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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 19 mars 1832

(Moniteur belge n°81, du 21 mars 1832)

(Présidence de M. de Gerlache.)

La séance est ouverte à midi et demi.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

Après l’appel nominal, le procès-verbal est lu et adopté.

Pièces adressées à la chambre

M. Lebègue analyse ensuite quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.

Projet de loi portant le budget de la dette publique de l'exercice 1832

L’ordre du jour est la suite de la discussion sur la dette publique.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Dette publique

Article 7

« Art. 7. Intérêts d’un emprunt à faire :fl. 2,400,000. »

M. d’Elhoungne demande que M. le ministre des finances veuille bien soumettre à la chambre le contrat de l’emprunt de 48 millions.

M. le ministre des finances (M. Coghen) répond que, si quelques membres de l’assemblée désire avoir connaissance de ce contrat, il se fera un plaisir de le communiquer officieusement, mais qu’il ne peut être rendu public qu’après la dernière émission.

- Un léger débat a lieu sur cette motion d’ordre de M. d'Elhoungne.

M. Gendebien s’étonne que l’on veuille faire un secret à la chambre du contrat, tandis qu’il n’y a pas, dit-il, un courtier de Bruxelles qui ne l’ait. Il insiste pour la communication.

M. Osy. - Il y a une stipulation dans le contrat dont il s’agit que le ministre ne peut révéler avant la dernière émission. M. Gendebien se trompe, je crois, en disant qu’il est tout entier à la connaissance du public. Il serait imprudent, pour ne pas dire plus, de publier cette stipulation. Je pense donc qu’il n’y a pas lieu de le communiquer. (Aux voix ! aux voix l’article !)

M. Lebeau. - Il faudrait dire, au lieu des « Intérêts d’un emprunt à faire » : « Intérêts de l’emprunt autorisé par la loi du 16 décembre. »

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere) présente cette rédaction : « Intérêts de l’emprunt de 48 millions autorisé par la loi du 16 décembre 1831. »

- L’article ainsi rédigé est adopté.

Article 8

« Art. 8. Dotation de l’amortissement de cet emprunt. »

M. d’Elhoungne. - Il me semble, messieurs, qu’il serait nécessaire de créer une administration spéciale pour l’amortissement, car on ne peut abandonner un objet de si haute importance à la direction d’agents inconnus. Il faut que cette administration présente de grandes garanties, non seulement pour la régularité du service, mais encore contre l’agiotage. Je pense que la chambre doit manifester ici son opinion sur la nécessité qu’un projet organique de cette administration spéciale nous soit incessamment présenté.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - L’intention du gouvernement est d’amortir annuellement une partie de la dette ; on voit donc que l’allocation demandée sera un moyen de remboursement et non pas d’agiotage. Quant à l’organisation de l’amortissement, je crois, comme l’honorable membre que c’est un objet tellement important qu’il faut une administration spéciale pour le surveiller.

M. Jamme propose d’ajouter à l’article que le gouvernement ne pourra disposer de la dotation que quand il aura soumis à la chambre un projet de loi organique de l’administration de l’amortissement. (Non ! non !)

M. Gendebien appuie les observations de M. d'Elhoungne, et revient sur la circulaire de M. le ministre des finances, qui profite seulement aux agioteurs. Il n’attaque par M. le ministre, et dit qu’il a rendu hommage à sa probité et à son patriotisme dans le moment où ces deux qualités étaient utiles et nécessaires chez un homme chargé d’administrer les deniers publics ; mais il blâme son arrêté comme donnant lieu à agiotage.

M. le ministre des finances (M. Coghen) et M. Osy font remarquer que cet arrêté est textuellement extrait de la loi, et qu’il n’est que la conséquence de la décision de la chambre.

M. Gendebien. - L’arrêté n’est pas conforme à la loi. La loi porte que les bons seront admissibles postérieurement au 30 juin 1832, et vous les admettez dès le mois de janvier. (Dénégations.) Si cela n’est pas vrai, mon observation n’est pas applicable ; mais il n’en reste pas moins vrai qu’une loi organique sur l’administration de l’amortissement est nécessaire. (Aux voix ! aux voix !)

M. Lebeau. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je crois, messieurs, qu’il est nécessaire de ne pas revenir dorénavant sur des faits consommés. Je demande donc que l’on ne s’occupe plus que des questions à l’ordre du jour.

M. Verdussen demande la parole pour un fait personnel.

- A peine a-t-il prononcé quelques mots qu’on s’écrie de toutes parts. - Ce n’est pas là un fait personnel !

L’honorable membre est forcé de se rasseoir.

