(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)
(page 184) (Présidence de M. de Gerlache)
La séance est ouverte à onze heures. (P. V.)
M. Henri de Brouckere, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, lit une lettre de M. Fontaine-Spitaels, qui déclare ne pouvoir accepter les fonctions de député. (I., 2 juin.)
- Pris pour notification. (P. V.)
M. Liedts, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :
M. Pierre Klopfenstein, à Malines, demande des lettres de naturalisation.
Cinquante-huit habitants de Quiévrain et soixante-huit de Genappe demandent l'élection du prince de Saxe-Cobourg, comme roi des Belges.
M. Prost, capitaine adjudant-major de la garde nationale de Paris, au nom du général Gustave de Dumas, propose de fournir à la Belgique, en cas de guerre, un corps d'armée, infanterie, cavalerie et artillerie, que l'on pourra porter de trois à vingt mille hommes, et qui prendra le nom de LÉGION LAFAYETTE. (I., 2 juin., et P. V.)
M. Henri de Brouckere, à la demande de l'assemblée, donne lecture de la lettre de M. Prost. (I., 2 juin.)
- Cette lettre est renvoyée à la commission des pétitions. (P. V.)
- Quelques membres demandent que la commission fasse son rapport au plus tôt. (E., 2 juin.)
M. Liedts, secrétaire, continuant l'analyse des pétitions :
Quarante-sept médecins et chirurgiens de Bruxelles demandent l'abolition du droit de patente pour ceux qui exercent leur profession.
Trois sauniers d'Alost présentent des observations concernant le projet de décret sur le sel.
M. du Bois-Quenesson, à Dour, fait des observations relatives à la loi de 1822 sur les vins.
Des distillateurs de Ruremonde présentent des observations concernant le projet de décret sur les distilleries. (I., 2 juin, et P. V.)
- Les pétitions sont renvoyées à la commission. (P. V.)
L'ordre du jour appelle la discussion sur les propositions de MM. Constantin Rodenbach, Van. de Weyer, Blargnies, de Robaulx et Nothomb. (I., 2 juin)
M. le président – La parole est à M. l'abbé Dehaerne. (E., 2 juin.)
M. Constantin Rodenbach (pour une motion d’ordre) – Je demande à faire une motion d'ordre. Messieurs, dans la séance d'hier, plusieurs orateurs, au lieu de discuter la priorité, ont cru devoir entamer le fond de la question ; il me semble qu'il y aurait lieu, sauf votre approbation, d'ouvrir la discussion générale. (Agitation.) (I., 2 juin.)
- Plusieurs voix – Cela a été décidé hier. (I., 2 juin.)
M. Constantin Rodenbach – M. Lebeau l'a proposé, mais il n'y a pas eu de décision. (I., 2 juin.)
M. le président – M. Lebeau a proposé et l’assemblée a décidé que la discussion serait ouverte sur le fond de toutes les questions. (I., 2 juin.)
- De toutes parts – Oui ! oui ! (I., 2 juin.)
M. Pirson (pour une autre motion d’ordre) – Je demande la parole pour une motion d'ordre : messieurs, je demande la permission (page 185) de faire aux ministres quelques questions importantes ; mais comme je ne vois pas ici le ministre des affaires étrangères, je prendrai la parole, si on me le permet, quand il sera présent. (I., 2 juin.)
M. le président – L'assemblée veut-elle intervertir l'ordre du jour pour entendre M. Pirson? (Oui ! oui ! Non! non! Agitation.) (I., 2 juin.)
M. Blargnies – Je pense que les interpellations que M. Pirson se propose de faire à M. le ministre des affaires étrangères ont pour but d’éclairer la discussion des questions importantes dont nous cherchons la solution. J'estime donc qu’il convient d'entendre M. Pirson, d'autant plus que le ministre n'a pas pris ici l'initiative, puisqu’il n'a rien dit sur la lettre extraordinaire de lord Ponsonby, et que nous avons intérêt de pénétrer ce mystère dont s'enveloppe le ministre. (I., 2 juin.)
M. le président – Il a été convenu précédemment que, dans le cas où on aurait des questions à adresser aux ministres, on les leur communiquerait, (Réclamations. Non, non, ce n'est pas cela !) (E., 2 juin.)
M. le comte Duval de Beaulieu – Il s’agit ici de la question de priorité. Pour savoir s’il faut entendre M. Pirson, il suffit d'examiner si ses questions ont rapport à la question de priorité. (I., 2 juin.)
M. le président – Il paraît que quelques membres croient encore qu'il ne s'agit que de discuter la question de priorité, je vais consulter l’assemblée pour qu'elle décide une fois pour toutes que la discussion a lieu sur le fond. (I., 2 juin.)
- L’épreuve est faite par assis et levé, l'assemblée le que la discussion au fond est ouverte.
M. Pirson sera entendu. (I., 2 juin.)
M. Camille de Smet, rapporteur de la commission pour la vérification des pouvoirs des élus et suppléants élus par la province de Hainaut propose l'admission de M. Picquet, député suppléant de Mons, en remplacement de M. Fontaine-Spitaels, non-acceptation. (E., 2 juin.)
- Cette admission est prononcée. (P. V.)
M. l’abbé Dehaerne – Messieurs, j'ai toujours cru qu'un peuple sortant d'une révolution devait faire ses affaires lui-même et ne recourir à la diplomatie qu'après avoir obtenu par la force ce qui lui revient de droit. C'est pour nous isoler le plus possible de l'action des puissances hostiles à notre révolution que j'ai voté pour la république ; c'est encore pour cette raison que j'ai soutenu, aussi longtemps qu'il y avait quelque espoir de réussite, la candidature d'un prince indigène, et qu'enfin, lorsqu'il a fallu renoncer à la monarchie indigène comme à la république, j'ai préféré le candidat qui était le moins en contact avec nos ennemis de la Sainte-Alliance, et que mon choix s'est fixé sur le duc de Leuchtenberg. On nous a dit qu'un peuple ne peut pas s'isoler de tous les autres, et que par conséquent on ne peut renoncer à la diplomatie. Cela serait vrai, messieurs, si nous étions déjà considérés comme nation par les puissances ; mais il n'en est rien, car elles n'ont reconnu notre indépendance qu'à des conditions si onéreuses qu'elles savaient bien d'avance que nous ne les aurions pas acceptées., et que nous ne pouvions les accepter. Il eût donc fallu que nous nous fissions peuple nous-mêmes avant de nous mettre en relations avec les autres peuples, ou plutôt avec les souverains qui les dominent. C'est dans ce sens que je me suis toujours prononcé contre la diplomatie, c'est dans ce sens que je me suis élevé, lors de la dernière session du congrès, dans la séance du 12 avril, contre les négociations qu'avaient entamées notre ministre des affaires étrangères pour chercher un roi en Angleterre. Je n'ai vu de prime abord dans la combinaison du prince de Saxe-Cobourg qu'un leurre et une nouvelle mystification. Et vous voyez, messieurs, ce qu'il en est advenu, après tant de démarches diplomatiques, après tant d'allées et de venues à Londres et à Bruxelles. Nous savons enfin, grâce à la diplomatie, que nous pouvons choisir un prince qui ne rencontre aucune sympathie dans la nation, tant sous le rapport religieux que sous le rapport politique. (Violents murmures. Interruption prolongée.) (E., 2 juin.)
- Voix nombreuses – Parlez ! parlez ! (I., 2 juin.)
(page 186) M. le président – C'est l'opinion de l'orateur, on ne peut l'interrompre. (J. F., suppl., 3 juin.)
M. Alexandre Gendebien – Les opinions sont libres, il faut les respecter. (Parlez ! parlez !) (I., 2 juin.)
M. l’abbé Dehaerne – C'est là ma conviction, vous avez la faculté de la combattre.
L'orateur continuant – Si vous demandez à notre ministre si le prince voudrait bien accepter la couronne que nous lui présenterions, quelle est sa réponse ? Que le prince n'acceptera en tout cas que s'il est élu par une grande majorité du congrès qui fasse connaître l'assentiment général de la nation, c'est-à-dire, selon moi, qu'il se réserve une belle excuse pour refuser quand il le jugera à propos. Et comment le prince de Saxe-Cobourg aurait-il pour lui l'assentiment unanime de la nation, lorsque presque tous les membres du congrès avouent ingénument que ce choix n'est pas actuellement national, quoique l'homme qu'ils choisissent puisse devenir plus tard l'homme de la nation ?
On ne peut pas se dissimuler, messieurs, que l'opinion catholique, qui est l'opinion des masses, l'opinion de la nation, si jamais il y eut une opinion unanime dans une nation quelconque, se prononce contre la candidature du prince Léopold. Cette opinion, il est vrai, ne se manifeste pas jusqu’à présent avec violence : mais elle n'en existe pas moins réellement, et elle éclatera à la première occasion, comme elle a éclaté contre le roi Guillaume par les nombreuses pétitions qui ont été notre révolution légale et le prélude des barricades. Il est vrai, messieurs, que les journaux anglais, en voyant arriver à Londres nos commissaires, qu'ils prenaient pour les représentants de l'opinion catholique, se sont extasiés sur notre esprit de tolérance et sont revenus à l'instant de l'opinion qu'ils avaient de la bigoterie des Belges. Voilà, se sont-ils dit, un peuple éclairé qui ne tient aucun compte de la religion dans le choix de son souverain, et qui même, en renonçant à toutes les candidatures catholiques qu'il pourrait trouver ou chez lui ou à l'étranger, semble venir de préférence déposer la couronne aux pieds d'un prince protestant. Qu'on dise encore que c'est là un peuple fanatique et qui n'a fait sa révolution qu'au profit de la liberté religieuse ! Voilà, messieurs, le compliment qu'on nous fait ; je ne sais jusqu'à quel point vous en êtes flattés. Toujours est-il que ni les Anglais, ni les Allemands, ni peut-être aucune autre nation ne pousseraient la tolérance à ce point, et qu'il est inouï qu'un peuple ait choisi librement un roi qui ne partageât pas ses opinions religieuses.
Je vous le demande, messieurs, s'il en faudrait davantage en Angleterre pour faire éclater une révolution, et pour mettre tout le royaume sens dessus dessous, que de proposer un roi catholique ? Je ne vous citerai pas la Suède pour exemple, je ne parlerai pas de la révolution de Saxe, à laquelle tous les libéraux ont applaudi, je ne vous alléguerai pas l'antipathie des Grecs contre le prince Léopold, qu'on nous propose, antipathie qui était fondée sur la différence de religions ; il suffit de constater le fait que chaque peuple veut être gouverné par un chef qui professe sa religion, et que tout autre candidat ne saurait être envisagé comme national ni comme librement élu, mais comme imposé. Direz-vous, messieurs, que le peuple a tort et que sur ce point vous êtes plus éclairés que lui ? Mais, messieurs, prenez-y garde : vous substitueriez, sans le savoir, la théorie du despotisme à celle de la souveraineté du peuple, et vous entreriez de plain pied dans le système de Louis XIV, qui croyait aussi que son opinion était plus utile, plus salutaire au peuple que celle du peuple lui-même. A quoi se réduira la liberté, si les mandataires de la nation peuvent imposer leur volonté à leurs mandants ? Qu'est-ce donc que la souveraineté du peuple ? Est-ce une utopie, un système fait au profit des habiles ? Non, messieurs, il n'en est pas ainsi, et je ne croirai jamais que les représentants de la nation puissent avoir une autre volonté que celle de la majorité de la nation dont ils tiennent leurs pouvoirs. Vous me direz : Mais le peuple peut être dans l'erreur, et alors il importe qu'on l'éclaire et qu'on le tire des ténèbres de l'ignorance. Oui, messieurs, comme particuliers, vous en avez le droit, mais non comme députés ; et un mandataire placé entre sa conscience et l’opinion du peuple qu'il représente doit se retire plutôt que de vouloir imposer ses idées par la force.
Messieurs, sachons comprendre le mouvement qui emporte l'Europe. Que veulent les peuples en se jetant au milieu des hasards des révolutions ? Ils veulent revenir à leurs anciennes habitudes dont la centralisation européenne, système de la Sainte-Alliance, les avait privés. Chaque pays, chaque cité veut reprendre ses usages et jouir de ses libertés.
Irez-vous, messieurs, contester ce droit, parce que ces coutumes ne sont pas les vôtres ? Irez-vous anéantir ces libertés parce que vous y êtes indifférents pour vous-mêmes ? Certainement non. Eh bien, messieurs, il en est de même du droit que réclame une nation d'avoir un souverain de sa religion.
(page 187) Vous ne m'accuserez pas ici qu'en me déclarant pour un roi catholique j’aie l'intention de vouloir placer la religion sous la tutelle du chef de l'État. Je me suis expliqué assez ouvertement à cet égard dans d'autres circonstances. Je vous ai dit, messieurs, que la vérité subsiste et se propage par elle-même, et qu'elle n'a besoin pour cela d'autre protection, que c'est avilir et ravaler la religion que de la faire dépendre de l'appui d'un bras de chair. Loin de moi, messieurs, l’idée de demander une protection spéciale pour la religion catholique, dont je me fais gloire d'être le ministre ; je crois au contraire que rien ne peut lui être plus funeste que les faveurs du pouvoir.
Aussi, messieurs, quand les catholiques demandent un chef de leur religion, ce n'est pas pour l’investir du protectorat de leurs croyances et de leur culte, mais parce qu'ils croient trouver en lui plus de garanties pour la liberté religieuse, garanties auxquelles certainement ils ont droit, lorsqu'ils forment la presque totalité de la population.
