(Moniteur belge n°92, du 2 avril 1843)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et quart.
M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Renesse analyse les pétitions suivantes.
« Le sieur Jean Nuyens, soldat au 9ème régiment de ligne, demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Plusieurs marchands de houblon d’Alost présentent des observations concernant la pétition des cultivateurs de houblon de diverses communes. »
- Renvoi à la commission permanente d’industrie.
« Plusieurs militaires pensionnés avant la révolution du chef de cécité contractée au service, prient la chambre de leur accorder dans le budget de la guerre la même augmentation de pension que celle qu’ont obtenue, depuis 1830, leurs compagnons d’infortune. »
Renvoi à la commission des pétitions et dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.
Par deux messages du 30 mars, le sénat informe la chambre qu’il a adopté : 1° le projet de loi sur les droits de sortie ; 2° le projet de loi sur la répression de la fraude en matière de douane.
Pris pour notification.
M. de Garcia (pour une motion d’ordre). - Messieurs, la fin de la séance d’hier, un incident s’est élevé dans cette assemblée. Je regrette de m’être trouvé absent dans ce moment, je le regrette d’autant plus que je n’ai pas trouvé le discours de M. le ministre de la guerre dans le Moniteur de ce matin.
Il m’a été rapporté que dans tout le discours qu’a prononcé hier M. le ministre de la guerre, l’honorable préopinant avait été considéré comme l’auteur exclusif du rapport sur le budget du département de la guerre.
Je n’avais pas besoin des paroles prononcées par M. le ministre pour être convaincu que telle est la pensée qui le domine. Il suffit de jeter les yeux sur le mémoire que M. le ministre de la guerre a fait distribuer avant-hier soir à tous les membres de la chambre. A toutes les pages de ce mémoire, l’ouvrage de la section centrale est signalé comme l’ouvrage unique de l’honorable M. Brabant.
Messieurs, à part ce qu’une semblable conduite a de contraire aux usages parlementaires, aux droits de la prérogative de la chambre, cette assertion est une inexactitude, je pourrais dire quelque chose de plus, mais je veux toujours conserver un langage digne, un langage conforme aux règles des convenances.
Messieurs, le rapport fait par l’honorable M. Brabant est l’œuvre de la section centrale tout entière ; chacun des points a été discuté et adopté en section centrale, et tous les membres de la section ont pris part à cette discussion. Je proteste donc formellement et contre les suppositions et les insinuations faites à cet égard par M. le ministre de la guerre.
Messieurs, cette conduite, je n’hésite point à la caractériser, est de la part d’un ministre une violation des droits de la représentation nationale. Il ne peut avoir le droit de transformer l’opinion d’une section centrale en une opinion tout à fait personnelle au rapporteur. On porte ainsi une atteinte évidente aux droits de la représentation nationale, on blesse les droits de la chambre, car enfin la section centrale se compose des hommes qui ont la confiance de la chambre, et qui ont la mission d’aller défendre sa pensée en section centrale. S’ils ne le faisaient pas, ils manqueraient à leurs devoirs, et c’est manquer à la chambre que de supposer que nous ne remplissons pas nos devoirs.
Il est un autre fait qui a été avancé par M. le ministre de la guerre et que je dois rectifier : M. le ministre prétend que, d’après les discours que l’honorable M. Brabant et moi avons respectivement prononcés dans une séance précédente, nous serions en désaccord sur l’organisation.
Cela n’est pas exact, messieurs, nous ne sommes pas en désaccord, l’honorable M. Brabant et moi. Que vous a dit l’honorable rapporteur dans une séance précédente ? Il vous a dit qu’avec le système qui est indiqué par la section centrale, ou plutôt avec les simples données qui sont énoncées dans le rapport on pouvait incontinent réunir dans les cadres une armée de 50,000 hommes. Mais cela ne signifie pas que l’honorable M. Brabant, qui a émis cette idée, ne conçoive pas qu’on réunisse les 80,000 hommes qui forment le contingent annuel de l’armée ; tout ce que l’honorable rapporteur a voulu dire en s’exprimant comme il a fait, c’est qu’incontinent on peut avoir 50,000 hommes sous les armes avec les cadres proposés par la section centrale, mais cette idée n’est en aucune manière un obstacle à ce que dédoublant une partie des cadres, l’on ne réunisse une armée de 80,000 hommes, conforme au contingent actuel, qui, à mes yeux, n’a qu’un défaut, c’est d’être trop élevé. Je partage donc entièrement l’opinion de l’honorable M. Brabant ; ainsi il n’y a nul désaccord entre notre manière de voir. Dès lors, je proteste encore ici contre l’assertion inexacte de M. le ministre de la guerre
Ce n’est pas tout. Je dois encore protester contre des suppositions, contre des insinuations émises dans le mémoire auquel j’ai déjà fait allusion. Je dois protester contre un mémoire qui, je dois trancher le mot et nommer les choses par leur nom, n’est qu’un libelle contre l’honorable M. Brabant, rapporteur de la section centrale, mais dont je dois prendre ma part, puisque je m’associe complètement à ce rapport.
M. Rogier. - Vous traitez bien MM. les ministres.
M. de Garcia. - Je dis que c’est un véritable libelle, et je vais vous en fournir la preuve. Je dis plus : le mémoire contient des suppositions, des insinuations désastreuses pour le pays, désastreuses pour la discipline militaire. Pour le prouver, je me bornerai, à vous donner lecture des conclusions de ce mémoire. Vous pouvez vous-même apprécier la portée des idées qui y sont émises, et qui ne sont qu’une menace, une mesure d’intimidation pour la représentation nationale. M. le ministre de la guerre ne dira pas sans doute que le mémoire n’est pas son ouvrage ; il m’a été remis par un soldat, et déjà il l’a reconnu comme sien.
Voilà les conclusions de ce document qui confirment de tout point ce que j’ai eu l’honneur d’avancer :
« Il ne faut pas se le dissimuler, les propositions de M. le rapporteur de la section centrale auraient pour résultat immédiat, si elles venaient à être adoptées par les chambres :
« 1° La désorganisation complète de l’armée, qui ne serait plus qu’un grand corps informe, immobile, impassible, avec lequel on ne compterait pas. »
N’est-ce pas insinuer que l’armée pourrait manquer à ses devoirs ? Avec laquelle on ne compterait pas !... et c’est du chef du département de la guerre que part une semblable insinuation !
Je continue :
« 2° Le découragement de mille officiers (pour ne pas dire de l’armée entière) dont la carrière serait brisée, que l’oisiveté achèverait de perdre ; de mille officiers qui, depuis 12 ans, donnent au pays des gages de dévouement et de fidélité ; de mille officiers qui croyaient pouvoir compter sur le pays, comme le pays comptait sur eux. »
Messieurs, dans cette conclusion du mémoire, vous voyez qu’il n’y a qu’une chose : on met du côté les intérêts du pays ; si les mille officiers dont on parle n’étaient pas nécessaires dans l’intérêt général, on les maintiendrait par les considérations qui sont émises dans le rapport de M. le ministre de la guerre. Eh bien, je dis que poser un acte semblable, ce serait porter une atteinte très grave aux intérêts de la nation. Tous les pays qui se sont trouvés dans une position analogue à la nôtre, ont été obligés de congédier une partie de leurs officiers, lorsque la guerre était finie, et que le temps était venu d’assurer au peuple les douceurs du véritable état de paix.
Continuons la lecture des conclusions :
« 3° Une fin funeste, et que pourtant on espérait heureuse, à ces alternatives qui se renouvellent sans cesse, à ces alternatives de suppressions, de diminution, d’expulsions, qui font de l’état militaire, en Belgique, un état des plus précaires et des moins enviables. »
Que vous propose la section centrale ?’ Elle vous propose précisément de prévenir tous ces inconvénients. C’est à ce point de vue qu’elle vous demande une loi organique de l’armée. Elle veut assurer le sort des officiers. Elle désire qu’on tienne compte aux officiers des services qu’ils rendent à la patrie. Et à voir l’usage que M. le ministre de la guerre a fait jusqu’aujourd’hui de la loi de 1836 sur la position des officiers, la loi organique de l’armée devient plus nécessaire qu’elle n’aurait pu paraître d’abord. Il sera même indispensable de réviser la loi sur la position des officiers. Cette loi est des plus vicieuses ; car enfin la mise à la retraite de l’officier, la mise à l’état de réforme est une chose déplorable, par suite du découragement qu’elle répand dans l’armée. Oui, messieurs voilà une loi qui est de nature à jeter et à maintenir le découragement dans l’armée. L’officier pour qui l’honneur est la chose la plus précieuse se trouve mis dans une position dégradante sans qu’il soit admis à s’enquérir des causes qui ont provoqué sa disgrâce. Oui, messieurs, je le dis avec conviction, si j’avais encore l’honneur d’être militaire, je préférerais cent fois être destitué à subir l’humiliation d’une semblable position. Je le répète, c’est là le germe le plus fécond de découragement dans l’armée.
Je continue la lecture des conclusions de mémoire. Il y a un quatrième résultat que je dois signalez. Je finirai par là :
« 4° Et pour finir, la destruction de la seule garantie qui soit réelle et qui ne manque jamais, de la garantie la plus précieuse des nations braves : celle de pouvoir compter sur son épée. »
Comment, M. le ministre, avez-vous pu supposer que nous ne comptions pas sur l’épée de notre armée !
N-est-ce pas là une injure pour la chambre et une injure pour l’armée ? Quel est le véritable honneur d’une armée ? L’obéissance et le devoir, la soumission aux lois ; et le jour où l’armée cessera de mettre son honneur dans l’accomplissement de ces devoirs, il n’y a plus de liberté, de gouvernement constitutionnel. Je ne connais pas de principe d’honneur au-dessus de ceux que je viens de signaler. La bravoure est commune à tous les hommes. La chose la difficile pour une armée, ce qui fait son véritable honneur, c’est le dévouement à la patrie et l’obéissance aux lois.
Il m’a été impossible de voir ces insinuations, sans protester formellement dans l’intérêt des droits de la chambre et des principes constitutionnels.
Je proteste donc à la face du pays. Je proteste en déclarant que nous voulons le bien de l’armée, mais sans méconnaître et sans laisser de côté les intérêts du peuple. Toutes les propositions de la section centrale ont pour but unique une bonne organisation de l’armée, appropriée avec les hauts intérêts de la nation.
C’est ce qui me fait insister pour obtenir cette loi d’organisation que la section centrale provoque. J’ai été étonné d’entendre, l’une des dernières séances, des orateurs, même des jurisconsultes, soutenir qu’en présence des termes de la constitution, c’était une question que de savoir si une loi était nécessaire pour organiser l’armée.
Messieurs, la chose n’est plus entière, elle a été décidée par le pouvoir législatif. Il me suffira, pour prouver ce point, de donner lecture d’une partie des débats de la loi à laquelle je fais allusion, et de vous citer les considérants mêmes de cette loi.
M. Verhaegen. - Je demande la parole pour un rappel au règlement Ce n’est plus là une motion d’ordre, c’est prendre le tour de parole d’un autre orateur. Je demande le rappel de M. de Garcia au règlement.
M. de Garcia. - J’ai l’honneur de faire partie de la section centrale ; hier j’ai été attaqué sous différents rapports, je ne suis pas sorti de la ligne qui devait me conduire aux considérations par lesquelles je voulais répondre à ces attaques.
M. le ministre a attaqué la section centrale, il a prétendu que j’étais en désaccord avec l’honorable rapporteur sur le point de savoir si l’organisation présentée par la section centrale permettait une organisation de 80,000 hommes ou seulement de 50,000 hommes. Tout ce qu’a dit l’honorable rapporteur, c’est qu’incontinent on pourrait réunir 50,000 hommes sous les armes, mais il n’a pas dit qu’on ne pourrait pas doubler les cadres de manière à y verser 80,000 hommes, chiffre assigné au contingent de l’année.
Je n’en dirai pas davantage pour le moment, je prendrai la parole dans une autre circonstance, et je me soumettrai au rappel au règlement demandé par l’honorable M. Verhaegen en exprimant l’espoir qu’en pareille occasion il imitera mon exemple.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Certes, messieurs, les droits de la chambre ne doivent pas être méconnus. Mais l’ont-ils été ? Et si les droits de la chambre doivent être respectés, il ne faut pas non plus que les droits du gouvernement soient méconnus, qu’on établisse une lutte entre un ministre et la chambre tout entière. On accuse le ministre de la guerre de s’être servi dans les pièces qu’on considère comme distribuées en son nom, d’expressions adressées au rapporteur directement et de l’avoir ainsi isolé. Relisez toutes nos discussions, je défie qu’on en cite une seule où l’on ne se soit pas servi continuellement de l’expression le rapporteur pour désigner la section centrale. Cela est arrivé dans toutes les discussions. Dès qu’une observation lui a été faite à cet égard, il s’est empressé de déclarer qu’il n’avait pas entendu isoler le rapporteur de la section centrale. Cette déclaration devait suffire. Si les droits de la chambre, les droits de la section centrale et du rapporteur ont été méconnus dans cette circonstance, je dis que la même violation se trouve dans toutes nos discussions. (Interruption.) Je n’en connais pas une où l’on ne se soit pas servi de cette locution : le rapporteur au lieu de la section centrale, par une propension naturelle de l’esprit à s’adresser à une personne au lieu de s’adresser à un être moral.
D’ailleurs, en faisant ce reproche au ministre de la guerre, que fait-on ? On tombe dans la même faute. Que vient de faire l’honorable préopinant ? Il prend à partie le ministre de la guerre, il s’empare de quelques phrases pour dresser une espèce d’acte d’accusation contre lui. Il serait très facile cependant, en commençant par la première phrase qu’on a incriminée, de démontrer qu’elle comporte un sens différent de celui qu’on lui donne. Commençons par le 1er paragraphe : La désorganisation complète de l’armée qui ne serait plus qu’un grand corps, informe, immobile, impassible avec lequel on ne compterait pas ; qui ne compterait pas avec une armée semblable ? Evidemment c’est l’ennemi ; la phrase ne peut pas avoir un autre sens ; elle ne peut pas signifier que l’armée deviendrait un grand corps informe, immobile, avec lequel les grands corps de l’Etat ne compteraient plus.
Cependant on s’empare de cette phrase pour prétendre que le ministre de la guerre a fait un appel à l’armée contre les pouvoirs constitués.
Où arriverons-nous, messieurs, avec des discussions de ce genre ? Le ministre de la guerre, je le répète, a fait hier une déclaration qui devrait suffire, qu’il n’avait pas entendu séparer le rapporteur de la section centrale. Il suffisait de prendre acte de sa déclaration. Mais ce qui s’est fait continuera à se faire, et, avant une heure, des orateurs, parlant pour ou contre les propositions de la section centrale se serviront de la même expression pour déclarer qu’ils s’associent à ces propositions ou qu’ils les combattent. J’ai vu avec un vif regret cette discussion, à laquelle la déclaration de M. le ministre de la guerre aurait dû mettre un terme hier.
M. Lys. - J’ai demandé la parole pour répondre à une interpellation faite hier par l’honorable M. Brabant aux membres de la section centrale.
J’approuve, messieurs, tout ce que vous a dit l’honorable rapporteur.
L’examen du budget de la guerre a eu lieu en section centrale, comme il arrive très souvent pour l’examen d’un projet de loi, au conseil des ministres.
Le projet est l’œuvre d’un seul ministre, il est examiné, discuté et approuvé en conseil, et il devient alors le projet du gouvernement.
Il en a été de même en section centrale pour le budget de la guerre. Le projet d’organisation de l’armée est l’œuvre de l’honorable M. Brabant, il a été examiné, discuté et approuvé par la section centrale, il est ainsi devenu le projet de la section centrale.
Il a été discuté pendant un grand nombre de séances, la preuve s’en trouve dans les procès-verbaux tenus par M. le président de la chambre.
M. le ministre de la guerre ne peut pas ignorer cette circonstance ; diverses demandes lui ont été adressées. Nous lui avons demandé entre autres de nous communiquer le rapport de la commission des généraux ; il s’est borné à nous en lire quelques fragments, il vient encore s’appuyer ici sur ce rapport et il ne le communique pas à la chambre.
Nous avons même consulté MM. les ministres des affaires étrangères et de l’intérieur, sur l’entretien des forteresses. Ils paraissaient d’avis avec nous, de biffer le crédit demandé à cet égard ; M. le ministre de la guerre n’a pas voulu y consentir.
C’est bien dès lors à tort que M. le ministre de la guerre attaque individuellement le rapporteur ; l’œuvre de ce dernier appartient aujourd’hui à la section centrale, qui sur quelques points l’a corrigé et augmenté. Je vous avoue, messieurs, que la manière de discuter de M. le ministre de la guerre, n’est pas honorable pour les membres de la section centrale, ni pour ceux qui les ont délégués ; elle n’est pas encourageante pour les rapporteurs.
Je répondrai quelques mots à l’honorable ministre de l’intérieur, qui a voulu ne rien voir de personnel dans les paroles de M. le ministre de la guerre ; on se sert, dit-il, très souvent, de l’indication de rapporteur, tout en parlant de la section centrale.
Mais ici, on ne peut pas prendre le change, l’intention de M. le ministre de la guerre n’est pas douteuse ; c’est sur l’honorable M. Brabant, qu’il verse tout le blâme et j’en trouve la preuve dans ces mots, qui se trouvent dans ses tableaux distribués, organisation Brabant, au lieu de dire indication de la section centrale, car son projet n’est rien de plus.
Et les paroles qui précèdent la fameuse conclusion dans la réponse de M. le ministre au rapport de la section centrale, ne donnent-elles pas la mesure de ses intentions envers le rapporteur ?
Il suffit de les lire pour en être convaincu :
« Le dévouement le plus absolu, les études les plus consciencieuses, avaient été apportés dans l’examen de ce grand intérêt national, qui touche à la fois à la sûreté du pays et à sa dignité. M. le rapporteur de la section centrale n’a vu dans tout cela que mensonge et exagération. Lui aussi s’est cru destiné à créer une œuvre militaire, et pensant ériger un monument, il s’est mis à démolir celui qui avait été construit par des mains plus habiles et plus expérimentées. De bonne foi, sans doute, il a cru qu’aucune connaissance spéciale n’était nécessaire à l’organisation d’une armée ; qu’il suffisait de savoir grouper quelques chiffres, de réduire ceux du budget dans les proportions données, et ce système l’a conduit à un résultat désastreux.
« Car il ne faut pas se le dissimuler, les propositions de M. le rapporteur de la section centrale auraient pour résultat immédiat, si elles venaient à être adoptées par les chambres, 1° la désorganisation, etc. »
Si ce ne sont pas là des attaques personnelles à l’honorable rapporteur, je me tromperais lourdement, et je les soumets à la chambre.
