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII croit qu'il suffirait de mentionner au procès-verbal que l'article 38 ne concerne que le premier choix du congrès. (C., 9 janv.) .
M. Raikem croit que l'article n'a aucun rapport au choix du congrès, mais exclusivement au cas où le chef serait déjà existant en Belgique. (C., 9 janv.)
M. Claus demande que son amendement soit discuté. (C., 9 janv.)
- Cet amendement est appuyé. (C., 9 janv.)
M. Claus le développe et soutient que si l'article était adopté tel qu'il est, il y aurait doute sur sa portée, et qu'on pourrait dire que le congrès serait lié. C'est pour faire disparaître ce doute, dit-il, que je demande qu'on adopte mon amendement. (C., 9 janv.)
M. Raikem – La rédaction de l'article ne parle que des deux chambres futures, comment veut-on appliquer cela au congrès ? (C., 9 janv.)
M. Pirson pense qu'il suffirait de mentionner la discussion au procès-verbal. (C., 9 janv.)
M. Van Meenen parle dans le sens opposé à l'amendement de M. Claus qui est inutile, parce que l'article suppose déjà l'existence du chef de l'État et de deux chambres. Il ne s'oppose pas à la mention au procès-verbal. (C., 9 janv.)
M. Claus se contentera aussi de la mention au procès-verbal et retirera son amendement si cette insertion a lieu. (C., 9 janv.)
M. le baron Beyts croit qu'il est nécessaire de faire la mention de l'incident, afin que si le congrès venait à élire un roi qui portât déjà une autre couronne, il ne fallût pas faire confirmer ce choix par les deux chambres futures. (C., 9 janv.)
M. Destouvelles réfute l'opinion de M. Beyts par la considération qu'il va de soi que le congrès souverain liera les deux chambres. (C., 9 janv.)
M. de Gerlache pour lever tout doute, demande qu'on mette : le chef de l'État ne peut devenir, etc. (C., 9 janv.)
M. Devaux croit qu'il y aurait inconvénient à changer la rédaction, car cela pourrait exclure à toujours et sans exception l'avènement d'un prince déjà roi ailleurs, et qui par la suite des temps pourrait être appelé au trône de la Belgique. (C., 9 janv.)
M. Van Snick demande qu'on mette dans l'article : après la première élection. (C., 9 janv.)
M. Jottrand – (page 58) Ce serait l'objet d'un article transitoire si l'on trouve qu'il y a lieu de l'admettre. (C., 9 janv.)
- La proposition de M. Claus reste sans suite ultérieure, et l'assemblée décide qu'il sera fait mention au procès-verbal que lors de la discussion des articles transitoires il y sera inséré une disposition établissant que l'article 38 n'est point applicable au congrès lors du choix à faire par lui, du chef de l'État. (P. V.)
M. de Tiecken de Terhove demande l'impression et la distribution de ce procès-verbal. (U. B., 10 janv.)
- Cette demande n'est pas appuyée. (U. B., 10 janv.)
On passe au deuxième paragraphe de l'article 38 :
« Aucune des deux chambres ne pourra délibérer sur cet objet, si deux tiers au moins des membres qui la composent ne sont présents, et la résolution ne sera adoptée qu'autant qu'elle réunira au moins les trois quarts des suffrages. » (U. B., 10 janv. et A. C.)
M. Trentesaux demande qu'on substitue les mots : les deux tiers des suffrages, aux mots : les trois quarts des suffrages. (C., 9 janv.)
- Cet amendement est adopté. (P. V.)
M. Van Snick – Je demande que cet objet ne puisse être discuté que les chambres réunies, pour éviter une disparate fâcheuse, si une chambre décidait oui, et que l'autre décidât non. (U. B., 10 janv.)
- M. de Gerlache, premier vice-président, remplace M. le baron Surlet de Chokier au fauteuil.
M. le président prie M. Van Snick de rédiger son amendement. (U. B., 10 janv.)
M. Van Snick rédige son amendement ; il monte à la tribune. (U. B., 10 janv.)
- Un membre – Il faut savoir d'abord si votre amendement est appuyé. (U. B., 10 janv.)
M. Van Snick déclare qu'il n'est pas satisfait de la rédaction de son amendement, et demande quelques instants pour en trouver une nouvelle. (U. B., 10 janv.)
M. le président – En attendant, je propose au congrès d'entendre une communication de M. le chef du comité des finances. (U. B., 10 janv.)
M. Charles de Brouckere, administrateur général des finances, présente un projet de décret relatif aux droits d'entrée sur les fers.
M. le président – Le projet et l'exposé des motifs seront imprimés et distribués. (U. B., 10 janv. et P. V.)
- Une voix – Il faut décréter l'urgence. (U. B., 10 janv.)
M. le président consulte l’assemblée, qui décrète l'urgence. (P. V.)
- Un membre – Je demande le renvoi à une commission. (U. B., 10 janv.)
- Ce renvoi est ordonné ; chaque section nommera un de ses membres pour faire partie de la commission. (P. V.)
