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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 17 décembre 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 241) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à une heure et un quart et lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente ensuite l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants de Rillaer, Messelbroek, Sichem, Testelt, Hangdorp et Aerschot prient la chambre d'allouer, au budget des travaux publics, une somme de 100,000 francs pour des travaux à exécuter à la rivière du Demer. »

M. le président. - Nous renverrons cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.

M. Dumon. - M. le président, la section centrale du budget des travaux publics a terminé son travail. Je proposerai le dépôt sur le bureau, pendant la discussion de ce budget.

- Cette proposition est adoptée.


« Le comice agricole du canton de Gosselies demande le rejet du projet de loi sur les denrées alimentaires et l'établissement de droits protecteurs. »

« Même demande des cultivateurs et membres du comice agricole de Binderveld, Runckelen, Nieuwerkerken, Trognée, Celles, et des conseils communaux de Membruggen , Hen , Lanaeken, Neerhaeren, Uyckhoven et d'un grand nombre d'habitants d'Houdeng-Goegnies. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.


« Plusieurs industriels, à Liège, demandent une loi qui règle la juridiction des ambassadeurs ou consuls de Belgique en Orient, en matière civile, commerciale ou criminelle.

« Même demande de la chambre de commerce de Liège. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs propriétaires, cultivateurs et ouvriers à Mariembourg prient la chambre de rejeter toute augmentation de droits sur les céréales. »

« Même demande des sieurs Tilleul et Wallaert. »

M. de Baillet-Latour. - Je demanderai que cette requête soit également déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.

- Cette proposition est adoptée.

« Les membres du conseil communal d'Olmen demandent que le bétail hollandais soit frappé de droits d'entrée élevés. »

- Même décision.


« Le sieur Pierre-Joseph Libert, dont la demande de naturalisation a été rejetée, prie la chambre de revenir sur sa décision. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


Par dépêche du 15 décembre, M. le ministre des finances adresse à la chambre 112 exemplaires du tome second des documents recueillis sur la question du monopole des assurances par l'Etat.

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.


Il est fait hommage à la chambre, par M. F. Haeck, d'un exemplaire de sa brochure intitulée : De l'organisation du crédit en Belgique et du caissier général de l'Etat. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi portant le budget du département des travaux publics pour l’exercice 1850

Rapport de la section centrale

M. Dumon dépose le rapport de la section centrale du budget des travaux publics.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. La discussion est fixée à la suite des objets qui se trouvent déjà à l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens pour l’exercice 1850

Rapport de la section centrale

M. Veydt. dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des voies et moyens.

M. le président. - Cet objet est urgent. A quel jour la chambre veut-elle en fixer la discussion?

- Des membres. - Lorsque le rapport sera distribué.

M. Veydt. - La distribution ne pourra avoir lieu que demain soir au plus tôt.

- Des membres. - A jeudi.

- D'autres membres . - Ultérieurement.

M. le président. - Je ferai remarquer à l'assemblée que le budget des voies et moyens est très urgent. il faut que la sénat ait le temps de l'examiner; et il ne serait pas convenable de le lui envoyer la veille du nouvel an.

- La chambre décide que la discussion du budget des voies et moyens s'ouvrira jeudi prochain.

Projet de loi instituant une caisse générale de retraite

Discussion des articles

Article 4

M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à l'établissement d'une caisse de retraite. Nous en sommes arrivés à l'article 4, qui est ainsi conçu :

« Art. 4. Les rentes s'acquièrent conformément au tarif ci-joint, calculé d'après la mortalité actuelle, à l'intérêt de 5 p. c. »

Il y a sur cet article quatre amendements. Nous avons d'abord celui de M. Cools, qui est le suivant :

« Les rentes s'acquièrent d'après des tarifs qui seront réglés par arrêté royal. Le premier tarif sera calculé d'après la mortalité actuelle à l'intérêt de 5 p. c. »

La parole est à M. Cools pour développer cet amendement.

M. Cools. - M. le président, je ferai observer qu'aucun ministre n'est présent : il est impossible de discuter un article aussi important, en l'absence de MM. les ministres.

M. le président. - La séance a été fixée à 1 heure pour que nous puissions accélérer nos travaux ; il est donc à regretter que nous soyons arrêtés après avoir ouvert la séance.

M. Delfosse. — J'avais bien raison d'insister samedi pour que la séance ne commençât pas à midi. Nous n'étions pas en nombre à 1 heure; et ceux qui demandaient que la séance s'ouvrît à midi ne sont pas présents; il est cependant une heure et demie.

M. Dedecker. - On a eu raison de fixer la séance à une heure. Ceux qui ont tort, ce sont surtout MM. les ministres, qui ne sont pas à leur poste et qui devraient donner l'exemple de l'exactitude.

M. de Perceval. - Et M. Dumortier aussi.

M. Vilain XIIII. — M. Dumortier n'a à répondre à personne.

M. Coomans. - Ce n'est pas notre honorable ami M. Dumortier qui entrave les travaux de la Chambre.

M. le président. - Comme on reviendra sur l'ensemble de tous les amendements, je pense qu'il n'y aurait peut-être pas d'inconvénient à ce que M. Cools prît la parole : M. le rapporteur est présent ; il prendra note des observations de M. Cools.

M. Cools. - M. le président, je désire ne parler que quand MM. les ministres seront ici.

M. le président. - La séance est suspendue pendant un quart d'heure.

- La séance est reprise à une heure trois quarts.

M. Cools. - Messieurs, nous sommes arrivés à l'article qui est peut-être le plus important de la loi : c'est celui qui doit déterminer l'étendue des obligations que le trésor public contracte à l'égard de la caisse. J'attends de la bienveillance de la chambre qu'elle voudra bien me prêter un moment d'attention. Je ne serai pas long.

Tous les systèmes qui sont proposés s'accordent sur un point : c'est que la loi doit déterminer les bases du premier tarif qui sera promulgué.

Remarquez que je dis « les bases » ; c'est à dessein que je ne me sers pas encore du mot « chiffres ».

Ces bases sont : fixation de l'importance des rentes et du taux de l'intérêt, mis en rapport avec les lois de la mortalité et les ressources que la caisse pourra se créer.

Sur ce point-là nous sommes tous du même avis. Mais voici où la divergence commence :

D'abord, nous disons que la loi doit contenir le principe de la révision des tarifs.

En deuxième lieu, nous prétendons que si la loi doit déterminer les bases du tarif, les chiffres de ce tarif doivent être réglés par arrêté royal, toujours en conformité des bases que nous aurons réglées nous-mêmes.

Ainsi, le principe de la révision des tarifs doit être écrit dans la loi. Ce principe, je l'avais déposé dans l'article 19. L'n honorable député de Nivelles propose de le décréter à l'occasion de l'article 4. Je reconnais que c'est peut-être là sa place la plus naturelle. Du reste, ceci n'est qu'une question d'arrangement des articles.

J'ai demandé que les tarifs soient révisés au moins tous les trois ans, du moment que le trésor public sera constitué en perte. L'honorable M. Mercier s'était borné d'abord à reproduire la disposition qui se trouvait dans le projet français. Cette disposition est ainsi conçue: « Ce tarif pourra être, à toute époque, modifié par une loi pour les opérations nouvelles. »

Cet amendement, je dois le dire, ne m'avait pas donné tous mes apaisements. Il indique bien implicitement que la caisse doit se suffire à elle-même; mais je veux que cela soit clairement exprimé dans la loi.. Depuis, cet honorable membre , complétant son premier amendement, a proposé une disposition nouvelle dans laquelle il va même plus (page 242) loin que moi. Non seulement il demande que la révision des tarifs se fasse à des intervalles plus ou moins éloignés, mais il veut que la révision ait lieu dans tous les cas où la garantie de l'Etat commencera à devenir onéreuse pour lui ; et ces cas, il lés définit clairement. De plus, se rapprochant de l'idée que je développerai à l'instant, il admet que la révision se fasse par arrêté royal.

La proposition de l'honorable M. Mercier contient de plus un changement en ce qui concerne le taux de l'intérêt; je n'ai pas à m'en occuper.

Du reste, sur ce point comme sur les autres, l'honorable membre donnera toutes les explications; je ne veux pas anticiper sur les développements dans lesquels il se propose d'entrer. Je tiens seulement à déclarer dès à présent que ce dernier amendement me satisfait à tous égards, et que je ne fais aucune difficulté à l'admettre à la suite de celui que j'ai proposé.

J'arrive ainsi au dernier point qui se rattache plus particulièrement à l'amendement que j'ai proposé à l'article 4.

On veut que nous votions nous-mêmes les tarifs! Avez-vous pensé dans quel embarras nous nous trouverions à l'égard des chiffres du tarif, si la moindre modification était introduite dans la loi, quant aux charges qui pèseront sur la caisse? Qu'on admette l'un ou l'autre des amendements proposés sur les articles 4, 8 et 10, à l'instant même tous les tarifs doivent être changés; ceux qui nous sont proposés ne peuvent être votés que dans un seul cas, celui où le projet passerait tout d'une pièce. Peut-être le gouvernement s'est-il mis en mesure de nous soumettre des tarifs refaits à la hâte pour toutes les combinaisons qui peuvent prévaloir? Dans ce cas, nous serions toujours amenés à voter des chiffres de confiance : ne vaut-il pas mieux poser dans la loi les bases du tarif et abandonner la fixation des chiffres au gouvernement?

Dans quel but la chambre voudrait-elle se réserver la révision des tarifs, quand les bases sur lesquelles les tarifs seront éternellement établis auront été inscrites dans la loi? Est-ce pour nous occuper de simples questions de détail ? Remarquez que les tarifs dont il s'agit n'ont rien de commun avec les tarifs de péages et les tarifs du chemin de fer. Là les bases sont incertaines; la chambre s'est réservé et a eu raison de se réserver l'adoption de toutes les combinaisons d'après lesquelles ces tarifs doivent être établis. Ici rien de pareil. Dans l'institution dont il s'agit, les bases sont irrévocablement arrêtées; il s'agit seulement de mettre les chiffres en harmonie avec les bases établies. Le motif principal pour lequel je désire que ce soient des arrêtés royaux qui fixent les chiffres des tarifs, je n'hésite pas à le dire, c'est que je ne vois pas de garantie plus forte pour que le trésor public ne soit jamais constitué en perte. Si nous prescrivons la fixation des tarifs, à titre de mesure d'exécution, la révision est obligatoire, la responsabilité du gouvernement est engagée, il ne peut plus se soustraire à la révision; cette révision subséquente est soustraite aux chances toujours incertaines d'un vote des chambres.

Si, au contraire, nous faisons dépendre cette révision d'une proposition à faire aux chambres, mille raisons pourront être allégées pour rester dans l'inaction. Je ne reviendrai pas sur les développements dans lesquels un honorable député de Hasselt et moi nous sommes entrés dans la discussion générale, pour rappeler toutes les excuses qu'on pourra faire valoir à l'effet de ne nous faire aucune proposition. Je ne pourrais tomber que dans des redites.

Mais si ces observations ont fait quelque impression sur la chambre, vous reconnaîtrez que tous les motifs se réunissent pour abandonner la fixation du tarif au gouvernement, toujours dans la limite des principes que nous aurons inscrits dans la loi.

M. le président. - M. Vanden Brande de Reeth a déjà développé son amendement qui constitue un changement complet de système.

La parole est à M. Mercier pour développer son amendement qu'il a modifié comme suit dans sa deuxième partie :

« Art. 4. 1° Substituer l'intérêt de 4 1/2 p. c. à celui de 5 p. c.

« 2° Ajouter la disposition suivante :

« Lorsque la masse des placements successifs à la caisse ne produira plus l'intérêt de 4 1/2 p. c, le gouvernement abaissera, par arrêté royal, le taux des tarifs pour les opérations nouvelles, la même modification sera faite chaque fois qu'au dernier intérêt établi les placements solderont sans bénéfice. »

M. Mercier. - Messieurs, j'ai présenté déjà quelques observations pour démontrer que le taux de 5 p. c, comme point de départ du tarif de la caisse de retraite, doit immédiatement constituer l'Etat en perte.

J'ai ajouté que, dans des moments difficiles, l'État a été obligé de contracter des emprunts à des conditions onéreuses, mais que, ces circonstances venant à changer, l'Etat pourrait offrir le remboursement de ces emprunts et en contracter d'autres à un taux inférieur, de manière à alléger les charges qui pèsent sur le pays. Cette opération s'est faite il y a peu d'années en Belgique; on doit espérer qu'elle pourra se renouveler encore dans un avenir qui n'est pas éloigné.

On a objecté que, depuis 25 ans, en France, on a projeté la conversion de la dette publique sans avoir jamais pu s'opérer. Mais nous n'avons pas à discuter sur ce qui se fait en France. Nous avons en Belgique un précédent; la conversion s'y est faite sur un capital considérable: les difficultés qui se sont présentées en France n'existent pas chez nous. Je m'abstiendrai de les signaler, elles sont assez connues de ceux qui ont suivi les discussions des chambres françaises.

Ensuite, j’ai fait observer qu’il serait impossible d’obtenir aujourd’hui des titres de 3 ou de 4 p. c. d'intérêt, de manière à obtenir des placements à raison de 5p. c d'intérêt. De sorte qu'on a été obligé de convenir qu'on ne pourrait faire pour la caisse que des acquisitions de titres 2 1/2 d'intérêt.

Quel est, en ce moment, le cours des obligations à 2 1/2 p. c? A la bourse d'Anvers de samedi dernier, il était de 49 7/8, c'est-à-dire qu'en tenant compte du courtage et des arrérages perdus depuis le versement du dépôt jusqu'au moment de l'acquisition de la rente, la caisse n'aurait pas môme aujourd'hui 5 p. c. L'obtînt-elle aujourd'hui, dans deux jours peut-être il n'en serait plus de même.

Si tous les placements de la caisse se portent sur le 2 1/2 p. c, quel en sera l'effet ? On fera hausser le 2 1/2 p. c. outre mesure et non seulement il ne produira plus 5 p. c. d'intérêt, mais même son cours relatif s'élèvera au-dessus de celui des autres fonds publics belges.

Aujourd'hui déjà le 5 p. c. ne donne plus que 4 6/10 p. c. Nous sommes donc forcément amenés à n'acheter que du 2 1/2 p. c., pour obtenir rigoureusement 5 p. c., si dans peu de jours il ne s'élève pas, par suite du mouvement général de hausse, à un cours qui ne donne plus 5 p. c.

Il est évident que l'effet des placements exclusifs sur ce fonds le fera hausser outre mesure. Ce sera une espèce d'amortissement qui exercera sur lui une très forte action.

Ainsi, messieurs, dès le début des opérations de la caisse, nous l'exposons à se trouver en perte; remarquez-le bien; on s'engage à desservir l'intérêt de 5 p. c. pour toute la durée du terme du contrat, c'est-à-dire pour 20, 30 et même jusqu'à 45 ans.