M. Fleussu. - Après la déclaration de M. le ministre de l’intérieur, qui semble n’être que la reproduction de ce qu’a dit M. le ministre de la guerre à la séance d’hier, je ne vois pas qu’il y ait lieu de prolonger cette motion d’ordre. M. le rapporteur, justement indigné de ce qu’au lieu de s’adresser à la section centrale, M. le ministre de la guerre le met continuellement en cause, le prit personnellement à partie, a interpellé la section centrale de s’expliquer. Déjà deux membres ont répondu à cet appel ; je ne puis que me référer à ce qu’ils ont dit.
Il y a dans le rapport de la section centrale deux choses à considérer, la question d’économie et les indications pour démontrer la possibilité d’une réduction dans les dépenses ; on vous l’a dit : ce n’est pas un projet d’organisation qu’elle vous présente, mais des indications pour justifier les réductions proposées. Pour l’économie, nous avions reçu l’impulsion de toutes les sections ; aussi avons-nous été unanimes pour nous prononcer en faveur des réductions. Vous ne devez pas vous en étonner, car tous les ans les sections demandent la réduction du budget de la guerre au chiffre arrêté pour les budgets du département de la guerre des années 1832 à 1833, c’est-à-dire à la somme de 25-26 millions. Voilà ce qui avait été recommandé encore cette année par les sections. La section centrale avait reçu une autre mission, celle de réclamer l’organisation de l’armée par une loi.
En présence de cette double impulsion qui nous était donnée par toutes les sections, qu’avions-nous à faire ? Il fallait ou proposer directement le rejet du budget de la guerre ; ou y mettre un peu plus de forme, et accorder un crédit global. On a discuté la question de savoir ce que l’on ferait. C’est par condescendance pour le gouvernement que nous n’avons pas proposé le rejet du budget ; c’était cependant le moyen le plus simple d’amener le gouvernement à donner satisfaction aux vœux exprimés dans les sections. Il faut des diminutions dans les dépenses de l’armée ; si vous n’y arrivez pas aujourd’hui (j’ignore le sort qu’auront les propositions de la section centrale), vous y arriverez dans un an, dans deux ans, et vous aurez dépensé des millions inutilement, mais vous y arriverez par la force des choses, par la force de l’opinion publique, qui ne comprend pas que dans un pays protégé par sa neutralité, les dépenses de l’armée absorbent à peu près le tiers du budget général.
Nous avons proposé un crédit global, pour forcer le gouvernement à présenter une loi d’organisation militaire ; mais tout en le mettant ainsi en demeure de satisfaire à une obligation constitutionnelle, nous n’avons pas voulu jeter la perturbation dans l’armée par un refus de subsides. Voilà quelles ont été les intentions de la section centrale.
Sur la question des économies, il y a eu unanimité dans la section centrale, et j’en prends ma part de responsabilité. Sur la question des indications, il y a bien eu sur certains points isolés quelque controverse ; il s’est manifesté des opinions divergentes, qui ont amené une minorité et une majorité, mais il n’en est pas moins vrai, que sur ces quelques points, le rapport exprime encore l’opinion de la majorité de la section centrale ; on a donc bien mauvaise grâce, après toutes les peines que s’est données le rapporteur, après toutes les réunions qu’a eue la section centrale pour examiner son travail, on a donc grand tort, dis-je, de vouloir isoler M. Brabant de la section centrale. Quant à moi, je déclare que je prends ma part de responsabilité dans ce travail.
M. Mast de Vries. - Je ne veux pas prolonger cette discussion, mais comme membre de la section centrale, je dois déclarer que je prends ma part de responsabilité du travail de M. le rapporteur qui n’a fait qu’exprimer l’opinion unanime du travail de la section centrale.
M. Rogier. - Messieurs, je ne viens pas expliquer ni justifier quelques expressions du rapport qui nous a été distribué de la part de M. le ministre de la guerre. Je ne puis cependant m’associer aux reproches amers qui lui ont été adressés par quelques membres de la majorité. L’honorable M. de Garcia vient de dire que ce rapport était une injure pour la chambre et une injure pour l’armée ; or, je ne vois pas dans ce rapport, quelque peu mesurées qu’en puissent être certaines expressions, une injure pour la chambre, et encore moins une injure pour l’armée. Ce que j’y vois, ce sont d’honorables convictions, c’est un sentiment qui s’explique avec la vivacité naturelle à un homme pénétré de son devoir, et sans vouloir excuser l’acerbité de quelques passages de son mémoire, je sais bon gré à M. le ministre non seulement de la fermeté avec laquelle il défend les intérêts de l’armée, du gouvernement et du pays, mais encore de la chaleur qu’il peut mettre dans sa défense.
M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Je passerai, messieurs, à une autre inculpation.
Dans une des séances précédentes, il vous a été dit par un honorable membre de la section centrale :
« Ne croyez pas, au reste, messieurs, que la proposition de M. le ministre soit le résultat des travaux d’une commission. Pour apprécier la nature et la portée des travaux de cette commission, il faudrait savoir si le ministre n’avait pas imposé la nécessité de conserver les cadres existants ; il faudrait savoir si la commission a pu créer un système complet, en faisant table rase de tout ce qui existe. »
Je pense, messieurs, et j’ai l’espoir que vous voudrez bien partager cette conviction, que, dans une aussi grave question que celle de la composition de notre force armée, il n’appartenait pas à un ministre du Roi de déléguer sa responsabilité envers la législature et le pays, à une commission qui n’avait pas la direction des affaires. Je ne pouvais que m’entourer de toutes les lumières possibles dans l’espoir qu’à votre tour, vous me tiendriez compte des difficultés dont cette question est hérissée.
C’est dans ce sens que je vous en ai rendu compte, en vous disant :
« Le budget soumis à vos délibérations, consacre, pour l’armée, une composition normale mieux appropriée à notre situation politique et satisfaisant, dans les limites des allocations disponibles, aux diverses exigences du service.
« La mission de notre force armée, bornée, par notre position, à maintenir, en tout temps, l’ordre intérieur, à soutenir et à faire respecter la neutralité garantie par les traités, demandait que notre état militaire fût mis en harmonie avec cette nouvelle situation, et permît d’amener les dépenses an chiffre le plus restreint possible.
« Cette destination de l’armée, en faisant prédominer, dans sa composition l’élément défensif, nous permet d’appeler la garde civique à un concours plus étendu, afin de trouver les moyens de réduire, le plus possible, l’effectif des troupes de ligne.
« Mais la fixation de ce minimum d’effectif étant l’objet d’une question à laquelle se rattachent les intérêts les plus graves de notre avenir et de notre nationalité, j’ai voulu m’éclairer des investigations des chefs de l’armée, pris parmi les plus compétents par leur expérience et leurs talents, et sur lesquels pèsera un jour, avec l’obligation de justifier leurs prévisions, la responsabilité de la défense du pays, dans l’exercice de leur commandement.
« Réunie sous la présidence du lieutenant général, baron Evain, et composée des lieutenants généraux, Goethals, Goblet, De Brias, d’Hane, L’Olivier, des colonels Dupont et Duroy (ce dernier, en qualité de suppléant du général d’Hane), cette commission eut à examiner :
«1° Le chiffre et la composition qu’il conviendra d’adopter pour I’ armée, en tenant compte du concours de la garde civique ;
« 2° Le cadre à fixer au grand état-major ;
« 3° Le rapport à donner aux différentes armes entre elles, leur composition, la formation organique des corps et les moyens de parer à quelques vices d’organisation, en restant le plus possible en-dessous des allocations de l’année 1842. »
Voici les instructions textuelles données à la commission, pour la diriger dans ses recherches :
« Note concernant l’organisation militaire belge.
« La condition imposée à la force armée de la Belgique, de maintenir l’ordre intérieur, de soutenir et de faire respecter la neutralité garantie par les traités, permet-elle, même dans la supposition d’un concours efficace de la garde civique, de réduire le chiffre de l’armée pour le pied de guerre, au-dessous de 80,000 hommes réparties ainsi qu’il suit, par les arrêtés d’organisation (non compris les états-majors et services particuliers) :
« Infanterie : 62,431 hommes. 276 chevaux.
« Artillerie : 9,628 hommes, 5,437 chevaux.
« Cavalerie : 8,946 hommes, 8,632 chevaux
« Génie : 1,740 hommes, 8 chevaux
« Totaux : 82,745 hommes. 14,353 chevaux.
« L’état de neutralité et l’absence de frontières exigeant, pour base de notre organisation militaire le système défensif et la possibilité de passer rapidement au pied de guerre, y a-t-il lieu de changer le rapport des armes entre elles, qui est approximativement de :
« Artillerie, 1/7 de l’infanterie
« Cavalerie, 1/7 de l’infanterie
« Génie, 1/35 de l’infanterie
« Si cette proportion est reconnue bonne, il paraît convenable de conserver également la répartition actuelle en corps, et qui est, pour l’infanterie, de :
« 16 régiments, formant 49 bataillons de guerre.
« 16 régiments, formant 16 bataillons de réserve.
« 16 régiments, formant 3 compagnies hors rang.
« L’artillerie de :
« 4 régiments, comprenant 19 batteries de campagne.
« 4 régiments, comprenant 16 bataillons de siège.
« 4 régiments, comprenant 4 dépôts.
« De plus :
« Annexes, 4 compagnies.
« Annexes, 1 escadron du train.
« La cavalerie
« 7 régiments, fournissant 24 escadrons cavalerie légère.
« 7 régiments, fournissant 14 escadrons grosse cavalerie.
« 7 régiments, fournissant 7 dépôts.
« De plus : La gendarmerie.
« Le génie :
« 1 régiment à 12 compagnies.
« Si le pied de guerre, ainsi qu’il est fixé par les arrêtés organiques, paraît devoir satisfaire, en général, aux exigences du service, il reste à décider quelques questions de répartition d’effectif pour le pied de paix dont le rapport des armes entre elles, est environ de
« Artillerie, 1/5 de l’infanterie.
« Cavalerie, 1/4 de l’infanterie.
« Génie, 1/32 de l’infanterie.
« La condition première de ces modifications est non seulement de ne pas dépasser, mais même de rester assez au-dessous des allocations de 1842, pour trouver les moyens de couvrir le déficit de quelques chapitres du budget, tels que les états-majors, la masse du pain, etc.
« Infanterie
« Les compagnies d’infanterie, réduites, d’après le budget, à 55 hommes, n’ayant pas la consistance convenable pour l’instruction ni pour le service, il faut rechercher si, en modifiant l’organisation des bataillons, on ne pourrait trouver le moyen de leur donner un effectif plus élevé.
« Trois systèmes peuvent se présenter.
« 1° Réduire, dans chaque bataillon, le nombre de compagnies à 4, d’un effectif d’environ 80 hommes sur le pied de paix, et 216 sur celui de guerre avec un cadre proportionnel ;
« 2° Mettre les bataillons à 4 compagnies pour le pied de paix et les dédoubler pour le pied de guerre, en adoptant la formation française de 8 compagnies à 112 hommes ;
« Dans ce cas, le cadre devrait être :
« (tableau non repris dans cette version numérisée)
« 3° Conserver dans les bataillons de guerre 6 compagnies à 144 hommes et dans ceux de réserve seulement 4 compagnies pour le pied de paix ; enfin suppléer à la faiblesse de l’effectif actuel, en rappelant un certain nombre d’hommes sous les armes au moyen de l’économie résultante de la suppression de 1 sous-lieutenant par compagnie et de celle de 2 compagnies par bataillon de réserve,
« En examinant ces trois systèmes, on verra que le premier nous rapprocherait des compagnies de la Hollande, de la Prusse, de l’Autriche, du Wurtemberg, où elles atteignent respectivement le chiffre de 216, 250, 200 et 218 hommes.
« Mais on peut lui reprocher avec justesse que, d’après notre mode de milice, le soldat, rentrant dans ses foyers avant d’être bien formé, il n’a pas acquis l’aplomb nécessaire pour paraître en ligne. Le seul palliatif à ce vice organique de notre armée doit consister à rendre les cadres d’autant meilleurs et plus nombreux pour suppléer au manque d’éducation militaire du simple soldat.
« Le second système offre comme le premier une économie assez notable pour le pied de paix, mais, comme lui, il ne majore pas l’effectif total en hommes, il le répartit dans une proportion plus convenable pour les cadres. Quant au pied de guerre, ce second mode offrirait des avantages incontestables en remédiant au vice signalé ci-dessus, si l’on pouvait faire disparaître les inconvénients d’une réorganisation toujours inopportune quand on passe à l’état de guerre. Il y aurait donc lieu à rechercher les moyens de faciliter cette transition.
« Le troisième système non seulement ne diminue en rien les dépenses, mais encore ne remédierait aux inconvénients, qu’il s’agit de faire disparaître immédiatement, que lorsque la suppression des 390 officiers aurait procuré l’argent nécessaire pour le rappel des soldats et dans ce cas encore l’effectif ne pourrait être porté au chiffre convenable dans chaque compagnie. On pourrait peut-être reprocher à ce système de conserver le nombre 6 qui paraît moins favorable pour nos manœuvres que celui de 4 ou 8.
« Toute autre modification des corps de l’infanterie, affectant trop profondément les bases de l’armée en diminuant d’une manière dangereuse ses cadres constitutifs, il n’y a pas lieu de s’en occuper.
« Cavalerie
« L’effectif de la cavalerie a été fixé en raison des allocations, à 120 hommes, et 100 chevaux par escadron, tandis que son pied de paix, d’après l’arrêté royal du 22 septembre 1831, devrait être de 147 hommes et 125 chevaux.
« Il en résulte qu’un escadron ne pouvant plus se suffire à lui-même pour les manœuvres, doit se compléter chaque jour dans un autre qu’il paralyse. Pour obvier à cet inconvénient, qui n’est pas sans gravité, puisqu’il détruit le principe unitaire de l’escadrin, il ne se présente guère que deux systèmes en restant dans les termes du budget :
« 1° Transformer dans chaque régiment un escadron en dépôt, et en répartir les cavaliers dans les autres, afin qu’ils puissent se suffire pour les manœuvres ;
« 2° Compléter annuellement pour la saison d’exercice 3 ou 4 escadrons au moyen de cavaliers détachés d’un ou deux autres, selon les régiments à 4 ou à 6 escadrons et former avec les cadres restants (officiers, sous-officiers et brigadiers), un peloton d’instruction occupé spécialement d’équitation et de dresser les remontes : cette formation ne durerait que pendant la saison des manœuvres et roulerait annuellement dans le corps.
« Pour les deux systèmes énoncés plus haut, il y a lieu de supprimer les petits dépôts des régiments de cavalerie.
« Le deuxième système aurait sur le premier l’avantage de diminuer le nombre des escadrons de guerre et paraît devoir favoriser beaucoup l’équitation, car tous les escadrons ayant été appelés au peloton d’instruction, le corps entier n’aurait après trois ans que de bons instructeurs.
« Quant à la suppression totale d’un ou de plusieurs escadrons, elle doit être rejetée pour ne pas détruire les moyens de reporter la cavalerie à un chiffre élevé, si les circonstances pouvaient l’exiger.
« Artillerie
« Le nombre de batteries de campagne a été réduit de 23 à 19, de manière à conserver environ 2 bouches à feu par 1,000 hommes d’infanterie et 4 par 1,000 hommes de cavalerie. Prise globalement, cette proportion sera convenable, parce qu’elle donne pour l’armée en campagne près de 3 bouches à feu par 1,000 hommes, s’il ne fallait en distraire pour les places fortes. Les batteries de siège reconnues insuffisantes ont été portées de 20 par la transformation de 4 batteries montées en batteries de cette espèce.
« Ainsi, organisée, l’artillerie paraît devoir satisfaire aux exigences des événements qui l’appelleraient à agir dans la supposition qu’elle trouvât, ainsi que cela a déjà eu lieu, dans le pays même, les chevaux nécessaires à ses remontes.
« Les compagnies annexées de pontonniers, d’ouvriers et d’artificiers, ainsi que les 4 compagnies du train sont exigées pour services spéciaux qui incombent à l’artillerie, tant sur pied de que celui de guerre.
« Génie
« Le régiment de sapeurs et mineurs se composant, sur le pied de guerre, de 12 compagnies d’un effectif total de 1,740, la proportion de ces troupes est de 1/35, ce qui paraît devoir suffire aux besoins du service. Sur le pied de paix, la 12ème compagnie ne compte qu’un sergent-major, un fourrier et deux sergents pour l’administration, afin de rester le plus possible dans les chiffres du budget.
« Les cadres constitutifs des troupes fixés, il convient, pour déterminer celui de l’état-major général, d’examiner :
« 1° Si la condition de pouvoir passer rapidement et sans secousse au pied de guerre, exige le maintien sur le pied de paix, de la formation par divisions et brigades avec séparation des commandements provinciaux, ou s’il est préférable de réunir le commandement des troupes à celui des provinces ?
« 2° S’il est utile, dans le but d’obtenir la plus grande unité de vues et d’applications de créer, pour les armes de l’infanterie et de la cavalerie, un inspecteur-général, comme il en existe pour l’artillerie et le génie, et dans ce cas, quelles devraient être leurs attributions ?
« Ces deux questions résolues, quel doit être le nombre d’officiers-généraux strictement nécessaire pour satisfaire aux besoins du commandement et des services spéciaux. »
Ces instructions vous prouvent que la commission a eu toute latitude dans les limites suivantes :
1° Maintenir l’ordre intérieur, soutenir et faire respecter la neutralité garantie par les traités, au moyen de l’armée et du concours de la garde civique, et
2° Rester en-dessous des allocations de 1842.
Une fois les prémisses résolues, il était de mon devoir de poser quelques jalons, en dehors desquels on aurait, ou méconnu des droits acquis, ou bouleversé le travail de tous mes prédécesseurs, sur l’organisation de l’armée.
Il n’y avait donc pas lieu à faire table rase en tout, pas plus pour la commission que pour moi-même.
Les points principaux, les points décisifs de son travail vous ont été exposés, et la composition de l’armée, qui sert de base au budget, en est le résultat.
Le rapport de la commission est très long, très volumineux ; il m’a semblé, et je persiste dans cette opinion, qu’il y aurait de graves dangers à publier un tel travail essentiellement confidentiel, tant pour les considérations qu’il renferme sur notre état militaire, que par convenance même pour les membres qui composaient cette commission.
Si des honorables membres ne se trouvaient pas suffisamment convaincus par les développements dont j’ai appuyé ma proposition, s’il leur fallait puiser leur conviction dans le travail même de la commission, je n’hésiterais pas à la leur faire connaître dans mon cabinet.
