(Moniteur belge n°60, du 1er mars 1837)
(Présidence de M. Fallon, vice-président.)
M. Verdussen fait l’appel nominal à midi et quart.
M. de Renesse donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. Verdussen présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« La régence de Santvliet adresse des observations sur le rapport de M. le ministre des travaux publics sur l’endiguement des polders. »
« Des habitants de la commune de Stabrouck, adressent des observations sur la construction de la digue intérieure projetée au polder de Stabrouck. »
- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission chargée du projet d’endiguement dans les polders.
« Le major Bodart, ex-commandant de la 3ème division de gendarmerie à Liége, demande que la chambre réclame de M. le ministre de la guerre les explications qui lui ont été demandées sur sa pétition. »
« La commission administrative des hospices civils de Tirlemont demande l’abolition de la loi du 13 brumaire an VII, sur le timbre. »
- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. Lebeau. - J’ai entendu au nombre des membres absents par congé mon ami Eloy de Burdinne. Il est à la connaissance de la chambre, il est à ma connaissance personnelle que M. Eloy de Burdinne est indisposé, qu’il garde même le lit. Je le quitte à l’instant ; il m’a témoigné les plus vifs regrets de ne pouvoir assister aux travaux de l’assemblée. Il me semble dès lors qu’il ne serait pas juste de mettre mon honorable ami au nombre des membres négligents.
M. le président. - Je ferai observer à la chambre que d’autres membres se trouvent dans la même position que M. Eloy de Burdinne.
M. Milcamps dépose un rapport sur la caisse de retraite. La discussion de ce rapport sera ultérieurement fixée.
M. le président. - Avant de passer à l’ordre du jour, je dois consulter la chambre sur l’exécution qu’elle trouvera à propos de donner à la décision qu’elle a prise vendredi dernier, et qui tendait à avoir une séance du soir.
M. Dubus (aîné). - La section centrale a reçu aujourd’hui seulement les renseignements qui lui manquaient. Elle vient de terminer son travail, et de nommer un rapporteur ; le rapport ne pourra être présenté que dans la séance de demain.
M. le président. - D’après cette explication, s’il n’y a pas d’opposition, il n’y aura pas de séance ce soir.
M. Jullien. - Messieurs on a tant crié contre l’administration de la guerre, on vous a signalé tant d’abus, tant de griefs, que je serais vraiment en peine de savoir par où commencer la discussion de ce budget, si, au milieu de toutes ces clameurs, l’imputation de crimes odieux ne venait réclamer la priorité.
La chambre comprend déjà que je veux parler du service de santé. Car, quoique la plupart des orateurs qui ont été entendus dans la séance d’hier se soient jetés dans la haute politique dans l’intention d’attirer toute la question sur ce terrain, cela ne me détournera pas du but que je m’étais proposé, de traiter quelques questions, questions qui n’ont pas une aussi haute portée, mais qui touchent de beaucoup plus près à l’intérêt des contribuables et à celui du soldat, qui doivent aussi compter pour quelque chose quand il s’agit du budget.
Messieurs, pour qu’on ne se méprenne pas sur mon opinion, à l’occasion des accusations lancées contre le service sanitaire, je commence par déclarer que je n’entends rien préjuger sur la question de culpabilité ; que même il m’est impossible d’avoir une opinion faite à cet égard, et qu’il me répugne de croire à d’aussi coupables excès.
Et cependant, messieurs, il y a une chose certaine, c’est que les accusations sont si formelles, sont si précises, qu’il est impossible d’échapper désormais à ce dilemme. Ou bien ceux qui sont accusés sont des voleurs des deniers de l’Etat, des espèces d’empoisonneurs de nos soldats malades ; ou bien ceux qui les accusent sont des calomniateurs : il n’y a pas moyen de sortir de là car, encore une fois, on ne peut préciser d’une manière plus formelle les accusations dont le service sanitaire a été l’objet.
Aussi la chambre a très bien compris qu’il était de son devoir de demander des renseignements, de faire des investigations sur tous les faits allégués : il n’est pas une section qui n’ait provoqué des explications à cet égard. La section centrale, en suivant tout naturellement les inspirations des sections particulières, n’a pas manqué non plus de faire les mêmes réclamations ; mais qu’est-il arrivé ?
La section centrale savait, et tout le monde sait, que le gouvernement, pour satisfaire à l’opinion, et probablement pour se convaincre lui-même, avait nommé une commission d’enquête, composée d’officiers-généraux qui méritaient sa confiance et qui méritent aussi la nôtre.
Tout le monde sait que cette commission s’est occupée de ce travail, et qu’après de longues investigations elle a fait un rapport. Eh bien, on a demandé ce rapport à M. le ministre de la guerre, et ce rapport a été refusé.
Avant de poursuivre, je désirerais savoir de l’honorable général qui est à la tête du département de la guerre si, parmi les documents qu’il a déclaré hier vouloir communiquer, est compris le rapport de la commission d’enquête. J’avoue que les opinions sont partagées à cet égard : j’ai entendu quelques-uns de mes collègues dire que ce rapport pouvait être communiqué avec les autres pièces ; j’ai entendu d’autres membres qui doutaient si le ministère de la guerre était dans l’intention de satisfaire à cet égard aux vœux de la section centrale.
Je prierai donc M. le ministre de vouloir bien répondre sur ce point, afin que je ne m’aventure pas dans des faits qu’il deviendra peut-être inutile de mentionner et de discuter.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, j’ai déclaré hier à la chambre que j’étais prêt à aborder sur-le-champ, et dans tous les détails, la question concernant les abus reprochés au service sanitaire. J’ai annoncé que je traiterais cette question avec toute la franchise possible ; je répondrai de même à la demande que vient de poser l’honorable M. Jullien.
Messieurs, il n’est pas entré dans mon intention de comprendre le rapport de la commission d’enquête parmi les pièces officielles dont j’ai proposé la communication à la chambre. Ce rapport, à mon avis, n’est pas une pièce officielle. Suivant moi, lorsque, sous mon prédécesseur, cette affaire a été remise sur le tapis, il était simplement question que lui, comme ministre, statuerait entre le dénonciateur et l’accusé. A cet effet, mon prédécesseur a voulu s’entourer de nouvelles lumières ; il a choisi dans l’armée un certain nombre de généraux et d’officiers supérieurs de l’intendance, dont il a formé une commission qui a été chargée d’examiner toutes les pièces qui se rattachaient aux divers faits articulés ; ma conviction est qu’eu égard à la manière dont cette affaire a été traitée, le rapport de la commission d’enquête était destiné au ministre, et au ministre seul.
Messieurs, j’ai fait partie de commissions spéciales, et j’ai toujours été convaincu que dans ces commissions je n’agissais que comme l’homme choisi par le ministre, dans le but de l’éclairer lui seul. Par ces motifs, je ne comprends en aucune façon que quelque chose du rapport dont il s’agit, au ministre, eût pu être divulgué, parce que je pense que tous les membres de la commission ont dû regarder leur mission comme tout à fait confidentielle. Or, je crois que les pièces qui se rattachent aux avis confidentiels, que le ministre demande aux officiers de l’armée, dans quelque grade qu’ils se trouvent, je crois, dis-je, que ces pièces ne sont faites que pour lui ; et, selon moi, si l’opinion contraire prévalait, le ministre ne pourrait plus espérer de recevoir des rapports rédigés avec l’indépendance nécessaire, et dès lors le but de l’institution de pareilles commissions serait complètement manqué.
C’est dans cette conviction que je croirais porter atteinte au bien du service, non seulement en ce moment-ci, mais encore pour l’avenir, si je donnais communication d’un rapport confidentiel.
Mais si le rapport auquel on a fait allusion ne peut être communiqué, je le répète, je suis prêt à déposer toutes les autres pièces relatives à la même affaire : par exemple, toute la correspondance qui se rattache à la question des adjudications qu’on aurait passées plus ou moins irrégulièrement ; ces documents ne se rapportent en effet qu’à l’accomplissement des devoirs du fonctionnaire qui était à la tête du service de santé. Je ne vois pas, je le répète, le moindre inconvénient à livrer ces pièces ; mais quant au rapport de la commission, je le regarde comme confidentiel, quelle que soit même l’opinion des membres qui l’ont rédigé.
Puisque j’ai la parole, je demanderai si la chambre ne trouverait pas convenable que la section centrale, étant maintenant formée en commission, procédât à l’examen des pièces à communiquer. Cette marche pourrait accélérer la discussion. Ce n’est pas que je désire que le travail se termine en section centrale ; je tiens, au contraire, beaucoup à la publicité de cette affaire, je veux même une publicité qui s’étende à tous les détails.
M. Jullien. - Je remercie M. le ministre de la franchise qu’il a mise dans l’explication qu’il vient de donner à la chambre. Mais vous l’avez entendu, messieurs, la pièce principale, celle qui était de nature à jeter le plus grand jour sur l’affaire, celle qui a occupé pendant plusieurs mois une commission à laquelle tous les documents ont été remis ; eh bien, cette pièce, ou nous la refuse, parce qu’on la considère comme confidentielle.
Ainsi, la chambre qui prend dans la poche des contribuables de quoi payer largement les médicaments qui sont nécessaires aux soldats malades, la chambre à qui on demande de nouveaux fonds pour le service, n’aura pas le droit de savoir si les médicaments, par exemple, ainsi qu’on le pose en fait, ont été dénaturés ou falsifiés ; elle ne pourra pas savoir si les médicaments qui étaient destinés à être des remèdes pour nos soldats, nos enfants malades dans les hôpitaux, ont été changés en drogues malfaisantes. Voilà la position dans laquelle on nous place.
Cependant, dans un gouvernement constitutionnel, les chambres ont incontestablement un droit de surveillance sur la machine gouvernementale, sur toutes les grandes administrations de l’Etat. Si le gouvernement dévie de la ligne qu’il doit suivre, c’est aux chambres de l’y rappeler, cela est incontestable. Les chambres n’ont pas le droit de s’immiscer dans l’administration, mais elles doivent savoir comment l’administration marche, comment on emploie les fonds qu’on leur demande de nouveau, surtout quand ceux accordés une première fois pour le même objet n’ont pas reçu leur destination. Voilà quelles sont les prérogatives des chambres. Pourquoi auriez-vous le droit d’enquête sans cela ? Pensez-vous que la constitution vous ait conféré ce droit uniquement pour l’examen des questions d’économie politique ?
Ce droit nous a été principalement conféré pour exercer une surveillance sévère sur les grands abus, sur les grands désordres qui peuvent exister dans un Etat. Cependant on nous refuse la communication d’un document que nous croyons utile pour nous éclairer. Je ne connais qu’une circonstance où ce refus pourrait être raisonnable, et alors je n’insisterais pas pour en triompher ; ce serait dans le cas où le document demandé serait de nature à compromettre le gouvernement, parce que, dans ce cas, c’est un principe consacré qu’on ne peut pas forcer quelqu’un à produire des titres contre lui-même. Par exemple, si un ministre était menacé d’être mis en accusation et qu’on lui demandât la production d’un document qui lui fût contraire, il pourrait dire : Je ne suis pas obligé de vous fournir des documents contre moi. C’est une maxime reçue en droit.
Comme je ne pense pas que ce soit le gouvernement qui puisse être compromis par le rapport de la commission d’enquête, qu’il peut seulement fournir quelques renseignements sur la culpabilité ou la non-culpabilité de quelques individus attachés au service sanitaire, j’avoue que je ne comprends pas qu’on s’obstine à le refuser.
Je n’en dirai pas davantage sur la légalité de notre demande, sur la question de savoir si nous avons ou non le droit d’exiger que le document réclamé soit communiqué ; je trouverai dans ma conscience une solution très facile à cette question. Si je n’ai pas la communication du rapport de la commission d’enquête, si je ne puis pas savoir exactement ce qui en est des plaintes articulées, je ne pourrai consciencieusement voter la somme qui sera demandée pour la pharmacie centrale. Certainement, je n’irai pas voter de nouveaux fonds, dans la certitude où je suis qu’ils serviront encore une fois à acheter de mauvaises drogues, de mauvais médicaments, qui compromettront plutôt la santé des soldats qu’ils ne l’amélioreront. Ce serait une haute imprudence.
Réfléchissez, je vous en prie, à la situation des officiers et des soldats malades sous l’influence des publications qui ont eu lieu concernant les faits reprochés au service de santé. Vous savez, on vous ne savez pas, qu’on retient aux officiers de tout grade 1 1/2 p. c. pour les médecines qu’on leur donne de la pharmacie centrale, et pour la facilité qu’ils ont d’employer les médecins de l’armée. C’est très cher pour un officier général, et même pour un officier supérieur.
Figurez-vous un officier ou un soldat malade, ayant connaissance des reproches scandaleux adressés au service de santé ; quand on est malade, souvent l’esprit est assiégé de terreurs ridicules, de défiances, de craintes ; avec quelle confiance voulez-vous qu’ils acceptent les médicaments qui viendront de la pharmacie du service de santé, quand ils n’auront pas eu satisfaction des accusations qui pèsent sur ce service, quand ils ne sauront pas si c’est une drogue malfaisante ou un médicament salutaire qu’on leur administre.
Dans cette position, je crois qu’il faut de toute nécessité ne rien allouer pour ce service, dans la crainte que je viens de manifester. Si on veut rétablir la confiance, si le service sanitaire veut avoir la prétention d’imposer ses drogues et ses ordonnances, il faut que la confiance soit rétablie entre elle et l’armée. Mais si on persiste dans le système de dénégations, de refus de documents qui doivent plus ou moins compromettre ceux sur lesquels des investigations ont été faites, on doit être persuadé que l’armée verra avec le plus insigne déplaisir, avec la plus grande défiance, la continuation du sacrifice qu’on lui impose pour payer le service sanitaire et le peu de profit qu’elle en retire.
Maintenant appellerai-je l’attention de la chambre et de M. le ministre de la guerre sur des plaintes qui se renouvellent à chaque instant. Vous n’ouvrez pas une feuille publique, de quelque coin que ce soit du royaume, sans y voir signalé des sévices, des mauvais traitements, des blessures infligés par des soldats à des citoyens paisibles. Là ce sont des soldats que l’ivresse a rendus furieux, qui, sur des places publiques se ruent contre des citoyens inoffensifs, et leur font de cruelles blessures. Dans d’autres endroits, ce sont des militaires qui entrent dans des maisons, brisent les meubles, frappent de leurs armes des femmes, des enfants et des vieillards, Et chaque fois que ces faits se renouvellent, vous entendez les plaintes des populations qui demandent à grands cris comment il se fait qu’on laisse se renouveler des abus aussi intolérables.
La fortune et la vie des citoyens sont mises en péril par ceux-là mêmes qui sont payés par eux pour les protéger et les défendre. Un pareil état de choses, je le répète, est intolérable. Si vous saviez, MM. les ministres et MM. les députés qui traitez ces affaires fort légèrement, combien de haines laissent de pareils excès dans l’âme de ceux qui en ont été les victimes, combien ils font naître d’irritation dans les populations qui en sont témoins, je suis persuadé que vous penseriez sérieusement à les empêcher de se reproduire à l’avenir.
