(Moniteur belge n° 71 du 11 mars 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Scheyven fait l’appel nominal à 1 heure.
La séance est ouverte.
M. Mast de Vries donne lecture du procès-verbal de la séance d’avant-hier dont la rédaction est adoptée.
M. Raymaeckers informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister aux séances de la chambre.
Même information de la part de M. de Puydt.
- Pris pour notification.
M. d’Hoffschmidt demande un congé de deux jours. - Accordé.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) dépose un projet de loi tendant à proroger d’une année la loi relative au mode de nomination des membres des jurys d’examen.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi qui sera imprimé et distribué.
La chambre en ordonne le renvoi à la section centrale chargée de l’examen de la loi sur l’enseignement supérieur.
- M. Dubus (aîné) remplace M. Fallon au fauteuil.
M. le président – Nous sommes arrivés à l’article 9 du projet de loi.
Cet article est ainsi conçu :
Projet du sénat : « Art. 9. Les tribunaux correctionnels connaîtront des faits prévus par les articles 1, 2, 3 et 4.
« La connaissance des faits prévus par les articles 5 et 6 est dévolue aux tribunaux compétents, conformément au code pénal et au code d’instruction criminelle.
« Il n’est pas dérogé aux lois qui règlementent la compétence des tribunaux militaires.
« Les témoins punissables en cette qualité seront jugés par les tribunaux correctionnels, à moins que les auteurs et complices ne soient jugés par les cours d’assises, auquel cas ils suivront la même juridiction. »
Projet de la section centrale : « Art. 9. Il n’est pas dérogé aux lois qui règlent la compétence des tribunaux militaires. Cependant le militaire qui se sera battu en duel avec un individu non militaire sera soumis à la juridiction ordinaire, lors même que ce dernier ne serait pas poursuivi. »
M. Metz a déposé un amendement ainsi conçu :
« La connaissance des faits prévus par la présente loi est attribuée au jury. »
M. Metz – Messieurs, j’aime à croire que l’insistance que je mets à combattre la loi, quelque fatigante qu’elle puisse être quelquefois pour vous, ne doit pas au moins vous déplaire ; car, messieurs, c’est au moins une sanction morale que la loi que vous allez faire recevra de la solennité de vos délibérations. L’opinion saura au moins qu’en votant une loi que vous croyez répressive du duel, vous ne l’avez fait qu’après un mûr examen, et dans la prévision bien raisonnée que vous obtiendriez les résultats que vous désirez obtenir.
L’article qui est soumis en ce moment à notre discussion confie aux tribunaux correctionnels le jugement des faits prévus par la loi. C’est contre cette disposition que je m’élève de nouveau, et je demande que la connaissance de tous ces faits soit attribuée au jury.
Quelle est la raison qui a présidé à l’institution du jury ? C’est que le jury est le juge naturel de tous les faits qui peuvent alarmer la société, parce que c’est le jury qui la représente, c’est au jury qu’appartient en général la répression de tous les attentats qui sont dirigées contre elle.
Le jury a été institué par nous, dans les affaires criminelles, afin de servir de garantie aux accusés pour les peines graves qui pourraient leur être réservées. Le jury a été institué dans des affaires politiques, dans les délits de la presse, parce qu’on a observé, avec beaucoup de raison, qu’outre l’indépendance et la probité, il fallait encore, lorsqu’il s’agissait de cette espèce particulière de délits, joindre à ces qualités générales la connaissance des hommes, la connaissance des faits, la connaissance de l’opinion qui devait, avant tout, apprécier les délits de cette nature.
C’est en partant de ces principes, en partant de ceux qui ont été émis par le rapporteur du chapitre de la constitution concernant le pouvoir judiciaire, par l’honorable ministre de la justice qui disait alors que, « dans les délits de répression l’on devait s’en rapporter à la conscience du jury ; que les citoyens avaient une grande garantie dans le jury ; que les délits de la presse étaient fort difficiles à caractériser »… c’est en partant de ces principes, dis-je, que j’ai l’honneur de proposer à la chambre de saisir le jury de la connaissance de tous les faits de duel.
Mais le jury sera peut-être plus disposé à acquitter qu’à condamner ; ce n’est pas une raison, à mes yeux, pour lui soustraire la connaissance de faits qui rentrent essentiellement dans son domaine, quand on remonte à l’origine de son institution.
Je veux écarter des tribunaux correctionnels des faits qui doivent être appréciés au point de vue des mœurs et de l’opinion dont il faut faire une étude journalière ; je veux les éloigner des magistrats, des hommes qui, par leur position, se tiennent à l’écart de l’espèce de société où le duel se réfugie presque toujours ; des hommes que leur âge et leur modération rendent insensibles à l’émotion qu’une offense soulève dans un cœur plus ardent et plus jeune. Je veux soumettre la connaissance des faits de duel à des hommes qui suivent le mouvement des mœurs, de l’opinion ; à des hommes qui savent que, quand le duel frappe à la porte d’un homme d’honneur, cette opinion crie souvent : « Ouvrez ». Voilà les hommes auxquels je veux soumettre l’appréciation des faits qui prennent naissance dans l’opinion.
Ce que je viens de dire suffira pour faire connaître à la chambre les raisons principales qui m’ont engagé à proposer mon amendement. Et maintenant laissons parler des voix autrement éloquentes, autrement puissantes que la mienne.
Et pourquoi donc voudrions-nous repousser les exemples qui nous sont donnés par les nations chez lesquelles nous pouvons aller chercher des leçons de législation et de mœurs ; pourquoi voudrions-nous écarter le jury de la connaissance des faits de duel, lorsqu’en France, où il s’agissait aussi de proposer des peines correctionnelles contre le duel, on a voulu remettre au jury le soin de le juger.
Lors de la discussion du projet de loi qui a été présenté à la chambre des pairs le 14 février 1829, M. le garde des sceaux de France disait :
« Il faut l’institution du jury ; l’intérêt de la société et l’intérêt des prévenus l’exigent ; l’intérêt de la société, car l’éclat de l’épreuve, la solennité des débats peuvent retenir celui que n’arrêterait pas la rigueur des peines, et tout ce qui assure la répression d’un désordre est dans l’intérêt de la société ; la justice envers les prévenus l’exige, puisque la plupart du temps ils auront résisté aux inspirations de leur conscience, violé les préceptes de la religion pour obéir à une vaine opinion ; il est équitable d’appeler à prononcer sur leur sort les hommes que cette opinion maîtrise comme eux, et qui sauront en apprécier les exigences. » Et dans la discussion de cette loi, on s’écriait :
« C’est au jury que la loi remet les intérêts de la société ; c’est à lui qu’elle s’en rapporte pour concilier les lois et les mœurs, les prétentions du point d’honneur et les droits de la justice éternelle ; concilier ce qui est dû à la compassion, à la faiblesse de l’homme soumis à l’empire du préjugé, et ce qu’exige le maintien de l’ordre public. C’est la présence des pères de famille qui entourent le jury, c’est l’assistance du public que nous considérons comme la meilleure garantie de la justice et de l’efficacité de la répression. »
Et plus loin : « Le jugement par jurés peut seul donner à la loi la sanction de l'opinion publique ; il place sous la protection des pères de famille l’exécution d’une loi qui doit protéger leurs enfants. »
Et quand vous entendez l’adversaire le plus prononcé du duel, celui dont l’autorité fut tant de fois invoquée dans cette discussion, le procureur-général Dupin qui est parvenu à faire changer la jurisprudence française sur le duel, de tolérant qu’il était en jurisprudence répressive ; quand nous entendons ce magistrat distingué appeler le jury à l’appréciation des faits de duel, que devez-vous penser de l’opinion que j’ai l’honneur de vous soumettre en ce moment ?
« Oui, disait M. Dupin, il faut que le duel passe par la voie sévère du ministère public, par l’examen de la justice, par le jugement du pays, et même en cas d’acquittement, si les faits le comportent, au moins on aura rendu honneur à la loi, à la morale et à la justice. »
Et pourquoi donc enlèverions-nous aux hommes qu’un préjugé pousse vers le duel la garantie qu’ils doivent trouver dans le jugement de leurs pairs. Eh quoi ! lorsque, dans les délits de presse, les peines peuvent se résoudre en un misérable emprisonnement d’un jour, en une plus misérable amende de quelques francs ; lorsque, dans un cas, vous offrez au misérable barbouilleur d’une ignoble caricature la garantie du jury, vous la refuseriez à l’homme d’honneur qu’un préjugé pousse malgré lui sur le champ du combat ! Eh quoi ! Vous déféreriez aux tribunaux correctionnels la connaissance des délits sur le duel ; et l’assassin, le faussaire, l’escroc, c’est pour ces êtres méprisables que le jury sera fait.
Messieurs, voilà les raisons qui me font persister dans l’amendement que j’ai eu l’honneur de présenter. Ce n’est pas une loi pénale que nous faisons, c’est une véritable loi de mœurs, c’est une loi de morale ; il faut donc la rendre aussi morale que possible. Déférons au jury la connaissance des faits de duel, et le jury, dans sa conscience appréciera ces faits, suivant la manière plus ou moins honorable dont les auteurs du duel se seront conduits.
Craignez-vous que le jury soit plus indulgent que les tribunaux ? S’il pouvait être plus indulgent, ce serait la voix du pays, ce serait l’opinion qui prononcerait. La crainte seule de ne pas laisser pénétrer le jury dans les accusations en matière de duel est la critique la plus amère que vous puissiez faire de votre loi. Abandonnez à l’opinion, abandonnez aux pères de famille, à ces hommes qui sont les défenseurs naturels de la société, qui sont les adversaires naturels du duel, le soin d’apprécier les raisons qui ont poussé au duel et la manière dont le duel a dû se passer.
