(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 907) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
- La séance est ouverte.
M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Quelques pharmaciens à Verviers demandent que le gouvernement insère, dans les statuts de l'Académie royale de médecine, une disposition assurant une représentation convenable aux pharmaciens et aux médecins vétérinaires et que, sauf dans certains cas, îl y ail incompatibilité déclarée entre l'exercice de la médecine et de la pharmacie. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Muelemans prie la Chambre de réduire à deux le nombre des commis-greffiers du tribunal de première instance de Bruges, et d'instituer 2 commis-greffiers surnuméraires assermentés, qui ne recevraient aucun traitement. »
- Même disposition.
« Des pharmaciens et docteurs en médecine à Kain et à Tournai demandent une loi qui interdise aux médecins et aux chirurgiens des communes rurales de vendre des médicaments. »
- Même disposition.
« Les sieurs Minne et Thirionet demandent que les statuts de l'Académie royale de médecine assurent à la pharmacie une représentation convenable dans ce corps et que la loi déclare incompatible l'exercice de la médecine et de la pharmacie. »
« Même demande de pharmaciens à Rousbrugge-Haringhe. »
- Même disposition.
« Le sieur A. G. Justen, fabricant-orfèvre à Bruxelles, né à Venloo, demande la naturalisation. »
- Même disposition.
« Les sieurs Delacroix et Dendal, commerçants à Molenbeek-Saint-Jean, demandent que les pierres bleues et les marbres dont ils font le commerce et qui sont destinés à l'exportation et au dehors de la ville de Bruxelles, ne soient pas assujettis au droit d'octroi, lorsque les faubourgs seront réunis à la capitale. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs propriétaires et habitants du canton de Flobecq prient la Chambre d'accorder aux sieurs Moucheron et Delaveleye la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand par Ath. »
- Même disposition.
« Le sieur de Bruyn, blessé de septembre, prie la Chambre de lui accorder un secours et ce qu'il aurait pu réclamer pendant les quatorze dernières années. »
- Même disposition.
« Les sieurs Dequick, Verbist et autres membres du comité central des typographes belges, présentent des observations contre la convention littéraire qui a été conclue avec la France. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à cette convention.
« Plusieurs négociants et fabricants d'huile, fréquentant la bourse de Termonde, prient la Chambre de fixer uniformément à 10 p. c. par 100 kilogrammes le droit sur les huiles de graines et les huiles de poisson. »
M. Vermeire. - Messieurs, la pétition dout l'analyse vient de vous être présentée, a été signée par les principaux négociants et fabricants d'huile qui fréquentent la bourse de Termonde.
Les pétitionnaires réclament contre le projet de loi qui a été présenté sur la réforme douanière, surtout en ce qui concerne l'importation des graines et le droit fixé pour l'importation des huiles de baleine.
Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi concernant le tarif des douanes.
- La proposition de M. Vermeire est adoptée.
« Par cinq messages, cn date du 6 mars courant, le Sénat informe la Chambre que, dans sa séance du même joyr, il a adopté les projets de loi relatifs aux objets suivants :
« 1° Taxe sur le sel employé à la fabrication du sulfate de soude.
« 2° Remboursement de certaines rentes dues par l'Etat.
« 3° Dispositions complémentaires à la loi du 12 avril 1851, concernant le tarif des chemins de fer.
« 4° Crédit supplémentaire de 567,468 fr. 66 c. au département des travaux publics.
« 5° Crédit extraordinaire de 1,736,000 francs au département de la guerre.
- Pris pour notification.
« M. le ministre des finances adresse à la Chambre les états sommaires des contrats, adjudications et marchés passés par les divers départements ministériels pendant l'année 1852. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. le président. - M. le ministre des finances demande que la discussion s'ouvre sur le projet de la section centrale.
La discussion générale est ouverte. La parole est à M. de Perceval.
M. de Perceval. - Messieurs, pour apprécier le système d'impôts que le gouvernement nous propose de consacrer par le projet de loi sur la contribution personnelle, je me suis demandé si les bases de cet impôt sont, dans leur application, conformes, favorables aux aspirations légitimes des citoyens.
Le résultat de cet examen a été défavorable au projet de loi, contre lequel, par conséquent, je voterai contre.
Des sept bases de la contribution personnelle, j'en repousse quatre, comme portant une atteinte directe au principe de la famille.
Je ne veux :
Ni de l'impôt sur la valeur locative des habitations ;
Ni de l'impôt sur les portes et fenêtres ;
Ni de l'impôt sur les foyers ;
Ni de l'impôt sur le mobilier.
Je vais, messieurs, le plus brièvement possible, vous en soumettre les motifs.
Supposez que le gouvernement vous eût apporté un projet de loi d'impôt rédigé comme suit :
« Article unique. Sur un même revenu, la somme d'impôts à payer chez le receveur des contributions par chaque père de famille, sera d'autant plus élevée qu'il a plus d'enfants à nourrir, à vêtir, à loger, à instruire, à élever à la dignité d'homme. »
Si, dis-je, on vous eût soumis un impôt assis sur cette base et rédigé en ces termes, je ne doute nullement qu'il aurait reçu de votre part un accueil peu sympathique. Et je suis persuadé que le pays l'aurait repoussé comme portant une atteinte réelle à la famille, à la morale, à la justice, à la destinée de l'homme.
Cependant, le système de la contribution personnelle tel que la section centrale nous propose de le maintenir, est, à peu de chose près, l'article unique dont je viens de vous parler.
D'après les quatre bases que j'ai énumérées, le trésor public, sur un même revenu, exige pour lui une part d'autant plus considérable que la famille dont il s'agit a déjà plus de charges naturelles, et selon ces mêmes bases, ce sera au célibataire, à celui qui ne doit se préoccuper que de lui seul, que le trésor public (page 949) demandera le moins.
Est-ce là honorer et protéger la famille ? Est-ce là de la justice distributive dans le sens réel du mot ?
Non, messieurs, c'est tout le contraire.
Avec un pareil prélèvement progressif de contributions sur les ressources des familles, vous paralysez le développement des facultés des enfants au lieu de leur venir en aide pour en faire des hommes.
Un exemple particulier complétera ma démonstration.
Voici cinq de nos concitoyens, habitant la même localité, et jouissant chacun d'un revenu annuel de 1,500 francs, fruit de leur travail.
L'un est célibataire ; l'autre est marié, mais sans enfants ; le troisième a une femme et un enfant ; le quatrième a une femme et deux enfants ; le cinquième a une femme et trois enfants, et ainsi de suite.
De quelle manière se conduit le fisc vis-à-vis de ces cinq personnes, d'après les bases de la contribution personnelle ? N'oublions pas que chacune de ces personnes possède exactement le même revenu annuel de 1,500 francs.
C'est du célibataire que le trésor public exige le moins d'impôts ; par contre, c'est du père, qui n'a que les mêmes ressources pour pourvoir à tous les besoins d'une femme et de ses quatre ou cinq enfants, que ce même trésor public réclame le plus d'impôts.
Toutes choses égales d'ailleurs, la progression des impôts exigés, à partir du célibataire jusqu'à la famille la plus nombreuse, suit la progression du nombre de membres qui composent la famille. Et une famille pour être logée sainement, convenablement, selon les lois de l'hygiène et de la décence, doit occuper un local d'autant plus vaste qu'elle compte plus de membres.
Or, l'étendue de l'habitation, c'est précisément la base de l'impôt sur la valeur locative.
Le fisc vient dont dire au père de famille : Je vous impose en raison même des sacrifices que vous êtes obligé de faire pour vous loger, vous et les vôtres. Et si le père veut atténuer les charges de la contribution, ce sera au détriment de l'hygiène et peut-être même de la morale.
Ce qui se passe pour l'impôt locatif, se reproduit pour le mobilier, pour les portes et fenêtres ainsi que pour les foyers.
Je le répète, toutes choses égales d'ailleurs et le revenu restant le même, la famille la plus nombreuse sera toujours la plus imposée à raison de ces bases.
Enfin, c'est encore elle qui se trouve la plus exposée à devoir tenir un (page 908) domestique ou une servante. De là, nouvel impôt à raison de la cinquième base.
Oui, de toutes ces nécessités, l'impôt profite aussitôt pour étendre ses prétentions.
L'impôt étant payé, le receveur satisfait, que reste-t-il finalement de ces 1,500 francs de revenu au chef d'une nombreuse famille ? Il lui reste moins, bien moins qu'au célibataire qui ne doit penser qu'à lui seul. Au père de famille, responsable des siens, l'impôt dit : J'exige beaucoup d'argent de vous, parce que déjà vous avez beaucoup de charges naturelles. Par contre, il dit au célibataire : Je ne réclame de vous que peu de chose, parce que vous n'êtes responsable que de votre propre sort.
Maintenant, messieurs, je vous le demande, pouvons-nous maintenir plus longtemps un système en matière de contribution qui consacre de pareilles injustices et de semblables anomalies ?
Du reste, l'impôt personnel n'est que le digne corollaire d'une foule d'autres impôts qui violent ouvertement et déparent l'esprit de nos institutions constitutionnelles.
Je l'ai déjà déclaré dans une autre occasion, et je crois devoir le répéter encore en ce moment, notre système d'impôts presque tout entier a conservé le caractère féodal. N'est-il pas plus que temps de mettre les principes en matière d'impôt d'accord avec les principes de justice et d'égalité que le congrès national a proclamés ?
Mais, me dira-t-on peut-être, vous oubliez que le projet de loi entre largement dans le système d'atténuation que vous voulez établir. N'est-ce pas tenir compte des besoins, des droits des familles en exemptant, par exemple, des quatre premières bases de la contribution personnelle toutes les familles vivant dans des habitations dont le loyer par semaine est inférieur à un franc 30 centimes ? Les conséquences de cette exemption ne sont-elles point favorables à la classe ouvrière ?
Sans aucun doute, messieurs, cette disposition est bonne et je l'approuve entièrement. Mais, loin d'y trouver un argument contraire à mon opinion, j'y découvre un aveu, une preuve irrécusable de l'injustice consacrée à l'égard des familles appartenant à la petite et à la moyenne bourgeoisie des villes et des campagnes.
Comment ! vous dites que l'intérêt, que la conservation de la famille chez l'ouvrier exige qu'elle ne paye aucun impôt personnel, et voilà que, par la même loi, vous établissez sur les familles, dès que le loyer est de plus de 100 francs par an, un impôt progresif d'après le nombre d'enfants qu'elles ont déjà naturellement à leur charge. N'est-il pas évident que l'exemption des quatre premières bases de la contribution personnelle des ménages d'ouvriers qui payent 1 fr. 30 c. de loyer par semaine, ne saurait se concilier, dans la loi, avec l'impôt progressif qu'elle établit, selon le nombre d'enfants, dans les familles de la petite et de la moyenne bourgeoisie ?
Donc en reconnaissant qu'il est juste de maintenir la disposition qui consacre l'exemption des ménages d'ouvriers, le gouvernement condamne, par ce fait, le principe fondamental de l'impôt dont il s'agit dans le plus grand nombre de cas où il recevra son application.
L'impôt personnel, à raison des quatre bases, pèse de tout son poids et d'une manière inique sur la petite industrie et sur le petit commerce, très souvent déjà soumis à l'impôt des patentes, cette espèce d'amende infligée par la loi aux travailleurs émancipés.
