(Moniteur belge n°156, du 4 juin 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure.
M. Dellafaille fait l’appel nominal, et donne lecture du procès-verbal dont la rédaction est adoptée.
M. Jacques présente l’analyse de plusieurs pétitions adressées à la chambre. Ces pétitions sont renvoyées à la commission spéciale.
Il fait ensuite lecture d’une lettre de M. le ministre de la guerre, sur un nouveau système d’attelage qui a été proposé. Les expériences auxquelles le système a été soumis n’ont pas prouvé qu’il pût donner les résultats annoncés par son auteur.
L’ordre du jour est la continuation de la discussion du projet de loi concernant le nouveau rayon de douanes.
M. Mary, rapporteur de la section centrale, est appelé à la tribune. - Messieurs, la section centrale n’avait pas cru devoir vous proposer de sanction pénale contre les capitaines de navires qui seront trouvés dans une partie du rayon de surveillance sur mer, ayant des cargaisons de marchandises prohibées ou soumises aux droits d’accises ; M. le ministre des finances en a jugé autrement ; il vous a proposé un article supplémentaire pour combler cette lacune, article qui, après la discussion qui s’est établie dans votre séance d’hier, a été renvoyé à l’examen de votre section centrale. M. le ministre des finances s’est réuni à nous, et c’est d’un commun accord, que nous avons l’honneur de vous proposer une nouvelle rédaction de son amendement.
Quant au tonnage des bâtiments soumis aux pénalités, et quant à la distance des côtes dans laquelle pourraient agir les préposés de la douane, ce sont les dispositions que vous avez déjà adoptées dans votre séance d’hier. On ne peut atteindre que les bâtiments ou les embarcations du port de 30 tonneaux et au-dessous, louvoyant, côtoyant ou à l’ancre dans la distance d’un quart de myriamètre de la côte. La loi ne sévit contre eux que s’ils portent des marchandises prohibées ou des objets soumis aux droits d’accises en Belgique.
Vous savez qu’il n’y a de prohibition absolues à l’entrée que pour des objets de peu d'importance, mais, que vis-à-vis de la France nous prohibons les verreries, les draps de casimir, les acides muriatique, nitrique et sulfurique, et les eaux-de-vie de grains. La prohibition à la sortie n’atteint que les engrais, les pailles, la marne, la pierre à chaux, le minerai de fer et les matières premières pour la fabrication du papier et de la colle forte.
Les contraventions seront punies de la confiscation tant du navire que de la partie de la cargaison qui aura donné lieu à la saisie.
La section centrale a dû cependant prévoir le cas où les objets passibles du droit d’accises se trouvent à bord d’un bâtiment sortant d’un port de la Belgique. Ils peuvent, en se munissant de documents de douanes, se mettre à l’abri de toute difficulté. Cette disposition a nécessité un paragraphe additionnel,
En conséquence, j’ai l’honneur de vous proposer, au nom de la section centrale, l’adoption de l’article suivant qui formerait l’article 3 de la loi en discussion.
« Si des bâtiments ou embarcations du port de trente tonneaux et au-dessous se trouvant à l’ancre, côtoyant ou louvoyant dans la distance d’un quart de myriamètre de la côte, sont chargés de marchandises prohibées ou d’objets soumis aux droits d’accises en Belgique, ils seront saisis et la confiscation en sera prononcée ainsi que de la partie de la cargaison qui aura donné lieu à la saisie.
« Si dans le cas ci-dessus mentionné, des objets passibles de droits d’accises, se trouvent à bord d’un bâtiment sortant d’un port de la Belgique, ils devront être couverts d’expéditions ou documents requis pour justifier qu’il a été satisfait aux lois du pays en matière d’accises ; à défaut de cette justification, la confiscation du bâtiment et desdits objets sera également prononcée. »
M. le président. - Quelqu’un demande-t-il la parole ?
M. Jullien. - Je prierai M. le président de vouloir bien donner une seconde lecture de l’article proposé.
M. le président fait cette lecture.
M. Legrelle. - Si je me le rappelle bien, il n’était d’abord question dans la loi que de navires sortant de nos ports et non de navires venant de l’étranger ; je ne sais quelles sont les intentions de la section centrale, en frappant les autres navires. Je voudrais qu’elle s’expliquât.
M. Serruys. - Autant je suis ennemi de toute mesure préjudiciable au commerce, autant je crois qu’on doit sévir contre la fraude. Pour moi, j’ai la conviction intime que toute petite embarcation qui se met à l’ancre à la distance d’un quart de myriamètre a de mauvaises intentions et se dispose à faire la fraude ; je suis persuadé que tout petit navire à l’ancre, ou qui louvoie sans y être contraint par la nécessité à une demi-lieue de la côte, et qui porte des marchandises prohibées et soumises aux droits d’accises, est un fraudeur.
M. Jullien. - Mais vous voulez détruire la petite navigation, le cabotage.
M. Serruys. - Le cabotage ne se fait pas avec de si petits navires ; tout bâtiment, de 30 tonneaux et au-dessous, qui vient se mettre à l’ancre près de la côte, est évidemment suspect ; pourquoi ne va-t-il pas plus loin ? Quand ce navire est chargé de marchandises prohibées, ou soumises au droit d’accise, je ne doute pas que ce ne soit un fraudeur ; ce navire doit être saisi.
M. Verdussen. - Je crois que les conclusions de la commission centrale sont de nature à être méditées. Dans le peu de mots qui expriment les dispositions de l’article 3 qui nous est présenté, je trouve tant de choses à combattre, qu’il faudrait que je fusse pénétré de la matière par un examen attentif. Je désire que la discussion soit remise à une autre séance. (Bruit.) Il m’est impossible de comprendre qu’on puisse saisir un bâtiment qui n’a pas eu le temps de faire une déclaration ; il n’y a pas de bureau de douane en mer où l’on puisse faire une déclaration.
M. le président. - Je vais lire encore une fois l’article.
M. Jullien. - Messieurs, je combattrai ce projet de loi jusqu’à la fin, parce que je ne veux pas avoir à me reprocher d’avoir, par un moyen quelconque, prolongé l’existence de la loi de 1822, que je considère comme un véritable fléau pour le commerce et l’industrie. Je vous le dis, messieurs, avec le sentiment d’une conviction profonde.
Si les législateurs qui nous ont dotés de cette loi avaient été condamnés à lire les 325 articles qui la composent, et surtout à les comprendre, jamais elle n’eût affligé le pays ; jamais des milliers de procès n’auraient ruiné des milliers de familles, et nos belles distilleries dans les Flandres, dont l’existence se lie si intimement à la prospérité de votre agriculture et qui ont été ruinées par cette loi, seraient encore debout.
