(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 303) M. Dumon procède à l'appel nominal à 1 heure et demie.
- La séance est ouverte.
M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Dumon fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Les membres de la garde civique de Gand présentent des observations en faveur de la proposition de loi qui modifie l'article 24 de la loi sur la garde civique. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.
« Des cultivateurs de la commune de Roucourt et des environs présentent des observations contre les demandes en concession de chemin de fer de Saint-Ghislain à Tournay et de Thulin à Leuze. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Lognier, ancien maréchal des logis d'artillerie, prie la chambre de lui accorder un secours. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'Àudenarde prient la chambre d'adopter la proposition de loi relative à l'exemption de droits en faveur des actes concernant l'expulsion de certains locataires. »
« Même demande de plusieurs habitants d'Exaerde. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner la proposition de loi.
« Message du sénat faisant connaître l'adoption par cette chambre du projet de loi contenant le budget du département de la justice, pour l'exercice 1853. »
- Pris pour notification.
« M. Delehaye, ayant perdu sa belle-sœur, demande un congé de quelques jours.»
- Ce congé est accordé.
M. le président. - La discussion continue sur le chapitre XIV, Poids et mesures. La parole est à M. Dumortier.
M. Dumortier. - Messieurs, hier à la fin de la séance, j'ai demandé la parole pour m'opposer à ce que la clôture fût prononcée sur la question des poids et mesures. Cette question, qu'on a traitée d'une manière un peu légère, est beaucoup plus grave qu'on ne se l'imagine, et, pour mon compte, je trouve que les observations de l'honorable M. Peers méritent d'être prises en très mûre considération par le gouvernement et par la chambre. M. Peers s'est plaint de ce que les étalons prototypes, servant à la vérification des poids et mesures, ne coïncident pas entre eux. Ce fait, je viens l'affirmer à mon tour, et il est extrêmement grave.
Il a été démontré, il y a douze ou quinze ans, qu'il y avait, entre les étalons qui sont entre les mains des vérificateurs des poids et mesures, des différences qui vont jusqu'à 1 ou 2 p. c.
Or vous voulez avoir un système de poids et mesures conforme à la base sur laquelle repose tout l'édifice. Si maintenant les étalons qui sont chez les vérificateurs de poids et mesures ne sont pas conformes entre eux, vous arriverez à des différences considérables, et vous n'aurez pas obtenu le résultat que vous vouliez atteindre. Ceci est de toute vérité, et les observations faites à ce sujet par l'honorable M. Peers-Ducpétiaux sont parfaitement exactes.
Il y a environ quinze ans que ces observations ont été présentées à la chambre.
En 1839, le gouvernement s'est adressé à une commission de l'Académie des sciences pour avoir un étalon prototype, afin que l'on fût certain d'être dans le vrai quant au système de l'étalon des poids et mesures. Cet étalon a été fait en commission de l'Académie des sciences ; il est d'une rigoureuse exactitude. Mais il faut qu'il y ait conformité entre le prototype et les étalons pour les poids et les mesures qui sont dérivés du même prototype, comme vous savez. Or, sous ce rapport, on n'a rien fait, et nous n'avons pas encore, dans le pays, les étalons de second rang, qui sont nécessaires pour avoir une régularité complète dans les poids et mesures de la Belgique.
L'étalon prototype a été déposé à la chambre en 1838 ; il doit être à la questure. Avec cet étalon il faut ramener à l'uniformité les poids et les mesures de capacité. Ce qui a été fait jusqu'à présent ne signifie rien, si l'opération n'est pas continuée.
Puisque la question a été soulevée par l'honorable M. Peers Ducpétiaux, j'insiste vivement pour que le gouvernement mène à fin cette opération si indispensable pour la sûreté des opérations commerciales.
Vous avez en Belgique un corps savant, l'Académie des sciences, auquel on peut s'en rapporter pour la confection des étalons. Vous avez la mesure de longueur, le mètre. Quand on aura fait des étalons de premier rang pour les poids et pour les mesures de capacité, rien ne sera plus facile que d'avoir des étalons certains dans tous les bourgs, dans toutes les villes de la Belgique. Ces étalons doivent être faits par un corps savant, comme on a fait en France et en Angleterre, dans tous les pays oû l'on a voulu faire la vérification des poids et mesures.
J'appuie donc les observations de l'honorable M. Peers-Ducpetiaux, et je prie M. le ministre de l'intérieur de bien vouloir régulariser ce point. Je répète que nous sommes encore aujourd'hui dans la situation où nous nous trouvions avant 1830, c'est-à-dire que l'étalon prototype n'a pas reçu son application dans l'usage quotidien.
Messieurs, une fois ce point terminé, il y aura nécessairement lieu de porter une loi pour l'application de cette mesure ; et quant à moi, je déclare nettement que le système décimal, tel qu'il a été adopté en France, surtout quant aux poids, me paraît complètement inexécutable.
Je conçois très bien que le système décimal est d'une facilité extrême et d'une utilité immense pour les personnes qui chiffrent. Mais, messieurs, entre-t-il dans la tête de personne, que jamais on ira demander dans un magasin 3/10 de kilog. d'une substance quelconque ? Non, messieurs, ce n'est pas ainsi que l'intelligence humaine procède. Nous sommes constitués sur un système d'organes constamment double ; nous avons deux bras, deux yeux, deux oreilles ; la dualité est notre essence.
Eh bien, nous apportons le même système dans nos calculs, nous demandons une moitié, puis la moitié d'une moitié qui est le quart, la moitié du quart qui est le huitième. Voilà le système réellement humain. (Interruption.)
Messieurs, ce que je dis est sérieux. Je désire qu'un système vrai et applicable aux besoins du peuple, soit introduit dans notre pays, et je maintiens, malgré l'opposition de la science, que jamais on ne parviendra à avoir des poids et mesures qui satisfassent à tous les besoins des transactions, qu'en adoptant, surtout pour les poids, la division par deux et par quatre.
Messieurs, remarquez-le, je vous prie ; voilà bientôt soixante ans que le système des poids et mesures est en vigueur tant en France qu'en Belgique, en Hollande, enfin chez toutes les nations qui ont pris part à la grande opération de la mesure du méridien qui a été faite à Paris.
Eh bien, on n'a pu faire adopter nulle part le système décimal dans toutes ses parties, bien que depuis soixante ans on l'enseigne dans les écoles. On a pu le faire accepter pour les monnaies, mais quant aux poids, on n'a pu y arriver, et tous les efforts humains n'y mèneront pas.
Vous n'arriverez jamais et on n'arrivera dans aucun pays du monde à faire accepter la division de la livre en dix parties. La livre, d'après les besoins de l'humanité, doit être divisée comme elle l'a été à toutes les époques, par moitié et par quarts. Si l'on prétend imposer au pays, imposer au peuple un système quelconque de poids et mesures qui ne va pas à l'intelligence humaine, qu'arrivera-t-il ? C'est que vous ne l'introduirez jamais en réalité et que vous serez toujours exposés à avoir des poids et mesures inexacts.
Messieurs, il est évident, comme le disait hier l'honorable M. de Brouckere, que vous ne sauriez empêcher une cuisinière, un particulier d'aller dans un magasin demander la quantité de marchandises qu'il désire ; vous ne pouvez, par une loi, lui interdire de demander ce qu'il veut en fait de marchandises. Eh bien, une personne va dans un magasin et demande un quart de livre. Vous voilà obligé de prendre des poids divers, et c'est dans la combinaison de ces poids divers qui se mettent sur la balance, que les marchands arrivent à la fraude.
Or que veut-on obtenir par l'établissement d'un système de poids et mesures ? C'est qu'il n'y ait, point de fraude possible ; c'est que la personne la moins lettrée qui se présente dans un magasin quelconque pour faire un achat, soit toujours certaine d'avoir son compte. Eh bien, si l'on veut arriver à ce résultat, il est indispensable d'admettre la division par demi, par quart, par huitième, qui a été adopté en France. Je sais que dans ces derniers temps, en 1837, on a voulu en France donner un vernis scientifique à la chose (et il n'y a pas de science en cela), je sais qu'en 1837 on a changé la loi, mais qu'est-il arrivé ?
C'est que nulle part la nouvelle loi n'a été exécutée et qu'aujourd'hui encore la division s'opère par demi, par quart, par huitième, etc. Et il est impossible qu'il en soit autrement, car jamais vous n'obtiendrez des gens du peuple qu'ils achètent par 3/10, 4/10, 2 hectogrammes, 3 décagrammes, etc. Je pense donc, messieurs, qu'il faudra examiner sérieusement s'il n'y a pas lieu de modifier le système décimal pnur en revenir au système qui existait eu France avant 1837 et qui y est encore en usage aujourd'hui.
M. Rodenbach. - Je pense, messieurs, comme l'honorable préopinant que pour le petit détail il y a impossibilité de suivre le système décimal usité actuellement. La preuve, c'est que depuis plus d'un demi-siècle on ne se sert de ce système dans aucun petit magasin. Lorsque vous demandez une demi-livre, un quarteron, un demi-quarteron, vous obtenez ce que vous désirez ; mais si vous demandiez trois hectogrammess, quatre décagrammes, on ne saurait pas ce que vous voulez dire. Voilà ce qui se passe depuis 60 ans. Comme l'honorable préopinant l'a fort bien dit, c'est en 1812 qu'on a vu en France les grands inconvénients du système des dixièmes, auquel le peuple ne peut pas s'habituer et qu'on a établi la division par demi, par quart, etc.
(page 304) La science a prétendu que c'était anéantir le système décimal, et en 1837 on a révoqué la loi de 1812. Mais depuis 1812 jusqu'en 1837 le demi-kilogramme était divisé par moitié, par quarts, par huitièmes, etc., et aujourd'hui encore cette division est universellement usitée. Quant à la division par dixièmes, on n'est jamais parvenu à la faire entrer dans les habitudes, et tout ce qu'on a fait à cet égard n'a abouti qu'à un seul résultat, c'est que l'acheteur a été constamment dupe.
On a dit hier, messieurs, que les tonneaux des brasseurs, des distillateurs, des fabricants de savon, etc., devraient être mis en rapport avec le système décimal ; c'est encore une chose impossible ; il faudrait, encore une fois, forcer les habitudes, jeter la perturbation dans les industries ; c'est d'ailleurs ce qui n'existe pas même en France, où le système décimal a pris naissance. Une pièce de Bordeaux, par exemple, eh bien, cela ne contient pas deux hectolitres ; il y a des fractions. Ordinairement une pièce de vin de Bordeaux contient deux hectolitres et 20 litres ; uue pièce de vin du midi de la France en contient beaucoup plus.
Je crois que le gouvernement aurait grandement tort de vouloir réglementer jusqu'aux vases. En France, les demi-litres ne sont pas même poinçonnés : chez nous on est plus rigoureux qu'en France il faut faire exécuter la loi ; mais il ne faut pas l'exécuter jusqu'à l'absurde et à l'impossible.
