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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 27 avril 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1132) M. Huveners procède à l'appel nominal à deux heures et un quart. La séance est ouverte.

M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners communique l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le sieur Havard prie la chambre de considérer comme non avenue sa demande de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Cans, d'Alost, prie la chambre de considérer comme non avenue son adhésion à la pétition qui lui a été adressée par des propriétaires et négociants d'Alost, en faveur de la convention conclue avec la France. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi relatif à cette convention.


« Plusieurs négociants en toiles et autres habitants de la ville de Courtray prient la chambre de sanctionner la convention de commerce conclue avec la France. »

- Même renvoi et insertion au Moniteur.


M. le président. - L'honorable M. Delfosse m'écrit qu'une indisposition l'empêche d'assister à la séance de ce jour ; il m'adresse en même temps quelques observations à l'occasion de la question de dissolution qui faisait partie du programme de M. Rogier. Pour ne pas poser de précédent, j'ai prié M. Verhaegen, à qui M. Delfosse a cédé son tour de parole, de donner lecture de cette lettre, s'il veut bien se l'approprier.

Projet de loi accordant un crédit provisoire au budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. Pirson. - Messieurs, j'ai l'honneur de vous présenter le rapport sur le projet de loi que, dans la séance du 20 de ce mois, vous avez renvoyé à l'examen de la section centrale du budget de la guerre, et qui tend à accorder un crédit provisoire de 3,000,000 de francs à valoir sur les dépenses de ce département pour l'exercice 1846.

Par les lois du 31 décembre 1845 et du 21 mars 1846, il avait été alloué au même département deux crédits provisoires s'élevant ensemble à 8,000,000 de francs. Ces crédits sont entièrement absorbés, et M. le ministre de la guerre a déclaré que celui qu'il sollicite est destiné à assurer le service de l'armée jusqu'au milieu de juin.

L'indisposition de l'honorable général Dupont et l'ajournement des chambres n'ont pas permis à votre section centrale de terminer encore l'examen du budget de la guerre. Ces circonstances, jointes à celle-ci que, par votre ordre du jour, vous êtes saisis de plusieurs projets de loi qui empêcheront probablement la discussion immédiate de ce budget, portent notre commission à penser que, pour ne pas entraver le service, il n'est pas possible de refuser le crédit provisoire de 5,000,000 de francs qui vous est demandé. En conséquence, elle a l'honneur de vous proposer à l'unanimité son adoption, sous la réserve précédemment exprimée qu'il ne sera apporté aucun changement au tarif actuel des traitements et soldes, aussi longtemps que la législation n'aura pas statué sur cet objet.

- La chambre décrète l'urgence et passe à la discussion immédiate du projet de loi.

Vote des articles et sur l'ensemble du projet

« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre un crédit provisoire de 5 millions de francs à valoir sur les dépenses de l'exercice courant. »

- Adopté.


« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi qui est adopté à l'unanimité des 86 membres qui y prennent part, deux membres (MM. d’Hoffschmidt et Donny) s'étant abstenus, parce qu'au moment où ils entraient dans la chambre, ils ignoraient sur quoi la chambre était appelée à voter.

Ont pris part au vote : MM. Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Verwilghen, Veydt, Wallaert, Zoude, Biebuyck, Brabant, Castiau, Clep, Coppieters, de Bonne, de Breyne, de Chimay, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, Devaux, de Villegas, d'Huart, Dolez, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), A. Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Huveners, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Lejeune, Liedts, Loos, Lys, Malou, Manilius et Mast de Vries.

Motion d'ordre

Nomination d'un parlementaire comme directeur du musée royal d'histoire naturelle

M. Osy. - Vous aurez vu dans le Moniteur de jeudi dernier l'organisation du Musée royal d'histoire naturelle. Un de nos honorables collègues en a été nommé directeur. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur sï ces fonctions ont été acceptées, si un traitement n'y est pas attaché et si l'article 36 de la Constitution n'est pas ici applicable.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - La personne à laquelle a fait allusion l'honorable M. Osy a accepté ces fonctions ; mais aucun traitement n'y est attaché.

M. Fleussu. - N'y aura-t-il pas un traitement ?

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Cet arrêté organique a été pris sur la proposition de mon prédécesseur l'honorable M. Van de Weyer. Il n'est fait aucune mention du traitement. Jusqu'à présent je n'ai pas l’intention de soumettre une proposition à la chambre. Si ultérieurement des besoins se révélaient, j'aurais à examiner s'il y a lieu de soumettre une proposition à la chambre.

Formation du nouveau gouvernement

M. le président. - Le premier orateur inscrit est M. d'Elhoungne pour une motion d'ordre ; il n'est pis présent. Le second orateur est M. Delfosse qui a cédé son tour de parole à M. Verhaegen.

M. Verhaegen. - Mon honorable ami M. Delfosse se trouvant indisposé, alité même, m'a cédé son tour de parole.

Avant de parler pour mon compte, j'ai à donner lecture de la lettre que l'honorable M. Delfosse a écrite à M. le président et qui renferme en résumé ses réflexions sur la demande de dissolution éventuelle des chambres, objet de toutes les attaques de MM. les ministres.

Voici cette lettre :

« M. le président.

« Hier, vers cinq heures du soir, j'ai éprouvé une forte indisposition qui m'a forcé à me mettre immédiatement au lit : je suis mieux en ce moment, mais il ne m'est pas encore possible de sortir. Je regrette d'autant plus de ne pouvoir me rendre à la séance que mon tour de parole était arrivé. Permettez-moi, M. le président, de vous soumettre quelques-unes des idées que je me proposais de développer au sujet de la demande de dissolution éventuelle des chambres qui a été tant incriminée.

« J'ai eu l'honneur de figurer sur la liste que M. Rogier a soumise à la Couronne, j'ai pris part à la rédaction du programme, je tiens à prouver qu'il n'y a pas dans cette pièce la moindre atteinte à la prérogative royale, que je respecte infiniment.

« Je soutiens, au contraire, que ceux-là portent atteinte à la prérogative royale, qui dénient à la royauté le droit d'accepter librement, après avoir mûrement réfléchi, les conditions qu'un homme politique met à son entrée au pouvoir et de s'engager a appuyer plus tard, par les moyens qui sont à sa disposition, les mesures que cet homme politique lui soumet à l'avance ; ceux-là enchaînent la royauté, qui l'empêchent de faire aucune espèce de promesse relative à l'exercice de sa prérogative.

« Il y a, je le sais, quelques-uns de MM. les ministres qui ont déclaré qu'ils admettraient la demande de dissolution éventuelle pour des cas bien déterminés et qui ne nous ont adressé de reproche que parce que nous avions, selon eux, posé des cas de dissolution fort vagues.

« Vous demandiez, nous ont-ils dit, la dissolution éventuelle pour toute question de confiance ; vous la demandiez aussi pour toute opposi io« journalière et combiné.- ; vous auriez pu transformer toute question en question de confiance, toute opposition en opposition journalière et combinée, vous auriez pu dissoudre quand vous auriez voulu.

« Ceux qui font ce raisonnement n'oublient qu'une chose, c'est que le Roi eût été, même après l'acceptation de notre programme, entièrement libre d'apprécier les faits pour lesquels nous lui aurions demandé la dissolution ; il n'eût pas suffi que la question nous parût une question de confiance, que l'opposition nous parût une opposition journalière et combinée (et remarquez bien que nous avions ajouté dans le programme : « de nature à entraver la marche du ministère au point qu'il ne lui fût plus possible de rester sans compromettre la considération du pouvoir ou les intérêts du pays ». Il eût fallu que Sa Majesté fût du même avis que nous, sinon elle eût pu nous répondre :« Je ne pense pas que le cas pour lequel j'ai promis la dissolution soit arrivé et je ne l'accorde pas. » Je défie MM. les ministres de trouver dans notre programme un seul mot dont on pourrait conclure que nous voulions enlever au Roi l'appréciation des faits. Ce n'était pas un blanc-seing :, ce n'était pas une délégation de la prérogative royale que nous demandions à Sa Majesté. Sa Majesté se serait réservé d'exercer elle-même sa prérogative, après l'examen des faits pour lesquels nous aurions prétendu qu'il y avait lieu à l'accomplissement de la promesse royale.

« Cette observation bien simple réduit à leur juste valeur toutes les déclamations auxquelles on s'est livré contre nous ; elle prouve en outre que la distinction que l'on a faite entre une condition bien déterminée et une condition vague est fausse, car c'est justement lorsque la condition est vague que le roi est plus libre.

« Pour justifier les grands mots d'atteinte à la prérogative royale, d'abdication, de ministres-rois, on a encore supposé qu'il n'aurait pas été permis à Sa Majesté de nous renvoyer avant les élections de juin 1847. Mais où a-t-on vu cela ? Nous demandions des garanties pour le cas d'un dissentiment (page 1144) grave entre les chambres et nous, nous n'en demandions pas pour le cas où Sa Majesté aurait voulu nous retirer nos portefeuilles. Nous avions confiance dans la royauté, nous étions sûrs qu'après nous avoir acceptés, qu'après avoir accepté notre programme, elle ne jetterait pas, sans motifs graves, le pays dans de nouvelles crises ministérielles ; mais ce qui s'était passé en 1840 nous permettait de demander à Sa Majesté si elle ne laisserait pas faire par d'autres ce qu'elle ne voudrait pas faire elle-même ; si, dans tels cas donnés, elle nous soutiendrait au prix d'une dissolution ; nous ne voulions pas, en un mot, tomber, comme le ministère de 1840, devant le sénat, avant les élections qui doivent renouveler la moitié des chambres.

