(Annales parlementaires de Belgique, session extraordinaire 1845)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 11) M. Huveners procède à l’appel nominal à midi un quart.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
M. Huveners fait l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Barez demande que les œufs et les légumes de toute espèce soient prohibés à la sortie. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant les denrées alimentaires.
« Le sieur Houyet, administrateur gérant de la société des moulins à vapeur de Bruxelles, demande qu’on rétablisse les droits d’entrée sur les objets suivants : gruau ; orge mondé, perlé ; vermicelle. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant les denrées alimentaires.
« Le sieur Jean-Henri Kruse, capitaine de navire à Anvers, né à Damme (Oldenbourg), demande la naturalisation ordinaire. »
« Le sieur Louis Vanderomme, brigadier des douanes à Oostvleteren, né à Poperinghe, mais ayant perdu la qualité de Belge, demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d’enregistrement. »
« Le sieur Teunis Douwes, capitaine de navire marchand à Anvers, né à Schiermonniskoog (Pays-Bas) ;
« Le sieur Guillaume Wagenaar, second d’un navire de commerce à Anvers, né à Lemmer (Pays-Bas) ;
« Le sieur Urbain-Otto Petersen, capitaine de navire à Anvers, né à Morsum (Danemark) ;
« Le sieur Henri Schruers, ancien militaire à Ryckevorsel, né à Venloo ;
« Le sieur Ocke-Frédéric Jepsen, second à bord d’un navire de commerce à Anvers, né à Föhr (Daneark) ;
« Le sieur Harm-Henri Wagener, capitaine de navire à Anvers, né à Grossholen (Hanovre) ;
« Le sieur Harke-Bruns Wegman, second à bord d’un navire de commerce à Anvers, né à Emden (Hanovre) ;
« Le sieur Nicolas Nolting, capitaine de vaisseau à Anvers, né à Emdem (Hanovre) ;
« Le sieur Wybrand de Ryk, capitaine de navire à Anvers, né à Wondsend (Pays-Bas) ;
« demandent la naturalisation ordinaire. »
- Ces pétitions sont renvoyées à M. le ministre de la justice.
M. de Mérode informe la chambre que des affaires de famille l’empêchent de se rendre immédiatement aux séances de la chambre.
- Pris pour information.
Par dépêche en date du 30 juillet, M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 95 exemplaires des exposés de situation administrative des provinces pour 1845.
- La distribution en sera faite aux membres de la chambre.
Le conseil central de salubrité publique adresse à la chambre 100 exemplaires de son travail sur la maladie des pommes de terre.
- La distribution aux membres en est ordonnée, ainsi que le dépôt à la bibliothèque.
M. Jobard fait hommage à la chambre de 100 exemplaires d’une brochure dont les conclusions viennent d’être adoptées par le congrès de Reims : 1° la marque d’origine obligatoire ; 2° la marque de qualité facultative ; 3° l’estampille du détaillant obligatoire ; 4° le timbre de la cité et de l’Etat facultatif. »
- Même décision.
Par 72 messages, en date du 10, du 12, du 13, du 14, du 15, du 16 et du 17 mai 1845, le sénat informe la chambre qu’il a adopté les projets de lois :
- accordant la grande naturalisation au sieur Pierre Behaghel ;
- concernant les concessions de péages ;
- allouant un crédit afin de terminer, par transaction, le procès existant entre le gouvernement et les héritiers Dapsens ;
- tendant à combler une lacune que présente la loi du 21 juillet 1844, quant aux droits sur les sucres ;
- appliquant le régime du canal de Terneuzen aux canaux d’Ostende à Bruges et à Gand ;
- accordant la concession d’un chemin de fer de Louvain à la Sambre ;
- relatif à la régularisation de limites communales dans les provinces d’Anvers, de la Flandre orientale et de Liége ;
- relatif à la construction d’un canal de navigation latéral à la Meuse ;
- autorisant le gouvernement à accorder la concession des chemins de fer de Tournay à Jurbise et de Saint-Trond à Hasselt ;
- établissant un service de paquebots à vapeur entre la Belgique et l’Angleterre ;
- relatif à la concession d’un chemin de fer de la vallée de la Dendre, d’Ath vers Termonde et Gand ;
- allouant un crédit au département e la guerre pour des dépenses antérieures à l’exercice 1844 ;
- sur l’organisation d’armée ;
- accordant un nouveau délai aux anciens habitants des parties cédées du Limbourg et du Luxembourg un nouveau délai pour obtenir la grande naturalisation ;
- ouvrant des crédits au budget de la dette publique de l’exercice 1845, pour le payement de pensions supplémentaires aux officiers belges qui ont fait partie de l’armée des Indes orientales.
- allouant des crédits destinés au payement de frais relatifs au Moniteur ;
- allouant un crédit supplémentaire au département de la guerre pour les dépenses de l’exercice 1845 ;
- concernant les céréales ;
- allouant un crédit supplémentaire au département de l’intérieur, pour des dépenses de 1844 ;
- ouvrant un crédit au département de l’intérieur, pour la réparation et l’appropriation du palais de Liége ;
- autorisant la concession des chemins de fer de Liége à Namur, de Manage à Mons et à la Sambre, et de Marchiennes-au-Pont à la frontière de France, et celle du canal de Mons à la Sambre ;
- relatif à la concession de divers chemins de fer dans la Flandre occidentale ;
- portant régularisation du budget des voies et moyens de l’exercice 1843 ;
- portant régularisation du budget de la dette publique de l’exercice 1843 ;
- portant régularisation du budget des dépenses pour ordre de l’exercice 1843 ;
- conférant la naturalisation ordinaire à divers individus.
- Pris pour notification.
M. le président. – Un grand nombre de pièces restent à analyser ; mais elles sont de nature à être renvoyées à la commission des pétitions.
Les sections n’ayant pas été réunies pour nommer leurs rapporteurs, il est douteux que la commission des pétitions puisse s’occuper de l’examen de ces pièces ; je demande à la chambre la permission de le remettre à la session prochaine. (Adhésion.)
M. le secrétaire va donner à la chambre communication d’une dépêche.
M. de Man d’Attenrode. -« M. le président,
« J’ai l’honneur de vous informer qu’à l’occasion du 15ème anniversaire des Journées de Septembre 1830, un service funèbre sera célébré le 23 de ce mois à 10 heures, dans l’église des SS. Michel et Gudule, en mémoire des citoyens qui ont succombé pour la cause de l’indépendance nationale.
« Je vous prie, M. le président, de vouloir bien me faire connaître si la chambre des représentants se propose d’assister en corps à cette cérémonie, et si elle désire être accompagnée de l’escorte à laquelle la chambre a droit aux termes du décret du 24 messidor an XII.
« Agréez, etc.
« Le ministre de l’intérieur, Sylvain Van de Weyer. »
M. le président. – La chambre a l’habitude d’assister à ces solennités quand elle est réunie.
Plusieurs membres. – On décidera cela lundi, s’il y a lieu.
- M. Fallon, M. de Muelenaere, M. Donny et M. de la Coste, dont les pouvoirs ont été vérifiés, et dont l’admission a été prononcée, sont invités à prêter le serment prescrit par le décret du congrès.
Acte leur est donné de leur prestation de serment.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). – Messieurs, le Roi nous a chargés de présenter à la chambre un projet de loi ayant pour objet la demande d’un crédit supplémentaire pour la continuation des travaux de canalisation de la Campine.
Voici l’exposé des motifs…
Plusieurs membres. – Il est distribué ; nous l’avons lu.
Quelques membres. – Le projet !
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). – Le projet est ainsi conçu :
« Article unique. Un crédit de neuf cent cinquante mille francs (950,000 fr.) est ouvert au département des travaux publics, pour la continuation des travaux du canal de la Campine, décrété par les lois du 29 septembre 1842 et du 10 février 1843.
« Cette dépense sera provisoirement couverte au moyen d’une émission de bons du trésor de pareille somme, qui se fera au fur et à mesure des payements à effectuer pour les travaux qui seront exécutés.
« Donné à Laeken, le 18 septembre 1845.
« Léopold.
« Par le Roi : Le ministre des travaux publics, C. d’Hoffschmidt,
« Le Ministre des finances, J. Malou. »
Je prie la chambre de décider que ce projet sera examiné par une commission spéciale nommée par le bureau ; il pourrait être discuté après le projet sur les denrées alimentaires.
M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi dont il vient d’être donné lecture.
- La chambre, consultée, décide que ce projet sera examiné par une commission nommée par le bureau.
M. le président. - Vu l’urgence, le bureau va s’occuper immédiatement de la composition de la commission.
- Les membres désignés sont MM. de Tornaco, Osy, Dubus (aîné), Kervyn, Lesoinne, de Man d’Attenrode et Scheyven.
M. de Theux, rapporteur. – Je ferai observer qu’une erreur d’impression s’est glissée dans le rapport. Il faut lire que la deuxième section au lieu de la première a proposé de permettre au gouvernement de réduire et même de supprimer les droits à l’entrée du bétail.
M. Osy. – Je suis, à regret, obligé de venir combattre le projet de loi dans presque toutes ses dispositions. Si j’étais obligé de prendre souvent la parole, je vous prierais d’avoir beaucoup d’indulgence ; car nous nous occupons d’un objet très important ; et si nous faisions une loi trop à la légère et sans y donner un temps convenable, nous pourrions attirer sur le pays, d’ici à la prochaine récolte, les plus grands fléaux ; j’userai donc de tous mes efforts et de mes faibles moyens pour vous convaincre que ce que le gouvernement nous propose, et qui est sanctionné par la section centrale sans restriction, n’est pas un remède au mal pour la situation actuelle, et je vous prouverai que, comme au printemps dernier, on a plus en vue de garantir les intérêts des propriétaires et des producteurs que ceux de la grande majorité de la nation, le consommateur, et qui, cette fois, par le manque de récolte de sa principale nourriture, se trouvera, jusqu’à la récolte de 1846, dans les plus grands besoins. Ce ne seront pas les subsistances qui manqueront, parce que nous pouvons les lui procurer si nous faisons une bonne loi, mais des moyens de nous les procurer.
Il faut donc rassurer le consommateur de toute manière et lui prouver que, si vous nous en donnez la latitude, nous pourrons procurer, et au plus bas taux possible, tout ce qu’il lui faudra pour passer avec calme et résignation ce moment d’épreuve.
Notre principale préoccupation doit être d’assurer pendant un an la nourriture du pays, et si vous ne donnez pas au commerce toutes les sécurités sur lesquelles nous insisterons, le commerce sera obligé d’agir avec la plus grande réserve, tandis que, si vous lui assurez des garanties, il ne restera pas en défaut, et encore une fois, il vous prouvera que le commerce belge a tous les moyens de conjurer un grand mal, en mettant en évidence ses moyens, son activité, ses connaissances.
Le commerce des céréales est la branche d’industrie la plus ingrate, parce que tour à tour il est blâmé et critiqué par le producteur et le consommateur ; et dans toutes les grandes commotions politiques, il y a eu des victimes et des malheurs à déplorer. Je puis donc hardiment le dire, c’est un commerce de dévouement ; et plus les prix des subsistances haussent, plus les pertes sont à craindre.
Ainsi, sans sécurité par une loi il deviendra timide, et, d’après ce qui s’est passé cette année à deux reprises différentes dans la dernière session, il a parfaitement raison de se défier et de prendre toutes ses précautions. Si donc il n’y a pas de garanties larges, vous pourrez vous trouver au printemps dans les plus grands embarras.
Je dis au printemps, parce que nous passons l’hiver avec nos importations qui ont déjà eu lieu et qui se feront encore, et ensuite pendant la fermeture de la navigation, vous avez votre propre récolte, mais qui sera épuisée au mois d’avril ou mai ; car je n’exagère pas en disant que la perte de la pomme de terre vous occasionnera un besoin extraordinaire de près de 4,000,000 d’hectolitres de céréales et autres comestibles ; et ne perdez pas de vue qu’en moyenne c’est une quantité de 300 millions de kilogrammes, et pour vous les amener il faudra 1,500 navires de 200 tonneaux. C’est une quantité énorme ; et en capital il faudra au moins 80,000,000 fr. Il faut donc que le commerce ait à déployer la plus grande activité, et certainement aux prix actuels à l’étranger, les chances de bénéfice sont si minimes, qu’il faut, non seulement, beaucoup d’activité, mais un grand dévouement.
Cependant, je puis vous assurer qu’il ne restera pas en défaut, mais qu’il lui faut des garantis par la loi que nous allons voter, et alors seulement nous pourrons rassurer le pays si justement alarmé.
Je me réserve de vous présenter, avec mes honorables amis de la députation d’Anvers, des amendements lorsque nous serons aux articles. Mais je vais avoir l’honneur de vous les indiquer dès à présent parce que cela pourra faciliter la discussion générale.
A l’article 1er, je demanderai formellement de reculer le terme de la libre entrée au 1er septembre prochain.
(page 13) Nous avons déjà importé cette année environ 700,000 hect. de froment, 120,000 hect. de seigle, 400,000 hect. d’orge, 60,000 hect. d’avoine, et je crois pouvoir vous assurer que le chambre a déjà acheter à l’étranger, environ 250,000 hectolitres (principalement froment et peu de seigle), qui j’espère, arriveront avant l’hiver.
Avec ces quantités et notre propre récolte, qui certainement, pour le froment donnera un quart de moins que les autres années, nous pourrons traverser tranquillement l’hiver ; mais, comme la perte de la pomme de terre, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, augmentera nos besoins d’au moins 4 millions d’hectolitres, il faudra les importer en céréales et farines. Si vous n’accordez en garantie de libre importation que le 1er juin, on se bornera au printemps à faire des achats dans le Danemark, le Mecklembourg et la Poméranie ; et, comme la France et l’Angleterre auront aussi alors de grands besoins, nous devrons acheter en concurrence avec ces grands consommateurs, car l’Angleterre a besoin annuellement de 180 millions d’hectolitres calculés à raison de 4 3/4 hectolitres, si ces pays ont seulement un déficit d’un dixième à cause de la maladie de la pomme de terre, ces deux pays devront importer de l’étranger au moins 33 millions d’hectolitres et leurs besoins seront certainement beaucoup plus grands. Donc il y a certitude que nous les trouverons sur les marchés étrangers en concurrence avec nous pour faire des achats, et la Hollande, qui consomme 13 millions d’hectolitres de pommes de terre, aura certainement également des besoins extraordinaires en céréales et autres farineux pour au moins 4 millions d’hectolitres.
Maintenant, pour pouvoir assurer les subsistances jusqu’à la récolte prochaine, il faudra, pendant l’hiver, faire des achats à livrer lors de l’ouverture dans des pays très éloignés, comme dans la mer Noire, la mer d’Azof et dans la mer Blanche.
Tous ces grains, que nous devrons acheter d’avance, doivent venir principalement par les grandes rivières de l’intérieur de la Russie et des bords du Danube ; ainsi les expéditions ne pourrons guère se faire avant le mois de mai ; et même d’Archangel, on ne pourra pas expédier avant le mois de juin, car Archangel après de huit mois d’hiver.
Je sais qu’on me répondra que, par la loi de 1834, les ports seront également ouverts si le froment dépasse 20 fr., mais le commerce n’a pas de garantie qu’il ne surgira pas dans notre session prochaine des propositions de protections comme nous en avons vu deux dans la dernière session, et dont une, malheureusement, a été adoptée par le parlement, et je puis même dire par le gouvernement, car il est prouvé maintenant à toute évidence que la loi du sénat a été soufflée par le gouvernement.
Heureusement, cette fois, le bon sens de la nation et la réprobation de la généralité a été si forte, que le gouvernement a été obligé de reculer devant sa propre œuvre et n’a pas osé publier une loi que nous avions tant combattue ; il a dû abandonner la majorité et donner raison à la minorité, qu’on n’a pas voulu écouter alors.
Ce n’est que le 5 septembre que le gouvernement s’est expliqué ; et ainsi dans des moments déjà bien difficiles, et pendant 4 à 5 mois, il a tenu sur la tête du commerce une menace permanente.
Cette fois-ci le commerce ne s’en est pas inquiété ; car il était persuadé que le bon sens du pays finirait par éclairer le gouvernement et qu’il reculerait devant son ouvrage.
Mais malheureusement c’est de l’histoire, et de pareils actes affaiblissent le pouvoir, et il est fâcheux que le commerce et la nation doivent se défier du gouvernement et du parlement.
Aujourd’hui, malheureusement, le cas se présente déjà et on ne fera pas de commandes lointaines si vous ne donnez pas l’assurance de la libre entrée jusqu’au 1err septembre ; car quelle garantie avons-nous que, dans la session prochaine, il ne surgira pas de nouveau au parlement et dans la sein de la majorité, des propositions de n’admettre la libre entrée qu’à 22 ou même 24 francs ?
Si ce n’est pas votre intention, comme je veux bien le croire, et si vous pensez que les froments, au mois de juin, dépasseront 20 francs et que la libre entrée sera de fait, pourquoi ne pas accorder ce que nous demandons : une garantie formelle, libre entrée jusqu’au 1er septembre ? Faites par une stipulation formelle ce que vous croyez qui existera de fait. C’est la manière la plus franche de donner du poids à vos paroles ; vous rassurerez la nation, et le commerce pourra librement agir ; sans cela il pourra s’abstenir, et les conséquences pourront retomber sur ceux qui ne veulent pas nous donner la satisfaction que nous réclamons.
L’honorable rapporteur de la section centrale nous dit que le gouvernement hollandais a aussi fixé le 1err juin, comme terme de libre entrée ; je le prierai de lire avec attention le Moniteur du 17 de ce mois, page 2226, et il y verra que le roi dit dans son arrêté du 14 septembre, article 2.
« Nous nous réservons de proposer aux états généraux, non seulement d’établir l’également la libre entrée jusqu’au 1er juin 1846 ou même jusqu’à une époque plus éloignée, etc. »
Vous voyez, messieurs, qu’il n’y a rien de fixé en Hollande, comme le di la section centrale, et je suis persuadé qu’à La Haye, on demandera, comme nous, une époque plus reculée.
La récolte de 1846 ne peut venir en abondance à nos marchés qu’au mois de novembre ou décembre ; ainsi tout ce que nous aurons importé jusqu’au mois de septembre, ne pourra pas nuire à l’agriculture.
Je demanderai aussi la libre entre des farines et moutures de toutes espèces, et je ne puis consentir à en laisser la faculté au gouvernement. Car, avec cette faculté, le commerce ne saurait à quoi s’en tenir et il n’y aurait pas d’arrivages, et sans accuser le gouvernement même d’une pareille intention, on pourrait favoriser des négociants au détriment de la libre concurrence, en faisant seulement une confidence que, dans un temps donné, la libre entrée des farines serait proclamée. La proposition de la section centrale est donc ce qu’il y a de plus dangereux ; car, vous n’aurez pas d’importation, ou vous pouvez en avoir sans libre concurrence et par des privilèges ; s’il y a peu d’importateurs, on peut maintenir les prix élevés et c’est au détriment du consommateur. Je ne veux même pas qu’il puisse y avoir le soupçon de favoritisme. Maintenant il me reste à vous démontrer qu’il faut proclamer la libre entrée des farines, et que cela ne pourra nuire ni à l’industrie des meuniers, ni aux moulins à vapeur.
En Angleterre, le droit d'entrée pour les farines du Canada n'est maintenant que de 7 1/4 d. par baril de 90 kilog., soit 90 centimes.
