Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 28 avril 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1155) M. Huveners procède à l'appel à midi et un quart. La séance est ouverte.

M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners communique l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le conseil communal de Comines présente des observations en faveur du projet de loi relatif à la construction d'un canal de dérivation des eaux de la Lys, et demande qu'il soit pris des mesures pour faire ouvrir des écluses des fortifications de Menin dès que les eaux débordent. »

« Mêmes observations du conseil communal de Warneton et de plusieurs habitants de cette ville qui demandent en outre l'agrandissement des écluses de décharge à Comines, Menin et Harlebeke. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Plusieurs habitants de Ninove prient la chambre de sanctionner la convention de commerce conclue avec la France. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à cette convention et insertion au Moniteur.


« Les chefs de famille de l'Eglise protestante de Pâturages réclament l'intervention de la chambre pour obtenir la création d'une place de pasteur dans cette commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Motion d"ordre

Formation du nouveau gouvernement

M. de Muelenaere, ministre d’Etat. - Après une discussion déjà si longue, me serait-il permis de réclamer encore pendant quelques instants l'attention de la chambre ? Je tâcherai de renfermer les observations que j'ai à vous présenter dans le cercle le plus étroit.

Au mois de novembre dernier, dans la discussion de l'adresse en réponse au discours du trône, j'exprimai l'opinion qu'un ministère composé d'éléments pris dans les deux grandes fractions de la chambre, me semblait la combinaison qui répondait le mieux aux exigences de la situation. Ma conviction est demeurée la même. Je pense qu'il est désirable que toutes les opinions sérieuses du pays aient des organes dans le parlement. J'aime mieux que ces opinions se manifestent au grand jour, qu'elles descendent de cette tribune, de manière à pouvoir être librement discutées et combattues, que de les voir se produire ailleurs et sous une autre forme.

Je pense également qu'en thèse générale, il est désirable que les grandes opinions qui divisent la chambre soient représentées dans le cabinet. Lors de la dernière crise, je formai le vœu que l'opinion libérale (pour me servir de l'expression reçue) eût sa place et une assez large place sur les bancs ministériels. Je voyais là une garantie d'ordre, de stabilité et de conciliation. J'avais l'espoir que par là, nos débats moins personnels, moins irritants, deviendraient plus féconds en résultats utiles au pays. C'était, à mes yeux, un avantage inappréciable. Mais à qui la faute si cette combinaison n'a pas réussi ? Les membres du cabinet ont-ils repoussé, répudié cette combinaison ? Est-ce par l'effet de la passion, de l'antipathie de leur part qu'elle ne s'est pas réalisée ? Je pense que personne, parmi nos adversaires, n'oserait l'affirmer. Si cette combinaison a échoué, c'est à des préoccupations que je respecte, mais que je déplore, qu'il faut en attribuer la cause. Le cabinet actuel ne peut et ne doit pas accepter la responsabilité de l'insuccès des démarches qui ont été faites.

Je regrette pour ma part d'autant plus vivement que ce résultat n'ait pas été obtenu, que je suis convaincu que les circonstances, plus fortes que la volonté de l'homme, nous ramèneront à une combinaison analogue.

On vous a dit « que les ministères mixtes sont l'état exceptionnel du pouvoir ». Je ne saurais partager cette opinion. En temps ordinaire quelles sont les questions à l'ordre du jour ? Des questions d'administration et de politique intérieure, des questions de finances, des questions d'industrie et de commerce. Ces questions, dans les temps calmes, impressionnent vivement le public ; elles se rattachent, tant dans l'ordre moral que dans l'ordre matériel, à des intérêts très susceptibles, très divergents, et qu'il est extrêmement difficile de concilier.

Sur la plupart des questions de cette nature, des concessions sont honorablement possibles.

L'expérience constante nous prouve d'ailleurs que ce n'est qu'à l'aide de concessions mutuelles que ces questions peuvent se résoudre.

Dès lors ne vaut-il pas mieux que de semblables questions dont la solution n'est possible, je le répète, qu'à l'aide de concessions réciproques, soient d'abord librement débattues et discutées dans le sein du cabinet ? Ne vaut-il pas mieux que les concessions, si elles sont reconnues indispensables, soient faites par les ministres eux-mêmes, plutôt que de les voir sortir enfin (comme cela est arrivé fréquemment) de longue et laborieuses discussions parlementaires ?

Lorsque, dans les premières années de notre régénération politique, nous avons eu des ministères mixtes, ces ministères étaient-ils justifiés uniquement par les circonstances extraordinaires où se trouvait le pays ? Je ne le pense pas. Il me semble que l'on trouverait plutôt dans cette position exceptionnelle un argument contre ces ministères.

En effet, de quoi se plaignait alors l'opinion publique ? D'une seule et grande pensée, du besoin de se prémunir contre le danger extérieur. Toutes les autres questions perdaient une grande partie de leur importance en présence de celle-là. Dans de pareilles conjonctures, que pouvait-on, que devait-on exiger des membres d'un cabinet ? De l'intelligence, de l'activité et surtout des intentions patriotiques. On pourrait soutenir, avec quelque raison, qu'à une pareille époque un ministère homogène offre des avantages que ne présente pas au même degré une combinaison mixte. Pourquoi, en effet, s'exposer dans le sein du cabinet, à des tiraillements sur des questions qui ne captivent que faiblement l'attention publique, absorbée tout entière par la nécessité de défendre et de consolider l'indépendance de la patrie ?

Hors de là, je persiste à penser qu'un ministère réellement mixte, c'est-à-dire un cabinet composé des représentants réels des grandes opinions qui divisent la chambre serait la combinaison qui répondrait au vœu le plus réel de la nation.

C'est avec un sentiment douloureux que j'ai aperçu dans cette discussion, la prétention de vouloir fractionner le pays et attribuer aux grandes ville, le monopole de l'intelligence des intérêts politiques.

J'aime à croire que ces paroles ont échappé un peu légèrement à l'orateur qui le premier les a prononcées dans cette enceinte. J'aime à croire que dans sa pensée elles n'avaient pas cette portée injurieuse que le public pourrait leur assigner.

Cependant il est de notre devoir de protester contre une semblable doctrine.

Le mandat de député n'est le patrimoine ni d'un homme ni d'une famille.

C'est un dépôt sacré que le corps électoral a confié à notre patriotisme, à nos talents, à notre courage.

(page 1150) Sans assumer envers nos commettants une immense responsabilité, vous ne pouvez pas souffrir que ce mandai s'amoindrisse entre vos mains.

Tôt ou tard vous serez obligés de rendre compte de ce dépôt et de le restituer tel que vous l'avez reçu, avec tous ses droits et toutes ses prérogatives.

L'honorable M. de Theux vous a déjà démontré combien cette doctrine nouvelle est peu en harmonie avec tout ce qui s'est passé en Belgique depuis 1850.

Permettez-moi d'ajouter quelques observations. En matière de gouvernement représentatif, la Belgique est encore bien jeune.

Elle a beaucoup à apprendre.

Elle fera sagement de ne pas trop se fier à elle-même et d'aller quelquefois puiser ses inspirations chez les peuples qui nous ont précédés dans la carrière constitutionnelle.

Or, je le demande, la doctrine pratiquée dans ces pays, est-elle conforme à celle qu'on a professée dans cette enceinte ; et les faits y justifient-ils cette doctrine ? En Angleterre, par exemple, les hommes les plus éminents du parlement, les conseillers de la couronne, ont-ils reçu leur mandat de la Capitale ou des autres grandes villes du royaume ? Le plus célèbre homme d'Etat de l'époque, le ministre dirigeant, sir Robert Peel, tient-il ce mandat du collège électoral de Londres, de Manchester ou de Liverpool ? Sir Robert Peel est le député de la ville de Tamworth. Son collègue, le ministre de l'intérieur sir James Graham, est élu par le bourg de Pembroke.

Lord Stanley, l'un des hommes les plus éminents du parlement anglais, qui a siégé plusieurs fois dans les conseils de la Couronne, est envoyé au parlement par un petit bourg du Lancashire. Lord Palmerston qui vous est plus particulièrement connu, lord Palmerston qui sous l'administration de lord Grey et celle de lord Melbourne a été ministre des affaires étrangères, doit son mandat aux électeurs de la petite ville de Twentown. Je n'en finirais pas si je voulais parcourir toute la liste des hommes éminents du parlement anglais qui ont siégé dans les conseils du Roi, et qui sont redevables de leur mandat soit à d'anciens bourgs pourris, soit à des localités presque inconnues.

Après cela, ne serait-on pas tenté de croire, comme l'affirment quelques hommes qui ont fait une étude particulière des institutions et des usages de l'Angleterre, que les hommes politiques qui paraissent destinés à gérer les affaires de ce noble pays, recherchent peu avidement la candidature dans les grands foyers d'activité commerciale et industrielle ? Ne serait-on pas tenté de croire que ces hommes d'Etat redoutent que ces grands centres d'industrie et de commerce ne pèsent d'un poids trop fort dans la balance et ne gênent tôt ou tard la liberté de leurs mouvements ?

Que voyons-nous dans un autre pays dont les institutions, les mœurs, les usages ont plus d'analogie avec les nôtres, que voyons-nous là ? Est-ce aux députés de la capitale que la sagesse du monarque a confié la direction des affaires de la France ? Vous savez que le cabinet actuel compte déjà six années d'existence ; c'est un des plus longs qu'il y ait eu depuis 1815. Eh bien, dans ce cabinet, vous ne comptez pas un seul député, soit de Paris, de Bordeaux, de Lyon, de Marseille, de Toulouse, de Lille, ni pour ainsi dire d'aucune grande ville de ce royaume. Les députés de Paris ne sont-ils pas presque tous, au contraire, dans l'opposition et quelques-uns même dans une opposition assez avancée ?

Je n'ai pas besoin de vous dire que M. Guizot, le chef du parti conservateur, le ministre dirigeant, l'homme qui depuis 1830 a pris une part si active et si glorieuse aux affaires de son pays, est le député du modeste arrondissement de Lisieux. M. Thiers, le chef de l'opposition, l'ancien président du conseil, dont on a fait, il y a quelque temps, un si juste éloge, M. Thiers, est-il l'élu de Paris, de Lyon ou de Bordeaux ? Non, messieurs, il est nommé par la petite ville d'Aix.

Une des illustrations du barreau français, M. Dupin, plusieurs fois président de la chambre des députés, et l'une des sommités du parlement, M. Dupin est envoyé à la chambre par une localité tellement insignifiante que nous n'en saurions pas le nom, si elle n'avait pas eu la gloire de nommer M. Dupin ; c'est Clamcey, très petite ville du département de la Nièvre.

L'illustre Royer Collard, l'homme qui avait mérité, si j'ai bonne mémoire, sept élections simultanées, a opté constamment pour la petite ville de Vitry-sur-Marne.

Vous voyez que la doctrine que l'on a voulu en quelque sorte inaugurer dans cette enceinte n'est conforme ni à la doctrine existante dans d'autres pays ni aux faits ; et que partout les faits viennent lui donner le plus éclatant démenti.

D'ailleurs je me permettrai de faire observer que cette doctrine est contraire à notre pacte fondamental. Quelle que soit notre origine, quelle que soit la localité qui nous a conféré le mandat en vertu duquel nous siégeons dans cette enceinte, nous sommes tous, sans distinction aucune, les représentants du pays. Nous sommes les représentants de la Belgique au même titre, nous avons tous les mêmes droits, les mêmes devoirs, les mêmes prérogatives.

M. de Chimay. -Je demande la parole.

M. de Muelenaere - Je ne reviendrai pas sur les diverses parties du programme qui a été si longuement discuté devant vous. Je demanderai seulement la permission de vous présenter quelques considérations sur le point qui m'a paru culminant dans ce débat, je veux parler de la dissolution.

La dissolution des chambres, messieurs, est une de vos grandes mesures constitutionnelles. Ce n'est pas sans de graves raisons que le législateur de 1830, que le congrès constituant a déposé ce principe dans notre code politique. Il en a mûrement scruté tous les avantages et tous les inconvénients ; il a dû se livrer à cet examen avec d'autant plus de soin, que le principe de la dissolution était nouveau dans nos mœurs, qu'il était inconnu dans nos anciens usages, et que même il avait été proscrit par le pacte fondamental de 1815. Je serais désolé, messieurs, que nos débats pussent avoir pour résultat de porter la moindre atteinte à cette grande faculté. Cette prérogative doit demeurer intacte ; elle doit demeurer entière hors de toute atteinte et telle que la Constitution l'a créée.

Un honorable membre vous a dit, avec une haute raison, que la dissolution n'est pas une de ces questions qu'on puisse examiner en théorie, et qu'en général toutes les questions d'autorité ne doivent pas se discuter au point de vue théorique, mais que c'est par l'appréciation des faits qu'il faut les résoudre. Voilà des prémisses nettement posées et qui me paraissent incontestables. Mais sommes-nous bien d'accord sur les conséquences logiques qui découlent de ces prémisses ?

Quel est, messieurs, le but de la dissolution ? En thèse générale, le but d'une dissolution, c'est d'appeler le pays à se prononcer sur un conflit existant entre le ministère et le parlement. Dans ce conflit, le ministère est nécessairement partie ; il est la partie principale. Je veux bien admettre que dans l'avenir les ministres seront doués de toute la sagesse, de toute la modération, de toute l'impartialité dont l'homme est capable ; cependant, l'acceptation d'un portefeuille ne les dépouillera pas complètement de toutes les faiblesses inhérentes à l'humanité.

Par la nature même de leurs fonctions, les ministres sont mêlés à tous les débats parlementaires ; ils y prennent une part très active. Or, je le demande de bonne foi, quel est l’homme, quel est le sage dont une opposition trop vive, une opposition trop irritante, trop personnelle surtout, n'exalte et n'irrite pas le caractère ? Quel est le sage dont une pareille opposition, qu'il croit toujours injuste, ne fausse pas quelquefois le jugement ?

La dissolution néanmoins ne peut jamais être un acte de légèreté ni un acte d'irritation ou de colère. A ce titre elle serait injustifiable devant le pays.

Mais, dira-t-on, dans ce cas le pays se prononcera contre le ministère. Ce n'est pas là, messieurs, qu'est le mal ; le mal est plus haut. Une dissolution qui ne serait pas suffisamment justifiée, compromettrait gravement nos institutions et leur ferait perdre dans l'opinion le respect auquel elles ont droit.

C'est en raison de ces considérations que le législateur a placé la dissolution au nombre des hautes prérogatives de la Couronne, et nous devons avoir un soin extrême que rien dans nos discussions ne porte atteinte à ces prérogatives.

Evidemment, messieurs, le Roi s'entourera de lumières, le cas échéant ; le Roi entendra les ministres, ses conseillers légaux et constitutionnels. Mais en dernière analyse cependant, c'est au Roi seul qu'il doit appartenir de prononcer entre le parlement et son ministère. Cet acte, dans toutes les hypothèses, doit être un acte entièrement libre de la sagesse royale. Aucune entrave, de quelque manière qu'elle soit, ne peut gêner l'exercice de cette prérogative. Cet acte, comme on vous l'a dit, messieurs, ne peut être fondé que sur l'appréciation froide et impartiale des faits. Mais cette appréciation ne suppose-t-elle pas que celui qui doit la faire est libre, entièrement libre de tout engagement préexistant, et qu'il ne se trouve sous l'empire d'aucune contrainte morale.

Je me résume sur la question de dissolution en ces termes : La dissolution est une mesure légale, régulière, constitutionnelle.

L'opportunité de cette mesure dépend de l'appréciation des faits qui la rendent utile ou nécessaire.

Dans toutes les hypothèses l'usage de cette faculté doit être un acte libre de la sagesse royale. Le Roi ne peut être lié par aucun engagement préexistant, de quelque nature qu'il soit.

Jusqu'au dernier moment le roi doit demeurer libre de donner tort au parlement et de le renvoyer au jugement du pays ou de donner tort à ses ministres et de les remplacer par d'autres. Tels sont, à mon avis, messieurs, les véritables principes. Voilà ce que veulent, le texte et l'esprit de nos institutions ; voilà ce que veut l'intérêt général.

M. d’Elhoungne. - Messieurs, je pense que la longue discussion à laquelle la chambre s'est livrée depuis plusieurs jours, ne lui a pas encore appris d'une manière nette et catégorique quelle est la marche que le ministère se propose de suivre. Cette discussion ne me paraît pas avoir davantage justifié l'avènement du cabinet actuel aux affaires.

Le cabinet, messieurs, à part quelques vagues déclarations de modération et d'impartialité, ne nous a pas appris quelle est la politique qu'il entend suivre ; et en effet la question qui a dominé la dernière crise ministérielle, la question qui a nécessairement dominé la formation même du ministère actuel, celle question qui doit être la première et la principale question de son programme, est précisément celle sur laquelle le ministère ne s'explique pas, sur laquelle les explications si incomplètes que les ministres nous ont données, se trouvent être contradictoires.

C'est en effet sur la question de l'enseignement moyen que le cabinet de l'honorable M. Van de Weyer s'est brisé ; c'est sur cette question que l'honorable M. Van de Weyer, comme représentant l'opinion libérale dans le cabinet précédent, avait pris des engagements envers l'opinion qui siège sur nos bancs. Vous vous rappelez tous, messieurs, que ce ministre avait promis de présenter un projet de loi sur l'enseignement moyen avant la discussion du budget de l'intérieur.

Or, si vous voulez vous reporter au programme que M. le ministre de l'intérieur est venu lire au début de cette discussion, vous verrez que le (page 1157) seul acte qui ressort de ce programme, la seule proposition qu'il présente à la chambre, est diamétralement contraire à l'engagement pris par l'honorable M. Van de Weyer. Au lieu de venir nous déclarer d'une manière franche et précise quelles sont les vues, quels sont les principes du ministère au sujet de l'enseignement moyen, le cabinet use de réticence. Il ne nous fait confidence, ni de ses projets, ni de ses principes, ni de ses intentions ; il nous déclare seulement qu'il demandera à la section centrale de 1834 de déposer son rapport, et il promet de faire résoudre la question, dans un esprit de patriotique conciliation.

Lors du discours prononcé par mon honorable ami M. Fleussu, M. le ministre des affaires étrangères a, sans hésiter, déclaré que le cabinet ferait connaître ses intentions à la section centrale complétée au vœu du programme ministériel.

Ainsi, messieurs, le premier et le principal article de la politique du ministère nouveau sera révélé dans le sein, j'ai presque dit dans le secret, d'une section centrale. Et ce ne sera pas dans le sein d'une section centrale composée des diverses opinions qui siègent dans la chambre, et nommée régulièrement d'après le règlement et l'usage, ce sera dans le sein d'une section centrale tout à fait anormale, puisqu'elle ne comptera dans ses rangs que des membres de la majorité. Ce sera donc une section centrale toute disposée, on peut le craindre, à prendre l'initiative de mesures devant lesquelles le gouvernement lui-même aurait reculé.

