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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 1 avril 1843

(Moniteur belge n°93, du 3 avril 1843)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.

M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse analyse les pétitions suivantes.

« Plusieurs conseils communaux du canton sud de Maestricht demandent le rétablissement de leur canton en attendant la réorganisation cantonale. »

- Renvoi à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur la circonscription cantonale.


« Plusieurs actionnaires de la société anonyme des moulins à vapeur, à Bruxelles, présentent des observations concernant les modifications que le gouvernement propose d’apporter aux droits d’entrée sur les riz bruts et travaillés, ainsi que sur les orges perlés et mondés et prient la chambre de discuter ces changements, dans la présente session. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les droits d’entrée.


« Le sieur Bouson, ancien soldat de l’empire, prie la chambre d’allouer au budget de la guerre un crédit suffisant pour accorder un secours annuel de 100 francs à tous les vieux soldats de l’empire qui sont dans le besoin. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.


M. Jadot informe la chambre qu’il se trouve dans l’impossibilité d’assister à la séance.

- Pris pour information.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au ministère de la guerre, pour dépenses arriérées

M. Mast de Vries, au nom de la commission permanente des finances, présente le rapport sur le projet de loi tendant à ouvrir au département de la guerre un crédit supplémentaire pour apurer des créances arriérées. Il demande que la discussion de ce projet soit fixée après les objets qui se trouvent à l’ordre du jour.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi qui autorise le gouvernement à instituer un conseil de prud'hommes à Termonde

Rapport de la section centrale

M. Scheyven présente le rapport sur le projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à instituer un conseil de prud’hommes à Termonde.

M. Dedecker. - Messieurs, l’année dernière, vous avez voté une loi générale sur l’institution des conseils de prud’hommes. Vous savez que dans cette loi la ville de Termonde a été involontairement oubliée ; c’est pour réparer cet oubli que le gouvernement vous a présenté le projet de loi sur lequel l’honorable M. Scheyven vient de présenter le rapport. Ce projet n’étant pas de nature à rencontrer la moindre opposition, je prierai la chambre de vouloir bien autoriser M. le rapporteur à donner lecture de son travail, et passer ensuite au vote du projet.

M. Delehaye. - Je demanderai qu’on mette le projet à l’ordre du jour après le projet relatif à l’ordre judiciaire.

M. Maertens. - Messieurs, pendant le temps que nous passons à discuter la question de la mise. à l’ordre du jour, nous aurions déjà voté le projet. L’objet est des plus simples : l’année dernière, nous avons voté l’institution de plusieurs conseils de prud’hommes dans différentes villes de la Belgique ; un oubli a eu lieu, quant à la ville de Termonde ; cette ville a réclamé auprès du sénat pendant que cette assemblée discutait le projet ; le sénat, pour ne pas retarder la promulgation de la loi, ne voulut pas y introduire un amendement, mais le gouvernement promit de présenter un projet de loi séparé ; c’est sur ce projet que l’honorable M. Scheyven vient de présenter le rapport. Vous voyez donc, messieurs, que la chose est effectivement simple ; il ne s’agit pas même de décider qu’un conseil de prud’hommes sera institué à Termonde, il s’agit uniquement d’autoriser le gouvernement à en instituer un, si les renseignements ultérieurs, que M. le ministre de l’intérieur doit prendre à cet égard, prouvent qu’il y a lieu de le faire.

Je demande donc que l’honorable M. Scheyven soit autorisé à donner lecture de son rapport et que la chambre veuille bien passer ensuite au vote du projet, afin que Termonde puisse jouir aussi d’une institution dont plusieurs autres localités du même arrondissement sont déjà dotées.

- La chambre autorise M. Scheyven à donner lecture de son rapport.

Après lecture de ce rapport, La chambre décide qu’elle passera immédiatement à la discussion du projet.

Vote de l'article unique

Personne ne demandant la parole, il est passé au vote, par appel nominal, sur l’article unique du projet, qui est ainsi conçu :

« La ville de Termonde est ajoutée aux localités où le gouvernement est autorisé à instituer un conseil de prud’hommes, aux termes de l’art 1er de la loi du 9 avril 1842. »

Le projet est adopté à l’unanimité par les 56 membres présents.

Ce sont : MM. Brabant, Cogels, Coghen, Cools, de Baillet, de Brouckere, Dedecker, de Florisone, de Garcia de la Vega, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Potter, Deprey, de Renesse, Desmaisières, de Terbecq, Dubus (aîné), Duvivier, Eloy de Burdinne, Henot, Huveners, Hye-Hoys, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Nothomb, Osy, Peeters, Pirmez, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Savart, Sigart, Smits, Trentesaux, Troye, van Cutsem, Vanden Eynde, Verhaegen, Zoude.

Motion d'ordre

Publication de la loi sur les sucres

M. Delfosse (pour une motion d’ordre). - Je désire savoir de M. le ministre des finances si la loi sur les sucres sera bientôt publiée. On m’assure que des quantités de sucres considérables arrivent continuellement à Anvers. Si le gouvernement tarde à publier la loi, le trésor subira de fortes pertes. Une grande responsabilité pèse sur M. le ministre des finances ; j’espère qu’il se souviendra qu’il est ministre du pays et non représentant de la ville d’Anvers.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, les paroles de l’honorable membre sont vraiment étranges. Je suis ici ministre du Roi et non pas député d’Anvers. C’est comme ministre du Roi que j’ai toujours cherché à remplir mes devoirs, mes fonctions. Si la loi n’est pas encore promulguée, c’est parce qu’il faut préparer les instructions à donner aux employés : ces instructions, on y travaille, elles seront terminées dans quelques jours, et immédiatement après, la loi sera promulguée. On ne peut pas mettre une loi à exécution avant que cette exécution n’ait été organisée.

M. Delfosse. - Il n’y a rien d’étrange dans ce que j’ai dit. Je n’ai pas lancé d’accusation contre M. le ministre des finances, je me suis borné à émettre un vœu.

J’ai cru devoir appeler l’attention de M. le ministre des finances sur la nécessité de publier la loi des sucres dans le plus bref délai possible ; je vois avec plaisir que M. le ministre est du même avis que moi sur ce point. Je prends acte de la promesse qu’il vient de nous faire.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Cette promesse je l’avais faite au sénat. Je la tiendrai.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1843

Discussion des articles

Chapitre premier. Administration centrale

Article premier

« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000 »

- Adopté.

Articles 2 et 3

« Art. 2. Traitement des employés et suppléments aux officiers : fr. 173,000 »

La section centrale propose de transférer une somme de 8,000 fr. de cet article à l’art. 1er du chapitre II.

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - La section centrale adopte le chiffre proposé de 173,000 fr. ; seulement elle insiste pour le rétablissement des 8000 fr., destinés à payer les suppléments aux officiers employés dans les bureaux de la guerre, à l’art. 1er du chapitre II.

Du moment qu’il n’y a ni augmentation, ni diminution, je le demande à la chambre, ne doit-il pas lui être complètement indifférent que cette somme figure à tel chapitre ou à tel autre ? Le ministre de la guerre ne doit-il pas être mis à même de tirer le parti le plus avantageux des ressources que le pays met à sa disposition ? Il ne serait certainement pas rationnel de demander que le traitement même des officiers détachés au département fût distrait du budget particulier des armes auxquelles ils appartiennent, et porté à celui du département de la guerre. Une pareille conception pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour le service, en ce que le ministre doit avoir la faculté de prendre indistinctement dans toutes les armes et dans tous les grades, les officiers qui ont sa confiance, et qu’il veut appeler près de lui. Or, une simple question du budget l’en empêcherait nécessairement, si le traitement des officiers figurait au budget particulier de son département ; il ne pourrait échanger tel officier, que contre un officier du même grade et de la même arme ; par conséquent, il aurait les mains liées fort inutilement, puisqu’il n’y aurait pas économie, tandis qu’on lui doit toute facilité pour l’accomplissement des fonctions ardues qui lui sont confiées. D’ailleurs, ces officiers ne cessent pas pour cela d’appartenir à leur arme et même à leur régiment ; ils peuvent demander eux-mêmes à y rentrer, il faut donc qu’ils retrouvent, avec leurs anciennes fonctions, leur place accoutumée sur l’état d’émargement du corps. La question est bien différente, quant au supplément. Le supplément est une rémunération spéciale de leurs travaux au département de la guerre, rémunération qui commence et cesse avec ces travaux, et qui, en France, et en Hollande, est accordée à tous indistinctement. C’est une dépense inhérente au département de la guerre, et dont la seule place est dans les prévisions du chapitre premier.

Si je ne me trompe, une des premières règles élémentaires d’administration, un principe d’ordre est de faire une bonne division des recettes et des dépenses, et la division n’est bonne qu’en raison directe de l’homogénéité de ses éléments. Mettons donc aux chapitres qui traitent du département de la guerre toutes les dépenses qui lui sont propres. On n’en agit pas autrement pour les autres établissements militaires. La section centrale n’a pas élevé d’observations au sujet des suppléments payés aux inspecteurs des études et autres officiers employés à l’école militaire, qui sont le fait de l’école militaire. Pourquoi la chambre ferait-elle une exception dans un cas identique ? Je pourrais citer d’autres exemples, mais je m’en abstiendrai.

J’ai déjà dit que, dans le département de la guerre, les employés militaires doivent être la règle, et les employés civils l’exception. Et d’abord je m’empresse de déclarer qu’il ne s’agit pas le moins du monde de déposséder les employés civils des emplois qu’ils occupent, mais bien d’accorder lorsqu’ils viendront à manquer, leur survivance à des employés militaires. Cette modification est toute d’avenir ; elle est commandée par la force des choses. Il faut au département de la guerre des hommes avant tout pratiques, des hommes qui aient vu le soldat dans la caserne, dans, les camps, en marche, en cantonnement, partout, qui connaissent ses besoins, qui aient vécu avec lui de la vie commune.

J’ose donc espérer que la chambre donnera son approbation au maintien des 8,000 fr. au chapitre 1er de l’administration centrale.

M. Brabant, rapporteur. - Messieurs, ceci est une innovation. Toujours il y a eu des officiers détachés au département de la guerre, pour faire une partie de la besogne des bureaux. Certains de ces officiers ont toujours reçu un supplément de traitement sur les fonds alloués à l’article de l’état-major général. Il n’y a pas plus de raison pour porter ce supplément à l’article en discussion, qu’il n’y en aurait d’y porter le traitement lui-même.

Il y aurait un inconvénient à comprendre les 8,000 fr. dans l’article 2. Lorsque les 8,000 fr. figurent à l’article de l’état-major général, le gouvernement se trouve nécessairement limité dans cette somme, tandis que si ce crédit venait à être confondu avec les traitements des employés civils, on pourrait augmenter considérablement ce crédit.

Je persiste donc dans les conclusions de la section centrale.

M. Verhaegen. - Messieurs, je me proposais de donner mon assentiment à la proposition de la section centrale. Mais si j’ai bien compris M. le ministre de la guerre, il vient de déclarer que son intention n’était nullement de toucher à la position des employés civils de son département. Je n’aurais combattu la proposition du gouvernement que dans la crainte qu’on ne touchât à la position des employés civils, pour favoriser les officiers détachés au département de la guerre. J’aurais vu là une injustice. La déclaration que vient de faire M. le ministre, et dont je prends acte, dissipant les craintes que j’avais conçues sur ce point, je donnerai mon assentiment à l’allocation telle qu’elle est proposée par le gouvernement.

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, il est certain que la proposition de M. le ministre de la guerre fait rentrer le budget dans un ordre plus régulier. A quelle partie du service sont employés les officiers détachés au département de la guerre ? A l’administration centrale de ce département ; par conséquent, il n’est pas régulier de les solder, de ce chef, sur les fonds de l’état-major général, auquel n’appartient d’ailleurs aucun des officiers pour lesquels on demande des suppléments de solde à raison des services qu’ils rendent à l’administration centrale du département.

Quant à la crainte qu’on a exprimée, que M. le ministre de la guerre ne dotât les officiers d’une partie des traitements des employés civils, cette crainte n’est nullement fondée ; M. le ministre de la guerre est plus intéressé que tout autre à ce que le service soit bien rempli à son département, et pour qu’il en soit ainsi, il faut que tous les employés continuent à être convenablement rétribués. D’ailleurs il a déclaré lui même qu’il n’entendait, du moins pour cette année, nullement toucher à la position des employés civils.

Ensuite, l’inconvénient qu’on a signalé pourrait se présenter également, lorsque le supplément de solde serait prélevé sur l’allocation relative à l’état-major général ; car là aussi on pourrait enlever une partie du crédit destiné aux officiers de l’état-major général, pour la donner aux officiers détachés au département de la guerre.

M. Orts. - Messieurs, je me proposais de prendre la parole, et ce ne serait qu’une déclaration solennelle de la part de M. le ministre de la guerre qui pourrait me détourner de la pensée que j’avais conçue, qu’il valait beaucoup mieux conserver les 8,000 fr. sous la rubrique de l’état-major général, et voici pourquoi : c’est que, lorsque les 8,000 fr., affectés comme supplément aux officiers, sont confondus avec les traitements des employés civils, M. le ministre pourrait, sans illégalité, allouer en supplément au-delà des 8,000 fr. ; mais si nous conservons cette somme sous la rubrique du budget où elle a figuré jusqu’ici, et comme un ministre ne peut opérer de transfert d’un article à l’autre, nous aurions la garantie légale que les 8,000 fr. affectés pour supplément aux officiers, leur resteraient, et que d’autre part on ne pourrait pas prendre sur les traitements de employés civils au-delà des 8,000 fr. pour supplément aux officiers. Cependant si M. le ministre de la guerre nous déclarait que son intention est de ne pas dépenser plus de 8,000 fr. pour supplément aux officiers, je croirais pouvoir me fier, sous ce rapport, à l’engagement qu’il prendrait, et je n’aurais plus rien à dire.