Mais le jury doit-il être toujours indulgent ? Je serais toujours étonné d’entendre invoquer l’indulgence du jury contre ma proposition, quand je vois sur le banc ministériel, quand je vois parmi les ministres un homme qui, dans la discussion de la loi sur le jury, lui refusait la connaissances des affaires correctionnelles en matière de crimes et délits, parce qu’il craignait qu’il ne fut trop sévère. L’honorable M. de Theux disait, au 22 janvier 1831, en votant pour le jury dans les délits politiques et de la presse : « Je refuse de l’admettre pour les autres crimes et délits, parce que je crains que les jurés ne soient parfois trop enclins à la sévérité. »
Voilà l’opinion que professait alors M. le ministre de l'intérieur.
Non, messieurs, je ne crois pas que le jury, dans les questions de duel, sera trop enclin à la sévérité. Si on pouvait avoir quelque chose à supposer, ce serait, je le sais, une propension à l’indulgence ; mais cette indulgence trouverait son origine dans le cœur, dans les sentiments moraux des jurés, et c’est à des juges semblables qu’on doit soumettre le jugement de faits dont il faut examiner la gravité en présence de l’opinion publique et de l’exigence des mœurs au milieu desquelles nous vivons.
M. de Roo – Il me paraît, messieurs, que la rédaction de cet article est incomplète. Elle est insuffisante pour prévoir tous les cas qui se présenteront. Je demanderai, s’il arrivait que les deux combattants étant militaires, l’un des témoins, un des complices ne fût pas militaire, ce que l’on ferait.
L’article ne prévoit pas ce cas. Cependant, il peut arriver. Si on croit que ce sera à la juridiction ordinaire que l’affaire devra être renvoyée, il faut le dire dans l’article. Il faut qu’on sache ce qu’on doit faire en pareille circonstance. L’article est muet. On pourrait combler la lacune en ce sens : « Il n’est pas dérogé aux lois qui règlent la compétence militaire.
« Cependant, si l’un des combattants, des complices ou des témoins est un individu non militaire, l’affaire sera soumise à la juridiction militaire. »
M. Desmet – Nous devons reconnaître que M. Metz a tenu parole. Dans son premier discours, il a dit qu’il ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour rendre impunissables les cas de duel.
M. Metz – Je n’ai pas dit cela !
M. Desmet – J’aurais alors mal compris ; je me rétracte. Mais le fait est que le moyen qu’il présente est pour arriver à ce résultat. Je crois que si vous adoptez sa proposition, la loi sera paralysée, elle n’aura aucun effet.
Que veut M. Metz ? Il veut renvoyer au jury pour prononcer sur le fait tel qu’il est arrivé. C’est-à-dire, si les choses se sont passées loyalement dans le cas où il y aurait eu mort ou blessures, le jury devra plutôt consulter l’opinion publique, que considérer si on a contrevenu à la loi.
A cet égard l’honorable membre a cité quelques autorités françaises, entre’autres le procureur-général Dupin ; il a cru trouver que M. Dupin pensait qu’il ne fallait pas soumettre à la magistrature, aux tribunaux, mais au jury les faits de duel. Je vous citerai aussi un passage d’un discours qui a été prononcé à la cour de cassation de France par M. Moure.
Voici ce que disait à ce sujet un autre procureur de la cour de cassation, le sieur Moure, vous trouverez ce passage de son réquisition dans le troisième volume des Questions de droit de Merlin, à la page 562.
« Il y en a qui veulent que l’on traduise les duellistes devant les jurés.
« Mais que diront les jurés, s’ils ont à prononcer sur un duel où toutes les règles du faux honneur auront été observées ? Ne se demanderont-ils pas à eux-mêmes si ce duel peut passer pour un meurtre volontaire ou pour un assassinat ? Ne se demanderont-ils pas s’il faut confondre les duellistes avec les plus vils malfaiteurs ? faut-il laisser aux jurés le soin de décider une question de droit ? faut-il leur abandonner la législation sur cette matière.
« Les jurés prononcent sur les examens, parce que les excuses supposent l’existence du crime ; mais les chambres d’accusation prononcent sur la légitime défense ; parce que là où il y a légitime défense, il n’y a pas de crime à poursuivre.
« Ce n’est pas le tout que de commencer une procédure aveuglément et de dire : Laissons faire aux jurés.
« En tout il faut considérer la fin.
« Nous raisonnons sur les duels où tout s’est passé loyalement.
« Eh bien, de trois choses l’une :
« Ou les jurés condamneront toujours,
« Ou ils acquitteront toujours.
« Ou bien, suivant la composition du jury, ou suivant la manière d’envisager le fait dans tel département qui ne sera pas la même que dans tel autre (pour la même espèce), tantôt des acquittements, tantôt des condamnations.
« Dans le premier cas, ne trouveriez-vous pas que ce serait faire revenir l’excessive sévérité des ordonnances ? Voudriez-vous de cette sévérité ?
« Dans le second, ne trouveriez-vous pas une sorte de scandale dans cette contradiction continuelle entre les arrêts des chambres d’accusation et les arrêts des cours d’assises. Enfin dans le troisième, les variations et les disparates ne paraîtraient-elles pas pour le moins affligeantes ? »
Il me semble que ce procureur-général a très bien compris le cas. Jamais vous n’aurez une jurisprudence certaine, si vous attribuez la connaissance des affaires de duel au jury. On s’occupera plus du fait que de l’application de la loi. Nous voulons avoir une loi de petite pénalité afin d’arrêter les cas de duel, de les empêcher de se multiplier. Je le répète, en attribuant la connaissance des délits commis en duel au jury, vous paralyserez votre loi, elle n’aura aucun effet. Je pense donc que l’amendement de M. Metz ne peut pas être accepté. Et comme la loi que nous faisons est un essai, laissez donc faire l’essai par un système pur, et qui ne soit pas bâtard. Je pense que le projet, tel qu’il est proposé par la section centrale, est un système de correction pure, et conséquent dans toutes ses dispositions, je crois donc qu’il faut le voter tel qu’il est présenté, et écarter tout amendement, et je me flatte qu’au deuxième vote on reviendra sur celui que le ministre de l’intérieur a fait passer dans la séance d’hier.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Je commencerai pas dire un mot relativement à l’amendement de l’honorable député de Thielt. Si je l’ai bien compris, il aurait pour but de statuer que s’il se trouve impliqué dans l’affaire des individus non militaires, soit comme témoins, soit comme complices, soir comme parties, et qu’il y ait aussi des militaires impliqués, on renverra devant la justice ordinaire. L’amendement est inutile, car on sait que cela est de droit commun. La disposition de la section centrale ne déroge au droit commun qu’en ce qu’elle soumet aux tribunaux ordinaires le militaire qui s’est battu en duel contre un individu non militaire, alors que ce dernier ne serait pas puni.
C’est ce que porte l’article 14 du code pénal militaire.
Dans le cas que suppose l’honorable membre, il y aura connexité, le renvoi à la juridiction ordinaire ne peut pas être mis en doute. Je pense que l’honorable auteur de la proposition, sur l’observation que le cas qu’il a eu en vue est prévu par les lois ordinaire, retirera son amendement.
Je viens à la proposition qui fait le véritable sujet de notre discussion, celle faite par l’honorable M. Metz. Il propose de statuer que les délits prévus par la loi que nous discutons seront attribués au jury.
Nous allons examiner cette proposition sous le rapport du point de droit et en ce qui concerne la législation actuelle ; après cela nous examinerons la disposition en elle-même. Nous verrons si les motifs donnés par l’honorable membre sont de nature à faire adopter la disposition qu’il a présentée.
Messieurs, comme l’a rappelé l’honorable député, quand on a discuté le projet de constitution, diverses opinions se sont formées relativement à l’institution du jury. Toutefois, on a été unanime sur un point, c'est qu’il y avait lieu d’attribuer au jury les crimes et délits politiques et ceux de la presse. Mais quant aux matières criminelles ordinaires, grande a été la dissidence dans le sein du congrès. Je ferai remarquer que, quand on a discuté ce point à la section centrale, la majorité a été d’avis qu’il n’y avait pas lieu d’établir de disposition dans la constitution à l’effet de conférer au jury la connaissance de toutes les affaires criminelles. Mais on ne voulait pas non plus lier la législature à cet égard.
La section centrale avait proposé au congrès la disposition suivante :
« Le jury sera établi au moins pour les crimes et délits politiques et de presse. »
Ainsi, d’après la disposition proposée par la section centrale, on n’était pas obligé, dans les matières ordinaires, de rétablir l’institution du jury.
Un amendement fut présenté dans la séance du congrès ; et cet amendement avait pour but d’établir le jury dans les affaires criminelles de même que dans les affaires politiques et de presse. Cet amendement devint l’article 98 de la constitution. Mais remarquez qu’il diffère de la proposition de la section centrale en ce qu’il a formulé d’une manière précise les attributions du jury. Il porte :
« Art. 98. Le jury est établi en toutes matières criminelles et pour délits politiques et de presse. »
L’expression « au moins » ne se trouve plus dans la disposition de la constitution, comme elle se trouvait dans la proposition de la section centrale. Ainsi, d’après la disposition de la constitution, attribution au jury de toutes les matières criminelles en outre des délits politiques et ceux de la presse. Voilà la part que la constitution a faite au jury.
Les simples délits, dans les matières autres que les matières politiques et de presse, n’ont pas été attribués au jury, et restent par conséquent, sous la juridiction ordinaire des juges qui en étaient saisis, lorsque la constitution a été promulguée, si la loi que nous discutons avait comminée des peines qui eussent un caractère criminel, alors d’après la constitution (nous n’aurions pas besoin de le dire, la constitution le dit pour nous) les faits spécifiés dans cette loi seraient déférés au jugement du jury.
Mais, d’un autre côté, sans qu’il soit besoin d’en parlant, en laissant subsister la législation actuelle et toutes les dispositions de la constitution, si la loi est muette relativement à la juridiction, comme il n’y a dans la loi que des peines correctionnelles, les cas qu’elle prévoit rentreront, par leur nature, dans la juridiction des tribunaux correctionnels. Nous ne faisons qu’appliquer la législation ordinaire telle qu’elle est réglée par la constitution et par la loi. Quand on veut attribuer les délits dont il s’agit aujourd’hui au jugement par jury, on veut établir une juridiction exceptionnelle, parce que ces délits ne rentrent pas dans l’article de la constitution que je viens d’indiquer.