On nous a fait entendre que, pour être bons unionistes nous ne pouvions pas préférer un prince catholique à un protestant. On pourrait prouver de la même manière que, pour être unionistes, nous devons être fort indifférents au choix des fonctionnaires, et qu'en vertu des principes de l’union, nous n'aurions rien à redire à ce que toutes les places fussent occupées par des anticatholiques et que les bons unionistes fussent mis de côté. Messieurs ceux qui interprètent l'unionisme de cette manière ont peut-être intérêt de le faire, mais ce n'est pas ainsi que nous autres catholiques, nous entendons ces maximes. Nous voulons l’union comme nous l'avons toujours voulue, mais non pas au point de sacrifier pour elle tous nos intérêts. Il est possible que quelques libéraux non catholiques s'imaginent que nous ayons plus besoin d'eux qu'ils n'ont besoin de nous, et qu'ils croient nous faire peur en nous menaçant de nous abandonner. Nous ne voulons rompre avec personne, parce que l'union est dans les principes de la tolérance et du christianisme ; nous craignons même tout ce qui pourrait avoir l'ombre d'une division : mais cependant, messieurs, cette crainte ne va pas si loin qu'on pourrait le croire ; car nous sommes persuadés que, si ces messieurs croyaient pouvoir se passer de nous à présent, le moment se présenterait bientôt où ils auraient besoin de nous, et où ils nous tendraient la main pour marcher ensemble à la conquête de nos libertés communes. Et pour en revenir à ce qui regarde le chef de l'État, à qui est-ce à céder en vertu des principes de l'union ? aux catholiques qui forment la grande majorité de la nation, ou bien aux libéraux anticatholiques ? Certainement la question ne peut pas rester longtemps douteuse.
Messieurs, si j'ai été un peu long à traiter la question sous son rapport religieux, c'est parce que, sous ce rapport, je la crois d'un plus grand intérêt que plusieurs membres de cette assemblée ne semblent le penser, et que je crois que c'est parce que le prince Léopold en apprécie si bien l'importance qu'il a dit, sans doute pour plus d'une raison, mais pour celle-ci en particulier, qu'il n'accepterait la couronne qu'avec l'assurance qu'elle lui serait déférée avec l'assentiment unanime de la nation. Je ne sais comment on lui a représenté l'opinion catholique, mais il aura sans doute appris par les journaux que tous les catholiques belges préféreraient infiniment un souverain catholique à un souverain protestant. J'en conclus, messieurs, que lorsque le prince sera bien informé de l'état des esprits en Belgique, ce sera un des motifs qu'il alléguera pour refuser la couronne que nous lui aurons offerte.
Et qu'on ne se fasse pas illusion, messieurs, sur la certitude du refus ! Il est un fait incontestable, c'est que le prince de Saxe-Cobourg n'acceptera jamais contre le gré des puissances. Or, messieurs, à quelle condition les puissances nous l'accorderont-elles, supposé qu'elles aient jamais pensé à nous l'accorder ? à condition que nous acceptions les protocoles, auxquels elles tiennent toujours avec la même opiniâtreté. Je ne vous répéterai pas, messieurs, tous les arguments qu'a fait valoir M. Jottrand sur ce point ; je ne vous dirai pas que toutes les pièces qu'on voudrait faire valoir pour démontrer qu'il a été dérogé aux protocoles, démontrent au contraire qu'ils subsistent toujours, et qu'on voudrait nous y faire souscrire d'une manière indirecte. Si les puissances, messieurs, voulaient notre liberté, si elles respectaient notre constitution et notre indépendance, que ne nous laissent-elles choisir un chef indigène ? Qu'elles fassent un peu de diplomatie à cet égard ! qu'elles nous indiquent seulement le candidat qui leur serait agréable, et dans vingt-quatre heures nous sommes constitués. Or, messieurs, de ce que les puissances n'agissent pas ainsi envers nous, j'en conclus qu'elles sont hostiles à nos libertés et à notre indépendance, et que nous n'obtiendrons ces choses que lorsque nous les prendrons de force.
C'est là qu'il faudra en venir enfin. Soit que le prince Léopold accepte ou n'accepte pas, nous ne pourrons terminer nos affaires que par la guerre, à moins que nous ne voulions courber la tête (page 188) devant la Sainte-Alliance, accepter les protocoles contre lesquels nous avons toujours protesté, accepter l'opprobre et l'humiliation, et de concession en concession, nous soumettre enfin à la restauration vers laquelle on nous fait marcher à grands pas. Eh ! messieurs, qu'on ne dise pas qu'en acceptant la proposition de M. Nothomb nous protestons contre les protocoles au moment même où nous choisissons le prince Léopold, et que nous espérons obtenir par la puissante médiation de ce prince la révocation de ces iniques stipulations des puissances ! N'y a-t-il pas déjà en cela même un acte de faiblesse et de lâcheté ? Et si les puissances sentent que nous commençons à faiblir, ne sera-ce pas une raison pour elles de se montrer plus roides sur les prétentions qu'elles élèvent contre nous ? Prenons-y donc garde, messieurs ; souvenons-nous que le système de la Sainte-Alliance est toujours le même, et qu'on ne nous accordera l'intégrité de notre territoire que lorsque nous l'aurons conquis, qu'on ne nous déchargera de la dette hollandaise que lorsque nous serons à même d'en refuser le payement les armes à la main, et qu'enfin on ne nous laissera jouir de nos libertés que lorsque nous aurons eu le courage de nous en emparer et de nous en maintenir la possession. (E., 2 juin.)
- Pendant ce discours, M. Lebeau, ministre des affaires étrangères, est entré dans la salle.
M. le président annonce que la parole est à M. Blargnies. (E., 2 juin.)
M. Pirson réclame la parole pour poser ses questions, le ministre des affaires étrangères étant présent. (Mouvements divers.) On finit par accéder à ce que demande M. Pirson, qui s'exprime ainsi - Messieurs, sans ministre de la guerre (il arrive tout essoufflé, car il est resté plusieurs jours en route) ;
Sans ministre des finances (il a donné sa démission hier) ;
On ne peut pas faire la guerre avec assurance.
Sans ministre des relations extérieures, on ne peut contre-protocoliser.
Je demande à M. le ministre des relations extérieures combien de temps encore il espère ou il croit rester ministre. (Grande rumeur dans une partie de la salle.) Ne murmurez pas, messieurs ; ma question n'est pas aussi saugrenue qu'elle vous le paraît.
Au milieu de tous nos embarras, des menaces qui nous viennent de tous côtés, d'accusations de toutes espèces ; ne voyez-vous pas qu'on organise l'anarchie : pardonnez-moi le terme, il implique contradiction, mais il rend bien l'idée de l'anarchie concertée et méditée, plus dangereuse que celle provenant de quelques malheureux excités dans la rue. Au reste, je passe à une question plus sérieuse.
Je prie M. le ministre des affaires étrangères de nous dire si c'est lui qui a engagé notre collègue M. Nothomb, son secrétaire général, à proposer au congrès d'autoriser le gouvernement de proposer (à la conférence), que, sans préjudice à sa souveraineté, il soit mis temporairement dans la forteresse de Maestricht, une garnison mixte étrangère quelconque autre que hollandaise. (J. F., 2 juin.)
M. Henri de Brouckere – Je m'oppose à la position des questions du préopinant. Chaque membre ici a le droit de faire les propositions qu'il juge convenable, et personne n'a le droit de lui demander pourquoi ni à l'instigation de qui il les fait. Les questions de M. Pirson me paraissent tout à fait déplacées ; je demande l'ordre du jour. (Appuyé ! appuyé !) (I., 2 juin.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères, se lève pour répondre. (I., 2 juin.)
- De toutes parts – C'est inutile ! c'est inutile ! (I., 2 juin.)
M. Nothomb – Je demande la parole pour un fait personnel. (Non, c'est inutile /) Mais c'est moi qu'on accuse. (I., 2 juin.)
- Un grand nombre de voix – C'est inutile ! c'est inutile ! (Grand tumulte.) (I., 2 juin.)
M. Pirson, au milieu du bruit – Je demande acte du refus de M. le ministre des affaires étrangères de répondre à mes questions. (Oh ! oh ! violents murmures.) (I., 2 juin.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Je demande acte de la déclaration que je fais que je suis prêt à répondre aux questions de M. Pirson, quoique je les trouve fort peu parlementaires. (I., 2 juin.)
- L'assemblée passe à l'ordre du jour.
M. le président – M. Blargnies a la parole. (J. D.. 2 juin.)
M. Blargnies – Messieurs, je demande la priorité pour la proposition que j'ai eu l'honneur de vous faire.
La conférence de Londres veut se débarrasser (page 189) momentanément de nous, et de ce quelque chose populaire que nous présentons, comme par hasard, au sein de l'Europe.
Quant à nous dire le définitif qu'elle nous destine, elle attend meilleure occasion.
Pouvez-vous croire sincèrement que la Sainte-Alliance ne se réserve pas tous ses droits contre l’élection d'un roi quel qu'il soit, faite par le congrès belge, à la majorité des suffrages, comme s’il s'agissait d'une loi ordinaire ?
Je vois l'Angleterre, l'Autriche, la Russie et la Prusse, s'écartant le moins possible de la constitution du royaume des Pays-Bas, et le gouvernement français, qui songe toujours à la réunion, rendant notre condition aussi mauvaise qu’il est en son pouvoir de le faire.
Tout ce qui nous vient de la conférence doit donc exciter notre défiance, et nous forcer à agir comme si elle voulait nous tromper. Car au fond c’est son intention, c'est son but.
Pouvez-vous croire à la sincérité des promesses de la diplomatie relativement à l'élection du prince de Saxe-Cobourg, lorsque vous voyez notre ministère se décharger sur vous de toute responsabilité à cet égard, cherchant à se cacher au milieu d'une majorité, ne pas oser prendre sur lui de vous conseiller l'élection ?
Je suis avocat ; j'ai étudié les pièces du procès avec la plus scrupuleuse attention.
Je vois, d'un côté, des protocoles, des actes authentiques signés des cinq grandes puissances l'Europe et acceptés par la Hollande ; leur examen m'a convaincu que nous devons renoncer au Limbourg, à la rive gauche de l'Escaut, au Luxembourg, et payer une partie de la dette hollandaise.
D'un autre côté, je vois des lettres particulières de M. Belliard et de lord Ponsonby , qui nous font entrevoir l'espérance du rachat du Luxembourg, pour des indemnités dont nous ne connaissons pas, dont vous ne voulez pas connaître les bases et sur la fixation desquelles le roi Guillaume aura trop à dire.
Je ne serais pas grand partisan d'un roi régnant de par la Sainte-Alliance sur la Belgique des protocoles.
La Belgique des protocoles, messieurs, c'est la BELGIQUE AUTRICHIENNE, plus l'évêché de Liége, et moins le prix du Luxembourg ; d'un trait de plume, la diplomatie nous fait rétrograder de quarante ans. (Assentiment unanime, bravos dans l'enceinte et dansles tribunes.)
La Belgique s'est-elle révolutionnée pour avoir moins de bien-être qu'auparavant ? Sera-t-elle forcée de maudire sa révolution, d'appeler la restauration ou la réunion à la France ?
Telle est la question.
Quels résultats, je vous le demande, aura produits la révolution dans la Belgique des protocoles ?
Elle y aura maintenu la quiétude de tous les ennemis des changements politiques.
Elle y aura comblé, trop tôt sans doute, les espérances d'une foule de partisans intéressés d'une Belgique quelconque.
Elle y aura satisfait les vœux des catholiques par la liberté des cultes, des opinions religieuses, de l'enseignement et des associations.
Serait-ce une raison pour abandonner les points de notre territoire, sans la possession desquels il n'y a pas de prospérité possible pour une grande partie de nos industriels ? Livrerons-nous à l'ennemi un grand nombre de nos frères ? Ouvrirons-nous la Belgique comme champ de bataille aux peuples du Nord et du Midi ? (Sensation profonde.)
Je ferais une trop sanglante injure aux catholiques et à ceux qui jouissent des bienfaits de la révolution, si je leur prêtais de telles intentions.
Le prince de Saxe-Cobourg a compris qu'il devait régner sur la Belgique de la révolution, et ce qui se dit dans cette enceinte ne lui laissera pas de doute à cet égard.
Il ne peut honorablement accepter notre couronne qu'à la condition de vider à notre avantage la question de territoire que nous confessons ne pouvoir résoudre nous-mêmes.
Il va donc négocier et engager contre les protocoles la lutte que nous avions hautement proclamé devoir se décider par l'épée de nos braves. (Nouvelle sensation.)
Nous le suivrons de nos vœux, dans cette guerre vraiment révolutionnaire et de nouvelle espèce.
Il aura devant lui le roi Guillaume et tous les princes de l'Europe.
La question du Luxembourg dure depuis plusieurs mois ; elle est loin d'être aplanie, et l'on a eu à peine le temps de qualifier celle du Limbourg, que l'on dit européenne.
Je souhaite beaucoup de patience à ce bon prince, mais je pense que s'il ne vient ici qu'après avoir l'emporté la victoire, nous ne le verrons jamais.
Ne vaut-il pas mieux employer une partie du temps précieux que nous allons perdre à nous assurer que l'élection du prince nous donnera l'intégrité du territoire ? N'est-ce pas là le parti le plus sage et le plus digne de vous ? Ne ferez-vous donc plus aucun effort pour conserver le Limbourg, aujourd’hui que vous le voyez vous échapper pour (page 190) toujours, et avec lui l'honneur de la révolution ?