Que, s'il faut en croire les explications données par M. le ministre de l'intérieur dans le discours qu'il a prononcé samedi, ce ne serait plus dans le sein de la section centrale que les confidences ministérielles seraient versées, on attendrait que la section centrale ait déposé son rapport, et quand elle aurait pris l'initiative, quand elle aurait lié toutes les opinions, au moins une partie considérable des opinions de la chambre, le ministère viendrait faire connaître ses vues, ses projets.

C'est là, l'honorable M. Fleussu l'a fait remarquer par anticipation, c'est là faire un emprunt aux procédés trop employés par ces cabinets mixtes qui paraissent maintenant condamnés à toujours, au moins en pratique ; et nous pensons, mes honorables amis et moi, que ce premier acte du ministère, cet acte qui seul jusqu'ici caractérise sa politique, cet acte qui la rend parlementairement saisissable, nous ne pouvons l'admettre.

Je ferai par conséquent la proposition formelle de renvoyer aux sections actuelles le projet de loi de 1834, et d'inviter le cabinet à faire connaître les amendements qu'il nous a annoncés sur ce projet, afin que les sections puissent les examiner en même temps.

Ainsi se trouve clairement établie l'insuffisance des déclarations ministérielles sur les projets que le cabinet vient réaliser, et en premier lieu sur la question dominante, celle qui a déterminé la dernière crise, et la formation du ministère actuel. Sur cette grave question, il garde un silence que notre opinion peut considérer ou comme une menace ou comme une réticence inadmissible.

Il est également incontestable que le ministère actuel n'a pas justifié son avènement au pouvoir. Avec quelque bonne volonté qu'on l'apprécie, cette justification ne se révèle dans aucun des discours que MM. les ministres et leurs amis politiques ont prononcés dans cette longue discussion.

Si je ne me trompe, messieurs, le gouvernement constitutionnel, c'est le gouvernement du pays par le pays. Au bout de toutes les discussions, au bout de toutes les dissidences, de toutes les luttes politiques, on trouve en définitive le sentiment du pays qui prononce souverainement entre les partis.

Dès lors, messieurs, pour justifier l'exclusion de l'opinion libérale, pour légitimer l'avènement du ministère, dans lequel l'opinion contraire est représentée exclusivement, violemment (car l'honorable M. d'Huart nous a démontré qu'elle était violemment représentée dans le cabinet.....)

M. d’Huart, ministre d’Etat. - Il n'y a aucune violence dans mon discours.

M. d’Elhoungne. - Il y avait la violence de la forme, M. le ministre... Mais si le mot violemment déplaît à l'honorable M. d'Huart, je dirai énergiquement, ce qui lui sera agréable, sans doute, et exprime parfaitement ma pensée.

Je dis, messieurs, que pour faire admettre que l'opinion libérale n'avait pas le droit d'arriver au pouvoir, il faudrait prouver que le sentiment du pays repousse l'opinion libérale, et qu'elle appelle au pouvoir le ministère exclusif qui est aujourd'hui à la tête des affaires. Or, je demande si cette démonstration a seulement été essayée ?

Depuis 1840, dans toutes les crises ministérielles, l'opinion libérale s'est montrée toujours prête à provoquer, à subir le jugement du pays ; l'opinion contraire s'est toujours montrée effrayée du jugement du pays, l'épreuve des élections. Elle a même proclamé sans détour que si elle venait aux affaires, c'était pour empêcher l'appel au pays.

Messieurs, ce fait, d'une signification si éclatante, et les succès, et les progrès de l'opinion libérale ne démontrent pas seuls que le sentiment du pays est pour elle. Les aveux de MM. les ministres lui rendent ce juste bommage. N'avez-vous pas entendu l'honorable M. Dechamps déclarer, qu'à part le programme de M. Rogier, le ministère formé par cet honorable membre, aurait eu pour lui non seulement l'opinion, mais une majorité considérable dans les deux chambres ? Ainsi l'honorable M. Dechamps a dû convenir avec nous que le sentiment du pays se prononce pour nous ; que le pays veut avec nous l'indépendance du pouvoir civil ; que le pays veut avec nous un autre esprit que celui qui a présidé jusqu'à présent à l'administration ; que le pays ne veut, pas plus que nous, que l'enseignement, ce grand intérêt de l'avenir, soit aux mains et à la discrétion d'une seule opinion.

Plusieurs membres. - Nous sommes d'accord sur ce point.

M. d’Elhoungne. - Oui, nous sommes d'accord sur les mots ; mais nous y attachons une signification différente.

M. Rodenbach. - Nous voulons les choses et pas les mots.

M. d’Elhoungne. - Je sais bien que la tactique ordinaire de nos honorables adversaires consiste à se déclarer d'accord avec l'opinion libérale, à accepter toutes nos déclarations de principes. Mais je sais aussi que les actes posés par nos adversaires ne répondent guère à ces déclarations, ne respectent guère ces principes, et ne sauraient répondre aux vœux de l'opinion libérale.

S'il faut en croire les paroles de M. le ministre des affaires étrangères que j'ai citées tout à l'heure, l'opinion libérale aurait eu une majorité considérable dans les deux chambres, si ce n'avait été le programme de l'honorable M. Rogier.

Mais qu'est-ce donc que ce programme de M. Rogier ? Si c'est, comme vous le prétendez, une faute au point de vue de la Constitution, c'est la faute de quelques hommes. Or, la faute de quelques hommes n'empêche-pas que l'état et la force de l'opinion reste la même, par conséquent il ne faut pas, parce que quelques hommes du parti auraient commis une faute, exclure du gouvernement l'opinion libérale tout entière et appeler l'opinion contraire ; il faudrait plutôt renvoyer les hommes qui ont commis la faute devant leurs commettants, afin que ceux-ci choisissent des mandataires plus intelligents, plus capables ; il faudrait encore une fois en appeler au sentiment du pays. N'est-il pas sensible que c'est là ce que la raison et la logique auraient conseillé de faire si, comme je l'ai dit précédemment, le programme de M. Rogier était autre chose qu'un prétexte ? Qui ne voit qu'en excluant l'opinion libérale en même temps et au même titre que ceux de ses représentants que vous accusez de professer une théorie peu constitutionnelle, vous ralliez l'opinion libérale tout entière autour de ces hommes, vous faites de leur théorie un drapeau, et vous provoquez précisément, dans un avenir prochain, le résultat que vous dites vouloir éviter.

Messieurs, veuillez-vous rappeler un instant encore les différents motifs qui ont été successivement allégués dans cette discussion pour légitimer l'avènement du ministère qui siège devant vous, et demandez-vous si ces raisons présentent quelque chose de sérieux pour l'homme qui voit la situation du pays, qui suit le mouvement des esprits, qui pèse les hommes, et qui apprécie la nature et la portée des événements qui viennent se succéder ?

N'avez-vous pas entendu M. le ministre de l'intérieur reprocher à l'opinion libérale de chercher à détacher une partie du peuple du culte de ses pères ; de s'efforcer d'éloigner nos populations du respect légitimement dû aux ministres de la religion ? Mais, messieurs, depuis quand la religion est-elle en cause dans nos discussions ? S'agit-il entre nous d'autre chose que d'un débat politique ? Les convictions religieuses ont-elles été attaquées ? Etait-il nécessaire que M. le ministre de l'intérieur vînt les défendre ? Ah ! nous avons le droit de dire, nous qui voulons l'indépendance réciproque du pouvoir civil et du pouvoir religieux, que nous comprenons mieux que vous les intérêts vrais et durables de la religion. Consultez les enseignements trop négligés de l'histoire contemporaine ; demandez aux hommes de la restauration, ce qu'ils ont fait de la religion. Leurs fautes vous apprendront comment, en mêlant la religion aux intérêts positifs, aux affaires, on porte à la religion une atteinte longtemps irréparable. Elles vous apprendront qui a compromis en France ce qui ne devait jamais l'être, ce qui aurait dû rester toujours au-dessus des débats politiques.

La formation du ministère ne se relie donc à aucun danger qui menacerait la religion. Se rapporte-t-elle davantage au maintien des prérogatives de la Couronne, prérogatives compromises par la dissolution que demandait M. Rogier ? Déjà cette question paraît épuisée. Je dois cependant relever une opinion émise à ce sujet par M. le ministre des finances.

D'après cet honorable membre du cabinet, M. Rogier et ses amis voulaient gouverner à coups de dissolutions. Ils ne demandaient pas une seule dissolution, un seul appel au pays, ils demandaient une série de dissolutions successives.

C'est ainsi que M. le ministre des finances interprète le programme du cabinet qui n'a point été agréé par le Roi ; et nous le disons avec un sentiment pénible, messieurs, cette interprétation de M. le ministre nous fait supposer que le programme a été l'objet de commentaires bien injustes, bien immérités.

En effet, vous avez entendu l'honorable M. Rogier protester contre le sens évidemment forcé que M. le ministre a prêté au programme pour le dénaturer. Et je le dirai à mon tour, il va de soi que tous les cas de dissolution énumérés dans le programme, n'avaient, en définitive, qu'un seul but celui de consulter le pays sur la formation du ministère, de l'appeler à se prononcer sur la politique nouvelle que le ministère venait inaugurer. Mais quant à recourir à des dissolutions successives, quant à gouverner à coups de dissolutions, système que l'honorable M. Rodenbach a appelé le gouvernement du knout, personne dans l'opinion libérale n'y a songé. Il fallait, pour inventer ce programme, l'imagination de M. le ministre.

Je sais, messieurs, (et l'honorable membre qui vient de se rasseoir en est une preuve nouvelle) qu'il est des esprits distingués d'ailleurs qui considèrent la dissolution comme un fait entièrement anormal, comme un fait sur lequel il est impossible qu'il y ait un accord préalable et anticipé entra la Couronne et ses ministres. L'honorable membre a fait à ce sujet une excursion dans un pays voisin. Je me permettrai de l'y suivre, je rappellerai au souvenir de la chambre ce qui s'est passé en 1830, lors de la chute du ministère de lord Wellington. Dans cette crise lord Grey fut appelé par (page 1158) le roi pour former un cabinet. Lord Grey était le champion. le plus ancien de la réforme parlementaire, à laquelle aucune majorité n'était acquise ni dans l'une ni dans l'autre chambre.

Il fut donc obligé de demander comme condition de son avènement la permission de faire de la réforme parlementaire une question de cabinet. Eh bien, cette stipulation fut admise sans difficulté ; et lorsque dans la chambre des communes le vote d'un amendement eut entraîné le rejet du bill de réforme, lord Grey n'hésita pas à recourir à la dissolution dont il avait obtenu la promesse du roi à son entrée aux affaires. Et il est si vrai qu'il avait obtenu cette dissolution dès son entrée aux affaires, que dans la discussion à la chambre des communes, chacun parlait de la dissolution comme d'une chose certaine ; cela est si vrai que lord Grey, interpellé dans la chambre des lords par le marquis de Londonderry sur le point de savoir s'il dissoudrait la chambre des communes, lord Grey dis-je, répondit : qu'il ne pouvait pas s'expliquer catégoriquement sur cette question, mais qu'il donnait l'assurance à Sa Seigneurie qu'il ne reculerait devant aucun moyen constitutionnel pour assurer le succès du bill. Quelques jours après le bill de réforme ayant été repoussé à la chambre des communes, cette chambre fut dissoute, et les élections modifièrent la majorité.

Lorsque le bill fut présenté à la chambre des lords, il rencontra une nouvelle opposition. Lord Grey n'hésita pas à demander au roi la faculté de changer la majorité de la chambre des lords. Le roi recula d'abord devant cette demande ; il appela lord Wellington, qui voulut bien se dévouer pour former un cabinet tory, qui, moyennant la possession du pouvoir, aurait admis la réforme dans certaines limites.

Sir Robert Peel s'opposa à cette combinaison, qui n'eut point lieu ; et lord Grey, rappelé au ministère, vint déclarer à la chambre des lords que Sa Majesté l'avait investi des pouvoirs nécessaires à l'adoption du bill.

Ces faits, on doit le reconnaître, établissent assez qu'en Angleterre, on n'hésite pas à stipuler la dissolution par anticipation. On n'y croit point que la dissolution soit un arrêt que le souverain prononce entre la chambre et le ministère, mais une résolution par laquelle le roi consulte le pays sur l'opinion qui doit prévaloir dans le gouvernement. Lorsque la majorité est incertaine, lorsque la majorité n'est pas assez dessinée, lorsqu'il peut y avoir des doutes sur l'accord qui règne entre les représentants et les représentés, le roi, dans sa haute sagesse, fait un appel au pays qui, au moyen des élections manifeste sa volonté. Ce n'est point la une révolution légale, ce n'est pas un coup d'Etat, c'est l'exercice tout à fait ordinaire d'une prérogative presque toujours utile, souvent indispensable.

Mais le cabinet ne se borne point à contester en principe la demande d'une dissolution éventuelle. Il a saisi le pouvoir, nous a-t-on dit, dans le but et avec la pensée d'éviter l'agitation du pays, de calmer l'effervescence des passions politiques, de conjurer l'irritation qu'une dissolution entraîne toujours avec elle ! Je vous le demande, messieurs, est-ce devant vous, est-ce en présence de l'état du pays que l'on peut dire que le nom de M. de Theux, le nom de M. Malou, le nom de M. d'Huart auront l'heureux privilège de calmer l'agitation politique, d'apaiser l'effervescence des passions, de ramener en Belgique des élections où l'esprit de parti ne soit point poussé à ses dernières conséquences ? Est-il loisible de heurter la raison avec des prétextes mieux démentis par l'évidence ? Qui donc espère-t-on égarer par les paroles ? Faut-il le dire ? Jamais dissolution faite sous un ministère libéral n'aurait entraîné l'agitation que l'avènement d'un ministère purement catholique excite dans le pays.

On a parlé plus d'une fois, messieurs, d'intimidation. Le cabinet formé par l'honorable M. Rogier n'eût régné, dit-on, que par la peur. Mais je rappellerai à M. le ministre de l'intérieur que les cabinets mixtes auxquels il a succédé, les ministères mixtes auxquels il accordait l'appui de son vote, sinon sa sympathie, ont constamment usé d'un moyen d'intimidation. Et savez-vous quel était ce moyen ? C'était le nom de M. de Theux, c'était la menace de son avènement ! Pour entraîner les votes de quelques membres très modérés de notre opinion, pour les décider à se ranger dans la majorité mixte, on leur disait : « Prenez-y garde ! le jour où vous aurez renversé le ministère mixte, vous aurez un ministère de Theux, et voyez où cela mènerait le pays ! »

M. de Mérode. - M. Dolez le demandait.

M. Rodenbach. - M. Devaux le demandait aussi.

M. d’Elhoungne. - Eh bien, messieurs, nous n'avons pas besoin, nous non plus, de moyens d'intimidation ; nous n'avons pas besoin de nous poser en agitateurs, le nom de M. de Theux nous suffit ; il sera pour nous la plus puissante, la plus active des propagandes ; il nous assurera, à lui seul, le triomphe plus complet, plus décisif dans les élections...

M. de Mérode. - Vous devez être bien content.

M. d’Elhoungne. - Je sais, messieurs, que le ministère actuel nous promet d'être modéré, impartial. Je sais que M. le ministre de l'intérieur prétend que l'ancienne majorité peut encore lui donner son appui. Je sais que cet honorable ministre affirme qu'il gouvernera tout comme si le ministère était mixte. Mais, à mon tour, je demanderai si ce n'est pas là la justification du langage que l'opposition a tenu depuis plusieurs années. Messieurs, que disions-nous ? Que tout ministère mixte était une déception véritable ; qu'un ministère mixte était un ministère exclusivement catholique, qui, au lieu de tenir la balance entre les deux opinions de la chambre, subissait au contraire l'influence exclusive d'une seule opinion, et ne pouvait se maintenir au pouvoir qu'en faisant les affaires de cette opinion.

Vous me permettrez, messieurs, de faire ici un appel à ces honorables membres qui donnaient loyalement leur appui aux ministères mixtes, parce que leur modération y voyait un moyen de conciliation. Est-ce que le langage de M. le ministre de l'intérieur n'est pas parfaitement clair pour ces honorables membres ? Ne leur démontre-t-il pas que la politique que l'on va suivre désormais et que l'on a suivie jusqu'ici, est une politique exclusive, une politique qui proscrit notre opinion... ?

M. de Mérode. - Ce sont les proscripteurs qui sont proscrits.

M. d’Elhoungne. - L'aveu est précieux à recueillir. Il achèvera de convaincre les honorables membres dont j'ai parlé, que s'ils votaient avec le ministère actuel ils voteraient la proscription de l'opinion à laquelle ils ont toujours appartenu, et qu'ils croyaient servir encore lorsqu'ils donnaient leur assentiment au système mixte. Que ces honorables membres veuillent bien n'accepter qu'avec précaution les avances du ministère.

Messieurs, les membres du cabinet promettent que le système mixte va être pratiqué dans toute sa portée. Si l'application du système mixte est laissée à des membres qui n'appartiennent qu'à une seule opinion, c'est parce que les hommes ont fait défaut au système. L'honorable orateur qui a parlé avant moi a développé cette pensée avec son habileté accoutumée.

La réponse est facile, messieurs. Nous avons entendu dans cette discussion des hommes bien modérés sans doute ; nous avons entendu tout d'abord l'honorable M. Dolez déclarer que si une autre combinaison libérale eût été possible, ceux qui en eussent fait partie auraient aussi demandé le droit de dissoudre les chambres sur une question de cabinet. Ensuite, lorsqu'on a dit que les honorables MM. d'Hoffschmidt et Dumon-Dumortier, en acceptant la mission de former un cabinet, avaient les premiers accepté la responsabilité du rejet du programme de M. Rogier, on n'a point été juste pour ces hommes si estimables ; on n'a point compris ou l'on n'a pas voulu comprendre les explications que l'honorable M. dHoffschmidt a données. Les honorables MM. d’Hoffschmidt et Dumon-Dumortier, appelés en haut lieu pour recevoir la mission de former un ministère, n'ont pas demandé la dissolution, cela est vrai ; mais jamais l'honorable M. d'Hoffschmidt et l'honorable M. Dumon-Dumortier n'ont accepté la haute mission qu'on leur offrait : ces honorables membres sont entrés en conférence avec des hommes considérables de l'opinion modérée, qu'ils croyaient nécessaires à la formation d'un cabinet modéré et ayant échoué, ils n'ont pas accepté la mission qui leur était offerte. Ils n'ont donc pas eu à s'expliquer sur le programme qu'ils auraient soumis à S. M. Ils ont moins encore blâmé le programme de M. Rogier.