On a dit hier et encore aujourd'hui qu'à Anvers le haut commerce pour le grain et les huiles, et les courtiers pour leurs prix courants suivent les anciens usages. S'il en est ainsi dans le haut commerce, comment voulez-vous qu'il en soit autrement dans le commerce de détail ? Il faudra bien finir par diviser le demi-kilogramme en quarterons, car il est naturel de demander un quart ou un demi. La science n'en souffrira pas.
M. Vilain XIIII. - Je demande la permission de répondre quelques mots à l'honorable M. Dumortier.
L’honorable membre a dit qu'il serait impossible d'apprendre au peuple à demander par dixième d'un kilogramme, par dixième d'un mètre.
Je répondrai d'abord par un fait qui se passe en France : en France l'aune n'est plus connue nulle part, partout on y achète et on y vend les étoffes en mètres et en centimètres.
Ensuite je demanderai h l'honorable M. Dumortier s'il croit qu'il serait plus difficile d'apprendre aux cuisinières à demander 10 grammes, 20 grammes d'une chose qu'une once, alors que l'once dans certaines villes est le seizième d'une livre ; dans d'autres villes le douzième ; dans d'autres encore, le onzième. Dites-moi donc, mon cher collègue, où vous trouvez dans le corps humain le prototype de cette division par 16, 12 et 11. Si les cuisinières savent demander une once de café, ne pourront-elles pas demander 10, 20 grammes de café, quand elles l'auront appris a l'école ?
Intéressez l'imagination du peuple et vous lui ferez bientôt comprendre les idées les plus abslrailes, car vous savez que les halles sont le royaume des tropes. Apprenez aux enfants du peuple qu'un gramme représente le poids d'une goutte d'eau ; cette image se gravera dans son esprit et au bout de peu de temps le gramme et le kilogramme auront complètement triomphé de la livre et de l'once qui ne sont basées sur aucun principe, sur aucune idée mère.
Du reste, ce n'est pas relativement aux usages du peuple que j'avais adressé hier ma réclamation à M. le ministre de l'intérieur, c'est relativement aux courtiers de commerce d'Anvers, qui font paraître, toutes les semaines, un bulletin de marchandises, avec des dénominations de poids et mesures et de valeurs monétaires qui sont interdites par la loi de 1836 ; c'est cette violation de la loi que je dénonce à M. le ministre de l'intérieur.
L'honorable M. Dumortier a dit que les prototypes avaient été déposés à la chambre. Mais, d'après les règlements (si ces règlements sont exécutés), il faut, si je ne me trompe, que ces prototypes servent à d'autres types envoyés dans les gouvernements provinciaux.
Dans chaque gouvernement provincial il doit y avoir un prototype, et tous les ans, les vérificateurs des poids et mesures de la province doivent venir, avec leurs types, près du gouverneur ; on les mesure, on les vérifie, et chaque fois il en est dressé un procès-verbal.
Cela s'exécute-t-il ou cela ne s'exécute-t-il pas ? Je n'en sais rien. Si cela ne se fait pas, j'engage M. le ministre à veiller à ce que cette disposition légale soit exécutée. J'entends dire : « Cela se fait. » S'il en est ainsi, il est impossible que d'une province à l'autre les poids étalons diffèrent. Du reste en voilà assez sur cette question.
M. Dumortier. - L'honorable picopinsnt se trompe quand il pense que les étalons déposés dans les provinces ne permettent pas qu'il y ait les différences que nous avons signalées. Il est dans l'erreur, cela peut exister si les étalons ne sont pas exacts. C'est ce qui existe en réalité.
Le système des poids et mesures a subi des vicissitudes de divers ordres, en ce sens que la république hollandaise avait pris part à la grande opération de la mesure du méridien. Le prototype déposé en Hollande avait servi à faire l'étalon déposé à l'Académie de Bruxelles, sur lequel un troisième étalon avait été fait ; ces trois étalons ne concordaient pas entre eux, c'est pour cela qu'on a envoyé à Paris une commission scientifique pour determiner l'étalon prototype. Maintenant rien de plus facile que d'envoyer dans les provinces des étalons conformes à celui-là.
M. Vilain XIIII. - Il y a quinze ans qu'il est à la bibliothèque.
M. Dumortier. - Ce n'est qu'en 1848 qu'il a été déposé au ministère de l'intérieur. Maintenant quand vous aurez fait des étalons prototypes, vous n'aurez rien pour les mesures de capacité ; vous aurez la mesure de longueur ; mais il faut reprendre les opérations pour avoir le gramme et le litre ; hors de là, vous n'avez pas de certitude dans vos poids et mesures. C'est parce que cela n'a pas été fait qu'il y a des différences telles que celles qui vous ont été signalées par moi et que M. Peers avait signalées hier.
Si vous voulez consulter les rapports qui ont été présentés à cette chambre, vous verrez qu'on se plaint de toutes ces différences ; elles sont regrettables ; c'est un état de choses dont il importe de sortir. L'honorable préopinant, répondant à l'observation que j'avais faite, qu'il y avait nécessité de diviser, comme en France, les poids par deux, par quatre, ce qui est la division ordinaire au lieu de diviser par dix, l'honorable membre prétend qu'il n'est pas plus difficile de dire quatre dixièmes que de dire une once.
Je dis que le système des onces ne vaut rien, mais l'autre est aussi mauvais. Le système de la division décimale ne se prête pas à l'intelligence humaine. En France, sous l'empire, on a renoncé à imposer ce système, et ici on s'obstine à vouloir faire prévaloir une idée à laquelle la France, qui en avait eu l'initiative, a dû renoncer, parce qu'elle a reconnu l'impossibilité de la faire entrer dans la pratique.
On dit : Cela existe.
Cela est vrai quant au mètre, mais non quant aux poids et aux mesures de capacité, parce que c'est impraticable, parce qu'il y a impossibilité de faire entrer dans les esprits la division par dix.
En Angleterre et ailleurs où il y a aussi des savants de premier ordre, on a voulu faire admettre un système de poids et mesures uniforme, on a rendu service aux populations de ces Etats, mais on n'a pas introduit le système décimal, si ce n'est pour les monnaies, où l'on a reconnu que c'était plus commode ; pour les poids et mesures, on ne l'a pas admis.
La science n'est nullement intéressée à cela. Quel est l'intérêt de la science ? C'est l'unité.
La division décimale, au contraire, n'est pas du tout une nécessité de la science. C'est une manière de calculer qu'on a cru plus commode, qui est, comme je l'ai dit tout à l'heure, plus commode sur le papier ; mais ce n'est pas une manière pratique pour le peuple, et puisque l'on parle ici si souvent du peuple, je suis étonné que personne ne se lève pour dire qu'il faut adopter un système qui soit conforme aux habitudes et aux volontés du peuple.
Vous ne parviendrez jamais à établir un système que le peuple repousse, contre lequel il proteste, et ce que le prouve, c'est que la France, qui avait admis le système décimal dans toutes ses applications, a dû y renoncer dans la pratique, parce que le peuple n'en voulait pas ; on y a renoncé en 1812.
M. Vilain XIIII. - Et la loi de 1837 ?
M. Dumortier. - La loi de 1837 est inapplicable, et je vous défie d'arriver à ce point, que le peuple soumette son esprit à une combinaison décimale qui nécessite déjà, dans son application en détail, une intelligence très développée pour la comprendre, tandis que la division par deux, par quatre, par huit est une division de tous les temps, de tous les lieux, de tous les pays et qui se prête merveilleusement bien à l'intelligence humaine.
- La discussion est close.
« Art. 64. Traitement des vérificateurs et d'un aspirant vérificateur des poids et mesures : fr. 52,400. »
- Adopté.
« Art. 65. Frais de bureau et de tournées : fr. 18,000. »
- Adopté.
« Art. 66. Matériel : fr. 2,000. »
- Adopté.
M. Roussel. - Messieurs, à propos du chapitre XV, je désire communiquer à la chambre et à M. le ministre de l'intérieur quelques idées qui, dans la suite, pourront simplifier leur besogne, relativement à l'enseignement public. Je tiens à présenter ces observations aujourd'hui parce que, ayant devant nous une administration nouvelle, nous sommes fondés à espérer que nos idées sur cette matière trouveront, auprès de M. le ministre de l'intérieur actuel, plus d'accès qu'elles n'en ont eu jusqu'ici.
Mais, veuillez-en être persuadés, messieurs, il n'entre pas dans mes intentions d'adresser le moindre reproche au ministre de l'intérieur qui a précédé l'honorable M. Piercot. Je veux m'abstenir de tout ce qui présenterait l'apparence d'un blâme ; il est entendu que les observations que je vais avoir l'honneur de développer sont des observations théoriques, dont je désire l'application ultérieure, prudente et successive, dans la pratique de l'administration actuelle. Je me fais un devoir de déclarer en outre que cette administration nouvelle n'obtiendra, en matière d'enseignement public, ma confiance et par conséquent mon (page 305) vote, que pour autant qu'elle se conformera à ces idées, en y arrivant sans bouleversements ni secousses.
Tout l'enseignement donné par l'Etat ne repose que sur une base légale, c'est le paragraphe 2 de l'article 17 de la Constitution, dont voici les termes :
« L'instruction publique donnée aux frais de l'Etat est réglée par la loi. »
Comme législateurs, nous n'avons d'autre droit que de régler, par la loi, un enseignement public mis en rapport avec les besoins réels de la société. Il ne nous appartient pas de déposer de l'argent des contribuables pour établir des enseignements qui ne soient pas en rapport avec ces besoins. Cela est d'autant plus vrai que le même article 17 de la Constitution proclame la liberté de l'enseignement en Belgique : « L'enseignement est libre ; toute mesure préventive est interdite ; la répression des délits est réglée par la loi. »
On concevrait la pédagogie universelle de l'Etat dans un pays où il se serait réservé l'enseignement comme droit exclusif, comme privilège ; mais où ne peut attribuer à notre législation constitutionnelle sur ce point, le sens que l'on trouverait dans une législation constitutionnelle où le monopole de l'enseignement serait confié à l'Etat.
Cela reconnu et constaté dans les termes les plus simples, qui sont d'ordinaire les plus vrais, parce qu'on obscurcit souvent les questions les plus faciles par une trop grande recherche dans les arguments, je dis qu'on s'est trompé et qu'on se trompe encore, en Belgique, sur la mission de l'Etat, en ce qui concerne l'enseignement.
Insensiblement l'Etat s'est fait, dans notre pays, comme je le disais tout à l'heure, le pédagogue universel.
Il a manifesté la prétention incroyable, de tout enseigner ; de fournir aux particuliers non seulement les notions communes indispensables à tous, les notions sociales, celles qui doivent exercer sur l'Etat lui-même ou sur la société une influence quelconque, mais il est allé plus loin, et s'occupant des intérêts privés de chaque individu, il s'est créé la mission impossible, sous notre régime, de faire des industriels de telle et telle catégorie, des agriculteurs, des horticulteurs, des navigateurs, des industriels liniers, des ingénieurs civils à l'usage des particuliers, en un mot de se faire le grand maître de l'enseignement, envisagé dans toutes les subdivisions.
