(Moniteur belge n°230, du 18 août 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. Kervyn procède à l’appel nominal à midi et un quart.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
M. Kervyn présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
Le sieur François Dieudonné demande la franchise de droits pour la quantité d’hectolitres 3/6 dont il a besoin pour la fabrication de ses chapeaux de feutre. »
M. Henot. - Le pétitionnaire réclame une franchise de droits pour le 3/6 dont il a besoin pour la fabrication des chapeaux de feutre. Il réclame cette franchise dans l’intérêt d’une industrie qui a besoin de protection. Il offre de le mélanger avec des matières qui le rendent impropre à la consommation. L’intérêt du fisc ne serait pas compromis.
Je demande le renvoi à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.
- Ce renvoi est ordonné.
« Les chasse-marées d’Anvers réclament des mesures protectrices pour le commerce de poisson. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, j’ai l’honneur de vous présenter un projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à contracter un emprunt de 33,500,000 fr. Cet emprunt serait divisé ainsi : 30 millions pour l’achèvement complet de toutes les lignes du chemin de fer ; 2 millions pour la construction de routes ordinaires dans le Luxembourg, en remplacement du chemin de fer décrété par la loi du 6 mai 1837 ; 1,500,000 francs pour l’achèvement de l’entrepôt d’Anvers, devenu insuffisant pour les besoins du commerce.
La chambre désire-t-elle que je lui donne lecture de l’exposé des motifs ?
Plusieurs voix. - L’impression ! l’impression !
M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi dont il vient de donner communication. Ce projet et les motifs qui l’accompagnent seront imprimés, distribués et renvoyés aux sections.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je prierai les sections de s’occuper de ce projet le plus tôt possible, car l’intérêt du trésor et des travaux exige qu’il soit voté avant la session de novembre, par conséquent dans la session actuelle.
M. Rogier. - Je demanderai si l’exposé des motifs contient des détails sur le chemin de fer.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Il contient des détails sur les recettes et les dépenses du chemin de fer.
M. Rogier. - A cette occasion je demanderai quand nous aurons le compte-rendu du chemin de fer. Nous voilà arrivés au mois d’août, et nous n’avons pas encore le compte-rendu de l’année dernière.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Ce compte-rendu pourra être distribué aujourd’hui même.
M. de Mérode. - L’honorable M. Rogier a paru surpris hier de la défiance que nous inspire l’influence de l’autorité civile sur l’éducation morale et religieuse. Cette défiance est motivée par l’article de la constitution, d’où résulte pour l’Etat l’absence du culte légal. Cet article, qui concourt à assurer la liberté de conscience que nous estimons comme très nécessaire, rend l’autorité civile peu propre à imprimer une direction religieuse et morale déterminée, et par conséquent à former la jeunesse.
En ce qui regarde la collation des emplois civils ou militaires, le gouvernement n’a point à examiner les croyances de chacun, l’absence du culte légal ne le gène nullement dans l’exercice de sa mission. Mais il n’en est plus de même pour l’éducation ; les enfants ne sont pas les enfants de l’Etat, comme les finances, l’armée, les routes, les canaux sont des appartenances du gouvernement, ils sont les enfants de leurs parents. En Belgique, ceux-ci sont catholiques, et n’ont point, même lorsqu’ils pratiquent peu, renoncé à l’église, ce qu’on reconnaît particulièrement à la fin de la vie, époque où presque tous appellent les secours spirituels du prêtre, quand s’évanouissent les illusions du monde présent. On doit donc, à l’égard de l’éducation, plaider en faveur de l’intervention ecclésiastique, précisément parce que la constitution ne nous offre aucune autorité civile qui ait un caractère religieux quelconque déterminé. Remarquez bien que je parle toujours de l’enseignement subsidié par les deniers publics, et non pas de l’enseignement privé ; que si vous voulez un faux semblant, c’est-à-dire un enseignement religieux pour la forme dans des écoles, au fond sans couleur ; accordez quelques droits de surveillance illusoires et apparents au clergé, attribuez la direction principale à l’autorité laïque ; mais au lieu de la lumière qui brilla sur le monde sous Tibère César, vous atteindrez celle que vit éclore le siècle de Louis XV, au lieu de voir reparaître ce peuple belge que distinguait la pureté de ses mœurs, à tel point qu’une naissance illégitime était, il y a 50 ans, dans une foule de communes rurales de ce pays, un phénomène ; ce peuple que n’attristaient que bien rarement le suicide et les grands crimes si communs aujourd’hui, vous participerez pleinement aux avantages que signalait naguères, dans la capitale de France, M. l’avocat général Partarieux-Lafosse, en ces termes :
« De nos jours, le siècle se donne avec beaucoup de libéralité des éloges auxquels nous aimerions à nous associer ; mais nous voyons que l’âge auquel se commettent les plus grands crimes est aujourd’hui devancé. La société s’est alarmée de suicides trop fréquents. Autrefois, ceux qui attentaient à leurs jours étaient des hommes âgés, depuis longtemps dégoûtés de la vie. Nous voyons maintenant des enfants de 13 à 14 ans se livrer à un acte qui semblait placé à la limite de l’extrême désespoir. Vous voyez aussi les crimes les plus graves contre les personnes commis par des jeunes gens disposés à s’en prendre à tout ce qui peut mettre un frein leurs passions désordonnées. »
A propos de ces attentats, si souvent renouvelés sur la famille royale de France et qui ont ainsi fait irruption en Angleterre, le Times disait il y a deux ans :
« Mais quel est donc le remède à de pareilles horreurs ? L’instruction, celle qu’on appelle l’instruction utile c’est-à-dire une instruction sans religion est ce qui a mis la nation française dans le péril où elle se trouve aujourd’hui. Essayer ou même désirer bannir l’instruction en elle-même serait une chose absurde ; mais le pays ne sera jamais tranquille tant que cette instruction ne sera pas inspirée et dirigée par la religion. »
De là, messieurs, ne résulterait pas la prétendue domination cléricale. Nous ne voulons point cette domination. Si elle a existé en d’autres temps, d’autres lieux, là n’est pas le danger que nous, Belges, courons. Aujourd’hui l’autel, pas plus que le trône, ne pèse sur notre société, qui n’en recueille que des bienfaits.
Je craindrais d’abuser de vos moments si je parlais de saint Thomas, de la théologie de Dens et de tous les gros livres où l’on peut trouver de quoi disserter à l’infini, habitude que je dois reprocher à notre collègue M. Verhaegen, parce qu’elle entrave excessivement nos délibérations et nous fait perdre un temps précieux. Je ne dirai qu’un mot sur le catéchisme de Namur, réimprimé avec l’article ancien concernant la dîme, qu’on présente comme une effrayante institution. La dîme fut pour les juifs, puis pour les chrétiens le moyen simple de pourvoir aux besoins matériels du culte divin ; rien de plus. Les peuples n’ont pas toujours eu des finances organisées comme elles le sont aujourd’hui dans certaines contrées ; avant les donations successives de biens qui furent faites au clergé pendant plusieurs siècles, comment ses membres eussent-ils vécu sans une part dans les fruits de la terre ?
La dîme était donc nécessaire, comme le partage des produits du sol entre le propriétaire et le fermier est encore en usage dans les pays d’agriculture arriérée. Maintenant l’Etat paie en numéraire au clergé un équivalent de la dîme ; quand je dis équivalent, c’est du principe que je parle et non de quotité identique, et je crois qu’un peuple chrétien est en conscience obligé d’entretenir convenablement les ministres de la religion ; en ce sens donc l’obligation de la dîme existe toujours,, et c’est pourquoi l’on hésite lorsqu’il s’agit de modifier le livre qui contient l’exposition des devoirs religieux. Mais il est clair, du reste, que le catéchisme de Namur, pas plus que tous les catéchismes des diocèses qui ont fait partie de l’ancien empire français et ont été soumis au régime du concordat de 1801, n’impose point aux fidèles l’obligation de payer la dîme du siècle dernier. Il est vraiment pénible de voir déployer de semblables fantômes aux yeux d’un peuple que l’on prétend conduire au progrès intellectuel, à propos d’un mot laissé dans un catéchisme depuis quarante ans ; et lorsqu’on emploie pour semer des craintes absurdes sur les prétentions des ecclésiastiques de tels moyens, n’ont-ils pas raison de se défendre politiquement par l’usage des droits que la loi leur accorde ; car s’ils s’abandonnaient avec bonhomie à la discrétion de leurs adversaires, quel serait leur sort ? Ils auraient à attendre le régime qui pèse sur l’Espagne où la plainte même est interdite, de sorte qu’un évêque ou un prêtre qui se permet d’adresser au gouvernement quelque remontrances sur ses actes, est emprisonné ou banni sans que les journaux, dits libéraux, français ou belges, aient jamais une phrase de blâme pour ces indignes violences.
Quand Ferdinand VII frappait les negros, il parlait de son royal bon plaisir comme l’empereur Nicolas. Mais il ne se prétendait pas libéral, ajoutant ainsi le mensonge à l’abus de pouvoir. Et maintenant nous n’aurions pas ici le droit qu’on nous a en quelque sorte contesté hier d’adresser en conscience des prières à Dieu en faveur de sa malheureuse Eglise espagnole, livrée aux spoliations, aux persécutions de tout genre comme l’Eglise polonaise, parce que cet acte de confraternité nuirait à notre commerce ; si de telles considérations sont libérales et progressives, il faut appeler progressifs les procédés d’Ath, où l’on a vu tantôt un curé poursuivi par un millier de brutaux, éclairés des lumières du siècle, se débattre entre leurs mains et ne trouver asile que chez une boulangère qui, avec sa fille âgée de 15 ans, se mit courageusement en travers de sa porte et déclara qu’on la tuerait avant de pénétrer chez elle ; tantôt un autre ecclésiastique recevoir, en prenant son repas, les plus grossières injures, la tête serrée entre les poings de lâches assaillants qui prennent pour liberté leur odieuse licence. L’honorable M. Rogier aurait dû diriger ses attaques contre ces faits détestables, au lieu de s’en prendre aux hommes paisibles qui se sont séparés de lui quand il passait dans les bras de nouveaux alliés.
M. Rogier. - Je n’ai pas cherché querelle aux ministres du culte. Au contraire, je crois leur avoir donné sincèrement des avis salutaires. Je ne me suis jeté dans les bras de personne ; je crois être resté, au point de vue de mes opinions, toujours le même. En ce qui concerne les faits qui se seraient passés dans les élections d’Ath, s’ils sont conformes à ce que vient de dire M. de Mérode, je les blâme tout aussi énergiquement que lui. Mais j’en tire encore la conséquence que le clergé a grand tort à mes yeux de se poser comme agent électoral dans les élections. Il est possible que les passions politiques qui prennent de jour en jour plus d’extension en Belgique, se rapprochant de ce qu’elles sont Angleterre et aux États-Unis, les agents électoraux se trouvent en Belgique exposés aux mêmes inconvénients que ceux d’Angleterre et des Etats-Unis. Vous avez vu récemment comment a été traité un M. O’Connor dans des élections et quel sort il a eu à subir. Les ecclésiastiques, en se mettant à la tête du mouvement passionné des élections, s’exposent à ces sortes d’excès, qui, je le reconnais, revêtent un caractère beaucoup plus grave quand ils tombent sur des membres du clergé.
Les élections d’Ath ont été pour moi un argument de plus contre l’intervention patente, officielle du clergé dans nos élections. Il trouvera toujours assez de partisans pour le défendre dans les élections, sans qu’il aille lui-même se mettre à la tête des électeurs. Je suis convaincu qu’il reconnaîtra qu’il a été trop loin dans certaines circonstances, et j’espère, dans son intérêt, qu’imitant l’exemple que lui donnent d’autres pays constitutionnels, la France, l’Angleterre et les Etats-Unis, on ne le verra plus se porter, dans toutes les circonstances, le principal agent des élections. C’est, je crois, un conseil salutaire que ses amis les plus dévoués eux-mêmes devraient lui donner. Quant à moi, je le répète, si des excès ont été commis dans les élections d’Ath, je les blâme fortement, et je désire qu’ils soient réprimés. Mais, je le répète aussi, si des membres du clergé se portent agents actifs et passionnés des élections, ils encourent les inconvénients auxquels s’exposent ceux qui se mêlent activement au mouvement électoral.
M. de Mérode. - Il est difficile de laisser passer de pareils principes, il en résulterait que les donneurs de coups sont quasi justifiés par M. Rogier.
M. Rogier. - Je proteste contre ces paroles de M. de Mérode, je ne justifie pas les excès, au contraire, je les blâme, je l’ai déclaré très positivement. (*Erratum Moniteur n°231 du 19 août 1842 :*) Je ne reconnais plus votre loyauté ordinaire.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole dans cette discussion ; mais les discours qui ont été prononcés hier m’ont déterminé à exposer à la chambre quelques considérations sur la grave question qui nous occupe. Je tiens d’ailleurs à faire connaître les principes qui me dirigent dans l’appréciation de la loi qui nous est soumise.
D’un autre côté, l’article auquel nous sommes maintenant parvenus, me paraît être l’un des plus importants du projet.
Messieurs, nous sommes tous d’accord pour proclamer la nécessité, dans l’instruction primaire, d’une éducation morale et religieuse. Nous avons également décidé qu’il faut que le clergé intervienne pour diriger l’enseignement de la religion et de la morale, si l’on veut que cet enseignement soit efficace. Mais où il pouvait y avoir tout naturellement divergence d’opinions, c’est sur le mode suivant lequel s’exercera cette intervention. Or, c’est ce mode que détermine l’art. 7 du projet du gouvernement.
Messieurs, je crois que c’est surtout dans l’examen et l’appréciation de cet article que nous ne devons point perdre de vue qu’il est deux principes constitutionnels qui dominent toute la matière délicate sur laquelle nous avons à nous prononcer. D’une part c’est la liberté d’enseignement ; d’une autre part, c’est l’indépendance du clergé.
Il ne s’agit donc point ici de formuler une loi ordinaire, une loi où la majorité impose sa volonté à la minorité, et où la minorité est obligée de s’y conformer et de la subir. Dans la question qui nous occupe se présente cette situation tout à fait anormale, que la volonté de la majorité ne suffit pas, qu’il faut en outre que le clergé accepte la loi, et qu’il serait libre de ne point s’y soumettre si les garanties qu’elle lui accorde ne lui convenaient point. C’est là une conséquence rigoureuse des principes posés dans notre pacte fondamental. Ainsi, vouloir demander d’une part le concours des ministres des cultes, et d’une autre part prétendre leur imposer des conditions de ce concours, serait proclamer que l’on ne veut pas de loi sur l’instruction primaire.
Toute la question me paraît donc de savoir s’il y a moyen de s’entendre, s’il y a moyen de combiner les garanties que l’on réclame en faveur du clergé avec la juste et large part d’influence qui revient au pouvoir civil dans des écoles qui émanent de lui.
La loi que nous faisons doit donc être avant tout une loi de transaction et de conciliation entre les diverses exigences ; c’est là une condition essentielle sans laquelle elle ne peut subsister.
Dans la question si intéressante de l’instruction et de l’éducation de l’enfance, l’intérêt de l’Etat et l’intérêt de l’Eglise ne peuvent être divergents. Le but est commun : il s’agit de pénétrer les enfants des vérités de la religion et de la morale ; il s’agit de les préparer à devenir de bons citoyens.
Il semble donc que puisque le but et les intérêts sont communs, il devrait être facile de s’entendre, d’autant plus qu’ici la question de prépondérance politique est tout à fait secondaire et n’a point l’importance qu’elle soulève dans l’organisation de l’enseignement moyen et supérieur.
Pour l’instruction primaire le pouvoir civil appelle à son aide l’autorité religieuse ; ils doivent unir leurs efforts pour atteindre un but commun, et c’est ce concours que la loi est destinée à régler.
Si dans une semblable question la conciliation est difficile, il faut bien le dire, cela provient en grande partie de nos divisions politiques, des craintes, des préventions, des défiances qu’elles ont fait naître.
Cependant il ne faut point l’oublier, l’organisation de l’instruction primaire est bien plus qu’une question de partie, ou qu’une question de ministère ; c’est avant tout, comme on l’a déjà dit, une question sociale.
C’est de ce point de vue surtout que je veux, quant à moi, l’envisager, et je ne pense pas pour cela faire, le moins du monde, abstraction de mes convictions politiques.
Pourrions-nous craindre, nous qui sommes opposés à toute domination du clergé dans les affaires civiles, qu’une large intervention de sa part dans l’éducation de l’enfance ne devienne dans ses mains un moyen d’accroître démesurément son influence politique ?
Je ne le pense pas. D’abord, il y a une grande différence entre l’instruction de l’enfance et des classes intérieures de la société et l’instruction de la jeunesse aisée qui se destine à jouer un rôle actif dans le monde politique. La première exerce peu d’influence sur la formation des opinions politiques et gouvernementales ; la seconde en exerce une toute puissante.
D’un autre côté, je pense, messieurs, qu’il est une chose qui ne tardera pas à frapper les esprits même les moins clairvoyants. C’est que toute tendance du clergé à la domination dans les affaires temporelles rencontrera toujours en Belgique une immense répulsion. Il me semble donc que nous aurions tort de nous livrer a des craintes exagérées dans l’appréciation du projet de loi qui nous est soumis.
Messieurs, on nous présente l’adoption de ce projet comme un premier pas fait dans une voie de rapprochement entre les partis. M. le ministre de l’intérieur nous a même dit qu’elle deviendra, dans l’état actuel des esprits, un moyen de concorde et peut-être une occasion de réconciliation. S’il peut en être ainsi, c’est un motif de plus pour moi de l’accueillir favorablement.
En effet, je n’ai jamais pu me figurer, je dois le dire, que le bonheur, la prospérité, les progrès en Belgique, dussent nécessairement provenir de la lutte incessante de deux grands partis, se combattant avec acharnement sur le terrain électoral, comme dans nos chambres législatives, nos conseils provinciaux et même nos conseils communaux.
Cette lutte, cette division radicale peut avoir contribué peut-être aux progrès merveilleux d’une grande nation d’outre-mer ; mas une petite nation comme la nôtre, placée au milieu de peuples puissants, toujours prêts à l’envahir, a besoin d’unir ses forces pour conserver intactes sa nationalité et son indépendance.