A l'impôt personnel, progressif d'après le nombre de leurs enfants, viennent s'ajouter, pour toutes ces familles, les impôts de consommation, tels que l'octroi, l'accise sur le sel et la bière, etc., les droits de douanes sur les denrées coloniales et autres produits exotiques qu'elles consomment habituellement.
Ici, encore une fois, pour chaque famille l'impôt est progressif d'après le nombre d'enfants.
Tout comme l'impôt personnel, pour un même revenu, il grandit, il s'élève, il suit les charges naturelles auxquelles ce revenu est appelé à pourvoir.
Quant aux familles d'ouvriers dont la condition est devenue si précaire, si incertaine aujourd'hui, elles ne sont plus exemples cette fois, elles subissent toutes, sans exception, les impôts de consommation, et cela avec les mêmes rigueurs que les familles les plus aisées du pays.
Représentons-nous, messieurs, cinq ouvriers, un célibataire et quatre pères de famille, recevant tous à l'atelier le même salaire, 2 francs par jour.
Eh bien, à ces cinq ouvriers pris individuellement, le fisc tient ici absolument la même ligne de conduite que celle qu'il garde vis-à-vis des cinq personnes dont nous avons parlé tout à l'heure et qui ont un revenu de 1,500 francs.
A titre d'impôt de consommation, le fisc demandera peu à l'ouvrier célibataire, et beaucoup à l'ouvrier chargé d'une nombreuse famille.
Il n'est pas difficile de prévoir les conséquences d'un pareil état de choses. De jour en jour l'ouvrier se marie moins pour vivre en concubinage. En voulez-vous, messieurs, une preuve bien convaincante ? Prenez l'exposé de la situation du royaume, et vous y verrez, au chapitre de la population, page 20, que depuis 10 ans, dans les villes et communes du royaume, de l'année 1841 à 1850, le nombre des naissances illégitimes s'est accru d'une manière effrayante.
En 1841, il est né en Belgique, 9,354 enfants illégitimes ; en 1845, ce nombre s'élève déjà à 9,724 ; enfin, en 1850, on a constaté la naissance de 11,309 enfants illégitimes. Eu égard à la population, l'augmentation est de 29 à 30 p. c. ; et cela en dix ans !...
J'ai cru, messieurs, devoir attirer votre attention sur cette situation trop peu connue, afin que vous vous demandiez s'il convient de garder plus longtemps un système d'impôt qui contribue, pour sa part, à éloigner l'homme des liens du mariage.
Les lois d'impôi, pour être acceptées par nos concitoyens, doivent être assises sur des bases justes et ne point froisser ou méconnaître leurs droits et leurs besoins. Pour ces motifs, je repousse le projet de loi qui est aujourd'hui soumis à nos délibérations.
Pour les mêmes motifs, je n'ai cessé de voter contre les impôts de consommation, depuis que j'ai l'honneur de siéger au sein de la représentation nationale. Enfin, c'est toujours pour des raisons identiques que je me déclare prêt à accepter un système d'impôts qui exigera beaucoup de celui qui a beaucoup, moins de celui qui a moins, et rien de celui qui ne possède que le strict nécessaire pour vivre.
M. de Renesse. - Messieurs, d'après les prescriptions de l'article 139 de la Constitution, les lois financières devaient être révisées dans le plus court délai possible ; cependant, ce n'est qu'en 1842 qu'un premier projet de modification à la contribution personnelle fut proposé ; il ne fut pas même examiné, ayant été retiré en 1844.
En 1849, un autre projet de révision fut présenté sur lequel le gouvernement appelait la plus sérieuse attention de la législature, parce que l'inégalité dans la répartition élait l'un des vices capitaux qui résultaient de la législation actuelle sur la contribution personnelle.
Le projet présenté n'avait, d'ailleurs, d'après l'exposé des motifs, pas en vue d'augmenter cette contribution, mais semblait rechercher les moyens d'en assurer une meilleure répartition.
Ce but a-t-il été réellement atteint par le nouveau projet actuellement soumis à nos délibérations ? Quant à moi, je ne le crois pas ; je tâcherai de donner les motifs de mon opinion à cet égard, quant à la première base si essentielle de cet impôt.
Pour que, sous ce rapport, le projet de loi présente une répartition plus équitable et plus conforme à cette base imposable, exerçant une certaine influence sur d'autres éléments contributifs, il faudrait nécessairement que la valeur locative des habitations fût fixée par une révision plus exacte des évaluations cadastrales des propriétés bâties effectuée avant la discussion du projet de loi de réforme de l'impôt personnel ; car les évaluations cadastrales actuelles des propriétés bâties, établies par des règles basées sur une période de dix années (de 1816 à 1825 inclusivement) ne peuvent plus maintenant servir de bases réelles pour la fixation d'une équitable répartition de cette contribution ; cette base actuelle ne peut donc être à l'abri de tout reproche, pas plus que la nouvelle proposition qui fixe l'évaluation de la valeur locative des habitations, d'après le prix notoire de location et comparaison faite entre les maisons et bâtiments de même catégorie, dans chaque localité ; ce n'est donc pas, réellement, faire une grande amélioration de l'état actuel des choses, puisqu'il y aurait toujours à craindre, d'après ce moyen d'évaluation, un certain arbitraire, que l'on devrait surtout éviter, s'il s'agit d'un impôt qui doit donner lieu à des investigations, et parfois à des contestations avec le contribuable ; il n'y aurait, d'ailleurs, rien de fixe dans la répartition de la valeur locative entre les diverses parties du pays, ce que semble reconnaître la section centrale à la page 10 de son rapport, où elle s'exprime ainsi : « Il est également certain, que si nous nous trouvions en présence d'une révision profonde des évaluations cadastrales des propriétés bâties, nous aurions sur les imperfections, sur leq inégalités qu'il importerait de corriger, les lumières qui nous font défaut, surtout pour ce qui se rapporte à la base de la valeur locative ainsi qu'aux autres branches de l'impôt susceptibles de se greffer, sur cette base.
Si donc on ne peut corriger actuellement les imperfections, les inégalités de cette base essentielle de la contribution personnelle, à moins de faire la révision des opérations cadastrales, pour les propriétés bâties, il me semble qu'il eût été plus convenable de commencer par cette révision qui certes eût contribué à augmenter les ressources de l'Etat ; l'on aurait alors, tout en établissant une base plus équitable des évaluations, fait cesser les inégalités dans les charges de cette contribution, dont des contribuables ont à se plaindre, par suite des grands changements qui se sont produits depuis 1825, sous différents rapports, notamment par l'établissement des chemins de fer, par la construction de routes et canaux qui ont changé, surtout, la position de certaines parties de notre pays, jusqu'ici peu avantagées, par de grands travaux publics, et qui sont restées par conséquent dans l'isolement complet, comparativement à d'autres localités. D'après l'exposé des motifs du projet de loi, le gouvernement ne s'était livré à une étude approfondie de cet important objet, non en vue d'augmenter la contribution personnelle, mais dans la pensée et avec la ferme volonté de rechercher les moyens d'en assurer une meilleure répartition. Cependant, tout en recherchant dans le projet primitif les moyens de parvenir à une meilleure répartition de cet impôt, il me paraît que l'on avait perdu de vue la première partie de la pensée du gouvernement, clairement définie dans l'exposé des motifs du projet de loi : à savoir de ne pas augmenter les charges de la contribution personnelle. Aussi dans une note jointe au projet de loi, il était établi que cette augmentation ne serait qu'insignifiante, que la nouvelle base sur les voitures produirait seulement une certaine augmentation de cette contribution ; cette nouvelle base étant évaluée à produire 87,500 fr. Si nous examinons, néanmoins, l'annexe E jointe au rapport, nous y voyons que la différence du produit de l'année 1847 serait dépassée de fr. 526,296 28.
(page 909) La section centrale n'ayant, à la vérité, pas adopté la première proposition du gouvernement, quant à la fixation de la valeur locative, par le revenu net du cadastre augmenté d'un tiers, et ayant cru devoir fixer cette première base de l'impôt personnel, d'après le prix notoire de location, etc., je n'ai pu trouver, dans le rapport de la section centrale, une évaluation de l'augmentation réelle qui résulterait de la modification faite à la première proposition du gouvernement. Il est toutefois probable qu'il y aura une certaine augmentation sur cette première base, car l'on ne pourra plus établir la déclaration, en ce qui concerne les quatre premières bases, conformément à la disposition de l'article 4 de la loi budgétaire du 29 décembre 1831.
D'après l'état successif de la situation du trésor, il paraît nécessaire, depuis quelques années, de trouver des ressources nouvelles, pour équilibrer les recettes et les dépenses de l'Etat ; aussi, depuis 1848, le gouvernement a recherché en partie ces moyens, et a obtenu des Chambres des augmentations de contributions assez notables ; cependant il faut actuellement encore imposer de nouvelles charges aux contribuables pour rétablir cet équilibre qui paraît insaisissable et s'échappe toujours comme un fantôme lorsque l'on croit pouvoir l'atteindre ; il me semble que le meilleur moyen pour rétablir l'état de nos finances, ce serait d'introduire la plus stricte économie dans les dépenses de l'Etat, d'ajourner toutes les dépenses facultatives et de luxe, et, pour les dépenses extraordinaires, de n'accorder que celles qui sont indispensables surtout à la sûreté du pays ; ainsi, le gouvernement ne devrait pas toujours chercher à étendre ses attributions, à centraliser outre mesure et à créer de nouveaux services qui doivent nécessairement augmenter les charges des budgets, sans toutefois augmenter les recettes de l'Etat.
S'il faut des ressources nouvelles, faut-il donc toujours s'attacher, plus spécialement aux anciennes bases de nos impôts sans les améliorer essentiellement ? Faut-il encore augmenter la contribution personnelle, déjà chargée de nombreux centimes additionnels au profit de l'Etat, de la province et de la commune ? Ne pourrait-on pas plutôt rechercher d'autres voies et moyens ou faire produire plus à des impositions existantes qui, actuellement, ne donnent que peu de ressources au trésor, comparativement à ce qu'elles rapportent dans d'autres pays ?
Déjà, à plusieurs reprises, des membres de la législature ont indiqué au gouvernement des voies et moyens, dont on pourrait tirer parti, pour augmenter les ressources de l'Etat ; c'est ainsi que, lors de la discussion, en 1851, sur les modifications à apporter à la loi des successions, j'ai particulièrement insisté auprès du gouvernement, pour le rétablissement du timbre des journaux, parce que dans un pays régi par une Constitution qui interdit le privilège en matière d'impôt, il faut qu'il y ait égalité devant le fisc comme devant la loi ; c'est un véritable privilège dont jouit l'industrie des journaux, de ne pas contribuer dans les charges de l'Etat, lorsque, d'un autre côté, l'on oblige les petits cultivateurs, les petits industriels et commerçants, même une partie de la classe ouvrière, de contribuer, pour leur part, dans les contributions de l'Etat, de la province et de la commune.