M. Claus – L'objet de la communication qui vient de nous être faite est de la plus haute importance. Pour en bien juger, il est essentiel de prendre des renseignements sur les lieux ; il faut connaître l'opinion de ceux que le décret intéresse plus particulièrement ; il faut pouvoir leur en communiquer le projet. Pour tout cela un seul exemplaire est insuffisant ; je demande que l'impression en soit faite en nombre double, et qu'il en soit distribué deux exemplaires à chaque membre. (U. B., 10 janv.)
- Cette proposition est mise aux voix et adoptée. (U. B., 10 janv.)
M. le président cède le fauteuil à M. le baron Surlet de Chokier.)
M. Alexandre Rodenbach – Je prie M. le président de lire la proposition que j'ai déposée sur le bureau. (U. B., 10 janv.)
M. Henri de Brouckere, secrétaire, en donne lecture ; elle est ainsi conçue :
« J'ai l'honneur de proposer au congrès de prier le comité diplomatique de vouloir bien nous communiquer la dépêche qu'il a reçue cette nuit, et qui est relative au chef de l'État.» (U. B., 10 janv.)
M. le président – Vous venez d'entendre la proposition de M. Rodenbach ; cette proposition est-elle appuyée ? (Oui ! oui !) (U. B., 10 janv.)
M. Alexandre Rodenbach – Messieurs, le bruit court dans le public qu'une dépêche est arrivée cette nuit au comité diplomatique. On dit qu'elle est relative au choix du souverain. Dans les circonstances où nous nous trouvons, il est essentiel de connaître tout ce qui est relatif à la question du souverain ; je demande donc que la communication (page 59) nous soit donnée de cette dépêche. (U. B., 10 janv.)
M. le président – Comment sait-on qu'une dépêche est arrivée ? (U. B., 10 janv.)
M. Alexandre Rodenbach – Un des membres du congrès m'en a dit le contenu. (U. B., 10 janv.)
M. le président – Dites-nous alors ce qu'elle contient. (Bruit.) (U. B., 10 janv.)
M. Charles Rogier, membre du gouvernement provisoire – Ces dépêches ont été lues à la section centrale. (U. B., 10 janv.)
M. de Robaulx – Pourquoi cette préférence pour la section centrale, et pourquoi ne pas les communiquer directement au congrès ? (U. B., 10 janv.)
M. le président – Puisqu'il faut s'expliquer là-dessus, je vais dire ce qui s'est passé. Cette nuit, deux dépêches assez insignifiantes sont arrivées au comité diplomatique. On les a communiquées ce matin à la section centrale, d'une manière officieuse, simplement pour lui demander conseil, afin de savoir s'il conviendrait d'en donner connaissance aujourd'hui au congrès et de renouveler la discussion d'une question qui a été renvoyée à mardi prochain. La section à l'unanimité a décidé que, pour ne pas renouveler la discussion, on n'en donnerait pas connaissance. Maintenant, si le congrès veut les connaître, il le peut. (U. B., 10 janv.)
M. Helias d’Huddeghem – Messieurs, il est incontestable que la nation attend avec impatience le terme de nos délibérations. Parmi toutes les questions que nous sommes appelés à résoudre, aucune ne l'intéresse aussi vivement que celle du chef de l'État. La nation ne l'ignore pas, l'intrigue se remue, elle étend au loin ses ramifications ; elle cherche à agiter cette assemblée. Si des factions désirent prolonger nos délibérations pour avoir le temps d'atteindre leur but, j'augure trop bien de l'immense majorité de cette assemblée, pour croire qu'elle ne partage pas le sentiment de la nation, et ne veuille décider le plus promptement possible cette question importante. Cependant d'interminables délais, des incidents continuels viennent entraver notre marche ; dans la dernière séance encore, une conclusion, fruit de la plus mûre délibération de la section centrale, a été renvoyée à mardi prochain pour être discutée encore ! Je désire que l'on ne renvoie plus ainsi à une époque éloignée ce qui peut être adopté à l'instant même ; que la majorité qui ne veut pas de ces délais se prononce et ne se laisse plus traîner à la remorque par la minorité. Par là nous remplirons le vœu de nos commettants, nous mettrons un terme à la longue crise où se trouve la nation, et nous préviendrons une catastrophe que nos inconcevables délais rendront bientôt inévitable. (J. F., 10 janv.)
M. Van Snick – On a semblé vouloir insinuer que le congrès ne devait pas avoir communication des dépêches qui arrivent au comité diplomatique. Si, dans les circonstances ordinaires, cela est vrai, dans la position où nous nous trouvons, nous devons être instruits, jour par jour, de ce qui se passe. (U. B., 10 janv.)
M. Delwarde – Nous devons délibérer mardi sur la proposition de M. Rodenbach : la communication faite à la section centrale pourrait nous éclairer sur ce qu'il y a à faire ; je demande que la dépêche soit aussi communiquée au congrès. (U. B., 10 janv.)
M. Charles Le Hon, membre du comité diplomatique – J'ai, en qualité de membre du comité diplomatique, pris connaissance des deux lettres arrivées hier, et j'ai la conscience que le comité a fait ce qu'il devait. Il en a donné connaissance à la section centrale, saisie de la question. La section a pu être à même de juger s'il était convenable de les communiquer au congrès. Vous devez apprécier les motifs du comité qui l'ont engagé à ne pas faire la communication de ces lettres au congrès avant mardi, afin qu'on ne puisse pas l'accuser d'avoir voulu d'avance influencer sa décision. (U. B., 10 janv.)
