Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 22 novembre 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 88) M. Maertens fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Dumon lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Plaideau, fabricant de tabacs à Menin, demande exemption du droit sur le sel employé dans sa fabrication. »

- Renvoi à la commission permanente d'industrie.


« Les commissaires de police faisant les fonctions de ministère public dans les cantons de Meulebeke, Thourout, Ardoye, Thielt, Ingelmunster, Courtrai, Avelghem, Ypres, Ruysselede, Roulers, Menin et Poperinghe, demandent que leur position soit améliorée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Un grand nombre d'habitants d'Ixelles prient la Chambre de décréter la libre entrée à perpétuité des denrées alimentaires énumérées dans le projet de loi du gouvernement, en y comprenant le riz ; de supprimer toute décharge à l'exportation des eaux-de-vie indigènes, au moins pendant la crise, et d'examiner s'il n'y a pas lieu de prendre des mesures pour prohiber temporairement la sortie des grains, soit en nature, soit distillés. »

« Même demande d'un grand nombre d'habitants d'Uccle. »

« Même demande d'un grand nombre d'habitants de Bruxelles, signataires de 10 pétitions. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de loi concernant les denrées alimentaires et les eaux-de-vie.


« Un grand nombre d'habitants de Dinant prient la Chambre de prohiber la sortie de toutes les denrées alimentaires et du bétail, des substances et des boissons alcooliques, et d'examiner s'il n'y aurait pas lieu d'interdire la distillation des céréales, des pommes de terre et de leurs fécules. »

- Même décision.


« M. Mercier, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Ce congé est accordé.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - Messieurs, le rapport de M. Vermeïre sur le projet de loi concernant les denrées alimentaires a été distribué ce matin. D'après la résolution prise hier par la Chambre, il y aura aujourd'hui séance du soir pour la discussion de ce projet de loi. Je propose de fixer cette séance à 8 heures.

- Plusieurs membres. - Jeudi.

M. le président. - M. T'Kint de Naeyer avait demandé que l'examen de ce projet de loi eût lieu jeudi, et que si la discussion de l'adresse n'était pas terminée jeudi, il y eût séance du soir. Mais M. Dumortier, sous-amendant cette proposition, a demandé qu'aussitôt après la distribution du rapport, on s'occupât de ce projet de loi en séance du soir. C'est la résolution qui a été adoptée par la Chambre.

M. Lesoinne. - J'ai quitté la maison à dix heures et demie pour venir à la section centrale à onze heures. A ce moment je n'avais pas encore reçu le rapport sur le projet de loi relatif aux denrées alimentaires. Si donc on a aujourd'hui séance du soir, nous n'aurons pas le temps d'examiner le rapport. Je demande que la discussion de ce projet de loi ne commence que demain.

M. Manilius. - Mais si, contre toute attente, la discussion de l'adresse était terminée aujourd'hui, pourquoi déciderions-nous dès maintenant qu'il y aura demain séance du soir pour l'examen du projet de loi sur les céréales ?

M. le président. - La séance du soir pour cet objet n'aurait lieu demain que si le vote de l'adresse n'était pas terminé.

M. Lesoinne, se fondant sur ce qu'il n'a pas reçu le rapport, demande que la séance du soir pour l'examen du projet de loi sur les denrées alimentaires n'ait lieu que demain.

- La proposition de M. Lesoinne est adoptée.

M. Landeloos (pour une motion d’ordre). - Je viens d'apprendre que la chambre de commerce de Louvain s'est réunie hier soir pour examiner la question de savoir si, en présence de la crise alimentaire qui s'aggrave, il convient qu'elle persiste dans le premier avis qu'elle a émis relativement aux denrées de première nécessité. Si mes renseignements sont exacts, il paraîtrait que la chambre de commerce a été unanimement d'avis de proposer au gouvernement de prendre des mesures tendant à défendre l'exportation de toutes les céréales, ainsi que de l'alcool.

Comme chacun doit désirer d'être entouré de toutes les lumières possibles dans une matière aussi importante que celle qui concerne l'alimentation du peuple, je demande que M. le ministre de l'intérieur veuille bien communiquer ce document à la Chambre….

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Le gouvernement communique tous les documents à la Chambre.

M. Landeloos. - Et que la Chambre veuille bien en ordonner l'impression et la distribution.

M. le président. - La Chambre pourra ordonner l'impression de ce document, lorsqu'il sera déposé. M. le ministre des affaires étrangères vient de dire que le gouvernement s'empressera de communiquer tous les documents qui seront à sa disposition.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je me permettrai de faire remarquer que je n'ai pas parlé au futur. Je dis que le gouvernement communique journellement tous les documents importants qui lui arrivent sur cette question.

Projet d’adresse

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale continue.

M. Lelièvre. - La Chambre me permettra de déduire en peu de mots les motifs qui me portent à émettre un vote favorable à l'adresse et à la question de confiance qu'elle résout en faveur du cabinet.

Le ministère actuel est, comme l'on sait, né des circonstances difficiles où l'on se trouvait en octobre 1852. Les forces des deux partis qui divisaient le parlement étant à peu près égales, une administration extra-parlementaire devenait indispensable pour gérer les affaires du pays.

Eh bien, messieurs, les mêmes motifs qui ont amené la formation du cabinet actuel militent également pour lui conserver l'immense majorité qui l'a appuyé depuis deux ans. Les dernières élections ont laissé subsister l'état des choses antérieur, et il ne s'est pas, du reste, produit le moindre fait attestant que le ministère ne rencontre plus dans cette enceinte la majorité qui ne lui a jamais fait défaut.

Du reste, à mes yeux, il a des titres incontestables à la confiance que je lui accorde. Le pays se trouve dans des circonstances difficiles où les événements de la guerre qui afflige une partie de l'Europe, peuvent exercer sur nos destinées une déplorable influence.

Eh bien, n'est-ce pas en pareille occurrence que nou savons besoin d'une administration sage et modérée, dominant les partis politiques et ne suivant aucune opinion extrême ? Le cabinet actuel me paraît donc être celui que réclament les circonstances actuelles ; il est le ministère de la situation, et ce motif m'engage à lui continuer mon appui.

D'un autre côté, ses actes ne sont pas sans valeur. Non seulement il a su maintenir sur un pied convenable nos relations extérieures, mais il a résolu, avec quelque succès, diverses questions qui avaient soulevé daus le pays les plus vifs débats.

Du reste l'on doit reconnaître qu'il a maintenu intacte la liberté de discussion, base du régime parlementaire et que, lors des divers projets qu'il a présentés, il n'a jamais cherché à imposer sa volonté à la représentation nationale. Il a ainsi sauvegardé le droit de libre examen dont en politique je suis le sincère et zélé partisan.

Je ne vois donc, dans la marche générale du cabinet, aucun motit fondé de ne pas lui continuer l'appui qu'il a rencontré dans les deux Chambres depuis deux années.

Quant aux expulsions, je dois avouer que je ne suis pas et je ne serai jamais partisan de ces mesures rigoureuses. Mais à cet égard le ministère n'a fait que suivre les errements de ses prédécesseurs. Sous les administrations précédentes on n'a jamais hésité à expulser les étrangers dont la présence en Belgique paraissait présenter des inconvénients.

Je me rappelle l'expulsion en 1851 du rédacteur du « Messager des Chambres » qui avait critiqué vivement le ministère alors au pouvoir, à l'occasion de la loi sur le droit de succession.

Il n'y a donc pas, dans la conduite du cabinet, des causes sérieuses méritant un blâme dans une adresse, à raison d'actes que les ministères libéraux avaient posés avant lui.

Ce que la majorité de la Chambre, sous les ministères précédents, n'a jamais considéré comme suffisant pour amener la retraite d'un cabinet, ne me paraît pas pouvoir donner lieu à une motion de la nature de celle faite par l'honorable M. de Perceval.

Du reste, messieurs, le ministère de 1852 est resté fidèle au programme de conciliation et de justice pour tous, qu'il avait annoncé lors de son avènement, et comme je pense que la politique qu'il a suivie est celle qui est commandée par les circonstances extraordinaires où se trouve la Belgique, comme j'estime qu'en ce moment le pays a plus que jamais besoin d'ordre, de calme et de paix, je n'hésite pas à donner mon assentiment à l'adresse en discussion.

M. de Mérode. - Après les dernières élections de cette année, messieurs, le Moniteur belge déclara que le ministère resterait libéral. Mais entendait-il par là la liberté de 1830, celle que comprenait le Congrès national, auquel on élève une colonne, où la liberté du congrès, dit libéral, dont la nature était si différente de l'autre, qu'elles n'avaient entre elles rien de commun ? Hier, M. Orts s'est beaucoup servi, de son côté, des nobles termes : libéral et libéraux, et, si je ne me trompe, M. Orts, qui n'ayait point fait partie du Congrès national, a pris part (page 89) au congrès privé qui s'est proclamé libéral ; de sorte que ce mot, qui possède en lui-même une si belle et si claire signification, est devenu tout ce qu'il y a de plus embrouillé dans aucune langue connue.

Sous son couvert séducteur très étendu, on peut être aussi exclusif, aussi tracassier, aussi violent, aussi despote qu'il soit possible de l'imaginer.

A Baslogne, par exemple, des, gens qui se persuadent probablement être très libéraux ont été briser deux fois les fenêtres d'un électeur qui avait concouru à l'élection d'un autre candidat que le leur. Plus tard, ils ont attaqué sa personne même et l'ont assaillie à coups de pavés, blessant en outre à la tête un habitant chez lequel il s'était réfugie ; et ces faits obtiennent généralement le silence des feuilles politiques qui célèbrent constamment les idées libérales.

N'ayant pu me rendre, pendant quelques jours, aux séances de la Chambre des représentants, je n'ai point pris part aux votes constitutifs du bureau. Il m'a seulement été permis de lire que l'honorable président, nommé pour la session qui s'ouvre, annonçait, au fauteuil même, qu'il appartenait à l'opinion libérale.

D'où résulte nécessairement que les membres qui siègent, ainsi que moi, sur les bancs rangés à droite de la tribune, ne sont point libéraux. Cependant, presque tous, nous venions de professer, en matière de vérification des pouvoirs de nos collègues présumés, un système éminemment libéral ; puisque personne ne mettait en doute que, si M. d'Hoffschmidt et Rogier eussent été nommés représentants par leurs collèges électoraux respectifs dans les mêmes conditions que MM. Lambin et Dellafaille, nulle opposition n'eût été faite de notre part à leur opposition. J'ai même affirmé, dans cette enceinte, publiquement et sans contradicteur quelconque, que les membres assis sur les bancs placés à gauche auraient, comme nous, trouvé valables, pour MM. d'Hoffschmidt et Rogier, les mêmes conditions qu'ils trouvaient défectueuses et insuffisantes quand il s'agissait des concurrents de leurs amis.

Ainsi donc à droite, règles égales d'admission applicables à tous les candidats supposés adversaires ou non. A gauche, au contraire, appréciation différente des faits selon les antipathies ou les sympathies. Or, me croyant libéral selon le sens du vocabulaire véritable, puisque je n'ai point deux poids et deux mesures, ce n'est jamais sans stupéfaction que j'entends monopoliser la qualification de libérales pour les idées injustement alternatives de favoritisme et d'exclusion. Relisant ce matin pourtant un cahier du « Journal historique et littéraire de Liège », nanti d'une estime bien acquise parmi les personnes attachées aux croyances et opinions qui sont les miennes, j'y ai vu que son savant éditeur ne cessait d'attribuer en 1854 la qualification de libéraux aux adversaires des catholiques sur la charité libre et autres questions : j'y ai vu, même livraison 242ème page 66, ces mots : « Nous connaissons trois journaux libéraux, savoir : l'Observateur, le Précurseur d'Anvers, et le Messager de Gand, qui... etc. » Enfin, page 68, l'expression « représentants libéraux » appliquée aux représentants de la même nuance ; et cette terminologie étant ainsi souvent mise en usage dans les discours ou les écrits qui défendent l'honnête et vraie liberté, nous sommes décidément réduits à n'être jamais signalés comme libéraux.

Quant à moi, je me suis toujours senti la répugnance la plus prononcée contre l'iniquité et l'oppression, et ce sentiment me semblait valoir une désignation laudative conforme à sa nature, et me donner le droit d'être considéré comme libéral en style vrai, en bon français, si différent du parler subversif qui retourne la langue au point qu'en Belgique, aujourd'hui, noir devrait indiquer l'aspect du soleil, et blanc la physionomie des ténèbres.

Dans son éloquent discours de réception récente à l'Académie française, M. Dupanloup disait avec infiniment d'à-propos pour notre époque : « Les choses, en ce monde, sont le grand intérêt de l'humanité ; après les choses les idées qui les représentent ; après les idées les mots qui les expriment ; mais la corrélation est si étroite et le lien si fort, que les mots ne peuvent périr ou se corrompre sans entraîner ou sans perdre avec eux les idées et les choses que les mots expriment. La paix du monde est dans l'harmonie des mots, des idées et des choses, et voilà pourquoi le dictionnaire d'une nation est, à mes yeux, une si grande puissance. »

Et il félicitait la savante compagnie, dont il devenait membre, en ces termes :

« C'est à vous, messieurs, qui tous avez mis la main à la grande œuvre du dictionnaire de notre langue, c'est à vous à nous dire si la science des mots mérite tous les mépris que le bel esprit lui envoie et si ces mépris ne sont pas le témoignage de l'irréflexion et de la légèreté. Un philosophe romain faisait aux grammairiens de son temps l'insigne honneur de les appeler « custodes latini sermonis ». Je comprends dès lors aussi, que la première gloire de l'Académie française soit d'être la gardienne de notre belle langue ; car si le style est l'homme, une langue est la forme apparente et visible de l'esprit d'un peuple, et c'est là de toutes les propriétés, de toutes les grandeurs nationales, celle qu'il doit être le plus jaloux de conserver en maintenant un tel dépôt dans son inappréciable intégrité. »

Et moi, messieurs, lorsque feuilletant ce Dictionnaire si justement qualifié par l'académicien évêque, de refuge et de sauveur de la raison humaine au jour du péril, quand j'y cherche le mot « libéral », j'y trouve comme signification : « qui aime à donner, généreux ». J'y trouve qu'éducation libérale veut dire « éducation propre à former l'esprit et le cœur » ; que libéralement signifie aussi « d'une manière favorable à la liberté civile et politique ». Je n'y vois nulle trace de l'absurde confusion du langage, qui confisque au profit du rationalisme, à l'exclusion de la foi chrétienne, la qualification de libéral ; qui fait nommer libéraux spécialement et par privilège dans un pays catholique les adeptes de l'opinion dont le but est d'écarter entièrement l'intervention sérieuse du prêtre à titre d'autorité dans l'éducation libérale, laquelle, selon le Dictionnaire français, veut dire éducation propre à former l'esprit et le cœur, et quand cette subversion du Dictionnaire, refuge et sauveur de la raison humaine, est plus ou moins tolérée en style courant par les orateurs, par les écrivains, par les journaux catholiques eux-mêmes, que peut devenir le bon sens public dans un pays naguère encore nommé Pays-Bas catholiques ?

Avec ce faux langage, les administrateurs d'hospices qui forcent les sœurs hospitalières à s'exiler des séculaires hôpitaux, fondés, dotés pour être desservis par elles, sont libéraux ! Ces femmes charitables séparées du monde profane et des plaisirs, ces femmes pieuses directement et constamment occupées des infirmes et de leurs douleurs ne sont pas libérales. Moi qui les admire et les préfère cent fois à tous les faiseurs laïques, qui les tourmentent et les découragent de leur mieux, je ne suis pas libéral, je suis tout au plus conservateur pour les catholiques, clérical pour ceux qui se moquent de l'église.

Et quand je cherche ce que vaut le terme de conservateur dans le vocabulaire académique, j'y vois que, parmi les hommes qu'elle désigne, il y a des conservateurs des hypothèques, des chasses, des eaux et forêts, du cabinet des médailles, du cabinet des antiques, et quel que soit mon respect pour toutes ces fonctions et autres encore, je leur préfère le titre de « libéral » ; car on peut être conservateur sans générosité marquée, san aimer la liberté politique et civile qui m'est chère. En effet, l'esprit de conservation peut être froid, peut avoir sa source dans la raison seule. Les vrais sentiments libéraux, au contraire, jaillissent du cœur, tandis que les hommes secs et roides du faux libéralisme tirent de leur cervelle, exclusivement nourrie du code des légistes éplucheurs, toutes leurs conceptions vexatoires et anticordiales.