« Tout le secret de notre programme est là ; nous ne redoutions pas la chambre des représentants, le ministère de 1840 y avait trouvé un nombre de voix suffisant. Nous y aurions, j'en suis sûr, trouvé plus de voix encore ; car, depuis 1840, il s'est fait, dans la chambre, un mouvement bien prononcé de droite à gauche. La prétention de la droite à être encore majorité n'a pas le moindre fondement, elle n'est majorité qu'à l'aide du pouvoir ; à l'aide du pouvoir nous serions majorité aussi et majorité plus forte.

« Ce déclin d'une puissance autrefois si grande devrait faire naître de sérieuses réflexions. La droite n'est plus majorité dans cette chambre, et cependant, dans toutes les élections, le pouvoir a usé et a abusé pour elle de tous ses moyens d'influence. Quelle plus grande preuve pourrait-on avoir du vide qui s'est fait autour d'elle dans le pays, et comment, après cela, ne voit-on pas le danger que l'on court en l'appelant à gouverner ?

« Ce n'est pas la chambre des représentants c'est le sénat qui nous paraissait à craindre ; nous nous attendions, je crois pouvoir le dire, sans blesser cette honorable assemblée, à trouver dans le sénat des sentiments hostiles et de vives répugnances, et nous ne voulions pas le laisser une seconde fois maître de la situation ; si nous avons demandé dans le programme la dissolution éventuelle des chambres, et non pas celle du sénat seulement, c'est que nous ne voulions pas donner à la mesure un caractère exceptionnel dont cette honorable assemblée aurait pu à bon droit être offensée.

« J'aurais, M. le président, encore bien des choses à dire là-dessus, mais l'état de ma santé ne me permet pas n'écrire plus longtemps. Je ne veux cependant pas terminer sans dire un mot de nos rapports avec l'honorable M. d'Hoffschmidt. L'honorable M. d'Hoffschmidt a donné à la chambre des explications dont il résulte qu'il n'avait adhéré à notre demande de dissolution éventuelle que pour le seul cas du rejet de la loi d'enseignement moyen. Cela est vrai, mais l'honorable M. d'Hoffschmidt avait ajouté, sur l'interpellation de l'honorable M. de Brouckere, que, si le Roi acceptait le programme, le programme tout entier, il n'hésiterait pas alors à l'accepter aussi et à marcher entièrement d'accord avec nous. Cela est dans les notes que l'honorable M. de Brouckere a recueillies au moment même où la conversation venait d'avoir lieu et qu'il nous a communiquées dans le même moment. Seriez-vous assez bon, M. le président, pour donner lecture à la chambre des observations qui précèdent ?

« Agréez, etc.

« Signé, N.-J.-A. Delfosse, représentant. »

Je crois que sur le point qui vient d'être traité par mon honorable ami, il n'y a rien a ajouter. Je me borne donc, après la lecture de la lettre, à déposer la pièce sur le bureau.

M. Verhaegen. - Maintenant, messieurs, j'ai pour mon compte quelques observations à vous soumettre sur un autre point de la discussion.

Absent depuis plusieurs jours, notamment depuis le discours politique que j'ai eu l'honneur de prononcer au début de la discussion, j'ai appris par le Moniteur, les objections principales qu'on m'a faites, et je vous demande la permission d'y répondre en peu de mots. Messieurs, on a surtout attaqué ce que j'avais eu l'honneur de vous dire, relativement à certaine affaire, qui, d'après moi, démontrait l'existence, en Belgique, d'une influence occulte. On a dit que j'avais donné, à cette affaire de très peu d'importance une couleur politique, comme si mon intention avait été d'éveiller les haines des partis contre un ministère qui n'a pas mes sympathies. J'accepte, messieurs, toute la responsabilité de ma conduite ; ce que j'ai dit de l'affaire de Retsin a été le point de départ et doit continuer à faire l'objet de la discussion. Cette affaire, d'ailleurs, a eu trop de retentissement dans le pays ; on s'en est trop occupé et dans la capitale, et dans les provinces, pour qu'on puisse laisser sans réponse, je ne dirai pas la défense du ministère ; car je n'ai trouvé de défense dans aucune des colonnes au Moniteur, mais les prétextes, les mauvaises raisons qu'on a employés pour tâcher de distraire l'attention de la chambre du véritable objet à l'ordre du jour.

Quant à moi, messieurs, je n'ai pas l'habitude de me contenter de paroles, de simples allégués ; il me fait des preuves irrécusables ; et quand on m'oppose des pièces, il faut qu'elles soient à l'abri de tout soupçon, car je n'accorde pas légèrement ma confiance à des hommes qui, le plus souvent, se laissent entraîner par la nécessité de leur position.

Ce que je viens de dire doit surtout recevoir son application lorsqu'il s'agit d'affaires qui intéressera le pays tout entier. Dans l'espèce, la question à l'ordre du jour est une question de haute moralité, de haute probité publique, et il ne nous est pas permis dès lors d’avoir des ménagements pour certains noms, ou de croire certains personnages sur parole.

Messieurs, l'affaire de Retsin qui est votre cauchemar a eu du retentissement et elle en aura encore ; les choses se fussent-elle passées comme vous le prétendez, vous ne vous justifierez jamais qu'au moyen d'une enquête parlementaire ; et dans votre intérêt bien entendu, vous devriez la provoquer vous-même. Il y a certaines accusations qui exigent une justification solennelle, et celles dont vous êtes en ce moment l'objet, MM. les ministres, sont de cette nature. Le pays ne se contentera pas de simples allégués et de pièces insignifiantes qui ne lèvent aucun doute.

Nous connaissons, messieurs, l'importance d'une enquête parlementaire terrible dans ses conséquences pour les coupables, et nous en avons eu un exemple récent. Que M. le ministre de la justice ait donc le courage d'y donner son assentiment seulement, alors on saura de quel côté est la vérité.

Retsin, on l'avoue aujourd'hui, est un fripon, et pour me servir des termes mêmes de M. le ministre de la justice, un fripon fieffé. Mais c'est un hypocrite, dit-on, qui est parvenu à induire tout le monde et entre autres tous les ministères en erreur. Car il ne s'agit pas seulement du ministère actuel, il s'agit aussi des ministères précédents.

Ce que j'ai eu l'honneur de vous dire, messieurs, quant à l'avancement successif dont Retsin a été favorisé, c'était plutôt pour la moralité que pour le fond même du débat, car ce qui fait l'objet du reproche que nous adressons au ministère, c'est l'élargissement de cet homme condamné à 5 années d'emprisonnement, sans l'intervention de la justice, sans l'intervention de la royauté.

Nous avons dit que Retsin qui n'avait aucun antécédent, et que vous connaissez aujourd'hui d'après la peinture que nous en avons faite, était entré au ministère des finances comme simple employé, attaché au secrétariat, aux appointements de 600 francs. La protection qui l'entourait était telle qu'il ne se fit pas même installer dans ses fonctions et que d'emblée ïl fut nommé à une recette de 1,900 francs, puis à une recette plus lucrative, puis enfin à celle de Jemmapes.

Mais ne faisons pas d'anachronisme ; d'où part la première faveur ? D'un ministère qui n'était pas le ministère de nos amis, quoi qu'on en dise. Je crois que la première faveur part de certain ministère dans lequel se trouvait un honorable membre qui se trouve en face de moi (M. Desmaisières).

Et depuis quand date la promotion à la recette de Jemmapes ?

M. le ministre des finances (M. Malou). - Et l'intermédiaire.

M. Verhaegen. - Veuillez me permettre de prendre les extrêmes ; je vous abandonnerai alors l'intermédiaire. Je reconnais que vous aimez beaucoup mieux que moi le juste milieu.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - N'est-ce pas là de la franchise ?

M. Verhaegen. - Nous verrons. Quand Retsin a-t-il été nommé à la recette de Jemmapes aux appointements de 5 à 6 mille francs ? Sous quel ministère ? Ce n'est certes pas encore sous le ministère de nos amis.

Pour le nommer à une pareille recette, il a évidemment fallu consulter les antécédents. Car je pense qu'il y a dans les inspections des provinces, dans les directions, dans les bureaux du gouvernement central, au ministère des finances, un état de tous les receveurs, de tous les contrôleurs, etc., comme les militaires aussi ont leur état de service. Je pense que lorsque des plaintes ont été formulées contre un receveur, contre un contrôleur ou contre un inspecteur, ces plaintes se trouvent annotées dans le registre à ce destiné. Avant de nommer Retsin à la recette de Jemmapes, on a dû consulter ce registre, et si l'on a consulté ce registre, on a dû voir quels étaient les antécédents de l’homme que l'on favorisait de cette manière. On a dû y voir que le directeur d'Anvers avait demandé son renvoi ; que le directeur de Gand avait demandé qu'on l'on débarrassât n'importe comment.

Cependant on lui a donné une recette de 5 à 6 mille fr. Et pourquoi ? Parce que des personnages importants le protégeaient. On a, dans les rapports communiqués en copies, remplacé les noms des marquis et barons par des N. On n'a pas voulu les nommer, quoique tout le pays les connaisse. Ce sont des réticences pour la forme ; eh bien, Retsin a été nommé, par suite de cette protection, receveur à Jemmapes, lorsqu’en ouvrant le livre à ce destiné, on a dû savoir tout ce qu'il avait fait pendant sa carrière, pendant sa courte carrière administrative.