Messieurs, devons-nous donc nous montrer trop défiants, trop ombrageux, quant aux garanties que l’on nous réclame pour que le clergé puisse exercer librement dans l’école la mission qui lui est confiée ? Je ne le crois pas. Oh, s’il s’agissait d’une question purement politique, j’admettrais ces appréhensions. Quant à moi, je trouve que la constitution a fait au clergé une position suffisamment belle pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y ajouter en sus une influence prépondérante dans l’administration civile.
Mais je pense qu’il faut ici soigneusement distinguer. Si dans l’administration temporelle, je suis d’avis qu’il ne faut point se prêter à augmenter l’influence du clergé ; d’un autre côté, je le révère profondément, quand il se renferme exclusivement dans les affaires du culte et de la religion.
Dans l’instruction primaire, j’ai l’intime conviction qu’il rend d’immenses services à la société. C’est à lui surtout que nous devons la moralisation des masses, le maintien de l’ordre public. Si son action sur les classes inférieures de la société venait à disparaître, à quelles perturbations ne devrions-nous pas nous attendre ? Dans la question d’ordre social qui nous est soumise, tout en voulant maintenir les droits de l’autorité civile, droits qu’il n’y a aucune nécessité d’aliéner, je serai donc facile pour les garanties réclamées en faveur de l’autorité religieuse.
D’un autre côté, l’opinion libérale a toujours désiré une loi sur l’enseignement primaire. Chaque année elle en demandait la discussion.
Le projet de 1834 avait toujours été considéré comme admissible par cette opinion. Or le projet actuel se rapproche beaucoup (surtout depuis les explications données par M. le ministre de l’intérieur et les articles additionnels qu’il a proposés) de celui de 1834, quant aux principes fondamentaux. Il contient, il est vrai, beaucoup de dispositions nouvelles ; mais parmi ces dispositions il en est qui, selon moi, ont amélioré ou développé utilement l’ancien projet, et s’il en est d’autres qui me paraissent moins bonnes, elles ne nuisent pas suffisamment à la loi, pour que, guidé par un esprit de conciliation, je ne me décide à les accepter. Toutefois je n’entends nullement dire que le projet est parfait dans toutes ses parties, et j’adhérerai volontiers à toutes les dispositions qui me paraîtront l’améliorer.
Quant à l’art. 7, je suis disposé à l’adopter avec les modifications proposées dans la séance d’hier par M. le ministre de l’intérieur.
Celle qui concerne la question des livres me paraît utile, en ce qu’elle établit entre les deux autorités une ligne de démarcation qui n’existait point d’une manière suffisante dans la rédaction primitive.
Je ne comprendrais point non plus que l’opinion catholique n’y trouvât pas toutes les garanties désirables. D’abord l’autorité ecclésiastique conserve l’approbation exclusive de tous les livres concernant l’étude de la morale et la religion. Pour les autres, l’examen en est confié à une commission qui nécessairement sera composée d’hommes modérés et conciliants, et en outre, ils devront être revêtus de l’approbation du ministre de l’intérieur. Comment pourrait-on supposer qu’une réunion d’hommes éclairés et d’une haute position se plairait à placer dans les mains de l’enfance des livrer immoraux ?
Dans la séance d’hier, quelques honorables orateurs ont dit, qu’ôter à l’autorité civile l’approbation des livres concernant la morale, c’était la mettre en quelque sorte en état de suspicion. Quant à moi, je ne voudrais point mettre l’autorité civile en état de suspicion à cet égard ; je crois cette autorité très compétente pour les questions de morale. Mais d’un autre côté, je ne vois point d’inconvénient à ce qu’elle délègue ses droits, sous ce rapport, à l’autorité religieuse. D’abord la limite entre les préceptes de la religion et de la morale est fort difficile à tracer, ensuite quelle est la morale qu’enseigne la presque totalité des ministres du culte en Belgique ? C’est celle de l’Evangile. Or, comme le disait fort bien dernièrement notre honorable collègue M. Verhaegen, l’Evangile est le code de morale le plus sublime qui ait jamais existé. Les philosophes du XIXème siècle le proclamaient eux-mêmes. Il m’est donc impossible de concevoir des craintes dans l’abandon au clergé de l’enseignement de la morale.
M. Savart-Martel. - Depuis huit jours, la chambre s’occupe de la part que nous faisons au clergé dans le projet de loi sur l’instruction primaire. Tous ce qui peut être dit à ce sujet me paraît épuisé, je vous éviterai donc des répétitions.
Mais l’honorable ministre de l’intérieur a fait hier, à l’ouverture de la séance, la déclaration d’un principe admis par notre collègue M. Lebeau « que la mission légale du clergé est épuisée par le court spécial d’instruction religieuse et morale. »
Ce principe, je voudrais qu’on ne le perdît pas de vue, une fois admis, il sera facile d’en tirer les conséquences qui toutes ne peuvent être prévues par une loi.
Comme il pourrait être oublié dans la suite des temps, je demanderai donc que ce principe soit écrit avant ou après l’art. 7, hormis que la chambre soit convaincue que ce principe résultera suffisamment de l’ensemble des dispositions.
En ce dernier cas, fort de l’unanimité des opinions, je tiendrai ce principe comme reconnu.
Quant à la nomination d’inspecteurs, je m’en expliquerai quand nous arriverons au titre 2, car je n’aperçois pas encore la nécessité de créer cette nouvelle classe de fonctionnaires publics ; je n’admets jusque lors le mot inspecteur qu’hypothétiquement.
Quant aux faits qu’on dit avoir eu lieu lors des élections d’Ath, je pense qu’il est inconvenant de traiter comme vrais des faits soumis à la décision de la justice ; nous risquons d’aggraver la position de gens qui ne sont encore que prévenus ; c’est manquer à la charité chrétienne, à l’occasion d’une loi où nous voulons tous que l’instruction primaire soit morale et religieuse.
M. Verhaegen. - Je désire répondre quelques mots à l’honorable M. de Mérode qui est dans l’habitude de m’attaquer personnellement ; comme je désire aussi dire quelques mots à l’honorable M. d’Hoffschmidt, avec qui je suis assez souvent d’accord.
Je dirai d’abord à l’honorable M. d’Hoffschmidt que, si j’étais convaincu que la morale que l’on se propose d’enseigner dans les écoles primaires, ne fût que la morale de l’Evangile, je n’aurais pas fait au projet de loi qui nous occupe, l’opposition qu’on a rencontrée dans mes discours. Mais les faits que j’ai cités et auxquels on n’a pas répondu, m’ont donné la conviction qu’il s’agit de tout autre chose que de la morale de l’Evangile, et je pense que, dans la séance d’hier, l’honorable collègue auquel je réponds, a eu occasion de voir comme moi de quelle manière on enseigne quelquefois la morale ; c’est par cette raison que je désire que le gouvernement civil prenne des précautions dans son intérêt.
Je veux donner au clergé toutes ses garanties pour que l’enseignement soit religieux et moral, mais je veux aussi que le gouvernement civil ait ses garanties, c’est-à-dire, que l’on pare aux inconvénients qui résultent de l’état de chose actuel, et qui ne feront que s’empirer avec la loi que nous allons voter,
L’honorable M. de Mérode s’est principalement attaché à la partie de mon discours d’hier qui rappelle des faits, mais il s’est bien gardé d’y répondre. Il s’est borné à des phrases générales et à des attaques personnelles. L’honorable membre me reproche de faire perdre à la chambre un temps précieux en entrant dans des discussions inutiles, en invoquant de gros volumes, en soulevant des questions de théologie, dont il ne doit nullement être question dans cette enceinte. Mais l’honorable membre, qui me reproche de faire perdre un temps précieux à la chambre, oublie que lui, l’année dernière, à chaque séance, ne faisait que faire perdre un temps précieux à ses collègues, en attaquant constamment et sans raison les hommes qui alors étaient au pouvoir. Quant à moi, je n’accepte pas le reproche. Si j’ai cité des faits, c’était en réponse à des attaques violentes dont j’avais été l’objet.
Dans une séance précédente, j’avais fait des suppositions ; j’ai fait des recherches, j’ai trouvé que ces suppositions se traduisaient déjà en réalité, et je suis venu les soumettre à la chambre. J’étais dans mon droit. Personne n’a pu le trouver mauvais.
Je ne suis pas venu, comme l’a dit l’honorable comte, avec un gros volume. Je suis venu tout bonnement avec un petit volume in-8° (on rit) et M. de Mérode n’a rien répondu à mes citations. Il n’a rien répondit à la théologie de Dens, en usage au séminaire de Malines ; il n’a rien répondu à saint Thomas. Mais il vient répondre à un catéchisme que j’aurais cité ici. L’honorable membre se trompe : ce n’est pas moi qui ai cité ce catéchisme ; et c’est ce qui prouve que je ne me suis pas isolé. C’est l’honorable M. Lebeau qui a cité cet ouvrage. S’il y avait un reproche à faire, c’est à lui qu’il devait être adressé, Je sais bien que M. de Mérode pourra me répondre :
Si ce n’est toi, c’est donc ton collègue. (On rit.)
Quoi qu’il en soit, après avoir déclaré que vous ne répondrez ni à la théologie de Dens, ni à saint Thomas, vous criez encore aux vieilleries, vous vous défendez en disant que ce livre date de plus d’un siècle. Messieurs, je me suis donné la peine de me procurer l’édition nouvelle ; elle est de 1838. C’est encore un petit volume in-8°. Il est contrôlé, revu et corrigé par l’autorité supérieure ecclésiastique. J’y ai trouvé tout ce que j’avais cité hier ; j’y ai rencontré même quelque chose que je n’avais pas remarqué dans l’édition ancienne. J’y ai trouvé ceci.
« Confirmatur ex eo quod Deus in veteri loge fussent occidi falsos prophetas et Deut., cap. 17, v. 12, statuatur ut qui superbierit nolens obedire sacerdotis imperio,… moriatur. »
Je traduis littéralement,
Cela se confirme par cela que Dieu dans la loi ancienne a ordonné de tuer les faux prophètes et que dans le Deut,, chap. 17, v. 12, il est établi que si quelqu’un montrait assez de fierté pour vouloir se soustraire à la domination du clergé, il devait mourir.
M. Cogels. - C’est également dans les éditions précédentes.
M. Verhaegen. - Ainsi ceux qui ne veulent pas se soumettre à la domination des prêtres MORIATUR (*on rit*), *qu’ils meurent*.
C’est risible pour vous, messieurs ; soit. Pour moi, c’est très sérieux.
M. Dedecker. - Cela ne s’enseigne pas.
M. Verhaegen. - L’ouvrage est entre les mains de tous les jeunes gens du séminaire de Malines, et on ose dire que cela ne s’enseigne pas !
M. le président. - On pourra répondre à l’orateur ; mais on ne doit pas l’interrompre.
M. Verhaegen. - Et vous voulez que nous confions à cette autorité la censure de tous les livres. Mais que l’honorable membre ne le trouve pas mauvais, au risque d’encourir encore le reproche de faire perdre un temps précieux à la chambre, je veux compléter mes citations. C’est un journal du matin qui m’en a donné l’idée. On se sert, dans certains établissements ecclésiastiques, d’un livre qu’on croit très orthodoxe puisqu’il a été approuvé à Rome et à Malines, il est intitulé : *Théorèmes de politique chrétienne* par monseigneur Scotti. Il a été publié à Bruxelles, en 1842, par la société nationale pour la propagation des bons livres ; il a été approuvé à Rome et à Malines, ainsi qu’il conste des deux attestations suivantes, imprimées sur la première page : « Nihil obstat. Raphael Fornari, censor théol. dep. Reimprimatur. » - « Ayant fait examiner l’ouvrage intitulé : Théorèmes de politique chrétienne, NOUS EN PERMETTONS L’IMPRESSION, Malines, le 15 octobre 1841, J.-B. Pauwels, vic.-général. »
Dans ce livre on fait l’éloge de l’inquisition :
« Combien d’hommes, dit l’auteur, sont venus à résipiscence grâce à cet institut ! Combien, au moins, ont resserré leurs mauvais vouloirs dans les barreaux de leurs pensées ! De combien de malheurs le supplice d’un petit nombre d’individus a préservé la multitude ? D’un autre côté, quelle peine qualifierait-on d’excessive, si l’on balançait l’injure faite à Dieu, le désordre intrinsèque de l’impiété et le dommage qu’elle peut causer au public ? » (Page 125, tome 1er.)
On y enseigne le théorème suivant :
« La puissance ecclésiastique, comme la puissance séculière, doivent resserrer, dans de justes bornes, la liberté de la presse et celle de la lecture. » (Page 436, tome 1er.)
« On objecte qu’en supprimant la liberté de la presse, on enlève aux hommes studieux beaucoup de livres dont ils pourraient profiter. Valsechi a répondu que, dans l’immense quantité de livres qui surcharge aujourd’hui la république des lettres, il n’est pas difficile de trouver sur chaque sujet des ouvrages plus complets, plus élégants et plus positifs que ceux dont la prohibition fait tant de peine aux hommes dissolus. Mais comment ferons-nous, réplique-t-on pour éclairer le gouvernement, en lui faisant connaître nos pensées au moins politiques ? Sans la liberté de la presse on ne peut atteindre ce but. Je réponds qu’il est très faux que la presse soit la seule ou la meilleure voie pour porter nos sentiments aux pieds du prince. Une audience ne produirait-elle pas le même effet ? une supplique ne sera-t-elle pas plus convenable ? » (Page 154, tome 1er)
On y préconise la main morte :
« Nos adversaires. dit l’auteur, sachant que le peuple auquel ils veulent imposer, se laisse facilement éblouir par des mots, et que dans le cas actuel les plus propres à faire naître une idée fâcheuse sont ceux de mains mortes, en ont abusé au point de les répéter sans cesse dans les libelles, dans les feuilles publiques et dans des discours adressés au peuple, pour les détourner de faire aucun don à l’Eglise et condamner comme des effets de la barbarie les donations que la vénérable antiquité avait consacrées. Mais est-il rien de plus ridicule qu’un pareil abus ? Les mains mortes sont-elles prises en ce sens qu’elles ne donnent point une bonne culture aux propriétés privées ? mais nous avons démontré précisément le contraire. Prétendra-t-on peut-être que leur produit ne circule point dans la population et que ni l’Etat, ni les pauvres n’en retirent aucun avantage notable ? Mais comme nous l’avons vu c’est précisément tout l’opposé qui arrive. Voudra-t-on dire que les mains des ecclésiastiques sont mortes, en ce sens qu’elles seraient inutiles pour le peuple ? Mais nous avons démontré naguère les avantages qu’ils procurent à la société » (page 256, tome 2).
En outre, dans ce livre orthodoxe, on attaque le mariage civil, les institutions fondamentales du pays. Chaque théorème est une violation de notre pacte fondamental, et c’est en 1842 que cela s’imprime ; c’est approuvé à Malines et Rome ; c’est mis entre les mains de tous les jeunes gens ; et nous ne pourrions faire entendre nos plaintes dans cette enceinte ; nous devrions être dupes, dupes tous les jours de pareilles prétentions ! ! Je répéterai ce que j’ai dit dans une autre séance : s’il y a une majorité pour faire certaines lois, il importe qu’on sache bien dans le pays que nous n’y donnons pas les mains, et que nous voyons bien où on veut nous conduire.
Vous voudriez qu’à cette autorité, dont je viens de vous signaler le contrôle, on accorde pleine et entière confiance, qu’on lui donnât le droit d’apprécier et d’examiner tous les livres. Vous descendez jusqu’à l’instruction primaire, alors que vous voyez l’usage que fait l’autorité ecclésiastique de son droit d’examen pour une instruction plus élevée, vous voulez que l’autorité civile n’ait là rien à faire, qu’elle abandonne au clergé toute son autorité, pour me servir de l’expression de l’honorable préopinant, expression à laquelle il n’a pas donné sans doute toute son attention.
M. d’Hoffschmidt. - Je demande la parole.
M. Verhaegen. - Je dis que l’on ne sent pas toute la gravité de la position où nous nous trouvons. Un jour viendra où l’on comprendra qu’on est allé trop loin.
Je considère comme un grand levier l’instruction primaire. La mettre dans les mains du clergé, c’est faire absorber le pouvoir civil par ce qu’on appelle l’autorité ecclésiastique. L’amendement que j’ai eu l’honneur de présenter hier avait pour but, en donnant des garanties au clergé, de donner en même temps des garanties au gouvernement civil. Je me demande comment il est possible qu’un homme gouvernemental par excellence, comme M. de Theux, qui a tenu longtemps les rênes du gouvernement, qu’un homme gouvernemental comme l’honorable M. Nothomb, puisqu’il est au pouvoir, n’accepte pas un pareil amendement, qui est destiné à fortifier le pouvoir civil et à lui donner des garanties qu’il n’a pas dans le projet du gouvernement et de la section centrale.
On n’a fait à cet amendement qu’une seule objection : c’est que je veux faire approuver par l’autorité civile subalterne les livres qui ont déjà été soumis à l’autorité ecclésiastique supérieure. On s’est arrêté à cette question de forme et l’on s’est dispensé d’examiner la question au fond. Pour faire cesser cet inconvénient, quant à la forme, j’ai pensé que je pourrais adopter une partie de l’amendement de M. le ministre de l'intérieur en modifiant la partie fiscale. Cet amendement nouveau serait ainsi conçu :
« Les livres destinés à l’enseignement primaire sont examinés par la commission centrale, et approuvés par le ministre de l’intérieur. Ceux qui sont employés pour l’instruction morale et religieuse sont également soumis à l’approbation des chefs du culte. »
Pour cet amendement il n’y aura plus d’objections sous le rapport de la forme. Il faudra bien maintenant qu’on aborde la discussion du fond.
Je déclare donc retirer l’amendement que j’ai présenté hier et le remplacer par celui dont je viens de donner lecture et qui se combine avec celui de M. le ministre de l’intérieur.
M. Dumortier. - C’est une chose vraiment pénible pour les hommes qui veulent le bien du pays que de voir la tournure que prend chaque jour la discussion qui nous occupe. Nous avions formé l’espoir qu’on aurait fait de la loi qui nous occupe une loi de conciliation, de conciliation dont le pays avait tant besoin. Loin de là, il semble qu’un orateur, entre autres, prenne à tâche de chercher à déverser sans cesse dans cette discussion tout ce qu’il est possible d’imaginer de plus odieux sur une partie notable de la Belgique, et à le faire rejaillir sur cette assemblée, car il vient de nous dire : On peut faire des lois comme l’on veut, mais nous ne sommes pas dupes des intentions de ceux qui les font.