Le cœur par excellence est dans le christianisme. Là brillent, jusqu'au sublime du genre libéral, les saint Martin, qui coupent leur manteau pour le partager avec l'indigent qui est nu. Là sont nés les frères de la rédemption des captifs, les saint François Xavier, qui portent aux extrémités du monde barbare les lumières de la civilisation évangélique, les saint Vincent-de-Paule, les petites sœurs des pauvres, et en ce qui regarde la liberté civile et politique, les courageux enfants de Guillaume Tell, affranchissant leurs pieuses montagnes soustraites au joug tyrannique sous une inspiration religieuse, qui consacrait en l'honneur de Dieu les souvenirs de leur délivrance par de modestes chapelles. Du sentiment chrétien surgissait aussi la noble résistance des Vendéens, des Campinois belges à l'horrible oppression politique et civile de la terreur révolutionnaire, destructive des droits sociaux les plus sacrés.

Et néanmoins, tant qu'en Belgique, les vrais libéraux, les successeurs de la majorité du Congrès national, consentiront à se laisser dépouiller de la qualification à laquelle ils ont droit plus que d'autres, tant qu'ils seront assez tristement craintifs et modestes pour perpétuer la pitoyable habitude d'appeler trop souvent leurs opposants des libéraux, ils subiront l'infériorité qu'ils ne repoussent point sous la molle dénomination de conservateurs, et si la droite s'amoindrit par paresse de style, jusqu'à nommer elle-même la gauche « le parti libéral », lui livrant ainsi, du moins par le langage, le monopole de la générosité, l'honorable M. Orts a raison de ne pas refuser de prendre ce qu'on lui cède, contre lequel je proteste sans relâche et pour lequel je ne contribuerai jamais d'une obole.

Il y a, en Belgique, prise dans sa masse, une religion, il y a un rationalisme antireligieux, dont les fauteurs les plus vifs, réunis en clubs secrets, prêchent le succès avec l'aide de la force comme suprême argument.

Aucun comité catholique belge n'exalte autre chose que la persuasion par les bonnes raisons.

La pensée catholique ne saurait donc jamais parmi nous être politiquement en opposition avec les idées libérales (style français). Au point de vue de l'ordre civil, elle peut s'entendre avec tous les libéraux israélites, protestants ou autres, qui comprennent la tolérance civile.

Pour la Belgique le caractère général des deux opinions adverses religieusc et antireligieuse, le résume dans ces deux désignations : « Catholique » et « maçonnique ».

L'épilhèle de libérale ne peut être adjoint à la dernière sans subir le renversement des sens qu'elle possède depuis un temps illimité.

Messieurs, j'ignore si la majorité est à droite ou à gauche, et je ne discute pas aujourd'hui la question de savoir si les ministres doivent être nécessairement les doublures de la majorité. La Constitution porte que le Roi nomme et révoque les ministres. Si l'on adoptait l'idée absolue que les ministres doivent être précisément de la même opinion que les députés nommés pour présenter une adresse en réponse au discours du Roi, il faudrait que le chef de l'Etat se hâtât de les réunir en conseil d'élection pour lui choisir un cabinet. L'article de la Constitution que je viens de citer ne figurerait plus alors que pour mémoire dans les institutions que nous avons juré d'observer ; car le pouvoir de nommer et de révoquer le ministres est une fiction ou une réalité sérieuse. Si c'est une fiction, tant pis ! car alors on est constamment exposé en Belgique à subir l'omnipotence variable des majorités.

Quant à moi, je la considère comme le dissolvant des constitutions modernes. J'en suis fatigué, car je la regarde comme fatale et je ne voterai sur aucune de ces questions de cabinet au moyen desquelles on (page 90) voudra me faire prendre part à la nomination ou à la révocation des ministres.

Je discuterai avec eux toutes les questions qui se présenteront, puisque telle est ma mission légale ; je leur signalerai ce que je croirai défectueux dans leur administration ; je leur donnerai sincèrement mon concours sur toutes les propositions émanées d'eux qui me paraîtront utiles et justes ; mais je m'abstiendrai de tout vote de confiance ou de défiance dont le résultat est d'absorber la prérogative royale dans la Chambre des représentants.

L'expérience de ce qui se passe en Europe doit nous apprendre (nous ne vivons pas pour ne rien apprendre) à ne pas étendre outre mesure l’action parlementaire, qui presque partout a péri par son exagération contraire aux articles positifs des constitutions tels que celui qui affirme dans la nôtre que le Roi nomme et révoque les ministres. Pour mon compte, je suis désormai sbien résolu à ne m'en écarter en aucune façon.

M. Devaux. - Messieurs, quoique je succède à l'honorable M. de Mérode, vous n'attendez pas de moi que je réponde au discours qu'il vient de prononcer. Pour la vingtième fois, l'honorable M. de Mérode s'amuse à définir le mot « libéral » et à nous contester cette dénomination. Dans sa tolérance politique, il lui déplaît que ses adversaires reçoivent une dénomination honorable ; et avec une grande profondeur de vues politiques, mettant toute la force d'une opinion dans le nom qu'elle porte, il a spirituellement inventé tantôt l'épithèle de libéraliste, puis celle de « libéraliste » qu'il a conjuré ses amis de substituer désormais à celle de « libéral », si je l'ai bien compris.

C'est une nouvelle invention de ce genre qu'il vient encore de proposer. Je lui en laisse l'honneur et le fruit. Je lui promets, quant à moi, que je ne lui contesterai jamais, à lui ni à son parti, le nom honorable de catholique et que je ne l'appellerai jamais ni catholiste ni catholâtre. Permettez-moi de passer à une partie plus sérieuse de la discussion.

Messieurs, je ne partage pas l'opinion de plusieurs orateurs qui ont parlé dans la séance d'hier. Je viens donner mon appui à l'adresse et au maintien du ministère.

Ce n'est pas, messieurs, que je sois admirateur enthousiaste de tous les actes de l'administration actuelle. Si nous avions à scruter ici le détail des actes administratifs de chaque département, il est tel département envers lequel je pourrais avoir des griefs administratifs assez sérieux, mais nous sommes appelés à apprécier la conduite du ministère dans son ensemble, surtout sous le rapport politique.

La encore je reconnais que la politique ministérielle a eu ses faiblesses et qu'elle a surtout eu des timidités excessives ; mais je croirais injuste de ne pas ajouter à l'instant que le cabinet s'est trouvé dans la position la plus difficile que jamais peut-être ministère ait eu en Belgique ; il y aurait iniquité à ne pas lui en tenir compte. A mes yeux sa conduite politique a été honorable ; d'une situation si difficile il s'est honorablement tiré. J'ajouterai que lorsque le ministère est venu aux affaires j'ai craint pour lui la pente dangereuse sur laquelle il se trouvait et que j'aurais été loin de vouloir garantir que, deux ans après, je pourrais donner le témoignage que je viens de lui rendre.

Messieurs, les orateurs qui ont parlé hier ne se sont pas dissimulé (et ils ont eu raison) qu'on ne peut faire la guerre au ministère sans la faire à la situation même. Le changement du ministère, c'est le changement de la situation. Un ministre, je le veux bien, un ministre isolé qui se retirerait pourrait être remplacé sans qu'il en résultât une grande perturbation, mais le cabinet tout entier ne pourrait être remplacé en ce moment sans que la situation elle-même changeât profondément.

Cette situation, messieurs, je ne la trouve pas satisfaisante sous toutes ses faces. Certainement, une majorité qui dépend de quelques absences, de quelques rhumes, de quelques caprices, une majorité qui se trouve dépendre de quelques voix flottantes qui se portent tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, sans qu'on en sache les motifs, une majorité qui n'est pas quelquefois la même au scrutin secret qu'à haute voix, n'est pas chose bien exemplaire ; une telle situation offre des côtés dont je souffre comme tout autre, des côtés que je trouve affligeants pour nos mœurs politiques.

Mais nous ne sommes pas maîtres d'en sortir comme nous voudrions. Tout le monde conviendra, en effet, que ce ne pourrait être que pour entrer dans une situation beaucoup plus vive, plus agitée, dans des luttes plus passionnées et plus violentes.

Or, est-ce là ce que permettent aujourd'hui les circonstances où nous nous trouvons ? Pour moi, vous le savez, messieurs, les luttes politiques ne m'effrayent pas beaucoup ; je ne les ai jamais beaucoup redoutées pour la Belgique dont le bon sens peut tant supporter.

Cependant, d'un côté, je n'ai jamais été partisan des luttes violentes et à outrance, et de l'autre, j'ai toujours pensé que pour les divisions intestines, il y a des temps où il faut les modérer, où d'autres intérêts doivent préoccuper avant tout.

Messieurs, à mes yeux, depuis 1848, les raisons qui devaient nous porter à imposer la modération à nos dissentiments intérieurs se sont constamment accrues ; aujourd'hui elles sont devenues tellement graves, que les méconnaître ce serait faillir à nos devoirs les plus impérieux.

Les plus confiants d'autrefois doivent aujourd'hui être quelque peu troublés dans leur ancienne sécurité ; je ne pense pas qu'on accueille encore avec des sourires, comme jadis, nos prévisions de guerre. La guerre est devenue une triste réalité. Il est vrai qu'elle gronde aux extrémités de l'Europe, mais qui peut répondre que dans quelques mois, elle ne se transporte pas au centre de notre continent ? Qui pourrait répondre que, lorsque la guerre sera finie, la pacification qui la suivra n'aura pas ses dangers aussi, dangers d'autant plus grands et plus compliqués, qu'elle viendra plus tard, et qu'on aura eu plus de temps pour se déshabituer de ces idées de statu quo qui ont dominé en Europe depuis 40 ans ?

Aujourd'hui ce ne sont plus quelques esprits excentriques, ce n'est plus quelque parti exalté qui rêve le remaniement de la carte de l'Europe. Ce remaniement, on s'en préoccupe dans les conseils de puissants gouvernements européens ; de gouvernements qui jusqu'ici avaient été les plus fermes soutiens du statu quo territorial. Des circonstances aussi graves nous imposent des devoirs tout particuliers.

La nationalité belge a jeté de profondes racines, je le sais ; elle est forte aujourd'hui du dévouement unanime des citoyens de toutes les classes et de toutes les opinions ; elle est forte de la solennelle sanction des principales puissances de l'Europe ; elle est forte surtout de cette grande épreuve d'un quart de siècle si honorablement subie et qu'aucune force humaine ne saurait plus arracher à notre histoire.

Le peuple belge estimé de tous, bienveillant envers tous, qui, au milieu de l'universelle agitation de notre temps, ne forme qu'un seul vœu, ne demande qu'à rester ce qu'il est, et à conserver ce qu'il a, le peuple belge, tout en veillant sur son propre sort avec une active et énergique prévoyance, peut avoir confiance dans des droits si sacrés et si bien établis ; mais n'oublions point qu'une de nos plus grandes forces, c’est le degré de considération que nous avons acquis dans l'esprit des autres nations et de leurs gouvernements ; cette haute estime, nous en avons besoin, nous devons tout faire pour la maintenir.

Nos luttes intérieures, vues de près, ont leur nécessité, leur importance, je dirai même leur grandeur ; mais aux yeux de l'étranger, au milieu du bruit d'une guerre colossale, au milieu d'événements qui remuent tout le monde civilisé, ces querelles intestines peuvent paraître petites, et la nation qui s'en préoccupe exclusivement dans un pareil moment peut ressembler à une famille qu'absorbent les disputes de ménage au moment où un incendie embrase la maison du voisin. Il nous faut, aux yeux de l'étranger, une attitude plus respectable.

Qu'est-ce à dire, messieurs ? Faut-il ici nous faire des illusions sur nos dissentiments mutuels ? Faut-il en venir au baiser Lamourette des parties ? Non, soyons plus francs, plus vrais. Nous sommes aujourd'hui ce que nous étions hier ; nos divergences d'opinion n'ont pas cessé.

Tous les faits les plus récents, les élections de juin et d'octobre, la presse du jour, le début de la session parlementaire, le discours même de l'orateur qui a parlé avant moi, tout le prouve. Je n'irai pas même jusqu'à prononcer le mot de trêve, je ne voudrais pas que l'un des partis pût se croire dupe et craindre que l'autre ne profitât de la trêve pour gagner du terrain sur lui.

Mais ce qu'on peut demander, c'est que nos luttes se bornent au strict nécessaire, que les questions les plus irritantes soien autant que possible ajournées et que chaque parti, tout en continuant à veiller sur ses intérêts, se maintienne dans les bornes de la défensive. Le renversement du ministère rendrait une telle attitude des partis impossible, son maintien la facilite au contraire, car il a l'avantage de n'élre pas une négation de l'opinion de la gauche et en même temps d'avoir été accueilli avec faveur à son avènement par la droite ; ainsi il n'est une humiliation ni pour l'un ni pour l'autre.

Messieurs, la situation parlementaire et ministérielle où nous nous trouvons est-elle durable ? Je n'oserais le garantir.

Pour qu'elle le fût, il faudrait le concours de trois choses :

Il faut que le ministère ne fasse pas de faute telle, que ceux qui voudraient le soutenir soient obligés de l'abandonner.

Il faut, en second lieu, qu'une fraction considérable de la gauche se prononce dans ce sens.

En troisième lieu, il faudrait que sur les bancs de la droite on renonçât à ces rancunes personnelles, à ces agressions violentes dont nous avons eu tant d'exemples l'année dernière et qui provoquent naturellement les passions contraires ; il faudrait qu'on renonçât aussi à des actes extrêmes comme plusieurs de ceux qui ont signalé le début de la session actuelle et qui déjà ont ajouté de nouvelles difficultés à la position du cabinet.

Il faudrait aussi renoncera des discours comme celui que vous venez d'entendre.

M. de Mérode. - Je demande la parole.

M. Devaux. - Pour que la situation dure, ces trois éléments sont indispensables. C'est assez dire que personne ne peut la garantir ; mais s’il est difficile de la faire durer, il est honorable de le vouloir, il est patriotique de l'essayer, c'est dans cette intention que je donnerai au ministère le vote qu'il réclame de nous.

M. de Mérode. - Selon l'honorable préopinant, j'aurais cherché à jeter la discorde dans la Chambre.

J'ai cherché à faire comprendre d'abord qu'on devait se servir d'un langage exact ; puis tout en me réservant le droit d'observations libres sur des actes que je ne croirais pas conformes aux intérêts du pays, j'ai promis au ministère mon entier concours sur toutes ses propositions qui me sembleraient utiles. Cela ne plaît pas à M. Devaux, j'en suis fâché.

(page 91) M. Frère-Orban. - L'honorable M. Devaux, de sa voix convaincue et respectée, vient, je le reconnais, de caractériser la situation. Le bruit des événements qui se passent au dehors domine tout aujourd’hui. Il faudrait de grands efforts pour rendre la Chambre et le pays attentifs à des discussions d’un ordre purement intérieur.

Cependant il faut prendre garde, selon moi, d'encourager, d'exciter, de favoriser cette disposition des esprits. Cette atonie prendrait bientôt les apparences de la mort. Il faut ne pas craindre de scruter notre situation. Il faut rechercher avec soin, avec sollicitude ce que commandent, sous ce rapport, les intérêts du pays. Il faut laisser se développer le mouvement des institutions parlementaires. Car c'est par le jeu régulier de ces institutions mêmes que notre nationalité se manifeste. C'est par elle que se révèle surtout notre unité politique ; c'est par elles que nous devons fortifier ce sentiment national qui serait notre plus grande force dans un jour de danger.

Je n'hésite donc pas, pour ma part, à entrer franchement, loyalement dans l'examen de la situation.

Depuis le jour où s'est dissoute la majorité libérale qui avait appuyé le pouvoir pendant cinq années, il est devenu à peu près impossible de faire une classification des partis dans la Chambre, pour reconnaître où se trouve la majorité.

Il semble pourtant qu'une majorité nouvelle tend à se constituer. Mais elle n'a pas encore accompli son œuvre.