Mais, je le répète, je ne décline nullement la responsabilité de mon travail ; et j’aurais cru manquer à la législature, si, au lieu d’un ministre responsable, je ne lui avais présenté que le greffier des travaux d’une commission qui n’était pas dans cette enceinte.
La séance d’hier s’est terminée par un incident dont je désire, autant que possible, arrêter les conséquences.
L’honorable M. Brabant, dans le rapport de la section centrale, dont il s’est hautement déclaré le principal auteur, m’a taxé, presqu’à chaque page, d’exagération, d’illégalité, de violation de la constitution ; il a été jusqu’à m’accuser de demander des fonds pour des projectiles hors d’usage. J’ai répondu à toutes ces imputations par des observations que j’ai fait imprimer, et que M. Brabant a taxées hier de libelle.
J’avais compris, et personne ne révoquera en doute, que le premier vœu de la chambre est d’être convenablement éclairée. Les publications que j’ai fait faire n’ont pas d’autres fins. La chambre voudra bien admettre que j’ai eu fort peu de temps pour m’y préparer, puisque je n’ai pu avoir connaissance du rapport de la section centrale, que le 24 seulement.
L’idée de mettre sous ses yeux tous les documents que je pouvais réunir, ne m’étant pas venue immédiatement, deux jours entiers ont été perdus, de sorte que le dernier travail, qui est assez volumineux, a dû être créé et imprimé en 4 jours.
Il se ressent nécessairement d’une aussi grande précipitation, et j’invoquerai, à ce sujet, toute l’indulgence de la chambre, mon unique intention qu’elle appréciera, ayant été, je le répète, de jeter le plus de lumière possibles sur ce débat.
Mais de là à un libelle, il y a toute la distance d’un argument fondé à une accusation gratuite.
Hier enfin, pour quelques mots beaucoup moins amers que les inculpations qui m’ont été prodiguées, M. Brabant s’est emporté et fait un appel à la section centrale tout entière. Cette extrême susceptibilité ne peut trouver d’explication que dans les éloges adressés de toutes parts à M. Brabant, sur ses connaissances spéciales en fait d’art militaire. Mais ces éloges, je ne saurais comme militaire m’y associer, quelque pût être mon désir de plaire à M. le rapporteur de la section centrale.
Il n’y a rien d’injurieux dans cette déclaration, et si M. Brabant, qui a été bourgmestre me disait que je n’entends rien en fait d’administration communale, je passerais très volontiers condamnation, et je n’en concevrais contre lui aucune espèce de ressentiment.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, ce n’est qu’avec hésitation que m’inspire une juste méfiance de mes forces et de mes lumières que je me suis décidé à émettre une opinion dans un débat de la plus haute gravité, soulevé par suite des propositions contradictoires d’hommes consciencieux et éclairés, qui n’ont été guidés dans un long et pénible travail que par leur zèle pour le bien du pays, j’aime à le reconnaître ici.
Comme on nous l’a démontré hier encore, une armée respectable est indispensable au maintien de notre indépendance.
Une armée est une des conditions indispensables du maintien de notre neutralité en cas de conflagration générale.
La Belgique constitue sur la carte d’Europe un point stratégique important ; pense-t-on que, si la guerre éclatait chez nos voisins, ce point stratégique pourrait rester inoccupé ? Cela est impossible à supposer. Si une armée belge n’occupait donc pas cette position militaire, nos voisins, dans l’intérêt de leur propre conservation, se verraient obligés de venir l’occuper au pas de course. Ce serait celui des deux partis qui aurait mis le plus de célérité dans sa marche qui nous occuperait ; et si cette célérité était par hasard à peu près égale, nous ne serions pas seulement occupés militairement, mais nous serions, comme cela s’est vu si souvent jadis, le centre de la guerre.
Nous paierions ensuite les frais de l’occupation, et qui peut nous dire si elle ne serait pas définitive !
Si au contraire la neutralité belge est fortement occupée par son armée, destinée à devenir hostile contre le premier soldat étranger qui franchirait noire frontière ; l’on songera à deux fois à violer une neutralité qui pourrait augmenter les forces des adversaires d’une bonne armée de 60,000 hommes.
La question qu’il s’agit de résoudre, et qui est restée pendante depuis la conclusion de la paix, est celle de savoir quelle doit être la force de l’armée tant en cadres qu’en sous-officiers et soldats en temps de paix, pour qu’elle soit en état de passer rapidement, en cas d’hostilité, à un état capable de faire respecter l’indépendance nationale.
Chez quelques personnes, la question d’économie prime peut-être un peu trop ; quant à moi, je pense que la question d’un bon système d’armement doit dominer toute la question. Celle de l’économie doit être prise en sérieuse considération sans doute, mais elle n’est que secondaire.
Pendant les premiers temps de notre émancipation politique, deux chefs du département de la guerre établirent des calculs formulés en budget, pour une situation de paix, en regard des propositions pour un état militaire armé. Ces calculs établirent la dépense présumée nécessaire, sur pied de paix de 25 à 26 millions. Est-il, dès lors, étonnant que la chambre ait songé, dès la conclusion de la paix, dans l’intérêt des contribuables, de mettre à exécution les propositions ministérielles pour le pied de paix ? Non certes, puisque cela a été la conséquence de bases posées par le gouvernement lui-même. Mais qu’arriva-t-il, quand l’on pria, pour la première fois, le chef du département de la guerre, d’en venir aux propositions de l’état de paix de ses prédécesseurs ? Il souleva mille difficultés ; le moment n’était pas opportun ; cette réforme ne devait s’introduire qu’insensiblement ; il était impolitique de brusquer une affaire aussi délicate, que la mise en non-activité de l’excédant de nos cadres ; la section centrale d’alors se rendit à ces observations, et l’on maintint provisoirement l’état existant, et pour favoriser encore davantage l’état de transition, un ministre de la guerre inspira assez de confiance pour qu’on lui accordât un budget global deux fois de suite.
Enfin le budget de l’année dernière fut voté au même ministre avec une grande facilité. Est-ce à dire que le budget de 1842 ait été envisagé par la chambre comme un budget normal de paix ? Je ne le pense pas. La chambre n’a pas abdiqué par ce vote la faculté de toute réduction raisonnable, qui abaisserait les dépenses en dessous du chiffre voté pour 1842. J’ai dit alors que je croyais que la dépense de l’armée devait s’élever de 28 à 30 millions, et je le pense encore ; c’était une opinion, ce n’est encore qu’une opinion individuelle ; oui, je pense encore qu’avec un peu de bonne volonté on pourrait en venir à entretenir une armée suffisante pour la défense du pays au prix de 28,000,000 ; et si M. le ministre de la guerre voulait abaisser ses prétentions à ce chiffre, je ne serais pas surpris que la chambre lui accordât un budget global pour cette année, afin de lui permettre de tirer un plus grand parti des diverses allocations par des transferts pour des services, dont les dépenses devraient se compenser entre elles ; et, quant à moi, je le déclare, je suis tout disposé à le lui accorder.
L’armée n’en souffrirait pas, car j’ai confiance dans l’intégrité à toute épreuve et dans le zèle éclairé de l’honorable général de Liem, et les contribuables et le pays tout entier ne s’en trouveraient pas mal.
J’en viens aux propositions pour l’année courante ; ces propositions sont à peu près les mêmes que celles de l’année dernière, mais elles ont revêtu un caractère bien différent, qui tend à rendre la discussion beaucoup plus sérieuse, ces propositions sont basées sur le maintien de l’ancienne organisation, mais cette organisation a reçu de grands développements par suite d’un rapport d’une commission d’officiers-généraux que nous ne connaissons pas, et cette organisation ainsi développée et destinée à être sanctionnée par des arrêtés royaux, a tout le caractère d’une base permanente, et dès lors, l’adoption du budget proposé aurait pour résultat la sanction de cette base normale. Il est inutile de chercher à établir davantage le caractère des propositions de M. le ministre, il suffit d’avoir parcouru le cahier d’observations et le recueil intitulé composition organique de l’armée belge, pour se convaincre que M. le ministre de la guerre a l’intention de nous présenter un budget normal.
Si donc nous adoptons les propositions de M. le ministre de la guerre, si nous adoptons un budget normal, que devient l’article de la constitution, qui dit que l’armée sera organisée par une loi ? Que deviennent les prétentions de ceux d’entre nous qui, se fondant avec quelque motif sur les projets ministériels eux-mêmes, songeaient qu’au moins dans un avenir peu éloigné le budget de paix pouvait être réduis sinon à 26 millions, au moins à 28 ? Ces engagements, je ne puis les prendre pour ma part, et si M. le ministre de la guerre ne déclarait pas bien clairement, que l’adoption de son budget pour l’année courante n’entraîne pas l’approbation d’un budget normal, que cette adoption n’entraîne pas à sa suite la sanction du règlement de l’organisation de l’armée par arrêtés, tandis qu’elle devrait l’être, semble-t-il, d’après la constitution, par une loi, je ne pourrais donner mon vote favorable à ses propositions.
Je viens de dire qu’on avait entendu fixer l’organisation de l’armée sur pied de paix. Mais de quelle base est-t-on parti ? On s’est fondé sur ce que l’armée belge était fixée à 80,000 hommes sur pied de guerre.
J’ai cherché à me rendre compte de l’exactitude de cette base, de la réalité de cet effectif, et voici, d’après un calcul fort simple ce que l’effectif de l’armée a de réel sur pied de guerre. Il semble d’abord tout simple que l’armée sur pied de guerre, cadre non compris, soit forte de 80,000 hommes, parce que le contingent que nous votons annuellement se compose de 8 levées de 10 mille hommes chacune. Mais cet effectif n’est qu’apparent, et si au jour du danger on avait besoin de disposer de 80,000 hommes, les déceptions seraient cruelles.
En Belgique, on tire au sort pour la milice à l’âge de 18 ans. C’est un âge où les jeunes gens ne sont pas encore assez formés pour supporter les fatigues du service ; ils sont hors d’état, en général, de porter l’équipement dont un fantassin est chargé en marche. Ce que je dis là, je le dis avec l’autorité d’une expérience de plusieurs années, pendant lesquelles j’ai rempli les fonctions pénibles de la visite de quelques milliers de miliciens, comme commissaire de milice. Je puis d’ailleurs vous citer un fait que je tiens d’un administrateur militaire éminent : en 1832, si je ne me trompe, le gouvernement belge voulut mettre sur pied des forces imposantes, il eut recours à la première levée annuelle, qui était alors de 12,000 hommes, avant la cession des deux demi-provinces ; eh bien, ces 12,000 hommes passèrent pour la plupart aux hôpitaux, et le gouvernement ne put en conserver que 3,000.
Et remarquez-le, messieurs, on ne faisait pas la guerre ; l’armée se disposait à la faire seulement. Ainsi un semblant de guerre a suffi pour occasionner un déchet des trois quarts. Aussi le gouvernement a-t-il pris le parti fort sage de laisser les deux premières levées dans leurs foyers ; mais pourrait-il en disposer en temps de guerre ? Il est impossible d’y songer.
Voilà donc l’armée de 80,000 hommes réduite à 60,000. Je ferai remarquer ensuite que, comme les mortels sont sujets, d’après leur nature, à de nombreux accidents, les contingents annuels subissent des déchets qui s’accumulent chaque année, mais je suis porté à croire que le contingent de volontaires suffirait pour combler ce déficit, et on est fondé à arrêter le chiffre réel de l’armée sur pied de guerre à 60,000 hommes.
C’est bien là tout ce que le pays peut fournir pour sa défense, en troupes régulières, et je crois ce contingent suffisant pour défendre notre neutralité. Je le crois surtout suffisant s’il était fortement organisé.
Ce n’est donc pas sur 80,000 hommes mais sur 60.000 que nous devons calculer notre pied de guerre ; M. le ministre de la guerre se fonde donc sur une base inexacte pour la formation des cadres.
Il y aurait donc là un motif de réduire la demande de crédit du gouvernement à 28 millions au moins.
M. le ministre de la guerre nous a dit hier, que, d’après l’organisation, qu’il veut rendre permanente, l’effectif de l’infanterie en cas de guerre, devait se compléter des 2/3. Ce principe m’a semblé trop contraire à toute bonne organisation militaire pour ne pas être relevé. En effet, d’après toutes les spécialités militaires qui font autorité, l’effectif d’un corps pour être compact, pour rendre de bons services, ne peut se réduire que de la moitié tout au plus en temps de paix. C’en ainsi qu’une compagnie de 160 hommes, sur pied de guerre, ne peut être réduite, sur pied de paix, qu’à 80 hommes.
Nous sommes loin de ce principe ; aussi, tant qu’on le maintiendra, n’aurai-je qu’une très faible confiance dans nos moyens de défense.
Qu’a-t-on fait depuis la conclusion de la paix ? On a continué le détestable système de l’armée du royaume des Pays-Bas, qui se bornait à exercer un peu les hommes et à les renvoyer chez eux le plus tôt possible ; on a continué ce système d’où il résulte, que l’infanterie, à l’exception du cadre et de quelques bataillons d’élite, n’est qu’une espèce de garde nationale renforcée par des règlements militaires ; et ce sont des corps aussi faiblement organisés, qui sont destinés à se compléter des 2/3 de l’effectif. Cela me semble une dérision véritable.
L’indépendance du pays peut-elle espérer une forte résistance de la part de corps formés de conscrits pour les 3/4 ? Je ne le pense pas ; et la facilité avec laquelle quelques corps de volontaires ont suffi pour faire disparaître l’armée des Pays-Bas en 1830 suffit pour le prouver.
Je demande que la chambre me permette de lui décrire ce qu’à été notre infanterie depuis 1839, car c’est de cette arme que j’aime à m’occuper comme de celle qui constitue le fonds d’une armée ; le reste est un accessoire indispensable, mais n’est relativement qu’accessoire.
Les deux premières levées restent donc dans leurs foyers, comme je viens de le dire, et on leur donne le nom, absurde, de réserve ; je dis absurde, parce que réserve exprime quelque chose dont on peut disposer en cas de besoin ; et cette réserve n’a rien de disponible.
Le milicien, après avoir vécu 2 ans dans sa famille, part à 20 ans pour son corps ; à peine y est-il d’un an, à peine commence-t-il à contracter les habitudes du service, qu’on le renvoie en congé. Il reprend facilement et vite les habitudes de la famille, puis on le rappelle encore sous les armes pour servir quelques mois ; il revient mécontent, réhabitué qu’il était dans la maison paternelle. Enfin on le rappelle encore une troisième fois pour servir quelques semaines pendant la période du camp.
Le soldat ballotté ainsi, entre la maison paternelle et son corps, se trouve, pendant plusieurs années, dans la position la plus étrange, il ne parvient pas à prendre les habitudes militaires, et il ne peut, dans les intervalles de ses congés, entreprendre rien de solide. Cela fait un très mauvais militaire, et trop souvent un citoyen médiocre.
C’est à ce système de service combiné avec nos lois pénales militaires, qu’une commission est chargée de réviser depuis 1832, soit dit en passant, que nous devons ce dégoût pour le service, et par suite le grand nombre de délits et de désertions, qui encombrent nos prisons, espèce de fléau qui afflige l’armée, et sur lequel l’honorable M. Verhaegen s’est étendu avec raison l’année dernière.
Si ensuite nous portons nos regards sur l’état de nos régiments d’infanterie et même de cavalerie, nous trouvons que l’effectif de nos bataillons et de nos escadrons est tel, que M. le ministre s’est vu obligé d’avouer lui-même qu’ils n’ont pas, à cause de leur faiblesse, les conditions ni du service ni de l’instruction.
Les compagnies d’infanterie, autres que celles du régiment d’élite et des chasseurs à pied, ont à peine atteint le chiffre de 45 hommes, et lors des prises d’armes, en déduisant les hommes aux hôpitaux, devant les conseils de guerre, en petite permission, employés pour le service des officiers, elles comptent de 25 à 30 hommes au plus, cadre non compris.
Je puis vous citer un fait dont l’exactitude paraît démontrée. Un colonel reçut l’ordre de se rendre avec son régiment dans une ville dont la tranquillité était compromise et, pourrait-on le croire quand son régiment se mit en marche, il ne comptait pas trois cents hommes.
La cavalerie, sans avoir subi des atteintes aussi graves, n’a que de faibles escadrons. On est obligé d’en former 4 avec six escadrons de guerre pour la manœuvre.
Cette réduction si excessive de l’infanterie m’a un jour semblé injustifiable, quand on songe que la chambre a voté chaque année la solde d’un effectif plus nombreux de 55 hommes par compagnie, cadre non compris ; si le ministre ne se sent pas lié quant à l’effectif des régiments pendant le cours de l’année par le vote de subsides de la chambre, il peut donc, quant cela lui conviendra, quant il voudra, peut-être, se créer des ressources pour d’autres services, comme cela s’est déjà vu pour le camp entre autres, réduire l’effectif presqu’à zéro. Cette immense latitude n’est pas faite pour rassurer. Est-ii d’ailleurs convenable d’abandonner à l’arbitraire du ministre le temps de service de chaque milicien ? Est-il raisonnable d’abandonner à la volonté du ministre le règlement du temps de service des citoyens, le règlement de la contribution la plus onéreuse ? Pour l’un, il pourra se contenter d’un service de 6 semaines ; pour un autre, il pourra réclamer un service de 6 mois ; il pourra exiger d’un troisième un service de 5 ans et plus encore !
Abandonner le règlement d’une charge aussi lourde à la volonté d’un homme me semble un système absurde dans un pays qui veut la légalité partout.
C’est là une situation mauvaise, on ne peut en disconvenir ; et je me hâte de le dire, je conviens que, parmi les modifications que M. le ministre se propose d’introduire dans quelques services de l’armée, il en est qui constituent de véritables améliorations ; ainsi j’approuve fort le projet d’augmenter l’effectif de nos compagnies d’infanterie, qui étaient réduites, comme l’a dit M. le ministre, de façon à n’avoir plus ni les conditions du service ni de l’instruction. Mais, cet effectif serait-il bien réel pendant l’année ? Se permettra-t-on encore de le réduire en-dessous des crédits alloués, spécialement pour ce service ? Je voudrais que M. le ministre voulût s’expliquer à cet égard.
Ensuite, persévérera-t-on dans le mauvais système de faire passer sans cesse le soldat de la vie militaire à la vie civile, et vice-versa, comme la balle au jeu de paume ? Combien de temps le retiendra-t-on sous le drapeau ? Ce sont des doutes qu’il serait convenable de lever.
Mais il est d’autres modifications, qui ne peuvent avoir mon assentiment, parce que je n’en comprends pas l’utilité ; c’est d’abord l’augmentation du cadre de l’état-major général bien au-delà de ce qu’il était lors de notre état de guerre de 1830 à 1839.