Messieurs, nous ne ferions pas chose sérieuse en adoptant l'intérêt de 5 p. c. que nous ne pourrions plus obtenir que très rigoureusement d'un seul de nos fonds publics et qui peut-être demain ne sera plus réalisable.

Je crois, messieurs, qu'il y aurait quelque chose de puéril à faire un tarif qu'on devrait très probablement changer le lendemain.

On a dit qu'il fallait établir un intérêt plus élevé pour présenter un certain appât au public au moment de l'institution de la caisse. Je pense, messieurs, que c'est lors de l'institution qu'il faut être fidèle au principe de cette institution, dans ses rapports avec l'Etat. Le gouvernement veut que la caisse ne soit pas onéreuse au pays. La commission a plusieurs fois posé ce principe dans un rapport que le gouvernement a fait sien. C'est surtout au moment de l'institution de la caisse qu'on doit se garder de constituer la caisse en déficit.

On a encore dit que dans ce moment peut-être, si l'intérêt est fixé au-dessous de 5 p. c, des intéressés pourraient supposer que le gouvernement veut faire des bénéfices sur leurs mises. Mais cette supposition est impossible; alors qu'on sait que tous les fonds publics belges que l'on peut acquérir pour la caisse rapportent aujourd'hui déjà moins de 5 p. c; on ne peut acquérir du 5 p. c. ; l'honorable M. de Brouckere a fait observer avec raison qu'aucun administrateur éclairé n'achèterait du 5 p.c. qui est le fonds qui sera le premier converti.

Messieurs, je fais observer qu'en proposant l'intérêt de 4 1/2, je n'ai fait que suivre les errements de la commission qui a élaboré son projet. Car la commission s'occupait de ce travail vers le mois de juin ou peut-être de mai.

Eh bien, au mois de juin tous les fonds publics étaient cotés à 10 p. c. à peu près au-dessous de leur cote actuelle. La commission avait parfaitement raison à cette époque de proposer l'intérêt de 5 p. c. Mais il serait absurde, aujourd'hui que toutes les circonstances sont changées, de proposer encore le même intérêt.

J'ai fait au Moniteur des recherches sur la cote du mois de juin: J'ai trouvé qu'au 4 juin, le 5 p. c. était à 88 3/4; il est coté aujourd'hui à 96 1/8. Le 4 1/2 p. c. était à 81 1/4; il est à 88.

Le 4 p. c. était à 73; il est à 85 5/4.

Vous voyez qu'il y a presque partout plus de 10 p. c. de hausse et par conséquent plus de 1/2 p. c. de baisse dans l'intérêt.

Le 3 p. c. était coté à 58 ; il est maintenant à 65; et comme je vous l'ai dit, ce fonds ne donne déjà plus 5 p. c. ; il ne donne plus que 4 6/10.

Le 2 1/2 p. c, qui était au mois de juin à 44 3/4, est à 49 7/8.

Ainsi, en proposant l'intérêt de 4 1/2 p. c, je fais ce que la commission aurait fait pour être conséquente avec elle-même, si elle avait déposé son travail aujourd'hui, au lieu de le présenter il y a six mois.

Du reste, messieurs, j'adopte pleinement les principes formulés par la commission et admis par le gouvernement, sur l'intervention de l'Etat dans la caisse de retraite, mais je regrette que l'application de ces principes ne soit pas écrite dans la loi.

Voici ce que dit la commission dans l'un de ses rapports :

« Nous fixons l'intérêt 5 p. c, taux inférieur à l'intérêt actuel des fonds publics, et nous demandons qu'il soit ainsi réglé aussi longtemps que la masse des placements successifs de la caisse ressortira au denier 20 ; mais dès l'instant où les dépôts solderont sans bénéfice le taux des tarifs sera abaissé d'un quart ou d'un demi au-dessous de celui des fonds publics. »

La commission avait raison : à cette époque tous les fonds publics belges produisaient, 5 p. c, mais aujourd'hui il n'en est plus qu'un seul qui puisse être acquis par la caisse, c'est le 2 1/2 et encore il est à l'extrême limite ; son cours est à 49 7/8 p. c.

Je demande que l'on fasse ce que la commission a fait elle-même et j'ai eu la précaution, dans mon amendement, de reproduire les termes mêmes de la commission.

Tous les raisonnements de la commission, je les approuve; seulement je veux les faire entrer dans la loi ; mon amendement est la reproduction fidèle des termes dont la commission s'est servie dans son rapport.

Je crois, messieurs, avoir suffisamment justifié l'intérêt de 4 1/2 p. c, , qui correspond ou à peu près au taux de 5 p, c. à l'époque où la commission a fixé ce taux, vu la différence entre les cours actuels des fonds publics et les cours de cette époque.

Je réglemente la base sur laquelle les tarifs doivent être établis en ce qui concerne l'intérêt, et dès lors je ne vois pas le moindre inconvénient à ce que ce soit le gouvernement qui modifie les tarifs, le gouvernement ne fera là qu'exécuter une prescription bien déterminée de la loi. Il devient ainsi inutile que la révision se fasse par la loi.

Je pense toutefois qu'on peut laisser dans l'article 4 les mots : « ci-joint », puisque dans ce système le premier tarif devra être joint à la loi.

Maintenant, messieurs, je dirai un mot de l'amendement de l'honorable député de Malines. Je pense que l'honorable membre devrait rattacher son amendement à l'article 10 et non pas à l'article. 4, puisque la proposition se rapporte à la question de savoir s'il y aura aliénation du capital et que, dans l'article 10, il s'agit précisément de la veuve ou des héritiers du déposant.

M. le président. - La discussion est ouverte sur l'article 4 et sur les amendements qui s'y rapportent.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, les tarifs dont il s'agit reposent sur une double combinaison, celle qui est relative à la mortalité, et celle qui est relative à l'intérêt. L'honorable M. Mercier est surtout préoccupé de la question de l'intérêt. C'est à ce point de vue qu'il dépose un amendement. Personne ne paraît se préoccuper de l'autre élément des tarifs, qui est la mortalité. Cependant elle peut affecter la combinaison du projet, tout aussi bien que l'autre. L'amendement de M. Mercier, négligeant cet élément, serait donc tout à fait incomplet.

D'ailleurs les observations que présente l'honorable membre ne me paraissent, en aucune manière, fondées. L'honorable membre suppose que la caisse acquiert des rentes qu'elle ne peut aliéner et dont elle perçoit et capitalise l'intérêt pour faire la part des déposants.

Mais, messieurs, la caisse acquiert et le capital et la rente, et la caisse doit disposer et du capital et de la rente. Or, dans l'hypothèse que suppose l'honorable membre, et qui l'effraye, c'est l'hypothèse favorable à la caisse. Dans cette hypothèse la caisse, s'enrichira. On acquiert aujourd'hui une rente de la caisse, pour laquelle on fournit un capital qui donne 5 p. c. d'intérêt. L'honorable membre dit : « Mais demain l'intérêt va baisser; il va baisser très notablement; vous n'aurez plus 5 p. c, vous n'aurez que 4 1/2; vous n'aurez peut-être même plus 4 1/2 ; d'où il conclut que la caisse sera ruinée, c'est-à-dire que l'Etat, aura un déficit à combler. Eh bien, messieurs, je dis que, dans ce cas, la caisse s'enrichit, car ce que la caisse perd sur l'intérêt, elle le gagne nécessairement sur le capital. (Interruption.)

Il faut voir les choses dans leur ensemble. Les opérations de la caisse sont complexes. Si aujourd'hui j'achète du 2 1/2 à 50, je suis dans les termes du tarif.

J'achète à 51, est-ce que je ne puis pas bénéficier sur le capital? Je suis obligé de revendre le capital ultérieurement à une époque donnée pour servir les rentes. (Interruption.) L'opération consiste en ceci :la caisse acquiert un ensemble de capitaux; si vous la supprimiez par exemple, après vingt ans, lorsque la caisse aura payé toutes ses rentes, il ne lui restera absolument rien, ni capital ni intérêt; si les tarifs sont bien faits, il ne lui restera rien : tout aura passé dans les mains des rentiers. Il faut donc bien que la caisse puisse vendre les obligations qu'elle aura acquises...

M. de Man d'Attenrode. - C'est de l'agiotage.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a là aucun agiotage; c'est l'effet même de l'institution. Que voulez-vous que la caisse fasse de ses rentes? Est-ce qu'elle ne les a pas acquises pour servir les rentes des déposants? (Interruption.) Je parts de notre hypothèse. Si j'achète du 2 1/2 à 50 p. c., je suis dans les termes de la loi ; si j'achète à 51, je reçois moins d'intérêt, mais si la rente continue à monter et que je vende, je reçois plus en capital.

M. Mercier. - Vous payez plus pour le capital.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, mais je reçois aussi plus en capital... (interruption) lorsque je vends.

Dans l'ensemble des effets de la loi, vous devez nécessairement trouver cela. Dans l'hypothèse où vous vous placez, vous ne pouvez pas isoler le capital de la rente. Si vous supposez un accroissement très notable du capital, par suite d'une réduction notable de l'intérêt de la rente, la caisse devra nécessairement bénéficier sur le capital.

Maintenant il y a lieu dans le règlement des tarifs d'éviter, autant que possible, de grandes disproportions entre le capital et l'intérêt qui sera fixé. Cela est important, parce que, s'il y a éventualité de bénéfices, il y a éventualité de pertes. C'est pour cela que l'on doit calculer les tarifs aussi justement que possible.

Il faudrait donc se borner à dire dans la loi, comme le propose l'honorable M. Cools : « La rente s'acquiert d'après les tarifs qui seront réglés par arrêté royal, » et repousser le reste de l'amendement de l'honorable membre.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne comprends pas l'argumentation de M. le ministre des finances. Evidemment, quand l'intérêt d'une rente diminue, lorsqu'on fait une conversion, le capital augmente. Mais si l'on veut faire de la caisse un objet de maltôte et d'agiotage; si la caisse a des agents qui vont à la bourse faire hausser et baisser, dans cette hypothèse, je reconnais que le capital peut bien augmenter. Mais est-il convenable de voir la caisse prendre un semblable rôle?

L'Etat n'est pas intéressé à voir augmenter le capital; son véritable intérêt consiste en ce que le service des intérêts ait lieu; car si le service des intérêts n'a pas lieu, c'est le trésor public qui doit y pourvoir ; eh bien, ce que nous devons chercher, c'est que le trésor public ne doive pas pourvoir au déficit des intérêts.

Un intérêt de 5 p. c, en temps de tranquillité, n'est jamais un intérêt normal; il doit toujours être au-dessous de 5 p. c. et même de 4 ½ pour cent. Fixer dans la loi le taux de l'intérêt à 5 pour cent, c'est déclarer dès aujourd'hui que vous allez inscrire annuellement un nouveau poste dans vos budgets : déficit de la caisse. Est-ce là l'intention de l'assemblée? Je ne pense pas que la chambre, qui est si fortement préoccupée de la question de voir enfin balancer les recettes et les dépenses de l'Etat, puisse ainsi de gaieté de cœur se lancer dans un système qui entraînerait une pareille conséquence.

J'appuie donc l'amendement de l'honorable M. Mercier, qui tend à fixer l'intérêt des rentes à 4 1/2 p. c.

Je ne répondrai pas à une observation qui a été faite par un orateur au commencement de la séance et qui m'est personnelle; je n'ai à répondre à personne de mes actes et de mes paroles dans cette enceinte. Du reste, je suis encore arrivé assez à temps à la séance pour prendre part à la discussion.

M. de Theux. - Messieurs, dernièrement l'honorable M. de Brouckere, répondant à un honorable député de Nivelles, a dit que l'on achèterait des rentes à 2 1/2 ou 3 p. c. et qu'il ne s'agira jamais de convertir... Quelle conclusion faut-il tirer de là ? C'est que la commission achètera réellement des rentes inaliénables. Si l'on n'écrit pas cela dans la loi, c'est qu'il pourrait arriver quelque événement imprévu qui amenât l'aliénation: ce que, dans toute hypothèse, je redouterai, tant pour le gouvernement que pour la sécurité de la caisse elle-même.

Quelle conclusion faut-il encore tirer de là? C’est qu'il ne faut avoir égard qu'aux intérêts, et ne pas s'occuper du capital pour le service des rentes inscrites.

M. le ministre des finances a dit : « Mais si les rentes viennent à hausser, eh bien, vous aurez, dans les premières années de l'établissement de la caisse, acheté des rentes à un prix moins élevé; conséquemment, vous aurez gagné sur le capital; cela fera compensation avec les rentes que vous achèterez plus tard à un taux plus élevé. »

D'abord, cela suppose un fait qui n'est en aucune manière certain; cela suppose l'égalité des sommes achetées à un taux plus élevé et à un taux plus bas, établissant une compensation. C'est une hypothèse qu'on peut bien admettre pour défendre le système du projet de loi, mais qui n'est pas une certitude.

Je pense donc qu'on ne peut se dispenser d'écrire dans la loi, la règle fondamentale, que l'Etat ne doit pas être obéré par les payements de la caisse de retraite et que, conséquemment, le gouvernement doit être chargé de modifier le tarif d'acquisition des rentes viagères d'après la variation que la longévité, que la rente peut subir. Je crois qu'on ne peut se dispenser d'admettre cette double disposition. Le gouvernement rendra annuellement compte aux chambres de la gestion de la caisse, et des dispositions qu'il aura cru devoir prendre, ou des motifs qu'il aura eus pour maintenir les dispositions existantes, sauf, si le gouvernement reste en défaut de remplir cette obligation, sauf aux chambres à prendre l'initiative d'une proposition.

Si l'on n'admet pas cette disposition garantissante dans la loi, il est pour moi hors de doute qu'à une époque donnée, époque peu éloignée, le trésor subirait une perte très forte résultant de l’institution de cette caisse; contrairement à ce qui a été fait pour les diverses caisses de retraites établies près des divers départements ministériels, où l'on a eu soin de les établir sur des bases tellement favorables pour qu'elles ne puissent pas tomber en déficit, qu'aujourd'hui ces caisses sont à l'abri de toute mauvaise éventualité, on veut, pour une caisse aussi importante que celle-ci, qui est hors de proportion avec les caisses établies près des divers départements, on veut commencer par constituer la caisse en déficit pour les premières années.

Quand le gouvernement viendra faire une première demande de fonds, si on dit qu'il faut changer les tarifs, on répondra : Vous tuez l'institution à son origine, vous la faites rétrograder, vous ne pouvez pas modifier le taux de l'acquisition des rentes ; il s'agit d'une institution populaire; elle doit rester telle qu'elle est. Et les charges iront toujours croissant.

M. Cans. - Les interruptions qui ont accueilli les explications de M. le ministre des finances, me font croire qu'elles n'ont pas été bien saisies par la chambre. Je vais essayer de revenir encore sur le mécanisme de la caisse. Je suppose qu'il y a un seul assuré à la caisse et qu'il est âgé, au moment où le contrai se conclut, de 45 ans. La caisse, au moyen du versement fait par cet assuré, achètera des fonds publics; à l'expiration du semestre, elle achètera, pour le montant des intérêts échus, de nouveaux fonds, et ainsi successivement jusqu'à ce que l'assuré soit arrivé au jour où doit commencer la jouissance de sa rente, soit à 55 ans.