Sous le rapport du droit, je ne vois donc pas de motif pour soumettre au jugement du jury les délits dont il est question dans la loi que la chambre vote en ce moment.
J’examinerai maintenant la disposition proposée sous le rapport des motifs donnés par son honorable auteur.
Il a d’abord, si j’ai bien compris, comparé les délits prévus par le projet de loi en discussion aux délits de la presse, et il a rappelé le motif qui a fait attribuer la connaissance des délits de la presse au jury. C’est que ces délits, a-t-il dit, sont très difficiles à caractériser. Cela est vrai ; c’est reconnu depuis longtemps ; cela a été reconnu dans la section centrale du congrès. Mais en est-il de même pour les délits prévus par la loi actuelle ? Non, cela tombe sous le sens. N’y eût-il qu’une blessure légère, il y a un corps de délit, et, si la mort d’un des combattants a été le résultat du duel, alors on conviendra que le délit n’est pas difficile à caractériser. Ce motif ne peut donc faire aucune impression.
On a parlé d’un projet de loi présenté en 1829 à la chambre des pairs en France. D’après les dispositions de ce projet de loi qui n’a pas reçu la sanction du pouvoir législatif, les délits qu’il prévoyait étaient soumis au jugement par jury. Vous vous rappelez en quelle circonstance ce projet a été présenté. En présence de la jurisprudence de 1818 à 1828, qui avait été constamment déclaré que le duel ne constituait ni crime, ni délit, on conçoit qu’il devait y avoir plus ou moins de réserve et d’incertitude dans les dispositions présentées sur cette matière.
Du reste, je crois qu’il ne faut nullement s’arrêter à des citations. Nous devons chercher les motifs de la législation à adopter non dans tel ou tel exemple, dans tel ou tel projet de loi, c’est en général sur l’expérience que l’on doit s’appuyer dans les dispositions législatives, et il est évident qu’un projet de loi qui n’a jamais été converti en loi n’a pas pour lui la sanction de l’expérience. C’est simplement une opinion, et chacun comprendra qu’à une opinion, on puisse opposer une opinion contraire.
On a fait valoir divers motifs à l’appui de la proposition. On nous a dit que si le jury était plus disposé à acquitter, ce n’était pas une raison pour enlever ces sortes d’affaires au jugement par jury ; enfin on a fait valoir que le jury serait plus disposé à condamner. Quant à moi, je crois qu’il ne faut ni condamner ni acquitter facilement, qu’il faut, avant tout, vérifier les faits, et les faits une fois prouvés, y appliquer la loi. Je crois que c’est ainsi que toutes les lois doivent être exécutées, ainsi l’objection ne me touche en aucune manière.
On se demande : Mais pourquoi écarter le jury de la connaissance des faits de duel : pourquoi ? par des raisons bien simples ; c’est pour rester dans le droit commun. Dès qu’on n’applique aux faits de duels que des peines correctionnels, il faut suivre le juge correctionnel pour leur application. Devant quelle juridiction se présenteront ceux qui seront inculpés de faits prévus par la loi en discussion ? Ils seront jugés par des magistrats inamovibles que rien ne pourra influencer ; et l’on sait qu’il est toujours à désirer que la justice soit impartiale, et qu’aucune espèce d’influence ne s’exerce sur elle. Mais, nous dit-on, les magistrats sont âgés, leur âge les rend insensibles. Est-ce qu’on ne représente pas la justice avec un bandeau ? est-ce que les magistrats doivent s’enquérir de la qualité des parties ? Nullement ; ils n’ont à envisager que le fait et la loi à y appliquer. Nous n’avons donc à craindre ni une sévérité outrée du juge, ni une trop grande indulgence. Nous n’avons pas à craindre que le juge soit influencé, ni que son impartialité soit compromise, et je crois que c’est ce qu’on doit désirer dans tous les jugements.
Mais on nous a cité le réquisitoire de M. Dupin, qui veut que, dans les matières de duel, on en appelle au jury, au jugement du pays, et, dit-il, en cas d’acquittement, on aura rendu hommage à ce qu’on peut exiger de la justice. Mais veuillez vous fixer sur l’hypothèse dans laquelle parlait M. . Dupin. Etait-ce pour les cas où le duel avait eu pour résultat des blessures légères qu’il demandait le jugement du jury ? En aucune manière. Il restait dans les principes du droit commun, d’après lequel, dès qu’on applique une peine criminelle, il faut l’intervention du jury ; mais il ne demandait pas le jugement du jury pour le cas où les résultats du duel ne donnaient lieu qu’à l’application d’une peine correctionnelle. Ainsi son opinion, quant à ce point, ne peut faire aucune impression.
Une autre partie du réquisitoire fera peut-être sur vous la même impression qu’elle a faite sur moi. On a parlé du préjugé et on veut, jusqu’à un certain point le respecter. Eh bien, voici comment M. Dupin parle du préjugé : « Le préjugé, dit-il, j’ose affirmer qu’il est moins général qu’on le prétend ; je ne crains pas de m’élever contre lui de toute la hauteur de mes fonctions, et de dire que le duel viole toutes les lois divines et humaines. »
M. Dupin disait encore : « Le préjugé (il s’agissait d’un arrêt déféré à la cour de cassation où l’on avait invoqué le préjugé), le préjugé, grand Dieu ! et c’est dans un arrêt qu’on trouve une pareille excuse ! mais à quelle fin sont donc institués les magistrats ? Est-ce pour céder au préjugé ou pour y résister ? prêtons-nous serment de fidélité au préjugé ou à la loi ? Il est évident que c’est là la pire des allégations. »
Voilà, messieurs, comme M. Dupin s’est exprimé : Eh bien, en attribuant à des magistrats inamovibles, impartiaux, à des magistrats entourés de la considération publique, la connaissance des faits, ils sauront résister au préjugé, ils sauront être justes, et n’appliqueront la loi que quand les faits seront constants. Or, n’est-ce pas là ce que vous désirez quand vous faites une loi : c’est qu’elle soit exactement exécutée.
M. de Roo – Il paraît que les cas prévus par mon amendement seraient prévus par l’article 14 du code militaire ; je demanderai alors à quoi sert la deuxième partie de l’article 9 de la loi en discussion.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – La seconde disposition est une exception à la première dans un cas déterminé.
M. de Roo – Je retire mon amendement.
M. Delfosse – Par le premier article, vous punissez ceux qui provoquent en duel ; par l’article 2, vous punissez ceux qui décrient ou injurient une personne pour avoir refusé un duel ; par l’article 3, vous punissez ceux qui excitent ou qui, par une injure quelconque, provoquent au duel ; quelques-uns de ces délits peuvent être commis par la voie de la presse, et il doit être bien entendu que la connaissance en sera dévolue au jury, sans quoi il y aurait violation de l’article 98 de la constitution.
Mais il pourra arriver que des délits qui n’auront pas été commis par la voie de presse, seront liés à ceux qui auront été commis par cette voie ; que fera-t-on dans ce cas, traduira-t-on les uns devant le jury, et les autres devant le tribunal correctionnel ; ou bien, ce qui me paraît le plus naturel, seront-ils traduits devant le jury ? Je désire que M. le ministre de la justice donne des explications sur ce point.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – De ce que vient de dire le préopinant résulte deux questions : si les délits sont commis par la voie de la presse, seront-ils sommes au jury ? S’il y a connexité entre deux délits, dont l’un aurait été commis par la presse, l’un ira-t-il devant le jury et l’autre devant le tribunal correctionnel ?
La loi est muette concernant la juridiction ; il suit de là qu’il faut suivre la jurisprudence qui nous régit : d’après l’article 98 de la constitution, et d’après le décret du 19 juillet 1831, il est certain, à mon avis, qu’un délit commis par la voie de la presse sera soumis au jury ; il ne peut, suivant moi, y avoir l’ombre d’un doute sur ce point. Dans tout ce que j’ai dit pendant la discussion de la présente loi, j’ai toujours invoqué la juridiction ordinaire et toujours demandé qu’on ne se mît pas en dehors de la constitution.
Quant à l’autre point agité par l’honorable préopinant, c’est un point de doctrine, et, à cet égard, il faut consulter les auteurs.
Si ma mémoire est fidèle, voici comment ce point de doctrine a été jugé. Lorsqu’il s’est présenté deux affaires connexeés, dont l’une devait être, par sa nature, déférée au jury, et dont l’autre devait être déférée à la police correctionnelle, on a décidé que ces affaires devaient toutes deux aller devant le jury ou en cour d’assises. Nous ne dérogeons ni aux lois sur la presse, ni à la doctrine. Je ne sais si je dois m’arrêter plus longtemps à ces questions de doctrine ; du reste, je n’émets que mon opinion personnelle.
M. Delfosse – Je suis satisfait des explications que M. le ministre de la justice vient de donner, et je suis bien aise de les avoir provoquées. Mon observation était surtout faite en vue de l’article 9 tel qu’il a été adopté par le sénat et sur lequel la chambre serait appelée à voter si l’amendement de la section centrale n’était pas admis ; d’après cet article, la connaissance des faits prévus par les articles 1, 2, 3 et 4 serait, « dans tous les cas, déférée aux tribunaux correctionnels » ; cette disposition est évidemment trop générale, et il faudrait de toute nécessité, si elle était mise aux voix, en excepter les délits commis par la voie de la presse.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Vous savez que j’ai déclaré, dès le commencement de la discussion, que j’adoptais les dispositions formulées par la section centrale ; j’ai donc constamment raisonné dans le sens du projet de la section centrale, et je n’avais pas à m’occuper du projet du sénat. Déjà vous avez modifié le projet du sénat, en réduisant toutes les peines à des peines correctionnelles. Cependant on fait la critique de la disposition proposée par le sénat, laquelle est ainsi conçue :
« Art. 9. Les tribunaux correctionnels connaîtront des faits prévus par les articles 1, 2, 3 et 4.