Que nous propose-t-on de faire ? On nous propose, par des modifications à cette loi déloyale, c’est l’épithète que je lui donne et qui lui convient, on nous propose de la consolider et d’y ajouter des rigueurs qui n’existaient pas. Le droit de visite en mer, messieurs, c’est le droit de courir-sus ; voilà ce qu’on ajoute à la législation. Cette législation de 1822, qui ne contient pas le droit de suite, avait sans doute eu une raison quelconque pour s’abstenir ; et nous devons penser que le génie fiscal qui avait présidé à sa rédaction, avait de très bons motifs pour ne pas établir ce qu’on veut faire aujourd’hui.
La Hollande ne voulait pas se brouiller avec ses voisins en faisant des actes dont je démontrerai bientôt l’illégitimité.
Vous avez conféré, dans un article précédent, le droit de visite sur les navires de 30 tonneaux et au-dessous, à une lieue de distance ; vous voulez donner maintenant le droit de saisir toutes les fois que ces navires n’auront pas les papiers nécessaires, ou qu’ils seront chargés de marchandises prohibées, ou simplement de marchandises soumises aux droits d’accise ; vous allez établir des croisières en mer, et des douaniers qui monteront sur ces croisières ; ces gens-là voudront naturellement sévir : ils voudront aller sur tous les navires de 30 tonneaux et même sur de plus considérables, parce qu’en mer on en reconnait pas aisément le tonnage des navires ; ils feront des procès-verbaux ; ils saisiront ; ils arrêteront l’équipage ; et les tribunaux seront appelés à prononcer.
Mais, dites-vous, on peut par des témoins prouver l’exactitude des assertions contenues dans les procès-verbaux ; eh ! messieurs, quand un acte arbitraire de cette nature, se commet en mer, où voulez-vous qu’on aille chercher des témoins ? Les témoins seraient le capitaine, ou le capitaine en second, les gens de l’équipage, mais tous ces gens-là seront précisément les accusés. On ne pourra pas recevoir leur témoignage ; et ces procès-verbaux dressés par des hommes dont vous avez vous-mêmes reconnu la corruption, la démoralisation, il faudrait qu’ils fissent foi en justice ; de là une foule de désordres surgiront : il y en avait pour tous bien assez dans la législation de 1822.
On n’abandonnera, dit-on, que les bâtiments qui louvoieront ; mais louvoyer, c’est un moyen de marcher ; quand un navire a le vent ou la marée contraire, il faut qu’il louvoie. Les gens de l’équipage vous diront qu’ils ne louvoyaient pas, qu’ils marchaient ; le procès-verbal dira au contraire qu’ils louvoyaient, On dira en un mot, dans le procès-verbal tout ce qu’on voudra, parce que les employés feront tout ce qu’ils voudront, à la différence de ce qui se passe dans les villes en public, où l’on peut appeler des témoins.
On vient vous proposer de prendre et de confisquer tous les navires de trente tonneaux et au-dessous, qui seraient trouvés porteurs, sans papiers, de marchandises prohibées, ou même de marchandises simplement soumises au droit d’accise. Je crois qu’il y a là véritablement violation de tous les principes.
D’abord, toutes les fois que l’on commerce avec une nation policée, tout navire, de quelque grandeur qu’il soit, qui apporte des marchandises, a le droit d’entrer dans le port. Un navire étranger ne peut vouloir enfreindre des lois qu’il ne connaît pas, et que souvent les nationaux ne connaissent pas eux-mêmes ; votre tarif n’est pas connu de tout le monde ; à peine est-il connu par tous les négociants du pays. Tout ce qu’on peut faire à des étrangers, c’est de les renvoyer avec leurs marchandises prohibées. Voilà comment on agit entre peuples policés, entre peuples civilisés. Mais saisir à une lieue, à une demi-lieue, c’est transformer les douaniers en pirates, c’est faire de la piraterie.
Celui qui sera sur vos côtes dira : je vais en Hollande, je suis en mer, quel droit avez-vous de m’arrêter ? Que vous importent les marchandises que j’ai à bord ? C’est quand je passerai à vos bureaux, quand j’entrerai dans vos ports, que vous avez le droit de me demander ce que je porte. Voilà les règles de la civilisation ordinaire.
Mais on nous dit : on fait en France et en Angleterre comme nous voulons faire ; nous devons imiter la France et l’Angleterre : messieurs, il en prend souvent mal aux petits, de vouloir imiter les grands. La France et l’Angleterre sont des pays qui peuvent appuyer leurs lois et leurs paroles par la force de leurs actes ; mais nous chétifs, pourquoi irions-nous nous créer des embarras, et nous susciter des querelles avec nos voisins, en appuyant nos tarifs sur une marine inquisitoriale ? Songez d’ailleurs que le commerce de cabotage qui se fait par la navigation le long des côtes, sera frappé de mort par de telles mesures, que vous le livrez à vos douaniers, et à une sorte de piraterie.
On n’a pas fait suffisamment attention à une observation principale : c’est que ces grandes sévérités des lois françaises et anglaises viennent de l’étendue du système prohibitif établi en France et en Angleterre. Dans ces pays, le système prohibitif est très large, tandis qu’ici il est très restreint. Quand on prohibe une marchandise, c’est que cette marchandise peut tuer une branche de notre commerce et de notre industrie. Les marchandises prohibées doivent être distinguées des marchandises soumises aux droits.
Quand vous faites entrer une marchandise sous condition d’un droit, s’il y a fraude, c’est le fisc seul qui perd. S’il avait eu des employés plus vigilants ou moins corrompus, il eût moins perdu ; mais le public y perd-il ? Quand on fait entrer des vins, des eaux-de-vie, des soieries en fraude, qu’en résulte-t-il ? C’est qu’on a le vin, l’eau-de-vie et les soieries à meilleur marché et que le fisc perd un droit ; mais l’entrée des marchandises prohibées, je le répète, peut tuer notre industrie ou notre commerce ; alors on peut user de sévérité ; l’étendre au-delà, c’est une injustice, ne donnons donc pas la grande rigueur des lois françaises et anglaises à nos lois, puisque nous ne connaissons que très peu de prohibitions.
Je suis étonné des accessoires que l’on ajoute à la trop odieuse loi de 1822 quand le ministre ne les demandait pas. Le ministre ne nous demandait qu’un rayon unique, au lieu de deux qui sont établis. Eh bien, il fallait s’en tenir là, lui donner son rayon unique et ne pas faire d’addition à la loi de 1822 ; mais au lieu de la réforme, vous prenez ce qu’il y a de plus dur dans la législation de France et d’Angleterre, pour compléter un système déjà odieux par sa nature, et qui restera odieux tant qu’il subsistera.
Je ne puis donner mon assentiment à aucune partie du projet.
M. Destouvelles. - Messieurs, je conçois certainement que, puisant des exemples dans la législation de nos voisins, nous puissions, pour la protection de notre commerce, visiter les navires qui rapprochent à une certaine distance de nos côtes, et que les bâtiments sujets à la visite doivent produire les pièces et documents nécessaires pour légitimer le montant de leur cargaison. Partant de là, je conçois les dispositions du paragraphe premier du projet : mais je l’avoue, je ne saisis pas aussi bien le sens du paragraphe second, et je prie M. de me dire ce qu’il entend par ce paragraphe ; peut-être après ses explications pourrai-je en démêler le sens, Voici ce que porte ce deuxième paragraphe (voyez plus haut.)
