(Moniteur belge n°268, du 25 septembre 1833 et Moniteur belge n°269 du 26 septembre 1833)
(Moniteur belge n°268, du 25 septembre 1833) M. Dellafaille fait l’appel nominal à onze heures et demie.
La chambre ne se trouve en nombre qu’à midi et quart.
Membres absents sans congé : Angillis, Berger, Brabant, Coghen, Corbisier, Dams, de Behr, de Foere ; de Meer, de Mérode (W.), de Muelenaere, de Renesse, de Robaulx, de Robiano, Desmanet, Devaux, Domis, Dubois, Dumont, Duvivier, Fallon, Frison, Gendebien, Goblet, Lardinois, Meeus, Milcamps, Pirson, Polfvliet, Rodenbach (C.), Smits, Teichmann, Vandenhove, Vanderbelen, Van Hoobrouck, Vilain XIIII.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance. La rédaction en est adopté.
M. Dubus, rapporteur. - Messieurs, votre section centrale pour le budget de l’intérieur vient de terminer son travail sur l’amendement proposé par M. de Theux dans la séance du 16 septembre courant. Elle m’a chargé de vous présenter son rapport.
Cet amendement est un article additionnel au chapitre VIII, et voici comment il est conçu : « 73,000 fr. pour la réparation des rives de la Meuse, sauf recours s’il y a lieu. » A l’appui de sa proposition l’honorable M. de Theux et d’autres orateurs ont fait valoir les circonstances particulières relatives à la navigation de la Meuse et à la province elle-même depuis les événements de septembre 1830. On s’est fondé principalement sur le danger imminent qui existe pour les propriétés riveraines de la Meuse, sur l’inconvénient du retard des travaux, retard qui exposerait à des désastres certains.
(Note du webmaster : Le Moniteur du jour rend ensuite compte de la lecture intégrale du rapport élaboré par la section centrale chargée de l’examen des crédits pour le département de l’intérieur en 1833. Ce rapport n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
M. d’Huart. - C’est moi, messieurs, qui ai demandé l’ajournement de la proposition de l’honorable M. de Theux, parce qu’il me semble que la manière dont elle a été présentée est tout à fait insolite, et parce que l’affaire ne m’a pas paru suffisamment éclairée par les pièces qui ont été produites à la section centrale.
Comment se fait-il en effet que l’on attende l’occasion d’un budget qui se vote à la fin de l’exercice auquel il a rapport, pour demander un crédit pour des travaux dont l’urgence est, dit-on, telle que leur exécution ne peut être différée jusqu’à l’année prochaine ? Comme se fait-il surtout que cette demande de crédit soit présentée par un membre de cette chambre et non par le gouvernement lui-même, si l’objet auquel l’allocation est destinée peut incomber, en tout ou en partie, à la charge de l’Etat ? Le gouvernement n’aurait-il pas en effet gravement compromis sa responsabilité en gardant le silence, si l’urgence des travaux et les faits qu’on a allégués dans cette enceinte étaient tels qu’on les a présentés ?
Je dois vous dire, messieurs, qu’il n’a pas été prouvé par les renseignements mis à la disposition de la section centrale que la province ait fait des démarches près des riverains pour obtenir qu’ils mettent la main aux réparations dont incontestablement la majeure partie est à leur charge ; il n’a pas été prouvé non plus, et je dirai même que rien ne l’indique, que le gouvernement ait pris vis-à-vis de la province des mesures propres à lui faire remplir les obligations qui lui incombent, d’après la législation existante, en cas d’insuffisance ou d’inexécution de la part du gouvernement.
D’après l’arrêté du 17 décembre 1819, la Meuse a été abandonnée, avec les produits de la navigation, à la province de Limbourg, à charge par elle d’en entretenir la navigabilité. L’Etat s’en est donc entièrement déchargé, et c’est bien le cas de s’appuyer ici sur l’axiome de droit, res fructificat domino et res perit.
A la vérité l’article 8 de cet arrêté porte qu’il pourra être accordé des secours aux provinces pour entretenir les rivières qui leur sont relaissées, en cas d’insuffisance de leurs ressources ; mais les dispositions de cet article ne sont pas applicables au cas présent, puisque le budget provincial présente une situation financière très favorable, et il est bon de remarquer que cette insuffisance ne s’étend pas dans ledit arrêté à celle qui concernait exclusivement les revenus consacrés à l’entretien d’une rivière ou de toute autre propriété publique ; mais cette insuffisance doit être celle des revenus généraux de la province.