Messieurs, il n'était point facile de ranger, sous la rubrique de l'instruction publique, au seul budget de l'intérieur, toutes ces subdivisions, si nombreuses et si variées.
On ne l'aurait pas osé ; car il se serait immédiatement élevé quelques voix pour faire observer à l'Etat qu'il déviait, qu'il déraillait, qu'il sortait de la voie tracée par la Constitution et par le bon sens. Mais qu'a-t-on fait ? (Interruption.)
Je sais que l'honorable M. Rogier professe, à cet égard, une opinion diamétralement oposée à la mienne, et je ne lui en fais pas un crime ; je reconnais qu'il a mis ses idées en pratique avec bonne foi ; je suis persuadé qu'il s'est imaginé, qu'il s'imagine encore que l'Etat a la mission qu'il lui a donnée ; mais le fait est que l'enseignement public s'est glissé partout. Sous la rubrique agriculture du budget de l'intérieur, nous lisons : « enseignement agricole ». Sous la rubrique industrie, nous trouvons : « enseignement professionnel et industriel ».
Jetterons-nous un coup d'oeil sur le budget des travaux publics ? Oui, car non seulement M. le ministre de l'intérieur s'avise d'intervenir dans l'enseignement ou dans ses suites, mais M. le ministre des travaux publics veut aussi consacrer quelque chose à son budget pour cette branche du gouvernement. Une louable émulation s'est établie entre les deux ministres ; il faut que tous fassent quelque chose. Lorsque vous ouvrez le budget des travaux publics, vous trouvez un jury d'examen pour les mines et pour le génie civil, et cela sous le titre ; « mines, génie civil » ; l'enseignement de la navigation est au budget de la marine. En empruntant ainsi à toutes les sources, l'on est parvenu à faire déborder le grand vase de l'enseignement public, de telle manière qu'aujourd'hui la société est inondée d'enseignement donné par l'Etat.
M. Rogier. - Vous oubliez l'enseignement de la musique et de la peinture.
M. Roussel. - Si j'en ai le temps, je parlerai de ces deux enseignements et je prouverai que c'est pour la société un droit et un devoir de les faire donner. Ce n'est pas d'eux qu'il s'agit en ce moment.
Je continue mon argumentation. Cette exubérance d'enseignement public sur des objets d'intérêt privé me semble préjudiciable à l'Etat et à la civilisation.
Nous nous immisçons dans les attributions des particuliers, dans leurs intérêts individuels et nous employons l'argent des contribuables à un objet auquel il ne devrait point servir. Nous avons assez à faire dans le cercle de nos attributions véritables pour nous dispenser de soins qui ne nous concernent pas et qui ne peuvent d'ailleurs nous conduire à aucun résultat, comme je le démontrerai tout à l'heure.
Il est évident, messieurs, pour l'homme qui réfléchit, que l'Etat a une mission d'enseignement à remplir, dans l'intérêt de la conservation de la société, et de son triomphe sur les passions individuelles ; il est incontestable que l'Etat doit enseigner, mais quoi ?
Ce qui est en rapport avec le but que je viens d'indiquer, c'est-à-dire le maintien, le bien-être, la prospérité, l'éclat de la société. Ainsi il est convenable et fort désirable que tous les citoyens sachent lire et écrire. Il y a plusieurs motifs à cette loi naturelle de la société ; je n'en citerai qu'un, c'est qu'il est impossible pourtant aux citoyens qui ne savent bien pas lire, de connaître la loi à laquelle ils doivent obéir. Comment rempliraient-ils des devoirs qui leur sont inconnus ?
Il est donc naturel que l'Etat s'occupe partout de l'enseignement primaire.
Je conçois encore que la connaissance générale des vérités morales et religieuses intéresse l'Etat dans sa sûreté et dans ses espérances, et, par conséquent, que le gouvernement s'occupe de communiquer cette connaissance à tous ou bien au plus grand nombre.
On comprend même que, lorsque l'exercice d'une profession présente quelque danger quand elle est confiée à des amins inhabiles, on comprend, dis-je, qu'alors l'Etat fournisse à ceux qui se destinent à cette profession les moyens de s'y préparer convenablement.
Il y a plus, comme corollaire, le gouvernement, dans un intérêt social, a le droit de faire examiner ceux qui se préparent à ces professions, afin que le public puisse recourir à eux sans péril et sans complicité de la société par le laisser-faire. Tout cela constitue l'intérêt public, c'est-à-dire l'objet des soins constants de l'Etat et du gouvernement et la tutelle nécessaire de l'ensemble sur les parties.
Mais, messieurs, il est pour la pédagogie gouvernementale une autre sphère d'action ; celle-là est toute individuelle. Ainsi la société n'a pas à s'occuper du point de savoir de quelle manière Pierre ou Paul arrivera à se faire annuellement un bon revenu ; elle ne peut, dans ses budgets, prendre pour point de départ le désir pieux de fournir à chacun les moyens de parvenir à une aisance plus ou moins grande.
Eh bien, messieurs, il y a une certaine instruction publique qui n'a pas d'autre but. Lorsqu'un individu se destine à une profession, il ne doit pas réclamer nécessairement de l'Etat les moyens d'y parvenir. Ce serait reconnaître le fameux droit au travail, si voisin du prétendu droit à la vie. Si l'on était conséquent dans ce système, non seulement on fournirait à chacun les connaissances nécessaires pour exercer telle on telle profession, mais on pourvoirait chacun d'une chose bien plus nécessaire : l'alimentation de tous les jours.
Cependant si nos concitoyens venaient nous demander cet objet si indispensable, nous serions bien affligés et bien empêchés, ne pouvant satisfaire à leurs désirs.
Et pourtant, vous vous croyez le droit et le devoir de distribuer à chacun le pain intellectuel, c'est-à-dire, les moyens de parvenir à (mot à retrouver$)liser son intelligence ou ses bras et de pourvoir ainsi à ses besoins matériels. Sur quoi basez-vous cette appréciation différente ? Comment l'Etat se croit-il en Belgique le droit de tout enseigner lorsque, dans l'intérêt des individus, la Constitution belge a reconnu la liberté de l'enseignement, qui n'est autre chose que la voie ouverte à toutes les capacités qui voudront se former ou former d'autres capacités ?
Il est donc évident que cet objet, ainsi généralisé, n'entre pas dans les attributions du gouvernement. La Providence qui a donné une sanction à toutes ses lois, la Providence a établi une sanction efficace à la prohibition d'une pédagogie universelle par l'Etat. Elle ne veut pas, elle ne peut vouloir, puisqu'elle est souverainement raisonnable et juste, que l'Etat s'occupe de toute espèce d'enseignement. Aussi a-t-elle rendu cet enseignement universel impossible pour le gouvernement.
Et qu'on ne prétende point, messieurs, que le même embarras se reproduit à l'occasion de l'administration proprement dite, car là tout est facile et va de soi : là une correspondance, un peu trop volumineuse peut-être, s'établit entre le ministre et les subordonnés.
Le ministre est informé jour par jour, heure par heure, des actes posés par ses inférieurs, qu'il leur a commandés et qu'il apprécie parfaitement.
Un dépuylé a dit autrefois, dans le parlement français, que les employés d'un ministre sonl la chair de sa chair et les os de ses os. En est-il de même lorsqu'il s'agit d'enseignement ? Comment le professeur d'agriculture, par exemple, pourra-t-il être la chair de la chair et les os des os du ministre de l'intérieur ? Comment le ministre de l'intérieur vérifiera-t-il l'enseignement de la chimie qui se donne à Arlon, par exemple ? Comment surveiilera-t-il et contrôlera-t-il, jour par jour, tous les autres enseignements ? Il y en a tant de ces enseignements publics, qu'il serait difficile d'en faire l'énumération.
Dans quels embarras se trouve placé M. le ministre de l'intérieur ? Force lui sera d'agir comme ses predécesseurs ; il confiera le soin de cette surveillance, de cette direction, de ces nominations, de tout ce qui concerne l’enseignement, il le confiera à un chef de division fort capable et fort zélé ; j'en conviens, mais évidemment incapable d'un travail surhumain. Le plus souvent, je crois qu'il sera forcé de décliner la responsabilité d'une partie de ce travail et devra la faire dériver sur un chef de (page 306) bureau ; de sorte qu'en fin de compte une bonne partie de l'action gouvernementale en matière d'enseignement arrivera ainsi à un premier commis.
Mais, fût-il à même de savoir tout ce qui se passe, où M. le ministre trouvera-t-il les moyens d'apprécier chacun des cours scientifiques qui se donnent aux frais de l'Etat ? Je serais curieux, par exemple, de savoir combien de cours de chimie se donnent en Belgique aux frais de l'Etat, et s'il y a autant de professeurs capables de les donner qu'il y a de cours de chimie !
Il est donc impossible à l'Etat de diriger utilement un enseignement si vaste et si divers. Je trouve dans cette impossibilité la sanction de la loi providentielle qui défend au gouvernement, déjà chargé de tant de soins graves, d'entrer encore dans la voie d'un enseignement public seulement par les caisses qui le payent.
Qu'arrive-t-il dans notre pays ? iI arrive que le gi uvernement doit perdre de sa force morale, car, dans presque toutes les branches, soyez-en sûrs, son enseignement finira par succomber devant l'enseignement privé. Et pourquoi ? parce que l'enseignement privé a un mobile puissant que l'enseignement public ne trouvera jamais en soi. Pour le particulier qui enseigne, il y a une gloire, il y a des succès personnels, il y a même des intérêts personnels qui compensent les difficultés et qui ajoutent à la persistance, à la vivacité dans le travail. Là chacun est l'enfant de ses oeuvres ; nulle disgrâce imméritée ne peut atteindre l'homme de talent. Ces conditions ne se retrouvent pas, au même degré, dans l'enseignement public.
Mais lorsque cet enseignement public succombe, on se trouve forcé, pour le soutenir, de recourir, comme on l'a déjà fait, à de prétendus encouragements ; l'Etat veut faire à tout prix des agriculteurs, des horticulteurs, des maréchaux ferrants...
M. Rogier. - Des musiciens.
M. Roussel. - Des musiciens, et pour ceux-là il n'y a pas de mal.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Des peintres.
M. Roussel. - Eh bien oui, pour les peintres et les musiciens c'est différent ; j'ai déjà dit que les beaux-arts doivent faire partie de l'enseignement public par une raison toute particulière.
On devra donc encourager de cette manière l'enseignement public en péril. Comme on n'a pas le choix, l'on prendra, pour faire des agriculteurs, non pas des hommes de la campagne, mais des horrmes de la ville ; l'on aura dépensé de l’argent, sans faire des agriculteurs ; mais on aura des écoles d'agriculture. Les paysans continueront à vouloir apprendre l'agriculture près de leur charrue, et l'Etat continuera à vouloir la leur enseigner, au grand détriment de son autorité morale.