C'est, messieurs, cette même protection, et, c'est pour cela que nous avons parlé de ses antécédents administratifs, c'est cette même influence qui a amené ce résultat dont nous nous plaignons. Car tout cela se lie ; c'est une chaîne, et il n'est permis à personne de la rompre.

Mais, dit-on, M. Desmaisières a pu se tromper ; mais M. Mercier a pu se tromper, mais M. de Briey a pu se tromper ! Se tromper de cette manière lorsqu'il y avait moyen d'avoir immédiatement des renseignements, c'est ce qu'on ne fera pas facilement admettre, comme on ne fera pas admettre non plus qu'on ait relâché, sans l'intervention de la royauté, du pouvoir judiciaire, un homme condamné à cinq années de prison, si on n'avait été poussé à cet acte par l'influence de certains marquis et barons qui font partie de la camarilla qui nous gouverne.

Vous parlez d'intermédiaire ; messieurs, vous savez à quelle époque j'ai attaqué l'honorable M. Mercier, vous savez quels ont été les reproches dont j'ai été force de l'accabler, et il ne serait pas étonnant que vous eussiez aussi à imputer à l'honorable M. Mercier ce que j'ai imputé à ses devanciers et à ses successeurs. Aussi je vous l'abandonne complétement.

Messieurs, occupons-nous maintenant de l'affaire en elle-même

Retsin, condamné à cinq années de prison pour vol de deniers publics, avec tous les antécédents que vous connaissez, avait présenté une requête en grâce. Tous les avis avaient été défavorables et ils devaient l'être d'après toutes les circonstances du procès que j'ai groupées dans mon premier discours ; la demande en grâce fut donc rejetée.

On nous a donné communication de quelques pièces sur ce point ; on en a imprime une partie dans le Moniteur. Je dis une partie, parce que les plus (page 1145) importantes ne s'y trouvent pas. J'entends parler du rapport de M. de Marbaix, procureur du roi à Mons.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je l'ai dépose sur le bureau. C'est la chambre qui a demandé que je n'en fisse pas la lecture. Vous pouvez le lire, si vous le voulez.

M. Verhaegen. - Je me disposais précisément à le faire. Toujours est-il extraordinaire que cette pièce n'ait pas été imprimée en entier ; c'est encore une de ces fatalités dont M. le ministre accuse le sort ; il s'en rencontrera bien d'autres encore.

Voici donc le rapport en entier de M. de Marbaix :

« Rapport et proposition sur la requête en grâce de Charles Retsin, âgé de 50 ans, né à Courtray, en dernier lieu receveur des contributions à Jemmapes

« Le procureur du roi dit :

« Que les faits de cette affaire étaient des plus clairement établis et tout à la fois des plus odieux, au point que les trois conseils du condamné, avocats honorables et hommes de talent, ont déclaré, à l'audience, qu'ils s'abstiendraient de prendre la parole pour la défense de leur client ;

« Qu'en effet voici sommairement ce qui est indubitablement prouvé.

« 1° Des timbres ont été employés par Retsin pour deux actes différents.

« 2° Treize originaux d'exploits ont été par lui comptés aux contribuables, alors qu'il n'y en avait eu qu'un pour treize copies d'exploit.

« 3° Des taxations arbitraires faites au moyen de croix mises au bas des déclarations dans le bureau même de Retsin, en lieu et place d'aller les recevoir à domicile, croix au nombre desquelles figure, prétendument une personne morte depuis deux ans.

« 4° Soustraction à sa caisse, de la part de Retsin, d'une somme de 1,852 fr., plus d'une somme de 23 fr., en différentes parties, sommes dans lesquelles figure celle de 654 fr. 84 c. reçue par le condamné et dont il n'avait pas passé écritures à ses livres.

« 5° Soustraction à sa caisse d'une somme de 583 fr. 14 c., dont l'import provient de recettes opérées sur des patentes de bateliers et qui n'a pas été mentionnée dans les livres de Retsin.

« Il est reconnu aujourd'hui que cette somme de 583 fr. 14 c. est majorée grandement, ainsi qu'on pourra s'en assurer au département ides finances.

« Et 6° Soustraction d'une somme de 45 fr. 6 c, somme non annotée dans les livres de Retsin, et qu'un contribuable appelé Lemier, dut payer deux fois, après des poursuites faites.

« Lorsqu'on considère que :

« I. La somme réellement soustraite par Retsin est reconnue, à ce jour, excéder 3,000 fr., ainsi qu'on peut s'en assurer au département des finances et d'après l'inspection des pièces du dossier actuellement en mains de M. le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles ; ce qui était de nature à rendre l'affaire criminelle ;

« II. Les sommes mentionnées sous les n°3 et 6 et d'autres qui n'ont pas figuré au procès provenant de patentes des bateliers, étaient indubitablement soustraites avec l'intention de conserver ;

« III. Une multitude d'autres soustractions que celles ci-dessus énoncées ont eu lieu temporairement ;

« On se demande comment le condamné a osé se pourvoir en grâce auprès de Sa Majesté.

« Il est vrai que le cautionnement de Retsin était au moins de 16,000 fr., et que, quelle que soit la hauteur des deniers par lui soustraits, dans l'opinion du soussigné, elle n'atteindra pas ce chiffre, en telle sorte que pour les soustractions qui auront été découvertes et bien constatées (et il sera presque impossible de vérifier la totalité de celles provenant des patentes des bateliers), au moins l'Etat sera indemne.

« Aussi l'officier du parquet avisant aurait-il estimé qu'il n'y aurait pas eu lien d'exclure de la pitié du souverain la personne du condamné, si les circonstances suivantes ne s'étaient pas présentées dans son affaire :

« 1. Il n'a posé aucun fait doleux sans préméditer à l'avance le moyen de s'en disculper, en calomniant des tiers de la manière la plus infâme.

« C'est ainsi qu'il a osé attribuer une grande partie de ses nombreux vols à son commis, jeune homme dont l'innocence a apparu dans tout son jour à l'audience.

« C'est ainsi que, par des machinations et des artifices inqualifiables, il a reproché l'abus de blanc-seing et même le faux à son contrôleur homme d'une probité à l'abri de toute suspicion et en raison desquelles imputations Retsin a reçu de nombreux démentis résultant de pièces mêmes émanant de lui Retsin, écrites ou signées par lui.

« II. Pour consommer ces vols, des écritures, des ratures et des surcharges frauduleuses ont été faites par le condamné dans ses livres.

« III. Un fait particulièrement peint bien la moralité et la manière de faire du condamné ; il est relatif à la soustraction mentionnée au n° 6 ci-dessus.

« 1° Un nommé Lemier paye cette somme en mains de Retsin, qui lui donne quittance, mais ne l'annote pas sur ses livres.

« 2° Peu de jours après le payement, Retsin fait, sous un prétexte quelconque, redemander par son commis les quittances de Lemier.

« 3° Le commis reçoit les quittances et les place dans son bureau. En son absence, Retsin qui avait la clef de ce meuble soustrait les quittances.

« 4° Des poursuites sont dirigées contre Lemier en raison de ladite somme. Il court chez Retsin, redemande ses quittances. Retsin nie les avoir et renvoie à son commis. Les poursuites continuent, nouvelle démarche de Lemier, chez Retsin, même réponse de celui-ci à Lemier. Enfin ce dernier est forcé à payer de nouveau la somme dite, ainsi que les frais dont la mauvaise foi de Retsin l'a rendu passible.

« Et 5° lors d'une saisie faite au domicile de Retsin, le soussigné y étant présent, Retsin eut assez d'adresse pour escamoter ces quittances et les cacher derrière un meuble où le soussigné les saisit, d'après l'indication d'un des gendarmes qui l'accompagnaient.

« Sur tout ce qui précède, les faits peuvent être posés, et vérifiés pièces en mains, ainsi que l'a fait le ministère public devant le tribunal de Mons.

Pourquoi le soussigné énonce qu'on ne saurait citer quoi que ce soit qui puisse motiver une demande en grâce de la part de Retsin et que les circonstances les plus graves et les plus concluantes se réunissent pour réclamer. l'exécution pleine et entière du jugement du 28 août 1845.

« Aussi le soussigné estime que la demande de Retsin doit être entièrement rejetée.

« Au parquet à Mons, ce 13 février 1846

« de Marbaix. »

M. le ministre de la justice connaissait ce rapport dès le milieu du mois de février 1846 : ce rapport avait passé sous ses yeux avec celui de M. le procureur général de Bavay qui est du 17 février, si je ne me trompe, car, par une seconde fatalité, la date n'en est pas indiquée dans le Moniteur. Le rapport de M. de Bavay porte :

« M. le ministre,

« J'ai l'honneur de vous renvoyer, avec le rapport de M. le procureur du roi de Mons, la requête que le condamné Retsin a adressée au Roi et que vous m'avez transmise par apostille du 11 février, 2e division, 1er bureau, n°14527.

« Le rapport du parquet de Mons démontre à la dernière évidence que le condamné ne mérite aucune faveur ; sa cause était tellement mauvaise, que par un exemple en quelque sorte unique dans les fastes judiciaires, trois avocats recommandables ont du renoncer à la défense. La faculté de subir son emprisonnement à Bruxelles est déjà une grâce qui ne s'accorde que bien rarement pour des peines aussi longues, et je ne pense pas que le gouvernement, s'il était disposé à faire une nouvelle faveur à un homme qui en est complétement indigne, pût jamais se résoudre à le faire transférer, comme Retsin le demande, à l'hospice des sœurs hospitalières d'Opbrakel, car cet hospice n'est pas une prison ; je suis même porté à croire qu'il n'est pas un établissement public, qu'il forme une institution particulière, et les articles 615 et suivant du code d'instruction criminelle démontrent qu'il est impossible d'y séquestrer un individu condamné criminellement ou correctionnellement.