Il me reste à faire une observation, c’est que de tous les employés des ministères, les employés du département de la guerre sont ceux qui sont les moins bien rétribués. Dans les autres ministères on donne quelquefois des gratifications aux employés, ceux du département de la guerre n’en reçoivent pas.

M. Brabant, rapporteur. - Il y a un moyen bien simple de satisfaire et au vœu de la section centrale et à la demande de M. le ministre de la guerre ; c’est de diviser l’art. 2 de cette manière :

« Art. 2. Traitements des employés : fr. 165,000 »

« Art. 3. supplément aux officiers : fr. 8,000 »

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Messieurs, on a toujours raisonné comme si les officiers pour lesquels l’allocation de 8,000 francs est demandée faisaient partie du corps de l’état-major, mais ils appartiennent, pour la plupart, aux régiments d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie, et sont détachés au département de la guerre. Il ne serait donc pas rationnel de porter le chiffre demandé au chapitre d’état-major.

Quant à l’engagement que l’honorable préopinant désire que je prenne, de ne pas employer plus de 8,000 francs pour supplément aux officiers, je ferai remarquer que mon intention était, au fur et à mesure des vacances des employés civils, de les faire remplacer par des militaires, et cela dans l’intérêt des anciens officiers et aussi dans celui du trésor. J’ai cru convenable de réunir dans un même chiffre le traitement des employés civils et l’indemnité destinée aux militaires. Toutefois je me rallie, pour cette année, à la division proposée par M. le rapporteur.

- Les deux articles nouveaux proposés par M. le rapporteur, sont mis successivement aux voix et adoptés.

Article 4

« Art. 3. (qui devient l’art 4.) Matériel du ministère : fr. 40,000. »

- Adopté.

Article 5

« Art. 4 (qui devient art. 5). Dépôt de la guerre : fr. 19,000 »

La section centrale ne propose pas d’amendement à cet article.

- Il est adopté.

Article 6

« Art. 6. Secours à d’anciens militaires, à des veuves et enfants mineurs : fr. 6,000 »

La section centrale propose d’ajouter au libellé les mots : « Et à d’anciens employés du ministère de la guerre. »

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Je me rallie à cet amendement.

- L’art. 6 est adopté avec la modification proposée au libellé par la section centrale.

Chapitre II. Soldes et masses, frais divers des corps

Première section. Solde de l’état-major
Article premier

« Art. 1er. Etat-major général : fr. 497,000. »

La section centrale propose pour cet article le chiffre de 562,851 fr. 60 c., au moyen de trois transferts et d’une réduction de 2,948 fr. 40 c.

M. Brabant, rapporteur. - Je ferai observer que, par suite de la résolution que vient de prendre la chambre, le chiffre de la section centrale doit être réduit de huit mille francs, car dans sa proposition se trouvaient compris les huit mille francs qui font maintenant l’objet de l’art. 3 du chapitre premier.

Le chiffre de l’art. 1er du chap. Il proposé par la section centrale, n’est plus que de 554,851 fr. 60 c.

La réduction que propose la section centrale sur cet article est de 2,948 fr. 40 c.

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Je ne puis me rallier à cette proposition, la section centrale propose une réduction et des transferts auxquels je crois devoir m’opposer. Elle demande que les 19,010 fr. de traitements de deux généraux en disponibilité, ainsi que les 41,790 fr. de traitement de cinq colonels commandants de place soient rétablis dans l’article concernant l’état-major général. Ces sommes ont été distraites de l’article de l’état-major général, parce que cet article ne doit comprendre que les officiers-généraux en activité. Quant aux cinq colonels commandants de place, on a trouvé plus rationnel de les comprendre dans le même article que les autres commandants de place.

M. Brabant, rapporteur. - C’est encore une transformation que présentait le nouveau budget. Dans les budgets antérieurs, l’article Etat-major général comprenait non seulement les officiers généraux en activité, mais aussi les officiers généraux en disponibilité. Si ma mémoire est fidèle, l’année dernière cet article comprenait le traitement de deux lieutenants-généraux et trois généraux-majors en disponibilité. Maintenant, il n’y a plus autant de généraux en disponibilité, il n’en reste plus que deux, dont les traitements sont transférés à l’art.1er du chap. VI. Mais M. le ministre laisse subsister la possibilité de la mise en disponibilité d’officiers généraux compris dans son cadre. Pour s’en convaincre, il suffit de voir les motifs de la réduction qu’il propose sur le chiffre de cet article, réduction au moyen de laquelle il arrive à déduire pour généraux en congé, payé sur d’autres fonds ou mis en disponibilité 103,472 fr. 55 c. Ainsi, sur ce chapitre, il entre dans les intentions de M. le ministre de payer sur cet article les officiers généraux qui pourraient être mis en disponibilité dans le courant de cette année. Pourquoi payer sur deux chapitres des officiers qui se trouveraient dans une même position ? Vous prévoyez la mise en disponibilité d’officiers généraux, vous faites une déduction de ce chef et vous n’avez de fonds pour les payer qu’ici ou au chapitre 6, et au chapitre 6 vous n’avez des fonds que pour deux lieutenants-généraux et un général-major.

Maintenant le ministre de la guerre s’oppose encore ce qu’on maintienne dans cet article le traitement de cinq colonels commandants de province. Il s’y oppose sous le prétexte que ces officiers supérieurs n’ont qu’une position sédentaire, un commandement territorial, et de ce chef les assimile à des commandants de place. Mais dans l’article que nous discutons il y a quatre officiers généraux commandants de province. Pourquoi n’a-t-on pas porté aussi à l’art. 2 le traitement de ces officiers ? Il faut dire franchement les choses. Cet article a pour but de dissimuler une augmentation de dépenses résultant de l’augmentation du nombre des officiers généraux. Si, comme je crois l’avoir établi dans le rapport, on fait revenir à cet article toutes les sommes et si on opère une réduction du chef des traitement des officiers généraux rétribués soit par le budget des affaires étrangères, soit sur d’autres articles du budget de la guerre, on voit qu’il y a une véritable augmentation. M. le ministre fait une réduction de 103,472 fr. 55 c., et nous, nous ne faisons qu’une réduction de 34,626 fr. qui représentent le traitement du ministre de la guerre et de deux généraux ambassadeurs, et au moyen de cela nous avons une réduction de 2,948 fr. 40 c. Il n’y a pas de raison pour s’écarter des précédents. Toujours, depuis 12 ans, tous ces traitements ont été portés à cet article comme le propose la section centrale.

J’ajouterai une autre observation, c’est qu’il est assez singulier que les aides de camp des colonels gouverneurs de province, qui ne figurent ici que pour mémoire, reçoivent leur supplément de traitement sur l’article 1er, tandis que leurs chefs sont payés sur l’art.2.

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, en ce qui touche l’état-major général, le chiffre de la section centrale semble, à la première lecture du rapport, être exactement le même que celui du ministre. En effet, vous voyez, page 5 du rapport, que la section centrale dit :

« L’article actuel doit être recomposé ainsi qu’il suit :

« 1° 2 généraux en disponibilité portés à l’art. 1er du chap. VI, 19,010

« 2° 5 commandants de province, 41,790

« 3° Supplément aux officiers employés au ministère de la guerre, 8,000

« 4° Somme demandée, 497,000

« Total, 565,800 »

Ainsi, à la première lecture on est porté à croire que la section centrale se rallie au chiffre de 497,000 francs demandé pour la solde de l’état-major général.

Il est vrai que la section centrale dit ensuite que la différence en plus serait de 2,948 fr. 40 c. Si j’ai bien compris M. le rapporteur, il attribue cette augmentation à ce que des généraux se trouvent employés à d’autres services publics. Mais, messieurs, les généraux employés à d’autres services publics ne sont pas attachés à ces services pour toujours ; il faut que le budget prévoie le cas où ils seront de nouveau appelés à rendre exclusivement des services au département de la guerre.

Je crois qu’en ce qui concerne les transferts que la section centrale propose d’opérer, on pourrait attendre, pour décider ce que nous ferons, que nous eussions discuté chacun des articles du budget sur lesquels se trouvent imputées les sommes que la section centrale veut en distraire pour les porter à l’article maintenant en discussion. Sans cela, la discussion sera fort embrouillée, on aura du mal à se comprendre. Je propose donc de ne faire porter la discussion que sur le chiffre de 497,000 fr., que la section centrale veut réduire de 2,948 fr. Compliquer cette question toute simple à l’aide de transferts dont évidemment on ne peut juger la convenance, que lorsqu’on aura discuté les articles auxquels on propose d’enlever les sommes à transférer, c’est exposer la chambre à voter ces transferts sans connaissance de cause.

Donc, il ne faudrait pas pour le moment faire porter la discussion sur les transferts, puisqu’ils sont relatifs à des articles postérieurs que nous discuterons plus tard. Si la chambre veut opérer des transferts, il sera toujours possible de le faire, quand nous arriverons à ces articles. Je demande qu’on suive cet ordre de discussion, pour ne pas embrouiller les idées. Je demande que la discussion porte d’abord sur la question de savoir si on adoptera la réduction de 2,948 fr., proposée par la section centrale sur la somme demandée par le ministre. Je pense que M. le rapporteur se ralliera à cette proposition.

M. Brabant, rapporteur. - Il ne peut y avoir aucun embarras dans cette discussion. La position est très simple. Pendant toutes les années antérieures, les officiers-généraux en disponibilité ont été portés à l’article de l’état-major général, et ils n’en ont été distraits que pour dissimuler l’augmentation qui résultait du projet d’organisation.

Il y a au chap. 6, art. 1er, une somme de 19,000 fr. pour les généraux en disponibilité, et à l’art. 2 du chap. 2, pour cinq commandants de province, une somme de 41,790 fr. Eh bien, nous proposons de reporter les généraux en disponibilité à l’article où ils ont toujours été, et où 4 généraux, qui sont dans la même position, se trouvent aussi placés.

Quant à l’observation faite par M. le ministre, qu’il serait possible que des généraux en mission fussent rappelés, et dussent toucher leur traitement de général, qu’ils ne touchent pas aujourd’hui, puisqu’il ne peut pas y avoir cumul entre le traitement d’ambassadeur et le traitement de général. La section centrale s’est tenue dans les indications mêmes de M. le ministre, car elle ne fait qu’une déduction pour deux généraux en disponibilité ou en mission, et ensuite pour des vacances de congé.

La section centrale vous a indiqué l’augmentation des généraux. L’année dernière il y avait sept lieutenants-généraux ; cette année il y en à huit en activité ; vous n’aviez alloué des fonds que pour seize généraux-majors, cette année il y en a dix-sept ; ce qui fait une augmentation assez ronde de 27,000 fr. à peu près.

Maintenant on a constitué un corps d’état-major différent de celui de l’année dernière. L’année dernière, il n’y avait que 37 officiers d’état-major, et le budget présentait pour cet objet une dépense de 175,600 fr Cette année, il y a 46 officiers d’état-major, et la dépense s’élève à 185,300 fr., ce qui fait une augmentation de 10,000 fr. Il y a augmentation de 27,000 fr. pour deux généraux en plus, mais il y a diminution par suite des missions, des congés et des mises en disponibilité.

Je dis donc que la section centrale s’est tenue dans les indications de M. le ministre de la guerre, et qu’elle avait le droit de faire et qu’elle a très raisonnablement fait ces observations ; et je persiste dans les conclusions qu’elle vous a présentées.

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Messieurs, l’honorable rapporteur de la section centrale est complètement dans l’erreur quant au nombre des généraux majors ; il n’y a aujourd’hui que le même nombre porté l’année passée au budget. C’est-à-dire il y en avait 16 en 1842, il y en a encore seize aujourd’hui. L’honorable rapporteur a compris parmi les officiers de ce grade un général qui est commandant de place, qui touche un traitement de six mille et quelques cents francs.

M. Brabant, rapporteur. - C’est une erreur bien involontaire de ma part, puisque le budget ne donne aucune indication à cet égard.

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - L’honorable rapporteur a fait des observations sur les aides-de-camp, qui, pour le supplément de solde, sont tous portés au chapitre de l’état-major général ; mais il a semblé plus naturel de placer tous ces aides-de-camp au même chapitre, que de les diviser, partie à l’état-major général, et partie à l’état-major des provinces, comme le propose la section centrale.

Quant aux généraux en disponibilité, ils figuraient l’année dernière dans l’état-major, mais il m’a semblé plus régulier, puisqu’il y a un chapitre spécial pour tous les grades en disponibilité, non-activité, d’y mettre les officiers généraux comme les officiers supérieurs.

M. Brabant, rapporteur. - M. le ministre de la guerre vient de vous dire qu’il aurait été déraisonnable de partager les aides-de-camp et les commandants de province, en mettant les premiers dans l’état-major général et les seconds dans l’état-major des provinces et des places ; mais ce qui n’est pas raisonnable pour les aides-de-camp ne doit pas être raisonnable pour les généraux. Et cependant il y a quatre généraux commandants de province qui sont payés sur l’art. 1er, et cinq colonels commandants de provinces qui sont payés sur l’art. 2. Ce qui n’est pas raisonnable pour l’accessoire ne doit pas l’être pour le capital ; quant à moi, je ne le crois pas. Aucune raison ne nous a été donnée sur un autre point, en ce qui touche les généraux en disponibilité, pour le transfert qu’on a fait au chapitre 6. Je dis qu’il est mauvais de faire deux catégories de généraux en disponibilité. Je dis que tous ceux qui sont dans la même position doivent être payés sur le même fonds.

