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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 10 août 1835

(Moniteur belge n°224, du 11 août 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Verdussen procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal de la dernière séance dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Un congé est accordé à M. Vanden Wiele.


M. Verdussen présente l’analyse des mémoires adressés à la chambre.

« Plusieurs habitants des communes de Sulseique, Oost-Eecloo, Kuisselaere, Waerschot, Somerghem et Eecloo, demandent le maintien des libertés communales. »

« Plusieurs habitants d’Ath demandent : 1° l’élection directe des magistrats municipaux ; 2° la suppression des 10 centimes additionnels ; 3° l’égalité du cens électoral pour les villes et pour les campagnes. »

« Plusieurs distillateurs de diverses communes du Limbourg adressent des observations sur la loi des distilleries. »


Le bureau du sénat fait connaître par messages, à la chambre des représentants : 1° le rejet du projet de loi relatif aux frais des chambres de commerce ; 2° l’adoption du projet de loi relatif à la suppression des 10 centimes additionnels.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Ruremonde

M. le président. - L’ordre du jour est la discussion des pouvoirs du général Nypels. Vous savez que trois membres de la commission qui vous a présenté un rapport sur cet objet, ont été d’avis d’admettre le général Nypels ; que trois autres membres ont été d’un avis contraire et qu’un membre s’est abstenu d’émettre une opinion.

La parole est à M. Bosquet, rapporteur de cette commission.

M. Bosquet, rapporteur. - Messieurs, membre de la commission qui a été chargée de la vérification des pouvoirs du général Nypels, je désire avoir l’honneur de soumettre à la chambre quelques considérations sur la question que vous êtes appelés à résoudre, savoir, si M. le général Nypels, resté militaire au service de France, resté citoyen français, a fait tout ce que nos lois prescrivent pour recouvrer la qualité de citoyen belge.

Ce problème a paru être une question d’état-civil, une question de droit civil, qui devait être résolue par les règles tracées par le code qui nous régit. Or, d’après ce code il me semble que tout Belge qui aurait pris du service à l’étranger sans autorisation de son gouvernement, n’est plus citoyen belge, et ne pourrait recouvrer cette qualité qu’en se soumettant aux épreuves exigées par l’article 21 de ce même code.

Le cas où se trouve le général Nypels m’a paru d’abord réunir ces deux conditions, et j’ai pensé qu’il n’était pas apte à siéger dans cette enceinte.

En émettant cet avis, je dois déclarer que je me suis prononcé avec cette réserve, avec cette défiance qu’il est facile de comprendre lorsqu’il s’agit de prononcer en moins de deux fois 24 heures sur une question aussi grave. Depuis, j’ai eu le loisir d’examiner la difficulté et de bien me pénétrer de la situation dans laquelle se trouve l’élu de Ruremonde. Cet examen a fait naître des doutes en mon esprit ; et s’ils ne sont pas détruits par suite des débats qui vont avoir lieu, je voterai pour son admission, l’opinion la plus favorable étant celle qu’il faut faire prévaloir lorsqu’il s’agit de l’application de dispositions rigoureuses.

Voici, messieurs, les réflexions qui ont fait naître chez moi des doutes.

Je me suis dit : Lorsqu’un Etat vient de se former et qu’il se donne des lois, ou bien qu’il adopte les lois d’un peuple auquel il était antérieurement réuni (et c’était à peu près la position de la Belgique en 1802 et 1803 ; c’était encore celle de la Belgique en 1815), je conçois que cet Etat puisse prescrire à ceux qui en sont citoyens : Si vous quittez votre patrie, si vous prenez du service à l’étranger sans la permission du gouvernement de votre patrie, vous perdez votre qualité de citoyen, et ne la recouvrerez qu’en vous soumettant à certaines formalités. Par exemple, si un Belge, en 1815, quittant le service de France, fut redevenu citoyen de son pays natal, puis se ravisant, eût pris du service à l’étranger, le jour où il aurait voulu recouvrer la qualité de citoyen de ce royaume, on aurait pu lui objecter : Vous avez pris du service à l’étranger et vous tombez dans toutes les conditions du code civil.

Mais, parce que, par la force des baïonnettes, la Belgique, ou plutôt les provinces belges dont le sort a été assez longtemps incertain, ont été déclarées séparées de la France ; parce que, en 1815, on forma, en nous joignant à la Hollande, le royaume des Pays-Bas ; parce qu’au lieu d’être Français, nous sommes devenus violemment citoyens des Pays-Bas, est-ce là un motif pour que le nouveau gouvernement d’alors ait pu tenir un langage aussi rigoureux, ait pu dire : Celui qui en 1814 était Français comme nous ; qui, soumis aux lois obligatoires de l’empire français, était entré au service militaire, et qui, en 1814, profitant de l’option que lui laissaient les traités, profitant du droit que semble lui donner la charte française, et j’ose presque affirmer, du consentement, au moins tacite du souverain de sa patrie d’origine, a préféré conserver sa position, et continuer un service militaire légalement commencé ; celui qui est dans cette hypothèse sera traité de la même manière que tout Belge se trouvant dans une autre situation ?

D’un autre côté est-il bien démontré que le législateur, en rédigeant le code civil, en voulant punir en quelque sorte celui qui abdiquerait sa patrie, et qui prendrait du service à l’étranger, a songé à une position semblable à celle où se trouve le général Nypels et d’autres militaires ? Je vous avoue que ceci est fort douteux.

La loi civile, qui est faite pour un ordre régulier de choses, s’applique souvent difficilement lorsqu’on veut l’invoquer pour des événements, pour des faits qui sont la conséquence de bouleversements politiques et de révolutions.

Voilà, messieurs, les réflexions qui ont fait naître des doutes chez moi.

En me livrant à l’examen de cette question : Le général Nypels est-il dans le cas de l’article 21 ?, j’ai d’abord raisonné comme juge et comme juge d’un tribunal chargé d’appliquer les lois, quelques rigoureuses qu’elles soient ; cependant je crois que la chambre est dans une autre position et que, comme corps délibérant, elle ne se trouve pas restreinte, dans ses délibérations, par un cercle tracé d’avance.

Dans le doute où je suis, et s’il n’est pas détruit par les discours de mes honorables collègues, je croirai, je le répète, devoir adopter le parti le plus favorable au général Nypels

D’autres orateurs, plus familiers que moi aux débats parlementaires, ne manqueront pas de vous exposer toute la portée des considérations politiques qui se présentent en foule en faveur d’un citoyen qui s’est rangé dans nos rangs au moment des dangers, au moment où il s’agissait de recouvrer notre indépendance ; aussi je n’abuserai pas plus longtemps des moments de la chambre. Je lui demanderai seulement la permission de lui faire une observation sur un passage du rapport que j’ai eu l’honneur de lui soumettre.

Dans ce rapport il a été dit que M. le général Demonceau n’était rentré dans sa patrie qu’en 1817 : le fait est que ce général y est rentré en 1815, alors que le royaume des Pays-Bas venait d’être constitué après l’événement de Waterloo. J’ai dit.

M. Scheyven. - Aux termes de l’article 50 de la constitution, la première condition d’éligibilité est celle d’être Belge de naissance, ou d’avoir obtenu la grande naturalisation ; il est donc de notre devoir d’examiner d’abord si celui qui est appelé à la représentation nationale, réunit une de ces conditions, ou en d’autres termes, s’il a la qualité de citoyen belge. Ainsi, avant de prendre une décision sur la validité de l’élection de M. le général Nypels , élu par le district électorat de Ruremonde, voyons s’il a cette qualité.

Voici les faits tels qu’ils ont été posés par l’honorable rapporteur, au nom de la commission chargée de la vérification de ses pouvoirs.

M. Nypels est né à Maestricht le 25 septembre l790. En 1815, époque à laquelle la Belgique était encore réunie à la France, il entra au service militaire comme garde d’honneur. Après la chute de l’empire français en 1814, il reprit service dans les armées de Louis XVIII, et continua à faire partie de l’armée française jusqu’en 1830.

Le 6 juin 1821, il obtint en France des lettres de naturalité. En 1830, et bien immédiatement après les premiers événements de la révolution, il revint en Belgique, et fut nommé le 10 décembre de la même année colonel d’état-major, et après général de l’armée belge.

Le 2 mars 1833, désirant recouvrer la qualité de Belge, il a fait devant l’officier de l’état-civil de la ville de Bruxelles la déclaration de vouloir se fixer en Belgique, et renoncer à toute distinction contraire aux lois de ce pays. Le 3 mars suivant, il obtint l’autorisation mentionnée dans l’article 18 du code civil.

Tels sont en peu de mots, messieurs, les faits qui doivent servir de base à la décision que vous avez à prendre sur le sort de l’élection de M. le général Nypels.

Au simple récit de ces faits, chacun de nous, messieurs, conviendra que M. Nypels a perdu la qualité de Belge ; mais ceci étant reconnu, la première et la seule question que la chambre a à examiner, et dont la solution entraîne la décision que nous avons à porter, est à mes yeux celle de savoir quelle est la cause qui lui a fait perdre la qualité de Belge ? ou, comme l’a dit l’honorable rapporteur, se trouve-t-il dans le cas de l’article 18 ou de l’article 21 du code civil ?

Si c’est l’article 18 qui est applicable, nul doute que M. Nypels ne soit Belge, puisqu’il a satisfait aux vœux de la loi, en faisant la déclaration requise et en obtenant l’autorisation de résider en Belgique ; mais si au contraire l’article 21, qui dit que l’on perd sa qualité de citoyen en prenant du service militaire à l’étranger sans l’autorisation du Roi, doit recevoir ici son application, rien ne justifie sa qualité de Belge, et il doit par conséquent être assimilée à un étranger.

Quant à moi, messieurs, je n’hésite pas à le dire, mon opinion est que M. Nypels tombe sous la disposition de l’article 21, et qu’ainsi il n’est pas citoyen belge ; et voici sur quoi elle est fondée : M. Nypels était au service militaire de France, alors que la Belgique ne faisait plus partie intégrante de l’empire français ; cela seul lui a fait perdre sa nationalité ici, à moins qu’il ne prouve qu’il ait obtenu à cette époque une autorisation du roi ou du souverain de la Belgique à cet effet ; preuve qui n’a pas été rapportée.

L’on dira peut-être que l’article 21 exige que quelqu’un ait pris du service, et qu’il n’est pas applicable alors que quelqu’un continue à rester au service : c’est une subtilité qui ne peut pas être admise, puisque l’esprit de la loi est le même pour l’un et pour l’autre ; en effet, pourquoi celui qui a perdu sa qualité par le fait d’avoir pris du service militaire à l’étranger, est-il traité avec plus de sévérité que celui qui l’a perdue par une tout autre cause ? C’est parce que par sa volonté il s’est placé dans le cas de devoir peut-être porter les armes contre sa patrie primitive ; eh bien, messieurs, les mêmes motifs n’existent-ils pas pour celui qui continue à servir, et pour celui qui prend du service militaire dans un autre pays que son pays natal ?

Mais je veux admettre pour un moment que cet article contient une pénalité, qu’une disposition pénale est de stricte interprétation, qu’elle ne peut pas être étendue, et qu’il faut en conséquence qu’il ait pris du service militaire alors que la Belgique était séparée de la France ; qu’en résultera-t-il ? qu’en se tenant à la lettre de la loi, M. Nypels ne peut pas encore échapper à l’application de cet article, et je le prouve.

La chute de Napoléon entraîna celle de l’empire français ; dès lors la Belgique fut séparée de la France, et la France elle-même ne devint plus qu’un royaume. Dès ce moment tous les officiers étaient déliés de leurs serments et de leurs engagements envers le chef de l’Etat, ce fait seul leur servait de congé définitif ; il a donc fallu de nouveau prendre du service pour entrer dans l’armée de Louis XVIII , ce que M. Nypels a fait, quand déjà la Belgique, son pays natal, sa patrie, était séparée de la France.

Voulez-vous avoir la preuve, messieurs, que M. le général Nypels crut lui-même, et cela déjà avant 1821, avant qu’il eût obtenu la lettre de déclaration de naturalité, qu’il n’avait plus la qualité de Belge ? la voici ; je la trouve dans cette lettre de déclaration de naturalité elle-même, dont une copie est à la suite du rapport de la commission. Voici ce qu’elle dit :

« Lettre de déclaration de naturalité.

« Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut !

« Le sieur Dominique-Hubert Nypels, major du régiment des dragons du Rhône, officier de l’ordre royal de la légion d’honneur, né le vingt-cinq septembre 1790, à Maestricht, royaume des Pays-Bas, nous expose qu’il est entré au service de France le 1er mai 1813, qu’il y a toujours servi sans interruption ; que son plus vif désir est de consacrer le reste de ses jours à notre service et à celui d’une patrie qui est la seule qu’il connaisse aujourd’hui ; qu’il nous supplie en conséquence de vouloir bien lui accorder des lettres de déclaration de naturalité ;

« A ces causes, voulant traiter favorablement l’exposant ; sur le rapport de notre garde-des-sceaux, ministre de la justice ;

« Vu la déclaration faite par le pétitionnaire, devant le maire du onzième arrondissement de Paris, le vingt-un mars 1818, portant qu’il persiste dans la volonté de se fixer en France ;

Vu la lettre de notre ministre secrétaire d’Etat de la guerre, constatant que le sieur Nypels est entre au service de France en 1813, en qualité de garde d’honneur ; qu’il a passé successivement par tous les grades jusqu’à celui de major des dragons du Rhône, et qu’il est fort bien noté ;

« De notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité, ayant dit et déclaré, voulons et nous plaît qu’il soit admis, comme nous l’admettons par ces présentes, signées de notre main, qui seront publiées et insérées au Bulletin des lois, à jouir des franchises, privilèges, droits civils et politiques dont jouissent nos vrais et originaires sujets. Défendons, sous quelque prétexte que ce puisse être, de le troubler dans la jouissance d’iceux, tant qu’il résidera dans notre royaume.

« Mandons et ordonnons à nos cours et tribunaux, préfets, corps administratifs et autres, que ces présentes ils gardent et maintiennent, fassent garder, observer et maintenir, et, pour les rendre plus notoires à tous nos sujets, les fassent publier et enregistrer toutes les fois qu’ils en seront requis, car tel est notre bon plaisir ; et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous y avons fait mettre notre sceau.

« Donné au château des Tuileries, le sixième jour du mois de juin de l’an de grâce 1821, et de notre règne le vingt-sixième.

« Louis.

« Par le Roi ;

« Le garde-des-sceaux, ministre secrétaire d’Etat au département de la justice, de Serre

« Vu au sceau : Le garde-des-sceaux, ministre secrétaire d’Etat au département de la justice, de Serre. »

Vous voyez donc, messieurs, qu’il avoue lui-même que c’était la France, et la France seule qu’à cette époque il connaissait pour sa patrie ; et comme on ne peut pas être à la fois et Français et Belge, il avoue tacitement qu’il n’avait plus la qualité de Belge. Et je vous le demande, messieurs, par quelle cause autre que celle d’avoir pris du service militaire en France, aurait-il perdu cette qualité ? Je n’en connais pas d’autres. Par ces motifs je voterai contre l’admission de M. le général Nypels.

Messieurs, avant de terminer, je me permettrai de vous dire que moi-même, élu par le district électoral de Ruremonde, j’ai cru de mon devoir de faire connaître les motifs de mon vote, afin que l’on sache que ce n’est point dans des considérations particulières, mais dans la loi et dans la loi seule, que j’ai puisé mon opinion.