« (Signé) De Bavay. »

Ces deux rapports, je pense, étaient assez formels, assez explicites, pour qu'il ne pût plus être question de la requête que Retsin avait présentée au Roi sous la date du 20 janvier, et par laquelle il demandait la grâce de la peine à laquelle il avait été condamné, ou du moins la suspension de cette peine pour se faire traiter dans une maison de santé qu'il indiquait. Aussi, M. le ministre a-t-il dit dans les explications qu'il a fournies à la chambre que jusque-là il avait été absolument du même avis que MM. de Marbaix et de Bavay, c'était le 17 février (les dates sont importantes), le 17 février 1846...

Maintenant que s'est-il passé depuis cette époque, 17 février 1846, qui ait pu motiver l'arrêté du 23 mars, arrêté ministériel, par lequel il est permis à Retsin de sortir de prison, pour se faire soigner dans une maison particulière sans même indiquer cette maison ?

Ce défaut d'indication d'une maison de santé est digne de remarque : Retsin avait demandé de pouvoir se faire soigner à Opbrakel, et l'arrêté dit tout simplement que les portes de la prison lui sont ouvertes avec faculté de se rendre dans une maison de santé particulière quelconque, car l'arrêté n'en indique aucune spécialement. Une observation non moins importante, messieurs, c'est que pour obtenir la faveur subsidiaire de se faire traiter dans une maison de santé, Retsin s'était adressé au Roi tout aussi bien que pour sa demande en grâce, et que cependant c'est le ministre qui a statué sur sa requête. Le ministre s'est arrogé là un droit qui évidemment n'appartenait qu'a la Couronne.

Si nous voulions traiter de nouveau la question au point de vue de la légalité, nous vous démontrerions, et par des textes de lois et par des autorités nombreuses, que le pouvoir que s'est arrogé M. le ministre de la justice ne lui appartient point, nous dirons même qu'il n'y a pas d'exemple dans le passé d'un pareil abus, car les quelques cas que l'on a cités, sans doute pour donner le change à la chambre et au pays, n'ont rien de commun avec le cas qui nous occupe, celui où un ministre, sans information préalable sur l'état de la santé du détenu et aussi sans prendre aucune précaution, fait ouvrir les portes de la prison à un homme condamné au maximum de la peine pour vol de fonds appartenant au trésor public !

Nous connaissons maintenant la portée de l'arrêté du ministre de la justice du 25 mars, et nous ne reviendrons plus sur ce point ; mais que s'est-il donc passé, depuis le 17 février jusqu'au 25 mars ? Voilà la véritable question, question digne de fixer toute votre attention.

Au 17 février, le ministre de la justice était convaincu comme le procureur du roi de Mons, comme le procureur général près de la cour de Bruxelles, que Retsin était un fiellé fripon, un voleur de deniers publics qui même aurait pu être poursuivi et condamné criminellement. Il était donc bien et dûment informé. Que s'est-il passé depuis ? Quels personnages haut placés se sont entremis pour le condamné ? Quels fonctionnaires voudrait-on compromettre aujourd'hui pour alléger la responsabilité du ministre ? Je vois figurer dans le Moniteur les noms de M. Hody, administrateur des prisons et de M. Liedts, gouverneur du Brabant ; seraient-ce par hasard ces messieurs sur lesquels on voudrait faire peser les iniquités du ministère au sujet de l'affaire Retsin ?

(page 1146) Singulière interversion que celle-là ! Mais pour arriver à ce résultat, il fallait pouvoir invoquer une correspondance ; on a interverti les faits, il a fallu intervertir les dates. Ce n'est pas légèrement que je m'en explique ainsi ; l'accusation est grave, je le sais, mais je prouverai mes assertions.

La requête que Retsin avait adressée au Roi et qui avait un double but ayant été rejetée, ses protecteurs firent de nouvelles démarches et près du ministre de la justice et près de M. de Bavay, mais celui-ci tint bon et fut inexorable. Honneur à lui ! Il m'est impossible de dire tout ce qui se passa dans les coulisses. Mais ce qui est certain, c'est qui M. de Bavay, averti par les démarches de certain marquis, écrivit le 28 mars 1846 à M. le ministre de la justice pour arrêter l'accomplissement d'un acte odieux.

M. de Bavay, dans sa lettre du 28 mars, reproduisit tout ce qu'il avait dit dans son rapport du 17 février, et M. le ministre de la justice doit avouer que s'il a connu cette lettre du 28 mars, alors qu'il a expédié l'arrêté de mise en liberté de Retsin, sa conduite reste injustifiable. Or, je vais prouver que M. le ministre connaissait à cette époque la lettre de M. de Bavay du 28 mars.

La lettre de M. de Bavay du 28 mars est imprimée au Moniteur, sauf qu'on a substitué à un nom propre une initiale, non pas la véritable initiale, mais la première lettre venue, N...

Voici cette lettre :

« Monsieur le ministre,

« M. N... vient de m'informer que je recevrais incessamment une disposition qui autoriserait la mise en liberté provisoire du condamné Charles Retsin, actuellement détenu en cette ville, et à qui on accorderait l'autorisation de séjourner chez son vieux père, pour y rétablir sa santé. Si je reçois une disposition semblable, je m'empresserai de la mettre à exécution ; mais en attendant qu'elle soit portée, je crois devoir vous informer, M. le ministre, que Retsin est entré aux Petits Carmes le 16 septembre 1845, et que depuis six mois qu'il y séjourne, il n'a jamais accusé aucune indisposition, ai reçu la visite d'aucun médecin. J'ai cru ne pas pouvoir vous laisser ignorer cette circonstance au moment où l'on fait de nombreuses démarches auprès de vous dans l'intérêt du condamné.

° Le procureur général,

« (Signé) de Bavay. »

M. le ministre de la justice, en lisant la lettre du procureur général, était donc parfaitement au courant, car M. de Bavay y disait que Retsin n'était pas malade ; qu'il n'avait jamais été malade dans la maison de sûreté ; qu'il n'avait jamais reçu de visite de médecins. Il combattait l'autorisation demandée pour Retsin de séjourner chez son vieux père, à l'effet d'y rétablir sa santé, et il finissait par dire qu'il n'y avait aucune raison pour accorder nne grâce semblable à Retsin.

Et puisque nous parlons de médecins, nous dirons que c'est une mystification dans toute la force du terme, que de venir prétendre que M. le ministre a porté son arrêté du 25 mars sur le vu de certificats de médecins constatant la maladie de Retsin, car, fatalité nouvelle, ces certificats sont égarés, je me trompe, ils sont restitués ; restitués à qui ? Probablement aux médecins qui les ont délivrés ou aux personnages mystérieux qui les avaient transmis au ministère !!! Quoi qu'il en soit, ces pièces qui auraient pu couvrir au moins en partie la responsabilité de M. d'Anethan et de ses collègues ont disparu...

Mais il y a plus ; si je m'en rapporte à un organe de la presse qui appuie d'ordinaire le ministère, ces pièces n'ont jamais existé ; le seul certificat auquel le « Journal de Bruxelles » fasse allusion, est un ancien certificat, attestant que l'année dernière Retsin aurait été atteint d'une maladie grave ; ainsi Retsin n'était pas malade en mars 1846 ; M. le procureur général de Bavay avait donc raison de dire que, depuis six mois qu'il était dans la prison de Bruxelles il n'avait pas été indisposé et n'avait reçu la visite d'aucun médecin.

Le seul motif donné par le « Journal de Bruxelles » à l'arrêté du 25 mars, c'est qu'on pouvait craindre que Retsin ne fût attaqué au mois d'avril 1846, d'une maladie semblable à celle dont il avait été atteint l'année précédente à la même époque ; d'où la nécessité, pour éviter le retour de la maladie, de le mettre en liberté. Qu'ils sont imprudents les amis, qui pour défendre un ministère osent débiter de pareilles sottises !

Je demande à la chambre pardon de la digression : j'ai à démontrer que M. le ministre de la justice avait connaissance de la lettre de M. le procureur général du 28 mars, au moment où il a donné l'ordre de mettre Retsin en liberté.

Quand M. le ministre de la justice a-t-il envoyé l'arrêté au procureur général et au gouverneur du Brabant ? Tout au plus tôt le 29 mars.

Maintenant la lettre de M. de Bavay du mars a été remise le jour même 28, à 2 heures 1/2 au ministère de la justice. J'ai lieu de croire que M. d'Anethan n'a fait expédier les copies de l'arrêté du 25 mars à M. les procureur général et gouverneur du Brabant, qu'après qu'il avait pris connaissance de la lettre du 28 mars, et c'est alors que les dates ont joué leur rôle. Je ne me le dissimule pas, les faits que je vais articuler sont excessivement graves, mais mon mandat m'y oblige. Aussi ne restera-t-il à M. le ministre qu'un seul moyen de se justifier aux yeux du pays, celui de consentir à une enquête parlementaire.