M. le président. - M. Dumortier, je dois vous arrêter, pour éviter un débat inutile ; je ne pense pas que M. Verhaegen ait dit qu’il ne serait pas dupe des intentions de la majorité ; il eût manqué aux prescriptions du règlement qui proscrit toute supposition de mauvaise intention.
M. Dumortier. - Ce sont ses propres paroles. J’en ai pris note, quand il les a prononcées. J’en appelle au souvenir de mes collègues. (*Oui, oui*.)
M. le président. - J’invite M. Verhaegen à s’expliquer.
M. Verhaegen. - Je ne me suis pas adressé à l’assemblée. J’ai dit que je n’étais pas dupe des intentions de ceux qui veulent tant de pouvoir. Mais, je le répète, je ne me suis pas adressé à l’assemblée. Ce que j’ai dit je le maintiens.
M. Dumortier. - Vous avez dit que vous n’étiez n’est pas dupe des intentions de ceux qui font les lois. Or, comme ceux qui font les lois sont ceux qui forment la majorité, c’est bien dire que vous n’étiez pas dupe des intentions de la majorité. Cette accusation est calomnieuse et je ne puis m’empêcher de me lever pour protester de toute l’énergie de mon âme contre de pareilles accusations. Messieurs, il est de ces choses contre lesquelles l’homme politique recule d’ordinaire : c’est la conscience religieuse ; c’est le besoin du sentiment religieux dans le pays. Cela est généralement sacré. Dans les assemblées délibérantes d’aucun pays, ou ne voit déclamer contre ces opinions si importantes pour un pays. Ce qu’on ne voit dans aucun pays, nous l’avons vu dans cette enceinte. Nous avons vu des déclamations tellement misérables qu’il faut recourir à la convention ou au club des jacobins, pour trouver rien de semblable. On n’a reculé devant rien pour perdre dans l’opinion publique une portion notable du pays.
Je dis qu’une pareille conduite doit être flétrie par tous les bons citoyens ; je dis plus, une pareille conduite, qui tend à nous armer les uns contre les autres, n’est pas le fait d’un bon citoyen ; voilà le langage que je crois être en droit de tenir en cette circonstance.
Messieurs, la Belgique, après une révolution qui lui a assigné une place dans la famille européenne, avait le droit d’espérer un peu de calme et de repos. Si vous voulez consolider la nationalité, c’est en serrant la main aux hommes de toutes les opinions que vous y parviendrez, et non pas en jetant des germes de discorde qui porteront des fruits amers, et entraîneront la chute de la nationalité.
Mais le préopinant a perdu de vue ces principes si sages, au maintien desquels chacun de nous devrait veiller avec sollicitude ; et ce qu’il vient de dire, c’est précisément ce que disait en 1828 l’homme que la Belgique a réprouvé comme un fléau, l’homme qui été conspué comme un misérable, Libri-Bagnano, enfin...
Oui, messieurs, recourez au National du temps, vous y trouverez les mêmes arguments que ceux qu’on vient le développer, vous y trouverez des principes contraires à l’instruction religieuse du peuple. (Interruption.)
Messieurs, je suis en droit de me défendre. On vient nous dire qu’on n’est pas dupe de nos intentions. Lorsque nos intentions sont ainsi mises en jeu, lorsqu’on vient prétendre que nous avons des intentions cachées qui auraient pour but de compromettre notre nationalité, je manquerais à mon devoir, à mon serment, si je ne renvoyais ces accusations à ceux qui nous les adressent.
Au reste, messieurs, vous l’aurez remarqué, je n’ai pas comparé des individus, je me suis borné à comparer des doctrines ; j’ai dit que les doctrines qu’on venait de développer devant vous, vous les trouveriez tout au long dans les écrits de cet homme qui a été frappé de la réprobation unanime des Belges. Voilà ce que j’ai dit, et je n’en rétracte pas un mot. Prenez en effet la collection de l’ancien National, et vous verrez qu’on y a employé tous les moyens dont on se sert aujourd’hui pour jeter de la déconsidération sur le clergé, sur ce corps qui s’est associé avec tant de dévouement et de zèle à l’œuvre de notre régénération politique, de la reconstitution du pays, alors que l’honorable préopinant se tenait soigneusement à l’écart.
Messieurs, quant on vient ici ressusciter de vieilles choses dont personne ne s’occupe plus ou n’entend plus parler qu’à titre de documents historiques, je dois faire remarquer que l’honorable préopinant a un singulier privilège, quant à son esprit inventif ; car il a commencé par inventer la dîme ; après avoir inventé la dîme, il a inventé la main morte ; puis il a inventé le régicide et le droit de courir sus aux protestants ; aujourd’hui, c’est l’inquisition qui a son tour. Si l’on voulait en croire l’honorable préopinant, une partie notable de la Belgique enseignerait, professerait de semblables doctrines. Il n’est sans doute personne dans cette enceinte, personne dans le pays qui croie à des accusations aussi ridicules et aussi odieuses. Et pourtant ce sont ces accusations qu’on nous lance pour diviser le pays.
Sans doute, il est des livres dans lesquels se trouvent imprimés les principes qu’a cités l’honorable préopinant. Mais l’honorable préopinant, qui a fait son droit, doit savoir que, dans le droit romain, l’on rencontre aussi des lois hostiles à ceux qu’on appelle hérétiques ; viendra-t-il prétendre pour cela que les professeurs universitaires, chargés d’expliquer ces articles du code de Justinien, sont coupables de vouloir ressusciter ces principes ? Mais ces principes, comme ceux de saint Thomas sur les hérétiques, sont dans le domaine de l’histoire ; il n’appartient à personne de s’en faire une arme contre ses adversaires.
Messieurs, il faut avoir de la loyauté dans les discussions politiques. Or, je dis que l’honorable préopinant sait fort bien, lui qui appris son catéchisme, que lorsque le prêtre arrivait au chapitre de la dîme, il disait que la dîme était supprimée. Il sait bien encore que nulle part on n’enseigne ni le régicide, ni le droit de courir sus aux hérétiques. Si nous venions l’accuser de toutes les horreurs qui se sont commises et qui se commettent dans le sein des sociétés secrètes, il n’aurait pas assez de mots pour repousser loin de lui cette accusation.
Eh bien ! ces accusations, on ne craint pas de les lancer contre nous. Une pareille conduite est déloyale et pour mon compte, je le répète, ce n’est pas là l’œuvre d’un bon citoyen, à une époque surtout où les partis devraient chercher à se donner la main pour consolider le pays.
Messieurs, il est un fait incontestable, c’est que dans les temps qui se sont écoulés les choses religieuses se sont passés d’une manière tout à fait différente, quant au point religieux, qu’elles se passent aujourd’hui. Vouloir comparer le moyen âge à l’époque actuelle, vouloir appliquer à cette époque toutes les doctrines du moyen âge, c’est faire preuve d’une ignorance complète de l’histoire ; ou bien, ce que j’aime à ne pas croire de la part de l’honorable préopinant, c’est faire preuve de la plus entière mauvaise foi.
C’est faire preuve de l’ignorance de l’histoire ; car tout le monde sait que les temps sont changés. Comment, vous vous déclarez l’homme du progrès et vous commencez par nier le progrès de l’ordre social ; vous niez le principe sur lequel vous dites vouloir vous appuyer. Si le monde progresse, eh bien, reconnaissez franchement que c’est un des progrès qu’a fait la société depuis plusieurs siècles, de ne plus s’occuper de ces questions de théologie dont vous parlez, pour en faire des moyens de gouvernement.
D’ailleurs il y a des deux côtés autant à reprendre qu’à rendre. En effet, si l’on a le droit de blâmer l’inquisition dont la Belgique n’a jamais voulu, à tel point qu’elle a mieux aimé faire une révolution que de l’accepter ; si on a le droit de déplorer les massacres de la Saint-Barthélemy, il faut avouer que dans les rangs protestants, dans les rangs opposés au catholicisme, il s’est passé des choses qui ne méritent pas plus d’approbation. On connaît la journée de Rioms ; des crimes semblables ont eu lieu en Hollande. Si le parti catholique a quelquefois commis des horreurs envers les protestants, l’Angleterre et l’Ecosse sont là pour dire quelles horreurs, quelles avanies ont été exercées contre les catholiques. Tout cela est historique aujourd’hui ; cela prouve que le monde a progressé.
Messieurs, nous devons déplorer les malheurs des temps passés ; mais ce serait la chose la pus déloyale de venir les opposer à ses adversaires. Et s’il fallait ici entrer dans le domaine de l’histoire, je vous demanderais de quel côté sont les faits récents, où sont les doctrines de régicide professées à notre époque ? Est-ce que par hasard Quénisset. Alibaud, Meunier, étaient des curés ou des évêques ? Non, c’étaient des hommes qui appartenaient à des sociétés secrètes, sur lesquelles vous voulez faire reposer les maximes de l’Etat. Est-ce que les septembriseurs étaient des curés ? J’ai vu alors des prêtres figurer dans ces horribles saturnales, mais c’était parmi les victimes, et ces prêtres disaient en refusant d’abandonner la foi de leurs pères : Mieux vaut mourir avec les opprimés que de triompher avec les oppresseurs.
Voilà ce qui s’est passé depuis cinquante ans. Toujours l’oppression est venue des rangs opposés au parti ecclésiastique ; toujours les victimes ont été du côté de ceux qui maintiennent l’ordre, la tranquillité publique, qui détendent les principes religieux.
Il est donc affligeant qu’il se soit trouvé ici un homme qui n’ait pas reculé devant de pareilles accusations, contre une partie notable de l’assemblée, qui ait été jusqu’à déclarer qu’il n’était pas dupe de nos intentions, et cela à propos de régicide et d’inquisition.
Messieurs, je n’irai pas plus loin ; mais je ne pouvais laisser passer cette accusation. J’aurais manqué à mon devoir, au pays tout entier, si j’avais laissé dire que nous avions des intentions cachées au sujet de matières aussi odieuses, que nous avions l’intention de rétablir les principes qui cous ont été signalés.
M. Verhaegen. - Messieurs, j’attache très peu d’importance aux injures de l’honorable M. Dumortier ; il est dans l’habitude de nous attaquer personnellement, et on sait quel prix il faut attacher à ses paroles. Je ne dirai qu’une seule chose, c’est que, si dans l’opinion de notre honorable président qui montrera, j’en suis sûr, de l’impartialité pour tout le monde, il se disait quelque chose qui pût être considéré comme antiparlementaire, il ferait son devoir.
Mais qu’il me soit permis de dire à l’honorable M. Dumortier que ce n’est pas nous qui avons commencé cette triste querelle ; tout le monde me rendra cette justice que c’est à l’ouverture de la séance que l’honorable comte de Mérode nous a attaqué. Je fais sur ce point un appel à toutes les opinions de cette chambre. Je dois même dire que je n’aurais pas pris la parole, si l’honorable M. de Mérode ne m’avait pas attaqué. Mais la défense est de droit quand l’attaque est là. Je ne me respecterais pas si je me laissais attaquer sans répondre et je vois avec satisfaction que sur les bancs du centre figurent des membres qui me rendent la justice de dire que c’est à l’initiative de l’honorable M. de Mérode que ce débat est dû. (Signes affirmatifs de MM. Cogels et Osy.)
Messieurs, qu’est-ce que j’ai voulu en dernière analyse ? J’ai voulu prouver qu’il était nécessaire de donner au pouvoir civil un contrôle même sur les livres ecclésiastiques. Si j’étais venu sans aucune raison vous parler de la théologie de Dens, et d’autres livres, vous auriez pu, messieurs, me faire à juste titre un reproche, mais c’était le cas ici ou jamais d’en parler : Il s’agit de savoir à qui doit appartenir la censure des livres. Vous la voulez pour le clergé seul et vous voulez exclure le contrôle du pouvoir civil. Eh bien ne m’appartenait-il pas, en pareilles circonstances, de vous faire voir qu’il y avait des dangers à abandonner cette censure au pouvoir ecclésiastique ? J’étais évidemment dans mon droit, je me renfermais dans l’ordre de la discussion, encore une fois ce n’est pas moi qui ai fait naître ce débat.
Mais ce que je ne puis laisser passer sous silence, c’est ce que l’honorable M. Dumortier vous a dit, relativement à certaines sociétés secrètes qui existent en France et avec lesquelles nous n’avons rien de commun en Belgique. En prononçant les noms de Quenisset, d Alibaud, de Meunier, on a fait des insinuations perfides ! Avons-nous dans notre pays les partis qui divisent la France ? Non ; les partis qui divisent la Belgique n’ont rien de commun avec les partis français ; le parti démagogique n’existe pas dans notre pays, et il n’a aucun représentant dans cette enceinte. Ne confondez pas les libéraux belges avec les démagogues français, et surtout avec ceux dont vous venez de prononcer les tristes noms. Vous savez qu’en tenant ce langage, vous ne prononcez que des injures gratuites. Le parti libéral, ne compte pas dans ses rangs des Quenisset, des Alibaud, des Meunier, mais aussi il n’a jamais adopté et n’adoptera jamais les assassins de Henri IV et de Louis XV.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, je ne puis m’empêcher de répondre quelques mots à l’honorable préopinant. Il vous dit qu’il attache assez peu de prix à mes paroles ; je déclare que cela m’importe assez peu de mon côté, quant au cas qu’il peut en faire. Mais ce que je dois dire, c’est que mes paroles sont celles d’un honnête homme ; d’un honnête homme qui, depuis douze ans, s’est toujours montré dévoué à son pays, qui, en 1830, a combattu pour la révolution, qui n’a jamais manqué à ses devoirs ; d’un honnête homme, qui a rendu quelques services à son pays et qui n’a jamais figuré dans les rangs des ennemis de la révolution. Je désire que celui qui montre tant de superbe pour mes paroles puissent en dire autant.
Plusieurs membres demandent la clôture
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je demande à dire quelques mots ; je vous assure qu’ils ne jetteront aucune irritation dans l’assemblée.
L’honorable M. Verhaegen a répondu immédiatement au discours que je viens de prononcer. Nous ne sommes pas d’accord, dit-il, quant à l’opinion que nous nous sommes formée l’un et l’autre sur la loi en discussion. Quant à moi, je ne chercherai jamais à être en désaccord avec l’honorable M. Verhaegen pour le plaisir de l’être ; je serai toujours charmé quand il se ralliera à mon opinion ; mais je ne puis pas convenir que j’ai tort, par cela seul que je ne serais pas d’accord avec lui. Il n’y a pas nécessité que nous soyons toujours d’accord sur toutes les questions ; il est impossible que dans tout ce que nous avons à examiner, nous soyons toujours du même avis. Il arrivera différentes fois encore des questions sur lesquelles nos opinions ne se rencontreront pas.
Suivant l’honorable M. Verhaegen, la loi sur l’instruction primaire va donner une grande influence au clergé dans les affaires civiles. Quant à moi, messieurs, je n’ai pas les mêmes idées. Si nous admettons que toute loi sur l’instruction primaire, où nécessairement le clergé doit figurer pour une part active dans l’enseignement moral et religieux, est destinée à donner à ce corps une grande influence politique, et que pour cela seul nous devions repousser la loi, autant vaudrait dire qu’il ne faut pas de la loi. Il est des membres, il est vrai, qui sont de cette opinion, et entre autres M. Delfosse, si je ne me trompe.
M. Delfosse. - Je demande la parole.
M. d’Hoffschmidt. - Quant à moi, qui ai toujours voulu une loi sur l’instruction primaire, qui ai voulu la loi de 1834 et qui trouve que celle soumise à nos délibérations en diffère très peu, quant aux questions essentielles, je ne vois pas pourquoi j’irais avoir d’aussi grandes préventions pour la part que nous voulons donner au clergé.
Ce qui effraie surtout l’honorable M. Verhaegen, c’est que l’enseignement de la morale appartiendra au clergé. Or, je ne vois pas en quoi l’enseignement de la morale peut donner une si grande influence au clergé dans les affaires civiles ; je ne partage pas, je le répète, les appréhensions de l’honorable membre sur ce point.
Messieurs, d’un autre côté, je suis d’accord, à cet égard, avec un auteur qui a publié une brochure remarquable sur le projet de loi de l’instruction primaire, M. Van Nérum. Cet auteur croit aussi que l’enseignement primaire ne peut pas donner autant d’influence politique au clergé, qu’on paraît le craindre. Voici ce qu’il dit à cet égard :
« On confond assez généralement en Belgique l’enseignement primaire avec l’enseignement moyen et supérieur : tout ce que nous allons dire s’applique à l’enseignement primaire. L’enseignement supérieur et moyen est profondément empreint d’un caractère politique ; c’est la chose du gouvernement ou tout au moins de la cité. Mais l’enseignement primaire est une chose purement sociale ; et puisque la société, pour cette œuvre, appelle la religion à son aide, elle doit discuter loyalement les conditions de cette alliance. »
Voilà, messieurs, quelle est l’opinion de cet auteur ; elle est également la mienne.
Si j’étais convaincu que la part que nous faisons au clergé va lui donner une immense influence sur les affaires politiques, je ne me montrerais pas aussi facile à cet égard. Mais comme j’ai une opinion différente, comme je tiens surtout à ce que la loi que nous faisons soit bonne, soit utile pour la moralisation des masses, je ne vois pas de difficultés à accorder au clergé la part que le projet lui accorde.
M. de Mérode. - Messieurs, on m’accuse d’avoir commencé cette discussion. Mais je ferai remarquer que j’avais la parole à la fin de la séance d’hier, et que ce que j’ai dit aujourd’hui est ce que je voulais dire hier. Il me semble d’ailleurs que je n’ai attaqué personne d’une manière inconvenante ; je ne me suis attaché qu’aux doctrines qui avaient été professées dans cette enceinte, et je ne crois pas qu’il y avait dans mes paroles quelque chose de nature à blesser qui que ce soit.