Je ne crois pas devoir insister davantage sur cette mesure d’ordre, mais je ne crois pas qu’on puisse s’écarter des précédents établis, à moins de raisons péremptoires, et je pense que l’on n’a changé la forme, que pour masquer une augmentation considérable.

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Messieurs, il y a des commandants de province de deux catégories ; les uns sont des généraux, les autres sont des colonels, et viennent de l’infanterie ou de la cavalerie ; tous les généraux sont portés au cadre des officiers généraux pour les réunir dans un même article ; il était tout naturel de mettre les colonels commandants au chapitre qui concerne les officiers de cette catégorie, puisqu’ils ne font plus partie du cadre des officiers généraux, ni du corps spécial d’état-major.

Quant à la distinction que l’honorable rapporteur fait entre les officiers généraux en disponibilité, il présume qu’il doit y avoir deux catégories ; quant à moi, je n’en vois qu’une, et tous les officiers- généraux dans cette position seront portés au chap. VI.

M. le président. - La section centrale propose le transfert à cet article d’une somme de 10,000 fr. pour deux généraux en disponibilité, et de 41,790 fr. pour cinq commandants de provinces. M. le ministre des travaux publics demande qu’avant de statuer sur ce transfert, on soit arrivé à l’article suivant et à l’art. 1er du chap. VI.

M. Osy. - Messieurs, il me paraît que nous pouvons décider la question de suite, car à l’art. 2 vous allez être appelés à décider sur le maintien ou sur le transfert de 41,790 fr. Il me semble donc qu’il est plus simple de décider de suite cette question à l’art. 1er.

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, l’ordre de discussion que j’ai indiqué est le plus régulier, et le seul même qui soit admissible ; car vous ne pouvez pas voter le retranchement d’une somme d’articles qui n’ont pas été discutés ni examinés. Ainsi, la section centrale propose de retrancher de l’art. 1er du chap. VI, qui est presque le dernier chapitre du budget, une somme de 19,000 fr., pour la reporter à l’article actuellement en discussion. Eh bien, vous ne pouvez pas voter sur le retranchement d’une somme aussi forte, sur un article que vous ne discutez que beaucoup plus tard. Il faut donc attendre que vous soyez arrivés à cet article pour savoir si vous retrancherez cette somme, et si vous la reporterez à l’article maintenant en discussion.

Quant à l’observation que vient de faire l’honorable M. Osy, qu’il y a une de ces sommes que vous allez voter immédiatement à l’article 2, il n’en est pas moins vrai que cet article n’a pas encore été discuté ; et je ferai observer de nouveau que dans les sommes dont on propose le transfert, il y en a une qui se trouve portée à la fin du budget, et qu’on ne peut retrancher des sommes d’un article qui ne sera discuté peut-être que dans 2 ou 3 jours.

M. de Garcia. - Je ne conçois pas la logique de M. le ministre, qui dit que quand on arrivera au chapitre auquel il a fait allusion, on proposera le retranchement. Mais, messieurs, puisqu’on examine maintenant la question principale, il n’y a aucune difficulté à décider dès à présent le retranchement de cette somme du chap. VI.

M. Brabant, rapporteur. - M. le ministre demande que la chambre ajourne la question du transfert et pense que cette question n’est pas assez éclaircie. Quant à moi, je crois qu’on a dit maintenant tout ce qu’on pourra dire à l’art. 1er du chap. VI. La section centrale est d’accord avec M. le ministre, pour allouer le traitement de cinq colonels commandants de places, ainsi que le traitement de deux officiers généraux en disponibilité. La seule question qui existe, est celle de savoir où on portera les fonds destinés à ces traitements. Nous sommes donc d’accord sur le fond ; il ne s’agit que d’une simple mesure d’ordre, et je crois qu’elle est parfaitement éclaircie. Toutes les raisons données pour le démembrement de l’ancien article ne sont nullement suffisantes. J’ai déjà eu l’honneur de vous dire que, jusqu’à présent, les officiers généraux en disponibilité, avaient été payés sur le même fonds que les officiers généraux en activité ; et nous demandons qu’ils restent dans la même catégorie

M. le ministre de la guerre avoue que quatre officiers généraux commandants de provinces sont payés sur l’art. 1er. Nous demandons que les cinq colonels commandants de provinces, qui ne diffèrent des autres que par l’infériorité du grade, soient aussi payés sur cet article.

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Encore une fois, messieurs, si la section centrale est d’accord avec M. le ministre quant la hauteur des chiffres qu’elle propose de transférer, elle n’est pas du tout d’accord avec lui sur le mode d’imputation, sur les transferts en eux-mêmes ; je dis, quant à moi, qu’on ne peut bien juger la question de transfert que lorsqu’on aura discuté les articles dont on veut distraire ces sommes pour les transférer à l’article actuellement en discussion. Cela me paraît évident. Pour savoir s’il y a lieu, oui ou non, de retrancher d’un article du budget une somme plus ou moins considérable pour la transférer à un autre article, il faut avoir discuté et l’un et l’autre de ces articles.

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Messieurs, il y a des commandants de provinces de deux catégories très distinctes, quoi qu’en dise l’honorable rapporteur. Les généraux font partie de l’état-major général et doivent être compris dans l’article en discussion. Les autres commandants de provinces sont des officiers d’infanterie ou de cavalerie, qui ne peuvent figurer à cet article.

M. Brabant, rapporteur. - Je ferai remarquer que le changement de rédaction, que propose M. le ministre, porte sur les développements, que dès lors il n’y aurait rien de changé au budget.

Si l’on retranche les motifs, la rédaction devra aussi disparaître, et vous aurez une augmentation de cent et des mille francs.

- La discussion est close.

La proposition de M. le ministre des travaux publics d’ajourner la discussion sur les transferts à l’article suivant et à l’art. 1er du chap. VI. est mise aux elle n’est pas adoptée.

Le transfert de la somme de 41,790 fr. prise dans l’article suivant est mise aux voix et adopté.

Le transfert de la somme de 19,010 fr. prise dans l’article 1er du chap. VI est aussi adopté.

M. le président. - Par suite de ce vote le chiffre du gouvernement s’élève à la somme de 537,800 fr.

La section centrale propose un chiffre de 554,851 fr. 60.

- Le chiffre du gouvernement est d’abord mis aux voix ; il n’est pas adopté.

Le chiffre proposé par la section centrale est adopté.

Articles 2 et 3

« Art. 2. Etat-major des provinces et des places : fr. 223,246 »

« Art. 3. Service de l’intendance, fr. 109,151 50 »

- Ces deux articles sont adoptés.

Article 4

« Art. 4. Service de santé : fr. 280,855 25 »

M. Verhaegen. - Messieurs, je ne conteste pas le chiffre propose par le gouvernement, mais j’ai une observation à vous présenter sur l’art. 4 (service de santé), ou plutôt j’ai une interpellation à faire à M. le ministre de la guerre.

Les officiers de santé sont en général très mal traités.

Des gens qui ont passé les plus belles années de leur vie dans des études profondes et ardues et qui ne cessent ensuite de se sacrifier au bien-être de l’humanité sont assimilés à des officiers subalternes qui n’ont à connaître que leur théorie militaire.

Tout le monde sent l’injustice de cette position, et la chambre depuis longtemps l’a reconnue.

Le redressement de ce grief n’est pas douteux. Le maintien de l’état des choses actuel est trop décourageant pour qu’il puisse être soutenu plus longtemps.

Mais une injustice encore plus criante a déjà reçu un commencement d’exécution et va, peut-être, s’accomplir tout à fait si le gouvernement ne veut pas abandonner la voie dans laquelle il est entré. Plusieurs médecins adjoints du service de santé ont depuis plus de quinze mois passé leur examen de médecins de bataillon, sous la promesse formelle d’être placés à la première occasion avec le grade que leur examen leur conférait. Qu’a-t-on fait ? Malgré le besoin reconnu de pourvoir au besoin du service qui demandait impérieusement la nomination de plusieurs médecins de bataillon, M. le ministre n’a eu égard à aucune remontrance, et le service de santé est resté et reste encore incomplet et en souffrance.

Maintenant, comme palliatif l’on envoie, au lieu de médecins de bataillon, des médecins adjoints, pour en remplir les fonctions sans vouloir même leur en accorder le traitement.

A quoi donc servent les examens des médecins adjoints passés même avec la plus grande distinction, alors que quinze mois après ces examens ceux qui les ont subis, et qui sont sortis victorieux de la lutte, sont renvoyés comme médecins adjoints aux corps qui ont besoin de médecins de bataillon.

Mon observation n’est faite que dans l’intérêt des bonnes études : ceux qui se distinguent ont droit à des récompenses, la loi le veut, et le gouvernement ne peut pas contrarier la loi.

Je viens donc prier M. le ministre de la guerre de nous donner quelques explications sur l’abus que je signale.

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Je donnerai ces explications à la prochaine séance.

M. Brabant, rapporteur. - Je pourrai donner immédiatement quelques explications, en tant que le budget puisse me les fournir

Il n’y a que vingt-cinq médecins adjoints ; 20 sont attachés aux hôpitaux et ne reçoivent qu’un traitement de 1,500 fr. 5 sont attachés à différents corps, notamment dans la cavalerie et dans l’artillerie ; ceux-là reçoivent un traitement de 2,100 fr. Cette différence de 600 fr., qui se trouve entre les traitements de ces deux catégories d’officiers de santé du même grade, s’explique naturellement par les avantages dont jouissent les médecins adjoints attachés aux hôpitaux ; car ceux-ci sont logés et nourris, et je ne crois pas que le logement et la nourriture d’un officier de santé puissent être estimés à une somme moindre de 600 fr. Je crois que cela coûte davantage au gouvernement.

Comme je l’ai dit, les cinq médecins adjoints qui sont attachés aux corps reçoivent un traitement de 2,100 fr. Je ne prétends pas dire qu’il y a prodigalité dans la fixation de ces traitements, mais je crois qu’ils sont suffisants pour des jeunes gens qui débutent dans la carrière.

Du reste, si les nécessités du service exigeaient que ces cinq médecins adjoints devinssent médecins de bataillon, je ne m’y opposerais pas.

M. Verhaegen. - Messieurs, l’observation que j’ai faite à M. le ministre de la guerre a une portée tout autre que celle que lui a attribuée l’honorable rapporteur de la section centrale. J’ai dit qu’il y a des médecins adjoints qui, depuis longtemps, ont subi leurs examens comme médecins de bataillon avec grande distinction, d’où est résulté pour eux un droit à la promotion, c’est ce que je viens réclamer et que le gouvernement semble méconnaître ; il consiste et dans le grade et dans les appointements qui y sont attachés.

Si mes renseignements sont exacts, il manque plusieurs médecins de bataillon, et cependant qu’a fait le gouvernement ? Au lieu de nommer les médecins adjoints, qui ont subi leur examen, il n’a pas fait de nominations, il s’est borné à faire remplir les fonctions de médecins de bataillon ad interim par ceux qui avaient droit à en être les titulaires.

Le seul but de mes observations c’est de faire remarquer que si l’on continue à agir de la sorte, on découragera ceux qui se livrent à des études ardues. J’ai parlé dans l’intérêt de la science et j’ose espérer que M. le ministre reconnaîtra le fondement de mes réclamations et qu’il y fera droit.

- L’article est mis aux voix et adopté.

Article 5

« Art. 5. Indemnités aux généraux, aux commandants des corps et officiers dans une position spéciale : fr. 25,000 »

Adopté.

Section II. Solde et habillement des diverses armes
Article premier

« Art. 1er. Infanterie : fr. 10,334,000. »

M. le président. - La section centrale propose le chiffre de 8,857,288 fr. 18 c.

M. le ministre de la guerre a déclaré ne pas se rallier à la réduction proposée par la section centrale.

M. Devaux. - Messieurs, j’hésitais à prendre la parole. Il me semblait que la tâche de défendre les propositions de M. le ministre de la guerre revenait à d’autres plus naturellement qu’à moi. Je remarque une circonstance singulière, c’est que jusqu’ici ce sont exclusivement des membres de l’opposition qui ont appuyé le gouvernement dans cette discussion, et cette majorité mixte, sur laquelle le ministère se dit si solidement assis, lui fait complètement défaut dans un débat où il s’agit de l’intérêt le plus gouvernemental qui fut jamais, de l’intérêt de la défense du pays. Quelque bizarre, messieurs, que soit cette position, je l’accepte. Il est pour moi des questions qui dominent les questions de partis, devant lesquelles j’oublie les divisions qui nous séparent, devant lesquelles je ne me souviens que d’une seule chose, c’est que je suis Belge. Car si sous notre forme de gouvernement il faut savoir accepter franchement les dissidences et la lutte des opinions, fruit inévitable de leur liberté même, les bons citoyens, quelque divisés qu’ils soient, n’en sont pas moins unis par un lien puissant, tous sont enfants de la même patrie, tous se tiennent entre eux par le lien du patriotisme et de la nationalité.

Lorsqu’en Angleterre, la puissance maritime de la Grande-Bretagne est en question, il n’y a plus ni whigs ni tories. En France, quand récemment il s’est agi des fortifications de Paris, l’on n’a plus reconnu les partis ; le parti de l’opposition s’est mêlé à celui du gouvernement.