Cela est si vrai qu’une disposition de l’arrêté porte que les provinces seront, le cas échéant, autorisées à établir des impositions pour suppléer au défaut de revenus de telle rivière ou de telle autre communication.
On objecte que la province est privée des revenus de la navigation depuis 1830, par le fait de la révolution ; mais je répondrai à cela que les dégâts de la Meuse étant principalement antérieurs à 1830, cette considération ne signifie rien quant à présent : un honorable député du Limbourg vous a dit lui-même, dans une précédente séance, que l’entretien des rives de la Meuse avait été négligé depuis 40 ans.
Messieurs, en admettant l’amendement de M. de Theux, ce serait poser un antécédent dangereux dont les conséquences deviendraient funestes au trésor ; vous seriez bientôt accablés de réclamations tout aussi fondées que celle dont il s’agit ici, et je pourrais vous citer, dès maintenant, des dégâts tout à fait analogues occasionnés par l’Ourthe dans la province de Liége, près de Felines et de Forchi-fossé.
Dans la province d’Anvers, il est arrivé à diverses époques, et fréquemment depuis 1819, des dégâts considérables aux rives du fleuve et des rivières qui s’écoulent par cette province ; toujours les riverains ont rétabli ces désastres à leurs frais, et jamais l’Etat n’y est intervenu. D’ailleurs, avant d’attraire celui-ci en défaut, la province aurait dû comparaître, et ce n’eût été qu’à défaut total de moyens de celle-ci que, conformément à l’arrêté de décembre 1819, le trésor public eût dû suppléer.
On s’appuie sur l’urgence des travaux ; mais, je dois le répéter, cette urgence n’est pas suffisamment constatée : la conduite du gouvernement doit le prouver pour nous, quelles que puissent être, d’ailleurs, les allégations, et même les rapports contraires. Il semblerait, en effet, que cette urgence ne s’est présentée dans toute sa force qu’à l’instant même où les honorables députés du Limbourg l’ont signalée dans l’une de vos précédentes séances.
Qu’on ne nous parle pas de la responsabilité à laquelle nous nous exposerions en refusant le crédit demandé ; cette responsabilité ne saurait arriver jusqu’à la législature. Les riverains, en premier lieu ; la province ensuite ; et enfin, à la dernière extrémité, le pouvoir exécutif, devraient seuls la craindre. Je crois, d’ailleurs, que l’urgence ne saurait, sous un autre rapport, nous engager à la précipitation ; car les riverains du royaume et les provinces sauraient qu’en pareille matière l’urgence fait céder la législature, et ils ne manqueraient pas de laisser arriver les dégâts des cours d’eau à la dernière période pour invoquer alors près de vous l’urgence avec succès.
Messieurs, le peu de temps que j’ai eu à ma disposition depuis que la section centrale s’est séparée tout à l’heure, ne m’a pas permis d’étendre et de vous présenter ici toutes les considérations que j’ai désiré vous soumettre ; mais j’espère que j’en aurai dit assez pour vous engager à ne pas agir avec précipitation. Je réitère en conséquence à la chambre la proposition d’ajourner pour le moment la proposition de l’honorable M. de Theux comme n’étant pas suffisamment justifiée, sauf à en faire, avant notre séparation, s’l y a lieu, l’objet d’un projet de loi séparé.
J’ai d’autant plus lieu de croire que vous accueillerez ma proposition, qu’ainsi que vient de l’avouer l’honorable M. Dubus, les explications principales, obtenues par la section centrale, n’avaient pas un caractère suffisamment officiel, n’étant que verbales.
M. Jullien. - Les explications qui nous sont données dans le rapport, tant sur le point de fait que sur le point de droit, doivent nous convaincre que la question a paru très délicate à la section centrale et au rapporteur lui-même. Il ne serait pas possible de discuter le rapport en connaissance de cause dès à présent.