« La connaissance des faits prévus par les articles 5 et 6 est dévolue aux tribunaux compétents, conformément au code pénal et au code d’instruction criminelle. »
Mais cette disposition doit être combinée avec tout le système adopté par le sénat. Il avait établi des peines excédant les peines correctionnelles que les cours d’assises pouvaient seules appliquer, et il avait établi des peines correctionnelles, ; en déférant ce dernier cas aux tribunaux correctionnels, il ne violait nullement la constitution. On ne peut d’ailleurs pas supposer qu’un corps haut placé aurait fait ce qu’il n’aurait pu faire.
M. Delfosse – Mon intention n’a nullement été d’accuser le sénat d’avoir voulu déroger à la constitution, et j’aime à croire qu’une telle pensée n’est entrée dans l’esprit d’aucun de ses membres ; il n’en est pas moins vrai que la disposition de l'article 9, rédigée en termes trop généraux, était en opposition formelle avec l’article 98 de la constitution.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Je pense, messieurs, que nous sommes tous d’accord pour ne pas adopter la disposition du sénat, et dès lors, cette discussion est parfaitement inutile.
M. Delfosse – La disposition du sénat sera nécessairement mise aux voix (Erratum au Moniteur du 12 mars 1840 :), si l’amendement de la section centrale n’est pas adopté, et c’est pour cela que j’ai cru devoir faire mon observation.
M. F. de Mérode – Messieurs, je demande à faire une observation sur ce qui vient d’être dit ; on pourrait en inférer que les injures, par voie de presse, sont nécessairement justiciables du jury ; pour mon compte je ne le crois pas. Et voici pourquoi : les articles de la constitution s’expliquent mutuellement ; or, l’article 14 porte que « la liberté de manifeste des opinions » en toute manière sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de cette liberté. » Puis on lit à l’article 98 : « le jury est établi en toutes matières criminelles, et pour délits politiques ou de la presse. » On voit donc que, dans l’esprit du pouvoir constituant, le délit de la presse est un délit qui s’applique à une opinion exprimée par voie de la presse ; mais l’injure qui s’imprime n’est pas plus une opinion que l’injure qui se prononce verbalement. Je pense donc que la constitution a voulu donner des garantie à la liberté des opinions, en rendant les abus de cette liberté justiciables du jury. Mais je pense qu’elle ne s’est pas occupée de la liberté des injures, qui ne mérite pas la même sollicitude. Ce sont les injures qui se lient ordinairement aux cas de duel ; et je protesterais contre le privilège qui serait reconnu aux injures imprimées, d’être exclusivement punissables par le jury. Puisque la disposition du sénat est remplacée par celle de la section centrale, il n’y a pas lieu toutefois de traiter le sujet que j’aborde occasionnellement, et seulement pour m’élever contre une interprétation, qui me emblerait trop absolue et dangereuse de l’article 98 de la constitution.
M. Demonceau – J’appuie, messieurs, la proposition de la section centrale, et je pense qu’il faut absolument repousser l’amendement de l’honorable M. Metz. S’il s’agissait d’établir dans la loi des peines criminelles, je concevrais qu’on voulût soumettre au jury la connaissance des faits auxquels ces peines devraient être appliquées ; mais lorsque nous n’établissons que des peines correctionnelles, je ne vois pas pourquoi l’on voudrait soustraire aux tribunaux correctionnels la connaissance des délits dont s’occupe la loi. Serait-ce qu’on se défie des tribunaux correctionnels et qu’on a plus de confiance dans le jury ? Réfléchissez-y bien, messieurs, les décisions des tribunaux correctionnels ont au moins un correctif dans l’appel.
Si l’on croit qu’un tribunal correctionnel s’est trompé, on peut en appeler au juge supérieur ; mais si le jury se trompe, on ne peut en appeler à personne. On peut gémir sur une décision du jury, soit sans un sens, soit dans un autre, mais on ne peut réparer cette décision. Vous voyez, messieurs, que si sous certains rapports, les prévenus peuvent avoir des avantages à comparaître devant le jury, ils peuvent en trouver sous d’autres rapports à comparaître devant le juge correctionnel. Rappelez-vous les paroles prononcées dans une autre discussion par un de nos honorables collègues ; il vous disait : « Si j’avais à défendre un innocent, je désirerais le voir juger par le juge ordinaire ; si je plaidais pour un coupable, je préférerais le jugement du jury. » Il y a donc des hommes qui ont beaucoup plus de confiance dans les tribunaux inférieurs que l’honorable M. Metz. N’allez pas croire, ainsi qu’on a semblé l’insinuer, que les juges composant les tribunaux soient insensibles ; lorsqu’ils prononcent une condamnation, c’est qu’ils sont esclaves de la loi ; il est arrivé plus d’une fois que tels magistrats qui condamnent sans pitié un homme qu’ils croient coupable, useraient volontiers de leur omnipotence pour l’acquitter, s’ils jugeaient comme jurés.
Si vous voulez, messieurs, que la loi soit préventive au lieu d’être seulement répressive, laissez aux tribunaux correctionnels la connaissance de tous les délits qu’elle prévoit ; si ces tribunaux se trompent, le juge supérieur, je le répète, est là pour redresser leurs erreurs. Soyez-en persuadés, les tribunaux correctionnels appliqueront les peines comminées par la loi, en ayant égard aux circonstances du temps, du lieu et des personnes, et dès lors nous pourrons espérer de voir disparaître le préjugé fatal qui donne lieu si souvent au duel.
Quant à ce qui a été dit sur la manière dont il faudra interpréter la loi, je crois qu’il faut abandonner cette question au pouvoir judiciaire ; soyez-en persuadés, messieurs, le pouvoir judiciaire interprétera la loi de telle manière que le pays sera satisfait.
- L’amendement de M. Metz, qui tend à soumettre au jury les délits prévus par la loi, est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
La proposition de la section centrale est mise aux voix et adoptée.
Article 10
« Art. 10 (du projet du sénat) Les tribunaux correctionnels et les tribunaux militaires pourront, dans leurs jugements, reconnaître qu’il existe des circonstances atténuantes en faveur du prévenu.
« Le jury sera toujours appelé à se prononcer sur l’existence de ces circonstances.
« Si leur existence est reconnue par les tribunaux, ou déclarée par le jury, le coupable sera puni d’après les distinctions suivantes :
« S’il s’agit de blessures prévues par l’article 6, les peine pourront être réduites à la moitié du minimum ;
« S’il s’agit de blessures prévues par l’article 5, la peine sera un emprisonnement de six mois à deux ans, et d’une amende de cinq cents francs à trous mille francs.
« Celui qui aura donné la mort sera puni d’un emprisonnement de deux à dix ans, et d’une amende de mille à dix mille francs. »
La section centrale propose la suppression de cet article.
M. d’Huart – J’ai annoncé, messieurs, que je proposerais un article additionnel relatif aux circonstances atténuantes. Je demande que le vote qui va être émis sur l’article 10 ne préjuge rien relativement à la proposition que j’ai l’intention de faire.
M. le président – Je mettrai aux voix l’article 10, avec cette réserve que l’on pourra toujours présenter des amendements relativement aux circonstances atténuantes.
- L’article 10 est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
« Art. 10 (nouveau) proposé par la section centrale. En cas d’arrestation, la liberté provisoire sous caution pourra être refusée. »
- Adopté.
« Art. 11 (proposé par le sénat). Dans tous les cas prévus par l’article 5, le paragraphe premier de l’article 6 et par l’article 10, lorsque la peine d’emprisonnement sera prononcée, les cours et tribunaux pourront priver les auteurs et complices des crimes ou délits commis en duel, de tous emplois civils ou militaires et du droit de porter des décorations ; ils pourront aussi leur interdire l’exercice de tout ou partie des droits mentionnés en l’article 42 du code pénal, le tout pendant un temps qui ne pourra excéder dix années. Ce temps courra du jour où le coupable aura subi sa peine. »
« Art. 11 (proposition de la section centrale). Dans tous les cas prévus par le paragraphe premier de l’article 4, l’article 5, le paragraphe premier de l’article 6, lorsque la peine d’emprisonnement sera prononcée, les cours et tribunaux pourront priver les auteurs et complices des crimes ou délits commis en duel, de tous emplois civils ou militaires et du droit de porter des décorations ; ils pourront aussi leur interdire l’exercice de tout ou partie des droits mentionnés en l’article 42 du code pénal, le tout pendant un temps qui ne pourra excéder dix années. Ce temps courra du jour où le coupable aura subi sa peine. »
M. de Behr – Je demande le retranchement du mot « cours » dans l’article ; ce mot est inutile.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Il en est de même du mot « crimes. »
M. de Garcia – Le mot « crimes » est inutile ; mais il me semble qu’il faut maintenir le mot « cours », car il y a des faits qui pourront être déférés aux cours d’assises.
M. Demonceau – Le mot « tribunaux » suffit ; ce mot comprend tous les tribunaux appelés à appliquer la loi.
M. le président – Personne ne demandant plus la parole, je mets aux voix l’article 11 du projet de la section centrale, avec le retranchement des mots « cours » et « crimes ».
- Cet article est adopté.
M. le président – Nous passons à l’article 12. Ici dans l’examen de l’article 6 nouveau qui a été proposé par l’honorable M. Devaux, et dont la discussion a été ajournée jusqu’à celle de l’article 12.
Cet article nouveau est ainsi conçu :
« Le maximum de la peine sera toujours appliqué :
« 1° A celui qui sera cause que le combat a continué après le premier sang, si l’on s’est battu à l’arme blanche, ou après l’échange d’un seul coup de feu ;
« 2° A celui qui aura accepté des conditions de combat qui devaient nécessairement entraîner la mort d’un des adversaires ;
« 3°° A celui qui, étant plus âgé, aura eu pour adversaire un jeune homme de moins de vingt-et-un ans ;
« 4° A celui qui aura abusé de la supériorité de son adresse ou aura accepté des conditions qui établissaient une inégalité de chance en sa faveur ; dans ce cas, le maximum de la peine pourra même être porté au double. »
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Messieurs, il me semble qu’il n’y a pas lieu d’adopter l’amendement de M. Devaux qui statue que, pour une contravention à la loi, le maximum pourra être porté au double dans les cas qu’il détermine.