L’article 8 est mis aux voix et adopté.

Chapitre II. Intérêts des cautionnements
Article unique

« Art. unique. Intérêts des cautionnements : fl. 120,000. »

- Cet article est également adopté.

Chapitre III. Remboursements des consignations
Article unique

« Remboursement et consignations : fl. 100.000. »

M. Dumortier. - Il nous a semblé dans la section centrale que les consignations ne devaient pas figurer dans le budget, car ce n’est qu’un dépôt remis dans les mains du gouvernement ; et, aux termes de l’article 115 du règlement, il est dit seulement que les recettes et les dépenses de l’Etat doivent être portées au budget. Il faudrait établir par une loi spéciale une caisse de consignations.

M. le ministre des finances (M. Coghen).- J’aurai l’honneur de répondre à l’honorable membre que les consignations ne figurent pas au budget comme ressources. Dans ce moment, elles restent dans les caisses de l’Etat, et l’on donne 3 p. c. d’intérêt. Si, par la suite, on veut créer une administration d’amortissement, il me semble qu’il serait plus convenable de la charger en même temps des consignations.

M. d’Elhoungne. - Les consignations ne doivent pas figurer au budget des recettes et dépenses, puisque ce n’est que la restitution d’un dépôt fait au gouvernement. Je crois qu’on devrait se borner à en rendre compte.

M. Destouvelles pense aussi qu’en règle générale la caisse des consignations doit se suffire à elle-même.

- L’article 3 est mis aux voix et adopté.

Chapitre IV. Intérêts de la dette viagère
Article unique

« Art. unique. Intérêts de la dette viagère : fl. 6,000. »

- Cet article est également adopté.

Chapitre V. Pensions
Article premier

« Art. 1er. Pensions ecclésiastiques : 596,233 fl. »

M. Tiecken de Terhove exprime le vœu que la liste des pensions sont soumises à une scrupuleuses et prochaine révision.

M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, il est bien loin de nous le temps où chaque citoyen, en servant l’Etat, recherchait uniquement la récompense de son labeur dans l’estime publique et l’honneur dont se couvrait son nom, plutôt que dans le salaire de son office et la progression plus ou moins forte de ses émoluments. Ce temps se rattache à l’origine des républiques anciennes, et, dans notre siècle, où par dessus toute chose l’on vise au positif, où le luxe, en créant de nouvelles jouissances, et les arts, en facilitant les moyens d’y satisfaire, ont répandu l’aisance dans toutes les classes moyennes, et multiplié en quelque sorte les besoins, on serait très mal reçu à venir offrir une simple couronne civique au fonctionnaire au terme de ses travaux ; et tel individu, qui s’en va proclamant l’excellence du régime républicain tient fort peu, quant à ses appointements, à l’application de ce système.

Force nous est donc, messieurs, de nous plier à notre époque, de ne point établir nos économies sur des spéculations, de ne point fixer les traitements de nos fonctionnaires sur un désintéressement qui n’existe plus et ne peut plus exister, mais bien sur les exigences du nouvel ordre social, sur les nécessités des fonctionnaires comparées à leur position et à leurs occupations, et baser la quotité des traitements de manière à donner non seulement l’existence à l’employé pendant qu’il travaille, mais lui laisser la faculté d’épargner, afin de se créer par lui-même un fonds de retraite, et dans ses vieux jours de soutenir sa famille. En rémunérant ainsi les fonctions civiles et en les rendant le plus possible stables et inamovibles, en augmentant même les appointements tout en diminuant le nombre des employés, on aura fait pour le trésor une vraie économie, car on sera parvenu à guérir en partie cette plaie des sociétés modernes, les pensions de retraite ! On se demande pourquoi le gouvernement doit se faire l’économe de ses employés, pourquoi on doit continuer les salaires au-delà de la durée des services, pourquoi il doit plutôt songer que le titulaire lui-même à l’incertitude de l’avenir et aux besoins de la vieillesse.

En accordant avec facilité des pensions de retraite, on accoutume le fonctionnaire à l’imprévoyance, et celui-ci compte plutôt sur l’Etat que sur lui-même, en cela bien différent du simple particulier qui, dans la prospérité, épargne pour les temps mauvais. Un employé qui a fournir une longue carrière administrative, qui, souvent, par l’influence de sa place, a pu établir toute sa famille, doit-il continuer d’être à charge à l’Etat lorsqu’il lui devient inutile, alors que par l’âge il résigne son emploi ? Sa position n’est-elle pas la même que celle de toute autre citoyen, et ses fonctions ne sont-elles pas aussi une industrie ? Voilà la question ; question qui ne s’applique qu’aux fonctions élevées de l’ordre administratif et judiciaire, et non point aux officiers de l’armée qui n’ont point l’occasion de thésauriser, ni aux petits employés des bureaux qui, par la modicité de leurs traitements, n’en ont pas la faculté.

