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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 18 décembre 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 251) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à midi et quart.

M. A. Vandenpeereboom donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Luesemans présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le sieur Spinatch, adjudant sous-officier, réclame contre la réduction de solde qu'on lui fait subir. »

-Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Casteele, sous-officier pensionné, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« La dame Morland, veuve du sieur de Meulenaere, demande que son fils Louis soit admis à la compagnie d'enfants de troupes à Lierre. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Tongres demandent le rejet du projet de loi sur les denrées alimentaires et l'établissement de droits protecteurs. »

« Même demande de plusieurs cultivateurs et habitants de Rummen, Eeckeren, Bassilly et du comice agricole du 10ème district de la province de Hainaut. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.

M. Ansiau. - J'appuie, messieurs, la proposition de dépôt sur le bureau de la chambre, pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires, des pétitions dont on vient de présenter l'analyse, et, à ce propos, je crois pouvoir témoigner quelque surprise du silence gardé jusqu'ici et par M. le ministre de la guerre, et par le Moniteur, malgré la demande d'explications faite par l'un de nos honorables collègues. Cette demande avait un caractère sérieux, il s'agissait de savoir si réellement on excluait le froment indigène d'une adjudication de vivres pour l'armée. Cette interpellation, me semble-t-il, n'avait rien de saugrenu, et méritait tout au moins une explication dans le Moniteur. La feuille officielle m'a paru fort peu polie en cette occurrence.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'ai communiqué les interpellations de l'honorable M. Moxhon à M. le ministre de la guerre, qui m'a dit qu'il était en mesure de répondre lorsque la chambre le désirerait et de donner toutes les explications nécessaires. Il paraît que la clause dont on a parlé est en quelque sorte de pure formalité et qu'en réalité, dans l'exécution, il entre très peu de froment étranger dans la consommation de l'armée.

Du reste, M. le ministre de la guerre est au courant de cette question et donnera des explications aussitôt que la chambre le désirera.

M. Ansiau. - Je ferai remarquer que, d'après l'annonce d'adjudication qui a été insérée au Moniteur, la fourniture de froment étranger était obligatoire. La quantité était, je pense, de 13,000 hectolitres.


« Le sieur Agon, charpentier et cabaretier à Gand, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une indemnité du chef des dégâts qu'il a essuyés par suite de l'explosion de la poudrière à la citadelle de cette ville. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres de l'administration communale et plusieurs habitants de Bleret demandent le rejet du projet de loi sur les denrées alimentaires, l'établissement de droits protecteurs, la révision de la loi sur l'organisation de l'armée et la réduction du budget de la guerre. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires et du budget de la guerre.


Par dépêche en date du 17 décembre, M. le ministre des travaux publics adresse à la chambre 120 exemplaires du compte rendu des opérations de la caisse de retraite et de secours en faveur des ouvriers attachés aux chemins de fer de l'Etat, depuis l'institution de cette caisse (1er octobre 1838) jusqu'au 31 décembre 1848. »

- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi modifiant le livre premier du code pénal

Motion d'ordre

M. Delehaye (pour une motion d’ordre). - Messieurs, dans une de vos dernières séances, M. le ministre de la justice a déposé un projet de loi très important tendant à modifier le livre premier du Code pénal. La chambre a ordonné l'impression de ce projet de loi, et il a été nommé une commission chargée de l'examiner.

Déjà ce projet est distribué, mais la chambre n'a pas pris de résolution relativement aux documents joints à ce projet.

Vous comprenez, messieurs, qu'un projet de cette importance doit être mis à la disposition de chacun de nous avec tous les documents nécessaires.

Je demande donc l'impression et la distribution de toutes les pièces, déposées par M. le ministre de la justice.

M. le président. - Le projet dont parle l'honorable M. Delehaye est appuyé de pièces très volumineuses ; entre autres d'un très gros volume formant le rapport de la commission qui a été nommée pour l'élaborer. La dépense des impressions est très considérable, et le bureau avait pensé que, pour le moment, il pouvait se borner à renvoyer les documents déposés par M. le ministre de la justice à la commission qui a été nommée par la chambre.

C'est à la chambre à décider si elle veut en disposer autrement.

M. Delehaye. - Messieurs, je ne connaissais pas le volume présenté par M. le ministre de la justice mais ne conviendrait-il pas que la commission examinât toutes ces pièces et déterminât quelles sont celles qui doivent être imprimées? De cette manière, nous aurions sous les yeux, toutes les pièces nécessaires pour apprécier le projet de loi.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je crois, messieurs, que, quelque volumineux que soit le travail dont il s'agit, il est indispensable que la chambre en ordonne l'impression. Plusieurs dispositions du projet pourraient être mal comprises si la chambre n'avait pas sous les yeux tous les documents qui ont servi à l'élaboration de ce projet et notamment le rapport qui peut seul initier la chambre à la pensée et à l'esprit de la commission, auteur du projet. D'ailleurs, la chambre a souvent ordonné l'impression de travaux plus volumineux et peut-être moins utiles que celui dont il s'agit ici.

M. Delfosse. - Il me paraît bon que l'on imprime ces pièces ; mais comme elles sont très volumineuses, je voudrais au moins qu'on ne les imprimât pas deux fois. Les pièces qui nous sont remises s'impriment ordinairement comme pièces de la chambre et en outre dans les Annales parlementaires; cela augmente considérablement les frais d'impression. M. le ministre de la justice vient encore de demander un crédit supplémentaire pour le Moniteur et les Annales parlementaires.

Je demande que les pièces dont il s'agit ne soient imprimées qu'une seule fois, soit comme pièces de la chambre, soit dans les Annotes parlementaires.

M. David. - Il me semble que ces sortes de documents doivent s'imprimer dans les Annales parlementaires. Sans cela, les fonctionnaires publics qui reçoivent les Annales parlementaires et ne reçoivent pas les pièces de la chambre, ne connaitraient pas ces documents.

- La chambre décide que les pièces dont il s'agit seront imprimées, dans les Annales parlementaires.

Projet de loi qui érige le hameau de Ploegsteert (Flandre occidentale) en commune distincte

Rapport de la commission

M. Peers dépose le rapport concernant la délimitation de Warneton et du hameau de Ploegsteert.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et décide que la discussion viendra à la suite des objets qui se trouvent, déjà à l'ordre du jour.

Motion d'ordre

Régime pénitentaire de l'établissement de Saint-Bernard

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, hier j'ai annoncé que je comptais adresser des interpellations à M. le ministre de la justice. Cette annonce parut contrarier beaucoup M. le ministre de l'intérieur; je regrette cette circonstance, et je serais tout disposé à m'abstenir de faire mes observations, si je n'avais acquis la conviction que, pour remplir son devoir, un représentant est obligé de contrarier quelquefois MM. les ministres; je persiste donc à faire mon interpellation. Cependant, s'il y avait la moindre opposition dans l'assemblée, je serais heureux de lui exprimer toute ma déférence en m'abstenant de parler.

Il pourrait sembler opportun de renvoyer cette interpellation à la discussion du budget de la justice; mais je ferai remarquer que le budget de la justice pour 1850 a été voté, en quelque sorte, au pas de course l'été dernier, et que si j'étais obligé d'attendre la discussion du même budget; pour 1851, ce serait encore extrêmement long.

Messieurs, il y a quelque temps, en feuilletant les documents qui nous sont distribués par le gouvernement, j'ai remarqué, dans un de ces recueils, qui a été publié à la suite d'une enquête ordonnée sur l'état sanitaire et sur l'étal moral de la maison de Saint-Bernard, les passages, qui suivent :

« On ne peut méconnaître, disait l'inspecteur général des prisons, la situation tout exceptionnelle de la maison de Saint-Bernard, situation que l'on a vainement cherché à améliorer depuis quelques années, et qui est inséparable de nombreux inconvénients. Je ne crois pas devoir insister ici sur ceux de ces inconvénients, qui appartiennent spécialement à l'ordre moral et à la discipline : la confusion des détenus de tous les âges et de toutes les moralités, l'existence des ateliers et des dortoirs communs, les relations dangereuses et qui s'établissent entre les prisonniers, qui ne conduisent que trop souvent à de criminelles associations à leur sortie de prison; la propagation du vice, la persistance d'habitudes infâmes que la surveillance la plus active ne peut parvenir à extirper.

« Ici M. l'inspecteur observe que la mortalité a été en moyenne le double de celle des autres prisons. »

(page 252) Voici un autre passage qui se trouve dans le rapport même de la commission, composée de l'inspecteur général du service de santé et de quatre médecins :

« Le système de la promiscuité ou de la réunion complète ne peut être maintenu.

« Parce qu'il est impossible d'empêcher que les prisons ne soient d'horribles écoles de vices et de crimes.

« S'il est impossible de conserver la confusion des prisonniers, c'est surtout dans les maisons d'arrêt et dans les maisons de correction, telles que Saint-Bernard, parce que c'est à son entrée dans la carrière du mal, qu'il faut arrêter le criminel, en l'intimidant par la sévérité de l'emprisonnement, et en le corrigeant, s'il est susceptible de s'amender.

« Quoi ! l'on prétend qu'ils sont dans un âge où l'on se livre habituellement à un vice infâme, et on les maintient dans une maison, où les conversations obscènes, où le contact forcé de tous les instants du jour, dans les ateliers, dans les préaux, de la nuit dans les dortoirs communs, excite à outrance les désirs de la chair. »

La commission d'enquête et les autorités, consultées sur l'état moral et sanitaire des détenus, concluaient à ce que leur nombre fût réduit de moitié dans la maison de Saint-Bernard, à ce qu'un second pénitentiaire fût construit pour les détenus correctionnels; la commission insistait enfin pour qu'un système en matière pénitentiaire fût adopté par le gouvernement et consacré par la législature, afin de déterminer les plans futurs de construction.

Ces passages, qui dépeignent sous des couleurs si hideuses l'état moral de la prison de Saint-Bernard, m'ont déterminé à interpeller M. le ministre de la justice sur les mesures qu'il a cru devoir prendre pour donner suite aux conclusions de l'enquête, dont je viens de citer deux extraits.

Et ici je le demande à la chambre, ces passages ne sont-ils pas de nature à émouvoir? Ne sont-ils pas faits pour appeler son attention et motiver une interpellation au cabinet?

Ces interpellations me semblent d'autant plus motivées, que le mémoire si remarquable, publié par l'honorable prédécesseur de M. le ministre de la justice, l'honorable M. d'Anethan, à l'appui de son projet de loi sur le régime pénitentiaire, constate que le nombre des reclus et détenus est doublé depuis 1830, que la population de nos prisons est composée de récidivistes pour la moitié, et que tous les directeurs de prisons ont déclaré que les détenus sont plus corrompus à l'expiration de leur peine, que lors de leur incarcération.

La matière est assez grave pour motiver une interpellation.

J'avais d'abord à demander à M. le ministre de la justice s'il avait un système en matière pénitentiaire, car voilà deux ans qu'il dispose, sans avoir présenté de projet de loi, des crédits alloués à son budget pour améliorations et constructions des prisons. Ils s'élèvent à 1,260,000 fr. Or l'on ne peut construire à cette époque sans un système.

L'honorable prédécesseur de M. de Haussy construisait des maisons pénitentiaires, mais il avait saisi la chambre d'un projet de loi sur le régime des prisons. Il avait mis sa responsabilité à couvert. Je m'apprêtais donc à adresser une interpellation à M. le ministre de la justice, concernant cet objet, quand j'ai découvert dans le projet de loi qui nous a été distribué ce matin, sur la réforme d'un chapitre du Code pénal, des dispositions concernant le régime cellulaire. L'honorable M. de Haussy a rempli ce devoir, un peu tardivement, il faut en convenir, car je me rappelle qu'il avait promis de faire passer au plus tôt dans la législation les décisions du congrès pénitentiaire, rassemblé, il y a plus de deux ans, à Bruxelles.

Mon interpellation devient donc sans objet quant à cette question.

Mais il me reste à demander à l'honorable M. de Haussy quelle est la suite qu'il a cru devoir donner aux conclusions de l'enquête ordonnée par son prédécesseur sur la situation morale et sanitaire de la maison de Saint-Bernard .Quelle mesure a-t-il prise pour faire cesser le désencombrement à Saint-Bernard? Toutes les autorités, même celles de la province d'Anvers étaient unanimes sur l'urgence de cette mesure. D'après les termes de l'enquête, c'était une question de vie ou de mort pour les malheureux habitants de Saint-Bernard?

Qu'est-ce que M. le ministre compte faire de l'arrêté royal du 23 août 1846, qui décide la construction d'une deuxième maison de correction ?

Que compte-t-il faire des 4 hectares 22 ares, qu'il possède à Louvain, et qui ont coûté 42,000 fr. au trésor?

Que compte-t-il faire d'un plan, qui a été payé 11,000 francs? Compte-t-il refuser les 27,000 fr. de subside alloués par le conseil municipal de cette ville pour favoriser cette construction?

Je prie M. le ministre de bien vouloir répondre à ces questions.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Si l'honorable M. de Man, conformément aux usages parlementaires, avait bien voulu préciser hier l'objet des interpellations qu'il se proposait de m'adresser, j'aurais pu m'entourer de quelques renseignements, de quelques documents de nature à le satisfaite; cependant je puis donner, dès à présent, quelques explications suffisantes.

L'honorable membre fait allusion à une discussion qui a eu lieu, il y a trois ou quatre ans, en 1845, je pense, quand il s'est agi de l'abandon de la prison de Saint-Bernard et de la construction d'une nouvelle prison à Louvain.

Plusieurs membres de cette chambre qui ont assisté à ce débat, se rappelleront qu'un arrêté royal, dont vient de parler l'honorable M. de Man, a en effet décrété qu'une prison de 500 cellules serait construite à Louvain pour les hommes condamnés à l'emprisonnement correctionnel. Des mesures ont été prises pour l'exécution de cet arrêté; un terrain de 4 hectares environ a été acheté dans l'enceinte de la ville de Louvain pour le prix de 42,000 fr. Ce terrain appartient encore à l'Etat.

La ville de Louvain, de son côté, a offert un subside; pour la construction de cette prison des plans et devis ont été dressés, et ces devis s'élèvent de 15 à 16 cent mille francs. En présence d'un chiffre aussi élevé le gouvernement a dû abandonner, quant à présent, ce projet de construction. Je pense que l'honorable M. de Man, lui-même, quoique député de Louvain, ne voterait pas dans ce moment une semblable dépense, à laquelle, de son côté, M. le ministre des finances s'opposerait, j'en suis sûr, très énergiquement.

Maintenant la construction de cette prison est-elle nécessaire ? Je ne dis pas qu'elle soit inutile; mais elle semble beaucoup moins nécessaire qu'à l'époque où il en a été question. Le régime sanitaire de Saint-Bernard a fait de grands progrès; la population est singulièrement diminuée. Elle était, il y a trois ans, de 1,700 détenus environ; elle n'était plus que de 1,435 au 15 de ce mois. Pour vous prouver combien l'état sanitaire de cette prison est amélioré, je vous dirai, messieurs, que quand le choléra a sévi, il y a quelques mois, à Anvers, où il a fait beaucoup de victimes, l'établissement de Saint-Bernard n'a presque pas eu de cholériques : 17 cas de choléra seulement se sont manifestés, et il n'y a eu en tout que trois décès. Et maintenant que cette prison contient 1,435 détenus, l'infirmerie compte moins de malades que celles des prisons d'Alost et de Vilvorde, qui n'ont que 800 à 900 détenus.

Vous pouvez juger par là combien est excellent l'état sanitaire de ce pénitencier. Je crois inutile d'ajouter d'autres détails à cet égard.

Quant à l'interpellation sur la question de savoir si nous avons un système pénitentiaire et quel est ce système, le projet de loi que j'ai eu l'honneur de déposerai y a quelques jours, sur le bureau de la chambre, a fait connaître quel était, à cet égard, le système du gouvernement.

D'ailleurs, messieurs, ce système a déjà été mis en pratique. En effet, les prisons que nous avons fait construire à Liège, à Bruxelles et ailleurs, ainsi que celles que nous faisons construire en ce moment, toutes sont construites d'après le système cellulaire.

M. Loos. - Je renonce volontiers à la parole, si le débat en reste là. Si l'honorable M. de Man désirait le continuer, je demanderais à donner quelques explications.

M. de Man d'Attenrode. - Je désire...

- Plusieurs membres. - Assez !

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, nous sommes d'accord, je ne demande pas mieux que d'ajourner le débat à la discussion du prochain budget.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous auriez mieux fait de ne pas faire votre interpellation.

M. de Man d'Attenrode. - Je le répète, je ne tiens pas à continuer ce débat, bien que, dans la réponse de M. le ministre de la justice, il y ait plusieurs inexactitudes; c'est ainsi qu'il a déclaré qu'il y avait, en 1846, 1,700 détenus à la prison de Saint-Bernard. Si M. le ministre de la justice avait lu le rapport de la commission d'enquête, comme c'était son devoir, il saurait qu'il n'y avait alors que 1,000 à 1,300 détenus, et la commission d'enquête disait qu'il y avait encombrement ; à plus forte raison, y a-t-il encombrement quand il y a au-delà de 1,400 détenus comme cela arrive pendant ce moment de l'année.

Quant au pénitentiaire de Louvain, j'ai demandé à M. le ministre de la justice quelles étaient ses intentions pour l'avenir. Il n'a pas répondu sur ce point. Il a répondu que la question financière s'opposait à la construction immédiate. Je n'ai pas dit un mot de la construction immédiate, il est facile de répondre en se mettant à côté de la question.

C'est encore ainsi que M. le ministre n'a cessé d'insister sur la question sanitaire pour défendre la maison correctionnelle de Saint-Bernard, parce que cette situation est, par exception, favorable; or, je n'ai pas parlé de la question sanitaire, je me suis borné à faire valoir les motifs de moralité, qui rendent urgent; le désencombrement de Saint-Bernard. L'honorable M. de Haussy ne m'a pas suivi sur ce terrain ; il trouve que tout est bien dans un établissement dont on rougit devant les savants et l'étranger, d'après les termes dont s'est servie la commission d'enquête.

Je termine. J'ajourne ce que j'ai encore à dire sur ce grave intérêt à la discussion du prochain budget, je m'expliquerai alors plus à l'aise avec M. le ministre de la justice.

Projet de loi instituant une caisse générale de retraite

Discussion des articles

Article 6

La discussion est ouverte sur l'article 6, ainsi conçu :

« Art. 6. Toute somme de cinq francs et au-dessus est admise à la caisse. La partie des versements qui ne peut être convertie en rente est improductive d'intérêts jusqu'au moment où des versements ultérieurs permettent l'acquisition d'une rente. »

(page 253) M. Dedecker. - Messieurs, plus nous avançons dans la discussion de la loi, plus il semble que viennent se confirmer les craintes manifestées par divers orateurs de ne pas atteindre le but essentiellement démocratique que nous nous sommes proposé par l'institution d'une caisse de retraite.