Voyez, messieurs, la fatalité ! la lettre de M. le procureur général du mars, M. le ministre de la justice ne l'aurait eue et ne l'aurait lue que le 31 mars, il l'aurait lue en même temps qu'il a lu la lettre du même fonctionnaire du 30 mars. M. le ministre de la justice, la chose est très sérieuse, veuillez contrôler mes paroles, et dites-moi si ce sont bien là les termes dont vous vous êtes servi : « La lettre de M. de Bavay du 28 mars, vous ne l’avez lue, dit votre rapport, que le 31 mars, alors que vous avez lu la lettre du 30 mars. » Chose extraordinaire ! Un ministre reçoit deux lettres urgentes, une le 28 mars, l'autre le 30 mars, et il ne lit ces deux lettres en même temps que le 31 mars ! On fera accroire cela à des niais, mais non pas à des gens sensés. La lettre de M. de Bavay, du 28 mars, serait restée dans les bureaux jusqu'au 31 mars, sans que M. le ministre de la justice en eût pris lecture ; ou bien, M. le procureur général aurait envoyé sa lettre du 28 mars à M. le ministre, en même temps que sa lettre du 30 !!

Mais, messieurs, un fait important répond à ces incohérences, et ce fait peut être établi à la dernière évidence, si on ose consentir à une enquête : c'est que la lettre de M. de Bavay du 28 mars a été apportée au ministère de la justice par le messager du parquet le même jour 28, à 2 1/2 heures de l'après-dînée, et que sur l'enveloppe se trouvaient ces mots : « A remettre tout de suite, affaire urgente ».

Ce fait important m'a été signalé par deux personnes respectables ce matin même à 10 heures, et je suis allé trouver mon honorable ami M. Dolez, auquel j'en ai donné connaissance. Mon honorable ami et moi, nous avons jugé à propos de nous rendre au parquet de M. le procureur général, et de lui demander, en notre qualité de représentants, des renseignements sur le fait qui m'avait été communiqué quelques instants auparavant.

M. Dolez. - C'est exact.

M. Verhaegen. - M. le procureur général nous a dit qu'il ne nous reconnaissait pas le droit de l'interroger comme procureur général et qu'il s'abstiendrait de s'expliquer, qu'il ne croirait devoir répondre qu'en cas d'enquête parlementaire. Voilà les mots dont il s'est servi. Nous nous sommes retirés, messieurs, avec l'intention de vous faire connaître notre démarche, et le résultat de notre conversation.

Je comprends très bien la conduite de M. de Bavay, je comprends que dans l'ordre hiérarchique un procureur général ne puisse pas venir se poser, sans une nécessité absolue, l'accusateur du ministre de la justice ; mais encore une fois, si M. le ministre de la justice ose démentir le fait que j'allègue, qu'il consente donc à l'enquête et alors M. de Bavay répondra, alors aussi, on pourra interroger le messager du parquet qui a porté la lettre du 28 mars au ministère de la justice le jour même à 2 1/2 heures.

Vous voyez, messieurs, qu'il y a moyen de vérifier le fait que j'allègue ; et dès lors jusqu'à ce qu'on consente à une enquête, il faut bien l'admettre comme vrai. D'ailleurs, si le fait n'avait pas été vrai M. de Bavay nous aurait probablement dit :

« Vous me parlez d'un fait qui m'est personnel, ce fait est inexact, ne vous aventurez pas dans une affaire aussi grave. »

Mais M. de Bavay a refusé de répondre, parce qu'en répondant il accusait son chef et qu'il n'a pas voulu se poser comme accusateur, sans qu'il y eût nécessité absolue.

Voilà donc la lettre arrivée le 28 à 2 1/2 heures au ministère de la justice ; l'enveloppe portait ces mots : « à remettre tout de suite, affaire urgente », et cependant elle serait restée du 28 au 31 sans être ouverte par le ministre de la justice !!! Messieurs, vous ne le croirez pas.

Maintenant l'arrêté du 25 mars a été expédié, dit le rapport à M. le procureur général et à M. le gouverneur du Brabant. Mais quand donc ces expéditions ont-elles eu lieu ?

Messieurs, je me suis rendu dans les bureaux du gouvernement provincial, et là, usant de mon droit, j'ai demandé des renseignements officiels ; ces renseignements m'ont appris que la date de la lettre d'envoi au gouverneur de l'arrêté du 25 mars, le croirez-vous ? est du 26 mars. Mais autre fatalité, cette lettre n'est entrée au gouvernement provincial que le 30.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Comme celle du procureur général du 28 n'est entrée chez moi que le 30.

M. Verhaegen. - C'est encore une fatalité, sans doute, mais il y a des faits qui parlent si haut que tout le monde les entend !

La lettre d'envoi est du 26 mars 1846, s'il faut vous en croire ; il fallait, en effet, une date antérieure à celle du 28 de M. de Bavay. Et il y avait de bonnes raisons pour cela. La chose étant importante, je me suis informé de ce qui se pratique d'habitude au gouvernement provincial, quand une dépêche quelconque arrive, et on m'a répondu que la dépêche est remise immédiatement à M. le gouverneur, qui après l’avoir lue l'envoie aussitôt à l'indicateur, où elle est annotée et où ensuite la date d'entrée est mentionnée sur la pièce à l'encre rouge.

On voit, en effet, sur la pièce portant la prétendue date du 26 mars une annotation d'entrée à l'encre rouge, 30 mars.

Et le procureur général quand a-t-il reçu, lui, l'arrêté du 25 mars ? Veuillez m'écouter, ceci devient de plus en plus grave. A coup sûr le 28 mars, l'arrêté du 25 ne lui était pas encore connu car d'après sa lettre du 28 mars, c'est N. qui l’informe qu'une mesure va être prise ; tout au plus tôt l'arrêté ne peut lui avoir été envoyé que le 29 mars et cependant s'il faut en croire les assertions de M. le ministre de la justice, la lettre d'envoi à M. le procureur général porterait aussi la date du 26 mars. Ainsi encore une fois, même fatalité que pour la lettre d'envoi à M. le gouverneur, celle lettre serait restée au parquet trois à quatre jours sans avoir été ouverte. Tout est donc fatalité pour M. d'Anethan.

Est-ce devant une chambre législative qu'on peut se flatter de faire admettre pareilles absurdités ?

Il fallait établir un échafaudage ; il fallait faire retomber l'iniquité de faits odieux sur d'autres, mais la Providence a veillé et MM. les ministres ne réussiront pas dans leur tentative : à chacun la responsabilité de ses actes.

Si j'ai compris, d'après le Moniteur, le système de M. d'Anethan, ce serait parce que le gouverneur du Brabant a transmis copie de l'arrêté du 25 mars au directeur de la maison de sûreté que, par un malentendu, dont (page 1147) le ministre n'est pas responsable, Retsin aurait été mis en liberté. Mais c'est un nouvel échappatoire tout aussi ridicule que les autres.

Le gouverneur du Brabant, par dépêche du 31 mars, a en effet envoyé une copie de l'arrêté du 25 mars au directeur de la maison de sûreté et une autre copie à la commission des prisons, comme c'était son devoir.

Les gouverneurs des provinces sont les présidents-nés des commissions des prisons. Ainsi lorsque dans l'ordre administratif, car il faut séparer ici l'ordre administratif de l'ordre judiciaire, une dépêche concernant un détenu, quel qu'il soit, est transmise à un gouverneur, elle est envoyée par lui et au directeur de la maison de sûreté et à la commission des prisons. Pourquoi ? Parce que le ministre ne correspond pas directement avec le directeur d'une maison de sûreté, parce qu'il correspond par l'intermédiaire du gouverneur, de même qu'il correspond avec la commission des prisons par l'intermédiaire de son président, qui est toujours le même fonctionnaire. Et maintenant, en définitive, qu'a fait le gouverneur du Brabant ? Intermédiaire du ministre, il a tout bonnement envoyé l'arrêté du 25 mars et au directeur de la maison de sûreté et à la commission des prisons. C'est comme si le ministre l'avait envoyé lui-même.

Voici ce qu'il a écrit au directeur de la maison de sûreté :

« Monsieur,

« J'ai l'honneur de vous faire parvenir ci-joint une copie de l'arrêté de M. le ministre, du 25 mars, par lequel le sieur Ch. Retsin, condamné à cinq années d'emprisonnement du chef de détournement de fonds publics, est autorisé à se faire traiter dans une maison de santé particulière.

« Le gouverneur,

« (Signé) Liedts. »

Le gouverneur n'a pas dit un mot de plus, il n'a pas dit au directeur : «Vous allez mettre Retsin en liberté. » Il lui a dit purement et simplement : « Il y a un arrêté, le voilà, faites ce que dans vos fonctions vous croyez devoir faire. »

Vous avez, dites-vous, M. le ministre, changé d'avis dans l'intervalle. Je dois vous déclarer que je n'en crois rien et d'après les faits que j'ai narrés je suis autorisé à tenir ce langage.

Le gouverneur d'ailleurs n'a apporté aucun préjudice à votre position ; il a envoyé votre arrêté comme il devait le faire à qui de droit. La lettre d'envoi à la commission des prisons est conçue dans le même sens, sauf qu'il y est ajouté : « Je viens d'en donner communication au directeur de la maison de surêté pour exécution. » Ces derniers mots pour exécution étaient le résultat d'une erreur et n'ont en définitive aucune portée, car aucun ordre d'exécution n'avait été transmis et ne pouvait être transmis par le gouverneur au directeur de la maison de sûreté ; la lettre d'envoi à celui-ci en fait foi.

Il y avait deux moyens de faire sortir Retsin de prison ; ou par arrêté royal accordant la grâce, et alors c'était au procureur général à ordonner l'élargissement ; ou par arrêté ministériel légal ou illégal, et dans ce cas l'élargissement avait lieu sur l'ordre écrit du ministre transmis au directeur de la prison par l'intermédiaire du gouverneur, instrument tout à fait passif sur ce point.