Ces faits répondent facilement aux considérations que M. le comte de Muelenaere vient de reproduire et de développer. Ils permettent de voir qu'il y a eu exclusion systématique de l'opinion libérale. On eût exclu, avec le même prétexte, les membres les plus modérés de cette opinion.

En présence de cette exclusion systématique et absolue, je me permettrai de rappeler à l'honorable M. de Muelenaere les paroles qu'il prononçait au mois de novembre, paroles auxquelles il a paru faire allusion, mais devant la citation desquelles il a sans doute reculé :

« Eh bien, je n'hésite pas à dire, déclarait M. le comte de Muelenaere, que si les opinions libérale et catholique veulent sincèrement une transaction, une conciliation, le moment de l'opérer me semble très opportun : de part et d'autre, cette conciliation peut être sincère, honorable ; elle peut porter pour le pays les plus heureux fruits. Je vois un honorable membre, dont je respecte beaucoup les opinions, me faire un signe négatif. Il croit probablement (d'ailleurs, il l'a dit en toute franchise) qu'un ministère mixte, un ministère composé d'éléments pris dans les deux grandes fractions de la chambre, est incapable d'opérer cette réunion que nous avons en vue entre l'opinion libérale et l'opinion catholique. L'honorable membre a une prédilection plus ou moins prononcée pour un ministère composé d'éléments pris dans une seule fraction de la chambre.

« Eh bien, je pense qu'il est impossible (je l'avoue franchement) de faire accepter de pareilles conditions par une opinion quelconque. Une opinion qui se sent un peu d'avenir et de force, ne consent jamais à se laisser humilier. Je conçois qu'on impose de pareilles conditions à une opinion, mais il faut préalablement que cette opinion soit vaincue, et vaincue à tel point qu'il y ait impossibilité pour elle de se relever de sa défaite. Dans ce cas, cette opinion subit ces conditions ; mais elle ne les accepte pas, et elle en appelle au lendemain. »

Eh bien, quelle est aujourd'hui la position de l'opinion libérale ? L'honorable comte de Mérode vous l'a dit, avec cette naïveté spirituelle qu'il apporte dans ces débats : les libéraux sont proscrits, on ne les ménage même plus : c'est l'ostracisme qu'on prononce contre eux, et chose étrange, c'est à l'ostracisme que crient nos proscripteurs.

M. de Mérode. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. d’Elhoungne. - Oh ! on a donné, pour nous proscrire, des raisons fort ingénieuses. Les ministres nous reprochent de n'être pas majorité !

Mais s'ils nous repoussent, parce que nous ne sommes pas majorité, je comprends difficilement la guerre que l'on fait à notre programme ; ce serait là une preuve nouvelle que le programme est moins coupable qu'on ne le dit. Mais allons au fond de l'objection et fixons bien sa signification.

Quand on dit à une opinion (et tous les ministres l'ont dit à la nôtre), quand on dit à une opinion qu'elle n'arrivera au pouvoir qu'au moment où elle aura la majorité, on lui déclare par la même une guerre à outrance ; on proclame qu'on ne fera ni concessions, ni transactions ; on nous signifie que nous n'arriverons aux affaires que lorsque notre opinion débordera en une majorité triomphante dans cette enceinte. Je ne conteste pas le droit de suivre ce système et de le professer hautement dans cette chambre, mais alors qu'on ne nous parle plus de modération, d'impartialité ! Ce serait une dérision.

(page 1150) A la vérité, on se flatte que le moment où nous serons majorité est bien loin encore. M. le ministre des finances nous a rappelé, non sans quelque orgueil, que les prédictions de l'opposition avalent été peu heureuses. « Il y a longtemps, s'est-il écrié, que j'entends dire que le flot monte, et cependant en regardant autour de moi je retrouve debout toujours cette même majorité catholique, majorité considérable, imposante. »

Mais que M. le ministre des finances soit moins prompt à écarter nos prévisions. Avant de les juger, qu'il vérifie lesquelles se sont le mieux réalisées, des siennes ou des nôtres. M. Malou et ses amis nous prédisaient la fusion des partis, l'extinction des passions politiques, la perpétuité des ministères mixtes, l'impossibilité des ministères exclusifs. Comment les faits ont-ils donné raison à M. Malou et à ses amis ? Les partis sont plus divisés que jamais ; les passions politiques sont exaspérées ; l'irritation est partout ; trois ministères mixtes sont tombés, après avoir vu leurs partisans les plus honorables succomber dans les élections ; enfin, nous avons devant nous un ministère exclusif, composé des noms les plus significatifs de l'opinion catholique...

M. de Foere. - Je demande la parole.

M. d’Elhoungne. - D'un autre côté, les rangs de l'opinion libérale se sont-ils éclaircis ? Se sont-ils fermés aux hommes modérés pour ne renfermer plus que des exagérés ? Une voix éloquente et impartiale l'a dit : Voyez nos bancs, comptez combien nous étions naguère, et combien nous sommes aujourd'hui, et dites-nous si les faits ont donné à nos prévisions le cruel et complet démenti qu'ont reçu les vôtres ?

M. le ministre des finances, d'ailleurs, en nous traitant de minorité impuissante, semble oublier qu'une opinion peut avoir la majorité dans le pays, sans l'avoir dans le parlement. C'est ce que la nature des choses explique. L'opinion qui possède le pouvoir, retire de cette possession un avantage immense. Elle est assurée d'obtenir une représentation qui dépasse ses forces réelles. Au contraire, l'opinion exclue du pouvoir, se présente seule dans la lutte électorale. Pour devenir majorité, il faut donc que son développement soit considérable. Voilà ce qu'on perd de vue dans ce débat. C'est là cependant la véritable position des partis. C'est là le vrai caractère de la situation, qu'un mot de M. Guizot me paraît peindre à merveille ; il disait :

« Ce n'est pas une chose facile que de surmonter un parti vaincu et qui cependant n'a pas renoncé. On ne sait pas quelle obstination et quelle ardeur sont déposées dans une dernière espérance. »

M. le ministre des affaires étrangères nous a recommandé l'exemple de lord John Russell, tout en lui prêtant un langage qu'il n'a jamais tenu. Lord John Russell, en effet, n'a pas dit à la reine : « Je ne veux pas du ministère, parce que mon opinion est en minorité dans le parlement. » Mais après avoir décliné la mission de former un cabinet, il a donné pour motif le refus de lord Grey. et quand même lord John Russell eût reculé devant une dissolution du parlement, parce que les lenteurs de la dissolution pouvaient empêcher de profiter des circonstances si favorables au rappel des lois sur les céréales, ce serait déjà un fait tout exceptionnel qu'on ne pourrait encore ériger en règle.

Quoi qu'il en soit, M. le ministre des affaires étrangères nous ayant proposé les exemples de l'Angleterre, je veux lui rappeler comment les hommes du parti conservateur comprennent les intérêts de ce parti. Certainement, avant la crise actuelle, les membres qui voulaient l'abrogation des lois sur les céréales, ne formaient qu'une minorité dans le parlement. Qu'a fait sir Robert Peel ? A-t-il dit à ses adversaires : « Vous n'avez pas la majorité, vous n’obtiendrez rien ; attendez que vous soyez majorité » ? Non, messieurs ; sir Robert Peel, plus prévoyant, plus habile que son propre parti, a pris l'initiative de la réforme que ses adversaires voulaient faire. Par cette conduite, par ce sage système de concession, il est arrivé à une transaction véritable, il lui a été possible de stipuler pour son parti les concessions que celui-ci n'aurait pas obtenues, s'il eût attendu l'arrivée d'une majorité contraire à la loi des céréales, pour en opérer le retrait. Voilà des exemples que MM. les ministres feraient bien de méditer.

Mais, messieurs, je n'ai pas besoin de prendre mes exemples chez l'étranger. Rappelez-vous le langage tenu au mois de novembre par M. le ministre des finances, par M. le ministre des affaires étrangères et par M. le comte de Muelenaere lui-même ; ces honorables membres reconnaissaient alors qu'on ne pouvait pas proscrire l'opinion libérale ; ils prétendaient que l'opinion libérale devait être presque prépondérante dans le cabinet. Or, est-ce que l'opinion libérale a perdu du terrain depuis lors ? Est-elle plus faible, plus désunie ? Est-elle moins digne des égards de la majorité dans cette enceinte ?

M. le ministre des finances nous a provoqués plusieurs fois aussi à discuter les grands intérêts du pays ; il nous a dit que c'était le triomphe de l'opposition que d'imposer ses vues au gouvernement, que de forcer le gouvernement à exécuter les mesures qu'elle signalait à sa sollicitude. Eh bien, M. le ministre des finances, cette victoire que vous indiquiez à notre ambition, elle vous a déjà été accordée par l'honorable M. Dechamps ; n'est-il pas venu déclarer en effet que le cabinet était prêt à exécuter le programme de l'honorable M. Rogier ? Ainsi, rien ne manque à notre triomphe ; les mesures que nous voulions exécuter, vous les acceptez ; vous acceptez les conditions que le parti libéral mettait à son entrée aux affaires ; vous n'avez l'espoir de vous maintenir au pouvoir, de vivre ministériellement et gouvernementalement qu'en faisant au pouvoir que ce que nous y aurions fait.

Voici la motion que j'ai l'honneur de faire et que j'ai développée : « Que la chambre ordonne le renvoi aux sections actuelles du projet de loi de 1834 sur l'enseignement moyen, qu'elle invite le ministère à déposer, les amendements dont il a annoncé la présentation, afin que les sections puissent les examiner en même temps que ce projet de loi. »

M. de Mérode (pour un fait personnel). - Je n'ai pas dit que les proscripteurs étaient proscrits par nous. Je me suis fortement explique de la manière la plus positive contre toute proscription et toute exclusion quelconque, dans mon dernier discours notamment. Mais j'ai interrompu M. d'Elhoungne qui transformait les proscripteurs en proscrits dans son langage pour lui dire : vous appelez les proscrits les proscripteurs, ces proscripteurs qui ont si bien effrayé certains hommes que j'appellerai mitoyens entre les opinions prononcées contraires qu'ils n'ont pas pu, selon ce qui vient d'être dit à l'instant même par M. d'Elhoungne, former un cabinet, car ce n'est pas de notre faute s'ils n'ont pas réussi.

- La proposition de M. d'Elhoungne est appuyée. Elle fera partie de la discussion.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, il y a cinq années que s'agitait devant vous une grande discussion politique ; c'était à propos du budget du ministère des travaux publics, c'était en présence d'un ministère qui comptait une année d'existence. Depuis le commencement du débat actuel, j'ai relu, car alors je ne faisais pas encre partie de la chambre, j'ai relu cette discussion. Qu'y ai-je vu ? A mon grand étonnement que le ministère d'alors, qui avait une année d'existence, reprochait à l'opposition de lui faire un procès de tendance, de ne pouvoir articuler aucun mot, de condamner une opinion. Et que voyons nous aujourd'hui ? Le ministère qui est devant vous, vient à peine de naître ; il n'a pu poser aucun acte ; et vous le condamnez, au nom de son avenir ; car vous le déclarez vous-mêmes, vous nous avez donné à tous des témoignages tels que vous ne pouvez pas condamner notre passé.

Dans la discussion même, combien de fois n'avons-nous pas vu reparaître, à toutes les époques depuis 1841, ce grief que l'opinion libérale avait été injustement expulsée du pouvoir en 1841 ? Ç'a toujours été là le fond des reproches qu'on a adressés à ceux qui ont succède à ce cabinet ; si je me rappelle bien, l'honorable M. Lebeau a été jusqu'à dire que c'était une immoralité politique.

Un membre. - Une iniquité !

M. le ministre des finances (M. Malou). - Soit ; j'accepte la rectification, une iniquité que l'on ne pouvait pas oublier. J'espère que désormais du moins en présence de ce que nous voyons, ce grief ne se reproduira plus, car ce que vous faites aujourd'hui est dix fois plus inique, si tant est que les partis n'aient pas le droit de s'attaquer les uns les autres.

Qu'avons-nous vu encore depuis cette époque ?

Chaque fois qu'on combattait les ministères mixtes qui existaient, au nom de quelle idée les combattait-on ? Quels étaient les hommes qu'on appelait sur ces bancs ? On disait que les ministères homogènes étaient les seuls qui convinssent à la situation du pays, les seuls qui fussent compatibles avec la dignité des hommes, avec la moralité politique.

Combien de fois, notamment, n'a-t-on pas appelé notre honorable collègue de l'intérieur au banc des ministres ? A peine y est-il que vous voyez dans chaque péroraison se dresser devant vous une révolution ; chaque péroraison se termine par ce mot : Malheur ! malheur au pays !

J'entends toujours dans ces débats articuler les mots : libéraux et catholiques. A Dieu ne plaise que je nie l'existence des partis ! Dans tout pays qui jouit d'institutions libres, les hommes se divisent nécessairement d'après les tendances, d'après les opinions. Cependant il ne faut pas rester sur ce terrain vague que le libéralisme est le soleil du monde moral, la religion du progrès, car personne n'est tenté de blasphémer ce soleil. Il faut aller au fond des choses, il faut voir quelles sont les idées qui s'abritent sous ces mots, quelle est la valeur réelle qu'il faut y rattacher.

J'ai longuement réfléchi à la signification de ces mots : libéraux et catholiques. Hier, l'honorable M. Oy disait : «. Je me crois libéral et je me crois également catholique. »

Et, messieurs, ce est-il un seul parmi nous qui ne se définisse ainsi ? En est-il un seul qui croie que le catholicisme exclut les opinions libérales ?

Cette opposition qu'on cherche à établir entre les libéraux et les catholiques, où réside-t-elle ? Quand j'ai analysé tout ce que vous avez dit à cette tribune, je n'ai trouvé d’autre signification que ce que l'appelle, ce que vous appelez vous-mêmes un préjugé ; c'est le préjugé de l'influence occulte. Au fond, quand on analyse nos débats, on ne trouve pas d'autre signification sérieuse que celle-là, que c'est un préjugé qui nous sépare. Quoi qu'on vienne vous dire de l'exclusion de l'opinion libérale, les honorables membres qui s'attribuent cette qualification, ont presque exclusivement siégé au pouvoir, et l’un d'eux a déclaré, dans une circonstance solennelle, que cette influence occulte, il n'y croyait pas.

C'est au nom d'un préjugé, au nom d'un préjugé reconnu par vous-mêmes, que cette agitation dont on vous parlait tout à l'heure se propage dans le pays. Mais, messieurs, je m'étonne d'autre chose encore ; vous nourrissez ce préjugé, vous nous condamnez au nom de ce préjugé et vous ajoutez en même temps, que vous seuls pouvez sauver l'avenir du pays, parce que vous avez peur des partis extrêmes. Si vous craignez les partis extrêmes, si vous redoutez leur avènement, tournez-vous dès à présent du côté de ceux qui sont conservateurs, apportez-leur votre appui, ne les condamnez pas au nom d'un préjugé.

Ainsi, messieurs, et je reproduis cette observation : d'une part, vous nous condamnez au nom de l'influence occulte que vous prétendez que nous subissons et, d'autre part, vous déclarez que vous avez peur des partis extrêmes qui s'agitent dans l'opinion libérale. Dans cette situation, vous préférez développer dans le pays ce préjugé, que de vous tourner vers le pouvoir, vers le pouvoir conservateur dont vous partagez les opinions. La Constitution a établi d'une manière telle la séparation des pouvoirs, (page 1160) que cette question de l'influence occulte doit réellement disparaître de nos débats. Oh ! messieurs, je le sais, dans certaine opinion extra-parlementaire on appelle influence occulte l'exercice de certains droits constitutionnels Si c'est là ce qu'on appelle influence occulte, qu'on ait le courage de le dire.

L'influence occulte s'exerce encore, dit-on, par index et encycliques. Mais est-il quelqu'un qui ne puisse faire la différence entre la tolérance civile et l'approbation des actes ? C'est au nom de la liberté que vous condamnez la liberté quand vous parlez ainsi.

On aurait le droit de publier par la presse toute opinion quelconque et on n'aurait pas le droit de qualifier ces opinions par la presse ! Au nom de la liberté de la presse et par la liberté de la presse, on condamnerait la liberté de la presse elle-même.

Nous voulons conserver nos institutions, nous voulons les développer dans l'ordre moral et matériel. Dans le programme de 1840 que j'ai relu, la même pensée, le même but est assigné aux efforts du gouvernement ; alors aussi le cabinet se plaçait sur ce terrain sur lequel je désire que le gouvernement reste toujours ; pour conserver nos institutions libérales, les développer dans un esprit de progrès et féconder tous les germes de prospérité du pays, il faisait appel à toutes les opinions modérées et franchement constitutionnelles.

Il y a loin de là, messieurs, vous le voyez, à une proscription, à une guerre à outrance qui n'admettrait ni transaction ni conciliation ; il y a loin de là à la portée donnée à nos paroles. Nous voulons que le gouvernement reste sur le terrain où il s'est toujours maintenu depuis 1830. Nous voulons par notre présence opérer cette œuvre de conciliation que toutes les opinions modérées et franchement constitutionnelles appellent depuis plusieurs années. J'arrive à un autre point du discours de l'honorable M. d'Elhoungne.

J'ai défendu dans cette enceinte le système des ministères mixtes. Je le considérais comme devant plus facilement que d'autres amener cette œuvre de conciliation qui depuis longtemps est dans le vœu de tous les bons citoyens.

Si cette œuvre pouvait être mieux accomplie par d'autres, très volontiers, je les aiderais à l'accomplir. Mais de ce que le ministère actuel n'est pas mixte comme les précédents par sa composition, est-on recevable à présenter cette composition comme vicieuse et à en tirer des conclusions comme vient de le faire l'honorable membre alors qu'aucun acte n'a été posé par le ministère qui puisse faire croire qu'il repousse tout progrès et refuse de faire droit aux prétentions légitimes de l'opinion libérale ?

Je vois que dans nos débats on fausse complétement la position du gouvernement car dit l'honorable M. Rogier, vous voulez faire nos affaires, nous voulons les faire nous-mêmes. C'est une idée complétement fausse que nous combattons. Vous supposez que, dans un pays comme le nôtre on puisse gouverner au nom d'un parti ; le gouvernement ne peut s'exercer qu'au nom de la nation, conformément à l’ensemble de ses intérêts. En ce sens je me suis toujours exprimé ; en ce sens le ministère agira toujours.

