(Moniteur belge n°323, du 19 novembre 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
La séance est ouverte à une heure un quart.
M. de Renesse procède à l’appel nominal.
M. Dechamps donne lecture du procès-verbal de la précédente séance. La rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître que les pièces suivantes ont été adressées à la chambre.
« Deux meuniers de la Flandre occidentale demandent que la chambre prenne une mesure qui défende de planter des arbres de haute futaie autour des moulins à une distance moindre de quarante verges. »
« Un grand nombre d’habitants et propriétaires du nord des deux Flandres demandent un canal de desséchement.»
« Le sieur Gislain, notaire, réclame des modifications à la loi de ventôse an XI, sur le notariat.»
« Les notaires de troisième classe de l’arrondissement d’Ypres réclament la modification proposée dans le projet de circonscription cantonale en faveur des notaires des campagnes. »
- Ces quatre pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. de Longrée demande un congé.
- Accordé.
M. Lebeau, réélu député, est admis à prêter serment.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, j’ai l’honneur de déposer sur le bureau, avec un rapport explicatif, la situation générale du trésor public au 31 octobre 1834, accompagnée de trois états de développements par articles et chapitres des budgets généraux de dépenses des exercices 1832 et 1833 et de l’exercice 1834 jusqu’au 1er novembre dernier.
La chambre jugera probablement utile d’ordonner l’impression et la distribution de ces pièces susceptibles de jeter une grande lumière dans la comptabilité et propres ainsi à faciliter la discussion des budgets. Vous voudrez bien, j’espère, me dispenser de vous en donner lecture, attendu qu’il s’agit d’une masse de chiffres trop difficiles à saisir ainsi au passage. (Oui, oui.)
Je me bornerai à une seule remarque sur la conclusion qu’il est permis de tirer de ces documents, c’est que le 16 février 1833, lorsque la législature a mis à la disposition du gouvernement les quinze millions de bons du trésor, cette somme destinée à faire face aux besoins des années antérieures et à ceux de l’exercice de 1833 n’était pas suffisante.
Cependant, à moins d’événements imprévus, il arrivera à la fin de 1834 qu’environ 11 millions et 250 mille fr. seulement de bons du trésor seront absorbés pour les besoins de l’Etat : il est entendu qu’il ne s’agit pas ici de bons du trésor relatifs au chemin de fer et qui ont une affectation spéciale ; de sorte que, malgré les crédits supplémentaires de près de 7 millions qui ont été votés extraordinairement pendant le courant de cette année pour le département de la guerre, et pour lesquels il n’a pourtant été rien ajouté à la disposition du gouvernement dans les voies et moyens, le découvert du trésor, qui était le 16 février 1833, d’après les prévisions du moment, de plus de 15 millions, sera réduit à environ ladite somme de onze millions 250 mille francs.
Nos finances se sont donc améliorées réellement depuis lors de plus de dix millions et demi ; ce qui est dû aux soins que le gouvernement n’a cessé d’apporter à l’effet de réduire, autant que le bien du service le permettait, les dépenses imputables sur les crédits mis à sa disposition ainsi qu’au zèle et à la probité qui dirigent les diverses administrations chargées de la rentrée des revenus de l’Etat.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution des diverses pièces déposées par M. le ministre des finances.
M. le président. - La chambre a ajourné hier la discussion de l’article 69 sur lequel des amendements ont été présentés par M. le ministre de l’intérieur et M. Doignon. Ces amendements ayant été développés et appuyés, la discussion est ouverte sur l’article 69 de la section centrale et sur les amendements déposés.
M. Dubois. - Messieurs, j’ai examiné attentivement l’amendement qui vous a été présenté dans la séance d’hier par l’honorable M. Doignon, ainsi que les considérations qu’il a présentées à sa suite.
Convaincu de la difficulté qu’il y aurait de restreindre dans des limites exactes le principe de la publicité des séances des conseils de régence communaux, l’auteur de l’amendement propose de laisser à la sagesse de la majorité du conseil d’apprécier les cas où le principe devra fléchir devant des considérations d’ordre public ou à cause d’inconvénients graves.
Je ne trouve, je l’avoue, rien que de très juste dans cette idée, et je pense que l’expérience ne tarderait pas à vous montrer combien il y aurait d’inconvénients et de dangers si la chambre se renfermait, dans cette occasion, dans les limites qui ont été si soigneusement tracés par la section centrale.
Ce n’est donc pas pour combattre l’amendement que j’ai pris la parole, mais pour vous présenter, messieurs, ainsi qu’à l’auteur, quelques considérations que m’a suggérées sa proposition.
Ce qui m’a principalement frappé, c’est que l’auteur, après avoir très bien établi que le projet de la section centrale accorde trop à la publicité et qu’il existe une foule de cas auxquels l’exception devrait s’étendre, abandonne lui-même son principe pour le restreindre dans certaines circonstances et pour recourir à des exceptions qui ne me semblent pas justifiées.
En effet, M. Doignon propose sept cas particuliers dans lesquels la volonté des deux tiers des membres présents aux conseils sera requise pour écarter la publicité de la discussion. Ce sont ceux où il s’agira de la discussion du budget, de l’arrêt des comptes, de la fixation ou de l’augmentation des taxes municipales, etc.
Or, je vous le demande, messieurs, pourquoi, si la publicité offre des inconvénients graves dans le cours des délibérations indiquées, pourquoi ne plus abandonner la décision de la difficulté à la majorité du conseil ?
Pourquoi recourir à une aussi faible minorité ? Il est incontestable que nulle part la publicité des séances n’offrira plus d'inconvénients que lorsqu’elle sera appliquée aux séances des régences communales. Il est plusieurs cas où, dans les petites comme dans les grandes communes, elle serait dangereuse pour l’ordre public et pour le maintien de la tranquillité dans les communes. Ce serait perdre du temps que de s’attacher à démontrer une chose qui d’ailleurs est reconnue par vous tous.
Ainsi, je pense qu’il faut mettre la plus grande réserve possible dans la fixation des règles qui établiront cette publicité, et puisqu’il est impossible de bien déterminer les cas où le huis-clos sera obligatoire, il faudra du moins ne pas laisser un objet aussi important subordonné à la trop grande confiance ou au caprice d’une minorité souvent dangereuse.
Dans les plus grandes communes, sept ou huit personnes dicteront leur volonté à la généralité des membres du conseil ; dans les petites, il suffira que deux conseillers votent contre le huis-clos pour rendre la publicité de la séance obligatoire ; car il est bien rare que tous les membres du conseil soient présents aux séances.
Au surplus, il est une considération à laquelle je crois devoir particulièrement m’arrêter : c’est que, dans tout corps délibérant, une partie de l’assemblée cède difficilement son opinion à celle de ses adversaires.
C’est une vérité qui récemment a offert des résultats déplorables dans une localité intéressante du pays ; là, on a vu la majorité se retirer devant la minorité. N’est-il pas à craindre, messieurs, que si vous laissez dans certains cas décider la question de publicité des séances par le tiers des membres présents, cette résolution n’affecte désagréablement la grande majorité des membres présents ? Ne serait-il pas possible que ceux-ci se retirent effrayés des conséquences que peut avoir la résolution de leurs collègues, et rendent ainsi toute délibération impossible ?
Oui, messieurs, la timidité de quelques membres du conseil, quel que soit leur caractère modeste, les empêchera souvent d’assister à des séances dont la publicité leur paraîtrait inconvenante.
C’est donc pour rendre ces résultats moins probables que j’ai l’honneur de vous proposer, comme sous-amendement à la proposition de M. Doignon, la suppression des sept numéros dans lesquels il indique les cas est le consentement des deux tiers des membres du conseil serait requis pour obtenir le huis-clos.
Ainsi toutes les séances des conseils communaux seront publiques, à moins que la majorité des membres présents ne s’y oppose.
M. le président. - M. Gendebien vient de déposer un nouvel amendement et un article additionnel. Cet amendement est ainsi conçu :
« Les séances du conseil communal sont publiques. Néanmoins le conseil se forme en comité secret, sur la demande du président ou du quart des membres présents. Il décide ensuite à la majorité absolue si la séance doit être reprise en public sur le même sujet.
« Le président et les membres qui demandent que le conseil se forme en comité secret sont tenus de faire insérer leurs noms et leur demande au procès-verbal. »
Voici l’article additionnel. Il deviendrait l’art 70 : « Les jours, heures et lieux des séances, seront publiés et affichés aux endroits et de la manière accoutumée, au moins deux jours par avance.
« Les journaux de la cité seront dans le même délai invités à les publier. »
M. Gendebien. - Messieurs, au milieu du conflit d’amendements proposés par le gouvernement et les divers membres de cette chambre, il m’a paru que ce qu’il y avait de mieux à faire était de ramener les choses à leur simplicité. C’est aussi le moyen de se placer dans la vérité.
Je n’ai fait dans l’amendement que j’ai proposé que reproduire l’article 33 de la constitution et l’article 30 de notre règlement. Quoique personne n’ignore la constitution, il est bon cependant de relire cet article 33 :
« Les séances des chambres sont publiques.
« Néanmoins chaque chambre se forme en comite secret par la demande de son président ou de dix membres. Elle déclare ensuite à la majorité absolue si la séance doit être reprise en public sur le même sujet. »
L’article 30 de notre règlement exige que les députés qui demandent le comité secret signent leur demande qui est inscrite avec leurs noms au procès-verbal.
Vous avez pu voir à la simple lecture de mon amendement que je n’avais fait que reproduire textuellement l’article 33 de la constitution. Quant à l’article 30 de notre règlement, en l’appliquant au conseil communal, j’ai cru devoir y faire un léger changement. Je n’ai pas exigé que la demande du comité secret fût faite par écrit, parce que nous ne pouvons pas ignorer qu’il y a dans certaines communes des membres du conseil qui auraient de la peine à rédiger une demande. J’ai voulu seulement qu’ils fissent une demande et que leur demande et leurs noms fussent inscrits au procès-verbal.
Quelque parti que vous preniez, il sera difficile de déterminer les cas dans lesquels la publicité doit avoir lieu. Pour éviter cette difficulté, je vous propose une disposition qui est exécutée en Belgique depuis quatre ans sans inconvénient, Je propose de faire pour les régences ce qu’on fait ici. L’article 33 de la constitution a pour lui une expérience de quatre ans, et trois ans d’application ont justifié l’article 30 de notre règlement.
Si la chambre pouvait un jour oublier les principes de la constitution, au point de ne plus considérer la publicité comme droit, ce serait un très grand malheur ; les conseils de régence, par une conséquence naturelle, feraient la même chose et se constitueraient en état d’hostilité avec la publicité. Mais c’est là un inconvénient qui ne serait pas de longue durée, car il se ferait un peu plus tôt, un peu plus tard, une réaction qui ferait triompher les principes de la constitution.
Je crois, messieurs, que nous ne pouvons mieux faire que le congrès et la chambre de 1831. Nous trouvons dans les dispositions adoptées par le congrès et la chambre de 1831 toutes les garanties dont la constitution a voulu entourer le conseil de régence.
M. d'Hoffschmidt. - Grand partisan comme notre honorable collègue M. Gendebien de la publicité qui, selon moi, est un principe inhérent à tout gouvernement constitutionnel, je suis disposé à l’admettre pour les séances des conseils communaux, dans tous les cas où elle n’offre pas de graves inconvénients ; mais, messieurs, ce principe, quoique tout libéral, en ferait naître évidemment dans les communes rurales que nous confondons trop souvent avec les villes dans la loi qui nous occupe. Dans celles-ci, la publicité des séances des conseils peut en général être fort utile, parce que les intérêts qui y sont traités sont fort importants. Les magistrats municipaux sont des hommes capables de discuter les intérêts qui leur sont confiés en public, tout en maintenant l’ordre par l’ascendant que leur donnent leurs connaissances.