Le droit pour celles des Etats-Unis est 10 sch. 10 d., soit 13 fr. 30 c.
Ainsi les 226,000 barils farines canadiennes, qui se trouvent aujourd'hui dans les entrepôts d'Angleterre, sont acquis à la consommation.
Nous ne pourrons donc acheter que des farines des Etats-Unis, soit en les faisant venir directement ou en les achetant dans les entrepôts anglais.
D'après les dernières nouvelles du 31 août, le prix des farines en Amérique est de 4 5/8 dollars, soit environ 32 fr. par baril de 90 kilog. rendu en Belgique en entrepôt. Ainsi, avec le droit actuel de 15 francs, il y a prohibition.
L'exportation annuelle des Etats-Unis s'élève, année commune, à 15 cent mille barils, soit, à 90 kilog., 135,000,000 de kilog. En y ajoutant 1/3 pour déchet, cette quantité représente en froment 180 millions de kilog., à 80 kilog. par hectolitre, 2,250,000 hectolitres.
En supposant que nous puissions même en importer le 1/4, ce qui est très invraisemblable, ce ne serait, en définitive, qu'une importation de 562,000 hectolitres, ce qui certainement n'est pas d'une grande importance.
La grande objection qu'on me fera pour l'introduction des farines, c'est qu'il ne faut pas contrarier l'industrie de la mouture. S’il était vrai que la mouture dût en éprouver un certain préjudice, les intérêts de cette industrie ne devraient-ils pas céder aujourd'hui devant les besoins impérieux de la consommation, alors que l'agriculture s'est bien soumise à la libre entrée des céréales ?
Mais la considération devant laquelle le gouvernement et la section centrale paraissent s'être arrêtés, est mal fondée ; car l'accroissement extraordinaire de la consommation du pain doublera et triplera la consommation de la farine, et dès à présent les moulins peuvent à peine y suffire. Déjà nos boulangers doivent cuire plusieurs fois par jour ; que sera-ce quand il n'y aura plus de pommes de terre ?
En tout cas, d'après mes informations, la mouture indigène moyennant 2 fr. par 100 kil., serait suffisamment protégée, et je ne puis, dans cette circonstance, lui accorder cette protection, parce que nos moulins, par la grande quantité de céréales que nous devons introduire, auront assez d'occupation.
J'espère donc que, par ces considérations, vous accepterez mon amendement pour l'introduction des farines à raison de 10 c. par 100 kil.
Ayant maintenant fini avec l'article premier, je me réserve de prendre la parole sur les autres articles, et je me bornerai à vous indiquer quelles seront mes propositions ; je les développerai au fur et à mesure que nous viendrons aux articles.
Je proposerai : 1° un nouvel article 2, pour accorder la suppression du droit de tonnage pour les navires dont le chargement se composera pour les 2/3 au moins de pommes de terre ; 2° je combattrai de toutes mes forces la défense d'exportation, parce que c'est la mesure la plus impolitique que vous puissiez décréter. Vous voulez que l'étranger fournisse à vos besoins et vous lui fermez vos marchés ; on sera donc en droit de prendre contre vous la même mesure, et cela dans un moment où nous devons tâcher d'importer des pommes de terre, non seulement pour la consommation, mais pour les semis de l'année prochaine et, en outre, nous devons chercher d'autres farineux, comme pois, fèves, haricots, etc., chez nos voisins, qui finiront par nous traiter comme nous les traitons. Nous avons aussi besoin d'orge pour nos brasseries de bière, boisson du pauvre et de la classe moyenne ; et si la Hollande en défendait l'exportation, vous verriez encore cette boisson, consolatrice pour nos pauvres ouvriers, fortement renchérie, et nourriture et boisson chère serait une calamité que je ne veux pas m'exposer d'attirer sur le pays.
Quand vous êtes importeur vous êtes rarement exporteur, ainsi ne craignez pas que vous exporterez beaucoup ; peut-être un peu par terre chez nus voisins. Mais y a-t-il un mal que Furnes et Bruges, et en général nos Flandres et le Hainaut, exportent leurs froments à raison de 24 ou 25 fr., quand les prix à Anvers des froments étrangers ne sont qu'a 21 ou 22 fr. ? Le remplacement est tout au profit de l'agriculture que, dans cette occasion, je veux mieux protéger que ses défenseurs habituels.
A Lille, le froment est coté, au marché du 17 septembre, de 24 francs à 25 fr. 24, et au marché de Bruxelles d'hier le froment étranger, première qualité, est coté seulement 11 à 12 florins courant de Brabant ; ainsi le prix le plus élevé, 12 florins, fait 21 fr. 50 c.
Laissez donc au commerce à faire cette mutation, vendre cher et remplacer à meilleur compte.
N'oubliez pas, messieurs, que la loi de 1834 défend l'exportation lorsque le froment est à 24 fr. et le seigle à 17 fr. Ainsi si la hausse continue, nous n'avons pas besoin de votre nouvelle défense, elle existera de fait. Ne parlons pas de défense et n'alarmons pas nos voisins.
Ceci combat l'article 3 et je proposerai, en outre, la libre entrée du poisson sec et de réduire de 2/3 les viandes et les salaisons, et je laisserai au gouvernement (page 14) à examiner d’ici à notre prochaine réunion s'il ne faudrait pas réduire le droit d'entrée sur le bétail.
Vous me direz : La viande et le poisson sec ne sont pas la nourriture de l'ouvrier, mais je vous dirai aussitôt : Si la classe moyenne peut se procurer à meilleure marché la viande et le poisson sec, elle pourra varier sa nourriture à des prix peu élevés, et plus on diminuera sa consommation de pain, pommes de terre, riz et autres farineux de nécessité, plus le prix deviendra accessible aux pauvres et aux ouvriers ; quant à l'intérêt des cultivateurs, des engraisseurs et des bouchers, je puis vous assurer, messieurs, que la force des choses qui maintiendra tous les comestibles quelconques à des prix élevés, les protégera suffisamment.
La viande de porc salé paye à l'entrée un droit de 16 fr. par 100 kil., soit huit centimes la livre, ce qui est prohibitif.
Le bœuf paye de 50 à 44 fr., ce qui porte le droit jusqu'à 22 c. la livre.
Ma proposition de réduction de 2/3 fera que le porc payera encore 2 c. par 1/2 kil.. et le bœuf jusque huit centimes.
Il me paraît que dans cette circonstance nous ne pouvons pas refuser ce soulagement à la classe ouvrière et moyenne, d'autant plus que les pauvres paysans ne pourront pas penser cet hiver à acheter de nouveaux élèves, car comment les nourrir ?
J'accorderai au gouvernement les 2 millions qu'il nous demande, même sans qu'il nous en indique l'emploi et c'est bien faire une abnégation de nous-mêmes pour le bien-être public, quand nous ne connaissons pas encore le programme du nouveau ministère et sans savoir s'il ne continuera pas la marche tortueuse de l’ancien ministère, qui ne s'est retiré que devant la manifestation du 10 juin. Pour ma part, je me réserve, à la session prochaine, pour avoir des explications, mais je fais d'avance toutes mes réserves et la carte blanche que je donne aujourd'hui est en vue du bien public.
Je veux croire que le nouveau ministère donnera satisfaction à l'opinion publique ; je ne veux rien préjuger, mais il faut cependant que nous le sachions à l'ouverture de notre prochaine réunion.
Je dois cependant engager le gouvernement à ne pas se mêler des affaires commerciales comme l'ancien gouvernement l'a fait en 1816 et 1817 ; car le gouvernement est un mauvais marchand, et ne pouvant lutter contre lui, tous nos négociants se retireraient de la lutte et c'est alors que vous auriez à craindre la disette.
Pour le semis des pommes de terre, il peut y avoir une exception, mais encore ne faudrait-il en faire venir que par un comité composé de négociants et des membres de quelques administrations publiques.
J'ai vu à regret dans les tableaux fournis par le gouvernement qu'il n'y a presque pas de renseignements de la province d'Anvers. Je dois l'attribuer à ce que, depuis la formation du nouveau cabinet, nous sommes privés de gouverneur. Si cependant une province devait en avoir, c'est bien Anvers, pour que le gouvernement soit journellement instruit de ce qui s'y passe et des nouvelles qu'on reçoit de l'étranger pour les subsistances et des apparences pour nos approvisionnements. Voyant par le Moniteur que cette haute fonction n'a encore été offerte à personne, j'engage le gouvernement de ne plus tarder à remplir cette lacune administrative et de s'en occuper sans retard.
M. Desmet. - Messieurs, je n'entrerai pas dans l'examen des points spéciaux, dont l'honorable M. Osy vient d'occuper la chambre, mais je lui répondrai quelques mots relativement à l'époque où cessera la libre entrée ainsi que l'interdiction de la sortie des céréales. Je crois que l'époque fixée par le gouvernement, le 1er juin 1846, est assez éloignée pour satisfaire aux besoins de la situation. Car si, au mois de juin, on trouve que la mesure doit être continuée, il sera facile de le faire. Mais si alors les arrivages n'ont pas eu lieu, je crains fort qu'il n'y aurait plus moyen d'en obtenir : le battage se fait pendant l'hiver et les commandes se feront en temps cette année. Mais si vous prolongiez à présent la durée de cette mesure, vous jetteriez la panique parmi les fermiers qui pourraient craindre de ne pouvoir vendre leur prochaine récolte. Cette année, les céréales ont réussi partout, et cependant on en autorise la libre entrée jusqu'au 1er juin comme on le fit en 1816 et 1817, alors que le grain avait manqué complétement, car j'ai vu vendre le sac de seigle 30 fl., argent courant de Hollande. Je crois donc, en ce qui me concerne, qu'il n'y a pas lieu d'étendre la libre entrée et la prohibition de la sortie des céréales au-delà du terme propose par le gouvernement. D'ailleurs, messieurs, d'ici à six semaines nous revenons dans cette enceinte, et si, pendant la session prochaine, on voyait l'utilité de prolonger le terme, nous le ferions.
Il faut prendre en considération que la partie de la population qui va le plus souffrir du manque de pommes de terre, est celle qui habite les campagnes. Elle va se trouver privée des moyens de faire quelque argent. Dans les Flambes, les colzas ont manqué, les campagnards n'ont plus que les céréales pour faire quelque argent et au lieu de les vendre, ils vont se trouver obligés de les manger à défaut de pommes de terre. Les grands fermiers seuls pourront vendre quelques grains. Quand l'argent manque dans la campagne, les habitants des villes ne vont pas y porter leurs aumônes. Il semble que le projet du gouvernement est suffisant, qu'on y prend tous les moyens nécessaires de faire attirer dans le pays des denrées alimentaires en quantité suffisante et au meilleur marche possible.
Jusqu'à présent la tranquillité n'a pas été troublée dans les campagnes ; mais quand les approvisionnements qu'elles possèdent encore seront épuisés, si on ne leur vient pas en aide, je ne sais comment elles pourront faire face aux exigences de la mendicité, qui prendra un développement effrayant. Mais comme l'argent ne manque pas dans le pays, on peut par des mesures sages éviter ce danger. Ce serait, selon moi, de faire en sorte que chaque commune entretienne ses pauvres ; comme on n'aura plus à craindre de voir les mendiants étrangers venir absorber une partie des aumônes qui sont distribuent dans chaque commune, et qui sont la propriété des pauvres de la commune, les secours leur arriveront, et il leur sera possible, avec le subside qu'ils pourront obtenir du gouvernement, de subvenir aux besoins des indigents de la commune.
Aujourd'hui le gouvernement ne peut disposer que d'une centaine de mille francs ; quand il aura un ou deux millions à sa disposition, il pourra subsidier les bureaux de bienfaisance de manière à empêcher la mendicité de se développer. Mais j'aurais préféré que l'allocation demandée fût mise à la disposition du ministre de la justice plutôt que du ministre de l'intérieur, le ministre de la justice ayant dans ses attributions les bureaux de bienfaisance. Et je pense que le meilleur usage qu'on fera du subside, c'est quand d sera mis à la disposition des bureaux de bienfaisance.
De cette manière, on aura des moyens suffisants pour assurer la subsistance des classes pauvres pendant l'hiver ; et la mendicité ne s'appesantira pas sur les fermiers qui déjà souffrent de l'état actuel des choses. Je sais qu'il y a des lois contre la mendicité ; mais au lieu de réprimer la mendicité, il faut faire en sorte qu'elle ne soit pas une nécessité ; il faut faire en sorte que tout le monde ait du travail et du pain. Pendant l'hiver, on peut, avec avantage, faire les travaux qui sont en projet, soit par le gouvernement, soit par les concessions, et tout ce qui est ouvrage de terrassement ; peut se faire très-utilement pendant l'hiver. J'engage M. le ministre des travaux publics à faire tout ce qui est en son pouvoir auprès des sociétés concessionnaires pour les engager à commencer pendant l'hiver les travaux qui peuvent se faire dans cette saison.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, il y a des moyens suffisants dans la législation pour arrêter la mendicité ; mais ce que le code pénal n'a pas prévu, c'est le cas où la mendicité est une indispensable nécessité. La loi de vendémiaire an II, qui est en quelque sorte le code de l'indigence, a commencé par indiquer les moyens de secourir les indigents, le travail ; d'abord les grands travaux, dont les ouvriers jeunes et de bonne constitution peuvent s'occuper, et ensuite les travaux sédentaires.
Le gouvernement peut compter qu'il sera aidé par les particuliers, car il y a beaucoup de zèle pour venir au secours de l'indigence. J'ai parcouru la Flandre, j'ai vu que les vieillards étaient entretenus dans les maisons de charité pour 15 centimes par jour.
J'ai été témoin de cela dans la commune dont l'honorable M. Rodenbach est bourgmestre ; on y loge, nourrit et soigne les vieillards quand ils sont malades pour 15 centimes. Cette commune doit ce charitable établissement à ces religieuses, qui font tant de bien dans tout le pays, et qui se vouent avec tant de zèle à la classe indigente.
Si donc les communes veulent entretenir leurs pauvres, on peut être sûr de passer l'hiver sans embarras. S'il n'en était pas ainsi, je ne sais ce qui adviendrait, car dans une partie de la Flandre, dans le district d'Audenarde, il y a des pauvres par milliers qui vont demander du pain. Les fermiers ne peuvent pas continuer à leur donner l'aumône tous les jours. Mais si le gouvernement par vient à faire en sorte qu'il n'y ait pas de mendicité étrangère, les subsides qu'il pourra accorder, joints aux dons des particuliers et des communes, lui permettront de pourvoir aux besoins des indigents.
M. Delfosse. - Messieurs, il y a six mois, l'abondance régnait dans le pays. Le prix des denrées était modéré, le froment se vendait à dix-huit francs, le seigle à onze. Les classes ouvrières pouvaient se procurer du pain et des pommes de terre sans trop de difficulté, elles commençaient à entrevoir une amélioration à leur sort, un terme à leurs souffrances.
Malheureusement un état de choses aussi satisfaisant, pour lequel nous aurions dû tous adresser des actions de grâces à la Providence, était un sujet d'inquiétudes pour quelques hommes, partisans aveugles des intérêts agricoles.
Ces hommes, dont je ne veux pas, dont je ne dois pas attaquer les intentions, mais dont je déplore l'erreur, réclamaient avec instance des mesures législatives dont l'effet immédiat devait être de faire hausser le prix du pain, et ils parvinrent à les obtenir de la faiblesse du gouvernement, malgré les efforts énergiques de l'opposition.
On vit alors un ministre, qui avait présenté un projet de loi dans l'intérêt des consommateurs, déserter tout à coup leur cause et même se tourner contre eux.
Mais plus tard, préoccupé de la hausse successive du prix des grains et des craintes qui se manifestèrent bientôt pour la récolte, il crut prudent de ne donner aucune suite aux mesures qu'il avait eu le tort d'approuver.
Ces craintes ne se sont que trop réalisées, et les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons sont d'une gravité telle que ceux-là même que nous combattions il y a six mois sont obligés de se joindre à nous pour arrêter la hausse et pour venir en aide aux classes ouvrières.
Le ministre qui est venu présenter le projet de loi que nous discutons, l'honorable collègue qui s'est chargé du rapport, étaient au nombre de ceux qui voulaient une protection plus forte pour l'agriculture, qui demandaient des droits d'entrée, alors même que le prix du froment eût été a vingt-trois francs ! Je les félicite de ce retour à de meilleurs sentiments, je les félicite d'avoir accepté une mission que l'on peut qualifier d'expiatoire. L'événement est venu leur donner une rude leçon. Espérons qu'elle portera ses fruits, espérons que si un jour (et puisse-t-il ne pas être éloigné !) le ciel nous accorde encore une récolte abondante, on ne fera plus d'efforts pour en neutraliser les bienfaits.
Je voterai pour le projet de loi avec les modifications qui me paraîtront utiles. J'adhère à la plupart des observations qui viennent d'être présentées par l'honorable M. Osy. Je dois cependant repousser l'opinion qu'il a émise, en ce qui concerne la prohibition a la sortie ; la prohibition à la sortie est sans doute un mal dans les temps ordinaires, mais dans les circonstances (page 15) difficiles où le pays se trouve, c'est une impérieuse nécessité. La responsabilité la plus grave pèserait sur nous, nous aurions les regrets les plus amers si, après que nous aurions laissé sortir les grains, il n'en restait plus assez pour nourrir nos populations.
J'accorderai, sans la moindre hésitation, les deux millions que le gouvernement nous demande. Je lui accorderais même une somme plus forte s'il la demandait. Deux millions, c'est peu de chose pour parer aux maux qui nous menacent, c'est tout au plus de quoi nourrir la population pendant un demi-jour. Si le gouvernement ne demande pas davantage, c'est probablement qu'il compte sur l'intervention des particuliers, dont l'active bienfaisance ne manquera pas de seconder ses efforts.
Je n'ai pas besoin, je pense, de déclarer que mon vote ne doit pas être considéré comme un acte d'adhésion à la formation du ministère, ni à sa politique, qui n'est pas encore formulée, mais qui perce déjà à travers quelques actes. Nous n'avons pas une bien grande confiance dans le ministère, je crois même que nous n'en avons pas du tout. (On rit.) Mais nous remet tous l'expose de nos griefs à des temps plus opportuns.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, l'honorable préopinant vient de vous dire que le ministre qui a été chargé de proposer les mesures sur lesquelles vous délibérez en ce moment avait été aussi le rapporteur du projet qu'une grande majorité de cette chambre avait adopté à la dernière session. Sans doute, messieurs ; et je ne vois dans ces actes rien de contradictoire, rien que l'on puisse qualifier d'une sorte de mission expiatoire.
Que voulait, messieurs, la majorité qui a voté la loi des céréales à la fin de la dernière session ? Elle voulait, avec une entière bonne foi, après avoir bien étudié cette grande question, établir une juste part pour tous les intérêts qui s'y trouvent engagés. Que prouve maintenant la position nouvelle que prennent cette majorité et moi-même qui fus alors rapporteur de la loi, sinon que nous voulons parer à des circonstances nouvelles, à des circonstances que personne alors ne pouvait prévoir.
Raisonner des faits qui se produisent aujourd'hui en vue d'une législation permanente, ce n'est pas raisonner. La législation, en matière de subsistances, ne peut pas dominer les événements. Lorsque des circonstances, comme celles qui existent aujourd'hui, se produisent, quel que soit le système normal de la législation, il doit fléchir devant les faits.