D’après les lois qui nous régissent, c’est en cas de récidive que les peines peuvent être portées au double, et l’article proposé par la section centrale est fondé sur le droit commun.
Quant aux cas qui sont prévus dans l’amendement de l’honorable M. Devaux, il me semble que puisque tous les cas peuvent se présenter, et les espèces se diversifier tellement qu’il est impossible d’apprécier d’une manière exacte toutes les circonstances ; il me semble, dis-je, qu’il y a lieu de s’en rapporter à l’arbitrage du juge.
M. Devaux – Dans tous les cas, on pourrait retrancher la dernière ligne de mon amendement. Le seul but que je veux atteindre par cet amendement, c’est d’exercer de l’influence sur l’esprit des combattants, et d’établir dans leur esprit une grande différence entre le combat à outrance et l’autre combat.
M. F. de Mérode – Messieurs, je ne puis admettre la disposition aux termes de laquelle, en cas d’un nouveau délit, le juge sera forcé d’appliquer toujours le maximum de la peine. Je suppose qu’ l’individu qui a été récemment acquitté à Mons, pour une affaire de duel, se retrouve dans les mêmes circonstances que celles dans lesquelles il s’est trouvé déjà, et qu’il agisse comme il a agi, sera-t-il condamné au double de sa peine ? Il me semble que ce serait une injustice. Je trouve qu’il y a encore ici ce défaut d’élasticité que j’ai déjà signalé.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Messieurs, on a demandé si, après avoir été acquitté, on était poursuivi ensuite pour un fait semblable, on devait toujours été condamné au maximum ; mais non, messieurs, car la loi prévoit le cas où l’ « on a été condamné » ; c’est ce qui est de droit commun, et jusqu’ici, on n’a pas réclamé contre le droit commun.
L’article 58 du code pénal porte :
« Les coupables condamnés correctionnellement à un emprisonnement de plus d’une année, seront aussi, en cas de nouveau délit, condamnés au maximum de la peine portée par la loi, et cette peine pourra être élevée jusqu’au double. Ils seront de plus mis sous la surveillance spéciale du gouvernement pendant au moins cinq années et dix ans au plus.
M. F. de Mérode – Messieurs, il est très vrai que la personne dont j’ai cité l’exemple, n’a pas été condamnée, parce qu’il n’y a pas eu jusqu’ici de loi sur le duel ; mais si la loi que nous sommes occupés à élaborer eût déjà été en vigueur, il n’est pas certain du tout que l’individu que j’ai signalé eût été acquitté.
M. le président – Voici comment M. de Mérode propose de rédiger l’article :
« En cas de nouveau délit prévu par la présente loi, et commis par un individu déjà condamné en exécution de la même loi, la peine pourra être portée au double. »
- L’amendement est appuyé.
M. F. de Mérode – Je présenterai tout à l’heure une autre rédaction.
M. Metz – Messieurs, je n’ai pas besoin de faire valoir de nouvelles considérations, pour appuyer l’amendement fort raisonnable, à mon avis, qui a été présenté par l’honorable M. F. de Mérode. En effet, vous avez déjà entendu proclamer qu’il fallait laisser la plus grande latitude au juge, qu’il fallait s’en rapporter entièrement à sa manière d’apprécier les faits ; eh bien, ces principes que vous avez trouvés plus d’une fois dans la bouche de M. le ministre de la justice, sont parfaitement applicables à l’amendement de l’honorable M. de Mérode.
Si j’ai pris la parole, c’est bien moins pour appuyer cet amendement que pour réfuter une erreur qui a été professée par M. le ministre de la justice, et qui paraît avoir servi de texte à l’article qui nous occupe.
Le double du maximum de la peine, a dit M. le ministre de la justice, est le droit commun, et il nous a cité à l’appui un article du code pénal.
La pénalité du double n’est jamais appliquée, en cas de récidive, que lorsqu’il y a eu condamnation à plus d’une année d’emprisonnement. Dans la plus grande partie des cas prévus par la loi dont il s’agit les peines sont inférieures à un an.
Il est donc inutile d’invoquer une disposition faite pour des cas qui sont l’exception dans notre loi. La peine d’un an à cinq ans d’emprisonnement offre une marge immense dans laquelle les juges pourront être suffisamment à l’aise. Il est inutile de leur donner la faculté d’appliquer une peine plus forte.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Quand j’ai lu la disposition, je l’ai lue toute entière ; je savais qu’il fallait avoir été condamné à un emprisonnement de plus d’une année, pour qu’on pût être condamné au double du maximum. Mais ici, il n’en reste pas moins que le maximum rentre dans les dispositions du droit commun. Mais quand on qualifie la récidive, on oblige le juge à prononcer le maximum de la peine, et on l’autorise à la porter au double.
Je crois qu’il y a lieu de maintenir cette disposition, car que voulez-vous ? autant que cela vous est possible, par une loi, prévenir les duels. En punissant un premier duel, vous tâchez par ce moyen d’empêcher qu’il ne s’en présente de nouveaux, par la crainte des peines que la loi inflige. Mais si la même personne qui a déjà subi une condamnation du chef du duel, n’est pas corrigée, si un deuxième duel a lieu, et que, pour ce nouveau délit, cette personne soit condamnée, n’est-il pas juste qu’on applique dans ce cas le maximum de la personne ? Une personne a donné la mort en duel ; que le même cas se représente dans un second duel, n’est-il pas moral que le législateur statue qu’alors le maximum sera appliqué et que la peine pourra être portée au double ?
Que devons-nous chercher à éviter autant qu’il est en nous ? les récidives. Dans les délits ordinaires, les condamnés pour récidive sont l’objet d’une surveillance particulière ; et, en général, ils sont condamnés à une peine plus forte que pour les premiers délits. Pourquoi, tandis que nous voulons empêcher les récidives, ne maintiendrions-nous pas la disposition qui, dans ce cas, permet de porter la peine au double ?
Je ne sais si après avoir porté des peines aussi faibles qu’en cas d’homicide, nous devons laisser la même latitude en cas d’un second homicide. Je crois moral de maintenir la disposition de la loi qui prévoit la récidive.
(Moniteur n°72 du 12 mars 1840) M. F. de Mérode – Je propose de remplacer la disposition par celle-ci :
« En cas de nouveau délit prévu par la présente loi, commis par une personne précédemment condamnée en exécution de la présent loi, le maximum de la peine pourra être porté au double. »
M. d’Huart – Je me permettrai de demander à M. le ministre de la justice une explication sur le sens de la rédaction de l’article 12. Je crains que cet article n’ait une portée différente de celle qu’on lui suppose à la première lecture. On y dit que les coupables condamnés en exécution de la présente loi seront, en cas de nouveaux délits prévus par la même loi, condamnés au maximum de la peine, et qu’elle pourra même être portée au double.
Je suppose qu’un individu ait été condamné par un des faits prévus par les trois premiers articles, pour avoir provoquer ou excité au duel, ou pour avoir donné lieu à la provocation par une injure quelconque ; s’il est repris ensuite pour un fait d’une nature plus grave, comme, par exemple, dans le cas de l’article 5 d’après lequel une peine très sévère est comminée, appliquera-t-on le double du maximum de cette peine ? Oui, d’après les termes de l’article 12, tel qu’il est rédigé, contrairement sans doute, à l’intention de la section centrale. Si mon observation est juste, il faudrait donc modifier la rédaction est exprimer qu’il ne s’agit que de la récidive de nouveaux délits semblables, en un mot, il faudrait qu’il fût bien compris que le maximum sera nécessairement appliqué dans le cas seulement où le même délit serait commis une deuxième fois par la même personne.
(Moniteur n°71 du 11 mars 1840) M. le ministre de la justice (M. Raikem) – L’observation de M. d’Huart est très juste ; telle était l’intention de la section centrale, que les peines de la récidive seraient appliquées quand il se présenterait de nouveaux délits de même nature. Ainsi, ceux qui auraient été condamnés en vertu des premiers articles qui comminent des peines moindres que les articles suivants, ne seraient soumis au maximum que dans le cas où ils commettraient un de ces délits. On pourrait dire : « en cas de délits de même nature prévus par la présente loi. » L’article ainsi rédigé est très juste et ne peut pas donner lieu à des inconvénients. Il faut toujours obliger le juge à appliquer le maximum en cas de récidive.
M. F. de Mérode – La proposition que j’ai faite doit remplacer l’article 12.
- L’amendement de M. F. de Mérode est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
L’article 12 est mis aux voix dans les termes suivants :
« Art. 12. Les coupables condamnés en exécution de la présente loi seront, en cas de nouveaux délits de la même nature, condamnés au maximum de la peine ; elle pourra même être portée au double. »
La disposition additionnelle proposée par M. Devaux est mis aux voix ; elle n’est pas adoptée.
« L’article 13 est mis aux voix et adopté dans les termes suivants :
« Art. 13. La loi du 30 décembre 1836 (Bulletin officiel n° ) sur les crimes et délits commis à l’étranger est rendue commune aux faits prévus par le paragraphe premier de l’article 4, l’article 5 et le paragraphe premier de l’article 6 de la présente loi.