Une autre ressource, que j'indiquais alors aussi, et dont l'Etat ne retire actuellement pas même les frais d'administration ; je veux parler de la redevance des mines, devrait nécessairement contribuer plus largement aux voies et moyens de l'Etat ; cette redevance, si elle était fixée au taux de 5 p. c., établi par l'article 35 de la loi du 21 avril 1810, produirait quelques centaines de mille francs de plus au trésor ; surtout, si l'on stipulait, en outre, pour le futur, un droit de concession ou d'extension de concession. On ne peut prétendre avec quelque raison que cette richesse nationale qui a pris une extension très considérable depuis 1830, ne doive pas contribuer plus largement aux ressources du budget.
J'espère que la proposition de notre honorable collègue M. le baron de Man ne restera pas plus longtemps enfouie dans les cartons de la Chambre, et que l'on voudra la soumettre à l'examen des sections.
L'impôt sur le tabac avait aussi été indiqué par moi, comme offrant une ressource certaine pour le trésor ; actuellement, malgré le nouveau droit de débit décrété en 1851, et qui devait rapporter au trésor 300,000 fr., les prévisions du budget des voies et moyens pour 1854 n'ont été établies que pour une recette de 170,000 fr. ; d'autres pays voisins retirent cependaut du tabac des ressources très importantes pour leurs finances ; je crois qu'il est du devoir du gouvernement de modifier la législation sur le tabac, dans un but plus fiscal ; il ne faut pas que cette denrée éminemment imposable puisse échapper plus longtemps à l'impôt, lorsque l'on est obligé de chercher des ressources nouvelles pour faire face aux dépenses de l'Etat.
Ne devrait-on pas aussi rechercher des ressources en établissant un certain droit plus réel à payer sur les actions des sociétés anonymes industrielles et commerciales qui, jouissant actuellement d'un immense privilège, ne contribuent que pour peu aux charges du trésor ; ce qui a été formellement reconnu en 1849 par l'honorable ministre des finances d'alors, M. Frère-Orhan, lorsqu'il disait au Sénat, séance du 19 janvier : a Qu'elles jouissaient de privilèges qui sont de telle nature, dans bien des cas, qu'elles n'acquittent pas l'impôt, tandis que des particuliers sont tenus de le payer, etc. »
Si donc les sociétés anonymes jouissent de privilèges spéciaux, l'Etat est en droit de leur demander un impôt plus élevé qu'elles n'acquittent actuellement. Elles payaient en 1822, alors que l'industrie était moins développée que maintenant, une patente de 2 p. c., qui après avoir été fixée à 1 1/3 p. c, et ensuite en 1849 à 1 2/3 des bénéfices. Il y aurait aussi lieu d'examiner si les autres sociétés civiles et particulières, possédant des établissements industriels et commerciaux, ne devraient pas contribuer pour une plus large part au trésor ?
Les rentes et créances hypothécaires pourraient aussi donner à l'Etat certaines ressources, et si l'Etat ne voulait-pas prendre pour lui les assurances contre l'incendie, question qui mérite d'être de nouveau sérieusement examinée, ne conviendrait-il pas de frapper les polices d'assurances d'un timbre proportionnel ?
Il y aurait aussi lieu d'examiner si les fonds publics, les rentes sur l’Etat ne devraient pas supporter un léger impôt ? Pourquoi l'Etat n'interviendrait-il pas dans les transactions et les transmissions de ces fonds comme il intervient dans les actes de vente de propriétés mobilières et immobilières ? Actuellement, un capitaliste qui veut disposer d'un capital hypothéqué sur le crédit de l'Etat, et qui touche plusieurs milliers de francs d'intérêts, ne paye rien de ce revenu au trésor, ni même s'il vend son capital.
En Angleterre, ces fonds ont été imposés depuis la réforme financière introduite par sir Robert Peel ; néanmoins les capitaux ne se sont pas retirés de ce pays, et le gouvernement anglais peut s'y procurer des emprunts à un taux plus bas, comparativement aux autres gouvernements sur le continent.
Je crois avoir indiqué assez d'autres matières imposables, dont l'Etat pourrait tirer des ressources nouvelles, pour parer à l'insufiisance des voies et moyens actuels ; je ne pourrai donc accorder un vote affirmatif au projet de révision de la contribution personnelle, surtout, parce que cette modification n'est pas basée sur une juste et préalable révision des évaluations cadastrales des propriétés bâties, qui seule pourrait corriger les imperfections et les irrégularités actuelles de l'impôt personnel.
En outre, il me semble que pour rendre les charges supportables, pour pouvoir même alléger celles qui frappent les propriétés immobilières, et surtout l'agriculture, il faudrait chercher à équilibrer les contributions de manière à ce que les nombreux capitaux affectés à l'industrie, au commerce et aux sociétés financières, ne contribuant actuellement que peu ou point dans les charges de l'Etat, soient astreints à y concourir plus efficacement ; il en résulterait une diminution dans les charges générales des contribuables actuels, une répartition plus équitable pour un assez grand nombre de nos concitoyens qui n'ont eu que trop longtemps à se plaindre de devoir supporter la plus grande part des contribulions, tandis qu'il y a un véritable privilège, surtout pour les capitalistes, de n'y contribuer que faiblement par rapport à leurs ressources financières.
Il faut, enfin, qu'il y ait une justice distributive dans la répartition future des charges de l'Etat, pour qu'elles n'occasionnent plus de justes réclamations ; il faut qu'il n'y ait plus de privilège en matière d'impôts, conformément à l'article 112 de la Constitution, et, pour parvenir à ce but d'égalité devant le fisc, comme devant la loi, il faut que chacun contribue d'après ses moyens aux ressources du trésor.
M. Lelièvre. - La loi de 1822 sur la contribution personnelle a soulevé depuis longtemps de graves et nombreuses réclamations. Le gouvernement a voulu y faire droit en proposant des dispositions plus équitables et une meilleure répartition de l'impôt en question.
Je reconnais volontiers qu'à ce point de vue la loi introduit plusieurs améliorations ; mais ce que je constate avec peine, c'est qu'en définitive la loi en discussion aggrave les impôts existants et fait peser des charges nouvelles sur un grand nombre de contribuables appartenant aux classes moyennes. Lorsqu'elle a voté le droit de succession en ligne directe, la législature était convaincue qu'il s'agissait de rétablir l'équilibre financier et qu'il ne serait plus question de nouveaux impôts. Aujourd'hui, messieurs, cet état de choses change complètement, et l'on paraît méconnaître les assurances sans lesquelles jamais le droit de succession en ligne directe n'aurait été adopté.
Je ne saurais assez appeler l'attention du gouvernement sur la nécessité de réduire les dépenses afin de ne pas imposer au pays des charges qui deviennent de plus en plus intolérables et qui finiraient par jeter le discrédit sur notre régime politique.
Je me réserve de proposer quelques observations lors de la discussion des articles du projet, mais dès maintenant je dois applaudir aux dispositions qui permettent, en matière de contribution personnelle, de déférer les décisions de la députation permanente à la censure de la cour de cassation. Cette prescription, qui a déjà été sanctionnée par la loi de 1849 sur les patentes, a pour résultat d'introduire les principes du droit commun en cette partie et l'uniformité si désirable dans la jurisprudence des diverses députations, même en matière administrative. La cour suprême est appelée à réprimer les violations de la loi. Il faut convenir que la Belgique seule offre l'exemple d'un régime aussi libéral et protégeant si efficacement les droits des citoyens.
Du reste, ce système est d'autant plus équitable dans l'espèce que des intérêts pécuniaires sont en jeu et qu'ils ont droit aux garanties tutélaires du droit commun. Je dois donc donner mon assentiment au principe que la loi en discussion sanctionne sous ce rapport.
Toutefois, messieurs, je pense que les règles énoncées au projet, relativement à la procédure organisée pour le pourvoi en cassation, ne sont pas complètes, et que sous ce rapport quelques amendements sont indispensables. C'est ainsi qu'il est essentiel que l'ordonnance de la députation permanente soit motivée à peine de nullité, puisque sans cela on ne peut se convaincre s'il s'agit d'une question de droit ou d'un (page 910) simple point de fait, d'un autre côté le projet est muet sur le mode d'après lequel la décision de la députation doit être notifiée aux parties intéressées, mode qui doit évidemment être admis sans qu'il en résulte aucun frais pour le contribuable.
Il est aussi essentiel qu'où ne puisse prononcer aucune indemnité contre le demandeur qui succombe. C'est la conséquence du principe du projet qui veut que tout se fasse, avec exemption des frais de timbre, d'enregistrement et d'amende. C'est du reste ce qui a été admis par la loi de 1849 sur les patentes.
Je pense donc, quant à la procédure à organiser, que nous ne pouvons mieux faire que d'adopter la marche telle qu'elle a été introduite par la loi de juin 1849 sur la milice et celle de 1853 relativement à la garde civique, les procédures admises en ces matières fonctionnant parfaitement et n'ayant jamais donné lieu à aucune difficulté.
En conséquence je crois devoir déposer un amendement à l'article 35, en priant la Chambre de bien vouloir le renvoyer à l’examen de la section centrale.
Cet amendement est ainsi conçu :
(page 915) « Les réclamations instruites par les agents de la cotisation et par le directeur des contributions sont déférées par le gouverneur à la députation permanente du conseil provincial, qui décide.
(erratum, page 956) « L'ordonnance de la députation est motivée à peine de nullité. Elle est notifiée aux parties intéressées, par porteur de contrainte, à la requête de la députation permanente.
« Dans les quinze jours de la notification à eux faite, en vertu du paragraphe précédent, le contribuable et le gouvernement peuvent attaquer la décision par la voie du recours en cassation.
« La déclaration est faite, au greffe du conseil provincial, par le demandeur en personne ou par un fondé de pouvoir spécial, et dans ce cas le pouvoir demeure annexé à la déclaration.
« Le pourvoi est signifié par huissier dans les dix jours, à peine de déchéance, à la personne ou à l'autorité contre laquelle il est dirigé.
« La cour de cassation statue, toutes affaires cessantes.
« Les actes de cette procédure sont exempts des frais de timbre, d'enregistrement et d'amende.
« En cas de rejet du pourvoi, il n'y a pas lieu à l'indemnité énoncée à l'article 58 de la loi du 4 août 1832.
« Si la cassation est prononcée, la cour renvoie la cause à la députation permanente d'un autre conseil provincial.
« Si, après cassation, la seconde décision est attaquée par les mêmes moyens que la précédente, il est procédé conformément à l'article 23 de la loi du 4 août 1832.
« Jusqu'à décision définitive, le payement de douzièmes, neuvièmes ou sixièmes échus de la cotisation est exigible. »
(page 910) Il est évident que cet amendement, à raison de ses différentes dispositions, exige qu il soit examiné par la section centrale, ce préliminaire étant indispensable pour pouvoir apprécier convenablement les changements que je propose de faire à l'article 35 du projet.
M. Osy. - Messieurs, je trouve que, dans l'intérêt des contribuables, il est temps de s'occuper de la révision de la loi de 1822, en ce qui concerne la contribution personnelle.
Je n'entrerai pas encore dans les détails du projet ; j'attendrai les articles.
Mais, messieurs, eu demandant une plus juste répartition, je ne me serais pas attendu à une augmentation d'impôt qui, d'après l'ancien ministre des finances, sera de 600,000 francs. L'impôt personnel frappe déjà assez les contribuables.