M. Milcamps. - Messieurs, M. le général Nypels, élu membre de la chambre des représentants par le collège électoral de Ruremonde, peut-il être admis à siéger dans cette chambre ? Telle est la question qui nous est soumise.

Cette question est subordonnée à l’appréciation d’une autre, celle de savoir si M. le général Nypels, à l’époque de son élection, était citoyen belge dans toute la plénitude de ce terme

C’est la une question d’état de la compétence exclusive des tribunaux ; mais il nous est permis de l’apprécier pour déterminer notre vote, soit pour la confirmation, soit pour l’annulation de l’élection de M. le général Nypels.

Pour savoir si M. le général Nypels est citoyen belge, il y a deux choses à considérer : sa position et la législation.

Quant à sa position, elle a été nettement établie dans le rapport de la commission chargée de la vérification de ses pouvoirs.

M. le général Nypels est né Belge ; pendant la réunion de la Belgique à la France, en 1813, il a pris du service en France ; après la séparation de la Belgique d’avec la France, il y a conservé son service militaire ; il a obtenu en 1821 des lettres de naturalité ; il a quitté la France et son service en octobre 1830 pour venir se ranger sous les drapeaux belges. Il y a reçu en Belgique, en décembre 1830, le grade de colonel ; il résulte du rapport de la commission qu’il a rempli les conditions de l’article 18 du code civil pour recouvrer la qualité de Belge.

Quant à la législation, je commencerai par faire observer qu’en général, et c’est ici un point de jurisprudence, au civil comme au politique, il n’y a rien de si naturel que d’exiger, pour détruire une chose, l’action des mêmes principes qui l’ont formée.

Ainsi, comme par la réunion de la Belgique à la France, à la suite d’événements militaires, les Belges sont devenus Français, de même par la séparation d’avec la France, à la suite d’événements militaires contraires, les Belges devenus temporairement Français sont redevenus Belges, ayant ainsi dû perdre et ayant ainsi effectivement perdu la nationalité française de la même manière qu’ils l’avaient acquise.

D’après ces règles fondées sur la nature des choses, M. le général Nypels, par l’effet du démembrement en 1814, est redevenu Belge. En continuant après la séparation à servir en France, il n’a point conservé la nationalité française qu’il avait eue temporairement pendant la réunion. Et il ne semble pas avoir perdu la qualité de Belge.

Ce qui prouve, messieurs, que M. le général Nypels n’avait pas conservé la nationalité française, c’est la loi du 14 octobre 1814, qui a accordé à tous ceux qui appartenaient aux départements réunis à la France et ensuite séparés d’elle, ou des lettres de naturalité, ou des lettres de naturalisation selon la différence de leur position respective.

Ce qui semble établir qu’il n’a pas perdu la qualité de Belge, en continuant de servir en France, c’est la jurisprudence de la seconde chambre des états-généraux des Pays-Bas. Le général Dumonceau, bien, et ceci résulte du rapport de votre commission, qu’il fût resté au service de France jusqu’à la fin de 1815, et quoiqu’en temps de guerre avec les Pays-Bas, n’était rentré dans les Pays-Bas qu’à la fin de 1817.

Ainsi, d’après la jurisprudence de la seconde chambre des états-généraux, si M. le général Nypels eût quitté le service de France à la fin de 1817, ou postérieurement, et fût rentré dans les Pays-Bas avec la permission du chef du gouvernement, il eût pu être admis au sein des états-généraux à l’exemple du général Dumonceau.

Mais il fallait pour cela que le général Dumonceau n’eût pas perdu la qualité de Belge, car à la fin de 1817 il n’y avait plus pour lui possibilité d’obtenir des lettres d’indigénat, qui n’ont pu être accordées que dans l’année après la publication de la loi fondamentale, ou bien il fallait, s’il n’est revenu qu’à la fin de 1815, qu’il obtînt des lettres d’indigénat, ou que son retour dans le pays le relevât des peines prononcées par l’article 21 du code civil.

Mais M. le général Nypels n’est pas rentré dans les Pays-Bas, et non seulement il a continué son service militaire en France, (et ici je ne fais pas de distinction entre l’action de prendre du service, et de continuer le service, car c’est moins le service que la soumission d’obéissance et de fidélité à un prince étranger qui fait perdre les droits de citoyen dans son pays), mais il y a de plus obtenu des lettres de naturalité.

Sa naturalité a été établie par un contrat qui résulte de la demande qu’il a faite de cette faveur et de la concession que lui en a faite le roi des Français, le tout conformément aux dispositions de la loi du 14 octobre 1814.

Mais il est inutile de s’arrêter à la naturalisation en France de M. le général Nypels ; il s’est relevé de cette naturalisation en rentrant en Belgique, en octobre 1830, et en remplissant pour recouvrer la qualité de Belge, les conditions de l’article 18 du code civil, article qui se réfère à l’article 17. La difficulté pour admettre M. le général Nypels à siéger dans cette chambre, ne résulte pas de sa naturalisation en France.

La difficulté qui peut exister est tout entière dans les dispositions de l’article 21 du code civil.

Cet article porte : « Le Français qui, sans l’autorisation de l’empereur, prendrait du service militaire chez l’étranger … perdra sa qualité de Français.

« Il ne pourra rentrer en France qu’avec la permission de l’empereur, et recouvrer la qualité de Français qu’en remplissant les conditions imposées à l’étranger pour devenir citoyen. »

Quelles étaient, à l’époque de la promulgation de l’article 21 du code civil, les conditions imposées à l’étranger pour devenir citoyen français ?

C’étaient, messieurs, celles de l’article 3 de l’acte constitutionnel de l’an VIII qui porte : « Qu’un étranger devient citoyen français, lorsqu’après avoir atteint l’âge de 21 ans accomplis, et avoir déclaré l’intention de se fixer en France, il y a résidé pendant dix années. »

La constitution de l’an VIII excluait la naturalisation par acte particulier.

Mais l’article 3 de la constitution de l’an VIII ne subsiste plus en France comme loi constitutionnelle. La restauration de 1814 lui en a ôté le caractère. Mais elle y subsiste encore avec une légère modification comme loi implicitement renouvelée par le code civil. Je devrais, messieurs, pour établir cette proposition, entrer dans des développements dont je m’abstiens comme inutiles, puisque pour les Pays-Bas et pour la Belgique assurément la disposition de l’article 3 de la constitution de l’an VIII combinée avec les dispositions du code civil n’a pas été conservée, du moins pour faire acquérir les droits d’indigénat ou de grande naturalisation, droits sans la jouissance desquels, sous la loi fondamentale et sous la constitution belge, on ne peut être admis à siéger dans les chambres législatives.

D’après l’article 7 de la loi fondamentale de 1815, nul ne pouvait être membre des états-généraux, s’il n’était habitant des Pays-Bas, né dans le royaume de parents qui y sont domiciliés. Et pendant une année seulement après la promulgation de la loi fondamentale, d’après l’article 2, le roi pouvait accorder à des personnes nées à l’étranger et domiciliées dans le royaume les droits d’indigénat.

D’après l’article 50 de la constitution belge, pour être éligible dans l’une ou l’autre des deux chambres, il faut être Belge de naissance ou avoir reçu la grande naturalisation.

Ainsi, si vous considérez les Belges ayant pris du service en France et y ayant continué leur service après la séparation, comme ayant perdu la qualité de Belge, il faut en conclure que ces Belges, servant en France après la séparation, n’auraient pu siéger aux états-généraux qu’en obtenant des lettres d’indigénat dans l’année de la promulgation de la loi fondamentale ; mais s’il en est ainsi, comment se fait-il que le général Dumonceau qui avait continué son service militaire en France après la séparation, et qui n’est rentré dans les Pays-Bas qu’à la fin de 1817, ait pu être et ait été admis à siéger au sein des états-généraux, alors qu’il n’avait pas recouvré sa qualité de citoyen belge par des lettres d’indigénat ? Il n’en a pu être ainsi, messieurs, que par cette considération que le général Dumonceau, en continuant de servir en France, n’avait pas perdu la qualité de Belge, qu’il avait acquise par la séparation d’avec la France, ou bien parce que la peine prononcée par l’article 21 du code civil n’était plus applicable.

Ainsi encore, si vous considérez les Belges qui ont continué leur service militaire en France après la séparation, comme ayant perdu la qualité de Belge, ces Belges, à l’époque de la révolution et jusqu’à la promulgation de notre constitution, ne pouvait recouvrer leur qualité de Belge que par la toute-puissance du gouvernement provisoire ou du congrès national.

C’est un principe bien ancien que la naturalisation peut s’établir par un contrat qui résulte de la demande qui en est faite et de la concession qu’en accorde le souverain, et même par la seule volonté du souverain. C’est ainsi que l’ordonnance d’Antonin rapportée dans la loi 17 ff. de statu hominum, déclara citoyens romains tous les habitants de son vaste empire, qualité précédemment réservée aux habitants de l’Italie, et plus anciennement à ceux de l’ancienne Rome.

C’est ainsi que la loi du 5 ventôse an V a déclaré citoyens français indistinctement, et sans qu’ils l’eussent demandé, tous les habitants des communes de Belgique dont la souveraineté n’était dévolue à la république que par droit de conquête. Un profond jurisconsulte, M. Merlin, va même jusqu’à enseigner que la qualité de Français étant exigée pour l’admissibilité aux places de préfet, pour l’éligibilité au corps législatif, le chef d’Etat en nommant un préfet, et le sénat en nommant un membre du corps législatif, décident qu’ils sont Français. Cela est hardi, messieurs, mais c’est écrit.

Il est vrai qu’à l’égard de ceux qui, au moment où la révolution de septembre a éclaté, étaient au service militaire de France, il n’existe aucune disposition du gouvernement provisoire ni du congrès national qui les rappelle, et rende la qualité de Belge à ceux qui répondraient à cet appel. Je ne connais que la proclamation du gouvernement provisoire du 31 décembre 1830.

Mais est-il bien certain que dans cette grande commotion politique où ces militaires au service de France ne pouvaient recouvrer leur qualité de Belge que par la toute-puissance du gouvernement provisoire ou du congrès, il fallait une déclaration expresse et formelle pour concéder et accepter la qualité de Belge ? Est-il bien vrai que cette faveur ne pouvait être accordée et acceptée tacitement et par des faits indicatifs de leur volonté ? car la volonté se manifeste, les contrats se forment aussi bien par des faits que par des paroles, que par des écrits.

Or, dès le mois de décembre 1830, le gouvernement provisoire porte un arrêté qui nomme M. Nypels colonel d’état-major. Certes, il ne l’a pas nommé comme officier étranger, mais comme officier rentré en Belgique et la lettre d’envoi de cet arrêté porte que c’est en reconnaissance des services qu’il a rendus antérieurement, et que sa nomination sortira son effet à dater du 20 octobre 1830.

Ainsi, voilà le général Nypels qui pour son service militaire en France avait perdu sa qualité de Belge, pour s’être exposé à servir contre son pays ; le voilà, dis-je, qui rentre en Belgique avec la permission du gouvernement provisoire : il est nommé, par ce gouvernement provisoire, colonel d’état-major, et il ne pourra invoquer cette règle qu’il n’y a rien de si naturel que pour détruire une chose, l’action des mêmes principes qui l’ont formée, règle d’après laquelle nous avons établi que, par la séparation de la Belgique d’avec la France, les Belges qui étaient devenus Français pendant la réunion étaient redevenus Belges ; et le gouvernement provisoire tout-puissant ne lui a pas fait remise de la peine encourue par l’article 21 du code civil.

Mais réfléchissez, messieurs, que l’article 21 du code civil qui fait perdre au Belge qui prend du service chez l’étranger la qualité de Belge, est motivé sur ce que, s’il prend du service chez l’étranger contre son pays, sa conduite est odieuse ; que si c’est contre un autre pays, en s’étant seulement exposé à porter les armes contre son pays, sa conduite est seulement répréhensible.

C’est une peine que la loi prononce contre lui, et en rentrant dans son pays, y recevant un haut grade militaire, il ne sera pas relevé de cette peine ; et malgré que par sa rentrée en Belgique, par sa nomination au grade de colonel, il ait perdu sa nationalité française, il n’aura pas recouvré sa qualité d’origine, sa nationalité belge ! Cela est bien dur, bien exorbitant, mais le pays en a pensé autrement.

D’abord la deuxième chambre des états généraux a cru que la continuation du service en France du général Dumonceau après la séparation ne lui avait pas fait perdre la qualité de Belge. Le gouvernement provisoire et le congrès national ont été dans la même opinion, car par quelle aberration aurait-il, je ne dis pas permis au général Nypels à rentrer, mais conféré le grade de colonel, à lui dont la conduite, si elle ne devait pas paraître odieuse, devait au moins paraître répréhensible ?

es électeurs de tout le district de Ruremonde ont été dans la même erreur puisqu’ils l’ont appelé, sans qu’il se fût élevé aucune réclamation, à siéger à la chambre des représentants. La ville de Bruxelles n’a fait aucune difficulté de porter M. le général Nypels sur la liste des électeurs. Il exerce dans cette ville ses droits politiques. Le gouvernement actuel a partagé cette erreur, puisque, dans le système de ceux qui attaquent l’élection, le général Nypels ne pouvait recouvrer la plénitude des droits de citoyen belge que par la grande naturalisation ; et cependant nous voyons le gouvernement accorder par arrêté du 5 mars 1833 l’autorisation mentionnée non pas dans l’article 21 du code civil, mais bien dans l’article 18.

Nous voyons le même gouvernement nommer le général Nypels chef du personnel et aussi lui confier un emploi d’administration générale. Le général Nypels dont la volonté de recouvrer sa qualité de Belge est si manifeste, a aussi partagé la même erreur. Car à quoi lui servait de remplir les conditions prescrites par l’article 18, s’il s’était trouvé dans le cas de l’article 21 du code civil, article qui le soumettait pour devenir Belge aux mêmes conditions que l’étranger, c’est-à-dire à celle d’obtenir des lettres de grande naturalisation ?

D’après ces circonstances, ne vous paraîtra-t-il pas, messieurs, qu’on peut conclure qu’il a été dans l’intention et la volonté du gouvernement provisoire de rendre ou restituer au général Nypels sa qualité de Belge, et dans l’intention et la volonté du général d’accepter cette qualité ? et que toutes ces circonstances ont formé un contrat tacite entre le gouvernement et M. le général Nypels ? C’est jusqu’à présent mon opinion.

M. Liedts. - Messieurs, si, pour résoudre la question qui nous est soumise, il m’était permis de céder aux sentiments d’estime que je professe pour M. le général Nypels, assurément je n’hésiterais pas à me déclarer pour la validité de son élection. Ce serait encore pour la validité de l’élection que je me prononcerais, s’il m’était permis de céder au désir de voir se renforcer les rangs trop éclaircis de l’opposition dans cette chambre ; car quelque ministériel qu’on suppose M. le général Nypels, il ne pourra jamais l’être autant que le membre qu’il remplace et qui probablement reviendrait, si le général était écarté de la représentation. Mais telle n’est pas notre position, et lorsque la loi a parlé, il n’est permis d’écouter ni ses sympathies, ni ses désirs.