La première question est de savoir si la chambre ordonnera l’impression du rapport ou si nous le discuterons immédiatement, à cause de l’urgence. Il m’a semblé que les conclusions du rapport tendaient à une discussion immédiate, car elle a reconnu l’urgence des travaux à faire ; d’un autre côté, un membre a prétendu que l’urgence n’existait pas. Dans tous les cas il s’agit de savoir si l’on veut discuter immédiatement. Quant à moi, à moins d’admettre l’urgence des travaux et de voter de confiance sur les explications de M. le rapporteur, il me serait impossible de donner mon vote sur la proposition. Je pense qu’il serait prudent d’ordonner l’impression, sauf à statuer ensuite sur l’ajournement.
M. de Theux. - Si la motion se borne à la question du rapport, sans rien préjuger sur l’ajournement, je n’ai aucun motif de m’y opposer. Je suis certain que la lecture du rapport ne fera que vous convaincre davantage de la nécessité et de l’urgence des travaux, et par suite, de l’adoption de la proposition. Mais je m’opposerais à l’ajournement, car je ne crains pas de dire que si vous n’adoptez pas la proposition, l’année prochaine vous aurez à voter des fonds plus considérables pour secourir les victimes des désastres qui seront survenus. Ce sera alors une allocation perdue, tandis qu’aujourd’hui elle sera très profitable.
M. d’Huart. - J’ai cru devoir vous donner quelques explications pour empêcher toute précipitation de votre part. Je vois que mon but est atteint, puisque la chambre ordonne l’impression du rapport, et je n’insiste pas pour l’ajournement.
Un membre a dit que je soutenais que l’urgence des travaux n’existait pas ; j’ai seulement dit que le silence du gouvernement et la demande tardive qui nous est faite tendaient à faire croire que l’urgence n’était pas suffisamment démontrée. Or, comme législateurs il faut que l’urgence d’un crédit soit démontrée pour que nous la votions.
- La chambre ordonne l’impression du rapport recueilli par les sténographes.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je désirerais beaucoup que la discussion de la proposition ne retardât pas le vote du budget de l’intérieur ; je ne verrais pas qu’il y eût un grave inconvénient à ce que la proposition de M. de Theux devînt le sujet d’un projet de loi. (Appuyé ! appuyé !)
M. de Theux. - Si l’on ne veut qu’ajourner la discussion du rapport de la section centrale, je n’ai aucun motif pour m’y opposer ; que m’importe que cette proposition soit discutée demain ou après-demain. Je voudrais que le vote sur cette proposition eût lieu avant la fin de la semaine ; car évidemment il y a urgence dans les travaux.
- La chambre décide que les conclusions du rapport forment un projet de loi dont la chambre est saisie.
Là chambre décide ensuite qu’il y aura séance mercredi à dix heures.
M. de Theux. - Je voudrais que l’on mît à l’ordre du jour de mercredi la discussion du rapport de M. Dubus.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il ne suivrait pas de l’adoption de cette proposition que la discussion ne pourrait pas être remise au lendemain.
M. de Theux. - Tout ce que j’ai voulu, c’est que la discussion ne fût pas renvoyée après le budget des finances car, en supposant que la chambre adopte la proposition, il y aurait eu un temps précieux de perdu.
- La proposition de M. de Theux, ainsi expliquée est adoptée.
M. Legrelle. - Dans la séance d’hier, un député du Luxembourg a réclamé contre le défaut d’insertion d une partie de son discours. Permettez-moi, messieurs, de me plaindre d’une erreur beaucoup plus grave, en ce que plusieurs journaux m’ont fait dire samedi soir précisément le contraire de ce que j’ai dit.
- Plusieurs membres. - Adressez-vous à ces journaux eux-mêmes.