Je conviens que le trésor a besoin de nouveaux impôts, mais il faudrait trouver d’autres objets imposables. L'honorable M. de Renesse a dit, avec raison, qu’il serait temps de rétablir le timbre des journaux ou au moins le timbre des annonces.
L'année dernière le ministre des finances actuel partageait assez cette manière de voir, quant aux annonces ; il vous a déclare que toutes les annonces qu'on fait faire en dehors des journaux doivent payer un timbre, tandis que les annonces faites par les journaux ne payent absolument rien. C est une anomalie qu il fait faire cesser. Tels journaux qui, en fait de politique, ne contiennent que quelques lignes ou même un simple feuilleton, contiennent toutes les annonces de la localité. C'est ainsi qu'on élude l’impôt.
Le gouvernement doit également s'occuper sans tarder de cet objet qui pourra rapporter 200,000 à 300,000 fr.
L'honorable M. de Renesse a encore parlé d'un impôt sur les rentes. Selon moi, il serait très malheureux d’établir un impôt sur les rentes de l'Etat, d'autant plus que nous avons frappé les rentiers, il n'y a pas deux ans, par la conversion de la rente.
Le gouvernement a trouvé de ce chef un revenu de 2 millions dont j'ai suggéré l'idée à M. le ministre des finances qui a eu le bonheur de pouvoir la mener à bonne fin, alors que nos voisins, l'Angleterre et la Hollande, n'ont pas pu imiter notre exemple. C'est un revenu nouveau que nous nous sommes procuré et ce sont les rentiers qui le payent, car au lieu de recevoir 5 p. c. d'intérêt ils ne reçoivent plus que 4 1/2 p. c. C'est là un véritable impôt que les rentiers ont payé et qu’ils continuent à payer.
Quant aux tabacs je conviendrai que cet objet a été débaltu également plusieurs fois dans cette Chambre ; mais nous avons éprouvé qu'en le quintuplant on n'avait pas obtenu le double de l'impôt ancien et qu'on en avait restreint le commerce des 4/5.
De manière que si on voulait les frapper encore on diminuerait de nouveau le produit relativement au droit, parce que la fraude s'en mêlerait ; vous recevriez tous vos labacs fabriques de l'étranger, et l'impôt serait de fait diminué.
Pour ce qui est du produit des mines, je partage l'opinion de M. de Renesse sur la proposition de M. de Man. Il est temps de voir si cette industrie ne pourrait fournir davantage au trésor. Il faut bien convenir que cest une industrie qui doit être prospère, car dans les localités les plus intéressées on demande la libre entrée de tous les produits similaires ; ou pourrait bien lui demander le double de la redevanve qu'elle supporte aujourd'hui et qui est de 200 mille francs.
Je désire que dans la session prochaine on puisse s'occuper de la proposition de l’honorable M. de Man qui a déjà été examinée par le conseil des mines et sur laquelle nous n'attendons plus que l'avis du gouvernement. Je désire que cette question soit décidée à la session prochaine.
Ceux qui partagent l'opinion de M. de Renesse doivent s'attacher à enrayer les dépenses de l'Etat, car si nous cherchons toujours à créer de nouveaux impôts, je ne sais où l'on s'arrêtera. Nous avons discuté longuement le budget de l'intérieur ; au lieu de faire des économies, nous avons fini par voter trois ou quatre cent mille francs de plus que ne demandait le gouvernement.
Ceux qui ne veulent pas voter d'impôts nouveaux votent toujours des augmentations de dépenses.
J'ai beaucoup de sympathie pour les chemins vicinaux qui ont une grande influence sur le développement de la prospérité du pays ; et cependant j'ai été obligé de voter contre l'amendement de nos honorables collègues qui ont proposé une augmentation de dépense de ce chef, parce que je ne veux pas de nouveaux impôts, parce que je ne veux pas augmenter les embarras du gouvernement qui sont déjà assez grands dans les circonstances actuelles.
Ceux qui ne veulent pas d'impôts votent des augmentations de dépenses. Si on le voulait bien, on trouverait moyen de faire des économies dans les dépenses.
Pourquoi le gouvernement veut-il se mêler de faire une foule de choses qui peuvent être faites par des particuliers ? J'engage M. le ministre à examiner s'il n'y aurait pas moyen d'élaguer le budget de ces dépenses qui peuvent être faites par des particuliers. Ce serait là un moyen de faire des économies.
Quelques-uns de nos collègues nous ont encore proposé une dépense de 75,000 fr. ; ce n'est, dit-on, que pour un an ; mais je crains qu'elle ne se reproduise pendant plusieurs années. Le gouvernement ne s'est pas expliqué sur cette proposition, mais je ne serais pas étonné que le gouvernement s'y ralliât.
Eh bien, c'est une intervention du gouvernement qui a été inventée par le gouvernement dans une loi spéciale, alors qu'en 1848 on mettait à sa disposition des millions que j'ai appelés millions Merlin. On a employé ces millions à beaucoup de nouvelles inventions, et vous voyez ce qui nous en reste ; toujours des dépenses. On conçoit en effet que les localités qui ont été habituées à avoir de fortes indemnités du gouvernement continuent à vous les demander ; il en sera toujours de même. Aussi si nous n'arrêtons pas les dépenses du gouvernement, je ne sais où nous arriverons.
Ce sont, messieurs, les dépenses facultatives qui ont créé tous les embarras qui pèsent sur nous. Voyez ce qui est arrivé pour les beaux-arts. Il y a quelques années on portait au budget une somme fixe pour les beaux-arts. Mais sur les millions que vous avez mis à la disposition du gouvernement on a accordé aux beaux-arts des subsides considérables. Eh bien ! les beaux-arts vous disent aujourd'hui : Nous avons obtenu tels subsides dans ces derniers temps ; ces subsides doivent nous être continués. Et nous avons eu, lors de la discussion du dernier budget de l'intérieur, toutes les peines du monde à arrêter le gouvernement qui lui-même venait nous demander une augmentation de dépenses.
Messieurs, la marche que suivent le gouvernement et la Chambre est fâcheuse pour le pays. Je crois qu'il est plus que temps de nous arrêter dans la voie des dépenses et de faire disparaître de nos budgets tous les crédits qui ne sont pas nécessaires à l'administration du pays et qui sont destinés à intervenir dans l'industrie privée. Il est à espérer qu'alors le gouvernement ne sera plus obligé de rechercher de nouveaux impôts, et nous d'avoir la douleur de les voter.
On nous a dit en 1850 que les nouveaux impôts que l'on proposait devaient suffire pour couvrir les dépenses que l'on réclamait pour de grands travaux publics. Or, il n'en a rien été.
Vous voyez que l'impôt sur les successions ne produit pas tout ce qu'on en attendait ; que l'impôt sur les distilleries qui a été porté de 1 fr. à 1 fr. 50 n'a pas rapporté les 1,500,000 fr. d'augmentation qu'on en attendait ; que l'impôt sur les labacs qui devait produire 300,000 fr. n'en rapporte que 150,000. Vous voyez qu'il y a un grand mécompte sur ce qu'on promettait en 1850, et il est à craindre que M. le ministre des finances actuel qui a, je le reconnais, un très lourd bagage à porter, ne soit obligé de nous demander encore des impôts nouveaux. Je sais qu'il nous a présenté un projet de loi sur les distilleries ; mais il est peu probable que ce projet soit adopté, parce que l'impôt deviendrait tellement élevé, que les produits de nos distilleries ne pourraient plus concourir avec les eaux-de-vie étrangères, aussi je crois, quant à moi, que le vote de la loi présentée serait funeste pour l'industrie et pour le trésor public lui-même. Mais dans ce cas M. le ministre des finances sera obligé de nous demander de nouvelles ressources, parce que nous ne pouvons continuer à marcher de déficit en déficit.
Nous avons un arriéré très considérable. Nous avons en perspective des dépenses que nous ne devons pas faire cette année, mais que nous devrons voter dans les années suivantes. Ainsi le département de la guerre aura besoin de 15,000,000. Le chemin de fer est dans un tel étal que si le gouvernement ne vient pas à son secours, il déclarera par cela même qu'il veut abandonner l'entreprise du chemin de fer. Vous avez vu ce qui est arrivé dans le courant de janvier ; par suite de la rigueur de l'hiver et de la fermeture de la navigation, le gouvernement a eu des transports considérables à faire. Le Moniteur d'hier nous apprend que les marchandises seules ont produit pendant le mois de janvier un million de recette. Or, comment le gouvernement a-t-il pu effectuer ces transports ? C'est en allant en quelque sorte demander en grâce aux sociétés concessionnaires de lui prêter leur matériel. Or, comme bientôt ces sociétés exploiteront elles-mêmes, vous n'aurez plus à l'avenir cette ressource. Vous le voyez donc, si vous ne voulez pas retirer des mains du gouvernement l'exploitation du chemin de fer, vous devrez voter une somme considérable. Je crois que cette somme devra aller à 28 millions, mais en supposant que vous ne fassiez immédiatement que le strict nécessaire, ce sera 11 à 12 millions à voter. Ajoutez ces 12 millions aux 15,000,000 pour la guerre, et aux 38 millions de déficit que nous avons déjà, cela vous conduira à un déficit de près de 70 millions.
(page 911) Il est donc temps, je le répète, que vous renonciez aux dépenses qui ne sont pas nécessaires et que vous pouvez laisser à l'industrie privée. Laissez les communes et les particuliers faire ce qu'ils veulent ; si l'on veut des fêtes, que les communes se chargent de les organiser et d'en faire les frais. Mais je ne sais pourquoi le gouvernement doit s'occuper de tant d'objets ; comptez pour cela sur l'initiative des particuliers, ils agiront lorsqu'ils sauront que le gouvernement ne s'en mêle plus. Mais aujourd'hui, tout le monde compte sur le gouvernement, et son intervention trop étendue n'est propre qu'à arrêter l'élan des particuliers.
Pourquoi, en Angleterre, fait-on tant, et pourquoi l'industrie fait-elle tout ? C'est parce qu'on sait, que le gouvernement ne s'occupe que de l'administration du pays. Mais, lorsque le gouvernement veut se mêler de tout, les particuliers ne font rien, et le résultat est toujours une augmentation d'impôts.
M. le président. - M. Visart a déposé un amendement ; il sera aussi imprimé et distribué,
M. Prévinaire. - L'honorable préopinant vient de passer en revue l'ensemble de nos lois d'impôts. Je ne le suivrai pas sur ce terrain. Je veux me renfermer dans l'examen de la loi qui nous occupe. Elle est assez importante de son essence, elle soulève des questions assez graves pour que nous nous en occupions d'une manière sérieuse et exclusive.
Messieurs, il y a vingt-trois ans que dans cette même enceinte, le Congrès national décrétait par un article de fa Constitution que la loi sur l'impôt personnel devait être révisée ; il y a à peu près vingt-deux ans que dans une discussion du budget des voies et moyens à laquelle prenait part l'honorable ministre des finances actuel, on décrétait que cette loi serait une des premières révisée.
Quels étaient les griefs articulés contre cette loi ? L'un d'eux s'adressait à ce qu'il y a de défectueux dans l'assiette d'une des bases principales de l'impôt, la valeur locative.