Que dira-t-on de nous, que deviendrons-nous, nous qui craignons l'anarchie, si après de longues négociations le prince refusait notre couronne ou disait ne pouvoir l'accepter qu'à des conditions, qu'à l'avance je qualifierai de déplorables ? Après avoir épuisé la coupe des humiliations, il faudrait passer sous les Fourches Caudines, avouer qu'une révolution était au-dessus de nos forces, ou nous jeter dans les dangers d'une guerre peut-être impossible alors.
Nous avons perdu trop de temps ; mettons à profit celui qui nous reste ; sachons reconnaître que toute notre force est dans la crainte que nous n'allumions une guerre générale ; ayons au moins la politique de profiter de cette position, et ne nous hâtons pas de nous livrer pieds et poings liés à la Sainte-Alliance, qui ne sera pas éternelle ; sachons aussi tirer parti de l'état de l'Europe ; l'Angleterre et la-France sont fortement occupées à l'intérieur, l'Autriche est absorbée par l'Italie et la Galicie ; la Prusse, par ses nouvelles possessions et le duché de Posen ; la Pologne respire et combat encore ! enfin toute sympathie n'est pas éteinte entre les peuples.
Les partisans de l'élection immédiate disent que nous allons faire preuve de bonne volonté envers les grandes puissances, et nous concilier leur bienveillance ; je crains bien que cette bonne volonté ne soit prise pour faiblesse et acte d'impuissance ;
Que nous leur ôterons la crainte que le prince ne soit pas élu par le congrès, après qu'elles auraient satisfait à nos réclamations, - comme s'il ne leur était pas facile de mettre l'élection du prince pour condition à leur décision, qu'elles prendraient dans notre intérêt ;
Que nous aurons dans le prince un représentant à Londres. - On regardera comme gens de bien bonne composition, des révolutionnaires forcés de se donner un tuteur royal près la Sainte-Alliance, afin de terminer leur ouvrage.
De ces jolis raisonnements, des idées de lord Ponsonby et de la missive non signée de M. Belliard, on conclut qu'il est infiniment probable que le prince, devenu roi, nous procurera l'intégrité de notre territoire et nous délivrera de la dette hollandaise.
On n'oublie, dans ce gentil petit cadre, que la volonté immuable des cinq grandes puissances, les protocoles et le Je maintiendrai, de notre ancien roi !
Messieurs, je ne sais pas, je ne veux pas me faire illusion à ce point.
Je ne crois pas encore la partie désespérée ou perdue.
Ne nous abandonnons pas si facilement à la conférence et à ses menaces ; rappelons-nous le passé.
Ayons aussi un peu de politique, on ne s'en fait pas faute contre nous.
Le prince est le candidat de l'Angleterre ; il importe à cette puissance qu'il règne à Bruxelles, qu'il nous éloigne de la France ; sachons-en profiter, pour la conservation de notre territoire ; sachons intéresser l'Angleterre à seconder nos vues, que nous savons aussi être celles du prince.
Si nous élisons immédiatement, sans protester contre la lettre de lord Ponsonby, nous nous lions envers les cinq puissances, nous nous abandonnons à leur bon plaisir pour le territoire et la dette ; réclamez ensuite vos limites, et vous verrez si l'Angleterre, la Prusse, l'Autriche et la Russie ne vous préféreront pas la Hollande.
Par l'élection immédiate, nous sortons de la révolution, avant d'avoir tenté aucun effort digne de nous pour la conservation de notre territoire, de nos finances et de notre commerce ; nous ne faisons pas seulement acte de bonne volonté,. Nous cédons volontairement ; nous décourageons l’armée et les volontaires ; nous perdons toute force morale, toute consistance à l'intérieur et au dehors.
Notre force est dans la crainte d'une réunion à la France ; sachons en tirer parti, et dire que la Belgique, telle qu'on la fait, devra infailliblement ou demander la restauration ou son incorporation à la France ; notre force est aussi dans la crainte que nous ne devenions cause de guerre ; maintenons-nous dans cette position menaçante.
De deux choses l’une : ou l'on dit vrai, quand on affirme que l'on veut de la paix à tout prix, et dans cette hypothèse l'on ne s'engagera pas dans une guerre générale pour notre querelle avec la Hollande, et l'on préférera nous rendre justice et mettre le prince à même d'accepter notre couronne ; s'il n'en est pas ainsi, il nous importe que la guerre commence plus tôt que plus tard.
Deux mots encore : Vous regardez et les diplomates étrangers regardent le prince comme seul et unique moyen de récupérer le Luxembourg et le Limbourg : je ne veux pas user le moyen avant de l’avoir employé ; or c'est l'user, ce moyen, que de satisfaire ceux sur qui il doit agir avant d'avoir obtenu le prix de cette satisfaction.
Il me reste un argument à opposer à nos adversaires.
Dans mon opinion, élire immédiatement c'est (page 191) reconnaître les protocoles, c'est au moins exposer le territoire à un démembrement certain ; c'est se mettre en contradiction avec les plus beaux actes du congrès, avec les grandes vérités qu'il a proclamées.
Rappelons-nous que le comité diplomatique, dans une note verbale du 3 janvier 1831, protesta contre le renouvellement du système de 1814 et 1815, revendiqua le grand-duché de Luxembourg, le Limbourg et la rive gauche de l'Escaut, et insista sur la prompte ouverture de ce fleuve.
Cette note fut ignominieusement renvoyée par la conférence.
« Les commissaires envoyés à Londres, y est-il dit, sont munis d'instructions suffisantes pour être entendus sur toutes les affaires de la Belgique, et ils ne pourront laisser ignorer à la conférence que, dans les circonstances imminentes où se trouve le peuple belge, il paraîtra sans doute impossible que la Belgique constitue un Etat indépendant, sans la garantie immédiate de la liberté de l'Escaut, de la possession DE LA RIVE GAUCHE DE CE FLEUVE, DE LA PROVINCE DE LIMBOURG EN ENTIER ET DU GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG, sauf ses relations avec la confédération germanique. »
Le 6 janvier, une note signée Sylvain Van de Weyer et H. Vilain XIIII revient avec plus de force sur les mêmes principes. - L'orateur en cite les passages les plus saillants.
Enfin, ajoute l'honorable membre, par une décision solennelle du 1er février, vous avez protesté contre le protocole du 20 du même mois, que la lettre de lord Ponsonby et le protocole n°22 nous présentent aujourd'hui comme irrévocable.
Il est bon de remettre sous vos yeux quelques-uns des termes de cette protestation :
« Considérant, disiez-vous, que ce n'est point par un système de conquête et d'agrandissement que le peuple belge comprend dans son territoire le grand-duché de Luxembourg, le Limbourg et la rive gauche de l'Escaut, mais en vertu du droit de postliminie ou par suite de cession ;
« Qu'en effet le grand-duché de Luxembourg et la majeure partie du Limbourg ont appartenu à l’ancienne Belgique et se sont spontanément associés à la révolution belge de 1830, etc. »
Voilà les prémisses honorables que vous avez établies vous-mêmes, et j'espère que vous n'en dévierez pas, si vous ne voulez déshonorer la nation.
Je viens de vous indiquer le véritable sens de ma proposition.
Elle ne tend pas à nous jeter dans les lenteurs des négociations.
Elle a pour but de rendre le rôle de la diplomatie beaucoup plus court.
Je voudrais que la conférence fût placée dans la nécessité de décider, sous très peu de jours, si les sacrifices auxquels nous consentirons peuvent ou non nous assurer et le roi et le territoire ; car je ne vois pas le terme des négociations que le prince Léopold doit entamer, s'il est élu avant la solution des questions de territoire, et pour rendre sa tâche plus facile et son intervention plus efficace, il convient, selon moi, de lui donner des bases de transaction. (E., 2 juin.)
M. Henri de Brouckere – Messieurs, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire hier, mon intention n'était pas de prendre la parole dans cette discussion, parce que j'ai déjà fait connaître mon opinion en faveur de l'élection du prince de Saxe-Cobourg ; mais un orateur, entendu hier, a avancé sur la province de Limbourg des faits inexacts et qui méritent une réponse. Je vous prie de vouloir bien me prêter quelques moments d'attention.
S'il faut en croire l'honorable orateur, les prétentions de la Hollande sur la province de Limbourg sont peu de chose. Elle vous demande, dit-il, quelques villages, la moitié de la souveraineté de Maestricht, chose peu importante, car la souveraineté ainsi divisée l'empêchera d'entraver la navigation de la Meuse. Elle réclame la ville de Venloo, point peu important encore, puisque rien ne nous empêche, si nous tenons à joindre l'Escaut à la Meuse, de remplacer le canal qui aurait passé par Venloo, par un chemin de fer qui passerait par Ruremonde ; qu'on ne nous dispute pas.
Messieurs, avant de vous dire quelles sont les vues de la Hollande sur le Limbourg, je dois faire deux observations. C'est ici leur place et je ne saurais les ajourner. La première, c'est que je ne suis pas du tout convaincu que Ruremonde ne soit pas contesté ; la seconde, c'est que j'ai des doutes bien grands sur la possibilité d'établir une route en fer sur ce point, et surtout qu'elle pût y remplacer un canal. On a parlé de l'opinion des hommes de l'art à cet égard ; si j'en crois quelques renseignements qui me sont parvenus, les hommes de l'art dont a (page 192) parlé l'honorable orateur se bornent à lui et à quelques-uns de ses amis. (On rit.)
La Hollande réclame Venloo, la moitié de la souveraineté de Maestricht et cinquante-quatre communes rurales. Tous ces pays étaient autrefois en sa possession. Je dis en sa possession, car les pays de généralité n'ont jamais été fondus dans la Hollande ; ils n'étaient pour elle que des espèces de colonies. Cette possession était fondée sur une suite de traités, entre autres ceux de Munster, de Nimègue, d'Utrecht et de la Barrière. Le premier porte : « Art. 3. Chacun demeurera saisi et jouira effectivement des pays, villes, places, terres et seigneuries qu'il possède. » Dans celui de la Barrière, on lit : « Art. 18. Sa Majesté Impériale et Catholique cède à Leurs Hautes Puissances les États-Généraux, à perpétuité, en pleine souveraineté et propriété, dans le haut quartier de Gueldre, la ville de Venloo avec sa banlieue et le fort de Saint-Michel ; de plus le fort de Stevensweert avec son territoire ou banlieue, l'ammanie de Monfort, etc. »
Quant aux droits de la Hollande, ils étaient la suite du traité du 1er juillet 1773, et de beaucoup d'empiétements. Eh bien, messieurs, d'après le protocole du 20 janvier, et si vous l'acceptiez, la Hollande aurait le droit de posséder toutes les communes dont j'ai parlé ; mais comme ces communes sont éparpillées dans le Limbourg, et que pour aller de l'une à l'autre il faut de toute nécessité passer sur le territoire belge et sur un territoire qui n'a jamais été contesté, la conférence a disposé : « Art. 4. Comme il résulterait néanmoins des bases posées dans les articles 1er et 2, que la Belgique et la Hollande posséderaient des enclaves sur leurs territoires respectifs, il sera effectué par le soin des cinq cours tels échanges et arrangements entre les deux pays, qui leur assureraient l'avantage réciproque d'une entière contiguïté de possession, et d'une libre communication entre les villes et fleuves compris dans leurs frontières. »
En adhérant au protocole pour ce qui concerne le Limbourg, nous nous livrerions à la discrétion de la conférence sous ce rapport ; c'est elle qui déciderait en dernier ressort quelles villes appartiendraient à la Hollande, quelles à la Belgique, et nous devrions nous soumettre : et, en supposant que la conférence fût juste, supposition bien gratuite, je pense, elle nous enlèverait les pays les plus rapprochés de la Hollande. Eh bien, je vous prouverai la carte à la main que de ces cinquante-quatre communes, il n'y en a pas le quart fussent hollandaises ; les autres, et Ruremonde notamment, n'ont jamais eu rien de commun avec la Hollande. Ainsi, messieurs, nous livrerions nos compatriotes, nos frères, non pas à leurs anciens maîtres, mais à nos ennemis. Mais gardez-vous de croire que la conférence fut aussi juste que je viens de le supposer, elle s'est montrée toujours partiale contre nous. Je vais, messieurs, vous prédire les raisonnements auxquels on se livrerait pour motiver le partage ; et ces raisonnements, je ne les ai pas inventés, je les tiens d'une source telle, qu'ils méritent toute notre attention et que, si vous les traitiez légèrement, vous auriez lieu peut-être de vous apercevoir plus tard qu'ils n’étaient que trop bien fondés. Voici donc ce qu’on vous dira : Venloo a toujours appartenu à la Hollande, à cet égard pas de doute. Quant à Maestricht, il est vrai que la souveraineté en appartenait pour moitié à la principauté de Liége, que vous représentez. Mais outre cette part de souveraineté, la Hollande avait le droit exclusif d’y tenir garnison. Il est d'ailleurs impossible de mettre ce pays sous une souveraineté mi-partie, comme avant 1790 ; Maestricht doit donc appartenir à la Hollande, comme ayant une plus grande part. Voilà donc Venloo et Maestricht attribués à la Hollande : ainsi il faudra donner tout le pays situé entre nous et Maestricht, qui est à l'extrême frontière, à la Hollande. Mais alors que nous donnera-t-on en compensation ? Que fera pour nous la conférence, alors qu'elle nous enlève plus que l'équivalent de ce qu'elle nous donne ? Voulez-vous le savoir ? Prenez la fameuse lettre de lord Ponsonby, vous y lirez : « Si la Belgique consent à se placer dans cette situation, la conférence l’aidera, par une puissante médiation, à obtenir le duché de Luxembourg par un traité et moyennant une indemnité équitable. » Messieurs, le mot indemnité n'entraîne pas nécessairement idée d'argent ; on vous dira : Nous vous aiderons à obtenir le Luxembourg, et vous donnerez en indemnités vos droits sur le Limbourg. Voilà le langage qu'on vous tiendra, si vous êtes assez aveugles pour adhérer un jour au protocole du 20 juin.