M. Delfosse. - L’honorable M. d’Hoffschmidt vient de m’attribuer une opinion qui n’est pas la mienne. L’honorable membre suppose que je ne veux pas de loi sur l’instruction primaire ; c’est une erreur complète ; je désire ardemment une telle loi, je l’ai toujours désirée ; comme membre de la chambre, j’ai demandé il y a longtemps qu’elle fût mise à l’ordre du jour ; comme membre de la députation permanente de la province de Liége, j’ai fait insérer dans l’un des exposés de la situation administrative le vœu sincère et ardent que la chambre s’en occupât. Les paroles de la députation permanente citées dans l’ouvrage de l’évêque de Liége sont de moi, je les revendique ; c’est donc à tort que l’honorable M. d’Hoffschmidt m’a attribué l’opinion dont je viens de parler ; je veux une loi qui crée le nombre d’écoles primaires dont le pays a besoin, qui indique les matières qui seront l’objet de l’enseignement, qui fixe le mode de couvrir les dépenses, qui règle en un mot les obligations des communes et de l’Etat en matière d’enseignement primaire. J’ai dit, il est vrai, et je n’ai pas changé d’avis, que cette loi ne devrait pas régler les attributions du clergé en matière d’enseignement primaire ; cette opinion est fondée sur ce que le clergé, étant entièrement indépendant, pourrait ne pas se soumettre à la loi, et refuser tout concours à son exécution. Dans ce cas la loi serait comme non avenue. Je soutiens, messieurs, qu’il est très imprudent de la part du législateur, d’insérer dans une loi des dispositions dont il ne dépend pas de lui d’assurer l’exécution. Si on veut le concours du clergé, ce n’est pas par la loi qu’il faut le régler, il faut laisser aux administrations communales ou à l’Etat le soin de se mettre en rapport avec le clergé pour obtenir son concours à des conditions qui seront acceptées de part et d’autre et qui seront, par conséquent, acceptables.
Je ne veux pas, messieurs, entrer en ce moment dans le fond de la discussion, qui a déjà été fort longue ; qu’il me soit permis cependant, avant de terminer, de dire un mot des appels à la conciliation que l’on fait à chaque instant de l’autre côté de la chambre. Personne, messieurs, ne désire la conciliation plus que moi, mais je vois avec peine qu’elle n’est que dans les paroles et non dans les actes ; la conciliation n’était pas dans les actes lorsqu’on attaquait avec fort peu de convenance la pétition du conseil communal de Liége ; elle n’était pas dans les actes, lorsque l’honorable comte de Mérode faisait une sortie non seulement contre l’honorable M. Verhaegen, mais même contre l’honorable M. Rogier ; elle n’était pas dans les actes, lorsque l’honorable M. Dumortier se permettait tantôt les expressions les plus injurieuses contre l’honorable collègue qui siège à côté de moi ; certes M. Dumortier peut ne pas approuver les paroles, ne pas partager les doctrines de l’honorable M. Verhaegen, mais il devait se borner à réfuter ces paroles et ces doctrines, jamais il n’aurait dû se permettre de dire que la conduite de son collègue était flétrie par les honnêtes gens, que les moyens employés par lui étaient misérables ; il n’aurait surtout jamais dû faire de comparaison, même indirecte, entre l’honorable membre et Libry Bagnago, ce sont là des choses que l’on ne devrait jamais se permettre dans cette enceinte, et je suis bien aise de rappeler que les paroles qui m’ont valu, il y a quelque temps, une admonestation de la part de M. le président étaient mille fois plus convenables que celles de l’honorable M. Dumortier.
M. le président. - J’ai bien entendu M. Dumortier attaquer avec beaucoup d’irritation les défiances de M. Verhaegen, mais je n’ai remarqué aucune expression qui lui fût personnellement injurieuse ; si cette expression m’eût échappé on aurait dû me la signaler.
M. Dumortier. - Je voulais précisément faire observer ce que M. le président vient de dire. Je n’ai adressé aucune injure à l’honorable M. Verhaegen, et je suis très étonné que l’honorable M. Delfosse vienne ici se poser en censeur de ses collègues. Il est venu également attaquer l’honorable M. de Mérode qui n’avait fait que répondre à ce qui avait été dit par M. Verhaegen dans la séance d’hier ; M. Verhaegen avait dit qu’il ne voulait pas être dupe des intentions de la majorité des membres de la chambre et M. de Mérode a très bien fait de relever ces expressions ; je crois que nous ne pouvons pas tolérer de semblables attaques.
Plusieurs membres. - La clôture.
M. Delfosse. - M. Dumortier trouve étonnant que l’on vienne s’ériger ici en censeur de ses collègues ; je ferai remarquer à l’honorable membre que c’est lui qui le premier s’est érige en censeur de l’honorable M. Verhaegen ; c’est donc sa propre conduite que l’honorable membre trouve étonnante. (*Aux voix ! aux voix !*)
M. Lebeau. - Lorsque toute la séance a été absorbée par des questions en quelque sorte personnelles, dont l’initiative n’est certainement pas partie de ce côté, je crois avoir le droit de faire observer à l’assemblée que la question du fond n’a pas perdu pour cela de son importance. Cette question est une des plus graves dont nous ayons à nous occuper. Vous en avez la preuve, messieurs, dans les efforts que font simultanément les différents membres de la chambre et le gouvernement lui-même pour arriver à la rédaction d’un projet qui puisse concilier les opinions divergentes.
Nous devons parfaitement savoir quelle est la portée du vote que nous allons émettre ; je crois donc devoir adresser à M. le ministre de l’intérieur une interpellation sur la portée de la rédaction qu’il a proposée. Voici son amendement :
« Les livres destinés à l’enseignement primaire sont examinés par la commission centrale et approuvés par le ministre de l’intérieur a l’exception des livres employés à l’enseignement moral et religieux, lesquels sont approuves par les chefs des cultes. »
Au premier abord, il semble, messieurs, qu’il y ait là un signe de démarcation nettement tracé, et dont il ne puisse plus résulter aucune collision. Mais quels seront les livres considérés comme ressortissant de l’enseignement moral et religieux ? Si l’on écoute certains membres de la chambre, il semble que ce ne soient que les livres exclusivement consacrés à l’enseignement de la religion ; si l’on écoute d’autres membres, ce ne serait pas seulement ces livres-là, mais encore les livres de lecture, les notions d’histoire et même les grammaires. D’après le dire de M. le ministre de l’intérieur, il est des livres qui sont essentiellement mixtes.
Eh bien ! qu’arrivera-t-il pour ces livres ? Qui est-ce qui prononcera sur la question de savoir si tel livre est mixte ou spécial, si tel livre ressortit à l’enseignement religieux et moral, ou s’il ressortit à l’instruction proprement dite. Voilà un point sur lequel il peut s’élever sans cesse des conflits, si nous ne savons positivement quel est le sens attaché à la rédaction de M. le ministre de l’intérieur.
Je désire donc que M. le ministre veuille bien nous dire ce qui arrivera pour les livres mixtes. Qui décidera s’ils sont mixtes, et cela décidé, quelle sera l’autorité qui les approuvera ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Messieurs, l’honorable membre craint que ma rédaction ne laisse subsister des doutes, ne donne lieu à des collisions ; j’ai exprimé hier la même crainte, et il est impossible de faire une loi tellement précise qu’elle ne laisse aucun doute dans l’application, qu’elle détruise d’avance toute possibilité de collisions. Ce sont ces appréhensions qui m’ont fait dire, au commencement de la séance d’hier, que je ne voulais pas mettre en présence l’inspecteur civil et l’inspecteur ecclésiastique ; que je voulais que l’examen partît d’en haut ; que je ne craignais pas les conflits en haut.
On s’exagère toujours le nombre des livres destinés à l’enseignement primaire ; ce nombre n’est pas si considérable. Il y a des livres qui tombent évidemment dans l’exception. Car, que les honorables membres veuillent bien lire attentivement la rédaction nouvelle que j’ai proposée, ils verront que l’approbation par le clergé seul est l’exception. Maintenant, il est évident qu’il est des cas où l’on doutera si l’exception existe ou non ; ce sont ces cas sur lesquels s’expliquera le ministre de l’intérieur avec la commission des inspecteurs, en présence des délégués ecclésiastiques. La commission examinera si le livre tombe ou non dans l’exception. Il y aura peut-être des doutes à cet égard, il y aura quelquefois même des conflits ; mais je pense que ces doutes, ces confits, ne seront pas de nature à compromettre l’exécution de la loi, alors que l’examen partira d’en haut. Il arrivera pour cet article ce qui arrivera pour 20 autres articles de la loi ; il arrivera ce qui arrive pour toutes les lois ; on s’expliquera, et l’on finira par s’entendre.
J’ai dit hier, messieurs qu’il y aurait probablement un livre mixte, un livre destiné à servir à la fois aux exercices de lecture et à l’enseignement moral. Eh bien, ce livre peut être soumis à une double approbation, dès lors tout conflit vient à cesser. Evidemment un livre comme celui qui concerne les éléments du calcul, un livre purement scientifique ne sera soumis qu’à l’approbation purement civile.
On a parlé des grammaires, et comme je n’entends reculer devant aucun exemple, je veux bien accepter celui-là. Je n’hésite à dire qu’une grammaire renfermant des exemples qui ne doivent pas se trouver dans une grammaire élémentaire, qu’une semblable grammaire devra être exclue des écoles publiques. Il serait facile d’indiquer des grammaires où se trouvent les vers par trop philosophiques de Voltaire. Ces vers, on ne les laissera pas dans les grammaires qui seront employées dans les écoles primaires. Faut-il conclure de là que le clergé sera aussi appelé à approuver les grammaires ? Non, sans doute ; mais je dis que l’inspecteur ecclésiastique aura le droit de signaler les exemples qu’il découvrirait dans les grammaires et qu’il croirait ne pas devoir y figurer. Je dis que c’est ainsi qu’on appliquera la disposition de la loi. Si l’honorable membre croit qu’il faut faire une loi telle que tous les doutes disparaissent, que toutes les possibilités de collision soient écartées, je dis qu’il faut alors renoncer à faire une loi, une loi de ce genre est impossible. Il faut se borner à poser dans une loi de grands principes, c’est ce que nous faisons en ce moment ; pour moi, je ne crains pas, dans la pratique, l’exécution de la loi.
M. Lebeau. - Je prie la chambre d’être convaincue (elle connaît d’ailleurs assez mes habitudes) que je ne cherche en aucune façon à entraver par des puérilités et des chicanes la marche déjà si pénible de la présente discussion ; la chambre sait que nous apportons toujours dans nos débats la plus grande bonne foi, lorsque nous exprimons les opinions même les plus antipathiques à une partie de cette assemblée.
J’arrête un moment encore l’attention de la chambre sur l’article en discussion. M. le ministre reconnaît que c’est à la pratique à faire justice des difficultés que la théorie ne peut pas trancher. Mais, messieurs, le législateur n’a rempli son devoir que lorsqu’il a employé jusqu’au dernier effort pour circonscrire le cercle des collisions.
M. le ministre est en aveu que pour l’admission de certains livres qui ne ressortissent pas spécialement soit à l’enseignement littéraire, soit à l’enseignement moral et religieux, il faudra le concours des deux influences, des deux autorités.
Eh bien, n’y a-t- il aucun moyen d’établir un mode de concours dans la loi, tel qu’il prévienne de fâcheux conflits, Voici une rédaction que je soumets à l’assemblée et au gouvernement ;
« Les livres dont il pourra être fait usage dans les écoles primaires de chaque province, seront désignées annuellement et de commun accord par le gouvernement, sur la proposition de la commission centrale d’instruction et par le chef diocésain ou les consistoires. »
Messieurs, au fond nous voulons tous la même chose, nous voulons que l’enseignement primaire soit essentiellement moral et religieux ; c’est si évident, que l’homme qui contesterait une semblable proposition, mériterait plutôt un brevet de démence qu’un brevet d’immoralité.
Quant à des dispositions conciliantes, dont on semblerait être animé d’un seul côté de cette chambre, je ferai remarquer que l’opinion à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, avait déjà, en 1834, transigé avec les hommes qui étaient les représentants non équivoques de l’autre opinion, et que nous nous en tenons encore, si vous le voulez, aux termes de la transaction de 1833 ; que nous sommes tout prêts à y souscrire. Qu’est-ce qui a bouleversé la transaction de 1834 ? Je dis cela, non pour récriminer, mais pour prouver que si une première transaction a échoué, la faute n’en est certainement pas à nous.
Messieurs, je reviens à mon amendement. Il ne s’agit, entre nous, que d’une question de moyen. Il faut un enseignement moral et religieux. Nous dirons avec la même franchise, et nous dirions le contraire tout aussi franchement, si nous le pensions ; nous dirons que le concours du clergé est à nos yeux le meilleur moyen d’obtenir un enseignement moral et religieux. Nous accordons cela au clergé, non pas en vertu du principe : Ite et docete, qui n’a rien à faire avec notre constitution, mais par suite de la connaissance que nous avons de la sagesse et de la moralité du clergé belge en général et de la haute influence dont à juste titre il jouit sur l’esprit des pères de famille.
Je dis, messieurs, qu’à nos yeux c’est le meilleur moyen, et je dis à dessein le meilleur, car je ne le regarde pas comme absolument indispensable. Ainsi, par exemple, croyez-vous qu’une école devrait tomber soit devant le texte de la loi, soit devant la défaveur publique dans une commune où l’instituteur aurait eu le malheur de rencontrer un ministre du culte qui, par exception à la sagesse dont les membres du clergé font généralement preuve, serait un homme peu conciliant, lorsque ce même instituteur viendrait vous dire : « Tous les livres dont je me sers, sont ceux qui ont été approuvés par le clergé et par l’Etat ; tout ce qui se faisait chez moi, lorsque le ministre du culte intervenait, s’y fait encore. La classe commence et finit par les prières prises dans le livre approuvé par l’autorité ecclésiastique ; je fais le catéchisme d’après le livre approuvé par le clergé ; je conduis les enfants à l’église pour y recevoir les leçons du curé ; je les mène exactement aux offices ; » croit-on que dans ce cas l’école de cette commune doive nécessairement tomber ? Je ne le pense pas, je crois que dans ce cas l’enseignement se soutiendrait et devrait se soutenir, et qu’il irait encore droit au but que la loi veut lui assigner.
Mais, messieurs, nous demandons le concours du clergé, parce qu’à ce concours est attachée une influence tutélaire et surtout une recommandation respectable aux yeux des pères de famille. De là, pour le clergé, résulte le droit de ne se prêter à l’action du concours qu’on réclame de lui, qu’en voyant respecter sa propre dignité et la mission dont il est revêtu ; de là, par conséquent, le droit pour le clergé, non seulement de s’enquérir de l’enseignement moral et religieux, mais de s’assurer encore que l’appel fait à son concours est sincère, et que 1’autorité civile ne veut pas retirer d’une main ce qu’elle accorde de l’autre au clergé pour l’enseignement moral et religieux ; d’où, dans mon opinion, doit résulter pour le clergé le droit de donner son avis non seulement sur les livres affectés spécialement à la religion et à la morale, mais en général sur tous les livres employés dans l’école primaire.
Je n’ai pas entendu établir un mur entre telle partie de l’enseignement et telle autre. L’enseignement doit avoir une certaine unité ; je le reconnais, et nous paraissons tous d’accord là-dessus. Ainsi, la difficulté n’existe pas sur le principe, car sur le principe nous sommes, je crois, tous d’accord ; elle ne réside que dans les moyens d’exécution. Ainsi, ceux qui contestent le droit d’approbation, concèdent au moins celui d’investigation et de remontrance.
Outre le droit du clergé de porter son investigation sur tous les détails d’une institution à la bonne direction de laquelle il est publiquement associé, à laquelle il est lié par une sorte de solidarité morale, il en a un autre, c’est pour lui ce que nous appellerons l’ultima ratio, le droit de s’abstenir. Mais on en conviendra dans l’intérêt des écoles primaires, dans l’intérêt de la paix publique, dans l’intérêt du clergé lui-même, cette abstention, cette ultima ratio, c’est son refus de budget ; il faut donc s’efforcer d’éviter qu’on en vienne à cette extrémité. (Adhésion générale.)
Je reconnais qu’on peut jusqu’à certain point contrarier la direction que le clergé cherche à donner à l’enseignement religieux et moral, par les livres d’histoire et de lecture, j’irai jusqu’à dire avec l’honorable M. Desmet qu’il est possible que dans une grammaire il y ait des citations qu’il ne soit pas convenable de placer sous les yeux de l’enfance. Mais par quels moyens pourrons-nous prévenir des inconvénients de ce genre ? Je crois que mon amendement y pourvoit.
Il donne à l’autorité religieuse le droit de concourir à l’approbation de tous les livres. Je crois que c’est faire preuve d’un grand esprit de conciliation. Je ne sais pas même si je serai suivi dans le chemin que je viens de faire par tous mes honorables amis, mais il s’agit ici d’une question sociale et non seulement d’une question politique où les opinions d’ordinaire restent mieux unies de chaque côté.
Si j’admets l’investigation de l’autorité religieuse sur tous les livres de l’enseignement, je crois que je puis sans faire injure à l’autorité religieuse admettre aussi une investigation aussi étendue de la part de l’autorité civile. J’accorde au gouvernement la même faculté qu’aux chefs des différents cultes, d’examiner tous les livres dont il sera fait usage dans l’école. Veuillez avoir la patience de m’écouter jusqu’au bout et ne pas vous laisser aller à quelques scrupules, que je crois voir se manifester sur certains bancs ; ne croyez pas que je veuille ériger le gouvernement en une espèce de Sorbonne placée au-dessus de l’autorité diocésaine. Il ne s’agirait pas dans l’examen du gouvernement d’une révision dogmatique, mais il appartient au gouvernement, et cela est, on ne peut plus praticable, surtout dans une réunion à huis clos, dans une réunion tout officieuse, il appartient au gouvernement de signaler ce qui, dans un ouvrage consacré à l’enseignement du dogme ou de la morale, se serait, par inadvertance, glissé de contraire aux lois ou aux institutions du pays. Il appartiendrait à l’autorité civile de signaler comme le fruit d’une erreur grave, comme un fait dont le clergé aurait lui-même à se repentir plus tard, une proposition dans laquelle on soutiendrait, par exemple, que la dîme est encore aujourd’hui de stricte obligation. Le clergé aurait à s’applaudir de ce qu’à huis clos son attention aurait été appelée sur une semblable inadvertance. Je ne voudrais pas revenir sur un sujet irritant ; il va de soi que j’entends faire ici de la pratique, de la conciliation, et non poser des principes.