Une seconde base que l'on critiquait était celle qui produisait une aggravation de charges en raison des portes et fenêtres.
On blâmait aussi ces investigations auxquelles l'administration avait le droit d'assujettir les contribuables, investigations rappelant le régime des droits réunis qui avait été condamné. Avec le temps bien des choses passent ; peut-être les générations nouvelles ont-elles perdu le ressentiment des impressions qu'avait excitées la législation de 1822. Peut-être aussi la législation de 1822 a-t-elle subi le sort de toutes les lois d'impôts, d'être impopulaires à cause de leur nouveauté.
Quoi qu'il en soit, messieurs, je ne puis, à l'occasion du projet dont nous nous occupons, féliciter le cabinet actuel.
J'espérais que M. le ministre des finances, aux lumières duquel je me plais à rendre hommage, aurait voulu faire de la révision de cette loi une œuvre digne de lui. Eh bien, cette œuvre est tout à fait imparfaite ; la loi proposée par la section centrale, d'accord avec le gouvernement, laisse subsister le plus grand des griefs, l'instabilité d'une de ses bases essentielles, de la valeur locative. La valeur locative est loin de présenter le thermomètre de l'aisance, et c'est cependant l'aisance que vous voulez atteindre.
Une maison que vous louez mille francs, à Bruges, par exemple, indique-t-elle le degré d'aisance qu'indiquerait une maison du même prix à Bruxelles, à Anvers ou à Gand ? On dit, à la vérité, que l'impôt sur les portes et fenêtres rétablit l'équilibre, mais cela est contraire à l'évidence. Il est clair qu'à Bruges, pour rester dans mon exemple, j'aurais pour mille francs une très vaste maison, tandis qu'à Bruxelles j'en aurais une très petite pour le même prix, et que le rapprochement qu'on a cherché à établir entre la proportion de l'imposition des portes et fenêtres comparée à la valeur locative, pèche par la base.
La loi qui avait été proposée par l'honorable M. Frère partait d'un principe tout différent ; elle présentait un avantage en faisant droit à ce grief principal fondé sur l'instabilité de la base de la valeur locative ; le revenu cadastral offrait un élément fixe de valeur locative, et le projet supprimait en principe l'expertise et les investigations ; c'était une amélioration au point de vue administratif comme à celui du contribuable. C'est parce que l'on cède à une arrière-pensée qu'on n'ose pas adopter cette base ; on craint que cela ne conduise à un remaniement de l'impôt foncier ; si l'on n'avait pas cette crainte, on n'hésiterait pas à procéder au remaniement du travail du cadastre, et l'on pourrait alors adopter la base du revenu cadastral.
Ce système présente un autre avantage au point de vue du trésor ; il prévient l'incertitude que la loi actuelle offre quant à ses résultats financiers. En effet, quand tout est abandonné aux expertises, un appât considérable est offert à la fraude, et comment voulez-vous, par exemple, apprécier quelles seront les conséquences de l'exemption étendue dans telle ou telle mesure ? Le projet qui nous est soumis exempte de l'impôt les maisons dont la valeur locative ne dépasse pas 90 fr. ; quel est l'expert qui osera taxer une maison 91, 92 ou 93 fr. lorsqu'il saura qu'en la taxant 1, 2 ou 3 fr. de moins il la soustrait à l'impôt ? C'est là un grave inconvénient au point de vue du trésor.
Sans doute, la loi qui est en vigueur n'est pas modifiée dans le sens du remaniement qu'on avait en vue dans les premières années qui ont suivi la révolution de 1830 ; mais le projet de loi en discussion contient cependant de grandes améliorations. Il y a dans la loi existante une disposition exorbitante pour les plus grands centres de population, car c'est là qu'elle se fait sentir de la manière la plus violente. Ainsi, le négociant qui, pour son commerce, a besoin d une habitation à fond de rue, qui doit, à cause de cette nécessité même, subir un loyer très élevé, est encore assujetti à la taxation de son mobilier à raison du quintuple de la valeur locative.
Le projet de loi a fait disparaître cette disposition exorbitante. C'est un véritable bienfait qui, seul, me déciderait à donner mon assentiment au projet de loi.
J'ai entendu critiquer d'une manière générale le projet de loi, parce qu'il paraît devoir entraîner une augmentation d'impôt. Messieurs, je, ne recule pas devant des augmentations d'impôt ; je suis cependant aussi désireux que qui que ce soit de voir introduire la plus grande économie dans les dépenses de l'Etat. Je ne partage pas l'opinion des honorables membres qui pensent que dans notre société actuelle l'Etat doit s'abstenir de toute chose. Sans doute, l'Etat ne doit pas intervenir là où l'intervention des particuliers suffit et peut avoir lieu, mais il doit intervenir là où l'intervention des particuliers fait défaut lorsque son initiative est utile. Si nous avions adopté le système d'abstention absolue de l'Etat qu'on préconise, la Belgique n'aurait pas aujourd'hui les chemins de fer qui la sillonnent... (Interruption.) Du moins vous n'auriez pas les grandes lignes. Comment toutes vos sociétés subsistent-elles ? Grâce aux subsides que vous leur avez largement distribués.
Je rejetterai la disposition qui frappe les voitures d'une taxe spéciale ; je me prononcerai également contre la taxe sur les livrées ; il en est de même de la taxe sur les armoiries, tout cela ne vaut pas la peine qu'on paraisse vouloir introduire une de ces impositions qu'on est convenu d'appeler démocratiques.
M. Rodenbach. - Messieurs, je n'ai pris qu'une connaissance rapide du projet de loi qui est en discussion. Cette loi contient quelques améliorations. Elle fait disparaître notamment une injustice qu'on a signalée depuis un grand nombre d'années dans cette enceinte.
On a demandé quelques lois somptuaires ; on a voulu frapper le luxe, sans nuire cependant notamment à la carosserie et à d'autres industries du même genre. On fait payer à un tilbury à deux roues 5 francs ; cela ne me paraît pas exorbitant ; lorsqu'on fait payer pour une voiture à 4 roues 10 francs, je trouve que cet impôt ne peut pas encore nuire à la carrosserie.
On demande 5 francs pour une domestique, une servante ; encore une fois, cet impôt ne me paraît pas exorbitant ; les personnes qui voudront tenir deux domestiques du sexe féminin, payeront 15 fr. ; celles qui voudront en tenir trois payeront 20 fr.
Maintenant, pour un domestique mâle on payera 20 francs, et pour un domestique mâle en livré 25 fr. ; est-ce trop ? Est-ce trop encore que 5 ou 10 francs pour les armoiries ?
Tout cela, je l'avoue, me paraît assez acceptable ; cependant mon opinion n'est pas encore définitivement fixée ; je n'ai pas encore suffisamment étudié la loi. Mais jusqu'à présent, je dois le dire, je n'ai pas entendu des objections très sérieuses contre le projet de loi ; le projet améliore la législation en vigueur ; il fait disparaître de grandes injustices, notamment pour les personnes qui habitent des maisons rue de la Madeleine ou dans d'autres rues commerçantes, à Bruxelles et qui, lorsqu'elles louent des appartements, doivent payer maintenant le quintuple de ce qu'on doit payer ailleurs.
Je ne comptais pas parler aujourd'hui ; cependant je dois répondre à divers orateurs qui ont indiqué de nouveaux impôts. Un honorable député du Limbourg, appuyé par un honorable député d'Anvers, a demandé qu'on rétablît le timbre des journaux. Messieurs, vous êtes tous partisans de la liberté de la presse, garantie par notre Constitution, eh bien, je vous le demande, n'allez-vous pas diminuer la presse, si vous imposez les journaux ? Y a-t-il donc tant de journaux prospères ? Pourriez-vous en compter 5 ou 6 qui soient dans cette position, qui fassent de brillantes affaires ? Bien au contraire, cette industrie est dans un état de souffrance : les trois quarts des publicistes reçoivent une rémunération tout à fait insuffisante.
Est-il opportun, dans un moment où, par suite du traité de commerce qu'on vient de conclure avec la France, vous allez abolir en Belgique la contrefaçon, où dès lors vous allez diminuer le travail des imprimeries, et frapper les typographes ; est-il opportun, dis-je, de venir grever la presse et diminuer le nombre des journaux ? Ceux de ces journaux qui s'adressent à la classe moyenne de la société sont très nombreux ; on en compte plusieurs centaines ; l'abonnement n'est que de 6, de 12 ou de 20 fr. par an ; si ces journaux à bon marché n'existaient pas, cette classe nombreuse serait privée de la lecture des feuilles périodiques, car les personnes n'ont pas le moyen de s'abonner aux journaux de 40, de 50 ou de 60 fr.
Messieurs, je dis qu'il faut y réfléchir à deux fois, avant de songer à imposer les journaux. On a indiqué d'autres matières imposables. On a parlé notamment des assurances ; or, si je dois en croire un ancien ministre des finances, qui certes a donné des preuves d'une capacité transcendante, il y aurait moyen de tirer de cette matière d'impôt même un million et peut-être au-delà. Pourquoi ne pas étudier sérieusement cette question, puisque l'honorable M. Malou, dont personne ne méconnaîtra la parfaite compétence, nous assure que nous pouvons trouver là une ressource de plus d'un million ?
On a également parlé d'un impôt sur les rentes.
Eh bien ! si en Angleterre on est parvenu à frapper les rentes, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas faire la même chose en Belgique. Le moment, sans doute, n'est pas favorable ; ce n'est pas quand il y a (page 912) une hausse de 6 à 7 p. c. sur les fonds publics, qu'on peut songer à les frapper d'un impôt. Ce n'est pas non plus le moment d'augmenter les autres contributions ; dans les circonstances où nous nous trouvons, ce qu'il faut faire ce sont des économies.
Je le répète, on ne peut pas songer à augmenter les impôts dans une année calamiteuse comme cellè-ci, car nous avons encore six mois à passer où la vie animale sera excessivement chère. Je défie d'augmenter les contributions à moins d'avoir recours aux emprunts forcés, de tomber sur les riches capitalistes, alors vous pourrez vous procurer des ressources nouvelles ; mais quant à augmenter les impôts qui atteignent la classe moyenne et la classe ouvrière, nous ne pouvons pas y songer. Pour ce qui me concerne je n'en voterai pas.
Ce qu'il y a à faire quand on n'est pas riche, quand on est en déficit, c'est d'ajourner les grandes dépenses, les grands travaux publics.
Vous devez convenir qu'il n'y a pas de pays en Europe qui, en proportion de ses ressources, de son budget, de sa population et de l’étendue de son territoire, ait fait des travaux aussi gigantesques ; car nous en avons exécuté depuis un petit nombre d'années pour 300 ou 400 millions. Restreignons donc nos dépenses, faisons des économies ; c'est un devoir dans tous les temps, mais aujourd'hui plus que jamais. La prudence nous l'ordonne.