La question que nous discutons, messieurs, est, à mon avis, la plus importante que l’on puisse examiner dans le parlement belge. Il s’agit du rôle de l’armée ; il s’agit de l’importance que nous donnerons définitivement à nos institutions militaires. Je le sais, cette importance n’est pas également appréciée par tout le monde ; un honorable orateur de mes amis nous disait, l’autre jour, que tout le monde part du même point, c’est que la Belgique doit avoir une armée forte, une armée imposante ; je ne partage pas son opinion, je crois qu’il se trompe ; selon moi, on est fort divisé dans cette chambre et dans le pays sur ce qui concerne l’armée : suivant les uns, et ce n’est pas le plus grand nombre, une armée imposante est d’un intérêt très grave pour la Belgique ; suivant les autres, cet intérêt est beaucoup moindre ; suivant d’autres encore, l’importance de l’armée est douteuse ; suivant d’autres, enfin, elle est à peu près nulle. Quant à moi, je suis de ceux qui attachent aux institutions militaires un prix immense ; suivant moi, le premier intérêt qu’il y ait pour une nation jeune, qui entre dans le monde politique, une des conditions les plus sérieuses de ses destinées, de son existence, est dans la question de son organisation militaire. Messieurs, permettez-moi une hypothèse exagérée ; si la Belgique pouvait dire : Je dispose d’ure armée de 200,000 hommes, n’est-il pas vrai que toute sa position serait changée en Europe, son sort serait complètement modifié a ses propres yeux ; sa neutralité serait assurée ; son existence paraîtrait définitive à tout le monde, à l’intérieur et à l’extérieur. Donc, aux yeux de tout le monde, la solidité de l’existence de la Belgique dépend et en grande partie, peut-être avant tout, aujourd’hui de son organisation militaire. Si elle n’a pas une armée que l’étranger juge imposante, juge suffisante, sa position n’inspirera pas confiance à l’intérieur, et quand à l’extérieur on s’occupera de nous, nous ne pèserons pas dans la balance ce que nous devons et pouvons y peser. Si le pays lui-même a l’opinion que son armée n’est pas suffisante pour sa défense, le sentiment national ne se développera pas, le pays n’aura pas confiance en son avenir, et lorsqu’un peuple n’a pas cette confiance il ne grandit pas, il ne s’affermit pas ; on ne s’attache pas à une nationalité impuissante, qui n’a pas de ressource en elle-même, qui est résignée à s’évanouir sous le moindre souffle de l’orage.

Suivant beaucoup de personnes, parce que nous sommes neutres, nous ne devrions avoir qu’une apparence d’armée, nous ne devrions avoir qu’une armée qui fût une institution militaire, beaucoup plus par le nom, que par le fond même des choses. A mon avis, c’est là une profonde erreur ; notre neutralité, je ne crains pas de le dire, est un motif de plus, qui nous commande d’avoir des forces imposantes disponibles dans un moment de guerre. Si vous vouliez renoncer à la neutralité, et si vous le pouviez ; si vous vouliez, par exemple, vous mettre sous la protection d’un Etat voisin, vous abandonner aveuglément à la loyauté ; à celle des partis qui peuvent successivement le dominer, alors vous pourrez supprimer notre armée, parce qu’alors votre protecteur se chargerait de vous défendre contre d’autres ennemis. Etre neutre, c’est être chargé de se défendre soi-même, c’est se charger de résister par soi-même à la première attaque, n’importe de quel côté elle vienne.

Je dis, messieurs, que l’ancien gouvernement des Pays-Bas n’avait pas tant de précautions à prendre que nous pour sa sûreté extérieure, et cela pour plusieurs raisons : parce que, dans l’opinion de l’Europe, il était solidement assis ; parce que, en Europe, il avait moins d’ennemis que nous, mais surtout parce qu’il n’était pas neutre. Le rôle du roi des Pays-Bas en cas de guerre était tracé ; ses alliés venaient à son secours, les forteresses étaient à l’instant même occupées par eux. Dès lors le roi des Pays-Bas n’était pas obligé de suffire lui-même à un premier choc. Sommes-nous dans cette position ? Supposez qu’une guerre éclate ; il y aurait un premier moment d’hésitation chez toutes les puissances, sans distinction, sur la question de savoir si l’on respecterait notre neutralité, moment terrible pour nous. A l’est comme au sud, on se demandera si nous sommes en état de garder nos forteresses, si elles ne sont pas destinées à être occupées par celui qui marchera le plus vite sur elles ; et s’il n’y aurait pas duperie à respecter une neutralité, que d’autres peuvent violer les premiers à leur profit. Nous n’échapperons aux résultats calamiteux de cette incertitude que par un seul moyen, c’est d’inspirer de la confiance par notre attitude à tous nos voisins, c’est de leur montrer, de longue main, que nous avons la volonté ferme et en même temps les moyens organisés de nous défendre contre un premier choc. Dans un tel moment, nous sommes perdus si l’on peut croire, si l’on peut dire que nous sommes insuffisants pour résister à un premier effort. Remarquez-le bien, ce n’est pas seulement l’ambition de nos voisins que nous avons à craindre, mais nous avons à redouter de leur part l’effet d’une défiance très naturelle ; il est très naturel qu’en cas de guerre la France craigne de nous voir envahis par l’Allemagne ; il est très naturel que l’Allemagne craigne de nous voir envahis par la France. La guerre déclarée, il y a d’ailleurs d’autres tentatives encore qui pourraient nous être fatales.

Croyez-vous, par exemple, que si la France faisait la guerre en Allemagne, et si l’on ne nous croyait pas en état de défendre notre neutralité, croyez-vous que l’Angleterre ne serait pas tentée de jeter des troupes dans notre pays pour couper l’armée française. Contre de pareilles tentatives, je le répète, il n’est pas de plus sûre garantie que l’attitude que nous prendrons nous-mêmes, que l’opinion que nous aurons su donner à l’Europe de nos intentions et de nos forces.

Cette grande question de l’établissement militaire, du système militaire de la Belgique, on veut la trancher aujourd’hui avec une singulière légèreté, on veut la trancher incidemment à propos du budget et sous l’impression d’un déficit momentané ; c’est sous l’impression des répugnances qu’inspire l’établissement de certains impôts que l’on veut poser les bases permanentes de l’organisation militaire du pays, que l’on veut décider définitivement la question de tout notre avenir militaire. Et comment la trancherions-nous ? Sans l’avoir examinée. Car la question de notre système militaire est loin d’avoir été discutée, elle n’a pas été examinée, je pourrais dire qu’elle n’a pas été posée. Et l’on veut la trancher sous l’influence d’une seule personne qui n’est pas même militaire. Hier, messieurs, on vous le disait avec raison, nous ne connaissons pas les premières bases de notre système de défense ; nous ne savons pas encore quelles sont les forteresses que nous aurons à garder, et dans l’ignorance de cette base, nous agirions comme si nous avions un système définitif, comme si tout était décidé.

Ce n’est pas seulement cet élément qui reste indécis ; tous les éléments de la question sont encore dans l’incertitude. Qu’avez-vous décidé des bases du système militaire ? On raisonne sur des bases que je pourrais appeler hypothétiques. Ainsi on prend pour point de départ du pied de guerre un effectif de 80,000 hommes, mais où cet effectif a-t-il été décidé pour toujours ? Il n’y a jamais eu de discussion, de décision raisonnée à cet égard. L’effectif se trouve fixé à 80,000 hommes, on a laissé subsister ce chiffre, mais jamais on ne l’a discuté. Où avez-vous décidé quel sera le rôle de la réserve ? Nulle part ; et cependant la question de l’organisation de l’armée dépend certainement aussi de la question de savoir quel sera le rôle de la réserve.

Quel sera, en cas de guerre, le rôle de la garde civique mobilisée ? Nulle part vous n’en dites mot. Et cependant plus la garde civique fera, moins l’armée active sera obligée de faire, ou au moins si la garde civique mobilisée peut prêter une assistance efficace et solide à l’armée, votre rôle militaire peut grandir, vous pouvez faire ce dont vous désespériez peut-être avec le secours plus restreint de l’armée de ligne.

Quel est le rôle que vous destinez à l’armée en cas de guerre ? Faites-vous une armée avec la seule mission de garder vos places fortes ? Il peut exister, par exemple, cette opinion que si l’ennemi envahit le territoire, il faut que l’armée belge se retire dans les places fortes, s’y maintienne, se croise les bras et laisse les envahisseurs se battre entre eux sur le territoire belge ? Est-ce là la destination de l’armée ? Ou veut-on qu’en même temps qu’elle garde les places fortes, elle se mesure en plaine avec l’ennemi ? Voilà toutes questions auxquelles personne dans cette chambre ne pourrait répondre ; voilà toutes questions qui ne sont pas seulement posées ; et on voudrait les franchir toutes à la fois pour trancher incidemment la question de l’organisation définitive de l’armée !

Resterez-vous, d’ailleurs, dans le système d’organisation française ? Ou bien vous rapprocherez-vous du système prussien, système beaucoup plus défensif, plus économique que le système français ? C’est encore une partie du problème sur laquelle nous n’avons jusqu’ici reçu aucun élément de solution.

Quel est le rôle que nous destinons à la cavalerie ? Il dépend de celui que vous assignez à l’armée tout entière. Si l’armée n’a d’autre destination que de garder les places fortes, la cavalerie devient bien moins importante ; mais si l’armée était destinée à résister en plaine aux envahisseurs, la cavalerie est alors beaucoup plus nécessaire.

Il en est de même de votre artillerie ; suivant le rôle que vous destinerez à votre armée, il vous faut plus ou moins d’artillerie mobile. Organiserez-vous une artillerie dans votre garde civique, c’est un nouvel élément qui doit avoir son influence sur l’organisation de l’artillerie dans l’armée de ligne.

Toutes ces questions, je le répète, loin d’avoir été discutées, examinées, n’ont, pour ainsi dire, pas même été posées, et par conséquent nous sommes complètement hors d’état aujourd’hui, sur l’autorité d’un seul homme, de trancher la question de l’organisation de la loi.

Messieurs, à mon avis, tous les ministres de la guerre ont eu un tort, celui de laisser dans l’ombre la question du système militaire de la Belgique. Si j’avais l’honneur d’être ministre de la guerre, je ne le serais pas pendant un mois que cette question serait à l’ordre du jour du pays tout entier. Je la mettrais au concours dans l’armée. Il y a dans l’armée un grand nombre d’hommes de sens et de cœur qui convaincraient le pays. Une grande partie du pays, je le crois, il en est de même d’une grande partie des membres de cette chambre, sont dans l’erreur sur l’importance du rôle qu’une armée belge peut remplir ; mais ni dans le pays, ni dans cette chambre, à l’égard d’un intérêt qui se lie si intimement à l’avenir de la nationalité, il n’y a d’erreur invincible.

Je voudrais qu’ensuite une commission d’hommes capables examinât la question, et l’examinât tout entière, sans préoccupation de position personnelle, sans s’inquiéter de savoir ce que pense tel membre de la section centrale, tel membre de la majorité ou de l’opposition. Je voudrais que le système fût examiné et discuté dans toute son étendue, avec une complète indépendance d’esprit, dans ses rapports, les ressources et les besoins d’un pays ; cela fait, le gouvernement livrerait à la publicité le travail de la commission ; on en extrairait ce qui peut le mieux éclairer le pays. Il se présenterait dans cette chambre avec des autorités, un travail parfaitement préparé ! La question aurait été mûrement débattue sous toutes ses faces, et non pas seulement au point de vue étroit de l’intérêt fiscal du moment, intérêt respectable, sans doute, mais qui fléchit devant des intérêts plus élevés.

Quant à moi, tant que je n’aurais pas mes apaisements sur le système militaire du pays, je ne consentirai pas à désorganiser ce qui existe, car je ne sais pas si je pourrais refaire par la suite ce que j’aurais défait, ni comment je pourrais le refaire.

L’armée, telle qu’elle existe aujourd’hui, est le fruit de 12 années de travaux et de progrès. Ces progrès sont considérables. Il y a dans l’armée un grand nombre d’officiers qui se sont dévoués pendant 12 ans aux travaux les plus pénibles, et qui l’ont fait avec le plus grand fruit. Car, messieurs, les étrangers commencent à rendre justice à notre armée ; il y a certainement des parties de notre armée que l’étranger admire aujourd’hui, et qui font grand honneur à la Belgique. Un grand progrès aussi dans l’armée, outre celui de l’instruction, de la discipline, de l’esprit militaire, c’est celui du sentiment de la nationalité, ce sentiment est aujourd’hui très vif. Rappelons-nous que c’est à nous, non de le décourager, mais de le développer. Irons-nous en aveugles et à la légère risquer d’arrêter ce progrès, d’aliéner le sentiment national, de décourager l’armée, et tout cela sans savoir où nous allons, sans savoir si demain nous ne reviendrons pas sur nos pas ; tout cela, parce que nous nous trouvons en présence d’un déficit momentané qu’on n’a pas su ou voulu couvrir ?

Messieurs, je rends une parfaite justice à l’activité de M. le rapporteur ; j’aime beaucoup, dans cette assemblée, des hommes qui se dévouent à une tâche que les autres négligent ; je sais beaucoup de gré de son activité à l’honorable M. Brabant, mais cependant il trouvera naturel que je n’aie pas une confiance absolue dans tout ce qu’il nous soumet. Je dirai même que je suis un peu en défiance contre cette grande influence qu’exerce sur nous M. le rapporteur, parce qu’il est de la nature de toutes les influences, comme de tous les pouvoirs qui manquent de contrepoids, d’être exposées à abuser d’elles-mêmes.