Messieurs, il n’est pas sans exemple dans cette chambre qu’un rapporteur, après avoir entendu la discussion, change d’avis ; mais c’est la première fois aujourd’hui qu’on voit un honorable rapporteur, après avoir savamment élaboré un rapport, venir au début de la discussion élever des doutes sur son propre travail. Si, en changeant d’avis, M. le rapporteur n’a fait qu’user de son droit, il nous permettra d’espérer de le voir changer une seconde fois d’opinion après la discussion.

Vous savez qu’aux termes de notre constitution, personne n’a le droit de siéger au sénat ou dans cette enceinte, s’il n’est Belge de naissance ou s’il n’a obtenu la grande naturalisation. Voyons si M. le général Nypels est dans l’un ou l’autre de ces deux cas.

Deux points sont hors de contestation ; le premier, c’est que le général Nypels est né Belge. Le deuxième, qu’il a perdu la qualité de Belge, avant la révolution de 1830.

Le seul point à examiner consiste à savoir s’il a rempli les conditions voulues par la loi, pour recouvrer la qualité de Belge.

Ces conditions diffèrent suivant la manière dont on a perdu la qualité de Belge. Il y a cinq manières différentes de perdre cette qualité. On peut la perdre en se faisant naturaliser citoyen d’un autre pays, en acceptant en pays étranger des fonctions sans l’autorisation de son roi, en formant à l’étranger un établissement de commerce, d’industrie ou autre, sans esprit de retour ; une femme perd sa qualité de Belge en épousant un étranger ; enfin un citoyen belge peut perdre sa qualité en prenant, sans l’autorisation de son roi, du service militaire à l’étranger.

Lorsqu’on perd sa qualité de Belge d’après l’une des quatre premières manières que je viens d’énoncer, il suffit pour la recouvrer que l’on rentre en Belgique avec l’autorisation du roi, après avoir déclaré qu’on est dans l’intention d’y rester.

Mais si on a perdu sa qualité de Belge en prenant du service militaire en pays étranger sans l’autorisation de son roi, il ne suffit plus pour recouvrer cette qualité d’obtenir l’autorisation de rentrer dans le pays après avoir déclaré qu’on est dans l’intention d’y résider, il faut remplir une autre condition, il faut remplir la condition imposée à tout étranger pour devenir citoyen belge. Or, quelles sont ces conditions ?

Sous l’empire, aux termes de la constitution de frimaire an VIII, qui régissait la matière, il fallait dix années de stage. Aujourd’hui, d’après notre constitution, la grande naturalisation seule assimile les étrangers aux Belges quant à l’exercice des droits politiques. Par conséquent, outre l’autorisation du Roi de revenir dans le pays, il faut obtenir la grande naturalisation pour recouvrer sa qualité de Belge si on l’a perdue en prenant du service à l’étranger, et sans autorisation.

Toute la question se réduit à savoir si le général Nypels a perdu la qualité de Belge de l’une des quatre premières manières dont j’ai parlé, et dans ce cas il a suffi pour la recouvrer d’obtenir du Roi l’autorisation de rentrer en Belgique ; ou bien s’il a perdu cette qualité en prenant du service à l’étranger : dans ce cas, il ne l’a pas recouvrée, attendu qu’il n’a pas rempli les conditions voulues par la loi.

Il semblerait qu’il suffît de poser la question pour qu’elle soit résolue.

Tout le monde, en effet, convient que le général Nypels a servi dans les armées françaises après l’époque où, par le traité de paix, la Belgique fut démembrée de la France. Ce qui rend la question difficile, ce n’est pas l’inintelligibilité de la loi qu’il s’agit d’appliquer, mais les subtilités dont on veut l’entourer.

La première objection à l’applicabilité de l’article 21 porte sur le mot « prendre du service. »

Cet article porte : « Le Belge qui, sans autorisation du Roi, prendrait du service militaire chez l’étranger, ou s’affilierait à une corporation militaire étrangère, perdra sa qualité de Belge. »

Or, dit-on, le général Nypels n’a pas pris du service militaire en France après la séparation de la Belgique et de la France, il n’a fait que continuer le service qu’il y avait lors de l’empire français, il n’a fait que continuer ce service sous la restauration, il n’a donc pas pris du service après la séparation des deux pays. S’il fallait s’attacher judaïquement au pied de la lettre de la loi, il serait encore facile de prouver que le général a pris du service en France sous la restauration, dans la véritable acception du mot.

En effet, lorsqu’en avril 1814, l’empereur abdiqua, les militaires furent dégagés du serment de fidélité ; par conséquent M. le général Nypels a pris et réellement pris du service en France sous la restauration après avoir été délié du serment qu’il avait auparavant prêté. Dans tous les cas, je dis que ce serait une subtilité que de s’attacher à la lettre de la loi ; il faut voir quel est son esprit. Eh bien, cet esprit est défavorable au général Nypels, soit qu’il ait pris du service en France sous la restauration ou qu’il ait continué le service qu’il avait sous l’empire.

Pour se convaincre que l’article 21 du code a pour but d’empêcher qu’on ne s’expose à porter les armes contre son pays, si une guerre venait à s’allumer, il suffit de jeter les yeux sur Locré, Esprit du code civil.

« Il ne faut pas, disait le premier consul, traiter avec faveur celui qui, sans l’autorisation du gouvernement, prend du service à l’étranger. Il est possible qu’on le dirige contre la France ou tout au moins contre les intérêts de la France, en le faisant servir contre un allié de la France. Il ne peut pas connaître la politique de la France. »

En plaçant le mot Belgique au lieu de celui de France, vous voyez que ces motifs s’appliquent à M. le général Nypels. En restant au service de la France, il s’exposait à servir contre son pays si une guerre entre la France et la Belgique venait à éclater ; et c’est cela seul que l’article 21 a voulu prévenir. La simple possibilité suffit pour que cet article reçoive son application.

Messieurs, ceux qui ont inventé l’argutie que je combats, car je ne puis l’appeler autrement, en ont-ils calculé les conséquences ? n’ont-ils pas vu que si ce système venait à prévaloir, ce serait déclarer en principe que tous les Belges qui sont restés au service de Guillaume n’ont fait que continuer un service légitimement commencé, et que s’ils rentraient, fût-ce dans dix ans, ils pourraient venir dans cette enceinte ?

Je dis qu’ils auraient même des motifs plus plausibles à faire valoir, car ils pourraient dire qu’ils n’ont fait que continuer à servir le même souverain qui n’a pas voulu les délier de leur serment, et qu’ils ont été dans l’impossibilité de quitter son service.

Le général Nypels ne peut pas tenir le même langage. Il servait l’empire, il a été délié de son serment par l’abdication de l’empereur en 1814, il lui était donc loisible de revenir en Belgique.

Une des plus fortes objections en apparence que vous font nos adversaires, c’est celle tirée du traité de Paris du 30 mars 1814, article 17.

Voici ce que porte cet article :

« Dans tous les pays qui doivent ou devront changer de maîtres, tant en vertu du présent traité que des arrangements qui doivent être faits en conséquence, il sera accordé aux habitants naturels et étrangers, de quelque condition et nation qu’ils soient, un espace de six ans à compter de l’échange des ratifications, pour disposer, s’ils le jugent convenable, de leurs propriétés acquises, soit avant, soit depuis la guerre actuelle et se retirer dans tel pays qu’il leur plaira de choisir. »

Ainsi, dit-on, en vertu de cet article, le général Nypels avait la faculté de choisir la patrie qu’il voulait adopter, et en se retirant en France il est devenu Français et a pu prendre du service dans l’armée française sans manquer au souverain des Pays-Bas, parce qu’il avait cessé de faire partie du royaume des Pays-Bas depuis le traité de Paris du 30 mai 1814.

Il suffit de lire attentivement ce traité, en le rapprochant des grands principes de droit public, pour se convaincre qu’on attache à cet article un sens qu’il n’a pas.

C’est un droit naturel que la faculté de se retirer dans quelque pays que ce soit, d’abdiquer sa patrie. Quoique ce principe de droit naturel soit reconnu par tous ceux qui ont écrit sur cette matière, cependant, comme on avait vu en fait des souverains s’opposer à ce que leurs sujets vendissent leurs biens pour aller s’établir à l’étranger, comme on avait également vu, après des démembrements d’empires, des souverains se refuser à recevoir des personnes qui avaient émigré de leur pays, on a voulu prévenir ces deux cas, et l’on a dit qu’après cette longue guerre qui venait de terminer les luttes européennes, il serait permis à chacun de se retirer dans tel pays qu’il lui plairait de choisir, sans que les souverains pussent s’y opposer.

Mais on n’a fait là que consacrer un droit naturel. Aussi toutes les personnes qui ont écrit sur ce traité ont dit que cette clause n’établissait rien de nouveau, qu’elle ne faisait que consacrer un droit naturel, inscrit dans tous les traités du monde. Et Pailliet va même jusqu’à dire que cet article 17 ne contient qu’une clause qui est de style dans les traités.

Vous voyez que le traite de Paris ne conférait aucun nouveau droit au général Nypels ; il est resté après le traité ce qu’il était avant et ce qu’il aurait été s’il n’était pas intervenu de traité. Si vous voulez une preuve convaincante que M. le général Nypels n’est pas devenu Français par suite du traité de Paris, il vous suffit de jeter les yeux sur la loi française du 14 décembre 1814 qui détermine les conditions à remplir pour obtenir la qualité de Français. Si le général Nypels était devenu Français par suite du traité de Paris, il eût été inutile de présenter aux chambres de France une loi spéciale qui déterminât les conditions auxquelles le général Nypels et ceux qui se trouvaient dans le même cas devaient se soumettre pour obtenir cette qualité.

Une preuve que le général Nypels a reconnu qu’il était dans le cas prévu par cette loi, c’est qu’après plusieurs années de résidence an France, il a demandé des lettres de naturalité. Ce n’est donc que depuis cette époque que le général Nypels, considéré dans ses rapports avec la France, est devenu Français, bien qu’il eût déjà perdu alors la qualité de Belge.

Messieurs, l’on a tiré parti de ce fait, que M. le général Nypels occupait en 1814 un poste brillant dont il eût été souverainement injuste d’exiger l’abandon pour venir servir sous le drapeau de Guillaume, et l’on s’est demandé s’il est dans l’esprit de la loi de forcer le général Nypels à se sacrifier. La réponse est facile : Si M. Nypels ne tenait pas à sa qualité de Belge, il faisait bien de ne pas quitter le drapeau français ; s’il voulait la conserver, il devait revenir en Belgique.

C’est une maxime de droit public incontestable, que lorsqu’un pays est démembré et qu’une autre nation est formée de ce démembrement, tous les sujets de la portion constituée en pays en font partie de plein droit. Ainsi, du moment que la Belgique se fût séparée de la Hollande, tous les Belges, en quelque lieu qu’ils se soient trouvés, ont appartenu par ce fait au pays nouvellement formé, même ceux qui habitaient la Hollande à cette époque. C’est un principe que M. Nypels devait connaître ; il n’ignorait pas en 1814 quelle était sa patrie nouvelle, et du moment qu’il prenait ou conservait du service en France, il perdait se qualité de Belge par le fait seul de ce service.

C’est ce principe, messieurs, que l’honorable M. Bosquet a perdu de vue constamment. Il a toujours raisonné comme si M. le général Nypels n’avait pas cessé de faire partie de l’empire français à la restauration. Il est, comme je l’ai dit, devenu Belge par le démembrement de l’empire français. S’il voulait recouvrer la qualité de Belge, il devait savoir que, d’après l’article 21, il ne pouvait rentrer en Belgique qu’en obtenant des lettres de grande naturalisation.

Cette question n’est pas neuve. Sous l’empire, l’on s’est demandé si ceux qui servaient à l’étranger avant la réunion à la France du pays auquel ils appartenaient avaient besoin d’un nouveau consentement de l’empereur pour rester au service des gouvernements étrangers. Le conseil d’Etat consulté résolut la question affirmativement.

« Les sujets des pays réunis à la France, qui dès avant la réunion avaient passé au service de princes étrangers, sont-ils tenus d’obtenir des lettres patentes de l’empereur ? »

Le conseil d’Etat décida sur cette question que tout sujet d’un pays réuni à la France qui serait au service d’une puissance étrangère au moment de la réunion serait tenu d’obtenir des lettres patentes pour continuer à y rester, à moins qu’avant l’année de la réunion, il n’ait été naturalisé chez cette puissance.

C’est évidemment la même question qui se présente aujourd’hui. Je sais qu’il est des personnes qui se croient plus de lumière que le conseil d’Etat ; j’avoue en toute humilité que pour moi c’est une grande autorité.

Ce qu’il y a de plus fâcheux dans une discussion de cette nature, c’est cette disposition qu’on remarque chez certaines personnes à décider des questions de droit par des considérations politiques. J’entends souvent dire : Nous sommes des hommes politiques ; nous devons décider les questions comme tels. Savez-vous où cela nous mènera, messieurs ? Au renversement de toutes nos institutions. Qu’est-ce qu’en effet une loi qui peut être interprétée différemment selon que l’interprète est jurisconsulte ou homme politique ? Qu’est-ce qu’une loi dont on plie le sens d’après l’intérêt du moment ou les passions politiques qui dominent dans une assemblée ? Pour moi qui n’ai pas l’habitude d’interpréter ainsi les lois, je veux sauver notre constitution du naufrage. Ce ne seront jamais des considérations politiques ou des relations d’amitié qui me feront dévier du véritable sens de la loi.

Je voterai en conséquence pour l’annulation de l’élection de M. le général Nypels.

M. Pirmez. - S’il s’agissait de traiter les questions de droit qui sont soulevées dans ce moment certainement, je m’abstiendrais de prendre la parole ; mais si je me lève, ce n’est que pour placer la question sur un terrain où elle ne l’a pas encore été.

La commission ainsi que les orateurs qui viennent de parler ont établi tous leurs raisonnements pour prouver que M. le général Nypels avait perdu la qualité de Belge pour la recouvrer de telle ou telle manière.

Avant d’aborder cette question, il fallait se demander si M. le général Nypels a jamais été Belge avant 1830. Si l’on avait examiné la question de cette manière, certainement il aurait été inutile d’examiner s’il était encore Belge après 1830.

M. Nypels est né à Maestricht en 1790. A cette époque, il n’y avait pas de Belgique ni de citoyens belges. La ville de Maestricht était mixte. Elle appartenait par moitié au prince évêque de Liège. L’autre moitié était à la Hollande. M. Nypels n’est donc pas Belge de naissance. La principauté de Liège était entièrement distincte de la Belgique. Elle n’avait jamais eu rien de commun avec la Belgique. Elle faisait partie de l’empire d’Allemagne. Si M. Nypels n’est pas Belge de naissance, voyons comment il a acquis plus tard la qualité de Belge, puisque l’on prétend qu’il l’a perdue.

Quatre ans après la naissance de M. Nypels, la ville de Maestricht a été conquise, ainsi que tout l’évêché de Liége, par les armées françaises.

M. Nypels est devenu citoyen français de citoyen liégeois qu’il était. Il a conservé la qualité de Français que lui avait donnée la conquête jusqu’en 1814. Sa patrie jusqu’en 1814, a été la France. A cette époque tous les Liégeois sont devenus citoyens du royaume des Pays- Bas. Mais ce royaume des Pays-Bas n’était pas la Belgique. Les citoyens liégeois de 1790 sont devenus citoyens des Pays-Bas ou citoyens néerlandais, si vous voulez leur donner ce nom, mais non pas Belges. Ils sont demeurés ainsi jusqu’à la révolution de 1830, et s’ils sont devenus Belges, ce n’est pas par la réunion de la principauté de Liége au royaume des Pays-Bas, mais en vertu de notre constitution promulguée en 1831.