Je ne conçois pas qu’un bateau puisse sortir chargé de marchandises sujettes aux droits d’accises sans que l’administration des accises ait épuisé à leur égard toutes les formalités prescrites par la loi. Mais d’un autre côté, s’il sort sans avoir payé les droits, je ne sais pas pourquoi on l’empêcherait de suivre sa route et d’aller porter sa cargaison à l’étranger. Le droit d’accises est en effet un droit de consommation. Or, une marchandise qui sort du pays ne s’y consomme pas, et c’est la consommation seule qui donne lieu au droit. Je ne comprends donc pas ce que veut dire ce paragraphe ; il est pour moi chose incompréhensible. Il est possible que par ses explications M. le ministre m’en fasse sentir l’utilité, je le prie de me la démontrer, et je déclare à l’avance que je ne repousserai pas la lumière qui pourra jaillir de ses paroles.
M. Legrelle. - Je pense qu’il serait fort dangereux d’introduire, tel qu’il est rédigé, l’amendement dans la loi ; je demande en effet comment on fera, si le bâtiment vient d’Angleterre, de France ou de Hollande, et que son intention soit de déclarer la marchandise pour lui permettre de faire cette déclaration. Je sais bien que les navires qui ne voudront pas frauder entreront immédiatement dans le port, et qu’ils ne perdront pas leur temps à louvoyer ou à côtoyer ; mais il est possible qu’un bâtiment soit forcé par le temps des approches de la côte, d’y louvoyer, en attendant le moment favorable pour entrer dans le port ; mais aura-t-on foi à son dire ? Cela ne donnera-t-il pas lieu à des difficultés ?
Je vous avoue que je trouve les mots louvoyer et côtoyer beaucoup trop vagues et si je vote pour l’amendement, ce ne sera que pour autant que l’on retranchera ces mots de l’article et qu’on se contentera de l’appliquer aux navires qui seraient à l’ancre, à la distance fixée.
M. Poschet. - Si les renseignements qu’on me donne sont certains, on prétend que dans les Flandres, les distillateurs embarquent des genièvres, et comme on ne paie pas de droits à l’exportation, ils sortent d’un port de la Belgique, comme s’ils allaient à l’étranger, et dans la réalité ce n’est que pour réimporter en Belgique leur marchandise en fraude. C’est ce qui expliquerait pour M. Destouvelles le sens du paragraphe 2 de l’article.
M. Osy. - Je voudrais certainement que l’on pût remédier à la fraude scandaleuse qui se fait et qui augmentera sans aucun doute si on ne prend des mesures sévères pour l’empêcher ; mais l’amendement proposé me paraît dangereux et propre à nous susciter mille difficultés. En effet les navires hollandais, partant de la Zélande pour aller dans la Flandre hollandaise, seront obligés de passer sur nos côtes.
M. Serruys. - Non ! non !
M. Osy. - Mais au moins ceux qui iront de Flessingue à l’Ecluse…
M. Serruys. - Pas davantage.
M. Osy. - De Blanckenberg à l’Ecluse, il faudra nécessairement passer devant nos côtés et vous serez obligés d’avoir là une station. Vous aurez sans cesse des difficultés avec les bâtiments hollandais qui ne manqueront pas d’adopter contre vous les mêmes mesures sur leurs côtes. Si l’amendement ne parlait que des navires en mer, je le concevrais, mais vous dites, les côtes maritimes ; par ces mots, on peut comprendre les rives de l’Escaut ; ce sera, je vous le répète, une source intarissable de difficultés.
M. Serruys. - Je commencerai par faire observer que c’est à tort que l’honorable M. Osy avance que les navires allant de Flessingue à l’Ecluse, seront obligés de passer sur nos côtes. Il suffit de jeter les yeux sur la carte, pour se convaincre du contraire.
Au reste, il ne s’agit pas, dans l’article, d’arrêter les navires qui voyagent, mais ceux qui sont à l’ancre, à la distance d’un quart de myriamètre, ou qui y louvoient, car ceux-là ne voyagent, ni n’ont l’intention de voyager. Si cependant on tient à la suppression des mots côtoyer et louvoyer, je n’y vois pas un grand inconvénient. Il suffirait alors de permettre la saisie des navires à l’ancre à une demi-lieue, car il est évident que quand de tels navires sont à l’ancre à ces distances chargés de genièvre, ce n’est que pour l’introduire en fraude.
Mais, dit-on, comment fera-t-on pour les navires qui voudraient faire leur déclaration ? Mais, messieurs, cela n’est pas défendu par l’amendement. L’amendement n’est fait que pour empêcher la fraude, ceux qui s’approchant de la côte diront vouloir faire leur déclaration, seront mis à même de le faire. Il y a deux mois qu’un navire appelé l’Actif, venant de Dunkerque, chargé d’eau-de-vie, fut saisi de cette manière. Si vous ne défendez pas aux petits navires de venir ainsi jeter l’ancre si près de terre, je vous défie d’empêcher la fraude.
Je répondrais maintenant un mot aux objections de M. Destouvelles contre la fin de l’article. Messieurs, il faut faire attention que l’article dit : si dans le cas ci-dessus mentionné. Il faut donc se rapporter à la première disposition de l’article. Il y a des fraudeurs qui exportent du genièvre et qui ne paie pas de droit à l’exportation. Si après être sorti d’un port, le navire vient à jeter l’ancre à quelque distance de la côté, il est évident que c’est pour frauder, et alors on le saisit et on fait bien ; mais s’ils poursuivent leur route, on ne les arrêtera pas. Il n’y a donc pas d’inconvénient à adopter la deuxième disposition de l’article.
M. A. Rodenbach. - J’ai émis déjà mon opinion contre l’ensemble de la loi. Je n’y reviendrai pas, on sait qu’elle est fondée principalement sur la substitution d’un seul rayon aux deux qui existent actuellement. Mais je dois à la vérité de dire que si on l’admet par l’amendement, il sera impossible d’empêcher la fraude. Les smogleurs français viendront introduire leurs esprits dans le pays et vous en inonderont. Les smogleurs hollandais feront la même chose. Depuis très peu de temps, ces derniers en ont versé en Belgique plus de 60 mille de ces petits barils dont on se sert en Hollande et dont le nom m’échappe. J’appuierai donc les observations de M. Serruys.
M. Destouvelles. - Les explications données par les préopinants n’ont pas du tout dissipé mes doutes, et il me sera bien facile, en donnant lecture des deux paragraphes de l’article, de prouver que le second est pour le moins une superfétation inutile.