M. Legrelle. - Nous lisons dans l’Indépendant : « M. Legrelle dit que les arts n’ont pas besoin d’être encouragés par le gouvernement, que les particuliers les favorisent assez, etc. » Messieurs, je repousse de toutes mes force la manière dont on a rendu compte de mes paroles : j’ai dit, et j’invoque à cet égard le témoignage de la chambre, que ce n’était pas moi, né dans le berceau des beaux-arts de la Belgique et magistrat d’une ville pépinière de Jordaens, de Rubens, de Van Dyck et de Teniers, qui viendrais m’opposer à l’allocation des 30,000 fr. demandés par le ministre ; mais que je croyais, dans l’intérêt même des beaux-arts, qui faisaient la gloire de la Belgique, devoir relever des assertions erronées, échappées à un préopinant dans sa louable sollicitude ; qu’en effet, ce n’était pas à 30,000 fr. que se bornaient les subsides du gouvernement, mais que 120,790 fr. étaient portés de ce chef au budget ; qu’ensuite il ne fallait pas craindre que nos bons artistes dussent s’expatrier, puisqu’à aucune époque les jeunes gens n’avaient reçu plus d’émulation ; que plusieurs particuliers encourageaient dignement les talents, et qu’ayant voulu payer aussi mon faible tribut aux arts en priant un artiste de me consacrer une partie de ses loisirs, je voyais avec satisfaction que ces moments de loisir n’étaient pas encore venus.
J’attends de l’impartialité de MM. les journalistes la rectification de ce fait.
(Moniteur belge n°269 du 26 septembre 1833) M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Messieurs, la chambre a désiré que je donnasse quelques explications sur la rupture de la digue du Doel. Je vais satisfaire à la demande de l’assemblée.
Messieurs, la digue qui sépare le polder inondé de Callooshoek de celui du Doel, préservé jusqu’à ce jour des inondations tendues par les Hollandais à l’entrée du fort de Liefkenshoek, a été rompue dans la nuit du 20 au 21 de ce mois, et les eaux qui contenait cette digue se sont répandues sur une partie du polder de Doel.
Dès que le général Buzen fut prévenu de cet événement, il se hâta de se rendre au Doel, en y dirigeant aussitôt des troupes pour arrêter les dégâts de l’inondation par l’établissement d’une contre-digue.
Cette contre-digue a été établie dans les journées des 21 et 22, et la coupure se trouvait entièrement fermée hier au soir ; mais quelques centaines de bonniers de terre ont été inondés, et les récoltes qui s’y trouvaient sont détruites ou détériorées.
Il faudra quelques jours pour faire évacuer entièrement les eaux qui sont entrées dans le polder du Doel, et qui en ont inondé les parties les plus basses.
Tel est le résultat de cet événement dont la cause est encore inconnue.
Le général Buzen avait demandé, dans la journée du 21, au commandant du fort de Liefkenshoek, de ne pas faire entrer dans l’inondation tendue à l’entour de ce fort les eaux de la marée du jour, afin de faciliter les travaux de la contre-digue ; mais ce commandant n’a point obtempéré à cette demande, et au lieu de tenir les écluses fermées, il les a fait ouvrir et a fait élever les eaux de 13 centimètres.
Il a été répondu que le commandant supérieur des forts, ne pouvant décider la question, allait demander des ordres à La Haye.
Il a été également constaté que dans la soirée du 20 de ce mois, quelques heures avant la rupture de la digue, les Hollandais avaient élevé les eaux de l’inondation de 38 centimètres au-dessus du niveau ordinaire.
J’ai ordonné de faire une enquête pour savoir à quelle cause l’on doit attribuer ce désastre et jusqu’à ce que les faits soient bien constatés, la chambre appréciera les motifs qui ne me permettent pas encore d’énoncer les soupçons qu’a fait naître cet événement.
Toujours est-il constaté aujourd’hui que le commandant du fort de Liefkenshoek s’est refusé à accéder à la demande que lui avait adressée le général Buzen, en se fondant sur l’obligation où il était de demander ses ordres à La Haye.
Le commandant supérieur des forts de Lillo et de Liefkenshoek, ayant demandé dans les premiers jours du mois de juin, après la ratification de la convention de Londres du 21 mai, de fixer de concert les limites de ces deux forts sur les digues où la garnison de ces forts peut avoir accès, afin d’éviter les collisions qui avaient eu lieu avec les postes de nos troupes, il fut convenu verbalement qu’il serait placé des poteaux de limitation de part et d’autre, et la digue du Doel (celle qui a été rompue et qui est perpendiculaire a la grande digue de l’Escaut) se trouvait en dehors des limites assignées à la garnison hollandaise du fort de Liefkenshoek ; ainsi elle ne devait avoir aucun accès sur cette digue, et nos troupes, cantonnées au village du Doel, devaient tenir des stations pour le surveiller.
Cette convention conclue, nous retirâmes une partie des troupes que nous avions sur la rive gauche de l’Escaut, et nous ne laissâmes que des postes d’observation.