Je trouve que les raisonnements de l’honorable rapporteur manquent souvent de base. Il raisonne dans des hypothèses qu’il ne prouve pas. Ainsi, par exemple, l’honorable rapporteur part de cette supposition que l’armée belge doit être le huitième de celle de la France ; mais les raisons de cette proportion, où sont-elles ?

Pourquoi notre armée doit-elle être précisément le huitième de celle de la France, ni plus, ni moins ? Je n’en sais rien (interruption) ; eu égard à la population, me dit M. le ministre des affaires étrangères, qui paraît de l’avis de l’honorable M. Brabant.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Pas du tout.

M. Devaux. - Si vous prenez la population pour base, pourquoi prenez-vous votre mesure sur la France uniquement ? Si la population est le seul élément à consulter, pourquoi prenez-vous la France pour modèle plutôt que la Prusse ? En Prusse, le rapport entre la population et l’armée est tout autre qu’en France, et vous arriveriez, par suite de la comparaison avec la population de la Prusse, à un résultat tout nouveau pour l’armée belge. Or, pourquoi devons-nous prendre nos mesures plutôt sur la France que sur la Prusse ? Y a-t-il quelque chose qui indique que nous devons être le huitième de la France plutôt que le tiers de la Prusse ?

Si M. le ministre des finances venait vous dire : « Je vous demande une allocation pour porter le nombre de douaniers au huitième du nombre de douaniers de France, attendu que la population de la Belgique est à celle de la France comme un est à huit. », vous ririez de lui, vous lui diriez : La question n’est pas de savoir si la population de la Belgique est dans tel ou tel rapport avec celle de France, mais de savoir quels sont les besoins du pays, et de mettre le nombre des douaniers en rapport avec ces besoins.

Si un ministre de la justice venait vous demander une augmentation du personnel des tribunaux, uniquement parce que ce personnel n’atteindrait pas le huitième du personnel des tribunaux de France, ce ministre forcerait sans doute un singulier accueil dans cette chambre, et vous le forceriez à établir sur de meilleures bases les besoins de la justice.

Sous d’autres rapports, il semble que M. le rapporteur passe sous silence des circonstances très importantes quant à la France. Ainsi, pour l’artillerie, par exemple, je crois que l’honorable M. Brabant oublie toute la côte maritime de la France ; cette côte se défend en grande partie par l’artillerie de marine, et l’on ne tient pas compte de cette artillerie.

Une circonstance qu’on perd de vue, quant à l’artillerie, c’est qu’en France, dans beaucoup de places fortes, il existe une artillerie de la garde nationale. Cela est très important. Si en Belgique vous organisiez dans les places fortes une artillerie de la garde civique, cette garde devrait être prise en très grande considération dans l’organisation générale.

J’ai entendu l’honorable M. Brabant énumérer le nombre d’hommes qui composent les garnisons, et le nombre d’officiers correspondant aux hommes sous les armes, d’après un tableau qui a été dressé dans le temps par le général Buzen. A mon avis, ce tableau qui a fait quelque impression ne prouve rien. D’après ce document, il semble y avoir peu de proportion entre le nombre des officiers et celui des soldats. Mais est-ce en ce qu’il y a trop d’officiers ou est-ce qu’il y a trop peu de soldats ? L’honorable M. Brabant soutient qu’il y a trop d’officiers ; pour moi, il ne m’est pas prouvé qu’il n’y eût pas trop peu de soldats. L’honorable rapporteur a dit hier que l’effectif sous les armes à cette époque était de 17,000 hommes. Il est certain que si vous voulez calculer votre armée sur un effectif de 17,000 hommes, alors le nombre actuel des officiers doit avoir quelque chose de disproportionné ; tout l’effectif reste dans ses limites. Mais remarquez que par des crédits globaux et par des recommandations incessantes on a fait un devoir aux ministres de la guerre et surtout au général Buzen de faire des économies. Qu’ont fait les ministres de la guerre qui sentaient la grande importance de la conservation des cadres ? Ils ont opéré des économies en diminuant le nombre des soldats retenus sous les armes, ils ont multiplié les congés, pour réduire le chiffre des dépenses, et pour pouvoir maintenir les cadres. La disproportion que vous signalez, c’est donc vous-mêmes qui l’avez occasionnée ; vous avez forcé les ministres de la guerre à ne tenir sous les armes qu’un nombre d’hommes proportionnellement faible.

Enfin, ce qui me frappe aussi, c’est que l’honorable M. Brabant, de son aveu, n’arrive plus à un effectif de guerre de 80,000 hommes, que cet effectif, qui avait servi de point de départ, se trouve réduit, si j’ai bien compris, à 50,000 hommes ; donc on ne respecte pas même la base du système incomplet qui existe.

Je désire, quant à moi, qu’il soit possible, en respectant la prérogative du gouvernement et en lui laissant la latitude nécessaire pour faire face aux événements, de faire une loi sur l’organisation de l’armée. Je verrais là plus de sécurité, plus de stabilité pour les militaires ; j’y verrais aussi un autre avantage, c’est que la question serait décidée sous d’autres préoccupations que celles du budget, elle serait décidée en vue de la chose même, tandis que quand nous discutons le budget et que surtout nous nous voyons en présence d’un déficit, il est impossible de ne pas se laisser trop préoccuper de la situation financière du moment. Une question pareille mérite bien d’être examinée en elle-même et pour elle-même. Toutes les grandes institutions du pays ont été discutées ainsi, et celle qui est le couronnement des autres, l’organisation militaire, mérite bien le même honneur. Ce n’est pas transitoirement, en quelques jours et à propos de questions d’un tout autre ordre, que nous devons la trancher.

Mais quelle que soit la décision de la chambre c’est, à mon avis, un devoir pour le gouvernement d’éclairer le pays sur cette grave matière, et quand le pays sera éclairé, le contrecoup sera senti dans la chambre. Il ne faut pas, messieurs, désespérer du pays, il a fait d’immenses progrès depuis douze ans. Il en fera d’autres encore, ayez confiance en lui. Démontrez-lui la nécessité et la possibilité de sa défense, et il aura confiance en ses propres forces ; le pays est prêt à avoir confiance en lui-même. Dès qu’il aura confiance dans la possibilité de se défendre, cette possibilité sera une réalité. Combattez cette idée que la Belgique est faible, qu’elle ne peut pas se défendre, qu’elle n’a de ressource que dans les secours de l’étranger, ce sont de déplorables erreurs. Que le gouvernement éclaire la nation, qu’il lui montre sa force, qu’il lui montre tout ce qu’elle peut pour elle-même, et ainsi on raffermira le sentiment national et l’intérêt de l’armée dans cette chambre comme en dehors de cette chambre sera bientôt compris comme il doit l’être.

M. Demonceau. - Quand j’ai demandé la parole, j’avais l’intention de présenter des chiffres ; mais en entendant l’honorable préopinant, j’ai changé d’avis ; je vais répondre immédiatement à quelques-unes de ses observations. A entendre l’honorable préopinant, l’opposition seule appuierait à ce moment le gouvernement. Je ne sais ce que l’honorable membre entend par opposition, mais je puis assurer que si je raisonne d’après les paroles qu’il vient de prononcer, il n’est personne, selon moi, qui ait fait au ministère une opposition aussi bien motivée que celle qu’il vient de faire. Il vous a prouvé en effet que le gouvernement avait proposé un budget normal, tandis que la question n’est pas instruite. Il reconnaît que le gouvernement nous a mis dans une alternative telle que nous ne pouvons prendre de résolution.

Où M. le rapporteur a-t-il pris les bases du projet de la section centrale ? Dans les actes des amis de l’honorable préopinant. Si je ne l’avais pas vu à son banc pendant le discours de M. le rapporteur, j’aurais cru qu’il ne l’a pas entendu, M. le rapporteur vous a dit que ce qu’il proposait était l’œuvre du cabinet de 1832, l’œuvre du général Evain primé même par M. de Brouckere.

M. Lebeau. - Je demande la parole.

M. Demonceau. - Je crois que ce qu’on est convenu d’appeler la majorité mixte aime tout autant notre nationalité que qui que ce soit. Je crois que nous qui siégions sur ces bancs et qu’on désigne comme faisant partie de cette majorité, nous sommes aussi sincèrement dévoués à l’armée, au pays, à la nationalité, que qui que ce soit, je n’accepte donc pas le reproche qu’on a adressé à ceux qui proposent des réductions momentanées sur les dépenses du département de la guerre. Je dis momentanées, parce qu’il faut que le sort de l’armée soit fixé par une loi. Ce n’est pas par un budget qu’on peut fixer le sort de l’armée. Nous n’avons pas besoin de remonter bien haut pour savoir que le ministère précédent a accepté l’organisation de l’armée par une loi. Qu’on se rappelle le rapport de M. Brabant sur ce projet de loi autorisant le gouvernement à maintenir les miliciens sous les armes huit ans au lieu de cinq ; n’a-t-on pas introduit dans le projet, de commun accord avec le ministre de la guerre sous le cabinet précédent, une disposition déclarant qu’on n’adopterait ce système qu’en attendant la loi sur l’organisation de l’armée ? Croyez-vous qu’en maintenant sous les armes les miliciens pendant huit ans, au lieu de cinq, on n’aggravait pas la charge de la population. Croyez-vous que les pères de famille aient vu avec plaisir cette augmentation de la durée du service ? Pour moi, j’ai entendu beaucoup de plaintes à cet égard. Ce n’est pas que je sois contraire à l’augmentation de la durée du service effectif, mais je ne voudrais pas qu’il fût de huit années.

Nous discutons, dit-on, sans la préoccupation d’une gêne, et d’une gêne momentanée. Je ne suis pas certain que la gêne que nous éprouvons aujourd’hui ne continue pas et ne finisse pas par devenir permanente. Voyons nos ressources, avant de vouloir faire des dépenses. Je veux bien admettre que la Belgique puisse soutenir une budget des recettes de 110 millions, jusqu’à présent nous n’avons pas eu cent millions de recettes (produits des impôts) ; si le budget de la guerre, en temps de paix s’élève à 34 millions, si vous songez que la dette publique s’élève à 34 millions dont on ne peut rien distraire, et le budget des dotations à environ 4 millions, vous trouverez que ces trois catégories de dépenses emportent 68 millions, à peu près les 2/3 des 110 millions, et qu’il ne reste pour toutes les autres dépenses que 42 millions.

En présence d’une pareille situation, il faut réfléchir surtout que tous les impôts sont frappés d’environ 25 p. c. de centimes additionnels. Je m’arrêterai ici, parce que je ne m’attendais pas à prendre la parole sur au point sur lequel je me suis peut-être déjà trop étendu.

Je regrette qu’on nous ait mis dans l’alternative d’adopter la proposition du gouvernement ou celle de la section centrale, J’aurais vu avec plaisir le gouvernement à accepter un crédit global en promettant de présenter une loi d’organisation. Comme je ne suis inféodé à personne, je ne puis pas suivre le gouvernement dans ses égarements.

M. Lebeau. - Je croyais que la chambre en avait fini avec l’incident relatif aux faits posés par les anciens cabinets. Il a plu, je ne sais pourquoi, à l’honorable préopinant de mettre de nouveau en cause les cabinets de 1833 et de 1841. Il veut, sans doute, aussi tirer de la présentation du budget de 1833, la conséquence que le ministère dont j’ai fait partie avec l’honorable M. Rogier est celui qui a donné son adhésion au budget de paix de 25 millions de francs, et que c’est par ordre du cabinet des ministres de 1833, que le général Evain a proposé un tel budget. Il n’en est rien, absolument rien. J’ai eu occasion de voir M. le général Evain depuis hier ; il m’a déclaré, en termes exprès, avec autorisation de faire tel usage que je voudrais de sa déclaration, que c’est le conseil des ministres de 1831-1832 qui lui a donne l’ordre de rédiger un budget de 25 millions de francs, pied de paix. Ce budget, il a commencé à en préparer les éléments dès le milieu de l’été de 1831. Il m’a même nommé, je ne citerais des noms propres qu’en cas de dénégation, il m’a même nommé ceux des membres du conseil qui avaient insisté le plus vivement pour qu’il maintint ce budget au chiffre déjà fixé en 1831 par M. Ch. de Brouckere. Le ministère de 1832-1833 arriva à la fin d’octobre ; il reçut des mains de l’honorable baron Evain le budget de 25 millions de francs, sans s’enquérir, tant la compétence du savant général nous inspirait de confiance, des raisons pour lesquelles il l’avait porté à ce chiffre. Il nous eût présenté un budget de 20 millions que, incompétents comme nous étions sur une telle spécialité, l’honorable M. Rogier et moi, nous l’eussions accepté.

Un membre. - Et le général Goblet.

M. Lebeau. - Je ne parle que de moi et de mon honorable ami M. Rogier. Au reste, je n’entends ici accuser personne, ni donner à cet incident plus d’importance qu’il ne comporte.

Je regrette même que l’honorable préopinant ait ressuscité une discussion incidentelle qui me paraissait devenue sans objet.