« Si des bâtiments ou embarcations du port de 30 tonneaux et au-dessous. » C’est ainsi que commence l’article, et je dois faire remarquer qu’il ne fait aucune distinction entre les navires belges et les navires étrangers ; l’orateur continue jusqu’à la fin la lecture de l’article (voyez plus haut) et reprend ainsi : vous voyez, messieurs, d’après les termes de l’article, qu’il suffit de l’existence d’un bâtiment quelconque dans la distance d’un demi-myriamètre de la côte, pour donner lieu à la saisie. L’article n’établit aucune distinction sur la question de savoir si les navires sont et viennent de la Belgique, ou s’ils sont et viennent de l’étranger. Que signifie donc, je réitère ma demande à M. le ministre, que signifie le deuxième paragraphe de l’article ?
Je dis, moi, que le moindre reproche que l’on puisse faire à ce paragraphe, c’est d’être inutile ; il n’ajoute rien à l’article premier qui établit aussi bien la confiscation pour les navires belges que pour les navires étrangers. Or, ce serait assez de cette considération pour le retrancher, car, dans les lois il ne faut rien d’inutile, parce que les dispositions inutiles nuisent toujours en ce qu’elles peuvent donner lieu à des interprétations là où il n’en fait pas.
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, on a parlé contre les vices de la loi de 1822, on a représenté cette législation comme accablante, surtout pour les distilleries, industrie si précieuse dans les Flandres.
Eh bien, la loi actuelle est faite précisément pour réprimer la fraude qui accable les distilleries, pour empêcher l’introduction des produits étrangers qui se fait si facilement aujourd’hui, parce que le gouvernement n’a pas la force de la réprimer. Hier je vous ai parlé de la saisie du navire l’Actif ; pour cette seule prise, il y a 50 autres expéditions de ce genre qui ont réussi. J’en ai la preuve dans ce qui se passe aujourd’hui. Du midi de la France, on n’expédie plus des eaux-de-vie à Ostende ou à Anvers, mais à Dunkerque, parce qu’on sait que là, il est très facile de les introduire en fraude en Belgique. Dans cette enceinte j’ai entendu très souvent divers membres se plaindre de la fraude qui se fait.
Aujourd’hui on craint que par l’adoption de la loi nous ne nous brouillons avec les puissances voisines, la France et l’Angleterre, qui ne nous ménagent guère. Si parce que notre pays est petit, nous consentons à nous rendre victimes des autres nations, notre position serait par trop déplorable. Il est indispensable que le gouvernement ait en main la force nécessaire pour empêcher la fraude si l’on veut que le trésor n’en souffre pas, si l’on veut que l’industrie n’en soit pas accablée.
Les craintes manifestées par l’honorable M. Osy, sur la navigation de l’Escaut, ne sont pas fondées, parce que nous n’avons aucun droit d’étendre nos visites de ce côté. Un bureau sera établi à Lillo, aussitôt qu’il nous sera possible de le faire, nous n’avons pas à étendre notre surveillance plus loin. Quant au deuxième paragraphe proposé par la section centrale, je m’y suis réuni parce que, loin de détruire le premier il lui donnera une nouvelle force en en expliquant bien le sens pour ce qui est relatif aux navires belges ; toutefois, la suppression de ce paragraphe pourrait être faite sans inconvénient, car la loi générale contient des dispositions suffisantes pour réprimer le cas prévu.
Quant à la suppression des louvoyer et côtoyer demandée par M. Legrelle, je dois m’y opposer et voici pourquoi : le rayon est d’un demi-myriamètre, ce qui ne représente guère qu’un gros quart de lieue ; si vous ne déclarez saisissable que les navires à l’ancre, jamais vous ne pourrez effectuer de saisie parce que les navires auront toujours le temps de lever l’ancre quand ils verront venir les bateaux croiseurs.
M. Jullien. - J’ai déjà eu l’honneur de dire que louvoyer, pour un navire, était une nécessité toutes les fois qu’il avait contre lui le vent ou la marée et qu’il n’avait pas d’autre moyen d’avancer. Quand il louvoie on peut le visiter et le confisquer parmi les marchandises dont il est chargé, il s’en trouve de prohibées, voilà l’effet de l’amendement. Et si vous attaquez ainsi un navire appartenant à une puissance étrangère, je vous demande de quelle manière elle envisagera cette piraterie.
Mais du moins, dit-on, on pourra prendre le navire qui jettera l’ancre et qui sera chargé de marchandises prohibées. Messieurs, un navire est forcé de jeter l’ancre quand le mauvais temps l’y force ; quand il est battu par la tempête, dans cette position, iriez-vous le saisir ? Il voulait peut-être continuer sa route et aller en Hollande venant de France, ou aller en France venant de Hollande.
Rien n’empêchait ce navire d’entrer dans le port et de faire sa déclaration ; mais comment irait-il faire sa déclaration, si vous le saisissez quand il approche de la côte ? Tout navire que vous saisirez pourra vous dire : mon intention était d’entrer dans le port, de faire une déclaration ; que demandez-vous ? Au reste la mer n’est-elle pas un chemin ouvert à tout le monde et que tout le monde peut traverser ? Avec l’amendement, vous ne pouvez éviter aucun des inconvénients que je viens de signaler.
Mais le trésor en souffrira !... Messieurs, quand le trésor souffre c’est sa faute. Il a une armée de cinq mille douaniers pour observer la côte et la ligne de terre. La côte est plus facile à observer, parce qu’on y voit tout ce qui se passe en mer, et les tentatives de débarquement sont faciles à empêcher. On n’avait pas employé le moyen rigoureux que l’on propose sous l’ancien gouvernement ; cependant la plus grande fraude ne se faisait pas sur les marchandises prohibées ; elle se faisait sur les marchandises dont l’entrée était permise en payant un droit ; pourquoi ? parce que les employés se laissaient corrompre. Ils peuvent se laisser corrompre encore, et cela aura lieu toutes les fois que vous leur donnerez l’appât du gain. Ayant le pouvoir de faire en mer des procès-verbaux ou de n’en pas faire, vous les rendez peut-être les auxiliaires de la fraude ; dans tous les cas, vous exposez le commerce de cabotage à toutes les avanies, à toutes les vexations qu’il ne devrait pas rencontrer chez nous.
On dit que le cabotage nuit à nos distilleries de genièvre ; il y a un moyen bien simple de protéger cette industrie ; baissez les droits sur les genièvres, et bien loin que vous avez à craindre les importations de la Hollande, c’est vous qui pourrez exporter chez nos voisins.
En finance, je l’ai déjà dit, deux et deux ne font pas toujours quatre ; vous voulez avoir 15 pour cent sur les spiritueux, voilà pourquoi il y a des entrepreneurs de fraude qui les font entrer à 5 pour cent. Mettez les droits à 5 pour cent, vous encouragerez les distilleries, et c’est chez l’étranger que vous ferez des exportations et que vous porterez la fraude.
Je vote pour qu’on nous débarrasse de la législation de 1822.