Pourquoi cette œuvre n'est-elle pas accomplie ? Parce que le mouvement de décomposition a eu bien plus, ou, pour mieux dire, a eu exclusivement pour cause des considérations personnelles et non des questions de principe.

Des questions personnelles suffisent bien pour détruire, mais elles sont impuissantes pour édifier. Les principes, une communauté de vues, on les avoue, on les proclame hautement. Les motifs personnels ; on les tait.

C'est pourquoi, messieurs, vous avez vu principalement cette majorité se révéler dans les scrutins secrets.

Il n'y a pas eu d'explications, pas de discussion, pas de raisons données qui pussent être appréciées et par la Chambre et par le pays. Le dernier ministère libéral a été étranglé par des muets.

Mais, l'œuvre de démolition accomplie, qu'a-t-on pu faire ? qu'a-t-on tenté ? La situation était difficile, je le reconnais. Un scrutin secret avait dénoté que la majorité était enlevée au ministère libéral. On essaya de constituer une administration nouvelle. Elle ne consentit à paraître qu'à une condition, c'est qu'elle aurait l'appui de la gauche. Son existence, elle le proclamait lorsqu'elle était encore dans les limbes ; son existence était attachée à la manifestation d'une majorité prise dans le sein de la gauche. Que fit-on pour chercher à constater si elle existait ?

On fit un nouvel appel au scrutin secret. C'est sur la nomination du président de la Chambre qu'on fonda tout l'espoir de la nouvelle administration.

Le scrutin secret, il faut bien l'avouer, donna cette fois encore une de ces réponses énigmatiques, que chacun pouvait interpréter au gré de ses espérances et de ses illusions. Un président pris dans le sein de la gauche fut élu, mais à la plus faible majorité, à la majorité d'une voix ! Le scrutin secret n'avait pas dit son dernier mot. Il prit le premier vice-président dans le sein de la droite, fit échouer pour la seconde vice-présidence le candidat de la gauche, et, pour le reste, les éléments de la majorité nouvelle, prirent une large place au bureau.

Le cabinet se tint pour satisfait ; il crut que dans ces conditions mêmes son existence était assurée.

L'administration nouvelle, composée des débris du dernier ministère et d'hommes qui par leurs antécédents et le concours qu'ils avaient prêté à la politique inaugurée en 1847 se rattachaient à l'opinion libérale, annonça l'intention de maintenir les actes de ses prédécesseurs. Elle ne voulait pas renverser leur politique, disait-elle.

Toutes les mesures d'ordre intérieur si violemment attaquées par l'ancienne opposition, l'administration nouvelle les approuvait dans leur ensemble, et ne consentait point à concourir à les faire rétracter. Mais il faut le dire, sans mettre en doute les bonnes intentions du cabinet, on tenait peu de compte de ses déclarations ; car on ne croyait ni à sa force, ni à sa durée ; et nous pouvons le dire, il n'y croyait pas lui-même, il avait inscrit partout sur le portefeuille de chaque ministre le provisoire, le temporaire. Le provisoire, le temporaire y sont encore inscrits aujourd'hui. De là un gouvernement faible, irrésolu, sans appui réel dans le parlement, sans pensée d'avenir. De là une administration sans énergie, énervée, relâchée ; n'ayant pas foi en elle-même, elle ne pouvait inspirer la foi à personne. Nous l'avons vue, pendant les deux dernières sessions, impuissante à faire adopter par la Chambre les mesures de quelque importance qu'elle avait proposées. Je ne parle pas de ces actes signalés hier par l'honorable ministre des affaires étrangères, de ces actes qui ne pouvaient être contestés, qui étaient nécessaires, inévitables et qui ont été adoptés par la Chambre.

Mais il ne peut se refuser à le confesser, il l'a fait hier, le cabinet n'a pas rencontré une majorité pour faire sanctionner des projets importants qu'il considérait comme essentiels pour le bien public. Et ainsi, à cause de cette situation fausse, un ministère qui compte dans son sein des hommes d'une expérience éprouvée et d'un talent incontesté, a été réduit au rôle le plus pénible, et qui, j'en suis convaincu, a très souvent inspiré à MM. les ministres le plus prorond dégoût.

Mais la situation était difficile par elle-même ; je n'hésite pas à déclarer qu'elle a été de beaucoup aggravée par les fautes du ministère. Il y a peu de temps, durant la clôture de la session, sans causes apparentes, le cabinet a fait éclater une crise ministérielle. Quels ont été les motifs de la retraite du cabinet ? Pourquoi a-t-il ébranlé le pouvoir déjà si faible ? Pourquoi, en l'absence des Chambres, s'est-il cru obligé d'abandonner son poste ? Pourquoi surtout a-t-il laissé attribuer ou fait attribuer à sa retraite des motifs qui, s'ils étaient fondés, démontreraient que le sens politique leur a manqué en cette circonstance ? Est-ce de nature à inspirer confiance au pays ?

Il nous faut ; messieurs, sur tous ces points, accepter le triste silence du cabinet ; il faut que, plus prudents que lui, bien que n'étant pas tenus à la même réserve, nous ne cherchions pas à pénétrer les mystères dont il s'enveloppe. La réflexion l'a rendu circonspect. Après un simulacre de retraite, il a repris sa position, il a proclamé bien haut, par le journal officiel, que ses attitudes diverses rendaient de sa part des explications indispensables. Il a fait convoquer extraordinairement les Chambres pour éclairer les Chambres et le pays. On devait nous réunir à la mi-octobre. Puis le temps passe, il s'écoule. Le terme ordinaire de la session arrive, ou peu s'en faut, et la Chambre et le pays apprennent que le cabinet n'a pas d'explications à leur donner.

Je pourrais, messieurs, prendre en pitié de pareils actes, si, pour les cacher, le cabinet n'avait pas cru devoir recourir à un impardonnable expédient. Obligé de fuir la discussion qu'il avait annoncée ou promise, il a cherché un débat politique. Une question a divisé la gauche, plus en apparence qu'en réalité, ainsi que l'événement le prouvera, je l'espère, bientôt.

C'est la question du concordat fait avec le clergé, pour l'enseignement ; et le cabinet qui, dans son langage, sinon dans ses actes, le cabinet qui a toujours voulu se rattacher à la gauche, veut essayer de régner en divisant ce qu'il nomme encore ses amis. C'est vous dire, messieurs, qu'il fait appel à l'appui de la droite.

Et, en effet, un grand changement s'est opéré dans les allures du cabinet à son début ; comme je le rappelais tantôt, c'est par la gauche qu'il voulait gouverner, c'est l'appui de la gauche qu'il voulait, c'est un président élu par la gauche qu'il demandait.

Ce président a été élu par la gauche, par la gauche exclusivement. Mais aujourd'hui on nous fait entendre les discours habituels de tous les ministères mixtes : c'est en s'appuyant sur les hommes modérés de tous les partis que le ministère consent à garder le pouvoir ! Il faut qu'après avoir divisé la gauche, il rejette comme manquant de modération ceux qui n'ont pas jugé à propos d'approuver tous ses actes.

Sa faute est grave, messieurs, et je l'avertis que, sans lui concilier la tolérance durable de ses advcrsaires, elle lui fera perdre l'estime de ses amis. Quelle nécessité y avait-il pour le ministère d'agiter cette question, de provoquer une discussion et une discussion nécessairement irritante sur cette affaire de renseignement ? Avait-il un triomphe à nous annoncer ? Quel plus déplorable échec, au contraire, que celui qui a suivi ce qu'on est convenu d'appeler la convention d'Anvers ? Cette convention est avortée. Elle a échoué, d'un côté, par les prétentions du clergé, de l'autre, par la résistance des conseils communaux. Après avoir fait toutes les concessions de principe, vous n'avez pas obtenu le concours que vous aviez demandé au clergé. Le clergé, à de rares exceptions près, sauf dans de petites localités, est aujourd'hui encore absent de nos écoles. Et pourquoi n'y est-il pas entré ? Pourquoi, se déclarant d'accord avec vous et, vous, vous déclarant d'accord avec lui, n'a-t-il pas pénétré dans vos établissements ?

Parce qu'il aurait fallu aller jusqu'à réviser avec lui les nominations de professeurs faites par arrêté royal, les nominations émanant du pouvoir civil. Vous n'avez donc point son concours à cause de prétentions étranges, incroyables, qui seraient moindres de notre part, si vous demandiez aux évêques de réviser avec eux la nomination des curés.

Du côté des conseils communaux, l'échec n'a pas été moins significatif. Il vous a fallu reculer dans les plus grands centres de population.

Les conseils communaux, même dans des localités peu importantes, vous ont nettement déclaré que la convention proposée était contraire à la loi ; et vous qui prétendez qu'elle est conforme à sa lettre et à son esprit, vous gouvernement, vous autorité administrative, vous avez laissé subsister ces délibérations. Vous n'avez pas la force de les annuler.

Certes, si le cabinet n'avait pas cru devoir, dans le discours de la Couronne, faire appel, sur ce point, à une discussion irritante, j'aurais pu aisément, plus aisément que tout autre, répondre à la voix de l'honorable M. Devaux et m'abstenir dans les circonstances où nous nous trouvons.

Mais il y aurait de ma part plus que de la faiblesse à feindre que je n'ai pas compris la provocation qui nous est adressée. Elle vient d'un gouvernement modéré, conciliant, qui parle d eaà gravité des circonstances et s'en fait un titre pour demander grâce aux partis. Et maintenant le voilà plein d'ardeur pour le combat et nous lançant un défi. Je l'accepte. Mais il est bien constaté que ce défi, que cette provocation ne sont point venus de ce côté. Le ministère pouvait attendre les attaques et se défendre. Il eût été dans son rôle. Il n'eût été que juste vis-à-vis de nous.

Je n'ai pas, certes, pour ma part, entravé la marche de l'administration depuis deux années.

(page 92) Le lendemain de sa constitution, j'ai quitté le pays, je n'ai point reparu dans cette Chambre, je m'y suis trouvé au début de la dernière session, pendant peu de temps, et par accident, dans le moment même où s'est présentée la question qui a fait naître un dissentiment entre nous. Mais, de ma part aucun acte, aucun vote, aucun discours n'avait attesté mon opposition au cabinet. Je pouvais donc m'atltendre à ce que le ministère, sortant de la gauche, réclamant l'appui de la gauche, gardât quelques ménagements.

Mais il avait, comme il le dit avec un superbe dédain, il avait devant lui une infime minorité de la gauche ! Pour attaquer une infime minorité, le courage ne lui manque pas. Je me console aisément, au surplus, de faire partie d'une infime minorité avec l'opinion publique dans nos principales villes, avec un grand nombre de bureaux administratifs et de conseils communaux, avec la presse libérale tout entière.

Et pour que rien ne manquât au défi ministériel, M. le ministre de l'intérieur, faisant dans une autre enceinte l'apologie des mesures que nous avons combattues, a déclaré qu'elles avaient été considérées comme une transaction heureuse par tous les hommes modérés du pays.

Nous voilà donc, par l'autorité de M. le ministre de l'intérieur, nous voilà rejetés en dehors de la communion des hommes modérés ! Nous savons ce que ce mot veut dire. Les hommes modérés, c'est la majorité qui, au Sénat, par l'organe de l'honorable M. d'Anethan, a donné leur véritable sens aux lois sur l'enseignement ; les hommes modérés, ce sont ici ceux qui ont chargé MM. de Theux, Dumortier, de Decker, Delehaye de les représenter dans la commission d'adresse ; c'est par eux, qui furent les adversaires les plus acharnés de la loi du 1er juin 1850, sur l'enseignement moyen, que nous allons apprendre quel est le véritable esprit de cette loi !

Et depuis quand M. le ministre de l'intérieur est-il devenu un de ces hommes modérés ? L'était-il, lorsque, membre du conseil communal de Liège, il protestait dans une adresse qui a été bafouée par la droite dans cette Chambre, contre les principes que contenait le projet de loi sur l'enseignement primaire ? Cette adresse a été qualifiée d'œuvre de malhonnêtes gens.

L'était-il dans la discussion avec l'évêque de Liège, en 1841, sur les mêmes questions qui s'agitent aujourd'hui, lorsqu'il lui rappelait les principes essentiels de notre Constitution qu'il ne consentait pas à violer ?

L'était-il, lorsqu'il me conduisait au congrès libéral dont l'honorable M. de Mérode vient de parler, et qu'il y agitait le drapeau de l'indépendance du pouvoir civil, non de l'indépendance réelle du pouvoir civil, lorsqu'il y faisait proclamer le principe de l'exclusion du clergé à titre d'autorité dans l'enseignement ? L'était-il, lorsqu'il condamnait en termes éloquents le refus d'une messe du Saint-Esprit fait par un évêque à l'occasion de la mise à exécution de la loi du ler juin 1850 ? L'était-il lorsque, répondant aux attaques dont il était l'objet, il a récemment encore exposé et défendu les principes que nous-même nous avions défendu et fait prévaloir quand nous avions l'honneur de diriger les affaires du pays ? J'étais alors modéré comme lui ; ce qu'il approuvait, c'est ce que nous avions refusé de faire ; ce que nous avions refusé de faire, c'est ce qu'il a fait depuis qu'il est modéré !

Comment ce mot n'a-t-il pas brûlé la langue de M. le ministre de l'intérieur, lorsqu'il le prononçait ? Le bureau administratif de l'athénée de Liège où il compte d'anciens collègues et des amis, le bureau a refusé d'accepter la convention préparée par les soins du ministre de l'inlérieur ; le ministre exclut donc le bureau de l'église de la modération ; ses anciens collègues et ses amis, ce sont des exagérés.

Le conseil communal de Liège, à l'unanimité moins une voix, le conseil communal de Liège, composé des hommes les plus sages et les plus modérés, le conseil communal qu'a longtemps présidé M. le ministre de l'intérieur, le voilà excommunié, il cesse d'être modéré.

C'est après avoir pris cette altitude provocatrice, c'est après avoir attisé le feu des discordes, c'est après avoir commis les fautes que je viens de signaler, c'est après avoir prouvé en plus d'une circonstance grave qu'il méconnaissait ses devoirs et ses obligations les plus essentielles, que le cabinet nous demande un concours absolu, une confiance sans bornes. La situation est étrange assurément. Le ministère, si nous en croyons le journal officiel, s'est cru ébranlé par le résultat des élections ; il a eu des scrupules. Pourquoi le ministère a-t-il et des scrupules après les élections dernières ? C’est apparemment qu’il croyait que la majorité qu’il s’attribue était ébranlée. Je ne puis donner d’autre sens aux hésitations que le cabinet a manifestées et dont il a cru devoir rendre le public confident, ce qui a fait sourire plus d’un homme politique. Numériquement les positions étaient pourtant restées les mêmes ; mais il y aurait de la puérilité à le méconnaître : le résultta de l’élection d’Anvers, pur accident à mes yeux, effet d’une surprise qui sera réparée à la première occasion ; le résultat de cette élection avait exercé une influence morale défavorable à l’opinion libérale. Et cela seul intimidait le cabinet ; il doutait qu’il pût encore, après cet ébranlement purement moral, conserver le pouvoir ; cependant il se rassure bientôt , il viendra devant la Chambre ; il lui demandera de s’expliquer catégoriquement ; la Chambre lui fait une première réponse par la nomination de la commission d’adresse.

Ce fut pour le ministère une déception inouïe, il se croyait assuré de retrouver dans la commission d'adresse les éléments de la commission de l'an passé ; n'importe, il ira jusqu'au bout. Ce n'est, dit-il, qu'un scrutin secret, il y a dans le scrutin secret des hasards étranges ; le cabinet sait que des membres de la gauche ont contribué à nommer ses adversaires politiques.

Soit ! Mais, pourtant, les honorables MM. Devaux et Orts ont été exclus de la commission ; cela est grave et significatif. Ce sont là des mesures qui attestent la volonté persévérante, énergique, de la part de la droite, de faire prévaloir ses intentions.

Le ministère, si inquiet après les élections, et faisant confidence de son trouble au public, n'a plus de crainte en présence des manifestations de la droite. Pourquoi donc se croyait-il perdu après les élections ? Il se tient donc pour satisfait de la composition de la commission d'adresse !