M. de Theux. - Je ne puis que répéter ce que j’ai dit à la séance d’hier. A la vérité, l’initiative de la présentation d’un budget de 25 millions appartenait à M. C. de Brouckere, qui était ministre de la guerre en novembre 1831. Lorsque ce budget a été présenté, nous n’avons en aucune manière décliné la responsabilité de sa présentation, nous avons cru les propositions de M. de Brouckere acceptables. S’il y a eu erreur, s’il est démontré qu’il était insuffisant, je voterai un chiffre plus élevé.

Mais quant à l’incident tendant à faire croire que le conseil des ministres aurait décidé que la présentation d’un budget de 25 millions serait fictivement faite, en vue d’amener une réduction de la dette ou des arrérages, je déclare que cette délibération, cette décision n’a jamais été prise par le conseil dont j’ai eu l’honneur de faire partie ; il était même impossible, au mois de décembre 1831, de prévoir l’utilité d’employer de semblables moyens diplomatiques. Il était impossible de le prévoir, puisqu’au mois de novembre 1831, chacun s’attendait à l’exécution du traité. Mais dit l’honorable préopinant, c’était au milieu de l’année 1832. Je ferai d’abord remarquer qu’en 1832, M. le général Evain ne faisait pas partie du conseil des ministres ; il était ministre administrateur du département de la guerre. Je ferai encore remarquer qu’en 1832 jamais notre ministère n’a délibéré sur le budget de la guerre, c’est un fait certain. M. le général Evain pouvait avoir préparé les éléments de son budget, maïs ce ne fut jamais en suite d’une décision du conseil des ministres. Ce que je dis se prouve par la nature même des choses. On n’arrête pas un budget de la guerre si longtemps à l’avance, surtout dans la situation où était la Belgique avant notre sortie du cabinet. J’ai fait un appel aux trois membres qui faisaient partie de ce cabinet, et tous m’ont confirmé qu’il n’y avait pas décision du conseil des ministres, tous ont été d’accord sur ce fait que j’atteste de la manière la plus formelle.

Quant au chiffre pour 1833, qui était le même que celui présenté par M. de Brouckere, en 1831, le ministère de 1832 à 1833 a la responsabilité de ce chiffre. Ce n’est pas parce qu’il avait été présenté en 1831, qu’il devait être reproduit s’il était insuffisant. Je n’entends adresser aucun reproche au cabinet qui nous a suivis, je dis seulement qu’il a suivi la même marche que nous ; par quels motifs ? C’est ce qu’il ne m’appartient pas de décider, puisque je ne faisais pas partie du ministère. Aujourd’hui, il y a une seule chose à décider, c’est celle de savoir quel chiffre est nécessaire dans la position actuelle. S’il est démontré que le chiffre proposé en 1832 est insuffisant, ce serait un motif pour ne pas l’adopter aujourd’hui ; ce que je viens de dire tend seulement à déclarer que le conseil des ministres, dont je faisais partie, n’a jamais été appelé à délibérer sur un chiffre fictif destiné à servir de moyen diplomatique.

M. Lebeau. - Je ne veux pas prolonger cette discussion, qui est intempestive, et doit être désagréable pour la chambre. Quoi qu’il en soit j’ai été autorisé à déclarer par l’auteur même, que le passage de la lettre qui a fait l’objet de cet incident se rapporte, au conseil des ministres de 1832-1834, mais à celui de 1831-1832. Quant à la question de savoir si les souvenirs du général Evain l’ont bien servi, je ne me suis pas expliqué là-dessus, et je laisse entièrement intact ce point du débat.

M. Demonceau. - L’honorable M. Lebeau a sans doute compris que j’ai été amené à revenir sur cette question. Je me serais bien gardé de m’en mêler si je n’y avais été amené par l’honorable préopinant. J’ai voulu défendre les idées du rapport de la section centrale, idées qui sont fondées sur une opinion émise par un cabinet. Quand je vois un projet de loi émané du gouvernement, je regarde le cabinet tout entier comme responsable ; qu’il ait été délibéré avant ou après, peu m’importe. Tout projet de loi est sensé émaner du ministère entier, et je ne comprends pas comment on adresse des reproches à la section centrale, alors qu’elle a pris pour base ce même projet de loi émané du ministère.

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - J’ai demandé la parole pour donner quelques explications relativement à la lettre du général Evain, dont il vous a été donné communication.

La section centrale avait manifesté l’intention de réduire le budget de la guerre à 25 millions, eu se fondant sur de prétendues promesses faites par le gouvernement.

Je lui remis alors une première note de M. le général Evain, dans le but de lui expliquer les circonstances dans lesquelles cette espèce d’engagement avait été pris.

Je pensais que cette communication suffirait, pour lui faire modifier son opinion. Mais je m’étais trompé, et la publication de son rapport m’apprit bientôt, que la section centrale continuait à considérer le gouvernement comme engagé à réduire le budget de la guerre à 25 millions.

Ce fut alors que je crus devoir publier une note plus complète de M. le général Evain, afin d’éclairer et la chambre et le pays sur le véritable état de la question.

Cette publication fut donc, en quelque sorte forcée ; il ne faut pas, d’ailleurs, donner à la note de M. le général Evain un sens qu’elle ne comporte point. Il n’y a rien, dans ce document qui puisse porter atteinte à la loyauté belge : car rien n’indique que le gouvernement n’ait pas été de bonne foi, lorsqu’en 1831 ou en 1832, il fixa le budget du pied de paix à 25 millions. Le contraire résulte plutôt des termes de la note et des explications qu’elle renferme.

Loin de nier la possibilité de réduire le budget à 25 millions en 1833, M. le général Evain explique comment il se fait que cette possibilité, qui existait alors, n’existe plus aujourd’hui.

Le chiffre de 25 millions, présenté, en 1832, pour le budget sur pied de paix, n’était donc pas imaginaire. Il n’avait pas été fixé au hasard, dans le seul but d’arriver à des fins politiques déterminées. Ce chiffre était vrai lorsqu’il fut posé ; il était le résultat d’un calcul de bonne foi, mais approximatif, mais fondé sur des éventualités qui n’existent plus.

Aujourd’hui, les circonstances ont changé, et ce même chiffre est devenu impossible. M. le général Evain lui-même, en a expliqué les motifs dans sa note : Je ne vous les répéterai pas. Mais la chambre comprendra combien cette autorité doit avoir de poids dans la discussion actuelle. C’est là le motif qui m’a déterminé à publier la note du général Evain. Je l’ai fait pour rectifier des idées inexactes, qui ne sont que trop répandues. Je l’ai fait enfin, pour éclairer l’opinion et des chambres, du pays, opinion que le rapport de la section centrale avait contribue a égarer.

M. le président. - La parole est à M. le rapporteur.

M. Brabant, rapporteur. - M. Verhaegen a demandé la parole sur l’incident, moi, je veux parler sur le fond du budget ; je céderai donc la parole a M. Verhaegen.

Un membre. - M. Verhaegen est absent ; on vient de le faire appeler.

M. le président. - Puisque M. Verhaegen n’est pas présent, la parole est à M. le rapporteur.

M. Brabant, rapporteur. - Messieurs, moi aussi, en entendant les paroles de l’honorable M. Devaux, J’ai cru pendant assez longtemps qu’il n’avait pas assisté à la séance d’hier ; cependant il a fait allusion à des paroles que j’ai prononcées, et cela m’a convaincu qu’il était présent lorsque j’ai prononcé mon discours.

Nous sommes d’accord sur une foule de points avec l’honorable membre ; seulement je tire une conclusion toute différente de celle qu’il tire de ces prémisses. Il attache la plus haute importance à la conservation de la neutralité et de la nationalité belge ; et il regarde une armée imposante comme un des premiers besoins pour satisfaire à ces deux conditions de conservation.

Je suis parfaitement d’accord avec lui, nous ne différons que sur les moyens. Pour arriver à la connaissance de ces moyens, il faudrait connaître le système du gouvernement ; et le gouvernement ne le fait pas connaître ; M. le ministre s’est refusé à communiquer à la section centrale le travail des généraux, et le système adopté par la commission des officiers généraux ; car tout le travail de la commission repose sur plusieurs hypothèses. Il y a l’hypothèse de la garde de toutes les places comme mesure de précaution ; il y a l’hypothèse de l’abandon de certaines places du côté de l’allié qui viendrait à notre secours, en cas de la violation de notre neutralité par une autre puissance. N’ayant eu qu’une lecture très rapide de ce rapport, il est impossible d’entrer dans tous les détails ; la mémoire pourrait me faire défaut, et il est inutile d’entretenir la chambre de souvenirs qui pourraient être infidèles. M. le ministre a donné lecture d’une partie plus ou moins considérable de ce rapport, il ne l’a pas lu en entier, et je ne sais pas quelle est la portée de la partie qu’il n’a pas lue.

L’honorable M. Devaux croit avec raison qu’il ne suffit pas que le gouvernement ait une opinion sur la défense, mais qu’il faut que le pays connaisse cette opinion, et soit persuadé que cette opinion est fondée ; c’est ce qui ne peut arriver que par une discussion publique, par des débats contradictoires soit dans la presse, soit dans la chambre. Eh bien, malgré cette incertitude, l’honorable M. Devaux alloue tout ce que demande le gouvernement.

M. Devaux. - Je maintiens.

M. Brabant, rapporteur. - Vous maintenez ; eh bien, je dis que ce maintien n’est pas justifié ; je dirais à un gouvernement qui se refuserait à un point aussi important de sa mission : Vous ne faites pas votre devoir, vous n’avez pas ma confiance, et puisque vous n’avez pas ma confiance, je vous refuse les fonds que vous me demandez. La somme est assez importante ; elle forme à peu près le tiers de tous nos revenus, et a besoin d’être justifiée par autre chose que par des présomptions et des antécédents ; notez encore messieurs, que la justification des antécédents lui manque. Les seuls antécédents qu’il a, ce sont les budgets qui ont été votés alors que notre nationalité n’était pas bien assise, n’était pas bien reconnue, ou bien ce sont les budgets votés depuis l’acceptation du traité des 24 articles, en 1840, 1841 et 1842. Eh bien, messieurs, aux yeux d’une grande partie de cette chambre, aux yeux d’une grande partie du pays, ces budgets n’étaient que transitoires ; et bien certainement je ne me serais pas prêté à voter un budget de 29 millions et demi, pour un état permanent, sans être bien éclairé.

Messieurs, aux antécédents invoqués par le gouvernement, je pourrais opposer deux autres antécédents, les budgets de 1831 à 1832, et de 1832 à 1833. On prévoyait alors la situation qui s’est réalisée aujourd’hui. On dit : Mais les circonstances sont changées ; mais, messieurs, je ne vois rien dans la configuration de nos frontières, dans l’état de notre population, dans la situation de nos ressources, je ne vois rien qui diffère aujourd’hui de ce qu’était le pays en 1832. Ce qui pouvait suffire alors peut suffire encore aujourd’hui. M. le général Evain dit que vous ne pourriez pas revenir à ces budgets, sans changer l’organisation actuelle ; mais l’organisation actuelle, on n’a pas prouvé qu’elle fût indispensable ; il fallait prouver que le travail de 1832 à 1833 n’était pas sérieux, qu’on s’était trompé considérablement sur certaines bases ; et c’est ce qu’on n’a pas fait, et remarquez, messieurs, qu’entre la proposition de la section centrale pour 1843 et celle du budget de 1832, il y a encore une différence en plus de 2,800,000 fr., et avec 2,800,000 fr. on peut pourvoir à beaucoup d’éventualités et de besoins qui ont pu se manifester depuis cette époque.

Messieurs, l’honorable membre s’est défié de mon travail ; il a eu raison ; j’invite tous mes honorables collègues à l’examiner avec défiance ; moi-même je m’en défie, et je serais un insensé si, dans des intérêts si graves, je venais, je dirai avec effronterie, soutenir que je n’ai pas pu me tromper. Je crois, messieurs, que ce caractère accompagne toujours l’homme de bonne foi, lorsqu’il a à examiner des intérêts très graves. Dans des questions bien moins importantes, je me défie de moi ; à plus forte raison dans une question d’une aussi haute portée que celle, je ne dirai pas de la constitution de l’armée, mais des fonds à lui allouer et qui peuvent plus ou moins affecter son organisation.

L’honorable député de Bruges a semblé vouloir jeter un petit vernis de ridicule sur la proportion du huitième de l’armée française adoptée pour base du travail de la section centrale. Il vous a parlé d’un huitième des douaniers, d’un huitième des magistrats et peut-être encore d’autres huitièmes qui m’ont échappé.

Certainement, si je voulais organiser la douane, si je voulais organiser l’ordre judiciaire en suivant des proportions pareilles, je ferais un travail qui pourrait être souverainement ridicule ; ce serait un travail qui, s’il était bon, ne devrait sa bonté qu’au pur effet du hasard.

Mais, messieurs, ici encore j’ai lieu de douter que mon honorable collègue se soit donné la peine de lire le rapport ; il y aurait vu qu’on y adoptait la base du huitième à peu très pour les cadres, parce que les cadres devaient être en proportion avec les hommes à y faire entrer, et que notre levée de milice étant chaque année du huitième du contingent français, nous avons cru que le huitième des cadres devait également suffire, j’ajoutai dans le rapport que la durée du service était à peu près la même dans les deux pays. Messieurs, pour vous éclairer complément sur ce point, je vous dirai qu’aux termes de l’art. 30 de la loi du 21 mars 1832, qui règle aujourd’hui la levée des recrues et la durée du service en France, cette durée du service est de sept ans, mais qui se réduisent à trois ou quatre ans. Chez nous, la durée du service est de huit ans, durée qui, aux termes de la loi, se réduit à une obligation de quatre ans seulement.