C’est l’augmentation du cadre de l’état-major de l’artillerie au-delà de ce qu’il était pendant notre état armé. La formation de nos batteries qui ont à agir isolément, cette formation en 4 régiments me semble injustifiable. La formation de l’artillerie en régiment n’est qu’une mesure administrative ; cette formation suffisait en 3 corps, si on avait songé davantage aux intérêts du pays.
Je ne veux pas entrer davantage dans la discussion des articles, mais je me bornerai à dire que je doute fort que M. le ministre parvienne à couvrir les dépenses occasionnées par l’augmentation des états-majors et de l’effectif de l’infanterie au moyen de l’économie résultant de la suppression de 2 compagnies des bataillons de réserve et d’un des deux sous-lieutenants dans les compagnies de ligne.
On ne conçoit pas que M. le ministre n’ait pas eu au moins l’énergie de supprimer, d’après l’avis de la commission qu’il a consultée et qui, m’a-t-on assuré, a émis cette opinion, les bataillons de réserve, dont les cadres sont inoccupés, ou dont le faible service qui leur est attribué pourrait être réparti entre les nombreux cadres de nos régiments d’infanterie.
Je ne puis encore me prononcer sur la réalisation du système de la section centrale, il a été vivement attaqué, il a été attaqué d’une manière violente même et peu parlementaire, que je ne puis approuver. Je voudrais entendre la défense pour émettre une opinion consciencieuse.
Je termine en disant qu’avec un peu de bonne volonté, beaucoup d’économies pourraient être introduites sans toucher même aux cadres.
Pourquoi ne cherche-t-on pas à imiter l’économie introduite dans la tenue des troupes françaises et prussiennes ? Pourquoi faut-il qu’un régiment belge coûte plus cher à l’Etat qu’un régiment français ou prussien, en tenue, en équipement, en solde même ?
Notre administration militaire est chère, parce qu’elle est empruntée à un pays, la Hollande, où les prix sont plus élevés que dans le nôtre. Notre administration militaire est compliquée, parce qu’elle vient du même pays. Le système d’administration français est moins dispendieux en argent et en écritures ; pourquoi ne pas l’imiter ?
Bien des améliorations auxquelles un ministre ne songe pas, ou auxquelles il n’a pas même le temps de songer, parce qu’après tout on n’est pas universel, parce qu’on est ministre, bien des améliorations, dis-je, s’introduiraient dans l’armée, si notre administration de la guerre était dotée d’une institution qui lui donnerait un caractère solide, et qui donnerait plus d’autorité à ses propositions et à ses actes ; j’entends parler d’un comité de la guerre, organisé à l’instar des comités érigés en France en 1818.
Ces comités, composés d’abord de droit des inspecteurs, se réunissent tous les ans en session à l’issue des tournées d’inspection pour dresser leurs rapports. La durée de cette session est limitée. Ils n’ont pas d’initiative, et ils ne délibèrent que sur les questions qui leur sont soumises par le ministre. Des comités ainsi organisés sont d’une immense utilité, sans gêner l’action responsable du chef du département de la guerre, ces comités sont les conservateurs des traditions militaires, ils suppléent à l’instabilité politique. Si l’armée avait un comité on ne verrait pas faire et défaire sans cesse, d’après le caprice individuel des derniers arrivants au pouvoir, et cela toujours au détriment du trésor et souvent de l’armée. Si nous avions un comité de la guerre, nous n’aurions pas vu probablement appeler des députations de tous les régiments de cavalerie de l’armée à Bruxelles pour les faire délibérer sur un mode d’équitation, chose assez bizarre dans une armée, et pour leur donner une instruction incertaine, puisque le gouvernement ne sait pas lui-même encore quel système il adoptera.
Maintenant, messieurs, je réclame encore un instant d’attention.
M. le ministre de la guerre ne s’est pas encore prononcé sur la question constitutionnelle ; à savoir s’il entend organiser l’armée par une loi, ou s’il entend qu’elle le sera par des arrêtés ? Il s’est borné à dire, à ce que nous a assuré l’honorable M. Lebeau, qu’il n’entendait pas préjuger la question. A en croire cependant le recueil intitulé : « Composition organique de l’armée belge (budget 1843), » que le ministre nous a fait distribuer, il semblerait décidé, en attendant l’organisation voulue par la constitution, de régler l’organisation par des arrêtés, et à écarter ainsi, indirectement et indéfiniment, l’organisation constitutionnelle.
Je ferai donc une question à M. le ministre ; je me permettrai de lui demander :
S’il entend que le vote approbatif de son budget ait pour résultat :
L’approbation définitive de l’organisation dont M. le ministre nous a fait distribuer un exemplaire comme une organisation normale ?
S’il entend qu’un vote affirmatif entraîne l’approbation du système de l’organisation de l’armée par arrêtés, et l’ajournement indéfini de l’organisation voulue par la constitution ?
Je demande, en deux mots, si un vote approbatif aura pour effet d’approuver autre chose que du provisoire.
Cette réponse décidera de mon vote.
M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - J’ai déjà répondu à l’interpellation de l’honorable M. de Man ; j’ai dit que le vote ne préjugeait rien dans la question, que, d’après ma manière de voir, je pensais que l’art. 139 de la constitution avait, sinon en totalité, du moins en grande partie été satisfait par les diverses lois qui ont réglé certaines parties de l’organisation de l’armée, mais que s’il en restait encore d’autres à faire, je m’empresserais de les soumettre à la législature, après, bien entendu, qu’elles auraient été mûrement examinées en conseil.
M. de Mérode. - J’ai vu hier avec peine, messieurs, la discussion trop vive qui s’est élevée entre M. le ministre de la guerre et l’honorable M. Brabant. Le rapporteur de la section centrale a bien mérité de la chambre du pays, de l’armée même, en s’occupant avec beaucoup de zèle et à l’aide d’un travail instructif de ce qui concerne notre état militaire. Je, conçois parfaitement d’autre part, que M. le ministre n’accueille pas avec faveur les critiques, les conceptions de la section centrale et de son organe. Pour moi, chacun d’eux a rempli consciencieusement sa tâche, et il me semble qu’il n’y a lieu de se fâcher ni de part ni d’autre, mais de tendre à la connaissance du vrai.
Personne plus que moi, n’a pris chaudement à cœur l’intérêt de l’armée belge, qui est l’intérêt national, selon le beau mot de M. Thiers, que je ne me lasserai pas de répéter : L’armée, c’est le patriotisme organisé. Bien que je sois réputé clérical par excellence dans certains esprits, on pourrait encore m’appeler aussi justement maniaque-troupier ; car j’estime infiniment l’uniforme et je ne considère pas un pays en Europe sans forces militaires, comme un véritable Etat. Je suis en outre financier cupide pour le trésor, parce que sans bonne gestion de la fortune publique, il n’y a que misère, souffrances ou banqueroutes à attendre pour l’avenir.
Or, l’argent, on l’a dit avec raison bien des fois, l’argent est le nerf de la force militaire, c’est ce que notre gouvernement semble trop oublier. M. le ministre de la guerre est, à cet égard, plus excusable qu’un autre ; sa carrière jusqu’ici n’ayant pas été politique ; cependant, comme il lui passe par les mains des sommes considérables, il doit comprendre que son ministère se lie intimement avec celui des finances. Il ne suffit donc pas qu’il fasse de la stratégie parfaite dans l’art qui lui est spécial, mais qu’il la combine avec les ressources pécuniaires du pays.
Comme nous avons eu, à une époque, plus de 100 mille hommes sous les armes, on imagine que nous serions encore dans d’autres circonstances en état de soutenir un tel armement. Je crois, messieurs, que c’est là une véritable illusion. En 1831 et 1832 nous pûmes contracter, dans une position grave, un emprunt de 50 millions, parce que nos préparatifs de guerre étaient alors un moyen de paix, l’empêchement à une attaque de la Hollande à laquelle s’opposaient aussi la France et l’Angleterre. M. Rothschild versa dans nos coffres 50 millions, parce que de leur emploi devait résulter très probablement à ses yeux, non les combats, mais l’affermissement pacifique d’une nationalité naissante, placée dans une situation défensive respectable, sous le patronage de deux grandes puissances. N’imaginez donc point que si la guerre était réellement imminente, vous trouveriez encore des prêteurs comme alors. Tout emprunt vous serait, au contraire, refusé, et d’ailleurs, que d’emprunts n’avez-vous pas ajoutés aux sommes dont l’Etat se trouvait débiteur, il y a dix ans ; vous avez voulu des chemins de fer lancés dans toutes les directions les plus coûteuses. Vous ne voulez pas en recueillir les produits qu’ils pourraient donner dans l’intérêt des finances pour atténuer les charges qu’elles supportaient en suite de cette création exagérée par ses développements secondaires. Vous ne voulez pas de centimes additionnels. On a rejeté les propositions du gouvernement, puis celles de M. Mercier, sur la taxe du café. Le tabac, qui donne à la France 70 millions, ne rapporte rien en Belgique. C’est avec une peine extrême que le trésor a obtenu des sucres une recette encore insuffisante pour équilibrer en pleine paix les dépenses et le revenu national. Comment donc pourrions-nous maintenir avec ces errements des cadres pour 80,000 hommes ; et surtout, j’insiste particulièrement sur cette observation : comment pourrions-nous, au besoin, à une époque de malaise général, qu’amènent nécessairement les bruits de guerre, tenir sur pied une force si considérable ? Plus nous serions pauvres en pareille circonstance, plus nous serions faibles. Doublez, triplez la contribution foncière et votre armée de 80,000 hommes ne sera pas pourvue pour 6 mois de ce qu’il lui faut.
L’essentiel, à mes yeux, en fait d’armée pour la Belgique, c’est de conserver dans le pays l’art militaire, l’esprit soldat, d’avoir toujours un certain nombre d’hommes qui s’en occupent sérieusement et qui fassent estimer la nation belge quand ils se trouveront engagés dans une lutte, de concert avec une grande armée, dont ils seront les auxiliaires. C’est la qualité des troupes que je désire pour mon pays, non pas une quantité hors de proportion avec sa force réelle. On nous dit : vous avez tant de places fortes, il faut bien les défendre. Je pense que nous en avons beaucoup trop, parce qu’elles deviendront au premier choc la proie du voisin. Il faudrait à notre royaume quelques bonnes citadelles susceptibles d’être gardées avec notre matériel de guerre par un petit nombre de soldats, de manière que les autres puissent tenir la campagne. Le reste n’offre que danger. Si l’esprit militaire enflammait d’un beau zèle nos populations, si l’on s’organisait de toutes parts en landwehr, que chacun voulut d’avance appartenir a une troupe exercée, faite au maniement du canon, prête à remplir nos places au premier signal, je concevrais leur utilité ; mais je prends les choses comme elles sont, je ne vis pas de suppositions gratuites, je me contente du possible, et le possible, en Belgique, c’est une bonne armée de 25,000 hommes en temps de paix et de 50 à 60,000 au plus en cas de guerre. Je veux cette force bien constituée, sans économie mesquine avec encouragement pour l’officier et un traitement pour les généraux équivalent à celui des généraux français et prussiens.
Je sais qu’on rendrait inutile ainsi le service d’un grand nombre d’officiers, mais il est vraiment triste de penser qu’il y a dans notre gouvernement tant de décousu que l’on n’ait pas saisi toutes les occasions de donner à des officiers mariés, pères de famille, les places civiles qu’ils pouvaient occuper, tant au chemin de fer, où ils eussent été excellents, qu’ailleurs encore. Quand l’époque du danger est passée, je ne vois rien d’ignoble, rien d’inconvenant pour un militaire à l’acceptation d’une fonction civile.
Je sais qu’il est plus agréable pour les distributeurs d’emplois d’avoir les coudées franches, de placer qui bon leur plaît, mais des ministres devraient avoir des idées plus larges, et embrasser dans leur ensemble les grands intérêts de l’Etat. Cette harmonie, ce concours mutuel, n’a pas existé, n’existe point, je le regrette grandement ; car elle nous épargnerait bien des embarras. La combinaison du service militaire d’un certain nombre d’années, avec un emploi civil comme récompense, serait du plus utile encouragement pour une foule de sous-officiers dont la conduite aurait été louable dans leur régiment. L’homme qui a porté les armes pour son pays devrait jouir de toutes les faveurs possibles, devrait obtenir la préférence pour tous les postes susceptibles de lui être conférée, plutôt qu’à des solliciteurs sans autres titres que des protections, plus ou moins puissantes ; et, par exemple, les places vacantes des chemins de fer devraient être exclusivement conservées pour l’armée. J’entends celles que d’anciens militaires peuvent occuper aussi bien que des élus envers lesquels l’Etat n’a aucune obligation.
Je désirerais aussi que l’on fît passer moins d’hommes par les cadres. L’idée de rentrer le plus tôt possible dans leurs foyers est la seule qui frappe aujourd’hui les miliciens. Bien des pareils s’exténuent pour payer les masses de leurs enfants, et la prison militaire d’Alost est encombrée de condamnés que l’on place même à Vilvorde, et qui préfèrent la déchéance du rang militaire à la remise de leurs peines. Voici à cet égard une note que vous voudrez bien, messieurs, me permettre de vous lire :
« Lors de la discussion du budget de la guerre pour l’année 1842, un membre de la chambre (M. Verhaegen) a appelé l’attention du gouvernement sur le nombre excessivement élevé des prisonniers militaires, et sur la nécessité de mettre promptement un terme à un état de choses essentiellement compromettant pour l’armée et pour le pays en général.
« Ses plaintes n’ont pas été écoutées. Rien n’a été fait, pendant l’exercice qui vient de finir, pour améliorer notre législation militaire, et le mal va toujours s’accroissant.
« Chaque année on demande aux chambres des allocations, pour construction de nos prisons nouvelles au lieu de rechercher si, à l’aide de quelques dispositions législatives, on ne parviendrait pas, sinon à vider, du moins à ne pas remplir celles existantes. »
Quoi qu’on en ait dit, et quelque pénible que soit cet aveu, le chiffre des prisonniers militaires s’élève de 2 à 3 mille, c’est-à-dire que l’armée seule fournit presque autant de prisonniers que toutes les classes civiles.
« Toutes les autorités sont d’accord qu’une disposition du code pénal militaire, qui permet d’appliquer la peine de la déchéance, est une des grandes causes, sinon la seule, qui peuple si scandaleusement nos prisons.
« Les soldats commettent certains délits pour être déchus ; ils le disent, ils l’avouent hautement ; il en est même qui réclament la déchéance, quand ils croient que, par oubli, les conseils de guerre ne la leur appliquent pas.
« L’émeute qui a éclaté, il y a dix-huit mois, à Alost, n’a pas eu d’autre cause : le Roi en avait relevé un certain nombre de la déchéance ; eh bien ! ils ont déclaré qu’ils n’entendaient plus être portés sur les listes de grâces. Et ils se sont révoltés !
« Interrogez les hommes qui sont préposés à la garde des prisonniers militaires, ils vous diront qu’après six mois de détention, pour qu’un premier délit n’entraînant pas la déchéance, ils quittent la prison en disant : Nous ne vous disons pas adieu, mais au revoir ; nous reviendrons bientôt.
« Et le gouvernement ne s’émeut pas plus d’un pareil état de choses que s’il ne pouvait y porter aucun remède !
« Et pourtant, je le répète, le remède existe, tout le monde l’a signalé ; autorité judiciaire, autorité administrative, autorité militaire, tout le monde crie haut et ferme depuis un temps infini : Abolissez la déchéance, et vos prisons se dépeupleront.
« Ai-je besoin d’insister sur l’atteinte portée à la moralité publique, par les faits que je viens de signaler ?
« Qui ne sait, en effet, que l’on contracte en prison des vices déplorables ; que, loin de s’y améliorer, on y devient plus vicieux ; que l’on transporte, en la quittant, dans son village, dans ses foyers, les mauvais principes puisés dans le contact avec des hommes mauvais et immoraux, etc., etc. ? Qui ne sait tout cela ? »
Ce n’est pas tout encore.
La prison d’Alost ne suffisant pas pour contenir tous les prisonniers militaires, il a fallu depuis longtemps les déverser sur d’autres prisons, où ils sont mis en rapport, non plus avec des soldats ayant commis, comme eux, des délits milliaires, mais avec des escrocs, des faussaires, des voleurs, etc.
« Et puis, l’on viendra se plaindre que la moralité publique aille se détériorant !
« Et personne n’y contribue plus puissamment que le gouvernement lui-même !
« Si le gouvernement ne veut rien faire, qu’il le dise ; alors le rôle des chambres pourra commencer, et s’il est une matière qui puisse faire convenablement l’objet d’une enquête de leur part, c’est assurément celle-là. Cette enquête, j’en suis convaincu, produirait les meilleurs fruits et amènerait indubitablement des résultats inattendus.
« Des économies, des économies, voilà le cri général ! Eh bien, en voilà une toute trouvée. Désemplissez les prisons t Que ceux-là qui n’ont que ce seul point en vue ; que les ministres, qui ne craignent pas de demander des ressources nouvelles à l’impôt, se hâtent de prendre des mesures pour diminuer considérablement une dépense, qui ne peut figurer dans nos budgets que comme un signe de notre démoralisation. »
On devrait conserver sous les armes les miliciens pendant quatre ans, réduire ainsi le nombre des appelés et les habiller comme en France aux frais de l’Etat. Le soldat, persuadé d’avance qu’il a son temps à accomplir, se ferait à son métier au lieu de penser perpétuellement à son village. Mais il faudrait aussi lui donner son lit seul, et les nuits qu’il doit avoir, non pas au minimum du règlement, mais terme moyen. N’est-ce pas fâcheux de voir encore des lits à deux places fournis à nos hommes, tandis qu’en France cet abus est totalement supprimé, et que l’ophtalmie chez nous exige encore davantage le couchage isolé ?
On devrait aussi profiter du temps de service pour faire voir aux soldats et officiers les diverses parties du pays. On en fait, au contraire, des bourgeois de telle ou telle ville où ces corps résident en quelque sorte à perpétuité ; c’est une bien malheureuse économie que celle-là. A Bruxelles, par exemple, la vue d’un cuirassier, d’un chasseur à cheval, d’un lancier, appelle l’attention comme celle d’un militaire autrichien ou prussien, et rend l’armée étrangère à la capitale. Rien ne satisfait plus le public et ne l’affectionne davantage à l’armée que de voir passer sous ses yeux les différentes troupes qui la composent. A Namur on doit croire qu’il n’existe en Belgique d’autre cavalerie que les chasseurs ; à Bruxelles, que les guides et les gendarmes. Quant à l’infanterie, le bataillon de chasseurs à pied si bien tenu, qui fait partie de la garnison, vient au moins rompre heureusement la monotonie habituelle de l’uniforme qui s’y présente.