Que résultera-t-il de tout cela ? Que l'enseignement du professeur deviendra faible dans les établissements publics, car, ainsi que le disait le célèbre historien Niebuhr à ses élèves : « Vous êtes mes ailes. » Lorsqu'un professsur de l'Etat se trouve en présence d'élèves très peu nombreux, il est clair que l'enseignement se refroidit. Alors on se voit obligé de recourir à de petits subterfuges, à des inscriptions plus ou moins douteuses d'élèves de circonstance...
Un tel système n'est pas seulement impossible, mais il me paraît fort nuisible aux finances de l'Etat, à la science et à l'enseignement lui-même.
Te1 est, messieurs, le résumé de mes idées sur un abus que l'on reconnaîtra tôt ou tard et que le temps a fait grandir.
L’un des graves inconvénients de tel état des choses, c'est d'engendrer un luxe incroyable d'examens. Nous venons de prouver que la Belgique est un pays universellement et vigoureusement enseigne par l'Etat ; la Belgique doit donc être aussi un pays fortement examiné. Si vous voulez vous en assurer, ouvrez le Moniteur à certaines époques de l'année, «t vous verrez que je n'exagère pas en disant que la moitié de la Belgique est appelée à examiner l'autre moitié.
A certains moments une grande circulation se fait sur le chemin de fer, des examinateurs et des récipiendiaires qui cherchent à se rejoindre ; on examine sur le drainage, l'horticulture, l'arboriculture, l'art vétérinaire, l'art du maréchal ferrant, et sur mille autres objets plus ou moins généralement utiles les uns que les autres, mais qui ne comportent pas tous des examens par l'Etat.
Après l'examen vient le diplôme. Celui qui l'obtient est bien convaincu du caractère sétieux de ce document. Il fait donc son entrée dans la société, nanti de ce brevet ; mais il est étonné que, sur l'exhibition de son diplôme, il ne lui arrive pas bientôt 10,000 livres de rente. Or, le diplôme n'est autre chose qu'un morceau de papier ou de parchemin, sur lequel on atteste que le récipiendaire est pourvu de certaines connaissances ordinairement théoriques ; le public préfère ordinairement la pratique de ces connaissances, et l'on ne s'adresse à l'individu diplômé que lorsqu'il a fait ses preuves d'une autre manière.
Un grand inconvénient attaché à tous ces examens, c'est qu'ils rétrécissent singulièrement les intelligences.
Ainsi, la moitié du temps, celui qui, à la suite d'un examen, obtient un diplôme, se dit : « Je suis arrivé à mon but ; me voilà déclaré par l'Etat apte à exercer telle profession. » Plus d'étude de la science pour la science ; le diplôme devient en définitive une espèce de barrière à tous les efforts ultérieurs. J'aime sans doute la science dans toutes les professions ; mais j'aime au-dessus de tout la liberté et l'émulation ; il faut qu'à 22 ou 23 ans, l'homme ne s'imagine pas qu'il sait tout, parce que le gouvernement lui a décerné un diplôme ; il faut qu'il continue à étudier, qu'il ne se croie jamais trop savant, parce qu'on ne l'est jamais trop.
Et pourtant des diplômes trop nombreux vous conduisent au résultat contraire.
Je ne parle pas, messieurs, des examens qui se rattachent à l'exercice des professions libérales ; la sécurité de la société exige ces mesures de précaution ; mais je parle de ces professions pour lesquelles on décerne les diplômes uniquement pour favoriser ceux qui en sont pourvus, d'une espèce de patronage gouvernemental, patronage que le gouvernement ne peut pas réaliser.
Dans quelques années, ces intelligences qu'on aura conviées à la vie scientifique et sociale, se révolteront peut-être contre l'inaction à laquelle elles resteront condamnées ; nous avons vu des révolutions provoquées en d'autres pays pa rle trop-plein de ces prétendues capacités ; leur donner une espèce de titre vis-à-vis de l'Etat, c'est prendre un quasi-engagement, bien difficile à tenir et dont l'inexécution pourrait conduire à des conséquences peut-être fort graves.
Voilà pour ce qui concerne les examens en général. Maintenant je désire que l'on ne se méprenne pas sur mes intentions. Je ne demande pas l'abolition de tous les examens. Il y a des examens prescrits par la loi ; ces examens, je désire qu'on les conserve ; mais ce qu'il faut souhaiter, c'est l'abolition la plus prompte possible de tous les examens créés en dehors de la loi, par le gouvernement seul. Ils n'ont pas de base et l'examen n'étant que la conséquence de l'enseignement, l'article 17 de la Constitution rend fort contestable leur existence légale.
Pour finir, messieurs, permettez-moi de vous entretenir d'une espèce tout exceptionnelle de jurys d'examen : ceux qui concement l'enseignement universitaire. Je désire que M. le ministre de l'intérieur veuille bien faire étudier sérieusement toutes les questions qui se rattachent aux jurys d'examens pour les grades académiques.
Car le ministre sait probablement que les lois provisoires précédemment votées expireront vers la fin de cette session ; par conséquent il sera indispensable qu'une loi définitive nous soit prochainement soumise, et que nous ayons le temps nécessaire pour délibérer. On me dit qu'il doit nous être présenté un rapport. Je ne tiens pas beaucoup aux rapports, nous en recevons assez. Ce à quoi je tiens, c'est à voir présenter par le gouvernement un bon projet de loi. Au sénat aussi bien que dans cette enceinte il a été convenu que la prorogation, accordée durant la session dernière, ne serait plus renouvelée, et que le ministre présenterait, durant cette session, un projet définitif.
Il est inconcevable qu'une matière aussi importante soit restée dans le provisoire depuis la promulgation de la Constitution, et qu'en 1835 la loi organisatrice de l'enseignement supérieur n'ait pas constitué, d'une manière définitive, les jurys d'examen académiques. Depuis 1835, cette matière n'a cessé de flotter au milieu d'un provisoire préjudiciable aux études, aux élèves et à l'Etat.
La première idée que l'on conçut à ce sujet, fut celle du jury central. Il arrive souvent que les premières idées sont les plus justes.
Ce jury central, établi à Bruxelles, formait une espèce de cour supérieure de justice universitaire, siégeant au centre du pays, où les jeunes gens se présentaient devant un jury impartial, auquel ils étaient ordinairement inconnus. Une telle composition obviait à toutes les difficultés. On a voulu faire mieux : l'on a imaginé deux jurys combinés et un jury central, ce qui fait que l'on a trois jurys distincts pour chaque grade.
Je prie M. le ministre de vouloir bien remarquer que ces jurys sont établis, l'un vis-à-vis de l'autre, en concurrence,
Si c'était pour l'enseignement, la concurrence pourrait être utile ; mais ces jurys sont en concurrence pour l'examen. Grâce à la loyauté, à la délicatesse et à la science des hommes qui composent le corps professoral de l'enseignement supérieur, ce système n'a pas occasionné de grands malheurs ; mais si les qualités que je viens de signaler ne s'étaient pas rencontrés dans le corps professoral, vous n'auriez pas organisé, sans danger, un système d'examen aussi défectueux.
Ce n'est pas tout ; on s'est imaginé que le professeur devait nécessair-ment interroger son élève, de sorte que chaque professeur est chargé de se contrôler lui-même par l'examen.
Heureusement qu'on avait confié cette étrange mission à des hommes scrupuleux et difficiles envers eux-mêmes. Mais j'ose le dire, l'institution des jurys combinés est mauvaise. On ne pouvait porter plus loin l'esprit de désorganisation ; on a, dans les jurys, combiné deux universités, une appartenant à l'Etat, et l'autre, université libre, et de cette manière, l'on a empêché à perpétuité tout contrôle d'une université de l'Etat sur l'autre université de l'Etat, et d'une université libre sur l'autre université libre. Et cependant la loi de 1849 avait la prétention d'établir le contrôle des universités par les universités elles-mêmes !
Par suite de la création de tous ces jurys, à un moment donné, tous les établissements d'enseignement supérieur sont désorganisés ; on voit circuler en même temps sur le chemin de fer tous les membres du corps professoral. Sept professeurs ont dû se déplacer et faire un trajet de vingt lieues pour procéder à l'examen d'un seul élève. Les professeurs sont obligés d'aller trouver les récipiendaires dans leur localité pour les soumettre à l'examen. Il semble plus raisonnable et plus juste que les élèves se rendent auprès de leurs examinateurs.
On s'est efforcé de remplacer un tribunal central et permanent, par (page 307) une justice universitaire voyageuse et qui va trouver ses justiciables à leur domicile.
Enfin, sous le prétexte d'études privées, qui n'existent pas en matière d'enseignement supérieur, l'on a créé un jury central qui forme double emploi avec les jurys combinés et devient le troisième instrument de concurrence possible en matière d'examen.
Je demande, messieurs, s'il n'est pas temps d'en finir ; l'expérience est faite ; je rends hommage aux intentions des créateurs de ce système nouveau, inconnu à toute l'Europe, la Belgique exceptée, et dont le nom lui-même est une chose étrange, mais le système lui-même doit être abandonné.
Il faut en revenir à une institution conforme à la saine raison et aux besoins de l'enseignement supérieur.
Que M. le ministre veuille bien ne pas oublier que, pour former un enseignement supérieur digne de ce nom, des professeurs à la hauteur de leur mission et de bons élèves, il faut organiser un jury d'examen composé, non du corps professoral tout entier, mais d'une partie du corps professoral chargée de surveiller l'autre. Le jury central, bien constitué, répond seul à cette idée.
- La discussion est close.
« Art. 67. Dépenses du conseil de perfectionnement de l'enseignement supérieur : fr. 4,000. »
- Adopté.
« Art. 68. Traitement des fonctionnaires et employés des deux universités de l'Etat : fr. 529,690. »
- Adopté.
« Art. 69. Bourses. Matériel des universités : fr. 94,710. »
M. Dumortier. - L'honorable M. Roussel a tout à l'heure appelé l'attention du gouvernement sur la révision de la partie de la loi qui concerne les jurys d'examen, révision qui doit avoir lieu dans le cours de cette session. J'appellerai aussi l'attention du gouvernement sur la question des bourses qui a été tranchée uniquement au profit de l'enseignement donné par l'Etat. Je prie le gouvernement d'examiner cette disposition. Car il me paraît éminemment injuste que les bourses payées par l'Etat ne soient pas données aux élèves, quel que soit l'établissement où ils se rendent. Je demande que tout élève qui obtient une bourse par le fait de son intelligence et de ses capacités, puisse aller à l'université qu'il désire. Sans cela, vos bourses constituent un privilège, et ce privilège est contraire à la Constitution elle-même.
- L'article est adopté.
« Art. 70. Frais du jury d'examen pour les grades académiques et pour le grade de professeur agrégé de l'enseignement moyen de l'un et de l'autre degré : fr. 54,000. »
- Adopté.