Celui qui était cantonné au village du Doel devait surveiller la digue dont la rupture a eu lieu.
L’enquête fera connaître le rapport du poste chargé de cette surveillance.
C’est au zèle et au dévouement des cinq compagnies d’infanterie que le commandant des troupes sur la rive gauche a pu réunir dès le matin du 21, et à l’arrivée d’une compagnie de sapeurs-mineurs, que l’on doit le prompt établissement de la contre-digue.
Leur conduite mérite les plus grands éloges.
Le général Buzen a déployé la plus grande activité et a envoyé de nouvelles troupes pour exercer la plus sévère surveillance au pourtour de l’inondation, qui présente plus de 7,000 mètres de développement.
Il devient indispensable que la direction des ponts et chaussées renforce ces contre-digues dans quelques endroits pour soutenir les efforts des eaux de l’inondation pendant les mauvais temps.
La rupture de cette digue et l’inondation du polder du Doel qui devait s’en suivre, n’ajoutant rien aux moyens de défense du fort de Liefkenshoek, c’est à la malveillance seule que l’on doit l’attribuer, si la cause de cette rupture n’est pas l’effet d’un simple accident.
C’est ce que doit faire connaître l’enquête que j’ai ordonnée et dont le général Buzen poursuit l’instruction afin de recueillir tous les renseignements possibles tendant à découvrir avec certitude les auteurs de cette nouvelle violation des droits des gens et des nations, pendant un armistice reconnu de part et d’autre, et garanti par les puissances qui ont stipulé la convention du 21 mai dernier.
De nouveaux rapports me sont parvenus pendant la séance ; je m’empresserai de vous faire connaître le résultat de l’enquête. (Bien ! bien !)
M. Jullien. - L’interpellation à laquelle on vient de répondre m’en rappelle une autre que j’ai faite ; j’ai demandé si était vrai que la conférence de Londres était dissoute ou supprimée. M. Nothomb, alors commissaire du Roi, a répondu que la conférence n’était ni dissoute, ni séparée ; qu’elle n’était pas inerte, qu’elle était pleine de vie ; et cependant, depuis cette époque, tous les journaux s’accordent pour affirmer que la conférence n’existe plus, qu’elle est séparée ou plutôt suspendue, sans qu’on puisse prévoir quand elle se réunira. Je demanderai aujourd’hui aux ministres si le fait est vrai, et quelle influence il peut avoir sur nos affaires. Je désirerais avoir une explication à cet égard. Il paraît que cette suspension n’est plus un mystère pour personnel, si ce n’est pour nous.
M. Nothomb. - Messieurs, il est très vrai que lorsque, dans la séance du 6 de ce mois, j’ai été interpellé comme commissaire du Roi, et il importe de se reporter à cette époque, j’ai déclaré que la conférence n’était ni dissoute, ni séparée ; qu’elle continuait ses travaux, et qu’elle attendait les réponses que devait lui faire le cabinet de La Haye. Ces réponses sont arrivées ; et, ainsi que les journaux l’ont annoncé, elles ne sont pas telles que la conférence pouvait les désirer. Une suspension des réunions de la conférence est donc devenue nécessaire.
Il doit y avoir eu, avant l’ajournement, une dernière réunion vendredi ou samedi dernier ; mais le résultat de cette réunion ne nous est pas encore connu. Il est probable que la conférence, prenant acte des déclarations qui lui sont parvenues de La Haye, aura motivé sa prorogation. Le gouvernement attend des renseignements que lui apportera probablement un de ses plénipotentiaires, pour se décider sur les communications qu’il peut avoir à vous faire.
Quoi qu’il en soit, j’insiste sur la différence des époques ; j’ai pu dire le 6 septembre que la conférence était pleine de vie, conformément à l’expression de M. Jullien. Quelques semaines se sont écoulées depuis lors, et le fait qui a motivé la suspension des réunions de la conférence est postérieur à la séance qu’on a rappelée.
M. Dumortier. - Puisque M. le commissaire du Roi reconnaît que la conférence a terminé ses travaux vendredi ou samedi dernier, je crois qu’avant de voter le budget des finances, le gouvernement doit nous faire connaître l’état de nos relations diplomatiques par suite de ce fait. Avant de nous renvoyer dans nos foyers, nous devons connaître la situation du pays.