C'est cette nécessité que tout le monde subit aujourd'hui ; lorsque les circonstances normales seront revenues, nous pourrons sans doute reprendre dans son ensemble cette question des céréales.
Nous pourrons voir alors, non pas en nous plaçant au point de vue exclusif du commerce, par exemple, au point de vue exclusif de tel autre intérêt, mais en nous plaçant au point de vue où la chambre doit se placer, où le gouvernement doit se placer ; nous chercherons à établir une juste pondération de tous les intérêts qui luttent, chacun dans son sens, pour obtenir que la question soit résolue en leur faveur exclusive. C'est là, j'espère, ce que la chambre ne fera jamais, c'est là aussi ce à quoi le gouvernement ne s'associera jamais.
La plupart des observations que vous avez entendues, messieurs, se rattachent aux dispositions spéciales de la loi ; je crois, par ce motif, pouvoir en ajourner l'examen. Qu'il me soit permis, néanmoins, de faire remarquer combien l'honorable M. Osy s'est mépris en qualifiant, au début de son discours, les dispositions proposées comme devant être encore une fois, disait-il, favorables aux propriétaires et non pas aux consommateurs. Eh ! messieurs, est-il rien de plus contraire à la vérité des choses que cette manière d'envisager le projet de loi ? N'est-ce pas exclusivement sa sollicitude pour les consommateurs, pour les classes pauvres, qui a inspiré le gouvernement et qui a inspiré le vote de vos sections, le vote de votre section centrale ?
Je suis vraiment étonné, messieurs, qu'en qualifiant ainsi le projet, l'honorable membre combatte la disposition de ce projet qui doit avoir la plus grande influence sur le sort des consommateurs. Il combat, au nom des consommateurs, la prohibition à la sortie ! Mais si les grains étaient libres à la sortie, il arriverait immédiatement, dans l'état actuel de nos relations, que le prix des céréales, sur le marché belge, serait au taux du marché le plus élevé de tous ceux qui nous environnent. On a importé en Belgique une quantité considérable de grains, et, messieurs, dans la supposition qu'en Angleterre, par exemple, il y ait un déficit considérable sur la récolte, peut-être dans l'espace de 15 jours ou trois semaines, verriez-vous enlever du pays non seulement toutes les qualités importées, mais une quantité au moins égale de grains produits dans le pays. La prohibition de la sortie est donc véritablement une mesure de sollicitude pour les consommateurs.
M. Rodenbach. - Messieurs, j'ai demandé la parole lorsque l'honorable député de Liège a paru jeter un blâme sur la conduite parlementaire des vingt et un. Je dirai, messieurs, que j'ai été un des 21, et lorsque nous avons fait notre proposition, le froment se vendait en Belgique à 15 ou 10 fr. par hectolitre. Je vous le demande, messieurs : dans un pays où les impôts sont considérables, dans un pays éminemment agricole, dans un pays où l'industrie agricole est la première de toutes les industries, ne pouvions-nous pas à cette époque demander une protection de 10, 12 ou 15 p. c. en faveur de cette industrie, mère de toutes les autres, ne pouvions-nous pas faire une semblable demande, alors que toutes les autres industries jouissent d'une protection de 25 à 30 p. c. ? Nous avons donc fait cette proposition lorsque le grain était à vil prix, mais nous avons été les premiers à modifier noire opinion lorsque nous avons vu le prix des céréales s'élever par suite des intempéries de la saison. Aujourd'hui, messieurs, il ne s'agit plus de 15 francs ; hier, au marché de Bruxelles le froment s'est vendu de 24 à 25 francs par hectolitre, et le seigle de 18 à 10 francs. J'appuierai donc, messieurs (et je suis convaincu que tous les membres qui ont signé la proposition des 21 agiront de même), j'appuierai de grand cœur les mesures qui tendent à ce que les malheureux ouvriers mangent le pain à bon marché, car c'est là ce que nous avons toujours voulu.
Puisque j'ai la parole, je dirai mon opinion sur les articles dont a parlé l'honorable député d'Anvers. Il a omis notamment l'idée qu'il faudrait autoriser la libre importation du bétail. Je lui dirai qu'il est très probable que si le bétail pouvait entrer sans droits, le prix de la viande ne baisserait pas ; la cherté de la viande tient à d'autres causes qu'aux droits d'entrée sur le bétail. Ces causes, messieurs, je tâcherai de les indiquer d'une manière très laconique. Dans les villes (et c'est là que la viande est chère), dans les villes, il y a d'abord les droits d'octroi à payer ; ensuite, pour abattre le bétail, il faut se rendre dans un abattoir public, où il faut encore une fois acquitter une rétribution au bénéfice de la ville. De plus, on force les bouchers à se réunir dans des halles où ils doivent louer des étaux excessivement chers. Voilà donc un triple impôt qui pèse sur la viande ; mais ce n'est pas tout, lorsque les bouchers sont réunis dans un même lieu, ils s'entendent pour fixer les prix, et il en résulte on véritable monopole.
Il n'est, messieurs, rien de plus détestable que le système des octrois. Il y a même une ville dans les Flandres, la ville de Gand, où la mouture existe. (Réclamations.) La mouture existe a Gand, c'est un fait. A Paris, messieurs, le pain se vend à dix centimes de moins par kilog. qu'à Bruxelles : cela ne tient évidemment qu'aux droits d'octroi, et c'est là une chose qu'il serait de toute nécessité de réviser, surtout dans les circonstances malheureuses où nous nous trouvons, car le manque de la récolte des pommes de terre est le plus grand malheur qui put arriver au pays : il en résultera une perte de 50 à 60 millions. Je voudrais donc que pour cette année au moins les octrois fussent entièrement supprimés en ce qui concerne tous les objets nécessaires à la nourriture du peuple. Jusqu'à présent, cependant, malgré la détresse publique je n'ai pas encore entendu qu'une seule ville se soit occupée de la question de la réduction des droits d'octroi. C'est là un point sur lequel j'appelle toute l'attention du gouvernement ; il y a là pour lui un grand devoir à remplir.
Je pense, messieurs, que le projet de loi qui nous est soumis, sera très utile à toutes les classes ; mais je dois reconnaître qu'on n'a pas fait assez pour les classes ouvrières et pour les campagnes. Je me plais à croire que dans quelques mois on fera beaucoup plus. A l'article 5 on demande seulement deux millions ; je crois que cette somme est beaucoup trop faible en présence de la perte de 50 à 60 millions que le pays a subie, et alors que les bureaux de bienfaisance sont déjà ruinés en grande partie par les dépenses qu'ils doivent faire pour les dépôts de mendicité, la plus détestable de toutes nos instituions. Il est indispensable de changer au plus tôt la législation qui régit les dépôts de mendicité dans la Flandre occidentale (et l'honorable M. de Muelenaere, gouverneur de cette province, pourra le déclarer) le système actuel des dépôts de mendicité ruine toutes les communes ; les communes ne peuvent plus faire face à leurs besoins. Il n'y a plus de ressources pour soutenir les pauvres qui se rendent dans les dépôts de mendicité ; que fera-t-on ? Est-ce que le gouvernement payera l'entretien des familles qui sont forcées de s'enfermer par centaines dans les dépôts de mendicité ? J'ai la conviction intime que dans quelques mois nous serons forcés de voter des sommes beaucoup plus considérables que celles qui nous sont demandées maintenant. Aussi, dans ma section, le chiffre avait été porté à 4 millions, et si cette proposition est reproduite devant la chambre, je la voterai très volontiers dans l'intérêt des classes pauvres, demandât-on même six millions. (Interruption.} J'ai la conviction intime qu'avant quatre ou cinq mois d'ici nous aurons voté cette somme.
Je dis, messieurs, qu'il faut entrer largement dans le système des subsides. Le gouvernement devra accorder plusieurs millions et les communes surveiller l’usage qui sera fait de ces subsides par les bureaux de bienfaisance. Alors on pourra venu efficacement au secours des ouvriers, surtout dans les campagnes, où les ouvriers des fermes n'ont que 60 centimes par jour pour entretenir souvent leur femme et quatre ou cinq enfants. Dans les temps ordinaires, ces malheureux nourrissent toute leur famille avec des pommes de terre qu'ils se procurent pour quelques centimes, mais maintenant cette ressource n'existe plus ; les 15 ou 16 millions de sacs de pommes de terre que le pays consomme annuellement, n'existent plus. Il faudra donc remplacer les pommes de terre par du pain, et, je le demande, que fera-t-on avec 60 centimes par jour pour procurer du pain à toute une famille ? Je dis, messieurs, que le pays est frappé de la plus grande détresse, et je fais des vœux pour que le gouvernement cherche, par tous les moyens en son pouvoir, à y porter remède.
J'attendrai la suite de la discussion pour présenter d'autres observations, si je le trouve nécessaire.
M. Eloy de Burdinne. - Je ne comptais pas, messieurs, prendre la parole dans cette discussion ; je crois que la question à l'ordre du jour exige une prompte solution, parce que les besoins des classes ouvrières réclament toute notre sollicitude, et qu’il faut voter au plus tôt les mesures qui peuvent assurer leurs moyens de subsistance. Je crois donc, messieurs, que les reproches adressés aux auteurs du projet de loi sur les céréales sont intempestifs ; il ne s'agit pas en ce moment d'une loi protectrice de l'agriculture ; il s'agit d'une loi en faveur des consommateurs, et cette loi je l'appuie de toutes mes forces, je l'ai même provoquée depuis un mois environ par une lettre adressée à M. le ministre de 1 intérieur. (M. le ministre de l'intérieur fait un signe affirmatif.) J'ai même prié un honorable membre de se joindre à moi pour réclamer du gouvernement la défense immédiate, et par arrêté, de la sortie des grains. Je sais que cela ne plaira pas au commerce ; le commerce doit gagner de l'argent ; il le prend où il le trouve ; c'est son métier. Je me suis présenté chez M. le ministre de l'intérieur, à qui j'ai demandé (page 16) qu'immédiatement il frappât de prohibition la sortie des grains ; je lui ai dit : « Prenez des dispositions sous votre responsabilité ; la chambre en masse y applaudira. »
Croyez-moi, l'intention des signataires de la proposition qu'on a même qualifiée de loi de famine n'était nullement une loi de famine ; mais bien une loi protectrice d'une industrie qui a autant de droits que d'autres à la protection du gouvernement.
Mais qu'on ne perde pas de vue que notre proposition était autant dans l'intérêt du consommateur que du producteur. Peut-être, j'en conviens, n'était-elle pas à l'avantage du commerce et de la navigation, à l'avantage de ceux qui spéculent sur la misère publique. (Réclamations.) Oui, messieurs, quand les grains ont-ils augmenté ? Quand ils étaient emmagasinés chez les spéculateurs, alors que le cultivateur avait vendu ses produits. Tant que les cultivateurs avaient à vendre, ils n'ont pas augmenté.
Je citerai un fait qui est arrivé à Namur.
Au marché de cette ville, le grain ne valait pas 20 fr. Qu'es !-il arrivé ? | Trois compères se sont entendus : l'un a acheté à 18 fr. ; il a revendu à 19 fr. à un autre, qui lui-même a revendu à 20 fr. à un troisième compère. C'est ainsi qu'on est arrivé au prix moyen de 20 fr., et par suite à la libre entrée.
Qui profite de cette hausse ? Le commerce et non l'agriculture.
Au surplus j'ai hâte de voir voter cette loi ; je ne m'étendrai pas davantage, afin de n'en pas retarder l'adoption.
Je me bornerai à ajouter un autre fait à l'appui de ce que je viens de dire.
En 1817, le peuple avait besoin de dispositions propres à faire baisser le prix des grains. On avait répandu le bruit qu'il y avait des cultivateurs qui gardaient leurs grains, au lieu de les envoyer au marché. Le gouvernement a nommé une commission qui a parcouru les campagnes pour s'assurer du fait ; elle a reconnu qu'il était controuvé ; mais elle a constaté qu'il y avait des spéculateurs qui avaient des greniers remplis de grains et qui n'envoyaient rien au marché. Le gouvernement leur déclara qu'il ne répondait de rien s'ils n'envoyaient pas leurs grains au marché ; ils les y envoyèrent et immédiatement il y eut une baisse de 2 fr. C'était en juin 1818.
En France, il y a une loi qui entrave la spéculation, et le pain est à meilleur marché qu'en Belgique. C'eût été l'effet de la proposition que nous avions présentée.
M. Lys. - Peu de mois se sont écoulés depuis le moment où le malencontreux projet du sénat, appuyé par le gouvernement, vous était présenté, et déjà la famine frappe aux portes de la Belgique. Le gouvernement se trouve réduit à chercher, dans des mesures extraordinaires, les moyens de l'éviter.
A entendre le ministre de l'intérieur, au 5 mai dernier, il fallait prendre des précautions pour éviter les hausses factices, et grâce à la sagesse du Roi, qui n'a pas sanctionne ce projet de loi, déjà 55 millions de kilogrammes de grains étrangers sont entrés dans le pays, et ont pu parer à la misère publique, qui eût été déjà bien grande, si cette quantité n'avait pu entrer libre de droit.
Ce n'étaient point des précautions qu'il fallait prendre pour empêcher l'entrée des céréales, après un hiver aussi long et aussi dur, c'étaient des moyens de la favoriser.
Ce que je viens de vous dire, messieurs, vous démontre que j'approuve les mesures prises par le gouvernement, ainsi que les propositions qu'il vient vous présenter aujourd'hui. Je regrette même qu'elles ne soient pas plus étendues.
La législature doit approuver des mesures urgentes, pour diminuer les tristes résultats de la calamité dont nous sommes menacés ; vu notre situation, je n'hésite pas à lui accorder le crédit qu'il demande ; ce n'est pas là un vote de confiance, c'est un vote de nécessité.
La récolte des pommes de terre, pour ainsi dire entièrement manquée, nécessite des mesures. Il faut éviter que cette disette continue pendant les années suivantes, et, pour éviter un pareil fléau, le gouvernement doit nécessairement fournir au pays les pommes de terre dont le pays aura besoin pour la plantation de ce tubercule en 1846.
La libre concurrence du commerce ne suffit point. Le commerce achètera ce qui peut lui donner un plus gros bénéfice, ce qui peut se revendre à bon marche. Pour les plantations, le gouvernement seul peut procurer les qualités qui conviennent le mieux à la nature de nos terres, les qualités qui peuvent le mieux remplacer celles que nous avons perdues ; car, remarquez-le bien, messieurs, arrivés au mois d'avril, peu ou point de pommes de terre seront conservées ; vous ne pouvez même planter de la récolte de l'année, de crainte de perpétuer le mal existant. D'ailleurs, la pomme de terre sera à un prix très élevé au moment de la plantation. Il est dès lors de toute nécessité que le gouvernement vienne au secours de nos malheureux cultivateurs.
Il faut pour cela les pourvoir des plantes qui leur seront nécessaires. L'Etat doit prendre à charge de les leur procurer à bon marché. S'il en était autrement, le mal actuel sévirait plus fortement en 1840 et 1847. La plantation des pommes de terre diminuerait, et, par suite, le produit. Si un cultivateur devait acheter des pommes de terre à un prix élevé, à 20 fr., par exemple, les 100 livres, il en résulterait que la plantation d'un hectare pour les plantes seules, sans parler des engrais et du labour, coûterait 180 francs ; car, pour planter un hectare de pommes de terre, il en faut 900 livres. Quel serait le cultivateur qui pourrait faire une pareille avance, sans savoir même si la qualité qu'il planterait serait propre au terrain ou du goût des consommateurs ?
La plante doit être d'un dixième du produit. Supposant le produit à 20 millions d'hectolitres, il faut deux millions d'hectolitres pour la plantation, quantité bien considérable, et pour se la procurer, le gouvernement ne doit pas perdre an seul moment.
Je suis aussi de l'avis de ceux qui voulaient continuer la libre entrée jusqu'au 1er septembre, et, en effet, tom le monde sait que la cherté des céréales se fait souvent sentir aux mois de juin, juillet, août, parce que les cultivateurs travaillent alors à la campagne et ne fréquentent pas les marchés.
Les grains du pays seront versés sur nos marchés pendant les mois d'hiver, comme cela se fait ordinairement, pendant le temps où l'hiver empêche les arrivages du Nord ; il n'y aura plus de grains dans le pays au mois de juin, et c'est en ce moment que le grain étranger nous sera indispensable ; car alors, je le répète, il n'existera plus de grains du pays ; on ne peut donc craindre la concurrence des céréales étrangères, et une preuve qu'elles ne sont pas à redouter, c'est qu'en ce moment, où vous avez tout le grain d'une récolte que vous dites avoir été une bonne récolte ordinaire, il est entré dans le pays la quantité considérable de 55 millions de kilogrammes, et, malgré cela, les prix se sont élevés au taux considérable auquel ils sont aujourd'hui ; que deviendront donc les populations au mois de juin et de juillet, si vous n'admettez plus de grain étranger, alors que vous n'aurez plus de grains du pays ?.Mais, direz-vous, le prix étant élevé, la libre entrée sera permise légalement ; mais je vous répondrai : Ce n'est pas en un ou deux mois qu'on fait des commandes à l'étranger et qu'on reçoit la marchandise ; vous aurez alors la famine et aucun moyen d'y remédier ; vous aurez une belle récolte croissante, mais rien dans les granges et dans les magasins ; en un mot, la famine au milieu de l'abondance, mais abondance en expectative.
Je crois, messieurs, que j'ai démontré que l'entrée des grains étrangers j devrait dès à présent être déclarée libre jusqu'au 1er septembre 1846.
D'après les discussions en sections et le rapport de la section centrale, je ne présenterai point d'amendement, parce que je n'aurai point l'appui du gouvernement ; je lui en laisse toute la responsabilité. J'appuierai néanmoins toute proposition qui serait faite.
Je lui laisse pareille responsabilité pour ne pas comprendre dans la libre entrée les farines.
Nous verrons donc le vermicelle, le macaroni et la semoule, que l'on ne voit que sur la table du riche, libre d'entrée, et la farine, utile à tous, sera repoussée.
Je vous avoue que je ne puis me faire raison d'une pareille disposition ; vous ne refusez pas seulement la libre entrée des farines, mais vous en accordez encore la libre sortie.
Vous avez peur de la disette, et vous refusez l'entrée libre de la farine, vous avez peur de la disette, et tout en laissant exister des droits d'entrée sur la farine, vous la laissez librement sortir.
Le rapport se borne à nous entretenir de la proposition de la première section de permettre au gouvernement de réduire et même de supprimer les droits à l'entrée du bétail ; de la proposition de la quatrième section de permettre la libre entrée du bétail, et de la sixième, qui appelle sur ce point, l'examen de la section centrale.
Le rapporteur rectifie aujourd'hui ce qu'il a dit dans son rapport, concernant la première section et l'attribue à la seconde ; il reste dès lors établi que la question posée dans la première section, relative aux viandes salées et ajournées par la majorité, n'a pas trouvé place dans ce rapport ; c'est là un oubli qui ne peut pas être reproché au rapporteur de la section.
La première section n'a pas seulement examiné ce qui concernait la libre entrée du bétail ; deux membres y ont proposé la libre entrée des viandes salées.
L'on sait, messieurs, que le porc salé est la seule viande à l'usage du peuple, et la nourriture ordinaire du petit contribuable.
L'on sait que les petits cultivateurs, les petits ménages à la campagne, qui nourrissaient et engraissaient un porc, ne pourront y pourvoir pendant cette année.