Sous ce rapport, l'article 6 me paraît particulièrement fâcheux : il contient un double obstacle à la portée réellement démocratique de l'institution. D'abord, il fixe le minimum du versement à 5 fr. ; ensuite, il stipule que les versements seront improductifs d'intérêts, jusqu'à ce qu'ils permettent l'acquisition d'une rente (de 24 fr. pour la première et successivement de 12 en 12 francs).

Messieurs, tout en étant utile à d'autres classes de la société, il est convenu que c'est surtout à la classe ouvrière proprement dite que l'institution de la caisse de retraite est appelée à garantir une vieillesse à l'abri du besoin. Or, l'ouvrier, dans l'acception générale du mot, parviendra difficilement à réunir l'argent nécessaire pour faire des versements de 5 fr. Dans les Flandres, par exemple, une somme de 5 fr. est un véritable trésor, que l'ouvrier n'a presque jamais la chance de réunir.

Puisque diverses dispositions de la loi ont pour motif d'offrir un appât à l'épargne de l'ouvrier, il doit paraître au moins singulier que les sommes versées par lui jusqu'à concurrence d'une rente de 24 francs ne produisent pas d'intérêts. C'est une singulière manière d'encourager l'épargne qu'admettre que les premiers versements à faire, c'est-à-dire les versements qu'il faudrait surtout encourager, ne seront pas productifs d'intérêt.

N'y aurait-il donc pas moyen d'abord de fixer un minimum plus bas que celui de 5 francs?

N'y aurait-il pas ensuite moyen, pour l'administration de la caisse de retraite, de s'entendre avec les caisses d'épargne existantes pour faire en sorte que les premiers versements pussent porter intérêt jusqu'à la constitution d'une première rente de 24 francs?

Voilà les deux observations que je voudrais que la chambre examinât. Car, pour moi, cet article 6 a une très grande portée; c'est, au point de vue social que nous voulons atteindre, l'article le plus important. On l'a dit avec raison, dans une loi comme celle-ci, il faut avant tout consulter les mœurs de l'ouvrier, ses habitudes. Eh bien! je crois qu'à part les ouvriers qui travaillent dans les grandes industries, dans les industries constituées à l'aide d'immenses capitaux, les ouvriers ordinaires, les ouvriers des campagnes et des petites villes auront peine à déposer en une seule fois la somme exigée, surtout si elle ne doit pas porter intérêt.

J'appelle donc l'attention de la chambre sur ce point, et je demande quelques explications au gouvernement.

M. T’Kint de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, je partagerais complètement l'opinion de l'honorable M. Dedecker, s'il ne devait pas résulter, de la mesure proposée, des difficultés administratives très grandes. La somme de 5 francs, que le gouvernement a fixée, n'est d'ailleurs pas élevée.

Messieurs, nous sommes bien loin de repousser le concours des caisses d'épargne. Nous croyons, au contraire, que les caisses d'épargne doivent être en quelque sorte l'intermédiaire entre l'ouvrier et la caisse de retraite; ; c'est-à-dire que l'ouvrier déposera ses premières économies à la caisse d'épargne, et qu'il les retirera lorsqu'il aura réuni une somme suffisante pour acheter une rente.

Les chefs d'industrie, les patrons organiseront eux-mêmes des caisses dans le but de faciliter l'achat de ces rentes.

Je crois, messieurs, que c'est ce mode que les ouvriers doivent adopter. Car l'Etat, en donnant la faculté de verser à la caisse de retraite des petites sommes, ne donne pas d'intérêt ; tandis que la caisse d'épargne fera fructifier les moindres sommes.

Cependant on a cru qu'il fallait laisser la faculté de déposer à la caisse de retraite des sommes qui ne suffiront, pas pour constituer une rente. En attendant la réorganisation des caisses d'épargne, on pourra donc, dans les localités où il n'y a pas de succursales, verser directement chez le receveur des contributions. Je le répète, le seul inconvénient de la mesure que l'honorable préopinant réclame, ce sont les difficultés administratives; M. le ministre des finances pourrait confirmer mon assertion.

M. Cans. - Messieurs, la commission qui a été nommée par le gouvernement pour élaborer les différents projets de loi, ayant rapport aux institutions de prévoyance, a divisé son travail.

Elle a cru devoir commencer par la caisse d'assurance sur la vie, comme la partie la plus importante. La seconde partie du travail, dont elle s'occupe en ce moment, comprend les caisses de secours mutuels. Un grand nombre de ces caisses existent déjà : elles fonctionnent assez bien, il suffira de les améliorer.

La commission a laissé pour la fin ce qui est relatif aux caisses d'épargne. Elle a pensé qu'il convenait de ne s'occuper des caisses d'épargne qui peuvent être établies avec le concours de l'Etat, que lorsque les embarras auxquels la situation de quelques caisses existantes a donné naissance, auraient disparu.

En attendant, comme il n'y a de caisses d'épargne que dans quelques villes, et qu'à la campagne les habitants n'ont aucun moyen d'effectuer leurs versements, la commission a pensé qu'il ne fallait pas les priver de la possibilité de faire de petits versements ; mais elle a décidé que, pour simplifier la comptabilité, les versements minimes ne porteraient pas intérêt.

Vous voyez par le projet que chaque versement constituant une rente doit être fait d'un seul coup, qu'une rente doit être créée au moyen d'un seul versement. Mais si l'âge auquel est arrivé l'ouvrier exige une somme plus forte que 5 fr. pour l'achat d'une rente, on n'a pas voulu l'empêcher de mettre en sûreté ses premières épargnes Le receveur de la commune qu'il habite recevra ces sommes; mais elles ne seront pas transmises à la caisse de la même manière que le seront les sommes qui constitueront l'achat des rentes.

S'il fallait établir des calculs d'intérêt pour tous les versements partiels destinés à former le capital nécessaire à l'achat d'une rente, il en résulterait dans la comptabilité de très grandes difficultés, dos complications dont il serait peut-être difficile de sortir.

Je ferai d'ailleurs remarquer qu'à certain âge le versement à effectuer pour l'acquisition d'une rente est très minime. Ainsi, d'après le tarif B, les personnes de 18 à 23 ans, et d'après le tarif C les personnes de 18 à 33 ans, pourront acquérir une rente de 12 fr., avec une somme inférieure à 10 fr. Dans ces cas, l'ouvrier qui aura fait un premier versement de 5 fr. ne devra donc pas attendre bien longtemps; une légère économie suffira pour lui permettre d'atteindre le chiffre nécessaire à l'acquisition d'une rente.

M. Dedecker. - Messieurs, les honorables membres auxquels j'ai l'honneur de répondre ont admis, me paraît-il, ce qu'il y a de fondé dans les observations que j'ai présentées à la chambre; seulement ils ont prétexté certaines difficultés administratives , des complications de comptabilité. J'avais prévu cette objection, il est évident que c'est pour éviter ces difficultés qu'on a fixé le minimum des versements à 5 fr. et qu'on n'a pas stipulé d'intérêts pour les premiers versements. Mais la question est précisément de savoir si, en présence du but social que nous voulons atteindre, il faut reculer devant quelques difficultés administratives, s'il ne faut pas plutôt subir ces difficultés pour atteindre d'autant mieux ce but.

M. le président. - Faites-vous une proposition?

M. Dedecker. - Je propose de substituer dans l'article 6 le chiffre de 2 fr. à celui de 5 fr.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Entend-on faire porter intérêt aux sommes inférieures à celle qui est nécessaire pour l'acquisition d'une première rente?

M. Dedecker. - On pourrait dire que les premières sommes déposées porteront intérêt à partir du chiffre de 12 francs. Je ne tiens pas à cette proposition.

M. le président. - Je n'ai jusqu'à présent qu'un seul amendement; c'est celui de M. Dedecker qui tend à substituer le chiffre de 2 fr. à celui de 5 fr.

M. Loos. - Je crois que, dans l'état actuel de nos institutions, il est impossible de faire porter intérêt à des sommes plus petites que celles qui sont fixées par le projet. Mais l'honorable M. Cans vous a dit que la commission qui avait élaboré le projet en discussion, s'occuperait plus tard de l'institution des caisses d'épargne. Il n'existe pas jusqu'à présent de caisse d'épargne sous la direction du gouvernement, appartenant à l'Etat. Lorsque cette caisse existera, rien n'empêchera que les sommes au-dessous de 3 francs ne soient déposées par la caisse de retraite à la caisse d'épargne et ne portent ainsi intérêt. Mais dans l'état actuel dos institutions, je crois que cela n'est pas possible. Plus tard donc, on pourra prendre des mesures dans l'intérêt des déposants.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je suis de l'avis de l'honorable M. Dedecker, qu'il ne faut pas, pour des difficultés administratives, compromettre le grand but qu'il s'agit d'atteindre; mais il conviendra avec moi, que s'il exagère outre mesure toutes les difficultés administratives, il empêchera également l'institution de réussir.

Nous croyons, messieurs, qu'au début il est bon de s'arrêter au chiffre de 5 fr. Plus tard, lorsque l'institution aura fonctionné, lorsqu'on verra à quels embarras une pareille mesure pourrait donner lieu, ainsi que le surcroît de frais qui pourrait en résulter, alors nous pourrons examiner et juger en connaissance de cause, s'il convient d'admettre des versements inférieurs à 5 fr.

M. Dedecker. - Il est certain, messieurs, que si on multiplie trop les difficultés administratives, on détournera les déposants de la caisse de retraite; mais remarquez bien que l'honorable M. T'Kint de Naeyer faisait une observation qui tendait à augmenter bien plus les difficultés. Il disait que l'ouvrier pourra commencer par déposer à la caisse d'épargne, en attendant qu'il ait une somme suffisante pour faire un versement à la caisse de retraite. Ainsi, l'ouvrier déposant devrait retirer ses fonds de la caisse d'épargne et puis les porter à la caisse de retraite. Mais, messieurs, c'est bien là une autre difficulté : combien trouverez-vous de gens du peuple qui sauront combiner tout cela?

- La clôture est demandée.

M. Cools. - Je voulais proposer une rédaction qui serait, ce me semble, de nature à concilier les différentes opinions.

- Des membres. - Présentez votre rédaction.

M. Cools. - Voici ce que je proposerai :

« Le gouvernement fixera le minimum des versements qui seront admis à la caisse. Ce minimum ne pourra pas dépasser cinq francs. » (Le reste comme dans l'article.)

- L'amendement n'est pas appuyé.

(page 254) L'amendement de M. Dedecker, qui tend à substituer le minimum de 2 francs à celui de 3 francs, est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'article 6 est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 7

« Art. 7. L'acquisition des rentes peut se faire, au choix de l'assuré, pour entrer en jouissance à 55, à 60 ou à 65 ans.

« Le même assuré peut acquérir des rentes pour des âges différents; mais toute acquisition détermine irrévocablement l'entrée en jouissance. »

M. Tesch. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour faire une simple observation. Dans l'article premier du projet on se servait des expressions : « Caisse générale d'assurances sur la vie », on a remplacé ces mots par ceux de : « Caisse de retraite ». Je pense que, pour mettre en harmonie les divers articles de la loi, il faudrait dans l'article 7 et dans les articles suivants, remplacer le mot « assurés » par celui de « déposants ».

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le mot : « assuré » est convenable. Il s'agit d'une assurance en faveur du déposant : il est assuré d'avoir une pension à tel âge ou dans tel cas donné.

L'article premier décrétait un système général d'assurances sur la vie, en ajoutant que la caisse n'agirait d'abord que comme caisse de retraite; même dans cette limite, c'est, toujours une caisse d'assurance puisqu'elle assure une retraite aux déposants.

M. le président. - M. Tesch, proposez-vous un amendement?

M. Tesch. - Non, M. le président, mais je constate que les termes de la loi ne sont plus en harmonie.

- L'article 7 est adopté.

Article 8

« Art. 8. Par dérogation à l'article précédent, toute personne assurée dont l'existence dépend uniquement de son travail, et qui, avant l'âge 'fixé par l'assurance, deviendrait, par la perte d'un membre ou d'un organe, par une infirmité accidentelle et permanente, non contractée au service militaire, incapable de pourvoir à sa subsistance, jouira immédiatement des rentes qu'elle aura acquises depuis cinq ans au moins, et jusqu'à concurrence de 360 fr.

« La jouissance anticipée de la rente cessera si les conditions qui l'ont amenée viennent à disparaître. »

La section centrale propose l'amendement suivant :

« Art. 8. Par dérogation à l'article précédent, toute personne assurée dont l'existence dépend de son travail, et qui, avant l'âge fixé par l'assurance, deviendrait, par la perte d'un membre ou d'un organe, par une infirmité permanente résultant d'un accident et non contractée au service militaire, incapable de pourvoir à sa subsistance, jouira immédiatement des rentes qu'elle aura acquises depuis dix ans au moins et ce jusqu'à concurrence de 360 francs.

« La jouissance anticipée de la rente cessera si les conditions qui l'ont amenée viennent à disparaître. »

M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il à l'amendement de la section centrale?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je me rallie à la modification qui consiste à substituer aux mots « accidentelle et permanente » ceux de « permanente résultant d'un accident »; mais je ne puis me rallier à la substitution du terme de dix ans à celui de cinq ans.

M. le président. - Il y a trois amendements à cet article. Nous avons d'abord celui de M. Thibaut qui est ainsi conçu :

« A la fin de l'article, au lieu de : « jouira immédiatement, etc. », dire : « Pourra à toute époque, faire liquider, d'après les bases qui ont servi à la confection des tarifs annexés à la présente loi, une rente viagère sur les versements faits par lui ou en son nom, pour en jouir immédiatement. »

M. Thibaut. - Messieurs, j'éprouve quelque répugnance à combattre une disposition législative qui promet un secours extraordinaire à des hommes que la main du malheur a frappés. Il n'est personne qui ne se sente naturellement porté à la pitié, à la commisération pour ces infortunés qui sont brusquement arrêtés dans leur carrière, par la perte d'un membre ou d'une faculté. Mais, messieurs, il ne faut pas prendre les mouvements d'une âme généreuse, qui portent dans ce cas à se montrer libéral de ses propres biens, pour règle de la conduite d'un législateur qui administre, non pas son patrimoine, mais la fortune publique.

Voulez-vous proclamer le droit à l'assistance? Votez alors l'article 8; votez-le, messieurs, comme application d'un principe, et ne craignez pas de proclamer alors que le trésor est assez riche pour régénérer le monde, pour abolir la pauvreté et l'indigence.

Telle est, selon moi, messieurs, l'étendue de la pensée qui a produit l'article 8.

Qu'on veuille bien me dire, messieurs, quelle différence il y a entre celui qui, ayant versé à la caisse de retraite, perd la vue ou un bras, et celui qui, n'étant pas assuré, perd la vue ou un bras. En quoi le premier aura-t-il mérité une faveur que vous refuserez à l'autre? Voulez-vous le récompenser de sa prévoyance, lui donner une sorte de prix? Mais faites attention, messieurs, que n'est pas prévoyant qui veut. L'ouvrier qui se présente à vous, aveugle ou mutilé, et qui vous dit : Je n'ai pas acheté de rentes, parce que j'ai dû employer tout le produit de mon travail pour élever ma famille, de quel droit le repousserez-vous?

L'honorable M. de Brouckere, en analysant l'article 8 dans un de ses brillants discours, nous disait : « Encore un peu de socialisme pendant dix ans, mais un peu, et nous en sortirons. »

Messieurs, je ne veux pas faire de ce socialisme, parce que, comme le disait, il y a quelques jours, l'honorable M. Pirmez, nous ne sommes pas divisés en classes. Je ne veux pas reconnaître une classe d'ouvriers privilégiés, parce qu'ils sont assurés, et une classe d'ouvriers déshérités, parce qu'ils n'auront pas eu confiance dans votre caisse ou parce qu'ils n'auront pu y faire de versements.

Mais on vous a dit que l'article 8 s'appliquerait si rarement, qu'à peine valait-il la peine d'en parler.

L'honorable M. de Broucker » nous a dit que sur 27,000 houilleurs, 52 seulement se sont trouvés, en sept ans, dans la position prévue par l'article 8.

Mais je ferai remarquer, messieurs, que la profession dont il a parlé est de toutes les professions industrielles celle qui donnera le moins souvent lieu à l'application de l'article 8; parce que, malheureusement, les accidents dans les houillères entraînent presque toujours la perte de la vie. Mais dans les manufactures, les accidents sont moins graves et le nombre d'estropiés plus considérable.

Du reste, messieurs, ce n'est pas le nombre de cas que je considère principalement, mais c'est le principe même de l'assistance, érigé en devoir pour le gouvernement, et en droit pour l'ouvrier, que je repousse.

Je conçois, messieurs, qu'il serait trop rigoureux de faire attendre l'ouvrier mutilé, et qui peut avoir perdu l'espoir d'atteindre l'âge où il pourrait toucher sa pension. Il y a donc deux partis à prendre à son égard : il faut ou lui restituer le montant de ses versements, ou lui accorder immédiatement une pension viagère, calculée sur les versements qu'il a faits antérieurement. C'est ce dernier parti que je propose à la chambre par mon amendement.

- L'amendement est appuyé.

M. le président. - Voici l'amendement qui a été déposé par M. Cools :

« Art. 8. Toute personne, assurée depuis dix ans au moins, dont l'existence dépend de son travail, et qui, avant l'âge fixé par l'assurance, deviendrait , par la perte d'un membre ou d'un organe, par une infirmité permanente résultant d'un accident et non contractée au service militaire, incapable de pourvoir à sa subsistance, jouira immédiatement d'une rente alimentaire de 360 francs.

« La rente alimentaire cessera, si les conditions qui l'ont amenée viennent à disparaître. A l'âge fixé pour l'entrée en jouissance de la rente de retraite, la rente alimentaire sera portée au taux fixé par l'assurance, si ce taux est supérieur à 360 francs. »

M. Cools. - Messieurs, je dois reconnaître que mon amendement se présente dans des conditions très défavorables. De nombreuses objections se sont élevées dans cette assemblée contre les charges que l'article 8 imposera à la caisse de retraite, et j'ai proposé d'aggraver encore ces charges. Je crois que les préventions qui existent sont dénuées de fondement, et je persiste également à croire que le changement que j'avais proposé était utile. Cependant j'ai à lutter contre trop de préventions, et pour ne pas abuser trop longtemps des moments de la chambre, car je devrais entrer dans de longs développements pour chercher à faire partager ma conviction à l'assemblée, je préfère retirer mon amendement.

Je demanderai seulement à la chambre la permission d'ajouter une seule réflexion : c'est que le succès de l'institution de la caisse de retraite est renfermé dans l'article 8. Si vous voulez que la caisse de retraite réussisse parmi les classes inférieures, il faut introduire dans la loi une combinaison quelconque en vertu de laquelle la caisse fonctionnera avec tous ses avantages à une époque très rapprochée des versements. Je n'ai pas le droit de conserver plus longtemps la parole, puisque j'ai retiré mon amendement, mais je livre cette observation aux méditations de la chambre.

