(Moniteur belge n°321, du 17 novembre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à deux heures.
M. Kervyn donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse annonce que des distillateurs de Swereghem et Durlyk proposent des modifications aux lois de 1833 et 1837 sur les distilleries.
- Ce mémoire est renvoyé à la commission des pétitions.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, il est dit dans le rapport de la section centrale concernant le budget des voies et moyens que je me suis réservé de donner des explications sur les redevances des mines et sur leur montant pour les exercices de 1837 et 1838 ; je dépose ces explications sur le bureau en priant la chambre d’en ordonner l’impression.
« « Art. 7. Intérêts de la dette viagère : fr. 7,300. »
- Adopté.
« Art. 8. Intérêts à payer aux anciens concessionnaires de la ambre canalisée : fr. 2,000. »
- Adopté.
« Art. 9. Intérêts à payer à la société générale pour favoriser l’industrie nationale, en exécution de la transaction avec lesdits concessionnaires, autorisée par la loi du 26 septembre 1835 : fr. 230,705. »
- Adopté.
« Pensions ecclésiastiques : fr. 720,000. »
M. Verhaegen. - Messieurs, au sujet de ce chapitre, nous avons à vous faire observer, comme vous a fait observer M. le ministre des finances dans son discours d’introduction, que le sort des ecclésiastiques, ainsi que celui des magistrats, des fonctionnaires, de leurs veuves et de leurs orphelins, a souvent été l’objet de votre sollicitude et de celle du gouvernement ; et nous dirons avec le ministre des finances qu’il existe dans la liquidation des pensions des anomalies qu’une loi doit faire cesser ; et nous réclamons à cet égard l’application de l’article 139 de la constitution. Le congrès national a déclaré dans cet article qu’il était nécessaire de pourvoir, par des lois séparées, à divers sujets et notamment à la révision de la liste des pensions : il est urgent, messieurs, d’arriver à cette révision, et on a eu plus d’une raison pour, dans l’article 139, imposer ce devoir à la législature. Le ministre des finances, dans son discours, annonce qu’une loi sera bientôt présentée ; et, comme on l’a fait remarquer, il est des sujets pour lesquels l’initiative doit être laissée au gouvernement, et celui-ci est du nombre.
Nous venons donc attirer l’attention de la chambre sur ce point, et engager le gouvernement à présenter la loi qu’il annonce dans le plus court délai.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Nous pouvons déclarer que dans très peu de jours, une loi générale sur les pensions civiles et ecclésiastiques sera soumise aux délibérations de la chambre.
M. Verdussen. - Vous avez pu remarquer que dans la section centrale nous avons adopté provisoirement un chiffre global de réduction sur les pensions ; j’invite M. le ministre à vouloir bien indiquer sur quelles subdivisions des articles des pensions on fera peser la réduction proposée ; ce chiffre s’élève à 13,000 francs.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je ne m’oppose pas à la réduction proposée par la section centrale ; c’est sur le chiffre de 590,000 fr. concernant les pensions civiles qu’on fera peser la réduction de 13,000 Fr. ; ainsi, ce chiffre sera réduit à 577,000 Fr.
- Le chiffre des pensions ecclésiastiques, mis aux voix, est adopté.
« Pensions civiles : fr. 577.000. »
- Adopté.
« Pensions civiques : fr 240,000. »
- Adopté.
« Pensions militaires : fr. 1,550,000. »
M. Dumortier. - Je comprends difficilement les augmentations successives qu’éprouve chaque année ce chiffre des pensions militaires ; avant la révolution il était loin d’être à la hauteur où il est parvenu ; si on procède toujours de la même manière, vous finirez par avoir deux budgets, l’un pour ceux qui travaillent dans les services publics, et l’autre pour ceux qui ont cessé d’y travailler.
Il me semble qu’il y a des mesures à prendre pour arrêter cette progression funeste. J’appuierai la proposition faite par M. Verhaegen pour que nous révisions les pensions. L’arrêté-loi d’après lequel on accorde les pensions, est sans doute à la convenance du gouvernement ; mais le congrès, en déclarant qu’il y avait lieu à réviser les pensions, a déclaré implicitement que beaucoup d’abus étaient à réformer dans cette partie de l’administration. Que l’on regarde les pensions concédées comme des droits acquis, à la bonne heure ; mais je voudrais que le gouvernement procédât d’après des règles et ne pas dépasser certaines limites. Je citerai un seul exemple pour montrer combien il importe de réviser la législation sur les pensions, surtout en présence des interprétations que le gouvernement lui donne aujourd’hui.
Le gouvernement admet comme principe qu’une pension doit se liquider d’après la moyenne du traitement des trois dernières années du service du titulaire ; et il ne fixe aucun maximum pour les pensions.
En France, on a posé le maximum de 6,000 pour les premiers présidents de la cour de cassation, pour tous les autres magistrats, pour les ministres mêmes ; mais chez nous, en conséquence des principes admis par le gouvernement, que peut-il arriver ? C’est que si un ambassadeur qui touche 50,000 francs venait à demander sa pension, il pourrait obtenir 30,000 francs ou 40,000 francs pour ne rien faire. Il y a donc vice dans la législation actuelle et nécessité d’y apporter remède.
Lorsque nous avons porté la loi sur l’organisation judiciaire, nous avons déterminé le maximum de la pension des magistrats à 6.000 francs ; on n’a pas compris les intentions de la chambre, car on n’a point appliqué cette disposition aux autres branches de l’administration où l’on ne reconnaît aucun maximum.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Cela n’est pas exact ; c’est complétement inexact.
M. Dumortier. - Je vais montrer au ministre des finances que c’est complétement exact. Vous avez accordé des pensions sans considérer de limites.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - C’est une erreur !
M. Dumortier. - Je vous citerai un ancien gouverneur de la province du Hainaut, homme d’ailleurs très respectable et qui a rendu de grands services au pays ; la pension de cet honorable fonctionnaire a été liquidée, je pense, à neuf ou dix mille francs : on lui a donc donné les deux tiers de son traitement sans tenir aucun compte du maximum de 6,000 francs. J’ai cité cet exemple parce que le fonctionnaire dont il s’agit n’existe plus, mais je pourrais en citer bien d’autres ; du reste, ce fait seul prouve à l’évidence qu’en admettant cette jurisprudence, si demain on liquidait la pension d’un ambassadeur, il n’y aurait aucun motif pour lui refuser trente à quarante mille francs.
L’arrêté de 1814 est la cause de tous les abus qui existent en matière de pensions, abus dont on s’est plaint si vivement au congrès et qui ont donné naissance à la disposition de la constitution citée tout à l’heure par l’honorable M. Verhaegen ; il est donc indispensable, messieurs, de réviser cet arrêté le plus tôt possible, comme nous le prescrit la constitution.
Do reste, messieurs, les choses sont bien changées depuis l’époque où a été faite la législation actuelle sur les pensions ; il y a maintenant des caisses d’épargnes, qui présentent toute espèce de garantie ; eh bien, il me semble que les fonctionnaires devraient bien profiter de cette institution et faire des économies, pour éviter à l’Etat d’accorder ainsi des pensions aux veuves, aux orphelins, et pour ainsi dire de génération en génération. Je crois, messieurs, que le temps est venu où, pour me servir d’un vieux proverbe, chacun doit faire son lit comme il veut se coucher, où les fonctionnaires doivent, par leurs épargnes, assurer le sort de leurs veuves et orphelins. Je ne parle pas ici des militaires qui tombent sur le champ de bataille, c’est là un cas tout à fait fortuit ; mais, dans toutes les autres hypothèses, c’est, je le répète, aux fonctionnaires à soigner pour l’avenir, à assurer par leurs économies, le sort de leurs femmes et de leurs enfants.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - L’honorable M. Dumortier s’est complétement trompé, messieurs, lorsqu’il a supposé que, d’après la législation existante et l’usage établi, on pourrait donner à un fonctionnaire civil quelconque, à un ambassadeur, par exemple, une pension qui irait jusqu’à 30 ou 40 mille fr. ; on ne doit en règle générale accorder aucune pension supérieure à 6,000fFr. c’est là un maximum qui ne peut être dépassé, si ce n’est toutefois pour les pensions de la caisse de retraite, laquelle a, selon ses règlements, accordé cinq ou six pensions, depuis 1830, excédant 6,000 francs ; mais vous savez que ces pensions sont en partie à titre onéreux, et qu’il s’opère, sur les traitements des fonctionnaires des finances qui ont droit à obtenir une pension de la caisse de retraite, une retenue annuelle qui est destinée à permettre l’amélioration du taux de la pension ordinaire des autres fonctionnaires civils, et à assurer en outre une pension à leurs veuves et orphelins ; toutefois je suis tombé d’accord avec la commission qui a été nommée par le gouvernement pour réviser les liquidations des pensions de la caisse de retraite, qu’il ne serait plus accordé à l’avenir, même sur la caisse de retraite, une seule pension excédant 6,000 fr.