Déjà dans une occasion à peu près analogue, d’honorables membres ont fait leurs réserves les plus expresses sur les conséquences qu’on pourrait tirer de leur vote d’aujourd’hui à l’égard de l’enseignement moyen et supérieur. J’entends faire ici non pas de la doctrine, mais de la pratique, et, s’il est possible, de la conciliation.
Je ne voudrais pas renouveler des débats plus ou moins pénibles pour une partie de cette chambre, mais j’avoue que je ne saurais partager la manière dont un honorable membre a apprécié certains ouvrages dont on lui a lu des fragments. Je crois qu’il est extrêmement dangereux de laisser subsister dans des ouvrages, purement didactiques, l’énonciation de certains principes, de certains éloges ou de certaines critiques qui sont diamétralement opposés à l’esprit et à la lettre de nos institutions.
Je ne pense pas qu’on puisse regarder avec indifférence un enseignement qui attaquerait la liberté de la presse, le paiement en numéraire du traitement du clergé, qui réclamerait la censurer des livres et la remise de l’état-civil au clergé. Je n’entends pas qu’on puisse laisser subsister dans les ouvrages didactiques consacrés aux écoles publiques de semblables enseignements. Mais, dit-on, le code de Justinien est enseigné dans nos universités et contient des choses bien autrement excentriques, bien autrement opposées à nos mœurs et à nos lois. Je ferai observer que, quand on en parle, on a soin de dire que c’est de l’histoire ; mais dans les cours de droit moderne, dans les cours de Toullier et de Duranton, par exemple, vous ne trouverez pas l’énonciation, comme chose de principe, que la dîme est une excellente mesure, que le traitement du clergé, par le budget, assimilant le culte aux haras, selon l’expression d’un écrivain catholique, est chose scandaleuse, déshonorante, vous n’y verrez pas que c’est matérialiser la société que de conserver aux mains laïques les registres de l’état-civil, choses qui se trouvent dans des ouvrages didactiques que je ne citerai pas.
Sans vouloir faire sortir le débat du cercle modeste de l’enseignement primaire, je dirai que si dans les livres de religion et de morale, destinés aux écoles publiques, il s’était glissé quelques propositions qui fussent de nature à blesser l’esprit de notre constitution, contre les intentions bien connues de ceux qui auraient laissé de pareils propositions dans ces livres, il faut que le gouvernement puisse les en faire sortir, il faut que le gouvernement puisse avoir quelque chose à dire et à exiger sur ce point. C’est là le but de l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer.
De cette manière on peut espérer que vous n’aurez pas de conflits, vous obtiendrez a peu près ce qu’avait voulu obtenir le projet de loi de 1834, quand il avait institué un comité dans lequel le ministre du culte qui en était membre de droit, pouvait faire ses représentations sur tous les détails de l’école et spécialement sur les livres dont on s’y servirait. Je crois avoir à peu près rétabli les sages moyens de concours inscrits dans le projet de 1834.
Ne croyez pas qu’il y ait dans l’amendement que j’ai déposé la moindre trace de défiance. J’ai déjà eu l’honneur de le dire, je connais le clergé de nos campagnes autrement que par les livres et par les journaux ; j’ai été en contact fréquent avec lui et je peux le dire, puisqu’on a encore parlé de libéralisme, que le clergé avec lequel j’ai été en relation est libéral si on entend par libéralisme un attachement sincère aux institutions que nous a données le congrès national. Je crois pouvoir dire que la plupart des membres du clergé avec lesquels j’ai eu des rapports administratifs, sanctionneraient sans hésiter les principes que je viens d’exposer.
Ne croyez pas, je le répète, qu’il y ait dans mon amendement autre chose qu’une question de moyen. Tous, nous voulons atteindre au même but, une instruction essentiellement religieuse et morale ; tous, nous voulons conserver dans une association d’efforts utile, précieuse, la dignité de l’autorité ecclésiastique et la dignité de l’autorité civile. Pour moi je n’ai pas d’autre but. (Approbation générale).
M. d’Huart. - J’appuierai avec empressement l’amendement que vient de présenter l’honorable M. Lebeau parce qu’avant tout, je veux applaudir aux paroles pleines de conciliation qu’il a prononcées. Si jamais on a fait preuves de conciliation et de modération dans cette discussion, c’est bien le discours de l’honorable membre qui vient d’en donner l’exemple. Il vous a dit avec franchise et vérité quels étaient les principes du clergé avec lequel il s’est trouvé en relations, et nous devons nous applaudir d’avoir entendu de semblables déclarations. Je regarde le fond de la pensée exprimée dans le discours comme plus propre à nous conduire à la solution des graves questions qui nous occupent, que les longues dissertations que nous avons entendues précédemment, c’est de la pratique qu’il présente, et c’est là ce que nous devons chercher à introduire dans la loi.
Ainsi, que l’a fait remarquer l’honorable membre, en établissant une ligne de démarcation pour des choses dont la limite ne peut pas être exactement tracée, en consignant de pareilles choses dans la loi, vous donnerez naissance nécessairement à des conflits ; et d’ailleurs, ainsi que l’a dit M. le ministre, les conflits sont surtout à craindre en bas et non pas en haut ; dans l’échelle des pouvoirs, en effet, le gouvernement trouvera toujours facilement moyen de s’entendre avec les chefs des différents cultes, tandis qu’il n’en serait pas de même s’ils agissaient par des délégués.
Le chef du département de l’intérieur s’entendra facilement, dis-je, avec les chefs des différents cultes, et une disposition générale interviendra qui consistera à dire que tels et tels livres peuvent être admis dans les écoles primaires. Il ne faudra pas qu’on inscrive sur chaque volume une autorisation ; une disposition générale étant prise de commun accord avec les chefs des cultes, on sera informé que tels et tels livres sont admis pour l’enseignement de la jeunesse, dans les écoles primaires, ce qui vaudra mieux que l’apposition sur chaque livre d’un cachet qui indiquerait jusqu’à certain point de la défiance de part et d’autre.
Je n’en dirai pas davantage. J’affaiblirais les raisons données par l’honorable préopinant à l’appui de son amendement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il faut d’abord nous rendre compte de l’amendement présenté par l’honorable M. Lebeau. Les livres seront tous soumis à une double approbation : approbation par le gouvernement et approbation par le clergé. Le gouvernement aura le droit d’approuver même le catéchisme, sauf la réserve faite par l’honorable M. Lebeau, et sur laquelle je reviendrai tout à l’heure. Mais par contre, et en compensation en quelque sorte de l’extension donnée à l’intervention du gouvernement le clergé aura le droit d’examiner tous les livres quelconques, les livres même n’ayant qu’un caractère purement scientifique. C’est ainsi que j’entends le nouvel amendement présenté.
J’aurais besoin de quelques explications sur la manière dont cet amendement pourra recevoir son exécution. Je me félicite, pour ma part, de ne pas l’avoir déposé, parce que je regarde cet amendement comme devant être l’objet d’attaques bien plus vives que celles dirigées contre ma proposition.
M. Lebeau. - Cela ne m’aurait jamais arrêté.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Je ne dis pas que cela vous eût jamais arrêté. Je veux seulement que votre proposition soit bien expliquée. Vous m’avez demandé de quelle manière j’aurais mis à exécution mon amendement, s’il avait été adopté comme j’aurai probablement à appliquer votre amendement s’il vient à être adopté, je vous demanderai de quelle manière je devrai l’appliquer. Le gouvernement aura le droit d’examiner le catéchisme. Toutefois l’honorable membre a fait une réserve, il a dit que la révision du gouvernement ne pourrait dégénérer en une révision dogmatique.
Je lui demanderai de me dire où commence le dogme. Je pourrais présenter beaucoup de cas où il est très douteux si la question dogmatique existe. Ainsi l’honorable préopinant maintient tacitement une réserve, à l’approbation à donner par le gouvernement. Le gouvernement ne touchera pas à la partie du dogme, cette réserve on l’a posée ; il y a des cas qui sont évidents. Par exemple, pour la dîme, il est évident que dans tous les systèmes le gouvernement aurait été admis à dire que ce chapitre du catéchisme était une imprudence, une inadvertance, qu’il fallait le retrancher, ou mettre au bas de la page, une note pour dire que ce chapitre, qui recevait son application il y a un demi-siècle et plus ne la reçoit plus. L’honorable comte de Mérode nous en a dit la raison.
Ainsi, il y aurait intervention du gouvernement, même à l’égard du catéchisme, mais avec la réserve qu’il n’y aurait pas de révision dogmatique de sa part.
Maintenant voyons ce que nous accordons au clergé en retour de cette intervention que nous accordons au gouvernement. Nous lui accordons l’approbation de tous les livres quelconques, l’examen même de toutes les méthodes. Je demande si c’est là ce qu’on a voulu.
M. Lebeau. - Je demande la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Quant à l’amendement que j’ai présenté, s’il était converti en loi, voici pour ma part comment j’entendrais en faire l’application. Je diviserais les livres en trois catégories :
1ère catégorie. - Livres évidemment religieux. Cette catégorie ne renfermerait qu’un seul livre : le catéchisme ; livre pour lequel je m’interdirais, dans tous les systèmes, même dans celui de l’honorable M. Lebeau, la révision dogmatique. Si je remarquais des inadvertances aussi graves que celle signalée par l’honorable membre, le gouvernement ferait ses observations, je suis convaincu que le clergé y ferait droit.
2ème catégorie. - Livres évidemment scientifiques. Ceux-ci devraient être approuvés par le pouvoir civil seul, sauf de la part du clergé le droit d’avertissement et de conseil pour certains passages auxquels il pourrait avoir à redire.
Il peut se glisser, même dans une grammaire certains exemples qui ne devraient pas y être.
3ème catégorie. Livres douteux qui peuvent avoir un caractère mixte. Ici j’admets le doute ; il est impossible de faire autrement. Ici est la difficulté ; la difficulté naît pour les livres douteux ; mais au moins je la concentre sur une partie très peu nombreuse de livres. Il n’y aura guère qu’un livre dans cette catégorie. C’est le livre tant de fois cité, portant le titre Lectures instructives et morales. L’amendement de l’honorable M. Lebeau, au lieu de concentrer la difficulté qui semble effrayer, la rend générale et la fait porter sur tous les livres, car le contrôle du clergé pourra s’exercer sur tous les livres quelconques.
Je n’apporte aucun amour-propre dans cette discussion, mais je l’avoue, si j’avais à choisir entre l’application de ma proposition et celle de l’honorable M. Lebeau, j’opterais pour la mienne, c’est peut-être parce que j’en suis l’auteur. Il est naturel que je comprenne mieux ma proposition que la sienne, c’est pour cela que j’attends des explications.
Maintenant, je demanderai ce que devient la fameuse question de la suprématie de l’autorité civile sur laquelle on est revenu si souvent. Cette question disparaît complètement dans la proposition de l’honorable M. Lebeau. L’intervention du clergé devient générale. Le clergé conserve le droit d’abstention, et nous ne pouvons y toucher ; mais nous voulons une loi telle que le clergé ne puisse s’abstenir sans donner les motifs de son abstention.
Je suppose une difficulté pour l’approbation d’un livre purement scientifique. Il faudra une double approbation. Le clergé pourra-t-il s’abstenir parce qu’il jugera à propos de ne pas approuver un livre purement scientifique ? Vous voyez que vous multipliez les cas d’abstention pour le clergé.
J’écouterai les explications qui seront données. Loin de regarder la proposition de l’honorable M. Lebeau, comme contraire à l’intervention du clergé, je la regarde, je suis forcé de le dire, comme donnant une extension à cette intervention.
M. Dumortier. - Les paroles de l’honorable M. Lebeau m’ont également pénétré de reconnaissance pour les sentiments qu’il a exprimés. Je dois dire que je suis heureux d’avoir à le proclamer dans cette enceinte. Mais tout en approuvant les motifs que l’honorable membre a donnés à son amendement, je voudrais bien qu’il donnât quelques explications sur sa portée.
D’abord je remarque qu’aux termes de son amendement l’examen des livres destinés à l’enseignement primaire aurait lieu tous les ans. Il me paraît que cela ne doit pas être admis. Les ministères changent ; ils peuvent changer tous les ans. Il en résulterait que chaque année on donnerait des ouvrages nouveaux pour l’enseignement primaire. En pratique, cette disposition n’est pas inexécutable.
D’un autre côté, je ne voudrais pas qu’un ministère opposé aux doctrines professées par l’honorable M. Lebeau intervînt en matière de religion. Que l’honorable membre veuille donc nous faire connaître toute la portée de son amendement ; mais cependant la rédaction, telle qu’elle est présentée, ne défère pas au gouvernement d’intervenir dans les maximes religieuses ; de manière qu’un gouvernement qui serait animé de sentiments contraires à ceux que vient de professer l’honorable M. Lebeau pourrait se servir de l’amendement pour bouleverser les livres d’enseignement religieux, et nous finirions par avoir en Belgique ce que la constitution a défendu, une religion établie, comme en Angleterre, en vertu d’une loi.
Je sais que telle n’est pas l’intention de mon honorable collègue, mais je dis que la portée de l’amendement pourrait aller au-delà de la pensée que lui donne son auteur.
Il est d’ailleurs une chose à remarquer relativement aux ouvrages dont on a parlé, tels que ceux de saint Thomas, de Dens et d’Andreas Scotti, si j’ai bien compris le nom ; car je ne connais pas ce livre. D’abord je dirai, quant à ce dernier, que si l’analyse que vous en avez faite est exacte, c’est un mauvais livre ; d’après ce que j’en ai entendu, c’est un ouvrage de politique italienne et non de politique belge. Mais je veux faire observer que tous les ouvrages qu’on a cités ne sont nullement destinés aux écoles primaires ; car je ne pense pas qu’on veuille enseigner dans nos écoles primaires les ouvrages de saint Thomas, de Dens, etc.
A la vérité, dans les catéchismes de plusieurs diocèses, il existe des paragraphes relatifs à la dîme, et pour mon compte je désire tout aussi vivement que personne que l’on supprime ses paragraphes. Il est temps que les évêques sachent que ces vieilleries ne sont plus de notre époque et qu’il conviendrait de les faire disparaître.
Mais je ne pense pas qu’on puisse intervenir par voie de force en pareil cas, il faut intervenir par voie de persuasion, il faut que l’on fasse comprendre au clergé la nécessité de supprimer ces choses. Mais il est impossible que vous donniez le droit au pouvoir civil de dire : vous mettrez dans votre catéchisme telle ou telle chose, vous en supprimerez telle ou telle autre. Car si vous lui donnez le pouvoir de supprimer du catéchisme tel ou tel paragraphe, il pourra arriver qu’on en supprime aujourd’hui un, demain un autre et que vous finissiez par ne plus avoir de catéchisme.
J’avoue que ce sont là des difficultés sur lesquelles je désire avoir des explications.
M. de Theux. - Messieurs, la première question que soulève l’amendement de l’honorable M. Lebeau est celle de savoir quelles seraient les conséquences d’un désaccord entre le gouvernement et l’épiscopat relativement aux livres à employer dans l’école, soit qu’ils aient pour objet l’enseignement de la religion, ou simplement l’enseignement littéraire. Quant à moi, la conséquence logique de l’amendement me paraît être celle-ci : si aucun livre ne pouvait être employé dans l’école sans avoir reçu le double assentiment du gouvernement et de l’épiscopat, il s’ensuivrait que s’il y avait désaccord complet entre le gouvernement et l’épiscopat, aucun livre ne pourrait être employé dans les écoles primaires et que les écoles se trouveraient fermées par le fait seul qu’aucun livre ne pourrait y être employé. Ceci est la déduction logique de la proposition.
Je dis que si telle n’est pas la déduction logique de la proposition, il ne reste dans la loi aucune garantie pour l’enseignement de la religion et de la morale, parce que le gouvernement peut, par son désaccord, écarter d’emblée tous les livres de religion et de morale, et l’école, de cette manière, continuerait sans l’enseignement de la morale et de la religion. Or, c’est ce que nous ne voulons pas. Il faut donc se fixer sur les conséquences de la proposition.
Après avoir présenté cette observation, je dirai quelles sont les autres conséquences qui, au premier abord, semblent découler de l’amendement de l’honorable M. Lebeau.
Si je le considère sous le point de vue pratique, il me paraît consacrer de grands avantages. On serait assuré que l’enseignement religieux et moral ne serait nullement contrarié dans l’enseignement littéraire. D’autre part, on aurait une autre garantie qui existe déjà réellement par le fait, c’est que dans l’enseignement de la morale et de la religion, on ne mêlerait pas les intérêts politiques. Je dis que ceci existe en fait. Car en quoi consiste l’enseignement de la religion et de la morale dans les écoles primaires ? Il consiste dans l’enseignement du catéchisme et dans les éléments d’histoire sainte. Or, nous n’avons jusqu’à présent pas entendu dire que dans aucun catéchisme ou dans aucun livre élémentaire d’histoire sainte, il y eût quelque chose de contraire à l’ordre politique.
A la vérité, ou a parlé d’un catéchisme qui, l’année dernière, maintenait encore les doctrines sur la dîme. Mais comme on l’a fort bien dit, cela a été tellement entendu par tout le monde, que personne ne s’est cru en conscience obligé de payer la dîme, et que le clergé ne s’est présenté nulle part pour recevoir. Il n’y a donc eu aucune espèce d’inconvénient pratique dans le maintien du passage sur la dîme qui se trouvait dans un ancien catéchisme qui n’avait pas été modifié. La mention de la dîme ne faisait que rappeler le souvenir d’un moyen d’existence pour le clergé, moyen qui a été remplacé par des traitements pécuniaires. De telle manière que cette affaire de la dîme a été exploitée avec malice au moment des élections en 1841, mais ne présentait aucune difficulté politique, à tel point que personne n’y avait songé avant qu’on n’en parlât dans un intérêt électoral et par surprise. Et aussitôt les évêques se sont hâtés d’expliquer que jamais l’enseignement du catéchisme ne devait être entendu en ce sens que le paiement de la dîme serait obligatoire, alors que le clergé reçoit un traitement pécuniaire.