M. Serruys. - Mon honorable ami M. Jullien a dit que dans plusieurs circonstances, le navire est obligé d’envoyer ou de jeter l’ancre ; je le sais ; mais je sais aussi que la force majeure est une exception de droit et qu’on sera admissible à le prouver. Cette exception établie, je soutiens qu’on n’empêchera pas la fraude si on ne saisit pas les petits bâtiments, parce que tous les petits bâtiments chargés de marchandises prohibées ou d’eau-de-vie qui payent des droits, jetteront facilement leur cargaison à la côte.
M. Destouvelles a dit que le second paragraphe de l’amendement était inutile. Je ferai observer que cette addition faite à la proposition du ministre prévoit un cas tout différent, tout particulier. Un petit navire, chargé de genièvre, par exemple, peut être expédié de nos côtes, pour faire entrer la liqueur en fraude. Si ce petit navire a besoin de se mettre à l’ancre, il peut le faire en prouvant qu’il y a été obligé ; mais généralement, les petits navires ne se mettent à l’ancre que pour faire la contrebande. S’ils n’avaient pas de mauvais desseins ils continueraient leur route. Je le répète, si un petit navire est à l’ancre par cas de force majeure, on le verra bien.
M. Destouvelles. - M. le ministre des finances, en examinant le second paragraphe de l’amendement a dit qu’il s’était rallié à l’opinion de la section centrale, relativement à ce second paragraphe, parce qu’il ne détruisait pas l’effet du premier ; moi, j’ai posé la question sur un autre terrain ; j’ai demandé si le second paragraphe ajoutait quelque chose au premier. Ce que l’on doit éviter dans les lois, ce sont les dispositions inutiles, parce qu’elles peuvent faire naître des doutes, des incertitudes, des interprétations, et c’est déjà un grand mal que les doutes, les incertitudes et les interprétations.
J’appelle l’attention du ministre sur le paragraphe premier, qui soumet indistinctement à la confiscation, tous les navires à l’ancre, à la distance d’un demi-myriamètre de la côte : que le navire sorte de la Belgique, avec des eaux de vie, de grains, et qu’il ait l’intention de les introduire en fraude sur la côte, ou que, chargé d’eaux de vie de France, il veuille faire la même fraude, tous deux sont dans la même catégorie.
Le second paragraphe n’étant qu’un commentaire extrêmement dangereux du premier, je demande qu’ils soient mis séparément aux voix.
M. Verdussen. - Je présenterai de courtes observations pour m’opposer à la nouvelle rédaction de l’article, parce que je ne veux pas d’une loi dont je ne vois pas l’exécution possible ; les observations même de M. le ministre et de M. Serruys viennent à l’appui de mon observation ; on dit qu’on prendra les bâtiments qui seront dans la distance d’un quart de myriamètre ; mais, messieurs, où commencera le quart de myriamètre, à quelle marque connaîtra-t-on la limite ? Sera-ce 1/8 en deçà ou au-delà, tout cela est impossible à préciser, ce seront dons des disputes continuelles.
On dit, et c’est à M. Serruys qu’appartient cette observation, qu’on saisira les navires qui auront l’air de passer et qui cependant louvoieront pour tâcher de débarquer leur cargaison ; mais quand a-t-on l’air de passer ? Il serait je pense assez difficile de le décider ; je pense d’un autre côté, que M. Destouvelles s’est trop élevé contre le deuxième paragraphe, et si j’avais à adopter l’article, il serait à cause de ce paragraphe, et voici pourquoi : tout navire chargé de marchandises sujettes au paiement d’un droit de consommation doit avoir obtenu décharge de ce droit en quittant le port, puisque ces marchandises exportées ne paient aucun droit : il est donc prudent de parer à ce que cette marchandise ne se réintroduise pas dans le pays en fraude des droits dont elle a été déchargée.
Si l’honorable M. Osy s’est trompé en disant que pour aller de Flessingue à l’Ecluse, on devait passer sur nos côtes, on ne se tromperait pas en disant qu’on y est obligé en allant de Dunkerke à Flessingue, et je demanderai si le droit de visite est si bien établi et reconnu qu’on ne doive pas craindre de difficultés en l’exerçant. Pour moi je redouterais que la France, plus forte que nous, ne nous chercha à tout instant querelle, et que ce droit de visite qu’on nous représente comme avantageux ne nous fût réellement très nuisible. Je voterai donc contre l’article.
M. Duvivier. - Messieurs, les objections auxquelles l’amendement donne lieu ont le genièvre pour objet, la crainte que cette mesure n’imposât des gênes ou des entraves au commerce maritime, aux importations régulières, enfin, à la libre navigation des navires nationaux ou étrangers.
Mais on a perdu entièrement de vue les limites dans lesquelles l’amendement restreint le droit indispensable de visite et de saisie, qu’il s’agit de conférer à l’administration, et je prie l’assemblée de considérer que cette restriction le réduit à deux termes qui en écartent tous les inconvénients.
L’un au maximum du tonnage des embarcations qui au-dessous de 30 tonneaux, ne comprend que des chaloupes et carrots que l’on n’emploie guère à l’importation régulière, mais qui rentre au contraire dans la classe de ces petits bateaux et pontons qui servent si facilement au genre de fraude qu’un honorable député a expliquée, en ce que leur exiguïté leur permet d’arriver à une très grande proximité des côtes et d’y opérer ainsi des débarquements clandestins.
L’autre au maximum de la distance d’un quart de myriamètre, dans lequel des navires d’un tonnage supérieur en servant aux importations régulières ne peuvent guère arriver que dans les ports.
Or, les navires au-dessous de 30 tonneaux sont totalement exceptés du droit de visite et ceux au-dessus de 30 tonneaux le sont du droit de saisie. Ceux d’un tonnage inférieur le sont également, quant au droit de saisie ; au-delà de la distance de 2,500 mètres (1/2 lieue), et quant à la visite, au-delà de celle de 10,000 mètres (2 lieues).
Ils sont de plus à l’abri de toute difficulté et peuvent librement naviguer et circuler à toute distance, lorsqu’ils sont pourvus de documents.
Mais vous sentez sans doute, messieurs, qu’il est indispensable de soumettre ces mêmes petites embarcations seulement à une police réelle, dans une distance convenable des côtes, et dès lors d’admettre la nécessité d’une sanction pénale, sans laquelle cette police n’aurait aucun résultat, aucune efficacité.
Cette observation, en ce qui concerne la distance et le tonnage dans lesquels l’amendement referme le droit de saisie, suffira donc pour écarter toute appréhension des conséquences que l’on a tirées uniquement d’une extension que l’amendement ne porte point à l’égard des navires servant au véritable commerce maritime qui ne souffrira ainsi aucun inconvénient de la mesure proposée.
Ce n’est qu’en perdant de vue cette limitation essentielle qu’on a pu supposer que ces navires seraient exposés à quelque gêne.
Vous voudrez bien remarquer d’ailleurs, messieurs, qu’en France, ainsi qu’en Angleterre, cette police sur les bâtiments côtiers est admise et s’étend dans une distance et sur des bâtiments d’un tonnage bien supérieur.