Ainsi l’abolition graduelle de la liste des pensions conduirait à commander plus de prévoyance et d’économie dans la conduite des divers agents du pouvoir, et par ce moyen on parviendrait aussi à dégrever l’Etat du fardeau des sinécuristes. Mais, d’un autre côté, il importe que le gouvernement consolide l’existence de ses employés, qu’il rende autant que possible leurs postes permanents, à gages fixes et bien rétribués, et qu’en les obligeant d’épargner, il ne leur en ôte pas la faculté, non par de brusques réductions, soit même par des suppressions mal entendues qui jettent le découragement dans leur âme, les dégoûtent du travail, et qui, au lieu de les enrichir pour plus tard, les font déserter à l’instant même : économies bien chères, messieurs, et qui prive le pouvoir de fonctionnaires intelligents ; car les inhabiles restent, n’étant bons à autre chose, et coûtent plus par leurs fautes qu’ils ne font profiter par leur travail.

Pour en revenir au sujet qui nous occupe, les pensions, j’appuierai les vœux de la commission centrale, afin d’en obtenir la révision prompte et radicale. J’exprimerai le désir qu’aucune nouvelle pension ne soit accordée qu’avec la ratification des chambres, ainsi que le veut l’article 114 de la constitution. La publicité de la discussion empêchera aussi bien des abus. J’aimerais que bientôt le maximum du taux des pensions fût prescrit par une loi, et que, au lieu de 4,000, aucune pension ne pût dépasser les 2,000 florins. Je voudrais que le gouvernement portât à l’attention la plus rigoureuse dans la reconnaissance du titre des pensions accordées par l’ancien gouvernement aux fonctionnaires belges, et que le traité du 15 novembre met à notre charge, et vérifiât si ces pensions ont été fixées, ainsi que le veut ce traité, en vertu de lois ou bien d’arrêtés. Il serait, enfin, à désirer que l’Etat laissât aux employés la facilité de verser leurs épargnes aux sociétés d’assurance plutôt qu’aux caisses de retraite. Toutes ces mesures arrêteront bien des désordres, produiront d’amples économies, et, au lieu de la cupidité, qui fait sa proie de la fortune publique, elles créeront la frugalité qui en fait le soutien.

M. Lebeau. - Je désirerais, avant que l’on passât au vote de cet article, avoir une explication de M. le ministre des finances ou de M. le rapporteur. Les pensions ecclésiastiques accordées par le gouvernement autrichien ont été tiercées, et par un arrêté royal du 2 avril 1818, il a été statué que la somme faisant le montant de toutes les pensions ecclésiastiques tiercées et éteintes, qui, depuis le 1er janvier 1816, avaient été et seraient par la suite rayées des registres des pensions, serait chaque année, à compter du 1er janvier 1818, employée à accorder des gratifications à tous les pensionnaires ecclésiastiques dont les pensions n’ont été inscrites au grand-livre que pour le tiers de leur montant intégral. Or, d’après le relevé qui a été fait alors, les pensions originaires figuraient pour 549,180 fl., et l’on nous demande aujourd’hui 540,000 fl. ; il n’y a donc qu’une différence de 9,180 fl. pour parvenir à l’intégralité. Je voudrais savoir si le ministre a prouvé à la section centrale qu’il s’était éteint assez de pensions depuis 1816 pour produire cette somme de 540,000 fl. ou si c’est à titre de gratifications et d’indemnités que nous votons cette somme. Je sais que le tiercement des pensions est une espèce de banqueroute, mais cette banqueroute ce n’est pas le gouvernement belge qui l’a faite. Maintenant, que des motifs d’équité ou d’humanité engagent la chambre à sanctionner l’arrêté de 1818, je le veux bien ; mais qu’on nous dise si la somme qu’on nous demande sera donnée à titre de gratifications, afin que nous sachions ce que nous avons à faire.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - L’ancien gouvernement a décidé que 540,000 fl. resteraient affectés au paiement des pensions tiercées, et qu’au fur et à mesure des décès qui arriveraient, ils seraient répartis entre les survivants jusqu’au complément de leur pension primitive.

M. Lebeau. - J’ai cherché vainement l’arrêté qui accorde cette allocation de 540,000 fl. Elle ne se trouve pas à coup sûr dans l’arrêté de 1818. Il ne faut pas que nous votions en aveugles. J’ai besoin de savoir si cette somme est le produit des extinctions, ou si c’est une gratification que l’on veut faire.