On sait que les cultivateurs en général diminueront considérablement la quantité de bestiaux à l'engrais.
Il en résultera que le prix de la viande salée augmentera considérablement, et vous ne faites rien pour éviter cette hausse !
Vous faites même tout le contraire ; car, pendant que vous condamnez l'habitant de la Belgique à ne manger que de la viande produite sur son sol, en ; n'accordant pas la libre entrée, soit des bestiaux, soit au moins des viandes salées, vous faites la même anomalie que pour le macaroni et la farine ; vous laissez la libre sortie des bestiaux et des viandes salées et vous en prohibez l'entrée. C'est encore là une conduite que je ne pourrais expliquer ; je ne présenterai pas d'amendement, parce que je manquerais de l'appui du gouvernement ; je lui en laisse toute la responsabilité.
Je répondrai, messieurs, à une observation faite par l'honorable M. Desmet ; les céréales, dit-il, ne manquent nulle part, il est inutile d'accorder un terme plus long pour la libre entrée.
J'ai déjà démontré que le prix actuel des céréales ne justifie point l'avancé de l'honorable membre, et, en effet, messieurs, malgré l'introduction de 55 millions de kilog. en blé étranger, le prix n'a cessé d'augmenter de jour en jour.
J'ai démontré précédemment, et je ne veux pas vous fatiguer par des répétitions, que les grains du pays seront absorbes au 1er juin, que vous auriez la famine si vous n'aviez pas alors des grains étrangers.
L'honorable M. Rodenbach a parlé aussi de la suppression des droits des villes sur les denrées ; mais comment voudrait-on aujourd'hui supprimer ces droits, dans un moment où les villes auront de si grands besoins, quand, dans des temps ordinaires, elles ont tant de peine à faire face à leurs (page 17) dépenses ? Laissez donc aux villes leurs ressources. Je sais d'avance que la ville et le district que j'ai l'honneur de représenter, sont disposés à faire les dépenses nécessaires pour venir au secours de la classe ouvrière, si nombreuse dans cet arrondissement, et pour laquelle des secours seront si nécessaires, déjà plusieurs particuliers de Verviers se sont associés pour procurer du riz aux ouvriers, au prix coûtant ; leur exemple sera, sans doute, suivi par les personnes fortunées de ce district, et je m'en porte volontiers le garant.
L'honorable M. Eloy de Burdinne vient vous dire que les grains n'ont haussé que par l'intervention du spéculateur, du négociant ; mais deux mots suffiront pour démontrer le contraire. C'est au commerce que nous devons l'entrée des grains étrangers, car il a fallu les chercher, puisqu'il n'en existait que peu ou point dans les entrepôts, que la hausse a continué malgré l'entrée libre ; il faut donc attribuer à toute autre cause le renchérissement des céréales.
M. Verhaegen. - Messieurs, je viens appuyer les observations qui vous ont été soumises par mon honorable ami M. Delfosse, et répondre quelques mots aux discours de MM. Malou, Desmet et Rodenbach.
Devant une calamité publique, imminente, je suis le premier à le proclamer, il ne doit pas y avoir de partis ; amis et ennemis du gouvernement doivent se donner la main, s'éclairer mutuellement et marcher tous dans la même voie ; mais aussi il faut que ceux qui ont été dans l’erreur aient la bonne foi et la franchise de venir le dira tout haut ; il faut qu'ils viennent promettre au pays de ne plus récidiver.
Si, depuis six mois, au lieu de jeter les entraves et les incertitudes au milieu des opérations commerciales, on leur eût laissé leur libre cours, nous ne serions pas réduits en ce moment à prendre des mesures extrêmes. (Murmures.) Nous laissons à ceux qui murmurent la responsabilité de leurs actes.
Messieurs, lorsqu'on a commis une erreur, il faut avoir le courage de la reconnaître ; car l'aveu d'une erreur peut seul nous ramener dans la bonne voie et éviter que les mêmes causes ne reproduisent les mêmes effets ; je suis d'autant plus autorisé à m'en expliquer ainsi qu'il n'y a qu'un instant M. le ministre des finances nous disait que la loi sur les céréales et même le projet des 21 n'avaient été présentes à la législature que dans des circonstances normales, ce qui veut dire que si les mêmes circonstances venaient à se représenter un jour, les 21 seraient autorisés à représenter leur œuvre. Or, c'est ce qu'il nous importe de combattre, c'est sur ce point qu'il est essentiel de tranquilliser les populations.
Quoi ! les circonstances étaient normales !... Quoi ! si les mêmes circonstances venaient à se représenter, la proposition primitive sur les céréales pourrait être reprise ! Je demanderai donc au gouvernement si la loi qui a été votée n'est pas définitivement abandonnée ; car, jusqu'à présent, il n'y a pas eu de veto formel.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Vous vous trompez, lisez le rapport qui précède l'arrêté royal.
M. Verhaegen. - Il y a dans ce rapport une insinuation, mais rien de plus ; constitutionnellement parlant il n'y a pas eu de refus de sanction. (Bruit.)
Lorsque j'entends un ministre du Roi nous dire que la loi dont il s'agit a été présentée dans des « circonstances normales, » ce que je traduis par ces mots que, si les mêmes circonstances venaient à se reproduire, on verrait surgir les mêmes propositions, j'ai le droit de lui demander si définitivement le pouvoir exécutif refuse oui ou non sa sanction à la loi qui a été votée par les deux chambres.
Quoi ! les circonstances étaient normales !... Quoi ! l'honorable M. Rodenbach est venu nous dire que lorsque le projet des 21 s'est fait jour les grains étaient à vil prix, et un autre honorable collègue a été jusqu'à affirmer qu'une aggravation de droits ne pouvait exercer aucune influence sur le prix des céréales ; que le pain serait toujours à aussi bon compte sous l'empire d'un tarif élevé qu'en absence de tout droit ! ! Je n'ai pas le courage de qualifier une pareille affirmation.
Les circonstances étaient normales ; les grains étaient à vil prix au moment de la présentation des projets ! !... Mais l'honorable M. le ministre des finances, dans le rapport qui précède l'arrêté royal du 5 septembre, a donné un démenti formel à cette assertion.
Les grains étaient à vil prix... ; mais ne se rappelle-t-on pas que dans le cours de la discussion mémorable sur la loi des céréales, discussion à laquelle l'opposition a pris une grande et noble part, le prédécesseur de M. le ministre de l'intérieur est venu déclarer à la chambre que la loi proposée était indispensable et urgente parce qu'il entrait, tous les jours, des quantités considérables de grains, que bientôt le prix aurait atteint le maximum de 20 francs, et qu'alors il y aurait eu libre entrés ? Cette déclaration est consignée dans le Moniteur, et aujourd'hui l'on viendra prétendre que les circonstances étaient normales....
M. Rodenbach. - Vous confondez les deux projets de loi.
M. Verhaegen. - Je ne confonds rien du tout ; je prie l'honorable M. Rodenbach de ne pas m'interrompre ; il me répondra s'il le juge à propos. Du reste, je ne confonds pas les deux projets, mais je confonds peut-être les auteurs des deux projets.
Messieurs, je vous disais que le rapport de M. Malou qui précède l'arrêté royal du 5 septembre donne un démenti aux assertions de M. le ministre des finances. En effet, il résulte, à la dernière évidence, de ce rapport que les circonstances, au moment de la présentation du projet de loi sur les céréales étaient les mêmes ou à peu près les mêmes qu'aujourd'hui.
On lit dans cette pièce, curieuse sous plus d'un rapport, « qu'à la suite d'un hiver rigoureux et prolongé, on ne pouvait pas compter sur une bonne récolte. » Et cependant c'est à la suite de ce même hiver et sous l'empire de la prévision d'une mauvaise récolte, qu'on a présenté et voté la loi qui devait avoir pour résultat le renchérissement du prix des céréales et la restriction à l'entrée.
M. le ministre des finances ajoute ensuite que depuis le 1er janvier 1845, plus de 44 millions de kilogrammes de froment ont été déclarés en consommation. Cela prouve encore une fois jusqu'à quel point la majorité et le ministère étaient de bonne foi quand ils soutenaient que le pays avait assez d'approvisionnements pour sa consommation.
M. le ministre des finances dit enfin dans son rapport que, pour prévenir le renchérissement des denrées, on a proposé de rendre, immédiatement libres à l'entrée certaines denrées alimentaires. Ne résulte-t-il pas de là que les droits à l'entrée exercent une influence sur le prix des denrées alimentaires ? Et cependant, l'honorable M. Eloy de Burdinne a soutenu et ose encore soutenir aujourd'hui qu'un tarif même élevé est parfaitement indiffèrent.
Lorsque les 21 ont fait leur proposition, il entrait donc dans leur intention d'augmenter le prix des céréales, des denrées alimentaires, et par suite d'amener le renchérissement du pain, comme l'a dit l'honorable M. Delfosse.
Mieux aurait valu, car enfin errare humanum est, mieux aurait valu que les 21 fussent venus humblement et franchement avouer leur erreur ; car en errant on peut être de bonne foi ; aussi je ne veux récriminer contre j personne : laissant de côté toute question politique, je me borne à faire un appel à mes adversaires comme à mes amis politiques, pour les engager à réparer le mal fait, et à venir, par des mesures efficaces, au secours des classes nécessiteuses.
Des membres. - Oui : c'est ce que nous ferons.
M. Verhaegen. - Mais en disant que vous voterez des mesures efficaces, vous ne feriez pas mal de convenir que vous avez très mal fait en proposant et faisant adopter un projet de loi qui va directement contre le but que vous voulez atteindre aujourd'hui.
Messieurs, tout ce qui s'est passé à la fin de la dernière session a exercé une influence fâcheuse sur le prix des céréales, et le gouvernement devait prévoir cette influence ; le tableau comparatif des prix des denrées au commencement de cette année (au cœur de l'hiver) et à l'époque où nous nous trouvons (à la fin de l'été), alors que les approvisionnements sont les plus considérables, démontre que le prix des grains a augmenté, en huit mois, de 18 à 22 p. c., celui du pain des diverses qualités, de 38 p. c. (taxe de janvier et septembre 1845), celui du riz, de 100 p. c. et au-delà, et celui des pommes de terre, de 3 à 400 p. c. Les autres denrées ont subi ou subiront sans aucun doute une proportion analogue. Et que sera-ce en hiver, alors que les légumes, les œufs, et d'autres substances alimentaires que l'ouvrier peut encore se procurer aujourd’hui viendront à lui faire défaut ou dépasseront de beaucoup la mesure de ses moyens, alors que le froid ou le manque d'ouvrage viendront ajouter à sa détresse ?
Disons donc franchement qu'il y a eu des erreurs, qu'il y a eu des torts de la part de la majorité et qu'il faut nous entendre pour les réparer.
Messieurs, comme mon honorable ami M. Delfosse, je voterai les diverses dispositions du projet de loi, et en outre je donnerai les mains à toutes les améliorations qui, par forme d'amendement, pourraient vous être présentées ; je voterai la libre entrée des denrées alimentaires spécifiées dans le projet. J'avais demandé, dans un section, qu'il y fût ajouté certaines substances qui ne figurent pas dans le projet du gouvernement ; si des articles additionnels ne sont pas présentés dans ce sens sur l’un ou l'autre banc, j'aurai l'occasion de les présenter moi-même lorsque nous serons arrivés à la discussion des détails.
J'ai fait, en ce qui concerne le bétail, une proposition qu'on a désiré voir ajourner à la session prochaine ; je reproduirai également cette proposition qui me paraît avoir des chances d'être accueillie, du moins partiellement, d'après les discours que je viens d'entendre ; car, soit dit ouvertement, le grand principe qui me dirige, quant au projet de loi actuel, c'est celui de faciliter, par tous les moyens qui sont en notre pouvoir, l'arrivée de toutes les substances alimentaires quelconques.
Quant à la prohibition à la sortie, je partage encore l'avis de mon honorable ami M. Delfosse, et je regrette de ne pas pouvoir m'associer à l'opinion de mon honorable ami M. Osy.
Sans doute, il est un principe d'économie commerciale que les importations doivent être en rapport avec les exportations, mais ce principe ne reçoit application que dans les temps ordinaires et non dans les temps calamiteux, dans les temps de détresse tels que ceux pour lesquels nous allons disposer ; d'un autre côté, la production est toujours en rapport avec la consommation, c'est la une autre vérité qu'on ne doit pas non plus perdre de vue, et qui est de nature à exercer une grande influence.
Le gouvernement nous propose une allocation de 2 millions que je voterai sous sa responsabilité, comme j'aurais voté une somme beaucoup plus considérable ; car je ne recule jamais quand il s'agit d'assurer la subsistance du peuple ; mais que le gouvernement comprenne bien cette responsabilité, et surtout que, dans des jours difficiles, il ne vienne pas la répudier.
Il est d'autres points dont je ne m'occuperai pas dans la discussion générale, et que je réserve pour la discussion des articles.
Je voterai donc toute mesure qui tendra à faciliter l'entrée des substances alimentaires et à empêcher la sortie de celles que nous avons sous la main ; car il est bon de commencer par garder ce qu'on a.
Les entrepôts d'Angleterre, d'après les statistiques que nous connaissons, ne renfermant pas assez de céréales pour la consommation de l'Angleterre elle-même, et les entrepôts d'Amérique ne nous viendront pas non plus suffisamment en aide ; d'ailleurs, la concurrence qui pourra s'établir entre les divers pays, doit nous inspirer des craintes sérieuses, et la responsabilité ; du maintien de la sortie deviendrait énorme en pareille occurrence/
Encore une fois, c'est par ces motifs que j'appuie la proposition du gouvernement (page 18) et toute autre mesure qui pourrait tendre à rendre noire position meilleure encore.
Je dirai, comme mon honorable ami M. Delfosse, qu'en appuyant les propositions du gouvernement et en lui accordant la somme qu'il demande, je n'entends pas du tout lui donner une preuve de confiance.
Comme M. Delfosse, je n'ai aucune confiance dans le ministère, et je me réserve, lors de la session ordinaire, de dire à son égard toute ma pensée. Le moment n'est pas favorable pour une discussion politique. L'opposition, en se bornant à faire ses réserves, aura donné une preuve nouvelle de sa sollicitude pour la chose publique et surtout pour le bien-être des classes nécessiteuses
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, si je suivais l'honorable préopinant dans toutes les observations qu'il vient de vous présenter, je rouvrirais toute la discussion de la loi des céréales qui, à plusieurs reprises et récemment encore, a occupé la chambre pendant plusieurs jours. Quel serait le résultat de cette discussion, quel serait le bien qu'elle pourrait produire pour le pays ? Y aurait-il un vote à la suite de ce débat ? Nous ouvririons une discussion sans cause et sans effet.
Il faut, dit-on, avoir le courage d'avouer ses erreurs. Oui, sans doute ; Mais il faut qu'il y ait des erreurs. C'est ce qui n'est pas.
En effet, prétendre que les principes généraux doivent être maintenus dans toute espèce de circonstances, ce n'est pas tenir compte des faits, entrer dans la vie réelle, mais se maintenir dans des abstractions. L'erreur devrait être démontrée par l'honorable membre ; et pour cela il devrait recommencer toute la discussion qui a eu lieu à la dernière session, rechercher quel est le système qui convient au pays en matière de céréales. Cette question se reproduira naturellement après que le pays sera rentré dans les circonstances normales dont nous sommes sortis maintenant ; on verra quelle part il faut faire à l'agriculture et au commerce, quels sont les intérêts dominants, quels sont les moyens de concilier des intérêts en apparence contraires. Je crois qu'il est impossible d'agiter cette question en ce moment avec quelque utilité. Il n'y a, du reste, nulle contradiction à avoir établi dans la dernière discussion certains principes et à en suspendre l'application aujourd'hui en présence de faits que personne ne pouvait prévoir.
Et qu'on ne se méprenne pas sur la portée de ces paroles. Je dis que dans d'autres circonstances, par la force même des choses, la question se reproduira dans son ensemble et tous les intérêts en cause seront examinés, mais nous ne pouvons le faire à l'occasion de la loi qui nous occupe. L'honorable membre a dit que la loi votée l'année dernière restait comme un épouvantail ; cette loi, messieurs, ne sera pas sanctionnée. Je m'étonne que l'honorable membre ait pu en douter encore après avoir lu le rapport au Roi du 3 septembre ; voici ce qu'il porte :
« Si Votre Majesté daignait approuver les arrêtés que nous avons l'honneur de lui soumettre, il résulterait dès à présent de cette décision que les modifications à la loi des céréales votées sous l'empire d'autres circonstances ne seront pas revêtues de la sanction royale. »
Cette décision, dont il devait résulter que la loi ne sera pas sanctionnée, a été prise.
Je crois, messieurs, qu'il est impossible de rien trouver de plus explicite. Qu'il me soit permis, sans entrer dans la discussion des articles, de faire une observation générale sur les nécessités des circonstances actuelles. Les récoltes de beaucoup de produits ont assez bien réussi ; la récolte des pommes de terre a manqué complétement dans certaines contrées, et en grande partie dans d'autres. Quel doit être le but des efforts du gouvernement et des chambres ? C'est d'avoir des denrées qui remplacent la pomme de terre, de donner aux populations des moyens d'acquérir ces denrées, de tacher de les maintenir à un taux modéré. Ici il ne faut pas se faire illusion ; au point de vue de l'ensemble des intérêts du pays, il ne faut pas chercher à faire en sorte que tous les produits soient au plus bas prix possible ; ce serait substituer un malheur à un autre ; ce qu'on doit faire, c'est que, par les mesures votées par les chambres, les actes du gouvernement et les efforts patriotiques de tous les particuliers, on puisse avoir des subsistances qui remplacent les pommes de terre en les maintenant à un prix modéré ni trop haut ni trop bas ; si on faisait descendre actuellement toutes les subsistances a un prix qui ne fût nullement rémunérateur pour l’agriculture, on détruirait pour bien des années la principale richesse du pays.
M. Castiau. - Je conçois, messieurs, l'insistance de M. le ministre des finances. Il veut repousser toutes les allusions aux opinions qu'il a exprimées dans cette enceinte sur la question des céréales et la question des subsistances. Je le comprends ; il y a là d'importuns souvenirs pour lui, et c'est avec raison qu'on lui a adressé à satiété des reproches sur ses inconséquences et ses contradictions.
Qui, plus que M. le ministre, s'est montré hostile à toutes les mesures qui avaient pour effet d'amener l'abaissement du prix des subsistances ? N'a-t-il pas poussé la susceptibilité jusqu'à faire une guerre à outrance à son prédécesseur pour un inoffensif arrêté qui autorisait, non pas l'introduction, mais le transit du bétail, à son simple passage à travers le pays ?
Quant aux doctrines de M. le ministre relatives aux taxes sur les céréales, vous les connaissez, messieurs ; elles se sont produites à diverses reprises dans cette enceinte et surtout à cette époque dont le souvenir lui paraît aujourd’hui si importun. Ses doctrines, c'est que la législation actuelle sur les céréales est insuffisante ; c'est qu'il y a lieu d'en renforcer les dispositions par des aggravations de droit, et ce sont ces déplorables doctrines qu'il était parvenu à faire triompher, il y a quelques mois, dans cette enceinte ! Aujourd'hui il est oblige de reculer devant son œuvre et d'abroger, comme ministre, des mesures qu'il avait fait adopter comme rapporteur.