J’ai toujours attaché peu d’importance à la reconnaissance de la Belgique par le roi Guillaume ; nous n’obtiendrons cette reconnaissance qu’avec des baïonnettes. Non seulement la Hollande ne nous reconnaît pas, mais à l’instant même elle vient de rompre nos digues et d’inonder notre sol ; il faut donc que la nation connaisse le véritable état des choses, avant qu’elle avise aux mesures qu’elle a à prendre.
Si notre armée ne devait servir qu’à faire des parades à l’intérieur, mieux vaudrait n’en point avoir. Il est temps de savoir si nous devons l’employer à maintenir notre dignité au-dehors et à faire respecter notre territoire.
Avant le vote du budget des finances il faut que nous sachions à quoi nous en tenir. La chambre n’est pas assez nulle pour qu’on ne lui donne pas des éclaircissements sur les affaires du pays avant d’en renvoyer les membres dans leurs foyers.
M. Nothomb. - Le gouvernement, comme je l’ai dit en terminant, a besoin de connaître le résultat de la dernière réunion de la conférence, pour savoir s’il peut, oui ou non, faire des communications à la chambre ; s’il persiste à ne pas répondre à vos interpellations, vous apprécierez les motifs qu’il vous exposera pour justifier son silence. C’est ce que j’ai annoncé moi-même, et vous le voyez, j’ai été au-devant des intentions du préopinant. Le gouvernement ne prétend pas se renfermer dans le silence d’une manière absolue et sans dire pourquoi ; mais il est dans la nécessité, je le répète, d’attendre de nouveaux renseignements pour savoir ce qu’il peut faire sans compromettre les intérêts du pays.
M. Dumortier. - J’attendrai au vote du budget du ministère des finances pour renouveler mes interpellations.
M. Ernst. - Je demanderais que la chambre délibérât d’abord sur le projet de loi dont j’ai entretenu la chambre comme rapporteur de la commission à laquelle il avait été renvoyé.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - L’objet le plus urgent est l’ouverture du crédit pour mon département, parce qu’au 1er octobre je ne pourrai plus ordonnancer aucun compte ; ce projet ayant réuni l’unanimité des suffrages de la commission, je prierai M. le président de le mettre en délibération.
M. le président. - La discussion générale est ouverte sur le projet de loi tendant à ouvrir des crédits au département de la guerre.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je dois à la vérité de dire que sur les 66 millions portés au budget général de la guerre, M. le ministre a fait des économies réelles de 11 millions 433,000 fr. ; je ne m’opposerai donc pas au crédit demandé ; mais, tout en allouant ce crédit, je me plais à croire que M. le ministre introduira encore beaucoup d’économies dans son département.
Dans la séance du 27 juin, je lui ai demandé des économies sur les distributions des rations de fourrages faites aux officiers supérieurs.
On a demandé l’ajournement de ma proposition afin que les généraux pussent vendre leurs chevaux ; il me semble qu’ils ont eu le temps de se défaire des chevaux qu’ils ne doivent point avoir, et qu’on ne leur donne plus 6 et 8 rations de fourrages.
Je ferai encore une observation sur le département de la guerre. Un fléau, l’ophtalmie, ait des ravages dans notre armée, et nous avons à déplorer le sort des malheureux qui en sont frappés, parce qu’il ont obéi à la loi sur la milice.
Si j’en crois les journaux, on a été obligé d’en pensionner 279. M. le ministre de la guerre a présenté un projet de loi pour en retraiter un assez grand nombre. Je demande si on a pris des mesures propres à arrêter les progrès du fléau ; je ne veux pas que le nombre de mes malheureux camarades soit augmenté : les bourgeois sont exempts de la maladie, elle n’atteint que ceux qui ont obéi à la loi : elle a donc des causes particulières. Sont-ce les aliments donnés à la troupe qui la causent ? Je ne le crois pas. Est-ce l’habillement ? Je l’ignore. Nos casernes sont trop petites, trop peu aérées. Par suite de l’économie sordide des entrepreneurs, les tentes sont-elles trop petites dans nos camps ? Je ne sais ; j’interroge, et je prie M. le ministre de la guerre de faire rechercher les moyens d’arrêter le fléau.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - L’ophtalmie a désolé l’armée des Pays-Bas depuis 1815 jusqu’à notre révolution. Le gouvernement d’alors a cherché beaucoup de moyens pour obtenir un remède à cette fatale maladie, et n’a pu rien trouver. Depuis 1830, on croyait que la maladie avait cessé ; du moins, elle avait diminue d’intensité et le nombre des aveugles était moins grand. Cette maladie a été constamment l’objet de mes sollicitudes, et j’ai demandé des renseignements sur tout ce qui concerne la vie du soldat. J’ai chargé l’officier de santé en chef de l’armée de me donner son avis.