Mais, dira-t-on peut-être, vous n'adhérez pas au protocole et vous ne voulez pas la guerre. Cependant on ne vous laisse que cette alternative ; vous serez donc forcés de faire la guerre ? Non, messieurs, et en vain le diplomate anglais, par sa lettre, que je ne sais comment qualifier, et qui n'est qu'un tissu de contradictions bizarres et (page 193) choquantes, vous dit qu'à moins que la Belgique ne réussisse à vaincre les armées de la France, de la Prusse, de l'Autriche et de l'Angleterre, pas un pouce de terrain hollandais ne sera cédé à la Belgique. En vain, ajoute-t-il encore, et quant à ce passage, qui est de la plus haute inconvenance, je n'y répondrai pas et je me contenterai de le lire ; en vain, dis-je, ajoute-t-il, que des difficultés créées par nous sans besoin pourraient amener jusqu’à l'extinction du nom belge, je ne croirai jamais, quoi qu'en dise et lord Ponsonby et les personnes qui partagent son opinion, que quatre puissances prennent les armes pour une misérable querelle entre la Belgique et la Hollande, et pour la possession de quelques villages ; jamais je ne croirai que l'Angleterre et la France se liguent contre nous. Jamais je n’ai pensé que la France, cette noble France qui nous a toujours donné des preuves de sa sympathie, et dont les institutions ont pour origine et pour base les principes consacrés dans les nôtres, consente à se liguer avec les autres puissances pour anéantir le nom belge. Ses intérêts, son honneur, le soin de sa gloire s'y opposent également. D'un autre côté, messieurs, lisez l'histoire ; vous verrez que, dès que la France a fait mine de convoiter la Belgique, l'Angleterre s’est empressée de s'y opposer, et les sacrifices d’hommes et d'argent ne lui ont pas coûté quand il s’est agi d'empêcher la réunion des deux pays. Et l’on voudrait que la France et l'Angleterre se liguassent pour nous conquérir ! Non, messieurs, elles ne le feront jamais ; elles savent d'ailleurs trop bien qu'une telle union serait de courte durée. Et pourquoi cette ligue ? dirai-je encore une fois ; pour quelques misérables villages. D'ailleurs ! messieurs, voici le dilemme que je fais : Ou les puissances croient la guerre inévitable par suite des événements dont l'Europe est agitée, et alors ce que nous pourrions faire n'empêcherait pas la guerre ; ou les puissances veulent la paix à tout prix, et alors il n'est pas à craindre qu'elles risquent de mettre l'Europe en feu pour quelques villages. J'ai dit. (Très bien ! très bien !) (I., 2 juin.)
M. Van Hoobrouck de Mooreghem renonce à la parole. (J. B., 2 juin.)
M. le baron de Leuze craint la guerre et ses calamités. Il dit qu'en 1790 le maréchal Felder arriva si vite que l'on dit qu'il avait des bottes de sept lieues. Cependant Léopold d'Autriche nous traita comme ses enfants, et nous donna pour nous gouverner son fils l'archiduc Charles, que vous avez trouvé trop grand pour nous gouverner. (Explosion d'éclats de rire.) L'orateur continue en disant que la guerre est toujours comparée aux plus cruels fléaux, la famine et la peste. Que faut-il faire, dit l'orateur, traiter, ou modifier notre constitution ? (Oh ! oh ! Murmure général.) Je le déclare, je veux la paix ; que faut-il faire encore ? le roi… (Rire général.) (J. F., 2 juin.)
M. le baron de Sécus (père) – La conférence prend pour base les traités existants. La république française, qui certes attachait de l'importance à la souveraineté du peuple, reconnaissait les traités. Mais ces traités peuvent être modifiés par d'autres traités, et la conférence ne laisse pas d'être disposée à remédier aux choses qui peuvent être contraires aux intérêts de la Belgique. Elle le fait déjà par rapport au Luxembourg, et il est vraisemblable que l'indemnité que nous devrons payer sera la même que celle qu'a reçue le prince Frédéric. Le royaume entier payait cette indemnité et ne le trouvait pas déshonorant ; la partie à laquelle le Luxembourg reste la payera également. La lettre de lord Ponsonby ne parle pas du Limbourg ni de la rive gauche de l'Escaut, mais elle ne nous les ôte pas non plus. Elle se réserve d'en parler dans une négociation ultérieure. La Belgique a le plus grand intérêt à posséder la rive gauche de l'Escaut, tandis que la Hollande n'en a plus, depuis qu'on exige la libre navigation des fleuves ; et, quand même elle voudrait s'opposer à cette liberté, elle aurait encore tout ce qu'il lui faut pour le faire. Elle peut envoyer une flotte à Flessingue. La Hollande a cédé le Limbourg à la France par un traité qu'elle a encore reconnu à la sortie des armées françaises de Hollande. Dans la constitution hollandaise de 1814, il n'est pas question du Limbourg. Le seul moyen de négocier avec avantage est de choisir un prince que nous savons être agréable aux puissances. (J. B., 2 juin.)
M. Fransman vote en faveur de l'élection immédiate, et pour qu'on obtienne les pays contestés par des négociations dont il attend un heureux résultat. (I., 2 juin.)
M. Demelin exprime en peu de mots les mêmes vœux que le préopinant. (I., 2 juin.)
M. de Robaulx – Messieurs, trois propositions principales vous sont soumises : les uns, sans égard à la situation actuelle des affaires européennes, sans prendre garde aux pièges que vous tend la Sainte-Alliance, nouvellement retrempée à Londres, croient que le prince de Saxe-Cobourg doit être sans délai ni condition proclamé roi des Belges.
D'autres, moins confiants dans les notes verbales et les lettres officieuses fabriquées pour l'opportunité des circonstances, demandent qu'avant (page 194) l'élection d'un chef présenté par la conférence de Londres, le congrès belge règle les arrangements qui facilitent l'acceptation de la couronne.
Une troisième proposition (c'est la mienne) a pour but de charger le pouvoir exécutif de prendre immédiatement des mesures, même par la force, pour chasser les Hollandais de notre territoire.
Avant d'examiner à fond chacune de ces propositions, ainsi que leurs variantes, le congrès doit décider celle à laquelle il veut accorder la priorité.
Cette discussion, que je ne considérais que comme un point purement d'ordre et ne préjugeant rien, a cependant été entamée avec tant de soin et d'importance par tous les orateurs qui m'ont précédé, qu'il est maintenant impossible de ne pas la regarder comme devant exprimer l'opinion du congrès sur la marche que doit suivre le gouvernement.
Tel est le motif qui m'engage dès à présent à exprimer mon avis sur l'opportunité et les résultats probables de ces propositions.
Sans examiner si le prince de Saxe-Cobourg, par son origine, sa position et ses antécédents, est le chef qui convient à la Belgique ; si, candidat de la Sainte-Alliance, à laquelle il subordonne son acceptation, il présente des garanties suffisantes pour que le dépôt des libertés révolutionnaires lui soit confié ; si, appuyé par l'Angleterre, il ne deviendra pas en Belgique une cause de suspicion qui nous fermera les portes de la France jusqu'à ce qu'elle juge à propos de venir renverser un trône qui lui portera ombrage ;
Sans examiner si cette candidature n'est pas un nouveau stratagème politique, possibilité que nous devons conserver pour exercer quelque influence sur les négociations. Voilà pour l'élection immédiate de Saxe-Cobourg, première proposition.
Quant à la proposition de M. Blargnies, abstraction faite du nom propre qu'elle contient, ce que je viens de dire prouve que je lui donnerais mon suffrage, si le congrès jugeait encore à propos de faire de la diplomatie et mettait son veto à la guerre d'expulsion, que je considère comme ardemment désirée par la nation.
Pour ce qui regarde la proposition que j'ai faite, tendant à reprendre les hostilités contre les Hollandais qui occupent encore quelques points de notre territoire, j'ai déjà donné les principaux motifs qui l'appuient, je m'y réfère ; j'ajouterai cependant .quelques considérations.
En fait de révolutions, on l'a souvent dit, il faut marcher droit à son but, il faut renverser, sans aucun égard, tous les obstacles pour l'atteindre ; s'arrêter, c'est perdre du terrain ; c'est reculer ; nous en avons la preuve chez nous.
Si la révolution avait été continuée par ceux qui l'ont entreprise, si l'ardeur de nos volontaires n'avait été paralysée par une malencontreuse suspension d'armes dont il est réservé à l'histoire de qualifier les causes, n'est-il pas évident qu'aujourd'hui nous serions constitués, après avoir nous-mêmes dicté les conditions, tandis qu'à présent on veut les imposer ? On exige même de nous la dernière des infamies : on veut que nous livrions aux bourreaux de Guillaume les révolutionnaires de Venloo et du Luxembourg... ce sont nos frères cependant. On a beau ergoter pour pallier ce résultat, il n'est que trop vrai, c'est là où l'on nous mène en attendant pis.
Depuis que les hommes de la révolution se sont adjoint les aristocraties de noblesse et d'argent, ils ont été peu à peu expulsés du pouvoir ; les timides se sont montrés en majorité, ils ont tout envahi ; la révolution, qui ne s'était sans doute pas faite par eux, a été faussée par leurs tergiversations et leurs faiblesses. Pour peu que cela continue, la trahison pourra venir couronner l'œuvre.
En novembre dernier il fallait à tout prix arrêter le torrent de la révolution belge, on a inventé un armistice ; aujourd'hui ce moyen est usé, le voile est déchiré ; il est constant que nous avons été dupes ; on s'aperçoit que la nation irritée se prépare à se débarrasser de ses entraves, vite, de par la Sainte-Alliance et le Saint Office de Londres, une combinaison est élaborée par ses agents, et le nom du prince de Saxe-Cobourg nous est jeté en avant par la conférence, pour gagner du temps, jusqu'à ce que la Pologne soit anéantie ; alors ce sera notre tour. On essayera d'effacer le nom belge du livre des nations, comme on a déjà l'impudence de le signifier au congrès, qui le souffre. Toutefois cette dernière tâche sera difficile, parce que la France, notre alliée de principes et d’affection, sentira que notre cause est la sienne ; elle ne permettra jamais que la Sainte-Alliance domine en Belgique : le besoin de sa propre conservation lui fait une loi de nous protéger de sa puissante égide ; je ne crains donc pas ce qu'on appelle la combinaison de Saxe-Cobourg, elle ne réussira jamais en définitive.
Je crains d'autant moins cette combinaison que, comme le disait M. Lebeau, séance du 19 janvier, la France ne le souffrira pas ; voici comme il s’exprime : « S'il s'agissait d'un prince anglais, du prince de Saxe-Cobourg, par exemple, la répugnance (page 195) de la France irait jusqu'à l'exclure.» (Sensation marquée.- Tous les regards se portent sur M. Lebeau.) Mais ce qui est plus à redouter, c'est que de nouvelles négociations, que rien n'annonce devoir être heureuses, ne recommencent et nous lancent de nouveau dans le dédale de la diplomatie, où sans doute nous n'entrerons en lice que pour essuyer de nouvelles défaites, pour recueillir de nouveaux affronts.
Alors l'inquiétude et la défiance se propageront, le peuple ne pourra entrevoir le terme de ses souffrances, l'industrie abattue ne se relèvera pas, et dans quelques semaines la misère publique amènera l'anarchie, but unique des partisans de la restauration.
La position que je conseille au congrès de prendre, est plus rassurante pour la nation : en décrétant l'expulsion des Hollandais, nous donnerons la preuve que nous voulons en effet achever la révolution et fixer les destinées du pays ; et, en nous bornant là, nous donnons aux puissances une juste idée et de notre énergie et de notre modération, en ne faisant pas de conquête.
Si, comme je n'en doute pas, nous devons tôt ou tard en finir par les armes avec les Hollandais, puisque les négociations de six mois n'ont rien produit, j'estime qu'il est nécessaire de profiter de la saison favorable pour la guerre ; et puisque notre armée, qui est sur le pied de guerre, coûte immensément à l'État, il faut l'utiliser ; sinon les douze millions que vous avez votés seront bientôt absorbés, et il faudra avoir recours à de nouveaux sacrifices, à des contributions nouvelles, que la nation supportera à regret parce que ce sera votre faute.
Si vous adoptez les propositions qui ramènent de nouvelles négociations pour une élection inconsidérée, vous assumez une immense responsabilité que je ne partagerai point : en temporisant de nouveau, vous préparez pour l'hiver prochain une situation terrible à cause du dénuement complet des classes inférieures de la société.
En demandant la guerre d'expulsion contre les Hollandais, je crois satisfaire à l'honneur national. C’est à ce titre que je persiste. (Applaudissements dans la salle et dans les tribunes. )
En effet, quoi qu'en aient dit les ministres et les acolytes de la diplomatie, il est constant que le protocole du 20 janvier est et demeure la règle invariable dont la conférence de Londres ne veut pas se départir pour la fixation de nos limites, et l’on veut nous tromper quand on dit que la lettre de lord Ponsonby est une preuve que le protocole 20 janvier est abandonné par la conférence, tandis que le protocole n° 22 , qui a, je crois. pour date le 11 mai, confirme le premier, le déclare irrévocable et charge lord Ponsonby, qui l'a en poche, de nous le signifier.
Il est irrévocable comme volonté et principe des puissances qui nous sont contraires.
Il est irrévocable parce qu'il est accepté par le roi Guillaume, qui ne renoncera jamais volontairement à Maestricht, position militaire et commerciale.