J'entends dire que l'opinion libérale a été constamment exclue du pouvoir.

Dans le nombre des ministères qui se sont succédé au pouvoir depuis 1830, je me demande combien de membres de l'opinion libérale ont passé aux affaires et combien appartenaient à l'opinion catholique. D'une part, il y en a eu, je crois 24 et de l'autre 6 ou 7,

Un membre. - Neuf !

M. le ministre des finances (M. Malou). - Voilà donc un premier symptôme d'exclusion !

L'opinion libérale est exclue du pouvoir ? Qu'avons-nous vu dans les dernières crises ? L'honorable M. Rogier appelé au mois de juin comme dans la crise actuelle, à composer un ministère ; ensuite l'honorable M. Van de Weyer, chargé de former un cabinet ; l'honorable M. Rogier chargé également de former un cabinet ! Les honorables MM. de Brouckere, d'Hoffschmidt et Dumon-Dumortier chargés de former un cabinet ! Et vous diriez que l'opinion libérale est systématiquement écartée du pouvoir ! Mais à qui prétendez-vous le faire accroire dans le pays ?

Pourquoi l'opinion libérale n'est-elle pas au pouvoir ? C'est parce qu'elle ne l'a pas voulu. Si elle avait foi en elle-même, si elle avait cru qu'elle pouvait gouverner, conformément à l'ensemble de nos institutions, elle n'eût pas soumis au Roi ce programme, qui est la cause de sa non-présence aux affaires en ce moment.

Nous attaquons ce programme.

Hier, dans les explications qui ont été lues au nom de l'honorable M. Delfosse, on disait que ce programme n'excluait pas l'appréciation des faits. On disait aussi qu'il ne s'agissait pas de dissolutions successives. J'ai lu et relu ce programme, et je me demande s'il est possible d’y donner ces différentes interprétations.

Jusqu'aux élections de juin 1847, dissolution éventuelle des chambres dans les différentes hypothèses posées par le programme !! Je demanderai, à mon tour, s'il se trouve dans le programme un seul mot qui laisse supposer que l’engagement n'était pas limité seulement par le temps, mais tacitement limité par l'appréciation ultérieure des circonstances. Je l'admets un instant. Je vais plus loin : je suppose que l'honorable M. Rogier n'ait pas publié cette partie du programme. Qu'importe ? La question est toute en principe ; il s'agit de savoir si un ministère peut réclamer un tel droit, s'il peut se faire attribuer la prérogative du Roi. Du plus ou du moins, il ne peut en être question ; il s'agit du principe en lui-même.

L'honorable M. d'Elhoungne vous a cite un exemple de ce qui s'est passé en Angleterre à propos du bill de réforme. Eh bien, il y a identité complète entre les faits qu'il a cités et l'opinion que nous avons défendue. Nous disons qu'en principe constitutionnel un ministère qui entre aux affaires peut demander au Roi la dissolution des chambres sur un projet déterminé quand il est connu par avance. C'est ainsi que lord Grey a agi lorsque le bill de réforme a été présenté. Ici que faisait-on au contraire ? On demandait la dissolution sur le projet de loi d'enseignement, qui n'était pas connu.

M. Rogier. - C'est une erreur. Sa Majesté connaissait les vues du cabinet au sujet du projet de loi sur l'enseignement moyen. Elle les a appréciées et approuvées.

M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est un exemple que je cite au hasard. J'aurais pu prendre tout autre numéro du programme se rattachant à la dissolution. Si le Roi avait apprécié les idées de l'honorable membre sur le projet de loi d'enseignement moyen, il n'avait pas apprécié les questions futures de confiance, de budget, d'opposition journalière et combinée. De sorte que mon observation subsiste dans toute sa force.

Je prenais un exemple ; je pourrais en prendre dix.

Je disais qu'au lieu de demander la dissolution sur un projet déterminé, on la demandait sur une foule d'hypothèses, qui n'étaient déterminées que quant au temps.

La doctrine que nous soutenons est entièrement conforme aux principes développés par l'honorablet M. d'Elhoungne.

J'accepte aussi la réserve faite par mon honorable ancien collègue M. d'Hoffschmidt. En effet il admettait la dissolution sur la question d'enseignement, mais sur un projet déterminé.

Il y a, il est vrai, une autre manière d'interpréter ce programme. On dit que l'abandon pour un temps limité de la prérogative royale est un usage de cette prérogative. On dit que le Roi use de sa prérogative, lorsqu'il l'abandonne pour un temps déterminé.

Il est de l'essence de cette prérogative royale de juger en pleine liberté, d'après les circonstances, s'il y a lieu de préférer la dissolution des chambres à la dislocation du cabinet. Du moment qu'on ne conserve pas cette liberté, la Constitution est violée dans son texte et dans son esprit ; la prérogative a disparu.

Dois-je ajouter un mot sur une partie du discours de l'honorable M. Lebeau ? Cet honorable membre vous a dit que lui et ses amis, en 1831, avaient voté pour la monarchie constitutionnelle, non parce qu'il pensait que la Belgique ne fût pas mûre pour la république, mais parce qu'il croyait que la position géographique du pays ne comporte pas une république.

Pour nous, la monarchie constitutionnelle n'est pas une question de géographie. Nous considérons la monarchie, suivant l'expression d'un vétéran du libéralisme, comme la meilleure des républiques. Si nous préférons la monarchie constitutionnelle à tout autre système de gouvernement, ce n'est pas parce que la Belgique est au milieu de l'Europe, c'est parce que ce mode de gouvernement satisfait à ce besoin d'ordre et de liberté qui est un des besoins du pays.

M. Lebeau. - La géographie n'est qu'une de mes raisons. J'ai été assez clair là-dessus.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Pour résumer ces observations, je dirai que le ministère, dans sa composition, dans les explications qu'il a données, n'indique aucune idée d'exclusion de prescription, que son vœu le plus cher est de diriger les affaires avec cet esprit d'impartialité qui est le seul véritablement constitutionnel, que si l'opinion libérale n'est pas au pouvoir (je le dis encore) c'est parce qu'elle a voulu entrer au pouvoir d’une manière qui ne lui permettait pas de faire convenablement les affaires du pays.

M. le président. - Neuf orateurs sont inscrits. Je désirerais savoir si la chambre entend ne voter sur la motion de M. d'Elhoungne qu'à la fin de la discussion. (Oui ! oui !)

M. d’Elhoungne. - Dans ma pensée la motion ressort des débats ; elle en est la conséquence. Il en est de même dans la pensée de mes honorables amis.

M. Orts. - C'est à la séance du 24 avril que j'ai demandé la parole, pour répondre à une imputation de l'honorable député de Turnhout, imputation qui constituait presque un fait personnel, si pas sous le rapport parlementaire, au moins eu égard à mes opinions politiques et à mes sentiments personnels.

Aujourd'hui, les observations de l'honorable M. Dubus ont acquis par la discussion, et surtout par la motion de l'honorable M. d'Elhoungne, une portée qui nécessairement m'oblige à y répondre.

L'honorable M. Dubus m'a reproché de sacrifier moi-même la liberté communale, parce que je combattais l'article 5 du projet de 1834, qui consacrait, dit-il, cette liberté dans le sens le plus illimité. Selon lui, d'après le projet deloi de 1834, les communes devaient jouir d'une liberté aussi entière que tout autre citoyen ; elles avaient une indépendance telle qu'il était impossible qu'en combattant les dispositions de cette loi on ne se constituât pas l'adversaire de la liberté communale en cette matière, de l'indépendance des communes.

Je prends à tâche, en ce moment, de démontrer que non seulement il est impossible de voir dans les articles 5 et 31 du projet de 1834, ce que veut y voir l'honorable membre auquel je réponds, mais que si telle avait été la portée du projet de 1834, il aurait violé la Constitution.

Une première observation, c'est que l'article 5 du projet de 1834 est relatif non pas aux écoles moyennes communales, mais aux écoles primaires. Il porte :

« Art. 5. Lorsque les communes établissent des écoles a leurs frais, elles jouissent, comme tous les citoyens, d'une liberté entière, soit pour (page 1181) nommer, suspendre ou révoquer les instituteurs, soit pour fixer leur traitement, soit pour diriger l'instruction, »

S'occupant ensuite des écoles moyennes, le même projet de loi porte : « Art. 31. Les écoles moyennes communales, même lorsqu'elles reçoivent des subsides de l'Etat, sont librement administrées par les communes. »

Je demande si, soit dans l'article 3 relatif aux écoles primaires, soit dans l'article 31 qui nous occupe, on pouvait avoir entendu que cette liberté accordée aux communes, quant à l'administration de leurs établissements et à la nomination du personnel enseignant, put aller jusqu'à donner à une commune, qui est un corps constitué dans l'Etat, la faculté d'aliéner sa liberté, son droit, et au profit de qui ? Est-ce au profit d'un autre corps constitué dans l'Etat ? Non, mais au profit d'une personne privée, qui n'est investie d'aucunes fondions publiques, qui n'est dépositaire d'aucune partie du pouvoir civil.

Comme on l'a fort bien dit (et j'ai souvent entendu énoncer ce principe dans cette enceinte) : il n'y a pas de droit contre le droit. De même il n'y a pas de liberté contre la liberté. Lorsque la Constitution attribue des droits à des corps constitués, et que ces corps s'en dépouillent au profit d'autrui, ils aliènent une portion de l'autorité publique, dont ils n'étaient que les dépositaires. C'est ce qui est défendu non seulement par les principes les plus élémentaires en matière de droit public, mais par notre Constitution même. C'est ce que j'ai à vous démontrer.

Notre Constitution, à son article 25, a consacré le principe que tous les pouvoirs émanent de la nation, qu'ils sont exercés de la manière établie par la Constitution. Le titre III de la Constitution traite des pouvoirs ; il se divise en 4 chapitres : le pouvoir législatif ; le pouvoir exécutif (le Roi) ; le pouvoir judiciaire ; et au chapitre IV, il est traité des institutions provinciales et communales, qui, par délégation, exercent de véritables pouvoirs, comme investies d'une portion de l'autorite civile, telle qu'elle est déterminée par la loi.

L'article 108 de la Constitution, placé sous la rubrique des institutions provinciales ou communales, pose ce principe :

« Les institutions provinciales et communales sont réglées par des lois.

« Ces lois consacrent l'application des principes suivants :

« 1° …

« 2° L'attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d'intérêt provincial et communal, sans préjudice de l'approbation de leurs actes, dans les cas et suivant le mode que la loi détermine. »

N'est-il pas vrai qu'en présence des termes de cet article le raisonnement le plus simple mène à la conclusion que j'ai indiquée d'avance ? L'enseignement confié à la commune est un objet d'intérêt communal, on ne le niera pas ; or l'article. 84 de la loi communale attribue exclusivement aux conseils communaux la nomination et la révocation du personnel des établissements communaux d'instruction publique ; donc (et la conclusion est rigoureuse en logique) il est évident que ces attributions sont une application du principe constitutionnel, écrit dans l'article 108, et qu'il n'est pas permis aux fonctionnaires à qui la loi communale a confié ces attributions de s'en dépouiller au profit de tierces personnes, qui ne sont dépositaires d'aucune autorité civile.

C'est dans ce sens que la Constitution avait été entendue par l'honorable chef du cabinet qui est venu se briser contre l'opposition de ses collègues ; car, dans le rapport qui nous a été transmis, l'honorable M. Van de Weyer disait : « qu'il ne pouvait admettre, en ce qui concerne surtout ta liberté illimitée que l'on attribuait aux communes, la portée et le sens que l'on donnait aux principes généraux posés à cet égard dans le projet de 1854. qu'il considérait l'application qu'on voulait faire de ces principes comme contraires à la Constitution et en contradiction avec les dispositions analogues de la loi sur l'instruction primaire. »

Ainsi, vous le voyez, messieurs, la cause du dissentiment entre l'honorable M. Van de Weyer et ses collègues était dans l'interprétation d'un article formel de notre Constitution, et cet article ne pouvait être autre que l'article 108.

C'est dans cette pensée que l'honorable M. Van de Weyer proposait de substituer aux articles 31 et 5 du projet de 1834, ce principe puisé dans la Constitution même : « Les communes ne peuvent déléguer à un tiers l'autorité que la loi leur confère sur leurs établissements d'instruction moyenne, et les transactions de l'espèce intervenues antérieurement à la présente loi sont nulles et de nul effet pour l'avenir. »

Ce principe, messieurs, ressortirait, comme j'ai eu l'honneur de vous le faire voir, et de la Constitution article 108, et de la loi communale du 30 mars 1836, article 84 ; il avait reçu en outre son application directe dans la loi du 23 septembre 1842 par laquelle vous avez conféré exclusivement aux conseils communaux le pouvoir de nommer leurs instituteurs ; et certes, messieurs, il ne peut entrer dans la tête de personne, en présence de la loi sur l'enseignement primaire, qu'il soit permis à une commune de déléguer à d'autres une attribution spéciale de cette nature.

Mais voyez, messieurs, où la doctrine contraire nous mènerait. Nous sommes d'accord que les communes comme les provinces, forment, en raison de la délégation que leur fait la loi, une partie intégrante du pouvoir, de l'Etat, comme le sénat, comme la chambre des représentants, comme le pouvoir exécutif ou le roi. La Constitution a attribué à la chambre des représentants la nomination des membres de la cour des comptes. Or, messieurs, croyez-vous qu'il vous serait possible de déléguer le droit de nommer les membres de la cour des comptes, je ne dirai pas à une autorité privée, cela est évident, mais même à une autre autorité quelconque dans l'Etat ? Vous ne le pourriez pas.

Les cours de justice sont investies du droit de présentation de candidats ; elles sont investies du droit de nommer leurs présidents.

Croyez-vous que ces cours pourraient déférer à un autre ce droit de nomination et de présentation ? Mais évidemment non. Or, si les cours, auxquelles appartient le droit de nomination dans certains cas, la chambre des représentants, à laquelle il appartient dans d'autres cas, ne peuvent pas déléguer au profit de personnes privées ce droit de nomination, comment conçoit-on qu'un conseil communal puisse le faire ? Cela, messieurs, me paraît élémentaire ; il est impossible, sans violer l'essence des lois communale et provinciale, d'établir que les conseils communaux et les conseils provinciaux puissent se dessaisir du pouvoir que la loi leur délègue.

On vous l'a dit, messieurs, dans le projet de loi de 1834, on avait posé un principe qui a été complétement abandonné, même dans la loi sur l'instruction primaire. J'ai, dans un discours antérieur, démontré cette vérité ; elle est tellement incontestable que je n'y reviendrai plus.

Mais pourquoi, entre l'année 1834 qui a vu naître le projet que l'on propose de renvoyer à la section centrale, et l'année 1842, époque à laquelle la loi sur l'enseignement primaire a vu le jour, des motifs graves ont-ils fait apprécier la nécessité de persister dans le principe constitutionnel, de ne pas permettre aux communes de déléguer leurs pouvoirs en matière d'enseignement ?

Messieurs, deux faits sont venus se placer entre ces deux époques ; deux faits qui doivent plus que jamais appeler l'attention de tous ceux qui sont jaloux de maintenir au pouvoir civil ses prérogatives, de ne pas souffrir le moindre empiétement. Ces faits, messieurs, les voici :

Dans cet espace de temps, douze ou quinze conseils communaux, tous indépendants, ont abandonné en faveur de l'épiscopat le choix de nomination, le droit de direction que leur conférait la loi communale même. Dans un rapport que l'honorable M. Nothomb vous a fait en 1843, on les énumère tous, messieurs, et sur nos neuf provinces, il n'y en a qu'une où des conventions du genre de celles que l'on a désignées sous le nom de convention de Tournay, ne soient pas intervenues, c'est la province du Luxembourg. Dans toutes les autres provinces, des transactions de cette espèce ont eu lieu entre l'épiscopat et les communes, et cela est passé inaperçu jusqu'à ce qu'au mois de novembre dernier, si je ne me trompe, l'éveil a été donné. Alors on a reconnu jusqu'où, l'autorité ayant fermé les yeux sur un pareil abus, les choses pouvaient aller.

Mais d'un autre côté, messieurs, les prétentions de l'autorité spirituelle ont dû faire la plus vive impression sur l'opinion de ceux qui pensent devoir maintenir les prérogatives de l'autorité civile.

En effet, dès l'année 1841, dans un écrit intitulé : « Réponse à un honorable membre de la chambre législative », un prélat s'exprimait ainsi : « Il faut au clergé une part dans le choix ou la nomination de tous les professeurs et maîtres d'écoles et de collèges où vous appelez à coopérer à vos travaux ; sinon, vous l'obligez à la retraite. » Dans un autre ouvrage du même auteur, intitulé : « Analyse des vrais principes », on lit : « Nul candidat ne peut être légalement placé, s'il n'a été reconnu par l'Eglise apte, vu son instruction religieuse et sa conduite, à faire remplir à l'école sa principale mission, s'il n'est enfin pourvu d'un certificat d'aptitude morale émanant de l'autorité ecclésiastique. »

Certes, messieurs, il n'est pas dans ma pensée de vouloir soutenir que, lorsqu'il s'agit de l'enseignement de la religion, l'autorité ecclésiastique n'ait le droit, lorsqu'elle accorde son concours, de contrôler l’enseignement. Ce serait une opinion qui ne pourrait être soutenue, sans méconnaître et l’indépendance du clergé consacrée par notre Constitution, et sa dignité et ses droits. Mais lorsqu'il s'agit de l’enseignement des sciences, lorsqu'il s'agit des lettres, faut-il qu'un professeur soit porteur d'un certificat d'aptitude et de moralité émané de l'autorité ecclésiastique ? Faut-il qu'aucun professeur (car on dit tous les professeurs), qu'aucun professeur de collège ne puisse être nommer, si préalablement il n'a élt agréé par le clergé ? Voilà, cependant, messieurs, où conduisent de pareilles maximes.

C'étaient là des professions de foi, c'étaient là des opinions. Mais ces opinions se sont traduites en faits. Et voulez-vous connaître les faits qui ont sanctionné cette opinion ?

Ces faits, messieurs, ne sont autres que les conventions par lesquelles des communes, se dépouillant de leur droit écrit dans l'article 84 de la loi communale et dans la Constitution même, ont aliéné la liberté qu'elles ont, le droit écrit pour elles dans la loi, en faveur de tiers, et ces tiers ne sont autres que les membres du clergé. Car jusqu'ici je ne crois pas qu'il existe un exemple d'une commune qui ait fait une convention pareille avec d'autres qu'avec les corps moraux appartenant à l'autorité ecclésiastique.