A cette époque, le capital formé par le versement qu'il a fait et par l'accumulation des intérêts, et des intérêts des intérêts, ne donne pas un intérêt suffisant pour payer la première année de rente, que doit faire la caisse? Elle doit nécessairement aliéner une partie du capital, pour payer (page 244) la rente échue, cl elle devra ensuite, chaque année, en faire autant pour payer les termes qui viennent à échoir.

J'ai supposé que l'individu assuré avait effectué son versement a 45 ans, pour commencer à toucher sa rente à 55 ans; d'après les tables de mortalité, il devrait en jouir jusqu'à l'âge de 69 ans.

De 45 à 55 ans les versements et intérêts cumulés seront capitalisés ; le montant de ce capital doit suffire pour acquitter 24 ans et quelques mois de rente, de 55 ans à 69 ans environ ; si l'assuré meurt à 69 ans, le jour où on lui aura payé le dernier terme de sa rente, au moyen de la vente des derniers fonds publics achetés pendant les premières années avec son capital, et avec le produit des intérêts cumulés, il ne restera plus rien dans la caisse. Maintenant ce qui est vrai pour un assuré est vrai pour cent mille.

Voici comment les choses se passeront. La caisse fonctionnant constamment, il arrivera qu'au bout d'un certain nombre d'années, quand les premières rentes inscrites devront être payées, les versements qui seront effectués pour en constituer de nouvelles pourront être appliqués à ces payements; c'est-à-dire qu'au lieu d'acheter de nouvelles rentes d'une part, et de l'autre, de vendre les fonds précédemment acquis, il n'y aura pas d'autre opération à faire que d'employer les nouveaux versements au payement des rentes anciennes. Si le taux de l'intérêt se trouve alors réduit à 4 1/2 p. c, les fonds publics représentant l'ancien capital seront plus élevés de 10 p. c, le nouveau déposant sera censé avoir acquis sa rente au cours du jour, et le pensionnaire de la caisse sera censé avoir converti son capital en fonds à 10 p. c. au-dessus du cours auquel il avait été d'abord placé.

Le premier versement aura été converti en fonds publics au cours du jour. Si le cours des fonds publics vient à monter, le remploi des intérêts qui doivent être successivement capitalisés ne pourra avoir lieu qu'à un cours qui ne correspondra plus à l'intérêt primitivement fixé. La perte que la caisse pourrait éprouver de ce chef, en supposant une diminution de 1/2 p. c; sur le taux de l'intérêt, ne serait que de 5,000 fr. sur un million.

Mais d'un autre côté, quand le taux des acquisitions de rentes sera baissé d'un demi pour cent, le capital aura augmenté de 10 p. c. et ce qui aura été perdu sur l'achat des fonds pour remploi des intérêts perçus sera récupéré sur le capital à l'époque où il devra être aliéné. C'est incontestable.

Il est impossible de s'assurer d'avance d'une manière positive si la caisse donnera du bénéfice ou de la perte. On ne pourra en juger que quand le dernier des assurés sera mort.

Je suppose que l'institution prospère et qu'un nombre de déposants correspondant à celui indiqué dans les tables de mortalité vienne à se faire assurer : sur 54 mille de l'âge de 18 ans, un seul, suivant les tables de mortalité, atteindra l'âge de 104 ans; ce ne sera qu'alors qu'on pourra savoir si la caisse donne bénéfice ou perte ; si le dernier assuré meurt à l'âge de 100 ans, la caisse bénéfice de 4 ans ; s'il ne meurt qu'à l'âge de 106 ans, il y a deux années de perte. Réparties sur de grands nombres, les chances acquièrent une régularité presque mathématique. Si d'une part il y a perte, elle sera d'autre part compensée par un bénéfice.

Il y a un moyen de prévenir les chances de perte, c'est de vérifier constamment les tables de mortalité. Si la longévité augmente, il y aura lieu de modifier les tarifs.

Je profiterai de ce que j'ai la parole, pour dire un mot de l'amendement de M. Vanden Brande de Reeth. Cet amendement bouleverse le projet de loi, d'une caisse de retraite il fait une caisse d'épargne avec tous les désavantages que ces caisses peuvent présenter. Le gouvernement peut bien garantir au taux le plus avantageux, 5 p. c. par exemple, des rentes viagères, parce qu'il ne doit les payer que successivement et par fractions; mais il ne peut garantir 5 p. c. sur des fonds versés qu'on peut redemander au bout d'un certain nombre d'années, capital et intérêts des intérêts; cela exposerait le gouvernement à devoir rembourser des sommes considérables.

Je bornerai là mes observations.

M. Cools. - Il y a un malentendu entre le gouvernement et nous; il provient de ce que nous partons de prémisses entièrement différentes ; mais je dois le dire, je crois que les prémisses de M. le ministre des finances sont fausses. Sur quoi le ministre fonde-t-il l'espoir de bénéfices à faire par la caisse sur des opérations de bourse, sur des achats de rentes et des ventes ultérieures. (Dénégations de la part de M. le ministre des finances. )

M. le ministre des finances a parlé du taux d'achat ; il a supposé que plus tard on vendrait, qu'on achèterait à 51, qu'on vendrait à 52. qu'il y aurait bénéfice. Il a ajouté qu'il ne fallait pas avoir égard à l'intérêt qu'on obtient en raison du taux actuel des fonds publics. Nous pensons, au contraire, qu'une fois acquises par la caisse, les rentes sont censées rester inaliénables. C'est la seule supposition sur laquelle il est possible d'établir des calculs. Dès lors nous ne devons avoir égard qu'au taux actuel des fonds publics.

Il faut établir un rapport entre les opérations extrêmes, sans s'inquiéter des opérations qu'on pourra faire dans l'intervalle, et ces deux extrêmes sont le taux auquel les rentes peuvent être acquises à la bourse au moment des versements et le taux auquel s'accumuleront les intérêts au profit de l'assuré.

Je vous le demande, à quel taux pouvons-nous acquérir ? Evidemment à 4 1/2. Evidemment, nous ne pouvons aller au-delà.

Il est même incertain que le taux reste longtemps à 4 1/2. Mais évidemment nous ne pouvons admettre un taux supérieur.

On nous parle d'opérations qui se feront ultérieurement. On nous dit: « Un jour, il faudra payer; un jour, la caisse vendra des rentes. Si l’intérèt monte, ce que vous perdrez aujourd'hui, vous le gagnerez amplement plus tard. La caisse bénéficiera. » Nous n'avons pas à voir si la caisse devra ou ne devra pas vendre des rentes. Nous devons supposer qu'aucune vente ne sera nécessaire. Les ventes, elles sont possibles; mais le taux auquel elles se feront, c'est là l'inconnu.

Ce qui constitue encore un inconnu, ce sont les chances de mortalité. Elles peuvent être plus ou moins favorables à la caisse. Mais pour tous ces inconnus, qu'avons-nous en réserve? La révision du tarif. Si les calculs sont trop favorables à la caisse, on pourra faire une proposition pour changer le tarif. Nous n'avons pas à cet égard de prescription à inscrire dans la loi. Mais nous devons inscrire une prescription pour éviter toute perte au trésor.

Du moment que le trésor n'est plus indemne, il faut que le tarif soit abaissé. C'est ce que nous proposons. Nous avons également intérêt à ce que le taux d'achat ne soit pas fixé de telle sorte qu'il soit irréalisable.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je veux faire observer à l'honorable membre qui vient de se rasseoir qu'il demande lui-même par son amendement que le premier tarif soit fixé à 5 p. c, et que tous ses raisonnements tendent à démontrer qu'il faut changer le chiffre.

M. Cools. - Ceci s'explique d'une manière toute simple : au commencement de la séance, alors que M. le ministre des finances n'était pas encore arrivé, j'ai déclaré adhérer à l'amendement de l'honorable M. Mercier.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est une conversion.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Au surplus, je rappellerai à la chambre ce que j'ai eu l'honneur de lui dire. On mettrait un terme au débat, en limitant l'article au premier paragraphe de l'amendement de l'honorable M. Cools ainsi conçu : « Les rentes s'acquièrent d'après des tarifs qui sont réglés par arrêté royal, »

Tout le monde est d'accord sur ce point, qu'il importe que le tarif soit aussi exact que possible. Eh bien, laissez à un arrêté royal le soin de fixer le tarif.

Aujourd'hui l'on peut parfaitement opérer, non pas sur tous les fonds mais sur quelques fonds avec un tarif calculé à l'intérêt de 5 p. c. Il se peut qu'au bout d'un certain temps, on ne puisse opérer avec le même tarif. Alors on le modifiera. Personne n'a intérêt à engager l'Etat dans une perte.

On est d'accord pour conférer au gouvernement le droit de réviser le tarif : il aura à prendre les mesures nécessaires pour mettre le tarif en harmonie avec les faits.

Mais j'aurai l'honneur de répondre à l'honorable M. Mercier que les arguments sur lesquels il se fonde pour combattre l'intérêt à 5 p. c. ne sont pas concluants, puisque, dans son hypothèse, il doit bien reconnaître que, si la rente hausse, il y aura pour la caisse un bénéfice sur le capital. Ce n'est donc pas dans ce cas qu'il y aura perte pour l'Etat.

L'honorable M. Cans a développé cette idée d'une manière si claire que je ne comprends pas qu'on hésite aujourd'hui.

Il est évident que les acquisitions de rentes faites par l'Etat sont destinées à faire face à toutes les opérations de la caisse. Les rentes seront aliénées, si c'est nécessaire, pour faire face aux opérations de la caisse En ce sens, elles sont aliénables. Elles ne seront pas aliénables pour servir à l'agiotage, comme on l'a dit tantôt. En ce sens, elles ne sont pas aliénables. Mais il faut bien que les acquisitions de rentes servent aux opérations de la caisse. On ne peut donc parler dans la loi de l'inaliénabilité des rentes.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, quand la commission que j'ai eu l'honneur de présider, a fixé le taux de l'intérêt à 5 p. c, nous étions au mois de juin, et le taux de l'intérêt des fonds publics était beaucoup au-dessus de 5 p. c.

Dans le rapport, à la rédaction duquel j'ai pris part, vous voyez qui jamais notre intention n'a été d'entraîner l'Etat dans aucune espèce de perte.

Je m'en suis expliqué clairement. Ce n'est pas une œuvre de bienfaisance; ce n'est pas un acte de charité légale. C'est une institution philanthropique.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est une institution de prévoyance.

M. H. de Brouckere. - Oui, c'est son caractère spécial. Mais elle fait partie de toutes les mesures de sollicitude de la société pour la classe ouvrière (c'est mon opinion; d'autres ne la partagent point; pour moi, j'ai la confiance que les ouvriers viendront à la caisse, et en grand nombre) c'est un moyen d'assurer son avenir et de faciliter le placement de se épargnes d'une manière sûre.

Le taux de l'intérêt, je ne le discute pas. Mais malgré ce qu'a dit M. le ministre des finances, malgré ce qu'a dit notre honorable collègue M. Cans, je vois que tout le monde n'a pas compris le mécanisme de la caisse.

La caisse achète aujourd'hui du 2 1/2 p. c. à 50. Elle touche bien 5 p. c. d'intérêt. Les fonds montent et on prétend que la caisse ne participe pas au bénéfice de la hausse.

Mais s'il n'y avait qu'un seul assuré, il est bien certain que, pour servir sa rente, et l'honorable M. Cans l'a établi, il faudrait successivement (page 245) vendre les fonds publics qui auraient d'abord été achetés, et par suite l'assureur gagnerait à l'opération toute la différence entre le taux de vente et le taux d'achat.

Mais, dit-on, ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Il y a toujours de nouveaux rentiers, et vous payerez les rentes, non pas en vendant, mais au moyen des fonds qu'apporteront les nouveaux rentiers.

Remettons-nous à 20 années d'ici. Le 2 1/2 p. c. est à 60 au lieu de 50. J'irai plus loin; il est à 63 ; le taux de l'intérêt n'est que de 4 p. c. ; et la caisse n'aurait pas bénéficié les 13 p. c. (Interruption.) Mais permettez-moi de vous expliquer que celui qui viendra alors s'assurer d'après un tarif plus onéreux, sur le pied de 4 p. c, doit payer la rente 2 1/2 à 63. C'est là l'opération qu'il fait avec vous. Il vient à votre caisse et vous dit : Le taux de l'intérêt étant monté à 4 p. c, je vous achète une assurance calculée sur le taux de 4 p. c. Mais comme vous avez des fonds dans la caisse que vous achetez précédemment à 50, ne faites-vous pas un bénéfice de 25 p. c. sur ce nouvel assuré?

- Un membre. - Alors, dans l'hypothèse contraire il y a perte.

M. de Brouckere. - Il est certain que si vous posez l'hypothèse contraire, vous arrivez à une perte. Mais il faut qu'il soit bien compris que si l'on perd sur le placement des intérêts des intérêts, on gagne en même temps sur le capital. Il y a là une opération double.

Je ne parle pas de l'opération primitive; je dis qu'il faut la faire au taux du jour. Mais je soutiens que peu importe que l'intérêt de la rente monte ou baisse, si d'une part, par les appliquats que vous devez faire, vous éprouvez des pertes, vous les bénéficierez par les nouveaux rentiers qui viendront se faire assurer; que si, au contraire, vous avez fait des bénéfices sur les appliquats d'intérêts, vous les perdrez sur les nouveaux rentiers; de manière que le mécanisme de la caisse est tel qu'il ne peut produire aucune perte, du moment, que le tarif est calculé au taux du jour.

M. Mercier. - Messieurs, il arrive souvent que des discussions ont lieu uniquement par un malentendu. C'est ce qui arrive en ce moment ; M. le ministre des finances a paru me combattre ; il ne l'a pas fait du tout.

Messieurs, j'ai déclaré qu'au cours actuel, on pouvait encore acheter du 2 1/2 p. c., puisqu'on obtenait encore l'intérêt de 5 p. c.

Cependant il est possible que je me trompe sur ce fait; car il se peut que les fonds aient haussé à la bourse de ce jour de 1/8, et cela suffit pour que l'intérêt ne soit plus de 5 p. c, après déduction des frais.

Supposons toutefois qu'aujourd'hui on puisse encore acheter de la rente 2 et demi p. c. Mais pourquoi M. le ministre des finances, à propos de mon discours, vient-il parler de la hausse possible dans les fonds acquis pour la caisse et de l'avantage qui en résulterait? Il ne faut pas avoir égard aux chances de hausse ou de baisse dans le règlement du tarif. Nous devons considérer ces chances comme égales. De même que vous pouvez faire un bénéfice par la hausse, vous pouvez faire une perte par la baisse.