Il est irrévocable puisqu'un ministre n'a pas osé, sur interpellation de M. Rodenbach, prendre sous sa responsabilité d'assurer que la lettre de lord Ponsonby y déroge.
Il est certain aussi que le prince de Saxe-Cobourg n'acceptera pas la couronne sans l'assentiment de la conférence, qui, à son tour, a déclaré, par le protocole n° 22, qu'elle ne reconnaîtrait pas le souverain de la Belgique si, au préalable, il n'avait adhéré au protocole du 20 janvier.
Ces faits posés, il en résulte que si vous procédez à l'élection avant tout arrangement, vous devez négocier après l'élection pour aplanir l'acceptation, que je regarde comme impossible ; et alors de deux choses l’une : ou le congrès maintiendra l'intégrité du territoire et rejettera le protocole du 20 janvier ; ou par lassitude, par crainte ou autrement, il adhérera au protocole.
Dans le premier cas, le prince refusera, parce que, comme il l'a dit, il ne veut pas nous apporter la guerre, lui qui ne veut régner qu'en paix ; et pour lors ce refus, qui n'arrivera qu'après des négociations assez longues, jettera le pays dans une crise qu'il aura droit de nous reprocher.
Dans le second cas, c'est-à-dire si le congrès pouvait adhérer au protocole, il s'ensuivrait que l'élection aurait été faite par vingt-cinq députés étrangers à la Belgique, députés qui auront peut-être fait la majorité et qui par suite vicieront l'élection. .
Voilà un des inconvénients inséparables d'une élection prématurée et irréfléchie : ajoutez à cela qu'en nommant Saxe-Cobourg avec les dispositions qu'il a manifestées, c'est nous livrer sans défense à la merci des puissances ; c'est renoncer à la menace de la république ou de la réunion à la France, possibilités qui les effrayent. (E., 2 juin et supp.)
M. Van de Weyer – Messieurs, je tâcherai d'être court, et je me renfermerai dans l'examen des cinq propositions. Je commence par déclarer que le champ de la discussion a été tout à fait méconnu. On vous a dit que nous voulions que le (page 196) prince de Saxe-Cobourg fût élu immédiatement et sans condition. On vous a dit qu'il s'agissait d'accepter le protocole du 20 janvier et de renoncer aux protestations énergiques qui furent faites contre ce protocole, et qu'a si bien fait ressortir notre collègue M. Blargnies. Eh bien, messieurs, je le déclare, s'il fallait désavouer ces actes qui font la gloire de la Belgique, je désavouerais tous mes antécédents, toute ma conduite politique, car j'ai concouru à la rédaction de ces actes, et j'y ai apposé mon nom. Mais, messieurs, il ne s'agit pas heureusement de cela ; il ne s'agit, pour la Belgique, que de se constituer promptement, afin de pouvoir dire aux puissances : « Nous avons voulu vous donner un gage de notre désir de nous constituer, de conserver la paix en Europe, en vous prouvant, par un acte solennel, que nous ne voulions pas être réunis à la France ; mais l'élection que nous avons faite serait regardée comme non avenue, si nous devions entrer encore dans une longue suite de négociations, ou transiger sur des points que nous ne saurions céder sans déshonneur. » Alors, messieurs, il faudrait que le prince de Saxe-Cobourg s'expliquât sur son acceptation dans un bref délai, ou la Belgique aurait le droit d'obtenir par les armes ce qu'on lui aurait refusé par la voie des négociations. Voilà dans quel sens j'entends qu'il faut procéder immédiatement à l'élection du prince de Saxe-Cobourg.
Je sais bien, messieurs, qu'il est facile, qu'en jetant dans un discours quelques mots brillants, qu'en prononçant les mots de guerre, de conquête, de gloire, on peut acquérir vingt-quatre jours de popularité. Lorsque la trompette sonne, un cheval fougueux frappe du pied, ses yeux brillent, sa crinière se dresse, ses naseaux s'élargissent. Ainsi, au mot de guerre, le Belge lève la tête, son cœur bat, il brûle de voler au champ d'honneur ; mais, messieurs, l'homme qui tient entre ses mains la gloire et le bonheur de son pays doit être plus calme. Ce n'est pas moi qui ai exposé ma tête pendant la révolution, ce n'est pas moi qui ai fait tous mes efforts pour en assurer le succès, qui dirai : Périsse la Belgique, plutôt que la sauver par des négociations ! Non, ce mot ne sortira jamais de ma bouche. Craignez, messieurs, que nos contemporains et la postérité ne disent un jour : La Belgique pouvait se constituer et prendre rang parmi les nations, et, dans son impatience, pour n'avoir pas voulu attendre quinze jours encore l'issue des négociations, elle a tout perdu, elle a anéanti la Belgique elle-même. (Mouvement.) Croyez-vous, messieurs, que la brave Pologne, qui se bat maintenant contre ses oppresseurs, ne se trouvât pas heureuse de pouvoir se constituer comme nous ? Croyez-vous que les généraux qui conduisent les paysans au combat n'aimassent pas mieux les voir moissonner paisiblement leurs champs, que de les conduire sur le champ de bataille faire, la faux à la main, des moissons d'hommes et de chevaux ?... Songez, messieurs, au commerce, à l'industrie, qui ont fait et qui peuvent faire encore le bonheur de la Belgique. Eh bien, vous allez jouer tout cela pour éviter des négociations qui peuvent au plus durer trois semaines, et comme si vous n'étiez pas à temps à commencer les hostilités si l'élection du prince n'amenait aucun résultat.
J'examinerai maintenant la proposition de M. Blargnies, proposition qu'il nous a présentée avec tant d'énergie et tant de lucidité, et, je me hâte de le dire, si cette proposition ne devait pas nous faire perdre trop de temps en négociations, je m'empresserais de l'adopter ; mais elle a ce tort à mes yeux, que, loin d'abréger les négociations, elle tend à les allonger indéfiniment : inconvénient grave au moment où toutes les mesures à prendre doivent être courtes et rapides.
Ici l'orateur rappelle la proposition de M. Blargnies et ajoute – Eh bien, avant que vous n’ayez arrêté les bases des indemnités, avant que vous n'ayez soumis vos propositions à la conférence ; avant que vous n'ayez reçu la réponse de Londres, il s'écoulera bien du temps, pendant lequel nous serons précisément dans ce provisoire contre lequel on crie si fort et avec tant de raison. Avec notre mode, au contraire, nous nous constituons promptement, et nous donnons à la conférence une garantie que nous ne voulons point de réunion à la France. Et quand je parle de réunion que nous repoussons, loin de moi, messieurs, d'attaquer cette France à qui nous devons tant, loin de moi de faire entendre contre la France des paroles sévères ; nous serions des ingrats de méconnaître les services qu'elle nous a rendus. C'est à elle, en effet, c'est aux sacrifices qu'elle a faits pour les progrès de l'intelligence humaine et pour la liberté, que nous devons cette constitution, la plus libre de toutes celles de l'univers et qui sera pour le nom belge un titre de gloire. Mais alors je dis que nous devons conserver ce nom, pour ne pas perdre l’estime de la France elle-même. Car le plus malheur pour une nation, c'est la perte de son caractère, c'est la perte de sa nationalité. Eh bien, messieurs, l'élection que nous vous proposons, (page 197) est une garantie que nous resterons Belges. Par elle notre nom sera intact et nous conserverons et notre territoire et notre honneur.
La proposition qui vous a été faite de reprendre les hostilités et d'expulser les Hollandais du territoire, me paraît dangereuse, et de plus elle n'atteint pas le but qu'elle se propose. Je suppose effectivement que nous nous soyons rendus maîtres de Maestricht, de la citadelle d'Anvers, en un mot que toute la Belgique fût déblayée : alors même, pour nous assurer la possession de nos limites, nous serons obligés de recommencer une série de négociations telle, qu'il serait impossible d’en prévoir la durée. On a beau s'élever contre cette idée et dire qu'une nation ne doit subir le joug de personne ; il faut toujours en revenir à ce point, qu'une nation ne peut pas être isolée, qu'il faut qu'elle prenne une place non contestée à côté des autres nations. Voyez la France, elle a préféré renoncer au territoire qui lui avait été enlevé que de recommencer des hostilités pour le reconquérir, parce qu'elle sait qu'elle pouvait compromettre ses libertés dans une lutte dont l'issue est toujours incertaine.
On vous a cité des exemples. On vous a parlé de la Hollande, de la Suisse, des États-Unis, qui ont, dit-on, conquis leur indépendance les armes à la main, et montré un courage et une constante plus grands que les nôtres. A la bonne heure. Mais la guerre de la Hollande a duré cent ans ; des États-Unis vingt-cinq ; celle de la Suisse plus de quarante. Quelle différence avec la combinaison que nous vous proposons, et qui peut vous assurer en un jour tous les avantages que vous désirez, sans effusion de sang.
Je pense donc qu'il convient de procéder sans délai à l'élection du prince de Saxe-Cobourg, en fixant un délai pour le terme des négociations, avec cette condition que si elles n'étaient pas honorables pour la Belgique, nous déclarerions que la Belgique, ayant épuisé tous les moyens de conciliation, elle en appelle à Dieu et à la force des armes. (Bien ! très bien !) (I., 2 juin.)
M. d’Elhoungne – Messieurs, dire que je ne partage pas la confiance que l'un des honorables préopinants a manifestée en faveur des agents de la diplomatie, c'est assez dire que je persévère dans l’adhésion que j'ai donnée à la proposition de M. Blargnies.
Dès hier, le champ de la discussion n'a fait que s’étendre ; l'assemblée me permettra de me renfermer dans la question de priorité, qui est vraiment le sujet de ses délibérations.
Envisagée sous ce point de vue, la délibération actuelle peut se résumer en une simple question que voici :
Faut-il procéder à une élection pure et simple, qui, laissant subsister tous les points litigieux entre la conférence et nous, rend l'acceptation douteuse, et en recule le terme ; ou convient-il de la rendre conditionnelle, pour ne pas livrer le pays aux exigences étrangères ?
S'il est un point constant, d'après tous les renseignements officieux et officiels communiqués au congrès, c'est d'abord que le prince Léopold subordonne son acceptation à l'obtention de l'assentiment de la conférence à son élévation ; et en second lieu, que la conférence à son tour subordonne son assentiment à l'acceptation pure et simple de la part de la Belgique, du protocole du 20 janvier.
Mais ce protocole, messieurs, vous l'avez refusé, vous l'avez répudié avec mépris, vous avez protesté contre son contenu.
Les choses ne sont donc plus entières : le congrès se trouve lié ; le gouvernement l'est, et le prince le sera, à moins que vous ne commenciez par révoquer en entier, ou à modifier dans son application l'une de vos délibérations qui ont trouvé le plus d'écho dans la nation et de sympathie parmi les peuples étrangers.
Le maintien de votre décret et l'élection pure et simple sont donc choses inconciliables. Pourquoi ? parce qu'il y a impossibilité absolue de contenter la conférence, impossibilité ainsi d'obtenir l'acceptation du prince, et que dès lors il devient oiseux de procéder à une élection sans résultat effectif.
L'assemblée veut pourtant élire ; commençons donc par assurer un effet réel à l'élection, en levant au préalable tous les obstacles qui s'opposent à une acceptation immédiate, à l'acceptation pure et simple de la part de l'élu.
Que faut-il faire pour atteindre ce but ?
Suivre la marche que l'honorable M. Blargnies nous a indiquée le premier, en vous décidant entre sa proposition et celle que trois honorables membres du bureau vous ont ensuite soumise ; ou, mieux encore, en amendant l'une par l'autre.
Fixer les bases d'un arrangement définitif ; les faire connaître au prince et à la conférence, et vous prononcer ensuite sur la proposition de l'élire, d'après l'issue des négociations, tel est le fond de la proposition de l'honorable député du Hainaut. Cette marche est franche ; elle mène droit au but et tend à épargner au congrès l'humiliation d'un second refus.
Apposer des conditions à l'élection ; imposer (page 198) des restrictions à l'élu, tout en allant au-devant du joug dangereux d'une occupation partielle, voilà le fond de l'autre proposition.
Telle qu'elle vous est présentée et telle que la section centrale la reproduit, elle n'obtiendra pas mon assentiment. Modifiée ainsi que l'honneur, la sûreté et les intérêts du pays l'exigent, je pourrais m'y rallier, quoique dans mon opinion, la marche indiquée par notre honorable collègue M. Blargnies me semble préférable, parce qu'elle est plus rationnelle, plus digne et tend plus franchement vers le but qu'on se propose.
Mais, dit-on, cette marche retardera l'élection.
Se jeter au-devant du joug qu'on veut nous imposer ; donner tête baissée dans toutes les embûches qu'on nous tend ; livrer le pays à la discrétion de la Sainte-Alliance, est, j'en conviens, un parti plus expéditif. Mais il s'agit moins d'aller vite que d'aller bien ; le congrès, j'aime à le croire, n'hésitera jamais dans le choix.
Ce n'est pas dans le retard de l'élection que serait le danger : il serait plutôt dans le retard de l'acceptation, et ce retard est inévitable, il est inséparable d'une élection pure et simple, à moins de se livrer, pieds et poings. liés, à la discrétion de la conférence.
Mais, dit-on, il faut clore la révolution ; et le bon moyen, messieurs, que l'élection d'un étranger qui ne nous apporte rien !
Au fond, que nous procurera cette opération ? Un homme de plus ; et c'est dans ce faible renfort, c'est dans ce roseau auquel il faudra que nous prêtions appui, que l'on veut que le pays place son espoir, pour arrêter le mouvement qui agite la nation !
Une présomption singulière doit s'être emparée de nous, si nous pensons qu'un homme, un seul homme, armé d'un décret du congrès, va clore la révolution.