Et quelle justification nous présente-t-il ? C'est qu'il faut tenir compte des faits ; c'est que les circonstances ont changé.
Oui, les circonstances sont devenues plus urgentes ; mais certes elles étaient assez graves à l'époque où M. le ministre voulait des augmentations aux tarifs sur les céréales. La hausse déjà s'était prononcée ; le grain était arrivé de 16 à 18 fr. Des hausses nouvelles étaient annoncées ; on craignait que le prix régulateur n'arrivât à 20 fr., et les partisans des lois sur les céréales le craignaient tellement, que c'était là leur principal argument pour presser l'adoption des aggravations qu'ils avaient proposées. C'est ce moment d'alarme et d'anxiété que M. le rapporteur avait choisi pour faire triompher ses doctrines sur la législation des céréales !
Et quel était alors le prix normal des céréales pour M. le ministre ? C'était 23, 24 fr. même, si je ne me trompe ; car il venait nous demander d'imposer des droits sur les céréales, même quand elles arrivaient au taux exorbitant de 23 fr. Aujourd'hui le prix moyen n'est que de 22 fr., et cependant M. le ministre se hâte d'abandonner ses vieilles doctrines de prohibition pour proclamer le principe le plus hostile à ses convictions : la libre entrée des céréales. Est-ce donc à tort qu'on lui reproche aujourd'hui ses inconséquences et ses contradictions ? je le demande.
Ces inconséquences et ces contradictions, je me serais bien gardé de les lui rappeler ; je les lui aurais même pardonnées de bon cœur si, éclairé par les événements, M. le ministre avait définitivement abandonné ses premières doctrines sur les aggravations à la législation des céréales. Mais il persiste ; pour lui ce n'est qu'un ajournement. Il est impatient de voir reparaître des circonstances qui lui permissent de satisfaire ses idées prohibitionnistes. Il vous l'a dit en termes passablement clairs. Puisqu'il en est ainsi, nous devons nous élever de toutes nos forces contre ces désastreuses tendances et nous empresser de les étouffer.
J'irai plus loin même : maintenant que M. le rapporteur est devenu ministre, il se présente ici comme l'organe du gouvernement ; ses opinions personnelles prennent un nouveau caractère de gravité. Nous avons intérêt à savoir dès à présent si l'opinion de M. le ministre des finances est partagée par tous ses collègues et surtout par l'honorable ministre de l'intérieur.
Qu'il me soit donc permis de lui adresser une interpellation directe et formelle sur ce point. Qu'il me permette de lui demander quelle est son opinion sur la question des taxes sur les céréales, puisque M. le ministre des finances nous annonce qu’il reprendra cette grande question des céréales et qu'il la reprendra avec ses idées d’aggravation. Quelle sera alors l'attitude de l'honorable M. Van de Weyer ?
En un mot, quelle est son opinion, quel est son programme sur la question des céréales ? Qu'en pense-t-il lui qui, pendant quinze ans, a vu fonctionner les lois admises en Angleterre où elles ont produit en partie toutes les misères du paupérisme qui agitent ce pays et menacent sa sécurité. Aurait-il le triste courage de déserter sur ce point les idées libérales et d'importer ici des mesures qui menacent le plus fortement la paix publique en Angleterre ?
Sa réponse nous permettra d'apprécier ses doctrines et ses tendances sur un problème plus important que toutes les questions ministérielles du monde, celui des subsistances publiques et de l'alimentation des classes les plus nombreuses.
Déjà M. le ministre, je regrette de devoir le rappeler, nous a donné une assez fâcheuse opinion de son respect pour la légalité. Le premier acte de son ministère, c'est la violation de la loi ; le fameux arrêté du 5 septembre, c'est la violation et la violation la plus flagrante de la constitution.
Je sympathise de tout cœur, sans doute, avec quelques-unes des dispositions de cet arrêté ; mais il m'est impossible de ne pas protester, au nom des principes et de nos droits, contre l'illégalité dont cet arrêté est entaché.
On veut la justifier, cette illégalité, en invoquant les circonstances. « Les circonstances ! » mot vague et commode qui sert d'excuse habituelle a tous les actes d'arbitraire.
Mais ces circonstances existaient plus impérieuses, plus menaçantes encore il y a un mois. Dans le courant d'août, on n'avait pas à craindre seulement la perte de la récolte des pommes de terre, on a eu pendant quelques jours les craintes les plus vives sur la récolte des céréales elles-mêmes. Les pluies tombaient en abondance et semblaient devoir nous ramener les malheurs et les souffrances de cette année de sinistre mémoire, de l'année 1816. C'est alors qu'il fallait agir et convoquer immédiatement les chambres. En prenant cette mesure, le ministère eût fait preuve de sollicitude pour l'alimentation des populations et pour les exigences de la légalité.
Eh bien, alors que les inquiétudes étaient les plus vives et les circonstances si impérieuses, le ministère se renferme dans une impassible immobilité. Il ne convoque pas les chambres ; il ne prend pas même le parti de refuser hautement et franchement la sanction royale aux aggravations sur les céréales ; il laisse planer cet épouvantail sur le commerce dont il paralyse ainsi les principales spéculations pendant plusieurs semaines.
Je n'en dirai pas davantage sur ce point. Quelque grave que puisse être une question de légalité, nous sommes en présence d'une question bien autrement pressante, une question de subsistances. Il nous faut rechercher et rechercher à l'instant les moyens d'assurer la subsistance de nos populations et de détourner d'elles toutes les misères, toutes les calamités de la disette et de la famine.
Et quels moyens propose le gouvernement pour détourner de notre pays de tels malheurs ?
Des moyens insignifiants, sans portée, sans influence, et qui ne font, en partie, que consacrer ce qui déjà existait.
(page 19) Oui, messieurs, ces moyens annoncés avec tant d'étalage et pour l'adoption desquels on a cru devoir violer et la loi et la Constitution, ces moyens ne sont, en définitive, sous plusieurs rapports, que la reproduction du statu quo. Je vous en fais juges, messieurs.
Quelle est la plus importante des mesures adoptées par le ministère ? La libre entrée des céréales. Mais à l'époque de la promulgation de l'arrêté royal du 5 septembre, l'entrée des céréales n'était-elle pas libre en Belgique, par hasard ? Elle l'était, et elle l'était non pas en vertu de l'octroi ministériel, mais de la loi de 1831 elle-même. On a donc fait beaucoup de bruit pour confirmer purement et simplement le statu quo.
A cette mesure parfaitement inutile en fait, le ministère a joint la prohibition de la sortie des pommes de terre et du sarrasin. A quoi bon ? Je vous le demande. Prohiber la sortie des pommes de terre ! Mais pour en prohiber la sortie, il aurait fallu qu'elles existassent, et chacun sait où en est la récolte dans ce pays. Nulle part l'épidémie n'a sévi avec plus de violence ; loin de pouvoir faire des largesses aux peuples voisins, nous étions de ce chef leurs tributaires. L'exportation n'avait donc rien à faire ici, et nous n'avions rien à en craindre.
L'exportation ! Mais c'est à peine si elle existe pour la Belgique, même dans les années d'abondance. Un fait malheureusement établi jusqu'au dernier degré d'évidence, c'est l'insuffisance de nos récoltes pour les subsistances de nos populations. Et c'est en présence de cette insuffisance qu'on vient prendre l'initiative des hostilités, ternir nos rapports avec les autres peuples et les provoquer à des représailles par des mesures d'agression !
Mais que deviendrait la Belgique, si les autres peuples, répondant à nos provocations, nous refusaient en ce moment les subsistances sans lesquelles une partie de la population serait condamnée à mourir de faim ?
Ce n'était donc pas une politique d'antagonisme et de guerre qu'il fallait proclamer en cette circonstance ; c'était une politique de sympathie, d'humanité et de fraternité.
Loin de déclarer, à la face de l'Europe, que les peuples, au lieu de s'unir et de s’entraider dans des époques de crise et de famine, doivent se nuire, se repousser et s'affamer ; il aurait été plus digne de la Belgique et de son gouvernement de proclamer, en ce cas, la loi d'une généreuse solidarité entre tous les peuples. Les intérêts du pays eussent ici été d'accord avec ses sympathies.
Vous voyez donc bien, messieurs, que jusqu'ici les mesures adoptées par le gouvernement sont sans efficacité, sans intérêt, sans utilité réelle, et que peut-être même elles ne sont pas sans danger.
N'en sera-t-il pas de même du vote de confiance qu'il vient réclamer de nous pour le crédit de deux millions qu'on lui accorde ? Il vient nous demander deux millions. Pourquoi ? Qu'entend-il en faire ? Quels sont ses plans, ses projets, son but ? Est-ce pour distribuer des subsides ou des primes ? Est-ce, au contraire, pour faire des spéculations et des actes de commerce ? Nous l'ignorons et, en ce moment sans doute, le ministère lui-même n'en sait pas davantage. Quoi qu'il en soit, il réclame deux millions. C'est précisément, ainsi qu'on vous la dit, de quoi fournir à la subsistance de toute la population pour un demi-jour seulement.
Il ne faut donc pas se faire illusion et croire que les mesures ministérielles feront disparaître, comme par enchantement, les menaces de disette qui planent sur le pays en ce moment. Toutes les denrées alimentaires ont subi une hausse exorbitante ; on vient d'en dérouler devint vous l'effrayant tableau. Eh bien ! cette hausse se maintiendra ; malgré les dispositions que nous allons voter, elle augmentera peut-être encore. Et alors, je le demande, comment les classes ouvrières, comment les classes pauvres, comment toutes les classes de la société qui ont à peine le nécessaire dans les moments d'abondance, comment pourront-elles lutter et contre la cherté des vivres et contre les besoins de toute nature qui vont les assaillir ?
Sera-ce à l'aide d'un accroissement de salaire ? Il serait vivement à désirer sans doute que, pour traverser ce temps d'épreuve, les salaires pussent être augmentés et mis en rapport avec le prix des subsistances. Mais il ne nous appartient pas de fixer législativement, en ce moment, le taux des salaires. Loin d'augmenter, peut-être, dans ce temps de crise, auront-ils à subir une réduction nouvelle. Dans les moments de disette, quand le prix des subsistances est élevé, la consommation se restreint, le travail en ressent le contrecoup, et parfois il fait défaut à l'ouvrier qui lui demande vainement son dernier moyen d'existence.
Heureusement nous avons en ce moment la ressource de ces grands travaux d'utilité publique qui sollicitent de toutes parts l'activité des populations. C'est là une grande ressource, je m'empresse de le reconnaître. Mais l'hiver viendra avec ses rigueurs ; il viendra pour interrompre tous ces travaux dans le moment où les besoins des classes ouvrières seront le plus pressants et où les privations qu'elles ont à subir seront le plus dures et les plus douloureuses.
Quelle ressource leur restera donc ? La dernière des ressources, celle de la bienfaisance publique, nous disait encore il n'y a qu'un instant l'un de nos plus honorables collègues, M. Delfosse. La bienfaisance publique, c'est la charité ! Loin de moi d'en étouffer les élans généreux. Mais la charité, c'est l'aumône, toujours l'aumône. L'aumône, je la comprends pour les classes malheureuses qui n'ont pas d'autres ressources et qui sont réduites à la pénible nécessité de demander le pain et l'existence à la bienfaisance publique et individuelle. Mais l'aumône pour l'ouvrier intelligent et courageux, l'aumône pour l'ouvrier qui se respecte et qui ne veut dépendre que de ses bras et de son travail, l'aumône pour lui c'est la plus désolante de toutes les ressources ; c'est la honte, c'est l'humiliation, c'est une sorte de dégradation sociale. Épargnons la-lui donc cette honte, car il est donné à peu d'hommes de s'en relever. Oui, messieurs, et c'est la une triste révélation à faire, l'expérience nous prouve que quand une famille a été portée une fois sur les tables de la bienfaisance publique, il lui est bien difficile, impossible presque de s'en faire rayer et d'en revenir à la dignité, à l'indépendance du travail. Craignons donc, messieurs, craignons de rejeter tout le fardeau, sur la charité publique et privée, et de développer ainsi le paupérisme. C'est là en effet que réside le germe de tous les malheurs, de tous les dangers qui peuvent menacer notre état social.
Serait-il donc vrai, messieurs, qu'il n'y aurait pas d'autre moyen de venir en aide aux classes ouvrières pendant la crise que nous allons traverser ? Le problème est difficile, sans doute, mais ce serait douter de la providence des peuples que de le croire sans solution.
Déjà l'on nous a parlé de la nécessité d'étendre au bétail la disposition qui autorise la libre entrée des principales denrées alimentaires. J'adopte avec empressement cette proposition. Il y a de l'inconséquence, en effet, à frapper d'un droit prohibitif le bétail, quand on admet la libre entrée des céréales. Les deux questions se fondent et se présentent devant vous avec un caractère d'unité et d'indivisibilité. Tout se tient et se lie en matière de subsistances. La cherté de la viande réagit sur le pain et la cherté des céréales réagit à son tour sur la viande.
N'oubliez pas non plus, messieurs, que s'il est une partie des classes ouvrières et des classes pauvres auxquelles la misère interdit l'usage de la viande, il est des industries qui exigent un tel déploiement des forces musculaires, que l'ouvrier ne pourrait y résister sans une nourriture plus substantielle. Je vous citerai pour exemple l'industrie des mines, des usines métallurgiques, des verreries. C'est donc frapper spécialement ces classes ouvrières dans leurs moyens de subsistance, c'est frapper indirectement toutes les classes de la population, que de maintenir les droits exorbitants qui grèvent en ce moment l'un des aliments principaux de l'alimentation publique.
J'espère que sur ce point la chambre sera plus conséquente que le ministère, et qu'au lieu de mutiler misérablement la grande et redoutable question des subsistances, elle placera l'introduction du bétail sur la même ligne que l'introduction dus céréales, et qu'elle leur accordera la même faveur.
Un moyen plus décisif encore peut être pour venir en aide à la misère des classes nécessiteuses, c'eût été de supprimer, de suspendre du moins toutes les charges fiscales qui pèsent sur elles ; taxes sur le sel et les denrées alimentaires ; taxes sur les boissons, octrois communaux sur les liquides et les subsistances. Toutes ces taxes, en effet, retombent surtout sur les classes ouvrières et sur les familles les plus nombreuses, et qui ont le plus de besoins et le moins de ressources.
Mais comment, s'est écrié un honorable député de Verviers, comment supprimer toutes ces ressources quand l'Etat et les villes sont à la veille de devoir s'imposer de nombreux et de lourds sacrifices ? Que l'honorable membre se rassure : quand on demande la suspension des octrois et des taxes sur la consommation, c'est à la condition de chercher ailleurs d'autres sources de revenus ; c'est à la condition de remplacer les impôts les plus impopulaires par des taxes modérées et équitables.
N'est-il pas arrivé à l'honorable membre lui-même de trouver qu’on pouvait améliorer notre situation financière par de nouveaux impôts ? Et sans passer en revue toutes les matières imposables que la richesse possède, je me contenterai d'appeler pour la vingtième fois peut-être, l'attention du gouvernement sur la nécessité d'établir aussi dans ce pays la taxe sur le revenu. Cette fois, du moins, j'espère être appuyé dans ma réclamation par l'honorable ministre de l'intérieur. Il a vu du près l’income-tax, et a pu en apprécier et le mécanisme et l'équité. C'est l'une des créations les plus élevées du grand homme d'Etat qui gouverne en ce moment l'Angleterre ; et c'est par de tels actes qu'un ministre s'élève même dans l'estime de ses adversaires et qu'il finit par conquérir la sympathie publique.
Mais les circonstances nous dominent et nous pressent, je le reconnais ; elles ne nous permettraient pas aujourd’hui l'adoption d'un nouveau régime financier. Je me contenterai donc, en terminant, de recommander au gouvernement le moyen qui serait le moins onéreux à l'Etat, en même temps qu'il serait le plus utile peut-être aux classes ouvrières.
Ce serait, non pas seulement d'autoriser les conseils communaux et les administrations de bienfaisance, ce serait de les provoquer, de les pousser à acheter successivement des denrées alimentaires et le combustible pour les revendre ensuite aux classes ouvrières au prix coûtant ou à un taux inférieur. Pour cet objet l'Etat devrait pouvoir, au besoin, leur faire des avances et, s'il y a lieu, leur accorder des subsides.
Là, en effet, est l'une des causes principales du malaise des classes ouvrières. Elles ont à peine le nécessaire, et le nécessaire presque toujours elles doivent le payer beaucoup plus cher que sa valeur réelle. Condamnées à vivre au jour le jour, elles doivent aussi faire leurs a quittions au jour le jour et successivement par fractions insignifiantes. Et c'est ainsi qu'elles payent en détail le double et parfois le triple de la valeur des objets qu'elles consomment.
Ne serait-ce pas un immense bienfait que de les soustraire à ce tribut exorbitant prélevé sur leur misère ?
Déjà des industriels ont pris à cet égard une généreuse initiative. Ils se sont chargés d'acheter en gros des substances alimentaires qu'ils revendent en détail et au prix coûtant a leurs ouvriers. Que les conseils communaux, que toutes les administrations publiques suivent cet exemple, et l'on aura apport », au malaise des classes ouvrières, le plus grand soulagement peut-être qu'il soit possible de leur donner dans ces jours de pénible épreuve.
Ces mesures adoptées, il ne faudra pas s'endormir dans une fausse sécurité (page 20) et croire qu'il ne reste rien à faire. Les événements nous ont donné une grande leçon. Puisse-t-elle porter ses fruits ! Tous les partisans des taxes sur les céréales et M. Malou lui-même, j'espère, renonceront à leur projet d'aggravations. Nous emporterons, tous, de cette session, quelque courte qu'elle ait été, la pensée qu'il y a lieu de s'occuper plus activement que jamais des moyens d'assurer les subsistances des populations, et surtout d'améliorer la condition des classes inférieures. C'est vers ce but que sont dirigées, en ce moment les préoccupations de l'esprit public. Il faut espérer que de ce vaste travail intellectuel sortiront enfin des projets de réforme d'une approbation immédiate ; en donnant aux classes populaires des preuves de la sollicitude de la puissance publique, on écarte de la société les dangers qui pourraient la menacer aux époques de malaise et de crise. Répandre le travail et le bien-être au sein des populations, n'est-ce pas donner à l'ordre public sa plus puissante garantie ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, dans la chaleureuse improvisation de l'honorable membre qui vient de prendre la parole, plusieurs interpellations ont été adressées au ministre de l'intérieur. Quelque dangereux qu'il soit en principe de répondre instantanément sur des questions aussi graves que celles qu'il a soulevées, quelque désir que j'ai même d’établir sous ce rapport des règles dont l'observation a été reconnue utile, nécessaire dans toutes les assemblées délibérantes, c'est-à-dire qu'en interpellant le pouvoir on lui donne 24 heures au moins pour répondre à la chambre ou sans trop de précipitation ou s'en s'être concerté ; je n'en répondrai pas moins immédiatement à la question qui m'a été faite, et je dirai à l'honorable préopinant que c'est l'exemple même de l'Angleterre que j'invoquerai pour le réfuter, car l'honorable préopinant n'ignore pas que sur cette grave et importante question des céréales, les hommes d'Etat les plus éminents de l'Angleterre sont partagés entre eux. Je ne dissimule pas que la législation actuelle me paraît susceptible d'améliorations et de modifications. On a dans toute la discussion interprète les paroles de mon honorable collègue M. le ministre des finances, comme s'il venait déclarer positivement à la chambre qu'au retour d'une année normale il reproduirait textuellement la loi dont la non-promulgation vient d'être décrétée. Messieurs, les paroles de mon honorable collègue n'ont pas cette portée. Il vous a déclaré ce que tout homme sage, ce que tout homme d'Etat doit déclarer, après qu'il a approfondi la situation des choses ; il vous a annoncé que toute la question serait de nouveau soumise à vos délibérations. Et la nécessité d'un pareil examen est tellement sentie, qu'en parlant de l'étal actuel des choses, c'est-à-dire de la loi qui gouverne les céréales en ce moment, l'honorable préopinant a reconnu lui-même que cette loi était mauvaise à son sens. Eh bien ! lorsque la discussion générale sur cette question aura lieu, l'honorable membre aura occasion de développer ses théories, de les opposer aux principes posés par M. le ministre des finances, et de cette manière la question sera envisagée sous toutes ses faces et dans ses rapports avec les intérêts du pays.