« L’article 1er de la loi du 22 septembre 1835 (Bulletin officiel n°643) est applicable à l’étranger qui aurait eu un duel avec un Belge, en pays étranger. »
M. le président – La parole est à M. d’Huart.
M. d’Huart – Vous connaissez tous, messieurs, la substance de l’article 463 du code pénal, qui a été cité plusieurs fois dans cette discussion ; cependant, comme je vais proposer à la chambre de rendre cet article applicable à plusieurs des dispositions de la loi spéciale dont nous nous occupons, je crois utile de vous en donner lecture. Cet article porte :
« Art. 463. Dans tous les cas où la peine d’emprisonnement est portée par le présent code, si le préjudice causé n’excède pas 25 francs, et si les circonstances paraissent atténuantes, les tribunaux sont autorisés à réduire l’emprisonnement, même au-dessous des 6 jours, et l’amende même au-dessous de 16 francs. Ils pourront aussi prononcer séparément l’une ou l’autre de ces peines, sans qu’en aucun cas, elle puisse être au-dessous des peines de simple police. »
Je propose de rendre cet article applicable aux articles 1,2 et 3 et au deuxième paragraphe de l’article 4 de la loi qui nous occupe.
Vous savez que ces articles sont des dispositions de répression préventive ; ils concernent la provocation, l’injure contre la personne qui n’a pas accepté le duel, la conduite de celui qui a excité au duel et de celui qui, par une injure quelconque, a donné lieu à la provocation.
Le deuxième paragraphe de l’article 4 concerne celui a accepté le duel, mais qui n’a pas fait usage de ses armes contre son adversaire. Dans les longs débats qui ont eu lieu au sujet de ce paragraphe, d’honorable membres auraient voulu qu’il n’y eût aucune pénalité contre le duelliste dans certains cas, et que, par exemple, celui qui, après avoir essuyé le feu de son adversaire, aurait tiré son coup de pistolet en l’air, ne fût passible d’aucune peine. Nous nous sommes opposés à la suppression du paragraphe dont il s’agit, parce que cette suppression aurait, selon nous, affecté le principe de la loi qui, établissant le duel dans tout état de cause comme un délit, doit comminer une pénalité quelconque contre celui qui aura été acteur dans ce délit. Toutefois, nous n’avons pas contesté que le fait prévu par le deuxième article de l’article 4 devait être apprécié eu égard aux circonstances atténuantes, et nous avons été d’avis qu’il pourrait être trop rigoureux de comminer, d’une manière absolue, la peine d’un mois de prison au moins contre celui qui aurait usé de générosité. Nous avons donc annoncé que nous nous réservions de faire la proposition de laisser au juge plus de platitude, de lui donner, pour ce concerne ce paragraphe comme pour les dispositions simplement préventives, la faculté d’apprécier toutes les circonstances, tous les faits, et par suite le pouvoir de réduire les peines proportionnellement au peu de gravité du délit.
Tels sont les motifs de la disposition que je dépose sur le bureau. Je ne lui donne pas plus d’extension, parce qu’à mes yeux, une fois que le combat a eu lieu de part et d’autres ; une fois que le sang a coulé, il ne doit plus y avoir la même indulgence. Le délit ayant été perpétré dans toute sa force, la vindicte publique réclame, au moins contre l’un des deux champions, une punition plus ou moins grave.
J’attendrai cependant la suite de la discussion, pour me fixer définitivement à cet égard ; s’il m’est démontré qu’il y a utilité évidente sans aucun inconvénient grave à rendre l’article 463 du code pénal applicable à toutes les dispositions de la loi spéciale que nous discutons, je me rallierai à l’amendement qui généraliserait ma proposition.
M. le président – L’article additionnel proposé par M. d’Huart est ainsi conçu :
« Les dispositions de l’article 463 du code pénal sont applicables aux articles 1, 2 et 3 et au deuxième paragraphe de l’article 4 de la présente loi. »
M. Metz vient de déposer sur le bureau une disposition additionnelle, ainsi conçue :
« Les dispositions de l’article 463 du code pénal seront applicables à toutes les dispositions de la présente loi, sans limitation pour le préjudice causé. »
La parole est à M. Metz.
M. Metz – J’ai dit que j’appuierais toutes les modifications de nature à introduire dans la loi des peines plus légères, et non seulement je viens soutenir l’amendement de M. d’Huart, mais je propose de l’étendre à toutes les dispositions de la loi, parce que je ne vois aucun raison de les restreindre aux articles 1, 2, 3 et 7.
Pour flétrir le duel avec plus d’énergie, pour montrer combien il importait de le punir, l’honorable ministre de la justice présente le duel comme un reste de l’ancienne barbarie. Non, messieurs, le duel ancien n’a rien de commun avec celui que nous connaissons, avec celui qui, selon l’honorable ministre afflige aujourd’hui la société : qu’il me soit permis de le prouver en trois mots.
Le duel ancien, apporté par les Germains, toujours appelé le jugement de Dieu, ne dut son origine qu’à l’absence de toutes lois pour pouvoir décider les contestations judiciaires ; de là le duel dont on confiait l’issue à la justice de Dieu, qui devait protéger l’innocent, le juste. Les croisades, l’imprimerie et surtout la découverte d’un manuscrit des Pandectes dites florentines, contenant les lois avec lesquelles on pouvait juger, abolirent l’usage du duel judiciaire ; et, né au cinquième siècle, il disparut au quinzième, après avoir, dans cet intervalle, tout soumis à son empire, et même les corporations religieuses, dont les champions descendaient dans l’arène : le dernier duel judiciaire eut lieu en 1454. Celui pour injures privées, était inconnu à l’époque, mais l’habitude et le spectacle des duels judiciaires, l’esprit ardent des Français permit bientôt au duel pour injures, qui régissait alors l’Italie, de pénétrer en France ; il passa les Alpes, laissant à l’Italie le stylet au lieu de l’épée, et il trouva facile accueil au sein de la noblesse bouillante et chevaleresque d’un pays où « tout pouvait se perdre fort l’honneur. » Sévissant avec fureur sous Henri IV, il diminua sous Louis XIII, puis sous Louis XIV, plus encore sous Louis XV, plus enfin sous Louis XVI, et fut presque ignoré dans l’empire, où il s’était réfugié dans les camps. Il reparut à la restauration pour diminuer de nouveau jusqu’en 1830, que la violence des opinions de parti s’introduisant de la société dans la presse, escaladant même la tribune, on ne vit plus seulement le duel ordinaire, mais encore le duel littéraire et le duel parlementaire, si je puis les nommer ainsi : le temps et la raison ont ramené le calme dans la société, et le duel aujourd’hui est plus rare que jamais. Le duel n’est donc pas un reste de l’ancienne barbarie, et ne le calomnions pas pour le faire punir.
Je viens d’entendre dire que j’avais annoncé vouloir paralyser l’effet de la loi ; autant eut valu me reprocher d’être l’apologiste du duel. Moi être l’apologiste du duel, moi qui au vu un frère que j’aimais prêt à périr sous mes yeux ; moi qui ai vu un pistolet dirigé sur ma poitrine, moi qui ai passé par toutes ces angoisses qui déchirent même l’homme de cœur, non pas en apercevant la mort à 15 pas de lui, mais en tremblant pour un bon frère, en se sentant enlevé à tout ce que l’on doit chérir et protéger dans la vie. Et je serais l’apologiste du duel ! Vous ne doutez plus ; et si je vous ai engagé à ne pas punir le duel, c’est que je savais que l’honneur est une religion dont il faut respecter les lois et même les préjugés ; c’est que je savais qu’en 1789 aux états généraux, 98 baillages avaient demandé l’abolition des lois sur le duel ; c’est que je savais qu’il n’avait pas été puni par le code de 1810 ; c’est que je savais que les projets présentés en 1819 et 1829 avaient toujours été oubliés comme inutiles, ou retirés comme impossibles ; c’est que je savais enfin que les jurés acquittent toujours le duel loyalement passé : Si je vous avais dit que votre loi ne produirait aucun effet, c’est que je savais encore que les lois ne changent pas les mœurs, et que, dans un duel, entre les mœurs et la loi, c’est la loi qui succombe infailliblement.
Il n’est pas permis à tout le mode de dire comme le prince de Ligne de spirituelle mémoire, avec plus d’esprit que de vérité : « Le duel est une affaire de digestion au moins autant que d’honneur, c’est bien assez d’être ennuyé par les sots, sans encore se faire tuer par eux. »
Peu d’hommes pourraient aujourd’hui tenir le même langage. La société soumet l’homme à de tristes nécessités qu’il ne peut repousser, et c’est pour cela que je demande les peines les plus légères en certains cas, que je demande qu’il soit donné au juge la plus grande latitude. Il ne se présentera jamais deux duels avec le même caractère ; la position des parties, la nature de l’offense, le plus ou moins de vivacité de l’offensé, le mode du combat, la conduite des combattants, mille autres raisons différencieront les duels ; il en existera qui, aux yeux du juge même le plus sévère, seront bien près d’être légitimes, ne mériteront pas la moindre peine, et vous prononcez toujours la prison.
Laissez le juge rendre hommage à la loi, mais aussi à la raison, en condamnant à une peine qui ne soit pas toujours la prison, partagée avec des filous, des voleurs. Punissez de la prison le jeune écervelé, qui se joue en riant de sa vie et de celle des autres, mais l’homme d’honneur, qui courbe en gémissant la tête sous un préjugé contre lequel la raison est sans force, qui fait de sa vie un sacrifice noble et raisonné, pour conserver ce qui est plus précieux encore, l’opinion et l’honneur ; c’est frapper en aveugle que de condamner cet homme à la prison.
Quand François Ier adressait un cartel à Charles-Quint qui l’accusait d’avoir manqué à sa parole de roi, c’eût donc été la prison ?
Quand Philippe le Bon défiait au combat le duc de Glocester qui avait enlevé la trop facile Jacqueline de Bavière, eût-ce encore été la prison. ? Quand Fox, Pitt, Canning, Castelraugh se battaient : en prison ! Quand Berryer se battait, quand Benjamin Constant, dans son fauteuil, essuyait le feu de son adversaire : en prison ! Quand l’honorable Gendebien assoupissait par un duel avec l’honorable M. Rogier une querelle qui durerait peut être encore : vite en prison ! Voulez-vous donc déshonorer la loi et ennoblir la prison ? je le sais, la loi sera mauvaise, mais je vous en prie, ne la faisons pas ridicule, il nous en resterait quelque chose.