La France, immédiatement après les journées de juillet, s'est donné un roi. L'élection est consommée ; l'Europe entière a applaudi au choix et envié le bonheur des Français ; et la France, messieurs, est aujourd'hui moins tranquille qu'au mois d'août de l'année dernière. Qu'on en tire la conséquence.
L'Europe, messieurs, grâce à la légitimité, n'a faute de princes souverains ; et l'Europe est agitée de la Vistule à l'Atlantique, de la Manche au détroit de Messine.
Et c'est en donnant à la Belgique l'occasion de doter un roi qu'on prétend calmer le pays.
L'opinion que nous combattons, messieurs, prend sa source dans deux illusions. Nous oublions que notre révolution n'est qu'un épisode dans le vaste drame qui, dès longtemps préparé, a éclaté en 1789, et ne finira que, lorsque s'étant complètement déroulé, et ayant enveloppé l'Europe entière dans son tourbillon, les besoins qui ont donné naissance à la grande réformation politique du XVIIIe siècle seront satisfaits.
Vouloir, comme on vous l'a dit, rendre le calme à la France en nous donnant un roi, comme si nous n'avions pas reçu d'elle l'impulsion au lieu de la lui donner ; vouloir, disons-nous arrêter le mouvement qui entraîne l'Europe tout entière dans une rénovation, c'est vouloir arrêter la mer avec la main, c'est se nourrir d'illusions douces sans doute en ce moment, mais d'autant plus cruelles que l'événement en démontrera plus tôt le néant.
A côté du désir louable de clore la révolution par un décret, est le danger d'exciter de nombreux orages, en contrariant les vœux du peuple, qui l’a faite, et en trompant les intérêts du pays.
On ne peut se le dissimuler, messieurs, les explications des diplomates sont loin de paraître au public, qui nous juge, aussi satisfaisantes qu’à une notable partie de l'assemblée.
La question du Luxembourg ne lui paraîtra vidée que quand les bases de l'indemnité pécuniaire seront fixées entre les parties. La question du Limbourg lui paraît encore moins avancée et d'une tout autre importance, pour qu'à la question d'indépendance et d'intégrité du territoire, se trouve liée une question d'honneur, d'humanité, de justice et d’existence. La question de la rive gauche de l'Escaut est à ses yeux une question vitale, sur laquelle il ne se montre guère disposé à adopter l'opinion de la conférence ; et quant à la dette, comment croire que la conférence renoncera à la traiter, à la décider, à la trancher à notre détriment, quand on songe que tous les capitalistes de l'Europe ont intérêt d'en mettre une large part à la charge de la Belgique ?
Dans cet état de choses, une élection pure et simple, dont l'adhésion aux protocoles serait la conséquence immédiate, si l'on veut qu'elle produise effet, me semble la résolution la plus dangereuse que le congrès pourrait prendre. En conséquence, je demanderai la priorité pour la proposition de M. Blargnies, et subsidiairement je me rallierai à celle de M. Nothomb, sauf les amendements qu'elle réclame pour la dignité et la prospérité du pays. (E., 2 juin.)
M. le baron Beyts appuie l'élection immédiate du prince de Saxe-Cobourg, mais en insistant pour le maintien de notre constitution. Il (page 199) ne veut pas de garnison étrangère dans Maestricht ; il invoque les traités. En élisant immédiatement le prince Léopold, nous avons, dit-il, sur la proposition de M. Blargnies deux avantages : le premier, que nous aurons des négociateurs intéressés à la chose ; le second, qu'on accordera peut-être au roi que nous allons élire ce que nous ne pouvons obtenir comme peuple encore en révolution. (J. F., 2 juin.)
M. Charles de Brouckere – Il est inutile de vous dire, messieurs, que vous ne trouverez dans mes paroles aucune allusion aux opinions de mes anciens collègues, ni à ce qui s'est passé dans le conseil ; je raisonne d'après des pièces et des faits patents.
Les protocoles, un ministre nous l'a rappelé hier, sont les procès-verbaux de la conférence, et par conséquent les seules pièces revêtues d'un acte authentique.
Nous connaissons officiellement le protocole du 20 janvier. Depuis, rien n'est venu modifier cet acte ; au contraire, le protocole n° 22 confirme en entier la teneur du premier. Il ne nous a pas été notifié ; il suivait de trop près le vote des douze millions accordés par acclamation pour faire la guerre ; il eût provoqué une explosion.
Tout est changé parmi nous : pour ne pas nous effrayer on nous communique une lettre… Je ne saurais trouver de termes assez énergiques pour flétrir convenablement les expressions de cette lettre, Quoi ! c'est un lord anglais qui menace tout un peuple de l'extinction de son nom ! Ah ! ce nom vivra malgré lui et les siens ; aucune force ne parviendra à nous le ravir dans l'avenir, à l'effacer dans le passé ! (Ces mots, prononcés avec énergie, provoquent une explosion prolongée de bravos et d’applaudissements dans l'assemblée et dans les tribunes.)
Et cependant, cette lettre a servi de texte à un honorable membre pour soutenir que nous avions plus de chances de réussite pour l'acceptation du prince de Saxe-Cobourg, que nous n'en avions eu pour celle du duc de Nemours. A-t-il donc oublié que notre envoyé à Paris, par plusieurs lettres, non officielles il est vrai, répondit du succès ; que les agents de la cour et du ministère français nous donnèrent les mêmes assurances ; qu'une lettre du ministre des affaires étrangères nous fut communiquée ? Qu'est-il advenu ?
Ah ! si l'élection du duc de Nemours fut une courtoisie, celle du prince de Saxe-Cobourg, n'en déplaise à l'honorable membre, est une véritable mystification.
Nos adversaires nous tiennent un singulier langage ; ils nous disent : Vous ne voulez pas l'élection immédiate, prouvez que vous êtes certains de la réussite de la guerre. Il serait plus logique, pour nous ramener à cette opinion, de nous prouver qu'on est certain de l'acceptation ; qu'au moins elle est probable ; mais le refus est certain, aux termes mêmes de la lettre de lord Ponsonby ! à moins de soumission aux protocoles.
Nous ne pouvons répondre de l'issue de la guerre, mais les chances sont toutes en notre faveur. Jamais la France ne verra d'un œil impassible l'Angleterre ou la Prusse envahir notre territoire ; jamais l'Angleterre ne consentira à sa prise de possession par les troupes françaises ; si donc le maintien de la paix européenne est décidé à tout prix, on nous laissera nous débattre avec la Hollande. Si, au contraire, il y a des ferments de guerre entre les puissances, toutes nos décisions ne peuvent servir qu'à ajourner l'orage ; nous n'avons aucun intérêt à cet ajournement.
Mais, nous a dit un orateur, le temps de faire la guerre n'est pas arrivé. Quand donc arrivera le moment propice ? Sera-ce quand les Polonais auront été vaincus par le nombre, si le nombre peut vaincre cette nation héroïque ? Sera-ce quand l'Italie aura été subjuguée par l'Autriche ? Sera-ce quand les provinces rhénanes seront amollies par le funeste exemple de notre apathie ?
Le moment de faire la guerre n'est pas encore arrivé ! On a voulu dire, sans doute, qu'il était passé. Et en effet, que les hommes sont changés depuis deux mois ! Mais il nous reste encore de l'énergie ; on cherche à la paralyser par les négociations.
Vouloir l'élection immédiate, c'est se soumettre aux protocoles, ou au moins, comme on l'a avoué ingénument, c'est reconnaître les limites de 1790, moins la province de Luxembourg, qui faisait alors partie de nos provinces.
Il y aura des échanges, nous dit-on encore, ou, en d'autres termes, nous vendrons nos frères à la Hollande : nous lui abandonnerons l'arrondissement de Ruremonde, ou la rive droite de la Meuse jusqu'à Maestricht. Alors que devient ce beau projet de route en fer si hautement vantée, et préférable, je ne sais suivant quels hommes de l'art (on rit), à une canalisation ? Alors que devient le transit par l'Allemagne ? Que devient le commerce d'Anvers ?
Aujourd'hui, comme après la paix de Munster, on négociera pendant dix-huit ans ; et, de guerre lasse, chacun conservera la position qui lui est assignée par les protocoles. La Hollande possédera des enclaves dans toute l'étendue du Limbourg, et (page 200) non seulement tout transit sera impossible, mais, comme avant la révolution française, la province dont j'ai l'honneur d'être député deviendra un désert inculte, faute de communications et de débouchés.
Mes alarmes sont chimériques, suivant quelques orateurs : la conférence a déjà fait un grand pas, dit-on ; elle ne bornera pas là sa générosité. Vous l'avez entendu, messieurs : en nous cédant le Luxembourg, la conférence a révolutionné l'Allemagne. Singulière révolution ! Ne savons-nous donc pas qu'ici la landwehr se réunit aux cris de : Vivent les Belges ! que là, elle marche en chantant la Brabançonne ; qu'ailleurs, il y a impossibilité de fournir les contingents destinés à nous envahir ?
Où est-il écrit que la conférence nous accorde le Luxembourg ? Dans la lettre de lord Ponsonby ? Oui, le noble lord nous cède le Luxembourg moyennant une juste indemnité ; c'est-à-dire moyennant l'abandon d'une autre partie du territoire, et non, comme on l'insinué, à prix d'argent, à moins qu'on n'exige l'un et l'autre.
Messieurs, il s'agit de résoudre une question d'honneur. Unis par les traités, unis par l'insurrection, il y a, suivant moi, lâcheté à trafiquer des hommes comme de propriétés immobilières. Dût une restauration être la suite de notre résolution, plutôt mille fois la restauration que l'ignominie (mouvement prononcé) ; plutôt des fers pour quelques années encore que la perte d'une réputation qui a traversé les siècles, que le démenti du nom que nous a donné César, que le sacrifice de l'avenir tout entier ! (Nouveau mouvement.)
Mais la restauration est impossible. L'exemple de la France est encore palpitant. L'Europe sait que notre réveil serait terrible, et que nous pourrions l'embraser en secouant une seconde fois le joug.
Ce qu'il peut nous arriver de pis, c'est de subir par la force ce que nous voulons offrir aujourd'hui, et, alors au moins, nous Limbourgeois, nous n'aurons pas le droit de maudire ceux avec qui nous avons fait la révolution.
Ne nous y trompons pas, ce n'est pas par amour pour nous que les autres puissances interviennent dans nos affaires : l'Europe entière est sous les armes ; elle conservera cette attitude aussi longtemps que nous ne serons pas constitués ; de là l'incertitude sur l'avenir de paix ou de guerre, et, par suite, la stagnation du commerce et de l'industrie. Les puissances ont donc le plus grand intérêt à voir terminer nos affaires ; elles réclament l'élection du prince de Saxe-Cobourg, c'est pour nous un motif puissant de ne pas la consommer sans connaître les conditions de notre existence.
Ce que je demande, c'est la conséquence de la lettre écrite en notre nom au ministre des affaires étrangères de Hollande ; c'est la reprise des hostilités à la première infraction des conditions de la suspension d'armes ; ici je ne parle pas de quelques coups de fusil échangés entre les avant-postes, qui ne peuvent être considérés que comme des actes d'indiscipline ; mais j'entends par infraction le prélèvement d'impôts dans nos communes, les inondations de nos propriétés, la violation du territoire par une flotte ou une troupe armée. Je demande qu'au lieu de recourir dorénavant à des tiers, qui insultent à notre caractère, nous repoussions la force par la force. Je demande enfin qu’il soit fait immédiatement des offres réelles à la conférence.
Je suis disposé à acheter la paix à prix d'argent, à faire à l'avenir du pays tous les sacrifices, celui de l'honneur, et suivant moi l'élection préalable ne peut se faire qu'aux dépens de l'honneur national. (Bravo ! bravo !) (I., 2 juin.)
M. Destouvelles – Messieurs, j'ai partagé l'impression profonde qu'a produite sur l'assemblée la communication de la lettre adressée par lord Ponsonby au ministre des relations extérieures. Je ne sais, messieurs ; ce dont je dois le plus m'étonner, de l'étrange aveuglement du diplomate anglais, dont l'expérience est reconnue et qu’un séjour de plusieurs mois dans la capitale de la Belgique a mis à même d'étudier la disposition des esprits, d'apprécier notre situation ; ou de l’intrépide résignation du ministre qui est monté à la tribune pour porter à votre connaissance une pièce dont la sombre lecture a été accueillie par le plus morne silence, et dont vous sentez toute l'importance. L'instant n'est pas venu de discuter cette lettre annoncée par lord Ponsonby, comme une improvisation pour laquelle il réclame l'indulgence du ministre des relations extérieures, et qui, s'il faut en croire ce dernier, a été précédée d'une conférence qui s'est prolongée depuis dix heures du soir jusque fort avant dans la nuit.
Improvisation, longue conférence, me paraissent difficiles à concilier. Je m'abstiens, quant à présent, de provoquer des explications qui embarrasseraient la question qui nous occupe, et, par des incidents graves, en retarderaient la solution. Je réserve pour une autre époque un examen qui peut, qui doit même être différé. Mais si j'écarte avec soin ce qui ne se rattache pas essentiellement à l'objet qui appelle en ce moment toute notre (page 201) sollicitude, l'élection du chef de l'État, je ne puis laisser inaperçue l'investigation au moins indiscrète faite hier à cette tribune par un de nos honorables collègues.
Le général Belliard est-il accrédité à Bruxelles comme envoyé extraordinaire de la France ? A-t-il présenté ses lettres de créance au régent ? je l'ignore ; mais a-t-on demandé au général Belliard ses titres, lorsque, de concert avec M. White, il s’est rendu en toute diligence à Anvers qui, par la médiation de ces deux diplomates, a été préservée des nouveaux désastres dont elle était menacée.