M. le président. - L'amendement de M. Cools est retiré.

Voici un amendement déposé par M. Bruneau : Remplacer les derniers mots de l'article 8 : « et ce jusqu'à concurrence de 360 fr. » par les mots suivants : « sans que ces rentes puissent dépasser 360 fr. »

M. Bruneau. - Messieurs, il me suffira de quelques mots pour justifier le changement de rédaction que j'ai proposé. L'idée m'en est venue à la suite du dépôt de l'amendement de l'honorable M. Cools. L'honorable membre avait déposé une série d'amendements qui tendaient à diminuer les charges de la caisse de retraite. L'amendement présenté par lui à l'article 8, que je croyais dirigé dans le même but, me paraissait aller à l'encontre de ce but, puisqu'il aggravait la position de la caisse. L'honorable M. Cools vient de dire que, dans sa pensée, il concevait très bien cette aggravation, mais qu'en présence des dispositions de la chambre, il ne croyait pas devoir persister dans son amendement.

Je pensais que son erreur pouvait provenir de ce qu'il y avait doute dans la rédaction des mots : « et ce jusqu'à concurrence de 360 francs. »

Dans l'intention du projet de loi, les personnes affectées d'une infirmité permanente provenant d'un accident ne devaient jouir que de la rente acquise au moyen de leurs versements, c'est-à-dire que si par ces versements elles avaient acquis une rente de 24 fr., elles touchaient une rente de 24 fr., et ainsi jusqu'à concurrence de 360 fr. L'honorable M. Cools la portait en toute circonstance à 360 fr.

La rédaction que je propose indique d'une manière plus positive que la rente peut être inférieure à 360 fr., mais jamais aller au-delà, tandis que la première rédaction peut laisser quelque doute à cet égard.

(page 255) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'aurais combattu l'amendement de l'honorable M. Cools comme allant beaucoup trop loin, comme devant entraîner des charges trop lourdes pour la caisse ; mais je combats l'amendement de M. Thibaut comme n'allant pas assez loin, comme n'offrant pas une garantie suffisante à l'assuré. Messieurs, l'article 8, sagement appliqué, sera une des dispositions les plus utiles, en même temps, les plus attrayantes de la loi ; dans son application elle ne pourra pas entraîner la caisse à des sacrifices onéreux.

Les faits que nous avons déjà pu recueillir dans les institutions analogues prouvent que le nombre des ouvriers qui ont été admis à la pension par suite de maladie incurable, de blessure grave, de mutilation, est très restreint. On a donné le calcul pour les ouvriers mineurs, pour une catégorie d'ouvriers exposés à une multitude d'accidents; ce nombre, comme vous l'avez vu, a été sur une série de neuf années, pour une population de 24 mille ouvriers, de 37 pensionnés, soit 4 pensionnés par an, ou 16 pensionnés sur 100 mille ouvriers.

Le même calcul a été fait pour la caisse des ouvriers du chemin de fer qui fonctionne comme caisse de retraite et de prévoyance. La caisse du chemin de fer donne aux ouvriers des secours temporaires pour empêchement temporaire, et une pension de retraite aux ouvriers devenus infirmes, impotents par suite d'accidents survenus pendant le service.

Le nombre des ouvriers salariés participant à la caisse de retraite et de secours du chemin de fer, s'élève à 4,314 individus. A partir de 1845, époque à laquelle la caisse a commencé de fonctionner comme caisse de retraite, elle n'a pensionné que deux individus sur 4,314 participants. Il faut remarquer que beaucoup d'ouvriers au chemin de fer ont été admis à un âge assez avancé. Dans le principe, on n'a pas été sévère pour l'admission des ouvriers; c'étaient souvent ceux qui se présentaient dans les plus mauvaises conditions d'âge et de santé qu'on recevait, (Interruption.)

Il s'agit ici de simples ouvriers et non de fonctionnaires qui jouissent d'une pension sur la caisse de l'Etat; il s'agit des ouvriers salariés qui n'ont pas de pension sur la caisse de l'Etat, mais des pensions sur la caisse de retraite et de secours organisée par le chemin de fer.

Je dis que l'article 8 ne renferme pas de danger sérieux pour la caisse. Nous avons cité des institutions analogues, nous pouvons raisonner aussi par hypothèse.

Dans quelle situation vont se trouver les ouvriers d'après l'article 8 à l'égard de la caisse de retraite, s'ils sont déclarés infirmes ou impotent, à un degré tel que la pension de retraite leur soit due? Ou bien ils seront jeunes, ou bien ils seront arrivés à un âge assez avancé; si l'infirme est jeune, il aura fait des versements depuis peu de temps; la pension qu'il aura acquise ne sera pas élevée, ce sera une pension très faible ; s'il est avancé en âge il approchera de l'époque où la pension lui serait duc eu tout état de cause, la caisse ne lui fera pas l'avance pendant très longtemps.

Quant au principe même de l’article 8, je le trouve de toute justice; la loi a pour but de pourvoir aux besoins de l'homme, alors qu'il est devenu incapable d'y pourvoir par ses propres forces. Cette incapacité peut résulter ou de l'âge, ou d'une infirmité équivalente aux effets du grand âge; il n'est donc que juste de mettre sur la même ligne les deux genres d'infirmité, soit qu'elle résulte de l'âge de l'ouvrier, soit qu'elle résulte d'accidents survenus dans l'exercice de sa profession ou de son métier; il est juste que la loi supplée dans l'un et l'autre cas à l'impuissance de l'individu de pourvoir lui-même à sa subsistance.

Enfin, j'ai déclaré que si l'expérience faisait connaître des abus onéreux pour la caisse, il dépendrait du gouvernement, il dépendrait de la législature d'y pourvoir : du gouvernement, en exerçant une surveillance de plus en plus sévère ; de la législature, en supprimant les exceptions, ou en les subordonnant aussi à des conditions plus sévères.

Les motifs que je viens de donner à l'appui de l'article viennent également à l'appui du délai de 5 ans, que j'ai maintenu. Nous demandons que la perspective d'une pension, pour les cas d'accident grave, ne soit pas éloignée d'un terme trop long de l'époque où l'assuré aura fait son premier versement. Nous ne voulons pis que, dès le lendemain du jour où il a fait un versement, il entre en possession de sa pension ; nous éloignons jusqu'à 5 ans l'époque où il sera admis à jouir de la pension. Ainsi, pendant les 5 premières années qui suivront le dépôt, dans le cas d'accident il n'aura aucun droit à une pension exceptionnelle. La section centrale est allée jusqu'à 10 ans. Nous croyons que c'est aller trop loin.

M. Coomans. - Cet article 8 constitue à mon sens une imprudence et un manque de justice distributive.

Imprudence, en ce que la caisse subit les conséquences d'événements fâcheux, qu'il est difficile, pour ne pas dire impossible, de calculer. Les malheurs et les accidents échappent à toute prévision ; des incendies, des chutes de bâtiments, des explosions de mines peuvent faire un grand nombre de victimes qui seront soulagées et avantagées, au détriment des autres assurés de la caisse. En effet, si le chiffre des estropiés augmente beaucoup, comme il est de principe (principe admis par la chambre) que la caisse doit se suffire à elle-même, force sera de diminuer la rente des coassurés, ou, ce qui revient au même, d'élever les tarifs.

Mais ce qui me frappe surtout dans cet article, c'est le manque de justice distributive. L'honorable ami qui siège à ma gauche en a touché un mot; on n'a pas réfuté son argumentation; on ne la réfutera pas.

Vous ne pouvez établir des classes dans la population ; vous ne pouvez en établir notamment dans la population au nom de laquelle on a surtout réclamé contre les classes.

Voici comment vous établissez des classes privilégiées parmi les ouvriers.

Un ouvrier se préoccupant de son sort, plus ou tout au moins autant que de celui de sa famille, se fait inscrire à la caisse ; c'est un acte louable, que j'approuve beaucoup.

Mais un autre, craignant de ne pas vivre longtemps, ou voulant assurer plutôt le sort de sa femme et de ses enfants que le sien, place ses économies à la caisse d'épargne, pour ne pas en perdre le fruit dans certaines éventualités. Eh bien, vous donnez une récompense (car c'est une récompense) au premier ; vous la refusez au second, qui cependant a fait un acte d'abnégation très méritoire, qui a déposé à la caisse d'épargne pour sa famille plutôt que pour lui.

Mais il y a quelque chose de plus fort : un troisième père de famille, à qui son travail a suffi exactement pour se procurer le pain quotidien et qui n'a pu placer un sou à notre caisse de retraite ni à notre caisse d'épargne, ne recevra rien dans le cas d'un accident qui l'empêche de continuer de travailler. Il ne recevra rien! Pourquoi? Précisément parce qu'il aura des besoins plus grands que les deux autres.

Messieurs, cette injustice ne vous frappe-t-elle pas?

Vous donnez quelque chose à celui qui a des besoins moindres que l'ouvrier à qui vous ne donnez rien. C'est un manque de justice distributive, puisque l'Etat payera le déficit. C'est une anomalie inique (je n'hésite pas à employer ces mots), qui m'obligera à voter contre la loi, si cet article est maintenu.

Je supplie la chambre de me permettre de faire une réflexion, qui a quelque analogie avec celles que j'ai eu l'honneur de vous soumettre tantôt.

Il s'agit d'une exception à une exception. La loi même est une exception à notre droit social et l'article 8 est une exception à la loi.

Nous admettons au bénéfice de cette exception les étrangers. Si l'article passe, je vous engage à ne le laisser profiter qu'aux nationaux. J'en fais la proposition formelle.

A ce propos, je ne puis m'empêcher de faire un rapprochement que je trouve frappant.

On a insisté, on insiste, on insistera encore pour faire ressortir les prétendus avantages qu'il y a à attirer les ouvriers étrangers sur le sol belge.

Si l'on a ce soi-disant bénéfice en vue, l'article 8 y concourra, je l'avoue, et très directement. La Belgique sera le pays où la classe ouvrière sera le mieux assurée contre de fâcheuses éventualités. Mais n'y a-t-il pas contradiction entre le langage tenu par M. le ministre de l'intérieur et les efforts qu'il fait pour exciter les Belges à l'émigration? C'est une des doctrines du gouvernement (doctrines que je compte combattre, quand l'occasion s'en présentera), qu'il y a trop de Belges en Belgique, qu'il faut exciter à l'émigration....

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dans une très sage mesure.

M. Coomans. - Nous discuterons la mesure.

Mais vous croyez qu'il y a trop de Belges en Belgique; sinon vous ne travailleriez pas à les expédier dans l'autre monde aux frais du trésor.

C'est clair ! on n'exporte que le trop plein. Quels sont les Belges qui, d'après l'honorable ministre, sont de trop en Belgique? Ce sont des ouvriers, je conçois cette opinion sans la partager. Je n'en fais pas un crime à l'honorable ministre. Il est malheureusement trop évident que la main-d'œuvre manque, que nous avons des ouvriers inoccupés, et végétant dès lors dans la misère.

Eh bien, avant d'envoyer nos compatriotes en Amérique ou ailleurs, je voudrais au moins leur réserver le peu de place que la concurrence exotique nous laisse en Belgique, au point de vue de la main-d'œuvre nationale.

Je ne vois donc aucune utilité à attirer chez nous des ouvriers étrangers. Malheureusement nous avons trop d'ouvriers belges ; la preuve, c'est qu'on les engage à s'expatrier. C'est, selon moi, une des contradictions économiques du cabinet.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous les prohiberons à l'entrée.

M. Coomans. - Non, car vous professez le libre échange.

L'honorable ministre de l'intérieur a dit que l'article 8 est une des dispositions les plus attrayantes de la loi. Soit, mais nous ne devons pas faire de la politique attrayante; nous devons faire de la politique juste, solide et permanente.

Les chiffres de l'honorable ministre, quant au nombre d'accidents qu'on remarque sur une certaine masse de population, ne s'accordent nullement avec ceux que l'honorable M. Van Hoorebeke nous a donnés, et avec d'autres que l'on trouve dans toutes sortes de statistiques. Je ne m'en étonne guère. On fait dire aux chiffres à peu près ce qu'on veut. Il n'y a rien de malléable comme cette matière-là. J'en sais quelque chose par moi-même, j'y ai aussi mis la main, et je ne m'en vante pas. Les cuisiniers n'ont pas d'appétit. Je déclare que j'ai une indigestion de chiffres, surtout en, fait de statistique; j'ai éprouvé moi-même beaucoup de désillusions sur ce chapitre-là. La loyauté m'oblige à le dire.

(page 256) Messieurs, entre autres difficultés que je vois dans tel article, il en est une qui n'est pas petite : c'est le mot « uniquement » qui se trouve dans le projet du ministère, qui ne se trouve pas reproduit dans le projet de la section centrale, mais qui, écarté ou maintenu, mérite certainement une explication.

« Toute personne assurée dont l'existence dépend uniquement de son travail, » dit le projet du ministère, Mais, messieurs, avec ce mot « uniquement », votre article 8 s'applique à toutes les catégories de citoyens. Votre but n'est que de le rendre applicable aux ouvriers, et assurément ce n'est qu'au point de vue de ceux-là qu'il peut s'expliquer dans votre pensée. Mais un artiste qui n'a d'autre ressource que son pinceau, un artiste même éminent qui vit dans un certain luxe, et qui devient infirme dans le sens de l'article 8 tombe-t-il sous l'application de cet article? Cet artiste perd la vue, organe qui lui est indispensable. Il gagnait plusieurs milliers de francs; mais il subsistait uniquement de son travail. L'admettrez-vous, je le répète, au bénéfice de l'article 8?

Je suppose un avocat ne vivant que de son travail ; il y a de très honorables avocats qui sont dans ce cas-là.

M. Tesch. - Ils y sont tous.

M. Coomans. - Ce sont souvent les plus honorables. Cet avocat perd la voix, désagrément qui est plus fâcheux pour lui que pour un autre citoyen. Pensez-vous, messieurs, qu'il se trouve encore une fois sous l'application de l'article 8 ? Oui, en logique, mais non au point de vue humanitaire, point de vue auquel s'est placé M. le ministre de l'intérieur.

Je dis que l'article 8 ne devrait être appliqué qu'aux véritables ouvriers, non pas à ces prétendus ouvriers dont parlait hier l'honorable M. Prévinaire, qui gagnent 12 francs par jour, ouvriers bienheureux, ouvriers chimériques, qui, pour moi, sont introuvables, mais à ces véritables ouvriers gagnant 1 franc ou 2 francs par jour au maximum. Que vous fassiez pour ceux-là une exception, je la déplorerais comme anormale, mais je la trouverais excusable.

, Cependant, même avec cette restriction, je n'admets pas que vous fassiez supporter par la caisse, c'est-à-dire par tous les assurés, l'espèce de gratification exceptionnelle que vous accorderiez à l'avocat ou à l'artiste dont je parlais tout à l'heure.

J'insiste donc, messieurs, sur ces deux points : c'est d'abord qu'on me donne une explication satisfaisante du mot « uniquement » ; c'est qu'on déterminé autant que possible (car j'avoue que c'est là un travail bien difficile) les catégories de travailleurs qui pourront bénéficier de l'article 8. Je demande en second lieu que les Belges seuls profitent de cet article, si vous le maintenez, vote que je considérerais comme fâcheux ?

M. le président. - M. Coomans présente-t-il un amendement?

M. Coomans. - M. le président, mon amendement est bien simple : c'est la suppression de l'article 8. Subsidiairement, je proposerai la réserve en faveur de nos compatriotes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable préopinant vient de supposer à l'article 8 une portée qu'il n'a pas. Il lui a donné une très grande extension pour avoir le mérite facile de le combattre.

L'honorable membre a supposé que du moment où un individu qui a pris part à la caisse, aurait une maladie quelconque, il pourrait jouir du bénéfice de la disposition. Mais il s'est trompé. (Interruption.) Je dis que l'honorable membre l'a supposé; car il s'est servi du mot « maladie », et les exemples qu'il a posés prouvent que telle est sa pensée. Ainsi, il a parlé d'un avocat qui perd la voix. Est-ce là la perte d'un organe par suite d'accident survenu dans l'exercice de sa profession?

M. Coomans. - Cela peut arriver.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Un peintre perd la vue! Voilà les exemples que vous avez donnés pour combattre la disposition. Or, la disposition ne s'applique pas et ne peut s'appliquer à des infirmités qui ne résultent point d'accidents survenus dans l'exercice de sa profession.

Elle s'applique :

1° A ceux qui n'ont pas d'autres moyens d'existence;

2° Dans le cas d'une infirmité résultant d'un accident;

Et enfin 3° il faut que celui qui vient réclamer le bénéfice de la disposition ne puisse pas, quoique ayant eu un accident, une maladie même, si l'honorable M. Coomans le veut, ne puisse pas pourvoir autrement à son existence. Voilà dans quel cas l'article 8 peut être invoqué.

Je tiens à préciser, parce que je ne veux pas non plus qu'on donne à l'article 8 une extension qui pourrait nuire à la caisse. C'est dans le cas d'un accident qui survient dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de la profession, c'est pour un individu qui n'a pas d'autre moyen d'existence, et c'est à raison d'un accident qui le met dans l'impossibilité de pourvoir autrement à son existence, que l'article 8 est fait, le voilà donc très notablement restreint.

L'honorable membre le critique sous d'autres rapports. Il s'écrie : Quelle injustice! quelle révoltante injustice que cette disposition de l'article 8! Voici un père de famille qui a pu, sur son salaire, économiser quelques petites sommes et les déposer à la caisse de retraite. Il lui arrive un accident; il reçoit une récompense; c'est, dit l'honorable membre, une récompense! Voici un second père de famille qui a déposé, lui. à la caisse d'épargne. Il a aussi fait une bonne chose à votre point de vue. il lui arrive un accident, et vous ne lui donnez rien. Enfin, voici un troisième père de famille dont la position inspire les plus vives récriminations; c'est pour lui surtout que l'honorable membre qui crie à l'injustice. Ce troisième père de famille n'a rien économisé, il n'a porté ni à la caisse de retraite ni à la caisse d'épargne; il a les besoins les plus considérables, et vous ne lui donner absolument rien. Voilà ce que l'honorable membre condamne, et il voudrait que l'on opérât précisément à l'inverse de la proposition du gouvernement. Eh bien, l'honorable membre a-t-il compris quelle est la conséquence de l'opinion qu'il émet? C'est le communisme, c'est le droit à l'assistance, (interruption.) Je vais vous le démontrer. C'est le droit à l'assistance. L'honorable M. Coomans nage en plein communisme.

Il dit : En vue de l'injustice résultant de l'inégalité des conditions humaines (inégalité qui est aussi d'institution divine), je veux donner assistance à ceux qui sont victimes de cette inégalité. Eh bien, messieurs, ce n'est pas ce que nous voulons. Nous disons à un homme : Soyez prévoyant; soyez économe ; faites quelques épargnes sur le produit de votre travail, et lorsqu'il a acquis quelque chose, nous lui donnons par anticipation ce qu'il a acquis.