D’un autre côté, les grandes communes possèdent des hôtels-de-ville où se trouvent des salles que l’on peut disposer de manière à ne pas confondre le public avec les magistrats.
Pour ces communes-là, messieurs, je réclame fortement la publicité comme un bien-être pour elles, et j’adopte, à leur égard, l’amendement proposé par M. Doignon, que je préfère à celui de la section centrale qui n’a pas prévu les cas où le huis-clos pourrait, dans les cas donnés, devenir nécessaire dans les discussions incidentes. Mais je propose de le sous-amender, afin de former une exception quant aux petites communes où la publicité des séances du conseil serait de nature à jeter non seulement le plus grand désordre, par suite des animosités qui en naîtraient infailliblement, mais encore à entraver complètement l’administration.
En effet, messieurs, vous connaissez comment sont composés presque tous les conseils dans les communes rurales ; ils sont formés à peu près de cultivateurs très peu instruits et qui ne remplissent pour la plupart leurs fonctions qu’avec dégoût lorsque leur gestion leur suscite le plus petit embarras.
Les bourgmestres eux-mêmes sont en grande partie des cultivateurs tels que je viens de vous désigner les membres des conseils qu’il président ; ajoutez à cela que leurs séances se tiennent dans les petites chambres à manger du bourgmestre qui peuvent contenir à peine les membres du conseil, et vous concevrez que si le public a droit à y être admis, quel sera le genre de discussion qui y aura lieu surtout que les auditeurs ne se gêneront guère pour les magistrats avec lesquels ils travaillent à la campagne tous les jours. Quant à moi l’expérience que j’ai en administration suffit pour me démontrer à l’évidence que toute délibération quelconque serait impossible en présence de pareil auditoire, et je suis convaincu qu’accorder la publicité des séances dans les petites communes serait leur faire le présent le plus funeste.
L’on me dira, peut-être, qu’à la campagne le public se livre plutôt aux travaux agricoles qu’aux discussions administratives, ce qui est effectivement vrai en général, mais dans la plupart des communes il se trouve des oisifs ou avocats de villages qui, désappointés de ne pas avoir été élus, profiteraient de la latitude que leur donnerait la publicité des séances pour entraver la marche de l’administration, et ils y parviendraient sans grandes difficultés.
La commission nommée par le gouvernement pour former le projet d’organisation communale a si bien compris ces motifs, après avoir consulté toutes les députations des états de nos provinces ainsi que les chefs d’administration, qu’elle a consacré, quant à la publicité des séances des conseils communaux une exception pour les communes de 3,000 âmes et au-dessous ; et MM. les membres de cette commission ont sans doute aussi invoqué leur expérience en présence de laquelle ils ont fait céder des théories inadmissibles
Mais l’on me dira que cette exception est inconstitutionnelle puisque notre pacte fondamental a consacré le principe de publicité dans les limites établies par la loi, ce qui ne peut s’entendre dans ce sens que des communes peuvent être exceptées quant au principe.
J’admets que ce scrupule soit fondé, quoique ni l’esprit ni le texte du paragraphe 3 de l’article 108 de la constitution ne me paraissent bien positifs à cet égard, et pour le lever, je propose d’ajouter un alinéa à l’article proposé par M. Doignon.
D’après les motifs que je viens de vous énoncer, mes amendements consisteraient à commencer l’article proposé par cet honorable membre, par ces mots : « Dans les communes de 3,000 habitants et au-dessus, les séances des conseils communaux seront publiques, etc. », et à le terminer par un paragraphe ainsi conçu :
« Dans les autres communes la publicité n’a lieu que de l’avis unanime du conseil. »
Remarquez, je vous prie, messieurs, que la commission dont j’ai eu l’honneur de vous parler avait, sans égard pour la question constitutionnelle, excepté sans la moindre restriction les communes au-dessous de 3,000 habitants de la publicité, de sorte que ses dispositions étaient bien plus absolues que celles que j’ai l’honneur de vous soumettre, qui laissent aux conseils la faculté de tenir leurs séances en public lorsque ni l’intérêt de la commune, ni celui du bon ordre ne s’y opposent.
Je considère l’exception que j’ai l’honneur de vous proposer en faveur des petites communes comme tellement indispensable, que je me verrais forcé de rejeter tout article ou amendement quelconque, si cette disposition ne s’y trouve pas insérée.
La publicité des actes émanés du conseil communal sera suffisamment garantie dans les petites communes par l’article que nous avons adopté hier, lequel prescrit la communication des registres des délibérations de la commune. De cette manière, chaque fois qu’un particulier se croira lésé dans ses intérêts par un acte quelconque de l’administration communale, il pourra, en prenant copie de la délibération qui le concerne, connaître exactement l’étendue des griefs contre lesquels il croira avoir à réclamer.
Je viens de dire, messieurs, que je réclamais en faveur des petites communes une exception au principe de la publicité des séances des conseils communaux. Ce n’est pas sans intention que j’ai employé cette expression : « en faveur des petites communes. » Car vous accorderez réellement une faveur à ces communes, si vous leur refusez la publicité, des séances de leurs conseils, publicité qui amènerait un désordre complet dans les petites localités. Je ne conçois pas quant à moi d’administration possible, si elle est consacrée à leur égard.
Ne croyez pas, je vous prie, messieurs, que je suis ennemi de la publicité des séances des conseils locaux dans les grandes communes. Au contraire, messieurs, je la considère dans ce cas comme d’une absolue nécessité. Mais je peux, sans être en contradiction avec moi-même, ne pas la vouloir pour les petites communes. Il n’y a pas la moindre similitude dans les résultats que ce principe constitutionnel doit amener dans les unes et dans les autres.
Je ne finirai pas, messieurs, sans dire un mot sur l’amendement présenté par M. le ministre de l’intérieur et sur l’article du projet de la section centrale. L’un et l’autre, à mon sens, restreignent trop la publicité dans les grandes communes et l’étendent trop dans les petites. L’on ne pourra éviter de tomber dans un excès ou dans l’autre, quant aux questions de cette nature, dans tout le cours de la discussion du projet de loi communale. Cette fâcheuse nécessité résulte de l’inconvénient bien grave à mon avis de soumettre les petites communes et les grandes à la même législation. Si nous n’établissons pas dès à présent des exceptions, la législature se verra, dans deux ou trois années, obligée de rapporter beaucoup de dispositions de la loi communale ; car il est incontestable que telle disposition est bonne pour les villes qui peut être très mauvaise pour les petites communes, et je crains bien que l’expérience ne vienne confirmer mes prévisions à cet égard.
M. le président. - M. d’Hoffschmidt propose à l’amendement présenté par M. Doignon le sous-amendement suivant :
« Dans les communes de 3,000 habitants et au-dessus les séances des conseils communaux sont publiques. Dans les autres communes cette publicité n’a lieu que de l’avis unanime du conseil communal. »
M. Legrelle. - Je regrette que l’honorable rapporteur de la section centrale ne se trouve pas en ce moment à la séance pour défendre le projet de la section centrale. Je vais tâcher en son absence de présenter quelques considérations à l’appui d’une opinion que je partage avec elle.
La section centrale s’est montrée l’amie de la publicité, mais d’une publicité sage qui ne pût entraîner de désordre dans les assemblées des conseils communaux. Elle a pensé qu’au sein de ces conseils, cette publicité pouvait ne pas être sans danger. Qu’il me soit permis, messieurs, de vous lire un passage du rapport justificatif du projet de loi en discussion. Tout ce que je pourrais vous dire ne serait jamais à la hauteur de ce passage plein de sens et de lucidité :
« La publicité des séances des conseils communaux est l’une des questions les plus délicates que nous ayons eues à examiner.
« Ecartée par les sections et la section centrale du congrès, elle fut reproduite en la séance du 26 janvier 1831, simultanément avec celle des séances du conseil provincial, et quoique vivement combattue, elle fut enfin admise à la troisième épreuve dans les termes de la constitution, c’est-à-dire sauf les limites à établir par la loi.
« Quand on examine la discussion qui a précédé cette proposition, on doit reconnaître que c’est une question très difficile que celle de savoir si le congrès a entendu accorder une grande publicité aux conseils communaux, ou bien s’il l’a voulu admettre pour les conseils provinciaux, en la restreignant beaucoup dans les communes. Ce qu’il y a de plus positif, c’est que la constitution admet que la loi doit y apporter des limites ; et, en effet, on ne peut méconnaître que la publicité des séances des conseils communaux peut, en bien des cas, être plus dangereuse qu’utile, surtout dans les communes rurales, et que, si elle était absolue, en beaucoup de cas elle tendrait à augmenter les dépenses de la commune.
« Que la publicité soit de règle dans les chambres où l’on ne traite que les objets généraux, cela ne peut entraîner aucun inconvénient, et il en résulte de grandes garanties. Mais, dans les communes, les conseillers sont trop près de leurs commettants. En outre, à peu d’exceptions près, les intéresses seuls se rendraient aux séances du conseil, afin d’intimider ceux qui oseraient voter contre eux. S’agirait-il de fixer les traitements, les employés et leurs familles seraient les premiers auditeurs, et leur présence pouvant exercer une fâcheuse influence, augmenterait indéfiniment les dépenses de la commune : comment discuter, en présence des employés, leur mérite, leur incapacité, leurs traitements ? Il en est de la commune comme de la famille ; lorsque l’on traite ses affaires intérieures, on n’appelle pas ses serviteurs pour entendre. Mais cette publicité semble bien plus fâcheuse encore dans les communes rurales, où elle pourrait engendrer les plus grands maux pour l’ordre public et pour la sûreté des personnes. »
Je crois, messieurs, que ce passage renferme des vérités auxquelles il serait difficile de répondre.
L’honorable M. Gendebien n’a voulu poser à la publicité des séances des conseils communaux d’autres limites que celles que la législature s’est imposées pour son assemblée même.
Je ferai remarquer qu’il y a une différence très grande entre notre assemblée et les assemblées des conseils communaux, même des grandes villes, où toutes les affaires qui se traitent ont rapport à des questions de personnes. Nous n’avons jamais à nous occuper dans nos délibérations de choses qui ne concernent que des individus ; et jamais il ne se présente de questions où nos auditeurs soient directement en cause. Qui formera le public des séances communales ? Ce seront les personnes dont on agitera les intérêts dans le conseil. Lorsqu’il s’agira de fixer les traitements des employés, comment voudrez-vous que les conseillers parlent selon leur conviction si les individus ou les familles des individus en cause sont présentes à l’assemblée ?
Ne savez-vous pas que lorsque vous-mêmes vous voulez régler votre budget, votre ménage intérieur, vous reconnaissez la nécessité de réclamer un comité général ? Je pourrais vous citer beaucoup d’autres exemples où la publicité serait également dangereuse.
La constitution a consacré la publicité des séances des conseils communaux dans les limites voulues par la loi. C’est de ce principe consacré par la constitution qu’est provenue l’erreur de l’honorable M. Doignon. Il a pensé que la publicité était le principe général, la règle et la publicité l’exception. Si la constitution a reconnu qu’il devait exister des limites à l’exercice de la publicité, elle nous a donc laissé le soin de les tracer. Nous sommes donc autorisés par le pacte fondamental qui nous régit à éviter tout ce qui pourrait amener des désordres dans le sein des conseils communaux.
Une des considérations qui tendent à restreindre le principe de la publicité dans les conseils communaux, c’est que la plupart des locaux où ces conseils s’assemblent ne sont nullement disposés pour l’admission du public. Il faudra ou que le public soit séparé des membres du conseil par une grille, ou qu’il circule autour des magistrats mêmes. La position ne sera pas tenable. S’il y a des sifflets ou des applaudissements, le président n’aura pas l’autorité de les réprimer ; quoique vous l’ayez armé du pouvoir de punir les perturbateurs, il ne leur imposera pas assez de respect.