Ainsi, messieurs, nous avons aujourd'hui l'intérêt voulu; mais cet intérêt est très précaire. Toutes les opérations de la caisse doivent se porter sur un seul fonds belge ; et vous lui donnerez par vos achats une telle impulsion, qu'en peu de temps il s'élèvera et que vous ne pourrez plus obtenir 5 p. c. sur les placements ultérieurs.

M. de Brouckere. - Nous sommes d'accord.

M. Mercier. - Mais M. le ministre a fait ses objections en vue de me combattre. Or, je n'ai dit que ce que je répète en ce moment. Qui contesterait que s'il y a hausse après l'acquisition des rentes, il y a bénéfice pour la caisse? Mais qu'est-ce que cela a de commun avec l'intérêt à bonifier aux déposants; je voudrais bien que M. le ministre des finances nous l'expliquât. Or, c'est de cet intérêt seulement que j'ai parlé dans mon discours. Je répète qu'il ne faut avoir aucun égard pour établir cet intérêt aux chances de hausse et de baisse. La seule question est celle de savoir si, au moment où vous placez les fonds, vous obtenez 5 p. c.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce que j'ai dit.

M. Mercier. - A quoi tendent alors les objections que vous m'avez faites, si nous sommes d'accord? Il n'y a donc pas le moindre inconvénient à adopter mon amendement, qui est la traduction de votre pensée. Sur l'autre point, M. le ministre des finances a fait observer, avec raison, qu'il y a un autre élément à consulter, celui des tables de mortalité. Je crois que les tables de mortalité sont bien établies, d'après les faits qui ont été recueillis jusqu'à ce jour. Je crois aussi que les frais d'administration sont bien appréciés. Sans doute, ces éléments, s'ils varient ou s'ils ont été mal calculés, peuvent conduire à faire modifier les tarifs. Il est tout simple de stipuler dans la loi que les tarifs doivent être modifiés à raison de l'intérêt des capitaux et de la mortalité. Si j'étais gouvernement, je serais charmé d'avoir dans la loi même, des bases certaines. On ne pourrait venir me faire un reproche d'avoir ou de n'avoir pas modifié les tarifs. Je ne ferais qu'obéir aux prescriptions de la loi.

Messieurs, mon amendement formulant la pensée de tous, je crois qu'il y a tout avantage à l'insérer dans la loi.

M. T’Kint de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, j'avais demandé la parole, lorsque j'ai entendu que l'honorable comte de Theux persistait à croire que les inscriptions de rentes qui formeront l'avoir de la caisse ne pourront jamais être aliénées.

M. le ministre des finances, l'honorable M. Cans, l'honorable M. de Brouckere ont, par une série de démonstrations, clairement établi que, dans cette hypothèse, la caisse ne pourrait pas fonctionner. Je pense qu'il sera désormais inutile de donner de nouvelles explications sur le mécanisme de l'institution.

Il résulte de la discussion, messieurs, que pour aller au-devant de toutes les éventualités, le taux de l'intérêt, qui forme un des éléments du tarif, devra se rapprocher autant que possible de la vérité.

Les comptes annuels, qui seront arrêtés conformément à l'article 19, démontreront à quel intérêt la somme des placements ressortira.

Pourquoi, si vous déléguez au gouvernement le pouvoir de modifier les tarifs, inscrire dès à présent dans la loi que les intérêts seront calculés à 5 p. c, à 4 1/2 ou à 4 p. c? (erratum, page 265) Il est impossible de prévoir dans quelle situation la bourse se trouvera lorsque la loi pourra être promulguée. La rédaction la plus simple est évidemment celle-ci :

« La rente s'acquiert par des tarifs qui seront réglés par arrêté royal. »

Rien n'est préjugé, vous vous en rapportez, messieurs, à la prudence du gouvernement; et vous trouvez des garanties dans l'immense responsabilité qu'il assume.

La publication du tarif fera connaître les bases qui auront été adoptées, tout le monde pourra les contrôler.

Je proposerai donc, messieurs, de rédiger l'article dans le sens que je viens d'indiquer.

M. Delfosse. - Messieurs, je m'empare de ce que l'honorable M. Mercier vient de dire, pour combattre l'amendement par lequel il propose de réduire l'intérêt de 5 à 4 1/2 p. c. L'honorable membre vient de dire qu'il faut faire abstraction de la hausse et de la baisse, par la raison que s'il y a chance de hausse il y a aussi chance de baisse. L'Etat, nous sommes tous d'accord sur ce point, ne doit ni gagner ni perdre ; il doit tenir compte aux déposants, de l'intérêt qu'il peut retirer des fonds versés par eux. Quel intérêt le gouvernement peut-il actuellement retirer de l'achat des fonds publics? Evidemment il peut en retirer 5 p.c. Il peut acheter du 5 p. c, qui est au-dessous du pair, du 4 1/2, qui est à 88, et du 2 1/2, qui n'est pas encore à 50. Puisqu'on peut tirer de ces trois espèces de fonds, un intérêt d'au moins 5 p. c, pourquoi ne pas tenir compte aux déposants de cet intérêt?

L'honorable M. Mercier dit : « Mais plus tard l'intérêt peut baisser. » Eh bien, je lui réponds ce qu'il disait tantôt : « Il ne faut tenir compte ni de la hausse, ni de la baisse, les chances sont égales : si l'intérêt peut hausser par suite de la baisse des fonds publics, l'intérêt peut baisser par suite de la hausse de ces mêmes fonds. Pourquoi M. Mercier dit-il qu'il ne faut tenir compte ni de la hausse ni de la baisse, lorsqu'il combat l'honorable M. de Brouckere et pourquoi tient-il compte de la hausse pour réduire l'intérêt à 4 1/2 ?

M. Mercier a présenté un autre amendement d'après lequel le gouvernement serait tenu de modifier les tarifs chaque fois qu'il y aura des variations de quelque importance dans le cours des fonds publics. Je ne puis admettre une pareille disposition : les fonds publics subissent des variations fréquentes, quelquefois assez brusques; un jour il y a hausse : le gouvernement, d'après l'amendement de M. Mercier, serait tenu de prendre cette hausse en considération et de modifier les tarifs; mais cette hausse peut être le résultat d'une spéculation, d'une fausse nouvelle; elle peut être factice; quelques jours après les fonds publics peuvent redescendre à l'ancien taux, le gouvernement devrait modifier, le lendemain, l'arrêté qu'il aurait pris la veille.

Un pareil système n'est pas admissible. On comprend celui de M. T'Kint de Naeyer, qui veut laisser au gouvernement la « faculté » de modifier les tarifs; ce système est rationnel ; il faut tenir compte des circonstances ; le gouvernement doit se demander si la hausse a des chances de durée ; si elle n'est pas factice? Il ne faut pas que le gouvernement soit obligé de modifier les tarifs à l'occasion d'une hausse qui ne durerait peut-être qu'un jour.

Il est impossible que la chambre adopte aucun des deux amendements de l'honorable M. Mercier.

On a très bien prouvé, messieurs, que les fonds publics qui seront acquis par la caisse doivent être aliénables. Il viendra un moment où il faudra les aliéner pour payer les rentiers. Si l'Etat n'a rien perdu ni rien gagné, lorsque les derniers rentiers seront payés, il ne restera rien du tout dans la caisse, cela est évident.

Je reconnais que cette nécessité d'aliéner les rentes à un moment donné, pourra être une cause d'embarras; au moment où l'aliénation devra avoir lieu, les fonds publics seront peut-être à un taux assez bas; dans ce cas il y aurait perte pour la caisse et par conséquent pour le gouvernement. Mais, comme M. Mercier l'a dit, il faut faire abstraction de la hausse et de la baisse ; s'il y a chance de perte, il y a aussi chance de gain. Il y a sans doute quelque chose d'aléatoire dans l'institution, les calculs ne peuvent être basés que sur des probabilités.

M. Mercier. - L'honorable M. Delfosse vient de dire qu'on ce moment on peut encore faire des placements à 5 p. c, et il a cité le cours du 5 p. c, du 4 1/2 et du 2 1/2 p. c.

Je m'étonne que l'honorable membre parle encore d'acquérir pour la caisse du 3 et du 4 1/2 p. c, après les raisons que l'honorable M.de Brouckere a si bien déduites. Il ne reste donc que le 2 1/2, et je vous le demande, messieurs, votre raison ne vous dit-elle pas que dès l'instant ou tous les placements de la caisse, en lui supposant quelque succès, se trouveront concentrées sur le 2 1/2 p. c, ce fonds va se mettre en harmonie avec le 3 p. c, et même monter à un cours relativement plus élevé. Si l'honorable membre auquel je réponds avait lu mon amendement (page 246) avec plus d'attention, il aurait vu que je ne demande pas un changement à chaque variation du cours des effets publics, comme il le suppose, mais seulement lorsque la masse des placements à la caisse ne donnerait plus l'intérêt fixé par le tarif.

Du reste, messieurs, mon but principal a été d'écarter comme point de départ le taux de 5 p. c. La discussion a fait un très grand progrès dans ce sens; car il est généralement reconnu, dans cette chambre, que si le gouvernement adoptait aujourd'hui ce taux, il devrait d'un instant à l'autre modifier ses tarifs.

L'amendement qui a été invoqué par M. le ministre des finances et par l'honorable M. T'Kint de Naeyer se rapproche entièrement du but que je me suis proposé; seulement je suis d'avis que si la loi ne fixe pas le taux de l'intérêt, comme le gouvernement l'avait d'abord proposé lui-même, elle devrait indiquer les bases d'après lesquelles on réglera les tarifs.

Mon amendement, dans ce cas, subirait un changement de rédaction; mais j'engage beaucoup MM. les ministres à exiger eux-mêmes que les bases soient arrêtées par la loi.

Quant à moi, je pense qu'on agirait avec imprudence si, dès l'abord, comme le voudrait l'honorable M. Delfosse, on fixait un taux supérieur à 4 1/2. (Interruption.) Du moment que les bases que j'indique sont acceptées, comme l'honorable interrupteur le fait remarquer, j'avoue que je ne tiens plus à ce que l'intérêt soit fixé par la loi. Mon but sera complétement atteint si M. le ministre des finances consent à faire mention dans la loi des deux éventualités dans lesquelles le tarif devra être modifié; ces éventualités sont le cas où les fonds publics ne donneraient plus l'intérêt qui aura servi de base au premier tarif arrêté et où il serait reconnu qu'un changement est nécessaire dans les tables de mortalité.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Toutes les raisons qui ont été données jusqu'à présent, de part et d'autre, me semblent démontrer que l'on doit s'arrêter uniquement, dans l'article 4, aux termes suivants :

« Les rentes s'acquièrent d'après des tarifs qui seront réglés par arrêté royal. »

L'honorable M. Mercier a insisté sur le taux de 4 1/2.

M. Mercier. - Je n'insiste plus.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Au moment de la promulgation de la loi, il se trouve que les fonds sont dans de telles conditions que ce serait évidemment mal opérer que de calculer les tarifs sur le pied de 4 1/2; eh bien, il faudrait alors immédiatement changer les lars.

Maintenant ce principe général, que les rentes s'acquièrent par des tarifs qui seront réglés par arrêté royal; il est clair que ces tarifs doivent être établis sur la double combinaison de la mortalité réelle et de l'intérêt réel.

M. Mercier. - En présence de cette déclaration de M. le ministre des finances, mon but est atteint; je crois donc pouvoir retirer mon amendement; j'aurais toutefois préféré voir insérer dans la loi même une disposition quelconque indiquant que le principe de l'institution est que la caisse se suffira à elle-même.

M. de Theux. - Messieurs, la commission, M. le ministre des finances, tous les orateurs qui se sont fait entendre, sont d'accord sur ce point, que les intérêts du trésor public doivent être sauvegardés ; pourquoi dès lors ne pas écrire ce principe dans la loi? A mon avis, nous ne pouvons pas abandonner au gouvernement, sans lui poser une règle quelconque, le droit de fixer le taux de l'intérêt.

En ce qui concerne l'aliénation des rentes, il résulte aussi des réponses qui vous ont été faites, que ces renies ne peuvent jamais être aliénées ni comme moyen de trésor, ni comme moyen de spéculation sur les fonds publics; qu'il ne peut être question d'aliéner que lorsqu'à la suite du décès d'un certain nombre de participants, il y aurait extinction en quelque sorte des premières rentes, et que ces premiers capitaux pourraient alors servir d'emploi aux fonds des nouveaux déposants.

De cette manière, je pense qu'on a fini par se comprendre et se rapprocher.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, nous sommes prêts à admettre toutes les dispositions qui auront pour but d'assurer le trésor contre les pertes éventuelles.

Quant aux propositions qu'avait d'abord faites l'honorable M. de Theux, je vois avec plaisir qu'il y renonce; il ne veut plus que la rente soit déclaré inaliénable; il a compris que la caisse des pensions se trouverait dans le cas d'aliéner les rentes pour payer les pensions.

Maintenant l'honorable membre voudrait que la loi prît contre l'administration cette précaution, qu'elle ne put aliéner que pour les besoins de la caisse, et jamais dans des vues d'agiotage. Cette précaution, injurieuse pour le gouvernement présent et pour les gouvernements à venir, n'existe pour l'administration d'aucune des autres caisses de retraite qui opèrent aussi avec des fonds publics; l'on convertit en fonds publics les versements faits dans ces caisses; on ne recommande pas aux administrateurs, de par la loi, de n'en faire emploi que dans le seul intérêt de la caisse; c'est là leur premier devoir d'administrateur; on ne suppose pas qu'ils feraient emploi des rentes pour opérer une hausse ou une baisse factice des fonds publics.

Je pense qu'avec la proposition, telle qu'elle est formulée maintenant, les différentes opinions peuvent se mettre d'accord. Tous ceux qui ont confiance dans l'action de l'administration, laquelle doit rendre compte au moins une fois par an de l'état, tous ceux-là peuvent abandonner aussi à l'administration ce qui est un objet essentiel de sa mission.

En fixant l'intérêt à 5 p. c, nous pourrions nous trouver dans cette position, au moment de la promulgation de la loi, de ne pas pouvoir faire opérer l'application des premiers versements. Il faut laisser à la commission qui administrera la caisse, il faut lui laisser le choix du moment opportun où peuvent se faire les acquisitions; comme il faudra lui laisser aussi le choix du moment où devront se faire les ventes dans le seul intérêt de la caisse bien entendu.

Remarquez que le gouvernement n'administre pas directement la caisse par lui-même; il y aura une commission spéciale. En outre, il sera rendu annuellement compte aux chambres des opérations de la caisse; chaque membre de la chambre aura le droit, quand il le jugera convenable, d'interpeller le gouvernement sur la situation de la caisse; et quand il y aura certitude de pertes, rien ne sera plus facile que de changer les bases des tarifs.

Puisqu'on est d'accord sur la rédaction, je n'en dirai pas davantage.