J’appuie l’amendement de M. d’Huart, en étendant l’application de l’article 463 à tous les cas. Si on invoque cet article pour des voleurs, des calomniateurs, des méchants que la société réprouve ; appliquez-le donc à l’homme d’honneur qui a eu le malheur de céder à un impérieux, à un irrésistible préjugé.
- L’amendement est appuyé.
M. F. de Mérode – Je n’approuve pas les opinions de M. Metz à l’égard du duel ; il trouve très mauvais que l’on mette en prison tel ou tel personnage ; pour moi je crois qu’on ferait très bien de les y mettre dans leur intérêt. Cependant, je suis forcé de voter pour l’amendement qu’il a proposé, parce qu’on a rejeté l’amendement que j’ai proposé et qui donnait une latitude fort large au juge pour appliquer les peines. Je veux des peines, mais je veux qu’on puisse les proportionner aux caractères divers que prennent les délits.
M. Metz – D’après l’honorable M. de Mérode, il faut toujours punir de l’emprisonnement, et cela pour une singulière raison : c’est pour faire plaisir à ceux qu’on envoie en prison.
M. F. de Mérode – Ce n’est pas pour leur faire plaisir, mais dans leur intérêt.
M. Metz – Soit, dans leur intérêt ; s’il était permis de rire à l’occasion d’une loi semblable, je demanderais qu’on mît dans la loi que les duellistes seront consultés pour savoir s’ils trouvent dans leur intérêt d’aller en prison ou de payer l’amende. Quoi qu’il en soit, l’honorable membre fait bien en appuyant mon amendement ; celui de M. d’Huart même ne me satisfait pas entièrement.
J’excuse plus facilement, dans certains cas, le duel lui-même que la provocation ou même l’excitation par injures : l’injure est presque toujours un acte d’incivilité ; la provocation un acte de colère ; le duel sera un acte de froide raison, de triste résignation.
Il faut encore apprécier les circonstances du duel : tel qui aura tué son adversaire dans un combat singulier, est peut-être aussi coupable que celui qui a provoqué le duel. Vous trouvez un exemple de ce que je dis dans le duel récemment jugé à Mons. Un jeune homme est insulté dans sa sœur, est injurié dans une réunion publique ; il est maltraité, est poursuivi sur la place publique, est enfin provoqué en duel par tous les moyens les plus grossiers ; est-il coupable ou sont-ce les provocateurs et les témoins ? Cet exemple ne prouve-t-il pas qu’il faut laisser aux magistrats toute la latitude possible ? Mon amendement rentre dans votre système.
M. d’Huart – M. Metz trouve plus blâmables, dans beaucoup de cas, les faits prévus par les trois premiers articles que certains duels. J’admets cela ; aussi je réserve l’appréciation de la gravité du délit au juge : s’il trouve que la provocation, par exemple, a été faite méchamment, il appliquera le maximum de la peine, tandis que si la provocation n’a été que la suite d’un premier mouvement de vivacité, le juge pourra n’appliquer qu’une peine très faible à raison de ce fait, réduit ainsi à une très minime importance.
Partant de la même considération, l’honorable M. Metz voudrait faire apprécier les circonstances atténuantes par le juge, sans aucune limite, dans tous les cas prévus par les autres articles ; or, je ne crains pas d’avancer que, si vous admettiez les circonstances atténuantes dans un sens aussi étendu que le propose l’honorable membre, la loi serait à peu près nulle ; en effet, dans ce système, ceux qui se rendraient sur le terrain, pour se battre en duel, auraient toujours, avant le combat, la perspective de n’être condamnés qu’à quelques francs d’amendes ; les peines sévères, comminées par plusieurs articles pour les cas d’homicides et de blessures graves, les pénalités dont vous voulez effrayer ceux qui seraient, sans cela, disposés à accepter un duel, n’inspireraient plus la crainte salutaire que vous en attendez, surtout, dis-je, si vous adoptiez l’extension que l’honorable M. Metz veut donner à l’article 463, lequel ne s’applique que dans le cas où le préjudice causé n’excède pas vingt-cinq francs, tandis que l’honorable membre veut retrancher cette restriction et permettre que l’article 463 soit appliqué alors même que l’un des combattants aurait reçu la mort ou des blessures telles qu’il soit tout à fait hors d’état de pourvoir à sa subsistance et à celle de sa famille. D’après l’amendement de l’honorable M. Metz, on pourrait, dans ces cas, même ne condamner qu’à une amende de quelques francs.
Vous voyez donc, messieurs, que cette proposition irait beaucoup trop loin, et qu’elle pourrait ruiner le système de la loi ; vous voyez aussi que la même objection ne peut pas être faite contre mon amendement, qui ne permet l’application de l'article 463 avec ses réserves que dans les cas prévus par des dispositions purement préventives, qui ne se rapportent point directement au fait même du duel et ne touchent qu’aux accessoires du délit.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Je crois, messieurs, devoir faire quelques observations sur les amendements qui ont été présentés par deux honorables préopinants. Celui de l’honorable M. d’Huart a pour objet d’appliquer à la loi que nous discutons en ce moment l’article 463 du code pénal ; celui de l’honorable M. Metz veut également appliquer le même article à cette loi, mais en écartant une des conditions de cet article, d’après laquelle il ne peut être appliqué que lorsque le préjudice causé n’excède pas 25 francs.
Il y a encore une autre différence entre l’amendement de M. d’Huart et celui de M. Metz, c’est que le premier n’applique la disposition du code pénal que dans les cas prévus par les articles 1, 2, 3 et par le paragraphe 3 de l’article 4 de la loi, tandis que l’autre applique la disposition dont il s’agit dans tous les cas.
Lorsqu’on a discuté les diverses dispositions du projet, lorsqu’on a examiné les pénalités qu’il commine et que l’on a soutenu que dans certains cas les pénalités pourraient être trop fortes, nous avons dit que nous examinerions cette question alors qu’il s’agirait des circonstances atténuantes. C’est là, messieurs, que nous en sommes venus, et c’est donc le moment de voir ce qu’il y a à faire relativement aux circonstances atténuantes.
Je pense, messieurs, que l’amendement de l’honorable M. Metz ne peut pas être adopté, car il permettrait de prononcer des peines de simple police dans tous les cas prévus par le projet ; or, vous savez que l’un de ces cas est celui où un homicide a été commis en duel, qu’un autre de ces cas est celui où il a été fait des blessures graves ; vous savez également que l’article 463 du code pénal permet de réduire les peines jusqu’à un franc d’amende. Or, je demande s’il est possible de laisser au juge une telle latitude dans les cas que je viens d’indiquer ? Si l’honorable M. Metz proposait d’appliquer l’article 463 tout entier, il n’en serait pas ainsi, parce que l’une des dispositions de cet article exige, pour que la peine puisse être réduite, que le préjudice causé n’excède pas 25 francs ; mais l’honorable M. Metz veut précisément retrancher cette disposition de l’article.
A cette occasion, messieurs, on est encore revenu sur les considérations générales relativement à la législation concernant le duel, considérations qui ne pouvaient en quelque sorte trouver leur place que dans la discussion générale ; je ne rentrerai pas dans l’examen des arguments de cette nature qu’a fait valoir l’honorable M. Metz, mais je dois dire un mot relativement à ce qu’il a répété dans son dernier discours, que sous la législation de 1810 les résultats du duel étaient impunis. C’est là, messieurs, une question qui est fortement controversée. Déjà on vous a rappelé que le dernier réquisitoire du procureur-général M. Dupin a changé l’opinion de M. Merlin à cet égard, et que le système de ce réquisitoire, de considérer les résultats du duel comme des crimes et des délits prévus par le code pénal, a été adopté par la cour de cassation de France et par la cour de cassation de Belgique. Dans ce moment même nous sommes obligés de faire une loi spéciale sur le duel pour ne pas faire une loi interprétative, qui sans cela serait indispensable.
« Mais, dit l’honorable M. Metz, M. le ministre de la justice a dit lui-même qu’il faut laisser une grande latitude au juge pour l’application d’une peine plus ou moins forte. » J’ai dit cela, messieurs, mais j’ai ajouté que cette latitude doit être restreinte dans certaines limites, et j’ai été loin d’admettre une latitude absolue comme celle que l’honorable M. Metz veut donner aux juges. C’est dans ce sens que je me suis constamment expliqué. J’ai dit que la loi ne peut pas prévoir tous les cas et qu’il faut laisser au juge le soin d’apprécier les différentes circonstances qui se présentent pour appliquer une peine plus ou moins forte, mais toujours entre un minimum et un maximum établis par la loi.
Je ne parlerai pas, messieurs, d’un système de catégories de personnes : je sais bien qu’anciennement en France les peines étaient différentes à l’égard des gentilshommes et à l’égard des roturiers, mais je crois que nul d’entre nous ne songe à faire revenir ce bon temps ; car depuis la révolution de 1789 on a constamment proclamé le principe que la loi est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Nous ne pouvons donc pas faire de distinction, il faut admettre l’impunité pour tout le monde ou établir des pénalités égales pour tous les citoyens.
« Mais, a-t-on dit, les mœurs l’emporteront sur la loi, et la loi pourra être considérée comme ridicule. » Non, messieurs, la loi ne sera pas ridicule, les tribunaux appliqueront les peines qu’elle commine, et j’espère que, si elle ne peut pas complètement atteindre son but, ce qui est impossible à toute loi humaine, elle l’atteindra au moins en grande partie. J’ajouterai, messieurs, que lorsque depuis le réquisitoire de M. Dupin les cours de cassation de France et de Belgique ont constamment considéré les résultats du duel comme des crimes ou des délits prévus par le code pénal, on ne peut rien voir de ridicule dans une loi qui, en réduisant considérablement les peines, en assurera l’application.