M. de Robaulx – Dans un moment où une grande inquiétude règne dans tous les esprits, il est urgent pour nous, qui devons accomplir le grand œuvre dans l'intérêt de la nation, de connaître tout ce qui est relatif au choix du souverain. Aussi ne suis-je pas de l’avis de M. Le Hon, et ne pensé-je pas que le comité diplomatique dût s'arrêter à la section centrale. Plus tard on pourrait dire que c'est la section centrale qui a empêché la communication au congrès et la rendre seule responsable de la non-communication. (U. B., 10 janv.)
M. Van Snick – On ne s'est décidé à renvoyer à mardi que parce que d'ici là il pourrait arriver des dépêches, et aujourd'hui on veut nous les cacher ! (U. B., 10 janv.)
M. Charles Rogier, membre du gouvernement provisoire – On ne veut pas vous les cacher. (U. B., 10 janv.)
M. Van Meenen – En se contentant de communiquer la dépêche à la section centrale, le comité diplomatique, malgré ce qu'a pu dire M. Le Hon, a introduit un fâcheux précédent. La (page 60) section centrale a épuisé tous ses pouvoirs sur la proposition de M. Rodenbach ; que dis-je ? il n'existe plus de section centrale quant à cette proposition. Il n'y avait donc aucune raison de lui communiquer la dépêche : au reste, dans ce moment, le bruit de cette communication est répandu dans le public ; je pense que la réserve que l'on pourrait garder à cet égard serait plus préjudiciable que la communication elle-même. (U. B., 10 janv.)
M. le président – Je l'ai déjà dit, la communication n'a été faite à la section centrale, qui à la vérité n'est plus rien, que d'une manière officieuse. En ma qualité de président de la section, je n'ai pas demandé le secret, mais tous les membres m'ont offert spontanément de le garder. Il paraît que quelqu'un a violé sa promesse, ce qui prouve que dans une autre circonstance il serait inutile de le demander. (U. B., 10 janv.)
M. Charles Le Hon, membre du comité diplomatique – Je ne crains pas d'être mis en contradiction avec ce que j'ai dit hier. Lorsque hier vous avez renvoyé la discussion à mardi, vous avez eu en vue les dépêches qui pourraient arriver jusque-là, de la conférence de Londres ; eh bien ! je ne sais pas si on vous l'a dit, il n'est rien arrivé de la conférence de Londres... (L'orateur est interrompu par un tumulte spontané, tandis que M. le président parle à un membre monté au bureau.) (U. B., 10 janv.)
M. Charles Le Hon, membre du comité diplomatique – J'exerce un droit quand je parle ; je vous serai obligé, M. le président, de me maintenir la parole. (U. B., 10 janv.)
M. le président – Pardon, monsieur, j'étais occupé à autre chose ; parlez. (U. B., 10 janv.)
M. Charles Le Hon, membre du comité diplomatique – Je disais, et, nonobstant messieurs les interrupteurs, je le maintiens, qu'il n'est rien arrivé de Londres. C'est M. Blargnies qui fit observer, hier, que mardi il pourrait être arrivé de Londres une réponse à la note du 3 janvier, émanée du comité diplomatique. C'est cette considération qui décida le congrès à renvoyer la discussion à mardi. Eh bien ! il n'est rien arrivé de Londres. Mais, dit-on, c'est de Paris. (U. B., 10 janv.)
M. Alexandre Rodenbach – Nous ne le savons pas. (U. B., 10 janv.)
M. Charles Le Hon, membre du comité diplomatique – Oui, messieurs, c'est de Paris. Mais sont-ce des dépêches officielles ? Non, ce sont des lettres confidentielles, des réponses contenant des détails extra-officiels sur des conversations tenues à Paris. Quoique ces lettres ne fussent pas dans la ligne diplomatique, le comité diplomatique a voulu les faire connaître à des hommes prudents, à des membres du congrès, pour leur demander conseil. Qu'on ne dise pas que c'est un précédent dangereux, que le comité diplomatique a voulu se décharger de toute responsabilité sur la section centrale. Non, messieurs, on n'a pas voulu se décharger d'une responsabilité quelconque, parce qu'il ne pouvait y avoir de responsabilité quand il s'agissait de lettres plus qu'extra-officielles, et de nature à ne pas vous être communiquées. N'importe, a dit le comité, il faut les faire connaître, et comme il pourrait paraître indiscret de les communiquer au congrès lui-même, contentons-nous d'en donner connaissance à quelques membres, pour nous éclairer de leurs lumières. C'est par respect des convenances, c'est, j'ose le dire, par respect pour l'assemblée elle-même, que nous n'avons pas voulu nous exposer à faire cette communication. Messieurs, il me semble qu'on est bien fort quand on se conduit de la sorte, et qu'on ne doit guère craindre, ni de s'être mis en contradiction avec soi-même, ni d'avoir établi de précédents fâcheux.