J’ai dit tout à l’heure, messieurs, qu’il n’est pas permis d’accorder des pensions dépassant 6,000 francs ; il y a pourtant une seconde exception à cette règle, et pour un seul cas. Lorsqu’un fonctionnaire a plus de 40 ans de service et plus de 60 ans d’âge, il peut avoir une pension qui aille jusqu’aux deux tiers du traitement moyen de ces trois dernières années de service ; c’est là, messieurs, le seul cas où il soit permis de dépasser gratuitement le maximum de 6,000 francs, et je crois que ce cas se présentera très rarement.
L’honorable M. Dumortier a parlé d’un ancien fonctionnaire du Hainaut dont la pension s’est, dit-il, élevée à 9 ou 10 mille fr. ; il a été, en effet, accordé une semblable pension à ce fonctionnaire, parce qu’il avait plus de 40 ans de service et plus de 60 ans d’âge. Ce fonctionnaire n’existe plus, et il n’est, par conséquent, plus question de payer sa pension. Du reste, on ne peut pas dire qu’il y avait là une prodigalité, car on ne saurait considérer comme un abus qu’un fonctionnaire qui a plus de 40 ans de service et plus de 60 ans d’âge, reçoive une pension égale aux deux tiers de son traitement.
On parle toujours de gros traitements ; mais, messieurs, il faut convenir que ce n’est pas en Belgique qua les traitements sont trop élevés ; ils sont tous, sans exception, au contraire, excessivement modérés ; ce qui est un bien, ce à quoi j’applaudis, mais alors il faut aussi que la nation procure des moyens d’existence aux fonctionnaires qui, par leur âge, leurs infirmités ou autrement, ne sont plus en état de remplir leurs emplois, aux veuves et aux orphelins de ceux qui ont rendu des services.
Je crois, messieurs, que le système le plus convenable et le plus économique est celui de donner des traitements modiques aux fonctionnaires, et de leur assurer en revanche des moyens d’existence lorsqu’ils sont forcés de cesser leurs fonctions, ainsi qu’aux veuves et aux orphelins de ces fonctionnaires qui n’ont pu, durant leur carrière publique, faire des économies.
L’honorable M. Dumortier a d’abord commencé son discours en s’élevant contre les bases de la liquidation des pensions militaires dont il s’agit exclusivement en ce moment ; il a dit qu’on règle ces pensions sur la moyenne du traitement pendant les trois dernières années, et qu’on peut ainsi les élever à un taux exorbitant ; mais, messieurs, ce n’est pas là la base sur laquelle on liquide les pensions militaires, c’est la durée des services et le nombre d’années dans le dernier grade qui servent à déterminer le taux de la pension à laquelle un militaire a droit, et jamais ce taux n’excède 6,000 fr.
Vous voyez donc, messieurs, que les abus dont parle l’honorable M. Dumortier n’existent que dans son imagination.
M. Dumortier. - Messieurs, l’honorable ministre des finances, en voulant combattre mes observations, s’est mis à côté de la question, telle que je l’avais posée : je n’ai point parlé des militaires, j’ai parlé en général, et j’ai prouvé à l’évidence la nécessité de réviser la loi sur les pensions, et en vertu de laquelle on peut accorder des pensions exorbitantes. M. le ministre des finances a commencé par nier le fait, et ensuite il a paru cependant convenir lui-même que ce fait est exact, en disant qu’on peut accorder aux fonctionnaires qui ont 40 ans de service et 60 ans d’âge, une pension égale aux deux tiers de leur traitement. Sans doute, messieurs, on n’accorde jamais de pensions à une personne qui n’a aucun titre ; mais on ne peut disconvenir, que d’après l’aveu même de M. le ministre des finances, si demain un ambassadeur qui eût 40 ans de service et 60 ans d’âge, venait réclamer sa pension, on pourrait se trouver dans le cas de devoir porter cette pension à 60 ou 70,000 francs ; cela est incontestable.
Vous voyez donc, messieurs, que la loi des pensions qui peut donner lieu à de pareils abus, doit de toute nécessité être révisée.
Je ne partage pas l’avis de M. le ministre des finances, qui vient nous dire que lorsqu’un fonctionnaire est arrivé à un certain âge, il a bien mérité de recevoir les deux tiers de son traitement ; je pense, messieurs, que, quel que soit l’âge d’un fonctionnaire, il doit y avoir un maximum pour la pension à accorder, et que ce maximum doit être égal pour les fonctionnaires de toutes les classes. En France, messieurs, où certes on est généreux pour les fonctionnaires publics, aucun employé, de quelque ordre qu’il appartienne, ne peut toucher une pension qui dépasse 6,000 fr.
Je le répète, messieurs, d’après la législation existante, les pensions peuvent être portées à un taux exorbitant : un ministre plénipotentiaire qui se trouverait dans le cas où s’est trouvé l’honorable gouverneur du Hainaut, dont j’ai parlé tout à l’heure, pourrait venir nous demander une pension de 70,000 fr., et d’après la loi actuelle nous devrions l’accorder ; il faut donc de toute nécessité réviser une loi qui peut donner lieu à de semblables abus.
M. de Brouckere. - Je répondrai à l’honorable M. Dumortier que la révision des pensions du département des finances a déjà été faite, et qu’une loi a été votée à cet égard par la chambre ; or, c’est le ministère des finances qui a les plus fortes pensions à payer.
Maintenant l’honorable membre se plaint de ce que les pensions se liquident encore aujourd’hui d’après la législation existant autrefois, et qui a excité tant de plaintes. Cela n’est pas tout à fait exact : ce qui a excité tant de plaintes sous l’ancien gouvernement, c’est l’article 17 de l’arrêté-loi du 14 septembre 1814, qui était placé à la fin de cet arrêté et qui en détruisait toute l’économie ; car, après avoir tracé certaines règles qui devaient servir de base à la liquidation des pensions, on détruisait par cet article toutes les prescriptions précédentes de la loi pour laisser en définitive au roi le pouvoir d’élever des pensions aussi haut qu’il le voudrait et de déroger à tous les principes de l’arrêté-loi. Or, messieurs, cet article 17 n’existe plus, et le gouvernement est obligé de s’en tenir, dans la liquidation des pensions, à ce qui est prescrit par les autres dispositions de l’arrêté-loi du 14 septembre 1814 ; eh bien, si vous voulez examiner de près ces autres dispositions, vous verrez que les abus sont très difficiles, et que les pensions en général ne peuvent pas s’élever au-delà de 6,000 fr.
Une seule exception a été admise à cette règle générale, c’est les fonctionnaires qui ont 40 ans de service et 60 ans d’âge. Eh bien, messieurs, la meilleure preuve qu’on puisse donner de ce que cette disposition n’est pas à craindre, c’est que depuis la révolution, il n’a été liquidé qu’une seule pension qui tombât dans cette exception, c’est celle de l’ancien gouverneur du Hainaut, dont on a parlé tout à l’heure. Quant à moi, je vous avoue que je ne reconnais pas la nécessité d’une semblable exception ; lorsque nous discuterons le projet de loi qui vient d’être annoncé par M. le ministre des finances, je prouverai qu’elle ne doit pas exister et que nous devons admettre en règle générale qu’aucune pension ne peut aller au-delà de 6,000 francs.
L’honorable M. Dumortier se plaint aussi de ce qu’on paie des pensions aux veuves et aux orphelins des fonctionnaires ; on ne paie point en général des pensions aux veuves et aux orphelins des fonctionnaires ; cela n’a lieu que pour le département des finances, dont les fonctionnaires ont droit à une pension pour leurs veuves et leurs orphelins, par suite de la retenue qu’on opère annuellement sur leurs appointements : c’est là une exception dont l’Etat ne peut être grevé. A la vérité l’Etat a pu jusqu’ici accorder un subside pour la caisse des pensions du département des finances, subside qui a été suffisamment justifié, puisque la chambre l’a voté chaque année ; mais il faut supposer qu’à l’avenir, dans un temps plus ou moins rapproché, la caisse des retraites suffira au paiement des pensions des veuves et orphelins des fonctionnaires du ministère des finances, qui sont les seuls qui ont droit à une pension.