Si j’ai bien compris l’honorable M. Metz, il a dit encore qu’il excusait davantage celui qui s’est battu en duel que celui qui en a excité d’autres à se battre. Je conçois cette opinion, car j’ai déjà fait remarquer que celui qui excite une personne à braver un danger auquel il ne s’expose pas lui-même, commet certainement une action que chacun qualifiera aisément. Mais cela me fait penser que l’amendement de M. d’Huart pourrait fort bien ne pas atteindre entièrement le but que se propose cet honorable membre.
En effet, messieurs, cet amendement applique l’article 463 du code pénal aux articles 1, 2 et 3, et à la deuxième disposition de l’article 4 du projet, c’est-à-dire à la provocation au duel, à ceux qui ont décrié publiquement ou injurié une personne pour avoir refusé un duel, à celui qui a excité au duel ou qui, par des injures quelconques, a donné lieu à la provocation. Nous devons convenir que ces cas sont assez graves et que nous ne devons pas légèrement y appliquer le système de l’article 463. Remarquez, messieurs, que cet article exige que le préjudice causé n’excède pas 25 francs. Or, comment pourra-t-on apprécier, dans ces cas, le préjudice qui aura été causé ? On n’ignore pas que la provocation ou l’excitation au duel peut jeter le trouble dans les familles ; et le trouble jeté dans les familles peut-il être apprécié à prix d’argent ?
Je pense donc que l’application de l’article 463 du code pénal serait ici très difficile. Je pense aussi que, dans les cas prévus par les trois premiers articles du projet, il ne faut pas absolument réduire la peine au taux prévu par l’article 463, mais qu’il y aurait lieu d’admettre un système différent dans le cas prévu par l’article 4, en faveur de celui qui n’aurait pas fait usage de ses armes.
Je crois donc qu’il y a lieu de faire une distinction ; quant à moi, il me paraît qu’on pourrait adopter une disposition qui serait ainsi conçue, sauf le minimum de la peine, et sauf l’évaluation du préjudice causé, elle rentre dans la disposition qui a été proposée par l’honorable M. d’Huart.
« Dans les cas prévus par les articles 1,2 et 3, et la seconde disposition de l’article 4, s’il existe des circonstances atténuantes, les tribunaux seront autorisés à réduire l’emprisonnement à six jours et l’amende à 16 francs. » (C’est ce qu’on demandait primitivement).
« Ils pourront même prononcer séparément l’une ou l’autre de ces peines dans le cas de la seconde disposition de l’article 4. »
J’ajouterai encore un mot concernant la provocation. Je me suis déjà expliqué sur ce point. Il ne me semble pas qu’un propos inconsidéré, qui n’aurait aucun résultat, puisse être regardé comme une provocation. Ce sera aux juges à déterminer le cas où il y aura eu provocation. Ainsi la disposition ne s’appliquant pas aux propos inconsidérés, il ne me semble pas qu’il n’y a pas lieu d’adopter la proposition de l'honorable M. d’Huart.
Je ferai remarquer en outre que, quand les propos et tout ce qui est prévu par ces trois articles n’auront reçu aucune publicité, le ministère public n’ira pas poursuivre de ce chef. Il faudra donc, pour motiver la poursuite, qu’il y ait eu une espèce de publicité donnée à la provocation. Et, messieurs, si l’on s’est plu en quelque sorte à faire publiquement cette provocation, il y a déjà là une circonstance assez grave, et il me paraît que, dans ce cas, on ne peut descendre au dessous du minimum des peines correctionnelles, minimum dont je propose de faire l’application lorsqu’il y a des circonstances atténuantes.
Je propose même que, dans le cas du deuxième paragraphe de l’article 4, on laisse au juge la faculté de prononcer séparément l’amende. Ainsi, s’il se rencontre des circonstances atténuantes dans le cas du second paragraphe de l’article 4, l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer, y pourvoit suffisamment.
M. Metz – Messieurs, permettez-moi de dire encore quelques mots.
J’appuie d’autant plus volontiers l’amendement de M. le ministre de la justice, qu’un des paragraphes de cet amendement rentre dans l’opinion que j’ai émise, il y a quelques jours : que celui qui, après avoir essuyé le feu de son adversaire, ne tire pas n’était pas seulement digne d’indulgence, mais encore digne d’une absolution complète.
J’appuie encore cet amendement, parce qu’il s’applique à l’article premier et à l’article 3, parce que je conçois qu’il est des cas où l’on ne veut pas réprimer un mouvement de colère, qui vous pousse à adresser une provocation ; mais je ne vois pas pourquoi l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer et qui s’accorde à l’esprit de tout ce qui a été dit ; pourquoi cet amendement ne serait pas accueilli. Quand tout à l’heure je proposais d’attribuer au jury la connaissance des faits de duel, on me disait ; « Ayez la confiance la plus large dans la magistrature ; laissez ces magistrats inamovibles qui ont la conscience de leurs devoirs, qui vivent au milieu de la société dont ils connaissent les besoins, les opinions, les lois ; laissez-les appliquer la loi, accordez-leur la plus grande latitude. » Et maintenant que je m’appuie de ce qui a été dit par M. le ministre de la justice et par ceux qui défendent son opinion ; maintenant que je viens répéter devant vous le même langage : « Ayez une confiance absolue dans la magistrature, permettez-lui d’appliquer la loi avec justice mais équité, mais raison, » on me répond non, il faut se défier de la trop grande indulgence que la magistrature pourrait avoir.
Eh ! messieurs, lorsque, presque à chaque page du code pénal, nous accordons une confiance absolue à la magistrature, ce serait lui faire une injure que d’établir une exception pour les faits qui exigent la plus raisonnable interprétation.
Il est des cas où la loi serait d’une injustice révoltante. Je vous ai déjà cité l’exemple du duel de Mons. Il peut s’en présenter d’autres. Je suppose qu’un homme surprenne sa femme en conversation criminelle, comme cela s’appelle en Angleterre ; voyez le sacrifice que la loi pénale fait à la faiblesse humaine, elle dit à cet homme outragé : Tuez votre femme, tuez son complice, vous êtes excusable. La loi tolère donc le meurtre commis par un homme sur sa femme, lorsqu’il se venge de ce que l’opinion regarde chez nous comme une profonde injure et qui n’est rien ou peu de chose dans d’autres pays. Eh bien, cet homme qui, traduit devant le jury sera absous, vous le condamnerez à l’emprisonnement alors qu’il n’aura pas eu le triste courage de tuer sa femme et son complice, alors qu’il aura résisté au désir ardent de se venger à l’instant, et impunément de celui qui l’aura déchiré dans son honneur, qui lui aura ravi l’affection d’une femme qu’il aimait, alors qu’au lieu de l’assassiner froidement, il l’appelle en duel et lui crie : Défends ta vie que je pouvais te ravir ; et cet homme ira en prison ! Si l’on n’ose appeler absurde une pareille loi, je ne sais plus quel nom lui donner.
M. de Behr – Messieurs, je crois que l’amendement de M. le ministre de la justice est très admissible, et en conséquence je l’appuierai. Mais il me semble que, pour coordonner toutes les dispositions de la loi, il faudrait aussi comprendre dans l’amendement l’article qui concerne les témoins.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Messieurs, l’honorable préopinant parle de l’article 8, comme s’il était resté tel qu’il a été formulé par le sénat et par la section centrale. Mais l’article 8 a été changé, et de peines ne sont prononcées que dans le cas de mort et de blessures.
M. Demonceau – Messieurs, il est une règle dont le législateur ne doit jamais se départir, c’est de faire des lois telles, qu’elles soient appliquées conformément à tous les principes.
Or, vous aurez beau dire et beau faire, il ne me semble pas qu’il soit convenable de placer même les tribunaux dans la nécessité d’entendre répéter chaque jour des paroles telles que celles proférées par l’honorable M. Metz, à savoir si le duel est excusable ; surtout ne cherchons pas à faire croire que la loi dont nous nous occupons est injuste ou ridicule. Comme législateurs, nous devons faire la loi de telle sorte qu’elle ne puisse être modifiée par ceux-là qui sont chargés de l’appliquer.
C’est assez de ranger dans la catégorie des délits des faits qui ont été presque toujours qualifiés de crimes ; il ne faut pas qu’on aille jusqu’à permettre aux tribunaux de réduire la peine à un francs, car l’article 463 du code pénal autorise une pareille réduction.
Je pense donc que la proposition de M. le ministre de la justice est celle qui doit être admise dans cette circonstance. Je l’appuie d’autant plus que je désire que cette loi soit, autant que possible, préventive. Je désire de plus que le pays sache que les tribunaux ne sont pas autorisés à réduire les peines de l’emprisonnement, et j’ai le ferme espoir qu’alors ceux qui ont la funeste habitude de céder à un préjugé que je qualifierai de fatal, seront moins disposés à céder ce préjugé, qui ne tend à rien moins que de rendre chacun accusateur, juge et bourreau tout à la fois.
(Moniteur n°72 du 12 mars 1840) M. d’Huart – La proposition de M. le ministre de la justice est un sous-amendement à ma proposition actuelle ; elle renferme, du reste, la seconde partie de l’amendement primitif de M. Van Cutsem à laquelle M. Milcamps et moi nous nous étions ralliés, c’est-à-dire qu’elle tend à attribuer au juge la faculté de n’infliger corporellement que six jours de prison lorsqu’il y aura des circonstances atténuantes, dans les cas prévus par le deuxième paragraphe de l’article 4, de ne condamner qu’à une amende de 16 francs. La disposition que j’ai formulée aurait, dans la pratique, ordinairement reçu une application semblable à celle déterminée par la rédaction de M. le ministre de la justice ; mais comme cette dernière est plus précise que la mienne, qu’ainsi elle assurera mieux l’accomplissement de l’intention du législateur, je m’y rallie, mon but étant le même que celui de M. le ministre de la justice.
(Moniteur n°71 du 11 mars 1840) - L’amendement de M. Metz n’est pas adopté.
Celui proposé par M. le ministre de la justice est adopté et formera l’article 14 de la loi.
Sur la proposition de M. le ministre de la justice, le second vote de la loi sur le duel est fixé à demain.
- La séance est levée à 4 heures ¾.