M. Dumortier. - Nous avons demandé communication des pièces au gouvernement. Les pensions dont il s’agit ont été tiercées lors de l’avènement au trône du roi Guillaume, et la somme de 540,000 fl. a été affectée à leur extinction par arrêté du 25 septembre 1818. Du reste, il n’y a plus qu’un petit nombre de pensionnaires, et, comme ils sont très âgés, l’allocation ne sera bientôt plus nécessaire.

M. d’Elhoungne. - M. Dumortier vient de répondre suffisamment à la question de M. Lebeau ; mais on a émis dans la discussion des principes que je ne puis admettre. En effet, on a dit qu’un fonctionnaire public a droit à une pension quand il ne peut suffire à ses besoins. Messieurs, les employés doivent savoir, comme les autres, économiser dans leur jeunesse pour leurs vieux jours ; mais il est impossible d’admettre que, par cela qu’ils ont été fonctionnaires publics, ils ont droit à une pension. Il n’y a d’exception que pour ceux qui deviennent infirmes au service de l’Etat, comme les anciens militaires. Mais, pour les autres, la nation ne doit pas être passible de leur défaut de prévoyance. Nous avons déjà un trop grand nombre de pensions, par exemple celles de la marine, bien que nous n’ayons pas de marine, ce qui permet aux contrebandiers de faire la fraude sur nos côtes pendant les nuits orageuses, au grand détriment du trésor, des distillateurs et des raffineurs de sucre.

Maintenant, si l’on compare le chiffre des pensions ecclésiastiques de France et celles de Belgique, on trouve une disproportion énorme. En effet, le montant des pensions ecclésiastiques françaises est de 4,575,000 fr., tandis qu’en Belgique, où la population n’est que du cinquième de celle France, ces pensions figurent pour 540,000 fl. ou 1,300,000 fr. Cette disproportion est tellement forte, qu’il y a probablement une erreur. C’est un point qui nous fait sentir la nécessité de réviser les pensions, ainsi que le prescrit l’article 138 de la constitution. La section centrale voudrait que le gouvernement nommât une commission à cet égard ; mais je pense que la révision appartient à la législature.

M. Lebeau. - Les observation présentées par notre honorable collègue M. d'Elhoungne entrent dans la discussion du budget de la marine. Toutefois je dois dire que je ne crois pas qu’il s’agisse de la nouvelle marine, car ses évolutions se réduisent en voyages de nos canonnières de Boom à Bruxelles, mais des anciens marins.

Quant à la différence qu’il a trouvée entre le montant proportionnel des pensions ecclésiastiques de France et celle de Belgique, je crois que son observation pêche par un fait, c’est que chez nous elles ont été triplées, tandis qu’en France elles sont réduites au tiers. Quant à la révision des pensions, nous ne pouvons revendiquer le droit de la faire ; mais nous avons, ainsi que le sénat, l’initiative pour présenter une loi à cet égard.

M. Osy. - Je désirerais savoir si la pension de l’archevêque de Pradt figure dans les dépenses de l’Etat.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - La pension de l’ancien archevêque de Malines n’est point payée, mais elle est portée au budget jusqu’à la révision qui doit avoir lieu.

Quant à la fraude signalée parM. d'Elhoungne, je sais, messieurs, que la fraude a lieu et qu’on ne peut toujours l’empêcher ; mais la douane fait son devoir, et elle a encore dernièrement saisi un canot français. A cette occasion, je demanderai que l’on s’occupe le plus tôt possible du projet de loi sur la ligne de douanes que j’ai présenté.

M. Duvivier. - J’ajouterai à ce qu’a dit M. le ministre des finances que, quand par suite de l’établissement d’une ligne de douanes il y aura un territoire réservé et un service qui se fera moitié sur mer et moitié sur terre, la fraude ne pourra plus se faire comme aujourd’hui. Mais je regrette que l’on revienne constamment adresser des reproches à l’administration des douanes qui fait tout ce qu’elle peut faire.

M. Osy. - Je crois que la pension de l’archevêque de Malines pourrait être rayée du budget, puisqu’on ne la paie plus.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Cette pension n’a pas été payée depuis la révolution, et elle ne le sera pas jusqu’à la révision qui doit avoir lieu ; mais il faut remarquer que M. de Pradt ne renonce pas à sa pension, et il prétend qu’elle lui a été accordée par le roi Guillaume, non pas à titre gratuit, mais à titre onéreux. Il s’agit d’examiner cette question, et d’autres encore. Voilà pourquoi elle doit figurer au budget jusqu’à la révision. (Aux voix ! aux voix !)