M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, d'après la discussion, j'avais cru que le tarif dont il est parlé à l'article 4 était un tarif invariable. Je pensais aussi qu'on ne pouvait plus proposer de modifications aux articles 9 et 10 qui disposent, l'un, que les versements sont irrévocablement acquis à la caisse, l'autre, que la caisse ne contracte aucune obligation envers la famille des assurés ces modifications ne pouvant avoir lieu, sans rendre également des changements nécessaires au tarif.

Mais, messieurs, s'il est bien entendu que le vote sur l'article 4 ne préjuge rien quant à la question des remboursements éventuels à faire aux familles des assurés qui viennent à décéder, je n'ai plus de motif pour insister, sur mon amendement à l'article 4. Je le retire, tout en maintenant mon amendement à l'article 9. Je désire que M. le ministre veuille bien me donner des explications.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Rien n'est préjugé; nous avons déclaré, dans l'exposé des motifs et dans la discussion, que le tarif varierait.

M. le président. - M. de Theux vient de déposer un sous-amendement à un amendement de M. le ministre des finances qui n'est pas déposé.

M. de Theux propose d'ajouter « de manière que les intérêts du trésor soient sauvegardés. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mon amendement est la reproduction de la première partie de l'amendement de M. Cools : « Les rentes s'acquièrent d'après des tarifs qui seront réglés par arrêté royal. »

M. Cans. - Messieurs, la commission qui a formulé le projet de loi avait désiré, en insérant le taux auquel l'intérêt des tables serait calculé, donner aux assurés la garantie, et leur faire voir que le gouvernement n'avait pas l'intention de faire de bénéfice sur l'institution dont il s'agit. D'après l'amendement présenté par M. le ministre des finances, cette stipulation serait supprimée. Je pense alors qu'il est nécessaire de dire que l'arrêté royal indiquera le taux de l'intérêt auquel les tables sont faites. La discussion qui a eu lieu démontre que les chambres et le gouvernement veulent donner l'intérêt le plus large possible, constituer en fonds publics au taux de la bourse les versements faits par les assurés. Je propose d'ajouter. Ces tarifs ne sont pas clairs pour tout le monde, l'arrêté royal indiquera le taux de l'intérêt d'après lequel les tables auront été calculées.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le gouvernement adhère.

M. Cools. - Je propose un simple changement de rédaction à l'amendement de M. de Theux, les réclamations qu'il a provoquées me montrant qu'on considère comme trop absolus les mois : « que les intérêts du trésor soient sauvegardés; » ce à quoi nous tenons, c'est que la pensée soit exprimée dans la loi.

Le gouvernement pourrait voir un sentiment de défiance dans les termes dans lesquels ce sous-amendement est formulé. D'autre part, l'article premier portant que la caisse est établie sous la garantie de l'Etat, on pourrait prétendre que ses intérêts sont sauvegardés alors même que la caisse de l'Etat interviendrait pécuniairement dans la caisse de retraite. Je propose de dire : « Les rentes s'acquièrent d'après des tarifs qui seront réglés par arrêté royal, de telle manière que la caisse se suffise à elle-même. »

M. De Pouhon. - Je proposerai d'adopter la rédaction la plus large; je ferai observer qu'il s'agit ici d'opérations de très longue haleine, d'une durée de 30 à 40 années. Dans un pareil laps de temps, les circonstances les plus diverses, les plus imprévues peuvent se révéler. Les fonds publics peuvent fléchir temporairement, mais en définitive, c'est la hausse qui est probable.

On verse aujourd'hui mille francs argent que la caisse de retraite place en 2 1/2 p. c. belge à 50 p. c. soit à l'intérêt de 5 p. c. - Dans un an, la caisse touche les intérêts qu'elle sera dans le cas de capitaliser sur le pied de 4 p. c. et quelques années plus tard, elle ne fera peut-être plus que 3 p. c. - Il n'est pas douteux que dans cette hypothèse la caisse sera en perte si le tarifa été basé par la capitalisation des intérêts à 5 p. c.

(page 247) Je pense, messieurs, qu'il est nécessaire que le gouvernement soit autorisé à modifier les tarifs suivant les circonstances, et je propose de stipuler qu'ils le seront sur le rapport de la commission d'administration de la caisse.

L'institution est consacrée à l'usage d'une partie du public qui n'est pas à même d'apprécier les raisons de la mobilité des tarifs ; je crois qu'il convient de soustraire le gouvernement à l'impopularité des changements qui deviendront nécessaires.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, je crois d'abord que nous ne pouvons pas adopter l'amendement de M. De Pouhon. Les ministres sont seuls responsables. Il faut leur laisser toute la responsabilité de tous les actes publics, sans exception, qu'il y ait des commissions ou non; comme ils nomment les commissaires, en les nommant ils acceptent la responsabilité des actes de ces commissaires. C'est un amendement antiparlementaire. Mais je demande qu'on ajoute à l'amendement de M. le ministre des finances celui qui est proposé par M. Cans.

Il y a là une garantie et une très grande garantie.

D'abord pour les assurés, il est important qu'ils sachent à quel taux ils effectuent réellement leur placement. Si l'arrêté royal qui fixe le tarif porte en même temps que la rente s'acquerra au taux de 4 p. c., les assurés en auront connaissance par la publicité donnée à l'arrêté. Ensuite, nous députés, nous serons informés du taux auquel le gouvernement fait les placements. Si vous avez la moindre crainte que le gouvernement ne surveille pas assez les intérêts du trésor public, vous serez avertis; vous pourrez, à votre première réunion, interpeller le gouvernement.

Je crois donc qu'en insérant dans la loi que le gouvernement devra indiquer, dans l'arrêté qui fixe le tarif, le taux de l'intérêt, nous aurons donné une garantie, garantie aussi grande que celle qu'on veut obtenir par des amendements, qui sont par trop limitatifs, parce qu'un ministre méticuleux, avec de tels amendements, n'oserait pas agir.

Il y a toujours quelque chose d'éventuel dans l'institution. Or, il y a beaucoup d'hommes qui, devant une éventualité, n'osent pas prendre une résolution.

Il peut y avoir des mouvements brusques de fonds. Le gouvernement sait à quelles causes ils sont dus; ils cessent avec les circonstances qui les ont causés. Il ne faut pas que le tarif soit modifié d'un jour à l'autre. Il faut qu'il ait quelque fixité. Il faut, pour qu'il soit modifié, un mouvement de fonds qui ait une cause appréciable.

- La discussion est close.

M. Mercier. - Mon but étant atteint par les explications que M. le ministre des finances a données et par le retranchement de l'intérêt de 5 p. c, je renonce à mon amendement.

- Les sous-amendements proposés par MM. de Theux, Cools et De Pouhon sont successivement mis aux voix et rejetés.

Le premier paragraphe de l'amendement de M. Cools et l'amendement de M. Cans (dispositions auxquelles le gouvernement se rallie) sont mis aux voix et adoptés. Ils forment l'article 4 ainsi conçu :

« Les rentes s'acquièrent d'après les tarifs qui seront réglés par arrêté royal. L'arrêté royal indiquera le taux de l'intérêt auquel les tables seront établies. »

Article 5

La chambre passe à la discussion sur l'article 5 du projet de la section centrale, auquel le gouvernement se rallie et qui est ainsi conçu :

« Art. 5. Le minimum de la première rente est fixé à 24 francs ; le maximum de rentes accumulées ne peut dépasser 900 francs.

« Ceux qui seraient parvenus à faire inscrire des rentes au-delà du maximum ne toucheront pas l'excédant, et n'auront droit qu'au remboursement, sans intérêts, des capitaux irrégulièrement versés.

« Ils seront déchus de ce droit s'ils ont déjà touché un ou plusieurs termes de l'excédant de la rente. »

M. le président. - La parole est à M. de Bocarmé, pour développer son amendement tendant à réduire à 720 fr. le maximum de la rente.

M. de Bocarmé. - Messieurs, je propose de substituer le chiffre de sept cent vingt francs, ou soixante francs par mois, à celui de neuf cents francs présenté par la section centrale, par cette considération surtout « que la caisse de prévoyance sera incessamment menacée d'éprouver des embarras, de faire faillite même, comme une suite probable, si elle s'est assurée des perturbations climatoriales, politiques et financières que le temps, régulier seulement pour l'astronome, provoquera par son cortège habituel d'accidents et de rafales, dont les assurés ou le gouvernement, souvent tous les deux, deviendraient les victimes... »

Il est évident, messieurs, que ces crises seront, en quelque sorte, prévenues ou atténuées dans la même proportion que nous abaisserons le chiffre de la rente, qui souvent, d'ailleurs, sera perçue par plusieurs individus d'une même famille.

En outre, messieurs, pour conserver à la loi son but louable, son résultat vraiment philanthropique et libéral, elle doit réprouver, elle doit rejeter les spéculations des capitalistes; afin de conserver toute sa vitalité, toutes ses forces pour affranchir les prolétaires des misères qui les accompagnent si fréquemment dans le vieil âge, aux confins de la vie, comme l'a dit un honorable orateur.

Les oscillations que viennent d'éprouver des institutions célèbres retentissent encore pour nous engager à prendre pour guides la circonspection et la prudence dans l'élaboration d'une loi qui a tant de rapports avec celles qui ont réglementé les caisses d'épargne.

Si, par la hauteur du chiffre de la rente, ou par l'imprévoyance des règlements, nous laissions participer les classes aisées aux avantages de l'institution, je le répète, nous augmenterions les difficultés et les dangers; les placements en deviendraient plus difficiles, et pourraient, à la longue, entraver la liberté d'action et l’initiative de l'administration des finances.

En effet, messieurs, si des capitaux trop considérables, représentés par des fonds publics, étaient accumulés dans la caisse de prévoyance, le gouvernement, moralement et matériellement responsable, ne pourrait-il pas un jour se voir obligé de renoncer, par cette seule raison, à la bonne occasion qui s'offrirait d'alléger les charges publiques, soit par le remboursement, soit par l'abaissement de l'intérêt des dettes de l'Etat?

Du reste, messieurs, je me rallie à l'application opportune des principes de la loi ; et je m'associerai par mes votes à cette œuvre qui, dans de sages limites, s'harmonisera avec les exigences et les idées libérales de l'époque; en rendant, de plus en plus, homogènes et solidaires toutes les classes de la société.

M. le président. - M. Thibaut a déposé l'amendement suivant :

« Art. 5. Le minimum de chaque rente est de 12 fr. Les rentes plus fortes doivent être des multiples de 12 fr. Le maximum des rentes accumulées ne peut dépasser 360 fr. »

La parole est à M. Thibaut pour développer son amendement.

M. Thibaut. - Messieurs, je ne sais pour quel motif la commission qui a rédigé le projet de loi a fixé le minimum de la première rente à 24 fr. Il me semble que d'après les motifs mêmes qui ont guidé la commission, il convient de descendre jusqu'au chiffre de 12 fr. En effet, je lis dans le rapport : « Il est indispensable que l'acquisition de rentes soit accessible, sans grands efforts, à l'ouvrier, autant pour lui faire comprendre les effets des placements que pour le stimuler, par l'acquisition d'une première rente, à en acquérir d'autres. »

Or, messieurs, il sera plus facile de moitié d'acquérir une rente de 12 fr. que d'acquérir une rente de 24 fr. Il me semble donc que nous devons admettre ce minimum de 12 fr., pour qu'il soit plus accessible à tout le monde et pour que les petits placements de fonds ne restent pas longtemps improductifs.

Quant à la seconde partie de mon amendement, je la crois utile comme résultat d'une pensée qui a été émise par divers orateurs, et qui a été appliquée dans les tarifs. Je la crois même nécessaire, maintenant qu'on a laissé par l'article 4, au gouvernement seul, la formation des tarifs. Si l'on veut établir une progression, il me semble qu'il convient de la fixer par la loi même.

Mais la question la plus importante est celle qui concerne le maximum de la rente.

Le gouvernement proposait un maximum de 1,200 fr. ; la commission en propose un de 900 ; l'honorable M. de Bocarmé propose celui de 720. Je propose, messieurs, de descendre au chiffre de 360 fr. Il me semble qu'il y a pour cela d'excellents motifs. Le motif principal, je le puise dans le rapport même de l'honorable M. T'Kint de Naeyer. Nous lisons effectivement dans ce rapport : « Le gouvernement a pensé que l'esprit qui a présidé à la création de l'institution exigeait que la rente fût considérée comme alimentaire et déclarée incessible et insaisissable. »

En effet, messieurs, l'Etat qui, d'après l'article premier, devient le garant des rentes, sans espérer aucun bénéfice direct, ne peut prendre cette charge que par cette seule considération que ces rentes sont alimentaires ; la qualité de ces rentes, en même temps qu'elle leur obtient la garantie de l'Etat, doit aussi leur obtenir la garantie de la loi contre toute entreprise qui tendrait à les diminuer. Mais s'il en est ainsi, il ne faut pas permettre que l'on abuse de l'institution, que l'on abuse de la garantie de l'Etat par l'acquisition de fortes rentes qui deviendront incessibles et insaisissables.

Remarquez, messieurs, qu'à part tout autre motif, l'article 11 du projet de loi est la conséquence logique de la garantie que l'Etat accorde aux rentiers. Le gouvernement propose de déclarer les rentes, quel que soit leur montant, incessibles et insaisissables.

Je crois que c'est là faire une application exacte de l'esprit de la loi, et que l'amendement que propose la section centrale à cet article, et qui consiste à diviser les rentes quand elles dépassent la somme de 360 fr., pour accorder le privilège de l'incessibilité à cette somme seule, n est pas conforme à cet esprit. Ainsi, je pense que vous serez forcément amenés à déclarer les rentes incessibles et insaisissables quel qu'en soit le montant. Mais il me paraît impossible d'accorder un privilège aussi exorbitant à des rentes qui excéderaient le chiffre de 360 fr. Il s'agit de rentes alimentaires. Or, on doit reconnaître qu'une rente de 360 fr. est suffisante pour alimenter un homme, alors surtout qu'on doit supposer qu'elle ne sera pas sa seule ressource. Nous ne pouvons non plus, de par la loi, accorder une garantie pour des rentes plus fortes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je crois devoir combattre les deux amendements qui vous sont proposés, l'un par l'honorable M. de Bocarmé, l'autre par l'honorable M. Thibaut.

Je pense qu'il est de l'intérêt bien entendu de la caisse que le taux des rentes à acquérir ne sont pas trop bas. Il faut que certaines classes de la société, plus éclairées, comprenant mieux le but de l'institution, soient appelées à s'intéresser à cette caisse, si l'on veut qu'elle profite aux classes inférieures de la société. C'est à la longue, c'est après un temps qui probablement n'est pas encore très rapproché que nous aurons une participation considérable de la part de la classe ouvrière.

Si une partie de la classe moyenne, une partie de la bourgeoisie, les (page 248) artistes, les artisans, sont écartés de la caisse parce que la rente qu'ils auraient à acquérir serait absolument trop minime, il n'y aura pas d'enseignement au profit de la classe ouvrière. Si, au contraire, la classe que je viens d'indiquer s'intéresse à la caisse, elle provoquera les classes inférieures à y prendre part aussi. C'est là un point trè -important pour le succès de l'entreprise.