Il a conclu à la formation d’une commission de santé. Il attribue la principale cause du mal aux vêtements.
Il est très vrai qu’ayant recueilli des renseignements près des gouverneurs militaires des provinces, j’ai trouvé que le nombre des soldats aveugles pensionnés était de 279 pour 1830 à 1831 et le premier semestre de 1832. Depuis il y en a encore eu 141 de pensionnés ; ainsi le nombre total des soldats frappés de cécité depuis quatre années est de 420.
J’ai formé une commission de 4 des médecins qui n’ont pas pris part à la polémique engagée sur cet objet ; j’y ai adjoint deux professeurs de l’université ; cette commission nous proposera les moyens qu’elle croira les plus propres à arrêter la maladie.
La même maladie attaque l’armée prussienne.
J’ai demandé en France des modèles d’habillements pour les comparer aux nôtres. J’espère que nous parviendrons, à force de recherches et de soins, à arrêter le mal qui a attaqué beaucoup d’hommes, mais qui en attaque beaucoup moins maintenant.
M. A. Rodenbach. - M. le ministre veut-il aussi répondre à la question sur les fourrages ?
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - J’ai donné les ordres pour qu’on ne donnât les fourrages qu’aux chevaux réellement en la possession de généraux.
M. de Theux. - A l’occasion du décès d’un officier de santé en garnison à Tournay, des officiers de cette garnisons ont cru devoir, malgré le curé, faire entrer le corps dans l’église, et appliqués sur le corps des cérémonies religieuses qu’il n’appartient qu’aux ministres du culte de célébrer.
Une pareille scène ne peut être regardée que comme une scène de désordre. Je voudrai savoir si le ministre a blâmé la conduite de ces officiers, et s’il a donné des ordres pour que de pareils scandales ne se renouvelassent pas.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Ayant vu dans les journaux des détails sur les scènes dont on parle, j’ai pris des informations ; il en est résulté que les journaux avaient beaucoup exagéré le désordre commis. J’ai trouvé la scène très répréhensible ; en conséquence, j’ai donné les arrêts contre ses auteurs, et je leur ai fait connaître le mécontentement du gouvernement.
C’est parce que le clergé est intervenu lui-même en faveur de celui qui en était le principal auteur que l’affaire n’a pas eu d’autres suites.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Comme l’honorable député de Hasselt a bien voulu me prévenir au commencement de la séance de la question qu’il allait adresser au ministre de la guerre, j’ai fait prendre dans mon ministère des renseignements sur cette scène. C’est le 22 juillet que le premier rapport m’a été adressé. Je dois confirmer ce qu’a dit mon honorable collègue relativement à l’exagération du récit fait par quelques journaux ; quoi qu’il en soit, j’ai ordonné qu’on informât. Par lettre du 23 juillet, je me suis adressé à M. l’auditeur-général, et, sous la date du 20 août, M. l’auditeur-général m’a fait connaître que, de l’enquête à laquelle on avait procédé, il était résulté que les faits dénoncés par M. le procureur du Roi de Tournay étaient exacts, mais que, malgré leur extrême inconvenance, ils n’avaient pas paru rentrer dans les dispositions du code pénal.
Si cette opinion avait été exprimée par un magistrat du parquet civil, j’aurais pu provoquer une instruction ultérieure et une décision de la chambre du conseil ; mais les chambres du conseil n’existent pas dans la justice militaire.
Au surplus, le vénérable chef du diocèse de Tournay s’est interposé avec la plus grande ardeur pour que l’affaire n’eût pas de suites : je ne sais s’il a cédé à la crainte d’exciter quelque scandale en poursuivant les auteurs de cette scène blâmable et en réveillant de pénibles souvenirs, ou s’il n’a obéi qu’à l’impulsion d’une charité vraiment évangélique, qui ne saurait surprendre ceux qui connaissent ce respectable prélat.