Je m'occuperai peut-être plus tard du projet de loi ; quant à présent je n'ai pris la parole que pour répondre à quelques orateurs qui ont émis des idées que je ne pouvais pas laisser passer sans protestation.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, si jamais une loi a donné lieu à des plaintes de la part des contribuables et soulevé les réclamations les plus vives et les plus fondées dans cette enceinte, c'est sans contredit la loi de 1822 sur la contribution personnelle. Depuis le Congrès jusqu'à nos jours, pas une session ne s'est passée sans que des demandes, des propositions pour obtenir le redressement de l'un ou l'autre grief aient été adressées ou soumises à cette Chambre ou au Sénat. Aussi, deux fois le gouvernement s'est-il occupé de la révision de cette législation : la première fois ce fut sous l'administration de M. Smits ; son projet n'ayant pas obtenu un accueil favorable, il trouva convenable de le retirer. Le deuxième projet qui vous fût soumis a été présenté en 1849 par l'honorable M. Frère ; c'est ce projet, amendé par la sectiou centrale, qui est actuellement en discussion.
Si je me suis rallié à ce projet, messieurs, ce n'est pas que j'en approuve toutes les dispositions ; mais, comme il se rapproche beaucoup de celui que je désire voir sortir de cette discussion, je me propose, pour atteindre le but, de présenter quelques amendements au fur et à mesure de l'examen des articles.
Je reconnais combien le moment est inopportun pour venir discuter devant la Chambre une nouvelle loi d'impôt ; outre que cette tâche est difficile dans tous les temps, elle l'est surtout à l'approche d'une élection générale, non que je veuille mettre en doute votre indépendance, mais j'ai fait assez longtemps partie de la Chambre des représentants pour comprendre combien il est pénible de se présenter devant les électeurs avec une nouvelle loi d'impôt ; mais ce qui doit vous tranquilliser ainsi que les électeurs et le pays tout entier, c'est que cette loi n'a nullement pour objet, comme quelques orateurs ont paru le croire, d'augmenter les ressources du trésor, mais bien et uniquement d'arriver à une répartition plus équitable de l'impôt.
J'ai fait faire une application du projet de la section centrale à une section de la ville de Bruxelles ; j'ai fait faire l'examen par des hommes compétents, et j'ai acquis la conviction que si on n'apporte pas des modifications importantes au projet, la recette, loin d'augmenter, diminuerait plutôt de 200 à 300 mille francs.
Lorsqu'un honorable préopinant a rappelé que dans l'opinion de mon prédécesseur cette loi devait produire 500,000 à 600,000 francs de plus que la loi actuelle, il a pu avoir raison ; mon honorable prêdécesseur a pu compter de très bonne foi sur cette augmentation de recette ; mais il est à remarquer que la base principale du projet primitif a été complètement modifiée, de l'assentiment même de mon honorable prédécesseur.
En effet, le point de départ du projet était celui-ci : Plus de visites domiciliaires ; pour arriver à ce résultat si désirable, j'en conviens le premier, il a pris, pour déterminer la valeur locative, la valeur cadastrale augmentée d'un tiers ; mais l'examen dans les sections et dans la section centrale a fait reconnaître que cette base que mon honorable prédécesseur présentait comme plus équitable que la précédente, donnerait des résultats inattendus ; elle fut en conséquence rejetée par la généralité des sections.
L'auteur du projet fut tellement convaincu de l’impossibilité de faire triompher cette base nouvelle qu’il proposa lui-même un amendement pour faire disparaître l’évaluation cadastrale, prise comme base de la valeur locative. Il admettait donc qu’en attendant que la révision cadastrale permît d'établir avec plus d'équité les évaluations qui aujourd’hui ne sont guère équitables, il valait mieux se rapprocher de l'ancien système et laisser établir les valeurs locatives par les expertises. La section centrale reconnaissant la nécessité de ces expertises dans un cas, prit texte de cette mesure pour rétablir la taxe des foyers.
Et, en effet, pour le recensement des foyers, il faut bien faire des expertises, des visites. Une fois la visite reconnue, nécessaire pour la première base, autant valait-il conserver la troisième, celle des foyers ; c'est ainsi que la taxe des foyers fut rétablie dans l'amendement de la section centrale.
D'un autre côté, dans le projet primitif, la taxe sur la valeur locative était de 5 p. c. au lieu de 4 p. c. comme dans la loi de 1822 ; par conséquent augmentation de 1 p. c. Cette augmentation avait pour objet de remplacer une autre base de l'impôt, celle des foyers dont je viens de parler et qui avait été négligée. Cette dernière étant rétablie, il n'y avait plus de motif pour augmenter d'un pour cent l'impôt sur les loyers ; on a rétabli à 4 p c, comme il l'est dans la loi de 1822., Je ne passerai pas en revue dans ce moment les diverses améliorations qui sont consignées dans le projet de loi. Je me bornerai à vous déclarer, messieurs, que, dans ce projet, tel qu'il est amendé par la section centrale, il n'y a pas un seul article qui ne porte la preuve que le gouvernement a voulu faire disparaître les abus, les défectuosités de la législation actuelle. Lorsque nous arriverons à la discussion des articles, il me sera facile de vous le démontrer.
C'est donc à tort que le premier orateur qui a pris la parole dans cette discussion est venu présenter la loi sous des couleurs si noires, la présenter comme indigne de figurer dans notre législation et comme devant avoir pour résultat, si je l'ai bien compris, d'augmenter le nombre, si grand déjà, des enfants illégitimes.
Je voudrais que l'honorable orateur voulût bien me faire voir un pays où l'impôt sur la contribution personnelle soit plus équitablement réparti, même d'après la loi que nous améliorons aujourd'hui. Quant à moi, je n'en connais aucun.
La loi, dit-il, frappe les citoyens en raison indirecte de leurs moyens d'existence. Ce point de départ est d'une inexactitude palpable. Nos 4,400,000 Belges sont répartis pour le logement dans 732,983 maisons. Dans ce nombre, dans ces 732,983 maisons qui renferment toutes les familles de la Belgique, il y en a 340,000 pour lesquelles on ne pays pas un denier du chef de la contribution personnelle. Chacune de ces 732,983 maisons renferment en moyenne 6 individus. Donc les 340,000 habitations qui sont exemptées de toute contribution personnelle abritent plus de 2 millions de Belges.
De sorte qu’il est vrai de dire qu'en Belgique il y a deux millions de Belges que l'impôt dont nous parlons n'atteint pas. Qu'on me cite donc un pays où cela existe ! En France, il n'y a aucune exemption ; je me trompe, il y eu a une, mais on n'en jouit qu'alors seulement qu'à la fin de l'année, on peut faire constater sa parfaite insolvabilité et que l’administration établisse la carence. A défaut de celle-ci, il n'y a pas d'exemption. Ainsi donc, en Belgique, il ne reste que 2,400,000 individus pour payer l'impôt personnel.
. Cet impôt, comme vous le savez, messieurs, s'élève à un peu plus de 8 millions, ce qui équivaut à une taxe annuelle d'environ 4 francs par tète.
Voici donc un des principaux impôts de la Belgique qui représente une taxe de 4 fr. par individu, même en ne tenant aucun compte de la moitié à peu près de la nation qui ne paye absolument rien. C'est ainsi tout le contraire de ce qu'a dit l'honorable préopinant qui prétend, lui, qu'à mesure que les charges de famille augmentent, on participe pour une plus large part au payement de l'impôt.
Remarquez, messieurs, que le projet consacre, même en fait d'exemptions, des améliorations notables à la législation actuelle.
D'après la loi de 1822 aujourd hui en vigueur toute maison d'une valeur locative inférieure à 42 francs est exemptée de l'impôt, dans quelque partie du pays qu'elle se trouve. Ce chiffre invariable n'est évidemment pas équitable ; car celui qui habile une maison de 42 francs à la campagne et celui qui habite une maison de 42 fr. à Bruxelles, occupent des habitations bien différentes, si toutefois il en est dans la capitale d'assez misérables pour être louées à ce prix. D'un autre côté la misère de l'un doit être bien plus grande que celle de l'autre.
Et n'est-il pas vrai que le locataire, à Bruxelles, d'une maison de 80 francs est tout aussi malheureux, tout aussi mal logé que le locataire d'une maison de 20 francs à la campagne ? Il y a donc là une inégalité choquante, et cette inégalité nous la faisons disparaître.
Le premier orateur que nous avons entendu va jusqu'à repousser quatre bases du projet d'impôt ; il ne veut ni de la valeur locative, ni des portes et fenêtres, ni des foyers, ni de la valeur du mobilier. Que l'honorable membre me permette de lui répondre, que si jamais ces bases de-l'impôt pouvaient disparaître, les autres, devraient être augmentées à ce point qu'il faudrait payer tout au moins pour un domestique 200 francs, pour un cheval 500 francs, pour une voiture 1,000 francs.
Qu'en résulterait-il ? Que l'on se passerait de domestiques, de chevaux et de voitures, et en définitive ce serait la classe ouvrière, la classe misérable qui en pâtirait.
Je sais qu'il reste à l'honorable orateur une ressource ; c'est celle des célibataires. Cette base avait été indiquée dans le premier projet de la loi de 1852, qui fut soumis à la Chambre. Eh bien, c'est peut-être là ce qui a le plus contribué à faire retirer la loi, à faire disparaître le projet de l'ordre du jour.
Dans un pays où la population augmente constamment, donner une prime d'encouragement au mariage (car un impôt spécial sur les célibataires n'est pas autre chose) ce serait un non-sens ; ce serait vouloir arrivera un état de misère complète que d'introduire une pareille législation.
L'honorable M. Leliêvre, tout en approuvant la plupart des dispositions introduites dans le projet de loi, a cru y découvrir qu'à l'avenir on frapperait plus directement la classe moyenne, eh bien, je n'hésite pas, à lui répondre que, dans le projet de loi modifié par la section cnutrale on atteint un résultat tout opposé.
(page 913) Lorsque nous arriverons aux détails, il verra que ce sont surtout les classes riches que nous cherchons à atteindre, et que les classes moyennes sont moins imposées par la loi en projet que par celle de 1822.
J'ai entendu exprimer par un honorable député de Bruxelles le regret que l'on n'eût pas attendu la révision du cadastre, atin d'obtenir une base plus certaine de la véritable valeur locative.
J'avoue qu'après cette révision (malheureusement elle est sans doute fort éloignée, et peut-être faudra-t-il l'attendre encore 15 ans), on pourrait faire quelque chose de mieux que ce que nous proposons. Mais, en attendant, est-ce un motif pour laisser subsister contre la loi de 1822 les griefs que l'on a articulés, et qui sont fondés ? Quant à moi, quand les vices d'une législation sont établis, je n'en retarde pas le redressement, sous prétexte que plus tard on pourrait faire mieux.
L'honorable M. Lelièvre a signalé également une lacune dans la procédure devant la cour de cassation, telle qu'elle est proposée, et à cette occasion, je me permettrai de faire remarquer à la Chambre que cette procédure est encore une des améliorations apportées par le projet de loi à la législation actuelle. Aujourd'hui, c'est le fisc qui est en quelque sorte juge et partie. Lorsqu'un contribuable prétend que la loi a été violée à son égard, il doit payer, et c'est l'administration, le gouverneur qui statue définitivement sur ta réclamation. Le projet de loi défère la question de droit à la cour de cassation, qui statuera comme cour régulatrice, et qui, après quelque temps, parviendra à ramener les députations permanentes à l'unité d'application de la loi. C'est là une amélioration sensible.