C'est principalement sur ce motif que je me fonde pour repousser les amendements.

Il est cependant une autre raison.

Il ne faut pas avoir seulement en vue la classe ouvrière, la classe laborieuse de la société. Il est une autre partie de la population qui est à la limite extrême, qui ne peut pas non plus accumuler, qui ne peut pas faire de grandes épargnes, qui ne peut constituer un capital suffisant pour les vieux jours.

Pourquoi éloigner ces personnes, ou pourquoi les réduire à n'avoir qu'une rente évidemment insuffisante après la position qu'elle ont occupée jusque-là dans la société? Quel motif avez-vous de les écarter? Est-ce que l'institution n'est pas organisée de telle sorte qu'elle ne puisse causer préjudice à l'Etat? Ne prendra-t-on pas des mesures pour qu'aucune perte ne soit subie par le trésor public?

Dès lors quelles raisons avez-vous de ne pas les appeler aussi à la jouissance des bienfaits que vous voulez répandre sur la société?

Je ne comprendrais pas qu'on se bornât à constituer des rentes au capital de 360 francs, comme le propose l'honorable M. Thibaut. C'est par transaction, dans des vues de conciliation, que le gouvernement a consenti à réduire les rentes au taux de 900 francs. Car le taux de 1,200 fr., qui avait été fixé dans le projet du gouvernement, n'avait rien d'exagéré, et paraissait de nature à faire naître des inconvénients sérieux.

J'insiste donc pour que la chambre écarte ces deux amendements.

M. Cools. - Messieurs, je dois appuyer l'amendement de l'honorable M. de Bocarmé. Nous sommes occupés à créer une institution utile ; mais nous devons bien nous garder d'une chose, c'est d'exagérer le principe. Il faut bien reconnaître qu'au point de vue des intérêts généraux de la société, au point de vue du développement de la richesse publique, l'institution des caisses de retraite offre du danger. Je fais ici abstraction de l'intérêt des assurés ; je prends l'intérêt de la société en masse. Eh bien à ce point de vue, toute institution qui aboutit à une destruction de capitaux du moment qu'ils sont formés, offre du danger.

Ne perdez pas de vue, messieurs, qu'il y a une grande différence entre les caisses d'épargne et les caisses de retraite. Les caisses d'épargne sont toujours utiles, pourquoi? Parce que là le capital est toujours conservé; il s'accroît sans cesse, et à un moment donné il est reversé dans la société où il peut fructifier. Mais dans les caisse de retraite, c'est tout l'opposé : là le capital s'accumule aussi successivement, mais à un moment donné il n’est versé dans la société par fractions minimes jusqu'à la fin de la vie du rentier, et quand le rentier est mort le capital est détruit. Il y a donc une différence radicale entre les caisses d'épargne et les caisses de retraite.

Je le reconnais, pour certaines personnes, les caisses de retraite sont utiles, même au point de vue de l'intérêt général de la société; mais c'est uniquement pour celles qui n'ont de moyens d'existence assurés que jusqu'au moment où les forces viendront à leur manquer ; pour celles dont la position ne permet pas de réunir, avant cet âge, un capital de quelque importance, un capital qu'elles puissent faire fructifier, dont elles puissent tirer parti. Ainsi les caisses de retraite sont utiles, d'une part, pour les fonctionnaires; d'autre part, pour les classes ouvrières; pour toutes ces personnes, les caisses de retraite sont une excellente institution.

Il ne faut donc pas rendre ces caisses accessibles à tout le monde indistinctement. Remarquez bien, messieurs, que je ne parle que des caisses de retraite existant sous le patronage du gouvernement, auxquelles le gouvernement accorde une faveur, auxquelles il convie tout le monde, en quelque sorte, à prendre part.

Les autres ne doivent être ni encouragées ni entravées. Tout citoyen doit rester libre de faire de sa fortune tel usage qui lui convient, et on ne doit interdire à personne la faculté de placer à ces caisses de retraite, s'il le trouve bon.

Mais pour les caisses auxquelles le gouvernement accorde sa protection, je dis qu'il y a du danger à appeler le plus grand nombre des personnes à y prendre part. C'est cependant là une idée que j'ai entendu exprimer souvent dans le cours de la discussion, mais je la crois fausse dans sa généralité. Il faut donner à la caisse une certaine consistance, a-t-on dit. Oui, messieurs, mais quelles personnes faut-il appeler à y prendre part? Uniquement celles pour qui la caisse peut être utile. Il faut y appeler le plus grand nombre d'ouvriers possible; mais si nous allons convier les petits rentiers, les classes moyennes, à verser des capitaux à la caisse de retraite, évidemment nous nous exposons à porter préjudice au patrimoine des familles, nous travaillons, sans le vouloir, à la destruction de la propriété et, à ce point de vue, nous aurions, on en conviendra, décrété un principe antisocial.

Il faut donc que ces caisses soient renfermées dans certaines limites; il faut qu'elles ne profitent qu'aux classes ouvrières; car, sauf quelques exceptions, dont nous ne pouvons pas nous occuper, elles ne conviennent qu'à ces classes.

Il s'agit donc de savoir quel est le maximum de la rente qui peut être nécessaire à un ouvrier, lorsqu'il ne peut plus travailler. Je dis les ouvriers, car pour les fonctionnaires publics, il y a des caisses spéciales.

J'ai fait quelques calculs.

Prenons le maximum de 720 fr. fixé par l'honorable représentant de Tournay. Une rente de 2 fr. par jour est évidemment le maximum de rente dont un ouvrier aura besoin dans ses vieux jours. Ce chiffre serait même trop élevé, s'il ne fallait pas prévoir le cas où le rentier aura une famille à entretenir. C'est d'après ce calcul qu'on arrive au chiffre de 720 fr.

Maintenant, messieurs, ne nous faisons pas illusion. Vous aurez peu d'ouvriers qui songeront à se créer une rente avant l'âge de trente ans. Avant cet âge, on n'a guère de prévoyance, on ne songe qu'au plaisir, surtout dans la classe ouvrière. Eh bien, savez-vous quelle somme il faudrait verser à 50 ans, pour avoir droit à une rente de 720 fr., prenant cours à l'âge de 55 ans? Il faudrait déposer 1,691 francs !

Mais l'ouvrier ne déposera pas cette somme. On en comprendra sans peine la raison. Il fera des versements successifs. Or, je crois aller bien loin en supposant qu'il pourra économiser un demi-franc par jour, soit 3 fr. par semaine. Bien peu d'ouvriers pourront faire cette économie. Admettons cependant ce calcul, et nous arrivons à ce résultat qu'il faut à un ouvrier dix ans et quatre mois pour accumuler 1,691 francs. Encore faudra-t-il pour cela qu'il puisse faire cette épargne sans interruption, c'est-à-dire qu'il ne devra pas subir de chômage, qu'il ne devra pas être atteint par des maladies.

Mais remarquez que l'ouvrier, commençant à économiser à 30 ans, sera parvenu à l'âge de 40 ans, avant d'avoir réuni cette somme de 1,691 fr. Or, à 40 ans, 1,691 fr. ne suffisent plus pour créer une rente de 720 fr. A 40ans, il faut verser 3,169 fr. pour se créer une pareille rente. Ainsi l'ouvrier qui, de 30 à 40 ans, aura, par des versements successifs, atteint le chiffre de 1,691 fr., ne sera pas encore parvenu à se créer une rente de 720 fr. Il lui restera encore quelque chose à verser. Ce ne sera plus tout à fait 1,478 fr., faisant la différence entre les deux sommes, les rentes se créant par succession de 12 fr., dans l'intervalle des deux âges, et l'importance des versements suivant cette progression; ce sera quelque chose de moins.

Admettons qu'il ne manquera que 500 fr. pour parfaire la rente. Or, pour réunir ce supplément, il devra encore faire des économies pendant 3 ou 4 ans. Il arrivera ainsi à l'âge de 43 ou 44 ans, c'est-à-dire presque à la limite de l'âge où il lui est permis de faire des versements, pour entrer en jouissance à 55 ans.

Vous voyez donc, messieurs, qu'en limitant le maximum de la rente à 720 fr., comme le propose l'honorable M. de Bocarmé, vous aurez fait tout ce qu'il est possible de faire pour la classe ouvrière, la seule que vous deviez avoir en vue.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'ai peine à saisir le but des dernières observations de l'honorable M. Cools. Il veut établir que les ouvriers pourront très difficilement atteindre à la rente de 720 francs. Cela est vrai ; mais, est-ce un motif pour ne pas maintenir le maximum à 900 fr.

Dès lors, où est le mal de laisser la rente de 900 francs pour ceux qui pourront y prétendre?

Je reconnais que la caisse est surtout destinée aux épargnes des classes inférieures ; mais il faut aussi laisser quelque latitude à une certaine classe d'habitants qui voudront y participer.

L'honorable M. Cools s'est livré à des suppositions un peu hasardées. Il prétend que les ouvriers ne déposeront qu'à partir de l'âge de 30 ans. Sur quoi repose cette supposition?

Il ne faut pas seulement compter les ouvriers, il faut encore compter les ouvrières; car la loi s'applique aux uns et aux autres. Les ouvrières, une fois en âge de gagner un salaire, pourront déposer de petites sommes à la caisse de retraite, comme elles en déposent aujourd'hui à la caisse d'épargne. Les femmes surtout trouveront une grande ressource dans une caisse de retraite, et elles deviennent prévoyantes avant l'âge de 30 ans. D'ailleurs, les ouvriers qui auront vécu dans la dissipation et le libertinage jusqu'à l'âge de 30 ans deviendront rarement prévoyants à cet âge ; ceux qui sont prévoyants commencent à l'être de bonne heure.

D'après l'honorable M. de Theux, les ouvriers ne pourraient pas atteindre encore à la caisse de retraite, qui serait surtout destinée à la bourgeoisie; d'après l'honorable M. Cools, la bourgeoisie ne pourrait pas y participer; dès lors, la caisse se trouverait une institution entièrement inutile.

Je crois que la caisse de retraite est destinée à la fois et aux classes inférieures et à la classe bourgeoise; à tous ceux qui voudront atteindre au maximum de 900 francs; ce sera l'exception; mais nous ne voulons empêcher personne d'arriver à la rente de 900 francs. Nous ne pouvons pas accepter un maximum inférieur à ce chiffre; nous avons accepté ce chiffre uniquement pour donner une sorte de satisfaction aux préventions qu'on a cherché, de bonne foi sans doute, à accumuler contre la caisse de retraite, dès l'origine; nous croyons avoir donné toute sécurité à ceux qui craignent que la caisse ne devienne pour l'Etat une chose onéreuse.

Je repousse donc l'amendement de M. Thibaut et celui de M. de Bocarmé.

M. Thibaut. - Messieurs, permettez-moi d'adresser une seule question à M. le ministre. Je demanderai à M. le ministre s'il insistera lors de la discussion de l'article 11, pour que le maximum de la rente, quel qu'il puisse être, soit déclaré incessible et insaisissable. La section centrale n'a déclaré la rente incessible et insaisissable que jusqu'à la concurrence de 300 francs. Dans le projet du gouvernement, le maximum de 1,200 francs était déclaré incessible et insaisissable. Il me semble que le (page 249) rapport de l'honorable M. T'Kint renferme des raisons très fortes contre une disposition semblable, appliquée à des rentes aussi fortes. Il est utile que la chambre sache, avant de fixer le maximum des rentes, quel en sera le caractère, ou du moins quel il doit être dans la pensée du gouvernement.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, l'honorable M. Thibaut a demandé pourquoi la première rente est fixée à 24 francs, et les autres rentes à 12 francs. Nous avons cru qu'il fallait baisser autant que possible la somme de la plus petite rente; nous n'avons pas cru pouvoir descendre au-dessous de 24 francs, car ce sont déjà des payements de 2 francs; mais nous laissons accroître la rente de 12 en 12 francs, parce qu'il suffit d'assigner une limite inférieure et d'éviter les fractions dans les moyennes.

L'honorable M. Cools est tombé dans une étrange contradiction; il vous a dit : Les caisses de retraite pour les fonctionnaires sont une excellente chose; les caisses de retraite pour les ouvriers sont encore d'excellentes choses; mais en dehors de ces deux choses, il n'y a plus rien de bon avec la garantie de l'Etat.

Mais, messieurs, les employés du commerce et de l'industrie ne parcourent-ils pas une carrière à peu près analogue à celle des fonctionnaires publics? Je parle des simples employés. Et si ces employés peuvent, par des versements annuels, s'acquérir une retraite de 1,800 à 2,000 francs, pourquoi ne voudriez-vous pas donner aux employés du commerce et de l'industrie la perspective d'avoir une retraite de 900 fr. au maximum dans leurs vieux jours?

Que si vous les assimilez à des ouvriers, l'on vient de démontrer qu'un ouvrier arrivé à 30 ans ne pourra pas acquérir une rente de 720 francs ; j'en conviens ; je crois même qu'en mettant plus tôt à la caisse, l'ouvrier touchera une rente de 350, de 400 ou de 450 francs; que ce sera pour lui une très belle position, comparativement à celle qu'il aura eue dans ses jeunes années. Mais je dis que si la rente était réduite à des limites trop étroites, vous en détourneriez précisément cette classe si nombreuse des employés du commerce et de l'industrie qui ne voudraient pas mettre à la caisse ; mais à côté de cette classe, il en est une autre qui a le malheur de vivre au jour le jour, celle des musiciens; je ne parle pas des grands artistes; ces musiciens ont dans l'année 5 ou 6 bons jours; oh bien, si on pouvait les faire songer à l'avenir, ils pourraient aussi participer à cette caisse.

Dans l'opinion de la commission, précisément parce qu'elle a reconnu ce qu'il y avait de bon, dans les caisses de retraite, devers les fonctionnaires publics, on a voulu que tous les hommes qu'on pouvait leur assimiler par la nature des travaux, la manière de vivre et d'être salarié pussent prendre part à la caisse de prévoyance .Voilà pourquoi nous avions porté le maximum à 1,200 fr. Il est réduit à 900 fr. On a fait une interpellation au gouvernement, ce n'est pas à moi à y répondre, mais je déclare comme député que je voterai pour que la rente entière soit incessible et insaisissable, par le même motif que la pension de l'employé est incessible et insaisissable, et que cette pension est plus forte que la rente qu'on peut acquérir à la caisse. Si vous faisiez autrement, vous donneriez lieu à un agiotage épouvantable ; la plupart des rentes ne seraient pas dans les mains des rentiers, on les escompterait, et on les escompterait très durement.