Ainsi, messieurs, vous le voyez ; il n'est plus même besoin des maximes qui se trouvent consignées dans ces écrits de 1841 ; ces maximes sont aujourd'hui passées dans le domaine des faits accomplis. Lorsqu'on voit que dans un court espace de temps douze à quinze collèges communaux oui été absorbés par la puissance cléricale, ne peut-on pas craindre de voir d'autres communes suivre le même exemple, de voir en un mot le clergé en possession de l'universalité des établissements élevés aux frais et par les soins des communes ? Eh bien ! messieurs, rattachons ce système à l'examen du programme ; établissons nous juges, en présence de ces faits, entre le programme de l’honorable M. Rogier et le programme du cabinet actuel. Car c'est sur le terrain de cette question fondamentale, la liberté civile, que je ramène l'examen de tout le programme.

Que disaient l'honorable M. Rogier et ses amis ? Ils avaient inscrit en tête de leur programme, comme premier principe, ces paroles remarquables : « Indépendance respective du pouvoir civil et de l'autorité religieuse. » Et ils avaient soin d'ajouter que ce grand principe trouverait notamment son application dans la loi sur l'enseignement moyen.

(page 1162) J'ose le dire ici, messieurs, je ne crois pas qu'il y ait un seul membre de l'opinion, à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, qui voulût reculer un seul instant devant le principe formulé par l'honorable M. Van de Weyer dans son projet de loi, devant ce principe qui déclare que les communes ne peuvent déléguer à des tiers l'autorité que la loi leur confère sur les établissements d'instruction moyenne. Ceux qui appartiennent au parti libéral et qui répudieraient ce principe sacrifieraient la cause de leur opinion, ils sacrifieraient le pouvoir civil. Eux qui jamais ne se montreront hostiles aux droits garanties par la Constitution au clergé doivent soutenir avec autant de fermeté les droits et les prérogatives de l'autorité civile. Or, c'est les sacrifier que de ne pas adopter le principe écrit par l'honorable M. Van de Weyer dans l'article 5 de son projet de loi.

C'est de ce principe que n'ont pas voulu les membres dissidents de l'ancien cabinet. Lorsque l'honorable M. Rogier, ainsi qu'un autre membre, interrogeant M. le ministre des affaires étrangères qui avait dit pouvoir adopter presque en entier le programme du ministère libéral, lui a demandé s'il adoptait l'indépendance du pouvoir civil dans son application à la loi sur l'enseignement moyen, je crois m'être aperçu d'un signe de tête négatif, et je suis fondé à penser que ni les membres du précèdent ministère, ni l'honorable chef du cabinet actuel ne consentiront à ce que ce principe protecteur soit écrit dans la loi.

D'ailleurs, messieurs (et c'est ici que la discussion se rattache à la motion d'ordre de l'honorable M. d'Elhoungne) pourquoi ces grands efforts pour empêcher qu'un projet de loi, examiné en 1834 par les sections d'une chambre dont il n'existe peut-être plus que le tiers dans cette enceinte, pour empêcher que ce projet soit examiné par les sections de la chambre actuelle ? Il faut immédiatement renvoyer ce projet à la section centrale, et comment encore ? Sans que le ministère se donne la peine de formuler les modifications qu'il veut introduire dans le projet de 1834, il lance le projet au milieu de la section centrale et dit aux honorables membres qui la composent : « Examinez la loi, voyez ce que vous voulez en faire. » Non, ce n'est pas là ce que le ministère, s'il connaît ses devoirs, doit faire. Il faut que nous sachions une bonne fois si, dans le projet de 1834, modifie par lui, nous trouverons des garanties pour la liberté civile. S'il n'en parle pas, c'est qu'il ne veut pas de ces garanties. Nous verrons quelle attitude on va prendre lorsqu'on sera obligé de répondre sur la proposition faite par l'honorable M. d'Elhoungne ; mais quel que soit le résultat de la conduite du ministère dans cette circonstance, elle sera décisive ; s'il refuse de faire droit à la motion formulée par notre honorable collègue, il sera jugé rien que par ce refus.

Cet acte ne donnera plus lieu à de vaines discussions sur des théories, ce sera un acte positif, un acte significatif, un acte qui annoncera que c'est non pas un ministère de conservation et de progrès, mais, quoi qu'on en ait dit, un ministère de réaction, un ministère qui a pour mission d'enlever les libertés écrites dans nos lois et dans notre Constitution.

Maintenant le programme de l'honorable M. Rogier renfermait la proposition de l'honorable M. Van de Weyer. Cette proposition était tout entière dans le premier paragraphe de ce programme : « Indépendance complète du pouvoir civil. » Au lieu de cela, que trouvez-vous dans le programme du ministère actuel ? Y trouvez-vous quelque chose qui consacre le même principe en d'autres termes ? Rien, néant complet, absence de toute espèce d'indication de l'opinion du ministère.

Il se sert, comme beaucoup d'autres ministères qui l'ont précédé, des expressions banales de conservateurs, de modérateurs, de progressistes. Ce sont là des mots, et ce n'est pas en 1846, après les nombreuses déceptions des ministères mixtes, et notamment du ministère de M. Nothomb, que l'opinion libérale pourra se contenter de ces pompeuses déclarations. C'est par des actes qu'il faut vous faire connaître, et non pas par de vaines paroles.

L'honorable M. Dechamps admet cette partie du programme de l'honorable M. Rogier. Mais alors je serais charmé de savoir pourquoi il n'a pas voulu de l'article 5 du projet de M. Van de Weyer ? S'il rejette cette disposition, la conclusion est claire, il n'est pas conservateur, car il ne garde pas intact le dépôt sacré de la Constitution, remis entre ses mains comme entre les vôtres ; il ne conserve pas la liberté de la commune, les droits de la commune en matière d'instruction publique.

Je crois donc, messieurs, que dans cette grande question de l'enseignement moyen gît tout le débat. Tout est là, et j'espère qu'avant la fin de la discussion cette question sera examinée par d'autres orateurs sur le terrain où nous voudrions voir, à son tour, arriver le ministère.

Je passe, messieurs, à deux observations que m'a suggérées le discours de l'honorable ministre de l'intérieur. Dans la séance de samedi, l'honorable M. de Theux, répondant au reproche que lui fait l'opposition de ne pas être progressiste, a reproduit encore une fois une espèce d'allocution qu'il avait adressée au parti libéral et sur laquelle je m'étais expliqué dans mon premier discours. « Entendons-nous, messieurs, dit M. le ministre de l'intérieur, sur le mot « progrès ». Sans doute, messieurs, que pour être progressif il n'est pas nécessaire d'être antipathique au clergé, à la religion que professe la majorité de la nation. J'aime à croire que presque tous les membres de la gauche sont d'accord avec moi sur ce point. J'aime à croire encore que par le mot « progrès » on n'entend pas une hostilité ni au culte ni au clergé. »

L'insistance de M. le ministre à revenir sur cette observation doit nécessairement provoquer une deuxième réponse. « Presque tous mes amis politiques ne sont pas antipathiques au clergé et à la religion. » Ce mot « presque » est malheureux, car j'ose, au nom de nies honorables amis, dire ici qu'aucun d'eux n'est hostile à la religion, aucun d'eux n'a légitimé un pareil doute par le moindre mot prononcé soit dans cette circonstance, soit dans d’autres. Ne dites donc pas « presque tous », mais dites « tous ». Voilà pour ce qui concerne la religion. Hostiles au clergé ! Entendons-nous, messieurs ; non, aucun de nos n’est hostile au clergé lorsque le clergé se renferme dans le cercle de son autorité purement spirituelle, dans cette autorité qui lui est dévolue au nom du ciel même, qu'il tient de celui qui est au-dessus de toute puissance humaine ; mais lorsque, sortant de ses attributions, il s'arroge un pouvoir dans l'Etat, oui, alors, nous sommes hostiles au clergé, nous le sommes et nous le resterons ; la Constitution et le serment que nous avons prêté nous en font un devoir. Quoi ! nous ne serions pas hostiles aux actes par lesquels le clergé voudrait, par exemple, abuser de son influence pour dominer dans les élections ? Nous ne serions, nous, pas hostiles à des actes en vertu desquels il empiéterait sur les libertés communales en fait d'enseignement ?

Mais, messieurs, si nous fassions condamnation sur de pareils actes, loin que l'on pût dire que nous ne sommes pas hostiles au clergé, nous devrons encourir nous-mêmes la censure de tout homme vraiment religieux, car enfin nous ne garderions pas fidèlement un serment que nous avons prêté en entrant ici.

Ce sera donc, messieurs, lorsque le clergé posera des actes portant un caractère politique qu'il trouvera dans les membres qui composent le parti libéral de cette chambre, des contradicteurs, ou plutôt des défenseurs des droits et des prérogatives des citoyens belges.

L'honorable M. de Theux, faisant allusion à une institution de la ville de Bruxelles, à l'université libre, a dit :

« la ville de Bruxelles avait érigé une université libre ; on supposera que nos opinions ne sont pas favorables à cette institution ; eh bien, avons-nous refusé d'approuver le budget de la province qui renfermait une allocation considérable en faveur de cet établissement ? N'avons-nous pas approuvé la convention-loi conclue entre l'Etat et la ville de Bruxelles ? » Mais, messieurs, je trouve assez singulier qu'on veuille présenter comme une preuve de sympathie un acte aussi naturel que celui de ne pas rayer du budget de la province la somme que celle-ci avait cru pouvoir consacrer au maintien de la prospérité d'un établissement qui honore la capitale. Mais le ministère n'a-t-il pas été un peu plus loin pour une autre institution du même genre ? Suis-je dans le vrai, lorsque je vous rappelle qu'en faveur de l'université établie à Louvain, le ministère a fait abandon des riches collections appartenant à l'ancienne université de l'Etat, que cette même ville a reçu encore d'autres faveurs que le gouvernement n'a pas accordées à l'université de Bruxelles ? Et parce que l'on n'use pas de son pouvoir pour biffer du budget provincial une faible allocation, en vante cela comme une preuve de sympathie ! Passez-moi la comparaison, messieurs, il me semble que je vois ici un richard, en présence de deux individus qui demandent l'aumône ; l'un est dans le dénuement le plus complet, l'autre est dans un état tel qu'il est permis de douter qu'il ait besoin de secours ; l'homme riche donne l'aumône à ce dernier, et à celui auquel un secours serait infiniment plus nécessaire, il dit : « Passez votre chemin, que le ciel vous garde ! »

Voilà exactement la conduite que le pouvoir a tenue envers les deux établissements dont il s'agit. Cela n’empêche pas que l'institution libérale d'enseignement supérieur prospère, parce que, messieurs, quand un établissement marche dans la voie du progrès et de la sagesse il trouve toujours des protecteurs qui sont là pour suppléer à l'absence d'autres sympathies.

Messieurs, je dis donc, en me résumant, que la question de savoir si les communes peuvent déléguer leur pouvoir en ce qui concerne la nomination du personnel enseignant, et la direction de l'instruction, en faveur de tiers, ou, disons le mot, en faveur de corporations religieuses, que cette question est de la plus haute gravité, qu'elle doit dominer tout le débat ; que c'est une question dont la solution négative résulte évidemment de l'article 108 de la Constitution, de cette Constitution, que nous avons tous juré d'observer, de l'art. 84 de la loi communale et de toute l'économie de la loi que vous avez votée sur l'instruction primaire.

J'attendrai quel sera le résultat de la motion qui a été faite par mon honorable ami M. d'Elhoungne, et le pays tout entier trouvera dans le parti que prendra le ministère sur cette motion, la preuve si effectivement il veut faire au moins un pas vers l'opinion libérale. J'ai dit.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, la conclusion du débat solennel soulevé par l'opposition, c'est qu'à l'opinion libérale seule appartient le droit de gouverner, c'est que le programme de l'honorable M. Rogier aurait dû être accepté par la Couronne. Si, messieurs, je siégeais sur les bancs de la gauche, j'aurais la franchise complète de mes opinions ; ce que j'aurais dit dans mes discours, je le formulerais en conclusions nettes et précises ; je n'aurais pas recours, pour poser une question de cabinet, à des moyens détournés.

Messieurs, le gouvernement parlementaire est un gouvernement de franchise avant tout, et je dis que dans la motion, telle qu'elle est faite, et qui renferme évidemment, dans la pensée de son auteur, la question de cabinet, il n'y a pas de franchise. Oui, messieurs, tel est le résumé de la discussion : le parti libéral seul doit gouverner, le programme de l'honorable M. Rogier a été indûment rejeté.

Je m'explique d'abord sur la motion de l'honorable député de Gand et je dis : Le mode d'examen du projet de 1834 est une question de règlement intérieur, indigne d'apparaître dans un débat aussi solennel. Sur ce point, nous ne voulons pas faire de l'opposition. L'on trouve qu'il y a eu de grands changements dans le personnel de la chambre, on trouve qu'il serait difficile d'arriver à un complément normal de la section centrale, quoique cependant dans d'autres occasions, et pour l'enseignement primaire, ia section centrale eût déjà été complétée par le bureau ; je le répète, nous ne faisons aucune opposition à cette partie de la motion ; de cette manière, (page 1163) nous connaîtrons l'opinion de tous les membres de la chambre, et la section centrale pourra présenter un rapport en harmonie avec la pensée de la chambre, telle qu'elle est composée aujourd'hui. C'est également le désir du gouvernement de connaître la pensée de la chambre entière ; si nous n'avons pas parlé de ce mode de compléter la section centrale, c'est que ce mode n'est pas prévu par le règlement et que, jusqu'à présent, il n'a pas d'antécédents.

Mais, messieurs, la seconde partie de la motion de l'honorable M. d'Elhoungne, nous ne l'acceptons pas.

L'honorable membre nous demande de formuler les amendements que nous nous sommes engagés à présenter. Il y a d'abord ici une erreur de fait : le gouvernement ne s'est pas engagé à présenter des amendements ; le seul engagement qu'ait pris le gouvernement, c'est de discuter le projet de loi sur l'enseignement moyen dans un esprit de patriotique conciliation. Messieurs, voici les motifs de cette détermination :

Le projet de loi de 1834 a été proposé à un double point de vue : le progrès de l'enseignement moyen et la conciliation des opinions divergentes.

J'ai déjà fait mention de l'opinion de l'honorable M. Rogier, ministre de l'intérieur en 1834 ; un grand nombre d'entre vous, messieurs, ignorent cette opinion, ils ne faisaient point partie de la chambre à cette époque. Voici comment l'honorable ministre de l'intérieur terminait l'exposé des motifs.

« Qu'il me soit permis, en terminant, d'adresser ici, au nom du gouvernement, des remerciements publics aux deux commissions qui lui ont prêté le secours de leurs lumières dans l'accomplissement de cette tâche si difficile. Je regarderai toujours comme un des actes les plus heureux de mon administration, le choix de la commission que j'ai proposée à Sa Majesté ! En résolvant avec des vues si conciliatrices et si sages, et avec une constante unanimité des questions aussi délicates, en facilitant ainsi les discussions ultérieures, en montrant à des opinions divergentes les moyens de s'entendre et de se rapprocher, elle a rendu à la Belgique un service que tous les amis du pays sauront apprécier,

« Nous espérons, messieurs, que le projet de loi que nous avons l'honneur de vous présenter, assurera, s'il obtient votre assentiment, les progrès de tous les degrés de l'instruction ; qu'il favorisera l'extension des connaissances élémentaires et imprimera une activité nouvelle aux études fortes dans leurs diverses directions. Puisse notre espoir se réaliser ! Puisse la loi que vous adopterez être un gage de concorde intérieure et la base d'une des plus belles gloires auxquelles les nations puissent aspirer. »

Et c'est le projet qui a reçu un éloge si complet de la part de l'honorable chef de l'opposition, c'est ce projet que j'ai aidé moi-même à élaborer, qu'on me convie en quelque sorte à retirer, avant tout examen, avant toute discussion. Il n'en sera rien, je resterai conséquent avec mes antécédents ; ce que j'ai proposé en 1834, comme moyen de conciliation, comme moyen de progrès de l'enseignement moyen, je le maintiens, bien entendu que si, dans cette chambre, de nouveaux moyens de perfectionnement de l'enseignement, d'autres vues de conciliation étaient indiquées à la suite des discussions dans les sections et dans la section centrale, je serai heureux de m'y associer.

Et qu'on ne dise pas que je cherche ici à me mettre à couvert ; je ne me mets nullement à couvert ; j’accepte personnellement comme ministre ce que j'ai accepté comme membre de la commission. Ainsi, messieurs, je me rends l'éditeur responsable du projet de 1854.

Si la section centrale désire avoir des communications avec le gouvernement, je n'hésiterai pas à me rendre à son invitation ; si, au contraire, la section centrale croit devoir achever son travail sans entendre le gouvernement, eh bien, le travail étant achevé, je viendrai présenter immédiatement à la chambre les propositions auxquelles je croirai que l'examen préparatoire des sections et de la section centrale aura donné ouverture.

Mais, messieurs, je le déclare derechef, je ne prendrai pas l'initiative pour écarter moi-même une œuvre que je suis fier et glorieux d'avoir aidé à édifier, comme l'honorable M. Rogier l'était de la composition de la commission.

Et quelle opinion aurait-on d'un gouvernement qui, après avoir saisi la législature d'un projet aussi important, viendrait lui-même prendre l'initiative d'une nouvelle proposition, alors qu'aucune vue nouvelle n'a été indiquée dans les discussions préparatoires ? Messieurs, notre dignité s'y oppose.

Je dirai que notre droit est de repousser la motion de l'honorable M. d'Elhoungne. Le gouvernement a le droit d'exiger que le projet dont il vous a saisis, soit examiné tel qu'il vous a été soumis. A vous, messieurs, la liberté d'y proposer telles modifications que vous jugerez utiles, et de les voter, nonobstant l'opposition du gouvernement, s'il ne s'y associait pas de plein gré.

Conservons dans une question aussi importante le mode d'examen consacré par le règlement ; maintenons encore intactes dans cette circonstance les prérogatives de la Couronne, et que ce ne soit pas l'opposition, qui, dans diverses circonstances, a voulu se montrer si jalouse du maintien des prérogatives de la Couronne, que ce ne suit pas l'opposition, dis-je, qui veuille ici, dans une discussion aussi solennelle, formuler un nouvel empiétement. (Interruption.) Oui, messieurs, refuser l'examen d'un projet de loi dont la chambre est saisie par le gouvernement, c'est empiéter sur les droits de la Couronne, et à ce seul titre, nous devrions, pour remplir notre mandat, refuser d'accepter une pareille motion...

M. Rogier. - Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Libre au gouvernement de prendre l'initiative s'il le juge à propos, mais libre aussi au gouvernement de ne pas répondre à une semblable invitation.