L’article premier du chapitre V est mis aux voix et adopté.

Articles 2 et 3

« Art. 2. Pensions civiles : fl. 166,476. »

« Art. 3. Pensions nationales aux veuves, blessés (viagères) : fl. 86,300.

« Aux orphelins (annuelles.) : fl. 11,133.

« Total : fl. 97,433. »

- Ces deux articles sont successivement adoptés sans discussion.

Articles 4 et 5

« Art. 4. Pensions militaires : fl. 553,835. »

M. Corbisier. - L’amendement que j’ai eu l’honneur de déposer sur le bureau a pour objet de faire acquitter, par l’Etat, une dette que je regarde comme sacrée. A partir de 1814, les légionnaires belges cessèrent de recevoir la pension dont ils jouissaient sous l’empire : ceux des biens primitivement affectés au paiement de cette pension, qui étaient situés en Belgique, furent alors réunis aux domaines des Pays-Bas ; mais le trésor public ne fut plus chargé de remplir les obligations résultant des décrets des 8 mars 1807 et 28 février 1808.

J’ai vainement cherché quelle disposition législative, quelle ordonnance, quel arrêté a pu consacrer cette étrange spoliation ; je n’ai rien trouvé ; les recueils des lois sont muets à cet égard. On dépouilla impitoyablement quelques braves, dotés par la victoire, comme pour les punir d’avoir partagé les dangers et la gloire des armées françaises, et, par un reste de pudeur peut-être, le gouvernement, qui consomma clandestinement cette injustice, recula devant l’idée de s’en avouer publiquement l’auteur.

Les biens de la légion d’honneur ont subi le sort de nos autres domaines, ils sont devenus la proie du syndicat d’amortissement. Le gouvernement actuel, messieurs, ne peut partager l’éloignement que montrait le roi de Hollande pour toutes les institutions qui rappellent aux Belges la sympathie qui les unit à la France. Le gouvernement actuel doit être essentiellement réparateur, et faire disparaître jusqu’aux moindres traces de tous les abus, de tous les griefs auxquels le but de la révolution a été de mettre un terme ; et, quand un arrêté du régent maintient la jouissance de leur pension les membres d’un ordre dont le nom est devenu tellement impopulaire que la décoration n’en est plus même portée, on ne repoussera pas, je l’espère, la réclamation que j’élève en faveur des légionnaires. Quelle que soit l’idée d’économie qui en ce moment domine avec raison tous les esprits, quels que soient les plans de réforme dont la chambre est préoccupée, je ne crains pas de voir blâmer la proposition que je viens de faire. Les renseignements me manquent, messieurs, pour fixer d’une manière précise le chiffre de la somme annuelle nécessairement à l’acquittement des pensions de la légion d’honneur. Un état adressé à la chambre par M. le ministre de l'intérieur contient les noms de 288 légionnaires, parmi lesquels se trouvent un commandeur et quelques officiers. Toutefois cet état est évidemment incomplet. Un grand nombre de militaires décorés de cet ordre, qui sont attachés à l’armée, n’y figurent point.

D’après des calculs qui m’ont été fournis et qui, je le crois, approchent de la réalité, il y aurait en Belgique à peu près 400 légionnaires, dont environ 300 seulement auraient droit à la pension.

Il faut observer, messieurs, qu’il n’est attaché aucune dotation aux décorations accordées depuis 1814, soit à des militaires ayant le grade d’officier, soit à d’autres individus à titre de récompense de services civils ; et, dans la liste remise par M. le ministre de l'intérieur, il y a plus de 140 titulaires, dont les brevets portent une date postérieure au mois de janvier 1814.

Je ne fais, quant à présent, aucune proposition pour les arriérés. Je pense qu’il convient d’attendre pour cet objet que la liquidation du syndicat d’amortissement soit terminée avec la Hollande, et à cet égard je partage entièrement l’opinion émise par M. le ministre des finances dans son rapport du 2 décembre dernier. Je me borne donc à demander aujourd’hui que les termes courants soient désormais régulièrement payés, et que le principe soit consacré pour l’avenir.

Je ne puis m’empêcher, messieurs, de faire une dernière réflexion dont l’affligeante vérité m’a frappé. Depuis que la Belgique est séparée de la France, beaucoup de nos légionnaires sont morts sans avoir obtenu justice, et, parmi ceux qui existent encore aujourd’hui, beaucoup ayant généreusement usé leur vie dans les rangs d’une armée qui ne connaissait guère le repos, ne paraissent point destinés à jouir, pendant de longues années, de la tardive restitution qu’ils sollicitent.