A cette époque, M. le général Nypels était sous nos drapeaux. C’est alors qu’il a été fait Belge. Ainsi M. Nypels n’a pas perdu une qualité qu’il n’avait pas antérieurement à la constitution belge.

La Belgique n’a rien à lui reprocher du chef de ce qu’il a fait antérieurement à 1831, parce qu’il n’y avait pas de Belgique. N’ayant pu perdre avant 1830 une qualité qu’il n’avait pas, M. Nypels est Belge. En conséquence, je voterai pour la validité de son élection.

M. Trentesaux. - Il y a un moyen de satisfaire tout le monde (explosion d’hilarité), de satisfaire aux exigences de la loi, en offrant à M. Nypels le moyen d’être citoyen belge. C’est que le pouvoir législatif accorde la naturalisation. Il n’a qu’à la demander pour l’obtenir. Tout le monde est disposé à la lui accorder. Pour ma part, je lui donnerai ma voix de bon cœur, car c’est au désir de reconnaître dans M. Nypels un concitoyen, qu’il faut attribuer la découverte de toutes les subtilités par lesquelles on a cherché à assouplir les dispositions constitutionnelles et civiles. Je pense que M. Nypels fera bien, aussitôt après l’annulation de son élection (annulation qui ne me paraît pas douteuse), de demander la grande naturalisation ; je suis sûr de l’empressement que les chambres mettront à lui accorder l’objet de sa demande.

On s’est prévalu de cet argument que M. le général Nypels n’était pas Belge avant 1830. Notre pacte fondamental a constitué le royaume de Belgique de toutes les provinces méridionales de l’ancien royaume des Pays-Bas qu’elle a citées nominativement. Il faut maintenant en excepter la cession de territoire faite plus tard, et qui, je l’espère, n’est pas définitive. Je crois que l’objection que je combats a été faite, parce que l’on désire admettre M. Nypels en qualité de Belge. J’en reviens à ce que je disais. Le moyen le plus court d’en finir, c’est de lui accorder des lettres de naturalisation.

M. Dechamps. - Avant de suivre les honorables préopinants dans tous les circuits, dans tous les détails que peut présenter l’interprétation judaïque de l’article 21 du code civil, il est nécessaire de bien se poser en face du fait dont il s’agit. Or, je le demande, ne trouvez-vous de bonne foi aucune différence entre la position du général Nypels qui demeure attaché à l’armée française, laquelle était l’armée nationale de son pays quand il y est entré, qui, après s’être tenu éloigné de la Belgique pendant la domination hollandaise, accourt se ranger sous les drapeaux de sa patrie, aussitôt qu’elle s’est réveillée ; ne trouvez-vous, dis-je, aucune différence entre sa position et celle du citoyen infidèle qui abandonne de propos délibéré sa patrie et son drapeau pour aller offrir son bras et son service à une puissance étrangère avec la perspective de porter les armes contre sa patrie ?

Messieurs, lequel selon vous est le citoyen le plus fidèle à son pays, ou du Polonais qui, ne trouvant plus sur le sol de sa patrie une armée nationale, va prendre du service en Belgique ou en France, en attendant, que l’heure de la délivrance de sa patrie ait sonné, ou du Polonais qui, se résignant à subir le joug sous lequel sa nation gémit, demeure dans les rangs d’une armée que la domination étrangère appelle nationale ? Cependant, rigoureusement parlant, l’article 21 du code civil est applicable au premier.

Que diriez-vous si le jour où la Pologne recouvrera son indépendance, il venait à l’idée d’un légiste ergoteur de demander l’application de l’article 21 à ceux de ses frères qui ont été meilleurs citoyens que lui ? N’aurions-nous pas mauvaise grâce, après avoir déclaré par le fait de notre révolution que la réunion de la Belgique à la Hollande a été un joug imposé à la première, n’aurions-nous pas mauvaise grâce à refuser la qualité de citoyen belge à celui qui ne s’est pas rallié à cet ordre de choses que nous n’avons pas voulu déclarer national, alors que cette personne a annoncé son intention de servir désormais sa patrie, alors qu’elle l’a prouvé en rentrant dans son sein le jour où son indépendance a été déclarée ? Il est impossible de voir dans cette conduite l’acte d’infidélité, de félonie que l’article 21 a entendu punir.

Arrivant sur le terrain des objections, je ne crois pouvoir mieux faire que de suivre toutes celles consignées dans le rapport de la commission.

Voici la première de ces objections :

« D’abord, il a été observé au sein de votre commission que c’était la loi civile, et la loi civile seule qui devait être consultée pour résoudre la question qui nous occupe. »

Je soutiens, moi, que des considérations de haute politique sont nécessaires pour apprécier les cas auxquels l’article 21 est applicable ; puisqu’il s’agit de savoir si un citoyen a quitté le drapeau national pour se placer sous celui de l’étranger, il faut savoir s’il existait un drapeau national.

Il est impossible en se renfermant dans le texte de l’article 21, de faire abstraction de considérations politiques. Une preuve que des motifs ont toujours servi à interpréter l’article 21, c’est que le roi Guillaume ne l’a pas appliqué au général N.... qui était resté en Russie pendant le régime de Napoléon ; il ne l’a pas appliqué non plus au général Merckx qui n’est rentré au service d’Autriche qu’en 1814 et qui remplit actuellement en Belgique de hautes fonctions militaires. La France n’a pas applique non plus l’article 21 au général Bertrand qui, ayant accepté du service dans le gouvernement de l’île d’Elbe, s’était privé volontairement de ses droits politiques dans sa patrie et qui cependant est actuellement pair de France. Il doit en être de même à l’égard de M. Nypels.

Ni le gouvernement provisoire, ni les électeurs, ni la nation n’ont jamais pensé que l’article 21 lui pût être applicable. Ces exemples prouvent qu’au milieu des changements de domination si fréquents depuis 40 ans, l’on a reconnu l’impossibilité d’appliquer l’article 21 à ceux qui ont hésité à se rallier à ces différents ordres de choses qu’ils considéraient comme essentiellement transitoires.

Si en France, sous l’empire, on avait donné à l’article 21 le sens qu’on lui attribue actuellement, il en résulterait que les décrets des 26 août 1811 et 31 juillet 1812, par lesquels on accordait des délais à ceux qui étaient restés au service de l’Autriche, n’auraient pas dû être portés.

J’arrive à la seconde objection consignée dans le rapport :

« Le motif principal qui a déterminé le législateur à exiger des conditions plus rigoureuses dans le cas de l’article. 21 que dans celui de l’article 18, a évidemment été la position dans laquelle on se place en prenant du service militaire chez une nation étrangère, savoir : celle d’être exposé à devoir peut-être porter les armes contre sa patrie. »

Sans doute, c’est là un des motifs ; mais ce n’est pas le seul. Je pense que ce n’est pas le principal. Je vais le prouver. Si c’était le seul motif, l’exception portée à l’article 21 pour le cas d’autorisation du Roi serait un non-sens, une absurdité. En effet, cette autorisation n’empêcherait pas le militaire qui l’aurait reçue de devoir porter les armes contre sa patrie. Cet acte n’en serait pas moins coupable avec ou sans autorisation. Cela prouve, messieurs, que le législateur a été mû par un tout autre motif. Ce motif principal c’est l’acte de félonie par lequel un citoyen va offrir ses services à un autre pays que le sien.

L’on conçoit que de ce point l’autorisation du gouvernement ôte le caractère de félonie. Ainsi, c’est le caractère de félonie qui forme la culpabilité de l’article 21. Cette félonie existe-t-elle dans le cas présent ? Qui soutiendrait qu’elle existe ? Qui voudrait mettre sur la même ligne celui qui demeure passivement au service d’un pays étranger qui n’était pas étranger pour lui lorsqu’il y est entré, et celui qui prend activement ce service d’une manière, pour ainsi dire, hostile à son pays ? Il me paraît évidemment que non.

La quatrième objection présentée par un orateur est celle-ci : c’est que tout exceptionnelle, toute rigoureuse que soit la disposition de l’article 21, elle ne semblerait pas plus avoir un caractère pénal que celle de l’article 18, l’autorisation du Roi pour rentrer dans le pays étant requise dans les deux cas. La commission infère de ce que l’autorisation est requise dans les deux cas, que l’article 21 n’a pas plus un caractère pénal que l’article 18. Mais, messieurs, il me semble que la conséquence qu’on en tire est prise au rebours. En effet, puisque l’autorisation existe des deux côtés, les dispositions supplémentaires de l’article 21 constituent donc une véritable exception, une peine plus rigoureuse, puisqu’elle est surajoutée à la disposition générale, commune aux deux articles 18 et 21.

Cette objection n’en est donc pas une. Elle donne au contraire à l’article 21 un caractère de pénalité.

Je poursuis l’examen du rapport de la commission :

« Quant à l’argument tiré de ce que, sous le gouvernement de la restauration des Bourbons, la Belgique ne formait pas à elle seule un Etat indépendant, quelques membres de votre commission ont cru qu’il ne pouvait avoir quelque influence sur la question qui nous occupe, question qui, aux termes de notre constitution, ne peut être résolue que par les règles du droit civil. »

Eh bien, messieurs, tenons-nous-en rigoureusement à la lettre de l’article 22 du code civil. Je demande comment nous ferons pour appliquer cet article au général Nypels ? Au mot de citoyen français, quel mot allez-vous substituer ? Vous ne pourrez pas dire citoyen belge. Car cette dénomination ne s’appliquerait pas à la Hollande qui faisait partie du royaume des Pays-Bas. Nous devrons nous servir d’un mot générique applicable à tous les habitants du royaume, substituer au terme de citoyen français celui de citoyen des Pays-Bas, ou citoyen néerlandais.

M. Nypels n’a donc pas perdu sa qualité de Belge, mais celle de citoyen des Pays-Bas. Or, ce n’est pas celle-ci qu’il a voulu recouvrer, mais bien celle de citoyen belge. Cette dernière, il n’a pu la recouvrer qu’en 1830, que le jour où il a su la Belgique indépendante.

Un exemple montrera, d’une manière frappante selon moi, que la position du général Nypels n’est pas celle que le code a voulu prévoir. Je suppose que la révolution belge n’eût pas réussi, que le prince Frédéric, en s’emparant de Bruxelles, l’eût étouffée dans son germe, je suppose dans cette hypothèse que Louis-Philippe, dans le but d’avoir à ses portes une nation qui sympathisât avec la nation française, eût envoyé une armée contre celle du roi des Pays-Bas : croyez-vous que si le général Nypels avait combattu dans les rangs français, on l’aurait considère comme s’étant battu contre son pays ? Le général Nypels aurait-il mérité la peine de mort comminée par le code pénal ?

J’arrive maintenant à l’article 17 du traité de Paris : « Dans tous les pays qui doivent ou devront changés de maîtres, tant en vertu du présent traité que des arrangements qui doivent être faits en conséquence, il sera accordé aux habitants naturels et étrangers, de quelque condition et nation qu’ils soient, un espace de six ans à compter de l’échange des ratifications, pour disposer, s’ils le jugent convenable, de leurs propriétés acquises, soit avant, soit depuis la guerre actuelle et se retirer dans tel pays qu’il leur plaira de choisir. »

Messieurs, je ne comprends pas trop bien cette objection ; car évidemment l’article 17 n’a pas voulu permettre tout simplement de voyager dans tel pays que l’on voudrait ; un passeport suffit pour cela, et l’article 17 n’aurait alors aucun but. Mais selon moi le but de cet article a été de lever les obstacles qui s’opposaient à ce que l’on prît résidence dans un pays ou dans un autre. Or l’article 21 est l’un des principaux obstacles que l’article 17 a voulu détruire. Dès lors il faut reconnaître que l’article 17 du traité de Paris a conféré l’autorisation exigée par l’article 21 du code civil pour le service à l’étranger. Car dès que l’on réside dans son pays, il faut supporter les charges, remplir les obligations attachées à cette résidence. Et l’une des premières de ces obligations est incontestablement le service militaire. Ainsi M. Nypels, usant du bénéfice de l’article 17 du traité de Paris, a pu prendre du service en France, et l’autorisation exigée par l’article 21 du code civil existe en fait pour lui.

Je finirai par une observation qui n’est pas sans importance, et qui même déterminera mon vote.

Je crois avoir prouvé que l’article 21 commine une peine rigoureuse. Or, pour que nous pussions appliquer une peine rigoureuse, il faudrait que l’article 21 nous apparût clair, précis, enfin dans une complète évidence. Du moment qu’il y a doute, il y aurait de notre part injustice à appliquer une peine.

Je la demande, en présence des différentes opinions consciencieuses émises dans cette chambre par des jurisconsultes d’un talent reconnu, quelqu’un oserait-il soutenir que ce doute n’existe pas ? Je ne le pense pas.

Je dis qu’il y a doute et que dès lors la décision de la chambre ne doit pas être douteuse. Quant à moi, je voterai pour l’admission du général Nypels.

M. A. Rodenbach. - Messieurs, des membres de cette chambre, jurisconsultes distingués, pensent que le général Nypels ne peut pas être admis député. D’autres députés, qui ont également des connaissances spéciales et qui connaissent parfaitement les questions de droit, soutiennent le contraire. Que devons-nous faire dans cette circonstance, nous qui n’avons pas de connaissances spéciales ? Il me semble que nous devons être en quelque sorte pyrrhoniens. (On rit.) Oui, messieurs, ces opinions divergentes, soutenues l’une et l’autre avec un égal talent, sont faites pour nous jeter dans le doute.

Mais ici nous formons un jury ; or, dans un jury, quand il y a doute, on ne prononce pas une peine.

Rappelez-vous, messieurs, qu’en 1830, lorsqu’on a formé à Paris un comité belge, M. Nypels s’est rendu auprès de ce comité avec empressement ; il est parti aussitôt pour la Belgique. Il était militaire ; il est venu offrir ses services à son pays ; il s’est battu en brave, faisant le coup de fusil comme un soldat ; il s’est battu notamment à Walhem (j’étais sur les lieux) ; il a pris une part glorieuse aux combats soutenus pour notre indépendance.

Messieurs, si M. Nypels avait été avoué, avocat, ou quelque peu clerc, il se serait empressé de se rendre auprès du gouvernement provisoire et aurait demandé des lettres de naturalisation. Il n’y avait pas alors de bureaucratie ; en quelques heures il aurait eu ces lettres ; car on avait besoin de ses services. M. Nypels a oublié, a omis cette formalité. Est-ce un motif pour exclure de cette chambre un Belge qui a glorieusement combattu pour son pays ?

Messieurs, vous admettez dans les chambres les Français qui résidaient dans le pays, avant 1814. M. Nypels résidait en Belgique avant et bien avant 1814. Par ce motif et les autres que j’ai énoncés, j’ai la confiance que vous l’admettrez comme membre de la chambre des représentants. C’est dans ce sens que je voterai.

M. Legrelle. - Dans le doute où je me trouve comme plusieurs de mes honorables collègues, j’ai cru devoir consulter un jurisconsulte éclairé qui n’appartient pas à la chambre. Il m’a dit que l’article 21 du code civil était applicable au cas où l’autorisation du roi aurait été refusée, et à celui où elle n’aurait pas été demandée, mais qu’il n’était pas applicable au cas où nous nous occupons. En effet, le général Nypels a eu l’autorisation du souverain, de l’empereur qui régnait alors sur la Belgique, puisque nous étions réunis à l’empire français ; et dans le fait, il a porté les armes pour son pays.