A la vérité, ce qu'il a acheté n'est pas précisément ce qui lui est donné dans le cas d'accident ; mais en vertu de l'association que nous formons, nous établissons cette loi qui fait que les associés viennent contribuer au profit de celui-là, pour une petite fraction. C'est la caisse de l'association qui pourvoit aux besoins de l'un de ses membres dans un cas déterminé. Ce sont ceux qui ont voulu participer à la caisse qui sont sous l'empire de cette loi de solidarité dont parlait l'honorable M. Dedecker. Voilà, messieurs, ce que nous voulons. L'article 8 ne va pas au-delà.

Je crois, messieurs, qu'il a avantage et qu'il n'y a pas d'inconvénient à maintenir cette disposition, et que les raisons données par M. Coomans pour la combattre sont tout à fait en opposition avec l'opinion qu'il exprime habituellement dans cette enceinte.

M. Delfosse. - Messieurs, je dirai en peu de mots pourquoi j'appuie le principe de l'article 8.

Il est certain qu'il y a dans cet article un sacrifice que le gouvernement s'impose en faveur de l'institution; mais remarquez bien, messieurs, que c'est une institution créée dans un but d'ordre et d'humanité. (Interruption.) Il est évident qu'il y a dans l'article 8 le germe d'un subside accordé à la caisse, non pas au profit de tous les déposants, mais au profit de déposants qui sont le plus dignes d'intérêt, ceux dont l'existence dépend uniquement du travail. Je ne concevrais pas que l'on s'opposât à ce que le gouvernement accorde un subside à une institution aussi digne de notre sollicitude, alors qu'il accorde des subsides à d'autres institutions dont l'utilité est bien plus contestable.

Le gouvernement, va parfois jusqu'à accorder des subsides à des sociétés de musique; il en a accordé pour l’éducation des vers à soie, pour la culture de la garance. Et c'est en présence de ces antécédents que l'on refuserait toute espèce de secours à la caisse de retraite, à une caisse fondée en faveur des travailleurs !

Messieurs, la disposition de l'article 8 n'est pas seulement une faveur accordée à la classe de déposants dont je viens de parler, c'est en outre un acte de justice : je vais le prouver.

La caisse de retraite est ouverte à toutes les classes de la société, aux riches comme aux pauvres. Il n'y a qu'une seule limite, c'est qu'on ne peut pas acquérir, sur cette caisse, une rente dépassant 900 fr. L'homme le plus riche peut acquérir sur la caisse une rente de 900 fr.

Quels sont les déposants qui retireront le plus d'avantages de l'institution? Ce sont évidemment ceux qui n'appartiennent pas à la classe ouvrière. Remarquez que les tables de mortalité, sur lesquelles les calculs ont été basés, sont les mêmes pour toutes les classes. Les classes ouvrières étant exposées à de rudes fatigues, à de fréquents accidents , ne pouvant toujours se soigner convenablement en cas de maladie, ces classes ont moins de chances de longévité que les autres classes qui ont, par conséquent, plus de chances de jouir de la rente, et l'en jouir longtemps.

L'article 8 n'est, comme on voit, qu'un dédommagement de l'inégalité qui résulte de ce que les tables de mortalité sont les mêmes pour toutes les classes, pour celles qui vivent uniquement de leur travail, comme pour les autres.

M. le ministre de l'intérieur reconnaît, comme la section centrale, que le sacrifice de l'Etat ne doit pas être porté trop loin, qu'il faut le circonscrire dans des justes limites. C'est pour ne pas exposer l'Etat à des pertes trop considérables que le projet du gouvernement n'accorde la jouissance anticipée de la rente que a ans après le versement; le gouvernement n'a pas voulu donner une prime d'encouragement pour le fait de la participation à la caisse, car alors il aurait fallu accorder la jouissance anticipée de la rente, à toute époque, à celui qui serait frappé d'un accident le lendemain du versement, comme à celui qui n'en serait frappé que cinq ans plus tard.

La section centrale, tout en admettant qu'une compensation est due pour l'inégalité qui existe entre les divers déposants, a cru prudent d'exiger que le versement ait été fait au moins depuis dix ans. C'est la seule différence qui existe entre le projet du gouvernement et celui de la section centrale; on est d'accord sur le principe.

Après cinq ans, il n'y aura guère d'intérêts accumulés, et cependant le gouvernement devra payer à celui qui aura versé à 18 ans et qui à 23 ans sera frappé d'un accident, le gouvernement devra payer immédiatement la pension qui n'aurait dû être touchée qu'à l'âge de 55, 60 ou 65 ans. Apres dix ans, tenue fixé par la section centrale, il y a déjà une accumulation d'intérêts assez forte, mais elle a surtout fixé ce ternie, parce que la loi sur les pensions fixe également le même terme. Le fonctionnaire, quels que soient ses services, n'a droit à la pension qu'après dix ans.

Il n'y a qu'une exception, c'est pour le cas où les infirmités proviennent de l'exercice des fonctions; alors, mais alors seulement, il ne faut (page 257) pas dix ans. On n'exige pas ici que les infirmités proviennent de l'exercice de fonctions quelconques.

- Un membre. - Il faut qu'elles résultent d'un accident.

M. Delfosse. - Sans doute; mais cela ne fait rien à la question. Supposons qu'un fonctionnaire, qui n'a pas été dix ans en fonctions, soit atteint d'une infirmité résultant d'un accident, d'après la loi sur les pensions, il n'aura rien du tout ; il ne peut être pensionné avant ce terme, qu'autant que l'infirmité proviendrait de l'exercice des fonctions; s'il n'est pas dans ce cas, quelques services qu'il ait rendus, quelque impossibilité qu'il y ait pour lui de se procurer des moyens d'existence, il n'a aucune espèce de droit à la pension.

La section centrale a pensé que l'on ne pouvait pas montrer plus de sollicitude pour celui qui aura versé une somme quelconque à la caisse de retraite que pour celui qui a mis son temps et son intelligence au service de l'Etat. Voilà pourquoi elle a préféré le terme de 10 ans à celui de 5 ans.

Je répète que nous sommes d'accord avec le gouvernement sur le principe; mais nous pensons qu'il y a des raisons très fortes pour ne pas faire commencer trop tôt la possibilité de l'anticipation de la rente; le gouvernement demande un terme de 5 ans; nous demandons un terme de 10 ans; nous pensons qu'on ne peut traiter plus favorablement celui qui a déposé une petite somme à la caisse de retraite que l'employé de l'Etat. (Interruption.)

L'employé, me dit-on, a reçu un traitement ; mais le déposant a probablement fait quelque chose; s'il a travaillé, il a reçu le prix de son travail, comme le fonctionnaire a reçu le traitement qui est le prix du sien; en cas d'accident, il n'y a pas de raison pour venir en aide à l'un plutôt qu'à l'autre. Il y aurait là une inégalité qui ne pourrait se justifier.

Je reconnais que, quoi que vous fassiez, il y aura des bizarreries dans l’exécution de la loi.

Je suppose deux déposants de même condition; l'un et l'autre font à 18 ans le même versement; mais l'un fait un versement pour avoir une rente à 55 ans, et l'autre, pour en avoir une à 65 ans; la rente du second sera plus forte que celle du premier; l'un est-il plus digne d'intérêt que l'autre? Non, ils sont également dignes d'intérêt ; la position est la même; l'un et l'autre ont fait preuve de prévoyance; ils ont eu également confiance dans l'institution ; ils ont versé la même somme; seulement l'un a espéré vivre plus longtemps; l'autre n'a pas eu la même espérance. Je dis que la position est la même; eh bien, si après cinq ou dix ans (selon que vous adopterez le projet du gouvernement ou celui de la section centrale), l'un et l'autre sont atteints d'une infirmité; s'ils perdent un organe; bien qu'ils soient également dignes d'intérêt, celui qui aura versé pour jouir de la rente à l'âge de 65 ans obtiendra une rente plus forte que celui qui aura versé pour en jouir à l'âge de 55 ans.

Ces résultats qui peuvent paraître étranges, ces inégalités inévitables peut-être, ne sont pas toutefois une raison pour maintenir celles qu'on peut faire disparaître, encore moins pour empêcher l'adoption du principe de l'article 8, qui, comme je l'ai démontré, est la compensation légitime de l'inégalité qui résulte de ce que les tables de mortalité sont les mêmes pour tous.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je désire faire deux observations sur le discours que vient de prononcer l'honorable M. Delfosse.

La première, c'est que l'honorable membre suppose que l'article 8 engendre un subside de la part de l'Etat au profit de la caisse. Je dois déclarer quelle est la pensée du gouvernement à cet égard, et je crois que nous serons d'accord avec les membres de la commission.

L'article 8 de la loi est un des éléments de la combinaison; il sera pris en considération dans la fixation des tarifs. Il faut que la caisse pourvoie à tous ses besoins. Il se peut qu'il y ait lieu à une intervention de l'Etat, mais ce n'est pas à raison des obligations résultant de l'article 8, 1 mais à raison de la garantie stipulée par l'article premier. C'est donc dans ce sens que le gouvernement propose le maintien de la disposition de l'article 8.

La seconde observation que j'ai à faire, est celle-ci : l'honorable membre a raisonné par analogie de la loi des pensions à l'article 8, pour en induire que puisque dans le cas des pensions, on exige qu'il y ait une durée de 10 années de service pour avoir droit à la pension, on doit également l'exiger pour le cas que prévoit l'article 8 du projet.

Je n'admets pas l'analogie entre ces deux positions, elle n'existe pas; mais l'analogie fût-elle vraie, il faudrait en tirer des conséquences entièrement contraires.

La loi sur les pensions prévoit deux cas, l'un où il s'agit d'une manière absolue d'infirmités qui surviennent à un fonctionnaire; pour celle-là on ne peut obtenir la pension qu'après dix années de services; l'autre (qui est le seul analogue avec celui dont nous nous occupons, où il s'agit de blessures ou d'infirmités qui lui arrivent dans l'exercice de ses fonctions (article 5 de la loi).

- Un membre. - Mais l'article 4?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'admets que dans le cas prévu par l'article 4 de la loi sur les pensions, lequel concerne les infirmités considérées d'une manière absolue, en exige une certaine durée de services ; mais dans l’article 5 on prévoit le cas d'accidents survenus dans l'exercice de fonctions ; et dans cette hypothèse, il y a un droit à la pension, quels que soient l'âge et la durée des services.

Remarquez que, quant à l'art. 8 du projet, je n'admet» pas l'analogie, mais s'il y avait analogie, il faudrait dire que, dans le cas de l'art. 8, il faut obtenir quelque chose immédiatement, quel que soit son âge, l'époque et la durée de ses versements; il ne faut donc pas raisonner de la loi des pensions à la loi sur la caisse de retraite. (Interruption.)

L'honorable membre a dit qu'il fallait 10 années pour que les fonctionnaires publics eussent droit à une pension ; j'ai démontré que quand un fonctionnaire était hors d'étal de continuer ses fonctions par suite d'accident survenu dans l'exercice de ses fonctions, il avait droit à une pension.

M. Delfosse. - C'est là une exception.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ici, il s'agit aussi d'une exception, d'un individu qui est privé de ses moyens d'existence par un accident survenu dans l'exercice de sa profession.

M. Delfosse. - Par un accident quelconque.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le sens de la disposition est tel que je viens de l'indiquer. Si nous voulons prévoir toutes les hypothèses qui peuvent se présenter, il faut renoncer à la discussion. Nous avons à poser des principes généraux, clairs, précis, qu'on puisse appliquer aux faits qui se présenteront.

C'est une commission qui statuera; eh bien, quand par suite d'un accident, il faut l'accident, un individu participant à la caisse se trouvera dans l'impossibilité de pourvoir autrement à son existence, ne suffit-il pas que des versements aient été faits pendant cinq ans pour accorder la pension dans les cas restreints que je viens d'indiquer?

M. Pierre. - Il me paraît que l'honorable M. Thibaut tire de l'article en discussion des conséquences peu exactes. Il ne lui semble pas équitable de favoriser outre mesure, selon lui, l'ouvrier qui s'assurera. Souvent, ajoute-t-il, il ne se sera point assuré parce qu'il lui aura été impossible de réaliser des économies qui lui aient permis de le faire. En présence de cette fâcheuse impossibilité, dont il est déjà victime, pouvez-vous encore, sans une sorte d'iniquité, le priver de l'avantage que vous donnerez à l'ouvrier assuré? M. Thibaut et M. Coomans ne sont point de cet avis. Qu'il me soit permis de leur dire que je ne puis (erratum, page 299) partager leur opinion.

Evidemment il est heureux que l'ouvrier rencontre dans la loi des dispositions tendantes à le favoriser d'une manière toute particulière, en cas de perte d'un membre ou d'infirmités qui lui occasionnent une incapacité absolue de travail. Plus ces avantages seront importants, plus ils deviendront un stimulant efficace pour l'épargne, l'économie, la prévoyance. Diminuer les avantages garantis par la loi, c'est diminuer dans la même proportion ce stimulant si désirable. Quant à l'ouvrier non assuré, il conserve la chance d'être secouru par la charité privée et par la bienfaisance publique.

Cette chance, messieurs, ne sera-t-elle pas d'autant plus grande pour lui que le nombre des malheureux à secourir sera plus restreint? Et ce sera là certes le résultat principal de la loi. L'amendement amoindrirait-il d'une manière assez notable les avantages éventuels qu'elle a pour but de procurer; il est contraire, dès lors, au principe fondamental de la loi et, à ce titre seul, il doit être écarté.

M. Cans. - L'honorable M. Coomans a reproché à l'article 8 d'être un manque de justice distributive. Je tâcherai de démontrer que ce qu'on considère comme une faveur pour les ouvriers est un acte de justice, une compensation basée sur l'équité.

Messieurs, les tarifs ont été établis sur la mortalité générale de la population en Belgique. Cette mortalité comprend la population des campagnes et la population des villes. Je n'ai pas besoin de dire que, dans les campagnes, où l'air est plus pur, les habitants vivent plus longtemps que dans les villes. On aurait pu faire des tarifs distincts pour les villes et pour les campagnes, pour les hommes et pour les femmes, pour les ouvriers et pour les rentiers, parce que chacune de ces classes de la population présente dans la longévité des différences très grandes; mais pour ne pas tomber dans des complications inextricables, on a dû adopter un tarif unique.

Maintenant, vous avez remarqué que dans le rapport on rend compte des bases qui ont servi à former les tarifs; comme on a supposé que les personnes assurées seraient dans une bonne condition de santé, on a augmenté dans la proportion de 6 2/3 p. c, la valeur de la rente, c'est-à-dire que pour cent francs, qu'il faudrait payer d'après les tables de mortalité, pour acquérir une rente quelconque, le calcul des tarifs est fait de manière à demander 106 francs 67 cent.

On a pensé que cela suffirait pour couvrir la longévité plus grande des personnes qui se feront assurer à la caisse de retraite. Mais il est évident que les ouvriers ne rentrent pas dans la classe de ces personnes qui ont l'espoir de vivre plus longtemps ; la fatigue qui résulte de leurs travaux, les maladies auxquelles ils sont sujets doivent abréger leurs jours, et pour le tarif des ouvriers, au lieu d'augmenter la valeur de la rente de 6 p. c., il aurait été juste de l'abaisser d'une somme égale, de sorte que les ouvriers assurés, soumis à la même condition que les autres, seront dans une position beaucoup plus défavorable, et l'avantage qu'on fera à ceux à qui il sera donné de jouir de la rente d'une manière anticipée, ne sera qu’une compensation du désavantage que les tarifs leur font.

Il est, d'ailleurs, bien entendu aujourd'hui, après les explications qui ont été données dans la discussion, que la caisse doit se suffire, qu'elle (page 258) ne doit présenter ni bénéfice, ni perte. Ce n'est donc pas l'Etat qui vient, par un subside, contribuer à donner des pensions aux ouvriers ; ce sont les assurés eux-mêmes qui ont pris part à l’institution qui éprouve le dommage, dommage qui sera excessivement minime, inappréciable même, car les tarifs ont été calculés de manière à ne pas laisser de perte.

L'honorable M. Thibaut a proposé de capitaliser les versements faits par l'ouvrier à l'époque où un accident surviendrait qui ne lui permettrait plus de gagner sa vie, et de lui accorder une rente en rapport avec la somme capitalisée. Messieurs, mieux vaudrait ne rien lui donner du tout; vous en jugerez par quelques chiffres que je vais citer. Un ouvrier âgé de 18 ans veut s'assurer une pension à l'âge de 60 ans, je prends le chiffre du tarif, une pension de 12 francs. S'il lui arrive un accident au bout de 10 ans, la somme versée par lui et capitalisée est de 13 fr. 20 c; avec les intérêts composés, elle s'élève à 18 fr. 10 c. ; si on lui donne une rente en proportion, comme la durée probable de la vie est alors 36 ans, vous lui donnerez une rente de 2 fr. 10 c, au lieu de 12 fr., 21 fr. au lieu de 120 fr.; ce serait un secours illusoire; mieux vaudrait ne pas donner de rente.

L'honorable M. Coomans a dit encore qu'il ne fallait pas attirer dans le pays les ouvriers étrangers. Je ne suis pas aussi exclusif, l'industrie a beaucoup à se louer de ceux des ouvriers étrangers qui sont venus instruire nos ouvriers et fonder des établissements qui font la prospérité du pays.

Je ne citerai que Cockerill, qui était ouvrier et qui a été suivi d'un grand nombre d'autres qui sont venus s'établir dans le pays.

Je citerai un autre fait, c'est que la prospérité de l'industrie manufacturière en Angleterre, et la ruine de l'industrie manufacturière en Belgique, a été due aux efforts qu'a faits le gouvernement anglais pour attirer les ouvriers de Louvain et d'autres parties du pays en Angleterre.

Je crois donc qu'il est utile d'attirer en Belgique des ouvriers capables de perfectionner le travail et de contribuer à la richesse du pays.

- Plusieurs membres. - La clôture!

M. Mercier. - L'article 8 est un des plus importants de la loi. La discussion ne peut être bien longue sur cet article. Je demande à faire quelques observations. La discussion a changé tout à fait de caractère depuis quelques moments. C'est mon tour de parole. Je désire donner quelques explications.

M. Coomans. - Je désire répondre aussi deux mots. L'article 8 est très important. C'est le seul important qui nous reste à voter. Je n'ouvrirai plus la bouche sur les autres articles.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'aurais beaucoup de choses à répondre à l'honorable M. Coomans. Je m'abstiens pour ne pas prolonger la discussion. Mais je n'admets pas du tout pour exactes les assertions émises par l'honorable M. Coomans, dans son premier discours. Loin de là !

- La clôture est mise aux voix et rejetée. En conséquence, la discussion continue.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pour mieux préciser la pensée du gouvernement, je propose d'ajouter après les mots : par une infirmité accidentelle et permanente, ceux-ci : survenue dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa profession.

M. Delfosse. - L'amendement qui vient d'être présenté par M. le ministre des finances me satisfait entièrement; je n'insiste plus pour l'adoption de l'amendement de la section centrale.