Messieurs, il ne s’agit pas dans un intérêt aussi grave de se diviser en majorité et en minorité, en ministériels et en opposition. Il faut, et je crois que c’est ce que nous avons fait, imiter l’exemple de ce qui se passe dans le parlement anglais, exemple que nous a très bien rappelé l’honorable membre. Quand il s’agit de la flotte, quant il s’agit de la marine, il n’y a plus dans le parlement anglais ni whigs ni tories. Quand il s’agit de l’armée en Belgique, il ne doit y avoir ni catholiques, ni ministériels, ni membres de l’opposition. Les questions qui nous sont soumises sont des questions rigoureusement appréciables, ce sont, je dirai des questions mathématiques ; tout ce qui tient à la guerre est fondé sur la science des nombres, et les nombres ne se prêtent pas aux distinctions de parti.

Messieurs, une observation qui a été faite par l’honorable membre, notamment pour l’artillerie, c’est que je n’avais pas tenu compte du développement des côtes en France. Mais, lorsque j’ai proposé mes calculs de réduction pour l’artillerie, je ne me suis plus tenu au huitième, j’ai admis le cinquième à peu de choses près.

Messieurs, dons ce moment mes idées sont un peu troublées ; j’ai vu l’honorable membre prendre des notes, je suppose qu’il reviendra sur ce qu’il a dit ; je lui répondrai plus amplement plus tard.

M. Verhaegen. - Messieurs, tout le monde paraît d’accord sur les principes qui ont été si bien développés par l’honorable M. Devaux ; la controverse ne porte, que sur l’application qu’on veut en faire, et il s’agit de choisir entre le système du gouvernement et celui de la section centrale.

Les observations faites par l’honorable M. Demonceau en réponse au discours de l’honorable M. Devaux tendent directement à prouver que les conclusions de la section centrale sont inadmissibles. En effet, M. Demonceau a combattu l’objection principale de l’honorable M. Devaux en soutenant qu’il ne s’agit, pour le moment que d’un budget annal et, par suite, d’une mesure purement provisoire. Que les grandes questions politiques qui ont été traitées aujourd’hui ne seraient réellement à l’ordre du jour que lorsque les chambres, par suite d’un projet qu’il est du devoir du gouvernement de présenter, auraient à s’occuper de l’organisation de l’armée.

La réponse de l’honorable M. Demonceau eût été bonne si nous n’avions pas actuellement une armée, mais elle est mauvaise parce qu’il existe des cadres établis que l’on veut rompre, sous le prétexte de faire du provisoire en attendant la loi d’organisation ; ne nous y trompons pas, d’après le projet de la section centrale on met de côté près de mille officiers.

M. Brabant, rapporteur. - Il importe de rectifier immédiatement ce chiffre ; il ne s’agit pas de renvoyer mille officiers. M. le ministre de la guerre demande d’une manière permanente 2.500 officiers ; la section centrale lui en alloue 2,000 et quelques-uns. M. le ministre de la guerre reconnaît avoir en trop 253 sous-lieutenants ; par conséquent, c’est 753 officiers qui sont mis en disponibilité.

M. Verhaegen. - Soit, mes observations restent les mêmes. Ainsi la section centrale, d’après ce que vient de dire l’honorable M. Brabant, nous propose de mettre en disponibilité 753 officiers. Voilà donc les conséquences immédiates de ce travail provisoire qui, d’après l’honorable M. Demonceau, ne doit porter aucun préjudice à notre organisation militaire. Au lieu de laisser les choses dans l’état où elles sont, on veut commencer par y apporter un changement notable, on veut désorganiser en attendant une organisation.

Certes il faut une loi d’organisation. Moi le premier, je m’associe à mes honorables collègues pour la demander au gouvernement, et j’adopte toutes les raisons qu’a fait valoir mon honorable ami M. Orts, pour en démontrer la nécessité ; mais est-ce à dire que, parce que le gouvernement est en défaut de nous présenter cette loi, il faille saper l’armée par sa base ? Je conviens que le ministère méritait des reproches de la part de la législature ; aussi, si la section centrale s’était bornée à des reproches, je me serais bien gardé de combattre son travail ; mais refuser le budget, condamner l’armée parce que le ministère est en faute, c’est à quoi je ne veux pas donner les mains.

L’honorable M. Brabant, messieurs, vient de nous présenter une thèse qui, dans d’autres temps, n’aurait eu aucune chance de succès. Il y a progrès dans la marche du parlement belge !

L’honorable rapporteur de la section centrale nous a dit, il n’y a qu’un instant, que le ministère ayant forfait à son devoir, en ne présentant pas une loi d’organisation militaire, il n’avait plus la confiance de la chambre et que le meilleur moyen de le forcer à se retirer était le refus des subsides, le rejet du budget. Si nous, siégeant sur les bancs de la gauche dans une position semblable, nous nous étions permis naguère de vous présenter un pareil système, de quelles accusations n’aurions-nous pas été l’objet de la part des amis de l’honorable M. Brabant ? Nous aurions été signalés comme des hommes antigouvernementaux, voire même comme des démolisseurs, on nous aurait prodigué toute sorte d’épithètes et on aurait fini par nous dire que les mœurs du pays n’admettent pas ce moyen extrême ; et en effet, messieurs, je ne pense pas que, sous le gouvernement belge, on en soit jamais venu à rejeter le budget pour faire tomber un ministère.

Un membre. - On a essayé.

M. Verhaegen. - Oui, on a essayé, mais en vain, et dans tous les cas, ce n’est pas à nous qu’on peut reprocher cet essai.

L’honorable M. Brabant veut employer, contre le cabinet actuel, un moyen que ses amis ont tenté autrefois contre le cabinet Lebeau ; je dis contre le cabinet actuel, car M. Nothomb et ses collègues ont pris fait et cause pour M. le ministre de la guerre, et le refus des subsides pour l’armée, qui est la première institution du pays, devrait nécessairement amener la retraite de l’être moral appelé ministère ; c’est ainsi d’ailleurs que l’a entendu l’honorable M. Demonceau, qui reprochait tantôt à l’honorable M. Lebeau le fait de son ancien collègue de la guerre, le général Evain, preuve irrécusable de la solidarité entre tous les membres d’un même cabinet pour un acte aussi important que le budget de la guerre.

Ce ne sera plus à nous qu’on pourra reprocher dorénavant une opposition systématique. Certes, le ministère actuel est bien loin d’avoir nos sympathies, mais pour le renverser, nous ne voulons pas donner les mains à un acte nuisible au pays et à l’armée, nous ne voulons pas arrêter les rouages gouvernementaux, nous ne voulons pas enfin entrer dans une voie que, d’après nos adversaires eux-mêmes, nos mœurs semblent proscrire.

L’honorable M. Brabant veut la chute d’un ministère qui n’a plus sa confiance. Il y a un moyen bien simple de nous mettre d’accord avec lui, puisque nous aussi nous ne voulons pas du cabinet actuel, que l’honorable M. Brabant et ses amis prennent la voie qu’ils ont prise en 1841, qu’ils fassent une adresse au Roi pour demander le renvoi du ministère et les premiers nous y apposerons nos signatures ; ainsi toutes les nuances d’opinions disparaîtront, au moins momentanément, et la chambre tout entière s’adressera au chef de l’Etat pour le supplier de faire choix d’autres conseillers.

En attendant, gardons-nous bien de disloquer l’armée et de lui faire payer la faute du gouvernement. Encore une fois, je veux une loi qui organise notre état militaire, je blâme le ministère de ne pas nous l’avoir présentée jusqu’à présent ; je consens même à demander son renvoi, pour que cette organisation, si longtemps négligée, puisse se faire par d’autres dans l’intérêt même de l’armée, qui doit sortir une fois de cette position précaire ; mais je ne puis pas consentir à ce qu’après quatre mois d’exercice, on vienne, contrairement aux prévisions, arrêter les rouages gouvernementaux.

Et puis encore, si le projet de la section centrale venait à être adopté, comment donc s’opérerait la mise en non-activité ou la mise en disponibilité des 753 officiers que l’on veut sacrifier ? Quels seront ces officiers ? Qui va décider de leur avenir ? Décimera-t-on les cadres par la voie du sort ? ou bien fera-t-on des catégories, et, en ce cas, commencera-t-on par les plus anciens ou par les plus jeunes, d’après la date des nominations ? Préférera-t-on les régnicoles aux étrangers non-naturalisés ? Laissera-t-on sur ce point toute latitude au gouvernement ? Et ici j’interpelle formellement l’honorable rapporteur de la section centrale, car il faut bien qu’il nous dise quel sera le sort d’une grande partie de nos officiers.

S’il n’y a pas au préalable une loi d’organisation, ce sera donc le gouvernement qui sera le souverain arbitre ; eh bien, c’est ce que je ne veux pas. Je ne veux pas qu’il puisse dépendre du caprice d’un ministre de la guerre de mettre de côté 753 officiers, sans avoir à suivre aucune règle et sans que la législature lui ait assigné quelque limite.

J’ai entendu dire, dans la discussion, que la plupart des officier désiraient d’être mis en disponibilité avec les 2/3 de leur solde. On est même allé jusqu’à prétendre que nous contrarions des intérêts individuels, en demandant le maintien de l’armée sur le pied actuel ; mais je n’ai pas été dupe de ces précautions oratoires ; j’ai trop bonne opinion de l’esprit militaire en Belgique, j’estime trop les officiers de notre armée pour croire qu’ils soient disposés à sacrifier des questions d’honneur à des questions d’argent. J’apprécie trop bien mes compatriotes pour ne pas être convaincu que jamais l’intérêt matériel ne l’emportera chez eux sur l’intérêt moral. D’ailleurs, pour moi, des intérêts individuels n’entrent pas en ligne de compte.

Je reviens, messieurs, à l’observation que je faisais tantôt, et je prie M. le rapporteur de s’expliquer catégoriquement sur la manière dont se fera l’épuration des cadres. Quant à moi, je ne veux pas, dans tous les cas, que cette épuration soit abandonnée au gouvernement. Il y a déjà trop d’arbitraire, pour ne rien dire de plus, dans la loi de 1836 ; nous avons vu malheureusement mettre des officiers supérieurs et autres en non-activité, en disponibilité, sous les plus vains prétextes. Ces officiers demandent, depuis longtemps, des enquêtes, des mises en jugement, et on ne veut pas écouter leurs réclamations. Eh bien, je ne veux pas, moi, augmenter encore l’arbitraire effrayant de la loi de 1836, en accordant au gouvernement le droit de sacrifier, comme il l’entend, 753 officiers de notre armée, s’il faut un jour en venir à cette dure nécessité, il faudra décider, avant tout, quelle règle on suivra à cet égard, il faudra que l’on sache au préalable si l’on prendra ces officiers parmi les plus jeunes, parmi les régnicoles ou parmi les étrangers non naturalisés.

D’après toutes ces considérations, messieurs, je crois rester dans les véritables limites en votant la somme demandée par le gouvernement en attendant que nous en venions à une organisation définitive, et que nous prenions les mesures peur y forcer le gouvernement.

M. Demonceau. - Messieurs, le discours que vous venez d’entendre est encore un de ceux qui appuient le ministère de la guerre pour faire opposition au gouvernement. Aujourd’hui le gouvernement est nanti d’une loi dont il peut faire usage pour mettre une partie des officiers en disponibilité, et cependant l’honorable membre voudrait qu’il n’en pût être ainsi ; il ne croit pas, dit-il, que l’armée puisse être décimée par le gouvernement, il défend donc l’armée, c’est-à-dire, les officiers contre le gouvernement, qu’il dit appuyer.

Pour moi, je crois être d’accord avec l’honorable membre sur ce point, je ne veux pas plus que lui la désorganisation de l’armée ; je veux au contraire qu’on l’organise. L’on prétend l’organiser en la laissant sur le pied actuel ; mais c’est précisément ce que le gouvernement ne reconnaît point, puisque lui-même propose de sacrifier 250 officiers environ. Ainsi le sacrifice entre le gouvernement et la section centrale ne diffère que du plus ou moins. Qu’on ne dise donc pas qu’il y a organisation, car la base fondamentale, qui est la loi, manque, de l’aveu même de l’honorable préopinant. Maintenant je lui demanderai, puisque nous paraissons d’accord, quel est, dans les gouvernements représentatifs, le meilleur moyen à employer pour obtenir une loi organique qu’on désire ? C’est, selon moi, de refuser les crédits qui tendent à maintenir le statu quo.

Eh bien, savez-vous, messieurs, comment procède l’honorable préopinant, qui veut, dit-il, l’organisation légale de l’armée ? Il commence par donner tout ce que demande M. le ministre de la guerre. Mais à ces conditions, honorable collègue, vous serez toujours d’accord avec M. le ministre. Croyez-moi pour mon compte, ce n’est pas ainsi que je comprends ma position comme membre de la chambre ; lorsque je crois que le gouvernement se trompe, je lui dis toute ma pensée, si je me trouve dans la minorité, je m’en console ; depuis que je siège dans cette enceinte j’ai été aussi souvent dans la minorité que dans la majorité. Aujourd’hui le gouvernement, quoiqu’on en dise, a proposé une organisation définitive que je ne puis appuyer, et dans l’alternative où je me trouve, je dois me décider pour la section centrale ; je viens de m’en expliquer plus amplement.

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Messieurs, le chiffre des cadres de l’infanterie a été l’objet d’observations et de comparaisons que je dois déclarer inexactes, quant aux conclusions qui en ont été tirées. Pour arriver à en administrer la preuve, je commencerai par rétablir la question sur son véritable terrain.