M. Pirson appuie l’amendement de M. Corbisier.

M. d’Elhoungne. - Je crois que la proposition est intempestive. Il faut être juste envers tout le monde ; mais le peuple pourrait se plaindre si nous allions consacrer incidemment un principe qui augmenterait sa charge d’une somme considérable. Il vaut mieux que le gouvernement nous présente le tableau des légionnaires avec un projet de loi.

M. Gendebien. - J’appuie l’amendement, parce que ce n’est pas une faveur que nous accorderons aux légionnaires, mais la justice qui leur est due ; car l’Etat a profité de la vente des biens de la légion d’honneur, dont ils étaient les usufruitiers. Ainsi, ils sont nos créanciers légitimes. L’orateur cite l’arrêté du régent qui conserve les traitements de l’ordre créé par Guillaume, et ordonne même le paiement de leur arriéré, et il ajoute que, si nous ne mettions pas les légionnaires, qui ont plus de droit, sur la même ligne, nous serions des débiteurs de mauvaise foi.

M. Jullien et M. A. Rodenbach appuient la proposition de M. Corbisier.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je partage l’avis de M. d'Elhoungne, et je pense aussi que nous ne pouvons établir incidemment un principe dont nous ne connaissons pas toutes les conséquences. D’ailleurs, cette question donnera lieu à de longs débats : il faut examiner si les biens de la légion d’honneur existent, en nature, ou si le montant en a été touché par le syndicat. Ensuite, comme des fonctionnaires civils ont obtenu la décoration de la légion d’honneur, il faudra voir si le principe sera généralement admis pour le civil et le militaire. Remarquez en outre que, si vous consacrez aujourd’hui le principe, vous vous engagez en même temps à payer l’arriéré depuis 17 ans. Par tous ces motifs, je crois qu’il est nécessaire d’ajourner la question.

M. d’Elhoungne. - Je viens de jeter un coup d’œil sur le tableau des légionnaires. Il se compose de 280 légionnaires, 7 officiers et 7 commandants. Or, il faudrait une somme de 89 mille florins, pour acquitter leur traitement. Parmi eux, messieurs, il y a de simples légionnaires civils à titre honorifique seulement. (Dénégations.) Je puis me tromper ; cependant je persiste à le croire, à moins que ma mémoire ne soit singulièrement en défaut. Je pense, messieurs, que nous ne pouvons nous engager à l’improviste à payer, outre la somme de 40,000 fl. qu’on propose, les arrérages de 17 années. La question doit être ajournée et suivre la filière du règlement. C’est ce que j’avais demandé pour les amendements relatifs aux volontaires : vous avez reconnu plus tard que cela était nécessaire. L’objet qui nous occupe est plus important encore, et mérite un sérieux examen.

M. H. de Brouckere appuie les observations de M. d'Elhoungne, et demande que l’on suive la filière du règlement.

- Un grand nombre de voix. - L’ajournement !

M. Gendebien. - Messieurs, l’ajournement est très commode pour ceux qui, en sortant d’ici, sont sûrs de trouver leur dîner. (Murmures.) Mais je connais de braves militaires qui ont perdu bras et jambes, et qui sont réduits à la misère. Certes ceux-là ont bien droit à une pension de 250 francs ; ils l’ont mieux méritée que telles personnes que je vois dotées de grosses pensions et qui, s’il y avait eu un changement, nous auraient trahis et faire condamner à mort. Je pense que nous ne pouvons nous dispenser de payer les légionnaires, car c’est une dette sacrée pour la nation.

M. Mary demande le renvoi des amendements à une commission, ainsi que cela s’est pratiqué pour les amendements de MM. Gendebien, Jullien et Nothomb, touchant les officiers de volontaires et les tirailleurs francs. (Appuyé !)

M. Lebeau. - Je désire dire deux mots sur la motion d’ordre que vient de faire le préopinant, pour ne pas voir se renouveler le précédent vicieux, à mon avis, qui a été posé à propos des officiers de volontaires. Un tel précédent aurait pour effet immédiat de modifier le règlement. Si vous renvoyer un amendement à une commission, afin qu’elle l’examine et le rende propre à entrer dans le budget, rien de mieux sans doute, et vous ne suivez en cela que la ligne que vous tracent et votre droit et la raison. Mais, si on ne peut pas faire entrer cet amendement dans le budget, évidement vous abrogez l’article du règlement qui prescrit les formes à suivre pour convertir une proposition en projet de loi. Le renvoi à une commission est donc impossible dans l’espèce, si on convient que l’amendement ne peut pas devenir un article du budget.