M. Desmet. - Quoique l’honorable ministre des finances vienne de faire la déclaration formelle que sous peu il présenterait à la législature un projet de loi général sur les pensions, je pense cependant que les observations que vous a présentées l’honorable M. Dumortier, sur les vices qui existent dans l’arrêté du 14 septembre 1814, ont été faites très à propos, et que les abus dont cet arrêté a donné lieu et qu’il vous a signalés, sont réels ; ces observations, je les trouve surtout à propos, qu’il m’a semblé que l’orateur qui vient de parler avait voulu faire entendre que depuis que l’article 17, qui contenait une disposition exceptionnelle en faveur du chef de l’Etat et pour « des cas extraordinaires ou des services éminents rendus au pays, » avait été supprimé, l’arrêté sur les pensions n’avait plus de défauts marquants et ne pouvait plus donner lieu à des abus. Je partage entièrement l’opinion de l’honorable M. Dumortier qu’il faille réformer et rendre légale la législation inconstitutionnelle qu’on suit encore toujours pour les pensions, et ici nous sommes tout à fait d’accord avec ce qu’a voulu le congrès national, quand il a prescrit dans la constitution qu’aucune pension en gratification à charge de l’Etat ne serait accordée qu’en vertu d’une loi, et que la liste existante des pensions accordées d’après l’arrêté de 1814, sous le règne de Guillaume, serait au plus tôt révisée.
Certainement que le congrès, imbu des abus auxquels avait donné lieu l’arrêté de Guillaume, avait voulu une réforme réelle et non point déguisée ; avait voulu, non pas assurer des rentes viagères aux fonctionnaires qui déjà avaient joui des faveurs du gouvernement, par les places lucratives qu’ils avaient remplies, mais bien récompenser le citoyen, le patriote qui avait rendu des services au pays, dignes de récompense.
Pourriez-vous donc penser, messieurs, que le congrès aurait voulu récompenser des personnes qui n’auraient rendu aucun service au pays, mais qui, au contraire, se seraient continuellement opposées à l’ordre actuel des choses, et auraient fait des efforts pour le retour de la famille déchue ? Jamais cela n’a été la pensée du congrès ; j’en appelle ici au témoignage de tous ceux de mes collègues qui en ont été membres.
Pourriez-vous aussi croire que la pensée du congrès a été quand il a arrêté les dispositions constitutionnelles sur les pensions de préparer des gratifications aux créatures du roi Guillaume et d’en préparer surtout une forte de 6,000 fr. à un conseiller d’Etat, à un individu qui n’a montré aucune sympathie pour la dynastie qui nous gouverne, et qui, à en juger par ses actes publics, est plus partisans de la restauration que de la révolution ? Eh bien, messieurs, cette gratification antipatriotique a été faite l’an dernier, et certainement le chef du département qui a dû prendre l’arrêté ne l’a pas fait de bon cœur ; mais il y a été obligé par cet arrêté de Guillaume que nous laissons toujours en vigueur et que nous ne rapportons pas.
Je pense donc, messieurs, et je le répète encore, que les observations de M. Dumortier sont très utiles, et je les appuie de tout mon pouvoir ; elles sont utiles pour M. le ministre des finances ; quand il élaborera le projet qu’il vient de nous promettre, il pourra prévoir tous les abus qui ont été signalés et dont l’arrêté de 1814 a été cause.
Vous devez, je pense, vous rappeler que l’arrête du lieutenant-gouverneur des Pays-Bas n’a jamais été sanctionné par les législatures, et qu’on l’a toujours considéré comme une mesure de circonstance, qui a été prise en 1814 pour contenter et faire taire dans leurs réclamations les anciens fonctionnaires du gouvernement autrichien qui, sous le régime français, avaient été ôtés de leurs emplois, et qu’on ne voulait cependant plus voir retourner aux places publiques. Qu’on lise les considérants de l’arrêté et la disposition de l’article 7, on sera convaincu de l’exactitude de ce que j’avance. Si plus tard, et surtout depuis la révolution, on a appliqué les dispositions de l’arrêté, c’est bien abusivement ; et ici, je pense, le pays pourrait faire un reproche à la représentation nationale, qu’elle n’a pas plus fait d’efforts pour arrêter ces abus et contraindre le gouvernement à rester dans les bornes de la constitution.
Je n’en dirai pas plus sur ces abus, mais je me flatte que le ministre des finances ne laissera pas attendre son projet.
M. Andries. - Messieurs, l’on m’a assuré que contrairement à ce qui se pratique dans les autres ministères, le département de la guerre n’envoie à la cour des comptes que l’arrêté royal portant allocation d’une pension sans y joindre les pièces justificatives. Si le fait est réellement vrai, la cour des comptes ne peut pas vérifier si les lois et règlements de pension ont été appliqués, et dès lors le pays perd dans la cour des comptes la garantie qu’il peut et doit en attendre.
M. de Brouckere. - Je répondrai à l’honorable préopinant que je ne pense pas que la cour des comptes puisse examiner si une pensions a été liquidée conformément aux lois.
M. Dumortier. - Si ! si !
M. de Brouckere. - M. Dumortier répond : Si ! si ! Il pourra justifier son opinion. Quant à moi, je crois que la cour des comptes n’a pas le droit d’examiner si une pension a été conférée conformément aux lois ; cela n’entre pas dans les attributions de cette cour, mais bien dans celles du pouvoir législatif, qui critique les actes du gouvernement et qui peut attaquer une pension comme ayant été mal liquidée.
Quel est le devoir de la cour des comptes ? C’est d’examiner si le département qui a conféré la pension, avait le droit de la conférer. Si vous admettiez le système que la cour des comptes peut s’enquérir de toutes les sommes qu’on paiera, il en résulterait qu’elle pourrait examiner si le taux des traitements n’est pas trop élevé. Evidemment cette faculté ne peut faire partie des attributions de la cour des comptes ; la cour empiéterait sur le pouvoir du corps législatif.
Je dois maintenant répondre deux mots à l’honorable M. Desmet qui a cru que j’approuvais de tout point l’arrêté-loi de 1814. Il n’en est rien ; au contraire, je suis d’avis que cet arrêté doit être révisé, et je pense qu’il est urgent que nous nous occupions d’une nouvelle législation sur les pensions. J’ai moi-même signalé un abus qui peut résulter de l’application de l’arrêté de 1814, c’est le cas où la pension peut s’élever au-delà de 6,000 fr. Je me suis borné à dire tout à l’heure que, bien que l’arrêté de 1814 ne fût pas parfait, il ne pouvait donner lieu, dans son application générale, a de très graves abus.
Cependant, dit l’honorable M. Desmet, on a accordé des pensions à des fonctionnaires à qui on eût dû les refuser : quant à cela, c’est un grief à articuler moins contre la loi que contre le gouvernement. C’est le gouvernement qui a en tort d’accorder ces pensions ; car, aux termes de l’arrêté de 1814, n’ont droit à la pension que les personnes qui ont 60 ans d’âge et 40 ans de service. L’arrêté dit que les employés peuvent demander une pension ; mais s’ils n’ont pas les titres requis pour l’obtenir, c’est au gouvernement à faire à cet égard ce qu’il juge convenable. Je pourrais citer tel fonctionnaire qui a 20 ans de service et à qui on a refusé une pension.
C’est donc au gouvernement qu’on doit faire le procès, quant aux pensions accordées illégitimement, plutôt qu’à la loi qui, je le répète, est loin d’être parfaite, mais qui cependant ne peut engendrer des abus aussi nombreux qu’on l’a prétendu.
M. Desmet. - Je répondrai à l’honorable M. de Brouckere que l’allocation de la pension de 6,000 fr. dont j’ai parlé tout à l’heure était due au conseiller dont j’ai parlé, en vertu de l’arrêté-loi de 1814, parce qu’il avait 60 ans d’âge et 40 ans de service ; ainsi c’est à la loi et non pas au gouvernement que l’on doit faire un grief d’un semblable abus.
Non certainement, je n’en fais point de reproche au ministre, car il n’a pas pu faire d’exception pour l’individu en question, quand il se trouvait dans les termes de l’arrêté ; mais je devrais plutôt en faire le reproche à la chambre qui a toujours laissé l’arrêté qui donne lieu à ces abus.
- Le chiffre relatif aux pensions militaires est mis aux voix et adopté.
« Pensions de l’ordre Léopold : fr. 20,000. »
- Adopté.
« Arriéré des pensions de toute nature : fr. 10,000. »
- Adopté.
- L’ensemble de l’article premier du chapitre II est mis ensuite aux voix et adopté.
« Art. 2. Traitements d’attente, traitement des pensions supplémentaires et secours annuels : fr. 123,177 84 c. » (Chiffre proposé par le gouvernement.)