Je ne vois pas pourquoi un soldat, quand il n’est pas de service (alors il est citoyen comme tout autre), je ne vois pas pourquoi il a besoin de ses armes pour circuler dans les rues. Jusqu’à ce qu’on m’explique, qu’on me démontre que l’honneur militaire serait compromis si on adoptait une mesure qui mît les citoyens à l’abri des violences des soldats, il m’est impossible de comprendre pourquoi on ne ferait pas justice de ce grief. Il fait l’objet des plaintes de la presque universalité des villes du royaume.
Après ces deux questions qui, comme je le disais tout à l’heure, sont des affaires de ménage intérieur, je viens à la question d’argent. On a beaucoup parlé d’augmenter le budget de crédits supplémentaires de trois millions. Des orateurs ont même pensé que cela n’était pas suffisant ; et toutes les argumentations que j’ai entendues pour justifier ce nouvel appel de fonds, m’ont rappelé ce qui s’est passé quand on nous a arraché les 10 p. c. d’augmentation d’impôt. C’était la même chose : la Hollande faisait des armements, l’armée se montrait dans des dispositions hostiles, des forces considérables se concentraient dans le Brabant septentrional ; le bélier battait déjà nos murailles, nous étions exposés à une restauration imminente.
Et cette chambre qu’on accuse fort légèrement de ne pas prodiguer assez l’argent des contribuables, cette chambre émue à la vue des dangers dont on lui montrait le pays menacé, dans la crainte de faire manquer le service, a accordé les dix pour cent qu’on lui demandait. Qu’est-il arrivé ? Il est arrivé que tout est resté tranquille, que personne n’a bougé ; et bientôt on a été honteux d’arracher aux contribuables de semblables sacrifices : déjà une partie avait été perçue ; on ne l’a pas rendue, parce que le trésor prend toujours et ne rend jamais ; mais on a cessé de percevoir.
Nous voilà maintenant dans la même position ; nous entendons les mêmes phrases, on nous présente les mêmes terreurs et toujours dans le même but.
Je ne partage donc pas les craintes exprimées par certains orateurs qui ont pensé que le ministre de la guerre ne demandait pas encore assez, qu’il fallait encore demander de l’agent pour augmenter le traitement des généraux et des officiers d’état-major, et pour rendre les frais de table aux généraux ; il n’y a qu’à puiser dans les bourses des contribuables pour certains membres de cette chambre.
Je demanderai maintenant la permission à la chambre de répondre quelques mots aux orateurs qui se sont, comme je le disais tout à l’heure, lancés dans les hautes régions de la politique.
Le premier orateur qui siège à ma droite, que vous avez entendu hier, a commencé par vanter les grands succès de la diplomatie. Quoique ces éloges donnés à la diplomatie soient sortis de la bouche d’un de nos plus habiles et de nos plus anciens diplomates, je suis persuadé qu’ils sont tout à fait désintéressés. Cependant je n’attribue pas à cette diplomatie les mêmes succès, les mêmes effets que lui. Je ne veux pas du reste le suivre dans les théories qu’il a habilement tracées de l’art de la guerre, de la défense des places ; je ne pourrais rien vous dire qui fût en rapport direct avec ce que cet honorable membre vous a dit à cet égard.
Je viens aux observations présentées par un honorable député de Tournay. Il a soulevé la question d’intolérance religieuse ; il s’est plaint de ce qu’on ne laissait pas aux soldats la liberté d’exercer leur culte, de ce que ceux qui se livraient à ce pieux exercice étaient poursuivis par les sarcasmes de leurs chefs.
Si ces faits étaient prouvés, l’honorable membre aurait raison de se plaindre ; rien n’est plus injuste que d’attenter à la liberté du culte aussi bien qu’à toute autre liberté garantie par la constitution. Mais je déclare que ce que l’honorable général qui est à la tête du département de la guerre a fait m’a pleinement satisfait ; j’ai vu, par ce qu’il nous a dit, que l’administration de la guerre entendait la tolérance religieuse et la liberté du culte comme elle doit l’entendre et comme ne l’entendent pas probablement ceux qui la réclament.
L’administration de la guerre entend la tolérance des cultes en ce sens qu’on ne peut pas empêcher un militaire de suivre sa religion ; qu’il faut de toute nécessite que le militaire ait, comme tous les autres citoyens, le moyen de faire ses exercices religieux. Il entend aussi la tolérance en ce sens, qu’on ne peut contraindre ni l’officier, ni le soldat, à assister à des cérémonies religieuses quand ils ne le veulent pas : c’est une chose essentiellement facultative que celle de prendre part à des exercices religieux ; et ce serait violer la constitution, porter atteinte à la liberté des cultes que de vouloir qu’on imposât aux militaires l’obligation d’aller à la messe ou au salut, ainsi que quelques personnes semblent le désirer ; mais si cela peut entrer dans la pensée de tel ou tel, moi, j’admets les explications données par le ministre de la guerre : Liberté entière des cultes, et point de violence envers les opinions.
Le troisième orateur qui a été entendu est un honorable militaire qui occupe avec distinction un grade élevé dans l’armée. Il vous a exposé plusieurs théories avec beaucoup de talent. En venant à la question des traités, il a rayé d’un coup de plume et annulé de son autorité privée le traité du 15 novembre 1831. Ce traité, qui doit le jour à soixante et quinze protocoles (on rit), en un trait de plume, le voilà biffé de notre diplomatie. Dans cette position, je vous demande ce que devient notre fameux droit public. Jusqu’à présent, lorsqu’on a discuté la question de nos relations avec l’étranger, on a dit que notre politique était tout entière dans le traité du 15 novembre 1831 ; et moi-même j ai dit que si on faisait disparaître ce traité, nous n’étions plus que des sujets rebelles ; cependant, voilà que le résultat de tant de protocoles disparaît sous la plume de m’honorable orateur.
Cet orateur a voulu ensuite prouver que le traité contenait des impossibilités, et il a cité, pour exemple, la neutralité : on n’est pas neutre quand on veut, a-t-il dit ; il ne suffit pas de vouloir, il faut pouvoir être neutre : cela est vrai. Mais on n’est pas indépendant non plus quand on veut ; il ne suffit pas qu’une petite nation, en se dressant sur la pointe des pieds, s’écrie : « Je suis indépendante »pour qu’elle le soit réellement. Pour qu’un peuple soit indépendant, il faut, selon mon opinion, des conditions de puissance, des conditions qui sont incontestablement le résultat de la population et du territoire.
Ainsi sans y mettre de jactance, en discutant cette question avec dignité, avec fermeté, mais avec la modestie qui convient à notre situation, voyons si, avec notre territoire, nous réunissons les conditions d’indépendance comme les conçoivent les publicistes.
Une population de quatre millions d’âmes, quand elle est jetée dans une plaine, au milieu des nations les plus puissantes et les plus militaires de l’Europe, où trouvera-t-elle des ressources pour défendre son indépendance, surtout quand ses frontières, ouvertes de toutes parts, peuvent être inondées des soldats des nations voisines d’un moment à l’autre ? Nous manquons de moyens naturels de défense et de forteresses ; nous n’avons pas même les francs bords du principal de nos fleuves ; notre indépendance nous ne pouvons donc la maintenir qu’à l’aide des puissants protecteurs qui, jusqu’ici nous l’ont conservée ; le jour où nous cesserions d’avoir cette protection, ou si vous voulez, d’avoir ces alliances avec les puissants voisins intéressés à notre indépendance, ce serait le dernier jour de ce qu’on veut bien appeler l’indépendance de le Belgique.
Un orateur s’est plaint des diatribes qui avaient été prononcées dans une chambre hollandaise contre la Belgique ; il a lu des passages qui sont bien faits sans doute pour exciter notre indignation ; mais à cet égard je dirai que de semblables déblatérations sont le résultat de la liberté qu’on a de parler les uns des autres. Si dans le parlement hollandais il s’est trouvé des hommes qui n’ont gardé aucune mesure envers la Belgique, il se peut trouver aussi dans le parlement belge des orateurs qui n’aient pas gardé de mesure envers la Hollande ; ainsi, nous sommes quittes sous ce rapport, et il n’y a pas lieu d’en déduire aucun motif de concevoir des craintes.
Voila, messieurs les observations qu’il entrait dans mon plan de vous soumettre. J’aurai l’occasion de prendre la parole sur plusieurs articles quand nous en viendrons à leur discussion.
M. Rogier. - Messieurs, je ne suivrai pas l’orateur dans ce qu’il a dit relativement au service de santé de l’armée ; je crois que les observations qui pourront être faites à cet égard trouveront mieux leur place au chapitre qui comprend ce service, soit que la discussion soulevée par la presse, concernant des abus qui se seraient commis dans le service de santé se reproduisent dans cette enceinte, soit que de nouvelles observations soient présentées sur ce chapitre si intéressant pour notre armée.
Bien que l’honorable préopinant ait semblé trouver mauvais que dans une discussion générale on se livrât à des aperçus généraux, je demanderai à mon tour la permission à la chambre de lui soumettre quelques réflexions générales.
En novembre dernier, M. le ministre de la guerre est venu demander à la chambre un crédit de 30 millions trois cent quatre-vingt-dix mille fr., destiné à faire face aux besoins de notre défense militaire. C’était 316,000 fr. de plus que le crédit nécessaire pour l’année dernière. Un examen plus approfondi des besoins de l’armée a engagé le ministre à venir réclamer postérieurement une augmentation de 2 millions neuf cent trente mille fr., soit 3 millions Ce qui porte à quarante et un millions trois cent mille francs le chiffre demandé pour faire face aux besoins de notre défense militaire pendant cet exercice.
Quarante et un millions, c’est, à deux millions près, la moitié de nos ressources annuelles : c’est beaucoup, c’est énorme sans doute ; cependant, je dois le dire, après l’exposé de notre situation militaire présenté par le ministre de la guerre à l’appui de sa demande de crédit supplémentaire, je m’attendais, et la chambre devait s’attendre, à la demande d’un crédit plus élevé. Si en effet, messieurs, comme c’est ma conviction, conviction partagée par beaucoup de membres de la chambre, notre armée est, comparativement à celle de notre ennemi, dans un état d’infériorité tel qu’il doive inspirer des craintes sérieuses, je ne vois pas comment avec deux millions nous pourrons rétablir l’équilibre de manière à rassurer le pays et à garantir ce que j’appelle, moi aussi, notre indépendance. Messieurs je crois que la question est très grave. Puisque l’on s’est expliqué ici avec franchise, puisque l’on n’a pas craint de mettre à nu tous les dangers de la situation, c’est le moment de porter au mal un prompt remède et un efficace remède.
Et, je le répète, il ne me semble pas que la demande de crédit supplémentaire soit en rapport avec les besoins que l’on est venu nous révéler. Du reste, c’est au ministre qu’appartient l’appréciation des besoins de l’armée : à lui la responsabilité des conséquences que pourraient entraîner des allocations suffisantes ; et j’invoque avec d’autant plus de confiance cette responsabilité, que l’honorable général qui est à la tête du département de la guerre n’est pas de ceux, à ce qu’il semble, qui la déclinent.
Quant à nous, messieurs, qui sentons toute l’importance d’une armée forte et puissante par le nombre, par l’organisation, par la position qu’elle doit prendre, par l’esprit qui doit l’animer, par l’instruction qui doit doubler ses forces, nous nous sentons disposés à voter les sommes nécessaires au soutien, à l’amélioration, à la consolidation de ce rempart suprême de notre indépendance.
L’armée nous a coûté beaucoup jusqu’ici, il faut le reconnaître ; elle a absorbé des sommes énormes en cinq années. Nous avons dépensé pour elle pendant ce temps plus de trois cents millions ; mais plus elle a été coûteuse et plus il importe de la maintenir, pour que de si fortes dépenses n’aient pas été faites en pure perte.
Mieux vaut sans doute sacrifier une somme de 45 millions utilement et effectivement dépensée que 40 millions dépensés sans fruit, absorbés sans résultat.
On entend quelquefois de fort honnêtes esprits vous dire : « A quoi bon ce déploiement et ce maintien de force militaire ? La Belgique est libre, heureuse, prospère. Consacrons ces millions à des travaux publics. Diminuons d’autant les impôts. Que nos garanties soient dans les traités. »
A mon avis, c’est parce que la Belgique est libre, heureuse et prospère, qu’il lui importe de se garantir. Qui n’a rien à perdre n’a rien non plus à conserver. C’est parce que la Belgique renferme de grandes richesses, garantit de grands avantages à ses habitants, que ceux-ci doivent faire de grands sacrifices pour se maintenir dans la possession de ces biens, de ces avantages.
Sans doute, si l’armée coûtait 30,000,000 de moins par an, il y aurait lieu de faire de grandes diminutions dans les impôts. Mais songe-t-on aussi aux conséquences qu’entraînerait, pour le pays, le renouvellement d’une défaite ? L’honneur, la fortune publique, le nom belge, s’ils n’y périssaient pas, y souffriraient (il faut le reconnaître) de bien profondes atteintes. Mais, dit-on, les traités nous garantissent ; nous avons, ainsi qu’un préopinant vient de le dire, des amis prêts à les soutenir. Sans eux, point d’indépendance possible, sans leur intervention, point de Belgique.
Je dois constater ici l’espèce de progrès qui semble s’être opéré dans l’esprit du préopinant ; car, si je me le rappelle bien, il a été un de ceux, dans le temps, qui se sont élevés avec le plus de chaleur, avec ce que j’appellerai le plus de patriotisme, contre l’intervention de l’armée française dans le pays. Aujourd’hui, l’honorable préopinant invoque, comme une nécessité indispensable pour l’indépendance du pays, l’intervention des armées étrangères.
Sans doute nous devons avoir confiance dans les traités ; sans doute nous devons compter sur le concours de nos alliés. Mais il ne faut pas avoir dans l’un et l’autre de ces secours une confiance absolue. Une guerre peut rompre les traités ; des embarras intérieurs peuvent retenir nos amis chez eux ; et, en définitive, la Belgique, placée devant la Hollande, doit par elle-même le sentir et montrer assez de forces pour ne pas invoquer de secours étrangers. Cependant, si la Hollande elle-même s’était résignée, si elle s’était conformée aux traités, si elle avait adopté dans toutes ses conséquences la convention du 21 mai, je ne dis pas que la Belgique ne pourrait alors avoir toute confiance dans les traités. Mais il est éclatant pour tous les yeux que le gouvernement hollandais n’en est pas là. Il attend, il recherche, il susciterait au besoin les occasions de troubler un état de choses qui lui pèse et ce n’est pas en présence de ces dispositions, reconnues par tout le monde, qu’il convient à la Belgique de s’endormir dans une fatale sécurité.