Nous avons déjà dit, dans une séance précédente, que nous n'avions pas une opinion systématique ; tout ce que nous désirons, c'est que la loi assure le progrès de l'enseignement moyen et qu'elle soit une œuvre de conciliation entre les opinions qui divisent la chambre.

Plusieurs moyens se présentent à l'esprit pour arriver à cette solution. Tout ce qui pourra conduire à ce double but, nous sommes bien résolus de le proposer, si les circonstances l'exigent, c'est-à-dire, si les observations faites dans le sein des sections et de la section centrale font jaillir de nouvelles lumières.

Déjà nous avons indiqué qu'entre le système de la centralisation et le système communal, nous pouvions laisser en quelque sorte un libre choix à la chambre. En effet, dans l'un et l'autre système, les progrès de l'enseignement peuvent être assurés, et il peut se trouver des éléments d'une sage conciliation.

On a parlé de l'indépendance du pouvoir civil... Dans quelle circonstance le gouvernement a-t-il abdiqué cette indépendance ?

Sur cette question, nous déclarons que nous adoptons l'opinion de nos honorables collègues, quand ils ont dit que le défaut de concours du clergé, son abstention ne serait pas non plus pour nous un motif de fermeture d'un athénée ou d'un collège. Voilà, messieurs, la véritable indépendance. Nous ajouterons aussi que nous désirons qu'il y ait entente entre le gouvernement, les administrations communales et le clergé. Cette entente, elle a été désirée par tous les membres de la commission de 1834 ; elle a été désirée par le ministère de 1840 qui a déclaré solennellement dans cette enceinte qu'il voulait que, dans l’enseignement moyen, les pères de famille trouvassent toutes les garanties de religion et de moralité aussi bien que d'instruction. Il a dit de plus, dans la discussion de l'adresse, que si les dispositions du projet de 1834 étaient trouvées insuffisantes pour assurer ces garanties, il était prêt à s'associer aux modifications qui pourraient être présentées pour les rendre plus complètes Le ministère, dont le programme a été refusé le 22 mars, n'a-t-il pas déclaré qu'il ferait tous ses efforts pour amener, par les mesures administratives, l'entente entre l'autorité civile et l'autorité religieuse ?

A quoi donc conduisent ces discussions si irritantes ? Nous sommes d'accord sur le but et nous ne saurions pas trouver dans notre esprit, dans notre cœur, dans notre conscience des moyens d'exécution, des moyens d'entente ? Ah ! messieurs, ces doutes sont indignes de l'assemblée dans laquelle nous avons l'honneur de siéger.

Messieurs, je passe à quelques autres points de la discussion.

L'honorable M. Orts ne nous a pas su gré de ce que nous avions fait directement pour la ville de Bruxelles et indirectement pour l'université libre dont il est un des patrons. C'est là de l'ingratitude. J'ose dire que c'est à moi personnellement que la ville de Bruxelles a le plus d'obligations dans la solution de cette importante question.

J'en ai pris l'initiative ; la négociation a été conduite par une commission que j'avais nommée et c'est au concours que j'ai donné dans cette chambre qu'est dû le vote favorable. Qu'on vienne ensuite nous reprocher d'avoir laissé à la ville de Louvain l'usage de certaines collections pour l'université catholique ! Nous avions dépouillé cette ville d'une université aux frais du gouvernement et nous eussions été jusqu'à enlever des collections faites à frais communs ! Déjà cette ville avait été dépouillée d'une portion considérable de sa magnifique bibliothèque dont une grande partie est déposée dans les bibliothèques des universités de l'Etat. Mais l'université libre n'a-t-elle pas eu accès également aux collections ? Le jardin botanique soutenu par les fonds du trésor est-il fermé aux jeunes gens de l'université libre ? Les fonctionnaires publics salariés par le trésor ne viennent-ils pas au secours de cet établissement par les leçons qu'ils y donnent ? Ensuite, qu'a obtenu la ville de Bruxelles a côté de ce modique avantage laissé à la ville de Louvain et toujours révocable, car il n'y a pas abandon des collections, mais seulement permission d'usage ? A côté de cela, la ville de Bruxelles qu'a-t-elle obtenu ? Une rente de 300 mille francs à titre irrévocable. Cette rente seule suffit pour doter largement quelque université que ce soit.

Oui, messieurs, si nous n'étions pas mus par des sentiments plus élevés, si nous étions accessibles aux impressions si pénibles que causent d'ordinaire les sentiments d'ingratitude, nous pourrions regretter nos bienfaits.

Messieurs, on est encore revenu dans cette discussion sur la défense du programme du 22 mars. Vous avez entendu hier la lecture d'une lettre de l'honorable M. Delfosse. J'ai suivi attentivement cette lecture ; j'ai relu encore cette lettre dans les journaux ; je persiste à dire que ce programme renfermait implicitement une inconstitutionnalité. Nous y trouvons toujours, malgré les dénégations de ses auteurs, que la prérogative royale était engagée, qu'il fallait une promesse de la Royauté. C'est précisément parce que la Royauté n'avait pas voulu faire usage de sa prérogative qu'on demandait que le droit d'en faire usage fût abandonné à la discrétion du ministère. Ce programme était un acte de défiance envers la Couronne, un acte de défiance envers le parlement et un acte de défiance envers les fonctionnaires public. C'est à-dire qu'au moment où l'on proclamait la nécessité de rendre le pouvoir fort, on sapait la force du pouvoir, on portait atteinte à l'honneur de nos institutions.

Voilà le résumé fidèle du programme.

On vient de nous citer l'exemple de lord Grey ; mais quelle analogie y a-t-il entre cette situation et la nôtre ? Là il s'agissait d'une réforme souvent discutée dans le parlement et toujours rejetée, qu'on ne pouvait obtenir que par une dissolution du parlement. Quelle comparaison peut-on établir (page 1164) entre cette situation et celle que voulait se faire le ministère dont le programme a été rejeté ? Aucune.

On a parlé d'irritation. Notre présence seule a ce banc serait une cause d'irritation ! Ce qui cause l'irritation dans le pays, ce sont les atteintes portées à nos institutions, ce sont les atteintes portées à l'indépendance du pouvoir royal et du pouvoir parlementaire et à l'indépendance des fonctionnaires publics, ce sont les moyens inconstitutionnels d'absorption du pouvoir royal au profit d'un ministère qui serait juge et partie dans nos grandes luttes politiques.

Comment ! quand vous aviez devant vous un ministère mixte, vous l'accusiez d'être une cause d'irritation, vous disiez qu'un ministère homogène aurait fait disparaître le profond dissentiment qui, suivant l'opposition, affligeait le pays !

Mais, messieurs, si nous ministre nous avions, étant dans la chambre comme simple député, combattu la politique des ministères mixtes, si nous avions cherché par nos efforts parlementaires à escalader le pouvoir au lieu de prêter un concours bienveillant à un ministère mixte, nous pourrions être accusé d'ambition, nous pourrions être accusé d'être la cause des difficultés de la situation. Mais il n'en est rien. Notre plus grand désir a été, depuis notre sortie du pouvoir, d'en rester éloigné et d'en être le simple contrôleur parlementaire. Si nous n'avions pas obéi à un devoir et à un devoir impérieux que rien ne nous autorisait à décliner, nous ne serions pas à ce banc.

M. Orts. - L'honorable ministre de l'intérieur m'a accusé d'ingratitude, parce que j'ai fait la simple observation qu'en ne désapprouvant pas la partie du budget provincial du Brabant qui comprenait un subside en faveur de l'université de Bruxelles, il n'avait fait que son devoir. Que s'il eût biffé cet article du budget provincial, on aurait, à juste titre, interprété un pareil acte comme un acte d'hostilité envers la capitale. Je ne vois donc dans ce que j'ai dit aucun motif qui justifie l'accusation d'ingratitude.

Quant à l'autre fait, la convention avec la ville de Bruxelles, je ne mérite pas davantage le reproche d'ingratitude pour ce que j'ai dit à ce sujet, car je n'ai pas fait de reproche de ce chef à l'honorable M. de Theux. Cet honorable ministre s'attribue toute la gloire du vote de cette convention ; je sais que nous l'avons votée ensemble, mais je sais aussi que si on a adopté certains amendements qui mettent la ville de Bruxelles quant à son budget, dans une position toute différente de celle de toutes les autres communes de la Belgique, c'est à l'honorable M. de Theux que nous le devons. Je crois donc n'avoir rien dit d'offensant pour l'honorable ministre de l'intérieur, et je ne méritais aucunement le reproche qu'il eût pu se dispenser de m'adresser.

M. Castiau. - Messieurs, si je crois devoir prendre une seconde fois la parole dans ces débats si longs et si complets, c'est pour répondre à des accusations dirigées contre moi. Je prie donc la chambre de vouloir m'accorder pendant quelques instants sa bienveillance et son attention.

Messieurs, j'ai été l'objet de graves accusations dans ce débat. On m'a accusé d'avoir attaqué la Constitution ; on m'a accusé d'avoir déclaré la Constitution une loi de réaction ; on m'a accusé d'en avoir provoqué la réforme. Si nous n'étions pas dans une assemblée législative, si nous n'avions pas à respecter ici et la loi des bienséances sociales et les exigences non moins sévères du règlement, ma réponse serait énergique et courte ; à toutes ces accusations je répondrais par un démenti !

Mais nous parlons en présence de la première assemblée du pays et du public ; je me conformerai donc aux exigences de notre règlement, et, m'exprimant en termes aussi parlementaires que possible, je dirai à l'orateur qui m'a accusé, qu'il a dénaturé, odieusement dénaturé et ma parole et me pensée.

Il n'est pas vrai que j'aie qualifié la Constitution de loi de réaction ; il n'est pas vrai que j'aie demandé la réforme de la Constitution. J'en appelle à vos souvenirs, messieurs. Qu'ai-je fait ? J’ai examiné, j'ai critiqué avec quelque vivacité si on veut, une seule disposition de la Constitution, celle relative au renouvellement partiel des chambres ; j'ai signalé les inconvénients de ce système ; j'ai dit qu'il avait pour effet de créer seulement des manifestations partielles et tronquées de l'opinion publique ; j'ai prétendu qu'avec ce système on avait des élections provinciales et locales et jamais des élections nationales, et que ce système pourrait bien être pour quelque chose dans le divorce qui existe maintenant entre la majorité de la chambre et le pays.

Que mon accusateur se rassure. Je respecte, autant que lui la Constitution ; mais ce respect chez moi ne va pas jusqu'au fétichisme. Je crois que, tout en respectant la Constitution, on peut en examiner et critiquer les dispositions. Ce n'est, après tout, que l'usage d'un droit constitutionnel, puisque la Constitution elle-même prévoit la révision de ses dispositions ; elle en autorise conséquemment l'examen et la critique.

Que l'honorable orateur auquel je réponds, m'ait adressé ce reproche ; qu'il me l'ait adressé avec quelque aigreur, avec quelque amertume, je le conçois.

Que, dans le but peut-être de donner plus de poids à ses accusations, il ait distrait de son discours inséré au Moniteur de samedi, cette espèce de réquisitoire, pour le faire passer avec plus d'apparat dans le Moniteur du dimanche, je le conçois encore !

Que pour renforcer encore ses accusations de crime de lèse-constitution, il ait cru devoir souligner chacun des méfaits politiques qu'il m'attribuait, qu'il ait cru devoir m'accuser en caractère italiens ou italiques, je le conçois encore !

Vous comprenez parfaitement qu'entre l'honorable député de Turnhout et moi, il ne doit pas y avoir une bien vive sympathie politique. Je ne puis oublier que l'honorable membre était membre du comité de constitution. Peut-être même était-il l'auteur de la disposition que j'ai critiquée. Je n'ai pas cru à son infaillibilité. Inde irae. Je conçois tout cela, je le répète, et ne m'en étonne point.

Mais que les mêmes accusations et les mêmes reproches m'aient été adressés par un autre orateur, par M. le ministre des affaires étrangères, voilà qui doit me surprendre. J'aurais attaqué une disposition parfaitement insignifiante de la Constitution, mais M. le ministre, lui, aurait protesté contre le principe même de la Constitution, le principe monarchique. Comment, en effet, a-t-il débuté sur la scène politique ? C'est, paraît-il, aux cris de : « Vive la république ! » M. Dechamps (l'honorable M. Fleussu vous l'a dit) a débuté comme publiciste par une brochure en faveur des institutions républicaines.

M. Rodenbach. Bah ! il était tout jeune ; il sortait du collège.

M. Castiau. - S'il était jeune alors, il a singulièrement vieilli depuis par son passage aux affaires. Les calculs du pouvoir n'avaient pas alors altéré la générosité de ses premières inspirations et, dans son intérêt comme dans le nôtre, j'en suis à regretter qu'il ne soit pas resté fidèle à des doctrines dont on pouvait peut-être attaquer l'exagération, mais qui prouvaient l'ardeur désintéressée de ses premières convictions.

Ces doctrines républicaines, dont il était alors le représentant, faisaient battre son cœur avec tant d'énergie qu'il ne se contentait pas d'écrire des brochures en faveur de la république ; il était encore l'un des principaux rédacteurs d'un journal qui paraît avoir suivi dans toutes ses phases la fortune politique de M. Dechamps, l'Emancipation. On se rappelle encore à quelle verve de républicanisme ce journal s'était laissé emporter sous les auspices du jeune publiciste.

Et, qu'on me pardonne cette indiscrétion, il paraît même, on me l'assurait ce matin encore, que l'honorable ministre ne se contentait pas de défendre la république en prose ; il la défendait encore en vers. L'honorable M. Dechamps serait, en effet, l'auteur d'un chant républicain, et sa poésie républicaine était cent fois plus ardente et plus enthousiaste que sa prose, m'a-t-on dit. Aussi, pour en juger, viens-je l'engager à mettre et sa poésie et sa prose républicaine sous les yeux de la chambre.

Maintenant l'honorable M. Dechamps est converti au culte monarchique et constitutionnel. C'est la ferveur d'un néophyte ; c'est encore de l'exaltation, c'est presque du fanatisme. L'honorable M. Dechamps parle sans cesse et dans des termes chaleureux et inspirés, de son respect et de son amour pour la Constitution ; c'est très bien ; mais je voudrais qu'il en parlât un peu moins, et qu'il respectât davantage notre Constitution ; car tous les actes que je lui ai reprochés dans une précédente séance, toutes les atteintes qu'il a portées à nos institutions et à nos libertés, sont autant de mutations, si ce n'est du texte, du moins de l'esprit et des tendances de la Constitution.

En faisant le relevé de ses votes, j'ai dit que tous ces actes étaient des actes réactionnaires ; j'ai ajouté que tous ceux qui y avaient pris part avec lui étaient des hommes réactionnaires. Cette qualification a mal sonné, très mal sonné, paraît-il, aux oreilles de M. d'Huart.

M. d'Huart ne veut pas de la qualification de réactionnaire ; il la repousse ; il nous la lance à la tête. Il nous l'a rejetée, cette qualification de réactionnaire avec cette modération de formes, cette urbanité de langage, cette convenance d'expressions dont il possède l'heureux secret et que nous nous plaisons à admirer en lui.

M. d’Huart prononce quelques mots qui ne parviennent pas jusqu'à nous.

M. Castiau. - J'engage l'honorable membre à garder le silence ; il me répondra s'il le juge convenable.

Pourquoi d'ailleurs cette qualification de réactionnaire excite-t-elle tant sa susceptibilité ?

Mais il y a réactionnaires et réactionnaires. Il y a les réactionnaires de bonne foi et les réactionnaires hypocrites.

Les réactionnaires de bonne foi, à eux mon estime comme à toutes les opinions consciencieuses ; car je conçois parfaitement, avec mes idées de tolérance, que l'on soit réactionnaire, c'est-à-dire attaché au culte des traditions et du passé ; n'est-ce pas là que se trouvent le prestige, la magie des souvenirs, qui parlent souvent au cœur aussi vivement que l'expérience ? Je conçois surtout qu'en voyant les tourmentes douloureuses qui ébranlent nos sociétés modernes, leur marche tumultueuse vers un avenir inconnu, je conçois qu'en présence des ruines entassées de toutes parts autour de nous par l'énergie révolutionnaire, on se surprenne à regretter le passé et qu'on en agite la cendre pour en faire jaillir quelque étincelle de vie. Je conçois donc parfaitement, je le répète, tous les appels au passé, et quand ils sont le résultat de convictions consciencieuses, les hommes courageux de qui ils émanent ont droit à notre estime, j'allais presque dire à nos sympathies.

Mais il est des réactionnaires pour lesquels je suis sans estime et sans sympathie. Ce sont les réactionnaires hypocrites ; ce sont les sycophantes politiques ; ce sont tous ces hommes sans convictions ou plutôt à convictions si mobiles, qu'ils en changent en quelque sorte comme de vêtement, selon l'intérêt du jour. Ce sont ces spéculateurs politiques qu'on voit si souvent faire de leurs opinions métier et marchandise.

Ce sont ces hommes qui sont aujourd'hui des furieux de modération, comme ils étaient, il y a quelques années, des furieux de libéralisme. Si le libéralisme revenait au pouvoir, ils reprendraient avec empressement leur défroque libérale et redeviendraient encore des furieux de libéralisme. Ces hommes sont l'embarras de tous les partis ! Si je n'avais pas abusé de la (page 1165) permission de faire des citations littéraires, j'appliquerais à ces hommes la moralité d'une fable bien connue de la Fontaine. Je me contenterai donc d'en appeler à vos souvenirs et vous laisserai le soin, messieurs, de faire vous-mêmes cette application.

J'abandonne, il en est temps, ces questions personnelles pour en venir à la grande question qui domine le débat, l'existence et le caractère du nouveau ministère.

Dans mon premier discours, j'ai dit, messieurs, que le ministère n'avait pas besoin de programme, parce que son programme était écrit dans tous ses précédents et qu'il le portait au front en quelque sorte. Ce programme, c'est réaction, réaction et toujours réaction ; réaction pour le passé, réaction pour le présent, réaction pour l'avenir.

Quand j'ai développé devant vous la série des actes réactionnaires qui justifiaient ces accusations, à quel moyen de justification le ministère a-t-il eu recours ? Il en a appelé à la majorité. « Prenez garde ! » s'est écrié l'honorable M. Malou, c'est la majorité que vous attaquez, cette majorité si pure, cette majorité immaculée, qui a défendu successivement tous les ministères, jusqu'au ministère libéral de 1840, cette majorité qui n'a oublié son ministérialisme qu'un seul jour, le jour où elle a renversé l'honorable M. de Theux du banc ministériel.