D’un autre côté, les délibérations perdront en promptitude par la publicité ; aujourd’hui que les affaires communales se traitent en familles on parle peu et on agit beaucoup. Quand les séances des conseil seront publiques, on parlera beaucoup et on agira moins. Il n’entre pas, messieurs, dans mon esprit de faire la critique des grandes assemblées délibérantes ; mais je pose en fait que dans un conseil communal il se traite en un temps donné beaucoup plus d’affaires que dans notre assemblée. La raison en est bien simple. Quand on n’a pas d’auditoire, et qu’on ne dit que ce que l’on doit dire, la parole est plus sobre, l’action plus vive. Dans le cas contraire, il arrive souvent que l’on ne parle que pour les tribunes, et l’expédition des affaires en souffre. La publicité n’aura d’avantage que pour quelques jeunes gens dont elle fera la réputation.
Tels sont les motifs qui m’engagent à appuyer la proposition de la section centrale. Je pourrais présenter d’autres considérations en faveur de son projet. Mais je me bornerai à ce que j’ai dit, et je termine en disant que nous ne pouvons admettre aucun amendement, si ce n’est celui de M. le ministre de l'intérieur.
M. Dubus. - Il n’a été donné aucun bonne raison en faveur de la proposition de la section centrale. Je ne pense pas que l’honorable préopinant ait atteint le but qu’il se proposait en abordant sa défense.
On a déjà dit que la section centrale présentait deux règles absolues, l’une pour le cas de publicité, l’autre pour le cas contraire. En pareille circonstance, il est impossible d’établir à la fois deux règles absolues. J’aurais désiré que le préopinant se fût attaché à défendre ce point de la proposition de la section centrale. (Erratum inséré au Moniteur belge n°236, du 22 novembre 1834 : Dans la séance du 18 novembre, discussion de l’article 69, le commencement de la réponse de M. Dubus à M. Legrelle : « Il n’a été donné aucune bonne raison jusqu’à présent en faveur de la proposition de la section centrale, etc. » offre une inexactitude très grave. M. Dubus a dit que c’était le préopinant M. Legrelle qui avait allégué qu’aucune bonne raison n’avait été donnée jusqu’alors contre la proposition de la section centrale, et que cependant il avait négligé de rencontrer l’une des principales objections qui avaient été faites, celle que la section centrale établissait deux règles absolues.)
Il me paraît que tous les orateurs qui m’ont précédé ont été de l’avis de la section centrale, quant au principe même de la publicité.
La divergence des opinions n’a porté que sur la manière de déterminer dans quels cas la publicité aura lieu et dans quels cas elle n’aura pas lieu.
Je dois cependant excepter du nombre des orateurs qui ont admis la publicité un honorable préopinant qui a présenté un amendement en faveur des petites communes, comme il l’a dit lui-même. Comme cet orateur invoquait son expérience administrative, je croyais qu’il avait en vue les communes de sa province, où beaucoup de villages n’ont que 150 âmes, et où l’on est obligé d’en réunir plusieurs pour en former une commune même très peu considérable. Pas du tout.
Ce ne sont pas seulement les petites communes que l’orateur a voulu priver du bienfait de la publicité, mais presque toutes les communes de la Belgique. Car, je pose en fait que sur 2,500 communes dont notre pays se compose, il y en a plus de 2,000 dont la population est inférieure à 3,000 âmes. Voilà donc plus de 2,000 communes mises hors la loi par le sous-amendement de l’honorable M. d’Hoffschmidt.
On fait une exception en faveur des grandes communes pour suspendre en quelque sorte la constitution dans la presque totalité des communes du royaume. On admet la publicité ; mais admirez comment on l’admet : il faut qu’elle soit établie du consentement des membres du conseil ; n’est-ce pas là renverser la constitution ? La règle dans la constitution, c’est la publicité ; au lieu que dans l’amendement la règle c’est le secret. N’est-ce pas là fouler aux pieds la disposition constitutionnelle.
Je ne comprends pas les motifs d’un pareil système. S’il est de si saillantes raisons pour l’appuyer, vous devez croire qu’elles frapperont la majorité des membres des conseils municipaux et que cette majorité se prononcera pour le huis-clos quand il sera utile ; mais l’orateur se défie tellement de l’intelligence des membres des conseils, qu’il veut l’unanimité pour obtenir la publicité. Avec une telle préoccupation d’esprit, il ne fallait pas voter l’article 108 de la constitution. Messieurs, nous devons respecter la constitution, la mettre en pratique par les lois, et non la renverser par les lois.
Pour ce qui me concerne, l’amendement auquel je donnerai la préférence est celui qui a été présenté par l’honorable M. Gendebien, et je ne vois pas qu’il puisse donner lieu à des inconvénients.
C’est la majorité, d’après cet amendement, qui prononcera ; on ne pose pas de principe absolu : la majorité, selon les cas, admettra la publicité ou le comité secret. L’honorable membre, par sa proposition, rend hommage à la constitution ; nous ne devons pas supposer que des motifs d’ordre public, ou des motifs intéressant la morale publique, ne toucheront pas la majorité du conseil ; ainsi la publicité posée en principe ne peut entraîner aucun danger. Organisez le principe selon la constitution ; si dans l’exécution il naît quelques difficultés, la législature est là pour y porter remède ; mais ne nous défions pas du bon sens public, du bon sens des principaux habitants d’une commune.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Les honorables membres qui se sont appuyés sur le texte de la constitution pour faire admettre dans la loi la publicité comme principe, comme règle générale, me paraissent avoir plutôt dévié du sens constitutionnel que s’en être rapprochés. Pour prouver cette assertion, il me suffit de comparer les articles 53 et 108 de la loi fondamentale.
L’article 53 dit : « Les séances des chambres sont publiques. » Voilà un principe nettement énoncé. « Néanmoins, ajoute l’article, chaque chambre se forme en comité secret sur la demande du président, ou de dix membres. » C’est ainsi que le congrès national qui n’hésitait pas dans l’expression de sa pensée, l’a formulée.
Quand le congrès n’a pas voulu établir d’une manière absolue la publicité, lorsqu’il a voulu s’en rapporter à la législature, il s’est exprimé autrement. Que dit l’article 108 . Au paragraphe 4, il dit : « La publicité des séances des conseils communaux et provinciaux aura lieu dans les limites établies par la loi. »
Voulez-vous n’avoir aucun doute sur l’acception de ces mots, « dans les limites établies par la loi, » rappelez-vous ce qui s’est passé au congrès quand l’article a été discuté.
Dans la section centrale du congrès, l’on avait admis en principe l’élection directe des membres des conseils municipaux pour les villes, et l’on n’avait pas admis ce principe de l’élection directe pour les campagnes ; eh bien, quelle a été la rédaction adoptée pour embrasser les deux cas ? On a dit : L’élection sera directe dans les limites établies par la loi.
Voilà comment on a libellé l’article. Ainsi quand on n’a pas voulu poser comme règle absolue l’élection directe, et permettre de faire une exception pour les communes rurales, on a mis :
« L’élection sera directe dans les limites établies par la loi. » Il est donc évident que les expressions de l’article 108 ne prescrivent pas la publicité des conseils communaux comme une règle générale. La loi peut donc déterminer les cas où la publicité peut avoir lieu et les cas où il faut l’écarter.
Ce point posé, il ne me reste plus qu’à discuter l’opportunité de la publicité. Je crois qu’il faut énoncer dans quelles circonstances la publicité aura lieu, et dans quelles circonstances elle sera interdite ; c’est cette marche que j’ai suivie dans ce que je propose à la chambre ; et ce que j’ai entendu ne m’a pas fait changer d’opinion.
M. Doignon et d’autres honorables membres ont posé comme principe la publicité des conseils communaux ; seulement ils laissent à ces conseils la faculté du huis-clos dans certaines circonstances ; mais du moment où vous admettez comme principe la publicité des séances, il est évident qu’il n’y aura presque jamais d’exception. Par là encore on expose les conseils communaux à perdre un temps précieux pour discuter dans chaque séance s’il y aura séance publique ou comité secret. Je pense que ce système est très mauvais en pratique.
Quelques orateurs ont cru qu’il ne présenterait pas d’inconvénients si on bornait la publicité aux grandes villes ; mais M. Legrelle, bourgmestre d’Anvers, et par conséquent à même d’apprécier les avantages et les inconvénients de la publicité, vous a signalé les cas nombreux où elle est loin d’être utile.
Dans les grandes villes même le principe de la publicité peut donner lieu à de graves inconvénients ; ces inconvénients sont parfaitement indiqués dans le rapport de la section centrale, et je ne m’arrêterai pas sur ce point.
Pour appuyer son amendement, M. Doignon a montré quelques désavantages dans les cas où la section centrale demande le huis-clos ; je ne puis partager l’opinion de l’honorable membre. J’ai beaucoup de peine à concevoir qu’il puisse y avoir en discussion des questions qui puissent intéresser les bonnes moeurs ou qui puissent troubler l’ordre public.
Toutefois je ferai remarquer que dans le cas où de semblables questions seraient agitées, on a donné des moyens de police au président de l’assemblée. Si l’on veut donner aux conseils la faculté de délibérer à huis-clos dans des circonstances particulières, il faut dire, dans la rédaction proposée par la section centrale, que dans le cas où l’ordre public et les bonnes meurs seraient intéressés, le conseil ordonnera le huis-clos et fera mention dans le procès-verbal des motifs qui le déterminent à prendre cette mesure. De cette manière on aura satisfait au voeu de la loi et atteint le but qu’on se propose.
Cet amendement pourrait être proposé si la chambre admettait le principe de déterminer les cas où la publicité a lieu.
Je pense que pour l’ordre de la délibération il est important de résoudre d’abord la question de savoir si on admettra comme règle générale la publicité des séances, sauf à déterminer les cas où elles devront être secrètes, ou bien si on déterminera les cas dans lesquels la publicité devra avoir lieu. Je crois que de cet ordre de délibération doit résulter la prompte solution des difficultés qui ont été élevées, tandis que si nous persistons dans l’examen simultané des nombreux amendements proposés, la discussion sera longue et embarrassée. J’appelle l’attention de la chambre sur ce point.
M. Gendebien. - L’honorable M. Legrelle déplorait tout à l’heure l’absence de M. le rapporteur ; au cas que la chambre désirerait l’entendre, je ferai remarquer qu’il est maintenant à sa place.
M. Dumortier, rapporteur. - Je parlerai tout à l’heure.
M. Gendebien. - Je saisis cette occasion pour dire à l’honorable rapporteur que j’aurais du plaisir à l’entendre.
M. Dumortier, rapporteur. Avant de prendre la parole, j’aurais désiré entendre les honorables membres qui veulent combattre le projet de la section centrale ; cependant si la chambre désire m’entendre dès à présent… (Parlez ! parlez !)
Je suis d’autant plus disposé à défendre le projet de la section centrale, qu’il est l’expression complète de mon opinion personnelle. Puisque l’assemblée le désire, j’aurai l’honneur de lui expliquer les motifs qui ont dirigé votre section centrale dans cette proposition.
Il y a dans la question qui nous occupe, d’abord un principe constitutionnel à examiner sur lequel je fixerai d’abord votre attention. La constitution a-t-elle ou non établi comme règle la publicité des séances des conseils communaux ? Telle est la première question que nous devons nous adresser. Si la constitution a tracé la règle, nous ne devons pas en dévier, nous devons l’accepter avec toutes ses conséquences. Si au contraire la règle ne se trouve pas dans la constitution, nous pouvons faire ce que nous trouvons de plus utile, de plus convenable, de plus opportun.