Du reste vous avez le choix entre deux systèmes : ou foi absolue aux traités, confiance absolue dans la résignation de la Hollande, dans les efforts de nos amis, de nos alliés ; ou vous comporter comme si les traités pouvaient se rompre, comme si notre ennemi ne se résignait pas, comme si vous pouviez vous trouver réduits à vos propres forces.
Dans le premier cas, je comprendrais que l’on renonçât à tout déploiement de forces militaires ; alors, si vous étiez vaincus, si la fortune publique, si la Belgique avaient à souffrir, l’honneur national serait sauf. Mais dans la deuxième hypothèse, si, tout en ayant une confiance réfléchie dans les traités, vous faites la part des éventualités, si vous avez la prévoyance et la volonté de faire face aux événements, n’hésitez pas ; vous n’avez pas de choix à faire ; ne lésinez pas, ne chicanez pas ; organisez vigoureusement vos moyens de défense ; ayez une armée, et faites-vous une frontière !
Faites-vous une frontière ; car, on vient de vous le dire, on vous l’a dit hier, vous n’en avez pas. Ayez une armée, car vous avez en présence un ennemi jaloux de ressaisir sa conquête, et certainement disposé, s’il ne la gardait pas, à s’indemniser largement de tous les sacrifices qu’il s’impose pour tâcher de la ressaisir.
Quand je parle de la nécessité d’une armée en présence de la Hollande, je n’entends pas dire que, en dehors de l’hypothèse d’une guerre avec ce pays, l’armée serait chose inutile. Je vais plus loin : je crois que pour longtemps encore une armée fortement organisée est un des premiers besoins, une des premières nécessités du pays.
Ce n’est pas à un pays qui s’est émancipé par les armes à déposer le premier les armes. Aussi longtemps que la paix ne sera pas assise sur des bases inébranlables, jamais l’attachement que je porte au pays ne me donnera le conseil de l’engager à désarmer, à désorganiser l’armée où se trouve la première garantie de notre indépendance.
Mais si l’état de choses actuel devait se prolonger, si nous étions forcés de maintenir longtemps l’arme sur le pied respectable où j’espère qu’elle sera placée, alors peut-être se présenteraient ces questions si importantes à débattre, qui ne sont pas encore résolues, mais qui seront, je l’espère, un jour l’objet d’un examen sérieux. Quel serait le moyen d’utiliser l’armée dans l’intérêt du pays, alors que ses services ne pourraient lui profiter militairement : question grave, sur laquelle je ne me suis pas fait une opinion définitive, mais qui mérite toute notre attention, et qui viendra sans doute un jour se débattre dans cette enceinte.
Quand je parle de la nécessité d’une armée fortement organisée pour le pays, ce n’est pas pour reprocher aux chambres législatives les entraves qu’elles auraient apportées à cette organisation ; car il faut leur rendre cette justice qui ne leur a pas toujours été rendue, que jamais, quand une demande de crédit pour le département de la guerre a été présentée et soutenue convenablement, jamais, dis-je, les chambres ne se sont refusées à l’accorder. C’est une justice que je me plais à leur rendre avec un honorable préopinant, dont je suis loin d’ailleurs de partager les exagérations.
Où les chambres ont failli, c’est moins dans la manière de traiter l’ensemble que dans les détails. Des discours imprudents, décourageants, désorganisateurs, sans doute contre la volonté de leurs auteurs, ont pu être prononcés. Mais la chambre a donné constamment par son vote un démenti à ces discours. Ce qu’on pourrait nous reprocher, ce serait de nous être trop appesantis sur des circonstances minutieuses ou sur des questions de personnes.
Un jour, par exemple, la chambre au moment où elle allait voter un budget de 75 millions pour l’armée, s’est prise à refuser quelques mille francs de frais de fourrage au ministre de la guerre. Ainsi un ministre auquel à cette époque beaucoup de membres rendaient un éclatant hommage, un ministre qui, en 1831, a mérité la reconnaissance du pays par les efforts qu’il a fait pour réorganiser l’armée sur de bonnes bases, a été l’objet de ce que je puis appeler une lésinerie de la chambre, qui a certainement produit un fâcheux effet sur l’esprit de cet honorable ministre et lui a causé un grand découragement. J’en ai été témoin, et je me suis souvent rappelé cette circonstance.
Une autre fois, c’est contre telle nomination, contre telle mise en disponibilité qu’on soulève la chambre ; ce soit des questions de personnes qui occupent les débats, sauf à la chambre à voter le budget à peu près tel qu’il a été présenté par le ministre.
Enfin un des refus assez malencontreux que nous ayons fait subir au budget de la guerre, c’est celui des frais de représentation alloués à certains chefs militaires. Dans un budget de 40 à 50 millions qu’est-ce donc qu’une somme de 40 à 50 mille francs à distribuer par année en frais de représentation ? C’est une allocation d’une utilité indispensable. Ces frais de représentation s’accordent partout, je ne vois pas pourquoi la Belgique ne les accorderait pas également.
Fera-t-on l’objection que quelques-uns de MM. les officiers recevaient des frais de représentation et ne représentaient pas ? Mais est-ce que la conduite peu délicate de quelques-uns doit avoir des conséquences fâcheuses pour les autres ? Est-ce que le ministre ne peut pas se faire rendre compte de ces frais de représentation, et retirer impitoyablement ces indemnités à ceux qui n’en feraient pas un noble usage ?
Les rapports fréquents des chefs avec leurs subordonnés sont d’une grande utilité ; il est très important que les chefs puissent connaître particulièrement le moral, le degré d’intelligence des officiers qu’ils commandent : ce n’est pas dans une revue, lorsque l’immobilité et le silence sont recommandés, que l’esprit d’un officier peut s’ouvrir devant son chef ; c’est dans les communications intimes, dans les relations amicales que celui-ci peut surtout les connaître : or, messieurs, cela est de la plus grande utilité non pas précisément en temps de paix, mais surtout pendant la guerre : un officier qui est bien connu de son chef sera toujours employé à propos : il est telle position qui exige un caractère résolu, inébranlable, réfléchi, tandis que telle autre demande de l’entraînement, de l’audace : il est donc indispensable que les chefs aient une connaissance parfaite du caractère de leurs subordonnés, et cette connaissance ne peut s’acquérir que dans des relations plus ou moins familières ; les frais de représentation qui facilitent de semblables relations ne sont donc pas une dépense inutile et sans résultat.
J’entends dire quelquefois : « Mais tel officier-général est fort à l’aise, il gagne beaucoup d’argent ; et vite il faut se dépêcher de lui rogner les ailes, de lui couper les vivres. » Il est certains esprits dans lesquels la position des officiers supérieurs de l’armée excite, je ne dirai pas une sorte d’envie, mais une sorte de mécontentement ; qui trouvent mauvais que certains chefs paraissent vivre confortablement. Moi, messieurs, je dis que si tel chef vit d’une manière honorable, s’il est satisfait de sa position, il ne faut pas changer cette position mais l’y maintenir, car s’il est content, il servira son pays avec zèle et fidélité ; il communiquera à tous ses subordonnés l’esprit qui l’anime : il est de la plus haute importance de maintenir dans les chefs ce bon esprit, qui de proche en proche se communique jusqu’au dernier soldat ; si le chef est content, dévoué, fidèle, les mêmes sentiments finissent par pénétrer tous ceux qui sont placés sous ses ordres jusque dans les rangs les plus inférieurs. Si à la tête du corps se trouve un homme énergique. audacieux, soyez sûrs, messieurs, que tout le corps s’en ressentira ; si au contraire le corps est commandé par un homme rempli de mollesse, d’insouciance, ces malheureux défauts finiront aussi par gagner, de proche en proche, tout le corps. Il importe donc, messieurs, que la position des chefs de l’armée ne soit pas un objet de découragement, soit pour ceux qui occupent un poste, soit pour ceux qui espèrent y parvenir.
Quant à moi, je ferai toujours des efforts pour qu’on maintienne ou qu’on crée dans l’armée de bonnes positions ; qu’on agrandisse la carrière militaire ; qu’on ouvre des perspectives au mérite, à la loyauté, à l’ambition raisonnable : non pas, messieurs, que je veuille qu’on satisfasse toutes les prétentions, car il en est de ridiculement exagérées auxquelles on doit savoir résister ; mais il faut aussi pousser en avant les hommes de cœur, d’énergie, de bonne résolution.
Militairement parlant, messieurs, les officiers n’ont pas en général à se plaindre ; s’ils jettent les yeux en arrière ou autour d’eux, ils doivent reconnaître qu’à aucune époque ni dans aucun pays il n’y a d’exemple d’un avancement aussi rapide que celui qui a eu lieu dans l’armée belge à la suite de la révolution ; combien n’y a-t-il pas, en effet, d’officiers aujourd’hui haut placés, qui auraient croupi dans des rangs inférieurs, si le gouvernement hollandais avait continué de peser sur le pays ! Sans parler de ceux qui ont franchi trois ou quatre grades, je ne sais pas si l’on pourrait citer deux officiers de l’armée dont le grade remonte à 1829 ; j’ai parcouru l’annuaire militaire, et je n’en ai trouvé qu’un seul qui fût dans ce cas.
Depuis 1830 même, les positions qui avaient été acquises d’une manière si prompte ont pour la plupart encore été améliorées ; d’après l’annuaire encore, sur 17 colonels, un seul appartient à 1830 ; sur 11 lieutenants-colonels, 3 ; sur 80 majors, 30 ; sur 425 capitaines, 90 ; sur 418 lieutenants, 5 ; sur 643 sous-lieutenants, cinq aussi n’ont pas changé de position depuis 1830. Tous les autres ont obtenu de l’avancement. Il en est à peu près de même pour la cavalerie, l’artillerie et le génie : dans ces armes il est très peu d’officiers qui sont restés ce qu’ils étaient est 1830.
La même chose n’a pas eu lieu en Hollande, et ce pays paie un peu aujourd’hui ce qu’il nous a coûté avant la révolution ; là l’avancement n’a pas été à beaucoup près aussi rapide ; le plus grand nombre d’officiers sont encore ce qu’ils étaient en 1830 ; en Hollande, beaucoup de grades datent non pas de 1828, de 1824, mais de 1818, de 1816, de 1815 ; un assez grand nombre d’officiers hollandais qui occupaient en 1815 le grade de capitaine sont encore aujourd’hui ce qu’ils étaient alors.
On comptait dans l’armée des deux pays réunis 2,377 officiers hollandais et 417 officiers belges, c’est-à-dire qu’il y avait à peu près huit fois autant d’officiers étrangers que d’officiers belges ; aujourd’hui, messieurs, il y a dans l’armée près de trois mille officiers, et l’on en compte à peine cent qui soient étrangers.
Si je rappelle ces circonstances, ce n’est nullement, messieurs, pour détourner M. le ministre de l’intention où il paraît être de faire de nouvelles nominations, s’ils les juge nécessaires ; mais c’est pour répondre, en passant, à certaines impatiences trop pressées peut-être et à certaines attaques qui manquent tout à fait de base. Il est juste aussi d’ajouter ici que s’il y a eu beaucoup d’avancements rapides, il est aussi beaucoup d’officiers qui ont su se mettre à la hauteur de leur position ; c’est un objet d’étonnement pour l’étranger comme un objet de satisfaction pour la Belgique de voir que les armes spéciales, la cavalerie et l’artillerie, sont arrivées à un état de perfection tel qu’elles pourraient lutter avec succès contre les mêmes corps de beaucoup d’armes qui n’ont pas, comme la nôtre, seulement six années d’existence. Toutefois, messieurs, sous le rapport de l’instruction de l’armée, je crois que tout n’a pas été fait et qu’il reste beaucoup à faire ; l’état militaire n’est pas un métier ordinaire, c’est un art difficile qui exige de la science, des travaux sérieux, des études profondes ; le courage et la force sont une puissance, mais une puissance incomplète lorsque le courage n’est pas éclairé et que la force n’est pas intelligente. Il faut relever, encourager, ennoblir par l’instruction le métier des armes ; une armée disciplinée et instruite donnera toujours à un pays, quel que soit son peu d’étendue, un grand relief, un grand ascendant. Les efforts constants du gouvernement doivent donc se tourner vers l’instruction et l’éducation de l’armée ; c’est pourquoi je voterai avec grand plaisir d’abord le crédit pour l’école militaire, qui s’élève à 120,000 f r., et cela pour 60 élèves, c’est-à-dire 2,000 fr. par élève, ce qui est beaucoup ; mais j’espère que l’instruction sera en rapport avec la dépense.
Je ne sais, messieurs, où en sont les écoles régimentaires : comme il n’est pas demandé au budget de crédit pour cet objet, la chambre n’en connaît rien. Il serait cependant bien intéressant d’avoir quelques données sur cette partie de l’instruction militaire. Il est d’autres moyens d’instruction qui pourraient, me semble-t-il, être mis à la disposition de l’armée. Quand les officiers sortent de l’école, leur instruction n’est pas complète, et ceux qui n’ont pas été élèves ont aussi une instruction à perfectionner : il est cependant très rare qu’ils puissent rencontrer dans l’armée l’occasion de s’instruire. Je me permettrai ici de faire quelques observations puisées en partie dans mes relations avec plusieurs officiers de mes amis. Hors du temps de service les officiers, il faut le dire, sont pour la plupart assez désœuvrés ; ils trouvent peu de distraction hors des cafés et des estaminets : de là les conversations oiseuses, l’excitation au mécontentement, la médisance ; de là il résulte encore que souvent les régiments sont transformés en une sorte de petites villes où règne le commérage (permettez-moi l’expression), et d’où naît encore l’insubordination, comme le fait observer mon honorable voisin de gauche.
Je voudrais, messieurs, qu’on pût procurer aux officiers l’occasion de se livrer à des occupations sérieuses, à des occupations intellectuelles. Autrefois, je crois, il était attaché à chaque régiment une bibliothèque ; je ne sais pas si cela a été maintenu, mais il me semble qu’à ces bibliothèques qui n’étaient jamais à la disposition de tout le régiment, on pourrait substituer des bibliothèques provinciales qu’on établirait, par exemple, chez le commandant militaire de la province.
Là, les officiers, dans leurs moments de loisir, pourraient aller consulter les ouvrages que leur position ne leur permet pas de se procurer, parce que le prix en est trop élevé.
Les lieutenants et les sous-lieutenants n’ont pas un traitement suffisant pour qu’ils puissent, sans quelque gêne, se permettre le feu et la lumière pendant les longues soirées ; ils sont dès lors forcés d’aller chercher à se chauffer et à s’éclairer ailleurs, et c’est ordinairement le café ou l’estaminet qui devient leur refuge.
La bibliothèque dont je parle pourrait être ouverte le soir : et là messieurs les officiers trouveraient les distractions utiles qu’ils ne rencontrent pas autre part.
Je ne sais pas jusqu’à quel point serait praticable une autre idée que je mue permets de mettre en avant.