Je ne vois dès lors pas de motifs à l’intervention officielle du gouvernement, et je pense que tout ministre qui serait chargé de l’instruction publique et qui se respecterait ne ferait aucune difficulté pour autoriser l’enseignement des catéchismes des divers diocèses.
Cela admis, il est évident que l’avantage de la proposition de l’honorable M. Lebeau serait pour le clergé, et je crois qu’il serait tout à fait en harmonie avec le but de la loi que nous discutons. Mais malgré les avantages qu’il présente sous ce point de vue, je ne suis pas entièrement rassuré sous le point de vue des principes.
Quant aux principes, je pense que l’amendement de M. le ministre de l’intérieur tel qu’il a été modifié et expliqué, ne peut présenter de difficultés.
Mais de quelle manière le clergé envisagera-t-il l’obligation d’obtenir l’assentiment du gouvernement pour l’emploi d’un catéchisme et d’un livre élémentaire d’histoire sainte ? Croira-t-il que par là la législature a voulu donner au gouvernement une intervention directe dans l’enseignement de la morale et de la religion ? S’il avait cette opinion, il refuserait son concours. S’il ne voyait au contraire dans ce placet ou plutôt dans l’assentiment du ministère qu’une espèce de formalité qu’il pût adopter sans déroger aux principes, je crois qu’il devrait accepter avec reconnaissance l’amendement de l’honorable M. Lebeau.
D’après ce que je viens de dire, je suis forcé d’attendre les explications qui seront ultérieurement données, avant de me prononcer définitivement sur cet amendement.
M. Dechamps. - Messieurs, je commencerai aussi par remercier sincèrement l’honorable M. Lebeau pour les paroles de conciliation et de modération qu’il a bien voulu jeter dans des débats qui menaçaient de devenir irritants. Messieurs, le discours qu’il vient de prononcer me dispense de répondre à des attaques que l’improvisation peut faire excuser jusqu’à un certain point, mais qui certainement ne pourront être accueillies favorablement dans le pays.
Messieurs, j’ai écouté attentivement les développements que l’honorable membre a donnés à sa pensée ; mais il m’avait paru que ces développements avaient une autre portée que l’amendement tel qu’il est rédigé. L’honorable M. Lebeau a posé un principe, et ce principe, c’est une double approbation des livres enseignés dans l’école, l’approbation de l’autorité civile d’une part, et l’approbation de l’autorité ecclésiastique de l’autre. Mais l’honorable M. Lebeau, arrêté sans doute par les idées de liberté et de religion, par les idées de séparation de l’Eglise et de l’Etat que la constitution a déterminée, a pris soin de vous faire remarquer qu’il ne prétendait pas que l’autorité civile dût décider dans des questions purement dogmatiques. Si j’ai bien retenu quelques phrases que l’honorable membre a prononcées, il vous a dit qu’il fallait reconnaître cependant à l’autorité civile le droit de signaler dans des ouvrages destinés à l’instruction religieuse certains passages qui pourraient ne pas être d’accord avec les institutions politiques du pays.
Messieurs, évidemment je reconnais ce droit au pouvoir civil, et ce droit, l’amendement de M. le ministre de l’intérieur le reconnaît aussi ; il reconnaît le droit de signaler à l’épiscopat des inadvertances qui auraient pu se glisser dans les livres dogmatiques.
Mais, messieurs, je parle avec franchise je crois que le clergé, que l’épiscopat ne croie pas de sa dignité d’accepter le contrôle officiel de l’autorité civile dans un ouvrage purement dogmatique ; et je cite pour exemple le catéchisme.
Messieurs, la dignité du clergé est d’autant plus compromise, que la seule objection que l’on ait opposée, c’est sa question de cet article que l’on a laissé par inadvertance dans un catéchisme, relativement au paiement de la dîme. C’est, je le répète, la seule objection que l’on ait faite contre le catéchisme, et je ne crois pas qu’on puisse en faire d’autre ; je ne connais dans le catéchisme aucun article qui pourrait le moins du monde effaroucher aucune opinion du pays.
Eh bien ! lorsque l’épiscopat tout entier a déclaré quel était le sens à donner à cet article, il me paraît que ce serait continuer à suspecter ses intentions si clairement manifestées par lui, que de vouloir introduire dans la loi, pour ce seul cas appréciable, un contrôle de l’autorité civile sur des ouvrages purement dogmatiques.
L’honorable M. Lebeau vous a dit que son amendement avait pour but d’éviter les conflits, et je suis le premier à reconnaître que le système de son amendement mènerait plus directement à ce résultat que celui de tous les amendements proposés. Mais l’honorable M. de Theux vient de vous signaler déjà un inconvénient de cet amendement, il vient de signaler comment le conflit pourrait sortir de cet amendement.
Qu’arrivera-t-il lorsqu’il y aura désaccord sur un point que le clergé déclarera dogmatique et que l’autorité civile déclarera n’être pas dogmatique ? Vous arrivez nécessairement à la suppression du livre dans l’école, vous arrivez à rendre l’école même impossible.
Je rappellerai à l’honorable M. Lebeau ce qui s’est passé récemment en France, depuis l’exécution de la loi de 1833. Le conseil de l’université de France avait cru devoir rédiger un catéchisme qui, dans les écoles légales en France, devait remplacer les différents catéchismes diocésains. Eh bien, messieurs, le corps épiscopal français a protesté formellement contre cette prétention du pouvoir civil. Il est possible qu’aux termes de la loi de 1833 le pouvoir civil ait pu se croire armé de ce droit ; cependant, au nom de la liberté des cultes, au nom de la liberté de conscience, le corps épiscopal français a cru devoir protester contre l’introduction dans les écoles d’un catéchisme indiqué par l’autorité civile. Eh bien, si l’amendement de M. Lebeau était adopté, le clergé pourrait craindre qu’une pareille prétention ne se produisît un jour en Belgique. C’est une nouvelle source de conflits que je prévois, et je ne comprends aucun motif sérieux qui puisse faire tenir l’honorable membre à ce qu’on donne à l’autorité civile le droit d’approuver les livres exclusivement dogmatiques dans lesquels les institutions du pays n’ont rien à voir, car cet article de la dîme, le seul qu’on puisse cité, ne fait plus question pour personne.
M. Lebeau. - Je dois d’abord déclarer, messieurs, que je suis heureux qu’on ait aussi bien compris ma pensée et qu’on ait rendu hommage à mes intentions. Toutefois, je dois déclarer en même temps que je n’entends pas qu’un de mes honorables collègues, pour le caractère duquel j’ai beaucoup d’estime, fasse les frais des compliments que l’on m’a adressés. Je ne saurais partager l’opinion qui vient d’être émise par quelques préopinants sur la part que cet honorable collègue a prise aujourd’hui à la discussion, Vous savez, messieurs, que si quelques débats pénibles ont affligé la chambre, l’initiative de ces débats ne lui appartient pas. Je déclare en outre que dans toute cette discussion je n’ai vu de la part de cet honorable collègue que l’expression d’une conviction profonde et chaleureuse et l’habitude qu’il a de porter la franchise parlementaire à son extrême limite. Voilà, messieurs, ce que je tenais à dire, et si je pouvais avoir le moindre doute sur les intentions conciliantes et constitutionnelles de l’honorable collègue auquel je fais allusion, ce doute s’évanouirait en présence de l’amendement très constitutionnel et très conciliant par lequel cet honorable membre a formulé et résumé sen opinion.
Cet honorable membre ne dénie pas non plus une intervention très large au clergé dans le choix des livres, et son amendement le prouve encore. Il veut donner au pouvoir civil une prérogative que je crois devoir aussi revendiquer pour lui. Quant aux citations faites par l’honorable membre à l’appui de son opinion, je n’ai vu en cela que l’exercice légitime d’un droit. Citer certains livres qui peuvent avoir échappé à l’attention de l’autorité ecclésiastique, pour prouver qu’il serait utile d’appeler le contrôle du pouvoir civil sur de semblables ouvrages, c’est là une chose qui me semble tout à fait légitime.
Voilà ce que j’avais à dire sur ce point.
Messieurs, ce qui paraît avoir jeté des scrupules dans l’esprit des honorables membres qui, en applaudissant à mes intentions, ne souscrivent pas complètement à l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer, c’est l’idée qu’il s’agit de placer en matière de dogme, l’autorité civile au-dessus de l’autorité ecclésiastique, de telle sorte que le pouvoir civil aurait en dernier ressort la révision, par exemple, des catéchismes. Mais, messieurs, telle n’est pas du tout la portée de mon amendement. Lorsque le gouvernement trouverait dans un catéchisme un passage qui lui paraîtrait contraire à la constitution, il ne déclarerait pas qu’il faut réformer ce catéchisme, qu’il faut le bannir de l’Eglise. Le gouvernement exprimerait le vœu et exigerait au besoin que ce livre, à moins qu’on ne le modifiât, ne fût pas au nombre de ceux dont on se sert dans les écoles publiques. Voilà tout ce qu’il ferait, et je crois qu’il en a le droit.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Il a aussi ce droit d’après ma rédaction.
M. Lebeau. - Vous allez voir, M. le ministre, quelle part vous faites au gouvernement. Qu’arrivera-t-il dans la pratique ? Un ouvrage produit par les inspecteurs provinciaux et par les autorités ecclésiastiques, ne convient pas à tout le monde ; eh bien, le ministre fera des représentations officieuses au sein de la commission ; ou bien il recevra de la part de l’autorité ecclésiastique, ou il y fera des concessions ; on dira par exemple, à propos du catéchisme de Namur (car je prends cet exemple comme le plus compréhensible), on dira : « Il se peut que cette proposition soit inoffensive, mais pour couper court à toute interprétation, ne vous est-il pas égal d’adopter, par exemple, le catéchisme du diocèse de Malines où tel autre dans lequel cette proposition ne se trouve pas ? » Eh bien, si l’on est animé de part et d’autre d’un esprit de conciliation cette mutation de livres se fera sans aucun inconvénient, sans blesser la dignité ni les droits de personne. Le catéchisme de Namur n’en restera pas moins intact.
M. le ministre reproche à mon amendement d’absorber au profit du clergé presque toute l’indépendance de l’autorité civile, à la différence de son propre amendement dont il ne trouve pas la portée aussi étendue. Mais M. le ministre nous a dit que non seulement l’approbation exclusive du clergé était indispensable pour tous les livres destines à l’enseignement de la religion et de la morale, mais que cette approbation était encore indispensable pour les livres mixtes. Or, qu’est-ce que M. le ministre entend par livres mixtes ? Il vous l’a dit, messieurs, ce sont les livres de lecture et jusqu’aux grammaires ; de manière que la grande indépendance conservée au pouvoir civil par l’amendement de M. le ministre de l’intérieur consiste dans la faculté d’approuver le livre d’arithmétique, c’est-à-dire, de sanctionner Barème, c’est-à-dire, de déclarer à lui seul, que 2 et 2 font 4. (Hilarité.) Voilà, messieurs, la belle part que M. le ministre de l’intérieur fait à l’autorité civile ! Il ne fait pas autre chose.
« S’il y a désaccord, dit l’honorable M. de Theux, et, après lui, l’honorable M. Dechamps, s’il y a désaccord entre l’autorité civile et l’autorité religieuse, qui décidera ? »
Mais, messieurs, je demanderai à mon tour : « S’il y a dissidence entre l’autorité civile et l’autorité ecclésiastique sur la question de savoir quels sont là livres mixtes, sur la question de savoir si tel livre est purement littéraire, si telle grammaire doit être proscrite ou admise, qui est-ce qui prononcera ? Evidemment personne, car il n’y a pas d’autorité placée au-dessus de l’autorité civile et de l’autorité ecclésiastique.
Il n’y a de solution possible que dans l’esprit de conciliation ; dans tous les systèmes, vous n’en trouverez pas ailleurs. Seulement dans mon système la conciliation portera sur une question de fait, sur une question pratique, qui est toujours plus facile à résoudre que les questions générales, les questions de principe, que soulèvera l’application de l’amendement de M. le ministre de l’intérieur. La question de savoir ce qui est mixte et ce qui n’est pas mixte, ce qui est moral et ce qui n’est que littéraire, ces questions seront souvent bien difficiles à résoudre ; ce sont là de ces questions sur lesquelles on peut écrire des volumes.
Je suppose qu’il y ait dissentiment sur la question de savoir si un livre de lecture est complètement irréprochable ; eh bien, on repoussera ce livre et on en prendra un autre sur lequel on sera d’accord. N’y a-t-il donc qu’un seul livre dans lequel on puisse apprendre la lecture aux petits enfants ? Lorsque des deux côtés on sera animé d’un véritable esprit de conciliation, on proposera donc un autre livre ; on dira : Ne discutons pas sur celui-ci ; il se peut que vous ayez raison, il se peut que vous ayez tort, mais ne nous occupons pas de cela, mettons ce livre de côté et prenons-en un autre qui ne soulève pas les mêmes objections ; voilà infailliblement comment les choses se passeront si de part et d’autre on est animé d’un esprit de conciliation. Si vous ne comptez pas sur cet esprit de conciliation, alors il est inutile que vous fassiez une loi ; vous ferez tout aussi bien d’y renoncer.
C’est parce que j’ai foi dans l’esprit de conciliation et de sagesse qui animera le clergé et le gouvernement, que j’ai confiance dans l’exécution de mon amendement.
Je l’ai déjà dit, messieurs, il ne s’agit pas ici d’une approbation théorique, dogmatique, d’une approbation qui mutilerait, qui réformerait un livre de dogme il s’agit seulement de la permission de faire usage de tel livre dans les écoles publiques.
Messieurs, vous avez deux garanties de l’esprit de conciliation, qui présidera à l’exécution de la loi, d’une part dans la conviction du bien que le clergé sait être attaché à son intervention dans l’enseignement primaire ; vous avez d’autre part une garantie qu’on ne se jouera pas des représentations légitimes du clergé, dans le prix que tous, à quelque opinion que nous appartenions, nous attachons à son concours à son association, à son intervention dans l’enseignement primaire. Notre intérêt vous répond de nous.
Et quand même (ce dont je n’ai pas à m’expliquer ici) il y aurait un jour au pouvoir des hommes d’État qui n’envisageassent, l’intervention du clergé dans l’enseignement primaire qu’au point de vue purement politique, purement philosophique, chacun est tellement convaincu de l’avantage qu’il y a d’associer d’une manière patente et positive l’enseignement religieux et moral à l’instruction proprement dite, que vos craintes devraient encore s’effacer devant cette nécessité sociale qui est comprise par tous les hommes doués de quelque portée d’esprit.
L’honorable M. Dechamps a cité l’exemple de la France où l’autorité a voulu imposer aux instituteurs primaires un catéchisme de sa façon. Je dois déclarer d’abord que je regarde comme fort étrange la prétention de l’autorité civile de faire un catéchisme, et je ne comprendrais pas, eu égard à la manière dont les pouvoirs sont organisés en Belgique, qu’un homme d’Etat osât s’y arroger la mission de faire une pareille œuvre. Mais poussât-il l’aberration, la folie jusque là, qu’en résulterait-il ? C’est que dans la réunion à laquelle le clergé est appelé pour examiner tous les livres à employer dans les écoles primaires, son premier soin serait de refuser son approbation à un pareil ouvrage et d’exiger qu’il en fût exclu sous peine de refus de concours.
L’honorable M. Dumortier a dit qu’il résulterait de l’application de mon amendement que chaque année on changerait les livres, qu’ils seraient en quelque sorte soumis aux fluctuations ministérielles.
Il n’en est rien, messieurs : si les livres sont bons, si aucune plainte ne s’élève, je ne sais pas même si la commission aura besoin de se réunir pour renouveler l’admission ; ou, si elle se réunit, ce sera pour dire aux inspecteurs et aux instituteurs que les livres, sont maintenus. Qu’on songe d’ailleurs de quels livres et de quels lecteurs il s’agit.
Si vous voulez tout prévoir, vous ne ferez rien. Si vous supposez que personne n’apportera dans l’exécution de la loi un esprit de concession et de conciliation, il est inutile d’en voter une, car votre loi sera morte née. Procédons donc avec des vues de conciliation, et puisse l’exécution de cette loi être, comme vous en exprimez le vœu, la source d’une réconciliation dans le pays. Nous savons quelles sont les conditions et les vicissitudes d’un gouvernement représentatif, nous savons les accepter, mais nous n’avons pas la triste manie, la coupable intention de grossir et d’envenimer des luttes, alors même que nous les croyons inévitables ; et alors aussi que de fâcheux souvenirs pourraient jusqu’à certain point arrêter chez nous les idées de conciliation que l’on provoque, nous nous croirions mauvais citoyens, si nous résistions, pour de tels motifs, à l’appel qu’on nous fait ; mais il faut, pour qu’il soit fécond, autre chose que des paroles, il faut des actes et beaucoup d’actes pour effacer des préventions qui ont dans le passé une source malheureusement trop légitime. (Adhésion.)
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Messieurs, je chercherai à être aussi bref que possible. L’honorable M. Lebeau veut faire une part nouvelle au gouvernement dans l’examen des livres. Voyons d’abord jusqu’à quel point il lui fait une part nouvelle, en de qui concerne les livres religieux.
L’honorable membre a eu soin de faire une réserve ; cette réserve il la maintient : « Le gouvernement ne touchera pas à la partie dogmatique. » Je dis que dès lors il ne fait pas plus pour le gouvernement que je n’ai fait par l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer. (Interruption.)
Je dis qu’en principe et en pratique vous n’aurez pas davantage, parce que vous admettez avec moi que le gouvernement ne pourra, quant aux livres religieux, que faire des remontrances, donner des conseils, et vous êtes même allé plus loin que moi, ne pourra qu’exprimer des vœux.
Dans l’un et l’autre système, la part du gouvernement est réduite à ceci : il ne peut, quant aux livres religieux, que faire des remontrances pour certains passages qui pourraient s’y trouver, que donner des conseils, exprimer des vœux, comme l’a dit l’honorable M. Lebeau.
A moins que l’honorable M. Lebeau ne retire ses paroles, ce qu’il ne fera pas ; à moins qu’il ne retire ses explications, et il les maintiendra, il est évident que la part que nous faisons au gouvernement est la même dans l’un et dans l’autre système.