Quels que soient les moyens mis en avant par M. le ministre de la justice pour se justifier, sa justification est inadmissible : les pièces qu'il a déposées sur le bureau de la chambre les condamnent, car la comparaison des dates est accablante. Il est évident, en effet, que la lettre de M. de Bavay, du 28 mars, rendant désormais impossible toute mesure quelconque en faveur de Retsin, il fallait nécessairement ne pas connaître officiellement cette lettre avant que l'ordre de mise en liberté ne fût envoyé à qui de droit ; voilà pourquoi les lettres d'envoi de l'arrêté du 25 mars devaient être datées du 26 mars, quoiqu'elles ne soient arrivées à destination que le 30 mars, alors que le ministre avait reçu la lettre de M. de Bavay du 28, le même jour 28, à 2 1/2 heures, quoiqu'il ait prétendu ne l'avoir reçue que le 31. Toutes ces fatalités accumulées les unes sur les autres sont trop extraordinaires pour qu'on puisse y croire.

Pourquoi M. le ministre de la justice, après avoir lu la lettre de M. de Bavay du 26 mars, n'importe à quelle date, n'a-t-il pas révoqué son arrêté du 25 mars par un autre arrêté motivé ? Pourquoi faire intervenir ici le nom de M. Hody, administrateur des prisons, et donner au pays cette mauvaise parodie d'un dialogue dans lequel l'on jette la faute sur l'autre ? M. Hody serait-il destiné à devenir une victime pour sauver le ministre ? Raison de plus pour recourir à une enquête parlementaire ; car quand il s'agit de choisir entre deux positions, il faut qu'on le fasse en pleine connaissance de cause.

Enfin, et j'allais oublier, vient encore une dernière lettre pour la commodité de la cause. Le 10 avril on aurait écrit au gouverneur de la Flandre orientale pour savoir si Retsin n'était pas à Opbrakel chez les sœurs hospitalières, tandis que, d'après la lettre de M. de Bavay, du 28 mars, il aurait demandé de séjourner chez son vieux père pour soigner sa santé ; tandis aussi qu'a Opbrakel il n'y a qu'un établissement de femmes. Mais enfin tout cela n'est qu'un tissu d'incohérences. Pourquoi le 10 avril M. le ministre, informé de la sortie de Retsin qui, s'il faut l'en croire, a eu lieu contre son gré, perd-il son temps à écrire à M. Desmaisières qui, par parenthèse, ne lui répond pas ? Pourquoi n'a-t-il pas fait immédiatement écrouer à compte nouveau le condamné qui désormais était indigne de toute faveur ?

Pour que le ministre de la justice puisse se justifier, il faut que le 28 mars soit le 31, il faut que le 30 soit le 26 et vice-versa. Il faut admettre toutes les fatalités quelconques pour donner à son système une apparence de fondement.

En terminant, je dirai donc à M. le ministre de la justice (et c'est la vérité que je lui dirai) : Vous connaissiez Retsin, l'ancien receveur de Jemmapes, le vendeur de reliques, le voleur de deniers publics, vous le connaissiez par le rapport de M. de Marbaix, procureur du roi à Mons, par le rapport du procureur général près la cour du Bruxelles ; vous le connaissiez par la lettre de ce magistrat, en date du 28 mars, reçue le même jour ; vous le connaissiez, enfin, par tous les renseignements que doit vous avoir fournis votre collègue des finances, et cependant, cédant à des sollicitations de certains personnages que vous n'osez pas même nommer, obéissant à cette influence qui pèse sur vous tous les jours, tous les instants, vous mettez en liberté cet homme, condamné à cinq années de prison, que vous appelez vous-même aujourd'hui un fripon fieffé, un voleur, un hypocrite ! Et puis, pour vous défendre contre les attaques de la presse, vous bâtissez un système absurde, un système qui discrédite le gouvernement et qui sape d'ailleurs votre défense par sa base.

Un mot encore, messieurs : comme je l'ai dit en commençant, je ne me dissimule pas que l'accusation que j'ai lancée du haut de cette tribune contre M. le ministre de la justice ne soit grave, très grave, que les faits que j'ai articulés ne soient accablants et de nature à faire sur le pays une profonde impression ; mais dans aucun cas, M. le ministre ne se lavera jamais de cette accusation si ce n'est au moyen d'une enquête parlementaire, qui fasse connaître les vrais coupables.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Verhaegen est revenu sur une affaire que je devais croire entièrement terminée, après les explications qui avaient été données dans une séance précédente.

Si l'honorable M. Verhaegen avait été présent, lors de ces explications, j'aime à penser qu'il n'aurait pas insisté de nouveau et surtout qu'il n'aurait pas présenté les faits de cette affaire d'une manière aussi inexact.

J'avoue que je ne puis comprendre (et je répète ce que j'ai dit à cet égard dons une séance précédente) les proportions que l'on veut donner à un acte aussi simple ; je ne puis comprendre l'insistance que l'on met à faire intervenir cette affaire dans la discussion politique qui nous occupe maintenant. Il faut que l'opposition soit bien pauvre d'arguments, ait des griefs bien futiles à articuler contre le ministère pour s'attacher a un fait de cette nature dans une discussion aussi solennelle que celle-ci. Cette insistance est surtout extraordinaire en présence de la date de l'acte qui m'est reproché ; cette date est antérieure à la formation du cabinet ; l'arrêté ministériel que l'on critique est du 25 mars et le ministère a été formé le 31. Ainsi, pour attaquer le ministère actuel, on doit s'attacher à un acte antérieur à sa formation, acte isolé, acte d'un seul ministre, car je n'ai pas besoin de vous déclarer que, pour poser l'acte du 25 mars, je n'ai consulté ni mon collègue des affaires étrangères, ni mon collègue des finances ; la responsabilité doit donc exclusivement peser sur moi.

Pour rattacher cette affaire à la discussion actuelle, on a cherché à lui donner une portée politique, en scrutant minutieusement quels avaient été les antécédents de Retsin. Je vous ai déjà dit, je répète que ces antécédents m'étaient entièrement inconnus lors de l'acte du 25 mars. Mais la couleur politique que l'on veut donner à l'avancement de Retsin vient à disparaître en rappelant les dates que j'ai citées, et qui prouvent que Retsin a été avancé sous trois ministères différents, qu'il a obtenu notamment son premier avancement trois mois après sa première nomination et que cet avancement lui a été accordé sous un ministère que l'on ne soutiendra pas avoir cédé à l'influence occulte, qui, d'après nos adversaires, nous dominerait maintenant. Ainsi la couleur politique vient entièrement à disparaître, et les motifs que j'ai donnés à l'avancement de Retsin, c'est-à-dire sa ruse et son hypocrisie, à l'aide desquelles il a trompé plusieurs ministres, doivent nécessairement être admis. Il est donc impossible de trouver dans ces avancements successifs la preuve de cette influence occulte que l'honorable M. Verhaegen croit apercevoir, mais qu'aucun fait ne démontre pour nous, ni je pense, pour la majorité de cette chambre.

Des faits très graves sont articulés contre moi, à en croire l'honorable M. Verhaegen ; il semblerait que, d'accord avec les fonctionnaires de mon administration, j'aurais fabriqué des pièces destinées à expliquer ma conduite, et que, me basant sur ces pièces peu dignes de foi, j'aurais présenté à la chambre les choses d'une manière inexacte, même sous un jour tout à fait faux.

Je ne conçois pas (je dois le dire), en présence des faits que j'ai fait connaître à la chambre, en présence des explications si complètes que j'ai données, en présence des pièces que j'ai lues, comment on peut se livrer à une pareille supposition. Quoi ! j'aurais d'avance médité une défense ! Mais à quoi bon ? M'était-il possible de supposer l'attaque ? Comment ! après avoir signé l'arrête du 25 mars, et reçu la lettre du 28 mars du procureur général, j'ai prévu ce qui allait arriver, et j'ai prudemment posé des jalons pour me guider dans ma défense ! Mais si, après la lettre du procureur général, mon intention n'avait pas été de ne donner aucune suite à mon arrêté du 25 mars, n'aurais-je pas donné l'ordre de l'exécuter, au procureur général ou au gouverneur ? M'abstenant de le faire, n'ai-je pas évidemment prouvé ma bonne foi, qui résulte surabondamment des pièces que j'ai produites, sans en omettre une seule, et sans craindre les arguments qu’on chercherait à en tirer.

L'honorable M. Verhaegen m'a fait un reproche de ne pas avoir lu le rapport de M. Marbaix, substitut du procureur du Roi à Mons. Il peut adresser ce reproche à la chambre ; car c'est elle qui a exprimé l'intention que je ne le lusse pas. Le rapport a été déposé sur le bureau. Chacun de vous, messieurs, a pu en prendre connaissance. J'ai lu le commencement du rapport et la conclusion portant que Retsin, dans l'opinion de ce magistrat, était indigne de toute grâce. La lecture de ces dernières paroles ne permet donc pas de me supposer l'intention d'avoir voulu soustraire à la connaissance de la chambre aucun des faits de cette affaire, aucun de ceux mêmes qui (page 1148) pouvaient être invoqués contre moi. Je me disposais à lire cette pièce, lorsque la chambre m'a demandé de ne pas le faire. Que prouve, du reste, ce rapport ? Ce que j'ai dit et répété. que Retsin était un grand coupable. La condamnation est là. En présence du jugement qui condamne Retsin à cinq années d'emprisonnement. qui a songé à nier sa culpabilité ? Ainsi, l'honorable M. Verhaegen a en tort de me supposer l'intention de cacher quelque chose à la chambre, puisque si je n'ai pas lu le rapport de M. Marbaix, c'est que la chambre ne l'a pas voulu.