Messieurs, je ne m’éloigne pas beaucoup des idées principales émises par l’honorable rapporteur de la section centrale ; cependant je ne puis me rallier à son vœu de suppression du camp. J’ai trop indiqué l’opinion que nous devons avoir une armée pas trop forte, mais très militaire ; or, le camp que nous possédons heureusement est un des plus puissants moyens d’instruction. Il ne faut pas s’en priver pour quelques centaines de mille francs. La charge des logements passagers qu’il impose, n’est enfin rien en comparaison de l’obligation du service. Et si l’on ne craint pas, dans l’intérêt public, de forcer un homme à servir comme soldat, on peut bien obliger momentanément un propriétaire de maison à loger ce même soldat prêt à combattre au besoin pour lui. A chacun sa tâche, et la charge de quelques logements militaires ne peut mettre obstacle à l’instruction complète des troupes, instruction qu’elles trouvent au camp mieux que partout ailleurs et qui les enlève du moins pendant quelques jours à la ville où elles sont confinées selon l’usage en vigueur jusqu’à ce moment.
Messieurs, je n’ai pas vu sans surprise et sans embarras les motifs allégués par M. le général Evain pour expliquer l’ancienne fixation du budget normal de la guerre à 25 millions. Je ne pense pas que nous ayons mis tant de finesse pour ne rien dire de plus dans la production de ce document. Nous pouvions très bien croire, en 1832, que la somme de 25 millions était suffisante à notre organisation militaire, quand même elle serait aujourd’hui quelque peu inférieure aux besoins d’une armée dont le refus de la Hollande d’accéder au traité a multiplié les emplois ; il est fâcheux qu’on se noircisse aux yeux de l’Europe, aux yeux de la chambre, pour se disculper d’une légère erreur et d’un léger défaut de prévoyance.
M. Rogier. - Messieurs, je suis heureux de me rencontrer avec l’honorable préopinant sur le terrain de l’armée. Comme lui, depuis dix ans, je me suis associé à tous les efforts que l’on a faits dans cette chambre et dans le gouvernement pour tâcher de maintenir l’armée belge sur un pied respectable. Je viens encore aujourd’hui défendre la même cause, c’est-à-dire la cause de l’ordre, la cause du patriotisme organisé, armé, la cause de la nationalité ; et ici, messieurs, je me hâte de le dire, en défendant le budget de la guerre, ce n’est pas le ministre de la guerre que je défends ; c’est l’institution en elle-même. Toutefois, je dois le dire, j’ai à louer M. le ministre pour différents de ses actes, j’ai à le louer pour la fermeté qu’il a déployée dans diverses circonstances difficiles. Oui, messieurs, M. le ministre de la guerre, et c’est une justice que la chambre ne refusera pas de lui rendre, M. le ministre a eu le courage d’entrer en lutte avec ce qu’il y a de plus difficile à vaincre, avec les personnes, avec une institution très puissante qui, pour quelques bons fruits qu’elle a pu porter, avait fini par faire pénétrer dans l’armée des ramifications que je puis qualifier de fatales, je veux parler de l’association pour le remplacement militaire. Je ne veux pas approuver ici tous les actes de M. le ministre, ni louer telle ou telle mesure qu’il a prise à l’égard de telle ou telle personne, mais je dis qu’au point de vue général, M. le ministre de la guerre a donné des preuves de fermeté, qui lui assurent des titres à la reconnaissance du pays et de l’armée.
Je louerai encore M. le ministre du rôle qu’il ne craint pas de prendre dans cette discussion ; il assume la responsabilité des mesures qu’il propose ; il vient de vous le dire, il ne veut pas se cacher derrière le travail d’une commission, et je le loue de ne pas produire le travail de cette commission dans cette chambre. La position que j’occupe sur ces bancs doit enlever à mes observations tout caractère de partialité, et l’hommage que je rends à M. le ministre ne m’est arraché que par un sentiment de justice.
Messieurs, nous nous trouvons, nous, membres de cette chambre, dans une situation difficile. D’un côté, nous avons le rapport et les conclusions de la section centrale qui proteste, et j’accepte cette protestation, de son dévouement pour l’armée ; d’un autre côté, le rapport et les conclusions du ministre de la guerre qui proteste aussi de son dévouement aux intérêts du pays et à nos institutions nationales. Où est donc la différence ? La section centrale croit avoir amplement pourvu aux besoins de l’armée avec une somme annuelle de 25 millions…
Un membre. - 27 millions.
M. Rogier. - Une somme de 27 millions de francs réductible à 25 millions, mais enfin quel est votre chiffre ?
M. Brabant, rapporteur. - Regardez le rapport.
M. Rogier. - Je l’ai regardé.
M. Brabant, rapporteur. - Le chiffre est de 25,600,000.
M. Rogier. - Soit. M. le ministre de la guerre croit au contraire qu’une somme de 30 millions est indispensable pour la bonne conservation de l’armée.
Un membre. - Non, 29,500,000 fr.
M. Rogier. - Mais, messieurs, ne chicanons pas pour quelques cent mille francs, et laissez-moi raisonner sur des chiffres ronds.
M. le ministre de la guerre vous déclare que dans son opinion il n’y a pas de bonne organisation possible, sans cette somme de 30 millions. Je pose à la chambre une simple question. Si elle adopte les réductions proposées, qu’arrivera-t-il ? Avez-vous sous la main un ministre disponible, capable, prêt à prendre au rabais l’administration de l’armée ? Je ne le crois pas ; je ne pense pas qu’un ministre, quel que soit son envie de parvenir au banc ministériel, qu’aucun militaire digne de ce nom, ait assez d’audace pour se mettre à la tête d’une pareille entreprise, et pour se mettre en opposition avec les opinions de tous ses prédécesseurs ; et vous savez qu’ils ont été nombreux.
Voilà une fin de non-recevoir qui me paraît absolue. M. le ministre vous déclare positivement que, dans son opinion, il n’est pas possible de maintenir l’armée sur un pied respectable, sans un budget de 30 millions, nous avons donc toute raison de croire que sur ce chiffre, tout considérable qu’il soit, eu égard à nos ressources, que sur ce chiffre de 30 millions, des réductions importantes ne pourront pas avoir lieu ; les efforts d’un ministre dont l’économie était devenue en quelque sorte proverbiale, n’avaient pu faire descendre ce budget au-dessous de ce chiffre. En cet état de choses, poser la question, pour moi c’est la résoudre. Je me dispenserai donc d’entrer dans l’examen détaillé des divers chiffres qui nous sont présentés de part et d’autre, je dois me renfermer dans ceux que le gouvernement nous donne.
Avant d’en venir à des réformes aussi importantes que celles que nous propose la section centrale, il faudrait que la chambre, éclairée par une longue expérience, fût en quelque sorte unanime, sur la situation que l’on veut faire à l’armée. Or, je vois que beaucoup d’opinions sont divergentes à cet égard. Suivant les uns, il nous faut 25 mille hommes en temps de paix, 50,000 hommes en temps de guerre. Suivant les autres, et je suis de ce nombre, il nous faut une armée plus nombreuse en temps de paix et plus nombreuse surtout en temps de guerre. Si donc un ministre nouveau venait nous proposer un système basé sur une réduction de l’armée que nous considérions, mes honorables amis et moi, comme trop forte, au lieu de le défendre, nous le combattrions.
D’ailleurs, messieurs, de deux choses l’une : si vous réduisez le nombre de vos soldats, vous serez obligés de substituer à leur service le service de la bourgeoisie, car enfin la défense du pays à l’intérieur et à l’extérieur ne pourra pas être abandonnée et vous serez obligés d’exiger des habitants, au lieu de prestations pécuniaires, des prestations personnelles. Voulez-vous remplacer une partie de l’armée par la garde civique ? Messieurs, je ne demande pas mieux que de voir la garde civique concourir à la défense du pays, à la défense de l’ordre, en même temps que l’armée. Mais vous savez combien cette institution éprouve de difficultés dans son organisation. Je vous demande quel service vous auriez rendu à vos concitoyens, si tout en amoindrissant l’armée, vous étiez amenés à exiger de beaucoup d’entre eux, qui ne s’en soucient pas, des prestations personnelles au lieu de prestations financières.
Il y a, messieurs, une fâcheuse influence qui domine nos débats, nous ne devons pas nous le dissimuler. Je l’avais prévu dès l’ouverture le la session, la situation du trésor n’est pas brillante ; la session dernière a été très féconde en lois qui ont entraîné le trésor dans de grandes dépenses. La session actuelle devait être consacrée au vote de lois financières destinées à remplir le déficit du trésor ; sous ce rapport elle a été à peu près stérile.
C’est en présence de ce déficit que nous avons à régler le plus considérable de nos budgets. On se dit naturellement ; 30 millions, c’est beaucoup, lorsque le pays ne dépense pour tous ses besoins que 110,000,000. Dès lors, on se figure que c’est spécialement sur cette somme de 30 millions qu’il faut faire des économies ; et on est d’autant plus porté à faire ce raisonnement, que le trésor éprouve des besoins, auxquels nous n’avons pas jusqu’ici satisfait.
Messieurs, je reconnais avec tout le monde que 30 millions c’est beaucoup dans un budget de 110,000,000. Mais il s’agit de savoir si cette dépense est nécessaire, si elle est utile, indispensable. L’armée coûte cher ; mais l’armée est aussi la première institution du pays ; sans l’armée, que serait votre nationalité ? Quel rôle joueriez-vous en Europe ? De quel droit oseriez-vous vous appeler nation ?
Mais, messieurs, l’ordre judiciaire coûte cher, les cultes coûtent cher ; la douane, pour citer une institution qui se rapproche davantage de l’armée, la douane qui est chargée de protéger votre commerce et particulièrement votre industrie, coûte aussi des millions ; et à chaque discussion de budget cependant, vous ne venez pas demander des réductions sur la douane, parce qu’ici vous avez des intérêts particuliers qui jetteraient des hauts cris. D’année en année, au contraire, vous avez augmenté la dotation douanière. Ce n’est que l’armée qui chaque année a le malheureux privilège de provoquer des économies. J’explique cette préoccupation de la chambre, parce qu’on s’imagine que là où il y a beaucoup à dépenser, il y a beaucoup à économiser. Mais la question est de savoir si les 30 millions ne sont pas le stricte nécessaire pour la bonne organisation de l’armée. La déclaration vous en a été faite par M. le ministre ; elle vous avait été faite antérieurement par plusieurs de ses prédécesseurs. Je vois en présence de ces déclarations celle de l’honorable M. Brabant et de ses collègues de la section centrale. J’éprouve un doute et dans le doute c’est du côté du gouvernement que je me range.
Messieurs, un honorable membre vient de dire que c’est encore un budget provisoire que nous allons voter, qu’à cette condition seule, il lui donnerait un vote approbatif. Dans mon opinion, messieurs, ce n’est pas un budget provisoire que nous allons voter. Je suis tout autant qu’un autre partisan des économies. J’appuierai avec reconnaissance toutes les économies qu’un ministre de la guerre viendra nous présenter, pour autant cependant que l’organisation de l’armée n’ait pas à en souffrir ; mais ce n’est pas à dire que nous devions, d’année en année, remettre en question le sort même de l’armée. Car enfin la carrière militaire en Belgique n’offre pas déjà tant d’attraits. Nous nous plaignons de l’affaiblissement de l’esprit militaire dans notre pays. Nous avons créé plusieurs institutions pour tâcher de relever l’esprit militaire, de l’encourager. Mais si vous allez sans cesse menacer cette carrière de grandes réductions, si elle n’offre aucune stabilité, moins que jamais on s’y portera. Si l’ordre judiciaire était à tout instant menacé dans son existence l’on ne se porterait pas avec beaucoup d’entraînement vers la carrière judiciaire. Il en serait de même de toutes nos institutions nationales. Toutes ces institutions ont leur sort réglé depuis plusieurs années, et on ne vient pas à chaque budget le remettre en question.
Ainsi doit-il en être de l’armée. A part les économies sages, conciliables avec le bien du service, je considère le budget de la guerre comme devant être aussi définitif que celui de toutes nos autres institutions.
On doit, messieurs, savoir en prendre son parti. Il faut à la Belgique une armée respectable, ou pas d’armée ; pour avoir une armée respectable 30 millions sont-ils indispensables ? le gouvernement le pense ainsi. Je voterai donc les 30 millions, et je le répète, messieurs, je ferais opposition à un ministère qui, par un certain esprit de popularité, viendrait proposer des réductions incompatibles avec le bien de l’armée.
Peut-être, messieurs, va-t-on nous accuser d’être du parti dépensier. Eh bien, je ne recule pas devant cette accusation ; j’accepte ce rôle, j’admets de pareilles dépenses comme j’admettrai toujours toutes les dépenses que je croirai utile à l’intérêt du pays.
M. de Mérode. - Et les recettes ?
M. Rogier. - Les recettes, j’ai dit tout à l’heure ce que j’en pensais. Si le trésor n’est pas mieux garni, ce n’est pas ma faute. J’ai donné des avertissements en temps utile, je suis encore prêt à voter des recettes si le gouvernement les demande, si le gouvernement a la fermeté de poursuivre la discussion de ses divers projets qui sont devenus aujourd’hui comme s’ils n’avaient jamais existé. Mais il paraît que l’on veut remettre à la session prochaine tous les projets plus ou moins difficiles à défendre.
Ainsi, messieurs, me résumant, je pose à la chambre cette question : D’après les déclarations formelles de M. le ministre de la guerre, 30 millions lui sont indispensables. Avez-vous un ministre capable d’entreprendre l’administration de l’armée au prix de 25 millions, essayez-en. Si vous n’en avez pas, messieurs, maintenez le ministre actuel. Je ne pense pas qu’il ait démérité de la chambre ni de l’armée ni du pays. Je vous engage pour ma part, et cette exhortation ne peut vous être suspecte, à maintenir M. le ministre à son poste.
M. Orts. - Messieurs, les paroles que je viens d’entendre prononcer par mon honorable ami, M. Rogier, ont confirmé certaines inquiétudes que j’avais conçues sur la grave question qui nous occupe. Le budget présenté pour 1843, nous constitue-t-il dans un état normal d’où nous ne puissions plus sortir ? Serait-il vrai de dire que ce budget n’est pas un budget provisoire, que c’est un budget définitif et que tous les ans il faudra, si je puis m’exprimer ainsi, jurer dans la parole du maître.
J’ai entendu dire aussi qu’il ne faut pas chaque année remettre en question le sort de l’armée. Cela peut être vrai sous un rapport, et je dirai comment je conçois cette pensée, lorsque j’aurai répondu à un exemple cité par l’honorable préopinant. Il cite comme exemple l’ordre judiciaire. Certes l’état de l’armée, comme l’état de l’ordre judiciaire, doit avoir sa fixité. Mais l’ordre judiciaire n’est-il pas réglé par la loi ? Et tandis que toutes les administrations sont réglées par la loi, serait-il vrai que l’organisation de l’armée ne devrait pas l’être et qu’elle n’aurait d’autres errements à suivre que celui des arrêtés royaux ?
Cette question, messieurs, est très grave, et, quant à moi, je crois qu’elle doit influer beaucoup sur le sort du vote qui suivra la présente discussion. En effet, lorsque je considère attentivement les dispositions de la constitution, il me paraît bien difficile de croire, en examinant le titre V, De la force publique, et en le combinant avec le chapitre II, section première, intitulée Du roi, que l’organisation de l’armée pourrait être réglée par de simples arrêtés royaux.
Je suppose pour un instant que l’art. 137 n’existe pas, et que nous en soyons réduits au titre V, intitulé : De la force publique. L’art. 118 dit, à la vérité, que le mode de recrutement de l’armée est déterminé par la loi ; que la loi règle l’avancement, les droits et les obligations des militaires. Le mot organisation, je dois en convenir, ne s’y trouve pas. Mais lorsque je rapproche cet art. 118 qui traite de l’armée, que je place, moi, bien au-dessus de la gendarmerie et de la garde civique, lorsque je le rapproche des articles 120 et 122, qui déclarent d’une manière bien précise que l’organisation de la gendarmerie fait l’objet de la loi, que l’organisation de la garde civique est réglée par la loi ; je me demande s’il n’existe pas ici un argument vulgairement appelé a fortiori, c’est-à-dire un argument bien plus puissant pour placer l’organisation de l’armée tout entière sous le domaine de la loi.
Je raisonne toujours dans la supposition que l’art. 139 n’existât pas et je dis qu’il serait difficile de concevoir que l’on aurait soumis à la loi l’organisation de deux institutions qui, sous le rapport de la force armée, sont certainement indispensables, mais qui comparativement à l’armée n’occupent cependant que le second rang.
Voyons maintenant si notre pacte fondamental place dans les attributions du roi le droit d’organiser l’armée par arrêtés ? Deux articles sont spécialement contraires à ce qui concerne les rapports que le chef de l’Etat peut avoir avec l’armée. C’est d’abord l’art. 66, qui porte : « Le roi confère les grades dans l’armée. Il nomme aux emplois d’administration générale, etc. » Ainsi le roi confère les grades dans l’armée, mais l’art. 66 se garde bien de dire que le roi est chargé d’organiser l’armée ; il ne lui délègue pas ce pouvoir et dès lors aux termes de l’art. 78 de la constitution, le roi ne peut seul l’exercer.
D’un autre côté, messieurs, jetez les yeux sur l’art. 68. L’article 68 défère au Roi le commandement des forces de terre et de mer, le droit de déclarer la guerre, de faire les traités d’alliance et de commerce, moyennant d’en donner connaissance aux chambres aussitôt que l’intérêt et la sûreté du pays le permettent et en y joignant les communications convenables.
Ainsi, messieurs, dans les dispositions où la constitution s’occupe des rapports du Roi avec l’armée, elle investit le chef suprême de l’Etat du droit de nomination, elle lui confère la collation des grades, ce qui ne concerne que les personnes ; elle lui confère en outre le commandement des forces de terre et de mer, le droit de déclarer la guerre ; mais résulte-t-il de là que le Roi puisse seul régler tout ce qui concerne l’organisation de l’armée ?
Il me semble que tirer cette conséquence des deux articles que je viens de citer, ce serait aller trop loin, car autre chose est de s’occuper de questions de personnes, de conférer des grades, de déclarer la guerre ; autre chose est d’organiser d’une manière permanente les forces de l’Etat.
Ainsi, messieurs, il y a dans les dispositions de la constitution qui se trouvent sous la rubrique De la force publique, des raisons puissantes pour nous faire pense qu’il est dans l’esprit de la constitution que l’organisation de l’armée soit réglée par la loi et sous la rubrique Pouvoirs du Roi, il y a absence totale de tout ce qui pourrait faire supposer que le droit d’organiser l’armée ait été attribué au chef suprême de l’Etat.
