(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 2)
(page 66) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
La séance est ouverte à une heure et demie. (P.V.)
M. Henri de Brouckere, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)
- Un des secrétaires présente l'analyse des pièces suivantes :
Des habitants notables de Merchtem réclament contre l'élection municipale de leur commune.
M. Lefebvre, se disant curé de Renly, demande qu'on négocie avec la cour de Rome pour obtenir le mariage des prêtres. (P. V.)
M. le président – Comme cette pétition pourrait exciter du scandale et qu'il arrive de Mons d'autres pétitions de ce genre sous des noms supposés, je prie M. Claus de vérifier les signatures. (J. B., 11 janv.)
-Un des secrétaires continuant l'analyse des pétitions :
Un grand nombre d'habitants de Dison demandent la réunion à la France.
M. Lambeau demande que le congrès envoie un commissaire pour vérifier les élections de la commune de Dion-le-Val.
M. Ramakers réclame le payement de son traitement de légionnaire.
M. A. Altvier demande que le congrès prenne des mesures énergiques pour forcer les évêques à recevoir dans leurs séminaires les anciens élèves du collège philosophique.
M. Aerts croit qu'il est de notre honneur de choisir un prince belge, et regarde le prince de Salm-Salm comme le plus convenable.
M. Derouw prie le congrès de choisir pour souverain le comte Félix de Mérode.
M. Deltere prie le congrès de prendre un souverain indigène.
M. Maujot fait hommage au congrès de vingt exemplaires d'un Mémoire sur la répartition des emplois et des impôts entre les diverses provinces de la Belgique.
M. Willemart dénonce des bourgmestres de son canton qui emploient leur influence pour faire signer des pétitions en faveur de la réunion à la France.
M. Arpent, ex-théologien, fait hommage au congrès d'un Mémoire sur l'instruction ecclésiastique dans les provinces.
Douze habitants de Namur présentent des réflexions sur l'organisation du pouvoir judiciaire. (P. V.)
- Toutes ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)
La discussion de l'article 38, de la section I, chapitre II, titre III du projet de constitution intitulée : Du chef de l'État, commencée à la séance d'hier, est reprise.
Cet article est ainsi conçu :
« Art. 38. Le chef de l'État, en Belgique, ne peut être en même temps chef d'un autre État, sans l'assentiment des deux chambres.
« Aucune des deux chambres ne pourra délibérer sur cet objet, si deux tiers au moins des membres qui la composent ne sont présents, et la résolution ne sera adoptée qu'autant qu'elle réunira au moins les trois quarts des suffrages.» (P. V., et A. C.)
M. Van Snick propose de rédiger l'article de la manière suivante :
« Le chef de l'État, en Belgique, ne peut être en même temps chef d'un autre État, sans l'assentiment des chambres.
« Les deux chambres seront réunies pour cet (page 67) objet : elles ne pourront délibérer, si au moins deux tiers de leurs membres ne sont présents, et la résolution ne sera adoptée qu'autant qu'elle réunira au moins les deux tiers des suffrages. » (A.)
M. Raikem, rapporteur combat cet amendement, parce que le sénat se trouvant composé, d'après la constitution, de la moitié du nombre des membres dont la chambre des représentants se compose elle-même, formerait précisément le tiers du nombre total des membres des deux chambres réunies, en sorte que si la chambre entière des représentants était d'un avis contraire à celui de la première chambre, il arriverait que celle-ci serait comme anéantie, car elle n'aurait aucun moyen de faire prévaloir son opinion. (U. B., 11 janv.)
M. le comte de Baillet soutient l'opinion de M. Raikem. (U. B., 11 janv.)
M. le chevalier de Theux de Meylandt, M. Van Meenen, M. Trentesaux et M. Van Snick prennent part à la discussion. (U. B., et J. F., 11 janv.)