Si vous n’admettez pas le général Nypels, un honorable sénateur qui a porté les armes en France après la bataille de Waterloo, devra cesser de siéger. Cependant cet honorable citoyen a siégé au congrès. Personne ne lui a contesté sa qualité de Belge, et maintenant encore il siège au sénat.

Ne pas admettre le général Nypels, ce serait avoir deux poids et deux mesures. Cette considération suffira pour me faire voter son admission.

M. de Brouckere. - J’eusse préféré ne pas prendre part à la discussion de la question qui vous occupe. Mais puisque plusieurs honorables membres viennent de déclarer qu’ils étaient encore incertains sur le vote qu’ils devaient émettre, je crois devoir soumettre à la chambre les motifs qui me détermineront à voter contre l’admission du général Nypels.

Je commence par dire que je ne suis nullement étonné des efforts qu’ont faits quelques-uns de nos collègues pour engager la chambre à décider que le général Nypels avait encore la qualité de Belge. Tous, à la vérité ou à peu près, sont convenus que la loi est contre lui. Mais on a mis en avant, en faveur de l’élu, des considérations personnelles, et quelques considérations politiques.

Je conçois très bien qu’on se laisse aller aux sentiments qu’on éprouve pour un homme digne sous tous les rapports de l’estime de ceux qui le connaissent. Mais quant à moi, ma position comme magistrat m’a habitué à décider les questions sur lesquelles je suis appelé à prononcer, non d’après mes sentiments ou des considérations personnelles plus ou moins avantageuses aux intéressés, mais uniquement d’après la loi, la raison et la justice. Eh bien, je dis que la raison, la justice et la loi se prononcent contre la validité de l’élection du général Nypels.

Ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire en commençant, la plupart des orateurs qui se sont prononcés pour la validité de l’élection du général Nypels sont convenus que l’article 21 est applicable, si on l’entend à la rigueur. Mais ils ont cherché à détruire l’applicabilité de l’article, en faisant ce que l’on peut appeler un jeu de mots.

L’article 21, ont-ils dit, porte : « Le Belge qui, sans autorisation du roi, prendrait du service militaire chez l’étranger, etc. ; » et de ce mot « prendrait, » ils ont tiré la conséquence qu’il fallait que l’individu qui prenait du service militaire à l’étranger ne se trouvât pas au service de cette puissance, dans le temps où elle gouvernait la Belgique.

Je dis que c’est là un jeu de mots ; je crois qu’on l’a déjà prouvé.

En effet, lors de l’abdication de Napoléon, les étrangers qui étaient au service de France n’y sont pas restés de plein droit, n’ont pas obtenu ce que je puis appeler une continuité de service ; ils ont été dégagés de leurs serments. Aucune obligation ne les retenait plus en France, aucun lieu ne les y rattachait. Les Belges qui y sont restés, n’y sont restés qu’à la suite de démarches plus ou moins pressantes. Il y a donc eu de la part des Belges qui, après l’abdication de Napoléon sont restes au service de France, acte formel, acte exprès, et l’intention de prendre du service militaire sous le roi Louis XVIII.

Messieurs, ce que je viens de dire est plus applicable peut-être au général Nypels qu’à aucun autre militaire belge. En 1815, et jusqu’en 1814, le général Nypels faisait partie de la garde d’honneur. C’est ce qui résulte du rapport fait par l’organe de votre commission. La garde d’honneur était dissoute tout entière par l’abdication de Napoléon ; ainsi par cette abdication, le général n’était plus au service de France ; il était dans la position de choisir entre son pays et un pays étranger.

On s’empressera de me répondre : Mais il ne savait pas quel accueil on lui ferait quand il se présenterait en Belgique. Messieurs, on a oublié un arrêté que je vais rappeler à la chambre, et qui prouvera que le général Nypels, s’il a été incertain un instant sur le sort qui l’attendait dans son pays, ne l’a pas été longtemps.

Il a bientôt su qu’il était libre de rentrer en Belgique, sa seule patrie, et qu’il était sûr d’y obtenir le grade qu’il avait eu en France.

Voici les termes d un arrêté du 14 août 1814 :

« Considérant qu’un grand nombre de Belges au service de France (le hollandais dit : encore au service de France), ou qui viennent de quitter ce service, nous ont présenté des demandes à l’effet d’occuper dans les troupes belges des grades analogues à ceux qu’ils occupaient au service de France, et que les arrangements préalables à l’organisation des troupes ne permettent pas de les mettre de suite en activité, et ne pourront avoir lieu que successivement ;

« Voulant, en attendant, donner une marque de notre sollicitude particulière aux Belges que le désir de servir leur patrie a engagés à quitter un service étranger ;

« Après avoir entendu la commission chargée des fonctions du département de la guerre,

« Avons arrêté et arrêtons :

« Art. 1er. Il est accordé aux officiers belges de naissance et ayant servi en France, un traitement provisoire fixé ainsi qu’il suit : etc. »

« Art. 2. Ce traitement commencera à courir du moment où il aura été satisfait aux conditions ci-après indiquées. »

Vous voyez donc que le général Nypels après l’entrée des alliés à Paris, après la prise de possession du trône de France par la branche aînée des Bourbons, a bientôt su qu’il n’était plus au service de France ; qu’il a fallu un acte positif pour qu’il reprît du service à l’étranger, car il était sûr en rentrant dans sa patrie, de conserver son grade.

M. A. Rodenbach. - Il était sûr d’être mis à la retraite ou d’être envoyé à Batavia.

M. de Brouckere. - On m’interrompt sans raison. Je défie qu’on vienne me citer un seul exemple d’officier rentré envoyé à Batavia ; on n’y a envoyé que ceux qui sont rentrés longtemps après. Au reste, je n’approuve pas les envois à Batavia.

Le général Nypels a préféré prendre du service en France. Faut-il l’en blâmer, faut-il l’en louer ? A cet égard, les opinions sont libres ; et il n’entre pas dans mes intentions de déverser le blâme sur le général Nypels ; il a préféré Louis XVIII à Guillaume ; libre à lui.

Mais, dit un orateur, vous lui en faites un crime, vous le traitez comme un infidèle et comme un félon (ce sont les expressions employées), et vous lui appliquez une peine, et une peine sévère. Je voudrais bien savoir en quoi nous appliquons une peine au général Nypels ?

Je crois que les expressions dont s’est servi l’orateur sont sorties de son cerveau sans fondement. Peut-on blâmer celui qui choisit une patrie d’adoption ? Mais nous avons en Belgique des Français de naissance, naturalisés chez nous ; j’en vois même un devant moi ; je vois le général Evain : peut-on lui en faire un reproche ? Le général Nypels a préféré rester en France, comme le général Evain a préféré venir en Belgique ; ces deux hommes sont également honorables.

Le général Nypels a si bien voulu prendre la France pour sa nouvelle patrie, que dans la lettre de naturalité qui lui a été délivrée, se trouve l’expression expresse que son plus vif désir était de consacrer le reste de ses jours au service du roi de France, et d’une patrie qui était la seule qu’il connût. Le général Nypels avait sans doute contracté des relations d’intérêt en France, par suite d’une habitation de plusieurs années ; il demande à être citoyen de ce pays, affirmant qu’il voulait consacrer le reste de ses jours au service du souverain de France. Eh bien, on lui a accordé ce qu’il demandait. Nous ne voulons donc pas lui appliquer une peine en le considérant comme Français : il a voulu être Français ; il a pris du service en France ; il a été naturalisé Français et nous le laissons Français. Quelle peine voudrions-nous lui infliger ? On veut si peu lui infliger une peine, que s’il veut demander des lettres de grande naturalisation, les trois branches du pouvoir législatif se réuniront pour les lui accorder.

Où M. Dechamps peut-il voir une peine, et selon lui, une peine presque infamante ? S’il devait rester une tache, quelle qu’elle soit, sur le front du général Nypels, j’hésiterais à annuler son élection ; mais il n’y aura aucune tache sur cet honorable général ; il y aura seulement pour lui obligation de demander la grande naturalisation au pouvoir législatif.

L’honorable M. Milcamps a soutenu une opinion qui, je crois, ne doit pas subir un long examen pour être anéantie. Il a prétendu que le gouvernement provisoire, en donnant au général Nypels le brevet de colonel, lui avait accordé par cela seul la grande naturalisation. Mais vous vous rappelez tous qu’en 1830 l’on donnait des brevets d’officiers à toutes les personnes ayant quelque expérience dans l’art militaire et qui demandaient à entrer dans notre armée.

Je demande si dans les premiers temps de 1830 on pouvait exiger de chaque officier et son extrait d’acte de naissance, et la preuve qu’il n’avait servi la France qu’avec l’autorisation du roi des Pays-Bas ? Le gouvernement provisoire accueillait avec empressement tous les officiers qui se présentaient, il les accueillait même avec reconnaissance. Je ne veux pas enlever au général Nypels la gloire d’avoir répondu à l’appel de son pays ; il mérite des récompenses par sa conduite, et il en a obtenu (on rit). Ainsi, l’argument de M. Milcamps tombe devant cette considération.

Mais, à défaut de bons raisonnements, on a recours à des exemples. Voyons si ces exemples sont bien choisis.

On a cité d’abord, et à plusieurs reprises, le général Dumonceau : ce général est rentré en 1815 ; il a été nommé membre des états-généraux ; personne n’a réclamé contre son admission ; ainsi, dit-on, il y a jurisprudence établie par les états-généraux.

Et depuis quand le silence d’une assemblée législative, d’une assemblée politique, suffit-il pour établir une jurisprudence ? Personne n’a soulevé la question, dit-on, et personne n’a pensé soulever cette question, et l’on prétend que ce silence, dans un temps où l’on était peu sévère, que ce silence de la seconde chambre des états-généraux a suffi pour établir une jurisprudence. Mais, dira-t-on, tout le monde était d’avis que cela n’excitait aucune difficulté. Mais ici, ceux qui se décideront pour l’élection du général Nypels, pensent, j’en suis sûr, que la question est au moins douteuse.

Dernièrement, à propos des élections de Soignies, il y avait une nullité, la chambre l’a décidé. Eh bien, si M. de Mérode n’eût été présent, il est probable que la nullité serait passée inaperçue, et dans deux ans M. Milcamps serait venu dire : il y a jurisprudence de la chambre. Il en est de même pour le général Dumonceau.

Mais voici un homme un peu plus connu et qui doit faire sensation. Le général Bertrand a été au service de Napoléon, alors que Napoléon n’était plus souverain de la France ; il est rentré dans son pays et il a été nommé pair. Il n’y a qu’une chose à répondre à l’honorable M. Dechamps, c’est que le cas a été prévu par le traité de Paris du 11 avril 1814. (L’orateur donne lecture d’un article du traité de Paris.) Or y a-t-il un de vous qui mette en doute que le général Bertrand ait obtenu l’autorisation de suivre Napoléon ? Non.

Ce n’était pas assez des citoyens, des individus ; on est venu citer des nations tout entières. Que dirait-on, s’est-on écrié, si plus tard la Pologne venait à être délivrée du joug qui l’opprime, que dirait-on, si un misérable ergoteur disait aux Polonais, de retour dans leur pays : Allez, infidèles et félons, vous avez été servir l’étranger ! Mais je dirais au misérable ergoteur qui me tiendrait ce langage, qu’il a perdu la raison. Peut-on me dire à quelle époque le général Nypels a été proscrit ? Eh bien, presque tous les Polonais le sont, et ce qui peut leur arriver de plus heureux, s’ils retournent aujourd’hui dans leur patrie, c’est d’être envoyés en Sibérie. Que font ici les Polonais ? Ont-ils renoncé à leur patrie ? Non , assurément non ; ils attendent la délivrance de cette patrie, et je suis certain que si cette délivrance avait lieu, aucun d’eux ne manquerait d’y retourner.

Qu’a attendu le général Nypels depuis 1814 ? Attendait-il le retour de Napoléon ? Non, car pendant les 100 jours, il n’a pas pris de service. Il a suivi Louis XVIII. Il attendait que la Belgique redevînt pays indépendant. Elle ne l’était pas. Il faudrait remonter pour cela au temps d’Albert et d’Isabelle. (On rit.) Attendait-il le retour des Autrichiens ? pas plus que celui des Espagnols. Ainsi aucun des exemples qu’on a cités ne peut influencer votre opinion : il faut s’en rapporter à la loi civile. Le général a pris du service en France, il a perdu sa qualité de Belge. Qu’il fasse la demande d’être de nouveau naturalisé Belge, et je pense, comme l’honorable M. Trentesaux, qu’il l’obtiendra sans difficulté. Je ne consulte ici que la loi ; c’est uniquement par respect pour elle que je parle, et c’est ce qui me portera à voter contre l’admission du général Nypels parmi les membres de cette chambre.

M. Nothomb. - Messieurs, j’ignore si le député élu à Ruremonde sera ministériel ou opposant, j’oublie quel est le député non réélu en faveur duquel votre vote pourrait renouveler les chances d’élection ; mais ce que je sais, ce que je n’oublie pas, c’est qu’il est interdit dans une assemblée délibérante de blâmer la conduite parlementaire d’un ancien collègue, d’un député non réélu, d’un homme absent qui ne peux plus se défendre ici. Nul de nous n’a le droit de juger la conduite d’un de ses collègues ; chacun de nous doit respect à l’opinion d’autrui, afin que l’on respecte sa propre opinion.

Il me serait facile de justifier le député non réélu dont la conduite a été si loyale et si désintéressée, qui, dans les jours les plus difficiles, a toujours eu un courage si rare, le courage de son opinion ; mais je dois m’arrêter, l’éloge est ici interdit comme le blâme ; je dois me borner à constater l’incompétence de chacun de nous pour le blâme comme pour l’éloge.

La question, réduite à ses termes les plus simples, me paraît être celle-ci :

Le cas tout spécial où se trouve le général Nypels est-il le cas prévu par l’article 21 du code civil ?

Je ne le pense pas ; je crois que le cas où il se trouve n’est pas expressément prévu et n’a pu l’être par le code ; en l’absence d’un texte formel, je me demande quelle est la disposition qu’il faut appliquer par analogie.

Le code civil n’a pas prévu le cas du démembrement d’un Etat, et il est même à remarquer que le démembrement de l’empire français présente, par rapport aux provinces belges, un caractère particulier. Séparés de l’empire français, les départements belges ne constituent pas dès 1815 d’Etat à part, ayant une individualité propre ; ils sont réunis à un autre Etat, et ce n’est que quinze ans après qu’ils forment un Etat distinct.

C’est plus qu’une question de droit civil que nous examinons ; c’est aussi une question du droit des gens. Car tous les jurisconsultes de cette chambre se lèveraient pour m’opposer l’article 21 du code civil, considéré matériellement, sans égard aux circonstances, que je persisterais à leur répondre que les lois civiles ne statuent pas, surtout à l’avance, sur les accidents qui résultent du démembrement des empires.

Ce fait, messieurs, me semble d’une haute importance : selon moi, toute la question est là. Le code civil suppose l’existence antérieure d’une nation, et la défection en quelque sorte d’un de ses membres ; lorsque le code a été fait il existait une France, une nation française et le législateur a voulu qu’un Français qui quitte sa patrie pour prendre du service militaire à l’étranger fût assimilé à l’étranger ordinaire. Est-ce que le démembrement opéré en 1814 a créé à cette époque une nation belge, une Belgique ; a-t-il placé le militaire belge au service de l’étranger avant cet événement dans la position où se trouve un Français par rapport à la France ? L’affirmation me semble impossible.