Pour bien juger la question, il importe de voir comment a marché la discussion dans le sein du congrès. C’est ici une espèce d’interprétation de la constitution que nous avons à faire ; nous devons donc rechercher comment a procédé le congrès.
D’abord le comité de constitution a proposé, relativement aux administrations provinciales et communales, la disposition suivante qui est à peu de chose près le texte adopté par le congrès :
« La publicité des séances dans les limites établies par la loi. » Ce principe de publicité une fois posé par le comité de constitution, la question a été renvoyée à l’examen des sections.
Voyons comment s’exprime le rapporteur de la section centrale : « Cette disposition, dit-il, a été adoptée par les 1ère, 3ème, 4ème et 6ème sections. La 2ème a rejeté la disposition que 4 membres seulement voulaient conserver. La 3ème a été d’avis que la publicité ne devait avoir lieu que pour les séances des conseils provinciaux et non pour celles des autorités communales. Dans la 7ème section la disposition a été rejetée par 12 membres contre 3. Enfin la 8ème section n’a voulu la publicité des séances que pour les conseils provinciaux. »
Ainsi, de 8 sections, 4 admettaient la publicité des séances dans les limites établies par la loi, 4 la rejetaient et la refusaient spécialement pour les conseils communaux.
Je ferai observer que, par suite des mots « dans les limites établies par la loi, » la constitution ne pose pas un principe absolu. Il y a des limites à poser ; il faut qu’elles soient posées. Il n’y a pas là de principe fixe et invariable.
Nous avons vu ce qui s’est passé dans les sections ; voyons maintenant comment les choses se sont passées dans la section centrale. Là on s’est demandé : 1° s’il y avait lieu d’admettre la publicité des séances des conseils provinciaux ; 2° s’il fallait admettre aussi la publicité des séances des conseils communaux. La première question a été résolue affirmativement à l’unanimité ; ainsi il a été décidé que les séances des conseils provinciaux seraient publiques dans les limites établies par la loi. La 2ème question a été résolue négativement par une majorité de 10 membres contre 3 ; ces derniers demandaient la publicité non pour les conseils communaux des communes rurales, mais seulement pour ceux des villes ; et ils trouvaient dans les mots « les limites établies par les lois » la garantie que la publicité aurait lieu pour ces seuls conseils communaux.
Voici comment s’explique le rapporteur de la section centrale en répondant à ces membres composant la minorité : « On a craint que la publicité ne nuisît à l’expédition des affaires d’intérêt communal et on a pensé que rien n’exigeait la publicité des conseils communaux. » Ainsi la section centrale a admis pour les conseils provinciaux la publicité des séances dans les limites établies par la loi, et elle l’a repoussée pour les conseils communaux. D’après cela le n°3° de l’article de la constitution a été formulé en ces termes par la section centrale :
« 3° La publicité des séances des conseils provinciaux dans les limites établies par la loi. »
Arrivons maintenant à ce qui s’est passe au sein du congrès. Je tiens en main le compte-rendu de la séance du 26 janvier 1831. Voici comment il s’exprime :
« L’ordre du jour est la discussion des pouvoirs provincial et communal.
« Sur le paragraphe 30 de la section centrale dont je viens de donner lecture, M. Devaux propose l’amendement suivant : « La publicité des séances des conseils provinciaux et communaux dans les limités établies par la loi. »
« M. Barthélemy combat l’amendement de M. Devaux, il y trouve de grands inconvénients. Il ne faut pas admettre le public aux séances d’un conseil où l’on traite souvent des questions purement personnelles dont la publicité pourrait alarmer les familles.
« M. le comte d’Arschot appuie l’opinion de M. Barthélemy et dit que la publicité des séances des conseils communaux dans les campagnes peut entraîner de grands inconvénients. Il croit qu’il ne faudrait pas admettre cette publicité. »
Vous voyez que les deux orateurs écartaient le principe de la publicité. Voyons maintenant comment s’exprime l’auteur de l’amendement pour le justifier.
« M. Devaux - En disant : « dans les limites établies par la loi » on laisse au législateur le soin de décider en quel cas et où cette publicité doit avoir lieu. »
Il résulte évidemment de ces développements donnés par l’auteur de l’amendement que toute latitude est laissée au législateur en ce qui concerne la publicité des séances des conseils communaux.
Ceci posé, examinons ce qu’a fait le gouvernement dans son projet. Il ne parle pas de la publicité des séances, il a cru qu’ainsi elle était interdite dans tous les cas. Votre section centrale a cru devoir s’occuper de cette question. Tout en admettant qu’en ce qui a rapport aux intérêts privés la publicité pouvait être dangereuse, nous avons reconnu que dans d’autres cas elle présentait d’immenses avantages.
Nous n’avons pas considéré la constitution comme traçant une règle absolue ; et nous avons présenté ce qui est relatif à la publicité sous trois faces différentes. Nous avons admis : 1° des cas essentiellement obligatoires et où la publicité ne peut être refusée par les conseils communaux ; 2° des cas où elle est facultative ; 3° enfin des cas où la publicité est prohibée. Voilà les limites que nous avons posées. Nous n’avons tracé des règles absolues que suivant les cas auxquels elles se rapportent ; nous avons pensé que cela valait mieux qu’une règle générale là où le congrès n’en avait pas voulu.
Nous sommes tous d’accord sur la convenance de consacrer la publicité de droit lorsque les délibérations ont pour objet :
« 1° Les budgets à l’exception du chapitre des traitements, et les comptes ;
« 2° Le principe de toute dépense qui ne peut être couverte par les revenus de l’année ou le solde en caisse de la commune, ainsi que les moyens d’y faire face ;
« 3° L’ouverture des emprunts ;
« 4° L’aliénation totale ou partielle des biens ou droits immobiliers de la commune, les échanges et transactions relatives à ces biens ou droits, les baux emphytéotiques, les constitutions d’hypothèques, les partages des biens indivis ;
« 5° La démolition des édifices publics ou de l’antiquité. »
Hors de là nous avons déclaré la publicité facultative, en laissant à la sagesse des conseils à prononcer à cet égard.
Mais cependant nous avons pensé qu’il y avait des cas où la loi devait interdire la publicité des séances : par exemple, quand le conseil doit s’occuper de questions de personne. Nous n’avons pas cru que dans ce cas le conseil pût avoir la faculté de délibérer en public, parce que la publicité serait plus nuisible qu’utile à la commune.
On ne peut pas se dissimuler que, même dans les plus grandes villes, les séances du conseil communal ne sont fréquentées que par ceux qui ont intérêt à s’y rendre. Eh bien, les personnes sur l’intérêt desquelles le conseil aura à prononcer viendront avec leur femme et leurs enfants à la barre du conseil examiner les opinions émises, et porter haine à mort à ceux qui leur seront défavorables. On ne peut se tromper sur cette vérité, on ne gagnerait rien à la dissimuler. »
Le conseil communal délibère sur la fixation des traitements, et là on apporte toute l’économie possible, parce qu’on ne veut pas grever la commune d’impôts onéreux, et en cela on est plus sage que dans de grandes assemblées. Eh bien ! quand un conseil communal aura à délibérer sur des traitements d’employés, ces employés viendront, entourés de leur famille, réclamer un salaire plus élevé ; le conseil pourra se laisser influencer, et il en résultera une augmentation d’impôt pour la commune. C’est ce que nous avons voulu éviter en décidant que, dans ces cas, la publicité des séances devait toujours être interdite.
Nous avons cru devoir également interdire la publicité des délibérations relatives aux établissements d’utilité publique, hospices et bureaux de bienfaisance, parce que ces délibérations ont presque toujours des acquisitions pour objet.
Nous avons établi en principe qu’on ne pouvait pas permettre la publicité des délibérations relatives à des acquisitions. Tout le monde est d’accord sur ce point, et c’est avec raison. En effet, s’il s’agit de percer une rue et qu’on délibère en public sur la direction qu’on lui donnera, les propriétaires s’entendront et feront payer une plus-value, et la commune en souffrira. C’est dans l’intérêt de la commune que nous avons interdit la publicité. Pour les taxes municipales, nous avons cru remarquer que ces taxes reposent sur des industries spéciales, et nous n’avons pas voulu mettre les propriétaires face à face avec le conseil parce que quand il s’agirait de fixer les droits sur la bière, les brasseries, les brasseurs viendraient avec leurs familles aux délibérations du conseil dans l’espoir d’influencer sa décision ; quand il s’agirait des taxes sur les distilleries, les propriétaires de ces établissements viendraient faire un crime au conseil de ne pas leur permettre de vendre leurs produits assez bon marché ; quand il s’agira de fixer la taxe sur la viande, ce seront les bouchers qui viendront avec leurs grands couteaux.(On rit.)
Vous comprenez, messieurs, que dans ces cas la publicité serait encore dangereuse. Mais d’un autre côté elle ne saurait l’être dans les cas que nous avons déterminés. Nous la regardons même comme très utile dans ces cas ; c’est pourquoi nous refusons au conseil le droit de la restreindre. Nous le forçons alors à délibérer en public, comme dans d’autres cas nous avons décidé que jamais les séances ne seraient publiques. Tels sont les motifs qui ont déterminé la section centrale.
M. le ministre de l’intérieur est d’accord avec la section centrale, seulement il repousse toute publicité facultative. La section centrale a cru qu’il fallait, dans beaucoup de cas, laisser à la sagesse du conseil la faculté de décider si la publicité devait avoir lieu ou non.
Je ferai remarquer que dans les petites communes, excepté pour les budgets et les comptes, les cas où la publicité est obligatoire ne se présenteront pas. Les petites communes ne font pas d’emprunt, elles n’aliènent pas, et en cas d’aliénation, il n’y aurait pas de mal à ce que les habitants sussent ce qu’on entend faire des propriétés de la commune. Quant aux monuments d’antiquité, ces communes n’en ont pas, ou très rarement ; elles n’ont guère d’autre édifice que leur église. Les cas que nous avons déterminés ne s’appliquent donc qu’aux villes et très peu aux communes. Nous aurons ainsi rempli les intentions du congrès, qui voulait la publicité des séances pour les conseils des villes et n’en voulait pas pour les communes.
Quant aux cas où la publicité est facultative, les membres du conseil seront assez sages pour ne pas admettre cette publicité quand elle pourra être dangereuse.
Je conviens que, dans beaucoup de communes, la publicité ne peut pas avoir lieu, la séance se tenant au cabaret entre les pots et les verres. Il ne se peut pas que les femmes et les enfants viennent s’asseoir à la même table que les conseillers et se mêler à leurs délibérations ; mais c’est ce que le conseil lui-même comprendra, et dans ce cas il décidera que la publicité ne peut pas avoir lieu. Comme, dans les cas où la publicité est facultative, nous avons exigé, pour qu’elle eût lieu, qu’elle fût demandée par les deux tiers des membres présents, nous avons une garantie qu’elle ne sera pas ordonnée quand elle pourra être dangereuse. Tels sont les motifs qui ont dirigé la section centrale. Je pense qu’ils obtiendront l’assentiment de l’assemblée.
M. le président. - M. Verdussen vient de déposer un amendement. Il propose d’ajouter après l’énumération des cas où la publicité est de droit : « Toutefois, la majorité des membres présents pourra, dans les cas précités, réclamer le huis-clos pour des considérations d’ordre public, ou à cause d’inconvénients graves. »
M. Verdussen. - Je n’entrerai pas dans de longues explications pour développer mon amendement. Ce qu’on a dit dans la discussion pourrait suffire pour en faire comprendre les motifs.
Je partage l’opinion émise par M. le rapporteur, et les idées exposées par M. le ministre de l’intérieur, sous le rapport de la publicité non pas obligatoire, mais facultative, des séances des conseils communaux.