L'a-t-on sommé de décliner ses qualités quand tout récemment encore il a, par ses bons offices, obtenu l'éloignement de la flotte hollandaise portant 294 bouches à feu et qui se rapprochait de la citadelle ?
Ne nous privons pas par une méfiance déplacée de l'appui d'un homme qui, diplomate ou non, peu doit nous importer, n'a signalé sa présence ici que par des actes qui attestent sa sympathie pour la cause belge et pour nos plus chers intérêts. Acceptons le bien, de quelques mains qu'il nous vienne, et combattons le mal quelque élevée que soit la position de celui qui se constituerait vis-à-vis de nous dans une attitude hostile. Quant à moi, je m'accommode facilement d'une médiation qui écarte d'une de nos villes les plus souffrantes, des calamités qui combleraient la mesure de ses malheurs. La diplomatie, je le dis à regret, ne m'a pas jusqu'à présent familiarisé avec de semblables résultats. Après cette courte digression, toute dans nos intérêts, et dans laquelle j'ai considéré les choses abstraction faite des personnes, je reviens, messieurs, à la question principale.
Le congrès élira-t-il le prince de Saxe-Cobourg roi des Belges ?
L'élira-t-il sans aucune condition ? Sur la première question, je m'empresse de répondre affirmativement. Je résous négativement la seconde. Ne nous le dissimulons pas, messieurs, la position du pays est grave. Il est inutile de vous l'exposer : elle vous est connue. Il est plus que temps d'y mettre un terme. En vain on vous dit : Élisez un souverain quelconque ; ce langage est démenti par les faits particuliers, qui dans plusieurs circonstances vous ont été révélés et que je juge inutile de reproduire. Ce n'est point un souverain quelconque que réclame notre situation, c'est un roi qui soit reconnu immédiatement par les puissances. Sans cette reconnaissance un nouveau provisoire succédera à ceux qui l'ont précédé. Cette reconnaissance, premier acheminement vers un état plus prospère, vous avez l'espoir, je dirai plus, la certitude de l’obtenir si vous élisez le prince de Saxe-Cobourg. Jusqu'à ce jour les portes de la conférence ont été fermées à vos envoyés ; ils ont été conviés aux festins des Grey, des Talleyrand, des Palmerston : stérile avantage ; mais ils n'ont pas été admis à s'asseoir à côté des ministres des cinq grandes puissances, qui se sont attribué le pouvoir de prononcer souverainement sur nos intérêts, sans même nous admettre à prendre part à la discussion.
Notre séquestre diplomatique ne peut être levé que par un prince qui se présentera à la conférence, non comme un ambassadeur, mais avec le titre de roi. Le peuple belge, dira-t-il m'a décerné la couronne. Cette couronne, il dépend des grandes puissances que je la place sur ma tête. Si elles attachent de l'importance à maintenir la paix présente, à assurer la paix future, mon élévation au trône de la Belgique donnera aux vœux des souverains une garantie qu'ils ne doivent pas laisser échapper. Les Belges aussi soupirent après cette paix, qui fera fleurir leur commerce, leur industrie, froissés par les circonstances actuelles. Mais quelque immenses que soient les avantages qu'ils en attendent, ils sont résolus à ne pas les acheter par des concessions contraires à la constitution qu'ils viennent de se donner. Cette constitution, je dois la jurer. C'est la prestation de ce serment seule qui rend accessible pour moi les degrés du trône belge. Que les grandes puissances, en modifiant leurs décisions précédentes, apportent à leur protocole des changements qui me permettent de la jurer, cette constitution, prête à former un contrat sacré entre moi et ce peuple qui m'appelle. La paix est dans les mains de la conférence.
Doutez-vous, messieurs, de l'ascendant qu'exercerait ce noble langage sur les ministres des souverains, sur les souverains eux-mêmes ? Et s'ils dédaignaient de l’écouter, ils assumeraient l'immense responsabilité d'une guerre dont les conséquences compromettraient peut-être l'existence des trônes, et attireraient certainement sur les peuples des fléaux dont il est de leur devoir de les préserver.
Je pense donc que l'intérêt bien entendu de la Belgique exige immédiatement l'élection du prince de Saxe-Cobourg. Mais à cette élection je ne veux sacrifier ni les notes des 3 et 6 janvier, ni l’énergique protestation du 30 du même mois.
Loin de moi la pensée d'abdiquer ces actes dont le caractère a été si dignement relevé par notre (page 202) honorable collègue M. Blargnies. Loin de moi le projet, qu'aucune expression assez flétrissante ne pourrait qualifier, d'abandonner ces fortes et honorables positions dont nous avons su nous emparer. C'est pour les conserver que je veux accélérer l'élection du prince de Saxe-Cobourg, non pas l'élection absolue, mais à la condition de ne prendre possession du trône qu'après avoir prêté le serment prescrit par l'article 80 de la constitution. La question de salut pour la Belgique est dans ce serment.
Et quant au territoire et quant à la dette, l'article 68 de la constitution est précis. Instruit d'avance que ce serment est pour lui une impérieuse obligation, le prince, s'il attache du prix à régner sur un peuple libre, brave, industrieux, et qu'il me soit permis de croire qu'un avenir aussi glorieux doit lui sourire, le prince deviendra, près de la conférence, un médiateur que les ministres des grandes puissances accueilleront avec empressement.
Le prince confondra vos intérêts avec les siens. Sa cause deviendra inséparable de la nôtre. En soutenant l'une il défendra l'autre ; et ses efforts seront couronnés d'un succès conforme à tous les intérêts, puisqu'il garantira la paix générale, objet des vœux de toutes les puissances.
Voilà, messieurs, comme j'entends l'élection du prince Léopold de Saxe-Cobourg.
Mais, m'objectera-t-on, si la conférence résiste au prince, nous aurons perdu des instants précieux. S'il échoue, je vous le demande, vos agents, en supposant qu'ils soient reçus, seront-ils plus heureux ? Pourront-ils imprimer à leurs négociations un mouvement plus accéléré ? Vainement nous nous en flatterions. Donc, dans toute hypothèse, perte de temps éventuelle ; mais dans la première, espoir fondé de succès ; dans l'autre, la honte d'une dernière tentative qui ne nous apportera qu'une nouvelle humiliation. Vos négociateurs ne seront pas même reçus ; j'ai le passé pour garant de l’avenir à cet égard. Ce sont donc ces chances de succès que je veux saisir, quand il en est temps encore, c'est cette nouvelle humiliation que je désire sauver au peuple belge.
Si après avoir épuisé tous les moyens, la guerre, je ne puis prononcer ce mot sans effroi, devient une nécessité, cette nécessité sera imposée par ces mêmes puissances qui ont fait jusqu'ici de grands sacrifices à la conservation de la paix. Elles s'exposeraient à en perdre le fruit.
J'augure mieux du bon sens des cabinets, de leur amour pour l'humanité. Et en dernier résultat, quoi qu'il en arrive alors, la Belgique aura fait tout ce qui dépendait d'elle pour se placer dans le cercle commun des gouvernements ; toute la faute sera à ceux qui l'auront repoussée.
Je voterai donc pour l'élection immédiate du prince Léopold de Saxe-Cobourg. (E., 7 juin.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Je demande la parole pour un fait personnel. Messieurs, comme ministre, il n'est pas dans les convenances que je puisse examiner et censurer les actes émanés des cabinets étrangers ; mais comme député, mon opinion est inaliénable. Je le déclare donc en me renfermant dans ma qualité de député, je suis prêt à protester aussi haut que qui que ce soit dans cette assemblée contre la lettre de lord Ponsonby. Mais lorsqu'une communication est faite au ministre et que le ministre vous en donne connaissance, il ne lui appartient pas de porter un jugement sur cette communication. C'est ainsi que mon honorable prédécesseur vous a communiqué des protocoles contre lesquels ensuite il a fait avec vous des protestations énergiques. Voilà, messieurs, l'explication de ma conduite ; et qu'on ne parle pas de résignation, les actes auxquels je me suis associé, et devant lesquels l'honorable préopinant a reculé, prouvent que ce mot ne m'est pas applicable. J’ajouterai, messieurs, que, si cette lettre est une lettre particulière, elle ne l'est que par des considérations que vous apprécierez facilement. Il y était question d'une personne dont le nom ne pouvait se trouver dans une pièce officielle, cette seule considération a été cause qu'on ne m'a pas fait une réponse officielle ; vous auriez à l'instant cette réponse si on voulait effacer de la lettre le nom de la personne à laquelle on fait allusion : du reste, il ne faut pas se méprendre sur le caractère de lord Ponsonby ; il n'est ici que l'interprète de la conférence, et c'est à la conférence, non à lui, que doivent s'adresser vos reproches. On a parlé hier de la position du général Belliard auprès du gouvernement belge. Messieurs, il est ici en qualité de ministre plénipotentiaire de France non accrédité près du gouvernement ; vous n'avez pas oublié qu'il s'est rendu ici à la prière de votre ancien président, qui est aujourd'hui régent du royaume. Il n'a pas encore rempli les formalités nécessaires pour être accrédité officiellement : j’ignorais cette circonstance, car ce n'est pas moi qui l'ai présenté à M. le régent, mais j'ai sa parole d'honneur que dans peu de jours il présentera ses lettres de créance. (I., 2 juin.)
M. Destouvelles – Je ne m'attendais pas, messieurs, à ce qu'un mot qui se trouve dans mon discours provoquât une réponse comme celle qui (page 203) vient d'être faite par M. le ministre. Sa réponse ne change rien à mon opinion, et je persiste à soutenir que le mot résignation est très convenable. Quant à l'allusion faite par le préopinant à un acte de courage par lequel il se serait signalé, je pense qu'il a voulu parler de l'exclusion des Nassau. Eh bien ! messieurs, j'ai voté contre l'exclusion ; mais qu'on regarde mon vote et les motifs sur lesquels je l'appuyais ; on verra de quel côté est le courage, de celui qui vote avec une faible minorité, ou de celui qui s'est laissé entraîner par le torrent de la majorité. (Bravo ! bravo !) (I., 2 juin.)
M. Van de Weyer – Messieurs, je dois quelques mots d'explication sur ce qui s'est passé à l’arrivée de M. le général Belliard à Bruxelles. Lorsque M. Belliard fut envoyé en Belgique, notre envoyé, quoique arrivé à Paris, n'avait pas été reçu officiellement. M. le comte Belliard s'étant présenté au ministère des affaires étrangères, et m'ayant prié de le présenter, je lui fis observer que, notre envoyé à Paris n'étant pas encore reçu, je me contenterais de le présenter à M. le régent, et qu'il resterait sur ce pied jusqu'au moment où pourrait me montrer ses lettres de créance. Mais, depuis cette époque, tous les actes faits par M. le général Belliard, il ne les a pas faits comme simple particulier, mais comme ministre plénipotentiaire de France auprès du gouvernement belge. (I., 2 juin.)
M. de Robaulx – Il me paraît, messieurs, que si en effet M. le général Belliard était porteur de lettres de créance, il serait urgent qu'il les produisît. S'il est réellement ambassadeur depuis le temps qu'il est à Bruxelles, il aurait dû se faire accréditer. Remarquez, en effet, que nous avons eu des agents diplomatiques sans caractère officiel. MM. Bresson et Cart… Cartwright, je ne peux jamais prononcer ce nom-là (on rit), eux aussi nous faisaient des communications, et quand nous avons voulu nous en prévaloir, on nous a dit que nous étions bien fous de nous en être rapportés à eux. Prenons garde qu'il n'en soit de même aujourd'hui, et que plus tard on ne vienne désavouer les communications de M. Belliard. J'insiste donc pour que M. le ministre des affaires étrangères lui demande ses lettres de créance. (I., 2 juin.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – M. le général Belliard a répondu, à l'invitation que je lui ai adressée de me communiquer ses lettres de créance, que les motifs qui l'avaient fait différer jusqu'à ce jour de remplir cette formalité étaient indépendants de sa volonté ; mais il a donné sa parole d'honneur qu'il écrirait de suite à M. Sébastiani, pour qu'il le mît à même de remplir sans retard les formalités nécessaires. J'ai vu avec peine que le préopinant associât le nom de M. le comte Belliard à d'autres noms que nous ne pouvons prononcer sans peine. M. Belliard a tenu depuis son séjour à Bruxelles une conduite franche, loyale, généreuse, et toutes ses démarches ont eu pour but le bonheur et l'indépendance de la Belgique.
Quant à ce qu'on dit relativement au vote sur l'exclusion des Nassau, n'oubliez pas qu'au moment de voter l'exclusion, nous étions menacés par la Sainte-Alliance, et je ne sais pas s'il y a moins de courage à voter malgré ses menaces que de voter selon ses désirs. (I., 2 juin.)
M. de Robaulx – Je tiens à ce que l'on ne prête pas à mes expressions une intention hostile au général Belliard. J'ai dit et je répète que s'il est vrai, comme le dit M. Lebeau, que M. Belliard soit accrédité comme ministre plénipotentiaire près le régent, et qu'il soit porteur de ses lettres de créance, il est vraiment extraordinaire qu'après un aussi long séjour ici, il n'ait pas encore exhibé ses titres ; lorsque j'ai dit que l'absence des lettres de créance pourrait donner lieu à des désaveux de la part du gouvernement français si les circonstances l'exigeaient comme cela avait eu lieu à l'égard de M. Bresson, je n'ai entendu attaquer que M. Sébastiani, qui nous a déjà donné des échantillons de sa mauvaise foi politique ; mais quant à M. Belliard, je le considère comme personnellement ami des Belges. Il a même souvent montré qu'il leur portait un vif intérêt. J'en excepte cependant certaine lettre qu'il a récemment écrite au général Chassé, dans laquelle il nous traite assez mal et montre contre nous beaucoup de partialité et d'injustice. (E., 2 juin.)