Il avait préparé, pour les hommes de sa majorité, des explications et une demande de concours ; il ne rencontre dans le sein de la commission de l'adresse que des adversaires politiques, il leur donne exactement les mêmes explications et réclame d'eux exactement le même concours. Y a-t-il quelque engagement entre le cabinet et la droite ?

Ces engagements sont-ils exprès, sont-ils tacites ? Comment le concours peut-il être accordé par la droite au cabinet qui déclare qu'il relève de la gauche, qu'il en défend les principes, qui proclame que son origine est libérale, qui affirme, pour caractériser par un acte sa politique, qu'il maintient son projet de loi sur les dons et legs charitables, et n'entend pas abandonner un seul des principes essentiels qui règlent la bienfaisance publique en Belgique ? Cette situation aura-t-elle quelque chose de sérieux ? Un seul d'entre vous croira-t-il, y aura-t-il un seul homme dans le pays disposé à croire que le concours, dans les termes où il est donné par le projet d'adresse, soit un concours sincère et efficace ?

Peut-être, en cherchant bien, trouverait-on, dans la rédaction de l'adresse, la véritable vérification de ce concours. Il serait en ce cas encore plus réservé que celui qui déjà a été promis au cabinet par d'honorables préopinants. Je lis dans le dernier paragraphe du projet d'adresse :

« Sire, le langage descendu du trône est de nature à rassurer pleinement les esprits ; toutefois, chacun de nous comprend la gravité de la situation que les circonstances actuelles font à la Belgique. Aussi, nous associant au dévouement éclairé de Votre Majesté aux intérêts de notre belle patrie, nous saurons remplir les devoirs particuliers que ces circonstances nous imposent. Nous assurons à votre gouvernement ce loyal concours que vous réclamez de notre patriotisme, et sans lequel le pouvoir ne saurait, au milieu des embarras et des difficultés du moment, accomplir dignement sa haute mission d'ordre et de paix. »

Le mot de l'énigme que je cherche à deviner, pourrait bien être là : les circonstances actuelles, la gravité de la situation, les embarras et les difficultés du moment, voilà ce qui détermine la commission à donner le concours qui est réclamé, mais ce n'est pas un concours politique ; il n'y a pas de communauté de vues entre vous ; ce n'est pas l'expression de la pensée d'une majorité parlementaire résolue à vous défendre. Vous, avez le bénéfice des circonstances actuelles ; vous êtes tolérés à cause des embarras et des difficultés du moment.

Mais la droite n'abdique pas, je présume, en vos mains, ses doctrines et ses principes.

Elle saura bien, au contraire, au prix de concessions sucessives, trouver le moyen de vous faire acheter son appui. Dans le sein de la gauche on cherche aussi « dans les embarras et les difficultés du moment » des raisons de vous accorder un concours qui n'est pas exempt de réserves. Mais, encore une fois, ou découvrez-vous cette majorité sans laquelle la force vous manquera pour gouverner ?

Vous êtes l'emblème de l'empire turc. Vous ne trouvez nulle part de bien vives sympathies, mais beaucoup se posent cette question : Qu'arriverait-il si vous étiez renversé ? Et comme la solution est obscure, j'en conviens, bien que parfois on vous laisse à peu près tomber en ruines, d'autres fois on arrive à votre secours.

Les Russes de la droite ont poursuivi d'abord votre ébranlement avec une certaine énergie en protestant toujours qu'ils n'entendaient pas vous briser ; entre eux et vos amis, vous n'ayez su souvent qui choisir.

Vous avez remis les lieux saints, dans la question de l'enseignement, aux Russes de la droite et vous vous promenez de les leur reprendre dans la question de la charité. Cependant les Russes de la droite se montrent agressifs, et mystérieusement, au scrutin secret, ils vous donnent de sérieux avertissements, protestant toujours de leurs bonnes intentions ; mais vous y croyez peu, vous faites appel à d'autres amis ; les Russes de la droite auront-ils des alliés ? Voilà la question ; votre sort en dépend.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt le discours que vous venez d'entendre. Ce discours tout entier, du moins la plus grande partie, n'avait évidemment qu'un but : après avoir dessiné la position du cabinet dans cette Chambre, celui d'attirer l'attention sur la convention d'Anvers.

C'est à ce titre que je demande immédiatement la parole pour rectifier les assertions de l'honorable orateur.

L'honorable M. Frère a caractérisé cette convention d'Anvers de telle manière que, s'il fallait l'en croire, elle n'aurait aucune signification réelle.

C'est pour le cabinet, dit-il, un échec des plus significatifs ! Personne n'en veut, ni le clergé, ni les communes dont le concours est indispensable pour réaliser l'une des conditions essentielles mises à l'intervention du clergé.

(page 93) Messieurs, il est extrêmement aisé de rectifier à cet égard les appréciations de l'honorable orateur.

La convention d'Anvers n'a pas subi l'échec qu'on vient de proclamer tout à l'heure. Il n'est pas exact de dire qu'elle est repousséc par le clergé. Le clergé est resté fidèle aux engagements qu'il avait pris.

Aucune espèce de condition, en dehors de celles que la Chambre a connues et qu'on a publiées, n'a été l'objet d'une demande quelconque de la part du clergé, conformément aux principes consacrés par l'arrangement qui a été porté à la connaissance de la Chambre.

Le clergé a offert son concours, à la demande du gouvernement, pour un très grand nombre d'établissements d'instruction moyenne de l'Etat. Je vais, messieurs, vous en donner la preuve par quelques citations.

D'abord, en ce qui concerne les athénées, le clergé a offert son intervention pour quatre athénées : l'athénée d'Anvers (on le sait), l'athénée de Liège (l'honorable M. Frère le sait aussi, et ce n'est pas la faute du clergé, si l'enseignement religieux n'y existe pas jusqu'à présent). Les athénées de Namur et d'Arlon sont également l'objet d'offres de concours, et je le répète, sans autres conditions que celles qui ont été l'objet des communications officielles entre les évêques etl e gouvernement, et qui sont connues de la Chambre.

J'arrive aux écoles moyennes.

Jusqu'ici les offres de concours de la part du clergé s'adressent à 32 écoles moyennes.

Sans doute, ce concours offert par le clergé sur la simple invitation qui lui a été adressée par le gouvernement, n'est pas à l'heure qu'il est un fait consommé, du moins dans la plupart de ces établissements, parce que l'intervention du clergé est soumise à une instruction contradictoire à faire entre le gouverneur, les bureaux administratifs de ces établissements, ainsi que les conseils communaux des villes où ils sont fondés.

Cette instruction entraîne des retards qui ne peuvent, sans injustice, être imputés au gouvernement, parce qu'ils sont le résultat de formalités prescrites par la loi. Sous ce rapport, le gouvernement est à l'abri de tout reproche.

En ce qui concerne le clergé, il est donc constant que l'arrangement conclu pour l'enseignement religieux n'a pas été pour le gouvernement un échec, puisque le concours a été offert librement dans 36 établissements, dont 4 athénées.

Ce premier fait me paraît avoir quelque signification.

Quant aux autres, les demandes de concours sont à l'état d'examen, soit de la part du clergé, soit de la part du gouvernement.

La convention d'Anvers est-elle davantage un échec pour le gouvernement au point de vue des conseils communaux, dont le concours est indispensable ? Il n'est pas plus exact de le prétendre à l'égard de ces conseils qu'à l'égard du clergé.

Vous savez que le concours a eu lieu à l'athénée d'Anvers. Quant aux autres athénées, à celui de Liège notamment, le concours du clergé y est entravé par un fait qui n'est imputable ni au gouvernement ni au clergé.

El l'explication de ce fait est fort simple. Le bureau n'a pas cru devoir adopter le règlement d'Anvers ou un règlement analogue.

Celui qu'il a élaboré s'écartait essentiellement des bases du règlement d'Anvers. L'évêquc du diocèse n'a pas cru qu'il pouvait intervenir dans ces circonstances.

Le gouvernement, de son côté, n'a pas cru qu'il fût opportun de soumettre le projet adopté par le bureau à l'avis du conseil communal, puisque cette communication devait rester stérile dans ses résultats.

Le bureau était dans son droit, et le gouvernement était dans le sien. Aucune espèce de pression n'a été tentée, ni sur les membres du bureau, comme on a osé le prétendre en dehors de cette enceinte, ni sur le conseil communal.

Le règlement relatif à l'enseignement religieux repose sur le principe d'une liberté réciproque, des communes et du clergé. Le gouvernement respecte cette liberté.

Est-ce à dire que je fasse au bureau administratif de Liège, comme on vient de le supposer, l'injure de croire qu'il est composé de libéraux exagérés ? Nullement, messieurs ; je connais les hommes honorables qui forment le bureau administratif, et j'ai la certitude qu'ils ont pensé faire une chose utile en s'écartant, dans leur projet de règlement, des bases de celui d'Anvers. Sans doute, et j'en suis convaincu aussi, ils ont cédé dans cette occurrence à des appréciations erronées ; mais je ne les accuse point pour cela d'exagération.

Ils ont été induits en erreur par les clameurs et les violences de la presse, tant sur les intentions du clergé que sur celles du gouvernement ; le premier étant chaque jour représenté comme exigeant des conditions exorbitantes pour donner son concours ; et le second comme disposé à sacrifier à la fois la dignité du pouvoir et les intérêts du corps professoral.

On nous demande aujourd'hui pourquoi le concours du clergé ne s'est point généralisé ?

Messieurs, quand une partie de la presse, pendant trois mois entiers, a retenti des accusations les plus odieuses contre le gouvernement ; quand on accuse faussement le clergé de mettre à son intervention des conditions secrètes en dehors de celles primitivement accordées ; quand on menace le corps enseignant d'une inquisition permanente dans sa vie privée ; quand on glorifie la résistance des uns à l'acceptation de la convention d'Anvers ; quand on agi sur d'autres par la voie de l'intimidation ; je le demande, est-ce bien le moyen de faciliter l'exécution d'une loi qui proclame (on devrait bien s'en souvenir à gauche) la nécessité de l'enseignement religieux ?

Pense-t-on, lorsqu'on a vu mettre en œuvre dans la presse une pression aussi violente sur les corps administratifs, que la tâche du gouvernement est bien facile ? Est-il juste de lui reprocher la lenteur avec laquelle le concours se réalise ?

Et puis, voyez avec quelle justice l'opposition (je parle de l'opposition qui s'est attaquée depuis quatre mois à la convention d'Anvers), voyez avec quelle justice cette opposition procède. Un bureau administratif (celui de Bruxelles) est sur le point d'introduire dans son règlement des dispositions déjà consignées par le gouvernement dans un document particulier en une forme admise par le clergé.

Le ministre de l'intérieur, obéissant à ses devoirs, cherche à éclairer le bureau administratif sur les conséquences de l'acte qu'il s'apprête à poser, et sur la complète inutilité d'insérer au règlement des garanties existantes en une autre forme également officielle.

A l'instant intervient l'opposition qui prétend que le gouvernement foule aux pieds tous ses précédents et qu'il n'a qu'un but, c'est d'opprimer la liberté des bureaux administratifs.

Or, je le demande encore aux hommes justes, aux hommes modérés, et je vous comprends parmi ces hommes, je demande si c'est bien là le moyen de faciliter au gouvernement l'accomplissement de sa tâche.

Messieurs, je reviendrai, quand nous serons au paragraphe spécial de l'adresse, sur les faits particuliers dont on s'est fait une arme contre le gouvernement. Aucun ne doit rester sans explication. Nous provoquons toutes les interpellations sur ces faits ; car il faut que la lumière se fasse, il faut que personne ne sorte d'ici avec une demi-conviction. Il faut que tout le monde sache que tout a été franc, loyal, honorable de la part du gouvernement. Et quant à ceux quî ont dit ailleurs qu'ils avaient été trompés par le gouvernement, je leur démontrerai que personne, dans cette enceinte, n'est autorisé à déclarer que le ministère a trompé la législature et que cette imputation est un acte d'une insigne légèreté.

Messieurs, j'arrive à cette partie des observations par lesquelles l'honorable orateur a représenté le ministre de l'intérieur comme jetant en quelque sorte le défi à tous les libéraux modérés, à ses amis d'autrefois, se mettant en opposition avec tout ce qu'il avait pensé et proclamé jusqu'à présent.

Au Sénat, dit l'honorable M. Frère, le ministre de l'intérieur a dit que la convention d'Anvers, avec les documents qui l'accompagnent, a été acceptée par tous les hommes modérés comme une transaction équitable.

Oui, messieurs, je l'ai dit et je le répète, parce que je crois que c'est le sentiment du pays et que je puis le déclarer sans manquer à aucun des honorables membres de cette Chambre. Et pourquoi donc l'honorable M. Frère voudrait-il s'isoler, dans cette circonstance, des hommes libéraux modérés ? Je n'excepte personne de cette qualification.

Vous auriez tort de prendre mes paroles comme ayant cette portée, et je vais vous prouver que je ne pouvais pas avoir cette pensée.

Qu'ai-je dit au Sénat ? J'ai dit que la convention d'Anvers avait été acceptée par tous les hommes modérés comme une transaction équitable. Messieurs, je pouvais d'autant mieux le dire qu'en proclamant cette vérité, je ne faisais que rappeler ce qui s'était passé dans cette enceinte le 14 février.

Et, en effet, le règlement d'Anvers y avait obtenu l'approbation de tout le monde, même de l'honorable M. Frère.

M. Frère-Orban. - Tel qu'il était interprété ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Oui, tel qu'il était interprété et tel qu'il est encore compris et admis aujourd'hui. Et à cet égard toutes les exagérations, toutes les faussetés par lesquelles, en dehors de cette enceinte, on a cherché à affaiblir l'autorité de la convention faite avec le clergé, tout cela disparaît devant une seule appréciation de cet acte.

Que s'est-il passé le 14 février ? L'honorable M. Frère a déclaré que quant à lui le règlement d'Anvers lui paraissait irréprochable au point de vue constitutionnel et au point de vue de la loi. Ce sont les paroles dont il s'est servi.

Je sais bien que la convention d'Anvers se compose non seulement du règlement proprement dit relatif à l'enseignement religieux, mais encore de concessions qui ont été faites au clergé et qui tendent, l'une à faire entrer un membre du clergé dans le bureau administratif, et l'autre à faire entrer un ecclésiastique dans le conseil de perfectionnement.

A ces deux conditions l'honorable M. Frère n'a pas donné son assentiment. Mais pourquoi ? Parce qu'il ne voulait pas que la présence de ces deux membns du clergé dans les deux conseils dont je viens de parler eût lieu à titre d'autorité obligatoire, imposée, si vous le voulez.

M. Frère-Orban. - J'ai dit que c'était contraire à la loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Vous avez dit que ce serait contraire à la loi que de l'admettre « à titre obligatoire ».

M. Frère-Orban. - J'ai dit que ce serait contraire à la loi de l’admettre purement et simplement.

(page 94) >M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Voici les termes dont s’est servi l'honorable M. Frère.

M. Frère-Orban. - Au surplus nous nous expliquerons sur le paragraphe.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Sans doute. Mais voici vos paroles : (L'orateur donne lecture de ce passage.)

Eh bien ! je puis dire, à mon tour, que nous sommes parfaitement d'accord, quant au fond, et que nous ne sommes divisés que par des mots.

Vous ne voulez pas de l'admission « à titre d'autorité » du clergé dans le bureau administratif, vous n'en voulez pas à titre obligatoire. Messieurs, nous ne le voulons pas davantage, et c'est précisément parce que nous n'en voulons pas, que nous avons donné à ce concours, à la présence d'un membre du clergé dans les deux conseils, un caractère libre, purement volontaire, purement spontané de la part du gouvernement comme de la part du clergé.

En deux mots il ne peut pas arriver qu'un membre du clergé vienne dans le bureau administratif sans que la commune, sans que le gouvernement y consente. C'est librement, c'est volontairement que cette intervention est admise.

Où est donc, dans une situation de cette nature, le caractère de l'intervention du clergé, « à titre d'autorité » ? Où est le caractère obligatoire que l'on a donné à ce concours pour représenter aux conseils communaux qu'ils étaient obligés de le subir ; au gouvernement qu'il était obligé de l'admettre ?

Messieurs, en présence des explications que je viens de donner sur le caractère de l'intervention d'un ecclésiastique, dans le bureau administratif, explications qui sont conformes à celles que donnait dans une occasion analogue l'honorable M. Lebeau, lorsqu'il reconnaissait la possibilité d'introduire un membre du clergé dans ce conseil administratif, ne suis-je pas autorisé à dire que nous ne sommes divisés que par des mots ?