Mais, messieurs, si ces dispositions pouvaient laisser quelque incertitude sur la question, l’article 139 vient faire disparaître toute espèce de doute. Il dit en termes exprès :
« Le congrès national déclare qu’il est nécessaire de pourvoir par des lois séparés :
« 10° L’organisation de l’armée, les droits à l’avancement et à la retraite. »
Peut-on après cela, messieurs, supposer que lorsqu’il s’agira d’organiser d’une manière permanente la force armée du pays, cette organisation sera abandonnée à un simple arrêté ? Quant à moi, je ne le pense pas. Mon opinion est que le ministère doit présenter un projet de loi sur l’organisation de l’armée ; s’il ne le fait pas, notre initiative est là et l’honorable rapporteur de la section centrale s’acquitterait d’une belle tâche s’il voulait, lui, dans ce cas, présenter un système d’organisation que l’on examinerait, que l’on discuterait, car, messieurs, je dois vous le dire, et ici j’adopte toutes les raisons qui ont été données par l’honorable M. Rogier, il est difficile de se prononcer, surtout lorsqu’on n’est pas militaire, lorsqu’on n’a pas fait de l’art militaire une étude spéciale, il est difficile de se prononcer entre le travail de la section centrale et le travail de M. le ministre de la guerre qui est le résultat des délibérations d’une commission composée de militaires respectables, d’hommes instruits, d’hommes versés dans la partie. C’est cette difficulté que j’éprouve à me prononcer entre le travail de la section centrale et celui de M. le ministre qui me portera à voter pour le budget présenté par celui-ci, mais je déclare que si l’on nous laisse dans l’état d’incertitude, dans l’état provisoire où nous nous trouvons aujourd’hui, l’année prochaine je ferai peut-être ce que l’on fait dans d’autres pays, alors même qu’il s’agit du droit de paix et de guerre. Messieurs, lorsque le chef de l’Etat, investi du droit de déclarer la guerre, la déclare mal à propos, que font les chambres législatives ? Elles refusent les subsides. Eh bien, c’est aussi ce que je serai disposé à faire si l’on ne satisfait pas à la prescription constitutionnelle qui exige l’organisation légale de l’armée.
En ce moment il me serait difficile de me prononcer en faveur de la proposition de la section centrale ; je rends hommage à son travail, mais je ne puis le cacher, elle établit une organisation dans laquelle il est une foule de points qui me paraissent susceptibles d’une controverse sérieuse sous le rapport de l’influence que cette organisation exercerait sur le bien-être de l’armée. Ainsi la suppression du camp, la suppression des lieutenants-colonels, le bouleversement des cadres, tout cela me paraît fort grave, et il me semble que l’organisation de l’armée est un objet assez important pour qu’on ne le traite pas d’une manière incidente, à l’occasion du budget. Ce budget, je ne le considère que comme provisoire, car pour qu’il puisse être permanent, il faut qu’il soit précédé d’une loi qui fixe d’une manière permanente l’organisation de l’armée.
M. Delfosse. - Messieurs, je suis de ceux qui pensent que l’on doit réduire le budget de la guerre et qu’on peut le réduite sans danger pour la nationalité, sans ingratitude pour les services rendus, sans violation des droits acquis. J’ai développé les motifs de cette opinion dans la discussion du précédent budget. Ils sont consignés au Moniteur ; je ne crois pas devoir les reproduire en ce moment, la discussion a déjà été assez longue. Je me borne à déclarer que rien de ce qui a été dit dans la présente discussion ne m’a fait changer d’avis.
Une des raisons qui, pour moi, étaient et sont encore déterminantes, c’est la promesse faite par le gouvernement lui-même que la dépense de l’armée, sur le pied de paix, serait réduite à 25 millions.
Le gouvernement vient nous dire aujourd’hui, par l’organe du général Evain, que cette promesse n’était pas sincère, qu’elle a été faite dans le but de tromper la conférence de Londres, dans le but d’obtenir certains avantages pécuniaires aux dépens de la Hollande.
M. Rogier. - Ce n’est pas le gouvernement qui dit cela.
M. Delfosse. - Cela est dit dans une note du général Evain, ministre d’Etat ; note qui a été insérée au Moniteur, et qui se trouve au nombre des pièces distribuées par le ministre de la guerre.
Messieurs, ce langage a produit sur moi, comme sur l’honorable comte de Mérode, comme sur beaucoup d’autres, l’impression la plus pénible…
Plusieurs membres. - Sur nous aussi.
M. Delfosse. - Il est peu digne d’un gouvernement qui se respecte ; un gouvernement qui se respecte ne vient pas déclarer dans un journal officiel qu’il a eu recours au mensonge pour obtenir des succès diplomatiques.
Je considère la déclaration du général Evain, comme un moyen (moyen bien petit) imaginé pour obtenir de la chambre un vote favorable aux propositions du département de la guerre ; le gouvernement a parlé trop souvent de la loyauté belge dans les relations diplomatiques pour que je puisse admettre qu’il aurait voulu tendre un piège à la conférence de Londres ; j’aime mieux croire, pour l’honneur du gouvernement, pour l’honneur de mon pays, que la promesse faite en 1833 a été sérieuse, et je persiste à en réclamer l’exécution, non pas l’exécution immédiate, je ne veux pas que l’on arrive brusquement à ce chiffre de 25 millions, je demande qu’on y arrive peu à peu, prudemment, avec une sage circonspection.
Bien que d’accord avec la section centrale sur la nécessité d’introduire des économies dans les dépenses de l’armée, je ne pourrai cependant me rallier à la proposition que la section centrale, nous fait de voter un crédit global de 27 millions de francs ; le vote de ce crédit global présenterait, selon moi, les plus grands dangers. Il donnerait trop de latitude à M. le ministre de la guerre. M. le ministre de la guerre pourrait, si nous votions un crédit global, réduire des dépenses utiles et laisser intactes des dépenses qui devraient être réduites. Nous arriverions peut-être à des résultats entièrement contraires à ceux que la chambre désire. Je voterai donc aujourd’hui, comme je l’ai fait sous le ministère du général Buzen, contre la proposition d’un crédit global. Si cette proposition est rejetée, j’attendrai la discussion des articles du budget, et si ces articles ne subissent pas d’assez notables réductions, je me verrai forcé de voter contre le budget lui-même ; dans ce cas le rejet du budget serait le seul moyen d’obtenir des économies ; force serait bien à M. le ministre de la guerre, si son budget était rejeté, d’entrer de lui-même dans la voie des économies et de venir nous présenter un budget moins disproportionné à nos ressources. Je reconnais, comme d’honorables préopinants, que le gouvernement est plus compétent, mais que pour indiquer les articles du budget sur lesquels les économies doivent porter de préférence et il ne pourrait pas se refuser à les indiquer si la volonté de la chambre se manifestait hautement.
M. Brabant, rapporteur. - Messieurs, la discussion du budget actuel se résume en trois points : ce budget est-il normal comme l’a annoncé formellement M. le ministre de la guerre ? Est-il nécessaire de maintenir tous les cadres portés dans l’organisation qui sert de base à ce budget ? L’effectif de troupes qui est demandé, est-il ce que réclame le besoin du maintien de la tranquillité intérieure et l’instruction des troupes ?
M. le ministre de la guerre n’a point, paraît-il, d’opinion bien arrêtée sur la question principale, sur le caractère de normalité (s’il m’est permis de me servir de cette expression), qu’il avait d’abord donné à son budget ; il n’a pas surtout d’opinion bien fixe de constitutionnalité, en ce qui concerne l’organisation de l’armée par une loi.
Vous avez pu lire, tous, messieurs, à la fin du premier rapport inséré dans la brochure distribuée par M. le ministre de la guerre, quelles étaient ses idées et sur votre prérogative et sur le résultat du travail qu’il avait fait. Je ne qualifierai pas ces paroles, je craindrais d’excéder les bornes de la modération, il me suffira d’en donner lecture pour les apprécier.
« Votre Majesté, en accordant sa sanction à ces divers arrêtés, tant pour l’état-major que pour les différentes armes, consacrera pour l’armée un état normal, établi, d’après les exigences les plus impérieuses du service et de notre position politique dans les limites des ressources financières qu’on peut y consacrer. D’autres économies ne pourraient se réaliser sans amener une désorganisation qui porterait atteinte aux prérogatives du Roi, et serait compromettante pour l’avenir du pays. »
Aujourd’hui, l’on semble reculer devant des paroles aussi positives ; on paraît douter de l’opinion qu’elle avait d’abord embrassée, qu’au Roi seul appartenait le choix d’organiser l’armée. On ne sait si les observations qui ont été présentées à cet égard sont fondées ; l’on incline même pour l’opinion qu’on avait d’abord adoptée. Après avoir dans les observations du ministre de la guerre pour servir de réponse au rapport de la section centrale, discuté la question de constitutionalité, on va jusqu’à dire qu’une loi qui réglerait la composition de l’armée, serait contraire au vœu de la constitution. Cependant un peu plus loin, l’on dit que si M. le ministre de la guerre, mieux éclairé venait à s’apercevoir qu’indépendamment des lois déjà faites pour l’organisation de l’armée, il en restait quelques autres à faire pour remplir le vœu de la constitution, il n’hésiterait pas à prendre l’initiative.
Il faut concilier ces paroles ; mais l’opinion de M. le ministre de la guerre paraît bien arrêtée maintenant ; cette opinion est qu’une loi réglerait la composition de l’armée, serait contraire au vœu de la Constitution.
Je n’entrerai pas dans la discussion du point de droit, un de nos honorables collègues, un savant jurisconsulte, vient de vous présenter à cet égard des observations auxquelles il n’y a rien à répondre.
Mais, messieurs, ce n’est pas seulement la constitution qui a promis l’organisation de l’armée par une loi, cette promesse a encore été faite par le gouvernement lui-même dans un discours du Trône. Je lis dans le discours d’ouverture de la session de 1832-1833 : « Un projet de loi sur l’organisation de l’armée en temps de paix vous sera présenté. »
Et pour faire disparaître tous les doutes que M. le ministre de la guerre d’aujourd’hui veut puiser dans cette circonstance, que le § 10 de l’art. 139 de la constitution ajoute à ces mots : organisation de l’armée, ceux-ci : les droits d’avancement et de retraite, le discours du Trône ajoute :
« L’avancement, les pensions deviendront ainsi l’objet de lois particulières. »
Ainsi, dans l’opinion du ministère qui était aux affaires au treize novembre 1832, l’organisation de l’armée était essentiellement distincte des lois sur l’avancement et sur les pensions.
Messieurs, on réclame à juste titre stabilité et sécurité pour l’armée. Eh bien, cette stabilité et cette sécurité ne peuvent résulter que d’une loi.
M. le ministre de la guerre, en faisant publier son rapport au roi et ses projets d’organisation, n’a pas fait publier le projet d’arrêté. Messieurs, vous allez voir par un exemple pris au hasard combien il y a de mobilité dans le système des arrêtés. Je prends le premier arrêté qui me tombe sous la main, c’est celui qui règle la composition de l’état-major des places. En tête on rappelle tout ce qui a été fait à cet égard.
(Ici l’orateur donne lecture du préambule de cet arrêté.)
Ainsi, messieurs, en ce qui touche l’état-major des places, c’est-à-dire la chose du monde la plus simple, voilà trois arrêtés endéans sept ans.
Messieurs, on s’est trouvé embarrassé en présence de la question de droit, et au moyen d’un petit subterfuge que je vais signaler, on a tâché d’échapper à une disposition très formelle de l’art. 139 de la constitution. La brochure qui contient tous les arrêtés, toute l’organisation, a changé de titre, ce n’est plus l’organisation, c’est la composition organique. Vous sentez la différence essentielle qui existe entre l’une et l’autre de ces deux choses. Moi je possède les originaux qui ont été communiqués à la section centrale, là ce n’est plus la composition organique, car j’ai pour l’infanterie : organisation de l’infanterie. Si c’est par de pareils moyens qu’on croit satisfaire au vœu de la constitution, je ne crois pas qu’ils soient fort habiles.
Ainsi donc, obligation imposée par la constitution, (l’honorable M. Orts vous l’a prouvé à l’évidence) et promesse faite par le gouvernement en 1832, à une époque où l’on était encore si près de l’élaboration de la constitution et où certainement la valeur des termes était aussi bien connue qu’elle a pu l’être depuis.
Maintenant si du principe nous arrivons au budget qui nous occupe, nous mettrons M. le ministre de la guerre d’aujourd’hui en présence de MM. les ministres de la guerre qui étaient aux affaires en 1831 et en 1832.
Messieurs, l’organisation de M. le ministre de la guerre, qui sert de base au budget que nous discutons, est, s’il faut en croire certaines assertions, le résultat du travail d’une commission d’officiers-généraux et supérieurs, très respectables par leurs connaissances et par leur expérience. M. le ministre de la guerre n’a d’autre moyen d’établir la vérité de ce fait, qu’en faisant imprimer le travail de cette commission.
Je ne vois dans cette publication rien qui puisse compromettre la sûreté du pays. Nos voisins pourraient connaître notre force et notre faiblesse. Mais celui avec qui nous pourrions entrer en lutte, nous a régis pendant près de 16 ans, c’est lui qui a fait construire les places fortes sur lesquelles repose particulièrement notre sécurité ; dans ce moment peut-être, il ne nous a pas encore remis les plans de ces forteresses. La Hollande peut donc très bien connaître notre force.
Quant à la France et aux autres Etats, je suis persuadé qu’ils ne s’occupent pas seulement de leurs affaires intérieures, ils s’occupent aussi de leurs voisins, et il est très probable qu’à Berlin et à Paris on sait aussi bien et peut-être mieux qu’à Bruxelles, ce qui en est de la force de la Belgique.
Mais on a dit : « Ce serait abuser d’un rapport confidentiel. » En vérité, l’on n’a pas toujours eu cette délicatesse, et pour vous le prouver, je vais vous donner lecture d’une lettre que M. le ministre de la guerre a adressée le 14 décembre 1842 au président de la section centrale.
(L’orateur lit cette lettre.)
Cette note a d’abord été imprimée au Moniteur ; elle a ensuite été reproduite à la première page du mémoire qui nous a été distribué hier matin. Je crois que quand on publie des notes confidentielles de cette nature, on ne devrait pas être si réservé sur des rapports qui sont à peu près des traités d’art, car je ne crois pas que le travail des officiers-généraux chargés de procéder à l’examen d’un système général d’organisation de l’armée soit autre chose qu’un traité d’art.
C’est du chef d’ignorance en matière d’art militaire qu’on refuse à la section centrale toute compétence pour statuer sur l’objet en question.
J’entreprendrai la défense des budgets de 1832 et de 1833. Je dirai que la fixation de ces budgets n’a pas eu la destination qu’on veut lui donner aujourd’hui.
Déjà l’honorable M. Lebeau, qui était membre du cabinet en 1832, vous a dit dans la séance d’hier, qu’il n’en était rien, qu’on n’avait pas voulu tromper la conférence de Londres. Et moi, quoiqu’adversaire politique du ministère d’alors, j’ai assez de confiance dans sa loyauté pour ne pas croire qu’il eût voulu employer un moyen aussi indigne.
M. Rogier. - Cela remonte au ministère précédent.
M. de Theux. - Je demande la parole.
M. Brabant. - Je crois pouvoir épargner à mon honorable ami M. de Theux la peine de répondre à l’interruption qui aurait voulu faire remonter cela à son ministère.
M. Rogier. - Le budget de 25 millions remonte à l’année précédente.
M. Brabant. - Il a été adopté par vous. Le budget de 1832 porte la signature royale à la date du 23 novembre 1831 ; et si je ne me trompe, la loi autorisant le gouvernement à accepter le traité des 24 articles est du 15 novembre 1831. C’est donc 8 jours après l’acceptation du traité qu’on rendait public un budget réduisant la dépense de l’armée à 11,800,000 fl. Alors on avait souscrit à tout, il ne s’agissait pas de réduire la dette, la dette était portée pour 17 millions je ne sais combien de cent mille francs. Ainsi donc, il est inexact de dire pour le ministère, dont l’honorable M. de Theux faisait partie, comme il est inexact de dire pour le ministère dont faisaient partie les honorables MM. Rogier et Lebeau, qu’il y ait eu intention de tromper la conférence. Pour le premier ministère, c’eût été sans objet ; la dette était acceptée ; pour le deuxième, le caractère loyal et honorable des membres du cabinet d’alors repousse ces suppositions. Ainsi nous examinerons si ce budget pouvait satisfaire aux besoins de l’armée.
Pour moi, j’ai une aussi haute idée de la capacité de M. Ch. de Brouckere, alors ministre de la guerre en 1831 et de la capacité de M. le général Evain, ministre de la guerre en 1832, que de la capacité de M. le général de Liem ; de manière que la section centrale aurait pu se retrancher derrière ce projet et dire à M. le ministre de la guerre : Faites établir dans vos bureaux l’inexactitude de ces projets de budget. On ne l’a pas fait, probablement parce que c’était très facile à faire. L’examen du budget de 1843 était déjà fort pénible et je crois que la chambre n’imputera pas à négligence le retard qu’a éprouvé le rapport. Mais je ne me suis pas borné à l’examen du budget de 1843.
J’ai examiné le budget de 1833 et si je ne l’ai pas examiné aussi scrupuleusement que l’autre, vous verrez qu’un examen sommaire m’a amené à des réductions déjà fort raisonnables sur le projet de budget de 1843. Dans ces réductions, il n’y a rien eu du mien, je n’ai fait que faire des opérations indiquées. L’effectif est un facteur de M. le général Evain et le taux des prestations est un facteur de M. le général de Liem. J’ai fait les multiplications et sur quelques articles seulement je suis arrivé à une modique réduction de 800 mille francs. Je n’entrerai pas dans des détails, car je n’ai pas les calculs sous les yeux, mais je vous citerai un seul exemple qui vous indiquera comment les choses pouvaient se faire.