« Art. 71. Dépenses du concours universitaire et frais d'impression des Annales des universités de Belgique : fr. 10,000. »
- Adopté.
M. Verhaegen. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour faire une déclaration qui sera en tous points conforme à celle qu'a faite notre honorable président dans le sein de la section centrale.
Moi aussi, j'accepte le principe proclamé par le gouvernement en matière d'enseignement, à savoir : que chacun doit rester maître chez soi, c'est-à-dire que le gouvernement ne peut pas intervenir dans l'enseignement religieux, de même que le clergé doit s'abstenir de toute intervention dans l'enseignement civil.
Mais ce principe, je voudrais qu'on l'appliquât à l'enseignement primaire comme naguère nous l'avons appliqué à l'enseignement moyen ; et à cette occasion qu'il me soit permis de le dire en toute franchise, si à diverses reprises mon honorable ami M. Delfosse et moi nous avons demandé la révision de la loi de 1842, si la même demande a été formulée à l'unanimité par la section centrale chargée de l'examen du budget de l'intérieur pour l'exercice 1849, c'est qu'il y a entre cette loi et celle de 1850 manque complet d'harmonie ; que l'une maintient intacts les droits de l'autorité civile, tandis que l'autre en fait bon marché.
Le cabinet, répondant à une interpellation qui lui avait été faite par un membre de la section centrale, a déclaré qu'il ne touchera pas à la loi du 1er juin 1850 ; que cette loi sera la règle à laquelle il conformera invariablement tous ses actes en matière d'enseignement.
C'est là une déclaration explicite, non équivoque, qui fait disparaître tout doute qu'auraient pu laisser dans l'esprit de quelques-uns de nos amis politiques certaines phrases du programme du nouveau cabinet.
Pour moi, j'ai foi dans la loyauté des hommes qui, à leur avènement au pouvoir, ont franchement arboré le drapeau libéral. Je ne pense pas, avec l'honorable M. Coomans, que l'avènement d'hommes nouveaux doive être l'inauguration d'une politique nouvelle destinée à laisser des dupes soit sur les bancs de la droite, soit sur les bancs de la gauche. Je ne puis pas croire que des hommes sortis de nos rangs consentent jamais à faire fléchir une loi dans l'exécution qu'ils sont appelé à y donner, en d'autres termes, à substituer le fait au droit. Aussi ne me séparerais-je de leur politique que si, ce que je suis loin de supposer, des actes évidents venaient me donner la triste conviction du contraire.
Je n'insiste pas pour la présentation immédiate d'un projet de loi modifiant la loi de 1842 ; mais je suis loin de reconnaître avec le gouvernement que « la loi de 1842 fonctionne depuis dix années d'une manière assez satisfaisante et qu'il répond par ses effets aux besoins de la situation ; » car le principe que chacun doit rester maître chez soi, principe qui fait la base de la loi de l'enseignement moyen, doit faire aussi la base d'une bonne loi de l'enseignement primaire ; et ce principe n'est que la conséquence de deux libertés également précieuses inscrites l'une à la suite de l'autre dans la Constitution, la liberté d'enseignement et la liberté des cultes.
Le clergé est maître absolu dans ses écoles, personne ne songe à lui contester ce droit, mais aussi le gouvernement doit être maître dans les siennes. Ainsi le veut l'article 17 du pacte fondamental.
Que le clergé soit appelé dans les écoles de l'Etat à titre d'auxiliaire pour y donner l'enseignement religieux exclusivement aux élèves catholiques, je n'y vois pas d'obstacle, au contraire, j'y vois un bien, mais ce que je ne veux pas, c'est qu'il y dicte la loi, et que, sous le prétexte d'enseigner le catéchisme aux élèves catholiques, il vienne imprimer son cachet catholique à l'instruction civile, pour laquelle il devient impossible de séparer les élèves appartenant à divers cultes, car ce serait se mettre en opposition formelle avec les articles 14 et 15 de la Constitution qui proclament la liberté des cultes et qui déclarent que nul ne peut être contraint d'une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d'un culte.
J'étais mû par des considérations puissantes lorsque en 1842 je m'efforçai de démontrer, dans plusieurs discours, que, pour que chacun restât maitre chez soi en matière d'enseignement, et que les articles 14, 15 et 17 de la Constitution ne devinssent pas des lettres mortes, il fallait séparer complétemenl l'enseignement religieux de l'enseignement civil, et par suite envoyer les élèves pour l'instruction de la religion aux églises de leur culte respectif. J'ai répété ces considérations en 1850, lors de la discussion de l'article 8 de la loi de l'enseignement moyen, et alors plusieurs de mes adversaires politiques qui m'avaient combattu en 1842, ont loyalement reconnu que le moyen que je proposais était le seul qui pût mettre fin à des conflits déplorables.
Ce que je pensais en 1842 et en 1850, je le pense encore aujourd'hui, et je dirai comme le disait au sein de la section centrale notre honorable président, que tôt ou tard mon opinion prévaudra.
Encore une fois, messieurs, je n'insiste pas pour la présentation immédiate d'un projet de loi modifiant la loi de 1842, mais ce n'est pas parce que cette loi répond aux besoins de l'époque ; au contraire, je la crois mauvaise ; c'est uniquement, il faut être franc, parce que je craius que dans les circonstances actuelles, et avec les éléments dont se compose la législature, un pareil projet n'aurait pas de chances d'être favorablement accueilli et que j'aime mieux attendre que de compromettre un principe.
Puisque j'ai la parole, je dirai un mot, un seul mot, en réponse à l'honorable M. Roussel qui, au sujet de l'enseignement supérieur, a développé certaines théories que je ne puis pas admettre.
J'abandonne à la controverse les dernières considérations de l'honorable membre sur la composition des jurys d'examen.
Mais je proteste contre les opinions qui constituent la première partie du discours et qui se résument en une seule, à savoir que la civilisation n'intéresse pas la société. C'est là, en d'autres termes, la thèse soutenue naguère par l'honorable M. Dechamps, dont il a été fait alors suffisamment justice.
M. de Theux. - Messieurs, l'honorable préopinant a de nouveau proclamé ses principes en ce qui concerne la loi sur l'instruction primaire.
Néanmoins il ne demande pas, dans les circonstances actuelles, des changements à cette loi et pour une excellente raison : c'est qu'il reconnaît qu'il serait impossible de les obtenir dans l'état actuel de la composition des chambres.
Nous ajouterons, messieurs, que nous croyons que si le cabinet précédent n'a pas présenté le projet de loi de révision de l'enseignement primaire, c'était pour le même motif. Car déjà dans la législature précédente, je n'hésite pas à le dire, il eût été impossible au cabinet de faire voter les réformes que l'honorable membre désire. Et pourquoi, messieurs ? Parce que la législature est pénétrée de ce bon sens pratique, de cet instinct du bien qui l'empêchera toujours d'accueillir une semblable mesure.
En effet, messieurs, que vous demande-t-on ? On vous demande d'avoir un enseignement primaire sans éducation religieuse, comme nous avons un enseignement moyen sans éducation religieuse. Or, une nation qui serait assez malavisée pour adopter un semblable système, je n'hésite pas à le dire, n'aurait pas de garantie de durée.
Messieurs, en ce qui concerne l'enseignement moyen, la situation de la Belgique est véritablement anormale. Dans toutes les nalions chrétiennes depuis l'établissement du christianisme, il y a eu concours de l'éducation religieuse avec l'enseignement des lettres et des sciences ; et en Belgique, nation complètement chrétienne, complètement catholique à peu d'exceptions près, on se trouve dans cette situation fâcheuse qu'un enseignement organisé, soutenu à grands frais de par l'Etat, est dépourvu d'éducation religieuse, en est complètement séparé.
Cependant, messieurs, cette situation est contraire aux vœux des pères de famille. La meilleure preuve que nous puissions en administrer, c'est d'abord la préférence que les pères de famille accordent en général aux établissements qui présentent cette double garantie d'une éducation religieuse et d'une solide instruction dans les sciences et dans (page 308) les lettres, préférence qui a été accordée, malgré la partialité bien notoire du gouvernement pour ses propres établissements.
L'utilité, je dirai même la nécessité de l'éducation religieuse dans l'enseignement moyen, a été reconnue en 1840 par un cabinet composé d'hommes loyaux, mais qui n'étaient pas du tout inféodés à ce qu'on vent bien appeler aujourd'hui à grand tort un parti.
En effet, l'honorable M. Liedts, alors ministre de l'intérieur, déclarait que dans la réglementation de l'enseignement moyen, la loi, il ne disait pas l'administration, donnerait aux pères de famille la garantie la plus complète d'une éducation religieuse.
Or, aujourd'hui, que veut-on ? On veut que la loi ne renferme aucune espèce de garantie, ni la loi sur l'enseignement moyen, ni même la loi sur l'enseignement primaire, et l'on invoque, messieurs, l'indépendance respective du pouvoir politique et de l'autorité religieuse.
Sans doute, messieurs, ce principe de l'indépendance respective est parfaitement vrai ; nous l'avons constamment admis et je pense que personne, dans cette chambre, ne voudrait s'en écarter.
Mais en quoi fait-on consister l'indépendance du pouvoir civil ? En l'absence de toute garantie légale pour l'éducation religieuse. Pour moi, messieurs, je traduis ce système d'une autre manière et je dis que ce que l'on réclame, c'est l'indépendance illimitée des ministres que l'on ne veut voir soumettre à aucune règle légale ; car l'indépendance du pouvoir civil est parfaitement sauvegardée par la loi sur l'instruction primaire, puisque c'est le pouvoir civil qui a fait cette loi, que c'est le pouvoir civil qui l'exécute et qui a toujours le droit de la modifier quand il le voudra, quand il le croira utile à la société ; si jamais le pouvoir arrivait à un tel état d'aberration, à un tel oubli des principes constitutifs de la société.
On dit que le clergé ne doit pas enseigner les sciences et les lettres, pas plus que l'Etat ne doit enseigner la religion. Eh bien, nous admettons que dans les établissements créés aux frais de l'Etat le clergé ne doit pas prétendre à l'enseignement des sciences et des lettres, et je suis persuadé que cette part, loin de la réclamer, il la repousserait si on la lui offrait ; mais que demande le clergé ? De ne point compromettre son caractère, de ne point compromettre la sincérité de la foi qu'il a mission de répandre, de ne point donner à des établissements d'instruction une enseigne fausse, une enseigne propre à tromper les pères de famille lorsque ces établissements ne remplissent pas toutes les conditions requises pour sauvegarder la foi catholique et la morale.
Voilà ce que le clergé demande, et en cela il n'exige que ce qu'il est strictement de son devoir d'exiger ; car à quoi servirait-il d'avoir dans un athénée un cours de religion à coté de cours littéraires et scientifiques où l'on enseignerait des principes contraires à la foi catholique ? Le clergé ne serait-il point alors coupable de prêter son concours à de pareils établissements ? Ne tromperait-il pas évidemment les pères de famille ? Dans une semblable situation, son devoir est tout indiqué : c'est de s'abstenir. Le gouvernement doit lui donner, d'une manière ou d'autre, des garanties que, dans les établissements où il est appelé à donner un cours de religion, il ne se passera rien qui puisse compromettre les principes de la religion catholique.