En Belgique, les cadres de l’infanterie sont et doivent être destinés à recevoir au besoin 60,000 hommes. Afin d’atteindre ce résultat, il est impossible de songer à réduire le nombre des bataillons actuellement existant, lequel est de 65, puisqu’à raison de 900 hommes chacun, l’on n’obtiendra encore que 58,500 hommes.

Cette nécessité de conserver autant de cadres est une des conséquences indispensables de notre position de neutralité armée. Nous ne pouvons pas songer à des augmentations au-delà du taux strictement nécessaire pour la défense de nos frontières. Mais, par contre, nous devons, en toutes circonstances, être prêts à les faire respecter, en présentant à celui qui tenterait de les violer, des cadres d’une consistance telle que le pays puisse se reposer sur eux avec une entière confiance.

Néanmoins, comme il importait de mettre notre état militaire en rapport avec les ressources dont pouvait disposer le département de la guerre, j’ai pris l’initiative, en opérant les seules réductions que j’aie reconnues compatibles avec la responsabilité qui m’incombe.

Ces réductions, présentées par l’honorable rapporteur sous la forme de l’unité, quant aux sous-lieutenants, s’élèvent au chiffre de 294 officiers de ce grade, pour 49 bataillons actifs.

Une autre réduction, tout aussi sensible, est celle de deux compagnies par chaque bataillon de réserve, et donne pour résultat la suppression de 32 emplois de capitaine, d’autant de lieutenants et du même nombre de sous-lieutenants. Ce chiffre de 96 officiers, ajouté à celui précité de 294, donne donc pour l’arme de l’infanterie seule une suppression de 390 officiers.

Examinant maintenant les propositions de la section centrale, nous trouvons que cette réduction, qui comporte le quart des officiers de compagnie dans les bataillons actifs, et le tiers des bataillons de réserve, ne suffit pas, et l’on admet en principe que 3 officiers devant suffire à une compagnie. Le chiffre de 3 reproduit 4 fois donnera l’effectif nécessaire en officiers pour encadrer les 4 compagnies dont se composerait le bataillon.

Or, messieurs, en France, le bataillon sur pied de guerre, 8 compagnies de 100 hommes, à raison de 3 officiers par compagnie, c’est-à-dire 24 officiers ; et en Prusse, 4 compagnies par bataillon comptent 20 officiers, ou 5 par compagnie.

Vous voyez donc que la section centrale prend en France le nombre d’officiers, et en Prusse la composition des compagnies, système fort facile, sans doute, mais qui est peu en harmonie avec la nécessite éventuelle d’une organisation, même sur le pied d’observation.

En effet, s’il a été reconnu que les éléments de l’armée permettaient de reconstituer les cadres des compagnes de réserve totalement supprimées, et de pourvoir aux vacances d’emplois résultant de la réduction des sous-lieutenants à un seul, il serait téméraire de supposer que le dédoublement de ces cadres soit chose humainement possible.

J’ajouterai que les cadres de la section centrale, réduits comme ils le seraient, présenteraient les plus grands inconvénients, non seulement sous le rapport des manœuvres, lors de l’appel des permissionnaires, mais encore sous celui du service, et notamment du service de garnison, qui déjà aujourd’hui est des plus pénibles pour nos sous-officiers.

Je pense donc que la réduction du quart des officiers de compagnie, en laissant subsister les sous-officiers tels qu’ils existent, permet une économie notable, en rapport avec le système de défense du pays et les ressources en jeunes gens capables d’occuper, à l’occasion, les vacances sur pied de paix.

Abordant la comparaison tirée de la situation de l’armée française de 1832, destinée à agir en Belgique, ainsi que de l’armée de l’Algérie, je ferai observer à la chambre que le chiffre de 2,400 officiers, pour 65 mille hommes que comptait la première de ces armées, était bien un complet d’organisation à la veille d’entrer en campagne, mais qu’il ne comprenait, d’un autre côté, aucune des non-valeurs que donnent les dépôts des corps, l’instruction des recrues, les employés et détachés auprès des diverses administrations, les commandements territoriaux de provinces, de places, les établissements divers, les écoles, etc.

La même observation se représente avec plus de force encore en Algérie, qui ne reçoit que des troupes tout exercées et qui, offrant, d’un autre côté, des calculs faciles à suivre, puisque les compagnies d’infanterie n’excèdent pas le chiffre de cent hommes, au lieu de quatre-vingts qui forment le pied de paix, a, en revanche, des légions étrangères dont l’effectif est variable et par conséquent difficile à déterminer.

Il est néanmoins vrai que cet effectif dépasse de beaucoup celui des corps réguliers, et en atteint parfois le double. En effet la différence du pied de paix avec le pied de guerre étant, par compagnie, de 20 hommes et chaque bataillon comptant 21 officiers pour 7 compagnies, ou 24 pour 8 compagnies, il est facile de se rendre compte de la proportion qui existe entre les troupes de cette arme et les officiers qui les commandent, et je ne pense pas que l’argumentation que l’on a voulu diriger contre nous, puisse avoir la moindre portée. Ce calcul, appliqué à la cavalerie, à l’artillerie et aux troupes du génie, de formation régulière, donnera nécessairement les mêmes résultats ; et il faut donc admettre que le chiffre élevé de troupes en Algérie, peu connu au surplus, doit avoir des causes que je crois avoir indiquées.

Une autre comparaison, posée dans la séance d’hier (31 mars) par l’honorable rapporteur, est celle des garnisons d’infanterie avant la révolution, avec leur situation présente.

Il a cru plus que suffisant le chiffre de 20,472 hommes que nous accorde le projet de la section centrale.

Or, voici à cet égard des renseignements très positifs.

Les villes ci-après dénommées n’avaient pas de garnisons avant la révolution de 1830, sous le gouvernement des Pays-Bas, et les chiffres qui se trouvent à côté de chaque nom, indiquent la force des troupes qui sont aujourd’hui dans ces places (nombre de compagnies d’infanterie) :

Courtray, 3

Turnhout, 1

Hoogstraeten, 1

Fort-Ste-Marie, 1

Lierre, 1

Diest, 3

Hasselt, 6

Camp de Beverloo, 8

St-Bernard, 3

Total, 27 compagnies,

Or, 27 compagnies égalent 4 bataillons et demi ou 1,800 hommes.

Ajouter augmentation de garnison pour :

Arlon, 200 hommes ;

Bouillon 200 hommes ;

Dinant 100 hommes ;

Vilvorde 150 hommes ;

Alost 150 hommes :

Pour le service du chemin de fer, 103 hommes de service par jour, ou 515 hommes par an, pour leur donner quatre nuits franches. 515 id.

Total. 3,115 hommes.

Si l’on ajoute à ce chiffre l’augmentation d’effectif des garnisons de Bruxelles, Gand, Liège et Anvers, on trouvera :

Bruxelles, au lien de 3 bataillons il y en a 6 donc 3 en plus, soit 1,200 hommes

Gand, au lieu de 3 bataillons il y en a 7 donc 4 en plus, soit 1,600 hommes

Liège, au lieu de 3 bataillons, il y en a 5, donc 2 en plus, soit 800 hommes

Anvers, au lieu de 3 bataillons, il y en a 6, donc 1 en plus, soit 400 hommes.

Total général en plus, 7,115 hommes.

L’augmentation de ces différentes garnisons est facile à justifier :

Arlon est devenu chef-lieu de province.

Bouillon est la deuxième ville de garnison de la province de Luxembourg, qui se trouve, sous ce rapport, dans une position plus désavantageuse que les autres provinces du royaume.

Dinant, effectif nécessaire pour garder les hommes détenus à la compagnie de discipline.

Vilvorde, effectif nécessaire pour garder les détenus de la maison de détention.

Alost, même motif.

St-Bernard, même motif.

Bruxelles, permanence de la Cour, détachement à fournir à Laeken, accroissement considérable de la population, siège du gouvernement, etc., etc.

Gand, Liége et Anvers, accroissement de la population, répression de toute manifestation propre à troubler l’ordre dans cette nombreuse classe d’ouvriers que le commerce et l’industrie y ont rassemblés.

Si donc il fallait, sous le gouvernement des Pays-Bas 14 afdelings et 2 bataillons de grenadiers et voltigeurs, d’un effectif total de 15,000 hommes d’infanterie, il est évident, d’après cet exposé, qu’il faut aujourd’hui 22,000 hommes de la même arme.

Messieurs, avant de fixer les bases de l’organisation, j’ai voulu m’éclairer des investigations des chefs de l’armée, pris parmi les plus compétents par leur expérience et leurs talents. Le rapport de cette commission m’a guidé dans mon travail. L’honorable rapporteur, quoiqu’il semble insinuer le contraire, doit avoir connaissance du rapport en question, car j’en ai donné lecture dans le sein de la section centrale, je n’ai passé que ce qui était étranger à l’organisation. J’ai même offert à ces messieurs de leur donner de plus amples renseignements dans mon cabinet ; si donc ils ne sont pas suffisamment instruits, ils ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes.

Je dois déclarer en outre que, dans mon intime conviction, le travail qui vous est soumis est approprié aux besoins du pays, et que les réductions proposées par la section centrale auraient pour résultat d’entraîner une désorganisation complète de l’armée. Messieurs, je ne prendrai pas sur moi une semblable responsabilité.

M. Savart-Martel. - Je n’avais pas dessein de prendre la parole sur cette matière, qui excède mes connaissances, car je suis essentiellement pacifique, mais la position où se trouve la chambre m’engage à dire quelques mots.

Dans mon opinion, c’est la loi qui doit organiser l’armée ; je ne forme à cet égard aucun doute.

Suivant le ministère, il y aurait lieu à congédier dès à présent 250 officiers. Suivant la commission centrale on devrait en congédier 700, et tout cela par provision.

Or, ainsi qu’on nous l’a prouvé, une dislocation provisoire présente des inconvénients d’une nature si grave que je ne puis jamais l’admettre.

Sans doute il serait utile d’appeler le concours des lumières de tous les officiers, pour nous éclairer sur une matière aussi grave, mais on sait qu’en général nos officiers sont tenus sévèrement par les règlements ministériels, et peut-être leur imputerait-on à grief les idées qu’ils nous suggéreraient.

Si la chambre partageait mon opinion, on arrêterait la discussion actuelle. On inviterait le ministère à nous présenter sous quelques semaines un projet d’organisation définitive, et le budget en serait la suite.

Cette demande d’organisation définitive, je la demande dans l’intérêt du pays, dans l’intérêt de l’armée même, car le provisoire nuit à l’un et à l’autre.

Dans l’intervalle on allouerait au ministère un crédit à titre de provision ; et l’on réunirait la chambre dans quelques semaines pour s’occuper spécialement de cette grave question de l’organisation de l’armée, et s’il était possible on s’occuperait aussi de divers objets arriérés, dont nous ne pouvons plus reculer la discussion.

On m’objecte que sous peu doivent avoir lieu des élections, mais rien ne nous empêcherait de siéger avant ou même pendant les élections.

Nous ferions ainsi notre devoir, pendant que les électeurs feraient le leur ; les élections sont l’affaire des électeurs et non celles des représentants.

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Messieurs, je dois répéter qu’en inscrivant au budget la composition normale qu’il convenait, selon moi, de donner à l’armée, je n’ai été mu que par de hauts intérêts de bien public, sans que j’ai eu l’intention de préjuger la question constitutionnelle. Cette question est réservée.

M. de Mérode. - (Note pour cette version numérisée : le Moniteur annonçait que le discours de F. de Mérode serait publié dans un numéro postérieur. Ce discours n’a pas été retrouvé.)

M. Delehaye. - Si l’on prononce la clôture, il est entendu que lundi je serai toujours à même de faire une interpellation à M. le ministre de la guerre ; à moins qu’on ne me permette de la faire dès à présent. (Parlez, parlez.)

Messieurs, j’ai grande confiance dans les paroles de M. le ministre ; quand il affirme un fait, je ne le mets jamais en doute. Cependant j’ai appris d’une manière assez positive que la commission nommée par le gouvernement pour examiner les mesures à prendre pour l’armée, ne pourrait pas agir dans un cercle illimité, et ne devait qu’émettre son avis sur des questions qui lui étaient posées. Je demanderai à M. le ministre s’il y aurait quelqu’inconvénient à imprimer les questions qui avaient été posées à cette commission.

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Elles sont imprimées ; je les ai lues hier.

M. Delehaye. - La commission n’était-elle pas obligée de respecter les cadres tels qu’ils existaient pour l’infanterie ? M. le ministre n’avait-il pas dit que les cadres pour l’infanterie seraient maintenus ?

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - La commission devait se prononcer sur le chiffre total de l’armée, sur sa composition en différentes armes, la division de ces armes et la formation organique des corps ; elle devait remédier à l’inconvénient d’avoir des compagnies trop faibles en soldats, elle pouvait adopter ou la composition française du bataillon, ou celle de la Prusse. Les questions qui ont fait l’objet de ses investigations se trouvent au Moniteur. On verra quelle était l’étendue de sa mission.

M. Rogier. - Le il n’a pas donné la séance...

M. Delehaye. - Mais quand aux cadres ! La commission était obligée de respecter les cadres.

M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Je vous demande pardon.

M. Delehaye. - Je regrette que les questions dont M. le ministre a donné lecture, n’aient pas encore été reproduites dans le Moniteur ; mais demain nous pourrons les examiner, et lundi nous aurons une opinion à cet égard.

- La séance est levée à 5 heures.