Toujours est-il que, prenant surtout en considération cette intervention bienveillante, l’autorité n’a pas cru devoir persister, et que l’affaire en est restée là.
Si vous jetez les yeux sur le code pénal, vous verrez au surplus que, quelque inconvenante que soit la scène dont il vient d’être parlé, elle ne paraît pas rentrer tout à fait dans le cas de l’article 262 du code pénal, sur lequel on avait basé les recherches judiciaires.
M. Jullien. - J’ai aussi une interpellation à faire au ministre. Voici le fait comme il m’a été raconté : Une procession passait, un officier passait en même temps ; le bedeau fait sauter violemment le schako du militaire qui ne se découvrait pas assez vite à son gré, sans doute. L’officier a eu la prudence de ne pas se venger immédiatement ; il a fait une plainte à ses chefs, mais jusqu’à présent il n’y a pas été fait droit. Je demande si cet acte de violence a été réparé. (Erratum au Moniteur n°270, du 27 septembre 1833 : Nous avons omis de mentionner que c’est à Ypres que le fait rapporté par M. Jullien, dans la séance de lundi dernier, a eu lieu. On se rappelle qu’il s’agissait d’un acte de violence commis par un bedeau à l’égard d’un officier.)
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Sur le rapport qui m’a été fait par le gouverneur de la Flandre occidentale, j’ai pris des informations ; j’ai vu qu’il y avait à poursuivre. et M. le procureur du Roi est instruit de l’affaire. L’officier a été interrogé, et l’instruction continue.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne suis pas étranger aux poursuites : comme la plainte était de la compétence de l’autorité judiciaire civile, j’ai ordonné que des poursuites eussent lieu sans ménagements. Si nous devons maintenir protection à la religion, nous devons protéger de même toutes les opinions, tant qu’elles ne se traduisent pas en actes coupables. C’est ainsi que nous entendrons toujours la liberté de la religion et celle des individus.
M. de Theux. - Le but de mon interpellation a été rempli. Je voulais obtenir la déclaration que le gouvernement ne permettait aucune atteinte à la liberté des cultes. Comme le Moniteur avait gardé le silence sur le fait dont il s’est agi, j’ai été bien aise de saisir l’occasion d’avoir l’explication que vous venez d’entendre, et je me déclare satisfait.
M. Jullien. - Je ne suis pas moins satisfait que M. de Theux. Je suis bien aise d’apprendre que des poursuites ont lieu. Reste toujours à savoir quelles en seront les suites.
- La discussion générale est fermée.
La chambre adopte à l’unanimité des 53 membres présents les articles du projet de loi suivants :
« Art. 1er. Le département de la guerre est autorisé à disposer d’une somme de 12,733,500 fr., à prendre sur celle à laquelle le budget de ce département a été fixé par la loi du 19 avril dernier. »
« Art. 2. Ce nouveau crédit et ceux qui ont été ouverts au même département par la susdite loi et par celle du 6 juillet 1833, formant ensemble la somme de 55,000,000 de francs, seront employés au paiement des dépenses de l’exercice 1833. »
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
La chambre adopte ensuite sans discussion à la même unanimité, le projet de loi dont voici les articles :
« Art. 1er. Le ministre-directeur de la guerre est autorisé à disposer d’une somme de 341,345 fr, 28 c. à l’effet de payer les bois coupés pour le baraquement et le chauffage des troupes françaises, et pour les travaux d’attaque de la citadelle d’Anvers pendant les mois de novembre et de décembre 1832, sauf le recours du gouvernement contre qui de droit. »
« Art. 2. Cette somme sera prélevée sur les fonds disponibles du chapitre X du budget de la guerre de l’exercice 1833. »
La chambre adopte ensuite les articles d’un troisième projet de loi concernant le ministère de la guerre. N’ayant pas eu ce projet sous les yeux, nous n’avons pu suivre les rectifications de chiffre qui y ont été faites, et qui ont décidé la chambre à en renvoyer le vote définitif à un autre jour.
La séance est levée à trois heures trois quarts.