Si dès 1814 les provinces belges, au lieu d’être réunies à un autre Etat, au lieu de passer de la domination française sous la domination hollandaise, s’étaient constituées en Etat distinct, l’hypothèse prévue par le code civil eût existé ; tout Belge se fût trouve par rapport à la Belgique dans le cas où se trouve un Français par rapport à la France.

Il est tellement vrai que le démembrement de l’empire français créait des situations nouvelles, lors des prévisions de la législation ordinaire, que l’article 17 du traité de Paris, du 30 mai 1814, accorde aux habitants naturels ou étrangers des pays séparés de la France qui changent de maîtres, un espace de six ans pour se retirer dans tel pays qu’il leur plaira de choisir. L’effet de ce choix était-il de conférer à l’étranger de plein droit la naturalisation à l’étranger ; ou bien emportait-il seulement l’autorisation du domicile ?

Je crois avec M. Liedts qu’il serait difficile d’en faire résulter le premier effet ; mais au moins faut-il admettre le second, c’est-à-dire que l’étranger avait la faculté de se retirer dans une partie quelconque de l’ancien empire, au point d’être dispensé de demander une autorisation spéciale et personnelle, aux termes de l’article 13 du code civil ; en vertu du traité de Paris, cette autorisation lui était acquise.

Cet article, a dit M. Lieds, est d’usage ; il se trouve dans tous les anciens traités. C’est ce que je ne puis ni affirmer ni nier ; je n’ai fait aucune recherche sur ce point ; seulement je sais que cet article ne se trouve pas dans le traité du 15 novembre, et fort heureusement, car cette disposition pourrait nous mettre dans un grand embarras, par rapport aux habitants nés dans les provinces méridionales du ci-devant royaume des Pays-Bas, et qui sont restés au service militaire ou civil de la Hollande depuis 1830.

M. Liedts. - Attendez le traité définitif.

M. Nothomb. - Eh bien, nous demanderons que ce texte ne soit pas introduit dans le traité direct ; mais s’il y était, je ne saurais lui refuser une signification. Puisque vous craignez cette insertion, c’est donc que l’article a un sens.

Je dis en deuxième lieu que le droit de se retirer où l’on voulait devait nécessairement influer sur les obligations résultant du service militaire ; si ces obligations avaient existé avec les pénalités qui y sont attachées, le droit de se retirer où l’on voulait pendant six ans eût été entravé. En restant au service de France le militaire né dans un des départements belges ne faisait qu’user de l’autorisation que lui accordait le traité de Paris.

Je ne prétends donc pas que le traité de Paris, en donnant pendant six ans à tout habitant d’un des pays séparés de l’empire français le droit de se retirer dans une partie quelconque du ci-devant empire, ait par là attaché à son choix la naturalisation, mais je soutiens qu’il en résultait une autorisation de domicile, et la levée des prohibitions concernant le service militaire. Si l’article 17 du traité de Paris n’a pas ce double sens, il faut dire qu’il ne signifie rien : ce que je ne puis croire. Selon moi, le militaire né dans les départements belges, qui restait au service français, pouvait invoquer la disposition de l’article 17 et contre la France pour y rester, et contre le royaume des Pays-Bas pour se dispenser de s’y rendre ; il pouvait dire à la France de la restauration : J’ai le droit de rester en France ; au gouvernement des Pays-Bas : Je ne manque à aucune obligation en restant ici.

La circonstance aggravante par rapport au général Nypels, qu’on le remarque bien, n’est pas le fait de sa naturalisation en France, c’est le fait du service militaire ; cette circonstance me semble écartée par l’article 17 du traité de Paris qui lui donnait, de l’aveu du roi des Pays-Bas, le droit de faire ce qu’il a fait. Ce n’est pas sans autorisation que le général Nypels est resté au service de France , cette autorisation résultait pour lui du traité de Paris, et le roi Guillaume ayant adhéré à ce traité, on peut donc dire que le général Nypels avait l’autorisation du roi Guillaume.

Si, dans une guerre survenue entre le royaume de France et celui des Pays-Bas le général Nypels avait été fait prisonnier, eût-il été un prisonnier ordinaire ou bien eût-il été sujet à des poursuites criminelles dans le royaume des Pays-Bas ? Je n’hésite point à dire qu’il n’eût été que prisonnier de guerre, qu’aux termes du traité de Paris il eût été impossible de le poursuivre. Les partisans de l’opinion que je combats doivent soutenir que le général Nypels, restant en France sans autorisation, aurait été dans le cas d’être poursuivi criminellement s’il avait été fait prisonnier dans une guerre survenue entre les deux pays : pour être conséquents avec eux-mêmes ils doivent aller jusque-là. Ainsi l’article17 du traité de Paris est un non-sens ; loin d’être un bienfait, c’est un piège.

La circonstance aggravante du service militaire se trouvant écartée, l’analogie exige que le général Nypels soit considéré comme placé dans le cas de l’article 18 du code civil. je dis que l’analogie l’exige, car je crois le cas hors des prévisions ordinaires.

M’arrêterai-je à la circonstance de savoir si le général Nypels a repris du service en France à la suite de la dissolution de l’empire, ou s’il est resté au service français ? Véritable jeu de mots, vous a dit M. de Brouckere. Je le veux bien ; mais si je pouvais m’engager dans ce jeu, je vous donnerais lecture de l’acte de naturalisation où il est dit : « Le sieur D.H. Nypels … nous expose qu’il est entré au service de France le 1er mai 1813, qu’il a toujours servi sans interruption ; » ainsi l’entrée au service remonte au 1er mai 1813, il n’y a pas eu interruption. Il serait donc vrai de dire, si cette observation pouvait être de quelque importance, que le général Nypels a été considéré comme resté au service, malgré la dissolution de l’empire et le licenciement de l’armée française.

Ce n’est pas seulement dans l’intérêt du général Nypels que j’ai cru parler en prenant part à cette discussion ; beaucoup de militaires nés dans les provinces belges sont restés de 1815 à 1830 au service français et se sont empresses de répondre à l’appel que leur a fait en 1830 la Belgique indépendante. Malgré cet empressement, malgré les services qu’ils ont rendus depuis 1830, ils seraient atteints par la disposition exorbitante de l’article 21 du code civil ; naturalisés en France, ou non, le fait du service militaire à l’étranger les placerait dans cette situation.

Plusieurs personnes se sont adressées à moi pour me signaler les conséquences du vote que vous allez émettre ; ce matin encore j’ai reçu une lettre d’un commandant d’escadron au régiment de cuirassiers à Tournay, qui, né à St-Hubert, est resté de 1815 à 1830 au service de France. Ce n’est pas seulement sur le sort du député élu à Ruremonde que vous allez prononcer, vous prononcerez indirectement sur le sort de tous ceux qui sont demeurés hors des provinces belges de 1815 à 1830 en France ou ailleurs ; qui n’ont pas pensé que l’adjonction des provinces belges comme accroissement de territoire à la Hollande leur donnait une véritable patrie ; qui ne se sont pas crus obligés de suivre le nouveau sort de leurs provinces natales passant de la France à la Hollande ; qui, ayant eu à choisir entre deux drapeaux étrangers, le drapeau français et le drapeau hollandais, ont donné la préférence au drapeau français ; qui, dès qu’ils ont vu surgir sur le sol natal un drapeau national, le premier qui leur était offert, se sont empressés de se ranger sous ce drapeau, répudient dès ce jour tout drapeau étranger. C’est ainsi que la question doit se généraliser à vos yeux : il y a plus que l’élection de Ruremonde en cause.

Ce sont là, me dira-t-on, des considérations que vous pourrez faire valoir avec succès lorsqu’il s’agira de conférer la naturalisation aux militaires dont vous parlez : mais elles sont impuissantes devant le texte précis du code civil. Je dis que ces considérations dominent le code civil ; qu’il est impossible de ne pas mettre le code civil en rapport avec les circonstances pour lesquelles il a été fait et qui ne se reproduisent point ici. Le code civil est fait pour un état normal : c’est une nation constituée qui punit l’émigration armée ; ce code n’a pas prévu les accidents inhérents au démembrement d’un Etat : situation extraordinaire qui est, par la force des choses, du domaine du droit public plus que du droit civil.

Je ne craindrais pas de voir cette question déférée à un tribunal ordinaire : les magistrats porteraient leurs regards au-delà du texte de l’article 21 du code civil ; ils ne resteraient pas comme enchaînés dans le texte ; ils tiendraient compte des circonstances extraordinaires de 1814, circonstances en dehors de toutes les prévisions possibles du législateur. La décision de la magistrature qui se placerait à ce point de vue, serait conforme à la vôtre.

Je me résume en répétant que la seule question est de savoir si, eu égard à des circonstances qu’on ne peut méconnaître, le cas où se trouve le député élu est celui de l’article 21 du code civil ; je n’hésite point à répondre négativement et si je lui applique l’article 18. C’est par analogie, c’est qu’au défaut de texte formel, je suis forcé d’adopter une règle. Selon moi, le général Nypels, en entrant en 1814 au service de France, n’a point renié la Belgique ; il n’a manqué à aucun devoir envers le chef du royaume des Pays-Bas, puisqu’il usait d’une autorisation résultant d’un des traités qui avaient réglé le démembrement de l’empire français et fondé le royaume des Pays-Bas.

M. Liedts. - Je savais aussi bien que l’honorable préopinant qu’il n’est pas d’usage parlementaire de blâmer les votes des membres qui siègent dans cette chambre, mais je voudrais bien savoir ce que j’ai dit qui pût être un blâme pour M. Olislagers. Tout le monde sait qu’il est convenu d’appeler ministériels les membres qui donnent le plus souvent leurs votes aux projets du gouvernement. Si l’honorable M. Nothomb s’offense de l’expression de ministériel, je crois que nous pourrions à aussi juste titre nous offenser quand on nous nomme membres de l’opposition. En tout cas, je n’avais nullement besoin de la petite leçon de civilité parlementaire qu’a paru vouloir me donner l’honorable préopinant.

M. Nothomb. - Je n’ai pas eu la prétention de donner une leçon de civilisé parlementaire à qui que ce fût, et même je me suis abstenu de prononcer le nom des personnes, en me conformant en cela aux usages parlementaires. L’honorable préopinant a dit que, bien que supposant M. le général Nypels ministériel, il ne le supposait pas autant que le membre qu’il remplaçait. Je persiste à soutenir que c’est là une expression dont il aurait dû s’abstenir ; car le mot ministériel, comme il est interprété hors de cette enceinte, et surtout quand il sort de la bouche d’un membre de l’opposition, peut bien avoir un autre sens que celui que paraît vouloir y attacher l’honorable M. Liedts.

M. F. de Mérode. - Toutes les fois que dans les chambres qui constituent un pouvoir politique on voudra appliquer des lois politiques, comme le magistrat, pouvoir judiciaire, est obligé d’appliquer les lois civiles, la représentation nationale sera exposée à rendre les décisions les plus étranges, les plus contraires à une politique raisonnable, et par conséquent elle faussera son mandat qui ne ressemble point à celui d’une cour de justice : suum cuique.

Une révolution a lieu dans un pays, elle change les rapports du gouvernement avec des provinces, avec des populations, avec des individus. Les articles politiques insérés dans un code civil sont-ils passibles de la même interprétation avant et après cette révolution, ou plutôt doivent-ils s’expliquer d’une manière conforme aux circonstances qui ont prévalu et créé sur les débris de sociétés précédentes une société nouvelle ? Naguère, les Belges étaient légalement les compatriotes des Français, puis des Hollandais ; enfin, ils sont revenus à un statut de nationalité propre, Prendrez-vous en considération ces diverses phases de leur existence, ou bien, ouvrant le code de l’empire français, y lirez-vous des mots sans vous inquiéter des faits que ces mots n’ont pas même prévus ?

Et certes les termes de l’article 21 du code civil français n’ont pas prévu la position dans laquelle devaient se trouver les Belges arrachés à la France par la conquête non pour redevenir nation, mais pour servir d’accroissement à la Hollande ou à la Prusse, car vous savez qu’une partie du Luxembourg a été donnée à la Prusse. Ainsi prenant la lettre même de l’article, on voit qu’il n’y est pas question des militaires dont la patrie est partagée et qui demeurent au service de la nation principale, dont leur commune ou leur ville de naissance a été distraite par des guerres et des conquêtes.

On dit : Le général Nypels s’est exposé à combattre, sous le drapeau de la France, les Belges enrégimentés sous les couleurs de la maison d’Orange. Mais a-t-il été soumis à cette épreuve ? Non. Il a montré, au contraire, qu’en servant une patrie adoptive à laquelle il avait appartenu depuis sa naissance, les sentiments qu’il portait au sol natal étaient toujours vivants. Il est venu se mettre, après l’appel du gouvernement provisoire belge, dans les rangs des volontaires belges/

Et quand le gouvernement provisoire, invitant M. de Potter à rentrer dans sa patrie par arrêté du 27 septembre, engageait également tous les Belges qui étaient en France à revenir en Belgique, à qui s’adressait- il ? Ce n’était pas sans doute un appel de sa part aux fabricants et aux artistes, mais bien à ceux qui étaient disposés à prendre les armes pour l’affranchissement du pays. Il ne faisait pas de subtile distinction entre les Belges naturalises en France et les autres ; surtout il n’entendait pas appliquer aux militaires une défaveur qui résulterait de leur pratique du métier des armes, pratique qui les rendait d’autant plus utiles au jour du danger.

Mon frère, j’ai besoin de parler de lui dans l’occasion qui se présente, était naturalisé Français et maire de la commune où il résidait depuis 19 ans ; en a-t-il moins donné sa vie pour sa patrie belge rendue à elle-même ? De plus il avait porté la même cocarde militaire que le général Nypels, il avait été volontaire de la royauté constitutionnelle de Louis XVIII, pour empêcher le retour de l’île d’Elbe, qui coûta si cher à la France et pouvait rétablir de nouveau l’empire exclusif du sabre.

Et pourquoi Frédéric de Mérode est-il venu mourir en Belgique ? Parce qu’il y était né, et que l’affiliation à une patrie adoptive ne crée point chez l’homme qui possède une âme généreuse l’indifférence aux dangers, aux malheurs de son pays d’origine.

Le gouvernement provisoire a compris ce sentiment mieux que ne paraissent le concevoir ceux qui se cramponnent à une lettre morte pour infirmer une élection très valable, certainement. Si celui que j’ai nommé eût échappe au coup mortel, s’il eût rempli les formalités qu’a remplies le général Nypels, l’excluriez-vous de cette enceinte comme étranger, jusqu’à ce qu’il eût obtenu des lettres de grande naturalisation ?

Moi-même, j’ai porté l’habit de garde national français, je devrais donc quitter cette chambre ; mais la naturalisation a été évidemment délivrée de fait par l’appel du gouvernement provisoire à tous les Belges naturalisés ou non naturalisés en France, militaires ou non militaires qui sont venus défendre la Belgique contre l’agression hollandaise, qui y sont rentrés avec esprit de retour, en abandonnant ailleurs leur état et leurs droits acquis. C’est là, messieurs, ce que j’affirme avec une conviction qui part de la raison et du cœur. Elle est fondée sur une appréciation noble et vraie. Elle est au-dessus des formes étroites que l’on ne peut même mathématiquement extraire d’un article de code civil. Elle a pour base la légalité du patriotisme, et les Belges qui continuent à servir la Hollande ont et auront toujours contre eux cette légalité que maintiendra le bon sens et la justice nationale belge. (Bien ! bien !)