L'honorable membre auquel je réponds me dit que j'aurais dû, dans tous les cas, faire intervenir la royauté dans l'acte posé le 25 mars. Il revient donc encore sur la question de légalité, et il prétend que je ne pouvais ordonner la mise en liberté de Retsin, de mon chef, sans arrêté royal. Je me bornerai à lui répondre qu'il aurait raison s'il s'était agi d'une grâce, mais que pour une suspension de peine le pouvoir royal n'avait pas à intervenir.

Je me réfère aux observations que l'honorable M. Dubus et moi avons eu l'honneur de vous présenter à cet égard, et je ne pense pas devoir revenir sur ce point.

Le 17 février, M. le procureur général me fait un rapport sur la demande de Retsin. Il conclut que Retsin ne mérite pas d'obtenir la faveur qu'il demande, de se faire traiter dans un hospice à Opbrakel. La demande de Retsin reste sans suite, et comme je l'ai dit dans une séance précédente, j'ai annoté moi-même, de ma main, sur la lettre de M. le procureur-général que cette affaire devait rester sans suite.

On me demande, messieurs : Mais que s'est-il passé depuis le 17 février, jusqu'au 25 mars ? Quel fait nouveau est intervenu qui a engagé le ministre de la justice à modifier, le 25 mars, son opinion du 17 février ?

Messieurs, ce qui m'a engagé à modifier mon opinion du 17 février, c'est le rapport dont j'ai eu l'honneur de donner lecture à la chambre, rapport par lequel M. l'administrateur des prisons me faisait connaître l'état dans lequel se trouvait Retsin et m'engageait par motifs d'humanité, à le faire mettre provisoirement en liberté, à charge de se reconstituer plus tard prisonnier. Voilà le fait d'après lequel j'ai pris et j'ai pu prendre mon arrêté du 25 mars.

Dans la lettre de M. le procureur général, du 17 février, il n'était pas question de l'état de santé de Retsin. M. le procureur général disait d'une manière absolue que Retsin ne méritait pas la faveur qu'il sollicitait, et il ajoutait que l'hospice d'Opbrakel ne pouvait servir de maison de détention, attendu qu'aux termes d'un article du code d'instruction criminelle qu'il citait, une semblable maison n'était pas un lieu légal de détention. Mais l'arrêié du 25 mars n'avait nullement pour résultat de transformer l'hospice des sœurs hospitalières d'Opbrakel en une maison de détention. Il avait uniquement pour effet de permettre à Retsin d'aller s'y faire soigner, sans que le temps pendant lequel il y serait resté, fût défalqué du temps de la peine. Ainsi la lettre de M. le procureur général a été prise, en partie du moins, en considération par moi dans l'arrêté du 25 mars.

L'honorable membre auquel je réponds, messieurs, citant l'arrêté du 25 mars, se borne à vous en rappeler le dispositif, et il vous dit que non seulement j'aurais accordé à Retsin de sortir de prison pour aller se faire traiter dans un hospice déterminé, mais qu'il lui était même permis d'aller se faire traiter n'importe où dans une maison particulière quelconque. Messieurs, l'honorable membre n'aurait pas dû isoler le dispositif des considérants de l'arrêté. Il aurait vu alors que dans les considérants |e rappelais la demande de Retsin, demande tendant à se faire traiter dans la maison des sœurs hospitalières d'Opbrakel, que dès lors le dispositif se rapportait à la requête de Retsin, et que par conséquent c'était uniquement dans la maison d'Opbrakel qu'il lui était permis de se faire traiter.

J'arrive, messieurs, aux lettres de M. le procureur général, et je vais traiter les différents points dont s'est occupé l'honorable M. Verhaegen. J'arrive à ces lettres que l'honorable membre a indiquées comme étant une preuve évidente que dans cette affaire mes intentions n'étaient pas pures, que dans toute cette affaire je n'avais pas agi avec bonne foi.

L'honorable M. Verhaegen vous a dit que la lettre de M. le procureur général du 28 mars m'avait été remise le même jour, et que sur l'enveloppe de cette lettre se trouvait le mot « urgent ».

L'honorable membre a commencé par faire ce qu'il demande à la chambre de continuer ; il a commencé par faire lui-même une enquête. L'honorable membre s'est rendu au parquet de M. le procureur général, qu'il a cru pouvoir interroger ; il ne s'est même pas borné à interroger ce magistrat, il a interroge, paraît-il, le messager du parquet, et il a obtenu l'assurance de ce messager que sur l'adresse de la lettre qu'il m'avait apportée le 28 se trouvait le mot « urgent » ; probablement aussi l'honorable membre aura demandé à ce messager s'il avait lu la lettre citée, autrement que signifierait cette déclaration ? Ne peut-il pas en effet m'arriver plusieurs lettres de M. le procureur général dans la même journée ? Et dès lors comment affirmer que l'enveloppe sur laquelle se trouvait prétendument le mot urgent était justement celle qui contenait la lettre du 28 mars.

Messieurs, quoi qu'il en soit, je ne veux pas donner un démenti, je ne dirai pas à l'honorable M. Verhaegen, mais au messager du parquet de la cour d'appel, de qui M. Verhaegen tient ces détails.

M. Verhaegen. - Je n'ai pas parlé au messager, mais à des personnes respectables.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - A des personnes respectables qui auront interrogé le messager au nom de l'honorable M. Verhaegen.

Je ne tiens nullement à contester la remise de la lettre du 28 au ministère le jour même avec le mot « urgent » sur l'enveloppe ; mais en admettant qu'il en soit ainsi, l'honorable M. Verhaegen qui invoque contre moi l'indicateur du gouvernement provincial, me permettra bien d'invoquer en ma faveur l'indicateur de mon département.

Or, messieurs, ce n'est pas sur ces copies de pièces, mais sur la pièce originale même que se trouve indiquée la date à laquelle a été inscrite la lettre du 28. Or, chacun sait que les pièces sont portées à l'indicateur avant d'être soumises à l'examen du ministre, qui souvent fait ouvrir la correspondance par le secrétaire général. Maintenant pour que l'honorable M. Verhaegen ne suppose pas que je lis inexactement des annotations, j'offre de lui remettre la pièce originale ; il y verra que la lettre du 28 n'est inscrite que le 30.

Ainsi, messieurs, je pourrais admettre tout ce que prétend l'honorable M. Verhaegen, je pourrais admettre qu'il y avait sur l'enveloppe de la lettre du 28 le mot « urgent », je pourrais admettre que cette lettre est arrivée au ministère le 28 mars, qu'il n'en résulterait en aucune façon que j'en aurais pris connaissance avant le 31.

L'honorable M. Verhaegen me dit : L'urgence indiquée sur l'adresse vous obligeait à lire immédiatement cette lettre. D'abord je déclare positivement que je ne me rappelle nullement qu'il y avait « urgent » sur l'adresse ; je ne me le rappelle pas, et je crois même qu'il n'en est pas ainsi, par le motif que pour les lettres de M. le procureur général l'urgent n'est pas, je pense, indiqué sur l'enveloppe, mais sur la pièce même. Toutefois, admettant gratuitement que ce mot se fût trouvé sur l'enveloppe, l'honorable M. Verhaegen voudra bien reconnaître que dans un département ministériel, le ministre n'ouvre pas toujours lui-même toutes les lettres, que souvent la correspondance est déposée sur sa table, après avoir été ouverte, sans qu'il ait lui même lu les adresses ; que souvent aussi la correspondance est ouverte par M. le secrétaire général, qui envoie directement les lettres à l'indicateur avant d'en donner connaissance au ministre.

Quoi qu'il en soit, et sans pouvoir dire comment les choses se sont passées, je déclare de la manière la plus positive que je n'ai pas pris connaissance de cette lettre du 28 avant le 31 mars, jour où j'ai lu en même temps la seconde lettre de M. le procureur général du 30. Mais j'irai plus loin, messieurs ; j'admettrai même que j'aie ouvert moi-même la correspondance où se trouvait la lettre du 28, et je demanderai à tous les ministres présents, à tous les ministres passés (et il et sera probablement de même des ministres futurs), si, dans mainte et mainte circonstance, il ne leur est pas arrivé de jeter à peine les yeux sur les lettres que renfermait la correspondance, et de les envoyer à l'instant à l'indicateur, se réservant de les examiner après l'inscription ? Et c'est en présence d'une pratique semblable, d'une pratique qui peut être confirmée par tous les ministres actuels, par tous les ministres passés et même par tous les fonctionnaires d'un rang élevé, que l'on viendra s'emparer d'une date, du moment prétendu de la réception d'une lettre, pour accuser ma moralité politique, pour attaquer ma probité politique !

Comment ! Il est prouvé que cette lettre du 28 mars n'a été portée à l'indicateur de mon département que le 30 mars, et l'on soutient néanmoins que je l'ai lue le 28, que j'ai dû la lire ce jour, que c'était une obligation pour moi de la lire à l'instant même de la réception ! Eh quoi ! j'aurais été négligent, si l'on veut, j'aurais pendant deux jours pris peu de soins des affaires de mon département, et ces faits donneront le droit de suspecter ma moralité, ma probité politique, et je deviendrais, à cause de ces faits, un homme sur lequel le pays devrait avoir les yeux ouverts à cause des énormités que j'ai commises.