Et s'il est vrai que l'admission de cet ecclésiastique, telle que nous l'entendons et que l'entend le clergé, est un acte librement accepté par les communes et le gouvernement, n'est-il pas évident que la loi est respectée, et que l'indépendance du pouvoir civil est complète ?

Messieurs, l'honorable M. Frère a cru devoir mettre la conduite du ministre de l'intérieur proposant la convention d'Anvers, en opposition avec ses principes d'autrefois, alors qu'il défendait les droits du pouvoir contre l'évêque de Liège et qu'il proclamait au congrès libéral la nécessité de l'indépendance réelle de l'autorité civile.

Messieurs, je suis heureux, parce que j'aime la franchise en toute chose, de pouvoir m'expliquer sur ces deux faits. Cela ne pèse en aucune manière ni sur mes convictions politiques, ni sur ma conscience. Permettez-moi un mot d'explication.

Lorsque le bourgmestre de Liège s'est trouvé dans la nécessité de se mettre en désaccord avec le chef du diocèse, il l'a fait pour répondre à ce qu'il avait le droit de considérer comme une agression, et pour combattre un fait particulier que je considérais alors et que je considère encore comme excessif.

J'ai bien le droit de penser que l'honorable chef du diocèse de cette époque n'avait pas bien apprécié le caractère d'une demande qui lui avait été adressée par le bourgmestre de Liège et qui consistait à obtenir la célébration d'une messe du Saint-Esprit. Je n'étais pas d'accord sur ce point avec l'évêque ; j'ai eu le courage de le lui dire, et je pense l'avoir dit en des termes tels que son caractère n'a pas eu le droit de s'en plaindre.

Messieurs, je partage encore cette manière de voir. Ce courage, si c'en est un, je l'aurais encore s'il le fallait.

Toutes les fois que le clergé posera des actes qui me paraîtront ou contraires à la loi, ou inconciliables avec les prérogatives du gouvernement, mon devoir sera de résister, et je le remplirai. Mais parce que j'ai tenu ce langage à cette époque, faut-il qu'aujourd'hui, lorsque le clergé, renonçant à de vieilles prétentions et n'exigeant plus, comme alors, une intervention directe dans des actes qui n'appartiennent qu'au gouvernement et qui toujours lui appartiendront exclusivement, faut-il, lorsque ces anciennes prétentions sont abandonnées, se refuser à conclure un arrangement qui est irréprochable en droit et qui est pour le pays une occasion heureuse de faire cesser de funestes divisions ? Messieurs, mon libéralisme à moi ne va pas jusque-là. Il est franc, il est loyal, mais jamais il ne s'écartera de cette modération dont j'ai fait la règle de toute ma vie.

Et au congrès libéral, messieurs, que s'est-il passé ? Est-ce que le bourgmestre de Liège a tenu là un langage qu'il ne puisse honnêtement avouer aujourd'hui ? Qu'a-t-il demandé ? Que l'indépendance du pouvoir civil ne fût pas un vain mot, que ce fût une indépendance réelle, et on a bien fait d'appuyer sur ce mot. Ce que j'ai demandé alors, je le veux encore. Je veux, pour le pouvoir civil, une indépendance réelle, et c'est parce que suis bien convaincu que l'indépendance du pouvoir civil n'a reçu aucune atteinte par la convention d'Anvers, que j'ai approuvé cette convention.

Et c'est parce que je suis bien décidé à faire respecter cette indépendance dans l'exécution qui sera donnée à cette convention, que je ne redoute aucune attaque, et que j'ai la confiance que l'œuvre s'accomplira en dépit des entraves et des malentendus qui signalent son avènement.

On a rappelé le vote du 14 février 1854 et on a cherché à donner à ce vote une signification qui en amoindrirait considérablement la valeur ; à mon tour, je le demande avec sincérité et franchise, qu'était donc ce vote du 14 février ?

Ce vote est intervenu, vous le savez, à la suite d'une discussion dans laquelle le gouvernement avait soumis à l'appréciation de la Chambre, non seulement les actes qui forment la convention d'Anvers, mais tous les articles particuliers dont se compose le règlement d'Anvers. Tous ces articles, tous les actes ont été soumis à la discussion.

Eh bien, messieurs, qu'est-il arrivé après cet examen contradictoire ? Il est arrivé que la Chambre, par un vote solennel, a déclaré, à la majorité de 86 voix contre 7, « qu'elle approuvait la marche suivie par le gouvernement et les explications qu'il avait données ». Je demande à mon tour ce que cela signifie.

Cela ne veut pas dire, sans doute, que la Chambre, explicitement et par une décision formelle, ait approuvé la convention d'Anvers, cela n'était pas dans ses attributions ; mais cela veut dire que la Chambre a donné son approbation morale à tout ce que le gouvernement avait fait dans cette circonstance, à tous les actes qu'il avait posés pour arriver à la convention d'Anvers, et je puis d'autant mieux dire qu'elle leur a donné l'autorité morale d'un vote, que tous les articles du règlement d'Anvers ont été discutés et qu'ils ont fait l'objet d'un grand nombre d'interpellations parties tantôt des bancs de la droite, tantôt des bancs de la gauche.

Il est fort commode sans doute de prétendre aujourd'hui que cette convention est sans valeur au point de vue de l'approbation que la Chambre y a donnée ; que la Chambre s'est bornée à écouter les explications du gouvernement et qu'elle a passé outre.

Cette manière d'envisager l'acte dont il s'agit peut convenir à ceux que le vote du 14 février contrarie ; mais il ne saurait entrer dans les intentions de la Chambre qu'on amoindrisse en quoi que ce soit l'autorité de ce vote.

Quoi qu'il en soit, je ne veux pas m'appuyer sur ce vote pour éviter une discussion nouvelle. Je suis prêt à répondre à toutes les interpellations qu'on croira devoir m'adresser lors de la discussion du paragraphe spécial de l'adresse et à donner sur tous les faits les explications qui me seront demandés, persuadé que ces explications prouveront que le gouvernement n'a mérité aucun de ces reproches qui lui ont été si injustement adressés.

(page 99) M. de Decker, rapporteur. - Messieurs, à la fin du, discours que vient de prononcer l'honorable M. Frère, il a interpellé indirectement la commission d'adresse ; sur la question de savoir quelle est la nature et la portée du concours que la majorité de la commission d'adresse entend accorder au cabinet actuel.

Comme rapporteur de cette commission d'adresse, j'ai demandé la parole pour fournir les explications demandées par l'honorable membre.

Mais, avant d'arriver à ces explications, j'éprouve le besoin d'appeler l'attention de la Chambre sur deux discours qui ont été prononcés dans la séance de ce jour, et dont la haute signification ne vous aura pas échappé.

Vous avez entendu, messieurs, d'une part, l'honorable M. Devaux, ; avec cette vieille expérience et cette haute raison, auxquels je n'éprouve aucune dilficulté de rendre un sincère hommage, vous avez entendu cet homme qui a concouru à la fondation de la nationalité belge, vous dire que, tout en restant fidèle à son parti, tout en croyant à la nécessité des luttes de partis, il reconnaît cependant qu'il arrive des moments, moments critiques et solennels dans la vie des nations, où elles doivent savoir modérer ces luttes, quand elles se trouvent, en face d'une de ces situations graves dans lesquelles leur avenir se trouve engagé.

D'autre part vous avez entendu l'honorable M. Frère, homme aussi d'un incontestable talent, se préoccuper, lui, avant tout, de la nécessite, de continuer énergiquement ces luttes de partis, même en présence des événements extérieurs.

M. Frère-Orban. - C'est une erreur.

M. de Decker. - C'est là le fond de la situation que présente en ce moment l'opinion libérale, ici et au-dehors. Je ne suis que simple spectateur ; je me borné à constater les faits. Il est évident qu'il y a d'un côté, des hommes politiques qui, tout en voulant sauvegarder les intérêts dè leur parti, entendent que les intérêts du pays marchent avant les intérêts dè partis, et qu'il y a, d'un autre côté, des hommes politiques qui ou méconnaissent les intérêts du pays ou veulent maintenir en première ligne les intérêts de parti qu'ils se sont donné la mission spéciale de défendre: Quant à moi, je le déclare franchement, et je crois que le pays tout entier, à de rares exceptions près, est de cet avis, je partage entièrement les vues larges et vraiment politiques de l'honorable M. Devaux.

Oui, c'est là la pensée, le vœu de la Belgique.

Tout en continuant, mais en les modérant, ces luttes intérieures, auxquelles, du reste, personne ne peut se soustraire, qui sont le résultat de la nature des choses, tout Belge, ami de sa patrie, doit reconnaître qu'il arrive des moments où il faut savoir faire taire les suggestions de l'esprit de parti, pour n'écouter que les grandes et nobles inspirations de l'esprit national.

Comme rapporteur de la commission d'adresse, j'avoue que c'est particulièrement ce sentiment qui nous a dominés quand nous avons promis au cabinet actuel le concours sincère et loyal dont le dernier paragraphe de l'adresse donne l'assurance non équivoque.

L'honorable M. Frère, pour s'expliquer à lui-même ses préférences pour la continuation active de ces luttes de partis, même en présence de la gravité de la situation extérieure et intérieure, dit que ces luttes sont ce qui constitue la vie des nations, que c'est par ces luttes que les peuples vivifient leurs institutions constitutionnelles.

Ah ! messieurs, ce langage m'amène à comparer la manière différente dont la vie parlementaire a été comprise et pratiquée par deux grandes nations voisines, nations qui apparaissaient comme des modèles dans la voie des gouvernements constitutionnels. Vous avez vu ce que le gouvernement constitutionnel est devenu en France, vous savez ce qu'il est en Angleterre.

En France aussi, il y avait, avant 1848, des hommes politiques qui, indifférents à tous les dangers qui menaçaient l'ordre social, sourds aux avertissements de l'histoire, pleins, eux aussi, de leur petite personnalité, voulaient que la France tout entière continuât de se laisser entraîner aux interminables luttes de partis ou de coteries. Vous savez où la France est arrivée avec ce système ; elle en est arrivée à subir la dictature militaire.

En Angleterre, est ce ainsi qu'on a compris la vie constitutionnelle ? Non, messieurs, en présence des grands dangers, des grands événements qui peuvent, comme l'a dit l'honorable M. Devaux, remuer le monde et remanier la carte de l'Europe, vous y avez vu les hommes considérables de tous les partis se dire : Trêve de discussions, trêve de divisions et de haines ; entendons-nous, ce n'est pas trop de toutes les lumières, de tous les dévouements pour assurer à l'Angleterre le maintien de ses hautes destinées.

De ces deux manières de comprendre le régime constitutionnel, je vous le demande, messieurs, quelle est la vôtre, quelle est celle que veut adopter la Belgique ? Entre le résultat qui a été obtenu en France et celui qui a été obtenu en Angleterre, quel est celui que vous préférez ? Messieurs, vous avez tous prononcé !

Non ; le pays n'a aucun besoin de la continuation des luttes de partis qui paraissent indispensables à l'honorable M. Frère. Ce que nous avons à faire aujourd'hui, ce que la partie saine et éclairée de la nation attend de nous, c'est que nous ne perdions pas en stériles ou irritantes discussions un temps piécieux que nous devons consacrer à la défense des plus sérieux intérêts de la société ; c’est que nous nous groupions tous autour du trône pour le maintien de nos libres institutions et de notre indépendance nationale !

Messieurs, je pourrais à la rigueur me borner à ces explications pour motiver le concours que j’accorde à l'administration actuelle ; cependant j'entrerai encore dans quelques autres considérations. Je serai, du reste, très bref.

Lorsqu’on promet son concours à un ministère, il faut examiner avant tout quelle est sa raison d'être, quels sont ses actes.

Eh bien, examinon rapidement la raison d'être du cabinet et ses actes. Sa raison d'être est dans les faits, dans les événements, dans la dissolution, qu'on avoue aujourd'hui, de l'ancienne majorité libérale.

Par le fait de cette dissolution, il y a en dans le parlement belge une majorité flottante et indécise qui semblait n'appartenir positivement à aucun des deux partis. Evidemment, de l'aveu de tous, ce qu'il fallait dans cette situation, c'était un ministère se plaçant en dehors de ces partis par sa politique et ses tendances.

L'honorable M. Frère, venant à constater la dissolution de la majorité libérale, l'attribue à de simples questions personnelles ; il est allé même jusqu'à reprocher au ministère de contribuer à la dissolution de cette majorité en faisant naître des divisions dans son sein. Oh ! l'honorable membre se trompe étrangement sur le mouvement qui s'opère dans l’opinion libérale ! Ce qui dissout l'opinion libérale, ce ne sont pas les faiblesses des hommes qui sont actuellement au pouvoir ; ce sont les exagérations d'une certaine fraction de l'opinion libérale elle-même. Voilà la vérité vraie. Le pays se sépare visiblement de quelques hommes qui, sous prétexte de libéralisme, veulent détruire les vieilles traditions religieuses de la Belgique ; il s'en séparera de plus en plus lorsqu'il verra où ces hommes, dont l'influencé fut si longtemps incontestée, veulent mener l'opinion libérale. Voilà ce que je voudrais faire bien comprendre à la Chambre, parce que là est, selon moi, l'explication du phénomène qui préoccupe M. Frère. Beaucoup d'hommes, vraiment libéraux, s’éloignent de certaines doctrines, se révoltent contre certaines tendances qui se produisent aujourd'hui au grand jour, et ces hommes n'entendent pas pour cela abdiquer leurs convictions libérales.

Car je ne me fais, quant à moi, aucune illusion ; je ne crois pas que l'opinion libérale dont j'étudie les mouvements avec autant de soin, que qui que ce soit, se rapproche positivement de mes convictions comme membre du parti catholique ; mais je vois l'opinion libérale se séparer en deux camps : les uns ne voyant dans le libéralisme qu'une éternelle guerre de religion : les autres comprenant le libéralisme comme on le comprenait en 1830, tolérant et respectant les convictions religieuses de leurs concitoyens.

Le jour n'est pas éloigné où cette séparation aura lieu d'une manière plus éclatante encore. Ce n'est pas dans la Chambre que ce mouvement s'opérera d'abord ; c'est au-dehors ; ce qui se fait dans cette enceinte n'est que le contre-coup de ce qui se fait dans le pays. Les élections, depuis quatre ans, l'ont quelque peu prouvé. Tous les libéraux qui se respectent secouent le joug humiliant que certaines influences mystérieuses veulent faire peser sur l'opinion libérale. On est fatigué de ce régime tyrannique, contre lequel on se révolte au nom de la liberté et de la dignité humaines également méconnues. C'est là qu'il faut chercher la cause de l'affaiblissement et de la dissolution de l'opinion libérale ; on peut prendre acte de mon opinion, que j'abandonne à l'appréciation de tous les esprits non prévenus.

Maintenant, messieurs, j'en reviens au ministère. Sa situation est-elle, oui ou non, restée la même ? Le cabinet ne se trouve t-il pas encore en présence de deux opinions, à peu près également puissantes, mais dont l'une pas plus que l'autre ne peut, à elle seule, prétendre au gouvernement exclusif du pays ? Sans doute, les dernières élections ont eu pour résultat de modifier la situation respective des deux partis ; mais, il est de fait qu'en ce moment tout ministère, quel qu'il fût, devrait s'appuyer sur une majorité mixte. L'honorable M. Frère a lâché le grand mot : « Le ministère s'appuie sur une majorité mixte ! » M. Frère en fait un crime au cabinet ; eh bien, moi, je l'en félicite, et je l'en félicite surtout en présence de la situation extérieure du pays. Ah ! je sais bien que cela ne va pas à tout le monde, je sais bien que certains hommes politiques prétendent que le pouvoir est plus fort en s'appuyant sur une fraction du pays qu'en s'appuyant sur la nation tout entière.

Ces mêmes hommes autrefois voulaient que l'organisation de l'armée fût l'œuvre, non plus d'une majorité mixte ou nationale, mais d'une majorité libérale, que par conséquent l'armée, relevant d'une majorité libérale, servît à défendre, non plus les institutions nationales, mais des intérêts de parti. Mais la nation a jugé une pareille politique, qui, aujourd'hui encore, vient reprocher au gouvernement de ne pas se faire parti et de s'appuyer sur la nation tout entière représentée par les divers partis qui existent chez nous.