M. Gendebien. - Mon intention n’est pas de prolonger la discussion, car pour ceux qui sont décidés à se mettre au-dessus des lois, ou qui ont fait preuve d’une déplorable facilité à les éluder, il est inutile de parler ; pour ceux qui sont décidés à juger conformément à la loi, je n’ai rien à ajouter à ce qu’ont dit MM. Liedts, de Brouckere et un autre collègue dont je ne sais pas encore le nom. Ils n’ont rien laissé à dire, et personne ne leur a répondu directement. Je vais cependant vous transmettre quelques observations.

Je ne vois au fond de cette discussion qu’une question de fait. Le général Nypels a-t-il pris, oui ou non, du service en France ? s’est-il enrôlé sous des drapeaux étrangers ? Ce fait ne peut être contesté de bonne foi. Dès lors, il faut lui appliquer l’article 21 du code, parce qu’il n’admet aucune excuse, aucune exception, si ce n’est celle du consentement du souverain. L’article 21 s’applique au fait d’acceptation de grades ou distinctions militaires ; dès lors que le fait est constant, on ne peut se refuser à appliquer la loi. (L’orateur lit l’article 21.) Vous voyez bien, dit-il, que le texte est littéralement applicable à M. Nypels.

Si vous consultez l’esprit de la loi, vous n’y trouverez aucune distinction, aucune excuse admissible. (L’orateur lit la discussion du Conseil d’Etat sur l’article 21.) Voilà ce qui constitue la nécessité de se réhabiliter, de subir un nouveau baptême politique avant de rentrer dans l’exercice de ses droits de citoyen. C’est la possibilité d’être forcé à porter les armes contre sa patrie,

Le motif qui a déterminé le législateur à décréter l’article 21 existe, vous le voyez, soit qu’on ait pris, soit qu’on ait continué un service militaire à l’étranger : dans un cas comme dans l’autre on s’expose à porter les armes contre sa patrie ou contre les alliés ou amis de sa patrie. La distinction qu’on veut faire est donc futile et même puérile. (L’orateur continue sa lecture.) Vous voyez, messieurs, que celui qui passe au service étranger, alléguerait en vain que son intention n’était pas de porter les armes contre son pays, et qu’il y serait rentré en cas de guerre ; cette excuse ne serait pas admissible.

M. Nypels, d’ailleurs, l’alléguerait en vain, car nous lui répondrions par la supplique qu’il a adressée au roi Louis XVIII. Il dit au gouvernement de France que sa patrie serait désormais la France, qu’il n’en connaissait plus d’autre, que son plus vif désir était de consacrer le reste de ses jours à la dynastie des Bourbons, à la France. Il renonce positivement à son ancienne patrie ; il renie ses anciens compatriotes. Il se voue tout entier à sa nouvelle patrie. (L’orateur lit l’ordonnance de naturalité.) Le général Nypels était donc entré au service de France sans esprit de retour : après des engagements aussi solennels, comment pouvez-vous supposer, sans faire injure au général Nypels, qu’il aurait pu quitter les drapeaux français en cas de guerre contre la Belgique ?

Vous traitez le général Nypels comme un félon, comme un transfuge , nous dit-on. Non, messieurs, ce sont ceux qui supposent qu’il eût pu quitter les drapeaux français après les engagement pris envers la France qui lui font cette injure. Bourmont quittant les drapeaux la veille d’une bataille était transfuge, était félon ; les Belges qui ont trahi en février, en mars, en août 1831, sont coupables de félonie ; mais ceux qui par légèreté ou d’autres motifs toujours peu louables, selon moi, s’exposent à porter les armes contre leur patrie, en se consacrant au service étranger, ne sont ni transfuges ni félons dès lors qu’ils n’avaient point d’engagements personnels antérieurs.

Ils ont montré pour leur pays une indifférence qui pouvait devenir coupable, ils doivent se soumettre à des épreuves de purification, à un nouveau baptême politique. Ce n’est pas même une peine qu’on leur inflige, c’est une condition que la loi impose impérieusement à la faveur qu’elle accorde.

Un Belge qui prend du service en pays étranger est obligé, par ce seul fait, de se faire naturaliser pour jouir des droits politiques, sans que la loi admette aucun genre d’exception, et vous voudriez qu’un autre Belge qui s’est enrôlé en pays étranger, qui s’y est fait naturaliser, qui a renoncé à son ancienne patrie, ne dût pas se faire naturaliser par la seule raison qu’avant de prendre du service ou tandis qu’il était sous les drapeaux étrangers, il s’est fait naturaliser ! C’est cependant là l’argument ou plutôt la base de tous les arguments de ceux qui veulent confirmer l’élection du général Nypels.

C’est parce qu’il réunit à la fois les faits qui le soumettent à l’application de l’article 18 et de l’article 21, qu’on veut l’affranchir de ce dernier article pour ne lui appliquer que l’article 18.

Je ne sais quelle raison on a fait valoir en faveur du général Nypels. Il n’est point d’absurdité qui n’ait été alléguée en sa faveur. On vous a dit, par exemple, que M. Nypels étant né Maestrichtois en 1790 n’avait jamais été ni Belge ni Pays-Bassien, ni Néerlandais, et que par conséquent on ne pouvait pas lui appliquer l’article 21. Mais, dans ce cas, on ne peut pas lui appliquer non plus l’article 18.

De deux choses l’une. Ou il n’a jamais été Belge comme on le prétend, et dans ce cas il doit obtenir la grande naturalisation, parce qu’il est dans la catégorie de tous les étrangers, ou il était Belge, par le seul fait de son enrôlement en pays étranger, il doit aux termes de l’article 21 obtenir la grande naturalisation pour redevenir citoyen belge et pouvoir siéger dans cette chambre.

Mais, vous a-t-on dit, l’article 18 n’a pas été fait pour des circonstances extraordinaires, pour des bouleversements qui ont morcelé l’empire français.

Lorsque le code Napoléon a été fait, on ne prévoyait pas, j’en conviens, la destruction de l’empire, bien que les hommes prudent prévissent dès lors des catastrophes, car le despotisme, le mépris des libertés publiques entraînent toujours des bouleversements. Quelle conséquence peut-on tirer de l’allégation de vos adversaires ?, C’est que pendant les bouleversements dont on vous a parlé, le code a pu cesser d’être applicable de fait aux morcellements qui se sont opérés, la loi a pu se taire alors. Mais lorsque la tourmente a cessé, lorsque l’empire et ses fractionnements sont rentrés dans l’état normal, la loi civile a repris son empire et le code Napoléon a continué à servir de règle, aussi bien pour la Belgique que pour les provinces rhénanes et autres pays détachés de la France.

Les traités, en fractionnant l’empire français, n’ont pas fractionné le code dans son application. Je défie qui que ce soit au monde de prouver le contraire. Dès lors le général Nypels devait revenir en Belgique s’il voulait conserver sa qualité de citoyen belge, il ne pouvait pas prétexter cause d’ignorance, car le code régissait la Belgique comme le pays au service duquel il était entré. L’état normal renaissait dès que le bouleversement avait cessé. Dira-t-on qu’après le traité, le bouleversement existait encore ? Prétendra-t-on qu’après que l’armée française avait été licenciée, le général Nypels avait continué à servir la France, que ce n’était là que la continuation d’un service légitimement commencé ?

Il a été reconnu, dit-on, que M. Nypels a continué à servir en France, et on vous a lu l’ordonnance de naturalisation. Mais faites attention que ce n’est pas l’ordonnance qui reconnaît ce fait, c’est M. Nypels qui l’invoque dans sa requête ; il dit qu’il a continué à servir en France. Tout le monde peut dire ce que bon lui semble dans une requête, M. le général Nypels pouvait être de bonne foi quand il faisait cette requête, mais ses allégations ne peuvent pas détruire ce fait qu’il y avait eu licenciement de l’armée française tout entière, il y avait donc eu nécessairement interruption de service et par conséquent nécessité de reprendre service, de contracter de nouveaux engagements.

Au reste, la plupart des orateurs ont reconnu avec raison qu’il n’y avait aucune espèce d’argument à tirer de cette circonstance qu’il n’aurait fait que continuer le service qu’il aurait pris sous l’empire, ce n’est là qu’un jeu de mots, et comme on l’a dit une subtilité vraiment puérile.

M. Nypels a d’ailleurs abdiqué formellement son ancienne patrie, il a déclaré qu’il n’en reconnaissait aucune autre que la France, il lui a consacré le reste de ses jours. Il l’a dit formellement en se faisant naturaliser ; cette circonstance suffit pour entraîner l’application de la loi, et à plus forte raison lorsqu’on y joint le fait de l’acceptation de grades militaires.

Messieurs, à tout instant on vient vous parler du pouvoir politique que nous exerçons. A entendre certains orateurs, il suffit d’être membre de cette chambre pour être dispensé de connaître la loi et de s’y conformer.

Certes, messieurs, nous avons un pouvoir politique, je suis loin de le nier. Mais nous avons un pouvoir politique, en ce sens que nous pouvons ratifier ou repousser des traités, que nous exerçons divers droits politiques ; mais dès l’instant que nous rentrons dans les termes ordinaires de nos fonctions, nous sommes législateurs, et comme législateurs, nous avons le droit de faire des lois ; mais aussi notre premier devoir est de respecter les lois existantes ; car si nous voulons que les lois que nous faisons soient respectées, il faut que les premiers nous donnions l’exemple du respect pour les lois.

Je le dis hautement, il n’est pas un jurisconsulte en Belgique qui oserait donner par écrit une consultation tendant à établir que l’article 21 du code civil n’est pas applicable au général Nypels.

Messieurs, on a tiré argument de ce que le gouvernement provisoire avait accordé au général Nypels le grade de colonel. Je ne vous rappellerai pas toutes les conséquences qu’on a tirées et qui toutes sont plus ou moins absurdes. Le gouvernement provisoire a accordé des grades à ceux qu’il croyait capables de rendre des services au pays ; il en a accordé à des étrangers, à des Français, à des Anglais, à des Allemands et même à des Hollandais ; eh bien, s’ensuit-il qu’il a donné par là à ces Français, ces Anglais, Allemands et Hollandais des lettres de grande naturalisation et le droit de siéger dans les chambres ? C’était là un simple acte du pouvoir exécutif n’entraînant aucune conséquence soit sous le rapport de la législation politique, soit sous le rapport de la législation civile.

C’était un bénéfice pour celui à qui on l’accordait, il se trouvait en possession d’un grade qu’il avait le droit de conserver. Enfin c’était un droit civil si vous voulez.

De ce que nous avons accordé ce droit civil au général Nypels, s’en suit-il que nous l’ayons dispensé de remplir les conditions expresses de l'article 21 pour exercer des droits politiques. Assurément, il n’y a aucune conséquence de ce genre à tirer de ce fait.

On invoque le souvenir d’un homme qui, sans intérêt personnel, sans arrière-pensée, a offert sa vie en holocauste, qui a cimenté de son sang les libertés belges, l’honorable et à jamais regrettable Frédéric de Mérode, personne ne l’a pleuré plus sincèrement que moi. Eh bien, s’il se présentait aujourd’hui pour se faire recevoir député sans lettres de grande naturalisation dans les conditions indiquées par M. Félix de Mérode, je dirais qu’il ne peut pas être admis ; mais le lendemain il recevrait par acclamation sa grande naturalisation.

Je dois faire observer qui n'en aurait pas eu besoin, par la raison qu’il n’avait pris aucun engagement envers une puissance étrangère. L’honorable Frédéric de Mérode avait servi volontairement pour une expédition déterminée pour s’opposer au retour de Napoléon. Il n’avait pris aucun engagement vis-à-vis de la France, ni pour un mois, ni pour dix ans, mais pour une simple expédition. Il ne se trouvait donc pas dans le cas de l’article 21.

On a cité d’autres exemples, mais déjà les arguments qu’on avait voulu en tirer ont été réfutés. Avant tout il faut examiner la loi. Les exemples ne prouvent rien, à moins qu’on ne prouve d’abord que ces exemples tombent dans l’application de la loi dont il s’agit ; les exemples ne servent souvent qu’à déplacer la question, c’est ce qui a eu lieu aujourd’hui.

Pour mon compte, j’ai l’intime conviction que le général Nypels se trouve dans le cas de l’article du code civil, et je dis qu’il l’est d’autant plus, qu’il s’est placé volontairement dans les conditions de cet article. Il a fait plus même, il a renoncé formellement à son ancienne patrie en déclarant qu’il ne reconnaissait pas d’autre patrie que la France et en se faisant naturaliser Français. Cette circonstance de la naturalisation loin de soustraire, soumet a fortiori la personne qui en est l’objet à l’application de l’article 21 du code civil.

Je voterai donc contre l’admission de M. le général Nypels.

M. de Behr. - Bien que l’honorable M. Gendebien, l’un des premiers avocats du barreau de Bruxelles, pense qu’il n’y a pas lieu de prononcer l’admission du général Nypels, je ne saurais partager cette opinion. J’aurai l’honneur de soumettre à cet égard quelques considérations à la chambre.

D’abord l’article 21 est fait pour les cas ordinaires : il suppose un Belge, qui quitte sa patrie, et va prendre du service militaire à l’étranger. Voici le cas qu’il suppose. Est-ce là la position du général Nypels ? Je ne le crois pas. Les deux positions ne sont pas identiques. Or je dis qu’il est de principe que quand on veut faire ressortir d’une disposition de loi, une déchéance ou une pénalité, le fait auquel on veut l’appliquer doit être identique avec celui prévu par la loi. Et, je le répète, cette identité n’existe pas dans l’espèce.

L’article. 21 porte : « Le Belge qui, sans autorisation du roi, prendrait du service militaire chez l’étranger, ou s’affilierait à une corporation militaire étrangère, perdra sa qualité de Belge. - Il ne pourra rentrer en Belgique qu’avec la permission du Roi, et recouvrer la qualité de Belge qu’en remplissant les conditions imposées à l’étranger pour devenir citoyen, etc. »

Il faut donc que le Belge ait pris du service militaire sans l’autorisation du roi. Est-ce le cas du général Nypels ? Non car lorsqu’il a pris du service en France, il était Français ; il n’a donc eu besoin pour cela d’aucune autorisation.

Voyons maintenant comment est conçue l’ordonnance du roi de France ; elle porte :

« Le sieur Dominique Hubert Nypels, major du régiment des dragons du Rhône, officier de l’ordre royal de la Légion d’Honneur, né le vingt-cinq septembre 1790, à Maestricht, royaume des Pays-Bas, nous expose qu’il est entré au service de France le 1er mai 1813, qu’il y a toujours servi sans interruption, etc. »

Ainsi M. Nypels avait servi en France sans interruption. Eh bien il est certain que lorsqu’on s’est occupé du code civil il y avait des Français au service de l’Autriche et de la Russie, si le législateur avait voulu étendre la disposition de l’article 21 à ceux qui conservaient du service à l’étranger , il se serait servi de termes propres à exprimer cette idée.