On aura beau tourner dans un cercle vicieux, le parcourir dans tous les sens, on ne répondra point à ceci : ou il faut que les établissements répondent en tous points à la confiance des pères de famille, il faut qu'il ne s'y passe rien qui puisse blesser la religion catholique, ou il ne faut point demander le concours du clergé.
Pour nous, messieurs, au lieu d'inviter le ministère à poursuivre la réforme de la loi sur l'enseignement primaire, nous demanderons que pour l'enseignement moyen comme pour l'enseignement primaire le ministère veuille s'élever au-dessus de toute considération de parti et n'avoir en vue qu'une seule chose : le vœu des pères de famille et le bien-être de la société.
Quant à l'indépendance du pouvoir civil, nous n'avons pas besoin de l'engager à la sauvegarder : elle est conforme à ses principes. Elle est aussi conforme aux nôtres. Dans aucune circonstance de notre vie politique ou de notre carrière administrative, nous n'avons rien fait qui pût compromettre l'indépendance du pouvoir civil, et nous ne le ferons jamais parce que notre mandat ne nous le permet pas ; et quand même notre mandat nous le permettrait, nous ne le ferions pas, parce que nous ne voulons pas de confusion de pouvoirs : nous voulons que le pouvoir politique fasse ce qui est de son ressort, comme nous voulons que l'autorité religieuse fasse ce qui est de son ressort ; mais ce que nous ne voulons, pas, c'est l'abus de la confiance des pères de famille, c'est à-dire une enseigne catholique pour un établissement qui ne l'est point.
M. Osy. - L’honorable M. Verhaegen a pris acte de la déclaration du gouvernement, qu'il ne changera rien à la loi de 1850 ; je ne partage pas du tout l'opinion de l'honorable M. Verhaegen, et je prends acte d'une autre déclaration du gouvernement, c'est qu'il a trouvé que la loi de 1842 fonctionne bien et qu'il n'y a rien à y changer. Comme je suis d'accord avec l'honorable M. Verhaegen que les deux lois ne sont pas en harmonie, je trouve que le gouvernement est dans une impasse et en effet, depuis 1850, la loi sur l'enseignement moyen n'est pas entièrement exécutée.
Je ne sais pas si depuis un an le gouvernement a fait des démarches pour arriver à l'exécution de l'article 8, mais comme on n'en a rien dit dans la section centrale, je pense qu'on n'a pas fait un pas en avant.
Je vous disais, messieurs, dans la session dernière, que si le gouvernement n'avait rien fait sous ce rapport, une autre autorité avait réussi à faire, avait réussi à exécuter la loi ; je disais que la ville de Bruxelles avait institué des écoles moyennes conformément à la loi de 1850 et que, désirant exécuter l'article 8, elle s'était adressée au clergé et avait parfaitement réussi.
Je disais encore que certainement la ville de Bruxelles ne pouvait pas avoir agi contrairement à la loi, puisque le gouvernement aurait arrêté la ville en n'approuvant pas la délibération relative à l'arrangement fait avec le clergé.
Eh bien, le gouvernement n'en a rien fait et, en ne cassant pas la délibération de la ville de Bruxelles, il a approuvé ce qui s'était fait. Pour moi, messieurs, je trouve dans cet arrangement la preuve évidente que le gouvernement ne voulait pas exécuter l'article 8, car s'il l'avait voulu, ce que la ville de Bruxelles a fait, il aurait pu le fait.
Tous les membres de la chambre, messieurs, sauf MM. Verhaegen et Delfosse, ont voté pour la loi de 1842.
Depuis la politique nouvelle de 1847, ces honorables membres ont insisté pour la destruction de cette loi.
Le ministère d'alors a toujours promis, à la forte majorité qu'il avait, de changer la loi de 1842 ; M. Verhaegen ne demande pas aujourd'hui l'exécution de cette promesse, à cause de la composition de la chambre ; mais pourquoi l'ancien ministère n'a-til pas proposé la destruction de la loi de 1842, alors qu'il avait une majorité si forte, que tout lui réussissait, que par ses conseils de guerre il faisait faire tout ce qu'il voulait, pourquoi ne l'a-t-il pas proposée ? Parce qu'il savait que la majorité de la chambre et du pays s'y serait opposée.
Voilà la véritable position. Le gouvernement n'a pas osé proposer la suppression de la loi de 1842, parce qu'il savait qu'il serait tombé à cette occasion malgré la grande majorité par laquelle nous l'avons vu appuyer dans les questions les plus épineuses, alors qu'il faisait adopter le lendemain des lois qui avaient été rejelées la veille. Je parle du serment et des droits sur les successions en ligne directe.
Eh bien, messieurs, si le pays ne veut pas de la destruction de la loi de 1842, je dis qu'il veut la loi de 1850 exécutée dans le même sens que la loi de 1842. C'est le seul moyen de rétablir l'harmonie entre les deux lois. Eh bien, si vous ne savez pas faire un arrangement avec le clergé, changez votre article 8.
Voilà ma conclusion. Vous voyez, messieurs, que je suis tout à fait opposé à l'opinion de M. Verhaegen ; M. Verhaegen veut la destruction de la loi de 1842, moi je veux l'exécution de la loi de 1850.
Certainement si l'ancien cabinet avait été encore au pouvoir, je n'aurais plus voté un seul budget de l'intérieur, tant que la loi sur l'enseignement moyen n'eût pas été entièrement exécutée ; car, comme l'a dit l'honorable M. de Theux, il serait par trop extraordinaire que dans un pays catholique comme le nôtre, il n'y eût pas d'instruction religieuse dans nos athénées et collèges.
Nous ne demandons pas seulement qu'il y ait une instruction morale et religieuse dans nos établissements publics, mais nous voulons que dans les autres cours il n'y ait rien de contraire à la religion et à la morale, et que les ecclésiastiques chargés du cours de religion, puissent voir si dans les autres cours, il n'y a rien de contraire à la religion et à la morale.
Alors vous aurez une instruction religieuse et morale dans vos établissements.
Je dis qu'il y a eu mauvaise volonté de la part de l'ancien cabinet ; je l'ai prouvé à l'évidence, en vous citant l'arrangement que M. le bourgmestre de la ville de Bruxelles est parvenu à conclure avec le clergé.
M. le ministre de l'intérieur nous a fait remettre un état qui contient des renseignements sur nos athénées ; j'avais également demandé en section centrale des renseignements sur la situation de nos collèges au 1er octobre 1847 et au 1er octobre 1852 ; malheureusement le temps a manqué à M. le ministre pour nous procurer ce dernier état.
Voici ce que je trouve dans le tableau concernant les athénées :
En 1847, nos dix athénées avaient 189 professeurs, aujourd'hui il y en a 253 ; ainsi 64 professeurs de plus. En 1847, nous avions 2,733 élèves ; aujourd'hui nous en comptons 2,538 ; ainsi 195 élèves de moins ; d'un côté, le nombre des élèves est réduit de 195, et d'autre part, celui des professeurs est augmenté de 64.
Eu 1847, les dix athénées coûtaient aux communes 408,000 francs ; aujourd'hui, ils coûtent au gouvernement et aux communes 549,000 francs ; donc une augmentation de 131,000 francs, c'est-à-dire le tiers de la dépense de 1847 en plus.
Je suis persuadé que si quelques parents n'avaient pas cru devoir obéir à des considérations d'un certain genre, le nombre des élèves des athénées aurait encore subi une plus forte diminution. Je connais plusieurs pères de famille qui m'ont dit : « Je suis bien obligé de laisser mes enfants à l'athénée, quoiqu'il n'y ait pas d'instruction religieuse, parce qu'il est possible qu'avec le ministère que nous avons (il s'agissait du ministère qui existait avant le 31 octobre) il est possible qu'avec ce ministère, les élèves qui auront été à l'athénée aient la chance d'être placés plus tard. »
En effet, de même qu'on avait demandé à ceux qui sollicitaient les places les moins importantes de faire connaître leur opinion politique, on aurait fini par demander l'opinion religieuse des candidats. Voilà où nous en serions venus. Je connais un juge de paix qui était en instance ; on l'a fait venir dans le cabinet du ministre ; on lui a demandé quelle était son opinion ; il a répondu que son opinion était de suivre les ordres (page 309) du procureur général ; la réponse n'a pas suffi, et le juge de paix n'a pas été nommé.
Je dis que c'est un bonheur pour la Belgique que l'ancien cabinet ait été renversé ; on aurait fini par demander leur opinion religieuse aux personnes qui sollicitent des places.
Messieurs, je veux bien qu'il y ait une instruction moyenne dirigée par le gouvernement, quoique j'eusse préféré l'instruction moyenne communale à l'instruction moyenne gouvernementale ; mais enfin puisque vous avez décidé qu'il y aurait un enseignement moyen donné par l'Etat, je veux conserver la loi du 1er juin 1850, mais je veux aussi une instruction religieuse et morale, je la veux et je ferai tout ce qui dépendra de moi pour amener ce résultat.
Le nouveau cabinet est depuis trop peu de temps aux affaires pour que nous puissions exiger de lui qu'il ait déjà fait des démarches dans ce sens ; mais je l'engage beaucoup, j'engage surtout M. le ministre de l'intérieur, à prendre en considération, non seulement ce que nous disons ici, mais le vœu de la nation qui est tout entière catholique, moins quelques milliers de dissidents ; qu'il y ait au moins dans l'établissement une instruction religieuse.
Je connais assez le haut clergé pour dire que quand vous voudrez lui donner la garantie que, dans les autres cours, il n'y a rien de contraire à la religion et à la morale, vous obtiendrez l'exécution de la loi. Mais il faut le vouloir franchement.
J'attendrai le budget de l'intérieur de 1854 pour m'expliquer plus amplement à cet égard. Mais je ne puis assez le répéter, il faut le plus tôt possible une instruction religieuse et morale dans nos établissements ; la liberté et l'indépendance du pouvoir civil, ce sont là des mots, je veux un résultat. Nous avons, grâce à la loi du 23 septembre 1842 qui nous régit depuis dix ans, nous avons l'instruction religieuse dans les écoles primaires ; nous la voulons également dans l'instruction moyenne.
J'espère que le cabinet nouveau pourra parvenir à mener à bonne fin cette importante affaire, comme il est déjà parvenu à s'entendre avec un gouvernement voisin. J'engage fortement M. le ministre de l'intérienr à se faire rendre compte de l'arrangement qui est intervenu, entre le bourgmestre de Bruxelles et le clergé, et à voir s'il ne pourrait pas suivre la même ligne de conduite.