M. Lebeau. - Je demande la parole pour donner une explication.
J’ai dit que le gouvernement commencerait par exprimer le vœu que tel livre fût remplace par tel autre, que tel autre livre, même dogmatique, fût modifié dans telle partie qui n’avait rien de commun au dogme, pour ne plus éveiller des susceptibilités, des craintes, de fausse interprétation. J’ai cité un exemple, mais je n’en ai pas moins admis le droit absolu pour le gouvernement de concourir à l’admission dans les écoles primaires de tous les livres quelconques.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - J’ai compris l’amendement dans ce sens, que du moment que le gouvernement ne dirait pas : ne vous servez pas de ce catéchisme, il y aurait de la part du gouvernement permission tacite de se servir de ce catéchisme. Si dans un catéchisme, il se trouvait un passage de la nature de ceux qu’on a cités tant de fois, le gouvernement ferait des remontrances à l’épiscopal, et exprimerait le vœu que le catéchisme ne fût plus employé. Sommes-nous d’accord ?
M. Lebeau. - Je voudrais que ce passage disparût.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Eh bien, je dis que l’honorable M. Lebeau est d’accord avec moi sur la part à faire au gouvernement, à l’égard des livres religieux, Cela posé, je dis que bien indubitablement le gouvernement émettra le vœu que le passage disparaisse ; mais il ne peut pas dire que si le passage ne disparaissait pas dans un tel délai, le catéchisme ne serait plus employé dans l’école, et que l’on n’apprendrait le catéchisme que dans une édition faite par le gouvernement. Eh bien, je répète que le gouvernement a la même part d’intervention par la proposition que j’ai faite. Dans l’un et l’autre système, c’est le clergé qui approuve d’une manière directe et formelle ; dans l’un et l’autre système, le gouvernement peut, le cas échéant, intervenir pour certains passages par voie de remontrance, par voie de conseil et d’avertissement.
Voyons maintenant la part qui est faite au clergé dans l’un et l’autre système.
D’après ma proposition, le clergé n’est pas appelé à approuver les livres scientifiques. J’appelle livres scientifiques dans une école, la grammaire, les éléments de calcul ; je reviendrai là-dessus tout à l’heure, et je prouverai que l’honorable M. Lebeau m’a mal compris, quoique j’aie répété jusqu’à trois fois mon explication, quant à la grammaire.
Nous disons : Point d’intervention du clergé pour tous les livres scientifiques, et nous appelons livres scientifiques ceux où ce caractère domine. L’honorable M. Lebeau, au contraire, accorde au clergé l’examen de tous les livres quelconques. Au lieu de l’examen de tous les livres quelconques, ce que nous accordons au clergé, c’est le droit de remontrance, d’avertissement, à l’égard des livres même scientifiques, lorsque certains passages peuvent être signalés par le clergé comme contraires à l’enseignement religieux et moral ; nous ne lui donnons pas le droit d’approbation à l’égard de la grammaire, comme l’a supposé l’honorable M. Lebeau, nous lui donnons seulement le droit de dire, quant à ce livre : Vous avez tort de citer dans cette grammaire tel ou tel vers, tel ou tel passage ; il convient de le faire disparaître.
Nous avons dit que pour des motifs d’économie, de temps et d’argent, il y aurait dans l’école un livre mixte ; un livre dont on se servirait à la fois pour enseigner la lecture et la morale. Ce livre sera soumis à une double approbation, et de cette manière toute chance de conflit sera évitée.
En résumé, la part que l’amendement de l’honorable M. Lebeau fait au gouvernement, en ce qui concerne les livres religieux, n’est pas autre que celle que nous lui faisons ; ce n’est pas une approbation formelle, directe, patente, ce n’est qu’une intervention par voie de remontrance et d’avertissement. Mais il y a cette différence entre l’amendement de M. Lebeau et celui que j’ai proposé, c’est que d’après le mien, le clergé est tenu de se considérer comme incompétent pour toute la partie scientifique de l’enseignement primaire. Je désire que cette incompétence soit maintenue d’une manière formelle, je prévois dans l’exécution les plus grands embarras. Le clergé se fera illusion sur l’intervention qu’il a réellement à exercer dans l’enseignement primaire.
M. Brabant. - Messieurs, je ne parlerai de la proposition en discussion qu’au point de vue de l’approbation demandée pour le catéchisme. Sans vouloir être ici l’organe de qui que ce soit, je crois, commue catholique, qu’au clergé seul appartient le droit de faire un catéchisme, et que, pour son catéchisme, il n’a besoin de l’approbation de personne.
Maintenant, quels seront les embarras du gouvernement à cet égard ? Un seul catéchisme a donné lieu à des difficultés. Ce catéchisme, si je suis bien informé, est commun à trois diocèses ; il n’y a que le diocèse de Namur dans lequel la partie reprochable ait été conservée, encore n’y a-t-elle pas été conservée généralement, car des écoles très nombreuses et très catholiques, en faisant réimprimer le catéchisme, ont biffé de leur propre autorité tout ce qui est relatif à la dîme.
Maintenant, je suppose, et je ne puis pas le croire, le chef actuel du diocèse de Namur est un homme trop pénétré de ses devoirs et de l’esprit de son état pour laisser subsister une pierre de scandale dans le royaume ; mais je suppose que M. l’évêque de Namur ne veuille pas supprimer dans le grand catéchisme, ce qui est relatif à la dîme ; je crois, et si j’étais ministre de l’intérieur, je n’hésiterais pas à le faire ; je crois que le gouvernement serait en droit de dire aux instituteurs :vous n’enseignerez pas la partie du catéchisme qui est relative à la dîme.
Messieurs, nos institutions religieuses se rapportent à trois points : le dogme, la morale et la discipline. Le dogme et la morale sont les mêmes partout, ils ont été les mêmes dans tous les temps, la discipline varie, et ce qui était relatif à la dîme était un point de discipline. Maintenant, lorsqu’on a exhumé le grand catéchisme de Namur, ou plutôt la partie du catéchisme qui concerne la dîme, j’ai fait des recherches laborieuses dans un grand nombre de catéchismes, et j’ai trouvé que le catéchisme de Namur était le seul qui traitât le point en question ; je n’ai pas trouvé un mot de la dîme dans le catéchisme de Trente ; pas un mot dans le catéchisme de Bossuet, pas un mot dans le catéchisme qui a été longtemps enseigné, et qui était peut-être le seul usité dans nos établissements d’instruction avant la révolution, et qu’on enseigne encore dans plusieurs collèges, dans le catéchisme du père Canisius. Je crois qu’il n’y en a pas un mot dans le catéchisme de Malines. C’est donc que la dîme est un point de discipline qui n’était pas considéré comme une chose assez importante, même alors que c’était une prescription civile, pour qu’on en parlât dans tous les catéchismes.
Mais on a maintenu dans le catéchisme de Namur les 4 questions relativement à la dîme ; eh bien, le ministre dira aux instituteurs qui dépendent de lui : vous n’enseignerez pas cela. Si le clergé se plaint, le ministre répondra : la loi m’impose l’obligation de vous prêter secours pour l’exercice de votre ministère, en ce qui concerne l’enseignement de la religion et de la morale, Je dis que si dans les écoles dudit diocèse de Namur, par exemple, vous n’avez que cela à reprocher aux instituteurs, on satisfait à la loi. Je ne me poserai pas, moi, ministre, en juge. Mais je dirai : dans les diocèses de Gand, de Malines, de Bruges, où l’enseignement est catholique on n’enseigne pas la dîme, donc l’enseignement est religieux et catholique dans le diocèse de Namur, encore qu’on n’y enseigne pas la dîme. L’honorable M. Lebeau, qui veut la conciliation, devrait se désister de ce principe qui ne peut pas être accepté. Je ne sais ce qu’en pense le clergé, mais moi, en ma qualité de catholique, je ne puis reconnaître au gouvernement le pouvoir d’approuver ou de désapprouver un catéchisme. Il peut dire, moi, je n’hésiterais pas à le faire : je considère l’enseignement religieux comme complet dans un diocèse où l’on aurait exclut de cet enseignement ce qui est relatif à la dîme. Quant aux autres livres, on s’est fait un monstre de l’intervention du clergé dans les remontrances qu’il pourrait avoir à faire sur certains passages ; on a cru que le clergé imposerait des livres. Si j’étais maître d’école, je me mettrais à l’abri de toute critique en adoptant les livres usités dans les établissements ecclésiastiques.
J’ai vu dans le programme d’un grand nombre de collèges les livres qu’on emploie dans le séminaire archiépiscopal et dans les collèges des jésuites.
Je vois, entre autres livres, qu’on suit partout la même grammaire, celle de Noël et Chapsal. Il y a une quantité d’autres livres de ce genre. Il ne faut pas une si grande variété de livres pour enseigner à lire et les éléments de la langue française.
Nous nous faisons de cela un monstre, tandis qu’avec un peu de bienveillance de part et d’autre, rien ne serait plus facile que de s’entendre. Mais, je le répète, quant à l’approbation officielle d’un catéchisme par le gouvernement, je ne puis, catholique, y donner les mains.
M. Dumortier. - Je suis de ceux qui pensent que le gouvernement ne peut intervenir dans la question de savoir si un catéchisme lut convient oui ou non. Même je vais plus loin, je ne pense pas que le gouvernement puisse défendre d’enseigner telle partie du catéchisme. Je l’ai déjà dit, et je le répète, il est nécessaire que tout ce qui est relatif à la dîme disparaisse du catéchisme, mais c’est par voie de persuasion qu’on doit l’obtenir et non en disant : tel ou tel passage doit être retranché. Si alors l’autorité épiscopale s’y refusait, nous devrions déplorer un pareil aveuglement.
Si vous autorisez le gouvernement à intervenir près de l’instituteur pour lui défendre d’enseigner tel passage, où vous arrêterez-vous, quant aux autres parties qui ont rapport à la loi civile ?
La constitution vous ordonne, art. 15, de ne contraindre personne à concourir d’une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d’un culte ni d’en observer les jours de repos.
Voilà une disposition constitutionnelle diamétralement opposée à la prescription catholique, qui ordonne d’aller à la messe le dimanche. Le gouvernement pourra donc venir dire qu’il faut supprimer ce passage du catéchisme parce qu’il est en opposition avec la constitution. Mais toute association religieuse est une confrérie qui a le droit de mettre telle règle qu’elle veut dans sa constitution. C’est à vous de voir si vous voulez en faire partie. Les jours de repos sont de toutes les religions. La religion chrétienne observe le dimanche, la religion hébraïque observe le samedi.
Le gouvernement devra ordonner de supprimer la stipulation prescrivant d’observer le jour de repos. Il devra également supprimer le passage relatif au principe religieux du mariage, parce que, d’après la loi civile, il n’y a qu’un seul lien, le mariage passé devant les autorités civiles. Cependant les protestants et les hébreux, aussi bien que les catholiques, toutes les religions enfin proclament le mariage un acte religieux. Mais la constitution en a décidé autrement.
Si vous voulez donner au gouvernement le droit d’intervenir dans le catéchisme, cela pourra donner lieu à des collisions violentes. C’est chose fort imprudente.
Je ne crois pas que nous soyons investis du droit de toucher à un catéchisme quel qu’il soit. Remarquez que ce que je dis est d’autant plus sérieux qu’aux termes de l’amendement ce ne serait pas une seule fois pour toutes, mais tous les ans qu’on devrait donner cette approbation. Quand un ministère de telle couleur, de telle opinion, arriverait aux affaires, il ordonnerait une révision dans le catéchisme. Nous n’aurions plus alors la religion de Dieu, mais des ministres. On changerait de religion comme on change de ministres, ce qui arrive assez souvent dans les gouvernements constitutionnels.
Un ministre qui ne voudrait pas compromettre sa responsabilité devrait intervenir dans toute édition de catéchisme.
Les observations de M. Lebeau sont très justes, mais sa rédaction est contraire au but qu’il se propose ; elle amènerait ce qu’il veut éviter : des collisions vives et violentes. S’il exemptait par sa rédaction les livres religieux, je lui donnerais mon assentiment. Je ne pourrais jamais consentir à une intervention directe du gouvernement dans la rédaction du catéchisme. Il faut laisser le catéchisme en dehors de cette affaire. Cela concerne le dogme ; il est très difficile de dire où le dogme commence et où il finit. Très souvent le dogme religieux est en opposition avec la loi civile ; c’est ce que j’ai prouvé relativement au travail du dimanche et aux services religieux. Il est donc de toute nécessité de laisser cela en dehors. Avec cette exception, l’amendement de M. Lebeau aurait l’avantage d’éviter toute collision.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Il me semble que l’honorable membre a donné à la constitution un sens qu’elle n’a pas. Il n’y est pas dit qu’il ne faut pas observer le dimanche, mais qu’on ne peut contraindre personne à l’observer ; c’est-à-dire par des pénalités. Il n’y a pas entre le principe religieux et le principe constitutionnel l’antagonisme qu’il a signalé. (*Interruption*.)
Le prêtre dira : il faut observer le dimanche, tout en reconnaissant dans l’ordre constitutionnel qu’il y a impossibilité d’obtenir cette observance à l’aide de peines proprement dites, empruntées à un ordre de choses qui n’est pas l’ordre religieux et auquel on s’adressait autrefois. Je pourrais en dire autant d’un autre exemple, du mariage civil et du mariage religieux. L’un a des effets civils, l’autre des effets religieux. Voilà comment on doit tenir compte de deux choses d’ordre différent et alors on ne trouve plus la contradiction signalée par l’honorable préopinant.
(Moniteur belge n°231, du 19 août 1842) M. de Theux. - Les observations de l’honorable auteur de l’amendement ne suffisent pas pour me déterminer à lui donner mon vote. Il faudrait que cet amendement fût modifié. Un point a préoccupé quelques orateurs, c’est la garantie que le gouvernement doit avoir que l’ordre public ne sera pas troublé sous prétexte d’enseignement moral et religieux. Nous somme d’accord que l’ordre public doit être respecté dans l’école et qu’il ne peut pas être troublé à prétexte d’enseignement religieux. Mais pour cela quelle marche faut-il suivre ? Elle est tout indiquée, c’est une loi répressive, si la nécessité venait à être établie par des faits. L’article 14 de la constitution proclame la liberté des cultes ainsi que celle de manifester ses opinions en toute matière, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés. Voilà les paroles textuelles de la constitution. Or, pour réprimer les délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés, il faut qu’une loi statue ce qui constitue un délit et c’est ensuite aux tribunaux à voir s’il y a lieu d’appliquer la loi.
L’art. 17 de la constitution dit : « L’enseignement est libre ; tout mesure préventive est interdite ; la répression des délits est réglée par la loi. »
Ainsi, d’après l’esprit de nos institutions, d’après le texte formel des deux articles que je viens de citer, s’il y avait des abus ce serait une loi qu’il faudrait faire et le pouvoir judiciaire serait chargé de l’appliquer. Je sais qu’on me répondra que l’art. 17 est relatif aux institutions libres et non aux institutions de la commune ; mais du moment que vous appelez le ministre du culte à enseigner la religion dans l’école communale, vous l’appelez avec sa liberté constitutionnelle d’enseigner la religion comme il l’entend, d’exprimer ses opinions religieuses comme il l’entend, sauf à vous de déterminer les cas qui peuvent entraîner une responsabilité judiciaire.
Ainsi, si nous restons dans les termes rigoureux de la constitution, il n’y a pas lieu à adopter l’amendement de M. Lebeau, en ce qui concerne l’approbation à donner aux libres de religion et de morale. Mais cet amendement peut-il être adopté au point de vue de la conciliation ? ici se présente une question de principe et une question de fait. De quelle manière cette proposition serait-elle adoptée par l’épiscopat et par les consistoires. ? Ne se trouverait-il pas froissés dans la liberté des cultes ? S’il en est ainsi, vous aurez beau porter une loi, vous n’aurez rien fait.
On avait objecté qu’il serait extraordinaire qu’un placet fût apposé au catéchisme diocésain. L’honorable M. Lebeau n’a pas répondu nettement à cette difficulté, il a dit que rien ne s’opposait à ce que le gouvernement fît des remontrances au clergé. Quant aux observations que pourrait faire le gouvernement, je n’y vois pas le moindre inconvénient. Si elles étaient réellement fondées, je suis persuadé que l’évêque y déférerait ; mais l’amendement va plus loin ; c’est un placet positif qu’il fait aux termes de la proposition. Je sais que j’ai moi-même signalé une garantie que le clergé trouvera dans l’amendement de l’honorable M. Lebeau ; c’est qu’en refusant de son côté son approbation aux livres, il n’y aura plus d’enseignement possible. L’honorable M. Lebeau n’a pas contestée cette conséquence rigoureuse de son amendement. Cependant, après l’avoir reconnu il lui a paru que l’école pourrait continuer sans le concours du clergé. C’est ce qui résulte de ses dernières explications. S’il en est ainsi, le clergé sera absolument à la merci du gouvernement. Il n’aura plus aucune garantie dans la loi. Pour qu’il ait une garantie, il faut que son opposition entraîne la stagnation de l’école, et que cette stagnation dure jusqu’à ce que le désaccord ait cessé.
Il est fâcheux que cet amendement ait surgi à la fin de cette longue discussion, de sorte qu’on n’a pas eu le temps d’en peser les conséquences. Ne sachant s’il sera accepté par le clergé et craignant d’adopter une disposition illusoire, il me sera impossible de l’adopter.
L’amendement de M. le ministre de l'intérieur me paraît présenter des garanties suffisantes. J’ai déclaré, dès le principe, que je ne serais pas éloigné de l’adopter, pourvu que le ministre assumât sur lui seul l’approbation des livres ayant pour objet l’enseignement littéraire, et qu’il ne se retranchât pas derrière une commission. Je me suis donc exprimé très franchement.
Quant à la question de principe soulevée par l’honorable M. Lebeau, je ne puis la résoudre ; dans cet état d’incertitude, je ne puis l’adopter.