Le code civil a été rédigé avec le plus grand soin. Lorsque le législateur veut exprimer l’idée de prendre et de conserver, il le dit d’une manière expresse. C’est ainsi que nous voyons dans l’article 124 : l’époux commun en biens, s’il opte pour la continuation de la communauté pourra empêcher l’envoi provisoire et l’exercice provisoire de tous les droits subordonnés à la condition du décès de l’absent, et prendre ou conserver par préférence l’administration des biens de l’absent, etc. Vous voyez donc que dans l’intention du législateur, il y a une différence entre prendre et conserver.

Qu’a fait le général Nypels ? Il n’a fait que conserver du service militaire en France. (Réclamations.) C’est ainsi, messieurs, que vous devez l’entendre. Voyez en effet à quelle absurdité vous êtes amenés, si vous voulez étendre la disposition de l’article au général Nypels.

Je suppose que l’on eût traité avec Napoléon car on lui avait proposé de traiter avec lui, moyennant que la France fût rentrée dans ses anciennes limites. Je suppose que Napoléon eût accepté et fût resté sur le trône de France, je suppose en outre que M. Nypels eût continué de servir en France, il est bien certain qu’il n’aurait pas pris, mais qu’il aurait continué un service milliaire. Dans ce cas il était impossible de lui appliquer la disposition de l’article 21. Vous arrivez donc à cette conséquence absurde que suivant la déchéance ou le maintien de Napoléon, M. Nypels aurait été Belge ou ne l’aurait pas été.

Quant à moi, je ne crois pas à l’applicabilité de l’article 21, qui n’est fait que pour les cas ordinaires. Je voterai pour l’admission du général Nypels.

M. Dubus. - Je ne partage aucunement l’opinion de l’honorable préopinant.

La question sur laquelle nous avons à prononcer est une simple question de droit, une question d’applicabilité de la loi. Et nous faisons ici l’office de juges. J’ai besoin de le dire car certains orateurs m’ont paru se tromper sur ce point.

L’on a dit que nous étions comme un jury. C’est là une grande erreur. Le jury prononce sur un fait, déclare qu’il y a lieu ou non à condamnation, et se décide à cet égard d’après les circonstances, d’après une enquête qui se fait sous ses yeux.

Ici, il ne s’agit pas de prononcer sur un fait. Le fait est constant. Il s’agit seulement de savoir si tel article de la loi lui est applicable. Il s’agit d’appliquer le droit au fait. Ce n’est donc que par une aberration qu’on a pu dire que nous faisions l’office d’un jury.

J’admettrai encore moins que l’on fasse de la loi ce que l’on veut suivant les cas. Tant que la loi n’est pas révoquée ou modifiée par une loi postérieure, elle est révocable dans son applicabilité.

La question que nous avons à examiner est celle de savoir si l’article 21 du code civil est applicable au général Nypels. A cet égard, je dois dire encore que je ne partage pas l’opinion de ceux qui ont voulu trouver une lacune dans la loi. La loi a posé un dilemme dont les deux branches comprennent tout. Ou l’individu, qui demande la qualité de citoyen belge, a déjà été Belge, ou il ne l’a jamais été.

Dans ce dernier cas il est étranger, et est soumis aux conditions imposées à l’étranger. Dans le premier cas il cherche à recouvrer la qualité de citoyen belge qu’il a perdue. Alors il y a lieu de rechercher comment il a perdu cette qualité. Car selon les causes qui ont déterminé cette perte, le législateur a établi des formalités différentes à remplir pour que cette qualité lui soit rendue. L’ensemble des dispositions de la loi embrasse donc évidemment tous les cas.

Dans l’espèce, que voyons-nous ? Serait-il vrai que le général Nypels n’a jamais été citoyen belge ? Il est bien certain qu’il devrait alors remplir les formalités imposées à l’étranger pour devenir citoyen belge. Mais j’avoue que je ne comprends pas ce système qui tend à dire que le général Nypels né en 1790, dans une ville qui fait partie de la Belgique n’a jamais été Belge. Reconnaissons plutôt que M. Nypels est Belge de naissance, mais qu’il a perdu sa qualité de Belge ; et il l’a si bien perdue qu’en 1833, il a présenté au gouvernement une requête pour la recouvrer.

Nous devons maintenant rechercher si M. Nypels a rempli toutes les formalités nécessaires pour recouvrer sa qualité de citoyen belge. Ici est toute la question.

Je pense, comme plusieurs orateurs, que M. Nypels a perdu la qualité de Belge en prenant du service militaire à l’étranger. Ici on m’arrête, en me disant que je veux étendre la disposition de l’article 21, et que cet article, comme tous ceux qui contiennent des dispositions pénales est de stricte interprétation. Je réponds que l’article ne contient pas de disposition pénale, mais détermine seulement les conditions à remplir pour recouvrer une qualité perdue.

Si l’article18 n’existait pas, ou si l’article 21 avait été formulé pour tous les cas énoncés dans l’article 18, je dirais qu’il est vrai que l’article 21 contient des dispositions pénales. Au lieu de cela il ne contient que des garanties pour l’Etat à l’égard de celui qui a perdu la qualité de Belge et qui veut la recouvrer, et quant aux pénalités il renvoie au code pénal pour des cas spéciaux qui ne sont pas énoncés dans cet article et qui exigent certaines circonstances de plus.

Vous devez donc appliquer la disposition de l’article 21 avec son esprit, non comme contenant une pénalité, mais une garantie ; et vous devez l’appliquer à tous ceux qui sont dans le cas prévu par le législateur, et ce cas est celui du service militaire pris à l’étranger.

Mais, dit-on, le général Nypels a t-il pris du service militaire à l’étranger ? On répond ... Non, il n’a fait que conserver du service militaire. Moi, je dis non, il n’a pas conservé du service militaire à l’étranger ; car en 1815, il était Français ; ainsi on ne pouvait pas dire qu’il prenait du service militaire à l’étranger. Donc on ne peut pas dire qu’il a conservé, en 1814, du service militaire à l’étranger. Ceci répond à l’argument qu’on a prétendu tirer de ce que l’article 21 ne contient pas les mots : « Le Belge qui prendrait ou conserverait du service militaire à l’étranger, etc. » L’expression conserver ne pourrait jamais s’appliquer au général Nypels. En effet, en 1814, il y a eu un changement radical dans la position de M. Nypels. En 1813, il était au service de son pays. En 1814, il était au service de l’étranger. Quelle conséquence à tirer de là ? Qu’il a pris, en 1814, du service militaire à l’étranger. Il me semble qu’il est impossible de méconnaître la justesse de cette conséquence.

Vainement dirait-on que la position du général Nypels n’a pas changé en 1814, et qu’il était comme auparavant au service de la France, car avant 1814, la France était sa patrie ; en 1814 elle ne l’était plus. De la France qui dès lors s’étendit seulement de Dunkerque à Marseille, il y avait loin à cet empire français qui allait de Hambourg à Rome. Au reste, je n’ai pas besoin d’entrer dans ces considérations. Il suffit de comparer la position de M. Nypels avant 1814, et sa position en 1814 pour reconnaître qu’il a pris en 1814 du service militaire à l’étranger.

Je suis bien aise que cette question sur l’article 21 se soit présentée, parce que, comme un honorable préopinant, je la généralise et j’y vois autre chose que la question de l’admission du général Nypels.

Si vous croyez que les Belges qui sont restés au service de France après 1814, méritent faveur, quand vous ferez la loi des naturalisations, admettez en leur faveur une disposition spéciale. Mais en attendant exécutez à leur égard les dispositions du code civil. Sans cela vous ne pourrez pas non plus les appliquer à tant de Belges qui sont restés au service de la Hollande. Car, remarquez que c’est là ce qui résulterait du vote de l’admission du général Nypels. Ceux-là aussi, peut-on dire, ont conservé le service militaire qu’ils avaient avant notre révolution. Mais je réponds à l’instant qu’ils servent contre leur patrie, tandis qu’en 1830, avant nos journées glorieuses de septembre, ils servaient pour leur pays.

En 1830, ils ont cessé de servir leur pays, et ont pris du service militaire en Hollande. Ce ne sont plus des militaires belges. (Approbation.)

Voilà cependant, messieurs, ceux à qui vous accorderiez implicitement l’indigénat, si vous ne reconnaissiez pas que le général Nypels a perdu la qualité de citoyen belge.

Je ne saurais admettre l’argument que l’on a tiré de l’article 17 du traité de Paris, en prétendant qu’il autorisait le général Nypels à prendre du service militaire en France. Un honorable membre a déjà répondu à cette objection, de manière à la réfuter. Mais pour se pénétrer du vrai sens de la disposition du traité de Paris, il faut savoir que dans certains Etats, notamment en Allemagne, il existe pour les hommes une espèce de système de douanes, comme pour les marchandises, et qu’un habitant de ces pays ne peut en sortir qu’à certaines conditions. En songeant à ceci on comprend parfaitement la disposition de l’article 17 du traité de Paris.

On lève cette sorte de barrières. L’on fait cesser cette douane contre les individus. L’on restitue à chacun de ceux qui sont compris dans les dispositions de cet article le droit d’abandonner leur patrie pour en aller chercher une autre dans le pays où on voudra les admettre.

Il est si vrai que le général Nypels par le fait seul de son séjour en France n’était pas Français, qu’il a demandé et obtenu du roi des lettres de naturalité, qu’on aurait pu lui refuser comme on a pu les lui accorder. Le général Nypels a donc usé du droit qu’il avait d’abandonner sa patrie. Il l’a véritablement abandonnée de la manière prévue par la loi.

Voulût-on entendre l’article 17 du traité de Paris dans un autre sens, je ne vois pas encore comment l’on pourrait expliquer le cas qui nous occupe d’une manière favorable au général Nypels. Quelle autorisation aurait-il reçue par cet article (voir plus haut le texte de l’article 17 du traité de Paris), où trouverait-on dans cet article le moindre mot relatif à l’autorisation de prendre du service à l’étranger ? L’article ne s’en occupe pas du tout. Au moment où il a été écrit, le considérait-on comme habitant naturel de la Belgique ou comme habitant étranger de la France ? L’article lui permet de vendre ses propriétés et de se transporter dans le pays qu’il choisira. Il avait le droit d’abandonner se patrie. Mais en résultait-il pour lui l’autorisation de prendre du service militaire à l’étranger ? Est-il dit qu’il lui sera permis de rentrer dans sa patrie naturelle quand il le voudra ? Il n’en est pas dit un mot. Rien ne le fait soupçonner. Il est impossible de voir dans cet article, quelque sens qu’on veuille lui donner, l’autorisation que l’on cherche.

L’on a dit encore en ce qui concerne la position du général Nypels, que dans la requête qu’il a adressée au gouvernement français, il a dit qu’il était entré au service de la France en 1813, qu’il y était depuis sans interruption, qu’ainsi il avait conservé la même position. S’il avait voulu dire cela, il aurait commis une erreur. J’ai démontré tout à l’heure que sa position en 1813 est contraire à sa position en 1814. Si c’est cela qu’il a voulu dire, il a dit quelque chose que les faits démentent. Il a probablement entendu dire qu’il était toujours resté sous les mêmes drapeaux ; mais cela ne prouve rien dans la question qui nous occupe.

Enfin pour fixer le sens de l’article 21, l’on a dit qu’à l’époque où a été promulgué le code civil, il y avait des Français (des Belges devenus Français) au service de l’Autriche. J’aurais voulu que cet argument eût été développé par son auteur, car, pour ma part, je soutiens qu’il n’y avait plus de Français au service de l’Autriche. Leur sort était fixé par des traités et par des dispositions spéciales. On avait déclaré que ceux qui restaient au service de l’Autriche avaient perdu la qualité de Français ; et l’on avait exigé qu’ils vendissent les biens qu’ils pouvaient avoir en France. On les avait déclarés inhabiles à posséder des propriétés à l’avenir. Ainsi, leur sort avait été fixé antérieurement, et ces dispositions toutes rigoureuses prouvent qu’à l’époque de la promulgation du code civil, on avait prévu le démembrement des Etats. Les cas étaient tous récents et les applications que l’on avait faites du principe avaient présidé à la rédaction de l’article 21 du code civil. Il y a donc dans cet argument une preuve de plus à l’appui de l’interprétation que je donne à l’article 21.

Je m’en réfère du reste à ce qu’ont dit les orateurs qui ont parlé dans mon sens. Je voterai pour l’annulation de l’élection de M. Nypels.

M. F. de Mérode. - J’ai été en qualité de ministre d’Etat taxé en quelque sorte d’hérésie pour avoir dit que nous devions nous décider par d’autres motifs que les juges d’un tribunal ordinaire.

Je n’ai pas nié que nous fussions juges, mais j’ai fait observer que nous étions juges d’une question de droit des gens et non pas juges entre les intérêts de deux particuliers, et je demande si une question qui à l’égard d’un particulier concerne sa nationalité ne dépend pas des circonstances qui ont changé de la circonscriptions territoriales de deux ou trois pays.

Messieurs, je vous prie de ne pas perdre de vue l’arrêté du gouvernement provisoire qui, en rappelant M. de Potter, a appelé tous les Belges qui étaient en France. Pourquoi s’est-il adressé à eux et pas à d’autres ? parce qu’il a compté sur leurs souvenirs nationaux ; et alors, comme il ne s’agissait pas de combattre à coups d’argumentation, avec une haute science de jurisconsulte, mais à coups de fusil, je persiste à être convaincu que le gouvernement provisoire préférait les militaires à tous autres, et qu’il était bien loin de les considérer comme marqués d’une réprobation quelconque pour avoir servi la France plutôt que la Néerlande. Je dois aussi m’élever contre cette tactique qui s’appesantit sur certaines raisons moins décisives données pour soutenir une bonne cause.

J’ai fait valoir de hautes raisons morales et politiques en faveur de la nationalité acquise par le général Nypels, et je n’ai point entendu de réplique satisfaisante à ces raisons non plus qu’a beaucoup d’autres très concluantes, et je vous prie, messieurs, de ne pas l’oublier.

M. Lebeau. - La chambre paraissant désirer la clôture de cette discussion, je renonce à la parole

- La chambre est consultée, par appel nominal, sur la question de savoir si M. le général Nypels sera proclamé ou non représentant.

75 membres prennent part au vote.

35 se prononcent pour.

40 membres répondent non.

En conséquence l’élection de M. le général Nypels par le district de Maestricht est annulé.

Ont répondu oui : MM. Bekaert, de Foere, F. de Mérode, de Muelenaere, Dechamps, de Sécus, de Terbecq, de Theux, Manilius, d’Hoffschmidt, d’Huart, Pirmez, Eloy, Ernst, Hye-Hoys, Jadot, Lebeau, Legrelle, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirson, Polfvliet, Raikem, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Smits, Ullens, Vanderbelen, Verrue-Lafrancq, Wallaert, Zoude.

Ont répondu non : MM. Berger, Bosquet, Dequesne, Coppieters, Corbisier, Dams, Fishbach, Demonceau, de Brouckere, Keppenne, de Jaeger, de Longrée, Stas de Volder, Desmet, Raymaeckers, Vandenbossche, Doignon, Donny, Dubois, Dubus, Heptia, Frison, Gendebien Kervyn, Liedts, Quirini, Schaetzen, Simons, Thienpont, Trentesaux, Troye, Vandenhove, Vanden Wiele, Scheyven, Lejeune, Verdussen, Vergauwen, C. Vilain XIIII, L. Vuylsteke.

- La séance est levée à 4 heures et demie.