M. Devaux – Le sénat se composera de quarante-cinq membres ; il ne faut que les deux tiers, c'est-à-dire trente membres, pour délibérer ; il faut que les deux tiers de ces trente consentent ; il en résulte que le tiers plus un, c'est-à-dire onze sénateurs, peuvent entraver l'adoption ou le rejet d'une résolution dont peut dépendre tout l'avenir de la Belgique. (J. B., 11 janv.)
M. Raikem, rapporteur – Le chef de l'État existe dans la plénitude de ses droits, il pourra faire un appel à l'opinion du pays en dissolvant les chambres, et alors il n'aura pas cette minorité du sénat à craindre. (J. B., 11 janv.)
- L'amendement de M. Van Snick est rejeté. (P. V.)
L'article 38 est ensuite mis aux voix et adopté avec l'amendement présenté dans la séance précédente par M. Trentesaux, et qui consiste dans la substitution des mots : deux tiers des suffrages, à ceux de : trois quarts des suffrages. (P. V.)
« Art. 39. Le chef de l'État est inviolable ; ses ministres sont responsables. » (A. C.)
M. Masbourg propose de dire :
« La personne du chef de l'État est inviolable ; ses ministres sont responsables. » (P. V., et A.)
M. le président donne la parole à M. Masbourg pour développer son amendement. (E., 11 janv.)
M. Masbourg – La prérogative d'inviolabilité, dont jouit le souverain, peut être considérée sous deux rapports. Lui confère-t-elle le droit de ne pouvoir être déposé dans aucun cas, ou met-elle seulement sa personne à couvert de l'action des lois répressives ? C'est dans ce dernier cas que, dans un Etat voisin, l'on a prétendu que devait être interprétée la disposition de la charte sur cet objet. L'on a soutenu qu'elle ne pourrait soustraire le roi à la déchéance ; les termes dans lesquels l'article était conçu le rendaient peut-être susceptible de cette interprétation ; il portait que la personne du roi était inviolable. Mais la proposition de la section centrale, consignée dans le projet, énonçant seulement que le chef de l'Etat est inviolable, ne préjuge-t-elle pas la question ? son adoption ne consacre-t-elle pas une inviolabilité, qui conclurait même à l'impossibilité de la déchéance ?
Je pense, messieurs, qu'il est du plus haut intérêt de laisser au moins intacte cette importante question ; si l'assemblée ne juge pas à propos d'en faire l'objet de ses délibérations, la disposition ne préjugera rien, si elle est rédigée dans le sens de mon amendement, et si elle porte que la personne du chef de l'Etat est inviolable. (E., 11 janv.)
M. Deleeuw – J'appuie la proposition de M. Masbourg. Je crois qu'il est important de distinguer entre la personne du chef de l'Etat et le chef de l'Etat, car si vous adoptez la rédaction de l'article, en disant : « Le chef de l'Etat est inviolable, » vous vous liez irrévocablement, et, quoi qu'il arrive, vous ne pourrez prononcer la déchéance. Il serait peut-être dangereux de se lier ainsi ; c'est pourquoi je pense qu'il convient mieux de dire : « La personne du chef de l'Etat, etc. » (U. B., 11 janv.)
M. Raikem, rapporteur – Un ancien législateur n'a pas voulu porter de peine contre le parricide, parce que, selon lui, le parricide ne devait pas être prévu ; cependant ce crime existe. Ne prévoyons pas dans la constitution les cas de déchéance ; la responsabilité ministérielle bien établie doit nous suffire : si la constitution est violée, les ministres seront punis, sans que le chef de l'Etat puisse être atteint, à moins qu'il ne sorte lui-même de ses pouvoirs constitutionnels ; mais alors il ne serait qu'un simple particulier, et ce que nous aurions pu prévoir dans la constitution serait inutile. (U. B., 11 janv.)
M. François soutient l'amendement, et rappelle que l'article 15 de la joyeuse entrée avait prévu les cas de déchéance ; il pense aussi que la constitution devait les prévoir : mais comme la question paraît d'une haute importance à l'honorable membre, il prie le congrès de renvoyer à demain. (U. B., 11 janv.)