Je pense que M. Doignon s’est écarté du principe constitutionnel, en n’exigeant pas la publicité des séances dans tous les cas. Indépendamment des considérations qu’ont fait valoir les deux orateurs qui ont parlé dans ce sens, je dirai que l’article 108 de la constitution porte que les institutions provinciales et communales seront réglées par des lois qui consacreront l’application des principes suivants :
1° l’élection directe, sauf les exceptions que la loi peut établir à l’égard des chefs des administrations communales et des commissaires du gouvernement près des conseils provinciaux.
Remarquez que dans ce paragraphe la constitution consacre le principe de l’élection directe sauf les exceptions que la loi peut établir ; tandis que dans le paragraphe relatif à la publicité des séances des conseils, la constitution ne dit pas sauf les exceptions, mais dans les limites établies par la loi.
Nous avons donc à régler les limites de la publicité de ces séances, mais nous ne devons pas établir d’exceptions. Je pense qu’il y a des cas où la publicité des séances des conseils communaux peut être dangereuse ; aussi je ne prétends pas que cette publicité doive être une règle invariable et absolue. Mais dans mon opinion la restriction doit s’appliquer à des cas et non pas à telle ou telle commune. J’ajouterai que j’ai emprunté à M. Doignon une partie des expressions de mon amendement.
M. Gendebien. - Messieurs, l’honorable M. Dubus vous a démontré des inconvénients que je n’avais fait que signaler en passant, c’est-à-dire que si, au lieu d’adopter mon amendement, vous persistez à discuter la loi telle qu’elle vous est proposée par la section centrale et commentée par les divers amendements qui y ont été ajoutés, vous aurez beau prolonger votre discussion, vous ferez toujours une loi imparfaite, parce qu’il n’est pas de l’essence de la législature d’entrer dans de pareils détails. L’expérience a démontré que le législateur doit toujours éviter les énumérations ; poser des règles, puis établir des exceptions, mais toujours en principe et jamais par énumération.
Il est inutile de citer des exemples et des autorités pour démontrer cette vérité. Ce que nous avons fait depuis hier en est la preuve. Je ne sais si, quand vous aurez discuté toute cette séance, vous ne serez pas obligés de renvoyer le tout à la section centrale pour vous présenter un nouveau rapport sur lequel la discussion s’ouvrira derechef.
Messieurs, je pense rentrer complètement dans l’esprit de la constitution en vous proposant un nouvel article 69.
Je trouve dans ma proposition à la fois la règle et l’exception : la règle, parce qu’elle consacre la publicité des séances, l’exception parce qu’elle prévoit les cas où il serait utile de déroger à ce principe.
Le paragraphe 3 de l’article 108 de la constitution établit la publicité des séances des conseils provinciaux et communaux dans les limites établies par la loi. Si la constitution n’avait pas dit cela, vous ne pourriez établir aucune exception quelconque. Maintenant, lorsque vous avez fait l’application de cet article 108 aux conseils provinciaux sur le principe de la publicité des séances, il n’est venu dans l’idée de personne d’y apporter des restrictions. Cependant, aujourd’hui qu’il s’agit de la publicité des séances des conseils communaux, on cherche à y mettre des entraves et pourtant le principe se trouve posé dans le même article, sur la même ligne, avec la même valeur que pour les conseils provinciaux.
Pourquoi ne pas accorder aux conseils communaux ce que vous avez accordé sans difficulté aux conseils provinciaux ? La constitution dit que la publicité des séances des conseils communaux sera appliquée dans les limites établies par la loi. En résulte-t-il qu’elle a imposé à la législature l’obligation rigoureuse d’établir ces limites ? Non, elle lui en a simplement laissé la faculté. Aussi ai-je posé ces limites dans le sens qu’a eu en vue la constitution. Elles font l’objet du premier paragraphe de mon article 69 ainsi conçu :
« Néanmoins le conseil se forme en comité secret sur le demande de son président ou du quart des membres présents. »
Maintenant voilà le principe des limites ou exceptions établi. Où le puisé-je ? Dans la constitution même, dans l’article 30 de votre propre règlement ; je pourrais le trouver également dans les règlements des conseils provinciaux. Quoi de plus simple que de laisser au président ou à la moitié des membres présents la faculté de demander le huis-clos, alors que les délibérations auxquelles il donnera lieu devront être confirmées par l’assentiment de la majorité ? Si vous avez une telle défiance des conseils communaux, changez la constitution. Mais tant que l’article 108 subsistera, il faudra bon gré mal gré avoir la même confiance que le congrès dans les conseils communaux.
Messieurs, aurai-je besoin de suivre et M. le ministre et M. le rapporteur de la section centrale dans ses digressions sur les discussions du congrès et sur les dispositions premières du comité de constitution ? Il me semble avoir expliqué bien clairement, bien nettement, l’intention des auteurs de la constitution. Vous avez vu que l’on avait proposé au congrès la publicité des séances en faveur des conseils provinciaux.
M. Devaux demanda que l’on étendît les bienfaits de cette publicité aux conseils communaux. Il expliqua au congrès qu’il entendait par cette adjonction que la législature serait chargée de régler dans quel cas et où la publicité sera admissible. La proposition que je fais rentre tout à fait dans l’esprit de ce texte. Je détermine dans quels cas et où la publicité des conseils communaux sera admissible.
Je vous défie de faire une nomenclature exacte des cas de prohibition et d’autorisation de la publicité. Votre tâche sera d’autant plus difficile qu’elle sera double, puisque vous serez obligés de faire une double énumération. En adoptant mon article, vous vous dispensez de faire une loi incomplète. Vous laissez aux conseils communaux le droit de déterminer dans quels cas la publicité aura lieu. Je rentre précisément dans la règle et dans l’exception proposées par M. Devaux. Je ne préjuge rien. C’est au bon sens et à la sagacité, aux principes de liberté et de convenance des conseils, que je laisse à décider les cas où le comité secret sera nécessaire. Je défie que la législature puisse préciser d’une manière claire et nette une nomenclature qui ne laisse rien à désirer.
D’autres orateurs sont entrés dans de longs développements sur les inconvénients graves qu’entraînera selon eux la publicité des séances des conseils communaux. Ils ont dit que cette publicité pouvait être fort bonne dans les grandes villes, mais qu’elle serait dangereuse dans les petites communes ; que l’administration y serait impossible, que les salles occupées par les conseils communaux seraient encombrées d’oisifs, de brouillons, de femmes, d’enfants, de distillateurs, de brasseurs, voire même de bouchers avec leurs grands couteaux. (Hilarité.) Toute cette fantasmagorie peut réussir à faire peur à des enfants ; mais elle ne doit faire aucune impression sur des membres placés à la tête des administrations communales. Que celui qui n’a pas le courage d’accepter toutes les conséquences qu’entraîne la magistrature ne se mette pas sur les rangs. Que ceux qui ne se sentent pas la force d’affronter les clameurs des enfants et les grands couteaux des bouchers restent chez eux. (Nouvelle hilarité.)
Il semble que l’on ait voulu travestir d’avance les séances des conseils communaux en parodies des turbulentes séances de la Convention avec sa tribune de tricoteuse. Il semble que toutes les tricoteuses des communes vont se rendre dans les conseils. Il semble plutôt que l’honorable rapporteur ait seulement eu en vue de ridiculiser ces assemblées communales pour nous peindre quelque scène de Molière.
Enfin la grande raison que l’on invoque, c’est que l’administration deviendra impossible dans les petites communes. Veuillez bien remarquer que c’est en restant sans cesse dans le même cercle vicieux que l’on retarde l’émancipation des communes. Les habitants des petites communes sont ignorants, il faut les laisser dans leur ignorance et ne pas leur accorder des libertés qui les en feraient sortir. Vous connaissez bien peu les mœurs des habitants des campagnes. Savez-vous ce qui cause parmi eux le plus de défiance et de haine ? C’est la supposition, presque toujours mal fondée ou plutôt toujours mal fondée, que les administrateurs des communes mettent les revenus locaux dans leurs poches.
J’ai dit que cette supposition était mal fondée, parce que les malversations parmi les bourgmestres ont été excessivement rares. Voilà un inconvénient qui disparaîtra lorsque les affaires de la commune se traiteront au grand jour. Les habitants des communes seront alors forcés de convenir que l’on n’administre pas aussi facilement qu’ils se l’imaginaient.
M. d'Hoffschmidt. - La faculté de compulser les registres communaux n’est-elle pas suffisante pour amener ce résultat ?
M. Gendebien. - Je prie mon honorable interrupteur de vouloir bien attendre pour me réfuter que j’aie cessé de parler, et de m’écouter avec toute l’attention que j’ai prêtée à son discours.
J’ai eu l’honneur de vous dire, messieurs, que je trouvais des avantages à la publicité des séances des conseils communaux. J’achève de le démontrer. Dans les petites communes disparaîtra cette suspicion presque générale que l’on entretient contre l’administration locale. Les habitants finiront par discuter paisiblement leurs intérêts, au lieu de demander la solution de leurs disputes aux grands couteaux des bouchers. (Hilarité.) Les hommes les plus animés les uns contre les autres finiront par s’entendre au bout de la séance, se donneront la main, ou scelleront la paix entre les pots et les verres dont un honorable orateur a bien voulu peupler les locaux des conseils communaux. (Hilarité.) Les habitants se sentiront capables d’administrer leurs propres affaires, et leurs moeurs se poliront, car c’est par le frottement que les hommes se polissent.
Vous voulez un gouvernement représentatif, et vous ne voulez rien faire de ce qui peut rompre le citoyen à la vie politique. Vous voulez lui ôter tous les moyens d’achever son éducation constitutionnelle. Savez-vous s’il ne se trouve pas dans les villages des jeunes gens en qui la publicité des séances pourra révéler des talents administratifs capables de les faire arriver un jour au ministère ? Quand cette publicité ne servirait qu’à apprendre aux paysans à gérer leurs propres affaires, elle aurait déjà amené un grand bienfait. Ils n’iraient plus confier leur fortune à ces mauvais avocats de village qui ne vivent que de la ruine des malheureux.
Je ne croyais pas qu’en 1834, après une révolution qui a consacré la liberté en tout et pour tous, on hésitât à donner aux habitants des campagnes les seules institutions qui pourraient les retirer de l’ignorance où ils ont gémi jusqu’à ce jour.
Je crois en avoir dit assez pour justifier mon amendement et pour établir que toute autre discussion serait oiseuse et prolongerait nos débats sans résultat.
Je me résume. Je dis que la proposition de la section centrale a ce vice dont tout législateur doit se garder ; c’est de faire une énumération, une double énumération ; je dis que la proposition de la section centrale n’établit pas nettement ce que je trouve dans la constitution : de l’exception elle fait la règle ; c’est-à-dire que le huis-clos sera la règle. Dans mon amendement je ne fais que me servir des termes de la constitution. J’ai montré les avantages de ma proposition ; on ne m’a opposé aucun inconvénient dans son application ; par ces motifs je crois devoir terminer ici ; je craindrais d’abuser de votre patience en en disant davantage.
Je me réserve toutefois de répliquer.
M. Devaux. - J’ai toujours pensé que la publicité dans les conseils communaux pouvait avoir une grande utilité ; j’ai toujours pensé également que dans certaines circonstances les inconvénients de cette publicité l’emportaient sur ses avantages.
Je crois donc que la constitution a bien fait de laisser au législateur toute latitude, ou la faculté de distinguer les cas.
Le moment est venu de faire la distinction. Selon moi nous devons garantir la publicité dans les cas où elle est le plus utile, où elle est une nécessité et nous devons garantir également les cas du secret, là où la publicité aurait plus d’inconvénients que d’avantages.