Pour moi, messieurs, je crois qu'un ministère qui accepte franchement le concours de tous les hommes de bien, à quelque parti qu'ils appartiennent, de tous les hommes sincèrement dévoués au maintien de nos institutions, ne doit pas se trouver humilié par un tel concours, comme aussi, aucun parti ne s'humilie et n'abdique en accordant ce concours.

Je l'avoue hautement, cette position désintéressée et loyale, je l'accepte pour mes amis comme pour moi, dût-on nous comparer à des Turcs ou à (page 100) des Russes, ce qui ne me paraît ni bien spirituel ni bien plaisant ; et dussé-je, pour ma part, m'exposer à tous les ricanements, à tous les dédains de l'honorable M. Frère, je ne cesserai de faire fléchir les intérêts de parti devant les grands intérêts du pays !

Messieurs, j'en viens aux actes du ministère ; je les apprécierai en quelques mots. A mon point de vue, je dirai, comme l'honorable M. Devaux, que les actes posés par le cabinet sont loin d'être tous irréprochables. Tous les projets qu'il a présentés n'ont pas obtenu ou n'obtiendront pas mon assentiment ; l'un d'entre eux surtout, celui relatif à la bienfaisance, sera vigoureusement attaqué par moi.

Mais dans une discussion d'adresse, quand il s'agit d'examiner la position du cabinet, il ne faut pas s'attacher à quelques faits isolés ; la discussion doit porter sur l'ensemble de son administration. Il faut se demander si, dans les circonstances où nous nous trouvons, le ministère tel qu'il est composé a fait et peut encore faire utilement et dignement les affaires du pays, s'il a été fidèle aux prescriptions constitutionnelles, si sa ligne de conduite a été telle que la lui traçait l'intelligence des intérêts du pays. C'est en examinant la situation générale du pays, c'est en appréciant la conduite du cabinet dans son ensemble, que j'ai cru pouvoir accorder mon concours au cabinet actuel.

L'honorable M. Frère a cherché dans la dernière phrase de l'adresse une restriction au concours que la commission d'adresse promet au gouvernement ; il appuie surtout sur ces mots « circonstances actuelles » qui semblent pour la commission le seul motif, la seule raison de ce concours. L'honorable membre se trompe s'il croit que ce soit le seul motif qui ait engagé la commission à assurer son concours loyal au cabinet ; mais, je ne le dissimule nullement, le spectacle des difficultés que peut offrir la situation intérieure du pays, la perspective des graves événements du dehors, l'ensemble de ces circonstances présentes ont agi puissamment sur notre esprit. C'est la raison principale du concours loyal que nous avons cru devoir promettre au gouvernement. C'est d'ailleurs, dans ce sens que le ministère a demandé un concours à la Chambre. Voici ce que porte le discours de la couronne :

« Toutefois la tâche du pouvoir a d'inévitables difficultés ; il en existe de particulières dans les circonstances présentes. Vous en tiendrez compte etc. »

Que dit la commission d'adresse ? « Chacun de nous comprend la gravité de la situation que les circonstances actuelles font à la Belgique... » Nous saurons remplir les devoirs particuliers que ces circonstances nous imposent, etc.

C'est dans les termes mêmes dans lesquels le concours a été demandé, qu'il a été accordé. Je n'hésite donc pas à le dire, c'est à raison de ces circonstances que ce concours est promis et sera accordé probablement sur tous les bancs de la Chambre.

Messieurs, je crois avoir expliqué la nature et la portée du concours que ta commission d'adresse accorde au gouvernement. On a beau dire que cette situation n'est pas nette ; il y a bien longtemps que j'entends formuler ce reproche. Comme si la position ne pouvait pas être nette et franche, sans être absolue et exclusive !

Je sais que pour certains esprits un ministère qui n'arbore pas bien haut le drapeau d'un parti exclusif n'a pas une position franche et nette. D'après moi, on peut être également franc et net, quand on vient, en l'avouant hautement, pratiquer une politique de conciliation et de paix.

Personnellement, j'ai toujours préconisé le système d'une transaction des partis, sur le terrain de nos libertés constitutionnelles ; et je crois avoir été aussi franc, aussi net, aussi loyal, en défendant cette politique de modération et d'union, que ceux qui demandaient et qui ont le triste courage de demander encore une politique de division et de haine.

Ainsi donc, messieurs, procédons sans parti pris. Voyons les choses telles qu'elles sont. Ne rougissons pas de reconnaître que nous subissons l’empire des circonstances : les circonstances dominent les hommes, cela n'est pas d'aujourd'hui. Les hommes les plus puissants ont été obligés d'avouer qu'ils doivent s'incliner humblement devant les faits.

Nous sommes en présence de dangers qu'il est inutile de nous dissimuler ; l'honorable M. Devaux les a exposés avec éloquence. Je fais, comme lui, un appel à votre patriotisme.

C'est par patriotisme, c'est en considération des plus sérieux intérêts du pays, que la commission d'adresse a promis au cabinet un concours loyal, qui lui sera accordé, loyalement aussi, par la majorité de cette Chambre, au nom des mêmes intérêts.

M. Frère-Orban. - Messieurs, le discours de l'honorable M. de Decker m'étonne peu ; je l'ai non pas entendu, mais je l'ai lu souvent ; ce discours a été fait vingt fois à l'occasion des ministères mixtes.

M. de Decker. - Je m'en fais gloire.

M. Frère-Orban. - Sans doute, vous avez le droit de vous en glorifier ; le ministère mixte, c'est votre rêve et vous le croyez encore sur le point de se réalise r; mais à l'époque où vous teniez le même langage, vos amis de la droite le tenaient-ils? Exprimaien- ils les mêmes sentiments ? Jamais ? vous étiez seul.

- Plusieurs voix. - Non ! non !

M. Frère-Orban. - Vous étiez seul ! Vous souteniez avec loyauté, avec franchise, avec conviction, la nécessité de réunir ce que vous nommiez les hommes modérés de tous les partis ; c'est par eux que vous vouliez constituer une majorité qui donnerait une force réelle au pouvoir. L'expérience a été faite et l'expérience a été désastreuse ; la majorité était introuvable dès que l'on tentait de contrarier les doctrines de la droite ; l'irritation la plus vive se manifestait dans tous les esprits et jamais il n'y eut d'administration moins capable de bien diriger les affaires du pays.

Vous vous félicitez de la situation, parce qu'elle semble nous promettre un ministère mixte ; mais vous êtes seul encore une fois à vous en féliciter.

Je n'entendrai pas ce même langage sortir de la bouche de l'honorable M. de Theux, et cela lui fait honneur. L'honorable M. de Theux pourra nous dire sans doute qu'il est préoccupé, comme nous le sommes tous, des circonstances extérieures, qu'il comprend la gravité de la situation, qu'il sait y faire des sacrifices. C'est le lieu commun de nos débats actuels et personne ne voudrait laisser paraître d'autres sentiments.

Mais il ne cherchera pas à préconiser les ministères sans franchise et sans principes, qui ont la prétention de concilier les éléments les plus opposés et tentent cette œuvre impossible de faire sortir un principe de vie de la neutralisation des idées.

L'honorable M. de Decker ne veut pas d'un ministère exclusif. Mais le ministère lui déclare qu'il est libéral, qu'il est sorti de la gauche, qu'il n'entend pas s'écarter de ses doctrines, qu'il porte haut et fièrement (ce sont les expressions dont s'est servi M. le ministre des affaires étrangères), le drapeau du libéralisme. Que l'honorable M. de Decker nonobstant cette déclaration appuie le ministère, je le veux bien, mais que devient son principe ?

Ou bien fait-on reposer toute la situation sur une équivoque ? Si le ministère est exclusivement libéral, comme il l'affirme, comment obtient-il votre appui ? Quelles sont les conditions du traité ? Tenez-vous les déclarations du cabinet pour des phrases vides de sens et dont vous aurez facilement raison ? Si c'est uniquement la situation que vous prenez en considération, dites-le. Mais pour l'honneur des partis, et pour l'honneur du ministère, si vos principes ne sont pas représentés au pouvoir, s'ils n'y sont pas défendus, n'hésitez pas à le reconnaître afin que personne ne soit trompé par la promesse de votre concours. Et si vous vous taisez, il me faudra croire qu'il y a accord entre le ministère et vous. Comment alors la confiance des hommes qui siègent sur ces bancs pourrait-elle être donnée au ministère ?

Vous faites appel à la franchise ; mais la franchise consiste-t-elle à se taire ou à parler ? Il faut qu'elle se produise ; il faut que nous sachions à quelles conditions le concours est demandé et donné.

Il est vrai que l'honorable M. de Decker, renouvelant un thème qui lui est également familier, voudrait bien nous persuader que son parti accorde une confiance sans bornes au cabinet, parce le ministère serait le gage d'une trêve entre les partis. La trêve entre les partis est encore un des rêves de l'honorable M. de Decker. Il nous a répété, à cet égard, sa phrase bien connue. Il met les intérêts nationaux au-dessus des intérêts des partis ! Dans sa justice et son impartialité, il nous dénie de pareils sentiments. Eh ! nous mettons tous les intérêts nationaux au-dessus des intérêts des partis. Mais les plus belles phrases n'effacent pas les faits. Les plus belles phrases ne font pas disparaître les partis ; ils existent, ils agissent.

Il est des moments solennels où ils pourraient suspendre leurs querelles intestines, je le sais. Cette heure vous paraît arrivée, dites-vous ; vous approuvez le langage de l'honorable M. Devaux, mais à qui a-t-il cru devoir donner des conseils de modération ? D'où viennent les luttes ? D'où viennent les provocations ? Vous vous croyez autorisés à nous donner sous ce rapport des leçons ; vous vous trompez ; vous avez à en recevoir de nous. Depuis deux années, je le rappelais dans le discours auquel vous n'avez pas répondu, parce que votre siège était fait ; depuis deux années, je n'ai guère été mêlé aux affaires publiques. Je n'ai presque point paru dans cette enceinte, je n'y ai soulevé aucun débat irritant, assurément. A peine ai-je emis quelques votes au début de la dernière session.

Et durant ce temps, vous qui voulez me donner des leçons de modération, votre parti, vous et vos amis que faisiez-vous ? Votre parti luttait, il agissait avec vigueur, avec énergie, comme s'il avait marché à la conquête du pouvoir.

Lorsque dans des circonstances peut-être non moins graves que celles qui existent aujourd'hui, lorsque nous étions au pouvoir, à la veille des événements de 1852, parliez-vous d'une suspension d'armes ? Veniez-vous nous convier à une trêve des partis ? Vous n'avez pas craint à cette époque d'attaquer le pouvoir avec passion, de l'attaquer jusqu'à l'ébranler, jusqu'à le renverser.

Et depuis le pays a été, à diverses fois, agité par les élections ; avez-vous prêché la trêve des partis ? Où donc ? Sur quel point ? S'il y a eu quelques exemples de conciliation, de modération, ils viennent de la part de mes amis, de la part de ceux auxquels vous faites allusion, qui veulent, s'il faut vous croire, imposer à tout prix leur joug, leur domination.

Les hommes les plus modérés, les hommes les plus conciliants, vous les avez combattus. L'honorable M. d'Hoffschmidt, l'homme assurément le plus inoffensif de la Chambre, a été traité comme un mauvais citoyen, comme un homme dangereux dans les circonstances où nous nous trouvons ! Il a fallu lui opposer un candidat de votre choix, pris dans vos rangs, soumis quand même à votre volonté ; et vous parlez de conciliation, de modération !

L'honorable M. Vandenpeereboom, homme d'une modération (page 101) incontestée, qui avait voté cette convention d'Anvers dont vous parlez, vous l'avez combattu, repoussé, exclu !

L'honorable M. Rogie r!... ce nom ne vous a pas arrêté : l'un des fondateurs de la nationalité belge, un homme que vous deviez respecter, auquel peut-être vous ne deviez pas opposer de candidat ; vous l'avez poursuivi sans relâche, vous l'avez traqué avec acharnement et vous avez réussi enfin à le faire éliminer de cette Chambre ! hommes conciliants et modérés, et lorsque la réparation était possible, il y a quelques jours à peine, lorsque vous pouviez encore agir avec modération, qu'àvéz-vous fait?

La Chambre et le pays, qui connaissent vos actes, qui vous ont déjà jugés au début de cette session même, qui entendent votre presse et ses cris de guerre, ne peuvent pas être dupes de vos beaux discours. La modération que vous invoquez ne sert qu'à couvrir vos projets d'intolérance et d'exclusion, quand elle n'est pas le masque de votre impuissance. Si vous vous sentiez la force de prendre le pouvoir, vous le saisiriez et vous le devriez. Vous ne négligerez aucun effort pour y arriver. Permettez-nous donc à notre tour de défendre nos positions ; souffrez-le surtout quand il vous convient de les attaquer. Mais de grâce, que ce ne soit pas vous qui nous parliez d'une trêve des partis ! Les luttes que vous poursuivez sont trop ardentes pour que votre langage ne nous soit pas suspect. Si ces luttes doivent avoir pour résultat d'amener en face de nous un ministère pris exclusivement sur les bancs de la droite, nous serons sans doute en dissentiment avec lui ; nous ne déclarerons pas menteusement que nous désirons la fusion des partis ; nous le combattrons.

Mais lorsqu'une question d'intérêt national se présentera, s'il sait la comprendre dignement et la soutenir avec honneur, nous serons les premiers à l'appuyer et à le défendre.

Vous avez essayé de répudier l'induction que j'ai tirée de la dernière phrase de l'adresse.

Eh bien, j'en appelle à vos consciences, la vérité est là ; le ministère ne peut être appuyé par vous comme représentant vos principes, comme ayant vos sympathies.

Le concours que vous lui promettez ne peut avoir qu'un seul caractère, il est pris de la situation, de l'impossibilité pour vous de prendre le pouvoir et de votre désir de le faire gérer en attendant à votre profit.

C'est là qu'est la vérité ; c'est ce qui explique votre concours ; mais c'est ce qui démontre aussi que votre concours sera inefficace. Vous affaiblirez, loin de fortifier le ministère. A mesure qu'il inclinera vers vous, il perdra les sympathies qui lui restent dans la gauche, et ne peuvent être tout ce que vous voudriez qu'il fût, vous l'abandonnerez bientôt dans un état de déplorable impuissance.

Et vous pensez que moi qui ne préoccupe aussi des intérêts nationaux, que moi qui ne préoccupe aussi de la gravité de la situation, je puisse voir sans en être inquiet le timon des affaires tenu par des hommes dans une position aussi faible, aussi précaire, presque impossible dans le parlement ? Je voudrais, quelle que fût l'opinion, mon opinion de préférence assurément ; quelle que fût l'opinion, je voudrais au pouvoir des hommes pouvant s'appuyer sur une majorité réelle dans le parlement. (Interruption.)

Vous dites que cela n'est pas possible, je ne sais. Il se peut que cette majorité ne veuille pas inopinément se révéler.

Elle a pourtant donné signe de vie, et s'il faut vous le dire, le vice de la situation résulte, selon moi, de ce que les faits ont été méconnus, lorsque le ministère libéral a été renversé. Dès ce jour c'était à la majorité nouvelle que le pouvoir revenait. Par des considérations que je n'examine pas, que je n'ai pas à apprécier ici, il s'était formé une majorité composée de la droite tout entière et d'une fraction de la gauche, le mouvement devait exclusivement profiter à la droite. Il n'y avait pas là les éléments d'un ministère de coalition ; on a méconnu ce fait et l'on se trouve par cela même dans une situation précaire et qui présente plus d'un danger.

(page 94) M. le président. - La parole est à M. Orts.

M. Orts. - Messieurs, j'ai cru devoir demander la parole pour donner l'explication que M. le ministre de l'intérieur provoquait tout à l'heure. Toutefois je pense faire chose utile en me réservant pour le paragraphe relatif à l'enseignement. La Chambre est occupée maintenant d'un autre débat qui a, certes, sa grandeur. Je ne veux pas l'en détourner, et je l'amènerais à discuter deux fois la même question. Nous n'avons pas de temps à perdre ; je renonce pour le moment à la parole, sauf à la reprendre au paragraphe concernant l'enseignement.