Il est possible, messieurs, que pour les articles qui ont trait à la procédure, il y ait quelques amendements à présenter. Je m'en rapporte à ce sujet a l'expérience de l'honorable M. Lelièvre.
Je le répète donc, messieurs, ni en France, ni en Hollande où l'on a également réformé la loi de 1822, mais pour en aggraver l'application et non pour la rendre plus douce ; ni en Angleterre, ni dans aucun pays dont la législation m'est connue, il n'existera une législation qui soit comparable à celle dont vous êtes sur le point de doter votre pays. J'espère que lorsque les articles seront en discussion, il me sera possible de vous le démontrer.
M. Osy (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
L'honorable ministre des finances a annoncé qu'il aurait différents amendements à proposer. Je lui demanderai s'il verrait quelque inconvénient à les déposer immédiatement pour qu'ils soient imprimés et que nous ayons le temps de les examiner.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je n'y vois pas d'inconvénient. Si la Chambre veut m'y autoriser, je ferai imprimer les amendements. (Adhésion.)
- La discussion générale est close.
La chambre passe à la délibération sur les articles.
« Art. 1er. Une contribution personnelle est établie sur les sept bases suivantes :
« 1° La valeur locative des habitations ;
« 2° Les portes et fenêtres ;
« 3° Les foyers ;
« 4° La valeur du mobilier ;
« 5° Les domestiques ; :
« 6° Les chevaux ;
« 7° Les voitures. »
M. Mercier. - Messieurs, il serait prématuré, à l'occasion de l'article premier, d'apprécier d'une manière approfondie chacune des bases du projet de loi.
Le rapport de la section centrale les a d'ailleurs justifiées pour la plupart et M. le ministre des finances vient de présenter lui-même plusieurs considérations dans le même but.
Je ne parlerai donc en ce moment que d'une de ces bases que je ne puis admettre, celle des voitures.
Imposer spécialement les voitures, c'est faire double emploi, puisque les chevaux de luxe sont soumis à l'impôt que lorsqu'on tient plusieurs chevaux, on a une voiture sauf de très rares exceptions qui ne peuvent légitimer une mesure générale ; bien plus le projet augmente la taxe sur les chevaux, ce qui rend moins rationnelle encore l'adjonction de la nouvelle base.
Messieurs, remarquez que ceux qui tiennent un équipage sont frappés sous une foule de formes diverses par le projet de loi. Ainsi l'on impose les portes cochères à un droit plus élevé ; on aggrave l'impôt sur les chevaux ; il en est de même de celui qui est établi sur les domestiques ; en outre, ceux-ci donnent lieu à un second surcroît de charges, lorsqu'ils portent livrée ; enfin, on établit une taxe supplémentaire sur les voitures à armoiries. Les contribuables qui tiennent voiture sont atteints de tant de manières par la nouvelle loi, que leur nombre pourrait diminuer considérablement, et qu'au lieu d'atteindre l'augmentation de produits que l'on a en vue, on pourrait bien arriver à un résultat contraire. Je me prononce donc contre l'impôt sur les voitures.
Les voitures étaient considérées par l'ancienne loi comme mobilier et contribuaient ainsi à accroître le produit de la quatrième base. Je me prononce également contre l'impôt sur les livrées et les armoiries, parce qu'elles ne sont pas l'indice de la fortune. Il est telles personnes dont la fortune est très considérable, qui tiennent voiture, qui ont de magnifiques équipages mais qui n'ont pas d'armoiries, et ne peuvent en avoir. Il en est d'autres qui ne possèdent qu'un très modeste équipage mais qui ont des armoiries. Je ne vois pas pourquoi l'on imposerait davantage le modeste équipage de celui qui a des armoiries, que le somptueux équipage de celui qui n'en a pas ! Notre Constitution admettant les titres de noblesse, je ne comprends vraiment pas pourquoi on soumettrait à l'impôt un signe qui en est l'emblème.
M. Osy (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Il me paraît qu'il vaudrait mieux réserver l'article premier jusqu'à ce que nous ayons voté les autres dispositions de la loi. Il est des membres, et je suis de ce nombre, qui ne veulent pas de l'impôt sur les voitures. Si nous votions l'article premier cet impôt serait établi de fait sans que nous eussions examiné l'article spécial qui a pour but de rétablir.
Je demande donc que l'article premier soit réservé jusqu'à la fin de la loi.
M. Rodenbach. - Messieurs, l'article premier soulève la question de savoir s'il faut établir des impôts somptuaires, s'il faut frapper un peu plus le luxe. C'est un principe qu'il faut tout d'abord décider. Je crois donc que nous pouvons continuer la discussion de l'article premier, et je suis persuadé que M. le ministre des finances sera de cet avis.
M. Rousselle, rapporteur. - Il me paraît que la Chambre pourrait tenir en suspens l'article premier. Ce n'est réellement qu'une disposition récapitulative de toutes les bases que la Chambre peut admettre ; sa rédaction découlera tout naturellement des différentes bases qui seront votées.
M. Lelièvre. - Quant à moi, messieurs, je pense qu'il faut d'abord voter sur l'article premier qui renferme le principe de la loi. Les autres articles ne sont que la conséquence de ce principe, qui, par conséquent, doit avant tout être admis ou rejeté. Il s'agit donc de savoir préalablement si les sept bases seront adoptées.
Si l'un des honorables membres croit devoir rejeter l'une de ces bases, eh bien, il peut proposer un amendement ayant pour objet de supprimer celle des bases qu'il ne croit pas devoir admettre.
Mais, à mon avis, pour procéder régulièrement, il est essentiel qu'on statue sur le principe avant d'aborder son application.
Il n'est pas possible de discuter les détails avant d'avoir décidé la question principale.
M. de Mérode. - Je pense qu'on peut en ce moment présenter quelques observations relativement à l'impôt sur les livrées et sur les armoiries.
M. le président. - Il n'est question en ce moment ni des livrées ni des armoiries. Il s'agit de savoir si parmi les bases de la contribution personnelle on fera figurer les domestiques et les voitures.
M. Verhaegen. - L’article premier renferme le principe de l'impôt, et il s'agit de savoir si l'on adopte ce principe dans toutes ses parties, sauf à déterminer plus tard les conséquences.
Veut-on une contribution personnelle sur la valeur locative ? Veut-on une contribution personnelle sur les portes et fenêtres ? Sur les foyers ? Sur la valeur du mobilier ? Sur les domestiques ? Sur les chevaux ? Sur les voitures ? Sur les armoiries ? Sur les livrées, etc. ?
Si la majorité adopte ces bases, nous n'aurons plus à nous occuper que des détails. Les autres articles.ne sont que l'application du principe. Nous devons donc voter d'abord l'article premier
M. Mercier. - J'appuie la motion de l'honorable M. Osy ; pour apprécier si cette base peut être adoptée, il faut tenir compte du vote qui sera émis sur d'autres bases. Ainsi, j'entendais tout à l'heure un de mes honorables voisins blâmer le mode adopté pour la taxe sur les chevaux. Or, si la taxe qui sera votée sur les chevaux est trop élevée, ce sera un motif de plus pour ne pas adopter la taxe sur les voitures.
M. Ch. de Brouckere. - Les arguments de l'honorable préopinant sont des plus concluants pour que nous votions d'abord sur la question de principe.
L'honorable M. Mercier vous dit : Suivant qu'il y aura plus ou moins de bases, on pourra régler la taxe de ces bases, on pourra l'élever ou la diminuer. Eh bien ! pour cela il faut commencer par savoir combien il y aura de bases de l'impôt. C'est la première question à décider.
Et si une de nos bases ne passait pas, il y aurait peut-être lieu d'augmenter les autres bases. Il faut d'abord savoir combien de choses on frappera ; vous calculerez ensuite de combien vous frapperez chacune de ces choses.
Qu'on divise l'article et qu'on mette successivement aux voix chacune de ces bases.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - L'honorable membre vient de dire en grande partie ce que je voulais faire observer à la Chambre. Il est évident qu'au point de vue du trésor, abstraction faite de toute autre considération, il faut discuter d'abord l'article premier. Si, par exemple la taxe sur les voitures était rejetée, il faudrait se montrer moins facile pour d'autres bases, car, en définitive, nous ne créons pas des impôts pour le plaisir de le faire ; si nous créons des impôts, c'est parce que le trésor en a absolument besoin.
Si donc une base est rejetée il faut renforcer les autres. Cela n'implique nullement que j'adhère à cette malheureuse addition qu'on a faite au projet, d'imposer les armoiries ; je m'expliquerai ultérieurement à cet égard.
M. le président. - Il est certain qu'alors même que la Chambre admettrait la taxe sur les domestiques et sur les voitures, il n'en résulterait pas qu elle admet la taxe sur les armoiries et sur les livrées.
M. Osy. - Je retire ma motion.
(page 914) M. Rodenbach. - J'ai demandé la parole pour combattre l'observation de l'honorable M. Mercier. Il me semble qu'un particulier qui a un tilbury peut très bien payer 5 francs, d'autant plus qu'il n'y a pas d'augmentation pour les chevaux. Celui qui a une voiture à quatre roues ne payera que 10 francs. Est-ce trop pour une personne qui a assez de fortune pour tenir une voiture à quatre roues et deux chevaux ?
Maintenant s'il veut y placer ses armoiries ou même ses décorations, car il me paraît qu'il y en a qui le font, eh bien, il payera de ce chef 10 francs, s'il s'agit d'une voiture à quatre roues ; si ce n'est qu'une voiture à deux roues, il ne payera que 5 francs. Ce n'est qu'un pourboire qu'un homme riche donne à un domestique, et l'on appelle cela un impôt considérable 25 francs pour un domestique en livrée ! Est-ce un impôt élevé, alors qu'un domestique sans livrée paye 20 francs ? Evidemment on ne peut pas appeler cela des impôts somptuaircs. Il est bien certain que ceux qui aiment le luxe ne s'en passeront pas parce qu'ils devraient payer 5 francs ou 10 francs. Ce serait une mesquinerie pour un homme opulent de se priver de quelque chose pour économiser 5 francs.
M. de Mérode. - Je ne puis pas être de l'avis de l'honorable préopinant quant aux armoiries parce que c'est, selon moi, le moyen d'empêcher les peintres en armoiries de gagner leur vie. (Interruption.)
Vous vous trompez beaucoup si vous croyez qu'on fera peindre autant d'armoiries lorsque l'impôt sera établi, qu'on en fait peindre maintenant. Quant à moi je suis convaincu qu'on en fera beaucoup moins. Eh bien, il y a des gens qui n'ont que ce moyen d'existence ; il y a des estropiés qui peignent des armoiries. Vous leur ôterez leur gagne-pain.
Quant aux livrées je ne sais pas trop ce qu'on appellera livrée. Toutes les fois qu'un impôt est établi, on trouve mille moyens d'y échapper. Il y aura des élégants qui adopteront pour leurs domestiques, par exemple, un habit bleu ou vert avec un gilet jaune. Vous serez dans l'impossibilité de découvrir ce que c'est qu'une livrée, à moins que vous ne disiez que la livrée consiste en un liséré, en boutons armoriés, etc. Il n'y aura rien de plus facile que de se soustraire à cet impôt.