La constitution a voulu une certaine publicité, elle a reconnu qu’il pouvait résulter de bons effets de la publicité ; et c’est pour cela qu’elle s’est servie des termes dans les limites de la loi. Quand la constitution pose des principes, elle dit autrement ; elle dit : « Sauf les limites de la loi. »
Si j’ai bonne mémoire, ces derniers mots furent proposés pour faire partie de l’article 108 ; on fit remarquer que la publicité n’était pas de principe pour les conseils communaux et qu’il fallait une autre rédaction. C’est ce qui a été adopté.
Je le répète, nous devons établir des garanties pour la publicité, et contre elle ; nous pouvons même établir trois cas. Le premier serait celui où la publicité est indispensable, où elle serait ordonnée ; le second comprendrait la faculté de rendre publics les débats des conseils, c’est-à-dire que l’on abandonnerait la publicité à l’avis du conseil municipal ; dans le troisième cas la publicité serait prohibée, serait interdite.
Sur le premier point je suis d’accord avec la section centrale, et on peut se contenter de son énoncé. Je ne partage pas l’avis d’un honorable membre qui soutient que c’est à la majorité du conseil à décider dans toutes les circonstances s’il y aura publicité : nous devons garantir, assurer la publicité dans plusieurs circonstances ; sans cela on pourrait craindre que beaucoup de régences ne fussent toujours disposées à la repousser : je ne veux pas de la décision de la majorité, je veux la décision de la loi. Tel est le but, il me semble, de l’amendement de M. Verdussen.
Il est ensuite des cas où la publicité ne doit pas être obligatoire, alors nous devons nous en rapporter aux conseils communaux. Je ne vois pas pourquoi on empêcherait la publicité quand la majorité du conseil la veut ; ni pourquoi on demanderait les deux tiers des voix comme le propose la section centrale. Le conseil peut désirer la publicité par des motifs de délicatesse, il peut la désirer afin d’appeler l’attention publique sur certaines questions et de s’éclairer d’avis étrangers.
Mais il est des cas où il faut évidemment prohiber la publicité ; et ici je suis de l’avis de M. d’Hoffschmidt. Il faut surtout la prohiber dans les petites communes. Dans les petites communes, si on ne se réunit pas toujours dans la chambre à coucher du bourgmestre, le conseil municipal se réunit quelquefois sur les bancs d’un cabaret. Là les conseillers sont en présence d’amis qu’ils voient tous les jours, et il serait impossible que ces amis ne prissent pas la parole.
Vous donnez au bourgmestre le droit d’expulser ceux qui, sans droit, prendraient part au débat ou donneraient des marques d’approbation ou d’improbation ; mais le bourgmestre n’a pas toujours à sa disposition des moyens d’opérer des expulsions et à moins qu’une rixe ne s’engage entre les auditeurs et les conseillers, il ne peut expulser et agir de lui-même.
Je demande que dans les communes de 2,000 âmes et au-dessous (ce sont les plus nombreuses en Belgique), les séances du conseil communal ne soient publiques qu’en vertu d’une décision des états députés.
J’aime mieux la décision des états députés que celle de la majorité des conseils communaux. Là où la publicité sera nuisible, le conseil provincial le dira hautement : le conseil communal pourrait ne pas oser le dire, dans la crainte de déplaire à ses amis.
- L’honorable orateur dépose sur le bureau un amendement libellé d’après la théorie qu’il vient d’établir.
M. d'Hoffschmidt. - La discussion qui nous occupe est très importante. L’article qui la fait naître a déjà été ajourné pour nous donner le temps d’y réfléchir ; aujourd’hui, je voudrais que l’on renvoyât tous les amendements à la section centrale. Il y en a environ 5 à 6 de déposés sur le bureau du président ; donnons à la section centrale la mission de nous en faire un rapport, ainsi que les motifs sur lesquels on les a appuyés. C’est le moyen d’abréger nos débats.
- La proposition de M. d’Hoffschmidt mise au voix est adoptée. Ainsi les amendements sont renvoyés à la section centrale qui, demain, fera son rapport.
M. Gendebien. - Je demanderai l’impression des amendements présentés.
M. Dumortier, rapporteur. - La section centrale pourra bien faire son rapport demain ; mais il n’est guère possible que ce rapport soit imprimé.
M. Verdussen. - Pour abréger, je me réunis à l’amendement de M. Devaux et retire le mien.
M. d'Hoffschmidt. - Dans le même but, je me réunis aussi à l’amendement de M. Devaux et retire ma proposition.
M. le président. - La chambre passe au titre II des attributions communales. Chapitre premier - Des attributions du conseil communal.
M. Doignon - Messieurs, la chambre, après avoir jusqu’ici organisé le personnel du pouvoir communal, a maintenant à s’occuper de ses attributions. Avant d’aborder la discussion des articles, j’aurai l’honneur de vous exposer quelques considérations générales.
D’abord, il est un point incontestable et auquel toutes les opinions sont forcées de se rallier ; c’est que, par rapport à ces attributions comme pour le personnel, le pouvoir communal doit être tel que le veut la constitution et non tel que peuvent le désirer ceux qui voudraient aujourd’hui augmenter le pouvoir royal. Plusieurs se sont souvent égarés dans cette discussion parce qu’ils ont mis leurs désirs à la place de la constitution : cependant, quand elle a parlé, toute question doit être terminée.
Nous devons donc partir de ce principe que la commune représente un des pouvoirs qui constituent la Belgique : c’est ce qui a été démontré à satiété dans la dernière session, notamment par mon honorable ami M. Dubus. C’est au titre intitule Des pouvoirs qu’est placé l’article 31 de la constitution, qui statue que les intérêts exclusivement communaux sont réglés par les conseils communaux.
Si ce texte n’était pas décisif, ce qui s’est passé au congrès achèverait de nous convaincre. On y a admis en termes formels et à l’unanimité la distinction de quatre grands pouvoirs destinés à constituer l’Etat, savoir : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire, et enfin le pouvoir communal. Or, si la commune forme par elle seule un pouvoir constituant distinct et séparé des autres, il s’ensuit qu’il n’est point une émanation du pouvoir exécutif, qu’il ne peut être paralysé par l’action d’aucun autre, qu’il doit être autant respecté que le pouvoir royal lui-même, et que, de même que celui-ci, il ne peut recevoir d'autres modifications ou restrictions que celles consacrées par la constitution elle-même et qu’en admettre d’autres, c’est violer ouvertement la constitution. Or la constitution nous indique elle-même les seules modifications qu’on peut y apporter.
Les intérêts communaux, dit l’article 31, sont réglés par les conseils d’après les principes établis par la constitution, et ces principes se trouvent posés en termes exprès dans l’article 108.Pour le personnel, le premier numéro de cet article admet l’élection directe, en exceptant seulement le chef de l’administration.
Quant aux attributions, le congrès nous fait voir, aux n°2 et 5 du même article, comment il a cru dans sa sagesse devoir modifier le pouvoir communal pour le mettre en harmonie avec l’intérêt de la grande famille et assurer son union avec celle-ci. En attribuant au conseil tout ce qui est d’intérêt communal, il se borne à prescrire l’application par une autre autorité de quelques-uns de ses actes que la loi désignera et il autorise l’intervention du Roi ou du pouvoir législatif pour empêcher uniquement que les conseils ne sortent de leurs attributions et ne blessent l’intérêt général.
L’article 110 dit encore qu’aucune charge, aucune imposition communale ne peut être établie que du consentement du conseil et que la loi déterminera les exceptions dont l’expérience démontrera la nécessité.
Remarquez, messieurs, que la constitution ne donne aucune attribution aux bourgmestres et échevins, mais c’est au conseil seul qu’elle attribue tout ce qui est d’intérêt communal. C’est donc dans ce corps municipal que réside premièrement tout le pouvoir communal, toute la puissance administrative dans la commune. Si donc les bourgmestres et échevins ont et doivent avoir certaines attributions, ce ne peut être que parce qu’ils font partie de ce corps, et comme délégués par lui en vertu d’une présomption de la loi.
L’attribution faite au conseil par la constitution est tellement universelle qu’on ne saurait lui contester le droit de faire, s’il le pouvait, tout ce dont on charge les bourgmestres et échevins, et que, tenant ce droit de la constitution elle-même, aucune législature ne pourrait le lui enlever, soit directement, soit indirectement.
Mais comme il est moralement impossible à un corps composé de neuf à 20 personnes de se réunir et de se livrer chaque jour et à chaque instant à l’administration d’une commune, la nature des choses veut qu’il soit pris dans son sein une commission ou collège pour l’administration journalière. Il faut bien admettre cette conséquence, dès que le législateur a voulu que l’institution communale fût organisée par la loi de manière à pouvoir marcher. Mais puisque ce collège de délégation émane du conseil lui-même, bien que le Roi intervienne aussi dans la désignation de ses membres, il est et demeure de droit comptable envers ce corps pour toute sa gestion.
On conçoit que la constitution soit restée muette à l’égard de l’institution de ce collège. Le congrès a voulu que le pouvoir législatif consultât l’expérience et vît s’il fallait continuer ou modifier ce mode pour l’administration journalière. Mais dans tous les cas, puisque c’est le conseil qui est investi de tout le pouvoir communal, ces préposés pour la gestion de chaque jour devaient nécessairement en être une émanation. En outre, ce n’était pas dans une constitution qu’il pouvait jamais convenir d’énumérer les actes à attribuer à une pareille administration. Il lui a donc suffi de jeter les fondements du pouvoir municipal en créant d’abord un corps qui est le conseil, dont les fonctions embrassent l’universalité des affaires de la communauté, sauf à l’organiser pour mettre ce pouvoir en action dans la commune.
Mais puisqu’un corps ne peut subsister ni être organisé sans un chef, par cela même que le congrès instituait le corps et qu’il chargeait la législature de son organisation, il laissait à celle-ci le soin de créer son chef ; et comme le chef fait toujours nécessairement partie du corps qu’il doit présider, la chambre a respecté l’ordre naturel des choses, en statuant qu’au moins il sera désigné par le pouvoir exécutif parmi les membres de ce corps.
Pareillement le collège préposé pour l’administration journalière, formant lui-même un petit corps subordonné au plus grand qui est le conseil et dont il est sorti, le chef de celui-ci devient naturellement le chef de celui-là.
De même que ce collège doit être chargé des actes que le conseil ne peut raisonnablement faire lui-même, de même il faut déférer à ce chef les actes dont ce collège lui-même ne pourrait s’occuper sans grave inconvénient. Le conseil, aux termes de la constitution, réunissant en lui tout le pouvoir municipal, le législateur ne peut distraire de son attribution universelle que les actes administratifs qu’il ne peut exercer par lui-même.
Le congrès s’est rappelé que le roi Guillaume avait tenté par ses règlements de dénaturer les droits constitutionnels des administrations communales, et que, d’après les articles 110 et 121 des règlements des villes et du plat pays, ce prince se réservait même le droit de les interpréter de sa seule autorité. Afin d’ôter au pouvoir exécutif tout moyen d’essayer à l’avenir de pareils empiètements contre les droits des communes, le congrès a donc jugé prudent de mettre la commune, dans la constitution, au rang des grands pouvoirs politiques de la Belgique ; il la place à l’égal du pouvoir législatif et du pouvoir royal, et pour qu’on ne pût se méprendre sur les seules modifications à apporter au pouvoir communal dans l’intérêt général, il les indique lui-même comme nous venons de le voir d’une manière claire et précise.
Ainsi la constitution belge a introduit un grand changement en cette matière. Son principe dominant, c’est que tout ce qui est d’intérêt communal est attribué au conseil. Remarquez cette expression tout ; donc point de réserve, point d’exception ni de distinction : et cette attribution universelle ne peut subir que deux modifications ou restrictions : ce sont celles prévues aux n° 2 et 5 de l’article 108 que nous avons signalées plus haut.