Vous attaquez la majorité ! Quel crime ! Qu'est-ce donc que cette inviolable majorité ? De qui se compose-t-elle ? Quels étaient ses chefs ? N'étaient-ce pas les mêmes membres qui me reprochent de l'attaquer ? N'étaient-ce pas les honorables MM. Dechamps, Malou et de Theux qui en étaient les orateurs et les conseils ?

Ainsi quand ils me disent : « Vous attaquez la majorité », quand ils en appellent à la puissance de la majorité, ce sont MM. Dechamps, Malou et de Theux, ministres, qui en appellent à MM. Dechamps, Malou et de Theux représentants. Quelle logique ou plutôt quelle comédie !

L'honorable M. de Theux, je le reconnais, a eu, lui, plus de courage. Il n'a pas craint de vous présenter la justification de ses actes et de ses votes ; cette justification, c'est l'apologie la plus complète de tout le système réactionnaire. Jugez-en, messieurs.

A l'occasion de la loi qui a étendu à huit années la durée du mandat des conseillers communaux, lui réactionnaire, lui hostile aux prérogatives des communes, si jamais il en fut, il a été jusqu'à vous dire que cette loi était un bienfait pour les communes ; qu'elle avait eu l'heureux effet d'éloigner d'elles les occasions et les époques d'agitation !

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Cela est vrai.

M. Castiau. - L'honorable ministre maintient l'énoncé de ce principe, c'est chez lui une conviction enracinée, indestructible ; j’en suis aise, car cette pensée dans laquelle il persiste, c'est tout son programme, c'est la pensée qui anime et inspire toute la politique réactionnaire, dont il est ici le représentant et le chef.

Jugez du respect, des sympathies du parti réactionnaire pour nos institutions politiques, et nos formes et nos garanties constitutionnelles !

Vous l'avez entendu, messieurs, la réélection des conseillers communaux : agitation !

La réunion des citoyens pour choisir les hommes chargés de veiller aux intérêts communs : agitation !

Tous les actes de la vie politique et électorale : agitation !

La réunion des électeurs pour les élections provinciales : agitation ! agitation !

La réunion des électeurs pour les élections des membres des chambres : agitation ! agitation arrivée à son paroxysme. Agitation, agitation partout ! Et en dehors des élections, que de causes d'agitation encore !

La liberté de la presse, quel plus terrible levier d'agitation ?

Les associations, les associations libérales qui vont couvrir le pays, quel effrayant cortège d'agitations elles vont traîner à leur suite ! Enfin le gouvernement représentatif tout entier, quel foyer d'agitations populaires !

Eh bien ! que l'honorable membre qui a mission de comprimer toutes les agitations veuille bien compléter la série des bienfaits dont il vient combler le pays ; il a déjà faussé et corrompu les institutions communales ; qu'il achève hardiment l'œuvre de la réaction ; qu'il attaque au cœur toutes ces causes d'agitations ; qu'il mutile, ou plutôt qu'il supprime les élections provinciales, les élections pour les chambres, la liberté de la presse, la liberté d'association, le gouvernement représentatif tout entier enfin. L'agitation disparaîtra, et sur les ruines du gouvernement représentatif, nous verrons s'élever le gouvernement tout paternel du triumvirat catholique, et nous pourrons jouir, sous l'égide de cette nouvelle aristocratie, des douceurs du sommeil et des douceurs de l'immobilité ; nous pourrons alors répéter avec le poêle latin :

Deus nobis haec otia fecit.

Mais rendons à ces débats leur gravité ; la plaisanterie ne doit plus être de mise quand il s'agit de l'existence même de toutes nos institutions constitutionnelles.

Je vous ai dit le passé des hommes qui sont au pouvoir ; ont-ils combattu les préventions et l'impopularité qui les y poursuivent ? Quelle garantie d'avenir nous ont-ils donnée ? On vous l'a dit, de vagues et fastueuses protestations, de ces généralités banales qui traînent depuis quinze ans sur les bancs ministériels.

Ils se sont de nouveau répandus en paroles de conciliation, s'octroyant généreusement à eux-mêmes des certificats de loyauté, de modération, d'impartialité ; j'ai vu le moment où ils en seraient arrives au certificat de moralité, de vertu et d'innocence. Que de paroles ! que de déclamations !

Mais les engagements et les actes, où sont-ils ? Quelles garanties a-t-il promises à l'opinion libérale ? A-t-il indiqué une mesure, une seule mesure qui annonçât la fin de la réaction qui déborde depuis tant d'années sur le pays ?

Non, et je sais gré au ministère de ce silence.

S'ils nous avaient présenté un programme d'améliorations populaires et libérales, je le dis à regret, mais je n'y aurais pas cru. Je n'aurais pu partager à cet égard la confiance d'un honorable membre qui siège sur nos bancs. Je n'y aurais pas cru, car je me rappelle ce que disait Royer-Collard du parti réactionnaire français : « Je ne lui demande pas (disait-il) ce qu'il veut, où il va ; car ce parti ferait ce qu'il fera toujours, il mentirait ! »

Il mentirait, messieurs. Rappelez-vous ces paroles.

Voilà pourquoi nous repoussons l'administration actuelle ; nous la repoussons, parce que nous croyons que ce sera une administration de mensonge et d'hypocrisie ; nous la repoussons, parce que les nouveaux ministres ne sont que des personnes interposées ; nous la repoussons enfin, parce que derrière nos ministres se traîne et se cache ce pouvoir occulte qui, depuis quinze ans, a travaillé avec une infatigable persévérance à exploiter la société et qui, après s'être imposé à la royauté et aux chambres, entend maintenant asservir le pays tout entier.

Ce pouvoir occulte, son existence et son influence, on les a niées dans cette discussion. Il n'y a qu'un instant encore M. le ministre des finances en plaisantait fort agréablement. C'est là un misérable préjugé, s'il faut l'en croire ; c'est un rêve, une calomnie de l'opposition pour discréditer le pouvoir.

Et c'est en présence des scandales dont nous avons été les témoins qu'on ose tenir ce langage !

On persiste à nier aujourd'hui encore l'influence de ce pouvoir occulte et hier encore vous voyiez se dérouler devant vous toutes les turpitudes de. l'affaire Retsin.

Rassurez-vous, messieurs, je ne viens pas vous occuper maintenant de cette déplorable affaire. Je ne veux pas remuer la fange qui la couvre. Je n'en dirai qu'un mot. Des accusations et les accusations les plus flétrissantes ont été adressées hier à M. le ministre de la justice ; des accusations qui doivent faire monter la colère au cœur et la rougeur au front ; car on a attaqué non seulement la probité politique de M. le ministre, mais on a attaqué sa probité, son honnêteté privée. Il a tenté une froide justification. Il n'était qu'un moyen, qu'un seul moyen de se justifier, c'était d'accepter l'enquête et de confier ainsi à la chambre et au pays le soin de prononcer entre son inexorable accusateur et lui.

On s'étonne de l'importance qu'on a donnée à cette affaire et de tout le bruit qu'on en a fait. C'est une méprisable affaire qui n'est pas digne d'occuper la chambre pendant cinq minutes, vous disait-on. Oh ! je conçois l’intérêt que vous aviez à l'étouffer. Cette misérable affaire, c'est la personnification du système que vous venez représenter au pouvoir. Retsin, son hypocrisie, son avancement et les scandaleuses faveurs dont il est l'objet, c'est la révélation la plus énergique de ce pouvoir occulte que nous dénonçons à l'indignation du pays. C'est un fait isolé qu'un hasard providentiel en quelque sorte a mis en évidence. Oh ! si l'on pouvait pénétrer les mystères de toutes les administrations, si l'on pouvait compulser leurs cartons et y saisir tous les secrets honteux qui y sont déposés, vous reculeriez, messieurs, devant mille preuves de l'influence souveraine de ce pouvoir occulte, qui pousse de son bras le gouvernement tout entier, l'enchaîne, l'absorbe et lui dicte audacieusement ses volontés et ses lois.

Voilà, messieurs, où nous en sommes. Retsin, c'est l'incarnation de tout un système de mensonge et d'hypocrisie. C'est Tartufe qui ressuscite, mais le Tartufe du XIXème siècle, Tartufe avec un nouveau perfectionnement d'hypocrisie. Voilà les hommes que l'on protège aujourd'hui, voilà les hommes que le pouvoir occulte fait arriver à tous les avantages et à toutes les faveurs. Aujourd'hui, comme du temps de Molière, il n'y a de protection, de chances d'avancement que pour ceux qui

Font de dévotion métier et marchandise

Et veulent acheter crédit et dignités

A prix de faux clins d'yeux et d'élans affectés.

Voilà sous quels auspices a été inaugurée la morale administration qui nous gouverne.

Voulez-vous maintenant connaître sa tolérance ? Rappelez-vous un fait dont retentissait la presse il y a quelques jours encore. Il se trouvait à Mons, dans le régiment du génie, deux jeunes officiers, hommes de cœur, de capacité et de zèle. Un brillant avenir s'ouvrait devant eux ; on les a frappés d'une destitution humiliante, pour avoir défendu les droits de la liberté religieuse, pour avoir revendiqué le droit constitutionnel de s'abstenir de toute espèce de concours à des actes du culte.

Je désire que le gouvernement s'explique sur ce fait, j'espère qu'il le fera. Je l'espère, à moins que M. le ministre de la guerre ne soit encore à réfléchir, comme il paraît le faire depuis huit jours, sur le droit assez douteux, paraît-il, qu'il aurait de prendre la parole dans cette assemblée comme ministre du Roi.

Ainsi réaction et intolérance, hypocrisie politique, et hypocrisie religieuse, voilà le programme du nouveau ministère. Pensez-vous, je vous le demande, qu'un pareil système puisse régner longtemps et impunément sur notre pays ? Mais si ce système pouvait triompher, si pendant deux ans seulement il pouvait gouverner, exploiter, démoraliser le pays, mais la Belgique deviendrait pour les autres peuples un objet de ridicule et de mépris.

Loin, bien loin de moi la pensée de faire retomber mes attaques et mes accusations sur toute une opinion, sur toute l'opinion catholique ! Loin de moi l'injuste pensée de la rendre tout entière solidaire de ces excès et de prétendre qu'elle est tout entière en état de conspiration permanente (page 1166) contre nos institutions, contre nos droits et contre nos libertés. Oh ! non. Il y a de nombreuses et d'honorables exceptions. Il y a dans les rangs de cette opinion des hommes jeunes de cœur, de sentiments, d'idées, qui sont avec nous, qui ont brisé avec le passé, qui vivent de la vie de leur siècle et qui se passionnent aux nobles inspirations de la liberté. Honneur à eux, car ils ne font, après tout, que continuer la tradition chrétienne ! Qu'est-ce, en effet, que le libéralisme, qu'est-ce le triomphe de toutes les idées d'émancipation, d'égalité, de fraternité, si ce n'est l'avènement du christianisme dans l'ordre politique !

Mais à la suite de ce jeune catholicisme, du catholicisme libéral et progressif, se traîne le vieux parti réactionnaire ; ce parti n'a rien appris et n'a rien oublié. Il est tout entier à ses préjugés et à ses haines. Il vit en dehors du siècle et du mouvement des esprits. Il en est encore à croire à la loi de l'immobilité, pour le monde physique comme pour le monde intellectuel et moral. Il calomnie la Providence, car il nie le progrès et il accuse la liberté. La liberté, c'est pour lui une fille de l'enfer, la liberté le plus grand bienfait de Dieu sur la terre.

C'est ce parti aveugle et incorrigible qui relève les échafauds en Italie pour y faire monter d'autres martyrs, les martyrs de la liberté. C'est lui qui, oubliant sa mission et le patronage qu'il doit aux opprimés, fait cause commune avec les oppresseurs des peuples. C'est lui qui, à deux reprises différentes, n'a pas craint d'écraser, de fouler aux pieds la malheureuse, l'héroïque Pologne. C'est lui enfin qui, oubliant que toutes les inspirations de liberté sont des inspirations de Dieu, lance ses anathèmes et ses foudres sur toutes les libertés.

Qu'importe ? ce sont là des faits qui nous sont étrangers, nous dit M. le ministre des affaires extérieures ; ce sont là des faits « romains ». Des faits romains ! Qu'est-ce à dire ? N'existe-t-il donc aucun lien entre Rome et la Belgique, entre Rome et notre triumvirat catholique ? M. Dechamps se préparerait-il déjà à traiter la papauté comme il a traité la république ?

Ces faits romains, vous oubliez donc qu'ils ont eu leur contrecoup et leur imitation dans ce pays ? Je regrette de devoir rappeler ici des souvenirs irritants ; mais puisqu'on nous a accusés, nous libéraux, de ne pas vouloir des libertés et que vous avez prétendu que votre parti était le parti de toutes les libertés, de toutes les libertés sans exception, il nous est bien permis de rechercher ce qu'est ce libéralisme dont vous faites tant de bruit et d'étalage.

En 1814, messieurs, je ne reculerai pas au-delà, la loi fondamentale avait été rejetée par nos adversaires. Savez-vous pourquoi ? Parce que le parti de toutes les libertés ne voulait pas même de la première, de la plus sacrée de toutes les libertés, de la liberté des cultes. En 1830, on tenait, il est vrai, un autre langage ; on réclamait la liberté, on la réclamait parce qu'on venait de sentir de poids de l'oppression. Mais libre à peine, on est revenu à ses vieux instincts, à ses instincts de haine pour la liberté et les institutions libérales ; et pendant que, dans cette enceinte, on s'efforçait d'amoindrir, d'effacer et de supprimer ces institutions, en dehors on publiait contre toutes nos libertés des mandements qui n'étaient que la reproduction des principes des encycliques romaines.

Je regrette vivement, messieurs, de devoir parler ici de mandements et d'encycliques, et de mêler ainsi une question religieuse à une question politique. Je le regrette, car, en le faisant, je froisse sans doute la susceptibilité de quelques honorables collègues. Mais à qui la faute si, à chaque pas, les questions et les intérêts religieux viennent se mêler à nos débats ? La faute en est à ceux qui n'ont pas voulu de la séparation des pouvoirs et qui ont rêvé la conquête de leur vieille suprématie. La faute en est à ceux qui, mêlant les intérêts religieux aux intérêts politiques, se sont fait de la religion un moyen d'assurer le triomphe de leurs projets d'envahissement.

La faute en est à ceux qui ont déserté les temples pour descendre sur la place publique. La faute en est à ceux qui se sont présentés dans l'arène des passions pour nous combattre, non comme citoyens et avec des armes constitutionnelles, mais comme prêtres, avec les attributs du sacerdoce et les moyens d'influence religieuse. La faute en est à ceux qui, pour fanatiser les populations et les soulever contre nous, ont eu recours, à chaque élection, à des mandements ou des expositions du Saint-Sacrement. La faute en est à ceux qui, en mêlant ainsi les choses saintes à leurs passions politiques, ont commis une véritable profanation, un impardonnable sacrilège.

Et maintenant vous parlez de notre intolérance ! Vous vous plaignez d'être victimes de l'ostracisme ! Nous sommes des prescripteurs ! Mais, j'en appelle à vos consciences : quels sont ceux qui les premiers ont brisé le pacte de l'union ? Qui donc nous a jeté le défi ? Qui a déclaré qu'il fallait vaincre le libéralisme en masse ? Qui, réalisant cette menace, a cherché, dans cette enceinte et en dehors, par les moyens légaux et les influences occultes, à frapper de proscription le libéralisme, les hommes et les choses du libéralisme ? C'est vous et le parti réactionnaire. Et maintenant vous vous étonnez qu'on ait répondu à vos défis et à vos attaques ! Vous pensiez donc, en frappant la société nouvelle, frapper sur un cadavre ! Souffrez maintenant la loi que vous avez faite. Vous avez semé les orages, ne vous étonnez pas de vous trouver au milieu des tempêtes. Le libéralisme vous a promis sa générosité ; mais c'est après la victoire. Jusque-là guerre, guerre acharnée, mais guerre franche, loyale et patriotique !

Et pendant que vous vous plaignez de l'ostracisme, vous annoncez fièrement que vous représentez le pays !

Vous représentez le pays, vous qui n'êtes que les instruments et les instruments aveugles du pouvoir occulte qui exploite la Belgique. Vous représentez le pays, vous qui avez adopté toutes les lois réactionnaires, vous qui êtes les complices de toutes les atteintes portées à nos libertés, vous qui avez violé nos franchises communales et nos franchises électorales, vous qui eussiez volé l'odieuse mainmorte ! Vous représentez le pays vous, M. de Theux qui en 1830, avez préside à la honteuse jonglerie qui nous a rendus la risée des autres peuples et qui, en 1840, avez scandaleusement violé la loi dans l'intérêt de la trahison ! Ah ! s'il en était ainsi, il faudrait à tout jamais désespérer de la liberté, de la civilisation, de la nationalité elle-même.

Vous représentez le pays ! Et les hommes de talent et d'intelligence qui se trouvent au sein du ministère, ces hommes qui, je le reconnais, eussent pu rendre d'utiles services au pays, s'ils avaient voulu défendre la cause de la liberté et du progrès, ont répudié cette noble mission. Ils se sont voués corps et âme, aux intérêts, aux exigences de la réaction ; ce sont maintenant des rétrogrades incorrigibles ; ce sont eux qui, suivant l'expression du poète :

Au char de la raison attelés par derrière,

Veulent à reculons l'enfoncer dans l'ornière.

Vous représentez le pays ! et le pays intelligent vous repousse. Vous êtes chassés, honteusement chassés de toutes les villes de quelque importance, et vous êtes réduits à aller vous cacher dans quelque obscur bourg pourri. Dans votre aveuglement, au lieu de vous épouvanter de l'hostilité des villes, vous cherchez à la justifier ; vous la trouvez régulière et normale ; les grandes villes, dites-vous, sont d'habitude avec l'opposition. Hommes imprudents, ; déjà vous avez oublié les faits contemporains et les grandes leçons dont vous avez été les témoins ! Vous avez oublié ce qu'est, ce que peut être le mécontentement des villes. Vous avez oublié qu'en 1830 deux villes, Paris et Bruxelles, ont produit deux révolutions ! Vous avez oublié qu'il a suffi d'une étincelle dans la ville où vous siégez en ce moment, pour allumer l'incendie et pousser le peuple à briser un gouvernement et une dynastie !