Il me semble que le ministre de la guerre, qui doit toujours avoir à cœur l’instruction de l’armée, pourrait exciter son émulation, la stimuler au travail, en envoyant de temps à autre dans les corps des questions d’art militaire à résoudre. Je ne dis pas que tous les officiers s’empresseraient de traiter ces questions ; mais plusieurs au moins s’en occuperaient, beaucoup en parleraient ; ce serait dès lors un élément de conversation, un stimulant pour un grand nombre de nos jeunes officiers. Et ne sortît-il de cette tentative qu’une seule idée par an, je dis qu’il serait convenable de tenter l’essai.
Ceux qui travailleraient pourraient recevoir des récompenses ; ce serait pour le ministre une occasion d’accorder de l’avancement, des indemnités, et, au besoin, des décorations, car les occasions de gagner des décorations ne sont pas fréquentes, en temps de paix, pour un officier. Mais une décoration gagnée dans une lutte scientifique serait certainement aussi honorablement portée, aussi respectée qu’une décoration gagnée sur le champ de bataille.
Qu’on ne dise pas qu’on ridiculiserait de pareils efforts. Je soutiens que nulle part la science n’est plus considérée que dans l’armée ; l’on peut s’en apercevoir au respect que dans tous les pays on porte aux officiers du génie et de l’artillerie, parce qu’on suppose que dans ces corps il y a plus d’instruction, de science de lumières. Dans notre pays, messieurs, si un général a été considéré, a été regretté par nous, c’est surtout un général connu par ses grandes lumières et par sa science militaire.
Je pourrais citer un autre exemple. Un officier français avait de la réputation, non seulement dans son régiment, mais même dans l’armée, parce qu’il passait pour un homme instruit et savant. La preuve que notre armée comprend l’importance de la science, c’est que lorsque cet officier est parti, son régiment lui a donné un gage de souvenir, professant ainsi à la fois et de son respect peut la science et de sa sympathie pour des frères qu’ailleurs on traitait d’une manière si inconvenante et si peu méritée.
Une plainte que j’ai entendu faire par quelques chefs de corps, c’est l’obligation qu’on leur impose de se mêler beaucoup trop de détails minutieux. On fait de nous, disent-ils, des hommes de bureau, on ne songe pas assez à faire de nous des hommes de guerre. Il paraît que dans certains régiments, les écritures et les détails de la comptabilité sont tels que plusieurs chefs y consacrent la plus grande partie de la journée sans pouvoir consacrer leurs moments à l’instruction, à la surveillance de leurs corps.
On me dit qu’en France ces détails de ménage sont confiés au lieutenant-colonel, de manière que le colonel peut se livrer exclusivement à l’instruction de son régiment et à la sienne propre. Je ne sais jusqu’à quel point cette marche est suivie en France ; je ne sais pas non plus jusqu’à quel point sont fondées les plaintes que l’on entend chez nous ; mais ce qui est certain, c’est que ces plaintes ont été plusieurs fois exprimées.
Voilà, messieurs, pour l’instruction de l’armée. Quant à son éducation, la Belgique est heureusement, depuis quelques années, en possession de camps, où notre armée est annuellement réunie. C’est là une excellente école où les officiers et les soldats sont livrés à des occupations sérieuses et suivies, où règnent l’union et la fraternité.
Aussi, messieurs, j’espère que toutes les allocations concernant les camps seront envisagées comme elles doivent l’être, et qu’elles seront votées avec empressement pur la chambre.
Le camp est une image de la guerre. Comme nous n’avons pas la guerre, il faut, autant que possible, que nos soldats et nos officiers se forment et s’aguerrissent dans les camps.
J’ai dit, messieurs, que nous n’avons pas la guerre ; voici, à cette occasion, une autre idée que je me permets de vous soumettre.
D’autres pays alliés sont en guerre : je ne sais jusqu’à quel point il y aurait des inconvénients à envoyer quelques-uns de nos officiers, des officiers d’espérance, combattre dans les armées qui font la guerre. Je suis persuadé qu’il s’en présenterait un grand nombre, et qu’ils considéreraient comme une faveur, comme une récompense, d’être admis à se réunir des troupes amies qui combattent ailleurs…
Une voix. - Il ne serait pas bon de les envoyer en grand nombre.
M. Rogier. - Je ne demande pas qu’ils soient envoyés en grand nombre ; on pourrait se borner à en envoyer quelques-uns qui se formeraient ainsi activement, pratiquement, au métier des armes, et y gagneraient beaucoup d’expérience et beaucoup d’aplomb.
A propos de l’organisation de l’armée, il m’est impossible de passer sous silence une mesure à laquelle je pense que la chambre ne peut qu’applaudir, et qui doit certainement faire honneur à son auteur, quel qu’il soit : je veux parler de l’établissement d’une armée de réserve, mesure qui remonte à l’année 1835, et qui, en quelque sorte, a passé comme inaperçue dans cette chambre et dans le pays ; idée très heureuse, mais qui, il faut le dire, est devenue stérile, et a grand besoin d’être fécondée.
Notre armée entière comprend 15 régiments d’infanterie, dont 12 régiments de ligne et 3 de chasseurs. L’institution de l’armée de réserve a ajouté à cette force effective une augmentation de 9 régiments provinciaux, composés de 4 ou de 2 bataillons, suivant la population des provinces ; ces neuf régiments présentent un effectif de 23,000 hommes, et quels hommes ? Les plus anciens, les plus forts et les plus exercés de notre armée.
La durée du service pour les miliciens en temps de paix est de 5 ans ; en temps de guerre cette durée est illimitée. Renvoyer les miliciens, après 5 ans, en congé illimité, ce serait une haute imprudence que le gouvernement n’a pas commise ; mais, d’un autre côté, les retenir sous les armes après les 5 ans serait une mesure rigoureuse à laquelle le gouvernement n’a pas plus songé. Qu’a fait le ministre ? Il a ouvert aux miliciens, après leurs 5 années de service effectif, il leur a ouvert de nouveaux cadres annexés à l’armée à laquelle ils continuent d’appartenir, mais en se trouvant cependant dans une position beaucoup moins assujettissante que lorsqu’ils appartenaient à l’armée active. Ainsi les miliciens qui entrent dans la réserve ont la faculté de remplacer, de contracter mariage ; ils restent rapprochés de leurs foyers ; chaque régiment se trouve composé des miliciens de la même province, un canton forme une compagnie ; un arrondissement, un bataillon ; les effets les armes sont déposés au chef-lieu de la province, de manière qu’en très peu de temps ces corps peuvent facilement être réunis au chef-lieu.
Voilà l’idée telle que je la conçois, et telle qu’on se propose, je présume de l’exécuter. Car jusqu’ici elle n’a guère existe en réalité.
Les cadre, sont incomplets ou manquent entièrement. Beaucoup d’officiers qui sont détachés de l’armée active devraient, en cas de nécessité, aller rejoindre leurs régiments, en abandonnant l’armée de réserve.
On comprendrait mal ensuite l’esprit de l’institution, si l’on considérait les cadres de l’armée de réserve comme le refuge des officiers dont on voudrait débarrasser l’armée. Dans mon opinion, l’armée de réserve doit être considérée comme une force respectable, honorable ; et je crois que la perspective devrait être offerte, non pas aux mauvais officiers, mais aux bons officiers, d’aller se reposer des fatigues de l’armée active dans les cadres de l’armée de réserve.
Ensuite, pour que cette idée reçoive son application et ses développements, il faut que le dernier article de l’arrêté qui a créé l’armée de réserve soit exécuté. Cet article a pour but de prescrire des réunions armées de la réserve, au moins une fois par an. Jusqu’ici ces réunions n’ont pas eu lieu ; mais j’ai vu avec plaisir que M. le ministre de la guerre a proposé une majoration de crédit, à l’effet de réunir pendant 20 jours, au lieu de 10, l’armée de réserve dans le courant de cette année.
Je ne parlerai pas de la légalité de cette mesure. Sous ce rapport, l’établissement d’une armée de réserve telle qu’elle existe aujourd’hui, en temps de guerre, est inattaquable. Quand nous aurons la paix, ou tout au moins une plus longue expérience, nous aurons le temps de régler cet objet par la loi.
Je ne crois pas que l’appel sous les armes de l’armée de réserve entraîne de fortes dépenses pour le pays. Si ces dépenses devaient s’élever à un chiffre trop haut, rien n’empêcherait qu’en appelant l’armée de réserve sous les armes, on envoyât en congé limité autant de miliciens de l’armée active, de manière que la solde destinée aux miliciens de l’armée active servirait à solder l’armée de réserve. Je ne pense pas néanmoins qu’il soit avantageux pour l’armée d’envoyer trop facilement les miliciens en congé. Entre autres inconvénients, on signale celui-ci : Les sous-officiers manquent ; beaucoup de miliciens ne veulent pas accepter le grade de sous-officier, parce qu’une fois nommés sous-officiers, ils n’ont plus la perspective d’obtenir un congé.
De plus, on se plaint généralement qu’à la fin de leur terme de service, beaucoup de sous-officiers réclament leur congé définitif, et que les meilleurs même donnent leur démission. Ils donnent pour raison qu’ils n’ont pas d’avenir. « Que faire, disent-ils, quand nous serons vieux ? Nous trouvons des avantages dans la carrière industrielle, nous préférons les emplois civils. » ? Y a-t-il quelque moyen de retenir les meilleurs sous-officiers dans les rangs de l’armée ? Il faudrait l’adopter non seulement pour les sous-officiers ; mais aussi pour les vieux soldats.
Une société anonyme, je demande pardon de rencontrer ici une société anonyme, vient de se former pour l’encouragement du service militaire.
Elle offre 500 francs pour les soldats, 600 francs pour les caporaux, et 700 francs pour les sergents qui consentent à se réengager, et elle libère, à l’aide de ces réengagements, moyennant un versement de mille à 1,400,fr. les miliciens désignés par le sort qui ne se sentent pas de dispositions pour le service militaire. C’est une entreprise en grand pour la fourniture des remplaçants ; commerce qui s’est fait jusqu’ici par des agents particuliers. Il y a sans doute là des avantages pour le milicien qui rencontre aujourd’hui des difficultés de plus d’un genre pour trouver et faire accepter son remplaçant, et qui doit en répondre pendant 18 mois, et même cinq ans, si au bout des 18 mois il ne dépose pas 150 florins dans la caisse du régiment.
Il arrive souvent que le remplacé, après avoir payé un remplaçant, est obligé de servir lui-même. De là de grandes inquiétudes, de lourdes charges pour le remplacé. La société le tire de tout embarras et le décharge de toute responsabilité moyennant la somme de mille à quatorze cents francs. Le gouvernement donne à cette société toute facilité pour obtenir les soldats qui offrent le plus de garantie.
La prime de réengagement accordée par l’Etat n’est que de 40 francs ; celle offerte par la société, étant de mille à quatorze cents francs, aura toujours la préférence sur l’Etat. Je demanderai à cette occasion pourquoi l’Etat ne ferait pas, par lui-même, ce que fait cette société. Je ferai remarquer que ce n’est pas une proposition, mais une simple observation que je fais ici. Qui empêcherait le gouvernement de laisser à la famille qui verserait la somme de mille francs, par exemple, dans la caisse du régiment, le fils désigné par le sort pour faire partie de la milice ? Il y aurait pour elle économie et sécurité complète.
D’un autre côté, les soldats, caporaux ou sous-officiers qui voudraient se réengager, seraient plus contents de se donner à l’Etat que de se vendre à une société, fût-elle anonyme. Une prime de réengagement portée à 6 ou 800 fr. serait d’un grand secours pour le milicien quand il quitterait le service, et il pourrait, en se réengageant, conserver son grade et sa position. Il n’y aurait là rien d’humiliant, pour lui, ce serait au contraire la récompense d’une bonne conduite et de la capacité. Rien n’empêcherait que les chefs de corps, continuant à soigner en bons pères de famille les intérêts de leurs subordonnés, ne fissent verser dans une caisse d’épargne tout ou partie de la prime, ce qui à la fin de sa carrière donnerait au milicien un petit capital, et pourrait faire même une somme assez forte, si le milicien se réengageait deux fois : et ceci n’est pas impossible ; car, après ses cinq premières années de service, il est encore très capable de servir 10 ans, de remplacer deux fois et d’obtenir ainsi à la sortie du service un capital précieux qui assurerait son avenir, tandis qu’à présent beaucoup de soldats et de sous-officiers ne savent que devenir en quittant le service, parce qu’ils n’ont aucune espèce de réserve, de capital accumulé.
Je suis fâché d’occuper si longtemps la chambre, mais ce que j’avais à dire m’a conduit beaucoup plus loin que je ne pensais. Si j’avais pu le prévoir, j’aurais restreint l’étendue de mes développements.
Je dois encore dire un mot pourtant de cette société anonyme qui, en récompense de l’intervention de l’Etat dans ses opérations, promet à notre armée un hôtel des invalides. Je ne crois pas que jamais cette promesse s’accomplisse, je la considère comme purement illusoire. Mais dût-elle se réaliser, je n’accepterais pas l’offre si j’étais gouvernement. Un hôtel des invalides doit être l’ouvrage de l’Etat ; ce n’est pas l’Etat, qui appelle les citoyens sous les armes et les fait mutiler à son service, qui doit laisser à d’autres le soin de les abriter quand ils ont perdu une partie de leurs membres ou sont devenus aveugles ou infirmes en le servant.
Je finirai par ces dernières observations. J’ai dit qu’il fallait à la Belgique une armée et une frontière. La frontière lui manque. Qu’a-t-on fait depuis six ans pour lui en donner une ? Absolument rien. Il est temps, messieurs, qu’on s’occupe sérieusement, activement des moyens de constituer une frontière militaire à la Belgique. En 1835, un projet de loi, annonce à la chambre par le discours du trône, a été présenté par le ministre de la guerre à l’effet de faire construire une forteresse dans la Campine. Le rapport a suivi de près la présentation du projet, et jusqu’ici la chambre l’a laissé sans y donner suite. Je demanderai si on a renoncé à exécuter ce projet que commande impérieusement à la Belgique le soin de sa propre défense. J’insisterai d’autant plus pour obtenir une solution sur ce point, qu’on subordonne beaucoup de travaux publics à l’exécution de ces travaux de défense.
J’ajouterai qu’à ce projet de fortifications se joignait un projet de canalisation pour lequel le ministre de l’intérieur a réclamé un crédit de 600 mille francs. Malheureusement ce projet de canalisation a subi le même sort que le projet de fortifications.
Une route devait aussi être faite au travers de la Campine vers le point à fortifier. Son exécution se trouve suspendue parce que le gouvernement ne veut rien décider à cet, égard avant que des constructions militaires n’aient couvert notre frontière.
Après ce que j’ai dit sur la nécessité de fortifier cette frontière, vous comprendrez que je ne viens pas ici préoccupé d’un intérêt de localité.