L’ancienne loi fondamentale (article 155) statuait bien que les administrations communales ont la direction pleine et entière de leurs intérêts, mais elle ajoutait aussitôt : « telle qu’elle est déterminée par les règlements. » Ainsi, dans le même article, d’une part on accordait une pleine et en entière direction des affaires de la commune, et de l’autre on se réservait de la détruire ou neutraliser au moyen de règlements qu’on ferait par la suite.
Tout en feignant de concéder aux communes le droit de gérer d’une manière très libérale, le roi Guillaume mettait ce même droit à la merci de sa volonté puisqu’il savait qu’en définitive ces règlements seraient son propre ouvrage. La commune n’a donc joui, malgré la promesse de la loi fondamentale, que des droits qu’il a bien voulu lui laisser on plutôt de ceux qu’il n’a pas osé lui enlever.
Elle est donc énorme l’erreur des auteurs du projet actuel de la loi communale lorsque, sans réfléchir aux nouvelles dispositions fondamentales de la constitution belge, ils ne se sont attachés qu’à reproduire dans cette loi ces mêmes règlements et même à renchérir quelquefois sur les restrictions de l’excès contre les droits constitutionnels des communes. On dirait que, frappés d’une défiance aveugle contre une franchise communale, défiance qui est certes injurieuse pour le caractère national, ils ont voulu remettre tout en question. Mais s’il était vrai (ce qui n’est pas) qu’on doit avoir certaine appréhension, dans ce cas encore je dirai que la législature qui est liée par la constitution ne peut reculer, mais qu’elle doit attendre les leçons de l’expérience.
C’est donc en s’attachant simplement aux principes posés dans la constitution qu’on peut facilement connaître quelles doivent être les attributions du conseil et quelles peuvent être en particulier celles du bourgmestre et des échevins.
Ce serait de sa part une infraction à la constitution, s’il se permettait de donner, soit à un bourgmestre qui n’est que le chef, soit aux échevins, une attribution que le conseil lui-même pourrait facilement mettre en action.
C’est, messieurs, d’après ces principes qui découlent naturellement de notre constitution que le pouvoir législatif doit organiser l’institution communale et qu’il peut régler comme il convient toutes les attributions, et du conseil et du collège des bourgmestre et échevins, et du bourgmestre lui-même en particulier.
Sous le régime précédent et d’après l’ancienne loi fondamentale et les règlements de Guillaume, qui toutefois ne s’énonçaient pas sur ce point d’une manière aussi explicite, le conseil devait aussi embrasser toute l’administration de la commune et rien n’aurait dû lui être étrange. L’article 155 de la loi fondamentale donnait aux administrations locales la direction pleine et entière de leurs intérêts domestiques. Or, les membres du conseil sont déclarés formellement faire partie de l’administration locale : les articles 1 et 2 des chapitres 1 et 2 des règlements des villes et du plat pays, intitulés : De la composition de l’administration dans chaque commune, portent que cette administration se compose du bourgmestre, des échevins et du conseil. Les articles 43, 44, 55 et 60 du règlement des villes, qualifient en termes exprès les conseillers de membres de l’administration locale.
Mais le roi Guillaume, jaloux de l’autorité des conseils, chercha par tous les moyens à la diminuer dans ses règlements et il parvint à concentrer la plus grande part de l’autorité locale dans la personne des bourgmestre et échevins dont la nomination dépendait toujours de son bon plaisir. Dans ce système il détermina d’une manière assez arbitraire les attributions des uns et des autres, et afin de tenir dans une dépendance absolue l’administration de la commune, et par rapport à ses attributions, et par rapport à son personnel, il eut soin, comme je l’ai observé, d’ajouter à la fin de chaque règlement, un article ainsi conçu : « Dans le cas où il s’élèverait quelque doute sur le vrai sens de quelque article de ce règlement, ou si quelque changement ou interprétation était nécessaire, il y sera pourvu ultérieurement par le roi. »
Cet article, en mettant toutes nos franchises communales à la merci du pouvoir royal, donnait à celui-ci le droit de les paralyser ou de les détruire quand il le voudrait. Cependant il n’y eut pas dans le sein des états-généraux une seule voix qui protestât contre une disposition aussi évidemment despotique. On vit au contraire, vers cette époque (1824), quelques adulateurs belges pousser la bassesse jusqu’à proclamer à la tribune que Guillaume était le roi le plus libéral de l’Europe. La Belgique était alors aussi calme qu’aujourd’hui, mais c’était le calme du despotisme. Ce prince croyait aveuglément donner plus de force à son autorité en se rendant maître de la commune par toute espèce de circuits ; il ne voyait pas que c’était au contraire le moyen de l’affaiblir et de la perdre dans l’esprit du peuple. Vous savez quelle en fut la suite. La faiblesse et la corruption de la chambre et le despotisme du gouvernement ont amené la révolution quelques années après.
La même conduite, messieurs, aurait les mêmes conséquences ; nos hommes d’Etat commettent une erreur fatale, s’ils croient servir le pouvoir royal et le rendre plus fort par des empiétements sur les droits constitutionnels de la commune. Au lieu de trouver de l’ordre, ils sèmeront du désordre pour l’avenir. Qu’ils veuillent. bien se rappeler que sous le roi Guillaume le peuple soutenait contre le gouvernement cette doctrine, plus ou moins controversée, qu’une loi qui viole la constitution est nulle de plein droit et qu’on n’est pas tenu d’y obéir.
Songez, messieurs, que les infractions à la charte, dont il s’agit ici, ne léseraient pas seulement les droits des Belges en général, mais ceux du corps le plus respectable, le conseil de la commune, corps qui existe dans toutes les communes du royaume, et qui est et sera toujours jaloux de conserver intacts, et d’exercer dans toute leur plénitude, les droits qu’il tient directement de la constitution. L’attribution universelle de tout ce qui est d’intérêt communal, donnée au conseil par notre constitution, et les seules modifications qu’elle y apporte sont écrites dans notre charte en termes si clairs que nos communes ne pourront jamais s’y tromper.
M. le président. - L’article 74 du projet du gouvernement est ainsi conçu :
« Le conseil délibère, etc. »
L’article 73 de la section centrale auquel le gouvernement se rallie est ainsi conçu ;
« Le conseil règle, etc. »
M. Doignon - Je ne puis admettre le premier article des attributions du conseil tel qu’il est rédigé par le gouvernement et la section centrale.
Le législateur du congrès, après avoir créé, au chapitre Des pouvoirs, le pouvoir communal, devait naturellement indiquer à quelle autorité appartiendrait ce pouvoir administratif lorsqu’il s’agirait de l’organiser. Il annonce donc par forme de principe, dans son article 108, n°2, que cette autorité sera le conseil, et il lui attribue tout ce qui est communal sans rien réserver ni excepter. L’approbation de quelques-uns de ses actes dans des cas déterminés n’empêche aucunement que cette attribution ne demeure universelle ; car le droit d’approbation par une autorité supérieure suppose lui-même qu’il appartient à l’autorité inférieure de faire l’acte.
Or, le pouvoir communal étant incontestablement celui d’administrer la commune, il est de toute évidence que c’est au conseil qu’est déférée l’administration ou la gestion de tous les intérêts communaux.
Ainsi, il est tout à fait inexact de dire comme le projet ministériel que le conseil délibère ; il fait plus, il fait les actes de l’administration, et il décide, sauf approbation en certains cas, de la même manière que le juge prononce sauf l’appel. Il est aussi vrai que tout ce qui tient à l’intérêt communal est du ressort du conseil, sauf toutefois la délégation pour des attributions qu’il ne peut exercer lui-même, qu’il est constant que les contestations qui ont pour objet des intérêts civils sont exclusivement de la compétence des tribunaux (article 92). La juridiction de l’un et de l'autre corps est également universelle, d’une part pour l’intérêt civil, et de l’autre pour l’intérêt communal.
Nous avons vu que, même aux termes des anciens règlements et de la loi fondamentale, l’administration locale avait la direction pleine et entière des affaires communales, et que les membres du conseil étaient formellement qualifiés de membres de cette même administration ; ils étaient donc de véritables administrateurs. Le roi Guillaume, dans ses règlements, avait ensuite démembré ce pouvoir d’administrer pour ne laisser au conseil que ce qu’il voulait bien lui laisser.
Mais aujourd’hui il est écrit en toutes lettres dans notre charte que tout ce qui intéresse la cité appartient au conseil, que le pouvoir administratif dans la commune réside en lui et en nul autre : donc l’administration comme la direction pleine et entière des affaires communales lui sont positivement déférées. C’est là aujourd’hui une vérité aussi immuable qu’elle est incontestable puisque aucun règlement postérieur ni aucune loi ne pourraient plus maintenant y porter la moindre atteinte ; et c’est cette vérité que nous devons ériger en principe dans la loi actuelle.
La section centrale se borne à dire que le conseil règle tout ce qui est d’intérêt communal, et elle emploie, dit-elle, cette expression règle pour conserver celle consacrée dans l’article 31 de la constitution. Mais qu’on nous dise quelle utilité il peut y avoir à répéter purement et simplement les termes d’un article de la constitution. Lorsque le corps législatif est chargé, comme il l’est ici par l’article 139 de la constitution, d’organiser un pouvoir constituant, il doit faire autre chose que de répéter simplement un principe constitutionnel : mais son devoir est d’en exprimer dans la loi les conséquences afin de donner la vie à ce même pouvoir. Or, nous avons vu que, de la combinaison des articles 31 et 108 de la charte, il résulte que c’est le conseil lui-même qui est charge d’administrer et de diriger tout ce qui est d’intérêt communal.
Ce pouvoir administratif du conseil doit n’éprouver de modification que par rapport à l’administration journalière, qu’il faut bien que le législateur délègue à quelques membres du conseil formant ensemble une commission ou un collège, s’il veut que la commune soit convenablement administrée. Les chambres peuvent faire cette délégation en vertu du pouvoir qu’elles ont d’organiser la commune ; car, sans cette délégation, il n’y aurait point d’organisation raisonnable qui fût possible ; elles opèreront d’ailleurs ici à peu près comme on l’a déjà fait pour l’organisation provinciale.
Ainsi, pour ne citer qu’un seul exemple, l’article 109 de la constitution dispose que la rédaction des actes de l’état-civil et la tenue des registres sont exclusivement du ressort des autorités communales : il est clair que le conseil ne pouvant exercer lui-même les fonctions prévues par cet article, le législateur doit les faire échoir aux membres chargés de l’administration journalière ou à l’un d’eux.
Quelques-uns ont prétendu distinguer dans la commune comme dans l’Etat deux pouvoirs distincts et indépendants, le pouvoir législatif qui appartiendrait au conseil, et le pouvoir exécutif qui appartiendrait au collège des bourgmestre et échevins. Cette distinction tout à fait imaginaire n’est point dans la constitution. Le pouvoir communal, créé par notre charte, est unique et indivisible, et il est entièrement déféré au conseil lui seul ; mais ce corps étant dans l’impossibilité physique de se livrer au détail de l’exécution, il est d’une bonne organisation de le confier à ce collège en vertu d’une délégation présumée par la loi. Mais, cette délégation ayant sa source pour la commune comme pour la province dans l’attribution universelle donnée au conseil, c’est au nom et sous les réserves et instructions de celui-ci qu’elles doivent s’exercer ; ce système de délégation sauve ainsi le principe constitutionnel que le pouvoir communal réside dans le conseil.
Le conseil, devant régler les intérêts communaux, doit le régler réellement et efficacement. C’est donc à lui non seulement de faire et d’indiquer la règle, mais aussi d’en régler l’exécution lorsqu’il le peut ; cette exécution elle-même, étant un objet d’intérêt communal, tombe nécessairement dans son attribution universelle.