M. de Bocarmé. - Messieurs, j'ai combattu ce que j'ai appelé le luxe de la loi. J'ai réduit la pension qu'on pourra acquérir, de 180 fr. c'est quelque chose sans doute, mais je ne puis admettre qu'on doive provoquer les employés du commerce et tous ceux qui sont dans une position analogue à venir participer aux bénéfices de cette caisse, parce qu'alors la responsabilité du gouvernement deviendrait vraiment trop grande. Ce que je veux éviter, ce sont des perturbations que le temps amènerait nécessairement. J'ai calculé ma proposition, à raison de 2 fr. par jour, et comme c'est pour la classe ouvrière exclusivement que j'entends appuyer l'institution d'une caisse de retraite, deux francs par jour, me semblent suffisants pour les besoins matériels, je dirai même pour les besoins moraux, car ils donneront au pensionné le moyen de venir encore au secours de sa famille. Je connais des ouvriers au village qui n'ont pas davantage et qui élèvent de nombreux enfants, qui deviennent des ouvriers moraux et courageux.

M. T'Kint de Naeyer, rapporteur. - La majorité de la section centrale, en adoptant le maximum de 900 francs de rente, a voulu tenir compte de la position relative des assurés.

Je ferai remarquer à l'honorable comte de Bocarmé qu'il y a une grande différence à établir entre les ouvriers agricoles et ceux qui habitent les villes. Les besoins, les habitudes ne sont pas les mêmes.

Si une pension de 720 francs est plus que suffisante à la campagne, elle cesserait de l'être dans les grands centres de population, pour plusieurs catégories de travailleurs. Il faut que l'institution puisse convenir aux petits commerçants, aux artistes, en un mot, à une foule de personnes qui, par leur éducation, par les habitudes qu'elles ont contractées, ne pourront pas se contenter d'une pension trop modique.

Je saisirai cette occasion, messieurs, pour exprimer mon opinion personnelle concernant l'article 11.

Un honorable préopinant s'est appuyé sur les arguments que la majorité de la section centrale a fait valoir contre le principe de l'incessibilité et de l'insaisissabilité des rentes. Comme rapporteur, j'ai cherché à faire valoir, avec une complète impartialité, les arguments qui ont été présentés par les partisans et par les adversaires de ce principe; mais cela n'empêche pas que je partage entièrement l'avis de la minorité de la section centrale. Dans la discussion qui va avoir lieu, les honorables membres qui ont fait partie de la majorité soutiendront sans doute les conclusions qu'ils ont fait prévaloir.

M. de Mérode. - D'après ce qui s'est dit dans cette discussion, je vois qu'il ne s'agit pas d'une caisse de retraite pour les ouvriers; on veut garantir une rente à tous ceux de la classe moyenne qui voudront participer à la caisse. Je trouve qu'on agit avec une grande munificence quand on veut porter une rente semblable à 900 fr. Dans la généralité des campagnes, un emploi actif de 400 fr. est considéré comme très avantageux et est sollicité par un grand nombre d'individus vigoureux et laborieux ; quand ces mêmes individus se retirent et même quand ils se trouvent avoir droit à la pension accordée par des particuliers qu'ils ont servis ou par l'Etat, on ne leur accorde pas facilement 400 fr. Je prendrai pour exemple un brigadier de gendarmerie; je demanderai quelle est sa retraite. J'ai entendu parler, dans le département du Nord, de 250 fr.; je ne sais de combien elle est en Belgique. Il s'agissait d'un brigadier qu'on voulait obliger à se retirer: il en était désolé, parce qu'il était encore en état de servir et que la pension qu'il devait avoir n'était que de 250 fr. Donc une pension de 360 fr., comme le propose M. Thibaut, est déjà un chiffre assez élevé. Si la loi concerne toute la classe moyenne, je n'ai rien à dire ; mais alors il ne fallait pas la présenter comme une loi en faveur des ouvriers, mais comme une loi générale, parce qu'elle sera beaucoup plus applicable à ceux qui ne sont pas ouvriers qu'aux ouvriers. Les ouvriers formeront l'exception. Ce sont des personnes appartenant à une classe beaucoup supérieure qui prendront part aux avantages que la loi veut établir. Il ne faut pas croire que les habitants jouissant de 600 fr. de rente soient si communs, c'est l'exception, Si l'on veut persister dans le système qu'on veut adopter, il faut donner à la loi un tout autre caractère et ne pas la présenter comme une loi faite dans l'intérêt de la classe ouvrière.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'on aura beau faire, on n'enlèvera pas à la loi le caractère sagement démocratique dont elle est revêtue ; on aura beau dire, les classes laborieuses ne s'y tromperont pas. Il semblerait à entendre d'honorables membres, que la loi exclut les ouvriers de la participation à toute espèce de pension, parce que le maximum est fixé à 900 fr. Mais on peut atteindre à une rente moins élevée, puisque le tarif descend jusqu'au minimum de 12 francs.

Il y a des degrés pour tous les participants. Si un ouvrier ne peut atteindre la pension de 900 fr., il pourra s'en procurer une de 400, de 300, de 200 fr., suivant les ressources dont il peut disposer et les sacrifices qu'il veut s'imposer pendant une série d'années.

On croirait, à entendre l'honorable préopinant, que les rentes se distribueront gratuitement à la bourgeoisie. Mais ces rentes s'achètent. Ceux qui feront plus de sacrifices auront des rentes plus élevées ; ceux qui en feront moins auront des rentes moins élevées. Il y en aura pour tout le monde : il y aura des rentes depuis 24 fr. jusqu'à 900 fr.

Il est donc exact de dire que la loi a pour but de favoriser l'épargne dans les classes qui n'ont pas l'habitude de l'épargne. Assurément ceux qui n'ont rien, ceux qui vivent de la charité ne pourront pas se constituer des rentes. Mais ceux qui ont un salaire régulier et un esprit d'épargne un peu développé pourront atteindre à la hauteur de petits rentiers, c'est-à-dire de conservateurs des institutions et de l'ordre dans le pays.

Pour un grand nombre de personnes qui ne pourront arriver au chiffre fixé par la loi pour l'acquisition d'une rente, je suis convaincu que des personnes charitables compléteront le versement de manière à leur assurer une modique pension.

Il y aura donc, je le répète, des rentes pour le grand nombre et principalement pour les classes laborieuses de la société.

M. Cans. - Dans l'opinion de quelques honorables membres, la caisse de retraite serait tout à fait inaccessible à l'ouvrier. Les calculs de l'honorable M. Cools pouvant encore sur ce point égarer l'opinion de la chambre, j'ai demandé la parole pour les rectifier.

L'honorable M. Cools suppose qu'à 30 ans l'ouvrier sera en position de verser la somme nécessaire pour s'assurer une rente, et il regarde dans le tarif ce qu'il devra déposer. Mais à moins d'avoir gagné à la loterie, ou recueilli un héritage, ce n'est pas ainsi que l'ouvrier déposera à la caisse de retraite.

J'ai fait un calcul, et j'ai trouvé que l'ouvrier, qui commencerait, à 18 ans, à épargner sur son salaire 10 cent, par jour (ce qui est facile ; car il n'est guère d'ouvrier qui ne dépense chaque matin 5 cent, pour son petit verre) et qui appliquerait cette épargne de 30 fr. par an (car je la suppose faite sur le salaire de 300 jours seulement) à des achats de rentes différées, se ferait 600 fr. de rente dont un tiers prendrait cours à 55 ans, un tiers à 60 ans, un tiers à 63 ans. S'il se mariait, il pourrait constituer une partie de ces rentes sur la tête de sa femme.

Il y a une objection faite par l'honorable M. Cools que je dois rencontrer également.

Cet honorable membre a dit que la caisse d'assurances sur la vie détruisait le capital.

(page 250) Cela n'est pas exact, surtout pour les rentes différées. Une personne de 50 ans qui verse à une société d'assurances la somme nécessaire pour se constituer une rente viagère immédiate et qui vient à mourir ne détruit pas son capital, puisqu'il passe à la société d'assurances, mais ce capital est perdu pour sa famille. Il n'y a pas de destruction de capital quand un individu de 18 ans fait un versement d 4 à 5 fr. pour acquérir une rente de 12 fr. à l'âge de 65 ans.

La caisse d'épargne n'opère pas autrement que la caisse de retraite. Un individu qui a constamment versé à la caisse d'épargne, pour s'assurer un sort dans ses vieux jours, n'opère pas autrement que celui qui prend une assurance à la caisse de retraite.

M. Delfosse. - M. le ministre des finances vient de me dire qu'il considère comme impraticable l'article 11 du projet de la section centrale, qui ne déclare les rentes incessibles et insaisissables que jusqu'à concurrence de 360 fr.

Dans l'opinion de M. le ministre des finances, les rentes doivent être entièrement insaisissables. S'il en est ainsi, je suis porté à appuyer la proposition que fait l'honorable M. de Bocarmé de fixer le maximum à 720 fr.

Je crois et j'espère avec M. le ministre de l'intérieur, que les classes inférieures participeront à la caisse de retraite, que la caisse leur sera accessible. Mais il est certain que peu de personnes dans les classes ouvrières pourront attendre le chiffre de 720 fr. de rente, l'intérêt des classes ouvrières n'est donc pas ici en jeu, on peut adopter l'amendement sans porter le moindre préjudice à ceux dans l'intérêt desquels l'institution est surtout conçue; j'insiste sur ce point, parce que c'est principalement au point de vue des classes ouvrières que le projet mérite notre approbation.

L'intérêt des classes ouvrières étant hors de cause, est-il bon qu'on puisse s'assurer une rente de plus de 720 fr. au détriment de ses créanciers?

Remarquez qu'un mari pourra acquérir deux fois le maximum de la rente, une fois en son nom personnel, une autre fois au nom de sa femme!

Deux époux pourraient, d'après le projet, acquérir une rente de 1,800fr. à laquelle les créanciers ne pourraient pas toucher.

Je crois que nous ferions bien de diminuer le revenu qu'un débiteur pourrait se procurer aux dépens de ses créanciers. Un principe essentiel dans la société, c'est qu'il faut payer ses dettes; cela est moral. Ne donnons pas aux populations trop de facilités pour l'enfreindre impunément ; bornons-nous à garantir aux déposants ce qui peut être considéré comme une pension alimentaire.

J'appuie donc l'amendement de l'honorable M. de Bocarmé qui réduit le maximum à 720 fr., amendement qui, je le répète, ne peut causer aucun préjudice à la classe ouvrière, dans l'intérêt de laquelle l'institution est surtout fondée.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je suis d'accord avec l'honorable préopinant, que la caisse est surtout faite dans l'intérêt des classes ouvrières, qu'elle s'adresse principalement à ceux qui ont le moins de ressources dans leurs vieux jours. Mais je ne suis pas d'accord avec lui, lorsqu'il veut réduire le maximum des rentes, sous prétexte que la classe ouvrière ne pourrait pas atteindre même au maximum de 720 francs, proposé par l'honorable M. de Bocarmé. J'ai donné à cet égard une raison qui me paraît péremptoire en faveur de rentes plus élevées; c'est que c'est un moyen d'attirer les classes inférieures de la société. L'enseignement doit venir de la classe moyenne , qui sera la première appelée à participer à la caisse, parce qu'elle est plus intelligente, plus éclairée, et qui enseignera, par sa pratique, aux ouvriers, aux domestiques, à tous les individus qui dépendent d'eux, qui travaillent pour eux, à côté d'eux, les moyens de venir assurer leurs vieux jours contre la misère. Si vous les écartez d'une manière absolue, vous n'aurez personne pour donner cet enseignement. La lumière vient d'en haut, il faut que ce soit à l'aide des classes moyennes que vous fassiez fructifier l'institution au profit des classes inférieures de la société. C'est là une raison qui me paraît concluante.

Il en est une autre ; je l'ai indiquée tantôt, je la répète. C'est qu'on me semble se faire une étrange illusion, si l'on suppose que les classes ouvrières seules se trouvent dans l'impossibilité d'épargner suffisamment pour se mettre à l'abri de la misère.

Il est une classe intermédiaire d'autant plus malheureuse qu'elle a eu des jours meilleurs, qu'elle a une éducation plus soignée, et qu'elle ressent ainsi plus vivement la douleur.

Celle-là, vous la laissez absolument sans participation possible à la caisse. Je dis sans participation possible, parce que vous offrez aux membres de cette classe une rente tellement minime, que, dans les jours où il leur serait possible de penser à la vieillesse, ils ne se préoccuperont pas d'acquérir une rente qui ne s'élèverait qu'a 600 ou 700 fr. Pour ceux-là, il faut faire quelque chose de plus ; il faut leur permettre d'acquérir une rente suffisante pour conserver la position qu'ils avaient auparavant.

L'objection de l'honorable préopinant est surtout tirée de l'opinion que j'ai exprimée, et qui est d'ailleurs celle du projet et de la commission, que les rentes doivent être déclarées incessibles et insaisissables. Il veut la réduction de la rente, parce qu'il serait immoral de permettre qu'on acquît une rente, quelque peu considérable, aux dépens de ses créanciers. Mais, messieurs, c'est un principe absolu en cette matière, c'est un principe général que les rentes de cette nature payées par l'Etat sont incessibles et insaisissables. Il y a, pour le décider ainsi, des raisons tirées de la nature des choses et des raisons tirées des nécessités administratives.

De la nature des choses, parce que les rentes de cette espèce, quel qu'en soit le taux, sont considérées comme alimentaires, et que le législateur a parfaitement le droit de déclarer que des rentes de cette nature ne peuvent être saisies ni être vendues.

C'est ainsi que, quand vous avez discuté la loi sur les pensions civiles, où vous avez admis que des pensions pouvaient aller jusqu'à 5,000 fr., et même jusqu'à 6,000 fr., la question a été examinée avec le plus grand soin, et vous avez décidé que ces pensions mêmes de 6,000 fr. étaient incessibles et insaisissables. Ainsi, voilà des fonctionnaires qui, placés dans de hautes positions, ont pu acquérir une rente viagère, une pension qui va jusqu'à 5,000 fr., et cependant ces pensions sont incessibles et insaisissables de par la loi de 1844.

Pourquoi donc vouloir, sans raisons bien évidentes, déroger à ce principe qui est le droit commun de la matière ?

Pourquoi vouloir que ces rentes soient cessibles et saisissables? Permettre qu'elles soient cessibles pour une quotité quelconque, c'est la destruction de la caisse de retraite. Permettre que les rentes puissent donner lieu à des contrats de cession ou à des saisies, c'est exposer le sort de l'institution. Il faut d'une manière absolue, que les rentes soient incessibles et insaisissables, quelle que soit la quotité de la rente, sauf les cas prévus par les articles 202 et suivants du Code civil. Hors de là, point d'exception.

Qu'arriverait-il autrement ? C'est que ceux au profit desquels vous constituez la caisse de retraite, que vous supposez imprévoyants, et qui le sont en effet, se trouveront abandonnés ; c'est qu'ayant un besoin, une passion quelconque à satisfaire, ils céderont leur livret de rente comme on céderait le brevet de pension; et cela donnerait lieu ultérieurement aux marchés les plus usuraires. Il faut donc qu'on soit averti que de pareilles conventions sont nulles.