M. Mercier. - La question a tout à fait changé depuis les déclarations que vient de faire M. le ministre des finances : « Les pensions extraordinaires qui doivent être accordées, en vertu de l'article 8, seront prises en considération dans la formation des tarifs. »

Cette déclaration formelle et les changements apportés à la rédaction de l'article font droit à la plupart des critiques que j'ai faites contre le projet et qui viennent d'être reproduites par l'honorable M. Coomans.

Si l'on n'avait pas égard à cette éventualité dans la formation du tarif, il est évident que les dispositions de cet article seraient une charge pour l'Etal; qu'elles seraient injustes dans leur application et dangereuses par leurs conséquences.

Ces vices disparaissent presque entièrement lorsqu'il ne s'agit plus d'une gratification à faire par l'Etat à cette catégorie de déposants et que la caisse doit en tout point se suffire à elle-même.

Il restera cependant encore une anomalie, c'est que deux personnes ayant fait un dépôt à la caisse de retraite, et dignes du même intérêt, n'auront cependant pas le même sort ; celle qui sera incapable de travail par suite d'un accident jouira de la pension; celle qui, par excès de travail et l'épuisement de ses forces, se trouvera dans le même cas, en sera privée.

Il est, du reste, à craindre que les charges qui résulteront de cette éventualité n'éloignent les déposants.

M. T'Kint de Naeyer, rapporteur. - Je crois aussi, messieurs, que nous ne pouvons pas suivre les honorables préopinants sur le terrain où ils se sont placés.

La mesure est juste, elle le sera surtout si vous admettez, et c'est là mon opinion personnelle, le terme de cinq années.

Je ne comprends pas les reproches d'injustice, d'inégalité qui ont été formulés par l'honorable M. Coomans, et qui viennent d'être renouvelés par l'honorable M. Mercier.

Le contrat que l'assuré fait avec le gouvernement lui garantit, dans des circonstances déterminées, non seulement une pension, mais aussi un secours alimentaire avant l'entrée en jouissance de la rente. L'honorable M. Cans vous l'a déjà fait observer: il s'agit ici d'un acte d'équité à l'égard des ouvriers, dont la longévité est, en général, moins grande que celle des autres classes de la société.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je tiens à déclarer que le gouvernement n'a pas varié quant à l'article 8. Toujours le gouvernement a professé l'opinion que la caisse de retraite devait se suffire à elle-même, pour payer une pension, soit aux vieillards, soit aux infirmes. La section centrale a pu l'entendre autrement; mais le gouvernement n'a pas varié.

De plus, le gouvernement a consulté la commission qui a rédigé le projet de loi : elle est tombée d'accord avec lui, depuis la présentation du projet de loi, que la caisse doit se suffire à elle-même. L'Etat garantit tous les engagements, aussi bien ceux résultant de l'article 8 que d'autres. Le tarif doit être calculé de manière que la caisse puisse pourvoir à toutes les obligations. Voilà le principe. Le gouvernement n'en a jamais dévié.

Quant aux accidents, ils devront être survenus dans l'exercice de la profession. Le gouvernement n'a jamais entendu, par exemple, qu'un accident survenu à un ouvrier à la suite d'une rixe dans un cabaret put ouvrir des droits à la pension. Il faut que l'accident soit le résultat de son travail ou soit survenu à l'occasion de son travail.

M. Coomans. - Messieurs, l'honorable ministre des finances m'a reproché de nager en plein communisme. Si cette accusation est fondée, c'est bien malgré moi que je l'encours, car je n'ignore pas que les eaux du communisme sont remplies d'animaux voraces qui y rendraient fort dangereux l'exercice de la natation.

Il y a cependant un communisme que non seulement je n'abhorre pas, mais que je respecte et dont je suis un des plus fervents adeptes ; c'est le communisme volontaire, c'est le communisme chrétien; c'est le communisme qui rapproche et unit les hommes sur le terrain de la charité. Le communisme dont je ne veux pas, c'est celui qui procède par la violence, qui, au nom d'un nivellement chimérique, dépouille les uns pour donner aux autres, soit par la loi, soit par des manifestations révolutionnaires. Mais le communisme volontaire, le communisme chrétien est une institution magnifique, dont nous avons eu, dont nous avons encore, dont nous aurons toujours des exemples sous les yeux. Plus je le verrai s'étendre, plus j'en féliciterai la société. Au-dessus de ce communisme, il y en a un autre encore, qui le domine et le sanctionne, c'est le communisme, qui nous attend après la mort, là-haut ou en bas. (Interruption.)

Et pourquoi suis-je communiste, d'après l'honorable ministre des finances? Parce que j'ai dit que mieux vaut donner à l'ouvrier qui n'a rien, qu'à celui qui peut réaliser des économies. J'ai démontré combien il est injuste de gratifier d'une rente tel individu qui aura pu s'inscrire à la caisse, alors qu'on n'accorde rien au malheureux à qui il aura été impossible de participer aux bénéfices de l'institution. M. le ministre des finances en conclut que je veux imposer à l'Etat la charge de servir des rentes à tous les pauvres. Eh non! je prétends, au contraire, que l'Etat n'en doit à personne, attendu que la fortune de tous appartient à tous et non à quelques personnes. C'est en me plaçant sur le terrain où se met le cabinet que j'ai dit qu'il vaudrait mieux faire des sacrifices en faveur des tout pauvres ouvriers qu'en faveur des travailleurs qui peuvent former un pécule.

Messieurs, je ne reviendrai pas sur l'argumentation de l'honorable M. Mercier. Je reconnais que mes observations en ce qui concerne le manque de justice distributive de l'article 8, sont singulièrement amoindries par cette déclaration nouvelle de M. le ministre des finances que l'Etat ne sera pas appelé à faire des versements supplémentaires et gratuits à la caisse.

Dès lors, en effet, il y aura contrat volontaire; les assurés sauront d'avance à quoi ils s'exposent ; ils sauront qu'ils s'exposent à ce que la caisse soit rognée au profit de quelques personnes qui jouiront d'une rente dans des cas exceptionnels. Restera cependant cette injustice relative : c'est que les futurs assurés auront d'autant moins, ou payeront d'autant plus, que les cas d'application de l'article 8 deviendront plus nombreux.

L'explication était nécessaire, car les deux rapports, celui de la section centrale et celui de la commission, prévoyaient le cas où le gouvernement aurait à arroser la caisse. Mais si aujourd'hui il est bien entendu que la caisse devra se suffire à elle-même et qu'on élèvera les tarifs à mesure des besoins de la caisse, je ne m'oppose plus, sous ce rapport, à l'adoption de l'article.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les rentes acquises resteront acquises.

M. Coomans. - C'est bien entendu; je ne parle que pour l'avenir.

Messieurs, je ne puis me dispenser de répondre à cette observation de l'honorable M. Cars, qu'il a encore reproduite aujourd'hui, c'est qu'il est bon que les ouvriers étrangers viennent augmenter la concurrence intérieure dont l'abus exerce déjà chez nous de grands ravages. M. Cans vous a rappelé que le temps n'est pas éloigné de nous où l'émigration des ouvriers étrangers produit une excellente influence sur l'industrie belge.

Messieurs, je le reconnais; mais l'honorable M. Cans a perdu de vue qu'il s'agit ici de l'article 8, qui n'est applicable qu'aux estropiés, aux manchots, aux invalides de tout genre qui ne peuvent plus travailler. Je serais vraiment curieux de savoir comment l'honorable M. Cans (page 259) s'imagine que ces ouvriers impotents feront progresser notablement l'industrie belge? Je dis que ce ne sont pas là des hommes qui viendront favoriser les progrès de nos manufactures.

Remarquez que tous les ouvriers étrangers, résidant de l'autre côté des frontières, sont admis à acheter des rentes dans votre caisse de retraite. Pour en jouir, il leur suffira de venir se fixer chez nous, au jour de l'échéance, c'est-à-dire quand ils auront l'âge requis ou quand le cas d'impotence se présentera selon l'article 8. De façon que des Français, blessés en France, pourront venir, au bout de cinq ans, vivre ici en qualité de créanciers de l'Etat. Cette libéralité est fort belle peut-être, mais elle est certes imprudente.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je suis vraiment fâché d'être entraîné à répondre à l'honorable M. Coomans. Je ne comprends pas cette répulsion à l'égard des ouvriers étrangers.

M. Coomans. - Nous en avons trop chez nous.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'en ai pas fait la statistique. Mais je pense que, relativement, il y a beaucoup plus de Belges à l’étranger qu'il n'y a d'étrangers en Belgique; et avec les principes de l'honorable M. Coomans, qu'arrivera-t-il? C'est que tous les pays seraient portés à renvoyer les nombreux ouvriers belges qui se trouvent chez eux. De pareils principes ne sont pas de notre époque.

Que signifie cette répugnance contre les ouvriers étrangers? Le gouvernement, encouragé par l'opinion, soutenu par les chambres, cherche à introduire des industries nouvelles dans le pays. Mais, en empruntant des industries nouvelles aux étrangers, n'est-il pas naturel qu'il accueille des ouvriers étrangers qui mettront en œuvre ces industries? Voulez-vous repousser les ouvriers étrangers? Repoussez aussi les industries nouvelles. Voulez-vous que ceux qui travaillent à implanter des industries nouvelles dans le pays soient chassés? Chassez aussi les industries et faites, jusqu'à épuisement, de la routine et du paupérisme.

Messieurs, gardons-nous de pareils moyens : évitons qu'une semblable politique ne soit retournée contre nous. Rappelez-vous l'indignation que nous avons tous éprouvée, lorsque nous avons vu revenir de France et d'Allemagne un grand nombre de nos ouvriers belges repoussés de ces pays par ce même esprit que l'honorable préopinant veut faire prédominer dans cette enceinte.

M. Coomans. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). Mais il faut le dire, cet esprit-là venait d'en bas, il ne venait pas d'en haut, et j'espère qu'en Belgique cet esprit ne viendra ni d'en haut ni d'en bas.

M. Coomans (pour un fait personnel). - Messieurs, le fait est véritablement personnel. M. le ministre de l'intérieur m'accuse d'être animé du même esprit que les hommes qui ont commis l'action dégradante, inhumaine, d'expulser nos compatriotes de la France. C'est une des accusations les plus graves qu'on puisse m'adresser ; je la repousse de toutes les forces de ma conscience indignée.

Messieurs, ai-je dit un seul mot qui puisse autoriser l'honorable ministre à croire que, dans mon opinion, il faut expulser les étrangers du pays? Non. C'est la seconde fois que M. le ministre me compare aux émeutiers de France, aux rouges cramoisis qui ont expulsé lâchement nos compatriotes en mars 1848.

Si quelqu'un ici a protesté vivement contre cet acte barbare, c'est moi; et en ce moment je proteste avec une émotion pareille, contre les insinuations injurieuses que M. le ministre se permet à mon égard.

M. le ministre a dit que je suis animé, à l'égard des étrangers, du même esprit qui excitait les émeutiers français contre nos compatriotes, que je veux des expulsions en masse. Cela n'est pas. Je tiens si peu à ce qu'on expulse de Belgique qui que ce soit, que je suis un des adversaires les plus convaincus de l'émigration. Ce n'est pas moi qui conseillerai à nos compatriotes d'abandonner le sol sacré où ils ont vu le jour. Ce n'est pas moi qui ferai de folles dépenses pour faciliter l'émigration systématique de nos frères et sœurs. C'est M. le ministre qui professe la politique d'expulsion. L'émigration n'est pas nécessaire; il n'y a pas trop de Belges en Belgique; il n'y en a pas assez encore. Une Belgique bien gouvernée, une Belgique dont la principale industrie ne serait pas mise hors du droit commun, une Belgique qui tirerait parti de toutes ses ressources et que de fausses doctrines ne ruineraient pas, pourrait nourrir non seulement 4,500,000, mais 6 millions d'habitants, et peut-être davantage.

Tout ce que j'ai dit, c'est que nous ne devons pas encourager l'arrivée dans notre pays, de concurrents étrangers, dont la vieillesse sera une charge publique; il y a une grande différence entre mes paroles et les intentions mauvaises que me prête avec si peu de bienveillance l'honorable ministre de l'intérieur. (Interruption.)

M. T'Kint de Naeyer, rapporteur (pour un fait personnel). - Messieurs, quelques passages du premier discours que l'honorable ministre de l'intérieur a prononcé sur l'article qui est en discussion pourraient faire croire que la section centrale n'a pas compris la portée de l'article 8, que les explications qui ont été consignées dans le rapport sont inexactes. Il a toujours été parfaitement entendu que les charges résultant de l’article 8 deviendront un des éléments du tarif; mais il n'en est pas moins incontestable que les renseignements statistiques sont jusqu'à présent très incomplets; cela est tellement vrai que M. le ministre de l'intérieur, répondant à une demande de renseignements qui lui avait été adressée par la section centrale, s'est exprimé dans les termes suivants ;

« Les charges qui peuvent résulter, pour la caisse des retraites, de la jouissance anticipée des rentes, ne sont pas entrées en ligne de compte dans les tarifs, par la raison que les données nécessaires pour les évaluer font défaut jusqu'à présent. Toutefois les indications qui ont déjà pu être recueillies font supposer que ces charges ne seront pas considérables. »

Eh bien, messieurs, je persiste à croire que le gouvernement ne sera pas en mesure de faire entrer dans les calculs des tarifs, avant la promulgation de la loi, un élément basé sur des fails qui ne sont pas encore suffisamment étudiés.

Il ne faut pas s'en alarmer, car on raisonne toujours dans la plus mauvaise hypothèse; on pense que les opérations de la caisse devront nécessairement solder en perte. Nous croyons le contraire, et si nous avons laissé entrevoir, dans le rapport, l'éventualité d'un subside que l'Etat serait peut-être dans le cas d'accorder, nous avons été amenés à cette conclusion, parce qu'il serait impossible d'affirmer d'une manière absolue le contraire, aussi longtemps que les tarifs ne pourront pas tenir compte des charges qui résulteront de la jouissance anticipée d'un certain nombre de pensions.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'ai écoulé avec beaucoup d'attention l'honorable préopinant et j'avoue que je ne comprends pas ce qu'il a pu voir de personnel dans les explications que j'ai données. Ces explications tendaient à établir que l'opinion du gouvernement a toujours été que la caisse devait se suffire à elle-même et, sous ce rapport, je me suis mis d'accord avec la commission chargée de la rédaction du projet de loi. Voilà, messieurs, tout ce que j'ai voulu dire, et je n'y vois rien qui puisse concerner personnellement l'honorable rapporteur de la section centrale.

M. d'Hondt. - Messieurs, j'avais demandé la parole tantôt, lorsque j'ai entendu l'honorable ministre des finances nous dire, à deux reprises, la première fois en réponse à l'honorable M. Coomans, la seconde fois, en réplique à l'honorable M. Delfosse, que dans son intention et en vertu de l’article 8, il fallait que l’infirmité permanente résultant d'un accident eût été contractée par l'assuré dans l'exercice de sa profession. C'était là une erreur évidente de la part de l'honorable ministre. Car, non seulement l'article 8 n'exige pas cette condition, ne dit pas ce que nous déclarait l'honorable ministre; mais cet article, conforme en cela à l'opinion et de la commission et de la section centrale, décidait tout le contraire. Et, en effet, l'on y voit consacrée une seule et unique exception, savoir pour l'infirmité contractée au service militaire. Or, il est de principe incontestable qu'en faisant une exception pour ce seul cas, notre article consacrait la règle pour tous les autres cas en général.

Il est de toute évidence, messieurs, que si l'article 8 eût entendu limiter la faveur de son application aux seules infirmités résultant d'un accident survenu dans l'exercice de la profession de l'assuré, il devenait inutile de prévoir et d'excepter le cas où ces infirmités eussent été contractées au service militaire ; car la loi, qui a principalement en vue les classes ouvrières et laborieuses de la société, savait fort bien que l'exercice de leur profession excluait toute idée de service militaire.

Au reste, messieurs, l'amendement que vient de proposer l'honorable ministre des finances érige maintenant son opinion en texte nouveau et formel, et, tout en ralliant mon suffrage, cet amendement me dispense d'observations ultérieures.

- La clôture est demandée.

M. Mercier (contre la clôture). - Messieurs, je pense qu'on ne peut pas clore la discussion alors que les dernières paroles de l'honorable rapporteur, qui n'ont été contredites par aucun des ministres, semblent modifier de nouveau l'état de la question. (Interruption.)

Elles modifient l'état de la question parce que le gouvernement avait déclaré que, dans le calcul des tarifs, on aurait égard aux pensions à accorder en vertu de l'article 8, et que M. T'Kint de Naeyer a déclaré, au contraire, que cet élément ne pourrait être pris en considération qu'après une certaine expérience.

J'estime, d'après la déclaration de M. le ministre, qu'il ne pourra pas faire entrer dans ses calculs d'une manière rigoureusement exacte un élément dont il ne connaît pas l'importance, mais qu'il fera une appréciation quelconque des charges que l'article 8 peut entraîner.

M. Thibaut. - Je désirerais pouvoir adresser une seule question au gouvernement. Je voudrais lui demander si, dans l’établissement du premier tarif, on tiendra compte des éventualités que prévoit l'article 8.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On demande que le gouvernement veuille tenir compte d'un élément inconnu; eh bien, je me déclare impuissant à le faire. Je déclare que, dans la pensée du gouvernement, cet élément doit entrer en ligne de compte lorsqu'il aura été possible de constater à quel point il peut affecter les tarifs. L'Etat ne sera pas pour cela en perte; il n'y aura pas de subside pour la caisse, car bien d'autres causes encore peuvent faire que la caisse ne se trouve pas en déficit ou possède un excédant. Il peut y avoir d'autres causes de perte ou de boni : eh bien, lorsque ces causes seront connues, on modifiera les tarifs de manière que la caisse n'entraîne le gouvernement à aucun sacrifice.

M. Delfosse. - J'étais inscrit, mais je renonce à la parole. J'étais dispose à voter, en faveur de la classe des déposants qui vivent uniquement du travail, un subside limité quoique disent MM. les ministres, c'est (page 260) ce que nous allons voter, puisque, de l'aveu de M. le ministre des finances, les éléments à l'aide desquels on pourrait calculer les pertes résultant de l'article 8 sont inconnus. Mais je ne voulais pas admettre l'anticipation de jouissance après cinq années seulement, pour toute espèce d'infirmité permanente provenant d'un accident ; M. le ministre des finances ayant restreint l'article aux accidents survenus dans l'exercice de la profession, je n'ai plus de raison pour soutenir l'amendement de la section centrale, je renonce donc à la parole.

M. Cans. - Messieurs, j'ai demandé la parole contre la clôture, parce que je désirais répondre à un passage du rapport de la commission, dont l'honorable M. T'Kint de Naeyer vient de donner lecture. Je n'ai pas l'habitude d'abuser des moments de la chambre, et si elle veut me permettre de dire deux mots, je suis convaincu que je ferai cesser tous les doutes qui pourraient encore exister.