M. A. Rodenbach. - Je persiste dans l’opinion que j’ai émise sur la nécessité d’adopter l’amendement de la section centrale. On pourrait peut-être s’en passer, si comme l’a dit M. Jullien, le ministre diminuait les droits sur les eaux-de-vie indigènes, parce qu’il y a cent pour cent à gagner aujourd’hui en faisant la fraude ; il y a 16 louis de bénéfice sur une pipe d’eau-de-vie, et il est certain que la fraude cesserait bientôt si ce bénéfice de 16 louis était réduit à 8 louis. Une réduction serait donc désirable ; mais, d’un autre côté, n’ayant pas encore fait de traité de commerce avec la France, il serait peut-être imprudent de modifier, en ce moment, notre tarif. J’appuie donc l’amendement.
M. Serruys. - Messieurs, j’ai remarqué que dans la discussion on a souvent employé les mots de « pleine mer » en parlant de la distance d’un quart de myriamètre, pour nous prouver que nous n’avions pas le droit de visite à cette distance. Il est essentiel de détruire cette erreur. Les côtes de la mer appartiennent au pays que la mer baigne de ses eaux ; c’est un droit reconnu par tous les publicistes, et on sent bien qu’il est nécessaire au pays, ne fût-ce que pour sa défense. A une lieue en mer, ce n’est pas encore la pleine mer, c’est pour cela que les petites embarcations qui viennent à cette distance doivent se soumettre aux lois qui régissent le pays. Le droit de visite fondé sur la loi est donc incontestable à cette distance.
M. Mary. - La section centrale, dans le projet en cinq articles, qu’elle vous a soumise, a évité d’entrer dans des collisions avec les puissances étrangères, collisions difficiles à éviter ; M. le ministre des finances en a jugé autrement, et a proposé un article en remplacement de l’article 3. Vous avez renvoyé l’article du ministre à la section centrale, non pas pour l’approuver ou le rejeter, mais pour le rédiger autrement, tel a été le mandat de la section centrale ; eh bien, qu’a-t-elle fait ?
M. le ministre des finances proposait de saisir les navires portant des marchandises prohibées, des marchandises manufacturées ; nous n’avons pas cru devoir adopter un amendement aussi général ; car les marchandises manufacturées se composent de cotons, de casimirs, etc., qui sont soumis à des droits divers, selon les qualités ; nous n’avons pas pensé qu’on pût confisquer des produits semblables, alors qu’entrés dans nos ports, ils payaient les droits ; nous avons réservé la saisie aux marchandises. Dès l’instant que les navires qui les portent se trouvent à l’ancre, à un demi-myriamètre de la côté, il y a suspicion de fraude ; mais si les navires étaient sortis de nos ports, il faut une disposition particulière. Quand ils sont munis de documents, nous ne devons pas les soumettre aux mêmes sévérités ; c’est pour cela que nous avons fait l’addition d’un paragraphe. Il a été à tort critiqué ; il améliore le sort de nos navigateurs. Je crois que ces observations suffiront et détermineront la chambre à adopter ce second paragraphe.
M. Destouvelles. - Quels sont les documents réguliers pour les marchandises exportées de l’étranger ?
M. Mary. - La loi du 22 août 1791 règle ces documents. Pour naviguer à l’étranger, l’administration donne des duplicata de passavants, ou des acquits à caution ; au moyen de ces duplicata, on peut éviter toute espèce de poursuite.
M. Destouvelles. - Eh bien, l’explication que l’on vient de donner est pour moi un motif de plus pour persister dans mes observations.
D’après le second paragraphe, il résultera que vous saisirez sur la côte un bâtiment que vous trouverez louvoyant, tandis qu’un autre bâtiment qui aura des documents, ne pouvant être saisi, attendra plus facilement l’occasion de faire la fraude. Telle sera la conséquence de l’explication fournie par l’honorable préopinant.
Il ne peut pas être établi de distinction entre les bâtiments sortant de nos ports et ceux venant de l’étranger. Une seule question est à examiner, c’est de savoir qu’elle est la situation qui décèle, dans un navire quelconque, l’intention de sa part de jeter des marchandises à la côte. Si vous faites une distinction, au lieu de réprimer la fraude, vous donnez les moyens de frauder : quand vous dites qu’un bâtiment sortant de la Belgique ne pourra pas être saisi, que fera ce bâtiment ? Il jettera l’ancre, quoique chargé d’eau-de-vie, et quand vous voudrez le visiter, vous reculerez devant les documents ; et ce seront les documents qui le mettront en état de faire de la fraude.
Je remercie le préopinant des explications qu’il m’a données ; elles prouvent que la loi, avec le second paragraphe, aurait un effet tout contraire à celui qu’on se propose.
M. le président. - M. Destouvelles a demandé la division.
M. Nothomb. - C’est de droit !
M. le président. - Comment, c’est de droit ! C’est de droit quand on le demande.
M. Nothomb. - Il y a deux paragraphes !
- Le premier paragraphe mis aux voix est adopté.
Le deuxième paragraphe est rejeté.
M. le président. - Le premier paragraphe forme l’article 3 de la loi.
La discussion est ouverte sur l’article 4, ainsi conçu :
« Toutes les dispositions de la loi générale précitée qui concernent le territoire mentionné en l’article 177 sont rendues applicables au rayon à tracer en vertu de l’article premier.
« Les préposés de douanes pourront en outre, en cas de poursuite de la fraude, la saisir même en deçà du rayon ci-dessus fixé, pourvu qu’ils l’aient vu pénétrer et qu’ils l’aient suivie sans interruption. »
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Je demande la suppression des mots « vue pénétrer ; » ces mots rendraient la disposition de l’article presque inexécutable, parce qu’il est fort rare que le douanier voie pénétrer la marchandise au moment où elle entre dans le rayon ; il doit suffire, je pense, pour qu’il puisse la saisir hors du rayon, qu’il l’ait suivie sans interruption depuis qu’il l’a aperçue.
M. Poschet. - Depuis l’établissement du royaume des Pays-Bas, j’habite le rayon des douanes, et je n’ai jamais vu ni entendu dire que le droit de suite y ait produit des abus. Sans doute c’est un droit gênant et qui n’est pas sans inconvénient ; mais la douane elle-même est une gêne et un inconvénient, mais il faut supporter cette gêne ou supprimer tout à fait la douane, ce qui n’est pas possible.
Si vous ôtez à l’administration le droit de suite, c’est lui ôter son droit de répression, parce qu’à l’extrême frontière le poste de la douane est toujours faible, et s’il suffit de le passer de vive force ou de courir plus fort que les douaniers pour être à l’abri de la poursuite, les fraudeurs se présenteront en force et seront à peu près certains de l’emporter toujours.
Ce serait adjuger une prime à la course que de consacrer pareille disposition. Il faut donc que les douaniers puissent suivre la marchandise jusqu’au lieu où il sera possible de l’atteindre.