Maintenant, si le congrès veut qu'on lui communique les lettres, il en est le maître ; j'approuverai tout ce qu'il fera à cet égard. (U. B., 10 janv.)
M. Jottrand, M. Alexandre Rodenbach et M. Van Meenen demandent la parole. (U. B., 10 janv.)
M. le président – Il y a encore dix orateurs inscrits avant vous. (On rit.) (U. B., 10 janv.)
M. Fleussu – J'ai l'honneur d'être membre de la section centrale, et je réponds ici, au nom de tous ses membres, que pas un de nous n'a trahi le secret que nous avions promis de garder. Ce qui m'étonne, c'est que l'on ait semblé insinuer que c'est quelque membre de la section qui' a fait connaître la dépêche, tandis que c'est un membre du comité diplomatique lui-même qui a révélé qu'une communication avait été faite à la section centrale. Quoi ! le comité diplomatique vient nous communiquer la dépêche, nous promettons de garder le secret, et c'est lorsqu'on demande communication au comité diplomatique (car M. Rodenbach a demandé que le comité fît la communication, et non la section centrale), c'est alors, dis-je, qu'un membre du comité diplomatique vient annoncer que communication a été faite à la section centrale ! L'arrivée de la dépêche est connue du public, c'est le secret de toute la ville ; mais ce que le public ne savait pas, ce qui (page 61) n'était pas le secret de toute la ville, c'est que la dépêche eût été communiquée à la section centrale. Je le répète, je suis étonné que ce soit un membre du gouvernement qui ai fait connaître cette circonstance ; j'ai répondu par là à ce qu'a du dit M. le président, et je l'affirme de nouveau, ce n'est aucun des membres de la section centrale qui a trahi le secret. Maintenant, si le congrès décide que la dépêche lui sera communiquée, je m'oppose à ce que la communication soit faite au nom de la section centrale. (U. B., 10 janv.)
M. Jottrand – Messieurs, il est une chose qui bien certaine... (U. B., 10 janv.)
M. le président – M. Jottrand, vous n'avez pas la parole. (On rit. - M. Jottrand se rassied.) (U. B., 10 janv.)
M. Charles Rogier, membre du gouvernement provisoire – Messieurs, s'il est une chose incontestable, c'est que le comité diplomatique n'a jamais eu de secret pour personne ; on lui a même a fait un reproche tout contraire dans les cabinets étrangers. Qu'est-il donc arrivé qui puisse tant étonner M. Fleussu ? Cette nuit, une dépêche est arrivée, elle contenait deux lettres à M. le président du comité diplomatique ; on s'est demandé s'il fallait les communiquer. Messieurs, notre position est assez embarrassante ; il est, dans l'assemblée, certaines personnes d'une extrême susceptibilité, qui semblent voir dans toutes les démarches du comité une tactique pour favoriser des prétentions supposées, bien gratuitement, à quelques membres du gouvernement. Or, nous savions que ces dépêches pouvaient influer sur les décisions du congrès, et rendre inutile la démarche que l'on se proposait de faire à Paris et à Londres. Dans cette position nous avons eu recours à la section centrale. Quelle est votre opinion sur ces lettres ? lui a-t-on demandé. Pensez-vous qu'elles doivent être communiquées au congrès ? Je ne pense pas que le secret ait été demandé ; s'il l'avait été, ce serait sans l'assentiment du gouvernement. Maintenant je ne sais pas si M. Fleussu peut se porter fort pour tous ses collègues, mais il est certain que quelqu'un en a parlé. Lorsque M. Rodenbach a fait sa proposition, j'ai dit que la communication avait été faite à la section centrale, parce que personnellement je ne voulais pas en faire un secret, et que je savais que telle n'était pas non plus l'intention du gouvernement. Puisque la proposition est faite, j'insiste le premier pour que la dépêche soit communiquée. (U. B.. 10 janv.)
M. le président consulte l'assemblée, qui décide que les lettres seront lues. (U. B., 10 janv.)
M. le comte d’Arschot, vice-président du comité diplomatique, monte à la tribune. (Plusieurs députés quittent leur place et entourent la tribune ; un profond silence s'établit.) – Messieurs, la communication qui va vous être faite sort des règles ordinaires. Je désire que l'assemblée se contente de la simple lecture que je vais lui donner des deux pièces que je tiens et qu'elle n'en exige pas l'impression. (Marques d'assentiment.) (C., 9 janv.)
M. de Robaulx – Je m'oppose à la lecture, si elle est faite de manière à ce que nous ne puissions pas en garder le souvenir. (U. B., 10 janv.)
- De toutes parts – Non ! non ! lisez ! lisez ! (U. B., 10 janv.)
M. de Robaulx – Je demanderai la parole après la lecture, s'il y a lieu. (U. B., 10 janv.)
M. le président – Cela vaudra beaucoup mieux. (U. B., 10 janv.)
M. le comte d’Arschot, vice-président du comité diplomatique – Le 3 de ce mois, M. Rodenbach a fait, ainsi que vous vous le rappelez, une proposition relative au choix du chef de l'État, qui a été renvoyée en sections et discutée sur-le-champ.