Si je croyais que le salut du pays fût tellement engagé dans, la question qu’on ne pût pas remuer une pelle de terre sans le compromettre, quelle que soit l’urgence qu’il y ait d’ouvrir des communications à cette partie de la province d’Anvers, pour l’arracher à la stérilité à laquelle elle est condamnée, je n’insisterais pas ; car, je le répète, ce n’est pas un esprit étroit de localité qui me dirige, je serai toujours le premier à engager le gouvernement à résister à toute démarche de ce genre.
Je crois que c’est en grande partie pour avoir trop obéi à de telles exigences que notre armée se trouve dans cet état de dislocation qu’on a signalé dans cette enceinte. Il faut savoir résister aux localités et aux individus. Ce sont des ménagements auxquels, à mon avis, on a trop cédé jusqu’ici.
Mais, pour savoir résister, il faut une qualité précieuse et un peu rare qualité qui (il faut le reconnaître) a souvent manqué à quelques-uns des hommes d’Etat attachés au département de la guerre, mais qui, j’aime à l’espérer, se trouvera dans l’honorable général appelé à diriger cette partie de l’administration, avec les autres qualités qui le recommandent à la confiance de l’armée. La position de ce général est belle : qu’il l’accepte franchement ; qu’il marche hardiment dans la voie des réformes et des améliorations. Un grand travail l’attend. Mais nous savons qu’il ne le craint pas. De grands, de pénibles efforts peuvent être nécessaires ; mais nous avons la confiance que la représentation nationale les secondera, mais d’immenses services peuvent être rendus, mais il y a un noble but à atteindre, une belle gloire à conquérir. Je promets pour ma faible part tout appui à M. le ministre de la guerre, et je voterai pour son budget.
M. Jullien. - L’honorable préopinant, en faisant allusion à mes paroles, vient de dire que dans le temps je blâmais fortement l’intervention des armées étrangères et que maintenant je demande cette intervention. Ni l’une ni l’autre de ces assertions ne sont exactes. Le préopinant est dans l’erreur. Ce n’est pas moi qui puis avoir blâmé l’intervention de l’armée française en 1831, lorsque je suis convaincu comme de mon existence que si au bruit de nos désastres l’armée française n’avait pas franchi la frontière, une restauration était inévitable. Ainsi, je n’ai point blâmé alors l’intervention.
Quant à l’intervention de 1832 pour le siége de la citadelle d’Anvers, je suis assez étonné que ce soit le gouverneur d’Anvers qui la blâme.
M. Rogier. - Je ne la blâme pas, mais je ne l’ai pas provoquée.
M. Jullien. - Moi non plus je ne l’ai pas provoquée. Je ne me souviens pas des paroles que j’ai prononcées alors, mais je puis avoir simplement contesté l’opportunité de l’intervention, parce que mes idées n’ont jamais cadré, ne cadreront jamais avec celle des doctrinaires.
Quant à ce qu’a dit le préopinant, que j’invoque maintenant l’intervention des armées étrangères, le préopinant se trompe. Je n’invoque pas l’intervention des armées étrangères, mats je dis que le jour où nous manquera la protection des grandes puissances verra mourir notre indépendance.
Mais je demanderai au préopinant, qui ne veut pas d’intervention, comment il s’y prendra si la Hollande viole le traité du 21 mai, ce traité qui nous a procuré les jouissances du statu quo, si souvent vantées dans cette enceinte par nos diplomates.
Si la Hollande viole ce traité, pensez-vous que la France ne demandera pas raison de la violation d’un traité contracté avec elle ? Sera-ce vous qui empêcherez la France de faire ses affaires elle-même ? Non ; je crois d’ailleurs que ce serait à notre avantage plutôt qu’à notre désavantage.
Il est de ces questions que l’on ne devrait jamais traiter dans une assemblée publique qu’avec la plus grande circonspection.
Ce n’est pas moi qui ai provoqué ces explications.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, j’approuve le ministre de la guerre d’être venu franchement en dévoilant l’état de faiblesse de l’armée et de défense du pays, vous demander les moyens de réparer les fautes commises.
Si, endormi dans une funeste sécurité, le réveil peut être pénible lorsque la vérité nous apparaît, c’est un devoir pour nous de ne reculer devant aucun sacrifice dont nous aurons reconnu la nécessité.
J’adopte donc en principe qu’une augmentation de dépense est devenue nécessaire au budget de la guerre, me réservant mon vote quant aux détails,
L’honorable député de Bruges qui a parlé au commencement de cette séance, s’est livré à l’examen critique des discours prononcés dans la séance d’hier. Il a présenté un argument que, quant à moi, je ne puis approuver. Il dit qu’on nous a demandé, il y a deux ans, 10 centimes additionnels, en nous faisant peur d’une invasion hollandaise, et qu’en définitive rien n’est arrivé. Mais, de ce que rien n’est arrivé dans le passé, nous ne devons pas conclure avec sécurité que rien n’arrivera dans l’avenir ; et tout en désirant que l’honorable membre ait toujours raison, je pense que nous devons tenir notre armée sur un pied respectable.
L’honorable membre s’est aussi étonné de quelques paroles qu’a prononcées M. de Puydt sur la neutralité, qu’il n’admet pas toujours en principe. Je crois que la question de neutralité ne doit être traitée qu’avec la plus grande réserve. Je n’examinerai, pas jusqu’à quel point nous pouvons garder cette position de neutralité en raison de notre situation vis-à-vis de la Hollande, mais je pense qu’on doit nécessairement avoir une armée fortement organisée, pour faire respecter notre nationalité et maintenir l’intégrité de notre territoire.
L’honorable membre ne pense pas que nous puissions faire beaucoup pour notre nationalité et pour l’indépendance du pays ; quant à moi je ne suis pas de cette opinion. Je sais qu’un pays de 4 millions d’habitants, lorsqu’il veut être libre, peut au moins lutter et défendre son indépendance.
Je ne suis pas de ceux qui croient la guerre impossible. L’état de quasi-paix où nous sommes ne peut pas être durable. Votre révolution se lie certainement à la révolution de France. Vous savez quelle est la situation de ce pays. Il est pénible de le dire. Mais vous savez que là le fanatisme politique a succédé au fanatisme religieux des siècles passés ; et je pense qu’en présence des trames odieuses qui si fréquemment et récemment encore ont effrayé la France, nous devons prendre garde et compter l’assassinat (il faut le dire) dans les chances possibles de guerre.
Je ne me permettrai pas de blâmer l’organisation de l’armée. Je ne connais pas assez cette matière. D’ailleurs, je crois que l’organisation est bonne.
Je me permettrai seulement quelques observations sur une partie organique : la milice.
Lorsque la révolution est venue, nous avons pris les éléments qui étaient à notre disposition. La milice existait ; on l’a maintenue. Je crois que le moment est venu d’apporter de grandes modifications à la législation sur ce point. Le système actuel est vicieux pour les armes spéciales, pour la cavalerie et l’artillerie surtout. Dans ce moment, on n’en sent pas les inconvénients, parce qu’on peut maintenir les hommes sous les armes. Mais si nous avions une paix de peu de durée, je crois qu’en peu de temps l’armée serait tout à fait désorganisée. Car alors les militaires auraient le droit de se retirer dans leurs foyers et ils le feraient, parce que la Belgique est arrivée à un tel degré de prospérité que les hommes peuvent gagner chez eux de fortes journées, tandis que, vous le savez, on ne s’enrichit pas au métier de soldat.
Je crois que M. le ministre de la guerre devra dans quelques temps, quand il le pourra, présenter un projet de loi pour organiser la milice sur d’autres bases.
Un honorable préopinant a appelé l’attention de la chambre sur l’organisation d’une armée de réserve. Mais dans un pays comme la Belgique, qui n’a pas de frontières qui le défendent, je crois que ce qui importe le plus, c’est d’avoir une forte organisation intérieure, c’est d’avoir toujours des moyens de résistance. Je crois que c’est indispensable pour la défense de notre pays.
On trouvera peut-être absurde que je dise que l’empereur Napoléon, tout grand homme qu’il était, avait négligé ce point essentiel. L’armée française, qui était la mieux organisée qu’il y eût jamais eu, était organisée pour la conquête et nullement pour la défense. Beaucoup d’entre nous ont été témoins de ce qui s’est passé lors de l’invasion des alliés en France. Je ne crains pas d’être démenti en disant que jamais l’armée française ne se montra plus grande que dans la campagne de 1814. Elle devait faire face à l’ennemi de tous les côtés. Mais, quoique victorieuse, elle devait toujours se replier ; elle arrivait ainsi jusqu’aux hauteurs de Montmartre ; et il ne se trouva pour défendre Paris que quelques volontaires des écoles.
Notre position à nous ne sera jamais de faire des conquêtes. Organisons donc seulement la défense du pays.
L’honorable M. Rogier a parlé de l’arrêté de 1835 qui a organisé une réserve. Mais cet arrêté n’a jamais existé jusqu’à présent que sur le papier. Rien n’a été fait. On pourrait peut-être contester la légalité de cet arrêté, mais je veux croire qu’il soit légal. Je voudrais alors que l’organisation eût lieu à toujours : pendant la paix et pendant la guerre. Je voudrais une organisation analogue à celle de la landwher en Prusse.
Il faudrait une réserve fortement organisée, où l’on n’admît pas de remplaçants et dont tous les jeunes gens, les riches comme les autres, fussent appelée à faire partie. Je ne verrais aucun mal à ce que ces jeunes gens, d’ordinaire assez oisifs, restassent chaque année, pendant quelques mois, sous la tente du soldat.
Je voudrais également que, dans un pays qui doit être organisé militairement, on s’appliquât à réveiller cet esprit militaire qui, de tout temps, a distingué les Belges. Je voudrais que, dans les établissements du gouvernement, les jeunes gens fussent disposés à l’état militaire au moyen d’exercices. Il en était ainsi autrefois dans les lycées français, et je crois qu’on le trouvait bien.
Nous voyons, dans toutes les lois qui sont présentées sur l’instruction publique, qu’on nous parle d’exercices gymnastiques ; mais je trouve que les plus beaux exercices gymnastiques pour un jeune homme sont les exercices militaires, et je voudrais qu’on les introduisît dans nos établissements publics. Bien des personnes seraient sans doute opposées à l’introduction du régime militaire dans nos écoles, et nous diront, ce que nous entendons répéter, que nous avons la garde civique. Je ne conteste pas le patriotisme de la garde civique ; cependant, en cas de guerre, elle n’est pas organisée pour rendre des services. Il y a dans cette institution un vice radical ; c’est la nominal des officiers par les gardes eux-mêmes ; cela peut-être pour un corps chargé de maintenir la police dans les villes ; mais cela ne vaut rien pour un corps qui devrait aller devant l’ennemi. Vous savez comment se font les nominations des officiers. Beaucoup refusent. Ce sont des négociants, des bourgeois, des fermiers, des propriétaires, des industriels sur qui tombent les suffrages ; ce ne sont pas là des militaires ; et une telle organisation n’est pas propre à la défense du pays.
Je voudrais que la garde civique mieux organisée se réunît au moins une fois par an : on dira que cela coûtera beaucoup ; moi je dirai qu’il faut que nous sachions consentir à faire des sacrifices.
Je dirai à ceux qui s’opposent à toute dépense que si avions le malheur d’être vaincus par les Hollandais, il nous en coûterait dix fois plus pour être esclaves qu’il ne nous en coûtera pour conserver notre liberté, pour être fiers et indépendants. Pour moi je consentirai à tous les sacrifices nécessaires pour conserver cette indépendance à nos enfants. (Vives marques d’approbation.)
M. de Brouckere. - Après ce qui a été dit dans cette discussion, je serai fort court. Je laisserai de côte plusieurs questions que je comptais traiter ; quant aux autres, je les traiterai aussi brièvement qu’il me sera possible.
Messieurs, les deux orateurs qui ont parlé le plus longuement dans la séance d’hier, vous ont exposé, avec la plus grande franchise l’état dans lequel se trouvent et notre armée et nos frontières. Ils vous ont de plus tracé l’historique de tout ce qui a été fait depuis la révolution pour assurer la défense du pays. La position toute spéciale dans laquelle se trouvent ces deux orateurs doit, à vos yeux comme aux miens, avoir donné à leurs paroles plus d’importance encore que si elles étaient sorties de la bouche de l’un de nous.
Aucuns, peut-être, blâmeront cette grande franchise de la part des deux orateurs ; et je dois déclarer que, quant à moi, elle m’a fait faire quelques réflexions que je crois cependant utile de révéler ici.
Quoi qu’il en soit il me paraît incontestable que ces orateurs auront rendu au pays le plus signalé des services s’ils sont à réveiller un peu le ministère, s’ils sont parvenus à l’arracher à cette extrême sécurité dans laquelle il semblait s’être endormi, et dont, je dois le dire, il a fait un premier pas pour sortir.
Je m’attendais, messieurs, à ce que d’honorables membres que j’ai toujours regardés comme trop zélés partisans du gouvernement à bon marché, auraient répondu à ce qu’avaient avancé les deux orateurs, et qu’ils auraient combattu ce qu’ils avaient dit pour demander des allocations plus fortes au profit du ministère de la guerre ; je me suis trompé ; et saut quelques paroles échappées aujourd’hui à un de mes honorables voisins, et sur lesquelles il n’a pas d’ailleurs insisté, la seule question que l’on ait examiné est celle de savoir à qui il faut attribuer l’état de faiblesse de notre armée et de nos frontières, si c’est à la chambre, si c’est au gouvernement ; et à propos de cette question-là, on a fortement attaqué l’honorable membre qui siège à ma gauche, comme ayant insinué, comme ayant même cherché à démontrer que c’est à la chambre qu’il faut imputer la désorganisation de l’armée. D’abord je puis déclarer, parce que j’en ai la certitude, que telle n’a pas été l’intention de mon honorable voisin. Rappelez-vous ce qu’il a dit : il s’est borné a rappeler les faits, et a laissé à tout le monde à tirer les conséquences qui en peuvent découler.
Au reste, il me semble démontré que le gouvernement, jusqu’à ce jour, n’a pas demandé pour l’armée des sommes suffisantes, et que sa timidité, qui s’est montrée depuis 1832, a été encore augmentée les années suivantes par suite de réductions qu’on avait faites ou tenté de faire, Quoi qu’il en soit, messieurs, n’est-ce pas là une question d’amour-propre ? Si la chambre a eu quelque tort de ce chef, eh bien, je le déclare, j’en assumerai ma part et je ne crois pas qu’on puisse reculer devant une pareille déclaration. Mais, pour être sincères, nous devons dire que la plus grande part des reproches revient au gouvernement dont la mollesse et la facilité ne sont pas excusables.