Je dirai un mot sur le fond même de la question. Je partage l’avis de M. d'Elhoungne, qu’on ne peut pas adopter à la légère une loi de cette importance, et dont les conséquences peuvent être incalculables. Si on se borne à voter une somme pour accorder des secours aux légionnaires les plus nécessiteux, je suis prêt à la voter à l’instant même ; mais aller plus loin, c’est ce que je ne crois pas prudent, et ce que je ne conseiller par à la chambre.

M. A. Rodenbach.- Je partage cette fois-ci l’opinion de M. Lebeau ; la discussion qui s’élève prouve assez que la matière est épineuse, et qu’il faut se borner à secourir les légionnaires seuls qui sont dans le besoin, et plus tard on pourra par une loi rendre justice à tous ceux qui le méritent.

M. Destouvelles. - S’il ne s’agit que de secours à accorder, sans rien préjuger sur les droits des légionnaires, je voterai en ce sens ; mais s’il s’agit de faire décider le principe par la chambre, je demande que cette proposition suive la filière du règlement. On ne peut pas prévoir jusqu’où nous mènerait l’adoption du principe, et quelle dépense énorme il faudrait faire pour payer les arrérages dus aux légionnaires. A raison de 280 légionnaires, et de 250 fr. pour chacun, on trouve déjà une somme de 1,500,000 fr. Jugez où cela irait si nous consacrions en principe le paiement des arrérages, car alors ce ne serait pas seulement 280 légionnaires à payer, mais les ayants-droit de tous ceux qui sont morts depuis 1815. En France aussi, messieurs, on avait suspendu le paiement de la légion d’honneur. Quand on a voulu revenir là-dessus, qu’a-t-on fait ? On a payé à compter du moment où la nouvelle loi a été rendue, et on a passsé l’éponge sur les arrérages.

M. Jamme pense que les légionnaires ont un droit acquis, mais il trouve la loi à faire trop difficile pour y mettre autant de précipitation ; il votera donc pour l’ajournement.

M. Corbisier soutient que les légionnaires ont un droit acquis : ce droit, dit-il, est non seulement reconnu par tous les membres de cette chambre, mais même par le gouvernement, comme cela résulte du rapport fait à ce sujet par le ministère. (L’orateur lit un passage de ce rapport qui justifie son assertion.)

M. Leclercq. - Messieurs, cette question ne peut être envisagée que sous le rapport du droit des légionnaires, et non à titre de secours à leur accorder. Car, si c’est à titre de secours, où s’arrêtera-t-on quand on vous aura engagés dans cette voie ? Aujourd’hui ce sont des militaires nécessiteux, pour lesquels on vous demande une place au budget ; demain on vous présentera une semblable demande pour une autre classe de citoyens. Vous voyez donc qu’il ne se peut agir ici que d’une question de droit.

L’orateur pense que la question est trop compliquée, et tout ce qui a été dit précédemment le prouve, pour qu’elle puisse être décidée spontanément. Il faudra consulter plusieurs lois que peu de membres de la chambre connaissent, et que beaucoup n’ont jamais lues. Ce serait, dit-il, agir avec imprudence, et autrement que ne doivent le faire d’économes administrateurs des deniers publics, que de voter avec autant de précipitation une loi de cette importance. (Aux voix ! aux voix ! La clôture !)

M. Gendebien. - Je demande la parole. (Aux voix ! aux voix !) Je suis très disposé à ne pas prolonger la discussion, mais encore faut-il savoir sur quoi on demande à aller aux voix. Est-ce sur la motion d’ordre ? Est-ce sur l’amendement ?

M. Destouvelles lit un amendement ainsi conçu : « Sans rien préjuger sur le sort des légionnaires, qui sera fixé par une loi, je propose de porter au budget une somme de 30,000 fl., qui sera répartie entre les simples légionnaires militaires, porteurs de brevets en due forme délivrés avant le 1er janvier 1814. »

M. d’Huart. - On a demandé l’ajournement ; je demande qu’il soit mis d’abord aux voix.

M. Destouvelles. - Faut-il, en attendant, laisser les légionnaires dans la misère ?

M. H. de Brouckere. - Messieurs, je ne conçois pas quel but on peut avoir en demandant l’ajournement. L’ajournement, on ne peut en disconvenir, n’est autre chose que le rejet au moins pour le moment. Il me semble donc qu’il est plus simple de voter sur l’amendement : ceux qui seront pour l’ajournement le rejettent, et on en fera plus tard l’objet d’une proposition, si on veut.