Il n'y a donc pas ici d'engagement pris, d'engagement annoncé de reproduire la loi qui n'a pas été promulguée et qui ne le sera point.
Je pense, messieurs, que l'honorable préopinant n’a pas adressé sérieusement au gouvernement le reproche d'avoir tardé à prendre les mesures de précaution consignées dans l'arrêté du 5 septembre. Le fait est que dans les premières semaines après la formation du ministère, les renseignements qui lui parvenaient sur la récolte des pommes de terre, quelles que fussent les inquiétudes vagues qui régnassent dans les esprits, étaient tels, qu'un des agronomes les plus distingues du pays m'écrivait, à la date du 5 août, qu'il n'y avait rien à craindre sur les résultats, que lorsque les fanes étaient attaquées, les tubercules ne l'étaient pas et qu'il y avait certitude même d'une récolte normale et ordinaire. Dix jours après, des renseignements de même nature me parvenaient encore. Mais quelques jours après, tant étaient rapides les progrès et la maladie, les rapports étaient subitement changés.
C'est alors, messieurs, que le gouvernement, éclairé par ces rapports, s'est adressé à tous les gouverneurs.il tous les hommes capables de lui transmettre des renseignements, et qu'appréciant la gravité et l'étendue du mal, il a pris sous sa propre responsabilité ces mesures dont la légalité n’est sans doute attaquée ici que pour la forme ; car d'un autre côté l'honorable membre nous reproche de ne pas avoir pris plus tôt ces mesures illégales.
M. Castiau. - Non, mais de n'avoir pas plus tôt convoqué les chambres.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Il serait résulté de la convocation immédiate des chambres que nous aurions communiqué à la représentation nationale les doutes qui régnaient dans tous les esprits. Or, je le demande, un gouvernement a-t-il jamais convoqué la législature pour venir déposer devant elle de simples doutes, ou des craintes ?
Du moment que ces doutes ont disparu, que la réalité a été constatée, des mesures ont été arrêtées. Elles ont été prises, je le pense, courageusement, comme l'a reconnu l'honorable M. Verhaegen. Car ce député a approuvé les mesures qui ont été prises par le gouvernement.
Le jour même où le gouvernement du Roi, dépassant les pouvoirs dont il est revêtu, a proposé l'adoption d'un acte illégal, il a reconnu, en même temps, la nécessité de convoquer les chambres et de venir le lui soumettre. Je pense que, sous ce rapport, il n'y a aucun reproche à nous adresser.
Une observation que l'honorable membre a faite également et à laquelle il est, je pense, utile de répondre en quelques mots, c'est celle qui porte sur la prohibition à la sortie des pommes de terre.
L'honorable membre pense que cette mesure était inutile et, qu'en tous cas, elle était illusoire. Mais il ignore qu'à l'époque où l'arrêté du 7 septembre a été publié, la récolte des pommes de terre blanches, des pommes de terre hâtives était-il bonne et abondante, et qu'un des premiers devoirs du gouvernement était d'empêcher la sortie de ces pommes de terre hâtives, seule nourriture que le peuple ait encore jusqu'au mois d'octobre ou de novembre. Qu'aurait dit l'honorable préopinant, si cette mesure n'eût pas été prise, et que des spéculateurs étrangers, sachant que cette partie de la récolte avait réussi, étaient venus nous l'enlever ? C'est alors qu'une grave responsabilité aurait pesé sur le gouvernement Quant à la crainte que des gouvernements étrangers n'usent de représailles. elle est chimérique. Il y a plus de six semaines que cet arrêté a été pris, et jusqu'à présent il n'est venu dans la pensée d'aucun gouvernement d'user de représailles.
Notre but a donc été atteint, et il l'a été non seulement pour les pommes de terre, mais également pour le sarrasin ; car l'argument de l'honorable préopinant peut s'appliquer aussi au sarrasin ; mais il s'est bien gardé de reprocher au gouvernement d'en avoir prohibé la sortie. C'est que l'honorable membre savait fort bien que d'immenses marchés avaient déjà été contractés avec l'étranger et qu'il y avait les craintes les plus vives de voir sortir le sarrasin du pays.
Je ne pense pas non plus, messieurs, que ce soit sérieusement que l'honorable préopinant a demandé au gouvernement du Roi de supprimer les octrois des villes. J'avoue que je ne suis pas prêt à accepter la responsabilité d'une pareille mesure, et je crois que la chambre n'exigera pas de moi que j'entre même dans la discussion et dans les détails de cette proposition incidente, qui a été jetée plutôt que discutée dans l'éloquent discours de l'honorable préopinant.
M. Castiau. - C'est une proposition de votre prédécesseur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Ce serait une mesure bien inopportune que de supprimer les octrois des villes, alors que celles-ci vont devoir s'imposer des sacrifices considérables pour subvenir à l'alimentation de leurs habitants. Je crois que l'honorable préopinant n'a pas assez réfléchi aux conséquences d'une semblable mesure.
Il a exprimé les meilleures intentions pour soulager les classes moyennes ; mais il est du devoir du gouvernement de ne pas se laisser entraîner par ces élans de philanthropie, qui le porteraient à prendre des mesures directement contraires au but qu'il se propose, qui finiraient précisément par nous enlever les moyens que nous avons à notre disposition pour subvenir à l'alimentation du peuple.
J'en dirai autant, messieurs, de la suppression des taxes que l'honorable membre a nommées impopulaires. Je ne sache pas qu'une seule taxe soit populaire jusqu'à présent et ce principe une fois admis entraînerait le gouvernement du Roi plus loin que l'honorable préopinant ne voudrait aller lui-même.
Il est inutile, messieurs, de prolonger de beaucoup cette discussion, et la parole ne m'a été donnée que pour répondre à l'interpellation de l'honorable préopinant. Je saisirai cependant cette occasion pour dire un mot relativement à la réserve faite par quelques membres qui ont déclaré que s'ils accordaient les deux millions demandés, ce vote n'entraînait pas de leur part un vote de confiance dans le ministère dont ils n'approuvaient ni la formation ni la politique. Les honorables députés qui se sont exprimés de la sorte, c'est-à-dire qui ont senti le besoin de ne pas poser la question sur le terrain politique, ces honorables députés ont ainsi donné une preuve évidente qu'ils ont le sentiment des besoins réels qu'éprouve en ce moment le pays. Les réserves qu'ils ont faites sont l'expression de l'état normal de toute opposition et le gouvernement du Roi ne lui demandera point d'y renoncer. Il est tout naturel qu'un ministère qui s'est formé depuis la séparation des chambres, qui n'a point eu d'occasion régulière d'exposer ses principes, soit tenu par l'opposition dans une espèce de suspicion. J'irai même plus loin que l'honorable préopinant : je dirai que c'est là l'accomplissement d'un devoir pour les membres de l'opposition. L'occasion d'exercer leur droit de contrôle se présentera naturellement et légitimement lorsqu'à l’ouverture de la session ordinaire le gouvernement du Roi viendra, dans un discours de la couronne, développer aux chambres les mesures qu'il se propose de prendre.
Si cependant les honorables membres auxquels je réponds n'avaient point eu le sentiment des véritables besoins que le pays éprouve en ce moment et s'ils avaient porté la discussion sur le terrain politique, le gouvernement du Roi n'aurait point recule devant cette discussion, mais nous pensons comme les honorables préopinants, que cette discussion aurait été intempestive : elle aurait fait traîner en longueur l'examen d'une loi que nous avons tous hâte de voir sanctionner, et lorsque les chambres se sont réunies si promptement pour s'occuper de cette loi, ni l'opposition, ni le ministère ne devaient être impatients de se livrer à des débats qui auraient été stériles en ce moment. C'est assez dire, messieurs, que nous reconnaissons à l'opposition le droit de se tenir dans cet état de réserve dont nous ne chercherons pas à la faire sortir.
M. Osy. - Messieurs, il me reste quelques mots à répondre à l'honorable ministre des finances. L'honorable ministre des finances nous a dit que si nous ne défendions pas l'exportation des céréales, elles pourraient nous être enlevées par suite des besoins qu'éprouvent les pays voisins, mais l'honorable ministre des finances a perdu de vue qu'aux termes de la loi de 1834, les céréales auraient été prohibées à la sortie sans qu'il fût besoin d'une disposition nouvelle. J'aurais donc voulu qu'on ne parlât pas d'une prohibition qui aura lieu de fait, afin de ne pas entraver les opérations commerciales. Voilà sous quel rapport je ne suis pas d'accord avec les honorables membres qui ont parlé tantôt.
L'honorable M. Eloy de Burdinne, que je regrette de ne pas voir en ce moment dans cette enceinte, a accusé, encore aujourd’hui, le commerce de spéculer sur la misère publique ; mais, comme j'ai eu l'honneur de le dire, (page 21) en présence de la loi du mois de mai le commerce a fait tout ce qu'il a pu pour amener le plus de céréales possible en Belgique ; c'est lui qui a pourvu jusqu'à présent à la subsistance du peuple ; on devrait donc lui adresser des remerciements au lieu de l'accuser comme l'a fait l'honorable préopinant.
Je me réserve, messieurs, de prendre de nouveau la parole lorsque nous en serons aux articles, pour développer les divers amendements que j'ai eu l'honneur d'indiquer.
M. Verhaegen. - Messieurs, je dois répondre quelques mots à ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur : l'honorable M. Van de Weyer a reconnu que l'opposition use de son droit lorsqu'elle fait des réserves, il a même consenti à ce qu'il lui en fût donné acte. Cette reconnaissance doit nous suffire, et en nous abstenant pour le moment de toute discussion politique, nous le répétons, nous croyons rendre un véritable service au pays. Mais je ne suis pas d'accord avec M. le ministre quant aux droits de l'opposition en matière d'interpellation que lui entend restreindre : dans aucun pays du monde (et je n'admets aucune exception), lorsque la matière est à l'ordre du jour le ministère ne peut se refuser à répondre immédiatement aux interpellations. C'est surtout pour protester contre l'assertion de M. le ministre de l'intérieur que j'ai pris la parole. Non, dans aucun pays du monde, pas plus en Angleterre qu'ailleurs, le ministère ne peut se refuser à répondre à une question sur un objet à l'ordre du jour ; il peut demander un délai lorsqu'un membre du parlement vient l'interpeller sur un objet étranger à l'ordre du jour ; alors, en Angleterre et ailleurs, usant du droit qu'il a, et en même temps usant de prudence, il demande un délai de vingt-quatre heures pour répondre ; mais, messieurs, lorsque l'objet se trouve à l'ordre du jour, le ministère doit être prêt à discuter tout ce qui s'y rattache.
L'honorable M. Van de Weyer est donc dans l'erreur lorsqu'il prétend que le ministère aurait pu ne pas répondre immédiatement aux interpellations qui lui ont été adressées par l'honorable M. Castiau. D'ailleurs, dans l'espèce je ne comprendrais pas pourquoi M. le ministre aurait besoin de 24 heures pour dire s'il partage, oui ou non, l'opinion de son honorable collègue M. Malou.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - M. Malou n'a pas émis d'opinion.
M. Verhaegen. - L'honorable M. Malou n'a pas émis d'opinion ? Mais il en a émis deux, si pas trois ; car, si ce n'était pas, messieurs, prendre inutilement voire temps, je déroulerais toutes les phases de la discussion précédente. Je dirais quelle a été l'opinion première de l'honorable M. Malou, quelle a été sa deuxième, sa troisième opinion, je dirais aussi comment il est arrivé à mettre le sénat d'accord avec le ministère. Mais je ne veux pas aborder ces détails dans une discussion si importante et en même temps si urgente. Qu'il me soit permis seulement de dire à l'honorable M. Malou qu'il avait, par exemple, une opinion bien arrêtée il y a trois mois, et de lui demander s'il est encore de cette opinion aujourd'hui. Qu'il me soit permis, en outre, de demander à son honorable collègue M. le ministre de l'intérieur, si son opinion à lui est l'opinion de M. Malou d'aujourd'hui, ou bien l'opinion de M. Malou d'il y a trois mois.
Certes, en Angleterre, les hommes d'Etat sont partagés sur la question qui nous occupe, mais tout le monde connaît du moins l'opinion de sir Robert Peel ; et, nous, nous ne pourrions connaître l'opinion de M. Van de Weyer ?
Les hommes d'Etat peuvent être partagés d'avis ; M. Malou peut avoir une opinion, M. Van de Weyer peut en avoir une autre ; mais sans entrer dans la question politique, sans demander au gouvernement son programme, il doit nous être permis au moins de demander aux ministres qui sont devant nous compte de leur opinion respective sur la question spéciale qui s’agite. Il nous importe de la connaître, il importe surtout au pays de savoir à quoi s'en tenir. Il faut tranquilliser le pays ; car la loi que nous sommes appelés à voter doit avoir non seulement un effet matériel, mais aussi un effet moral ; je dirai même qu'elle doit avoir surtout un effet moral. Il faut tranquilliser les populations, et on ne peut pas atteindre ce but en parlant comme vient de le faire M. le ministre des finances.
Je le répète, messieurs, c'est un effet moral que nous avons surtout à attendre de la loi ; et, dès lors, mon honorable ami, M. Castiau, avait le droit de faire ses interpellations à MM. les ministres, et MM. les ministres ne pouvaient pas se dispenser d'y répondre.
En terminant, qu'il me soit permis de le dire, dans tout le discours de M. le ministre de l'intérieur, je n'ai trouvé que des paroles et rien que des paroles, je n'y ai trouvé aucune idée positive.
Je reprends donc l'interpellation de mon honorable ami M. Castiau, et je viens demander à M. le ministre de l'intérieur de nous dire franchement, ; s'il est oui ou non de l'avis de son collègue, M. le ministre des finances, sur la question des céréales dont il s'agit aujourd'hui.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, en répondant à \ l'honorable préopinant, je vais avoir l'honneur d'exprimer une opinion qui l'étonnera peut-être ; c'est que je suis complétement de son avis ; le ministre, interpellé sur la question qui est à l'ordre du jour, doit à la chambre et se doit à lui-même de répondre immédiatement, attendu que ce ministre doit être suffisamment préparé pour satisfaire aux interpellations de la chambre.
Mais je demande à l'honorable préopinant si la question à l'ordre du jour est la question des céréales ; si c'est la question de l'abolition des octrois ; si c'est celle de l'income-tax ; si c'est enfin celle d'un système complet de taxes, de finances, sur lequel je viendrais improviser une réponse, à la première interpellation qui me serait jetée dans un discours également improvisé. Je crois qu'il y aurait, de ma part, peu de respect pour la chambre, si je répondais à des interpellations de cette nature. La question qui est actuellement soumise aux délibérations de cette assemblée, n'est pas celle de savoir si la loi des céréales sera modifiée de telle ou telle manière, si mes opinions sur ces modifications sont déjà arrêtées. Cette question n'est pas à l'ordre du jour ; lorsque, plus tard, nous présenterons à la chambre l'exposé complet des mesures qui seront soumises aux délibérations de la législature, la représentation nationale saura quelle est, à cet égard, non pas l'opinion du ministre de l'intérieur ou du ministre des finances, mais la pensée du cabinet.
M. de Theux, rapporteur. — Messieurs, proclamer la liberté d'entrée des denrées alimentaires à des époques calamiteuses, en interdire la sortie, ce sont là des mesures que les divers gouvernements qui se sont succédé en Belgique n'ont jamais manqué de prendre, et que l'expérience a toujours pleinement justifiées.
Ces mesures sont aussi l'objet principal du projet de loi du gouvernement, projet qui a été adopté par toutes les sections et par la section centrale.
Il me suffira de remonter à une époque qui n'est pas trop éloignée de nous, qui est encore présente au souvenir de plusieurs d'entre nous ; je veux parler de l'époque de 1816 et de 1817. Alors aussi il y eut dans le pays une pénurie de céréales qui produisit dans le pays les mêmes effets qu'y produit aujourd'hui le manque de la récolte des pommes de terre.
Le gouvernement des Pays-Bas, quelque partisan qu'il fût de la liberté illimitée du commerce, commença par prohiber la sortie du blé sarrasin et des pommes de terre. Ces mesures furent insuffisantes : le commerce s'empara des céréales et en fit de fortes exportations. Dès lors, le prix des blés s'éleva à un taux si excessif, que le gouvernement fut forcé, dès le commencement de 1817, d'en interdire l'exportation, et de faire opérer, pour son compte, des achats considérables à l'étranger à des prix exorbitants, ce qui occasionna une grande charge aux communes auxquelles le gouvernement envoya des dépôts de céréales.
Après une semblable expérience, il serait de la plus haute imprudence de permettre la libre sortie des céréales, alors que le manque de la récolte des pommes de terre est aujourd'hui notoirement constaté.
Des mesures semblables furent également prises en 1S30 par le gouvernement provisoire, et elles sortirent leurs effets jusqu'en 1832. Au commencement de 1839, le gouvernement proposa des mesures analogues aux chambres qui les adoptèrent ; ces mesures furent renouvelées à la fin de la même année.
Voilà donc des expériences nombreuses ; elles ont été pleinement justifiées, car, par suite de l'interdiction de la sortie des céréales, le prix des blés a successivement baissé, au lieu de continuer à s'élever progressivement, comme il n'eût pas manqué de le faire, si la libre exportation eût été permise.
A propos d'une discussion aussi grave, dans l'intérêt du pays, je regrette véritablement qu'on ait cru devoir s'occuper des discussions qui ont eu lieu dans la session dernière et qui avaient pour objet de modifier la loi de 1834 sur les céréales. Les propositions qui furent soumises, à cette époque, soit au sénat, soit à la chambre des représentants, avaient pour but de corriger les défectuosités de la loi de 1834 et d'établir un régime plus régulier à l'égard des céréales. Ces mesures étaient essentiellement distinctes de celles que l'on prend à des époques calamiteuses.
Ainsi, messieurs, nonobstant que nous avions pris part comme membre de la chambre, à la loi de 1834, nous avons, en 1839, à deux reprises différentes, proposé une dérogation à cette loi en faveur des consommateurs, parce que des circonstances spéciales, extraordinaires l'exigeaient. Telle était aussi la pensée qui dirigeait les auteurs des amendements qui avaient été présentés, soit dans le sein du sénat, soit dans cette chambre, au système général de la loi de 1834 ; jamais il n'a été dans leur intention de pourvoir, par ces dispositions, à une situation tout à fait extraordinaire comme celle où nous nous trouvons ; dans des circonstances semblables, ce n'est que par des lois spéciales qu'on peut faire face aux besoins du pays.