Le général Evain demandait dans son budget du 4 novembre 1832, 290,910 fr. de dépenses imprévues. M. le général de Liem ne demande que 43,801 fr. Voilà un seul article qui donne une réduction de près de 250 mille francs. Autre chose : dans le budget de 1832, la ration de pain était évaluée à 18 centimes ; dans le projet en discussion, la ration de pain n’est portée qu’à 16 centimes. Sur un article aussi important, un neuvième doit faire une assez belle somme. Mais dira-t-on il y a de nombreuses causes d’augmentation, c’est vrai ; la chambre, dans sa sollicitude pour le bien-être de l’armée, a augmente successivement divers traitements. Ainsi, de 1838 à 1839, les traitements des sous-lieutenants qui n’étaient que de 1,480 fr, ont été portés à 1,600 fr., et le traitement des officiers de santé a été notablement augmenté. L’année dernière les capitaines d’infanterie de deuxième classe ont été augmentés chacun de 400 fr.. J’ai voulu voir ce que cela pouvait faire pour un régiment d’infanterie, en appliquant ces augmentations à un régiment d’infanterie dans la forme présentée en 1833, de la force de 1,300 hommes divisés en 5 bataillons et deux compagnies de dépôt ; et j’ai trouve une augmentation totale de 5,378 fr. 70 c. Vous voyez qu’il faut un multiplicateur fort, pour que cela amène un produit quelque peu considérable.
Maintenant, messieurs, pour la base principale du budget, pour le personnel sur lequel le budget est basé, je trouve d’abord pour les officiers, qu’il est calculé à peu près au huitième de l’effectif porté au budget de France pour 1832 ; notez que l’effectif du budget de France en 1832 est à peu près le maximum du nombre d’officiers qu’il y a eu en France depuis la révolution. La moyenne sur les années 1831 à 1838 donnait 8,375 officiers d’infanterie 2,659 officiers de cavalerie, 1,158 officiers d’artillerie et les officiers des régiments du génie n’avaient pas varié, le nombre avait toujours été 247. Si vous comparez les chiffres de 1832 avec ceux que je viens d’indiquer vous avez au lieu d’une moyenne de 8,375 officiers d’infanterie, 9,447, c’est-à-dire 11 cents officiers d’infanterie au-dessus de la moyenne ; nous avions une moyenne de 2,659 officiers de cavalerie, leur nombre en 1832 était de 2,765, augmentation de 104 sur la moyenne ; la moyenne pour l’artillerie était de 1,158 ; en 1832, le nombre était de 1,198. En divisant par 8, non pas la moyenne, mais le chiffre plus fort de 1832, vous avez pour la Belgique 1,181 officiers d’infanterie, 546 de cavalerie, 150 officiers d’artillerie et 31 officiers du génie.
Pour cela, M. de Brouckere demandait 1,182 officiers d’infanterie, différence en plus 1 ; 302 officiers de cavalerie, différence en moins 44 ; 145 officiers d’artillerie, différence en moins 5 ; 31 officiers du génie, somme absolument égale.
M. le général Evain demandait l,199 officiers d’infanterie, majoration 18 ; 290 officiers de cavalerie, diminution 56 ; 169 officiers d’artillerie, augmentation 19 ; 31 officiers du génie, somme encore égale.
Eh bien, messieurs, en prenant d’autres années qui se rapprochent davantage du pied où nous nous trouvons aujourd’hui, la section centrale est arrivée à peu de chose près au chiffre qui était alors proposé. Je dis à peu de chose près, messieurs, parce qu’il y a des armes pour lesquelles nous avons un chiffre plus fort. Il est vrai que l’infanterie a un chiffre moindre.
Si des officiers nous passons aux soldats, nous voyons que M. le général Evain demandait 27,856 hommes ; M. le général de Lien demande 32,079 hommes, différence 4,223 hommes.
Mais, messieurs, cette augmentation on en rend un assez mauvais compte. On dit d’abord : il y a de nouveaux corps. Il faudrait établir que la nécessité de ces nouveaux corps était indispensable, et il y en a qui se sont formés, je pourrais dire subrepticement. Mais les époques sont assez reculées et il peut y avoir eu un changement dans la disposition des esprits. Nous sommes devenus peut-être plus turbulents depuis 1833 et il faut une force supérieure.
Eh bien, messieurs, je prendrai, non pas une époque de turbulence, je crois que la Belgique est essentiellement paisible et ami de l’ordre ; mais je prendrai une année où, si je ne me trompe, il a eu quelque fermentation dans l’une de nos grandes villes industrielles, c’est l’année 1841. Le budget de 1841 était calculé sur un effectif de 28,539 hommes, gendarmerie comprise. Il surpassait donc le chiffre du général Evain de 1,883 hommes. Or, vous avouerez que ce n’est pas 1,883 hommes qui justifient une augmentation aussi considérable que celle qui vous est proposée.
Je sais bien qu’on demande davantage pour le matériel de l’artillerie, qu’on demande davantage pour le matériel du génie, qu’il y a une augmentation très notable sur l’école militaire ; mais remarquez, messieurs, que nous allouons d’abord 2 millions en sus de ce qui était demandé par M. le général Evain ; et comme j’ai eu l’honneur de vous le dire tout à l’heure, le budget de M. le général Evain, jugé par M. le général de Liem, était susceptible d’une réduction de 800,000 francs ; c’est donc 2,800,000 francs, que nous offrons en sus de ce qui nous était alors demandé.
Messieurs, il n’est pas seulement important de constater qu’en 1832 et en 1833 le gouvernement croyait pouvoir suffire aux besoins de l’état de paix avec 25 millions ; il est aussi important de constater que jusqu’à la paix le gouvernement a jugé cette somme suffisante ; et je demanderai la permission à la chambre de lui lire une note qui se trouvait dans mon rapport sur le budget de 1840 :
« Le gouvernement demandait, en 1834, 40,000,000 ; en 1835, 41,550,000 ; en 1836, 38,100,000 ; en 1837, 38,380,000 ; en 1838, 45,500,000, et en 1839, 44,320,000 ; il déclarait qu’on pouvait évaluer les charges extraordinaires à 15,000,000 pour 1834, 16,550,000 pour 1835 ; 13,100,000 pour 1836 ; 13,380,000 pour 1837, 18,500,000 pour 1838, et enfin 19,320,000 pour 1839.
Ainsi, messieurs, je crois que la section centrale échappe au reproche qui lui a été adressé par l’un des honorables préopinants. Nous offrons deux millions de plus que le cabinet dont cet honorable préopinant faisait partie en 1832, n’avait demandé pour les besoins de l’armée ; nous présentons un effectif en hommes, supérieur à celui demandé par le cabinet dont l’honorable M. Rogier faisait partie en 1841.
Il y a une diminution considérable sur les officiers. Mais, messieurs, il n’y a pas de pays qui passant du pied de guerre au pied de paix, ne se soit trouvé dans la nécessité de supprimer une partie de ses cadres, et quelquefois une partie très considérable. Si ma mémoire ne me trompe, la France, après 1815, fut obligé de renvoyer 17,000 officiers, et dans un extrait du rapport de l’honorable M. Passy dont je vous donnais lecture avant-hier, on annonçait pour le passage de 1833 à 1834, la nécessité de renvoyer en congé 2,117 officiers.
Du reste voici, messieurs, la comparaison. Je vous ai tout à l’heure reparlé des extraits que j’avais faits des budgets français, depuis 1831 jusqu’à 1838, et à l’exception de 1841, où vous savez que la France a fait des armements considérables à l’occasion de la question d’Orient ; ce sont les années les plus élevées. Je n’oserais pas même assurer que les développements donnés aux forces de la France en 1841, aient atteint le chiffre de 1833. Eh bien, pour les officiers d’infanterie ; la différence du maximum de 1833, à la moyenne des huit années, est de 1,489 officiers d’infanterie ; la différence minimum à la moyenne est de 1,183, et la différence du minima au maximum est de 2,672.
Maintenant, messieurs, l’honorable M. Rogier peut-il trouver-il juste, en 1843, ce que son collègue, M. le général Evain, proposa en 1833 ? Déjà j’ai eu l’honneur de vous dire, dans la séance d’avant-hier, qu’en 1833 il proposait le renvoi à la demi-solde de 845 officiers. Nous en renvoyons un nombre très considérable ; mais voyez la différence de position ! Au lieu d’une demi-solde d’infanterie, nous vous proposons d’allouer à ces officiers les deux tiers de l’arme à laquelle ils appartiennent, tandis qu’en 1833 on ne faisait aucune différence entre les armes ; tous étaient renvoyés à la demi-solde d’infanterie, demi-solde qui, comme j’ai eu l’honneur de le dire, était inférieure à ce qu’elle serait aujourd’hui, puisque pour différents grades les traitements ont été augmentés.
Messieurs, le côté vulnérable de notre proposition, c’est que ces officiers gardent leur état, et qu’aux termes de la loi sur l’avancement et sur la position des officiers, ils ont droit à l’avancement. Ce droit, à Dieu ne plaise que nous le leur contestions ; il leur est garanti par l’art. 124 de la constitution ; il leur est garanti par les lois de 1836. Mais ce qui est un droit pour l’individu peut être un inconvénient, un mal pour la généralité de l’armée.
Dès 1840, et en proposant une réduction aussi très considérable sur le nombre d’officiers, le rapport indiquait une marche qui avait été suivie dans d’autres pays, c’était d’offrir une juste indemnité aux officiers qui voudraient se retirer de la carrière ; de cette manière on rétablissait immédiatement l’avancement dans ses condition normales, et l’armée rentrait immédiatement dans la jouissance de l’avancement tel qu’il doit être pour stimuler le zèle et le dévouement des officiers.
Je vous ai dit, messieurs, qu’un mode semblable avait déjà été suivi dans d’autres pays. Ce mode, j’en suis persuadé, ne sera pas impopulaire ; il n’y aurait pas trafic de l’épaulette et du brevet, comme le disait hier M. le ministre de la guerre. Ce mode, il avait été proposé par un honorable lieutenant-général de France, non pas dans une discussion publique, et en siégeant sur les bancs de l’opposition, mais dans un traité classique pour l’arme sur laquelle il est écrit. C’est dans l’ouvrage de M. le comte de Laroche-Aymon, que tous les officiers de cavalerie reconnaissent comme un des écrivains les plus estimables sur la matière.
Dans son troisième volume, il proposait une reforme dans la cavalerie. Voici comment il s’exprime :
« Le maréchal Gouvion-Saint-Cyr, lors de son ministère, avait prévu avec son habileté ordinaire, que l’administration de la guerre souffrirait tant dans ses économies que dans l’organisation de l’armée, par suite du grand nombre d’officiers que la réduction du cadres de l’ancienne armée, la formation de la maison du roi mettaient soit en activité, soit en disponibilité. Une ordonnance royale qui mettait à la retraite tous les officiers ayant 50 ans d’âge et 30 ans de service ; ainsi qu’un ajournement de toutes promotions jusqu’en 1826, lui avaient paru le meilleur moyen pour arriver, sans secousses, à un nombre d’officiers proportionné à nos ressources pécuniaires et à nos besoins militaires. Et, en effet, ces deux mesures, si l’on y eût tenu la main, étaient le seul moyen efficace d’arriver à un but, que l’on ne peut trop désirer. N’ayant fait, pour ainsi dire, que passer dans le ministère de la guerre, le maréchal Gouvion-Saint-Cyr n’a pu suivre l’exécution de son projet ; depuis lui le mal n’a fait que s’accroître, et ses symptômes se développent tous les jours d’une manière plus effrayante. Dans l’état militaire l’avenir est tout pour les officiers ; ils sacrifient volontiers le présent à l’espérance d’un avancement, qui offre une carrière à leurs talents et une récompense à leurs services. Sans espoir d’avancement, l’énergie s’endort, la volonté se paralyse, et le dégoût fait des progrès rapides. On est à même de le remarquer, et d’en être convaincu par le nombre des demandes de réforme, et par la quantité des jeunes officiers, qui quittent le service. Ce mal pour les individus est encore plus réel peut-être pour l’Etat, l’armée sans avancement n’est plus qu’une masse inerte ; l’armée encombrée de trop vieux officiers devient stationnaire ; et à mesure que les souvenirs de gloire du passé s’éloignent ou s’effacent, l’avenir se décolore. L’armée prussienne en 1806 et 1807, était composée des mêmes éléments que cette même armée en 1812, 1813 et 1814. Pourquoi cette différence si marquée d’action et de résultats ? Cela vient exclusivement de ce qu’en 1806 et 1807, l’armée prussienne n’avait à la tête de ses corps et de ses escadrons que des officiers trop âgés, officiers très respectables, sans doute, officiers tous plus ou moins formés à l’école du grand Frédéric ; mais ces officiers arrivés tous ou en partie à un but, qu’ils ne pouvaient plus dépasser, ne faisaient plus entrer l’avenir dans les calculs de leur activité, et les besoins de leur énergie ; les jeunes officiers, n’attendant plus rien que du temps, ne faisaient également plus que machinalement leur service. Les revers de 1806 et 1807 éclairèrent le monarque ; à la réorganisation de l’armée, on assura largement l’existence des anciens militaires ; on n’en conserva que ceux qui donnaient de grandes garanties de talents ; monuments du passé, ils devaient par leur expérience, préparer le présent et assurer l’avenir. Les escadrons, le commandement des corps furent confiés à des hommes dans la force de l’âge ; l’armée prussienne acquit une nouvelle vie ; et l’espoir d’un avenir lui permit de déployer dans les campagnes de 1812, 1813 et 1814, cette énergie et cette vigueur, qui, surtout dans les troupes à cheval, se composent de jeunesse et d’espérance. »
Ainsi, messieurs, le lieutenant-général de Laroche-Aymon, dans un passage assez étendu, ne s’occupe que des troupes de cavalerie ; mais ce qu’il disait peut aussi s’appliquer aux troupes de toutes armes.
Je ne crois pas que les officiers très âgés soient bien nombreux en Belgique ; de manière que cette partie de ses observations ne peut trouver ici d’application. La grande masse de nos officiers sont dans toute la vigueur de l’âge, et c’est précisément à cause de cette vigueur, et des nombreuses années qu’ils peuvent encore se promettre, que l’avancement sera bien plus long, si l’on a recours aux mesures indiquées par M. le ministre de la guerre, dans son rapport au roi, et dans le projet d’arrêté qui se trouve à la suite.
Ainsi, on nous annonce un trop plein de 204 sous-lieutenants d’infanterie, et on n’accordera qu’un avancement sur quatre vacatures. Voyez où cela nous conduira. Je crois qu’il serait avantageux d’accorder une juste indemnité aux officiers qui voudraient se retirer du service. Il n’y aurait rien de déshonorant dans une pareille transaction. L’opinion d’un militaire aussi éclairé, aussi plein d’honneur que le général de Laroche-Aymon, me fait croire que je puis avancer sans porter atteinte à l’honneur des officiers, une proposition semblable. Ce moyen a déjà été pratiqué en Angleterre, et l’Angleterre, au moyen d’une transaction large, généreuse, est parvenue à ramener son armée à un pied de paix, et les officiers se sont retirés satisfaits.
Mais, me dira-t-on, tous vos projets sont dans la supposition d’un trop grand nombre d’officiers. Mais, messieurs, la question, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, n’a pas été seulement résolue par moi, mais aussi par M. de Brouckere et par M. le général Evain
M. Rogier. - Par M. Evain en 1833.
M. Brabant. - Par M. Evain en 1833 et par M. de Brouckere en 1832. Si je compare ensuite ce qui se passe dans les pays voisins, je dis que cette mesure est encore applicable. L’honorable M. Lebeau vous a donné hier la force de l’armée française en 1843. L’honorable membre vous a parlé des soldats, mais il a gardé le silence sur les officiers. C’étaient des renseignements qui lui avaient été communiqués, et probablement ils étaient incomplets ; eh bien, messieurs, pour toutes les armes, le budget de 1843, que j’ai sous les yeux, offrait, pour la division territoriale de l’intérieur, 14,992 officiers.
Vous voyez que l’offre de plus de 2,000 officiers que fait le projet de la section centrale, excède encore la base du huitième qui avait été adoptée en 1832 en l83.
Maintenant, messieurs, si nous comparons, non pas les divisions territoriales de l’intérieur, mais l’armée d’Alger ; et celle-là c’est une armée de guerre, elle a tous les jours à se battre ; elle a un service pénible et très dangereux, et fait un genre de guerre qui exige le plus grand nombre d’officiers, une guerre de partisans, car la guerre d’Alger n’est pas autre chose ; eh bien, messieurs, le total de officiers de l’armée d’Afrique, est, au budget de 1843, de 2,120 officiers, et si vous en soustrayez 596 employés au service administratif, qui sont considérés comme officiers, il vous en reste 1,527 ; de manière que la France entretient en Afrique 1,527 officiers, de toutes armes, gendarmerie, infanterie, artillerie, génie, équipages militaires, et infanterie étrangère.
La force totale de l’armée est de 38,000 hommes d’après le budget, mais vous savez, messieurs, que l’armée d’Afrique est beaucoup plus considérable, et je vais vous rendre compte de la manière dont la différence est comblée. Je prendrai seulement pour exemple l’infanterie. Les compagnies d’infanterie ne sont comptées au budget de 1843 qu’à raison de 80 hommes, et la différence de 38,000 hommes à 50 ou 60,000 (je ne connais pas exactement le chiffre) se trouve complété par les hommes qui ne sont pas compris dans ce calcul et pour lesquels on demande des crédits supplémentaires, mais je ne crois pas qu’il y ait augmentation dans le nombre des ouvriers.
Maintenant, messieurs, je prendrai une autre armée, et ici nous n’aurons plus à nous occuper du caractère de la guerre d’Afrique, il s’agit d’une guerre qui a été faite en Belgique. Je trouve à la page 7 des comptes généraux présentés par le ministre secrétaire d’Etat au département de la guerre pour l’exercice de 1832, que l’effectif de l’armée du Nord a été de 67,803 hommes pendant 92 jours. C’est là, avec la réserve, qui est restée en France, l’armée qui est venu faire le siège de la citadelle d’Anvers. Eh bien, messieurs, je ne vous entretiendrai pas des détails de chaque arme, mais je dirai qu’en somme il y avait 2,410 officiers et 65,3935 sous-officiers, caporaux, brigadiers et soldats Eh bien messieurs, c’est pour notre pied de paix, c’est dans un budget normal qu’on nous demande un effectif de 2,500 officiers pour commander 32,000 hommes.
Je crois, messieurs, que la comparaison que je viens de faire est extrêmement frappante. Si d’un autre côté nous procédons à l’examen de ce que nous avons actuellement, je crois pouvoir dire (et ici personne ne se trouvera en opposition avec moi) qu’une des conséquences du découragement de notre armée, si découragement il y a, c’est que par le petit nombre d’hommes qu’ils ont à commander, les officiers se trouvent dans une position peu convenable pour leur grade.