M. le président. - La section centrale propose de réduire ce chiffre à 50,000 fr.
M. le ministre des finances adhère-t-il à la rédaction proposée par la section centrale ?
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, le gouvernement a cru devoir, comme les années précédentes, vous proposer l’intégralité de la somme qui est due, selon lui, pour les traitements d’attente, les pensions supplémentaires et les secours annuels, et nous nous considérerons comme tenus d’en agir ainsi, aussi longtemps qu’une disposition législative m’aura pas prononcé formellement contre le droit que nous reconnaissons aux titulaires de ces traitements. Cependant, comme depuis 6 ans la chambre, après de longues discussions, a constamment réduit le crédit à 50,000 fr., je m’abstiendrai d’entrer dans des développements qui seraient sans doute inutiles cette année comme précédemment, pour combattre la même réduction, de nouveau proposée par les sections et par la section centrale.
M. Milcamps. - Messieurs, je viens appuyer les propositions du gouvernement en faveur des fonctionnaires qui jouissent des traitements d’attente, et m’élever ainsi contre les réductions proposées par la section centrale.
Chaque année le budget de l’Etat affecte une somme destinée à acquitter les traitements d’attente, mais insuffisante pour les payer intégralement.
Dans chacune des années 1831 le gouvernement a demandé, pour satisfaire à cette charge, une somme de 100,000 florins ; le budget ne lui en a alloué que 30,000.
Dans chacune des années postérieures et jusques et y compris 1837, le gouvernement demandait à la même fin 137,000 fr. et en dernier lieu 15,000 ; le budget ne lui en a alloué que 50,000.
Aujourd’hui, pour l’année 1838, le gouvernement propose 123,000 fr., et la section centrale réduit encore ce chiffre à 50,000.
Pour quels motifs ces réductions ont-elles été votées chaque année ?
Si nous nous reportons aux rapports des sections centrales et aux discussions des budgets, nous voyons que ces réductions ont été motivées sur la pensée que quelques-uns de ces traitements pouvaient être des actes de faveur émanés du chef du gouvernement précédent ; nous y voyons aussi qu’on y a émis l’opinion qu’on ne devait payer les traitements d’attente temporaires dits toelagen, et les traitements de non activité wachtgelden, qu’aux anciens fonctionnaires dont le traitement n’excédait pas 3,000 fr.
Quant au premier de ces motifs, j’ignore s’il existe d’anciens fonctionnaires qui auraient obtenu des traitements à titre de faveur. Je n’en ai trouvé aucune preuve, ni dans les rapports des sections centrales, ni dans les discussions des budgets. Et dans la supposition même qu’il en existât quelques-uns de cette catégorie, est-ce une raison de refuser aux autres le paiement de leurs traitements ? C’est cependant ce que nous faisons.
Ce que je vois, c’est que depuis sept ans le gouvernement a constamment trouvé équitable et juste de payer les traitements d’attente.
Quant à la distinction entre les traitements d’attente temporaires ou de non-activité de 3,000 fr. et au-dessous, qu’on paie peut-être en partie, car on ne les paie pas tous, et les traitements au-dessus de 3.000 fr. dont on n’autorise pas le paiement, j’avoue que je ne vois pas sur quelle raison plausible cette distinction repose.
Aussi, messieurs, je ne pense pas trop que ce soit pour ces motifs que le plupart des membres de cette chambre ont voté les réductions. La véritable raison de leur vote, dans mon opinion du moins, a été qu’il y avait lieu de réduire le crédit jusqu’à ce que la question fût examinée.
Mais nous sommes dans la huitième année d’ajournement de cet examen, et un tel ajournement ressemble un peu à un déni de justice.
Pour ce qui me concerne, et voulant m’éviter ce reproche de déni de justice, j’ai examiné la question, et cet examen m’a donné la conviction que les fonctionnaires qui jouissent des traitements d’attente sont fondés à en réclamer le paiement, et que leurs droits résultent de la loi même.
En effet, un arrêté-loi du 14 septembre 1814, portant règlement des pensions, après avoir désigné les emplois qui donnent lieu à la pension, après avoir établi comment elles sont déterminées, demandées et obtenues, dispose, article 17, de la manière suivante :
« Nous nous réservons des exceptions à ce qui est statué par le présent règlement dans les cas extraordinaires, où des services éminents ou d’autres causes pourraient nous engager à donner des marques particulières de notre bienveillance. »
Une autre loi, messieurs, en date du 5 juin 1824, porte dans ses considérants « que plusieurs changements introduits dans les différentes branches d’administration donneront lieu à des diminutions dans le nombre des fonctionnaires ;
« Que l’équité réclame qu’il soit pourvu au sort des employés qui souffrent par lesdites mesures (…) en accordant des pensions, traitements personnels, temporaires ou de non-activité, le tout proportionnellement à leurs titres ; »
Et statue ensuite :
« Art. 1er. A commencer du 1er janvier 1825, le syndicat devra mettre le trésor à même de faire les nouvelles pensions extraordinaires des traitements personnels temporaires (toelagen) on de non-activité (waecht gelden), et autres dépenses qui s’éteignent successivement, résultant des mesures d’économie, suppression de places et autres arrangements pris et à prendre dans l’intérêt de l’Etat, jusqu’à l’extinction finale de toutes ces pensions, traitements personnels temporaires, et autres dépenses dont le maximum est 900,000 florins. »
Je le demande maintenant, les fonctionnaires qui, en vertu de ces deux lois, ont obtenu des traitements d’attente, n’ont-ils pas un droit acquis au paiement de ces traitements, tant que leur titre subsiste ? Pour moi, messieurs, je n’éprouve nul doute à cet égard.
Voulez-vous un exemple d’application de ces lois, je le puise dans une lettre qui m’a été adressée par un fonctionnaire jouissant d’un traitement d’attente.
« J’étais, dit-il, receveur particulier ; je jouissais en cette qualité d’un traitement, y compris la gratification de la recette du produit des barrières de fr. 9,800.
« Lors de l’introduction du nouveau système des finances, j’ai cessé les fonctions de receveur particulier qui ont été supprimées, pour remplir celles d’agent de la société générale, au traitement alors de 5,300 Fr. et réduit depuis nos événements politiques à 4,200 fr.
« En 1824, pour mes anciens services et pour la diminution essuyée dans mes émoluments de receveur particulier, il m’a été accordé un traitement d’attente de 1,600 fr.
« Depuis 1824 jusqu’en 1830, j’ai été payé chaque année de mon traitement d’attente ; le deuxième semestre de 1830 m’a été payé par le gouvernement provisoire ; par suite de nos événements politiques, je n’ai plus touché mon traitement. »
Ne trouverez-vous pas, messieurs, qu’il est de la loyauté publique de payer ce traitement, alors que le titulaire a un titre fondé sur la loi, titre qui n’a point été révoqué ?
Pour moi, messieurs, je croirai faire un acte de justice en votant le chiffre proposé par le gouvernement, destiné à payer les traitements d’attente de cette nature. S’il est des fonctionnaires qui ont obtenu des traitements contre le texte de la loi, la chambre décidera ce qu’il appartiendra.
M. de Brouckere. - Messieurs, je crois que la cause que vient de défendre l’honorable préopinant repose sur toute justice ; je l’ai moi-même soutenue ; mais chaque année j’ai échoué, et l’honorable préopinant aura probablement aujourd’hui le même sort.
Chaque année, comme vient de le dire l’honorable M. Milcamps, le gouvernement a demandé la somme nécessaire pour faire face au paiement des traitements d’attente, mais chaque année la législature a réduit cette somme à 50,000 fr. Voici comment on est venu là.
Lorsque le gouvernement a proposé la première fois un crédit de ce chef, on s’est demandé dans cette assemblée si les pensions d’attente devaient encore être payées oui ou non : les uns, et j’étais de ce nombre, ont soutenu que ces pensions devaient être payées, attendu qu’elles avaient été conférées en vertu de la loi, et qu’elles étaient dues jusqu’au moment où l’arrêté qui les avait conférées aurait été révoqué.
Je me souviens qu’à cette époque j’ai moi-même invité le gouvernement à opérer la révision des pensions d’attente le plus tôt possible, parce que j’étais convaincu qu’à la suite de cette révision l’on reconnaîtrait que plusieurs traitements de l’espèce ne devraient réellement plus être payés à l’avenir ; il en serait résulté que les arrêtés conférant ces traitements étant révoqués, c’était une dette éteinte.
Mais, j’ai soutenu alors, et je soutiens encore, que tant que ces arriérés ne sont pas révoqués, les titulaires ont droit au paiement de leur pension.