(page 311) M. Dumortier. - Messieurs, je comptais prendre la parole sur ce chapitre, pour traiter une question d'un ordre tout à fait different ; je voulais demander au gouvernement une explication sur un fait qui s'est passé naguère dans une de nos principales cités et qui a provoqué une protestation unanime de la part du conseil communal de cettle ville. Mais la gravité de la discussion qui vient d'être engagée par l'honorable M. Verhaegen ne me permet pas, dans ce moment, de détourner l'attention de la chambre de cette discussion; tout en faisant mes réserves, quant à l'interpellation que j'avais à adresser au gouvernement relativement à l'athénée de Tournay, je me bornerai à parler sur la question bien plus grave qui vient d'être soulevée.
Suivant l'honorable préopinant, il faut impérieusement réviser la loi d'instruction primaire. Et dans quel but ? Pour lui faire amener le même résultat que la loi d'instruction moyenne.
Messieurs, les résultats de l'une et de l'autre loi noussonl parfaitement connus. La loi d'instruction primaire fonctionne depuis des années, elle a amené le concours du clergé dans l'école primaire ; la bonne entente, l'harmonie la plus parfaite règne là entre le pouvoir civil et l'autorité religieuse ; je dis l'autorité religieuse, car si l'Eglise n'est pas un pouvoir en Belgique, nul ne peut contester qu'au point de vue religieux elle ne soit une autorité. La loi sur l'instruction primaire a donc amené ce résultat bien important pour notre pays, qu'il y a sur ce point entente parfaite entre l'Eglise et l'Etat et que ceux qui fréquentent les écoles primaires reçoivent les bienfaits de l'instruction religieuse. Voila les résultats de la loi sur l'instruction moyenne, que l'honorable préopinant veut remettre en question, pour introduire dans cette matière les principes de la loi sur l'instruction moyenne.
Les résultats de la loi sur l'instruction moyenne vous sont également connus. Quels sont-ils ? Que depuis un an, dans toute la Belgique, l'instruction moyenne payée ou subsidiée par l'Etat se donne tout à fait en dehors de l’enseignement religieux, que cet enseignement si important, si indispensable dans les collèges, et que le législateur a voulu obtenir, a cessé d'être donné ; il n'y a plus de concours du clergé dans aucun de nos établissements d'instruction moyenne. Voilà la double résultat des deux lois sur l'instruction publique dont le préopinant a parlé : d'une part, concours du clergé, paix et harmonie entre l'Eglise et l'Etat; d'autre part, guerre entre l'Eglise et l'Etat.
Deux systèmes se trouvent donc en présence; auquel doit-on donner la préférence? Est-ce à celui qui a organisé la bonne entente, est-ce à celui qui a organisé la guerre entre l'Eglise et l'Etat ? Et ici je me demande d'abord : Est-ce pour cela, pour qu'il y ait guerre entre l'Eglise et l'Etat, qu'on a fait la révolution ? En 1830 vous avez vu 600 mille pétitionnaire, demandant le redressement du principal grief, qui était la guerre existant entre l'Eglise et l'Etat.
Ce qu'on a voulu, ce qu'a voulu le pays, ce qu'a décrété le Congres national, c'est la paix et non la guerre, car c'est pour en finir avec cette guerre aux idées catholiques que s'est faite notre révolution. Toutes les pages de notre histoire présentent la même pensée. Ouvrez nos anciennes chartes de liberté ; que M. le ministre de l'intérieur, qui a été bourgmestre de Liège, ouvre les chartes de cette grande cité, de cette ville dont on ne peut assez consulter les annals ; il y verra en tête : Paix à sainte Eglise. Comment donc peut-on imaginer que dans la catholique Belgique la liberté consiste dans un principe diamétralement opposé : La guerre à l'Eglise.
Comment dans ce pays de foi et de liberté, dans ce pays aussi attaché à ses sentiments religieux qu'à son indépendance, dans ce pays, connu en Europe, sous le nom de Pays-Bas catholiques ; comment peut-on qualifier un parti qui, ne tenant aucun compte de ce sentiment profond et auquel toute notre histoire a prouvé qu'on ne pouvait toucher en vain, vient adopter pour devise cette maxime funeste et barbare : Guerre à sainte Eglise.
Ce système, je le combats comme Belge, je le flétris comme ami de mon pays, et parce qu'il est antipathique à toutes nos populations.
On invoque la Constitution. Ici une question s'offre à notre examen. La Constitution a-t-elle voulu la séparation de l'Eglise et de l'Etat dans le sens que, de nos jours, certaines personnes croient pouvoir donner à ce mot de separation ? Le Congrès a-t-il voulu la séparation de l'Eglise et de l'Elat dans le sens de nos lois civiles ; la séparation dans le sens qui vient d'être indiqué par ces mots : Chacun chez soi ? Je proteste contre une pareille interprétation de la Constitution qui est diamétralement contraire à son texte et à son esprit, qui est un outrage à tous les actes de la révolution, à la pensée intime du Congrès national ?
Qu'a voulu le Congrès dans cette question délicate ? A-t-il voulu le développement de cette maxime haineuse : Chacun chez soi, chacun pour soi ? A-t-il voulu la séparation de l'Eglise et de l'Etat, un divorcep roclamant l'inimitié, l'incompatibilité d'existence commune, l'impossibilité d'efforts communs pour le bien-être de la société? Non sans doute, et c'est l'opposé. Ce qu'a voulu le grand mouvement national de 1830, ce qu'a voulu le Congrès, le voici : il a voulu l’émancipation de l'Eglise, et pour l'émanciper il lui a donné le plus grand de tous les biens, la liberté.
En agissant ainsi, en émancipant l'Eglise, en lui donnant la liberté, ce bien inestimable, plus précieux que la protection du pouvoir, le Congrès a-t-il voulu traiter l'Eglise en ennemi ? a-t-il voulu établir, comme le prétend le libéralisme voltairien, l'état de guerre continuelle, la comprimer par tous les moyens, la repousser de l'enseignement , faire des écoles de l'Etat autant d'écoles athées destinées à combattre l'action de l'Eglise, à ravir au moyen d'une instruction athée le sentiment religieux au peuple? Ah! ne calomniez pas le Congrès ; s'il eût voulu agir de la sorte, s'il eût été mû par les maximes anticatholiques de 93, il n'eût pas émancipé l'Eglise, il ne lui eût pas donné la liberté ; il l'eût asservie au pouvoir civil. En politique, on comprime son ennemi, on émancipe ce que l'on aime. Ce que la Belgique de 1830, et après lui le Congrès national ont voulu, c'esl que toutes les forces vives de la société soient appelées à concourir vers un même but, l'amélioration de l'homme et l'union de toutes les forces vives de la société (et le sentiment religieux est une des forces les plus vives de la société), pour amener le bonheur, la prospérité, la moralité et la puissance de la patrie.
Le Congrès ne l'a pas écrit, comme au moyen âge, en tête de la charte de nos libertés ; mais à chacune de ses pages vous pouvez lire aussi par les yeux de l'intelligence cette maxime qui domine tous les actes de notre histoire, cette maxime qui dirigea la conduite de la Belgique, lors des guerres de religion ; qui souleva le pays contre Joseph II, lors de la révolution brabançonne et contre Guillaume en 1830 : paix à Sainte-Eglise.
Ah! croyez-le hier, ce n'est pas en mettant le gouvememmt en hostilité avec l'Eglise, en constituant l'Etat en guerre avec le clergé, que vous consoliderez cette nationalité qui nous est si chère, qui nous a coûté tant de sacrifice ; c'est en appelant toutes les forces vives de la société vers ce but unique, amélioration de la société, en constituant une puissante homogénéité que vous pourrez conjurer les attaques qui pourraient un jour nous venir de l'étranger. Ce n'est pas en divisant le pays que vous créerez sa force, mais bien en appelant à l'aide de l'Etat le principe catholique qui fut et sera toujours un des plus puissants éléments de notre nationalité.
Eh ! que sont ces misérables querelles de partis en présence du grand but d'union que la révolution de 1830 a voulu, que le Congrès s'est proposé et dont nous sommes, nous, les organes dans cette enceinte ?
Ecoutez l'honorable préopinant : Ce que je ne veux pas, dit l'honorable membre, c'est qu'à propos de catéchisme, le clergé vienne imprimer son cachet catholique à l'enseignement. Le cachet catholique dans l'instruction donnée aux frais de l'Etat, voilà ce que vous repoussez, voilà ce que vous prétendez combattre. Vous voulez donc que, dans les Pays-Bas catholiques, l'enseignement soit anticatholique ou sans religion?
M. Verhaegen. - Je veux la liberté des cultes.
M. Dumortier. - Au nom de la liberté des cultes, vous voulez que l’enseignement soit sans religion. Ainsi la liberté qui a été donnée à l'Eglise pour fortifier sa vitalité n'aurait d'autre but que de mettre l'Etat en guerre avec elle pour chercher à l'affaiblir, de faire de l'Etat l'ennemi de l'Eglise. Réfléchissez-y, ce système, c'est le moyen de tuer votre nationalité, de détruire cet édifice qui nous a tant coûté et qui nous est sicher. Eh ! sommes-nous donc encore sous le gouvernement hollandais, à cette époque de lutte entre le protestantisme et le catholicisme, alors que le gouvernement, aux applaudissements des voltairiens anticatholiques, voulait protestantiser la Belgique et établir sur toute la ligne la guerre aux sentiments religieux de la population.
Je comprendrais votre langage si, comme alors, la moitié du royaume était protestante et l'autre citholique ; mais dans un pays presque universellement catholique, et où, sur quatre millions et demi d'habitants, il existe à peine 10 mille dissidents, je ne comprends pas comment il est possible de vouloir ainsi repousser le clergé des écoles, sous le prétexte de la liberté des cultes; car c'est le but qu'on veut atteindre au moyen d'une fausse interprétation d'un principe constitutionnel. Avec ce système, à quel résultat arrivez-vous ? Dans aucune école publique, depuis la plus élevée jusqu'à la plus infime, on ne pourra pas enseigner à l'enfant la religion et ses devoirs.
Il pourra acquérir la connaissance de ses drois, mais vous négligerez la première chose au point de vue de la société, la connaissance des devoirs.