Veuillez, messieurs, me permettre cette remarque, et j'ai touché cette observation, en répondant, il y a deux jours, aux premières inculpations qui m'étaient adressées : le 30 mars était le jour de la formation ministérielle. Or, on voudra bien reconnaître sans doute que ce jour-là j'ai eu assez peu de temps à donner aux affaires de mon département. On voudra bien reconnaître que ce jour s'est passé en pourparlers, en réunions, et que la besogne administrative a dû nécessairement être négligée par moi, et faite entièrement par M. le secrétaire général.

Et, messieurs, si je cite le nom de ce fonctionnaire respectable, comme j'ai cité le nom de M. Hody, ce n'est pas que je veuille faire peser sur ces fonctionnaires la moindre responsabilité, je ne la décline en aucune manière ; mais je dois faire connaître toute la vérité à la chambre.

S'il m'était même permis, messieurs, de citer de nouveau le nom de M. le secrétaire général du département de la justice, je crois me rappeler que c'est M. le secrétaire lui-même qui, ouvrant la lettre du 30 mars, me l'a apportée en me rendant en même temps celle du 28 et en me disant : M. le procureur général annonce qu'il n'a pas exécuté l'arrêté du 25 ; il en donne l'explication dans la lettre du 28, qui probablement vous sera passée inaperçue. C'est alors que sur la lettre du 30 mars, reçue le 31, j'ai écrit au crayon : M. Hody m'en parlera ; mots que je mets sur les pièces quand je veux avoir un entretien avec le fonctionnaire qu'elles concernent.

Cette pièce fut envoyée à l'instant même à M. Hody, et il fut convenu, le 31 mars, de laisser la mesure sans exécution, jusqu'à examen ultérieur.

Maintenant, libre à M. Verhaegen de penser que tous ces faits ne sont pas exacts, libre à M. Verhaegen de penser que tout ce que je dis ne mérite aucune confiance, libre à M. Verhaegen de penser que pour le fait que j'ai posé, je dois être flétri par l'opinion publique ; ces suppositions et ces reproches ne peuvent pas m'atteindre. Je persiste à penser que le fait est très simple, et j'ose croire qu’en le posant je n'aurai pas perdu la confiance de la chambre.

Je pense, messieurs, que ma justification est complète ; mais ne voulant pas laisser debout un seul des arguments de l'honorable membre, je demande à pouvoir ajouter quelques mots.

(page 1149) L'honorable M. Verhaegen prétend que l'expédition de l'arrêté du 25 mars que j'ai dit avoir été envoyée au gouverneur du Brabant le 26, que cette expédition a été envoyée seulement le 29. L'honorable membre voudra bien reconnaître avec moi que lorsqu'un ministre a paraphé une pièce quelconque, il ne va pas se rendre dans les bureaux de l'expédition pour s'assurer du moment où la pièce est réellement expédiée ; or le paraphe avait été donné le 25 mars et l'arrêté du 25 mars porte en marge : « Envoyé copie à M. le procureur général pour exécution et à M. le gouverneur du Brabant pour information, le 26 mars 1846. » C'est là une pièce originale dont M. Verhaegen peut également prendre inspection.

Si maintenant l'arrêté du 25 mars, expédié le 26, n'est entré au gouvernement provincial et n'y a été annoté que le 30, cela ne prouve-t-il pas, contrairement à ce que prétend M. Verhaegen, qu'une pièce expédiée par le procureur général, le 28, aurait fort bien pu n'arriver chez moi que le 30 ? Je me borne à cette observation sans revenir sur ce que j'ai dit touchant la lettre du 28. Toutefois qu'il me soit permis, messieurs, de dire un mot de la conversation que l’honorable M. Verhaegen a eue avec l'honorable procureur général près la cour d'appel de Bruxelles. L'honorable M. Verhaegen tire de cette conversation la conséquence que la lettre a été, en effet, expédiée le 28, et que l'enveloppe portait le mot : « Urgente » ; et pourquoi tire-t-il cette conséquence ? Parce que M. le procureur général refuse de répondre. Quoi ! vous trouvez que dans sa position hiérarchique M. le procureur général avait raison de ne pas vous répondre ? Mais pour étayer de quelque apparence de fondement une accusation insoutenable, vous considérez le refus de répondre de M. le procureur général comme une reconnaissance des faits sur lesquels vous l'interrogiez ! L'accomplissement d'un devoir chez le procureur général deviendra une accusation contre moi ! Je demanderai si c'est là de la logique, si c'est là de l'impartialité, si c'est là de la justice !

L'honorable membre ajoute : Mais l'arrêté du 25 mars a été réellement envoyé au gouverneur pour exécution ; vous dites, il est vrai, que vous ne l'aviez envoyé que pour information, mais cependant l'exécution en appartenait au gouverneur. Eh bien, messieurs, l'honorable membre est à cet égard complétement dans l'erreur ; les arrêtés portant suspension d'une peine ou qui autorisent à mettre un individu momentanément en liberté, ces arrêtés doivent être exécutés par l'autorité judiciaire et non point par l'autorité administrative. Je puis invoquer à cet égard les précédents nombreux que j'ai cités hier. Ainsi notamment en 1832, les individus qui ont été mis provisoirement en liberté, l'ont été avec l'autorisation du ministre de la justice, sur l'ordre des procureurs du roi. Ce n'était donc pas le gouverneur, mais c'était le procureur général qui devait exécuter l'arrêté du 25 mars, et tel était le but des deux envois, comme le prouve la note marginale que j'ai indiquée tout à l'heure. Or, dans cet état de choses, dès l'instant où le procureur général me faisait des observations avant d'exécuter l'arrêté, je devais être intimement convaincu que l'exécution n'aurait point lieu.

Enfin, messieurs (et c'est par là que je termine), l'honorable M. Verhaegen nous dit : « Si vous aviez été de bonne foi, vous auriez dû, lorsque vous receviez la lettre du procureur général, retirer à l'instant votre arrêté ; vous ne devrez pas le laisser subsister, parce qu'en le laissant subsister, vous pouviez craindre qu'il ne fût exécuté. » Messieurs, je ne pouvais pas avoir une semblable crainte, puisque le procureur général, chargé seul de l'exécution, m'avait annoncé que, jusqu'à nouvel ordre, il ne l'exécuterait pas. J'aurais pu avertir le gouverneur de mon changement de détermination, et cela eût été fait, mais il n'y avait à cela aucune urgence, puisque je devais être sans la moindre inquiétude en présence de la déclaration du procureur général.

Mais, dit l'honorable membre, lorsque vous avez acquis la certitude que Retsin était mis en liberté, vous auriez dû à l'instant même donner l'ordre de l'arrêter et de le réintégrer dans la prison ; au lieu de cela, qu'avez-vous fait ? L'honorable membre pense que je n'ai rien fait alors ; il suppose sans doute que la lettre écrite à M. le gouverneur de la Flandre orientale a été fabriquée après coup et porte indûment la date du 10 avril ; il devra aussi supposer que j'aurai écrit une lettre particulière à cet honorable fonctionnaire pour lui demander de porter cette lettre dans les registres sous la date du 10 avril ! Ainsi pour soutenir votre accusation vous devez me supposer bien des complices ; ainsi l'administrateur des prisons et le gouverneur de la Flandre orientale ont dû me prêter l'un et l'autre le concours d'une complaisance coupable !

La lettre du 10 avril est la preuve évidente de ma sincérité. Dans quelle circonstance a-t-elle été écrite ? J'avais reçu, le 23 mars, le rapport de l'administrateur des prisons dont la religion (il le dit lui-même) avait été surprise ; c'est sur ce rapport que la mesure avait été prise ; le procureur général m'annonce que les motifs d'après lesquels cette mesure a été prise n'existent point : mon intention était de faire faire une nouvelle enquête ; avant d'y procéder j'apprends la mise en liberté de Retsin. Dès lors l'enquête n'était plus possible, et cependant je ne pouvais pas, en présence du rapport de M. l'administrateur, ordonner la réintégration de Retsin sans procéder à un nouvel examen. Qu'ai-je fait dans cet état de choses ? J'ai écrit au gouverneur de la Flandre orientale de s'informer si Retsin était à Opbrakel et de faire constater son état de santé par le médecin de l'établissement et par le bourgmestre de la commune. Si mon intention n'eût pas été d'envoyer Retsin à Opbrakel, si je n'avais pas eu l'intention de faire constater s'il était réellement malade, évidemment je n'aurais pas écrit au gouverneur de la Flandre orientale la lettre du 10 avril. Dès qu'il m'a été prouvé que Retsin n'était pas à Opbrakel, et même avant tout rapport officiel, je me suis empressé de donner l'ordre d'arrêter Retsin, ordre qui a été exécuté immédiatement.

Je me borne, messieurs, à ces observations. Je m'en rapporte à la décision de la chambre, qui a bien voulu m'écouter avec une bienveillante attention.

La chambre sera convaincue, que le fait que j'ai posé, je l'ai posé de bonne foi ; et dès lors elle ne croira pas devoir me retirer les sentiments de confiance et de bienveillance, dont elle m'a constamment honoré. Dans tous les cas, messieurs, je dois répéter que le fait ne concerne en aucune façon le ministère actuel ; le fait est antérieur à la formation du cabinet, et il ne regarde que moi seul ; il ne regarde aucunement ni mon collègue des affaires étrangères, ni mon collègue des finances.

- La séance est levée à 4 heures et demie.