- La clôture est prononcée.

M. le président. - Pendant qu'on discutait sur la clôture, M. Coomans m'a fait parvenir un autre amendement. Ce serait un article additionnel. Nous nous en occuperons ultérieurement.

- L'amendement de M. Thibaut est mis aux voix; il n'est pas adopté.

M. le président. - Il y a maintenant l'amendement de la section centrale.

M. T'Kint de Naeyer, rapporteur. - Cet amendement vient à tomber.

- Le changement de rédaction proposé par M. Bruneau à l'article 8 est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Vient maintenant la disposition du gouvernement, telle qu'elle a été changée par la rédaction M. le ministre des finances.

- Cette rédaction formant l'article 8 est mise aux voix et adoptée telle qu'elle a été modifiée par M. Bruneau.

Article 9

« Art. 9 (projet du gouvernement). Les versements sont irrévocablement acquis à la caisse, à l'exception de ceux que la femme mariée a effectués et de ceux qui, conformément à l'article 6, ne sont pas convertis en rentes.

« Les premiers seront restitués à qui de droit sans accumulation d'intérêts; les seconds ne le seront qu'aux déposants, et seulement quand ils auront atteint l'âge auquel ils ne peuvent plus acquérir des rentes. »

« Art. 9 (projet de la section centrale). Les versements sont irrévocablement acquis à la caisse, à l'exception :

« 1° De ceux que la femme mariée a effectués sans autorisation ;

« 2° De ceux qui dépassent la quotité nécessaire pour l'acquisition du maximum de rente fixé par l'article 5

« 3° De ceux qui sont insuffisants pour être convertis en rentes (article 6).

« Les versements mentionnés aux n°1 et 2 seront restitués à qui de droit, sans intérêts.

« Les versements compris sous le n°3 seront aussi restitués sans intérêts, mais seulement lorsque le déposant ne pourra plus, à raison de son âge, acquérir des rentes ou après son décès. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je me rallie à la rédaction de la section centrale.

M. le président. - Ainsi la discussion s'établit sur le projet de la section centrale.

M. T'Kint de Naeyer, rapporteur. - Je crois qu'il y a ici d'abord une question de principe à trancher, c'est celle de savoir si tout ou partie des versements sera restitué.

M. le président. - Je dois d'abord faire connaître les amendements qui ont été présentés à l'article 9 ; après que les auteurs de ces amendements les auront développés, alors M. T'Kint pourra faire utilement ses propositions.

Il y a eu deux amendements à l'article 9, l'un est de M. Vanden Branden de Reeth, l'autre est de M. Mercier.

Voici l'amendement de M. Vanden Branden :

« Art. 9. En cas de décès de l'assuré avant l'époque fixée pour le payement du premier, douzième des arrérages de sa pension, les versements effectués par lui à la caisse seront capitalisés, et la somme totale, accrue des intérêts composés, sera remboursée, en trois annuités, à ses héritiers. »

M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, j'ai modifié cet amendement, en le reportant à l'article 10. Je l'avais d'abord présenté à l'article 9, parce que, dans mon opinion, c'était cet article qui posait le principe, comme vient de le dire l'honorable rapporteur de la section centrale. Mais après cela, examinant les articles 9 et 10, j'ai vu que l'article 9 s'applique plus directement aux déposants, tandis que l'article 10 stipule quelle sera la position de la famille vis-à-vis de la caisse. Comme mon amendement est relatif à la position de la famille, je l'avais reporté à l'article 10. Si cependant, comme vient de le dire l'honorable rapporteur, le principe est tranché par l'article 9, alors je serai obligé de maintenir mon amendement à l'article. 9, avec les modifications que j'y ai apportées.

M. le président. - Voici la nouvelle rédaction de M. Vanden Branden.

« En cas de décès de l'assuré avant l'époque fixée pour l'ouverture de sa pension, les versements effectués par lui à la caisse seront capitalisés, et la somme totale sera remboursée sans intérêts à ses héritiers, en trois annuités. »

Maintenant, où M. Vanden Branden veut-il placer son amendement ? Est-ce à l'article 9 ou à l'article 10?

M. Vanden Branden de Reeth. - Cela dépend de la manière dont la chambre appréciera la chose; si le principe est tranché par l'adoption de l'article 9, alors il est naturel que mon amendement soit porté à l'article 9, puisque le principe étant décidé, il n'y aurait plus lieu d'y apporter aucune modification. Je demande qu’on veuille s'expliquer à cet égard.

Il y a deux articles qui concernent les versements; ce sont les articles 9 et 10.

Maintenant il s'agit de savoir quel est celui des deux articles qui tranche le principe.

M. Mercier. - J'appuie la motion de l'honorable M. T'Kint ; comme la question de savoir si tout ou partie du capital pourra être remboursé, se rattache aux deux articles 9 et 10, il faudrait poser purement et simplement cette question-ci : Y aura-t-il une restitution ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). -La section centrale a introduit à l'article 9 un amendement portant :

« Les versements sont irrévocablement acquis à la caisse, à l'exception :

« 1° …

« 2° De ceux (des versements) qui dépassent la quotité nécessaire pour l'acquisition du maximum de rente fixé par l'article 5. »

« 3° De ceux qui sont insuffisants pour être convertis en rentes (article 6).

« Les versements mentionnés aux numéros 1° et 2° seront restitués à qui de droit sans intérêts. »

Il y a lieu de maintenir l'exception du dernier alinéa de l'article 3, il faut dire : « Sauf l'exception établie par le dernier alinéa de l'article 5. »

M. T'Kint de Naeyer, rapporteur. - Nous sommes d'accord.

M. le président. - La discussion va s'ouvrir sur les articles 9 et 10.

M. Thibaut a proposé l'amendement suivant à l'article 9 : remplacer le 1° par ce qui suit : « De ceux qui sont faits par la femme mariée ou en son nom sans autorisation et pour le mineur par d'autres que le tuteur. »

M. Thibaut. - Cet amendement était la conséquence de celui que j'avais présenté à l'article 3. La chambre n'ayant pas admis le premier, celui-ci vient à tomber; je le retire.

M. le président. - Voici l'amendement proposé par M. Mercier: « Au décès du déposant avant ou après l'ouverture de la pension, le capital sera remboursé à ses héritiers, sans intérêts.

« Si l'Etat succède, ce capital fait retour à la caisse de retraites. »

M. Mercier. - Messieurs, le reproche que j'ai toujours vu adresser aux institutions de la nature de celle que nous discutons est de développer chez l'homme des sentiments d'égoïsme en le poussant à priver sa famille de sommes nécessaires à son existence pour se faire un avantage personnel.

Pour atténuer ce reproche, ce vice inhérent à l'institution, le projet présenté en France à l'assemblée constituante et à l'assemblée législative, stipule que le capital, sans intérêt, sera restitué aux héritiers avant ou après l'ouverture de la pension.

Cette disposition est très sage. Le déposant n'encourra plus des reproches mérités de la part de sa famille qui, dans l'hypothèse contraire, serait entièrement spoliée des fonds versés à son profit exclusif. Le projet encourage ce sentiment d'égoïsme, en permettant à l'un des deux époux de se faire une rente viagère sans que, le plus souvent, il soit facultatif à l'autre de se faire le même avantage. En fait, c'est le plus faible, c'est la femme qui sera victime de la disposition que je combats; en outre l'aliénation du capital aura pour effet qu'au décès de l'un des époux les enfants se trouveront le plus souvent dans la détresse. Je demande donc qu'on ne prononce pas cette aliénation, qu'on le rembourse sans intérêt à la famille, aux héritiers. Ce n'est pas sans motif que cette disposition a été introduite dans le projet de loi français; car le premier projet, celui de 1841, ne portait pas la clause relative à la restitution du capital; c'est après les critiques qu'a soulevées l'aliénation, que le principe de la restitution a été introduit.

Dans le nouveau projet, devons-nous, messieurs, exciter de préférence les versements à la caisse de retraite au détriment d'autres institutions? Je considère les dépôts à la caisse d'épargne comme devant être encouragés autant et plus qu'à la caisse de retraite. Si vous encouragez la constitution de rentes personnelles au profit d'un seul membre de la famille et à l'exclusion des autres, vous nuisez aux dépôts de la caisse d'épargne. Si on restitue aux héritiers des déposants le capital sans intérêts, ceux qui ont de bons sentiments pourront verser à la caisse d'épargne aussi bien qu'à la caisse de retraite, puisqu'ils ne porteront pas un grand préjudice à la famille. Je demande donc que la chambre veuille bien accueillir mon amendement comme étant plus conforme aux devoirs des père et d'époux.

M. le président. - Voici l'amendement de M. Vanden Branden de Reeth.

« Art. 9. En cas de décès de l'assuré avant l'époque fixée pour l'ouverture de sa pension, les versements effectués par lui à la caisse seront capitalisés, et la somme totale sera remboursée à ses héritiers, sans intérêt, en trois annuités. »

M. Vanden Branden de Reeth. - Comme j'ai déjà en grande partie développé les motifs de cet amendement, pour ne pas abuser des moments de la chambre, si la chambre veut s'en référer à ce que j'ai dit précédemment, je ne prendrai pas la parole ou ce moment, mais je demanderai à être inscrit pour parler dans la discussion,

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je dois combattre l'amendement qui vous est présenté; il est destructif de l'institution qui vous est soumise. Il est évident qu'il aurait pour résultat de faire ou bien que les rentes seraient insignifiantes ou bien que les versements pour les acquérir seraient exagérés, si on doit réserver le capital pour en opérer la restitution. Si, dit l'honorable membre, on veut faire espérer une rente d'une certaine importance, qu'on exige un versement plus considérable; mais alors la loi deviendrait inapplicable; elle ne pourrait plus être utile à ceux à qui vous voulez qu'elle profite.

Sur quoi s'appuie-t-on pour proposer la restitution du capital? Sur ce qu'on porte atteinte à l'esprit de famille, qu'on permet à un des membres de détourner une partie du capital qui aurait constitué un héritage pour les enfants.

Il n'y a pas d'héritage pour les familles d'ouvriers. Si elle n'est pas appliquée à la caisse des retraites, la somme sera dissipée; il ne restera rien. Cette observation n'est pas de moi, elle a été admirablement développée par M. Michel Chevalier à propos des caisses de retraite. M. Michel Chevalier, qu'on cite à tort comme hostile à ces caisses, insiste pour que de semblables institutions soient organisées par l'Etat. Voici comment il s'exprime :

« Cette institution complémentaire des caisses d'épargne n'aurait aucune espèce d'inconvénients. C'est à tort qu'on élèverait contre elle les accusations dont les pensions viagères sont ordinairement l'objet, qu'elle dissiperait des capitaux formés, qu'elle relâcherait les liens de famille. La caisse des retraites ne détruirait point des capitaux préexistants, puisqu'au lieu de fonds préalablement accumulés, elle recevrait des épargnes successives réservées à son occasion et que très probablement, sans elle, on aurait dépensées. Les pensions des employés de l'Etat ont exactement le même caractère, et tout reproche de dissipation d'un capital adressé à la caisse de retraites dont il est question ici, retomberait de tout son poids sur les pensions de retraite des fonctionnaires. »

En effet, si les observations de l'honorable M. Mercier sont fondées, il n'aurait pas dû concourir à l'institution d'une caisse de retraite, au profit des veuves et des orphelins, sur les bases que j'ai indiquées. Il aurait dû poser en principe la réversibilité de la retenue au profit des héritiers de ceux qui n'auraient pas été admis à la jouissance de la pension. C'est ce qu'il s'est bien gardé de faire, parce que c'eût été destructif de l'institution. Ces considérations doivent faire écarter l'amendement qu'il propose.

Ecoutez encore M. Michel Chevalier, répondant à ceux qui soutiennent que l'institution des caisses de retraite porte atteinte à l'esprit de famille.

« Aucune atteinte, dit-il, ne serait portée à l'esprit de famille. Parmi les populations ouvrières, il n'y a point d'héritage: ce n'est donc point ici le lieu de parler de patrimoine dissipé. Aujourd'hui l'ouvrier, quand les infirmités de l'âge sont venues le rendre incapable de travail, est à la charge de ses enfants. Le respect pour la vieillesse se maintient difficilement intact, excepté chez les natures supérieures, là où il faut que chacun se prive, pour le vieillard, d'une partie de sa pitance. Le sentiment de famille s'attiédit, lorsque les fils sont forcés de partager avec le père une subsistance à peine suffisante.

« Les premiers besoins matériels ont une force brutale, impérieuse, à laquelle les affections de famille opposent rarement une longue résistance, chez le commun des hommes. Si, au contraire, le travailleur émérite apportait, par sa pension, un revenu fixe dans le ménage, il apparaîtrait aux siens comme une petite providence; au lieu d'être froissé, le sentiment de famille trouverait alors, dans les conditions d'existence matérielle de la petite communauté, un encouragement qui le vivifierait. »

Voilà la défense de l'institution que nous vous proposons. Les mêmes raisons qui nous ont déterminé à présenter le projet de loi nous déterminent à repousser cet amendement, qui aurait pour effet de porter une atteinte radicale à l'institution.

M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, avant de présenter de nouveaux motifs à l'appui de mon amendement à l’article que nous discutons, je dois expliquer en quelques mots à la chambre les raisons qui m'ont engagé à le déposer et à insister fortement en sa faveur.

Je suis partisan, je dois le déclarer, de la création d'une caisse de retraite pour les ouvriers lorsqu'elle est restreinte dans de justes et sages limites, et je désire que cette institution prenne racine dans le pays.

Je suis donc parfaitement d'accord sur ce point, et avec le gouvernement et avec la section centrale, et le but que nous poursuivons est le même. S'il y a pour le moment quelque divergence dans notre manière de voir, elle porte uniquement sur l'emploi des moyens.

Je crois, que l'acquisition irrévocable à la caisse de tous les versements, même en cas de prédécès de l'assuré, sera de nature à éloigner un grand nombre de déposants, et c'est parce que je désire franchement que l'institution, que nous allons fonder, prospère, que je veux écarter une disposition que je considère devoir être un empêchement à une réussite complète.

Je sais, messieurs, qu'en règle générale, la première condition des sociétés d'assurances, c'est de donner les primes les plus élevées en abaissant, autant que possible, le taux des mises, et l'on m'objectera que mon amendement va à rencontre de ce principe. Ainsi l'honorable rapporteur de la section centrale n'a pas manqué de me dire que je n'avais pas bien compris le véritable principe des assurances, celui d'astreindre chaque associé au versement le moins élevé possible.

Je répondrai à l'honorable rapporteur, qu'en principe, je suis parfaitement d'accord avec lui, mais que, quant à son application au projet de loi exceptionnel que nous discutons, je ne le suis plus, et je m'explique.

Il faut non seulement, dans le cas qui nous occupe, que l'associé soit astreint au versement le moins élevé possible; mais il faut encore que les conditions que vous faites à cet associé ne soient pas de nature à l'éloigner de toute participation à votre caisse.

Dans les assurances ordinaires, quels sont les contractants? Sont-ce des hommes qui sacrifient tout leur avoir, qui prennent sur leur nécessaire, pour s'assurer une prime? Evidemment non!

Mais ici la caisse d'assurances que nous voulons fonder est une institution, je l'ai déjà dit et j'insiste sur ce point, exceptionnelle: ici l'enjeu, c'est l'épargne de l'ouvrier péniblement acquise, c'est ce qui constitue souvent tout son avoir; je dis donc que le principe que vous invoquez n'est pas applicable, et vous pouvez fort bien élever quelque peu les versements sans contrevenir au principe des sociétés d'assurances si, en même temps, vous assurez à l'ouvrier déposant d'autres avantages. Et ce sera un immense avantage pour lui s'il sait que, dans aucun cas, le dépôt qu'il fait à la caisse ne sera perdu pour sa famille.

Mais on me dira : Vous craignez d'éloigner l'ouvrier de la caisse, et d'un autre côté, vous enlevez le principal stimulant qui pourrait l'engager à déposer, c'est-à-dire l'élévation du taux de la rente qu'il pourra s'assurer au moyen de versements peu élevés.

Eh bien! messieurs, d'après ma proposition, au lieu d'un stimulant, j'en trouve deux.

L'ouvrier n'est pas toujours un célibataire ; il est bien plus souvent père de famille, et c'est surtout dans cette position que son sort m'intéresse. Quel sera le raisonnement qu'il tiendra en présence des deux modes d'assurances? D'après le mode adopté par le projet, il dira ; Si je dépose quelques épargnes à la caisse de retraite, je puis m'assurer quelques ressources pour mes vieux jours; mais si je viens à mourir avant l'âge désigné pour l'ouverture de cette rente, cet argent, qui serait si nécessaire alors à ma famille, cet argent sera perdu à tout jamais. Le sacrifice que je veux imposer aujourd'hui à ma famille ne recevra aucune compensation. Et il ne déposera pas.

D'après ma proposition, quel sera, au contraire, le langage qu'il tiendra : j'impose, dira-t-il, un sacrifice à ma famille en déposant à la caisse de retraite quelques épargnes prises même sur le nécessaire, et cela pour mettre ma vieillesse à l'abri de la misère, pour ne pas tomber, dans mes vieux jours, à charge à ma famille. Le chiffre de la rente que je m'assure n'est pas très élevé, mais aussi si je viens à mourir, cet argent profitera à ma femme, à mes enfants; j'ai donc un double but, j'ai un double stimulant. Et il versera avec confiance ses épargnes à la caisse.

Je sais, messieurs, que mon amendement peut déranger les calculs du gouvernement ; mais à côté des combinaisons financières le plus savamment courues, il y a aussi des considérations morales qui ont une grande valeur.

Oui, il faut encourager, favoriser l'épargne, mais il ne faut pas l'absorber.

Oui, il faut encourager l'homme à songer à se ménager quelques ressources pour ses vieux jours; mais il ne faut pas que cette préoccupation fasse naître, chez le père de famille, un sentiment égoïste qui lui fasse oublier les devoirs qu'il a à remplir envers ses enfants.

Si vous n'inscrivez pas dans la loi une disposition qui assure au moins quelque avantage à la famille du déposant en cas de prédécès, vous donnerez, par cette même loi, une prime d'encouragement à l'égoïsme.

Il est encore une considération que je désire faire valoir et qui est toute en faveur de ma proposition.

L'on s'occupe beaucoup aujourd'hui, et l'on a grandement raison, des moyens d’augmenter le travail, et l'on est généralement d'accord que le premier élément du travail, c'est la circulation des petits capitaux, je dis à dessein des petits capitaux, car les grands capitaux profitent peu à cette classe de travailleurs dont je m'occupe et à laquelle je m'intéresse surtout.

Les gros capitaux sont en main de gros financiers qui, au moyen d'opérations courues sur une vaste échelle, réalisent de gros bénéfices qui ne profitent qu'à eux seuls.

Les petits capitaux au contraire, répandus à l'infini, voilà ce qui doit améliorer le sort du travailleur en lui donnant ses petits bénéfices journaliers.