M. Jullien. - Il faut mettre des douaniers à toutes les portes des villes.
M. Ch. de Brouckere. - J’appuie la suppression demandée par M. le ministre des finances. Sans cela il est certain que le droit de suite sera illusoire. Ce n’est pas en effet sur la limite des deux pays et sur l’extrême frontière que les douaniers peuvent se mettre en embuscade, car autant vaudrait dire aux fraudeurs : je serais là à telle heure, n’y venez pas. Les postes de douanes sont et doivent être un peu dans l’intérieur, pour exercer une surveillance utile ; il est donc impossible que de son poste un douanier aperçoive la marchandise au moment où elle franchit la frontière. Il suffit par conséquent qu’il la découvre dans le rayon et qu’il ne la perde pas de vue pour qu’il la puisse saisir.
M. Duvivier. - Il suffit, comme l’a dit le préopinant, que la marchandise soit aperçue dans le rayon pour qu’elle puisse être saisie. Sans cela le droit de suite serait tout à fait inutile. Jamais les douaniers ne sont placés à l’extrême frontière, ils sont au contraire placés sur plusieurs lignes dans le rayon, de manière que les fraudeurs ayant passé une ou deux lignes, n’auraient souvent plus qu’un pas à faire pour avoir franchi le rayon, et vainement les aurait-on aperçus dans ce rayon si on n’avait pu les saisir ; ils seraient à l’abri par cela seul qu’on n’aurait pas vu pénétrer la marchandise. Ce serait véritablement, comme le disait M. Poschet, adjuger un prix de course. Il faut donc adopter l’amendement de M. le ministre des finances.
M. Destouvelles. - Je ne partage pas, messieurs, l’opinion des préopinants, car il est nécessaire de fixer aux employés des douanes un point de départ, pour savoir où commencera cette suite.
- Voix nombreuses. - Elle commencera dans le rayon.
M. Destouvelles. - Attendez, messieurs, dans le rayon sans doute. Les mêmes mots se trouvaient dans la loi de 1791, et ils n’ont jamais donné lieu à des difficultés : « voir pénétrer » ne signifie pas qu’on doive voir la marchandise à l’extrême frontière, mais voir dans le rayon. Si vous consultez les arrêts rendus en cette matière par toutes les cours, vous verrez que toujours elles l’ont décidé ainsi. Toujours on a jugé qu’il suffisait qu’on eût vu la marchandise dans le rayon et qu’on l’eût suivie sans interruption pour qu’elle fût saisissable.
Quel est le but de cette disposition de la loi, sans laquelle la fraude serait très facile ? C’est de permettre de suivre la marchandise partout quand une fois on l’a découverte. Or, souvent à la frontière, les fraudeurs sont plus forts et plus nombreux que les douaniers ; souvent ceux-ci doivent se replier après avoir aperçu la marchandise sur un poste voisin, puis sur un autre, jusqu’à ce qu’ils soient assez forts ou jusqu’à un village où ils puissent requérir la force publique. Il est donc nécessaire de laisser dans l’article « vue pénétrer ; » ces mots ne signifient autre chose que « vue dans le rayon ; » je l’ai déjà dit, c’est ainsi qu’on l’a toujours jugé. Ainsi vous fixez le point de départ où commence le droit de suite : en adoptant au contraire l’amendement de M. le ministre, ce droit ne commence nulle part.
M. Destouvelles. - L’opinion de l’honorable préopinant repose sur une erreur de fait ; il n’a pas réfléchi que par cette disposition, le rayon des douanes est assimilé au territoire étranger ; c’est pour cela que l’article dit tout ce qu’il doit dire. Je n’ai pas parlé d’interprétation de la loi, j’ai dit qu’elle avait toujours été entendue ainsi, et qu’il n’était pas possible de l’entendre autrement : qu’on dise si l’on veut que la marchandise sera saisissable quand elle aura été vue dans le rayon (On est d’accord ! on est d’accord !) je le veux aussi ; mais je dis que cela est inutile, car l’article primitif est très clair. Il n’est pas possible en effet que le législateur ait voulu dire une absurdité et exiger que la marchandise fût vue à l’extrême frontière. Avec une telle disposition toute saisie serait impraticable.
M. Legrelle. - Il n’y a qu’à retrancher le mot « pénétrer. »
M. Jullien. -Il faut mettre quelque chose à la place.
M. le président. - On retranchera le mot « pénétrer. »
M. Van Meenen. - Mettez les mots « vue dans le rayon. »
M. le ministre des finances (M. Coghen). - L’article 4 le donne assez à entendre, ce me semble.
M. Jullien. - Il ne suffit pas qu’il le donne à entendre, il faut qu’il le dise.
M. Fallon. - Voici comment je propose de rédiger l’article :
« Les préposés de douane pourront en outre, en cas de poursuite de la fraude dans le territoire réservé, la saisir même en deçà du rayon, pourvu qu’ils ne l’aient pas perdue de vue et qu’ils l’aient suivie sans interruption. »
M. Destouvelles. - Dans le premier paragraphe, il faut supprimer les mots « à tracer. » (C’est juste !)
M. Bourgeois. - Je demandais la parole pour proposer une rédaction qui remplit le même but que la rédaction présentée par M. Fallon. Voici ma rédaction : « pourvu que dès l’instant où ils l’auront aperçue et découverte dans le rayon réservé ils l’aient suivie sans interruption. »
M. Lebeau. - Mais il faut que la fraude ait été découverte ou aperçue dans le rayon réservé pour avoir droit de la suivre.
- Plusieurs membres. - Sans doute.
M. Lebeau. - La fraude devant être nécessairement découverte dans le territoire, j’aime mieux celui de M. Bourgeois.
M. Fallon. - On suppose que la fraude a été découverte à l’extrême frontière ; ainsi elle n’a pu être découverte que dans le rayon réservé.
M. Legrelle. - Il me semble qu’il est plus simple de s’en tenir à la première rédaction qui consiste à supprimer le mot « pénétrer. »
- Un membre. - Nous ne sommes pas d’accord sur ce point.
M. le président. -On peut dire : « la saisir même en deçà du rayon, pourvu qu’ils l’aient vue et qu’ils l’aient suivie sans interruption. »
M. A. Rodenbach. - C’est bon cela !
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Voilà comment j’avais compris la loi de 1791. L’article 35 du titre XIII de cette loi dit : « Les préposés pourront en cas de poursuite de la fraude la saisir même en deçà des côtes et frontières pourvu qu’ils l’aient vue pénétrer et qu’ils l’aient suivie sans interruption. » L’honorable M. Destouvelles a exposé comment cette disposition avait été expliquée dans la jurisprudence. Je l’explique de la même manière. C’est en effet le sens de la loi. On pourrait la rendre plus claire. La section centrale propose : « Les préposés de douane pourront en outre, en cas de poursuite de la fraude, la saisir même en deçà du rayon ci-dessus fixé, pourvu qu’ils l’aient vue pénétrer et qu’ils l’aient suivie sans interruption. »
Il me semble que le sens du mot « pénétrer » dans le projet de la section centrale et dans la loi de 1791 signifie : qu’ils l’aient vue dans le territoire réservé.