Je dirai maintenant un mot sur le fond, et en cela je ne ferai que répéter ce que M. Leclercq a dit d’une manière si claire que je ne conçois pas que l’on persiste encore à présenter un amendement. On demande quoi ? Des secours. Et dans quelle partie du budget ? Dans le chapitre de la dette publique. C’est impossible, messieurs ; ce n’est pas là le lieu. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président lit l’amendement de M. Destouvelles, et se dispose à le mettre aux voix.

M. dElhoungne. - Il y a différents amendements proposés : on demande l’ajournement sur tous ; il faut mettre l’ajournement aux voix.

M. H. de Brouckere. - Quel ajournement propose-t-on ?

M. d’Huart. - Je demande la parole. (Agitation.)

M. le président. - M. d’Huart a la parole.

M. Gendebien. - M. le président, il y a longtemps que j’ai demandé la parole sans pouvoir l’obtenir, tandis que plusieurs membres qui l’ont demandé après moi ont parlé à satiété.

M. le président. - Vous êtes inscrit, M. Gendebien.

M. d’Huart. - Je demande qu’on se conforme au précédent établi pour les officiers de volontaires.

M. Gendebien. - Les propositions se sont croisées de telle manière que je ne sais vraiment pas trop sur quoi je dois discuter. Mais, si j’ai bien compris, il s’agit de savoir si on peut, à propos du budget, décider que les légionnaires ont droit à être payés de leur pension. Mais, messieurs, les frères de l’ordre de Guillaume sont portées à ce chapitre, et c’est à ce propos que M. Corbisier a proposé son amendement. Vous voulez donc qu’on paie les frères de l’ordre de Guillaume, et vous ne voulez pas qu’on paie les légionnaires ? Je ne conçois pas par quelle magie on prétend nous convaincre que ce qu’on fait pour les uns ne peut se faire pour les autres. Puisqu’on a parlé des difficultés que présenterait la loi à la voter actuellement, je veux bien ne pas insister ; mais je ne conçois pas qu’on se refuse à voter des secours aux légionnaires nécessiteux. Est-ce parce que ce n’est pas le lieu de parler de gratifications ? Mais, messieurs, vous venez de voter des sommes pour le clergé à titre de gratifications. Je ne suis pas plus qu’un autre disposé à obérer l’Etat, mais il faut être juste avant tout. Je consens à jeter un voile pour le moment sur les droits des légionnaires, parce que je sais qu’ils ne peuvent que gagner à un mûr examen de leurs titres ; mais, quant à l’amendement de M. Destouvelles, le rejeter c’est refuser de donner du pain aux malheureux qui en manquent, grâce à l’injustice du gouvernement. (La clôture ! la clôture !)

M. le président. - Je vais mettre l’ajournement aux voix.

- Une première épreuve est faite ; elle est douteuse.

M. Gendebien. - L’appel nominal.

M. H. de Brouckere. - On ne peut pas voter sur l’ajournement ; il faut voter sur l’amendement.

M. Ch. de Brouckere. - Voter sur l’ajournement, c’est rendre illusoire le droit qu’a tout membre de la chambre de faire des amendements. Quand je propose un amendement, la chambre doit l’admettre ou le rejeter ; mais l’ajourner c’est m’ôter le droit d’amendement.

M. Leclercq. - J’ajouterai à ce que l’on vient de dire que l’ajournement doit être fixé à un délai déterminé, et qu’ici on ne précise rien. (L’orateur lit, pour prouver ce qu’il avance, l’article 24 du règlement qui est précis à cet égard.)

M. Destouvelles. - Je demande qu’on mette mon amendement aux voix.

- Ici la discussion qui semblait prêt d’être close recommence sur un amendement que M. Lebeau propose de substituer à celui de M. Destouvelles, dont plusieurs membres ont critiqué la rédaction.

Plusieurs orateurs sont entendus sur l’amendement de M. Lebeau. Enfin, M. d’Elhoungne demande la question préalable sur tous les amendements, attendu l’impossibilité où se trouve la chambre de voter en connaissance de cause.

- De toutes parts. - Appuyé ! appuyé !

La question préalable est mise aux voix et adopté.

L’article 4 est ensuite adopté, ainsi que l’article 5, dont voici les termes :

« Pensions de toute nature à liquider dans le courant de l’année : fl. 26,023.


Au moment d’ouvrir la discussion sur l’article 6, M. d’Elhoungne demande et la chambre ordonne le renvoi à demain.

La séance est levée à 4 heures et un quart.