Hélas ! naguère encore l'Europe n'a-t-elle pas fait la triste expérience des résultats funestes de la lutte que le libéralisme voltairien a, depuis 60 ans, engagé contre l'Eglise, en cherchant à l'entraver de toutes parts dans la grande action sociale que sa haute mission lui impose. Pourquoi cet affreux débordement des idées les plus subversives et qui ont failli ramener le monde aux âges de la barbarie ? pourquoi cet ébranlement de la société ? pourquoi tous ces trônes instantanément renversés, le monde couvert de débris et de ruines, et puis le sacrifice de la liberté regardé comme un bienfait ? Pourquoi l'Europe est-elle dans la triste situation où nous la voyons ? C'est parce que depuis 60 ans, tout en déclarant la guerre à l'Eglise, on ne s'est occupé que d'enseigner aux hommes leurs droits sans leur faire connaître leurs devoirs. Dans un esprit de défiance puérile, ou de haine odieuse contre l'Eglise, on a sapé par sa base l'ordre social, en écartant de l'instruction publique l'enseignement religieux, ou en le rendant inefficace ; en supprimant le seul frein qui puisse retenir l'homme contre ses mauvaises passions, en disant chaque jour au people : Vous avez des droits, des devoirs vous n'ea avez pas. Je me trompe, on a dit au peuple qu'il avait un devoir, et ce devoir on l'a qualifié saint, le devoir de s'insurger, on lui a dit, on lui a inculqué cette maxime : l’insurrection est le plus saint des devoirs. ! Puis qu'a-t-on fait encore ? A ce peuple à qui, par la guerre à l'Eglise, on avait enlevé le sentiment du devoir ; à ce peuple que l'on avait élevé dans la négation du respect de Deu, de la loi, de l'autorité ; à ce peuple à qui on avait inculqué le sentiment unique de ses droits en lui disant (page 312) que l'insurrection est le plus saint des devoirs, qu'a-t-on fait ? On lui a mis en mains la force, on l'a armé d'un fusil : tout homme est devenu soldat.
Ainsi tandis qu'on anéantissait chez lui le frein religieux contre ses mauvaises pressions, tandis qu'on développait chez lui tous les appétits antisociaux, on lui mettait en main la force en lui disant : « Vous n'avez que des besoins à satisfaire, vous n'avez plus de devoirs envers aucune autorité, vous ne connaissez que vos besoins (mettre un guillemet fermant$).
Aussi qu'est-il arrivé ? L'Europe a subi les conséquences inévitables d'une politique aussi insensée, et il est arrivé ce qui devait fatalement arriver, des troubles, des désordres, le renversement des trônes, l'avénement des doctrines les plus subversives, du socialisme, du communisme ; et comme conséquence finale, la perte de la liberté. C'est que, comme je vous l'ai dit souvent, l'homme n'est propre à jouir de la liberté que dans une proportion égale à la soumission de ses passions aux liens de la morale. Si vous supprimez ces liens, vous supprimez pour lui la possibilité de jouir de la liberté, vous marchez vers le despotisme.
Eh quoi ! le souvenir de 1848 n'est-il donc plus présent à vos esprits ? Avez-vous donc déjà oublié les grandes catastrophes dont nous avons été les témoins et auxquelles nous n'avons échappé que par la sagesse du peuple belge, c'est-à-dire par ce sentiment religieux qui fait sa force en lui inculquant le respect de l'autorité des lois, le sentiment du devoir ? Et c'est ce sentiment que vous voudriez affaiblir en repoussant le clergé des écoles primaires, comme vous l'avez fait des écoles moyennes ! Ignorez-vous donc que c'est par l'enseignement religieux que vous inscrirez ces lois du devoir dans sa conscience, et c'est que par un appel loyal à l'Eglise que vous ferez donner l'enseignement dans vos écoles ? Ce n'est pas en venant argumenter sur la question de savoir s'il intervient à titre d'autorité, expression dont la définition est encore à donner et que j'invite l'honorable membre à nous apprendre, que vous obtiendrez cet utile concours.
C'est en l'appelant loyalement, en lut donnant, dans les lois sur l'instruction moyenne et primaire, comme on l'a fait dans d'autres pays la position légale qu'exige la haute mission qu'il a à remplir dans l'intérêt de là société.
Eh quoi ! Dans cette catholique Belgique, on ne trouvera pas le clergé digne de figurer dans la loi, alors qu'en France et dans tant d'autres pays il est appelé par la loi à prendre part à l'instruction ! Comment, dans la catholique Belgique, on se divisera en partis sur cette question si importante de l'intervention du clergé dans l'instruction ! On cherchera des arguments, des arguties peut être pour s'opposer à cette intervention !
Voilà comment on entend consolider notre pays, notre nationalité ! Je m'y perds. Je ne puis comprendre comment des hommes vraiment patriotes, comme l'honorable préopinant auquel je réponds, qui en 1848 a puissamment contribué au maintien de notre pays, de notre nationalité, comment des hommes qui proclamaient alors l'union de tous pour défendre notre nationalité qui nous est si chère, peuvent adopter aujourd'hui de pareilles idées dont le résultat le moins équivoque serait de former un peuple sans religion, sans principes, sans félicité intérieure, sans frein contre les mauvaises passions, et de mettre le gouvernement en état de guerre contre l'un des éléments les plus puissants, les plus vivaces de notre nationalité.
Est-ce là, messieurs, de la liberté? De la liberté ! singulier abus de mots ! C'est en vue de la liberté qu'on proclame ces principes d'oppression de la pensée religieuse !
Mais où donc est votre liberté? Que voulez-vous? Je vais vous le dire. Vous voulez avoir aux frais de l'Etat :
Des collèges libéraux sans religion ;
Des professeurs libéraux sans religion ;
Des élèves libéraux sans religion.
Mais alors donnez-leur donc aussi de l'argent libéral pour les payer. Pourquoi donc voulez-vous de l'argent catholique pour vos collèges libéraux ? Si vous vouliez des collèges libéraux, des professeurs libéraux pour faire la concurrence à l'enseignement religieux, faites en vous-mêmes les frais ; alors vous series dans le système de la liberté. Mais quand vous avez recours aux deniers publics pour pratiquer ce système que votre peu de générosité ne vous permet pas de pratiquer à vos propres frais, ce n'est plus de la liberté ! C'est la protection exclusive du pouvoir que vous réclamez. Le mot de liberté ici est le masque du système antireligieux. Et pourquoi en agissez-vous ainsi? Pour faire, dites-vous, concurrence à la liberté d'instruction, pour faire concurrence à la liberté au moyen du gouvernement. Ah ! ne parlez pas de liberté ! Ce n'est pas là pratiquer la liberté, c'est la combattre, c'est l'ensevelir sous le poids de l'argent du trésor public.
Mais votre système d'expulsion du clergé des écoles publiques a-t-il pour lui l'assentiment des pères de famille ? Vous l'avez fait admettre il y a deux ans pour l'enseignement moyen, eh bien, interrogez les faits, ils vous répondront ! Quel est le résultat qu'a eu la loi sur l'enseignement moyen ? Le résultat est évident pour quiconque veut ouvrir les yeux : le nombre des professeurs s'est augmenté d'un tiers, la dépense s'est accrue dans d'égales proportions et le nombre des élèves s'est énormément réduit. Mon honorable ami M. Osy vous a dit tout à l'heure les chiffre désastreux qui figurent dans le tableau du gouvernement. Mais il n'a pas remarqué que de ce tableau il y a encore beaucoup à rabattre ; car quand je vois qu'à l'athénée de Hasselt, il y a autant d'élèves qu'à l'athénée de Tournay, je me demande si ce sont tous élèves de l'enseignement moyen et s'il n'y a pas là des cours préparatoires accessoires, pour grossir le nombre des élèves ? C'est à mes yeux de toute évidence.
C'est un fait constant pour nous tous que la loi a eu ce double résultat de faire déserter les écoles du gouvernement par un grand nombre d'élèves, d'anéantir presque entièrement les cours d'humanités et de faire affluer un plus grand nombre d'élèves dans les établissements rivaux, contre lesquels vous voulez établir la concurrence. Ah ! si je ne voyais ici qu'une question de partis, loin de vous combattre, je me féliciterais de ce résultat. Mais un sentiment plus grand m'anime ; l'amour de la patrie dicte mes paroles. Je ne veux pas de ce régime hostile à la liberté, où l'on élève, au moyen des deniers publics, autel contre autel, au grand détriment, de la patrie ; je ne veux pas de ce régime antinational qui considère l'Eglise comme ennemie de l'Etat et établit contre elle une incessante persecution ; je ne veux pas de ce régime qui, sous le masque de la liberté, n'est que le rétablissement du joug secoué par la Belgique en 1830 ; je ne veux pas de ces écoles athées fondées par l'Etat, de cet enseignement athée payé par l'Etat, de ces élèves athées formés par l'Etat sous prétexte de liberté, mais au fond pour servir un parti qui a pris pour devise : Guerre à sainte Eglise !
Je me bornerai pour le présent à ces considérations ; j'attendrai la suite de la discussion. Mais la discussion doit avoir un résultat, au point de vue de l'intérêt du pays. Quand nous arriverons au chapitre Instruction primaire, un vote doit avoir lieu sur ce point. S'il n'est pas fait de motion, moi-même je déposerai un ordre du jour motivé. Le pays ne peut rester dans l'incertitude sur une question de cette importance ; il faut qu'il sache, à la fin de la discussion, quelle sera la direction de l'instruction dans les écoles primaires. C'isl le but de l'ordre du jour motivé que je déposerai si personne ne le fait.
Aujourd'hui nous sommes trop peu nombreux ; nous avons dû attendre jusqu'à une heure et demie pour être en nombre.
Ajournons-nous à lundi, afin que chacun, étant prévenu, puisse se trouver au poste d'honneur et voter. Les élections de juin ont manifesté la volonté du pays sur cette question. Je demande qu'elle puisse s'exprimer par ses loyaux mandataires.
(page 309) M. Roussel. - Pour réfuter le discours que j'ai prononcé tout à l'heure, l'honorable M. Verhaegen n'a trouvé qu'un mot. Il a dit que ma manière de voir se résume dans l'idée que la civilisation n'intéresse pas la société.
C'est fort poliment et fort convenablement, j'en conviens, me représenter comme un rétrograde, car un rétrograde seul pourrait tenir un pareil langage.
Ce langage, je ne l'ai pas tenu. Je crois que la civilisation des hommes intéresse grandement la société, et toute ma vie proteste contre une pensée qui ferait de moi un ennemi des lumières.
Comment ai-je pu dire que la civilisation humaine n'intéresse pas la société, en cherchant à asseoir sur des bases solides les droits et les devoirs du gouvernement en matière d'instruction et d'enseignement ? N'ai-je pas, au contraire, chercher à faire progresser la civilisation en assignant à la liberté humaine le rôle qui lui appartient et que le gouvernement ne peut rétrécir ?
L'honorable M. Verhaegen a bien tort de confondre le gouvernement avec la civilisation sociale. Il y a des gouvernements rétrogrades et ennemis des lumières, M. Verhaegen ne peut en disconvenir. S'il admet cette confusion du gouvernement et du progrès social, il doit confier parfois le dépôt des lumières à leur plus ardent ennemi.
Restons dans le vrai. Le gouvernement ressemble à un couteau à l'aide duquel on peut faire des travaux utiles, mais au moyen duquel on peut aussi commettre des crimes. Le gouvernement peut être un instrument de civilisation ou de barbarie. Donc, en restreignant les droits du gouvernement ou ses attributions, je ne restreins point les droits sacrés de la civilisation humaine dont le grand mobile est la liberté et l'actien spontanée de l'individu.
- La discussion est continuée à lundi.
La séance est levée à trois heures trois quarts.