Delà il vous a été démontre que le gouvernement qui, au dire de tous, ne demandait pas des allocations suffisantes, ne dépensait pas même ce que les chambres lui accordaient. L’on a parlé d’époques assez éloignées de nous pour établir cette démonstration ; mais nous pourrions ne pas jeter les yeux si loin en arrière ; prenez le deuxième rapport qu’a fait la section centrale, celui sur les amendements du ministre de la guerre, et vous y verrez que ce ministre lui-même a proposé de faire face aux nouvelles dépenses qu’il réclamait en les imputant sur les sommes allouées à son département par le budget de 1836, et qui n’ont pas été dépensés : d’où vous voyez que l’on a eu raison de dire que le gouvernement n’a pas même usé des sommes que la chambre lui avait allouées.
Messieurs, je crois pouvoir laisser de côté, au moins pour le moment, la question d’argent, puisque, jusqu’ici, cette question paraît avoir été abandonnée par les orateurs que vous avez entendus. Je déclare être prêt à voter et à appuyer de tout mon pouvoir les demandes qui seront faites par le gouvernement, et qui auront pour objet la défense du pays, parce qu’à mes yeux la défense du pays est la chose que nous devons avoir le plus à cœur, celle qui doit nous occuper avant toutes les autres, et pour laquelle nous ne devons épargner aucun sacrifice.
Hier, messieurs, j’ai été singulièrement étonné en entendant un honorable membre demander que l’on opérât une diminution sur la solde du soldat ; je vous le demande, est-ce aujourd’hui qu’on pourrait opérer une réduction sur la solde du soldat, alors que chaque mois on le transporte, d’une garnison à une autre, alors qu’il passe une partie de l’année dans les camps, alors que d’ici à peu de temps peut-être nous serons chargés de réclamer du soldat des services d’où dépend l’existence du pays ? Je dis que non seulement le moment n’est pas venu de faire une réduction sur la solde, mais que nous devons regretter qu’on en ait parlé.
Je serais fâché que le soldat pût penser qu’il entre aujourd’hui dans la pensée de la législature de faire une semblable réduction. Plus tard, quand nous serons dans d’autres circonstances, nous aurons à examiner ce qu’il y a à faire de ce chef ; mais je le répète, ce n’est pas aujourd’hui qu’il fait faire entendre au soldat que nous verrons, à une époque quelconque, s’il y a des réductions à faire sur sa solde.
Un orateur est tombé dans une erreur qu’il importe de relever ; il a prétendu que chaque année les dépenses du budget de la guerre allaient en croissant. Je sais bien que si cette allégation restait sans réponse, nos dépenses n’en auraient pas été plus fortes ; mais cette allégation, mise à côté de celle par laquelle on assure que notre armée devient plus faible, pourrait produire un mauvais effet hors de cette enceinte.
Les dépenses du ministère de la guerre ont été si peu en croissant, que les chiffres prouvent qu’elles ont été au contraire en diminuant. Si dan les années 1831 et 1832 le budget de la guerre a coûté 73 ou 75 millions, en 1833 il a coûte 66 millions, en 1834 la dépense a été réduite à 38 millions ; en 1835 elle a été, il est vrai, de 39.810,000 fr., près de 40 millions ; mais en 1836, elle a été de 36,400,000 fr. Ainsi, vous le voyez, la progression a été dans un sens inverse à celle qu’avait cru pouvoir lui attribuer l’honorable membre auquel je réponds.
On dira peut-être que quelques crédits supplémentaires ont été demandés dans l’année suivante : mais remarquez que ces nouveaux crédits ont toujours été imputés sur une partie des crédits de l’année antérieure qui n’avaient point été dépensés, de sorte que la proportion reste à peu près la même.
Messieurs, on a reproché au gouvernement de ne point laisser au soldat, en général, assez de liberté pour remplir ses devoirs religieux ; on a déjà répondu à ce reproche et je pense qu’il a été victorieusement repoussé. Mais je ne sais pas pourquoi M. le ministre de la guerre, qui du reste a rencontré parfaitement toutes les objections qui lui avaient été faites, n’a point donné à la chambre lecture de la circulaire du 3 décembre 1835 : non pas qu’aucun de nous ait besoin de relire cette circulaire que tous nous avons eue sous les yeux, mais parce qu’il importe, dans une matière aussi grave, qu’on ne soit pas plus trompé en dehors de cette assemblée que nous ne pouvons l’être nous-mêmes. Eh bien, je vais lire cette circulaire, et je pense qu’alors chacun reconnaîtra que le soldat a toute la liberté désirable pour remplir ses devoirs religieux. Voici cette circulaire, qui a encore été rappelée par le ministre actuel depuis son entrée au ministère ; elle est adressée à tous les généraux commandants des provinces et des places :
« Messieurs, des plaintes m’ont été adressées au sujet d’entraves qu’auraient rencontrées les militaires de certains corps dans l’exercice de leurs devoirs religieux par suite des obligations de service qui leur auraient été imposées les dimanches et les fêtes.
« Je dois vous rappeler à ce sujet, messieurs, les dispositions des art. 88, 90, 91 et 92 du règlement de service intérieur, qui fixent les jours où doivent se faire les diverses inspections dans les corps. Il ne doit en être fait aucune le dimanche pendant l’office divin.
« Il en est de même des revues, exercices, promenades militaires, enfin de tout service qui pourrait empêcher les militaires qui le désirent, d’assister aux offices de leur culte. La plus grande latitude doit leur être laissée à cet égard, et sous aucun prétexte ils ne peuvent être forcés ou détournés de remplir les devoirs que ce culte leur impose.
« Messieurs les généraux, les commandants des provinces et ceux des places, auront à veiller à la stricte observance des dispositions de la présente circulaire. »
Voila, messieurs, cette circulaire, qui est maintenant connue de tous ceux qui appartiennent à l’armée, et je le demande, si un chef était assez osé pour en violer le prescrit, pensez-vous qu’une semblable infraction n’arriverait pas à la connaissance du ministre de la guerre, et pensez-vous que le ministre de la guerre oserait faire autrement que de sévir contre le chef qui aurait ainsi violé ses ordres ? Non, messieurs, c’est ce que nous ne pouvons pas supposer. Chacun de nous doit donc avoir ses pleins apaisements à l’égard du grief dont je viens de parler.
On s’est ensuite occupé de la moralité de l’armée, des moeurs de nos soldats et s’il fallait s’en rapporter aux paroles de l’honorable membre qui a parlé de cet objet, il semblerait que sous le rapport de la moralité, notre armée serait au-dessous des armées des pays voisins. Je vous avoue, messieurs, que je n’ai jamais entendu dire que sous ce rapport l’armée belge fût moins recommandable que sous les autres rapports, et j’aime à croire que l’honorable orateur n’a pas eu des faits en vue, car s’il avait connu des faits, il les aurait signalés ; ce sont donc des craintes qu’il a manifestées. Eh bien, j’avoue que dans une matière aussi sérieuse, aussi grave, la crainte est légitime ; mais je pense que la chambre ne partagera pas facilement celle qu’il a exprimée, surtout lorsqu’elle se rappellera que c’est le même honorable membre qui a dernièrement attaqué l’orthodoxie des honorables MM. de Theux et de Mérode. (On rit.)
Je le déclare franchement, messieurs, j’approuverai toutes les mesures sages, d’équité et de prudence que prendra le gouvernement pour rassurer ceux qui auraient des doutes sur la moralité du soldat ; mais il est un point sur lequel j’appellerai plus spécialement l’attention de M. le ministre ; je veux parler du moral du soldat : c’est celui-là, messieurs, qu’il importe de relever ; l’honorable M. Dumortier l’a reconnu lui-même ; il existe, a-t-il dit, un état de malaise dans l’armée ; il y existe un découragement fâcheux parmi les sous-officiers ; eh bien, que le gouvernement s’applique (et ici les chambres doivent le seconder), que le gouvernement s’applique à faire cesser cet état de malaise, ce découragement. Pour cela il faut d’abord, je pense, que le gouvernement, que M. le ministre de la guerre, qui est ici son représentant, donne de l’avancement aux bons officiers, et qu’il mette sans pitié à la retraite ceux qui par leur incapacité ou autrement ne sont pas à même de remplir dignement les fonctions qui leur ont été confiées. J’ai appuyé les lois militaires qui nous ont été présentées l’an dernier, et j’avoue que je n’ai pas eu en vue alors qu’elles restassent sans exécution ; je pense, messieurs, qu’on doit les exécuter avec sagesse, avec prudence, mais sans pitié : la présence d’un mauvais officier dans un régiment peut faire plus de mal que la présence de plusieurs bons officiers ne peut faire de bien.
Il faut ensuite que le gouvernement s’applique à encourager les sous-officiers distingués, qu’il accorde aux meilleurs d’entre eux le grade d’officier, et qu’il fasse entrevoir aux autres la possibilité d’obtenir plus tard les épaulettes.
Ce n’est pas tout, messieurs, il faut, comme je l’ai déjà dit, relever le moral de l’armée, et pour cela, il faut relever le soldat aux yeux du public et à ses propres yeux ; il faut donc qu’à l’avenir on s’abstienne (et ici mes paroles ne s’adressent pas seulement aux membres de cette chambre, mais à tous les bons citoyens), il faut qu’on s’abstienne de représenter ceux qui font partie de l’armée comme les « rongeurs du budget, » comme les « sangsues de l’Etat ; » il faut que l’on cesse de rappeler aux officiers qui ont obtenu quelque avancement, depuis la révolution, tout le bonheur qu’ils ont eu, et de faire entrevoir ainsi qu’ils seraient au-dessous de la position qu’ils occupent. Au lieu de lancer des accusations, des reproches, des menaces qui sont au moins fort inutiles, qu’on laisse voir à ceux qui sacrifient leur existence à la défense et au maintien de notre nationalité (je me sers ici des expressions de la section centrale), qu’on leur fasse voir que le pays tient compte de leurs services et qu’il saura les reconnaître ; qu’on ne parle d’eux qu’avec mesure, qu’avec égard ; tranquillisez-les surtout sur leur avenir ! Alors, messieurs, vous aurez une armée qui sera honorée et qui s’honorera elle-même ; Vous aurez une armée qui sera animée d’un bon esprit, et au jour du danger cette armée, qui ne portera au pays que des sentiments de gratitude, saura payer sa dette, défendre le pays avec le courage et la fermeté qu’il a droit d’attendre d’elle.
Il est, messieurs, encore un autre moyen d’encouragement : c’est de ne jamais laisser sans récompense les actes de dévouement, de courage, de discipline extraordinaires de la part du soldat. A cet égard, je citerai un exemple très récent ; je tiens le fait de très bonne part, et il pourrait être affirmé par plusieurs de mes honorables collègues : lors de la rupture de la digue de Burcht, un soldat qui se trouvait en faction aux environs de la digue, vit en quelque sorte la mort s’approcher de lui ; on le prévint du danger qu’il courait, en l’engageant à se retirer ; mais loin de céder à ce conseil, ce soldat donna pour toute réponse qu’il était placé là et qu’il y resterait jusqu’à ce que son chef le fît relever, et il y resta effectivement pendant plusieurs heures, voyant à chaque instant sa vie dans les plus grands périls, il y resta, dit-je, comme il l’avait dit, jusqu’à ce qu’on vînt le rechercher, et ce n’est qu’en s’exposant eux-mêmes aux plus grands dangers que quelques-uns de ses compagnons parvinrent à le retirer. Laissez de semblables faits sans une récompense éclatante, et vous ne trouverez plus un homme qui veuille courir des dangers aussi grands pour obtenir une récompense de quelques francs, ou les galons de caporal ; il faut plus pour de semblables braves, et ce n’est qu’en leur donnant plus que vous ferez en sorte qu’ils aient beaucoup d’imitateurs dans l’armée.
Messieurs, j’ai entendu avec peine un de mes honorables amis soutenir que nous n’avons pas le moyen de défendre notre indépendance. Pourquoi ce moyen nous manquerait-il, selon lui ? parce que nous sommes une petite nation de quatre millions d’habitants et que, lorsque nous nous trouverons en rase campagne vis-à-vis de tous nos puissants voisins, il nous serait impossible de soutenir la lutte.
A ce prix, messieurs, je ne crains pas de le dire, il n’y aurait pas en Europe de nation qui fût à même de défendre son indépendance, car je n’en connais pas une qui soit de force à lutter contre toutes les autres nations coalisée contre elle.
Mais pour que notre pays ait de l’avenir, pour que nous puissions soutenir notre indépendance avec succès, faut-il que nous soyons en état de lutter contre les grandes puissances ? Non, messieurs, il est plus que probable que jamais une lutte ne s’engagera entre la nation belge et une des grandes puissances de l’Europe. Pour que notre indépendance ait de l’avenir, il suffit d’une seule chose : il faut que nous nous mettions à même de repousser les agressions qui pourraient nous venir de la part du seul ennemi que nous ayons aujourd’hui.
Eh bien, je vous le demande, si sous certains rapports, par exemple, en ce qui concerne la défense des frontières, nous avons un désavantage réel, et ce désavantage a été signalé, n’avons-nous pas un avantage sous le rapport de la population ? Croyez-vous, messieurs, quelles que soient les forteresses qui défendent un pays étranger, quel que suit le manque de forteresses qui existe chez nous, croyez-vous qu’une nation de quatre millions d’hommes, attachée à son indépendance, ne puisse pas soutenir et repousser victorieusement une agression de la part d’une nation de deux millions. Quant à moi, je n’ai aucun doute à cet égard, pourvu que le gouvernement veuille prendre les mesures qui lui ont été conseillées depuis deux jours, pourvu que la chambre veuille le seconder et ne pas reculer devant quelques sacrifices qui sont bien légers, en comparaison des avantages qu’ils doivent, sinon nous procurer, au moins nous conserver.
Messieurs, je pourrais terminer ici mes observations. Mais je crois devoir dire quelques mots sur l’incident soulevé par le premier orateur qui a pris la parole.
Lorsque la section, centrale a examiné les articles du budget relatifs au service sanitaire, elle a cru devoir s’occuper aussi des abus criants, scandaleux, qu’on dit avoir existé dans cette administration. Selon moi, la section centrale a parfaitement compris son rôle ; mais pour se livrer, à cet examen, elle a dû demander au ministre les pièces qui lui étaient réellement nécessaires pour qu’elle pût former son opinion. Le ministre n’a pas fourni ces pièces, et il a donné pour motif qu’il avait lui-même besoin des pièces réclamées pour préparer ce qu’il avait à dire sur la question ; il ne pouvait donc, a-t-il dit, s’en dessaisir immédiatement. En attendant, il a transmis à la section centrale un inventaire des pièces, pour qu’elle pût se former une opinion anticipée de leur contenu et de leur importance. On sent très bien qu’un semblable inventaire ne suffit pas et ne peut pas remplacer la production des pièces officielles.
Il est fâcheux, et pour ma part je regrette beaucoup, que le ministre n’ait pas pu communiquer les pièces qui ont été demandées ; mais enfin il a déclaré dès hier qu’elles étaient à la disposition de tous les membres de la chambre, et je pense qu’il en a fait le dépôt sur le bureau. Si le dépôt n’a pas eu lieu, il sera effectué sans doute dans la séance d’aujourd’hui ; j’en fais la demande formelle.