En ce qui concerne la taxe sur les voitures, ce sera encore une inquisition exercée dans les remises des particuliers. Souvent on conserve une vieille voiture dont on se sert de temps en temps, on ne le fera plus quand il faudra payer l'impôt.
Un autre inconvénient du projet, c'est de faire payer plus aux voitures à 4 roues qu'aux voitures à 2 roues. Je ne vois pas que le législateur doive pousser à ce qu'on emploie des voitures à deux roues plutôt que des voitures à 4 roues, qui sont beaucoup plus sûres et qui ne présentent pas plus de magnificence que les autres. Si le cheval de votre cabriolet s'abat, vous avez la satisfaction d'aller mesurer le terrain, tandis qu'avec une voiture à 4 roues vous ne courez souvent aucun danger. Pour mon compte, je préférerais imposer les voitures à 2 roues plus fortement que les autres.
Nous sommes très soigneux de la santé des individus, nous inventons toutes sortes de précautions ; nous établissons des médecins, des pharmaciens, nous défendons au particulier de se faire traiter par qui bon lui semble ; je trouve donc qu'il faudrait plutôt frapper les voitures à 2 roues que les voitures à 4 roues.
Quant aux chevaux, c'est réellement un signe de magnificence ; il est évidemment plus de luxe à posséder deux chevaux qu'à n'eu posséder qu'un.
Mais le nombre des roues, le nombre des voitures, le nombre des harnais, tout cela ne prouve rien ; ce serait plutôt la richesse de ces objets qu’il faudrait considérer. Le nombre des voitures dépend souvent de la position de la famille. Un père de famille qui a plusieurs enfants est obligé d'avoir une voiture un peu grande pour conduire sa femme et ses enfants ; mais quand il va en voyage, pour ses affaires, il ne traîne pas cette grande voiture avec lui ; il est donc obligé d'en avoir une plus petite pour lui seul. Cela ne prouve pas qu'il soit plus riche.
Il me semble, messieurs, qu'il voudrait mieux imposer un peu plus chaque cheval que d'entrer dans tous ces détails.
Ce serait infiniment plus simple, et cela donnerait lieu à moins d'injustices.
M. Verhaegen. - On nous a toujours dit qu'il fallait imposer le luxe et la fortune ; mais quand on arrive au fait, on cherche tous les moyens d'y échapper.
Oui, il faut frapper la fortune, le luxe ; je me permets même d'ajouter la vanité ; oui, il faut dégrever ceux qui sont dans un état voisin de la misère.
Je veux frapper les voitures d'un impôt spécial, mais à condition que l'impôt soit réellement productif, car d'après le projet la taxe serait moins forte que celle qui existe aujourd’hui sur les voitures comprises dans la généralité du mobilier.
Une voiture à 2 roues ne paye, d'après le projet, que 5 francs ; une voiture à quatre roues ne paye que 10 francs ; nous nous occuperons plus tard des armoiries auxquelles je n'attache pas la même importante que l’honorable comte de Mérode, car d'après moi, toute marque distinctive, telle que devise, lettres initiales, couronnes, etc., constitué des armoiries, et je trouverais bien moyen de les frapper d'un impôt lucratif pour le trésor si je parvenais à réunir une majorité en faveur de mon système.
Je reviens aux voitures. Une voiture à 4 roues ne paye que 10 fr. Or, aujourd'hui, les voitures sont frappées d'une taxe plus considérable comme faisant partie du mobilier.
Je demanderai à l'honorable M. de Mérode à combien il estime une voiture ordinaire à quatre roues, une calèche à deux chevaux, par exemple ? Moi je l'estime à 2,000 ou 3,000 fr. au moins, prenons 2,000 fr. ; eh bien, 2,000 fr., à raison d'un p. c, nous donnent 20 fr. Ainsi, si vous n'exigez d'après le projet que 10 fr. pour une voiture à quatre roues, vous perdez la moitié de ce que vous percevez aujourd'hui.
Je demanderais, pour les voitures à quatre roues, une taxe de 40 fr. ; et ainsi je quadruplerais l'impôt proposé par le gouvernement.
L'honorable M. de Mérode a trouvé une échappatoire pour les armoiries : il dit que si on impose les armoiries, beaucoup de peintres déjà très pauvres n'auront bientôt plus rien à faire.
Messieurs, soyez-en bien convaincus, ceux qui veulent des armoiries ne s'en passeront pas, parce qu'on les frappera d'un impôt quelconque. La vanité en ce bas monde est telle, que plus on frappera ces hochets indispensables à certaines ambitions, plus on y attachera de prix et plus on tiendra à en faire parade. Je crois même que si, en frappant les livrées, on établissait une échelle de proportion à raison de la largeur des galons on finirait par en couvrir les chapeaux et les habits des domestiques.
Pour me résumer, j'admets avec le projet de loi une taxe sur les voitures. Car c'est une matière essentiellement imposable. Mais il ne faut pas se borner à une mesure illusoire : les voitures ne payeront réellement un impôt que lorsqu'on quadruplera la taxe proposée par le gouvernement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre deux projets de loi ; l'un concerne la réunion des faubourgs à la capitale ; l'autre intéresse la législation des poids et mesures.
- Ces deux projets de loi seront imprimés et distribués. La Chambre les renvoie à l'examen des sections.
La discussion continue sur l'article premier.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, je persiste à croire que les voitures, aussi bien que les chevaux, peuvent très convenablement figurer parmi les bases de la contribution personnelle.
Il est à remarquer que plus ces bases sont variées, plus il est facile de se rapprocher de l'égalité proportionnelle dans l'assiette de l'impôt.
Ainsi l'honorable M. Prévinaire a fait observer que la loi était vicieuse en ce sens qu'une maison de 1,000 francs à Bruges, par exemple, aurait à Bruxelles une valeur de 3,000 à 4,000 fr. et qu'il y a bien une disproportion évidente. Mais l'honorable membre perd de vue que si ce fait est réel, l'inégalité s'améliore par les autres bases de la contribution personnelle qui sont les mêmes, quelle que soit la ville dans laquelle la base soit possédée.
Ainsi, pour les voitures qu'on possède à Bruges ou à Bruxelles, on paye la même chose.
Je persiste donc à maintenir le projet de loi.
On a présenté diverses observations qui, à mon avis, sont prématurées. Ainsi, nous nous occuperons des armoiries et des livrées lorsque nous en serons à l'article qui les impose. Je me bornerai à faire remarquer à l'honorable M. Verhaegen qu'il se trompe, lorsqu'il prétend que le trésor perçoit aujourd'hui sur les voitures, comprises dans le mobilier, plus qu'il ne percevra par l'impôt spécial que nous proposons sur cet objet.
A cela j'ai une remarque à faire ; c'est que l'expérience a prouvé que presque toutes les voitures de maître sont comprises dans la valeur du mobilier, au moyen de la déclaration au quintuple de la valeur locative, et qu'elles échappent ainsi à l'impôt, parce que ce quintuple est loin d'atteindre la valeur réelle de tout le mobilier ; le trésor ne perçoit pas, en réalité, un centime de plus que si elles n'existaient pas.
Il n'est, donc pas exact de dire que le trésor perd d'un côté ce qu'il percevra de l'autre, car il ne reçoit rien et il recevra à l'avenir.
M. Prévinaire. - Quand j'ai déclaré que je voterai contre l'impôt sur les voitures, c'est parce que je voulais maintenir l’état de choses actuel où elles sont imposées comme mobilier ; mais M. le ministre vient de faire observer qu'on parvenait à se soustraire à cet impôt en déclarant la valeur de son mobilier au quintuple de la valeur locative.
J'espère que la même considération déterminera M. le ministre à présenter un amendement à l’article 4, la même raison s'applique aux petites localités ; il y a là une disposition exorbitante.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je présenterai un amendement.
M. Prévinaire. - Dans les villes de second ordre une personne peut avoir une fortune considérable, ne payer que mille francs de loyer et avoir dans sa maison un mobilier valant plus de 30,000 francs ; au moyen de la faculté de déclarer son mobilier au quintuple de la valeur locative, ce contribuable pourrait se soustraire à l'impôt.
Je ferai observer en passant que la réponse de M. le ministre à (page 915) l’objection que j'avais présentée à propos de la taxe des portes et fenêtres ne me paraît pas concluante ; il a dit que l'ensemble des bases constituait une sorte de compensation à ce qu'il y avait de défavorable pour les grandes localités, à être taxées d'après la valeur locative qui n'est pas en rapport exact avec la fortune.
Comme l'on taxe par le projet les voitures de la même manière quelle que soit la localité, je ne vois pas où gît la compensation, car je ne sache pas qu'une voiture soit un indice de fortune dans une localité plutôt que dans une autre, car les frais d'entretien de la voiture et la nourriture des chevaux sont à peu près les mêmes dans toutes les localités. On me dit qu'ici nous avons les droits d'octroi, mais ils existent aussi dans beaucoup de villes de province et ils constituent d'ailleurs une charge spéciale.
M. Verhaegen. - Il est vrai, comme l'a dit M. le ministre des finances, que quand on s'en rapporte au quintuple de la valeur locative pour fixer la valeur du mobilier, le trésor n'a rien aujourd'hui à percevoir sur les voitures, et qu'ainsi il ne perd rien d'après le projet ; mais il est vrai aussi que si on demande l'expertise du mobilier, il y a nécessairement perte pour le trésor. Or, quoi qu'on dise, beaucoup de personnes ont demandé et demandent encore, dans plusieurs localités, la taxe du mobilier ; et, par conséquent, l'observation que j'ai faite tantôt subsiste dans toute sa force.
Messieurs, puisque nous sommes d'accord qu'il faut frapper la fortune et le luxe, nous serons aussi d'accord que voter un impôt de 5 et de 10 francs sur les voitures est tout à fait insignifiant. Croyez-vous qu'un impôt de 40 ou 50 francs par chaque voiture à quatre roues serait exorbitant alors que certaines villes de notre pays ont frappé ces voitures d'un impôt communal de 20 à 100 francs ? C'est ce qui a en lieu entre autres à Verviers, où depuis l'impôt il n'y a pas eu une voiture de moins.
Je me réserve, par amendement, de demander que le droit proposé soit quadruple et vous le voyez, en agissant ainsi, je resterai encore dans les limites d'une sage modération.
M. Mercier. - Je partage l'opinion exprimée par M. le ministre des finances que la multiplicité des bases permet d'arriver plus près de la justice distributive ; mais cela peut-il s'appliquer à l'impôt dont le projet de loi frappe les voitures ? Je ne le pense pas, car il fait double emploi avec l'impôt sur les chevaux, il est très peu de personnes tenant deux chevaux qui n'aient pas de voiture ; par conséquent si on impose et les chevaux et les voitures, il y a évidemment double emploi. Cette dernière base ne concourt donc pas à la meilleure répartition de l'impôt. C'est pour ce motif que j'ai combattu l'impôt sur les voitures dans la section centrale et aussi parce que la taxe sur les domestiques et sur les chevaux est augmentée.
Si on veut un produit plus considérable, mieux vaudrait encore élever la taxe sur certains chevaux de luxe que de multiplier inutilement les bases. Je ferai remarquer en terminant que la section centrale n'a adopté l'impôt sur les voitures qu'à la majorité de trois voix contre deux.
- La discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à 4 heures 3/4.