Vous représentez le pays ! et vous n'êtes ici qu'à l'aide d'une véritable surprise et d'une sorte d'escamotage politique. Il vous a fallu pour cela établir en faveur des campagnes le privilège du double et du triple vote, et prétendre que l'électeur campagnard qui ne sait ni lire ni écrire, est trois fois plus intelligent que la population libérale et progressive des villes. Là est tout le secret de votre puissance d'emprunt et de vos triomphes d'un jour. Aussi, si l'on se rendait au vœu public, si l'on faisait cesser un déplorable contre-sens, si l'on réalisait cette réforme électorale dont le nom seul vous exaspère, si l'on abaissait le cens des villes au niveau de celui des campagnes, et si l'on doublait ainsi le nombre si restreint de nos électeurs, c'en serait fait à tout jamais de vous et da votre parti. Le champ de bataille électoral serait couvert de vos cadavres, passez-moi la métaphore, et c'est à peine s'il resterait de ce grand désastre quelques-uns de vos amis pour venir prononcer dans cette enceinte votre oraison funèbre.

Vous représentez le pays ! et déjà le système de privilège et de réaction que vous avez introduit dans nos institutions électorales ne suffit plus pour vous protéger ; il faut, pour prolonger de quelques jours votre agonie, que vous veniez en solliciteurs, honteusement mendier la protection du pouvoir. Vos orateurs ont eu la franchise d'en convenir dans cette enceinte ; s'ils ont soutenu la déplorable administration de M. Nothomb, c'est parce qu'il avait empêché la dissolution, et mis, pour les élections, toutes les influences du gouvernement à la disposition du parti réactionnaire. Que le bras du pouvoir se retire de vous et vous disparaissez de la scène politique. Pour entrer ici maintenant, vous êtes condamnés à vous agenouiller devant le pouvoir et à prendre la livrée ministérielle.

Vous représentez le pays ! Et aujourd'hui vous êtes les maîtres du pouvoir ; vous régnez et vous gouvernez ; vous disposez de toutes les influences du pouvoir et vous pouvez peser de tout le poids du pouvoir sur les élections. Eh bien ! malgré cet immense avantage, vous avez peur des élections et vous avez peur du pays. Vous n'oseriez prononcer la dissolution des chambres ; nous vous en portons le défi formel.

Et ne venez pas dire hypocritement que si vous vous effrayez de la dissolution, c'est pour ne pas livrer le pays à de nouvelles agitations politiques. Vous craignez l'agitation politique, et votre nom seul, ainsi qu'on le disait tout à l'heure, est un drapeau d'agitation ; votre présence au pouvoir suffit pour soulever les passions populaires. Vous craignez l'agitation d'une dissolution et l'agitation toute légale des élections ! Mais s'il fallait, pour maintenir à tout jamais votre domination, s'il fallait révolutionner le pays, s'il fallait le révolutionner vingt fois, vous n'hésiteriez pas ! (Exclamations et interruption.)

M. le président. - Je dois faire remarquer à l'orateur qu'il n'a pas le droit de supposer à ses adversaires de telles intentions. Le règlement défend d'attaquer les intentions, et les intentions qu'il suppose à ses adversaires seraient des intentions criminelles.

M. Castiau. - Je connais le règlement et je suis prêt à le respecter. Je prétends seulement que la disposition qu'on m'oppose protège les membres de la chambre seuls et non les ministres. Quant à ceux-ci, ils nous appartiennent ; nous pouvons attaquer eux, leurs actes, leurs intentions et leur moralité. La prérogative parlementaire s'étend même jusqu'à la mise en accusation d'un ministère. Je crois être resté dans les limites de mon droit ; je déclare maintenir la phrase qui a provoqué l'interruption et je continue.

Et la situation dans laquelle nous nous trouvons, qu'est-elle donc autre chose qu'une cause permanente d'agitations et d'irritation ? Agitation par suite de l'entrée au pouvoir du nom le plus impopulaire du pays, agitation par suite de la position des partis dans les chambres, agitation partout enfin. Il n'y a en ce moment ni paix ni trêve possible. Nous sommes ici divisés en deux camps de forces à peu près égales. Quelques jours encore et il n'y aura plus de gouvernement possible. Enfermés dans cette impasse, que feraient des ministres courageux et loyaux ? Ils en appelleraient à l'instant même au jugement du pays qui seul peut trancher ce redoutable procès. Eh bien ! la seule annonce d'une dissolution vous trouble la (page 1167) tête et vous donnerait presque des convulsions. Ah ! oui, vous avez bien le sentiment de votre impopularité. Cette dissolution qui seule pourrait mettre un terme aux dangers de la situation, vous n'oseriez la prononcer ; nous vous en défions pour la deuxième fois. Vous n'oseriez la prononcer parce que l'appel au pays, non pas l'appel incomplet des élections fractionnées, mais l'appel à tous les électeurs, cet appel, en ce moment, serait votre arrêt de mort.

En écartant la dissolution, vous espérez prolonger encore de quelques jours une misérable existence, et alors vous croyez pouvoir braver nos prédictions. A nos prédictions de mort vous opposez avec jactance la liste de vos succès parlementaires et le dénombrement des voix qui vous ont soutenus jusqu'ici dans cette enceinte. Vous êtes devenus des esprits forts, paraît-il ; vous ne croyez plus aux prophéties. Eh bien ! si vous ne croyez plus aux prophéties, vous croirez peut-être aux événements et aux faits accomplis. Ecoutez donc quelques mots encore. Ma péroraison ne sera pas sans doute du goût de l'honorable M. Malou, car je vais faire apparaître une dernière fois encore l'inévitable révolution ; mais enfin, si j'en parle, c'est que je crois en mon âme et conscience que le nouveau ministère la porte dans ses flancs.

La guerre qui nous divise ici en deux camps, les libéraux et les catholiques, cette guerre que vous croyez pouvoir nier quand, ainsi qu'on vous l’a dit, elle agite tout le pays, depuis la ville la plus importante jusqu'au plus obscur hameau, celle guerre n'existe pas seulement en Belgique. ; à l'heure qu'il est, elle se retrouve dans tous les pays, c'est une véritable question européenne. Elle existait en France, cette lutte, dans toute son ardeur en 1825. Le parti réactionnaire français poursuivait le même but que le parti réactionnaire belge et il était aussi impopulaire que lui. Il était profondément impopulaire, non pas parce qu'il étail le parti de l'étranger, ainsi que l'a dit M. le ministre des affaires étrangères, il était impopulaire parce qu'il était l'instrument du jésuitisme politique et religieux et parce qu'il avait étendu sur la France entière le joug de cette congrégation qui avait son représentant jusque sur le trône. Armé du pouvoir, il sut également s'imposer au pays ; il était parvenu par la corruption à obtenir au sein des chambres d'immenses majorités. Vous n'êtes que dix ! s'écriait-il dans l'ivresse de son triomphe, en bravant insolemment la faible opposition libérale, qui était restée dans les chambres. Oui, nous ne sommes que dix dans cette enceinte, répondit le général Foy, mais en dehors de celle enceinte nous avons derrière nous trente millions de Français ; et malheur à vous !

C'est aussi par des éclats de rire et des sarcasmes qu'on répondait à ces énergiques, à ces prophétiques paroles. Qu'est-il arrivé cependant ? Cette faible opposition de dix membres en 1826, était devenue en 1829 la fameuse opposition des 221 et, en 1830, messieurs, en 1830, le peuple, les 30 millions de Français se levaient comme un seul homme et brisaient en trois jours une dynastie de cinq siècles.

Voilà, MM. les réactionnaires, non plus des prophéties, mais les leçons de l'histoire contemporaine. Permis à vous de les braver, d'avoir des yeux pour ne pas voir et des oreilles pour ne pas entendre ; permis à vous de nier le danger et de courir tête baissée vers l'abîme qui est à vos pieds. Nous avons rempli notre devoir ; nous vous avons avertis, nous avons averti le pays. Que la responsabilité des dangers, des malheurs que vous allez appeler sur la Belgique, retombe sur vous et sur votre parti !...

M. d’Huart. - A entendre l'honorable préopinant et un orateur qui a pris la parole dans une séance précédente, le discours que j'ai prononcé dans cette discussion serait des plus violents, des plus menaçants, et cependant ces honorables membres n'ont indiqué aucune expression violente ou menaçante dont je me serais servi. Je l'ai relu ce discours, je n'y ai rien trouvé et je défie d'y rien trouver qui ressemble à de la violence ou à de la menace.

Il se passe ici des choses bien étranges ; l'honorable préopinant, dont le discours n’est qu'un tissu de personnalités et d'injures, un véritable acte de violence, vient me reprocher, à moi, d'avoir été agresseur, alors que pas une de mes paroles ne saurait servir de prétexte à une semblable accusation ; on n'a jamais vu un tel spectacle dans cette enceinte. Comment ! on vient vous dire que le pays va être en révolution ; on ose prétendre que nous serions prêts à révolutionner vingt fois le pays si cela convenait à nos intérêts, et l'honorable membre qui tient ce langage nous rappelle à la modération, il qualifie comme étant très violent un discours dont il lui serait impossible de citer une seule expression qui ressemble à la moindre violence.

Je me suis fortement élevé dans ce discours contre l'accusation qui avait été lancée envers la majorité et le ministère d'être réactionnaires, parce que cette accusation me touche très vivement ; si par nécessite de position je devais être entraîné en quoi que ce fût à la réaction, je quitterais à l'instant même ce banc, je quitterais même plutôt la chambre que d'être réactionnaire, car personne plus que moi n'est ennemi de toute espèce de violence.

On me fait une guerre en quelque sorte personnelle, parce que j'ai répliqué à l'opposition.

Eh, messieurs, je n'ai pas attaqué l'opposition pour elle-même ; je n’ai combattu que les arguments dont elle s'appuie, et j'ai donné les raisons qui justifiaient ma manière de voir.

Mais, a-t-on dit, vous avez aussi fait partie de l'opposition. Oui, messieurs, j'ai fait partie de l'opposition, et j'ai voté certain acte qu'on a eu grand tort de rappeler ; oui, j'ai voté pour l'acte d'accusation dont on a parlé, et j'ai voté ainsi avec d'honorables membres qui se trouvent de votre côté, avec l'honorable M. de Brouckere, qui devait entrer dans le ministère de M. Rogier, il y a peu de jours, avec l'honorable M. Fleussu, qui partage votre opinion ; et pourquoi l'ai-je fait ? Parce qu'il s'agissait là non pas d'un procès de tendance, d'accusations vagues, mais d'une violation flagrante de la Constitution. Il s'agissait d'expulsions violentes et illégales de personnes réfugiées sous la protection de nos lois. Alors nous étions dans l'opposition, et nous serons toujours dans l'opposition, quand il s'agira de violations de la Constitution.

On avait dit encore que j'étais autrefois parmi les membres les plus ardents de l'opposition, que je voulais la guerre, marcher en avant. Oui, nous voulions aller en avant, parce que vous alliez en arrière, parce que vous administriez de manière à abandonner une partie de nos frères, parce que le douloureux morcellement du territoire devait être la conséquence de la marche imprimée, dans le principe, aux négociations.

Messieurs, j'ai demandé la parole pour un fait personnel ; je ne veux pas pour le moment rentrer dans le fond du débat ; je me bornerai à cette courte réponse aux honorables MM. Rogier et Castiau, qui ont semblé vouloir donner au discours que j'ai prononcé un caractère de violence qu'il ne comporte pas ; peut-être ai-je débité ce discours avec trop d'énergie, on voudra bien alors me le pardonner ; je ne suis pas maître de ma parole, comme l'honorable M. Castiau. Mais je prie l'honorable membre de relire ce discours, et il verra qu'il ne s'y trouve aucune idée réactionnaire ; au contraire, j'y fais un appel à la conciliation, je déplore qu'on nous qualifie de réactionnaires, je cherche à prouver que nous ne le sommes point, que je suis un ennemi déclaré de toute réaction, et que j'invite tous les membres de cette chambre à tendre la main à la conciliation.

M. Dubus (aîné), pour un fait personnel. - Messieurs, je n'étais pas dans la salle, lorsqu'un honorable député de Bruxelles, dans le discours qu'il a prononcé tout à l'heure, s'est occupé de celui que j'ai prononcé moi-même il y a quelques jours ; mais au moment où je rentrais, j'ai remarqué que l'honorable membre signalait la circonstance que mon discours a été imprimé par fragments dans le Moniteur, et qu'il insinuait d'une manière très directe que cela avait été fait à dessein, pour mettre en relief je ne sais quels passages de ce discours qui ont déplu à l'honorable membre.

D'abord, quand j'ai prononcé mon discours, je n'ai pas pris garde s'il serait ou non agréable à l'honorable membre qui n'en a pas été satisfait, je n'ai eu en vue que d'accomplir un devoir et d'émettre mon opinion dans le grave débat qui s'agite devant vous. Mais, messieurs, la supposition de l'honorable membre est tout à fait absurde, et je crois que tous ceux qui auront vu de quelle manière mon discours a été publié par fragments, mutilé, dirai-je, dans le Moniteur, ne comprendront pas qu'on ait pu le déchirer ainsi à dessein.

Au fait, au moment de l'impression, 12 à 15 feuilles du travail de MM. les sténographes ne se trouvaient pas sous la main de l'imprimeur, et l'on a trouvé commode de les passer, de façon à interrompre le sens de la manière la plus ridicule.

Je prie donc les membres de cette chambre de recourir au Moniteur, et de vérifier, je le répète, de quelle manière ce fractionnement a eu lieu.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, pour la première fois que j'ai l'honneur de prendre la parole devant cette chambre, il m'est extrêmement pénible d'avoir à aborder une question comme celle qui a été soulevée par l'honorable M. Castiau.

Cette question, messieurs, s'est présentée à moi, dès mon entrée au ministère, et je l'ai bien sincèrement regretté, parce qu'en l'examinant, j'ai de suite reconnu qu'il était impossible de la résoudre, sans froisser une famille que j'estime et que j'honore. Mais, messieurs, les intérêts de la discipline étaient compromis, et dès lors, il ne m'était pas permis d'hésiter.

La chambre n'attend sans doute pas de moi que je vienne lui expliquer comment et pourquoi j'ai été amené à infliger à quelques officiers du régiment du génie des peines disciplinaires. L'expression seule de peines disciplinaires indique suffisamment l'impossibilité de donner en public de semblables détails. Ce serait, messieurs, détruire dans l'armée tout esprit de subordination et d'obéissance, ce serait énerver dans les mains des chefs le pouvoir nécessaire, indispensable qu'ils exercent sur leurs inférieurs. Mais je ne refuse nullement de donner communication entière de l'affaire à MM. les membres de cette assemblée qui voudront se présenter dans les bureaux du ministère de la guerre, et j'espère qu'après un examen attentif, ils approuveront ma conduite.

Je me bornerai seulement à déclarer, que les faits, tels qu'ils ont été développés hors de cette enceinte sont complétement dénaturés. Je n'ai eu à punir à Mons que des actes d'insubordination, et quant à la question religieuse qu'on a voulu soulever, l'honorable M. Castiau pourra s'assurer dans les bureaux du ministère, qu'elle n'a pas motivé les punitions infligées.

Je sais bien qu'à propos de ce qui s'est passé, on m'a adressé le reproche d'avoir voulu frapper la partie active, la partie vivace, intelligente de l'armée. Non. messieurs, j'ai atteint la partie désobéissante, récalcitrante. Je ne sais pas, messieurs, si l'on peut partager l'armée en partie vivace et intelligente et en partie inerte et incapable ; quant à moi, je ne le crois pas ; je pense, au contraire, que l'armée entière est digne d'estime et de considération.

Et en supposant un moment que cette division pût être établie, l'on verrait, dans la question qui nous occupe, la partie intelligente se subdiviser immédiatement ; car si, dans le régiment du génie, il y a quelque officiers, sortant de l'école militaire, qui se sont montrés indisciplinés et portés incessamment à la controverse, il en est d'autres, et c'est heureusement le plus grand nombre, j'aime à le constater, qui servent docilement, sagement, exemplairement : ceux-là, messieurs, obtiennent les sympathies de leurs chefs, ils ont toutes les miennes.

(page 1168) Quant aux autres, si j'ai été forcé, bien malgré moi, car ce n'est pas de gaieté de cœur que j'ai signalé mon entrée au ministère de la guerre par un acte de sévérité ; si j'ai été forcé, dis-je, de les atteindre, c'est qu'avant d'exécuter les ordres de leurs chefs, ils les discutent, les commentent, et qu'ils sont continuellement en lutte avec leurs supérieurs. Voilà ce qu'il importait de réprimer.

On a voulu me porter à provoquer une enquête ; je m'y suis aussi refusé. Je vais avoir l'honneur de vous donner les raisons de ce refus.

Je vous prierai d'abord de remarquer que la gradation des peines disciplinaires se trouve indiquée de la manière suivante dans les considérants de la loi du 16 juin 1836 :

« Non activité, réforme, enquête et conseil de guerre. »

Eh bien, messieurs, il m'a semblé que les fautes commises n'étaient pas de nature à mériter l'application des trois dernières peines.

Je me suis arrêté à la non-activité, châtiment qu'il m'était toujours loisible d'abréger.

Appeler aujourd'hui l'enquête sur des faits jugés par arrêté royal, ce serait admettre une idée incompatible avec le respect dît aux actes qui portent ce caractère. Adopter cette idée, ce serait soumettre une décision du gouvernement, sanctionnée par le Roi, à une sorte de procédure en appel.

Les rapports du commandant du régiment du génie, de l'inspecteur général, du ministre lui-même, auraient à subir l'épreuve de débats contradictoires, dans lesquels on leur opposerait jusqu'à des certificats signés par des sous-officiers ; ce serait fournir un nouvel aliment à cet esprit d'insubordination et de controverse que l'arrêté a pour but de réprimer.

Est-ce à dire pour cela que les officiers punis n'aient plus aucun recours envers moi et ne puissent faire entendre leurs plaintes ? Au contraire. Rien ne s'oppose à ce que des officiers mis en non-activité fassent parvenir au département de la guerre tous les documents propres à éclairer le ministre s'ils pensent qu'il a été induit en erreur sur leur compte ; mais il faut qu'ils le fassent dans des formes convenables et en suivant les voies de la hiérarchie militaire. La transmission de semblables documents ne peut pas avoir pour effet de faire révoquer immédiatement un arrêté portant la signature du Roi ; mais lorsqu'elle est appuyée par une conduite sage, discrète et prudente et qu'il s'y joint quelques preuves d'amendement, elle peut faire abréger la durée du temps de non-activité.

En résumé, messieurs, entré hier au pouvoir, je veux bien en sortir demain ; mais je le déclare, je ne dévierai pas de la ligne de conduite que je me suis tracée, en acceptant le portefeuille de la guerre ; j'ai dit alors que je m'efforcerais de conduire les affaires de l'armée avec équité, fermeté et promptitude ; je remplirai ce devoir, je tiendrai parole.

- La chambre remet à demain la suite de la discussion.

La séance est levée à 4 heures et un quart.