On ne peut donc aussi passer sous silence, dans l’article en discussion, la réserve à laquelle est soumise cette attribution universelle : c’est l’approbation de ses actes en certains cas. On remarquera que le congrès en stipulant cette réserve, n’indique aucunement par quelle autorité cette approbation doit être accordée. Rien n’empêche donc qu’elle soit donnée aussi quelquefois comme en France par le pouvoir législatif.
D’après ces considérations, il y aurait donc lieu de changer les rédactions proposées par le gouvernement et la section centrale, et de leur en substituer une autre en ces termes :
« Le conseil a l’administration et la direction pleine et entière de tout ce qui est d’intérêt communal, sans préjudice de l’approbation de ses actes dans les cas ci-dessus déterminés, et sauf les attributions ci-après données aux bourgmestre et échevins. »
Ces expressions : direction pleine et entière sont celles adoptées par la loi fondamentale de Guillaume, article 755 et article 16, règlement de 1817, et 70 du règlement de 1824. Or, l’on ne peut prétendre que le congrès aurait voulu que le pouvoir communal fût moins étendu qu’à cette époque.
La section centrale a ajouté dans sa rédaction que le conseil délibère sur tout autre objet qui lui est soumis par l’autorité supérieure.
Cette disposition paraît inutile. Les pouvoirs constitués par la charte sont tenus de droit de se communiquer leurs lumières. C’est surtout une obligation toute naturelle pour la commune, qui dans l’Etat représente la petite famille. Aucune loi n’oblige le pouvoir judiciaire d’éclairer le pouvoir législatif sur des matières de son ressort, et personne n’a pensé jusqu’ici à lui imposer une semblable obligation. Les conseils ne sont presque jamais consultés sur des objets étrangers à l’intérêt communal. Une pareille disposition ne doit donc pas trouver sa place dans une loi.
En tout cas, l’expression « délibère » devrait être rejetée comme étant équivoque. La rédaction des anciens règlements serait plus claire. Les articles 81 et 88 portent que le conseil donne ses considérations et avis sur toutes les pièces qui, à cet effet, lui sont renvoyées par quelque chef de département d’administration générale, le gouverneur, les états ou toute autre autorité, et donne en général à ces autorités tous les renseignements qu’elles réclament.
M. Lebeau. - Le ministère a fait sien l’article 73 du projet de la section centrale destiné à remplacer l’article. 74 du projet du gouvernement. Je demanderai une explication à M. le ministre de l’intérieur sur la signification qu’il attache à la première partie de l’article de la section centrale ; elle me paraît avoir un sens trop absolu et être, par sa rédaction, en opposition avec les actes de la chambre, le texte et l’esprit de la constitution, et les dispositions ultérieures du projet même que nous discutons. Je ferai remarquer que les termes de l’article 31 de la constitution invoqué par l’honorable rapporteur de la section centrale sont beaucoup moins absolus que ceux de cette disposition.
L’article 31 dit : Les intérêts exclusivement communaux et provinciaux (je ne parle pas de cette modification à laquelle j’attache peu d’importance) sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux, d’après les principes établis par la constitution. » Or, ces derniers mots ne sont pas reproduits ici.
Mais quelles sont en matière de liberté communale les restrictions apportées par la constitution ? Nous les trouvons dans les articles 108 et 110. L’article 108 soumet certains actes des conseils provinciaux et communaux à l’approbation de l’autorité supérieure ou des états-députés. Une deuxième restriction réside dans des cas prévus par l’article 110, le droit d’annulation de ces actes et de plus l’intervention du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif pour empêcher que ces conseils ne sortent de leurs attributions et ne blessent l’intérêt général.
Voilà des restrictions qui ne sont nullement rappelées dans l’article 73, auquel le ministère s’est rallié et dont l’énonciation me semble trop absolue dans ses termes.
Lorsque le conseil communal opposera aux états-députes ou au gouvernement sa force d’inertie, lorsqu’il ne viendra pas régler ce qui est d’intérêt communal, qui le réglera ? Il faudra bien qu’un autre pouvoir prenne l’initiative dont la loi avait investi le conseil communal. C’est ce que vous avez senti dans la discussion des lois relatives aux enfants trouvés et aux dépôts de mendicité ; vous avez décidé que quand les conseils communaux et provinciaux ne pourvoiraient pas à ces dépenses, les états députés, le gouvernement ou le pouvoir législatif interviendraient.
A moins d’explications, je crois les termes des dispositions de l’article 73 trop absolus ; il a l’inconvénient de ne pas être, par sa rédaction, d’accord avec les deux dispositions de lois que je viens d’indiquer et celles de même nature dont l’expérience amènera la nécessité.
A moins d’explications, je crois que l’article présenté par le gouvernement est préférable à celui de la section centrale. Notez que je ne parle ici que de rédaction ; car, sur le sens de la disposition amendée, je crois que nous sommes d’accord, M. le rapporteur, M. le ministre et moi.
M. Desmanet de Biesme. - Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur ou à M. le rapporteur de la section centrale si par les expressions : « Le conseil règle tout ce qui est d’intérêt communal, » on entend que l’administration des bois communaux revienne aux communes. Vous savez que les bois sont soumis à l’administration forestière qui nomme les gardes, règle l’arpentage, etc. Je demande si la disposition en discussion change cet état de choses et comporte le sens que moi j’y attache.
M. Dumortier, rapporteur. - Je répondrai d’abord à l’honorable préopinant en lui demandant s’il entend que les bois aient été rendus aux communes par la constitution. Non sans doute. Dès lors ils ne leur sont pas rendus davantage par la disposition actuelle qui ne fait que reproduire les termes de la constitution.
Je répondrai maintenant à l’honorable M. Lebeau ; il commence par critiquer le projet de la section centrale qui, selon lui, dit trop et pas assez. Suivant lui on a tort de dire : Le conseil règle tout ce qui est d’intérêt communal. Qu’est-ce cependant sinon la reproduction du texte de l’article 31 de la constitution ? On parle des restrictions apportées à la liberté communale par l’article 108 de la constitution ; mais ne les avons-nous pas maintenues en insérant dans la loi un article ainsi conçu (84) : « Le Roi peut en tout temps annuler les actes de l’autorité communale, qui sortent de leurs attributions, qui sont contraires aux lois ou qui blessent l’intérêt général.
Si l’on demande qui règlera ce qui est d’intérêt communal alors que le conseil se retranchera à cet égard dans sa force d’inertie, je répondrai que nous avons stipulé ce cas, et donné alors à la députation le droit de régler d’office les intérêts communaux. La supposition de l’honorable M. Lebeau est donc résolue par le projet de la section centrale ; seulement elle l’est dans un article postérieur à celui en discussion.
Maintenant je répondrai à mon honorable ami M. Doignon qui combat le système de la section centrale et propose une rédaction nouvelle. D’après l’amendement qu’il présente, le conseil communal aurait l’administration et la direction pleine et entière de tout ce qui est d’intérêt communal. Quant à moi, cette expression d’administration se rapportant à un conseil communal, m’a toujours paru infiniment choquante. C’est un abus de mots, un hollandisme, un véritable non-sens.
L’administration est un acte de tous les jours. Un conseil ne peut donc administrer ; il ne peut que délibérer.
Le projet de la section centrale me paraît plus explicite que le long amendement qui vous est présenté ; j’en propose le maintien.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je n’ai fait aucune difficulté de me rallier au projet de la section centrale parce que dans mon opinion les mots régler et délibérer sont ici parfaitement synonymes.
On s’est demandé si cet article est en opposition avec le texte de la constitution. Evidemment non. La constitution dans certains cas soumet les actes des conseils communaux et provinciaux à l’approbation ou à la réformation de l’autorité supérieure. Il en sera de même dans la loi communale. Il est d’ailleurs de principe qu’aucune loi particulière ne peut déroger à la constitution.
Je pense comme le rapporteur de la section centrale que l’amendement de M. Doignon ne peut être adopté. Il cherche à faire prévaloir l’article 155 de la loi fondamentale ; mais il a perdu de vue que cet article portait : « la liberté communale telle qu’elle sera définie par les règlements. » Comme les règlements émanaient du souverain, c’était à lui en définitive qu’appartenait la faculté de régler les libertés communales.
Un honorable député de Namur a demandé si l’article en discussion rendait aux autorités communales l’administration des bois communaux, notamment en ce qui concerne la nomination des gardes. Sous ce rapport je lui répondrai par l’article 128 du projet ; il porte :
« La députation provinciale nomme les gardes des bois communaux sur une liste double de candidats présentés par le conseil municipal ; elle en détermine le nombre pour chaque commune, les révoque ou les suspend de leurs fonctions. »
S’agit-il de l’exploitation des forêts communales, nous trouvons que les principes d’après lesquels le conseil doit se diriger sont consacrés par les articles 74 et 75 du projet.
M. de Brouckere. - Une interpellation de la plus haute importance vient d’être adressée à M. le rapporteur, et il me semble qu’il n’y a pas été répondu d’une manière satisfaisante. M. Desmanet de Biesme a demandé si, en vertu de l’article 73, il serait changé quelque chose à la manière dont sont administrés aujourd’hui selon la loi, les bois appartenant aux communes. Je n’ai pas entendu qu’il ait été répondu d’une manière positive à cette interpellation. On y a répondu par une autre interpellation.
Je déclare, quant à moi, que je n’entends pas l’article 73 dans ce sens, qu’il serait apporté un changement quelconque dans l’administration des bois communaux. S’il en était autrement, cet article ne devrait pas être voté sans une discussion spéciale sur ce sujet, car on ne peut pas ainsi changer un mode d’administration en vigueur depuis longues années sans examen et sans que chacun puisse émettre son opinion. Si le gouvernement ne s’explique pas et ne dit pas qu’il l’entend autrement, il sera bien entendu que l’article 73 n’apporte aucun changement à la manière dont sont administrés en ce moment les bois appartenant aux communes.
M. Desmanet de Biesme. - Je demande qu’on déclare catégoriquement si l’administration des bois communaux doit rester soumise à l’administration forestière. Si l’article 73 doit maintenir les bois des communes sous l’administration forestière, je le combattrai et je voterai contre.
M. Dumortier, rapporteur. - Je ne pense pas que l’article puisse apporter aucun changement à un mode d’administration consacré par la constitution, et qui existe depuis trois ans. Je partage l’opinion de M. Desmanet, je trouve qu’il serait mal de changer ce mode d’administration, mais cela ne doit pas l’empêcher de voter l’article dont nous nous occupons. Il pourra, s’il le juge convenable, présenter un article spécial, relatif à l’administration des bois des communes ; mais un article général ne peut pas changer une chose qui existe depuis trois ans. Je l’engage à présenter un article additionnel sur cet objet, la chambre le discutera et prendra telle décision qu’elle jugera convenable.
M. Lebeau. - Je demande la remise à demain. Je désirerais entendre M. le ministre des finances, dans les attributions de qui est l’administration des forêts.
M. de Brouckere. - J’avais entendu l’article comme M. le rapporteur. Je n’ai pris la parole que pour qu’il ne reste aucun doute sur sa portée. L’interprétation de M. Desmanet m’avait surpris, car je ne trouvais pas que dans l’article il fût question de l’administration des forêts ; je ne savais pas où il avait été chercher cela. Mais l’interpellation avait été faite, et je craignais que si on ne s’en expliquait pas, on n’attribuât plus tard à cet article une portée qu’il n’a pas. Personne n’a entendu faire d’innovation sur la manière dont les bois communaux sont administrés.
Si M. Desmanet croit qu’il doit être apporté un changement dans ce service, qu’il présente une disposition, on verra ce qu’il y a à faire.
- La séance est levée à 4 heures un quart.