A la suite de la première discussion, un membre a proposé un crédit de 50,000 francs, pour être réparti per le gouvernement entre celles des personnes jouissant de pensions d’attente, qui seraient reconnues avoir le plus de titres, ou être dans une position nécessiteuse.
Le gouvernement, voulant en partie se décharger de la responsabilité qui pesait sur lui du chef d’un semblable vote, a nommé une commission à l’effet de faire la répartition des 50,000 francs.
Je crois que l’honorable M. Gendebien était membre de cette commission ; j’ai en l’honneur d’en faire partie aussi. Nous avons fait la répartition, et je crois que nous l’avons opérée de la manière la plus équitable, à tel point, comme le dit en ce moment M. le ministre des finances, qu’il n’y a jamais eu de réclamations touchant cette répartition.
Mais il y a eu des réclamations de la part de ceux à qui on ne payait pas, et ces réclamations tendaient à ce que l’on augmentât le crédit qui avait été alloué.
Il résulte de ce que je viens de dire que depuis la révolution on est chaque année resté en demeure de payer une somme de 70 à 80,000 fr., en ce qui concerne les traitements d’attente ; et chaque année, sans qu’on décide que les personnes à qui ces traitements ont été conférés n’y ont pas droit, chaque année, dis-je, la chambre répond seulement qu’elle n’entend voter qu’un crédit de 50,000 fr.
Il en résulte que la position des anciens fonctionnaires à qui l’on refuse chaque année le paiement de ce qu’ils réclament, que leur position, dis-je, reste incertaine, et je crois véritablement qu’il serait temps qu’on prît une mesure qui les mît à même de savoir ce qu’ils ont à attendre, ou ce à quoi il leur faut définitivement renoncer.
Je demande donc que l’on veuille s’occuper de cet objet, si tant est que la chambre ne soit pas disposée à voter la somme qui est demandée par le gouvernement. Il me semble que le gouvernement pourrait nommer une commission qui serait chargée de faire un rapport sur les pensions de l’espèce. A la suite de ce rapport, le gouvernement pourrait prendre sur lui de révoquer une partie des arrêtés qui ont conféré des traitements d’attente ; les arrêtés, par exemple, qui n’étaient pris qu’en reconnaissance de services spéciaux : non point de ces services loyaux qui donnent droit aux récompenses ; on a cité des exemples, on a rappelé des fonctionnaires qui n’avaient pas de longues années de services, qui n’avaient pas non plus servi l’Etat d’une manière signalée, mais auxquels le gouvernement avait voulu accorder des gratifications. Mais après la révision on pourra révoquer les pensions de cette nature, et la dette cessera. Il y a une classe de fonctionnaires qui n’a rien touché jusqu’à présent, c’est celle des anciens receveurs-généraux et receveurs particuliers. Lorsque la recette de l’Etat a été donnée à la société générale pour favoriser la société de commerce, les receveurs généraux et particuliers out été presque tous placés par cette nouvelle administration, mais avec des appointements de beaucoup inférieurs.
Le gouvernement avait trouvé juste de les indemniser, de donner un supplément de traitement à ces receveurs-généraux et particuliers dont quelques-uns avaient été très mal traités. Aucun n’a été compris dans la répartition des 50 mille francs, aucun n’a touché la plus minime partie de ce supplément. Il semble cependant qu’il serait temps de prendre une décision sur leur sort. C’est par ce motif que j’engage M. le ministre des finances à s’occuper de cet objet. S’il ne veut pas en prendre la responsabilité entière, qu’il charge une commission d’examiner la question et de préparer un projet.
M. Gendebien. - Depuis six ans, nous développons tous les ans le même thème ; nous passerons deux ou trois heures sans nous entendre, et nous rejetterons la majoration qu’on demande. Quant à moi, je la rejetterai, parce que je ne me trouve pas assez éclairé pour voter la somme qu’on demande. Le moyen d’en finir, c’est d’adopter le proposition de M. de Brouckere. M. d’Hoffschmidt avait proposé un projet de loi pour régler cet objet.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Ce projet a pour but de supprimer ces traitements.
M. Gendebien. - Soit ; mais qu’on discute ce projet, nous pourrons présenter des amendements, arriver à une loi ; ce sera, si vous voulez, un prétexte pour s’occuper ailleurs qu’ici de cet objet, sur lequel il est impossible de continuer la discussion aujourd’hui avec fruit. Je demande qu’on ajourne la discussion, qu’on alloue le chiffre de la section centrale, sans préjudice d’un examen ultérieur. De cette manière, nous gagnerons du temps et les réclamants aussi.
M. le président. - La parole est à M. Dumortier.
M. Gendebien. - Sur la motion d’ordre.
M. Dumortier. - J’ai cédé mon tour de parole. je prie M. Gendebien de me laisser parler.
M. Gendebien. - Vous me m’avez pas cédé de tour de parole ; j’avais droit de faire une motion, j’en ai usé. Et c’est ma motion qu’on doit discuter.
M. le président. - Comme on ne demande pas l’ajournement ou le renvoi à une commission, et qu’il s’agit de voter un chiffre, il y a lieu de discuter la question plus au fond.
M. Gendebien. - Une motion d’ordre doit toujours être discutée et votée avant tout.
M. Dumortier. - Diverses propositions sont faites : l’une par M. Milcamps, qui a reproduit l’amendement que le gouvernement paraissait abandonner ; la seconde est celle de la section centrale, qui propose d’allouer, comme l’année précédente, une somme de 50,000 fr. Une troisième est faite par M. Gendebien, qui propose de suspendre toute discussion. M. de Brouckere en a fait une quatrième, qui est de nommer une commission pour examiner la question des traitements d’attente. Il est bon que les nouveaux membres sachent bien ce que c’est que l’article en discussion. Qu’est-ce que ces traitements d’attente ? C’étaient des moyens indirects par lesquels le roi Guillaume se croyait en droit d’accorder des gratifications des personnes qui n’y ont aucune espèce de droit en vertu des lois existantes. C’est pour faire cesser cet abus que le congrès a stipulé dans la constitution qu’aucune gratification ne pourrait être donnée qu’en vertu d’une loi.
Les traitements d’attente sont donc des moyens indirects d’éluder les lois sur les pensions.
Vous verrez à combien d’abus ces traitements d’attente ont donné naissance.
Ils se composent de trois catégories : les traitements d’attente proprement dits, les traitements supplémentaires et les secours annuels.
Les traitements d’attente s’appliquaient aux fonctionnaires qui avaient cessé d’exercer leurs fonctions et qui attendaient un autre emploi. Les traitements supplémentaires s’accordaient dans certaines circonstances, à des personnes dont on réduisait les appointements par une mesure générale. La troisième catégorie comprenait les gratifications annuelles.
Quand nous avons examiné les divers objets relatifs à cette question, nous avons commencé par nous faire reproduire le tableau des personnes auxquelles on avait accordé de ces sortes de traitements. Nous en avons trouvé une foule qui n’avaient pas, qui n’avaient jamais eu et ne pouvaient avoir aucune espèce de droit à une pension. Ainsi, par exemple, on avait accordé un traitement d’attente à un abbé qui avait servi la cause du roi Guillaume, qui avait reçu 800 fr. pour un sermon ; il avait eu un traitement d’attente de 375 florins. On avait accordé un traitement d’attente à d’anciens nobles qui avaient perdu leurs droits seigneuriaux, en attendant probablement qu’ils fussent rétablis. On en avait accordé un à un ancien architecte du palais, qui avait construit des palais pour le compte de la liste civile. Il y en avait une foule comme cela. Vous voyez par ce simple exposé que c’était là une source d’abus.
Les membres qui vous ont parlé de droits acquis, de pensions accordées en vertu des lois, se sont trompés sur la nature de ces traitements d’attente.
Je conteste ce qu’ils ont dit à leur égard ; il n’y a jamais eu de loi qui les autorise, mais seulement un arrêté rendu avant la mise en vigueur de la loi fondamentale. Mais cela n’a jamais été régularisé par une loi.
Les droits que les titulaires pourraient réclamer, ne résultent pas d’une loi existante, d’une loi en vigueur.
Parmi les fonctionnaires qui avaient des suppléments de traitement, on voyait figurer des agents actuels de la banque. Quand le gouvernement a cessé d’avoir des receveurs-généraux et particuliers pour donner à la banque la caisse de l’Etat, ces fonctionnaires ont été employés par la banque et l’Etat leur a donné des suppléments de traitement.
Je vous demande si nous devons encore donner des suppléments de traitement aux employés de la banque.