- De toutes parts – Non ! non. ! (U. B., 11 janv.)
M. Lebeau (page 68) et quelques autres membres demandent la clôture. (U. B., 11 janv.)
M. Van Snick et M. Van Meenen parlent contre la clôture. (C., 10 janv.)
- La clôture est rejetée. (C., 11 janv.)
M. Van Meenen dit que l'amendement de M. Masbourg ne préjuge rien, ni pour, ni contre, et qu'il est bon de l'adopter pour laisser la question dans son entier. (C., 11 janv.)
M. de Robaulx est entendu. (U. B., 11 janv.)
M. Destouvelles pense que l'amendement de M. Masbourg peut être adopté, et que dans le serment à prescrire au chef de l'État on pourra mettre la clause de nos anciennes joyeuses entrées qui délie du serment de fidélité les sujets du prince qui viole la constitution. (C., 11 janv.)
M. Raikem est entendu. (U. B., 11 janv.)
- La clôture est réclamée de nouveau. (J. F., 11 janv.)
M. Charles Le Hon demande la parole. (J. F., 11 janv.)
M. le président fait observer à l'honorable membre qu'il est un peu tard. (J. F., 11 janv.)
M. Charles Le Hon présente quelques nouvelles considérations en faveur de l'amendement de M. Masbourg. (C., 10 janv.)
M. Trentesaux fait une observation sur la valeur du mot personne du chef de l'État, qu'il ne croit pas emporter nécessairement la désignation de la personne physique. (C., 11 janv.)
M. l’abbé de Foere propose un amendement ainsi conçu :
« Une cour d'équité, élue par les deux chambres, décidera du cas où les citoyens sont déliés de leur serment de fidélité et d'obéissance au chef de l'État. .
« Une loi organique déterminera les cas dans lesquels il pourrait être déclaré déchu. » (P. V. et A.)
- Cet amendement est appuyé. (J. F., 11 janv.)
M. le président – L'amendement étant appuyé, M. l'abbé de Foere a la parole pour le développer. (U. B., 11 janv.)
M. Raikem – Comme, dans son discours sur la forme de gouvernement, M. l'abbé de Foere nous a développé son système sur la cour d'équité, je le prierai d'être court. (U. B., 11 janv.)
M. de Robaulx – M. l'abbé de Foere n'abuse pas ordinairement de la parole, et je suis étonné de l'observation de M. Raikem. Il n'appartient à personne de régler l'étendue des discours qui peuvent être prononcés, et un orateur n'a à cet égard d'ordres à recevoir de qui que ce soit. (U. B., 11 janv.)
M. Raikem – Je ne prétends pas donner des ordres ; c'est une prière que je fais, et très humble encore. (U. B., 11 janv.)
M. l’abbé de Foere développe son amendement en peu de mots. (U. B., 11 janv.)
- Cet amendement est mis aux voix et rejeté. (P. V.)
MM. de Robaulx, Alexandre Rodenbach, Jottrand et Vandorpe seuls se sont levés pour le soutenir. (On rit.) (U. B., 11 janv.)
L'amendement de M. Masbourg est ensuite mis aux voix et adopté ; il remplace l'article 9. (P. V.)
« Art. 40. Aucun acte du chef de l'État ne peut avoir d'effet, s'il n'est contresigné par un ministre qui, par cela seul, s'en rend responsable. »
- Adopté sans discussion. (A. C., et P. V.)
« Art. 41. Le chef de l'État nomme et révoque ses ministres. »
- Adopté sans discussion. (A. C., et P. V.)
« Art. 42. Il nomme aux emplois d'administration générale et de relations extérieures, sauf exceptions établies par les lois.
« Il ne nomme à d'autres emplois qu'en vertu de la disposition expresse d'une loi. »
- Adopté sans discussion. (A. C., et P. V.)