Mais au nombre des pièces qui ont été réclamées par la section centrale se trouve le rapport qui doit avoir été fait au ministère par la commission que le ministre avait chargée d’examiner jusqu’à quel point les griefs articulés contre le service sanitaire existaient. M. le ministre de la guerre, sur l’interpellation de l’honorable M. Jullien, a déclaré qu’il ne croyait pas devoir se dessaisir de cette pièce qui lui avait été adressée, comme n’étant destinée qu’à lui, et qu’il devait dès lors regarder comme confidentielle ; de là nouvelles instances pour la production de la pièce.
J’avoue d’abord que pour ma part j’attache assez peu d’importance à ce que la pièce dont il s’agit soit ou ne soit pas communiquée. Mais il me semble qu’il s’élève ici une question de principe qui ne peut être traitée légèrement. Cette question, je m’en vais la formuler :
Un ministre qui a chargé un ou plusieurs de ses subordonnés de l’examen d’une affaire qui se rattache à son département doit-il communiquer à la chambre le rapport que lui font ces subordonnés ? Dans le cas où cette communication ne serait pas obligatoire, ne serait-elle pas au moins de convenance ?
Voila les questions que soulève l’interpellation adressée à M. le ministre de la guerre par l’honorable Jullien.
Messieurs, il est incontestable que tout ministre doit à la chambre compte de son administration, quand il est interpellé ; un ministre doit de plus justifier de la légalité et, jusqu’à un certain point, de la justice de chacune de ses décisions.
Cette perpétuelle et bienfaisante inquisition de la chambre ne va pas cependant jusqu’à nous autoriser à exiger des explications sur tout ce qui concerne le personnel d’un département, sur chaque mutation, par exemple ; car, s’il en était ainsi, chacun de nous serait en droit de venir interpeller le ministre, parce qu’un sous-lieutenant aurait été placé d’un régiment dans un autre.
Cette inquisition légitime ne va non plus jusqu’à nous donner le droit de demander à un ministre quelles ont été ses relations avec tel ou tel de ses subordonnés, ni même jusqu’à nous permettre d’exiger qu’il fasse connaître comment il a fait pour former son opinion, pour éclairer sa religion.
Eh bien, je vous le demande, messieurs, qu’a fait le ministre dans le cas qui nous occupe ? Les questions soulevées à propos du service sanitaire étaient compliquées, étaient longues, étaient d’une solution assez difficile, il fallait pour se prononcer consulter un très grand nombre de pièces. Il était impossible que le ministre se livrât tout d’abord à cet examen, il fallait que cet examen fût préparé en quelque sorte par des hommes qui ont plus de temps à leur disposition, et que le genre d’occupations auxquelles ils se livrent habituellement mettait plus à même de traiter cette question.
Le ministre a donc nommé une commission et a dit à cette commission : vous allez examiner tous les griefs articulés contre le service sanitaire ; puis vous me ferez voir votre rapport.
Ce rapport a été probablement fait, et c’est de ce rapport qu’on demande la communication au ministre. Mais, messieurs, il me semble que la chambre, en posant un semblable antécédent, s’exposerait à des inconvénients qu’on ne saurait assez prévenir.
D’abord, si vous admettez comme règle générale que le ministre rende compte de l’opinion que lui a manifestée une commission nommée par lui, quelle raison y a-t-il pour que vous n’ayez pas la même exigence, lorsqu’au lieu de composer cette commission de 7 membres, le ministre la composera de deux ; quelle raison y a-t-il encore, pour que vous n’ayez pas la même exigence, lorsqu’au lieu de nommer une commission quelconque, il chargera de l’examen un seul de ses subordonnés ? Si, dans l’espèce, au lieu de nommer quelques généraux et officiers supérieurs de l’intendance, le ministre avait chargé de l’enquête un seul général, un seul intendant, aurait-on de même exigé la production du rapport ? Poussez ce raisonnement jusqu’au bout, et vous parviendrez à exiger que le ministre communique l’opinion verbale que lui aura exprimée un de ses subordonnés, son secrétaire-général, par exemple.
Messieurs, s’il était connu de tous les fonctionnaires que chaque fois qu’ils auraient fait sur une affaire spéciale un rapport à leurs chefs, ce rapport sera publié, je vous demande si aucun de vous peut penser que ces fonctionnaires s’exprimeront encore nettement, sans ménagement, sans arrière-pensée, ou si plutôt, avant d’exprimer leur opinion que le ministre leur aura demandée, ils ne calculeront pas quelles pourront être les suites de leur paroles, quelle interprétation on leur donnera, quelles inimitiés ils se susciteront. Et vous en viendrez, messieurs, à rendre la nomination de ces sortes de commission tout à fait nulle.
Mais, messieurs, il arrive souvent que le ministre consulte deux commissions ; je ne sais pas même si dans l’espèce dont nous nous occupons, différents rapports ne sont pas parvenus au ministère de la guerre. Eh bien, si cela est, je parle en général, si ces deux rapports sont contradictoires, dans quelle position ne mettez-vous pas les fonctionnaires qui ont signé ces deux enquêtes, vous les placez en contradiction avec eux- mêmes, vous forcez chacun d’eux à justifier son opinion par des mémoires nouveaux ; l’amour-propre s’en mêlera.
D’un autre côté, si les rapports de cette espèce doivent être publiés, la première chose que doit faire le ministre, c’est de les communiquer à l’individu qu’ils concernent spécialement.
Or, je demande au ministre de la guerre s’il a communiqué le rapport dont il s’agit à l’individu accusé, à celui sur lequel l’enquête a été faite. Que M. le ministre de la guerre réponde si ce fonctionnaire n’a pas demandé communication du rapport de la commission d’enquête et si cette communication ne lui a pas été refusée. Elle lui a été refusée ; et je soutiens que le ministre a parfaitement bien fait. Oui le fonctionnaire que concernait l’enquête a demandé communication du rapport, parce que n’en connaissant pas le contenu, il ne savait pas jusqu’à quel point il lui était ou non défavorable. On lui a répondu que ce rapport était un rapport confidentiel, qui ne devait être communiqué ni à lui, quelque intéressé qu’il fût à la connaître, ni à personne ; je vous demande si après une semblable manière d’agir, que je ne puis assez louer, on peut encore publier ce mémoire, je vous en laisse juges.
Si la question devait être résolue affirmativement, qu’arriverait-il ? A l’avenir, ces commissions ne rendraient plus les services qu’elles sont destinées à rendre. Je considère comme certain que le ministre ne pourrait plus nommer de commission semblable ; car pour peu que la commission ne serait pas d’une opinion conforme à celle du ministre, ce serait une pièce qu’il aurait créée contre lui. On ne pourrait dès lors plus avoir de commissions indépendantes, elles ne seraient plus formées que d’hommes dont le ministre pût dicter l’opinion, d’hommes qu’il saurait être sous son entière dépendance, incapables de défendre un avis qui ne serait pas partagé par le ministre. Voilà le résultat auquel vous arriveriez.
Je ne suis pas fâché d’ajouter que l’opinion que je défends en ce moment, je l’ai défendue dans d’autres circonstances encore. Tout récemment, un membre de cette chambre ayant, à l’occasion d’une élection contestée, demandé la lecture du rapport fait au ministre de l’intérieur par le commissaire de district, rapport qui contenait une véritable enquête sur les circonstances de l’élection, je me suis opposé à cette lecture ; j’ai demandé qu’elle n’eût pas lieu ; la chambre a partagé mon avis, et le rapport n’a pas été lu.
Je pourrais vous citer encore un exemple qui me regarde quelque peu personnellement, pour vous prouver l’inconvénient qu’il y a à publier des rapports adressés confidentiellement aux ministres.
Vous n’aurez pas oublié qu’en 1835, le Roi a nommé une commission qu’il a chargée de revoir toutes les pensions de la caisse de retraite. C’était un immense travail dont on chargeait cette commission ; c’était de plus un travail excessivement délicat, car son résultat était, dans certains cas, de faire tomber un blâme sur les fonctionnaires supérieurs qui avaient liquidé les pensions, et dans d’autres cas, de faire subir des réductions aux pensions trop élevées. J’ai eu l’honneur de faire partie de cette commission, et c’est moi qui ai remis le travail de la commission au ministre des finances. Lorsque M. le ministre m’a parlé de son intention de le faire imprimer, je n’ai fait aucune objection. Cette commission avait été chargée de la révision des pensions, par suite des réclamations qui s’étaient élevées dans cette assemblée, et elle était composée uniquement de membres des deux chambres. Il était facile de voir tout d’abord que notre travail n’était pas destiné à rester dans les bureaux du ministère, mais qu’il devait être communiqué à la chambre. Aussi, l’annonce qu’on allait le publier ne nous a pas surpris. Je n’ai fait aucune objection. Si le ministre s’était contenté de publier notre travail, je ne dirais rien. Mais le travail ne convint pas sur tous les points au ministre. Il publia le rapport de la commission et à côté la réfutation anonyme de ce qui ne lui convenait pas. La pièce vous a été distribuée à tous.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Ce que publie le gouvernement n’est pas anonyme.
M. de Brouckere. - Je dis que cette réfutation est anonyme. Elle n’est pas signée ; et le fût-elle que la chose ne serait pas plus convenable. Il dépendait du ministre des finances de réfuter ce que contenait le rapport le jour où il serait mis en discussion : je ne dis pas qu’il n’était pas en droit de publier de son côté des observations dans le rapport ; mais il aurait dû communiquer le rapport tel que nous l’avons fait et laisser à l’opinion publique le temps de se former sur son contenu. Et le publier avec la réfutation à côté alors que la commission n’existait plus, qu’elle était dissoute, qu’elle n’était plus dans le cas de pouvoir répondre à cette réfutation, c’est un procédé dont nous n’avons par trop à nous louer. Je ne me proposais pas d’en parler dans cette discussion, mais je n’aurais pas manqué de le faire, quand la chambre se serait occupée de la caisse de retraite.
Je l’ai fait ici, pour prouver combien il est dangereux d’admettre en principe que le gouvernement peut publier tous les rapports qui lui sont transmis par les commissions chargées de l’examen d’affaires spéciales. Ce danger est plus grand quand les commissions sont composées de fonctionnaires amovibles dépendants du ministre.
Mais, a dit un honorable membre, si le ministre refuse la communication de ce mémoire, la chambre ne pourra pas savoir si les accusations portées contre le service de santé sont fondées, La chambre pourra très bien juger, par la raison toute simple qu’elle sera saisie de toutes les pièces, sans exception, qui ont été communiquées à la commission. Vous aurez de plus les explications que s’est offert à vous donner M. le ministre de la guerre, qui a déclaré qu’il était prêt à soutenir la discussion sur tous et chacun des moyens.
Mais, s’est-on écrié, pourquoi auriez-vous le droit d’enquête, si on pouvait vous refuser les communications que vous demandez ? Personne ne veut porter atteinte au droit d’enquête formellement consacre par la constitution. Je déclare que la chambre est libre de former une enquête sur tel point du service qu’elle jugera convenable.
On a parlé des inquiétudes qui préoccupent si amèrement les soldais malades, inquiétudes qui sont le résultat de tout ce qui a été dit du service sanitaire. Mais s’il est vrai que l’inquiétude est entrée dans quelques esprits, elle doit être dissipée par les paroles si franches, si positives prononcées hier par M. le ministre de la guerre :
« Je puis dire que de l’examen approfondi que j’ai fait est résultée pour moi la conviction qu’il n’y avait pas à reprocher au chef du service de santé un seul acte de malversation, et que les faits d’où il résulterait que la santé du soldat serait mal soignée et compromis, avaient eu général peu d’importance et étaient loin d’être constatés. »
Je sais très bien que de simples paroles, une allégation vague n’est pas de nature à produire de l’effet, ni dans cette enceinte, ni dehors ; mais après l’offre qu’a faite le ministre d’entrer dans la discussion, après l’offre qu’il a faite de prouver tout ce qu’il a avancé, il me semble qu’au-dehors, il ne peut plus rester aucune inquiétude. Quant à nous, nous avons un moyen tout simple à adopter. Il a déjà en quelque sorte été indiqué par le ministre de la guerre.
Les pièces qui n’avaient pas pu être examinées par la section centrale jusqu’ici ont été mises à la disposition de la chambre. Que la chambre prie la section centrale de les examiner et de lui faire un rapport, et si, par ce rapport, nous n’avons pas tous nos apaisements, nous serons libres d’adopter telle mesure que nous jugerons à propos.
En attendant je fais la motion que toutes les pièces relatives au service sanitaire qui n’ont pas été examinées par la section centrale lui soient renvoyées comme commission spéciale avec invitation de nous faire un prompt rapport.
M. F. de Mérode. - Messieurs, l’honorable préopinant a touché un sujet moral et délicat sur lequel j’avais appelé, en peu de mots, l’attention de la chambre. Il a parlé d’une circulaire comme décisive à son égard. Une circulaire peut être bonne pour empêcher les entraves de nature à gêner les soldats les jours de dimanche et fêles, en ce qui concerne l’exercice du culte ; mais, indépendamment de ces entraves positives, il peut exister des entraves indirectes, des influences intolérantes et peu morales, qui ont été l’objet de plaintes dans et hors de cette enceinte. J’ai été charmé d’apprendre, de la bouche de M. le ministre le la guerre, qu’elles étaient sans fondement, et je serais surtout heureux de me convaincre ultérieurement que ses informations sont exactes ou que les torts que j’ai signalés comme exceptionnels sont si rares qu’il ne vaut pas la peine de s’en occuper.
Avec M. de Brouckere, je ne méconnais pas le mérite d’une circulaire, mais je pense que, seule, elle pourrait être incomplète pour remédier aux abus présumés dont j’ai aussi entretenu la chambre, en termes qui, je pense, ont été conformes aux règles de la tolérance la plus absolue. Jamais messieurs je ne m’en écarterai. C’est précisément parce que je n’y manquerai pas moi-même que je ferai toujours mes efforts afin qu’elle soit respectée directement et indirectement. Je persiste à croire qu’elle doit l’être surtout à l’égard de jeunes gens dont la loi dispose, en les plaçant sous les ordres de supérieurs que leurs parents n’ont ni choisis ni pu choisir.
Du reste, je ne demande aucune explication à ce sujet.
(Moniteur belge n°61, du 2 mars 1837) M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je pense que M. de Brouckere a eu tort de comparer le rapport de la commission dont il a fait partie, avec le rapport de la commission dont a parlé M. le ministre de la guerre. Evidemment, le rapport de la commission chargée d’examiner la liquidation des pensions de retraite des employés du département des finances devait être livré à la publicité, puisque toutes les fois que l’on a discuté le crédit de la caisse des retraites à l’occasion du budget de la dette publique, on s’est appuyé sur la demande faite de ce rapport qui, par conséquent, devait être mis au grand jour.