M. Fleussu, dans un discours énergique et serré, se prononce pour la proposition de M. Blargnies. Il pense qu'il faut terminer nos affaires promptement, et que ce n'est pas au jour du (page 204) danger que les députés du pays se montreront moins fiers que lorsqu'il a été question de protester contre le protocole du 20 janvier, protestation noble à laquelle le pays et l'Europe tout entière ont applaudi. (I., 2 juin.)
M. Lecocq – Messieurs, je viens vous soumettre, en peu de mots, à l'appui des conclusions de la section centrale, dont j'avais l'honneur de faire partie, quelques réflexions nées de la discussion.
La constitution détermine les obligations du prince appelé à régner sur la Belgique : il doit jurer d'observer la constitution et les lois du peuple belge, de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire.
Il n'y a pas de roi avant la prestation de ce serment.
Qu'a-t-on fait lors de l'élection du duc de Nemours ? A-t-on préférablement fait reconnaître les limites constitutionnelles par les puissances ?... Non.
A-t-on pris d'autres précautions pour la garantie de l'intégrité du territoire que celles prescrites par la constitution ?... Non.
Y a-t-il raison de faire autre chose aujourd'hui ? Peut-être... L'opinion publique ne l'exige-t-elle pas dans les circonstances présentes ? Mais que faire ? Eh bien, décréter que l'élection du chef de l'État sera proclamée dans les termes fixés par le décret du 29 janvier dernier, nous paraît très convenable pour tranquilliser les esprits au dehors ; c'est d'ailleurs une nouvelle profession de foi de notre part. Viennent ensuite les dispositions relatives à la nature de nos sacrifices ; mais des sacrifices purement pécuniaires et quelques concessions pour l'occupation temporaire militaire de la forteresse de Maestricht. Moyennant ce, qu'est-ce qui peut s'opposer encore à l'élection ? L'intérêt même qu'aura le roi à faire obtenir ce que la nation désire, ce qu'elle croit nécessaire à sa félicité, à sa stabilité, à son honneur, cet intérêt est pour moi le gage du succès. .
Eh ! peut-on supposer qu'un caractère noble et généreux, flatté de l'offre d'une couronne comme celle de la Belgique, veuille régner sur une nation mutilée ? Non, et ce prince, que dans le fait, et quoi qu'on en ait dit à cette tribune, nous avons bien l'avantage d'appeler de nous-mêmes, ce prince saura faire comprendre à la conférence, c'est-à-dire à l'Europe, que, pour le bonheur général du continent, la Belgique doit être forte, puissante : la Hollande elle-même doit le désirer maintenant ; elle comprendra particulièrement un jour que, loin d'être ses ennemis, nous sommes appelés à nous lier sous plusieurs rapports ; elle saura distinguer ses intérêts propres des intérêts de la maison de Nassau ; elle reconnaîtra que notre émancipation, telle que nous la voulons, répond à sa vieille politique, en rétablissant, mais sur des bases plus solides, ce fameux système de barrières auquel elle tenait tant ; et voilà pourquoi, répondant à certains orateurs, j'espère, moi, que la Hollande cédera des positions qui, au moyen de traités solennels, la serviront mieux entre nos mains qu'entre les siennes.
Le Belge a besoin d'une patrie ; oui, mais d'une patrie dont il soit fier, et l'honneur national nous permet-il d'abandonner Maestricht et Venloo ?... Venloo qui nous a ouvert ses portes, nous la livrerions à ses anciens maîtres ! non, nous ne nous entacherons pas d'une pareille infamie ; et ici le besoin de conserver sous le rapport des intérêts commerciaux se réunit au besoin de conserver sous le rapport de l'honneur.
Ces mêmes intérêts commerciaux réclament la restitution de la rive gauche de l'Escaut, et nos droits à cet égard, établis d'une manière si lumineuse par l'honorable M. Beyts, seront appréciés et appuyés par le monarque futur.
La conférence ne nous connaissait pas encore bien, elle nous connaîtra mieux après l'élection : les doutes qu'elle pouvait nourrir sur notre esprit d'indépendance, de nationalité et de monarchisme, tous ces doutes seront alors dissipés ; elle saura ce que nous voulons et ce que nous consentons pour l'obtenir... De l'or, jamais le sacrifice de l'honneur. Le prince épousera cet honneur, et la conférence ne voudra pas compromettre le sort de l'Europe. Déjà, comme l'a dit l'honorable M. Nothomb, je crois, déjà et sur la simple apparence d'une élection de nature à tout concilier, la conférence abandonne ce terrible protocole n° 22, qui hier mettait toute la nation en émoi ; mais cela ne nous suffit pas, et ce qui nous manque, le prince se fera gloire de l'obtenir pour nous et pour lui.
Les puissances ont autant d'intérêt que nous, si non plus, au maintien de la paix ; mais en attendant la décision, ne nous endormons pas, préparons nos armes : au premier signal nos soldats citoyens, impatiemment contenus jusque-là, s’élanceront comme la foudre.
Un tel langage, partant de bancs que l'on appelle modérés, doit apprendre au corps diplomatique ce qu'est réellement l'esprit de la nation.
D'autre part, je ne partage pas les craintes de l'honorable M. Jottrand sur d'arrière-pensées dans le gouvernement français... Ce gouvernement, plus éclairé sur l'esprit de la grande (page 205) majorité du peuple belge, sentira enfin que, pour la France même, il faut que nous nous créions un avenir.., et cet avenir peut-il nous manquer surtout si certaine haute combinaison, qui n'est guère un secret, vient à se réaliser, comme il est presque probable, aux acclamations des Français et des Belges ?
Ainsi donc, et dans mon opinion, nous ne compromettons pas, en procédant à l'élection de la manière que je l'entends avec la section centrale, nous ne compromettons pas le principe de l'intégrité du territoire ; nous ne sommes infidèles à notre protestation contre le protocole du 20 janvier ; nous ne nous livrons pas pieds et poings liés à la Sainte-Alliance ; nous ne voulons pas de la paix à tout prix ; nous ne dévions pas des principes honorables que nous avons posés nous-même ; et en tout cela je réponds à mon honorable collègue M. Blargnies. Enfin, vous, estimables et valeureux Limbourgeois, vous n'aurez pas à maudire (comme le craignait tout à l'heure l'honorable M. Charles de Brouckere) la révolution à laquelle vous avez coopéré. Nous complétons le fait matériel de cette révolution sans humiliation, au contraire avec gloire ; nous concilions, autant que possible pour éviter la guerre étrangère et peut-être la guerre civile, nous concilions, dis-je, les exigences des protocoles avec ce que nous devons à nos intérêts, à notre dignité, au nom belge. Nous répondons à la brûlante impatience de la nation en terminant vite, pour ne pas laisser notre sort aux hasards d'événements imminents ; nous clôturons miraculeusement, après huit mois, une révolution qui pouvait embraser l'Europe.... Les Hollandais ont combattu pendant quatre-vingts ans pour consolider la leur… Nous, nous ne pouvons plus attendre. Je voterai pour la priorité en faveur des conclusions de la section centrale, et ensuite pour l'élection au 1er juin.
J'avoue que je vote un peu de confiance, mais honte et malédiction aux étrangers qui interviennent dans nos affaires ; quels que soient leur rang et leur qualité, malédiction et honte si, comme l’appréhendent d'honorables collègues, nous étions ici victimes d'une infernale mystification ! Cet anathème d'un peuple au désespoir retentirait au loin. Il poursuivrait les coupables ; un jour cet anathème porterait fruit ; il nous vengerait ! (J. B., supp. 2 juin.)
M. le président – Il n'y a plus d'orateurs inscrits. (Aux voix ! aux voix !) (I., 2 juin.)
- La clôture est prononcée. (I., 2 juin.)
Une longue discussion s'engage sur la position de la question. (I., 2 juin.)
Plusieurs observations sont présentées par M. de Robaulx, M. de Brouckere, M. Raikem, M. Jottrand et M. Van Meenen. (I., 2 juin.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII fait remarquer que, quoiqu'il y ait cinq propositions, il n'y a réellement que deux systèmes : l'un est pour l'élection immédiate ; l'autre, pour la guerre ou les négociations avant l'élection. On pourrait donc, dit l'honorable membre, décider la question de priorité, non pour les propositions, mais pour l'un des deux systèmes. (Appuyé ! appuyé !) (I., 2 juin.)
M. le président – D'après ce que vient de dire M. Vilain XIIII, la question serait ainsi posée : La discussion sera-t-elle ouverte sur le système d'élection immédiate ? (Oui ! oui !) (I., 2 juin.)
- Après un léger débat, on convient que la question sera posée en ces termes :
La priorité sera-t-elle donnée à la discussion sur l'élection immédiate ? (I., 2 juin, et P. V.)
M. le président consulte l'assemblée, qui se lève presque à l'unanimité pour l'affirmative. (I., 2 juin.)
M. de Robaulx et quelques autres membres demandent l'appel nominal. (I., 2 juin.)
Après un assez vif débat, il est procédé au vote par appel nominal.
185 membres répondent à l'appel.
137 se prononcent pour la priorité.
48 se prononcent contre.
En conséquence l'assemblée accorde la priorité à la discussion sur l'élection immédiate. (Agitation prolongée.). (P. V.)
Ont voté pour : MM. Liedts, Jaminé, Van de Weyer, Van Hoobrouck de Mooreghem, Van der Belen, Gendebien (père), de Coninck, le comte d'Arschot, de Behr, Simons, le chevalier de Theux de Meylandt, Constantin Rodenbach, Zoude (de Saint-Hubert), le baron de Terbecq, Marcq, Roels, de Decker, l'abbé Andries, Le Bègue, de Roo, le baron de Sécus (père), de Schiervel, Du Bus, Domis, le baron de Leuze, Verwilghen, l'abbé Van Crombrugghe, le vicomte Desmanet de Biesme, Bischoff, le baron Frédéric de Sécus, Thorn, Berger, le baron Joseph d'Hooghvorst, de Man, d'Hanis Van Cannart, Marlet, Allard, Pirson, Thienpont, Van Innis, Le Bon, Joos, Fransman, Baugniet, de Rouillé, le baron Osy. Lefebvre, Blomme, Devaux, Cauvin, le vicomte Charles Vilain XIIII, Deswert, Struye-Provoost. François, le comte de Bocarmé, Coppieters, Ooms, l'abbé Pollin, Fendius, le baron Verseyden de Varick, Van Meenen, le marquis Rodriguez d'Evora y Vega, Olislagers de Sipernau, Henry, le vicomte de Bousies de Rouveroy, d'Hanens-Peers, (page 206) Isidore Fallon, le comte Duval de Beaulieu, le baron de Viron, Mulle, de Lehaye, Demelin, le baron de Liedel de Well, Albert Cogels, le baron de Coppin, .Henri de Brouckere, Gustave de Jonghe, Masbourg, Béthune, Goethals-Bisschoff, Vercruysse-Bruneel, Claes (d'Anvers), Jacobs, le comte Félix de Mérode, Nopener, Jean Goethals, le comte de Bergeyck, Destouvelles, de Muelenaere, Cols, le vicomte de Jonghe d'Ardoie, de Sebille, Dumont, Morel-Danheel, le comte d'Ansembourg, Trentesaux, Delwarde, Doreye, Du Bois, le baron Van Volden de Lombeke, Lebeau, le baron de Woelmont, Barthélemy, le marquis de Rodes, l'abbé Wallaert, Maclagan, le comte de Renesse, Charles Le Hon, Bosmans, Hippolyte Vilain XIIII, Le Grelle, le baron Beyts, Serruys, le baron de Pélichy Van Huerne, le comte de Quarré, Vandenhove, Pirmez, de Nef, l'abbé Boucqueau de Villeraie, Buylaert, le comte Werner de Mérode, Charles Rogier, Lecocq, Jacques, le comte d'Oultremont, l'abbé Corten, Rouppe, Nothomb, le baron de Stockhem, Geudens, Meeûs, Annez de Zillebeecke, Peeters, Barbanson, de Gerlache, Van Snick, Surmont de Volsberghe.
Ont voté contre : MM. Forgeur, Drèze, Thonus, le baron de Meer de Moorsel, Lardinois, d'Elhoungne, Bredart, le baron d'Huart, Blargnies, l'abbé Dehaerne, Seron, de Tiecken de Terhove, Van der Looy, Alexandre Gendebien, Claes (de Louvain), Jottrand, de Labeville, d'Martigny, Frison, Beaucarne, Vergauwen-Goethals, Collet, Rosseeuw, l'abbé Joseph de Smet, Eugène de Smet, Gelders, l'abbé Van de Kerckhove, Watlet, Roeser, de Selys Longchamps, Louis Coppens, Destriveaux, Henri Cogels, Jean-Baptiste Gendebien, Davignon, Wannaar, Helias d'Huddeghem, Teuwens, Nalinne, Charles Coppens, Camille de Smet, de Robaulx, Brabant, Charles de Brouckere, Dams, Defacqz, Fleussu, l'abbé Verduyn. (P. V.)
M. Charles de Brouckere demande qu'il soit fait mention de son vote négatif au procès-verbal. (E., 2 juin.)
- Tous les députés qui ont voté contre le système d'élection immédiate font la même demande. (E., 2 juin.)
Il est décidé que les noms de tous les votants seront insérés au procès-verbal. (P. V.)
La séance est levée à cinq heures. (P. V.)