M. le président. - Quelle rédaction veut-on ?
M. d’Huart. - La rédaction primitive est la meilleure.
M. Destouvelles. - On peut supprimer les mots : « ci-dessus fixé. »
M. le président donne lecture des divers amendements.
M. d’Huart. - « Découverte dans le rayon, » c’est un pléonasme. Cette rédaction est tirée d’une loi que la jurisprudence a expliquée. Maintenant il ne peut plus y avoir de difficulté.
M. le président. - Alors je vais mettre l’article aux voix.
M. Lebeau. - Les amendements doivent avoir la priorité.
M. le président. - M. le ministre des finances propose de supprimer les mots « ci-dessus fixé. »
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Il me semble que pour poursuivre, il faut avoir vu et qu’on peut mettre : « La saisir même en deçà du rayon, pourvu qu’ils l’aient vue dans le rayon et qu’ils l’aient suivie sans interruption. »
M. A. Rodenbach. - J’appuie la rédaction proposée par M. le ministre ; elle est très claire. La rédaction de l’ancienne loi était inexacte. M. Jullien doit savoir qu’elle occasionnait des procès très scandaleux.
M. Destouvelles. - Eh bien ! moi qui ai pratiqué dans un département de l’extrême frontière, je déclare que jamais, oui jamais, il ne s’est élevé de doutes sur le sens des mots : « vue pénétrer et suivie sans interruption. »
M. A. Rodenbach. - J’invoque le témoignage de M. Jullien ; il y a eu un procès à Staden et c’est l’interprétation de cette disposition qui a fait perdre le procès.
- La suppression du mot « pénétrer » est mise aux voix et adoptée.
L’article 4 est adopté avec la rédaction suivante :
« Toutes les dispositions de la loi générale précitée qui concernent le territoire mentionné à l’article 177 sont rendues applicables au rayon, en vertu de l’article premier. »
« Art. 5. La présente loi sera exécutoire à dater du 1er juillet prochain. »
M. Ch. de Brouckere. - Je demanderai à M. le ministre s’il n’y a pas danger à rendre exécutoire la loi au 1er juillet, quand on a fixé le 20 juin comme terme au gouvernement, pour faire connaître la ligne de douane. Il n’y a que six jours d’intervalle entre les deux termes, cela ne suffit pas. En matière de douane, il faut que la loi soit connue cinq jours avant son exécution dans le territoire formant le rayon. Les époques sont évidemment trop rapprochées. Je crois qu’il faut mettre « exécutoire à dater du 15 juillet. »
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, en fixant l’époque de l’exécution de la loi au 15 juillet, c’est donner plus de facilité à l’administration. Cependant je dirai que le travail préparatoire est fait. Dès que la loi aura passé au sénat, elle recevra de suite son exécution ; c’est-à-dire aussitôt que les lignes seront tracées. Si la législature croit devoir donner jusqu’au 15 juillet, nous ne nous y opposons pas ; mais l’administration n’en a pas besoin.
M. Destouvelles. - Il faut cependant avertir le commerce.
M. Duvivier. - Je ne m’oppose pas au délai ; mais je dois dire que tous les documents sont à l’administration et que chaque province a son territoire réservé, tracé sur des cartes, et que dès le lendemain de la promulgation de la loi, des bateaux seront en croisière. Néanmoins, pour plus de sûreté, on peut dire que la loi sera exécutoire le 15 juillet.
M. Ch. de Brouckere. - Le gouvernement est en mesure ; à la bonne heure ! Cependant la loi n’est pas passée au sénat ; elle n’est pas revêtue de la sanction royale ; je crois que son exécution est impossible le premier juillet.
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Je ne m’oppose pas au délai de 15 jours. Cela donnera plus de facilité à l’administration.
- L’article 5 est adopté avec l’amendement de M. de Brouckere.
Le vote sur l’ensemble de la loi est renvoyé à lundi.
La suite de l’ordre du jour est la discussion de la loi sur le système monétaire amendé par le sénat.
M. Lebeau. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. La discussion ne peut s’établir que sur l’amendement du sénat ; les autres articles ayant été adoptés par les deux chambres on ne peut les remettre en délibération ; ils ont subi l’épreuve du double vote. (Oui ! oui !)
M. Seron. - Messieurs, vous aviez voté des pièces de 40 francs, de 20 francs, de 5 francs, de 2 francs, d’un franc, de 50 centimes, de 10 centimes, de 5 centimes, de 2 centimes et même d’un centime. C’était bien assez pour contenter tout le monde et suffire à toutes sortes de paiements et d’appoints. Le sénat n’en a pas jugé ainsi ; il veut, en outre, des pièces de 25 centimes.
Mon avis est qu’on lui donne satisfaction, bien que l’inutilité de ces pièces soit incontestable et qu’on l’ait reconnue en France où l’on n’en a mis que fort peu en circulation. Mes motifs sont l’espoir que gouvernement n’en frappera qu’une très petite quantité, et le désir de voir convertir en loi des dispositions puisées dans la législation française et que j’ai déjà adoptées comme très bonnes.
L’essentiel c’est que les pièces de 25 centimes soient au même titre que les pièces de 5 francs, afin d’ôter aux faux monnayeurs l’envie de les imiter, et de mettre le peuple à portée de distinguer, à la couleur, les bonnes des fausses. Quant aux pièces de billon il n’en faut point du tout ; elles sont trop faciles à contrefaire, témoins les pièces de 10 centimes et de 25 cents. Décréter une pareille monnaie c’est provoquer la fraude et s’en rendre complice. Je voterai pour l’amendement proposé par le sénat. (Aux voix ! aux voix ! Nous sommes tous d’accord !)
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, nous ne sommes pas appelés à voter sur un seul article. C’est bien dans l’article 2 que le sénat, par amendement, a introduit la pièce d’argent d’une valeur égale au quart de franc ; mais cet amendement introduit, exige des modifications dans les articles relatifs au titre, à l’effigie, etc. Pour moi, je me rallie à l’amendement. Le gouvernement ayant trouvé que ces pièces étaient inutiles, je pense qu’il n’en fondra pas aussi longtemps qu’il sera dans la même conviction. Si je croyais qu’il voulût en fondre, je voterais contre la loi. (On rit.) (Aux voix ! aux voix !)
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Il n’y a rien à ajouter à ce qu’a dit M. Seron, sur les monnaies de billon.... Je vais vous dire sur quels articles des modifications ont eu lieu en conséquence de l’amendement du sénat.
M. le président. - Ce sont les articles 2, 4, 6 et 24.
Ces articles sont successivement mis aux voix et adoptés.
- La loi est soumise, dans son ensemble, à l’appel nominal et elle est adoptée à l’unanimité.
La séance est levée à trois heures.