La preuve que notre intention ne fut jamais d'amener le renchérissement des denrées alimentaires, c'est la manière dont nous nous sommes exprimé dans la séance du 5 mai dernier ; nous disions :
« Quelle a été la moyenne du prix des céréales en France pendant la période de 1835 à 1844 ? Le prix du froment a été de 18 francs 97 centimes. Or, messieurs, la proposition que nous avons faite n'était que l'établissement en Belgique du système qui régit la France ; de sorte, que la moyenne de 18 fr. 97 c, soit 19 fr., est celle que nous avons voulu atteindre. Ici, remarquez-le bien, c'est la moyenne des quatre zones. Quant à la troisième zone, celle qui comprend le département du Nord, le prix a été de 18 72. Ainsi la différence entre le prix de la troisième zone et la moyenne des quatre zones n'est que de 25 c. par hectolitre. Vous voyez donc que notre proposition n'a, en ce qui concerne le froment et le seigle, rien d'exorbitant. »
Ainsi, messieurs, la moyenne que nous voulions atteindre était de 19 fr., et non de 22 à 24 francs, comme l'a prétendu un honorable préopinant. Nous serions le premier à repousser un système qui tendrait à amener le prix normal du froment à 22 ou à 24francs.
Nous ne reviendrons pas sur le motif qui avait provoqué cette proposition ; nous étions en présence des opérations qui avaient été faites en 1844 contre l'esprit de la loi de 1834, opérations dans lesquelles on avait même éludé le texte.
Il est inutile, du reste, de s'appesantir sur cette proposition, puisqu'elle n'a pas été discutée dans cette enceinte. La proposition qui a été adoptée par les chambres est celle qui était émanée du sénat, et qui consacrait purement des mesures temporaires et relatives aux circonstances.
(page 22) L'on a dit que la proposition que les chambres ont adoptée et qu'on a aujourd'hui critiquée avec beaucoup de légèreté, me semble-t-il, était tout à fait intempestive. Cette assertion me paraît dénuée de tout fondement. En effet, la récolte des pommes de terre ne manque presque jamais en Belgique ; mais je tiens pour certain que si cette année la récolte des pommes de terre eût été aussi abondante qu'elle l’est dans les aimées communes, le prix du froment serait tombé à 14 ou 15 francs, et alors, messieurs, vous auriez eu une situation tout opposée à celle que nous avons aujourd'hui.
Aujourd'hui, nous sommes le premier à déplorer la cherté des vivres. Mais à quoi faut-il attribuer cette cherté ? Est-ce à la discussion d'une loi qui n'a pas été sanctionnée ? Nullement, cette cherté ne doit être attribuée qu'à l'influence de la saison, ou peut-être à d'autres causes, s'il faut en croire les naturalistes qui se sont occupés de la question ; mais dans tous les cas, la maladie des pommes de terre n'est pas plus la conséquence de la loi qui a été votée par les deux chambres, que la saison pluvieuse de 1816 n'était la suite de la législation qui régissait les céréales sous le gouvernement des Pays-Bas.
Il serait aussi absurde d'attribuer la situation actuelle à la proposition qui a été votée par les deux chambres, qu'il l'eût été d'imputer au gouvernement des Pays-Bas les pluies abondantes de l'année 1816.
Il est vrai qu'on a dit qu'à l'époque de la discussion de cette proposition, il y avait commencement de hausse sur les blés. Aussi, n’a-t-on pas eu pour but d'amener une hausse, mais d'empêcher qu'au moyen d'une hausse factice, on n'amenât dans le pays une quantité exorbitante de blés étrangers ; que, la récolte venant à réussir, il n'y eût plus tard un avilissement extraordinaire dans le prix des blés ; que la situation déjà pénible du cultivateur n'empirât encore, et que l'abaissement da prix des propriétés foncières ne continuât à faire des progrès, au détriment, non seulement de l'agriculture, mais encore du commerce et de l'industrie, car en définitive la prospérité de ces trois branches de notre richesse se lie intimement, et ne peut être séparée qu'au grand préjudice du pays.
Nous savons que toute proposition relative au règlement du commerce des céréales trouvera toujours de nombreux adversaires dans le haut commerce. Et en effet, toute loi de cette nature apporte des entraves au commerce, diminue ses bénéfices ; car plus il y a liberté, plus les opérations commerciales tout nombreuses, et plus il y a bénéfice pour le haut commerce.
Ce sont là des vérités triviales ; nous sommes loin de trouver mauvais que le commerce réalise des bénéfices légitimes, mais nous pensons que l'intérêt agricole, l'intérêt alimentaire doivent l'emporter sur cet intérêt-là quand ils se trouvent en opposition. Dans ce moment encore, c'est au nom du commerce que l'on critique l'interdiction de la sortie des subsistances, maigre l'expérience fâcheuse que l'on fit en 1816 de la libre sortie, et l'expérience avantageuse de l'arrêté du gouvernement provisoire en 1830 qui a interdit la sortie, mesure que les lois de 1839 ont renouvelée avec le même avantage.
Il a été fait quelques observations de détail relativement au rapport, nous croyons que ce n'est pas le moment de les rencontrer ; la discussion des articles nous en fournira une meilleure occasion.
Une autre question très-importante a été soulevée, c'est relativement au bétail. Comme elle se représentera aux articles premier et 5, je pense qu'il vaut mieux réserver les observations que j'ai a faire pour le cas où une proposition serait faite, et ne pas les confondre dans la discussion générale.
Je bornerai là nies observations, car la discussion générale a déjà été assez étendue, et beaucoup d'observations pourront se produire plus utilement dans la discussion des articles.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Plusieurs honorables membres ont engagé le gouvernement à prendre les mesures nécessaires, pour donner du travail aux classes laborieuses pendant cet hiver. Avant d'aborder la discussion des articles, je pense qu'il ne sera pas inutile de donner quelques explications à cet égard.
Je crois pouvoir annoncer que, pendant l'hiver, il y aura beaucoup plus de travaux pour la construction de voies de communication qu'à aucune autre époque. Ces travaux consisteront en construction de routes nouvelles et de quelques canaux, en travaux à exécuter aux chemins de fer de l'Etat et, je l'espère, aux chemins de fer concédés à la fin de la session dernière.
Quant aux routes de l'Etat, vous le savez, déjà un grand nombre sont en cours d'exécution, et j'ai pris des mesures pour que les entrepreneurs soient amenés à faire travailler pendant l'hiver. Indépendamment de ces routes, il en est qui sont en instruction, c'est-à-dire, dont les projets sont entre les mains, soit des ingénieurs, soit des administrations provinciales, soit du conseil des ponts et chaussées. J'ai engagé ces administrations et ces ingénieurs à me faire parvenir le plus promptement possible ces projets, et j'en hâterai l'examen autant qu’il dépendra de moi.
J'ai lieu de croire que la plupart de ces routes nouvelles pourront incessamment être mises en adjudication. Il y aura ainsi pour l'hiver prochain tant en routes de l’Etat, qu'en routes provinciales ou concédées pour plus de huit millions de francs de travaux adjugés. Les routes nouvelles qui seront mises en adjudication s’élèveront à environ 1,500,000 fr. Vous comprendrez, messieurs, que ce n'est pas avec les ressources ordinaires du budget qu'on pourra faire immédiatement face à ces dépenses. Aussi, je serai amené à demander une augmentation assez considérable au budget de l'exercice prochain pour construction de routes nouvelles ; mais je suis intimement convaincu, qu’à cause des circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons, à cause de l'utilité des travaux qui seront entrepris, la chambre sera disposée à accorder cette augmentation.
A ces travaux viendra s'ajouter l'entretien des voies de communication ; vous savez que l'entretien seul des routes ordinaires s'élève à une somme de 1,800,000 fr. annuellement. Le chemin de fer de l'Etat viendra aussi apporter son concours aux ouvrages à faire pendant l'hiver.
A la fin de la session dernière, une somme considérable a été votée pour l'établissement des doubles voies ; les travaux seront poussés avec la plus grande activité pendant l'hiver. Sous peu, l'adjudication des rails aura lieu et les terrassements seront poussés avec vigueur sur les routes où une seconde voie doit être établie. A la tranchée de Cumptich 400 ouvriers seront constamment occupés pendant tout l'hiver. Enfin, j'ai l'espoir que sur plusieurs des lignes concédées à la fin de la session dernière, les travaux vont être incessamment commencés. Vous savez que, d'après les cahiers des charges, les concessionnaires avaient les uns six mois, les autres une année pour présenter le tracé définitif à l'approbation du gouvernement. Pour plusieurs des compagnies, ce délai expire seulement à la fin de novembre prochain. Je les ai engagées à hâter la présentation de leurs projets définitifs et leur ai exprimé le vif désir du gouvernement qu'elles commencent immédiatement leurs travaux. Je dois dire que jusqu'à présent les rapports que j'ai eus avec les directeurs de ces compagnies ont été des plus favorables. Ces messieurs ont mis un grand empressement et une louable activité à hâter l'exécution de leurs projets, et la plupart m'ont assuré que leurs compagnies seraient à même de commencer incessamment l'exécution de leurs chemins de fer. Vous voyez donc, messieurs, que la série de travaux que nous aurons pour l'hiver prochain est considérable, et la chambre peut être convaincue que je ne perdrai pas de vue cet objet important. (Très bien !)
- La discussion générale est close.
M. le ministre des finances (M. Malou) déclare qu'il se rallie au projet de la section centrale.
« Art. 1er. Jusqu'au 1er juin 1846, continueront d'être libres à l'entrée :
« Le froment,
« Le seigle,
« L'orge,
« Le sarrasin,
« Le maïs,
« Les fèves et vesces,
« Les pois,
« L'avoine,
« Les gruaux,
« Les fécules de pommes de terre et d'autres substances amilacées,
« Le vermicelle, macaroni et semoule,
« Les pommes de terre,
« Le riz.
« Le gouvernement pourra, en outre, accorder, pour le même terme, la remise totale ou partielle des droits d'entrée sur les farines.
« Il sera perçu sur ces objets un droit de balance de 10 centimes par 1,000 kilogrammes.»
M. le président. - Si personne ne demande la parole sur l'ensemble de l'article, je proposerai de discuter séparément les divers amendements présentés.
Le premier est relatif au terme : M. Osy propose le 1er septembre au lieu du 1er juin.
M. Osy. - J'ai dit déjà les principales raisons pour lesquelles j'ai demandé cette prolongation de la mesure. D'après toutes les données que j'ai recueillies, il est évident que les grands arrivages ne pourront pas avoir lieu avant le terme proposé par le gouvernement. Les achats doivent se faire dans la mer Noire, la mer d'Azof et la mer Blanche ; les rivières en Russie sont gelées jusqu'au mois de mai, les expéditions ne pourront pas se faire avant le mois de juin.
Je pense que, dans l'intérêt des consommateurs, il est indispensable de fixer le terme que je propose.
On me répond que la loi de 1834 qui subsiste permet l'introduction libre si le grain monte à 20 francs ; cela est vrai, mais il est toujours à craindre, surtout d'après les paroles que vient de prononcer M. le ministre des finances, de voir se reproduire une proposition relative aux céréales comme celle qui fut faite l'année dernière. Alors comment voulez-vous que le commerce s'engage dans des opérations ?
M. de Theux, rapporteur. - Je pensais que M. le ministre de l'intérieur donnerait.à la chambre les explications qu'il a présentées à la section centrale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Elles sont imprimées dans le rapport.
M. de Theux. - Je présenterai à la chambre une nouvelle observation. A d'autres époques, nous avons proposé un terme plus reculé, mais alors l'état des récoltes était connu, non seulement en Belgique, mais aussi en ce qui concerne les pays étrangers. Maintenant, nous manquons absolument de données sur les récoltes des pays étrangers.
Il suffit de commencer dès à présent à laisser l'entrée libre jusqu'au 1er juin, attendu que nous sommes près de l'époque de l'ouverture de la session ordinaire. Quand nous connaîtrons l'état des récoltes à l'étranger, nous n'hésiterons pas à fixer un terme plus reculé à la loi si le gouvernement le propose. Il sera aussi temps de prendre cette mesure en novembre ou décembre qu'aujourd'hui, puisque l'honorable membre vient de nous dire que les importations ne se feraient qu'au printemps.
Je ferai remarquer que si nous fixions maintenant dans la loi l'époque du 1er septembre, nous pourrions être obligés de restreindre la durée de la loi, ce qui nous ferait encourir, de la part du commerce, le reproche de l'avoir engagé dans des opérations qui lui seraient préjudiciables. Je crois que, dans (page 23) l'intérêt du commerce et de l'agriculture, mieux vaut ne fixer maintenant que l'époque strictement nécessaire, sauf à la proroger dans quelques mois, si les renseignements reçus de l'étranger nous en démontrent la nécessité.
M. Osy. - Je dois combattre l'opinion de l'honorable M. de Theux. Il est vrai que, pendant l'hiver, les ports de mer ne peuvent pas expédier ; mais on fait alors des achats à livrer à l'ouverture de la navigation. Si, en décembre ou en janvier, vous permettez la libre entrée jusqu'au 1er septembre, nous serons en arrière de tous nos voisins ; la Hollande pourra acheter bien longtemps avant nous.
L'honorable M. de Theux dit que nous ne connaissons pas les résultats de la récolte, que la récolte des céréales paraissait devoir être une récolte ordinaire ; mais la perte de la récolte des pommes de terre nécessite l'importation de 4 millions d'hectolitres de céréales ou de farines. Voilà ce que personne ne conteste. C'est une quantité considérable. Si vous ne donnez pas au commerce la garantie qu'il pourra faire les achats d'avance, rien ne se fera ; le commerce n'achètera pas, et lorsque nous aurons consommé la récolte de 1845, les besoins se feront sentir. Vous regretterez alors de ne pas avoir adopté mon amendement, que je présente autant dans l'intérêt du consommateur que dans l'intérêt du commerce.
M. le ministre des finances (M. Malou). - La proposition du gouvernement, que la section centrale a adoptée, laisse dès à présent au commerce la certitude de pouvoir se livrer en toute liberté, pendant dix mois, a toutes les opérations qu'il voudra. Faut-il aller au-delà en ce moment ? Voilà la question. L'honorable préopinant paraît supposer qu'en juin fatalement le régime de 1834 ou un autre régime sera rétabli. Il n'en est pas ainsi. La législature déride en ce moment que d'ici à dix mois il y aura liberté d'importation. De toutes les explications qui ont été données il résulte que, si cela est reconnu nécessaire, ou pourra prolonger ce terme.
Quelles que soient les interruptions que puissent causer au commerce les gelées tardives des rivières du Nord, il est évident qu'avec un terme de dix mois ou peut faire des opérations très étendues dans tous les grands marchés de céréales. Il ne faut pas trop se préoccuper de la timidité du, commerce. Voyez en effet ce qui s'est passé : lors de la discussion dont on a parlé plusieurs fois on avait déclaré que le commerce ne pourrait rien tirer des pays étrangers. La libre entrée arrive par l'effet naturel de la loi de 1834 et en dix jours on fait sortir de l'entrepôt d'Anvers dix millions de kilog. ; dans l'espace d'un mois on fait entrer dans la consommation 44 millions de kilog. au-delà de la moyenne des importations de toute une année. Pendant le mois d'août, on introduit encore dix millions de kilog. On avait dit cependant qu'il n'y avait pas un hectolitre à acheter, que le commerce avait tellement peur du régime de 1834 qu'il n'osait absolument rien faire.
Ce que le commerce a fait (et je l'en remercie) sous le régime de la loi de 1834, ne pourra-t-il pas le faire, et bien plus encore, lorsqu'il aura devant lui dix mois d'entière sécurité pour toutes les importations qu'il voudra faire en Belgique ?
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'amendement de M. Osy, relatif au terme de la libre entrée ; voici le résultat du vote :
Nombre des votants, 80.
18 membres votent pour l'adoption.
62 votent contre.
La chambre n'adopte pas.
Ont voté pour l'adoption : MM. Osy, Rogier, Savart, Verhaegen, Veydt, Anspach, Castiau, David, de Bonne, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, Devaux, Fleussu, Lesoinne, Loos, Lys et Manilius.
Ont voté contre : MM. Pirmez, Pirson, Rodenbach, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert. Zoude, Biebuyck. Brabant, Clep, Coppieters, de Baillet, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Muelenaere, de Renesse, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de Villegas, d'Hoffschmidt, d'Huart, Dolez, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Kervyn, Lange, Lejeune, Liedts, Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Orban et Orts.
M. Dubus (aîné). - Dans votre séance de ce jour, le gouvernement vous a demandé un crédit de 950.000 fr. pour la continuation du canal de la Campine décrète par les lois des 29 septembre 1842 et 10 février 1843. Vous avez renvoyé l'examen de ce projet de loi à une commission spéciale dont |'ai l'honneur de vous présenter le rapport.
Il ne s'agit que de l'exécution de lois que vous avez déjà volées.
Le canal de Bocholt à Herenthals a été décrété par la législature ; il doit s'exécuter en deux sections.
La dépense en avait été estimée :
pour la première section à 1,730,000 fr.
pour la seconde à 2,220,000.
Total : 3,920,000.
Mais la législature n'a pas voté toutes les sommes nécessaires pour l'exécution de cet ouvrage d'utilité publique.
Une première loi a alloué un crédit de 1,750,000 fr. pour l'exécution de la première section ; une seconde a alloué un crédit de 1,110,000 fr. Vous avez renvoyé au moment où les progrès des travaux l'auraient rendu nécessaire à voter, les crédits indispensables pour l'achèvement des travaux ; ce moment est arrivé ; les deux crédits que vous avez votés sont complétement épuisés, et si les chambres ne votaient pas, dès cette session extraordinaire, le crédit demandé, il y aurait nécessité pour le gouvernement de suspendre les travaux dans un moment où vous l'engagez à faire exécuter le plus de travaux possible, afin d'occuper la classe ouvrière et de lui assurer ainsi les moyens de se procurer des aliments qui sont maintenant à un prix élevé.
La somme qui avait été prévue devoir être nécessaire pour achever les travaux est de 1,110,000 fr. Le gouvernement ne demande que 900,000 fr. parce que les adjudications ont présenté un rabais assez considérable.
D'un autre côté, quelques travaux qu'on ne prévoyait pas ont été nécessaires.
En résultat, une somme de 950,000 fr. suffira, mais est nécessaire pour achever le travail. Votre commission, à l'unanimité, a été d'avis de voter ce crédit de 950,000 fr. et d'adopter le projet de loi.
- La chambre décide que ce projet est mis à la suite de l'ordre du jour.
M. le président. - Un second amendement présenté à l'article premier par l'honorable M. Osy, consiste à ajouter aux objets qui y sont énumérés : « le poisson sec. »
La parole est à M. Osy pour développer son amendement.
M. Osy. - Je crois avoir suffisamment développé cet amendement. Le poisson sec est la nourriture de la classe moyenne, et quand celle-ci aura cette nourriture à bon marché, elle consommera moins de pommes de terre, ce qui sera un bienfait pour la classe pauvre.
M. le président. - Un troisième amendement de M. Osy consiste à substituera la faculté laissée au gouvernement d'accorder la remise totale ou partielle des droits d'entrée sur les farines, l'établissement d'un droit de 10 centimes par 100 kil. sur les farines et moutures.