(Moniteur belge n°230, du 18 août 1842) M. d’Huart. - En appuyant l’amendement de l’honorable M. Lebeau, je n’ai pas eu en vue la part plus ou moins grande qu’aurait le gouvernement dans l’exécution de la loi. Je ne me suis pas occupé de la question de savoir si dans cet amendement le gouvernement aurait une plus grande part d’action que dans l’amendement de M. le ministre de l'intérieur. Je n’y ai vu qu’une question de pratique ; j’ai pensé que quand le chef du département de l’intérieur devrait s’entendre avec le chef du culte, on arriverait plus facilement à une solution qu’avec tout autre mode qui pourrait être proposé. On dit : Il y aura des conflits ; il y aura des difficultés. Mais ne voyez-vous pas que, d’après votre proposition, des conflits, des difficultés peuvent arriver pour les livres mixtes, les seuls pour lesquels il puisse y avoir doute ; car pour le catéchisme, pour tout ce qui est dogme, croyez-vous qu’il entre jamais dans la tête d’un ministre d’intervenir, de chercher à bouleverser le catéchisme ? Cela est impossible. Le gouvernement et le clergé devront s’entendre ; ils devront chercher à rendre l’instruction aussi forte que possible, tant sous le rapport de la science que sous le rapport des vrais principes de la religion et de la morale. A cet égard, je crois qu’on se fait des chimères pour avoir le plaisir de les combattre. Les questions de catéchisme, de dogme, sont résolues depuis longtemps ; elles ne donneront lieu à aucune difficulté. C’est des questions mixtes que naîtront les difficultés.
Sans doute, si l’amendement devait contrarier l’exécution de la loi, s’il devait rendre son exécution illusoire, je dirai, que je n’en veux pas, parce que la législature ne doit pas faire une lettre morte ; elle doit faire une loi qui s’exécute réellement. Mais je ne puis comprendre comment les chefs du clergé seraient froissés par la disposition proposée, comment ils en seraient offensés, alors qu’en la présentant, on leur a si bien rendu hommage. Remarquez que d’après cet amendement, le clergé aura une part d’intervention plus grande ; il pourra intervenir dans le choix des méthodes d’enseignement. J’y trouve un avantage, parce qu’en général les membres du clergé sont des hommes instruits ; ils savent comment il faut instruire la jeunesse. Ils pourront faire préférer telle méthode à telle autre ; cela pourra avoir des résultats utiles. Ainsi, sous ce rapport, je ne vois pas comment le clergé s’offenserait de la disposition et refuserait son concours, parce qu’il serait froissé d’une manière quelconque. Si d’un côté ses livres de morale et de religion sont compris dans l’amendement, d’un autre côté pour les livres sur lesquels, d’après les autres propositions, ils n’auraient le droit de rien dire, ils seront admis à donner leur avis.
La grande difficulté, je le répète, sera toujours pour les livres mixtes. Quant aux livres dogmatiques, aux catéchismes, il est impossible qu’un ministre, quelle que soit son opinion, ait la pensée de s’immiscer dans ces matières. Il n’y a pas là d’innovations possibles. Les catéchismes existent ; ils sont tels qu’ils étaient, tels qu’ils seront.
Il y a dans l’amendement une expression qui a fait naître des objections assez sérieuses ; c’est le mot annuellement, d’où il résulte, dans l’opinion d’un honorable préopinant, que les livres destinés à l’enseignement primaire seraient soumis, chaque année, à une nouvelle révision. Mais une fois qu’un livre aura été approuvé, il ne s’agira plus de demander qu’il soit révisé ; il ne peut s’agir que de livres nouveaux. Tous les ans, les livres nouveaux seront examinés ; mais les livres déjà approuvés ne seront plus soumis à une nouvelle approbation, parce que ce qui est vrai en 1842, en cette matière, doit l’être dans les années suivantes. Je ne crois pas qu’on puisse vouloir désapprouver, l’année suivante, un livre qui aurait été approuvé l’année précédente.
L’honorable M. de Theux a demandé, s’il y avait désaccord, quelle en serait la conséquence. Je lui répondrai, comme l’honorable M. Lebeau, de même que pour les livres mixtes : surgirait l’abstention du clergé, la cessation de fait (il faut bien le reconnaître) de l’école ; car quand le clergé se retirera, il y aura cessation de l’école, non pas de droit, si vous voulez, mais de fait, parce que les pères de famille veulent avoir la garantie que l’instruction religieuse sera donnée par le clergé.
J’attendrai du reste la suite de cette discussion. J’ai cru voir tout d’abord dans l’amendement de l’honorable M. Lebeau un moyen de s’entendre. Quant aux inconvénients signalés par l’honorable M. Dumortier, sur ce qu’il y aurait d’exorbitant dans les droits que donne au pouvoir civil, je n ai pas cru qu’ils résultassent de la rédaction qui vous est soumise,
M. Devaux. - Vous voyez que la conciliation est bien difficile car l’amendement qui semblait d’abord satisfaire un côté de la chambre rencontre maintenant de ce côté un grand nombre d’adversaires. On y fait une opposition singulière. L’amendement nous plaît, dit-on, nous serions disposés à l’adopter ; mais nous ne savons si le clergé l’adoptera.
M. de Theux. - C’est toute la question.
M. Devaux. - Ce n’est pas la seule disposition qui concerne le clergé. Ainsi toutes les dispositions qui concernent le clergé, on ne pourra les adopter parce qu’on ne sait si le clergé les adoptera. C’est là la difficulté de traiter avec un pouvoir qui n’a pas ici de représentant.
M. Savart-Martel. - C’est un contrat boiteux
M. Devaux. - Je dirai franchement que l’amendement n’exprime pas toute mon opinion. A mon avis, dans cette disposition on a oublié qu’il ne s’agit pas tant des écoles libres que des écoles du gouvernement, et que l’autorité civile est maîtresse chez elle, comme le père de famille est maître chez lui ; qu’on ne peut entrer chez elle que quand elle ouvre sa porte, de même qu’on ne peut entrer chez le père de famille que quand il ouvre la sienne.
M. de Mérode. - Je demande la parole..
M. Devaux. - Attendez jusqu’au bout.
Aussi mon avis était de soumettre sans exception tous les livres à l’autorité civile et de laisser de plus au clergé la seule approbation des livres de religion. C’est l’idée que résume l’amendement de l’honorable M. Verhaegen.
Mon honorable ami M. Lebeau est allé plus loin, dans un esprit de conciliation. Je ne refuse pas de le suivre ; mais cependant je n’adopte son amendement qu’à la condition qu’on n’en prenne pas seulement ce qui convient à un côté de la chambre, l’extension donnée à l’influence ecclésiastique, et qu’on ne repousse pas ce qui ne convient pas à ce même côté, l’extension du contrôle du pouvoir civil.
L’honorable M. de Theux vient d’alléguer la liberté d’enseignement, mais il a oublié qu’il s’agit des écoles de l’autorité civile, et non des écoles libres.
M. de Theux. - J’ai prévu cette objection.
M. Devaux. - Vous vous êtes réfuté vous-même, je le sais très bien ; mais vous avez soulevé l’objection. Or, il s’agit ici des écoles de l’autorité civile. S’il s’agissait des écoles libres, vous auriez raison ; vous pourriez alléguer la liberté d’enseignement. Mais il n’en est pas de même dans le cas actuel. La liberté d’enseignement ne vous oblige à aucune des prescriptions que vous mettez dans la loi en faveur du clergé. Vous pouvez y avoir un autre intérêt, je le reconnais ; vous pouvez croire ces mesures utiles, mais ce n’est en aucune façon au nom de la liberté d’enseignement qu’on peut les adopter. Aux termes de la constitution, c’est la loi qui règle les écoles de l’autorité civile, et non le régime de la liberté d’enseignement.
Messieurs, nous venons de voir un exemple dans cette chambre des dissentiments qui vont s’élever sur l’interprétation de la loi, si vous adoptez l’amendement de M. le ministre de l’intérieur dans les termes qu’il vous l’a présenté. D’après deux honorables membres qui appartiennent à la même opinion, le sens de ces amendements est différent. Ainsi, d’après l’honorable M. Brabant, le gouvernement peut dire à l’instituteur : Vous n’enseignerez pas telle ou telle partie du catéchisme. Cependant l’amendement soumet à la seule approbation de l’autorité religieuse les livres consacrés à l’enseignement religieux et moral ; et le catéchisme est bien un livre d’enseignement religieux. Ainsi, d’après l’honorable M. Brabant, le gouvernement aurait le droit d’aller chercher dans ce livre soumis à la seule approbation du clergé, ce qui ne lui convient pas sous le rapport des doctrines politiques et peut-être aussi sous le rapport moral.
L’honorable M. Dumortier, au contraire, ne veut pas de ce droit pour le pouvoir civil ; suivant lui, il faut respecter le catéchisme tout entier ; il est soumis à la seule approbation ecclésiastique, et cette approbation une fois donnée, vous ne pouvez rien y changer, rien en retrancher. Ce dissentiment, qui existe entre deux membres appartenant à une même opinion politique, ne pourrait-il pas se produire au dehors ?
Considérez la différence qui existe entre l’amendement de M. le ministre de l’intérieur et celui de l’honorable M. Lebeau. D’après l’amendement de M. le ministre de l’intérieur, s’il y a conflit ou dissentiment entre le gouvernement et le clergé, il faut qu’il éclate au grand jour. Ainsi, d’après l’honorable M. Brabant, il faut que le gouvernement se mette en opposition publique avec le chef du diocèse. Voilà un catéchisme approuve par l’autorité religieuse, et il faut que le gouvernement dise à tous les instituteurs : Vous ne pouvez pas obéir sur ce point aux chefs du culte. Vous avouerez qu’un pareil système est très peu conciliateur, et qu’administrativement il présente de grands inconvénients.
L’application de l’amendement de l’honorable M. Lebeau est, au contraire, toute naturelle. Une autorité mixte décide. En pratique, qu’arrivera-t-il ? quel sera le rôle naturel des deux autorités ? Croyez-vous que le pouvoir civil lira ligne par ligne un catéchisme, qu’il ira s’occuper de telle ou telle partie du dogme ? Mais non, messieurs. La commission dira quels seront les livres dont l’enseignement est permis, et en tête se trouvera le catéchisme. S’il se trouve qu’il y a une divergence d’opinion sur un catéchisme, on aimera mieux, de part et d’autre, prendre le catéchisme d’un autre diocèse que de laisser éclater cette divergence d’opinion.
D’un autre côté le rôle du clergé dans sa mission ne sera pas d’éplucher les méthodes d’enseignement, d’examiner si l’enseignement simultané vaut mieux que l’enseignement mutuel, si une méthode d’arithmétique vaut mieux que telle autre. Non il se bornera à examiner les livres sous le point de vue qui le concerne spécialement. Voilà le rôle naturel des deux autorités.
Si vous supposez les hommes déraisonnables, je l’avoue, il sera possible d’intervertir les rôles ; le gouvernement pourra se mêler de dogme, le clergé des méthodes d’enseignement ; mais ce ne sont pas là les rôles naturels tels qu’il faut les supposer.
Remarquez-le bien, on parle toujours de catéchisme. Mais ce n’est pas le catéchisme seul qui est en question. Vous avez donné au clergé l’enseignement de la religion et de la morale. Mais sous le rapport de la morale, vous ne pouvez nier une certaine compétence de l’autorité civile. Je ne parlerai pas des ouvrages dont on vous a lu des citations ; je ne dirai pas que les doctrines de l’encyclique ne peuvent être enseignées dans ce pays ; mais vous ne nierez pas que dans la morale le gouvernement est intéressé et qu’il peut intervenir.
La grande différence entre les deux amendements me paraît être celle-ci : avec l’amendement de M. le ministre de l’intérieur, il y aura conflit de pouvoirs ; il y aura à décider si le clergé interviendra dans l’examen des livres mixtes, et quels sont les livres mixtes. Mais avec l’amendement de l’honorable M. Lebeau il n’y a plus de conflit de pouvoirs.
Par exemple, pour les livres de lecture courante (et c’est sur ces livres qu’on dit qu’il y aura conflit), si l’on n’est pas d’accord sur un livre, on en prendra un autre. Il y a cent livres qui peuvent servir de lecture dans une école primaire et qui conviennent également à l’autorité civile et à l’autorité religieuse.
Mais laissez subsister l’amendement de M. le ministre de l’intérieur, il y aura toujours conflit de pouvoirs. Et les conflits de pouvoirs excitent aux amours-propres de pouvoirs. Ce n’est plus sur une question de fait, sur la question de savoir si tel livre est préférable à tel autre, mais sur une question de pouvoir, de prérogative qu’il faut se prononcer.
Je vois dans l’amendement proposé par l’honorable M. Lebeau une extension du droit du clergé, c’est vrai ; mais j’y vois aussi le respect pour l’autorité civile, ne fût-ce qu’une formalité, et pour les livres du dogme, ce ne sera, la plupart du temps, qu’une formalité ; au moins un livre ne pourra faire son entrée dans l’école sans que l’autorité civile ne lui en ait ouvert la porte.
M. Demonceau. - Messieurs, j’ai écouté attentivement les développements que l’honorable M. Lebeau a donnés à son amendement ; mais pour que je puisse m’expliquer, je prierai M. le président de vouloir nous en donner lecture, parce que je pense que la rédaction ne rend pas la pensée de l’honorable auteur de l’amendement.
M. le président donne une nouvelle lecture de l’amendement de M. Lebeau.
M. Demonceau. - Ainsi, messieurs, vous avez sous les yeux un texte qui s’exprime formellement : c’est le gouvernement qui, en définitive, approuve les livres qui seront mis à la disposition des instituteurs, qu’ils traitent de la morale, et de la religion, ou qu’ils traitent de l’enseignement proprement dit.
Cependant l’honorable M. Lebeau (erratum Moniteur n°231 du 19 août 1842 :) a dénié à l’autorité civile le pouvoir de s’occuper de dogme. Si l’on veut rendre la pensée de l’honorable membre, il faut au moins l’exprimer dans la loi. Je fais cette observation, parce que pour moi il y a un scrupule constitutionnel ; je le déclare, ce n’est pas un scrupule de catholique, mais un scrupule résultant d’un principe constitutionnel.
La constitution ne nous permet pas de faire des lois contraires à ce qu’elle prescrit. Or, si vous soumettez tout ce qui concerne la morale et la religion à l’approbation du gouvernement, ne violez-vous pas ce grand principe de la constitution, qui proclame la liberté des cultes, qui décide la non intervention de l’Etat dans tout ce qui concerne les cultes ; si le gouvernement peut approuver ou improuver un catéchisme, ce principe de non intervention est-il respecté ? Je ne le pense pas.
Ce n’est pas cependant que je ne sois très disposé à la conciliation. Je l’ai dit dans la discussion générale, sans le concours du clergé, la loi recevra difficilement une exécution convenable ; cependant je n’entends pas que l’autorité ecclésiastique domine l’autorité civile ; mais en tout ce qui concerne les attributions de l’autorité ecclésiastique, je pense que nous ne devons pas non plus vouloir dominer cette autorité.
Eh bien, laissez à cette autorité tout ce qui concerne la morale et la religion. Entendons-nous, si c’est possible, sur les autres questions.
Quant à moi, je croyais que la proposition de M. le ministre de l’intérieur était très acceptable. Car, supposé que, pour les livres autres que ceux qui concernent la religion et la morale, il y ait dissidence entre l’autorité ecclésiastique et l’autorité civile, d’après l’amendement de M. le ministre de l’intérieur, c’est le ministre qui, sous sa responsabilité, en décidera.
De cette manière, nous respectons l’autorité civile, puisque nous lui donnons le droit de juger des différends. Nous respectons également l’autorité ecclésiastique, en ce que nous lui laissons le droit de rester dans sa sphère. Si elle n’est pas contente de la décision de M. le ministre de l’intérieur, je conçois qu’elle puisse se retirer ; mais, je le répète, si vous donniez à l’Etat le pouvoir absolu que l’honorable M. Lebeau lui donne par le texte de l’amendement dont vous venez d’entendre la lecture, nous ferions, selon moi, une loi contraire aux principes constitutionnels qui nous régissent. Je désire autant que personne qu’il soit possible de s’entendre sur ce point impartial. L’on ferait bien, ce me semble, de réfléchir ; aussi je ne demanderai pas qu’on aille aux voix aujourd’hui. Mais si la chambre voulait en finir dans cette séance par un vote, l’amendement de l’honorable M. Lebeau, tel qu’il est rédigé, ne pourrait obtenir mon assentiment.
M. Dumortier. - Messieurs, je vous ferai remarquer qu’il est absolument impossible d’admettre que le gouvernement puisse intervenir dans des questions de catéchisme. J’ai tout à l’heure cité des faits constitutionnels auxquels, à mon avis, on n’a pas véritablement répondu. Mais je vous ferai encore observer qu’il existe dans nos lois des dispositions absolument opposées aux principes religieux. Ainsi le divorce est formellement défendu par la religion et il est permis par nos lois civiles. Si donc vous voulez mettre votre catéchisme en harmonie avec les lois civiles, commencez par vous établir curé ou évêque, et changez tout votre catéchisme, en ce qui concerne le divorce.
Voilà une observation grave et qui prouve à l’évidence qu’il est impossible que le gouvernement se mêle de religion et de catéchisme.
Il est des religions dans lesquelles le divorce n’est point défendu. Ainsi la religion saint-simonienne permet de se divorcer, avec beaucoup de facilité. Mais la religion catholique, qui est celle de la grande majorité des Belges, défend sévèrement le divorce, cependant le code civil permet le divorce. Viendra-t-on dire que les passages du catéchisme qui concernent le divorce sont contraires à la loi civile ? Viendra-t-on demander que ces passages soient retranchés du catéchisme et remplacés par d’autres d’après lesquels le divorce serait permis ? Une semblable intervention de l’autorité civile dans le dogme, ne serait-elle pas une violation flagrante de la constitution ?
M. le président. - Voici un amendement qui vient d’être déposé par M. Dolez et M. Orts :
« Les livres destinés spécialement à l’enseignement de la religion sont soumis à l’approbation des chefs des cultes.
« Les livres de lecture, et ceux destinés à l’enseignement de la morale sont soumis à l’approbation commune et du ministre de l’intérieur et des chefs des cultes.
« Les livres destinés à toutes les autres parties de l’enseignement sont approuvés par le ministre de l’intérieur, sur la proposition de la commission centrale, les chefs des cultes entendus. »
- La chambre ordonne l’impression de cet amendement, ainsi que des autres amendements qui ont été proposés dans le cours de la sénace.
La séance est levée à 4 heures et demie.