Plusieurs sections ont fait mention du choix que l'on pourrait faire du prince Othon de Bavière. Le comité diplomatique crut dès lors devoir charger M. Gendebien , notre envoyé à Paris, de pressentir le ministère français sur ce choix. Un courrier lui fut expédié à cet effet.
M. Gendebien nous a répondu la lettre (Note de bas de page : Les journaux ont seulement donné un résumé de cette lettre ; nous la publions intégralement.) que je vais avoir l'honneur de vous lire :
« A M. le comte de Celles, vice-président du comité diplomatique.
«Paris, le 5 janvier 1831, à neuf heures du soir.
« Monsieur le comte,
» Votre courrier, parti hier, est arrivé ce soir à quatre heures ; je me suis empressé d'entrer en conférence avec Son Excellence le ministre secrétaire d'État au département des affaires étrangères, comte Sébastiani.
« Sur votre première question, il m'a fait l'honneur de me dire que la France accéderait à toutes (page 62) les combinaisons politiques qui pourraient constituer définitivement notre gouvernement et assurer le repos et le bonheur des Belges.
« Il m'a donné l'assurance que le choix, par le congrès, du prince Othon, second fils du roi de Bavière, serait agréé par le gouvernement de S. M. le roi Philippe Ier.
« Il a ajouté qu'il était persuadé que l'alliance du roi futur de la Belgique avec la princesse Marie d'Orléans, fille cadette de S. M. le roi des Français, serait acceptée ; qu'il ne pouvait néanmoins faire à cet égard une communication instantanée à S. M., attendu que la princesse est très dangereusement malade et qu'il serait peu convenable de traiter de cet objet dans une pareille circonstance.
« Quant aux limites territoriales, qui sont l'objet de votre seconde question, Son Excellence m'a répondu à peu près en ces termes : La France n'oubliera jamais que la Belgique fut son berceau ; la conformité de mœurs, de religion, de langage et de principes, fournit des motifs durables de sympathie qui assurera toujours à la Belgique le plus vif intérêt et la protection constante de la France et de son gouvernement dans toutes les questions qui toucheront les intérêts et l'honneur national des Belges. En conséquence il m'autorisait à vous donner l'assurance que la France nous soutiendra dans la discussion de nos limites, lorsque le bon droit sera de notre côté, et qu'elle ne souffrira aucune intervention qui tendrait à nous forcer à faire des concessions territoriales.
« Le langage du ministère français est d'autant plus rassurant pour nos chers compatriotes, qu'il serait au besoin soutenu par la France entière. J'ai acquis la conviction, pendant mon séjour ici, et lors de mes précédentes missions, que la France se lèverait en masse et comme un seul homme pour défendre notre indépendance et soutenir nos droits s'ils étaient menacés.
« Je désire, monsieur le comte, avoir répondu à l'attente du comité, et vous prie d'agréer l'assurance de ma haute considération.
« A. GENDEBIEN. »
Telle est la lettre de M. Gendebien, dit M. le comte d'Arschot ; la seconde pièce (Note de bas de page : Nous donnons également une copie textuelle de cette lettre qui n'a été publiée qu'en résumé) à communiquer est celle-ci :
« A M. le comte de Celles, vice-président du comité diplomatique.
« Paris, le 6 janvier, onze heures du soir.
« Monsieur le comte,
« M. Gendebien, se trouvant accablé d'un mal de tête très violent, me charge de répondre à la lettre que vous lui avez adressée par le courrier extraordinaire parti de Bruxelles hier à trois heures, et arrivé ici, aujourd'hui, à quatre heures du soir.
« La dépêche officielle que vous transmettez à M. Gendebien a été ce soir même mise par moi sous les yeux de M. le ministre des affaires étrangères qui, à son tour, a dû vers dix heures la communiquer au roi. Le langage noble et ferme qu'y tient le comité diplomatique (Note de bas de page : note verbale en réponse au protocole du 20 décembre), la dignité avec laquelle nos droits y sont défendus, ont fait une vive impression sur M. Sébastiani, et l'on ne peut douter que le roi ne l'apprécie de son côté. Le gouvernement français comprendra facilement que notre indépendance ne serait qu'illusoire et passagère, si la Belgique ne reste forte et à l'abri des attaques de son perfide et cruel ennemi ; il comprendra que Venloo et Maestricht ne peuvent être séparées de nos provinces et rendues à Guillaume, pour que de ces positions formidables il soit menaçant incessamment notre nouvel État. On commence à reconnaître ici que la province de Luxembourg doit rester belge et non allemande.
« La mauvaise foi du roi Guillaume cause ici un profond mécontentement et un vif sentiment d'irritation. On ne supporte (quand je dis on, j'entends le ministère) que fort impatiemment que par son insigne mauvaise foi et ses provocations continuelles il médite de rallumer une guerre qu'on veut éviter à tout prix. S'il n'avait pas enfin consenti à la libre navigation de l'Escaut, me disait tout à l'heure M. Sébastiani, nous aurions bien su l'y contraindre d'accord avec l'Angleterre, et dix frégates que nous aurions envoyées, s'il l'avait fallu, auraient bientôt rendu le fleuve libre.