Eh bien, par votre caisse de retraite vous allez immobiliser une partit! de ces petits capitaux.

Par le remboursement que je propose à la famille de l'assuré, mort avant d'avoir atteint l'âge de sa pension, je viens diminuer ce grave inconvénient, en rendant au moins une partie de ces petits capitaux à la circulation.

Messieurs, une dernière réflexion avant de terminer.

Vous dites que, par votre institution, vous voulez que l'ouvrier, devenu invalide, ait une autre perspective que celle de l'hospice. Mais en séparant complétement les intérêts personnels de l'ouvrier de ceux de sa famille, savez-vous à quel résultat vous arrivez?

(page 262) Vous lui enlevez, il est vrai, la perspective de n'avoir dans ses vieux jours pour toute ressource que l'hospice, mais en cas de mort prématurée, vous envoyez sa femme et ses enfants au bureau de bienfaisance.

Il y a, messieurs, entre l'amendement présenté par l'honorable M. Mercier et le mien, une différence essentielle.

L'honorable M. Mercier voudrait que le remboursement du capital eût lieu au décès de l'assuré, même après l'ouverture de la pension. Quant à moi, je demande seulement ce remboursement à la famille en cas de prédécès de l'assuré.

Les motifs qui militent en faveur de ce remboursement, limité à ce dernier cas, je les ai déjà exposés à la chambre et je n'y reviendrai plus; je dois dire seulement pourquoi je n'adopte pas la proposition de l'honorable M. Mercier, qui veut étendre cet avantage même après le décès de l'assuré.

Quel est le but que nous nous proposons, et, je dirai, que la société se propose? C'est d'empêcher que l'ouvrier, dans sa vieillesse, ne soit exposé à la misère, qu'il ne tombe à charge d'une famille qui souvent, faute de ressources, ne peut pas le nourrir et doit l'envoyer à l'hospice, où, messieurs, trop souvent il ne trouve pas même de place. S'il arrive à l'âge désigné pour sa pension, et s'il touche cette pension pendant 25 ans ou pendant un an, le but est également atteint: sa vieillesse aura été à l'abri de la misère.

Quant à la famille, on peut faire observer que lorsqu'un vieillard vient à mourir, il ne laisse pas des enfants en bas âge, comme il arrive fréquemment lorsqu'un ouvrier décède à 30 ou à 40 ans. A la mort du vieillard, ses enfants sont grands, ils sont élevés, ils peuvent se suffire à eux-mêmes : la pension dont il jouissait étant seulement alimentaire, la cessation du payement de cette pension ne privera pas la famille d'une ressource qui lui était nécessaire, puisque la dépense du ménage sera diminuée à peu près dans une même proportion.

Ainsi, messieurs, vous le voyez, dans ce dernier cas, la famille du pensionnaire pourra se passer du remboursement, tandis qu'il n'en peut être ainsi des enfants du déposant mort à 30 ou à 40 ans; pour ceux-ci, la petite épargne, le petit capital, si on peut l'appeler ainsi, péniblement et lentement amassé par le chef de la famille, sera indispensable pour faire face aux besoins les plus urgents.

D'un autre côté, messieurs, la proposition de l'honorable M. Mercier supprime toute action collective, puisque, dans tous les cas, le capital déposé devra être remboursé. Pour moi, je borne seulement le remboursement à certaines éventualités, et si par là je diminue, il est vrai, le taux de la rente, je laisse entièrement subsister la base sur laquelle la caisse est établie, c'est-à-dire l'action collective.

J'ai proposé aussi, messieurs, le remboursement à la famille en trois annuités; j'ai cherché à faire ressortir ailleurs l'avantage de cette disposition, je n'y reviendrai pas pour ne pas abuser des moments de la chambre.

Je ne puis donc me rallier à l'amendement de l'honorable M. Mercier, cl je crois avoir fait valoir des motifs suffisants pour espérer que la chambre voudra bien accueillir ma proposition.

M. T'Kint de Naeyer, rapporteur. - La question de principes que cet article soulève a été longuement discutée dans le sein de la section centrale. La majorité s'est prononcée en faveur de l'irrévocabilité des versements. Je viens donc, messieurs, combattre tous les amendements qui ont été déposés.

Les honorables préopinants soutiennent que le système de l'aliénation des mises est entaché d'immoralité, parce qu'il consacrerait une spoliation au détriment de la famille. Dans la discussion générale, les mêmes accusations ont été produites, et plusieurs orateurs ont invoqué, à l'appui de leur opinion, les rapports qui ont été présentés aux assemblées nationales de France, par MM. Férouillat et Benoist d'Azy. Mais ces honorables représentants du peuple ont eux-mêmes reconnu que le système que nous défendons ne blesse aucun principe d'équité; ils ont même laissé entendre qu'ils cédaient à un préjugé.

Voici en quels termes s'exprime l'honorable M. Benoist d'Azy, à l'égard du remboursement des mises :

« Dans le calcul de la rente à desservir, entre un élément qui n'a pas été admis dans les annuités anglaises » (vous remarquerez, messieurs, que le contraire a été erronément allégué dans la discussion générale), « sans accepter comme objection absolue l'observation que nous avons discutée au commencement de ce rapport, et qui représente comme immoral et égoïste l'acte de prévoyance qui porte l'ouvrier sage à prendre sur son salaire pour s'assurer une retraite, nous avons été frappés cependant de ce fait grave que la famille se trouve dépouillée d'un capital qui eût pu être économisé de même, mais à son profit, etc., etc. »

J'espère, messieurs, parvenir à vous démontrer que, loin de chercher à diminuer le capital qui doit être économisé au profit de la famille, nous sommes plus prévoyants que nos honorables adversaires, en laissant disponible pour les besoins du travail, la plus forte partie de ce capital.

On a dit, messieurs, que l'acquisition de rentes viagères avec aliénation du capital des mises ne convient guère qu'aux riches.

Le riche qui peut vivre de son revenu n'a pas besoin de se constituer une rente viagère. Mais il en est tout autrement de celui qui ne peut se constituer qu'un très petit capital.

Supposons qu'un ouvrier, arrivé à l'âge où il ne peut plus subvenir à ses besoins par son travail, ait, au moyen de ses économies accumulées à la caisse d'épargne, réalisé 1,000 francs. L'intérêt de cette somme ne suffisant pas à ses besoins, il sera forcé, pour y satisfaire, de consommer chaque année, en sus de ces intérêts, une partie de son capital, qu'il affecte ou qu'il n'affecte pas ce capital à l'acquisition d'une rente viagère.

La seule différence consiste en ce que, s'il acquiert une rente viagère il aura un revenu assuré et toujours le même jusqu'au terme de sa vie, tandis que, s'il se contente de faire un dépôt à la caisse d'épargne, il verra de jour en jour s'approcher avec effroi le moment où il sera tout fait dénué de ressources.

Est-ce à dire, messieurs, que nous voulons attirer toutes les épargnes des classes laborieuses en leur offrant une prime trop attrayante? La section centrale a émis une opinion diamétralement opposée dans son rapport; tous les honorables orateurs qui ont pris la défense du projet ont parlé dans le même sens.

Dans le système de la prévoyance, tel que nous le comprenons, il y a trois degrés.

La caisse d'épargne,

Les associations mutuelles.

Les caisses de retraite.

C'est à la caisse d'épargne que l'ouvrier doit porter la partie la plus considérable de ses économies.

A la caisse d'épargne, il fait un placement productif d'intérêts, il y forme un petit capital toujours disponible , qu'il pourra plus tard faire fructifier lui-même par son travail.

Savez-vous ce que l'ouvrier doit porter à la caisse de retraite? C'est cette part de son salaire qu'il laisse malheureusement le plus souvent au cabaret, qu'il dissipe sans fruit.

Et l'on vient sans cesse nous dire que les classes laborieuses n'ont rien à mettre à la caisse de retraite! L'honorable M. Van Hoorebeke vous a fait le tableau des progrès que les habitudes d'intempérance font chaque jour. Ne voyons-nous pas dans le Hainaut où les salaires sont, en général,, les plus élevés, un cabaret pour 115 ouvriers?

Ce n'est pas exactement un placement de fonds que l'ouvrier doit chercher à la caisse, il importe même qu'il se rende bien compte de l'opération qu'il fera; il s'agit d'un achat, il doit acheter, aux conditions les plus avantageuses, au plus bas prix possible, une pension à l'abri de tout risque.

Les honorables auteurs des amendements ne se bornent pas à faire acheter à l'ouvrier une rente viagère; ils lui offrent un placement.

Pour garder l'argent de l'assuré et pouvoir le lui rendre, ils demandent une prime supplementaire.il est impossible de le nier, je l'ai déjà démontré dans le rapport, il s'agit ici d'une question de tarifs. Si le capital est aliéné, le tari sera d'autant moins élevé; si le capital doit être remboursé, le contraire aura lieu.

L'honorable M. Mercier voudrait rembourser le capital au décès du déposant, avant ou après l'ouverture de la pension, sans intérêts.

Voyons comment les choses se passeront, en supposant que le décès du déposant survienne 42 ou 43 ans après le versement, lorsque le capital, augmenté des intérêts, se trouverait, je suppose, quadruplé...

M. Mercier. - Il serait plus que quadruplé.

M. T'Kint de Naeyer. - Tant mieux ! Mais je me borne à supposer, pour rendre la démonstration plus claire, que 100 francs deviendront un capital de 400 francs. La caisse ne se trouvera pas autorisée à conserver le capital primitif de 100 francs, mais on lui attribuera sans scrupule l'excédant de 300 francs. Comme si, dans votre système, la famille n'avait pas absolument le même droit à tout le capital qu'à une partie.

Et pour rembourser ces 100 francs, que fait-on? On oblige tous les déposants, lors même qu'ils n'ont pas de famille, lors même qu'ils sont sûrs de ne pas laisser d'héritiers, de payer en sus de la valeur de la rente le prix d'une assurance en cas de mort dont personne ne pourra profiter, en d'autres termes le prix d'une chose qui ne pourra pas être liv rée.

Le système de l'honorable M. Vanden Branden de Reeth présente, avec tous les inconvénients que je viens de signaler, une augmentation plus considérable encore des versements à effectuer. Or, plus les tarifs seront élevés, plus la caisse deviendra inaccessible aux classes laborieuses. Si nous entrons dans cette voie, elle méritera le nom de caisse de déception que l'honorable M. de Theux lui a donnée dans la discussion générale.

M. Vanden Branden de Reeth. - Vous n'avez pas tenu compte de la modification des intérêts.

M. T'Kint de Naeyer, rapporteur. - Il m'a été impossible de comprendre le nouvel amendement de l'honorable membre, lorsqu'il en a été donné lecture. On me dit qu'il se rapproche maintenant de celui de l'honorable M. Mercier. Il y a cependant encore cette différence que M. Vanden Branden de Reeth ne veut rembourser le capital que lorsque l'assuré n'aurait pas encore joui de la pension.

L'honorable membre maintient sans doute cette partie de son amendement?

M. Vanden Branden de Reeth. - Oui.

M. T'Kint de Naeyer, rapporteur. - Ainsi, messieurs, dans ce système modifié, en supposant que le capital accumulé pour avoir droit, à l'âge de 60 ans, à une pension de 120 francs, s'élevât à 1,000 francs, il faudrait rembourser ce capital ; la famille si le déposant venait à mourir à l'âge de 60 ans moins un jour: mais s'il avait vécu 60 ans et un mois, c'est-à-dire s'il avait touché un terme mensuel de rente montant à 10 francs, la caisse pourrait, sans blesser les prétendus droits de l'équité (page 263) que l’on invoque, conserver les 900 francs que le déposant n’a pas touchés.

Le système de l’honorable membre implique d’ailleurs, comme j’ai déjà eu l’honneur de le dire, le rejet du projet de loi qui est en discussion.

En terminant, messieurs, je supplie la chambre de ne pas établir une véritable confusion entre la caisse d'épargne et la caisse de retraite.

L'épargne doit autant que possible être productive; à la caisse de retraite, elle ne l'est qu'éventuellement.

Ce n'est donc que la fraction la plus minime de l'épargne, celle qui peut être aliénée sans aucun inconvénient, que l'ouvrier doit verser à la caisse de retraite.

M. Mercier. - Messieurs, j'ai été quelque peu étonné de voir l'honorable rapporteur de la section centrale invoquer l'opinion de M. Benoist d'Azy ; cet honorable député, à l'assemblée législative, a parlé du reproche d'égoïsme, adressé aux caisses de survie, et pour atténuer ce vice incontestable, il a proposé précisément ce que je propose moi-même et ce non pas en son nom seulement, mais au nom du comité du travail de l'assemblée; ce comité a été frappé de cette conséquence grave que lorsque le titulaire vient à décéder, sa famille, par suite de l'aliénation du capital déposé, est privée des économies versées à la caisse, et souvent nécessaires à son existence.

L'honorable membre paraît s'imaginer qu'un simple ouvrier va déposer à la fois, jusqu'au maximum possible, à la caisse d'épargne, puis verser à la caisse de retraite, puis encore à la société de secours mutuels

Mais, messieurs, ce sera là la très rare exception ; dans la plupart des cas, c'est un choix qu'il faudra faire entre la caisse d'épargne et la caisse de retraite; poussé par un sentiment d'égoïsme, c'est à cette dernière qu'on s'adressera peut-être. Ainsi exagérer les avantages exclusifs de cette caisse, ce ne serait pas agir conformément aux bons principes; ce serait créer un stimulant pour déterminer le père de famille à manquer à ses devoirs envers ses enfants.

D'un autre côté, on exagère la réduction qu'éprouverait la pension, si l'on restituait le capital au décès. Qu'on réfléchisse qu'à l'époque où cette pension sera conférée, le capital ne formera plus qu'une assez faible fraction de la somme capitalisée.

L'honorable M. T'Kint a parlé d'un terme de 40 ans, après le dépôt; mais après 40 ans, le capital ne formera guère que la septième partie des fonds accumulés par suite de l'intérêt composé et des décès; ainsi la rente ne sera atténuée que dans la même proportion.

Messieurs, on a cité aussi l'opinion de M. Michel Chevalier : cette opinion s'est produite il y a déjà un assez grand nombre d'années, et s'appliquait à l'institution en général. Il n'en résulte pas que M. Michel Chevalier ne chercherait pas lui-même à atténuer le vice incontestable de cette institution, en épousant l'opinion qui veut le remboursement du capital.

C'est à tort aussi qu'on a cité les pensions des fonctionnaires publics. Cette objection a pu se faire dans un autre pays, où les veuves et les orphelins n'ont pas de pension; chez nous, une loi que je me fais honneur d'avoir présentée, a consacré le principe d'une retenue à imposer sur les traitements des fonctionnaires publics, pour créer une pension à leurs veuves et à leurs orphelins.

C'est donc précisément le contraire de ce que vous vouliez établir par le projet qui est en discussion; donc mon objection, loin de s'appliquer à l'amendement que je présente, milite en sa faveur. Je demande pour la veuve et les orphelins ce que la loi des pensions fait pour eux en Belgique.

Enfin, je pense, qu'à défaut d'une pareille stipulation, vous éloignerez de la caisse de retraite beaucoup d'honnêtes pères de famille.

M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, l'honorable rapporteur a dit que mon système bouleversait celui du gouvernement, et probablement il a fait allusion par là à un système que j'avais développé lors de la discussion générale; mon amendement actuel n'est pas un système nouveau; il est le même que celui qui a été présenté par l'honorable M. Mercier, mais considérablement modifié en faveur de la caisse. Je tiens à faire cette déclaration, parce que l'honorable rapporteur a prétendu que mon amendement faisait une position plus mauvaise à la caisse que l'amendement de l'honorable M. Mercier. C'est une erreur : Car je ne propose le remboursement qu'en cas du prédécès de l'assuré; tandis que l'honorable M. Mercier, au contraire, veut que le remboursement ait lieu avant comme après le décès de l'assuré. Mon amendement n'est autre chose, d'une part, qu'une question de tarif, et de l'autre, qu'une question d'humanité.

- La discussion est close.

L'amendement de M. Mercier est mis aux voix et n'est pas adopté.

L'amendement de M. Vanden Branden de Reeth est ensuite mis aux voix et n'est pas adopté.

L'article 9, avec l'addition proposée par M. le ministre des finances, est mis aux voix et adopté.

Article 10

« Art. 10. La caisse ne contracte aucune obligation envers les familles des assurés. Toutefois, en cas d'indigence, elle pourvoit aux funérailles des assurés décédés postérieurement à l'entrée en jouissance de leur rente. »

- Adopté.

Article additionnel

M. le président. - Viendrait ici l'amendement additionnel de M. Coomans; il demande que tous les articles précédents soient exclusivement applicables aux Belges de naissance ou par la naturalisation ; M. Coomans insiste-t-il pour que cet amendement soit mis aux voix?

M. Coomans. - Non, M. le président, pour épargner les moments de la chambre.

Article 11

« Art. 11 (projet du gouvernement). Les rentes sont incessibles et insaisissables. Néanmoins, dans les cas prévus par les articles 203, 205 et 214 du Code civil, si les rentes accumulées dépassent 360 fr., elles peuvent être saisies jusqu'à concurrence d'un tiers, sans que la partie réservée puisse jamais être inférieure à cette somme. »

« Art. 11 (projet de la section centrale). Les rentes qui ne dépassent pas 360 francs sont incessibles et insaisissables.

« Si elles dépassent 360 francs, l'excédant peut être saisi ou cédé, mais seulement après l'entrée en jouissance. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement ne se rallie pas à l'amendement de la section centrale.

M. Delfosse. - La discussion qui a eu lieu sur l'article 5 a prouvé que l'intention de la chambre est de rendre les rentes entièrement insaisissables ; il ne peut donc plus être question de l'amendement de la section centrale.

M. T'Kint de Naeyer, rapporteur. - J'ai déjà eu occasion de dire que je partageais, sur ce point, l'opinion de la minorité de la section centrale. Je ne vois, pour ma part, aucun inconvénient à supprimer l'amendement.

- L'article 11 du projet du gouvernement est mis aux voix et adopté.

Article 12

« Art. 12. Toute personne est admise à verser des fonds et à prendre des livrets pour le compte et au nom de tiers ; mais les rentes ne seront payées qu'à ceux-là seuls au profit desquels elles sont inscrites. »

M. le président. - M. Thibaut a présenté l'amendement suivant qui consiste à ajouter :

« A moins qu'elles ne soient dans l'impossibilité de se présenter au bureau du payeur. Cette impossibilité sera constatée par un certificat du bourgmestre, lequel, joint au livret dont il est fait mention à l'article 14, vaudra procuration pour celui qui en sera porteur. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est de droit.

M. Thibaut. - Je crois entendre M. le ministre de l'intérieur déclarer que l'amendement est inutile, c'est-à-dire que dans la pratique, lorsque l'assuré ne pourra se rendre de sa personne à la caisse, pour percevoir les rentes, il pourra se faire représenter. M. le ministre me fait un signe approbatif. Alors mon but est atteint, et je retire mon amendement.