M. de Theux. - Messieurs, je ne m'attendais pas à intervenir dans ce débat. Cependant, je ne crois pas pouvoir refuser de répondre nettement à l'interpellation que m'a adressée l'honorable préopinant.

Je déclare que j'ai adopté l'adresse dans son ensemble et dans tous ses détails. Je ne me suis séparé de mon honorable ami M. de Decker sur aucun point. Voilà la déclaration la plus nette que je puisse faire à la Chambre.

A cette occasion, qu'il me soit permis de rappeler mes antécédents dans cette enceinte. Jamais je n'ai émis d'opinion absolue sur la composition d'un cabinet, parce que j'ai toujours compris que si, dans la composition d'un ministère, il devait y avoir des principes, il fallait aussi tenir compte des circonstances et des faits. C'est ce que la pratique nous a révélé depuis 1830 et continuera de nous révéler encore.

Ainsi, je n'ai jamais soutenu que les ministères mixtes fussent les meilleurs ministères possibles, les seuls ministères possibles ; jamais je n'ai soutenu qu'un ministère de majorité fût le seul bon, fût essentiellement mauvais Tout cela a dépendu et dépendra, à l'avenir, des circonstances dans lesquelles le pays se trouvera.

L'honorable M. Frère s'est plaint de l'opposition que nous lui avons faite, lorsqu'il était, je dirai, à la tête du cabinet ; car je le considère comme l'homme ayant dirigé le cabinet de 1847. Messieurs, cette opposition, je crois pouvoir dire, pour ma part, qu'elle n'a jamais été inconvenante, qu'elle a toujours été modérée. cette opposition, je puis l'avouer d'autant mieux que les élections successives sont venues la justifier. Car si nous devons tenir compte du régime représentatif, nous devons surtout tenir compte du résultat des scrutins électoraux.

Après ces observations, messieurs, il m'est facile de justifier et le discours que j'ai prononcé et le vote que j'ai émis à l'occasion de l'élection d'Anvers. Ce n'était ni un discours politique, ni un vote politique, c'étaient un vote et un discours consciencieux. J'ai cru que la Chambre était obligée d'admettre avant tout l'élu que le collège électoral avait député dans cette enceinte. Je n'ai pas été au-delà. Je n'ai fait aucune espèce de récrimination contre la politique de l'honorable M. Rogier, son concurrent. Je m'en suis soigneusement abstenu et je m'en abstiendrai d'autant plus que l'honorable M. Rogier n'est plus dans cette enceinte.

Pour moi, messieurs, je crois, pour dire toute ma pensée, que (page 95) l'existence du cabinet actuel est en harmonie avec les circonstances dans lesquelles se trouvent et le parlement et le pays, et c'est là l'explication la plus nette du projet d'adresse que la commission a eu l'honneur de tous soumettre.

- La discussion générale est close.

La chambre passe à la délibération sur les paragraphes.

Discussion sur les paragraphes

Paragraphe premier

« Sire, un des principes essentiels de notre existence politique subit, dans les circonstances présentes, une épreuve décisive. Le maintien de nos relations amicales avec toutes les puissances a pour nous l'importance d'une consécration solennelle de notre neutralité, gage de sécurité pour la Belgique, élément de paix pour l'Europe. »

M. Goblet propose, par amendement, de remplacer le premier paragraphe par le suivant :

« Un des principes essentiels de notre existence politique acquiert, dans les circonstances actuelles, une haute importance. Le maintien de nos relations amicales avec toutes les puissances peut nous faire espérer la consécration solennelle de notre neutralité, gage précieux de sécurité pour la Belgique. »

M. Goblet. - Messieurs, ma proposition ne réclame pas de longs développements ; je n'abuserai pas des moments de la Chambre.

En constatant, dans le premier paragraphe de son discours, le maintien d'une neutralité précieuse à tous égards pour la Belgique, le Roi a répondu à nos vœux les plus intimes, à nos espérances les plus chères. Sa Majesté a jugé convenable de nous rappeler quel prix nous devions attacher, à l'un des grands principes qui forment la base de notre existence politique, et nous devons nous estimer heureux de pouvoir nous joindre à elle, pour constater un état de choses aussi favorable au développement de notre prospérité.

Il me paraît, messieurs, que dans le projet d'adresse, l'on a donné à la pensée du Roi une portée qui en dénature la signification. N'est-ce pas dépasser le but que de laisser croire, qu'une guerre, dont l'Orient seul est le théâtre, fasse subir dans les circonstances actuelles une épreuve décisive à notre existence politique et cela surtout en présence de la neutralité de l'Allemagne ? Nous sommes tranquilles au même titre que d'autres nations telles que le Piémont et la Hollande ; le Danemark même et la Suède, bien plus exposés que nous, sont demeurés en paix ; je ne puis donc voir, dans cette attitude de la Belgique, rien qui ressemble aujourd'hui à une position privilégiée ou exceptionnelle.

Est-il d'ailleurs bien opportun de rappeler positivement que la neutralité de la Belgique est un élément de paix pour l'Europe, quand les événements qui troublent le monde sont complètement étrangers aux principes constitutifs de cette neutralité ? Si, dans une conflagration plus générale, ce qu'à Dieu ne plaise, les hostilités se rapprochaient de nous et que notre position restât intacte, n'aurions-nous pas alors plus de droit de parler d'une consécration solennelle de notre neutralité ?

La neutralité de la Belgique a été reconnue dans l'intérêt de tous et en prévision, surtout, de luttes entre la France et l'Allemagne ; on a compris que pour l'union et la tranquillité de l'Europe aucune des grandes puissances voisines ne devait rechercher un avantage isolé, dans des arrangements avec ce pays, et que celui-ci devait recevoir de son côté des gages permanents de repos et de sécurité. Cctie neutralité a été établie en contradiction avec la situation antérieure du royaume des Pays-Bas, qui avait été constitué pour être l'allié permanent de l'Allemagne. En effet dans toute guerre dont l'ouest de l'Europe serait devenu le théâtre, le royaume des Pays-Bas avait sa place invariablement marquée parmi les belligérants, tandis que la Belgique, amie à la fois de la France et des Etats Germaniques, doit se maintenir en dehors des sanglants conflits qui auraient lieu sur ses frontières.

Certes, j'espère et je suis porté à croire à la consécration de notre neutralité, mais nous ne pouvons trouver cette consécration dans des faits militaires qui se passent à 800 lieues de nous. La Belgique n'est pas une assez grande puissance pour que l'on tienne beaucoup à sa coopération aussi loin de son propre territoire : la position géographique de notre pays ne lui donne d'importance réelle, dans les affaires de l'Europe, que dans le cas où la guerre viendrait à s'en rapprocher.

Il est bien loin de ma pensée, messieurs, de jeter des doutes dans vos esprits ; je ne suis pas de ceux qui regardent notre droit public comme une lettre morte, comme contenant des stipulations sans portée, qui ne doit nous sauver d'aucun danger. En diverses circonstances, j'ai soutenu dans cette enceinte et partout où j'ai été appelé à traiter les affaires de l'Etat, que, pour une nation, telle que la Belgique, il était éminemment avantageux d'avoir une situation aussi bien déterminée que celle qui nous est faite.

Loin de méconnaître la valeur des engagements internationaux, je suis l'un de ceux qui n'ont pas hésité à leur accorder toute l'importance qu'ils méritent, mais je le répète encore, avant d'en proclamer la consécration, il faut avoir traversé les événements, en vue desquels ils ont été conclus, arrêtés. Jusque-là, contentons-nous d'en apprécier les bienfaits, sans vouloir étendre nos prévisions au-delà de la réalité. Tout en faisant des vœux pour que l'épreuve reste éloignée, ne cherchons pas à constater l'heureuse issue d'une crise, qui n'existe encore que dans les plus sombres prévisions de l'avenir.

Un autre motif, messieurs, pour ne pas accepter complètement la rédaction du premier paragraphe, c'est que ce paragraphe, qui, sous le rapport de la pureté et de l'élégance, ne laisse rien à désirer, n'est point en parfait accord avec celui qui termine le projet d'adresse : serions-nous en effet sous l'impression de la gravité de la situation, s'il existait une consécration solennelle de notre neutralité, si nous avions passé par une épreuve décisive ?

Ce sont toutes ces considérations qui m'ont déterminé à proposer quelques modifications à la rédaction qui nous est soumise.

En n'accueillant pas cette rédaction, je tenais beaucoup à prouver que ce n'était pas défaut de confiance dans notre situation, mais bien parce qu'il est inexact de dire dès aujourd'hui que notre neutralité ait fait ses preuves.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs, il me faudra beaucoup moins de paroles pour démontrer que la rédaction proposée par l'honorable général Goblet n'est pas acceptable, qu'il n'en a employé pour vous engager à accepter cette rédaction.

L'honorable membre reconnaît toute l'importance pour la Belgique de sa position neutre. Que fait le discours du trône ? Il constate cette position et il ajoute qu'elle a reçu, dans les événements récents, une nouvelle sanction. Voilà le sens du paragraphe dont nous nous occupons, et je déclare tout d'abord qu'à mon avis la réponse de la commission d'adresse a parfaitement compris, quoi qu'en dise l'honorable général Goblet, la pensée royale.

Que veut l'honorable membre ? Il veut que dans l'adresse solennelle que vous allez faire, vous émettiez vous-mêmes un doute sur la conservation de notre neutralité. Ou la rédaction de l'honorable général Goblet n'a pas de sens ou elle a celui-là.

Il veut que la Chambre et le pays expriment un doute sur la conservation de notre neutralité dont il reconnaît toute l'importance et que je dis, moi, être notre principale force dans les circonstances où nous nous trouvons. Je combats cette rédaction de toute mon énergie, je la combats parce qu'elle aurait pour résultat de jeter l'inquiétude dans le pays. Je vais plus loin, je regarde cette rédaction comme injurieuse pour les puissances qui ont garanti la neutralité de la Belgique.

(page 101) M. de Decker, rapporteur. Pour ne pas prolonger le débat je m'en réfère aux observations que vient de présenter l'honorable ministre des affaires étrangères et qui sont entièrement conformes à mes convictions personnelles.

Il est évident que ce n'est pas d'aujourd'hui que le principe de notre neutralité acquiert de l'importance, comme voudrait nous le faire dire l'honorable M. Goblet. L'importance de ce principe a existé dès la moment où il a été proclamé ; mais aujourd'hui, pour la première fois, il subit, en fait, une épreuve décisive. Si nous émettions le moindre doute sur la conservation de notre neutralité (comme semble l'indiquer le terme espérer de l'amendement dé. M. Goblet), nous défendrions bien mal les intérêts du pays, nous interpréterions bien mal les intentions loyales et bienveillantes des puissances à notre égard.

M. Goblet. - La divergence qui s'établit entre l'honorable ministre des affaires étrangères et l'honorable rapporteur, et moi, provient de ce qu'ils se placent dans les traités écrits. A ce point de vue, je dois reconnaître qu'ils ont raison et si, au premier paragraphe, on n'avait parlé que d'une consécration solennelle, nous aurions pu croire que cela s'appliquait aux traités écrits ; mais comme on y parle d'une épreuve décisive, j'ai cru que l'intention de la commission était de déclarer que des événements qui se passent à 800 lieues d'ici avaient de l'influence sur notre neutralité.

Puisque mon amendement a été si mal interprété, puisqu'on suppose que je n'attache pas à notre neutralité l'importance qu'elle doit avoir, que je n'ai pas en elle la confiance qu'elle doit inspirer, je retire ma proposition.

M. Lebeau. - Je proposerai un léger changement de rédaction, qui rendra mieux, je pense, la pensée de la commission d'adresse. Il est certain que nous n'avons pas dû attendre les événements qui se passent en Europe, pour dire que notre neutralité a été consacrée ; elle a été consacrée par les traités et par les déclarations réitérées de l'Europe, bien avant qu'il ne fût question de la guerre d'Orient.

Je proposerai donc de dire :

« ... Le maintien de nos relations amicales avec toutes les puissances a pour nous l'importance d'une nouvelle et solennelle consécration de notre neutralité. »

Je soumets cette rédaction à l'honorable rapporteur et à l'honorable ministre des affaires étrangères.

M. de Decker, rapporteur. - Je me rallie à cette rédaction.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je déclare accepter aussi la rédaction de l'honorable M. Lebeau.

- Le paragraphe premier est mis aux voix et adopté avec la rédaction proposée par M. Lebeau.

Paragraphe 2

« Libres de préoccupations extérieures, nous pouvons consacrer nos soins et nos efforts à améliorer la situation intérieure du pays. »

- Adopté.

Paragraphe 3

« Parmi les intérêts sociaux du premier ordre doit être rangée, de l'aveu de tous, l'instruction publique. Nous sommes heureux de constater qu'elle se développe à tous les degrés, d'une manière conforme à l'esprit de nos institutions et de nos lois organiques. »

(page 95) M. Orts. - Messieurs, je réponds, en ce qui me concerne, à un appel de l'honorable ministre de l'intérieur. Il a rappelé le sens et la portée d'un vote considérable de la dernière session, le vote de la gauche sur l'incident relatif à ce qu'on a appelé l'incident ou la convention d'Anvers, il a invité chacun à s'expliquer sur ce sens et cette portée qui donnent lieu, évidemment, à des interprétations diverses depuis quelques jours.

Pour ma part, messieurs, m'étant expliqué, à cette époque déjà, sur le vote que j'allais émettre, je crois devoir répondre un des premiers à l'appel de M. le ministre de l'intérieur.

Le vote que j'ai donné alors a conservé pour moi la signification qu'il avait au moment où je l'ai émis. Je n'ai pas à en retrancher quoi que ce soit. Si la question était posée dans les mêmes termes, abstraction faite de ce qui s'est passé depuis lors, je voterais comme j'ai voté le 14 février l’ordre du jour adopté par la Chambre.

Cet ordre du jour, cependant, je ne l'ai jamais considéré (et je suis heureux de pouvoir rappeler aujourd'hui que je l'ai dit d'avance en février), je ne l'ai jamais considéré comme une approbation directe et complète de la convention conclue entre le conseil communal d'Anvers et le clergé pour l'exécution de la loi sur l'enseignement moyen.

Je n'ai pas approuvé, comme membre de la Chambre, ce règlement, je ne l'ai pas approuvé de la manière dont je l'aurais approuvé si j'y avais donné mon assentiment en qualité de membre du conseil communal d'Anvers. Aussi, n'est-ce pas ce que, en février, on m'avait demandé de faire.

Sans vouloir amoindrir le moins du monde la portée de mon vote, je ne veux pas non plus qu'on l'élargisse. Comment et dans quels termes l'ordre du jour nous avait-il été proposé ? L'honorable M. Osy, à qui revient l'honneur de cette paternité, nous avait proposé l'ordre du jour que voici :

« La Chambre, approuvant l'arrangement communiqué et les explications données par le gouvernement, passe à la discussion des articles de l'enseignement moyen. »

Si l'ordre du jour de l'honorable M. Osy était resté ce qu'il était à sa première apparition, il demeurerait incontestable que la Chambre, en l'adoptant, aurait approuvé l'arrangement fait par le conseil communal d'Anvers comme ce conseil lui-même l'a approuvé, mais les choses se sont modifiées et voici, le Moniteur en mains, les réflexions que j'ai soumises à la Chambre immédiatement après la lecture de l'ordre du jour proposé par l'honorable M. Osy :

« J'étais pour ma part très disposé à voter dans le sens indiqué par l'honorable ministre des affaires étrangères, et à donner un vote approbatif, parce que, d'après ce qu'il avait dit, il s'agissait d'approuver l'intervention du gouvernement dans cette affaire, la conduite qu'il a tenue. Il ne nous demandait pas de nous prononcer sur un arrangement que je ne connais pas ; car je ne connais pas d'arrangement conclu par le gouvernement. Je ne connais que le règlement de l'athénée d'Anvers qui a donné lieu à une convention entre le conseil communal d'Anvers et un membre de l'épiscopat, et je n'ai pas à approuver ou à improuver la conduite du conseil communal d'Anvers. De sorte que, tout en me déclarant disposé à voter dans le sens indiqué par M. le ministre des affaires étrangères, je déclare que je ne puis voter l'ordre du jour motivé, proposé par l'honorable M. Osy. »

(page 96) L'honorable M. Loos, bourgmestre d'Anvers, et partant quelque peu responsable de la convention, faisait des objections du même genre ; il rattachait même à ces objections une question de légalité et même de constitutionnalité ; il ne voyait ni plus ni moins qu'une confusion de pouvoirs proposée par l'honorable M. Osy à la Chambre, et M. le ministre des affaires étrangères l'interrompit en lui disant que son observation était parfaitement juste.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Certainement.