« La résolution prise par le congrès de s'occuper immédiatement du choix de notre chef futur a été accueillie ici avec un véritable sentiment de plaisir, et si les suffrages se réunissent sur le jeune prince Othon de Bavière, il sera immédiatement reconnu comme roi ou grand-duc, par la (page 63) France, ainsi que la régence qu'on lui adjoindra. M. Sébastiani m'a dit que ce matin l'ambassadeur de Prusse lui avait donné l'assurance que sa cour se prononcerait aussi sur-le-champ en sa faveur. »
« Quant au projet de demander pour le prince Othon la troisième des filles du roi de France, M. Sébastiani ne prévoit pas d'obstacle à son accomplissement. Le roi porte à notre Belgique un intérêt trop vrai et trop profond pour qu'il se refuse à lui donner pour reine une de ses filles, qui serait pour notre pays un gage de stabilité et de paix. »
« Durant mon entretien avec le ministre, j'ai cru devoir chercher à connaître quelles seraient les dispositions du gouvernement français relativement à notre commerce, et si nous pourrions espérer de conclure bientôt un traité avantageux qui faciliterait l'introduction en France de nos charbons, de nos fers, de nos draps et de nos autres produits. Les assurances les plus positives m'ont de nouveau été données par M. Sébastiani, que la France nous accorderait toutes les conditions que nous pourrions désirer, pourvu qu'elles ne blessassent pas trop directement ses intérêts.
« Notre politique bien entendue n'est-elle pas, a-t-il ajouté, que la Belgique soit riche, florissante ? N'est-elle pas notre alliée la plus naturelle, et puisqu'elle ne peut être unie à nous, traitons-la du moins comme une sœur. »
« J'étais en train de questionner ; on était en épanchements, je continuai : « Vous n'ignorez pas, monsieur le comte, lui dis-je, quel mouvement éclate dans plusieurs de nos provinces en faveur de la France : des pétitions arrivent de toutes parts au congrès pour demander la réunion de la Belgique ; an sein même de l'assemblée de nos députés, un parti nombreux se déclare dans ce sens ; s'il venait à l'emporter, le gouvernement français persisterait-il à nous dire non et à ne pas vouloir de nous ? » - « Monsieur, reprit le ministre, cette réunion, que peut-être nous désirons autant que les Belges, est cependant impossible ; elle amènerait nécessairement une guerre générale ; jamais l'Angleterre n'y consentirait ; cette guerre qu'il nous faudrait soutenir ravagerait vos belles contrées et chez nous remettrait en question tout ce que nous avons conquis par notre dernière révolution. Il y faut renoncer. Si la Belgique venait s'offrir à nous, ou nous demander un de nos princes pour roi, quelque douloureux qu'il fût pour nous de prononcer un refus, il le serait pourtant. Rien ne peut faire départir le gouvernement de cette résolution. » - « Mais alors, si chez nous le parti républicain l'emportait ? - Jamais vous ne seriez reconnus par les puissances de l'Europe et l'on aurait bientôt trouvé prétexte à une intervention dans vos affaires. » - « Et si les voix se portaient sur un citoyen belge pour l'élever sur le trône ? - Les puissances verraient un tel choix avec presque autant de déplaisir que l'établissement d'une république, et vos espérances d'obtenir des traités de commerce avantageux ne se réaliseraient que bien difficilement. Que la majorité de votre congrès, animée de ce bon sens et de cette sagesse qui l'a dirigée jusqu'ici, fasse un choix que tous les anciens États de l'Europe puissent immédiatement approuver ! Le prince Othon, je pense, est celui qu'il vous faut, et la Russie elle-même, malgré ses liens de parenté avec la maison d'Orange, ne tarderait pas à le reconnaître. »
« Voilà, monsieur le comte, un résumé assez fidèle de ma conversation avec M. le ministre des affaires étrangères. J'ai cru devoir vous la rapporter un peu au long, parce qu'elle peut servir à faire connaître la pensée du cabinet français sur nos affaires.
« Il n'est peut-être pas inutile de vous dire ici qu'aujourd'hui même l'ambassadeur de Russie à Paris a reçu de son gouvernement ses lettres de créance auprès du roi Philippe, et qu'il lui sera présenté demain en audience solennelle. Les dispositions de la Russie paraissent être singulièrement modifiées, et l'on a encore quelque espoir que l'empereur Nicolas répondra autrement que par des coups de canon aux justes plaintes des Polonais et qu'il fera droit à leurs griefs.
« M. de Mortemart part dans quelques jours en qualité d'ambassadeur extraordinaire auprès de la cour de Saint-Pétersbourg ; vous savez qu'il a déjà rempli cette mission sous Charles X, en la même qualité.
« Je ne terminerai pas cette longue lettre, monsieur le comte, sans vous répéter de nouveau que nous pouvons compter sur l'appui et le vif intérêt de la France ; que le ministère est bien décidé à ne pas souffrir que Guillaume manque à ses engagements et cherche une occasion de rallumer la guerre. S'il ne se soumet pas franchement aux conditions de l'armistice, on saura l'y contraindre, et l'on emploiera la force, s'il le faut. L'honneur et la dignité de la France y sont engagés, et ce ne sera pas en vain que la Belgique aura mis en elle sa confiance.