« Art. 43. Il fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois, sans pouvoir jamais, ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution.
« Ces règlements et arrêtés ne seront appliqués par les cours et tribunaux qu'autant qu'ils seront conformes aux lois. » (A. C.)
M. Van Meenen propose d'ajouter aux mots : par les cours et tribunaux, ceux-ci : et par les conseils provinciaux et communaux.
Ces administrations, dit-il, doivent exécuter des règlements ; si ces règlements sont contraires aux lois, elles doivent pouvoir en refuser l'exécution. Les états provinciaux exercent quelquefois le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. (J. B., 11 janv., P. V. et A.)
M. Raikem, rapporteur – Ces administrations sont une branche du pouvoir exécutif qui leur est supérieur. Si les actes de celui-ci sont contraires aux lois, elles auront le droit d'amener les ministres devant la chambre des représentants. Il ne faut pas attribuer à une administration un droit qui ne doit pas lui appartenir. (J. B., 11 janv.)
M. Jottrand – Dans tous les cas, les tribunaux sont en dernier lieu juges de l'administration qui ne peut qu'indiquer le mode d'exécution de la loi. (J. B., 11 janv.)
M. Van Meenen revient sur son amendement (page 69) et dit que c'est spécialement pour prévenir les conflits qu'il voudrait le voir adopter. (C., 10 janv.)
M. Deleeuw soutient l'amendement de M. Van Meenen et cite un exemple dans lequel les états provinciaux de Liége ont dû refuser d'appliquer un arrêté du ci-devant roi. (C., 10 janv.)
M. de Robaulx défend également l'amendement de M. Van Meenen par la considération que le contentieux administratif sera sans doute réservé aux administrations provinciales. (C., 10 janv.)
M. Lebeau – Je suis tout à fait opposé à l'amendement. Si les corps administratifs sont constitués en tribunaux administratifs, l'article tel qu'il est, leur est applicable. (C., 10 janv.)
M. Destouvelles et M. Le Bègue appuient fortement l'amendement. (C., 10 janv.)
M. Van Meenen répond à M. Lebeau, et croit que l'article tel qu'il est ne serait pas appliqué aux autorités administratives. (C., 10 janv.)
M. Devaux croit que la discussion devrait être ajournée jusqu'à ce qu'on sache quelles seront les attributions des conseils provinciaux. Au reste il est bien dangereux de laisser à chaque administration communale le droit d'examiner la légalité des arrêtés. (C., 10 janv.)
M. Trentesaux présente un amendement ainsi conçu :
« Ces règlements et arrêtés ne pourront être appliqués qu'autant qu'ils seront conformes aux lois. » De cette manière, dit l'honorable membre, la question disparaît et les principes généraux sur la légalité des arrêtés avant leur application restent en entier. (C., 10 janv., et A.)
- Plusieurs membres qui ont parlé contre l'amendement de M. Van Meenen, et M. Van Meenen lui-même, se réunissent à l'amendement de M. Trentesaux. (C., 10 janv., et P. V.)
M. Raikem, rapporteur – C'est au chapitre IV, section 3 : Du pouvoir communal et provincial, que cette matière appartient. Je demande l'ajournement. (J. B., 11 janv.)
- L'ajournement du deuxième paragraphe de l'article est mis aux voix et prononcé. (P. V.)
Le premier paragraphe est adopté. (P. V.)
M. le président – Attendu que c'est aujourd'hui dimanche, et qu'après avoir été à l'office divin, on va souvent dîner chez ses amis, je propose de lever la séance. (On rit.)
Un moment, messieurs ; comme il est le jour où l'élection du président et du bureau doit avoir lieu, et que précisément c'est à ce jour-là que nous avons fixé la discussion de la proposition de M. Constantin Rodenbach, je propose de procéder à cette élection dans la séance de demain. (Appuyé !)
A demain donc, à dix heures. (U. B., 11 janv.)
- La séance est levée à quatre heures et demie. (P. V.)