M. Orts. - Maintenant que devient devant cette opposition l'ordre du jour primitif proposé par l'honorable M. Osy ? Que devient-il, pour que nous puissions le voter ? Voici le changement de forme que l'honorable M. Osy propose et que la Chambre adopte.

A l' « arrangement communiqué », à la convention d'Anvers, on substitue la marche du cabinet.

Au lieu donc d'approuver, comme le demandait l'honorable M. Osy, l'arrangement dont le ministère nous avait donné communication, nous n'approuvions plus que la marche qui avait été suivie par le gouvernement.

Maintenant, en approuvant, avec les explications données par le gouvernement, la marche qu'il avait suivie, qu'avais-je approuvé ? Le voici : c'était la direction nouvelle imprimée par le cabinet actuel aux négociations avec le clergé, en s'écartant de la marche qui avait été adoptée par le cabinet précédent, pour atteindre le même but.

Le cabinet précédent voulait arriver à un arrangement général pour l'exécution de l'article 8 de la loi du 1er juin 1850 ; il avait rencontré des difficultés ; il était venu confesser devant la Chambre qu'il n'avait pu les surmonter. Le cabinet nouveau, au lieu de poursuivre ce but par la voie d'un arrangement général, a jugé préférable de recourir à la voie des arrangements particuliers. Je vois qu'il a eu raison, et je puis, mieux que personne, tenir ce langage sans me mettre en contradiction avec ce que j'ai dit dans une ancienne circonstance. Déjà en 1850, j'avais conseillé l'emploi de ce moyen, et je constate que ceux qui l'ont approuvé en 1854 n'étaient pas tous d'accord avec moi pour le conseiller en 1850.

Après la marche du cabinet, j'ai approuvé ses explications.

En quoi consistaient les explications du gouvernement ?

Elles étaient simples et nettes ; je vais les résumer brièvement, impartialement et je ne pense pas que d'aucun banc me viendra le reproche de traduire infidèlement la pensée ministérielle.

Le gouvernement voulait, disait-il, l'indépendance et la liberté complètes des communes pour régler ce qui est plutôt, à son avis comme au mien, une affaire de ménage, de famille communale qu'une affaire d'Etat. Défenseur et gardien de l'intérêt général, préposé constitutionnellement à la surveillance de l'exécution sincère de la loi, il ne se réservait qu'une prérogative, celle d'empêcher l'abdication des droits, l'oubli de devoirs que la loi de l’enseignement moyen accorde ou impose aux communes et que, partant, elles ne peuvent déléguer à personne.

Le gouvernement ajoutait d'autres explications. Il annonçait que dans la conclusion des arrangements partiels à faire avec le clergé par l'intermédiaire des bureaux d'administration, il fallait sauvegarder aussi les droits attribués par la Constitution à tous les citoyens, et le gouvernement nous expliquait ce qu'il entendait du respect dû au droit incontestable qu'ont tous les pères de famille de diriger à leur gré l'éducation morale et religieuse de leurs enfants. Il nous disait comment il serait pourvu à l'éducation morale et religieuse de ces concitoyens aux communes et que, partant, elles ne peuvent déléguer à personne.

Le gouvernement ajoutait d’autres explications. Il annonçait que dans la conclusion des arrangements partiels à faire avec le clergé par l’intermédiaire des bureaux d’administration, il fallait sauvegarder aussi les droits attribués par la Constitution à tous les citoyens, et le gouvernement nous expliquait ce qu’il entendait du respect dû au droit incontestable qu’ont tous les pères de famille de diriger à leur gré l’éducation morale et religieuse de leurs enfants. Il nous disait comment il serait pourvu à l’éducation morale et religieuse de ces concitoyens auxquels le clergé catholique ne peut apporter pareil buenfait, à l’éducation des élèves appartenant aux cultes dissidents ; comment, enfin, serait respectée la liberté de conscience et d’opinion.

Il ajoutait que ces explications avaient été données au clergé catholique et que le clergé les acceptait. Si aujourd'hui on venait me proposer l'approbation d'explications semblables par un nouvel ordre du jour, abstraction faite de quelques complications soupçonnées depuis le mois de février, cet ordre du jour je le voterais encore et sans hésitation.

Mais je n'ai pas entendu par ce vote et je n'entendrais pas encore aujourd'hui, abdiquer mon appréciation à l'égard de la convention d'Anvers elle-même. C'est ainsi, par exemple, que, comme conseiller communal, comme membre d'un bureau administratif d'athénée, je n'aurais jamais voté le règlement d'Anvers, si on me l'avait soumis comme type. Sans me croire en contradiction avec mon vote dans cette Chambre, je lui aurais, avant de l'adopter ailleurs, fait subir des modifications que M. le ministre de l'intérieur ne considère pas sans doute comme une violation des engagements généraux avec le clergé, comme contradictoires avec ses propres explications. Si j'avais été membre d'un conseil communal ou d'un bureau d'administration, j'aurais fait subir au règlement d'Anvers les modifications que lui a fait subir le bureau d'administration de l'athénée de Bruxelles, ou je l'aurais repoussé. Ce bureau a demandé qu'on mît les explications de M. le ministre de l'intérieur dans le projet de règlement lui-même.

M. le ministre de l'intérieur a objecté au bureau que ces explications acceptées par les évêques, suivant la déclaration du gouvernement à la Chambre, ne pouvaient néanmoins pas figurer dans un règlement signé de commun accord avec le clergé. Chose grave, qui complique singulièrement la situation actuelle et la différencie de la situation de février ! Ce n'est pas tout, le bureau d'administration consent, plus soucieux des choses que des mots, à diviser son règlement en deux volumes, au lieu de n'en avoir qu'un. Conciliant jusqu'à l'extrême limite, il n'exige l'approbation du clergé que sur l'un des volumes, et ne réclame qu'un droit, celui de les publier tous deux simultanément. Le clergé recule.

Je demande, en terminant, comment il se fait que la négociation avec le bureau d'administration de l'athénée de Bruxelles ait avorté ; je demande comment il se fait que le clergé qui, au mois de février 1854, approuvait tout, d'après M. le ministre de l'intérieur, n'approuve plus aujourd'hui ce qu'on disait qu'il approuvait alors ?

L'incident qu'a soulevé la négociation avec le bureau de l'administration de l'athénée de Bruxelles ; voilà la raison, mais la seule raison qui me ferait aujourd'hui reculer peut-être devant le vote de l'ordre du jour de l'honorable M. Osy, si nous avions encore à émettre pareil vote. Ramené à sa vérité je ne répudie pas le vote que j'ai émis au mois de février dernier, dans les termes qui ont été adoptés par la Chambre et avec les explications qui avaient été fournies par le gouvernement. J'y persiste loyalement, mais la loyauté exige d'autre part que personne n'en force le sens.

M. Prévinaire. - Messieurs, dans le discours prononcé hier par M. le ministre des affaires étrangères, j'ai cru remarquer une allusion à des faits qui se sont produits en dehors de cette enceinte et qui constituent une désapprobation de la conduite du cabinet dans la question de l’enseignement ; la même pensée s’est présentée aujourd’hui dans la bouche de M. le ministre de l’intérieur, qui nous a provoqués directement à des explications.

Que les paroles qui m'ont été attribuées et auxquelles s'adressait la demande d'explications de M. le ministre de l'intérieur, m'appartiennent ou non, comme elles sont l'expression de ma pensée, j'en accepte l'entière paternité. Mais je me hâte de le dire, en déclarant que j'avais été trompé depuis le vote du 14 février, j'ai fait allusion autant aux illusions que j'avais conçues, qu'aux faits qui me paraissaient constituer de la part du cabinet une inexécution des déclarations qui avaient précédé le vote du 14 février.

Il résultait de l'ensemble des communications du gouvernement, que le concours du clergé pourrait être acquis aux établissements de l'Etat, sans qu'il fût porté atteinte à la liberté des communes, aux principes constitutionnels et aux prérogatives du gouvernement. J'avais accueilli ces perspectives avec faveur, et j'appuyais le cabinet dans le moyen qu'il proposait pour obtenir l'exécution de l'article 8 de la loi du 1er juin 1850, alors que les principes que nous défendions restaient saufs. Si je pouvais me soustraire à l'influence des faits qui se sont produits depuis le 14 février, si je pouvais me reporter exactement à la situation à cette date, je n'hésite pas à déclarer que je voterais encore l'ordre du jour.

Répondant à M. le ministre de l'intérieur, mon honorable collègue, M. Orts, me paraît avoir précisé avec exactitude la véritable portée du vote du 14 février ; il s'agissait d'arriver, au moyen d'arrangements spéciaux, à doter la généralité des établissements de l'Etat du concours du clergé ; la condition essentielle que l'épiscopat mettait à ce concours ne pouvait se trouver réalisée que par un acte en quelque sorte spontané des conseils communaux agissant avec la plus entière liberté. Voici ce que disait sur ce point M. le ministre des affaires étrangères :

« Eh bien, nous suivrons rigoureusement, religieusement la voie qui nous est tracée par la loi du ler juin 1850 ; nous laisserons et bureaux administratifs, et communes et provinces parfaitement libres d'arrêter et d'approuver les règlements qu'ils jugeront convenables, avant que le gouvernement s'en occupe. »

Je ne puis admettre que l'attitude prise envers le conseil communa de Liège soit d'accord avec cette déclaration.

L'honorable M. Orts vous a parlé des rapports de M. le ministre de l'intérieur avec le bureau administratif de l'athénée de Bruxelles ; à ce propos, je demanderai au cabinet de vouloir bien m'expliquer en quoi les additions que le bureau voulait faire au règlement d'Anvers constituaient une dérogation aux conditions admises par le clergé pour l'athénée d'Anvers.

Vous vous rappellerez, messieurs, que, lors de la discussion du 14 février, MM. les ministres des affaires étrangères et de l'intérieur avaient déclaré de la manière la plus formelle que le clergé acceptait les explications, l'interprétation du bureau administratif d'Anvers ; que cette interprétation était nécessaire pour sauvegarder une garantie constitutionnelle ; qu'elle remplissait les lacunes que présentait le règlement d'Anvers, le complétaient et en faisaient un tout indivisible. Lors de la discussion de l'adresse au Sénat, M. le ministre de l'intérieur a prononcé un discours que je trouve en désaccord avec le langage clair et précis qu'il avait tenu à la Chambre le 14 février.

Il a dit que l'insertion, dans le règlement de Bruxelles, des clauses admises par le clergé comme complémentaires du règlement d'Anvers ferait renaître la difficulté des écoles mixtes, qui est un obstacle insurmontable au concours du clergé.

Il a ajouté qu'il avait déjà fait ressortir cette circonstance lors de la discussion du 14 février. J'ai vainement recherché dans les Annales parlementaires la trace de cette allégation. Je n'y ai trouvé que ces mots se rapportant à la déclaration du bureau administratif d'Anvers : « Les élèves non catholiques recevront l'enseignement religieux par les ministres de leur culte respectif. »

Pour moi, ces mots signifiaient que les élèves non catholiques, que les ministres des cultes non catholiques seraient placés absolument sur la même ligne que les élèves et les ministres du culte catholique.

(page 97) L'insertion dans le même règlement de ces clauses complémentaires, admises de commun accord pour le règlement d'Anvers, devait rendre impossible le concours du clergé.

M. le ministre nous expliquera sans doute pourquoi ce qui était admis par le clergé pour Anvers, ne pouvait l'être pour Bruxelles, et pourquoi une disposition acceptée par le clergé ne pouvait prendre place dans le corps du règlement.

Je ne demande pas mieux que de recevoir du cabinet des éclaircissements satisfaisants. Que le cabinet veuille bien le croire, je n'ai à son égard aucune antipathie.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Cela m'est égal.

M. Prévinaire. - M. le ministre des affaires étrangères me dit que cela lui est égal ; je l'admets volontiers ; mais là n'est pas la question ; la question est dans les explications que nous avons le droit de demander.

Je reviens au bureau administratif de l'athénée de Bruxelles ; il avait formulé un règlement additionnel, comprenant les clauses complémentaires dont il s'agit. J'aimerais à savoir si le concours du clergé serait acquis à l'établissement, si l'admission d'un ecclésiastique dans le bureau administratif avait lieu ?

Lors de la discussion du 14 février, le discours qui exerça, j'ose le dire, le plus d'influence sur moi et sur mes amis, ce fut celui de M. le ministre des affaires étrangères.

Il fut aussi clair, aussi précis que possible. Les conditions du concours du clergé étaient présentées comme d'application générale, bien qu'il fît ressortir la nécessité de conventions spéciales, à raison même de l'une des garanties réclamées par le clergé.

En rapprochant ce discours de celui de l'honorable ministre de l'intérieur, je pouvais m'attendre à voir le concours du clergé acquis, sinon à la généralité des établissements de l'Etat, du moins au plus grand nombre, car la condition la plus essentielle que le clergé mettait à ce concours n'avait rien d'exorbitant dès qu'elle était due à la libre manifestation du corps communal agissant dans la libre appréciation de ce que réclame l'intérêt des familles.

Je ne suis pas de ceux qu'effarouche la présence d'un ecclésiastique dans les conseil soit doivent se débattre les intérêts qui se rattachent à l'enseignement de l'Etat ; ce que je ne puis point admettre, c'est que le clergé acquière, de par la loi, d'autres actes, qui constitueraient une abdication du pouvoir, une prépondérance qui changerait le caractère que l’enseignement, donné aux frais de l'Etat et en vertu d'une disposition expresse de la Constitution, doit conserver.

Il me paraît au plus haut point nécessaire de pouvoir apprécier les dispositions actuelles du clergé, et c'est à cette fin que je me permets de poser au cabinet la seconde question suivante :

Le concours du clergé serait-il acquis à la généralité des établissements d'enseignement moyen de l'Etat, si le règlement d'Anvers, tel qu'il a été interprété, expliqué par le bureau administratif et complété par un échange d'explications entre le gouvernement et l’épiscopat, en vue de garantir l'un des principes constitutionnels, pouvait recevoir une application générale, par le fait de la libre appréciation des conseils communaux ?

Les réponses du cabinet démontreront si la situation n'a pas en réalité changé depuis le 14 février ; s'il en résulte que les actes posés depuis le 14 février sont restés en parfaite concordance avec les déclarations, s'ils prouvent que nous ne sommes pas entrés seuls dans la voie de la conciliation, telle qu'elle est permise constitutionnellcment, je n'hésite pas à le dire, je serai heureux de pouvoir reconnaître que je me suis trompé, et que les promesses ont été tenues de toute part.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - M. le ministre de l'intérieur fournira les explications qui lui sont demandées, je ne sais si elles contiendront des apaisements suffisants (pour me servir de son expression) au gré de M. Prévinaire, mais je lui dois moi-même une explication : il croit avoir vu dans le discours que j'ai prononcé hier une phrase faisant allusion à lui, M. Prévinaire, et à un propos qu'il a tenu en dehors de cette chambre. Je lui déclare très nettement que je n'ai pas pensé à lui, qu'il n'y a dans mon discours aucune phrase faisant allusion à lui ou à son propos et que je n'attache aucune importance aux propos que M. Prévinaire peut tenir en dehors de cette chambre. (Interruptions.)

- Plusieurs voix. - A demain ! A demain !

M. le président. - A quelle heure la Chambre veut-elle fixer la séance ?

M. Coomans. - Pour en finir demain, je propose de fixer la séance à midi.

M. de Mérode. - J'appuie la proposition de M. Coomans. Si nous ne fixons pas la séance à midi, nous n'en finirons pas.

M. Rodenbach. - Nous avons des travaux en sections ; quand on fixe la séance à midi, on n'est pas en nombre ; je propose de la fixer à une heure.

- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.

La séance est levée à 4 heures 3/4.