« Agréez, monsieur le comte, l'expression de mon respect et de mes sentiments les plus distingués.
« FIRMIN ROGIER. »
(page 64) - M. le comte d'Arschot se prépare à descendre de la tribune. (C., 9 janv.)
M. de Robaulx – Je demande une seconde lecture de ces pièces. (Non ! non ! Réclamations générales.) Que nous puissions au moins avoir accès auprès de ces lettres. (Non ! non ! Tumulte.) Comme une lecture fugitive ne me suffit pas, je demande, si on ne veut pas d'impression, qu'au moins nous puissions avoir accès auprès de ces lettres, et en prendre connaissance. (U. B., 10 janv.)
M. le président – Que chacun rentre en place. (On se presse autour de la tribune.) (J. B., 10 janv.)
M. le comte d’Arschot, vice-président du comité diplomatique – Si M. de Robaulx veut venir ce soir au comité diplomatique, il les lira lui-même. (U. B., 10 janv.)
M. de Robaulx – A la bonne heure. (U. B., 10 janv.)
M. le baron Osy – Une des lettres qui viennent d'être lues porte que, si le roi de Hollande n'avait consenti à l'ouverture de l'Escaut, on aurait bien su l'y forcer. Je demande que le comité diplomatique nous dise si le roi de Hollande y a en effet consenti, et qu'on nous mette sous les yeux les pièces qui le prouvent. Un des membres du comité nous dit il y a quelques jours que l'Escaut serait ouvert le 20 : qu'on nous dise sur quoi repose cet espoir. (U. B., 10 janv.)
M. le comte d’Arschot, vice-président du comité diplomatique – Je n'en sais pas plus que ce qu'en dit la lettre. (U. B., 10 janv.)
M. le baron Osy – La lettre de M. Gendebien porte que, si le roi de Hollande n'avait consenti à l'ouverture de l'Escaut, on aurait bien su l'y forcer. On croit donc qu'il y a consenti, et cependant rien n'est moins vrai. (U. B., 10 janv.)
M. Van Meenen – C'est M. Nothomb qui, dans un discours prononcé je ne sais plus sur quel sujet, assura que le roi de Hollande se proposait de rouvrir l'Escaut le 20 janvier. (U. B., 10 janv.)
M. le comte d’Arschot, vice-président du comité diplomatique – J'ai aussi entendu cette assertion de M. Nothomb, mais on peut parler à la tribune et comme membre du congrès, et comme membre du comité diplomatique ; je pense que dans cette circonstance M. Nothomb parlait comme membre du congrès. (U. B., 10 janv.)
M. Van Meenen – Tous les membres du comité diplomatique parlèrent ce jour-là successivement. (U. B., 10 janv.)
M. de Robaulx – Il doit y avoir une pièce, puisqu'on a répondu, à ceux qui demandaient si l'Escaut serait ouvert de suite, qu'il le serait le 20. (J. B., 10 janv.)
M. Charles Le Hon, membre du comité diplomatique – Je n'ai pas parlé en qualité de membre du comité diplomatique ; j'ai commencé par faire ma profession de foi au congrès, ensuite j'ai émis quelques observations personnelles. J'ignore complètement si le roi de Hollande a consenti à la levée du blocus. Si le ministre de France pense qu'il y a consenti, c'est peut-être une erreur de sa part. Je déclare n'avoir vu aucun document sur cet objet. Si on a parlé du 20, c'est d'après un dire, une nouvelle. (J. B., 10 janv.)
M. le baron Osy – J'ai cru que M. Nothomb avait parlé comme membre du comité diplomatique, en annonçant l'ouverture de l'Escaut. On ne nous annonce jamais que des choses vagues. C'est ainsi qu'on nous a annoncé d'abord que notre indépendance était reconnue sans parler du protocole du 20 décembre. (C., 9 janv.)
M. Destouvelles – Je crois, comme M. Le Hon, que ce n'est que par erreur que M. Sébastiani aurait assuré que le roi de Hollande a consenti à la libre navigation de l'Escaut. Mais puisqu'on s'est servi de ces mots : « que dans le cas où il n'y aurait pas consenti, on aurait bien su l'y forcer », il faut apprendre à M. Sébastiani que l'Escaut n'est pas libre, pour le mettre à même de prendre les mesures qu'il croit propres à y contraindre le roi de Hollande. (U. B., 10 janv.)
M. Charles Rogier – Le comte Sébastiani aura employé cette formule dans la conversation... (On se parle.) L'important est que le congrès sache que si le roi de Hollande ne levait pas le blocus, on l'y forcerait. (J. n.. 10 janv.)
M. Brédart – Ce qu'il y a de plus positif, c'est que les cinq puissances ont consenti un armistice dans le but de faire cesser l'effusion du sang, qu'une des conditions en était la libre navigation de l'Escaut, que la Hollande a rompu cet armistice, et que c'est à nous de forcer la Hollande par les armes. (J. B., 10 janv.)
- Plusieurs voix – Oui ! oui ! oui ! (J. B., 10 janv.)