La banque trouverait cela commode ; elle pourrait se dispenser de payer ses employés. Je vous demande si on peut faire tomber à charge de l’Etat les frais d’une administration qui fait ses affaires à elle. Si ces employés, pour des services antérieurs, ont des droits à la charge de l’Etat, qu’ils les fassent valoir, le ministre est là pour les liquider. Mais s’ils n’ont pas de droits, devons-nous leur donner la moitié du traitement que la banque devrait leur payer. C’est ce que M. Ch. de Brouckere, le frère d’un des préopinants, avait senti. Voici ce qu’il disait dans l’exposé des motifs du budget de 1831, qu’on devrait imprimer en lettres d’or…
Un membre. - Ce serait une belle économie !
M. Dumortier. - Oui, ce serait une grande économie.
C’était pendant le congrès ; on gouvernait alors avec zèle, avec dévouement, avec des sentiments généreux, et très peu de traitements.
M. de Brouckere disait dans le projet de budget présenté pour 1831, au congrès national, qu’il avait l’intention de faire cesser toutes les sinécures.
Eh bien cette opinion de l’honorable M. de Brouckere est absolument celle que la chambre a proclamée. Il faut faire disparaître toutes les sinécures colorées du nom de traitements d’attente. Si, parmi ceux qui jouissent de ces traitements, quelques-uns croient avoir des droits, qu’ils les fassent valoir, qu’ils demandent la liquidation de leurs pensions.
La chambre en 1834, année où j’eus l’honneur d’être rapporteur des budgets des finances et des dotations, a admis l’allocation annuelle de 50,000 fr. pour faire face aux besoins des titulaires les plus nécessiteux. En cela elle n’a voulu reconnaître aucun droit aux titulaires des traitements d’attente. Mais comme il y en avait parmi eux qui étaient nécessiteux, elle a voulu qu’ils pussent être secourus au moyen de cette allocation de 50,000 francs.
A cette époque il résultait des calculs faits à la section centrale qu’on pouvait, avec cette somme de 50,000 fr., accorder à tous les titulaires de traitements d’attente au-dessous de 3,000 fr. l’intégralité de leurs traitements. Depuis lors, 4 années se sont écoulées, de nouveaux décès ont eu lieu, de sorte que les 50 mille fr. doivent être plus considérables qu’il ne faut pour allouer tous les traitements d’attente inférieurs à 3,000 fr., en écartant les agents de la banque qui doivent être payés par la banque. Je pense que, par ces considérations, vous devez vous borner au vote de 50 mille fr.
Au reste, il m’est revenu que la liquidation du ministre des finances n’était pas parfaitement juste, et qu’il y a des titulaires qui ont obtenu peu de chose ou rien, tandis que d’autres ont obtenu l’intégralité de leur traitement. Je pense que le ministre des finances doit procéder à une nouvelle révision ; mais je ne pense pas, comme le fait l’honorable M. de Brouckere que le gouvernement puisse abroger l’arrêté-loi de 1814. Le gouvernement est sans pouvoir pour abroger cette loi. Ce qui le prouve, c’est qu’il a fallu la loi d’organisation judiciaire pour modifier quelque chose à cet arrêté-loi.
M. de Brouckere. - Je crois qu’il faut revenir à la motion de M. Gendebien.
Puisque l’on désire s’occuper d’une manière définitive des traitements d’attente, et statuer prochainement, soit sur la proposition de M. d’Hoffschmidt, soit sur une proposition présentée à cet égard par le gouvernement, il me semble inutile d’examiner maintenant si les traitements sont dus ou non.
Il me paraît décidé que le chambre ne votera pas aujourd’hui autre chose que 50,000 fr.
Si M. le ministre des finances ne s’est pas rallié à la proposition de la section centrale, c’est que dans sa position il ne le peut pas...
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - C’est que je ne la crois pas juste.
M. de Brouckere. - Mais il sait que la chambre ne votera que 50,000 fr. ; ainsi toute discussion est inutile.
Seulement j’insiste pour qu’on s’occupe le plus tôt possible du sort des personnes qui jouissaient de traitements d’attente. Si on décide qu’elles n’ont aucun droit, qu’on ne leur paie plus le montant de ces traitements d’attente ; mais au moins qu’on fixe leur sort le plus tôt possible.
M. Milcamps. - Je me rallie aux observations que M. de Brouckere vient de présenter.
M. A. Rodenbach. - Je n’ai qu’une chose à dire : puisqu’on a demandé l’ajournement, je ne m’y oppose pas ; mais je crois que le gouvernement aurait dû réviser l’arrêté-loi de 1814, et placer ceux qui sont dignes d’occuper des emplois ; au reste, il y a des hommes, ennemis du gouvernement, qui reçoivent des indemnités sans les avoir méritées et même pour des chose scandaleuses qu’on ne peut dire dans une chambre ; je crois donc que le ministre devrait réviser l’arrêté-loi, nous n’aurions pas alors des sommes énormes à payer. Nous sommes à la veille de voter un budget de 100,000,000, et il y a des traitements qui vous feraient rougir si vous deviez savoir pourquoi ils ont été donnés.
M. Gendebien. - Quand j’ai demandé la parole pour une motion d’ordre, je m’étais fondé sur l’article 24 du règlement ; je demandais l’ajournement parce que la chambre est saisie d’un projet de loi ; dès lors il n’y avait pas lieu examiner la question, il fallait se borner à voter la somme de 50,000 fr.
Au reste, je n’ai plus d’observations à faire ; le temps est perdu maintenant. Que l’on vote comme on voudra ; qu’on veuille se rappeler seulement qu’il y a un projet de loi à examiner en commission ou en sections.
M. le président. - Je ferai observer que, comme il y avait un chiffre à voter, il y avait toujours lieu à discussion.
M. Gendebien. - Je ne suis pas de votre avis, M. le président.
M. le président. - La proposition suivante vient d’être déposée par M. Van Volxem :
« J’ai l’honneur de proposer à la chambre d’inviter M. le ministre des finances à lui faire prochainement un rapport détaillé, accompagné des pièces à l’appui, sur tout ce qui concerne les traitements d’attente, traitements ou pensions supplémentaires et secours annuels, faisant l’objet de l’article 2 du chapitre II du budget de la dette publique et des dotations, afin que la chambre puisse discuter en pleine connaissance de cause la proposition de M. d’Hoffschmidt, relative à la matière. »
M. Van Volxem. - La chambre a entendu combien d’orateurs se sont plaints de l’état dans lequel se trouvent les personnes qui jouissaient de traitements d’attente.
Il est incontestable qu’il existe des lois sur la matière ; l’arrêté-loi du 14 septembre 1814 avait accordé au chef de l’Etat la faculté de donner de pareils secours ; la loi du 5 juin 1825 a encore accordé cette faculté ; mais maintenant on a reconnu qu’on en a abusé.
Tous les ans le ministère demande un chiffre considérable pour faire face aux traitements de ceux qui ont obtenu des traitements d’attente ; tous les ans les chambres votent arbitrairement un chiffre de 50,000 fr. qui ne forme pas la moitié des sommes réclamées au gouvernement ; il me semble que cet arbitraire doit cesser ; il faut qu’on sache quelle est la dette de la Belgique, et que la Belgique fasse honneur à cette dette. Il faut examiner les réclamations, satisfaire à celles qui sont fondées sur des droits réels, repousser les autres ; ce n’est qu’ainsi qu’on pourra, avec justice, accorder l’allocation qu’il demande pour l’acquit de son devoir.
Comme une proposition tendant à ce qu’il soit statué sur ces traitements d’attente est soumise à la chambre, il me semble nécessaire qu’un rapport soit fait par le ministre des finances à la chambre sur tout ce qui concerne ces traitements ; la chambre examinera alors quels sont ceux qui ont des titres, et enfin une loi déterminera quelle somme doit être de ce chef porté au budget.
Aussi longtemps que la chambre n’aura pas pris ce parti, aussi longtemps que la législature n’aura pas porté une loi motivée sur tous les éléments de la discussion, nous ne pourrons arriver à une solution légale.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Si la chambre adopte la proposition de l’honorable M. Van Volxem, qui n’est nullement contraire au vote de 50,000fFr., je m’engage à déposer sur le bureau tous les renseignements relatifs aux traitements d’attente.
M. Lebeau. - Je crois que pour bien rendre la pensée des honorables préopinants, il faudrait décréter la nomination d’une commission chargée d’examiner la proposition de l’honorable M. d’Hoffschmidt et de présenter un rapport à la chambre.