M. Osy. - Je vous ai également développé cet amendement. Comme les importations des céréales sont beaucoup plus considérables cette année que les autres, il ne peut résulter de ma proposition aucun inconvénient pour l'industrie des meuniers et des moulins à vapeur ; l'occupation ne leur manquera pas.
Je vous ai dit également qu'il était impossible que l'on introduisît en Belgique une très grande quantité de farines, et que. lors même qu'on y introduirait le quart de tout ce qu'exportent les Etats-Unis, nous n'en recevrions que 500,000 hectolitres.
Je crois donc que, dans l'intérêt de la classe ouvrière, vous devez adopter mon amendement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, nous devons combattre l'amendement proposé par l'honorable baron Osy.
Le but général de la loi est de venir au secours des classes ouvrières. Mais comme on vous l'a déjà dit dans la discussion, on peut venir au secours des classes ouvrières de deux manières : c'est en amenant un approvisionnement plus complet des denrées alimentaires dans le pays, nuis c'est surtout en leur procurant le travail. Or, il y aurait une véritable contradiction si, sous le prétexte d'approvisionner le pays, vous frappiez, en permettant la libre entrée des farines, une industrie très importante, une industrie qui donne chaque jour du travail à un grand nombre d'ouvriers. Vous savez qu'il ne s'agit pas seulement ici des grands établissements de moulins à vapeur, mais des moulins que chaque commune renferma et à la prospérité desquels le sort de tant de familles se trouve attaché.
Ainsi nous irions à rencontre du but que nous voulons atteindre et qui est de venir au secours des classes ouvrières, si nous frappions, comme on le propose, une branche importante du travail national.
Cette mesure ne serait utile que si nous avions réellement à craindre que les importations de céréales étrangères fussent insuffisantes. Or ce danger n'existe pas. En effet, nous avons une recolle bonne, une recolle ordinaire, et vous savez qu'une récolte ordinaire en Belgique correspond à peu près à la consommation normale du pays.
Il ne faut pas perdre de vue non plus que cette année, à cause de la libre entrée qui existe depuis plusieurs mois, une grande importation de céréales, une importation de 55 millions de kilog. de froment et de 9 millions de kilog. de seigle a eu lieu.
Vous savez que l'importation ordinaire n'est que d'environ 25 à 30 millions de kilog. L'importation pendant les huit premiers mois de cette année, dépasse donc, pour le froment seul, de 25 millions de kilogr. les importations des autres années.
Vous savez aussi, messieurs, qu'il y a encore en magasin des grains de 1844, et qu'il ne s'agit que de couvrir le déficit causé par le manque de récolte des pommes de terre.
La Hollande, dont la législation est favorable à la liberté commerciale, a maintenu un droit assez élevé sur les farines, une partie de l'ancien droit de 5 fl. par 100 kil. ; et cependant, messieurs, vous savez que la législation en Hollande, dominée par les besoins presque exclusifs du commerce, ne consacrerait pas, dans un moment pareil, un système que M. le baron Osy considère comme préjudiciable à l'intérêt commercial. (La clôture !)
M. Osy. - L’honorable ministre des affaires étrangères nous dit que la Hollande a maintenu le droit sur les farines. Cela n'est pas exact ; la Hollande a réduit ce droit de 20 à 5 fl. Je crois que nous devons aussi (page 24) voter une réduction et que nous ne pouvons maintenir le droit de 15 francs qui est réellement prohibitif.
M. Lys. - M. le ministre des affaires étrangères vient de vous dire que nous ne devons pas prendre de mesure contraire à la classe ouvrière, et que ce serait lui nuire que de permettre l'entrée libre des farines. Mais je répondrai à M. le ministre que les ouvriers qui travaillent aux moulins ne forment pas le millième de la classe ouvrière. Dès lors l'argument qu'il a fait valoir ne peut être pris en considération. M. le ministre a ajouté que l'on ne devait pas craindre de manquer de céréales, que l'on avait déjà importé cette année 55 millions de kilog. de froment, tandis que les importations normales étaient de 25 millions de kilog. Mais ne voit-on pas que malgré cette forte importation, les prix augmentent tous les jours ? Attendra-t-on donc, pour permettre la libre entrée des farines, que ces prix soient tellement, élevés que la classe ouvrière ne puisse plus fournir à sa subsistance ?
- L'amendement de M. Osy est mis aux voix. Il n'est pas adopté.
M. Delfosse. - Je propose d’ajouter au paragraphe nouveau introduit par la section centrale les mots suivants : « sur le bétail et sur toute denrée alimentaire non désignée au présent article.
Je désire que le gouvernement ait la faculté de réduire et même de supprimer les droits d'entrée qui frappent le bétail et toutes les substances alimentaires dont il n’est pas fait mention à l'article premier.
Le gouvernement usera ou n'usera pas de cette faculté ; il se réglera d'après les circonstances et sous sa responsabilité. Je ne pense pas qu'il y ait le moindre danger à lui conférer ce pouvoir, et il peut se présenter des cas où il serait extrêmement fâcheux qu'il n'en fût pas investi.
- L’amendement de M. Delfosse est mis aux voix et adopté.
M. le président. - M. Osy propose un article 2 nouveau ainsi conçu :
« Les navires dont les chargements se composeront de deux tiers en pommes de terre, seront exemptes du droit de tonnage jusqu'au 1er juin 1846. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je crois qu'en principe nous pouvons accepter cet amendement, mais qu'il faut borner l'exemption a la quotité du tonnage représentée par le chargement de pommes de terre. Ainsi, si l'on introduit les trois quarts du chargement en pommes de terre, on aura exemption des trois quarts du tonnage. Si l'on introduit un chargement entier, on aura l’exemption de la totalité des droits de tonnage.
Je pense aussi qu’il faudrait ajouter aux mots « pommes de terre, » ceux-ci : « de bonne qualité et pour la consommation. »
M. le président. - L'amendement serait donc ainsi conçu :
« Les navires dont les chargements se composeront des deux tiers de pommes de terre de bonne qualité et destinées à la consommation seront exemptés du droit de tonnage jusqu'au 1er juillet 1846. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je ne sais si les mots de bonne qualité ne sont pas de trop. On pourra soulever des contestations continuelles à cet égard.
C'est le négociant seul qui est juge de la qualité des pommes de terre qu'il importe, et l'on pourrait donner lieu à de graves difficultés si l'on faisait intervenir la douane dans l'appréciation de cette qualité.
M. Verhaegen. - Je crois que M. le ministre des finances a eu raison de proposer une légère addition ; son but a été sans doute de ne pas accorder l'exemption aux pommes de terre destinées à la distillation ; l'exemption ne doit en effet être accordée qu'aux pommes de terre destinées à la consommation et dès lors il faut exiger qu'elles soient de bonne qualité.
M. Mercier. - Je dois faire observer à l'honorable M. Verhaegen qu'il serait impossible de connaître la destination des pommes de terre importées Je crois que la pensée de l'auteur de l'amendement est que les pommes de terre doivent être déclarées en consommation. Alors on en fera tel usage qu'on jugera convenable, on les emploiera soit pour la plantation, soit pour la consommation, soit pour la distillation. Il n'y a aucun moyen de s'assurer qu'elles seront exclusivement livrées à la consommation.
M. le président. - L'amendement serait ainsi conçu :
« Les navires dont les chargements se composeront des 2/3 en pommes de terre de bonne qualité déclarées en consommation, seront exemples du droit de tonnage jusqu'au 1er juin 1846. »
M. Rogier. - M. le ministre de l'intérieur a fait observer avec beaucoup de raison que les expressions « de bonne qualité » ne pouvaient pas être insérées dans la loi, que le négociant était juge de la qualité des produits importés par lui. Si vous faites intervenir la douane dans l'appréciation de la qualité des pommes de terre, vous pouvez, messieurs, paralyser les opérations que vous avez l'intention de favoriser. Il n'est pas vraisemblable, d'ailleurs, qu'un négociant s'avise d'importer des pommes de terre de mauvaise qualité, dans la perspective de jouir de l'exemption d'un tiers du droit de tonnage. Or, si les pommes de terre arrivent dans un mauvais état, sans qu'il y ait faute du négociant (et comme je viens de le dire, cette faute n'est pas à supposer), voilà ce négociant qui aura souffert deux fois, d'abord dans la mauvaise qualité des produits qu'il a payes comme bons et ensuite dans la non-exemption du droit de tonnage. Ainsi, messieurs, si vous voulez accorder une faveur à l'importation des pommes de terre, il faut retrancher les mots : « de bonne qualité, » et soyez bien persuadés que le commerce ne s'avisera pas d'importer des pommes de terre de mauvaise qualité, car son but est de vendre ; s'il impôrte des produits de mauvaise qualité, il ne vendra pas. Ce serait donc là une mauvaise opération, et il n'est pas à craindre que le commerce la fasse.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai cherché, messieurs, la rédaction qui put le mieux rendre votre pensée commune à tous. Ce que nous voulons c'est de favoriser au moyen d'une prime indirecte, l'importation des pommes de terre qui pourront être livrées à la consommation. Quant aux moyens d'atteindre le but, qu'il me soit permis de citer un précédent qui a été posé en France. En 1816 et en 1817, on a accordé des primes directes, mais toujours on a eu soin de dire que la marchandise, pour avoir droit à la prime, devait être reconnue de bonne qualité. Je conviens, messieurs, qu'il est peu probable que, dans l'espoir d'un léger bénéfice, l'on cherche à introduire dans le pays des pommes de terre de mauvaise qualité ; cependant il ne m'est pas démontré qu'il soit inutile que le gouvernement ait la faculté de refuser la remise des droits si l'on tentait de profiler de la faveur accordée par la législature, pour introduire des pommes de terre qui ne seraient pas propres à être livrées à la consommation.
Ne pourrait-on pas dire, messieurs : « Il sera accordé jusqu'au 1er juin 1840, remise des droits de tonnage à l'importation des pommes de terre reconnues de bonne qualité et déclarées en consommation. »
Je tiens assez, messieurs, à ce que ces dispositions se trouvent dans la loi. C'est un avertissement donné par la loi que si l'on cherchait à gagner indûment la prime (car c'est une véritable prime), elle pourrait être refusée. Je ne crains pas plus les difficultés dans ces circonstances que dans toutes les autres où, lorsqu'une cargaison arrive, l'administration l'examine pour constater quels sont les articles dont elle se compose et déterminer dans quelle catégorie chacun d'eux doit être placé en ce qui concerne le payement des droits.
M. Rodenbach. - La rédaction que vient de présenter M. le ministre des finances me paraît bonne, et d'autant plus nécessaire que déjà il nous est arrivé de Hollande de mauvaises pommes de terre. L'honorable député d'Anvers doit en savoir quelque chose, car c'est à Anvers que l'importation a eu lieu II est également arrivé de l'étranger des céréales de très mauvaise qualité, des grains gâtés, qui ont été vendus sur nos marchés et dont on a fait du pain, au grand détriment de la santé publique. La rédaction de M. le ministre des finances est donc indispensable. Peut-être même si la faveur eût été plus considérable, aurait-on pu exiger que les pommes de terre fussent vendues publiquement aussitôt après leur importation. On aurait empêché ainsi les détenteurs de garder les pommes de terre le plus longtemps possible afin d'en obtenir le prix le plus élevé ; mais la faveur accordée n'est pas assez forte pour imposer cette condition' aux importateurs.
M. Osy. - Messieurs, tout en acceptant l'amendement proposé par M. le ministre de l'intérieur, je dois faire une objection contre la rédaction de M. le ministre des finances. Les petits caboteurs qui arriveront d'Ecosse, d'Irlande, de Brème, etc., ne peuvent pas charger tout leur navire de pommes de terre qui forment un produit trop pondéreux ; ils devront y ajouter des marchandises plus légères. J'avais demandé que lorsque la cargaison se composerait pour les 2/3 de pommes de terre tout le navire fût exempt du droit de tonnage. Ce sont des navires de 150 ou de 200 tonneaux tout au plus ; un navire de 150 tonneaux aurait 100 tonneaux de pommes de terre et jouirait de ce chef d'une prime de 300 fr. Je crois que cette faveur n'est pas nécessaire et que nous devons nous en tenir à la première rédaction.
- L'amendement, tel qu'il est rédigé par M. le ministre des finances, est mis aux voix et adopté. Il est ainsi conçu :
« Il sera accordé jusqu'au 1er juin 1846 remise des droits de tonnage à l'importation des pommes de terre reconnues de bonne qualité et déclarées en consommation. »
- Cette disposition formera l'article 2 du projet.
« Art. 2. (Art. 3 nouveau). Jusqu'au 1er juin 1846, continueront d'être prohibés à la sortie :
« Le sarrasin,
« Les pommes de terre. »
- Adopté.
« Art. 3. (Art. 4 nouveau). Sont prohibés à la sortie jusqu'à l'époque indiquée à l'article précèdent :
« Le froment,
« Le seigle,
« L'orge,
« L'avoine,
« Les fécules de pommes de terre,
« Les pois, les feves, les vesces,
« Les gruaux de toute espèce. »
M. Osy a proposé une disposition additionnelle ainsi conçue : « Le droit d'entrée sur les viandes et salaisons est réduit des deux tiers du droit actuellement en vigueur, et ce, jusqu'au 1er juin 1846. »
M. Osy. - Messieurs, le droit actuel est tout à fait prohibitif. La viande de porc paye aujourd'hui 16 fr. par 100 kilog., ce qui fait 8 centimes par demi-kilog. Je propose de réduire ce droit à 2 centimes ; le bœuf sale paye 44 fr. par 100 kilog., 22 centimes par demi-kilog. Je demande qu'on réduise ce droit à 8 centimes. C'est là un comestible très avantageux aux classes moyennes, et je crois qu'il est convenable d'accorder cette réduction.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Tout à l'heure la chambre a adopté un amendement de l'honorable M. Delfosse, qui autorise le gouvernement à supprimer le droit sur le bétail et sur toutes les autres denrées alimentaires. Il me semble, dès lors, que l'amendement de l'honorable M. Osy est, en quelque sorte, devenu sans objet. Si la nécessité de ces mesures était reconnue, le gouvernement pourrait les prendre.
- L'amendement de M. Osy est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
(page 25) L'article est ensuite adopté tel qu'il est proposé par la section centrale d'accord avec le gouvernement.
« Art. 4. (Art. 5 nouveau). Le gouvernement pourra interdire, en outre, la sortie des farines, sons et moutures de toute espèce, du pain et du biscuit.
« Il pourra faire cesser, en tout ou en partie, les effets des articles 2 et 3 et des prohibitions qui seraient établies en vertu du présent article. »
- Adopté.
« Art. 5 (Art. 6 nouveau). Il est ouvert au budget du minist6re de l'intérieur (exercice 1845) un crédit supplémentaire de deux millions pour mesures relatives aux subsistances.
« Ce crédit formera l'article unique du chapitre XXIII de ce budget.
« Il sera fait aux chambres, avant le 31 décembre 1846, un rapport spécial sur les mesures adoptées et sur les dépenses faites en vertu de la présente loi. »
- Adopté.
« Art. 6 (Art. 7 nouveau). La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
- Adopté.
M. David. - Je demande à pouvoir faire maintenant les observations que je voulais présenter à l'article premier.
En parcourant le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif aux denrées alimentaires, je n'y vois pas un mot concernant une pétition qui a été adressée par la société des moulins à vapeur de Bruxelles. Je demanderai à M. le ministre des finances s'il a examiné cette pétition, et s'il est dans l'intention d'y faire droit. Je renoncerai volontiers à présenter les observations que j'ai à faire sur cette question, si M. le ministre déclare qu'il est dans l'intention de prendre la pétition en considération.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai, en effet, reçu une pétition de la société des scieries et moulins à riz de Molenbeek. Cette société demandait qu'on maintint sur le riz en paille un droit différentiel, et qu'on lui avançât une somme de deux millions, précisément égale à celle que nous demandons par le projet de loi. Il nous a paru que cette pétition ne pouvait pas être accueillie par le gouvernement, et c'est pour ce motif que nous n'en avons pas parlé.
M. David. — Je ne veux pas qu'on dispose en faveur de cette société des deux millions qu'on demande pour secourir le pays. La société se borne à solliciter un prêt momentané de deux millions ; le gouvernement peut accueillir cette demande sans la moindre difficulté. (Aux voix ! aux voix !)
- La chambre décide qu'elle votera d'urgence sur le projet de loi.
Elle confirme successivement les divers amendements qui ont été introduits, lors du premier vote, dans le projet de loi.
Il est procède par appel nominal au vote sur l'ensemble du projet de loi.
Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 85 membres qui ont répondu à l'appel. Il sera transmis au sénat.
Ont pris part au vote : MM. Anspach, Biebuyck, Brabant, Castiau, Clep, Coppieters, d'Anethan, David, de Baillet, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de La Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, Devaux, de Villegas, d'Hoffschmidt, d'Huart, Dolez, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumont, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Kervyn, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Savart, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Verwilghen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.
M. le président. donne lecture d'une lettre par laquelle M. Rogier, nommé représentant par le collège électoral de Bruxelles et par celui d'Anvers, déclare opter pour ce dernier collège.
Il est donné acte à M. Rogier de cette déclaration qui sera notifiée à M. le ministre de l'intérieur et qui sera insérée au procès-verbal.
M. le président. - L'article unique du projet de loi est ainsi conçu :
« Article unique. Un crédit de neuf cent cinquante mille francs (950,000 fr.) est ouvert au département des travaux publics, pour la continuation des travaux du canal de la Campine, décrété par les lois du 29 septembre 1842 et du 10 février 1843.
« Cette dépense sera provisoirement couverte au moyen d'une émission de bons du trésor de pareille somme, qui se fera au fur et à mesure des payements à effectuer pour les travaux qui seront exécutés.»
- La discussion générale, qui se confond avec la discussion de l'article unique, est ouverte.
La parole est à M. Lejeune.
M. Lejeune. - Messieurs, j'approuverais dans toutes les circonstances le projet de loi soumis à vos délibérations ; c'est vous dire que je ne m'y opposerai pas aujourd'hui que le pays subit une épreuve difficile.
Toutes les mesures qui ont pour objet de donner du travail à la classe ouvrière, adouciront la situation fâcheuse que va faire au pays le haut prix des subsistances.
Donner du travail, c'est le complément de la loi que nous venons de voter ; c'est la partie essentielle de la tâche que le gouvernement et les chambres ont à remplir.
A cette occasion, j'appellerai l'attention de M. le ministre des travaux publics sur l'exécution du canal de Zelzaete ; je l'engage à presser la confection des plans définitifs. Si les travaux de creusement pouvaient avoir lieu pendant l'hiver, on soulagerait efficacement une partie du pays où la maladie des pommes de terre a exercé les plus grands ravages, où la récolte de ce tubercule, qui y est toujours si abondante, est presque totalement perdue.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, le canal de Zelzaete, dont vient de parler l'honorable préopinant, a déjà attiré mon attention ; toutefois, les travaux à exécuter à ce canal ne pourront être activement repris avant que l'écluse de mer ne soit totalement construite. Du reste, s'il est possible de faire exécuter des travaux partiels, je m'empresserai de les ordonner.
Personne ne demandant plus la parole, il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'article unique du projet de loi.
Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 73 membres qui ont pris part au vote. Il sera transmis au sénat.
Rien n'est plus à l'ordre du jour. La chambre s'ajourne indéfiniment.
- La séance est levée à cinq heures.