M. Brédart s'animant davantage – Nos volontaires sont courageux, nous nous appuyons sur la nation française tout entière. Je demande que l'armistice soit rompu. (Bruit sourd.) (J. B., 10 janv.)
M. Marlet demande aussi qu'on rompe l'armistice, parce que la Belgique seule l'a observé et que la Hollande ne l'a pas respecté. Il ne s'agit pas de nous en rapporter à l'étranger pour mettre (page 65) la Hollande à la raison. Fixons un délai passé lequel nous attaquerons la Hollande si elle n'ouvre pas l'Escaut. (Appuyé! appuyé!) (C., 9 janv.)
M. Brédart – Le point capital est de nous emparer de la rive gauche de l'Escaut, c'est là qu'est la liberté de l'Escaut. (J. B., 10 janv.)
M. le comte d’Arschot rappelle l'orateur à la question. (J. F., 10 janv.)
M. Le Grelle – Lord Ponsonby a dit à M. Ellerman que l'Escaut serait ouvert le 20 janvier. Attendons jusqu'à cette époque. (C., 9 janv.)
M. Jottrand – A la bonne heure! Mais qu'après le 20 janvier on attaque la Hollande si elle ne veut pas se montrer de bonne foi. (C., 9 janv.)
M. Seron fait observer qu'il n'y a pas lieu à reprendre la guerre, puisque, par le fait, les hostilités étaient reprises. Il faut, pour forcer le roi Guillaume à nous rendre Anvers, s'emparer de la Flandre maritime. Qu'on ne parle pas de commencer la guerre; il faut achever celle qui est commencée. (U. B., 10 janv.)
M. de Robaulx – On s'est aperçu depuis longtemps que l'armistice n'est qu'une fiction pour arrêter nos succès. Il faut un terme aux tergiversations ; sans l'armistice nous aurions fait nous-mêmes les conditions. Les journaux hollandais disent positivement que la Hollande ne se départira pas de l'Escaut. Nous devons fixer au roi de Hollande un terme, après lequel nous le forcerons jusqu'en ses derniers retranchements ; je désire donc que la proposition que M. Pirson a faite dans une séance précédente soit mise à l'ordre du jour. (J. B., 10 janv.)
M. le comte Duval de Beaulieu – Je ne crois pas que dans une assemblée comme celle-ci, on décide de la paix et de la guerre. Je voudrais que sans entrer en détail on décidât qu'un délai sera fixé. (J. B., 10 janv.)
- Des voix – La clôture ! la clôture ! (J. F., 10 janv.)
- La clôture est prononcée. (C., 9 janv.)
M. le président prie MM. les rapporteurs des sections de se trouver, à sept heures du soir, en section centrale, pour entendre les renseignements que M. le ministre des finances donnera sur le budget. (J. F., 10 janv.)
M. de Robaulx demande qu'on déclare l'urgence de la proposition de M. Pirson pour la guerre. (C., 9 janv.)
M. Henri de Brouckere – La proposition de M. Pirson a déjà été déclarée non urgente et renvoyée aux sections ; il n'y a pas de nouveau motif pour changer cette décision. (J. B., 10 janv.)
M. Van Snick – Nous croyions alors que l'Escaut serait ouvert le 20, aujourd'hui tout devient incertain. (J. B., 10 janv.)
M. Pirson – Comme c'est ma proposition, je dirai que je ne tiens pas à ce qu'elle soit discutée de suite. Je désirerais qu'elle le fût après la discussion sur le chef de l'État et avant le 20 du mois. (J. B., 10 janv.)
M. Destouvelles – Songez à la responsabilité que nous assumons sur nos têtes en improvisant une déclaration de guerre. (J. B., 10 janv.)
M. Surmont de Volsberghe – Je ne vois pas qu'il y ait urgence; la question de la guerre est majeure pour Anvers. Du reste, nous commençons à acquérir à Londres et à Paris la certitude que le roi de Hollande sera forcé d'exécuter l'armistice. (J. B., 10 janv.)
M. Helias d’Huddeghem – Je demande qu'on fixe à demain la discussion de la proposition de M. Constantin Rodenbach, sur le choix du chef de l'État. (U. B., 10 janv.)
- Plusieurs membres – Non! non! c'est fixé à mardi. (J. F., 10 janv.)
M. le président – Vous savez que le congrès a décidé qu'elle ne serait discutée que mardi. Beaucoup de membres, comptant sur la fixité des idées du congrès, se sont absentés pour demain ; vous ne voudriez pas qu'ils pussent nous accuser de leur avoir voulu jouer un mauvais tour. (U. B., 10 janv.)
- La proposition de M. Helias d'Huddeghem est rejetée. (U. B., 10 janv.)
M. de Robaulx – En discutant la rupture de l'armistice, nous intimons un ultimatum à la Hollande. (Aux voix! aux voix!) (J. B., 10 janv.)
- La proposition de M. de Robaulx est mise aux voix et rejetée à la presque unanimité. (J. B., 10 janv.)
Le congrès décide qu'il y aura séance, demain dimanche, à une heure. (U. B., 10 janv.)
Le séance est levée à cinq heures. (P. V.)