Maintenant M. de Brouckere se trouve en quelque sorte offensé de ce qu’en regard du travail de la commission dont il a fait partie on ait placé, non une réfutation, comme il l’a dit, mais de simples observations. A cet égard je dirai que si j’avais pu prévoir que la forme des renseignements que j’ai remis à la chambre eût été de nature à blesser le moins du monde la susceptibilité des membres de cette commission, assurément je l’eusse présentée différemment ; je me plais à rendre hommage au zèle et au dévouement des membres de la commission dont il s’agit, et surtout de deux membres (MM. de Brouckere et Donny), qui se sont particulièrement chargés d’un travail aussi long, aussi ennuyeux, et qui l’ont amené à fin ; il ne pouvait donc être le moins du monde dans mon intention de faire quoi ce soit qui fût désobligeant pour ces messieurs ; aussi les observations que j’ai placées dans l’imprimé, en regard du travail de la commission, tendaient simplement à éclairer la question et à faire apprécier d’une manière plus facile les observations et les contre-observations
Il est inutile, je pense, que je relève la qualification d’anonymes que M. de Brouckere a donnée aux observations placées en regard de celles de la commission de révision de la caisse de retraite ; il suffit que ces observations soient présentées par le gouvernement, pour que le gouvernement en ait la responsabilité : ce sont des développements, des explications que nous ne signons jamais et qui ont toujours été acceptés comme venant directement du gouvernement.
Puisque j’ai la parole, je dirai quelques mots dans la discussion générale du budget de la guerre.
En ce qui concerne le rapport des généraux dont a parlé M. le ministre de la guerre, il a été suffisamment démontré que, non pas spécialement pour la question relative au service de santé, mais par principe, on ne pourrait admettre qu’il fût donné communication à la chambre d’un tel rapport confidentiel et officieux adressé par des officiers au ministre de la guerre, destiné pour lui seul et propre exclusivement à éclairer sa religion dans l’appréciation d’une affaire concernant le service militaire. Il a été démontré, dis-je que l’obligation de publier de semblables pièces étant une fois admise, le ministre de la guerre devrait probablement renoncer, à l’avenir, à ces sortes de moyens, cependant précieux pour éclairer la solution de certaines affaires de son administration.
Je pense qu’on a singulièrement exagéré la position de l’armée lorsqu’on l’a présentée comme désorganisée et disloquée, de telle sorte que l’ennemi pourrait en quelques heures envahir le pays et arriver jusqu’à la capitale, ainsi qu’un honorable membre l’a dit dans une séance précédente.
M. de Brouckere. - C’est moi qui ai dit cela ?
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Vous n’avez parlé qu’à cette séance ; et je viens de dire : « Ainsi qu’un honorable membre l’a dit dans une séance précédente. » Il ne s’agit donc pas de vous.
Je dis que l’armée n’est pas démoralisée, n’est pas désorganisée. Elle peut avoir besoin de quelques hommes de plus, de quelques chefs nouveaux, de quelques promotions d’officiers ; c’est au moins là tout ce qu’on demande en ce moment. Mais croyez-vous donc qu’avec les 2 ou 3 millions en plus que nous réclamons en ce moment avec M. le ministre de la guerre, l’on pourrait recréer l’armée si elle était réellement désorganisée ; croyez-vous qu’il suffirait de dépenser de suite 2 millions de plus pour avoir une bonne armée, si elle était telle qu’on s’est plu à la représenter. Une armée, messieurs, ne se forme pas ainsi du jour au lendemain ; il faudrait des années pour la constituer convenablement, si elle ne renfermait pas les ressources qu’elle a réellement. Cependant le ministre de la guerre actuel croit qu’au moyen des crédits qu’il sollicite, il sera immédiatement à même d’assurer tout ce qui importé à la défense du pays.
Un orateur, que vous venez d’entendre, a prétendu qu’il y avait eu mollesse de la part du gouvernement en ce qui concerne les demandes d’allocations pour le maintien de l’armée, et que c’est à cette prétendue mollesse que sont dues l’indiscipline et la démoralisation qui règnent dans l’armée ; mais un instant après, le même orateur, par inadvertance sans doute, cite la conduite d’un soldat qui il y a peu de jours n’a pas voulu quitter son poste, malgré la mort qui le menaçait, malgré les instances pressantes qu’on lui faisait. Mais ce soldat, certes, n’était pas démoralisé ; il a évidemment agi sous l’impulsion bien efficace de ses chefs ; il appartient incontestablement à un corps qui n’est pas démoralisé, à un corps capable de se présenter dignement devant l’ennemi. Il eût donc été prudent, pour la thèse qu’on voulait soutenir, d’éviter la citation de faits aussi honorables, qui sont peu propres à établir que l’armée est dans le déplorable état où on nous la présente.
Au nombre des griefs qu’on a articulés contre le gouvernement, on a prétendu qu’il laissait dans l’oubli les sous-officiers de l’armée. Déjà M. le ministre de la guerre a répondu à cette accusation ; il vous a dit que beaucoup de nos officiers avaient été pris dans les sous-officiers depuis 1830 ; j’ajouterai qu’il n’y a pas d’armée où un si grand nombre d’officiers ait été choisi parmi les sous-officiers que dans la nôtre ; ce nombre est d’un quart de la totalité des officiers ; 750 officiers sur 3,000 ont été pris parmi les sous-officiers ; et l’on viendra prétendre que le gouvernement laisse dans l’oubli les sous-officiers !
Il faut bien l’avouer, messieurs, les reproches adressés au gouvernement sur la position de l’armée atteignent plus directement que les ministres actuels un de leurs anciens collègues, l’honorable général qui était ministre de la guerre avant le général Willmar. Cependant, messieurs, il importe à notre loyauté de ne pas oublier les services éminents rendus à la Belgique par cet honorable militaire. Si le général Evain a fait des économies dans les dépenses de son département, faut-il tant lui en vouloir ? En définitive, au profit de qui ces économies ont-elles tourné ? Je réponds, au profit de la Belgique qui n’a pas été pour cela envahie ; et quand il y aurait eu, ce que je n’admets pas, de la faiblesse, ou une trop grande facilité en faveur des réductions de dépenses pour la réunion de nos moyens de défense, toujours est-il que les millions que l’on a épargnés sont restés aux contribuables, que les bras laissés à l’industrie ont été un avantage pour le pays et ont augmenté sa richesse. Voilà ce qu’il ne faut pas passer sous silence, parce que cela contrebalance quelque peu les regrets que l’on témoigne.
On a cité particulièrement l’époque depuis 1832 jusqu’à présent comme ayant été celle où l’armée s’est désorganisée, et durant laquelle, par conséquent, aucune amélioration importante n’y aurait été introduite. Je pourrais (sans parler des détails) citer de mémoire, et à l’instant même, un grand nombre de mesures sages qui précisément ont été prises pendant la période à laquelle on a fait allusion.
Le classement et la position des officiers, chose si difficile à entreprendre, si utile à la force des armées ; qui a fait cette opération délicate ? C’est le général Evain.
Qui a introduit l’usage des campements qui, je le sais, ne sont pas, dans l’opinion de certains membres, indispensables pour la bonne organisation de l’armée, mais qu’il est néanmoins permis de considérer comme un des moyens les plus efficaces pour l’instruction de tous ? C’est encore le général Evain !
Qui a posé les bases fondamentales de l’armée de réserve ? Le général Evain !
Qui a introduit dans le budget de la guerre, sans réduire d’un seul homme le nombre de nos soldats, une économie de 500,000 fr. par an au profit du trésor ? C’est le général Evain, lorsqu’il a eu l’heureuse idée de traiter avec les régences pour le casernement des troupes de cavalerie. La réalisation de cette mesure a, je le répète, produit une économie de 600,000 fr. par an, ainsi que le constate le rapport de la section centrale du budget de la guerre ; mais l’économie n’est pas le seul avantage de cette opération. L’avantage principal est celui tout moral d’avoir débarrassé, des cantonnements si onéreux, une partie de la population, tout en assurant mieux la discipline et l’instruction de la troupe.
Une mesure analogue a encore été prise pour le casernement de l’infanterie, qui, aujourd’hui, ne doit plus être logée en partie chez l’habitant comme en 1833.
Ce qui était surtout essentiel à l’organisation de l’armée, c’étaient sans contredit les lois militaires, présentées et obtenues l’année dernière par ce même général Evain auquel on voudrait bien aujourd’hui imputer des vices graves que l’on dit gratuitement exister dans l’organisation de l’armée.
Une mesure importante, que nous ne devons pas perdre de vue, c’est le remboursement des douze millions d’avances faites aux corps de troupes. En 1833 les corps devaient douze millions à l’Etat, et l’on désespérait de pouvoir jamais récupérer cette somme énorme ; eh bien ! grâce aux règles de comptabilité qui ont été établies par le général Evain, les douze millions sont à peu près rentrés maintenant, il ne s’en faut que de 1,200,000 francs ; et de plus, nous avons des valeurs dans les magasins pour plus de deux millions. Voilà des résultats immenses.
Maintenant, messieurs, si l’on trouve, et c’est notre avis, que l’armée doit être plus nombreuse, et ce principalement à raison des tristes événements qui se renouvellent dans un pays voisin, augmentons sa force, son contingent ; mais laissons en paix des hommes d’Etat qui sont venus consacrer leur temps et leur expérience à la Belgique ; reconnaissons plutôt franchement que celui dont je viens de parler a rendu d’immenses services au pays ; que, s’il n’a pas mieux réussi, le temps et les circonstances l’en ont empêché. En ce moment nous sommes appelés à perfectionner ce qu’il nous a laissé à faire ; bornons-nous à cela sans récriminations inutiles.
(Moniteur belge n°60, du 1er mars 1837) M. Desmet. - Messieurs, à entendre le discours que vient de prononcer l’honorable ministre des finances, on aurait pu croire que, dans la discussion actuelle, quelque membre avait adressé des reproches au ministre de la guerre qui vient de quitter le portefeuille ; mais, messieurs, vous devrez reconnaître avec moi que personne n’a fait le moindre reproche à cet estimable général, et je ne crains pas le démenti quand j’avancerai que tous, au contraire, reconnaissent que ce ministre a rendu de grands services au pays et à l’armée ; je ne récapitulerai pas tous ceux qu’il a rendus, mais je peux dire qu’il a donné à la Belgique ce qu’elle n’avait pas au moment qu’il y est entré, il lui a donné une armée.
Comme j’ai la parole, je dirai deux mots dans cette discussion générale, et je commencerai aussi à adresser mon compliment au nouveau ministre de la guerre pour les soins qu’il met aux affaires de la guerre, et surtout pour celui de nous procurer une armée qui soit réelle et non fictive, et qui, dans le moment du danger, pourra défendre le pays.
Non pas que j’aie de l’inquiétude sur une restauration hollandaise, jamais nous ne la verrons ; même sans armée je ne la craindrais pas. Mais si je désire avoir une force respectable dans le pays, c’est pour nous prémunir contre les invasions et les brigandages des Hollandais sur les frontières ; car vous savez, messieurs, que la principale tactique de notre ennemi du Moerdyck consiste à venir piller, incendier et saccager quelque partie du pays contre qui il est en guerre.
Si nous accordons tout ce que le ministre de la guerre demande pour l’exercice courant, comme je ne doute que la chambré l’accordera, puisqu’il n’exige que le nécessaire pour mettre l’armée sur un pied respectable, j’insisterai alors près du ministre de la guerre pour qu’il ne néglige rien afin que tout soit bien organisé et que, l’armée prenne de telles positions que le camp hollandais, si près de la frontière, ne puisse plus donner de l’inquiétude à une partie du pays.
On a parlé d’établir des points fortifiés sur la frontière vers le Brabant hollandais ; il me semble qu’on doit soigner la partie de nos frontières qui touche la Zélande ; nous n’avons de ce côté que l’ouvrage en terre du pont de Paille de Maldeghem. Je crois qu’il sera utile pour le pays, et en particulier pour les Flandres, d’attirer sur ce point l’attention de l’honorable général ministre de la guerre.
Dans la séance de hier, un membre a attiré l’attention du ministre de la guerre sur ce que la religion était négligée dans l’armée, et que même on gênait le soldat dans ses devoirs religieux ; qu’un temps fut, depuis notre révolution, que le militaire catholique n’avait pas toute la liberté nécessaire pour remplir, les dimanches et les jours de fêtes, ses devoirs de religion : personne ne pourra le contester, car les faits étaient trop patents ; mais depuis que le général Evain a pris des mesures à ce sujet, et surtout depuis sa circulaire, dont M. de Brouckere vient de nous faire lecture, ces gênes ont entièrement cessé, et les soldats ont pleine liberté pour leurs exercices religieux, au moins je n’ai plus entendu citer aucun cas qui pourrait m’en faire douter.
Mais, messieurs, pouvez-vous croire que la liberté que les soldats ont actuellement de fréquenter les dimanches les églises, suffit ? Ne pensez vous pas avec moi qu’ils ont besoin de quelque chose de plus pour pouvoir dire que la religion n’est pas négligée dans l’armée ? Toujours nous avons eu en Belgique des aumôniers attachés aux régiments, même sous le régime hollandais, et dans ce moment, sinon deux, dont l’un est attaché à la garnison de Bruxelles et le deuxième à celle de Liége, l’armée est absolument sans prêtres, car les vicaires des paroisses qui sont désignés pour porter les secours de la religion aux soldats malades, ne peuvent certainement être envisagés comme faisant le service des aumôniers.
Je ne ferai aucune proposition à ce sujet, mais je conjure l’honorable ministre de la guerre d’avoir quelque égard à nos réclamations, et de songer à ces jeunes miliciens qui, quittant le foyer paternel où ils observaient quotidiennement leurs devoirs de religion, viennent dans les régiments où ils n’ont plus la moindre occasion de recevoir quelque instruction religieuse et même de satisfaire le plus petit devoir de notre religion. Si l’armée avait des aumôniers, ces pauvres jeunes gens ne seraient plus dans ce cas !
On parle beaucoup du service de santé ; pour mon compte, je ne vois rien de prouvé dans tout ce qu’on a écrit à ce sujet ; mais ce que je sais, et qui est très certain, c’est que le soldat est dans l’inquiétude et n’ose plus entrer dans les hôpitaux ! Si je bien informé, dans nos garnisons des Flandres, et particulièrement à Gand, les soldats malades dépensent tout ce qu’ils ont avant d’oser entrer dans l’hôpital.
Je le dis encore, je n’ai aucune preuve, je ne vois aucun fait prouvé ; mais ce qui est certain, c’est que nous devons engager le ministre de la guerre d’éclaircir cette affaire, et faire tout ce qui est en lui pour ôter cette inquiétude des régiments ; il aime trop l’armée et son pays pour se laisser prier en vain.
M. le président. - La parole est à M. Desmaisières.
M. Desmaisières, rapporteur. - Je serai un peu long, et je demanderai à n’être entendu que demain.
La séance est levée à 4 1/2 heures.