M. Dumortier. - Il y a une commission ; je puis le dire positivement, car j’en faisais partie.
M. Lebeau. - S’il y a une commission, elle n’a jamais, que je sache, donné signe de vie ; je demanderai qu’elle veuille bien enfin faire son rapport.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Mais il n’y a pas de commission.
M. Lebeau. - J’entends dire qu’il n’y a pas de commission ; d’un autre côté M. Dumortier nous dit qu’il y a une commission et qu’il en fait partie ; il me serait assez difficile de concilier ces assertions contradictoires ; je prie les honorables membres de vouloir bien s’en charger.
M. le président. - La proposition de M. d’Hoffschmidt a été examinée par les sections et par la section centrale en même temps que le budget de la dette publique de l’exercice de 1834. Je ne crois pas que la section centrale ait pris à cet égard des conclusions. Dans tous les cas, la chambre n’a pas statué à cet égard.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - La chambre depuis lors a été renouvelée deux fois.
M. Lebeau. - Dans le cas où il y aurait doute sur l’existence de l’ancienne commission, doute bien légitime après deux renouvellements de la chambre, je proposerai la nomination d’une commission pour procéder à l’examen du projet présenté par M. d’Hoffschmidt.
M. Dumortier. - Quand M. d’Hoffschmidt a présenté son projet, il s’agissait d’examiner le budget de 1834. On a renvoyé sa proposition à la section centrale qui avait été chargée de faire en rapport sur les lois de finances, en la considérant comme commission. Cette section centrale, dont j’ai eu l’honneur de faire partie, n’a pas cru à propos de faire son rapport sur ce projet. M. d’Hoffschmidt proposait de suspendre les traitements d’attente et les suppléments de traitements ; mais cette proposition, juste en droit, n’était pas sans inconvénient en fait. La chambre a discuté bien des fois ce qui regarde la caisse des pensions. Les traitements d’attente ont été l’occasion de grands abus ; on en a même donné à un principal de collège. Depuis six années nous avons examiné, chaque session, les questions que soulèvent les traitements d’attente, et nous avons eu plusieurs rapports détaillés.
En 1833. j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre des observations sur cet objet. Ce fut M. Bourgeois, depuis conseiller à la cour de cassation, qui démontra que les titulaires n’avaient aucun droit aux traitements d’attente. Il faut prendre une décision et résoudre définitivement la question.
M. Coghen. - C’est au mois de septembre 1832 que M. d’Hoffschmidt a présenté son projet de loi concernant les traitements d’attente et les suppléments de traitements ; cependant il n’a été l’objet d’aucun rapport. Je demande qu’on forme une commission spéciale pour l’examiner, et pour recevoir les renseignements du ministre des finances sur les titulaires, afin que la chambre puisse discuter ce sujet assez important et prendre une décision.
Lorsque j’étais au ministère, j’ai demandé dans les budgets les sommes que je croyais dues ; ordinairement les titulaires sont des fonctionnaires ou des personnes qui, en vertu de l’arrêté-loi de 1814, ont obtenu des gratifications du gouvernement. Je crois qu’il y a eu beaucoup d’abus dans cette distribution des faveurs, et que toutes les prétentions ne seront pas reconnues par la chambre pour être des droits. Il faut l’avouer aussi, il y a des personnes qui ont droit à une rémunération ou à être employées.
Ce qu’il y a de mieux à faire, c’est, ainsi que je le demande, de nommer une commission spéciale, afin d’avoir promptement un rapport et d’être saisi le plus tôt possible des questions que soulève un pareil sujet.
- Le chiffre de 125.177 fr. 74 c., mis aux voix, est rejeté.
Le chiffre de 50,000 fr., mis aux voix, est adopté.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Il me paraît que la proposition de M. Van Volxem est la même au fond que celle de M. Coghen et de M. Lebeau.
M. Van Volxem. - Je n’aurais pas hésité à demander la nomination d’une commission, si j’avais pu penser qu’il n’en existât plus. Je me réunis à la proposition de M. Lebeau.
M. le président. - M. Dumortier demande le renvoi du projet devant les sections.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Une semblable question ne peut être renvoyée devant les sections ; car, pour être examinée, il faut qu’on ait communication des signalements, pour ainsi dire, de tous les individus qui reçoivent des traitements ; on ne peut pas colporter dans toutes les sections des renseignements semblables. Une commission prendrait connaissance de toutes les pièces d’une manière bien plus convenable.
- La chambre consultée décide que le projet sera examiné par une commission nommée par le bureau.
« Art. 3. Subvention à la caisse de retraite : fr. 200,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Crédit supplémentaire remboursable sur les fonds de la caisse de retraite des employés des finances, retenus en Hollande : fr. 270,000 fr. »
M. Dumortier. - Je regrette, dans cette circonstance, de devoir m’élever contre l’allocation demandée, Cette allocation portera le chiffre total pour la caisse de retraite à 470,000 fr., ce qui fait près d’un demi-million ; il est à remarquer que, sous le gouvernement précédent, la caisse de retraite qui, en principe, devait se suffire à elle-même, ne pouvait toucher que 30,000 fl. du trésor, et cela en vertu de ses propres statuts. Mais, d’augmentations en augmentations, cette somme de 30,000 fl. a fini par s’élever à un demi-million ; c’est une plaie pour notre trésor public.
On demande un crédit supplémentaire ; nous avons déjà, pendant trois ans, voté de semblables crédits ; y a-t-il quelqu’un qui puisse penser que ce crédit pourra jamais être remboursé ? Evidemment non. Le gouvernement ferait donc mieux de demander un crédit pur et simple de 470,000 fr. ; il y aurait à cela plus de franchise qu’à demander une somme remboursable quand ou reconnaît qu’elle ne pourra jamais l’être.
Si, parmi les titulaires qui ont appartenu à l’administration du ministère des finances, il s’en trouvait qui fussent encore valides, que le gouvernement les replace et évite l’abus de donner des pensions à des hommes qui peuvent travailler encore. Je parle ici de ceux qui ont été pensionnés depuis la révolution.
La révision des pensions de la caisse de retraite, quoique prescrite par la constitution, n’a pas été faite ; car on ne peut pas regarder comme une révision ce qui a été fait par des commissaires nommés par le pouvoir exécutif. Ce qu’a voulu la constitution, c’est qu’il fût pourvu par une loi à la révision des pensions.
Je vous le demande maintenant, messieurs, ira-t-on prétendre qu’une commission nommée par le gouvernement puisse faire une loi ? Evidemment non, et dès lors l’article 139 de la constitution n’a pas encore été exécuté.
Je pense donc que nous ne pouvons pas accorder le crédit demandé ; nous avons déjà fait trop d’avances à la caisse de retraite, et je ne vois pas de moyen pour jamais récupérer ces avances.
- L’article 4 est mis aux voix et adopté.
« Art. 5 nouveau (proposé par la section centrale). Avance à faire aux titulaires de pensions acquises avant le 1er octobre 1830, à la charge du fonds des veuves et des orphelins, resté en Hollande : fr. 7,000. »
M. le président. - M. le ministre des finances s’est rallié à cet article, dont le chiffre a été retranché de l’article des pensions civiles.
- L’art.icle5 est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Il y a encore une somme qui a été également retranchée de l’article des pensions civiles, et que la section centrale propose de reporter au budget des finances, où ce crédit formerait un article ainsi conçu :
« Secours à des veuves, orphelins ou autres représentants de fonctionnaires et employés des administrations générales, décédés depuis 1830, après avoir contribué, sous le gouvernement précédent, à former le fonds des veuves et orphelins, créé en vertu de l’arrêté royal du 18 janvier 1814, et qui ont des titres à l’obtention d’un secours, à raison de leur position malheureuse : fr. 3,150. »
Il s’agit de prononcer sur l’ajournement de cette proposition jusqu’à la discussion du budget des finances.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je ne m’oppose pas, messieurs, à la proposition de transférer cet article au budget des finances, mais je dois faire remarquer que les secours dont il s’agit ne concernent pas tous le département des finances ; il s’agit de sept secours dont deux seulement se rapportent à ce département. J’ai voulu faire cette simple observation afin que l’on ne croie pas que ce nouveau article constitue exclusivement une augmentation dans les dépenses du ministère des finances.
M. Verdussen. - Messieurs, en examinant la liste qui nous a été envoyée par M. le ministre, nous avons vu que les secours dont il s’agit concernent en effet divers départements ; mais nous avons cru qu’il ne fallait pas disséminer en petits articles, dans différents budgets, une somme que nous pourrons peut-être réclamer un jour de la Hollande, et qu’il convenait mieux la placer tout entière dans un seul budget. Peu importait, du reste, que ce fût dans le budget des finances, ou dans tout autre.