M. le président. - M. de Theux propose à l'article 12 un paragraphe additionnel ainsi conçu : « Il n'est pas dérogé aux droits et conventions qui règlent les droits des époux ou de leurs héritiers, quant à la rente constituée par l'un des époux. »

M. de Theux. - La disposition du projet du gouvernement a pour objet de décider que si quelqu'un constitue une rente viagère au profit d'un tiers, celui au profit de qui la rente est constituée a seul le droit de la toucher et non celui qui l'a constituée.

Je ne critique en aucune manière cette disposition. Vous vous rappellerez, messieurs, que dans une séance précédente j'ai adressé une question à la commission et que M. de Brouckere a répondu qu'il serait dérogé aux règles de la communauté et aux conventions matrimoniales, de telle sorte que, soit que la rente ait été constituée avant ou pendant le mariage, la personne seule sur la tête de laquelle la rente a été constituée jouirait de la rente. Je crois que cette théorie ne peut être admise sous aucun rapport, parce qu'elle dérogerait au Code civil réglant le droit des époux et au Code civil réglant les droits de succession.

Je ne pense pas qu'il puisse être dans l'intention de la chambre de modifier le Code civil par une loi faite incidemment sur la caisse de retraite. Je suppose qu'une rente viagère a été constituée sur la tête de l'un des futurs conjoints; il est évident que cette rente tombe dans la communauté de la même manière qu'une rente perpétuelle qui appartiendrait à l'autre conjoint.

Cependant, si l'on admettait la réponse de M. de Brouckere, il n'en serait plus ainsi. Je suppose que la communauté vienne à être dissoute par séparation de biens ou séparation de corps; l'époux qui a fait apport de la rente perpétuelle en perd la moitié et celui qui a fait apport de la rente viagère la conserverait en entier; cela ne peut être admis. Chacun des époux doit pendant toute la vie du rentier viager, après la dissolution de la communauté, percevoir chacun la moitié de la rente. Que si la communauté vient à être dissoute par la mort, les enfants issus du mariage doivent percevoir la moitié de la rente.

Si ces principes sont justes pour une rente constituée avant le mariage, ils le sont à plus forte raison pour une renie constituée pendant le mariage. Le mari ayant l'administration de la communauté pourrait distraire les deniers de la communauté pour se créer une rente personnelle nonobstant l'opposition de son épouse. Stipuler que le mari qui se sera créé une rente viagère en jouira seul à l'exclusion de son épouse et de ses enfants, c'est stipuler au profit du mari une injustice criante.

Mais, dira-t-on, le mari ne peut pas se faire de donation à lui-même sur les biens de la communauté; s'il a fait un placement personnel au détriment de la communauté, il y a lieu à récompenser l'épouse; oui quand il y a de quoi sur le patrimoine du mari; mais quand le mari n'a (page 264) autre chose que la route viagère, comment les droits de l'épouse seront-ils sauvegardés? Il n'y pas d'autre moyen que le partage de la rente viagère soit à son profit, soit au profit de ses enfants. Il n'y a pas d'autre moyen.

La loi que nous discutons est considérée par ses auteurs comme une loi de moralisation, de bienfaisance. Je dirai qu'elle aurait des résultats tout à fait contraires si elle tendait à amener des résultats comme ceux, que je viens d'indiquer; elle sèmerait la discorde dans les familles et consacrerait la spoliation. La tendance de l'époque est de faire des progrès dans la civilisation ; mais un des signes caractéristiques de la civilisation, c'est la protection des faibles ; c'est pourquoi toutes les lois ont toujours tendu à assurer de mieux en mieux les intérêts de l'épouse, des enfants.

Cette loi aurait un effet contraire, si la réponse de M. de Brouckere est exacte. S'il m'est démontré que le projet de loi ne consacre pas cette injustice, mon amendement est inutile, je le retirerai; mais si l'opinion de M. de Brouckere est maintenue, mon amendement est de toute nécessité, pour qu'il n'y ait ni erreur, ni procès, à propos de l'exécution de la loi.

Qu'où ne dise pas que l'épouse, les enfants n’auront pas à se plaindre, que les sommes au moyen desquelles la rente viagère a été constituée auraient été dissipées, soit au cabaret, soit en folles dépenses; si cette assertion peut être vrai, dans quelques cas, elle est généralement fausse, et l'on ne peut sous un pareil prétexte dépouiller la femme et les enfants. Une telle supposition, émise d'une manière générale, serait tout à fait outrageante pour la classe des déposants, où il n'y a pas cet égoïsme qu'on suppose, où l'on travaille ordinairement dans l'intérêt commun des époux et des enfants.

L'amendement que je viens de déposer est justifié par la disposition de l'article 3. La question est entière au sujet du présent article, toutefois il y a préjugé pour son adoption, puisque la chambre a voulu tenir cette question en réserve.

Qu'on ne dise pas qu'il s'agit d'un objet, de peu d'importance. Une rente viagère de 900 fr. n'est chose indifférente presque pour aucune classe de la société. S'il s'agit de rentes d'une quotité inférieure appartenant aux classes infimes de la société, le tien et le mien sont dans ces classes des intérêts aussi graves que dans les classes élevées.

Il y a dans cette classe pour une femme, pour des enfants, de l'importance à la jouissance d'une rente de 200 à 300 francs, comme il y en a dans les classes élevées à la jouissance d'une rente de plusieurs milliers de francs.

On ne peut donc, sous le prétexte de défaut d'importance, violer les règles de la justice.

Je livre ces observations à vos méditations. J'espère que la chambre ne voudra pas déroger aux dispositions si longuement méditées du Code civil en fait de droits respectifs des époux, ni en fait de droit de succession.

Une dernière observation, c'est que s'il entre dans l'intention de l'un des deux époux de faire un avantage à l'autre, l'amendement que j'ai proposé n'y fait aucun obstacle. Il y a la donation durant le mariage et la faculté de tester, de manière que les époux pourront toujours s'avantager; mais je ne veux pas que le mari, de sa seule volonté, contrairement à celle de la femme, s'enrichisse aux dépens de la communauté.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Lorsque la chambre s'est occupée de l'article 3, la question que vient de traiter l'honorable M. de Theux a été soulevée. On a demandé si la rente acquise par l'un ou l'autre des époux lui serait propre, lui serait personnelle. Quel sera le sort de ces acquisitions? seront-elles régies par le droit commun, selon que les époux auront adopté le régime de la communauté, le régime dotal, ou la séparation des biens?

Il a été convenu que cette discussion serait reportée à l'article 12. Plusieurs honorables orateurs ont soutenu à cette occasion que ces acquisitions devraient être régies par le droit commun ; mais on ne peut décider, comme vient de le faire l'honorable M. de Theux, que la réserve de la chambre au sujet de l'article 3 renferme un préjugé favorable à l'opinion qu'il défend. Tout au contraire, l'article 3 renferme même un préjugé défavorable. L'article 3 adopté par la chambre, dispose que la femme mariée peut acquérir des rentes en son nom personnel et ce malgré le refus de son mari. C'est évidemment une dérogation au droit commun.

Maintenant quel sera le sort de ces rentes, acquises soit par le mari, soit par la femme? La réserve admise à l'article 3 suppose nécessairement que le mari acquerra en son nom propre. L'exception est que la femme pourra acquérir aussi en son nom propre. Selon l'honorable M. de Theux, ces acquisitions devraient être considérées comme faites en commun et être régies par les principes du Code civil relatifs à la communauté. Dans le système de l'honorable membre, il faudrait donc admettre que lorsque le mari ou la femme a acquis une rente, si l'un des époux vient à mourir, les héritiers, les collatéraux pourront faire valoir des droits à cette rente. Je ne pense pas que cela puisse entrer dans les idées de la chambre. Je ne pense pas que la chambre veuille admettre que non seulement les enfants, mais même les collatéraux puissent faire valoir un droit à ces rentes. Il me paraît de l'essence de ces rentes qu'elles soient propres à celui qui les a acquises.

Elles doivent avoir le même caractère que les pensions. Qu’arrive-t-il à l’égard des pensions ? Est-ce que la pension est un bien qui tombe en communauté? Est-ce qu'au cas du décès de la femme, les héritiers, les collatéraux ont le droit de réclamer la moitié de la pension à titre de communauté? Evidemment non. Ces pensions, bien qu'elles puissent être fort élevées, sont considérées comme personnelles en raison de la nature des choses. Elles sont propres à l'époux qui a acquis des droits à la pension.

De même, vous devez décider que les rentes acquises restent propres à l'époux qui a fait l'acquisition.

On objectera, comme l'a fait l'honorable M. de Theux, que dans l'acquisition de la pension, il n'y a pas de prélèvement sur la communauté, tandis que ce prélèvement existe dans l'acquisition des rentes. Mais cette objection n'est pas fondée; car à l'égard des pensions ordinaires, il y a indirectement un prélèvement sur la communauté. Si l'Etat n'avait pas constitué une pension, il aurait alloué un traitement plus élevé dont la communauté aurait profité. C'est donc par prélèvement sur la communauté que la pension est constituée.

De plus, il est des pensions acquises à titre onéreux de la même manière que les rentes.

Ainsi les pensions des caisses de retraite des veuves et orphelins se constituent à l'aide de retenues opérées sur les traitements des fonctionnaires, par conséquent à l'aide de prélèvements sur un objet qui tombe en communauté, et on devrait décider, par voie de conséquence forcée, dans le système de l'honorable M. de Theux, que ces pensions acquises ainsi à titre onéreux devraient tomber en communauté, donner des droits à l'un des conjoints ou aux enfants en cas de décès des conjoints, ou, ce qui va plus loin, à des collatéraux.

Ces considérations me paraissent extrêmement puissantes, et je pense que l'on doit décider en principe que les rentes sont propres à ceux qui les acquièrent, que les héritiers, les collatéraux n'y ont aucun droit.

M. de Theux. - M. le ministre des finances, frappé de la justesse des considérations que j'ai fait valoir quant à l'injustice qu'il y aurait de laisser constituer, par la volonté seule du mari, une rente viagère à son profit exclusif, et au détriment de la femme, des enfants communs ou simplement des héritiers, a cherché à établir, pour justifier son opinion, une analogie avec ce qui se passe quant aux pensions données par l'Etat et par la caisse des veuves et des orphelins.

Messieurs, l'analogie n'est pas exacte. D'abord, ce n'est pas le fonctionnaire public qui règle le traitement, c'est la loi, ce sont les arrêtés royaux ; et s'il a plu au législateur ou au pouvoir ayant le droit de fixer ces traitements de déterminer que le fonctionnaire recevrait moins pendant l'exercice de ses fonctions et qu'il serait réservé quelque chose pour former un fonds de pension, cela a été fait en vue d'un intérêt public, parce qu'on a jugé qu'il était nécessaire que le fonctionnaire public, à la cessation de ses fonctions, ne tombât pas dans la misère, conservât des moyens d'existence. Voilà le principe des retenues faites sur les traitements des fonctionnaires pour créer la caisse des pensions de retraite.

En ce qui concerne les pensions des veuves et des orphelins, messieurs, ces pensions ont encore constituées par des règlements publics. Des retenues sont imposées aux maris fonctionnaires, et même à tous les fonctionnaires indistinctement, qu'ils soient mariés ou non, pour faire un fonds commun ; mais ce n'est pas la femme qui vient faire un prélèvement pour se créer une pension à elle et à ses enfants.

La comparaison pèche donc radicalement par sa base.

L'institution des caisses de secours pour les veuves et les orphelins des fonctionnaires publics est le résultat d'un règlement d'administration publique et de la loi. Les retenues faites sur les traitements des fonctionnaires publics sont une condition de l'exercice de leur emploi, déterminée par la loi et par les règlements qui fixent leur traitement.

On a demandé, messieurs, si mon amendement s'étendait aux collatéraux héritiers de la femme. Evidemment, car je reste exclusivement dans les termes du Code civil; soit que le Code régisse les conventions entre époux, soit qu'il régisse la succession des époux. Mon amendement ne déroge en aucune manière, ni aux lois sur les successions, ni aux lois sur les contrats de mariage.

On a dit que, d'après l'article 3, la femme peut être autorisée, par son mari ou par le juge de paix, à acquérir en son nom personnel. Mais dans quel cas cette autorisation sera-t-elle donnée? Lorsque la femme pourra, au moyen de ses propres, constituer la rente, ou lorsque le mari, qui peut faire donation à sa femme, aura consenti à un placement en sa faveur. Si l'autorisation a été donnée simplement par autorité de justice, la femme n'acquiert pas un droit exclusif à la jouissance de la rente. Au moins, la question a été réservée ; il n'a pas été décidé que la rente serait constituée au profit de la femme, au détriment de la communauté et des droits du mari.

J'ai à présenter une autre observation qui, je crois, sera d'un très grand poids auprès de tous les jurisconsultes, c'est que si le système que l'on soutient contre mon opinion venait à prévaloir, il apporterait pour le passé une dérogation aux droits acquis. Or, messieurs, c'est là un principe fondamental qu'en matière de droit civil, jamais une loi ne peut avoir d'effet rétroactif. Cependant, pour tous les mariages contractés antérieurement à la promulgation de la présente loi, la disposition pure et simple que l'on veut m'opposer aurait l'effet rétroactif le plus évident en ce qui concerne le règlement des droits des époux.

Je crois donc, messieurs, qu'il est impossible que la chambre admette le système contraire à mon amendement.

M. Lelièvre. - Je partage l'avis émis par M. le ministre des finances sur la nature de la rente dont il s'agit, et je pense comme lui que cette renie forme la propriété personnelle et particulière du mari au (page 265) nom duquel elle est inscrite. Cette vérité résulte de la disposition même de l'article 11 que vous venez de voter. En effet, la rente, dont il s'agit est incessible et insaisissable; or si elle est incessible, le mari ne peut la communiquer pour moitié à son épouse à titre de la société conjugale.

Lorsque les époux contractent mariage sans convention anténuptielle, mais sous le régime de la communauté, ils sont réputés avoir pris pour base de leur association les règles de cette communauté qui tiennent lieu de convention tacite ayant la même valeur qu'une convention expresse.

Si donc la rente était communiquée à l'épouse, ce serait une véritable cession en vertu de la stipulation qui est réputée avoir présidé au mariage. Or, le caractère incessible de la prestation ne permet pas qu'il y ait translation de celle-ci, même pour moitié, en faveur d'une autre personne.

D'un autre côté, le caractère incessible et insaisissable imprimé à la rente par l'article 11 démontre à toute évidence qu'il s'agit d'une propriété personnelle qui ne saurait appartenir à des héritiers; et cependant on voudrait prétendre qu'elle est, par le décès de l'épouse, transférée pour moitié aux héritiers de celle-ci. Mais ce qui est incessible ne peut passer à des héritiers. Cela me paraît incontestable. Du reste, si même vous estimez que ce système ne doive pas être admis, en ce cas, je pense encore que l'article 12 doit être maintenu tel qu'il est proposé par le gouvernement, sans égard à l'amendement proposé par l'honorable M. de Theux.

En effet, nous nous occupons d'une loi spéciale, qui a un objet particulier. La caisse de retraite, sous peine de complications infinies, ne doit connaître que celui au nom duquel la rente est inscrite. Les rapports de ce dernier avec des tiers ne sauraient la concerner. C'est ce qui découle de la nature même de l'institution.

En conséquence, si le mari a fait le versement ou bien a acquis la rente pendant le mariage, la caisse ne doit avoir affaire qu'à lui-même après la dissolution du lit. Dans le système contraire, il s'élèverait des difficultés graves qui pourraient arrêter toutes les opérations.

Ainsi, messieurs, il s'agirait de vérifier les droits des héritiers, leur qualité, etc. Souvent un règlement judiciaire serait nécessaire pour les faire reconnaître. La caisse devrait attendre souvent le résultat d'une liquidation. Un pareil ordre de choses ne saurait être établi.

Nous nous occupons de l'organisation d'une caisse de prévoyance sans plus. Il faut nécessairement laisser à l'empire du droit commun la solution de toutes les questions qui peuvent s'élever entre les tiers. Sans cela, il faudrait insérer dans la loi que nous discutons un traité tout entier sur les contestations qui peuvent naître à l'occasion des rentes inscrites à la caisse. Il faudrait s'occuper des fonds placés en fraude des créanciers, des placements constituant des avantages au préjudice de la quotité indisponible.

Nous devrions traiter des questions de remploi, de récompense et une foule d'autres difficultés qu'un code complet pourrait à peine prévoir. Continuons, messieurs, d'appliquer le principe admis par la chambre à l'occasion de l'article 5.

Consignons dans la loi les seules dispositions ayant un trait direct à l'institution que nous établissons ; quant aux droits des parties, abandonnons au droit commun le soin de les régler.

M. Tesch. - Messieurs, j'ai quelques questions à poser au gouvernement et à la section centrale qui a examiné la loi. Je poserai ces questions aujourd'hui, pour que le gouvernement et la section centrale me répondent demain. Car il est possible que ces questions soulèvent quelques difficultés et qu'il ne convienne pas à M. le ministre de me donner immédiatement une réponse.

Je demanderai ce qu'il adviendrait dans le cas que vient de citer l'honorable M. Lelièvre, lorsque des versements auraient été faits en fraude des droits des tiers. La chambre sait que, d'après l'article 11, les pensions sont incessibles et insaisissables. D'après l'article 12, elle doit être payée à celui au profit de qui elle a été constituée. Mais si un individu, à la veille de faire faillite ou lorsqu'il est en déconfiture, applique ses fonds à l'acquisition d'une pension, je demande quel sera le recours des créanciers vis-à-vis de ce failli.

Autre exemple. Je demande, lorsqu'un mari ou un père aura voulu faire une donation et se sera servi de ce moyen, qu'il aura créé une rente à sa femme ou à un de ses enfants, au-delà de la quotité disponible, je demande de quelle manière la partie lésée pourra se pourvoir.

Ce sont là, messieurs, des questions auxquelles il est bon de donner une solution.

L'honorable M. Lelièvre disait tantôt qu'il faut laisser la solution de ces questions aux principes du droit commun; mais l'honorable membre ne remarque pas une chose, c'est que nous sortons du droit commun et que dès lors il ne sera plus possible de l'invoquer. Si vous ne mettiez pas dans la loi que les pensions sont incessibles et insaisissables, qu'elles devront être payées à ceux au profit desquels elles ont été constituées, alors je comprendrais parfaitement que la solution des questions que je viens de poser fût laissée aux principes du droit commun ; mais en présence des deux conditions qui se trouvent dans la loi, il faut décider de quelle manière la partie lésée pourra rentrer en possession des fonds qui auraient été distraits de son avoir.

Ces questions, messieurs, sont importantes, et je ne demande pas une réponse immédiate; je pense qu'il convient d'y réfléchir jusqu'à demain, car elles nécessiteront peut-être l'adoption d'un amendement.

- La séance est levée à 4 heures 3/4.