La section centrale veut permettre la saisie pour les quotités de rentes qui dépassent 360 fr. Eh bien, je combattrai cette proposition dans l'intérêt de l'institution elle-même. Si l'on permet la saisie pour une quotité quelconque, la caisse est perdue. Vous sacrifiez les intérêts que vous voulez sauvegarder; les intérêts des ouvriers sont compromis. Il est incontestable qu'un grand nombre d'entre eux céderaient leur livret d'inscription à la caisse à telles personnes qui offriront une somme quelconque à un moment donné.

Ainsi, j'insiste d'un côté dans l'intérêt de la caisse pour que le maximum de la rente ne soit pas fixé à un taux trop bas; j'insiste d'un autre côté pour l'insaisissabilité des rentes.

J'ai dit qu'il y avait des raisons administratives impérieuses pour cela: c'est que si la saisie ou la délégation était permise, la loi serait positivement inexécutable. C'est pour un motif analogue que la loi ne permet pas la saisie sur des rentes dues par l'Etat. Cette loi est également consacrée par la législation en vigueur. Il n'y a donc pas innovation dans le projet du gouvernement.

M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, il est une chose qui me paraît évidente, c'est que l'on s'écarte du but primitif que d'en s'était proposé. Ce but primitif consistait à créer, une rente pour la classe ouvrière proprement dite ; en d’autres termes, de faire en Belgique ce qu'on avait fait ou ce qu'on se proposait de faire ailleurs. J'en vois la preuve dans le rapport joint au projet de loi. Voici ce qu'on y lit : « Nous avons puisé dans la loi anglaise le principe, du projet que nous avons l'honneur de vous soumettre. » Eh bien! voyons ce qui se passe en Angleterre ; voyons également ce qui se passe en France.

Evidemment, dans ces deux pays, on veut aussi venir en aide, le plus efficacement possible, à la classe ouvrière. Là aussi, on veut assurer, aux ouvriers devenus infirmes, une pension qui les mette à l'abri de la misère.

Eh bien, messieurs, en Angleterre, le bill de 1833, que l'on a déjà rappelé dans cette discussion, ce bill a fixé le maximum des rentes à 20 liv. st., c'est-à-dire à 500 francs. En France, d'après le projet qui vient d'être déposé, le maximum est porté à 600 francs, et dans le projet qui avait été élaboré précédemment, il n'était que de 180 francs. Ainsi nulle part on n'a dépassé le chiffre de 600 francs. Cependant notre but semble être le même que celui que l'on poursuit dans les pays dont je viens de parler. Je ne vois donc pas pourquoi nous devons fixer un maximum plus élevé et exposer les finances de l'Etat au-delà de ce qui est nécessaire.

Par ces considérations, messieurs, j'appuierai le chiffre de 720 francs proposé par M. Thibaut.

M. Prévinaire. - On paraît généralement croire, messieurs, que quand l'ouvrier reçoit un salaire de 2 fr. par jour il a des moyens d'existence suffisamment garantis ; mais, messieurs, la classe ouvrière ne se compose pas uniquement d'individus qui gagnent 1 fr. 50 ou 2 fr. par jour; il est des ouvriers qui gagnent jusqu'à 12 fr. par jour. Or, quel est le but d'une pension? Le but de quiconque veut s'assurer une pension doit être de se procurer dans ses vieux jours des moyens d'existence équivalents à ceux dont il a joui précédemment. C'est d'après ce principe qu'on a réglé les pensions des fonctionnaires et des employés de l'Etat.

Il est donc évident que si vous voulez limiter à une pension de 720 fr., 2 fr. par jour, l'ouvrier qui a gagné 12 fr. par jour, vous allez à l’encontre du but de l’institution que vous créez.

M. Delfosse. - J'avais été le premier à déclarer que M. le ministre des finances soutiendrait que les rentes doivent être entièrement insaisissables et j'avais raisonné dans l'hypothèse où cette opinion prévaudrait.

(page 251) C'est justement parce que les rentes seront entièrement insaisissables qu'il ne faut pas que le maximum soit trop élevé. Est-il juste, est-il moral qu'un débiteur jouisse d'une rente assez forte, alors qu'il ne paye pas ses créanciers? Celui qui a des dettes et qui ne les paye pas peut-il se plaindre si on lui assure la jouissance d'une rente de 720 francs, deux francs par jour, rente qui peut être doublée, si le déposant a une femme. N'est-ce pas assez pour celui qui ne paye pas ses dettes ?

On vient de vous dire, messieurs, que la loi française ou du moins le projet, ne fixe le maximum de la rente qu'à 600 francs; en Angleterre, il n'est que de 500 francs. L'honorable M. de Bocarmé fait donc plus pour les déposants qu'on ne fait en France et en Angleterre.

Ne perdez pas de vue non plus, que la caisse est accessible à toutes les classes de la société, aux riches comme aux pauvres, et que l'Etat peut perdre puisqu'il garantit; la perte, s'il y en a une, sera d'autant plus forte que le maximum des rentes sera plus élevé, et comme les classes ouvrières n'atteindront pas le maximum, c'est surtout au profit des autres classes de déposants que l'Etat fera une perte.

L'honorable M. Prévinaire nous a parlé d'ouvriers qui gagnent des salaires très élevés, et qui pourront effectuer des versements suffisants pour atteindre le maximum. Je désire de tout mon cœur que le nombre de ces ouvriers-là soit très grand, mais je crains bien qu'il ne soit au contraire infiniment petit. Les cas cités par l'honorable membre sont malheureusement très exceptionnels.

M. le ministre des finances nous a parlé des pensions qui sont en général insaisissables. Cela est vrai; mais, parce que l'Etat a cru de sa dignité de mettre à l'abri du besoin et à l'abri de toute saisie ceux qui l'ont servi pendant de longues années, faut-il donner indistinctement, à tous ceux qui trouveront bon de verser à la caisse d'assurance sur la vie, un moyen de spolier leurs créanciers? Faut-il leur assurer, aux dépens de ces derniers, plus de 2 francs de rente par jour ? Cela, je le répète, ne me paraît ni bon, ni moral.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, le maximum était, dans le projet primitif, de 1,200 fr.; il a été réduit à 900 fr., et maintenant on veut le réduire à 700 fr. Pourquoi? Dans le but d'échapper aux spéculations de quelques gens malhonnêtes qui voudraient soustraire à leurs créanciers le montant de leur dette, pour s'en constituer une pension. Le principe de la loi ne peut pas être subordonné à de pareilles hypothèses : s'il se rencontre des déposants de mauvaise foi, il s'en rencontrera tout aussi bien avec le maximum de 720 francs qu'avec celui de 900 francs.

Il ne faut pas que la perspective de quelques fraudes possibles porte préjudice au principe utile qui consiste à fixer le maximum de la rente à 900 francs.

Songez, d'ailleurs, qu'il n'est pas aussi facile qu'on le croit d'échapper à ses créanciers par le versement d'une somme à la caisse de retraite. Il faudrait qu'on s'y prît 10, 15, 20, 30 ans d'avance... (Interruption.) Je sais qu'on peut faire des versements globaux, et de cette manière je reconnais que la dette pourra échapper aux créanciers, si tant est que les créanciers ne prennent pas leurs précautions en temps utile; mais, messieurs, ce seront là des exceptions ; le cas ordinaire consistera à faire des versements successifs pendant de longues années, et dès lors il faudrait être de la mauvaise foi la mieux conditionnée pour se préparer 20 ou 30 ans d'avance les moyens de frustrer ses créanciers. Cela ne se réalisera pas.

Je désire, messieurs, que l'hypothèse posée par l'honorable M. Delfosse n'exerce pas sur ce principe de la loi une influence qui serait très fâcheuse.

M. Delfosse. - Je ne touche pas au principe de la loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous voulons appeler à la caisse surtout les ouvriers; mais pour y appeler les ouvriers, il faut aussi, on l'a dit, y appeler les classes plus aisées; or une pension de 720 fr. qui peut être trop forte pour certaines catégories d'ouvriers n'est pas suffisante pour beaucoup de personnes qu'il importe de faire participer à la caisse et dont la manière de vivre habituelle exige une somme supérieure à 720 fr. En éloignant ces personnes, non seulement vous leur porteriez préjudice, mais vous empêcheriez les ouvriers de venir, à leur exemple, jouir du bienfait de l'institution.

- De toutes parts. - Aux voix ! aux voix !

M. le président. - L'amendement qui s'éloigne le plus de la proposition principale est celui de M. Thibaut.

M. Delfosse. - Je crois, messieurs, que, dans cette circonstance, il faut commencer par le chiffre le plus élevé, afin que tout le monde soit libre de son vote. Il est évident que ceux qui veulent 900 francs ne peuvent se rallier au chiffre de 720 que dans le cas où celui de 900 francs serait rejeté.

M. Thibaut. - Je pense, messieurs, que si les deux amendements étaient maintenus, il faudrait d'abord voter sur le mien. (Interruption.) Il ne s'agit pas ici d'un crédit ; s'il s'agissait d'un crédit, je concevrais que l'on commençât par le chiffre le plus élevé.

Mais ici mon amendement est celui qui s'écarte le plus du projet. Le gouvernement soutenant que la rente doit être incessible et insaisissable, et je le crois avec lui, la chambre doit, à mon avis, adopter le chiffre le plus bas.

Je me rallie à l'amendement de M. de Bocarmé, et je retire le mien.

M. Delfosse. - Messieurs, il faut commencer par le chiffre le plus élevé; car sans cela, tous les chiffres pourraient être successivement rejetés, contre le vœu de la majorité; si l'on commence par le chiffre de 720 fr. et s'il n'y a pas de majorité pour ce chiffre, ceux qui n'auront pas voulu le chiffre de 720 fr. ne voudront peut-être pas de celui de 900 fr.; tandis que ceux qui veulent 900 fr. voudront bien certainement 720 fr. si le chiffre de 900 fr. est rejeté.

M. Dumortier. - Messieurs, il est évident que l'amendement doit être mis aux voix avant la question principale.

M. le président. - D'après le règlement, il faut mettra aux voix d'abord l'amendement, à moins que la chambre n'en décide autrement.

M. Delfosse. - Messieurs, toujours, lorsqu'il s'est agi de chiffres, la chambre a commencé par le chiffre le plus élevé.

M. Cans. - Il n'y a plus que deux chiffres en présence, peu importe par lequel on commence. (Interruption.)

- La chambre, consultée, décide qu'elle votera d'abord sur le chiffre de 900 fr.

- Des membres. - L'appel nominal !

Il est procédé à l'appel nominal.

En voici le résultat :

63 membres ont répondu à l'appel.

36 membres ont répondu oui.

27 membres ont répondu non.

En conséquence, le chiffre de 900 fr. est adopté.

Ont répondu oui : MM. Lange, Lesoinne, Loos, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Peers, Prévinaire, Rogier, Sinave, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Van Cleemputte, Vanden Berghe de Binckum, Vandenpeereboom (Ernest), Anspach, Bruneau, Cans, Christiaens, Cumont, Dautrebande, David, de Chimay, Delescluse, de Luesemans, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, Dumont (Guillaume), Frère-Orban, Jacques , Verhaegen.

Ont répondu non : MM. Julliot, Mercier, Pierre, Pirmez, Rodenbach, Rousselle, Thibaut, Tremouroux, Vanden Brande de Reeth, Van Iseghem, Vermeire, Vilain XIIII, Clep, Cools, Coomans, de Baillet (Hyacinthe), de Bocarmé, de Haerne, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Theux, Dumortier et Faignart.

L'article 5, avec le chiffre de 900 fr., est mis aux voix et adopté.

Motion d'ordre

Régime pénitentiaire

Motion d’ordre relative au régime des établissements pénitentiaires

M. de Man d'Attenrode. - Je profite de la présence de M. le ministre de la justice pour le prévenir que demain, au début de la séance, je désire l'interpeller sur une question de moralité, une question de philanthropie.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je prierai M. de Man de vouloir bien préciser l'objet de son interpellation.

M. de Man d'Attenrode. - C'est sur le régime des maisons pénitentiaires.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les moments de la chambre sont précieux. Je ne veux certainement pas restreindre le droit d'interpellation, mais si l'honorable membre voulait préciser l'objet de celle qu'il annonce on pourrait se préparera répondre. Son intention n'est pas sans doute d'entamer une discussion sur le régime pénitentiaire. S'il a quelques faits qu'il désire porter devant la chambre, je lui demande de vouloir bien les préciser aujourd'hui, au moins d'une manière officieuse.

M. de Man d'Attenrode. - Je trouve étrange la prétention de M. le ministre de vouloir restreindre le droit d'interpellation des membres de cette chambre ; à l'occasion de la première pétition adressée à la chambre, on interpelle le gouvernement; tandis que j'ai eu le bon procédé de le prévenir. Mon interpellation ne prendra pas dix minutes à la chambre. Je trouve la prétention de M. le ministre d'autant plus étrange que ce matin nous avons perdu une demi-heure à attendre MM. les ministres.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. de Man a trouvé deux fois étrange que je voulusse restreindre le droit d'interpellation. J'avais cependant commencé par dire que nous ne voulions en aucune manière restreindre ce droit, et je m'étais borné à demander, dans l'intérêt des travaux de la chambre, que l'honorable membre voulût bien préciser les fails sur lesquels devait porter son interpellation. Je vous le demande, est-ce que le gouvernement pousse trop loin ses prétentions? Si dans tout ceci il y a eu quelque chose d'étrange, c'est l'observation de M. de Man. Je pense qu'il serait de son devoir de dire sur quoi il veut interpeller le gouvernement. On peut, du reste, user et abuser du droit d'interpellation, apporter des procédés à l'exercice qu'on en fait ou n'en pas mettre; libre à chacun d'en agir comme il lui plaît. Je tenais seulement à prouver que mon observation n'avait rien d'étrange et qu'elle était très parlementaire.

Quant à l'observation que, par leur absence, les ministres ont arrêté les travaux de la chambre, je répondrai que, quand les ministres ne sont pas ici à l'ouverture de la séance, ce n'est pas qu'ils se livrent au délassement de la promenade, mais bien parce qu'ils sont retenus par des affaires de leur département. D'ailleurs, il leur arrive souvent d'attendre l'ouverture de la séance, et quand ils ne sont pas présents, il est facile de les faire prévenir, ils ne sont pas loin et au premier appel ils se rendent dans le sein de la chambre. Je tiens, au reste, à constater que l'on peut (page 251bis) commencer les séances sans la présence des ministres; elle n'est pas obligatoire pour que la chambre se livre à ses travaux.

M. de Man d'Attenrode. - Je viens remplir ce que M. le ministre appelle mon devoir : Mon interpellation concernera le régime pénitencier de Saint-Bernard.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sur quoi?

M. de Man d'Attenrode. - Vous me forcerez bientôt à faire mon interpellation maintenant, je tiens à ne la faire que demain matin.

- La séance est levée à 5 heures un quart.