- L’ajournement jusqu’à la discussion du budget des finances, de l’article dont il s’agit, est mis aux voix et adopté.
« Art. 1er. Intérêts des cautionnements dont les fonds sont encore détenus en Hollande : fr. 160,000. »
- Adopté.
M. le président. - La section centrale propose un article 2 nouveau, ainsi conçu :
« Remboursement de cautionnements à faire à titre d’avance, et avec garantie envers l’Etat en immeubles ou en fonds publics belges, aux comptables qui ont obtenu leur quitus de la cour des comptes de la Belgique, et dont les fonds, versés en numéraire, sont restés en Hollande : fr. 100,000. »
M. Zoude. - Messieurs, lorsque j’ai eu l’honneur de proposer à la chambre l’allocation d’un crédit pour rembourser, au moins partiellement, les cautionnements des comptables belges dont les fonds sont en Hollande, j’ai été guidé par des motifs d’équité et d’humanité.
Je me suis appuyé sur l’équité, parce que ces comptables, en se soumettant à l’arrêté-loi du 15 avril 1814, ont souscrit à un contrat qui liait également le gouvernement et les comptables, les derniers en fournissant le cautionnement requis, et le premier en s’obligeant à le rembourser dans les circonstances et d’après les formalités indiquées au contrat. Toutes les conditions ont été remplies de la part des comptables dont je parle : ils se présentent avec le jugement de la cour des comptes, qui prononce leur libération envers le trésor et ordonne le remboursement des cautionnements qu’ils ont fournis. Ces jugements, en matière de finances, doivent avoir la même force que ceux des tribunaux civils en matière de consignation, ainsi le veut la justice ; cependant le gouvernement accorde aux uns et refuse aux autres ; mais toutes les raisons dont on veut s’étayer pour les cautionnements sont applicables aux consignations ; il ne peut y avoir deux poids et deux mesures, il faut exiger de tous deux les mêmes garanties, ou ne les exiger d’aucun.
Ce que l’on propose de demander aux comptables les constituera dans des frais considérables, qui doivent encore être acquittés préliminairement au remboursement, ce qui aggravera la position assez pénible de beaucoup d’entre eux.
Je demanderai qu’on veuille se contenter d’un cautionnement personnel, comme on l’a déjà fait pour le paiement des intérêts, et je pense que M. le ministre des finances trouvera aisément le moyen de faire donner une garantie au trésor pour le remboursement du principal comme il a été fait pour les intérêts.
D’ailleurs, il n’en a pas été exigé davantage pour le paiement des entreprises et fournitures faites à l’ancien gouvernement, et je vais la proposition formelle de ne pas imposer une charge plus pénible aux comptables.
Si ma demande était rejetée, je proposerais alors l’amendement suggéré par la section centrale, celui d’exempter les actes de garantie de tout droit de timbre, enregistrement et autres ; j’en ferai aussi la proposition formelle.
J’ai invoqué le motif d’humanité, il doit agir puissamment sur vos esprits en présence de la majeure partie de ces comptables, qui n’ont quitté leur emploi que lorsqu’ils ont été accablés par l’âge ou par des infirmités.
Et cependant, je peux le dire, car ce fait est connu, la plupart des cautionnements ont été levés à des taux qui surpassent celui du gouvernement de 2 à 6 p. c., et lorsqu’arrive l’époque attendue impatiemment par plusieurs, celui du paiement des intérêts, c’est l’époque de douleur, du renouvellement des regrets pour les comptables dont je parle, car c’est alors qu’ils doivent suppléer aux intérêts dont ils sont débiteurs, en prenant sur la modique pension qu’ils ont achetée au moyen des retenues exercées sur leurs appointements ; et c’est alors où les besoins de l’âge exigent les plus grands secours, qu’ils doivent se livrer à plus de privations.
Messieurs, vous ne serez pas justes à demi, vous rembourserez les cautionnements à tous les comptables qui seront porteurs du jugement de la cour des comptes. Vous vous rappellerez ce qui a souvent été dit dans cette enceinte, que les gouvernements ne sont forts que quand ils sont justes.
Vous vous contenterez d’un cautionnement personnel pour garantie, et si, ce que je n’ose croire, vous l’exigiez impitoyablement en immeubles, vous exempteriez tous les actes qui y auront rapport des frais de timbre, enregistrement et autres.
M. Coghen. - Messieurs, la question qui nous occupe est une question d’équité ; il est impossible qu’on puisse refuser plus longtemps le remboursement des cautionnements fournis per les anciens comptables : beaucoup en ont été déplacés par suite des événements politiques, d’autres ont obtenu leur retraite per suite de leurs infirmités, et ils ont obtenu le quitus qui prouve que leur gestion a été apurée, et que l’Etat n’a plus rien à réclamer d’eux. Refuser le remboursement des cautionnements qui ont servi à l’Etat de garantie pour cette gestion, ce ne serait pas, je pense, faire acte de justice.
Lorsque j’avais l’honneur d’être au ministère, le gouvernement avait, si ma mémoire m’est fidèle, permis le remboursement de quelques cautionnements ; mais la pénurie, les embarras financiers dans lesquels le pays se trouvait alors nous ont fait reculer devant des remboursements plus considérables, et nous les avons remis à des temps plus prospères, à des temps où le pays pourrait faire usage du crédit et rembourser ce qui est légitimement dû.
Vous exigez aujourd’hui que les comptables fournissent un cautionnement en immeubles ou en fonds publics ; c’est, pour le plus grand nombre, demander une chose impossible.
Dès l’instant où un comptable a obtenu son quitus, que la cour des comptes a apuré sa gestion, il me semble, messieurs, qu’on n’a plus rien à lui demander, et que dès lors il faut lui restituer les sommes qu’il a déposées pour servir de gage de sa gestion.
Quant au moment des sommes qui reviennent aux comptables de l’Etat, je ne le connais pas exactement ; M. le ministre des finances pourra plus tard fournir à la chambre des renseignements exacts à cet égard.
Peut-être s’élèvera-t-il quelques difficultés pour les cautionnements fournis en fonds publics ; cela est possible ; j’attendrai les débats qui vont s’élever à cet égard pour expliquer par quels moyens on pourra vaincre ces difficultés. Cette question est très importante.
M. de Brouckere. - Messieurs, la proposition qui vous a été faite par l’honorable M. Zoude et qui a donné lieu à celle qui vous a été soumise plus récemment par la section centrale, soulève une question extrêmement délicate. Je suppose que l’honorable M. Zoude a été porté à faire cette proposition par des motifs d’humanité seulement, car il est certain que si nous ne consultons que la stricte justice, nous ne sommes point tenus de rembourser les cautionnements dont il s’ agit. Je dis cela, messieurs, pour placer la question sur son véritable terrain ; après cela nous la résoudrons comme nous le trouverons équitable.
Ainsi donc, en droit, je ne pense pas que les anciens comptables qui ont obtenu leur quitus aient droit au remboursement de leurs cautionnement : serait-il équitable d’accorder ce remboursement ? Des considérations d’humanité doivent-elles nous y porter ? C’est ce que nous aurons à examiner. Mais, avant de rien résoudre à cet égard, je désire savoir jusqu’où un vote affirmatif m’engagerait ; et pour cela, il faut que le gouvernement puisse nous dire d’une manière plus ou moins positive à quelle somme pourront s’élever les cautionnements à rembourser.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - A 4 millions.
M. de Brouckere. - Vous voyez donc, messieurs, que la question est de la plus haute importance. Pour ma part, je compte la traiter avec quelque détail, mais je pense que l’heure est trop avancée pour que la chambre puisse aujourd’hui commencer cette discussion, et je me borne à demander qu’elle soit renvoyée à demain. Je prie en même temps M. le ministre des finances de vouloir bien nous fournir alors tous les renseignements qui peuvent nous mettre à même de traiter cet objet en connaissance de cause.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, quand j’ai interrompu tout à l’heure M. de Brouckere pour dire que les cautionnements anciens s’élevaient à 4 millions, j’ai entendu parler de tous les cautionnements qui ont été déposés avant la révolution et dont les fonds se trouvent en Hollande ; mais on ne nous demandera pas maintenant le remboursement de ces 4 millions ; les sommes qu’on pourrait actuellement réclamer seraient d’environ 800,000 fr. ; les autres 3,200,000 fr. ayant été déposés par des comptables qui se trouve encore aujourd’hui en fonctions, ils n’auraient aucun titre par conséquent pour en exiger le remboursement.
Je vois que les membres de la chambre sont disposés à quitter leurs bancs ; je donnerai demain de plus amples explications.
- La séance est levée à 4 heures.