La section centrale a demandé à M. le ministre de la guerre communication de la situation de l’armée au premier février de cette année. Eh bien, messieurs, à cette date nous avions 17,810 hommes d’infanterie, 5,756 hommes d’artillerie, 590 hommes du génie, 4,545 hommes de cavalerie et 1,155 hommes de gendarmerie, ensemble 27,856 hommes. On ne nous a pas donné la répartition de ces troupes en garnisons, mais l’effectif est à peu près le même qu’en 1841 et j’ai une situation développée pour 1841, situation officielle, qui est pour ainsi dire un legs que m’a fait le malheureux général Buzen. Eh bien, messieurs, en 1841 l’effectif total était, au premier octobre, de 27,726 hommes, au premier novembre de 27,598 hommes et au premier février de cette année, il était de 27,856 hommes, de manière qu’il n’y a guère qu’une différence de 300 hommes entre le chiffre de l’effectif à ces différentes époques. Eh bien, messieurs, je vais vous indiquer quelle était la force non pas de toutes les garnisons, mais des petites garnisons, qui nous feront sentir plus facilement la disproportion qu’il y a entre le nombre des officiers et celui des soldats. Voici le chiffre des officiers et des soldats dans ces diverses garnisons (successivement, nombre des officiers, nombre des soldats) :
Audenaerde, 36, 427
Termonde, 31, 453
Alost, 14, 239
Ostende, 25, 277
Nieuport, 23, 283
Menin, 21, 256
Courtray, 13, 142
Lierre, 10, 119
Turnhout, 1, 29
Diest, 10, 139
Vilvorde, 37, 211
Tirlemont, 18, 209
Huy, 13, 75
Ici je ferai remarquer qu’à Huy, il y a un dépôt et que dans un dépôt, le nombre des officiers est toujours plus considérable comparativement aux troupes.
Saint-Trond, 15, 174
Camp, 48, 684
Arlon, 20, 267
Bouillon, 10, 110
Ath, 38, 355
Charleroy, 29, 405
Dinant, 16, 385
Là il y a une compagnie de discipline malheureusement trop nombreuse.
Philippeville, 10, 136
Marienbourg, 6, 77, et là il n’y a pas de dépôt.
De manière, messieurs, que dans ces places de garnisons il y a 448 officiers pour 5,453 hommes, à moins que mon addition ne soit fautive, et l’erreur, s’il y en a une, ne peut pas être bien considérable.
La répartition que je viens de vous faire connaître, messieurs, est du mois de novembre 1841. Je ne sais quelle est la répartition qui existe aujourd’hui, mais comme la plupart de ces villes continuent à avoir des garnisons et comme le total de l’armée est à peu près sinon tout à fait le même qu’à cette époque, je dois supposer que la répartition est encore la même. Il résulte de là, messieurs, que les sous-lieutenants et les lieutenants n’ont guère à commander aujourd’hui que le nombre d’hommes que commanderait un sergent en temps de guerre.
Messieurs, il me reste encore un point à traiter, c’est la question de l’augmentation de l’effectif qui a été demandée et sur laquelle j’ai passé trop légèrement tout à l’heure.
J’ai dit, messieurs, que l’effectif demandé par M. le général Evain, était de 27,856 sous-officiers et soldats ; au lieu de cela M. le ministre de la guerre nous en demande, cette année, 32,079. Cette augmentation est motivée sur ce que les soldats ont à faire un service trop rude dans les garnisons, sur ce qu’ils n’ont pas les nuits de repos que leur accordent les règlements. Mais, messieurs, la première question à examiner serait celle de savoir si le service que l’on fait faire aux troupes est un service indispensable. Eh bien, messieurs, c’est ce que je nie. En effet, d’après une situation de l’armée des Pays-Bas, situation organique qui n’était probablement pas dépassée, qui n’était probablement même pas atteinte, il y avait avant la résolution, en Belgique, 10 divisions d’infanterie. Ces 10 divisions, les voici ; chacun de vous pourra se rappeler la garnison qui se trouvait dans sa ville à cette époque ; quant à moi, je certifie l’exactitude du tableau en ce qui concerne la ville de Namur ; voici, dis-je, comment ces divisions étaient réparties :
Anvers, 15ème et 1ère.
Gand, 17ème.
Mons, 5ème.
Tournay, 4ème
Bruges, 6ème.
Ypres, 16ème.
Liége, 11ème.
Namur, 12ème et 18ème.
Il y avait, en outre, si l’arrêté organique était exécuté, un bataillon de chasseurs tenant garnison à Bruxelles et dont la force devait être de 400 hommes.
Les 10 divisions que je viens d’indiquer, étaient composées sur le pied de paix de 1,424 hommes chacune, non compris les états-majors, ce qui fait un total de 14,210 hommes ; ajoutez à cela les 400 hommes du bataillon de chasseurs en garnison à Bruxelles, vous aurez un chiffre de 14,640 hommes. Eh bien, messieurs, si 14,640 hommes d’infanterie suffisaient pour faire le service des garnisons avant la révolution, comment se fait-il que 20,000 hommes, que suppose le projet de la section centrale, ne suffiraient pas aujourd’hui ? Le peuple est-il plus mécontent aujourd’hui qu’il ne l’était alors ? Faut-il aujourd’hui une force armée plus considérable pour réprimer les mutins, pour maintenir l’ordre public ?
Mais, messieurs, si tel était l’état des choses, ce serait la plus sanglante condamnation de notre révolution, du bienfait de la liberté que nous avons conquise.
Du reste, sans remonter si haut, tenons-nous au mois de février. Au premier février, nous avions 17,275 hommes en solde ; ces hommes suffisaient à une époque de l’année, où la faim, mauvaise conseillère, pousse à commettre un plus grand nombre de délits. Cela suffisait alors, tandis qu’en moyenne sur l’armée on vous demande 21,514 hommes. Ce sont des choses inexplicables.
Argumenter pour une augmentation d’effectif, du besoin que vous éprouvez de donner l’instruction à un plus grand nombre de recrues, je le concevrais, mais je ne conçois pas que vous argumentiez de la nécessité d’avoir un service considérable.
Mais si vous preniez ce point de vue que je vous accorderais, je vous dirais que vous changez de thèse. Vous ne demandez pas les moyens d’instruire un plus grand nombre d’hommes ; la quantité de recrues que vous proposez d’incorporer, cette année, est absolument la même que celle que vos prédécesseurs demandaient en 1841 et 1842.
Ainsi donc, messieurs, en me résumant je dis que, dans mon opinion, le budget de la guerre ne doit pas être maintenu au taux auquel il a été proposé par M. le ministre de la guerre ; je dis que ce n’est pas nous qui l’avons jugé ainsi ; ce sont les prédécesseurs de M. le ministre qui ont été de cette opinion, c’est M. Charles de Brouckere, en 1831, c’est M. le général Evain, qui avait pour collègue dans le cabinet, un autre général, lequel connaissait les besoins militaires du pays, je vous parle du ministre des affaires étrangères de l’époque qui était M. le général Goblet. Je suis bien persuade qu’en 1831, le budget au pied de paix n’avait pas été dressé sans la coopération du général Desprez qui était, lui, un juge un peu plus compétent que tous les autres.
Ainsi donc, messieurs, nous n’avons pas jugé par nous-mêmes le budget de la guerre, nous l’avons comparé, avec le travail des prédécesseurs du ministre actuel, et nous avons tenu tellement compte des circonstances, que nous lui allouons 2 millions en sus de ce qui était alors demandé.
Messieurs, aucune intention malveillante n’a guidé la section centrale dans son travail. Pour moi personnellement, bien que je me sois trouvé eu présence de ministres de la guerre avec lesquels j’ai eu de plus mauvais rapports qu’avec M. le général de Liem, cela ne m’a pas empêché de voter de grand cœur des allocations très fortes dont je reconnaissais l’utilité ; M. le ministre des travaux publics a bien voulu me rendre cette justice hier.
Je pourrais dire qu’une foule d’améliorations ont été chaudement appuyées par moi. L’année dernière, lors de la demande d’augmentation de traitements pour les capitaines, j’étais rapporteur, et je crois que c’est en grande partie à mes efforts que doit être attribuée l’adoption de la proposition de M. le général Buzen à la section centrale. Mais l’intérêt que je porte à l’armée ne m’aveugle pas sur les conséquences financières désastreuses qu’un système militaire exagéré pourrait entraîner pour le pays. Déjà avant la révolution, l’on regardait l’effectif de l’armée comme exagéré. Plusieurs fois, si je ne me trompe, les états-généraux avaient réclamé contre ce qui existait alors, et les dépenses de l’armée n’ont certainement pas peu contribué à amener ce système financier qui a porté un coup fatal au gouvernement d’alors dans l’opinion des populations.
Craignons, messieurs, que la nécessité de recourir à des augmentations d’impôt ne produise dans les populations un mécontentement qui serait aussi légitime que celui de l’armée, en supposant l’adoption d’une réduction exagérée dans le budget de la guerre ; craignons, messieurs, de nous épuiser en temps de paix, et de ne pouvoir compter, au moment du danger, sur des ressources que nous aurions mal à propos consommées. Ne perdons pas de vue surtout que le principal élément de la défense d’un Etat est dans le bien-être des populations, dans leur affection pour le gouvernement, affection qui n’a jamais été en Belgique le partage des gouvernements qui chargeaient le pays d’un fardeau trop lourd d’impôts. (Très bien ! très bien !)
M. Rogier. - Messieurs, plusieurs fois on a fait allusion à une lettre publiée sous le nom d’un honorable général, et de laquelle il résulterait que le chiffre de 25 millions, présenté en 1832 pour le budget de l’armée en temps de paix, était un chiffre purement fictif, que ce budget n’était en quelque sorte qu’un budget diplomatique et qu’enfin ce budget ainsi fait, avait été arrêté de l’avis du conseil des ministres d’alors.
Mon honorable ami, M. Lebeau a déjà réfuté une pareille assertion, en ce qui concerne le cabinet dont il faisait partie.
Le projet de budget de 25 millions pour l’armée au pied de paix remonte à l’exercice de 1832 ; j’ai donc pu dire que cette évaluation appartient au cabinet antérieur à celui de 1833, je veux croire d’ailleurs que l’honorable M. de Theux et ses collègues d’alors, n’ont pas donné au chiffre de 25 millions la portée qu’on lui assigne aujourd’hui. J’attendrai les explications de l’honorable M. de Theux à cet égard.
M. le général Evain a soutenu en 1832, comme M. de Brouckere en 1831, qu’un chiffre de 25 millions suffirait pour l’armée au pied de paix ; mais à l’autorité de M. le général Evain de 1832, j’opposerai l’autorité du même général en 1833. Que dit, en effet, M. le général Evain dans sa lettre ? Il vous dit positivement qu’un chiffre de 25 millions ne peut s’appliquer qu’à une hypothèse impossible à réaliser aujourd’hui, sans s’exposer a de graves inconvénients. Je prierai l’honorable M. Brabant, qui sans doute a conservé des relations avec M. le général Evain, de lui demander s’il serait disposé à proposer et à soutenir aujourd’hui un budget de 25 millions.
Il me semble, au surplus, impossible d’argumenter pour 1843 de ce qui s’est passé en 1831, 1832 et 1833 ; les circonstances ne sont pas les mêmes ; en 1832 on raisonnait sur de simples éventualités ; on se trouvait en présence d’une dette énorme qui a été réduite de beaucoup, et qui, par conséquent, peut nous permettre de fixer les dépenses de l’armée à un taux plus élevé qu’on ne croyait pouvoir le faire alors.
Quant à l’organisation constitutionnelle de l’armée, je ne me suis pas du tout prononcé en faveur du système qu’on reproche à M. le ministre de vouloir défendre. Je n’ai pas dit que cette organisation ne doit pas faire l’objet d’une loi ; je pense, au surplus, que M. le ministre n’a soutenu son système qu’hypothétiquement.
L’honorable rapporteur de la section centrale nous dit que 2,500 officiers paraissent un nombre très exagéré, quand on le rapproche des 32,000 hommes auxquels ces officiers doivent commander en Algérie, qu’en Belgique, lors de la prise de la citadelle d’Anvers, l’armée beaucoup plus nombreuse en soldats, comptait relativement beaucoup moins d’officiers.
Je suis d’accord avec l’honorable M. Brabant, qu’en temps de paix, 2,500 officiers, mis en rapport avec 32,000 hommes paraissent être un nombre exagéré ; mais les cadres des officiers ne sont pas seulement faits pour le temps de paix, mais ils sont faits aussi pour le temps de guerre, et pour les époques de transition. Il ne me semble donc pas que la base sur laquelle s’appuie l’honorable M. Brabant, soit exacte.
Du reste, mon intention n’est pas d’entrer dans de pareils détails. J’abandonne cette partie de la discussion au ministre de la guerre. Je reconnais que l’honorable rapporteur de la section centrale a fait des budgets de la guerre une étude spéciale. Il donne à l’appui de son opinion, des raisons qui méritent d’être examinée. Pas plus que lui je ne serais partisan de dépenses inutiles, ni d’un système militaire exagéré ; mais, en l’état actuel des choses, je crois devoir m’en rapporter à l’opinion du gouvernement qui est mieux placé que la section centrale pour apprécier les véritables besoins de l’armée.
M. de Theux. - Je n’avais pas l’intention de prendre la parole sur l’incident soulevé par la publication dans le Moniteur d’une note de M. le général Evain, parce qu’il résultait des termes de cette note que la délibération ne pouvait en aucune manière concerner le ministère dont j’ai fait partie en 1831. Mais l’interruption faite par l’honorable M. Rogier pendant le discours de M. le rapporteur, aurait pu laisser subsister quelques doutes dans l’esprit de certains membres ; c’est pour ce motif que j’ai demandé la parole. Je vais prouver l’impossibilité matérielle que le fait dont il s’agit, ait pu concerner notre ministère. Le budget de la guerre fut présenté à la fin de 1831 pour l’exercice 1832, par M. Ch. De Brouckere et non par M. le général Evain. On avait établi un chiffre de 25 millions pour l’armée sur le pied de paix. Mais ce budget n’a été présenté que peu de jours après la signature du traité qui eut lieu dans les premiers jours de novembre et chacun s’attendait à devoir ratifier par les grandes puissances et par la Hollande. Il ne pouvait pas être question d’employer des moyens diplomatiques dans la prévision d’obtenir des réductions sur la dette ou les arrérages. Ce n’est qu’au mois de juin 1832 qu’il a été question d’une réduction des arrérages par suite du refus de ratification de la Hollande. Maintenant, aurions-nous pris part à la délibération sur le budget de la guerre présenté au mois de novembre 1832 pour l’exercice 1833 ? Notre démission avait été donnée le 14 septembre 1832, l’une a été accepté immédiatement, les autres n’ont pu être contresignées que le 20 octobre, quand on nous eut trouvé des successeurs.
Ce que je puis affirmer, c’est que nous n’avons en aucune manière délibéré sur le budget présenté pour 1833 ; je l’affirme avec d’autant plus de certitude, que j’en ai appelé aux souvenirs des honorables membres qui faisaient partie du ministère et qui sont encore membres de cette chambre ; ce fait ne peut donc nous concerner en aucune manière.
Puisque j’ai la parole je dirai quelques mots du budget de la guerre. Je ne puis considérer ce budget comme normal, parce que les éléments pour apprécier un budget normal de la guerre nous manquent encore. Il y a un point capital qui doit être résolu avant qu’un budget normal de la guerre puisse être arrêté. Ce point capital, c’est le nombre de forteresses que la Belgique doit conserver dans l’intérêt de sa défense.
Il faut qu’on examine quelles sont les forteresses qui sont superflues. Je pense qu’il y en a plusieurs, du moins tel est l’avis de plusieurs officiers généraux et de plusieurs ministres de la guerre par qui j’ai entendu traiter cette question. Je partage entièrement leur avis, je pense que le nombre de nos forteresses est trop considérable, qu’il aurait pour effet d’attirer la guerre sur notre territoire et que nous devons nous décider à la suppression d’une partie. Non seulement nous serions exposés à une charge écrasante s’il fallait un jour les approvisionner et les garnir de troupes suffisantes pour les défendre ; mais, en outre, si jamais un démembrement partiel de la Belgique pouvait avoir lieu, je ne crains pas de le dire, la première cause serait le grand nombre de forteresses que nous possédons. Aussi, quand cette question se présentera, je n’hésite pas de promettre d’avance mon concours à quelque ministère que ce soit qui proposera de diminuer le nombre de nos forteresses. C’est alors que vous n’aurez que le nombre de forteresses vraiment utile pour la défense de votre état de neutralité, que vous pourrez établir un budget de la guerre normal ; c’est alors seulement que vous saurez le nombre de troupes nécessaire pour défendre ces forteresses et pour tenir la campagne.
Je ne puis donc en aucune manière considérer le budget actuel comme un budget normal. (La clôture ! La clôture !)
M. Devaux. - Je veux savoir sur quoi on veut clore, s’il est bien entendu qu’on passera ensuite à la discussion des articles.
M. Brabant, rapporteur. - Je dirai comment la section centrale a procédé. Je crois que la chambre pourra adopter le mode qui a été suivi à la section centrale. L’on avait d’abord résolu d’accorder un crédit global. La section centrale m’ayant ensuite chargé d’examiner les articles afin de déterminer le montant de ce crédit global, le crédit n’a été définitivement fixé que quand les diverses réductions que j’avais proposées eurent reçu l’assentiment de la section centrale. La chambre pourrait procéder de la même manière, décider qu’on accordera un crédit global et examiner ensuite les articles pour déterminer le chiffre de ce crédit ; ou bien, si on ne veut pas commencer par décider la question du crédit global, qu’on examine d’abord les articles et après avoir déterminé le montant des spécialités, on verra si on juge à propos d’accorder un crédit global.
M. Demonceau. - Je pense qu’il serait plus rationnel de commencer par la discussion des articles du projet proposé par le gouvernement. Le résultat de cette discussion nous amènera peut-être à voter un chiffre global, mais il pourrait se faire que ce chiffre dût être différent de celui proposé par la section centrale. J’ai entendu que des membres se prononçaient pour le maintien du camp. La majorité de la section centrale s’est prononcée pour la suppression. Ces membres seraient embarrassés pour voter sur le crédit global proposé par la section centrale, car en l’adoptant, ils voteraient implicitement la suppression du camp. Ce chiffre devrait être augmenté si la majorité se prononçait pour la conservation. Il serait donc plus rationnel de discuter les articles du projet du gouvernement. Ce mode présente cet avantage, qu’à coté du budget du ministre de la guerre vous avez le projet de budget de la section centrale et que chacun sera à même de donner la préférence au système du gouvernement ou à celui de la section centrale.
M. de Garcia. - La véritable question est celle de savoir si on clora la discussion générale. L’honorable M. Devaux paraît vouloir présenter des observations sur les articles, il pourra le faire. Rien ne s’oppose donc à ce qu’on prononce la clôture de la discussion générale.
- La clôture de la discussion générale est prononcée.
La discussion des articles est renvoyée à demain.
La séance est levée à 5 heures.