(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1105) M. Huveners procède à l'appel nominal à midi et un quart.
M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
M. Huveners communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants de la commune de Kerkxken prient la chambre de sanctionner le traité de commerce conclu avec la France. »
« Même demande de plusieurs habitants de Dendeshautem et d'Ardoye. »
M. Rodenbach. - Je demande que, conformément à une décision précédente, ces pétitions soient renvoyées à la section centrale chargée d'examiner le projet de traité, et qu'elles soient insérées au Moniteur.
- Cette proposition est adoptée.
Première section
Président : M. Dubus (aîné)
Vice-président : M. Brabant
Secrétaire : M. A. Dubus
Rapporteur de pétitions : M. Biebuyck
Deuxième section
Président : M. Lys
Vice-président : M. Delfosse
Secrétaire : M. Delehaye
Rapporteur de pétitions : M. Vandensteeen
Troisième section
Président : M. Osy
Vice-président : M. Lange
Secrétaire : M. Veydt
Rapporteur de pétitions : M. de Renesse
Quatrième section
Président : M. Fleussu
Vice-président : M. Sigart
Secrétaire : M. Lesoinne
Rapporteur de pétitions : M. de Villegas
Cinquième section
Président : M. de Garcia
Vice-président : M. Vanden Eynde
Secrétaire : M. Van Cutsem
Rapporteur de pétitions : M. Zoude
Sixième section
Président : M. Duvivier
Vice-président : M. Rogier
Secrétaire : M. Pirson
Rapporteur de pétitions : M. Savart.
M. Orts. - Messieurs, il serait téméraire de ma part d'ajouter un mot à la défense du programme de mon honorable ami M. Rogier ; tout a été dit à cet égard. Dans mon opinion, l’honorable M. Rogier, stipulant au nom du cabinet futur, a usé d'un droit : il a évité au parti auquel j'ai l'honneur d'appartenir un véritable piège. En effet, si le parti libéral avait dû marcher sans le programme, nous aurions pu voir pour la seconde fois se renouveler la mystification de 1840, et certes mes amis politiques, prêts à se dévouer pour le bien du pays, ne voudraient pas jouer une seconde fois le rôle de dupes. En stipulant donc dans l'intérêt du parti libéral, l'honorable M. Rogier et ses collègues ont bien mérité de la patrie ; le parti libéral leur doit à cet égard des remerciements sincères ; ils ont abdiqué en cette circonstance tout sentiment d'intérêt personnel, ils ont fait preuve d'un vrai dévouement et d'un vrai patriotisme.
Messieurs, personne ne s'est trompé sur la tactique du ministère : détourner l'attention de la véritable question qui devait êlre agitée ici, s'étendre longuement sur le programme que mes honorables amis ont justifié, pour éviter de justifier le programme du nouveau cabinet, voilà quelle a été la marche des ministres.
Je m'attacherai uniquement à examiner le programme du ministère, ou plutôt la partie de ce programme que j'envisage comme la devise inscrite sur son drapeau, et je ferai voir qu'il ne constitue qu'une déception. J'espère pouvoir le démontrer, non pas en remontant, comme mes honorables collègues, aux faits antérieurs à la discussion qui a fait naître la scission dans le cabinet, mais en m'attachant aux faits qui l'ont amenée.
Voici quel est le résumé du programme formulé par l'honorable ministre de l'intérieur :
« Résoudre dans un esprit de conservation et de progrès les questions d'intérêt moral et intellectuel dont le pays attend encore la solution. »
Un de mes honorables amis, en examinant cette partie du programme, a dit que, quant à la conservation, le pays tout entier aurait répondu par le doute, et que, quant au progrès, ce mot, dans la bouche du nouveau ministère, aura été accueilli avec le sourire de l’incrédulité et de la pitié. Je compte établir qu'il n'y a pas dans le programme du ministère conservation, et que, s'il y a progrès, c'est vers la réaction.
Messieurs, je vous disais que c'était dans la situation même que je tâcherais de trouver la preuve de ce que j'avance en ce moment ; cela résulte des actes mêmes qui ont précédé l'entrée du cabinet actuel au pouvoir. Répudier dans la loi de l’enseignement moyen, telle qu'elle était présentée par l'honorable M. Van de Weyer, le grand principe de l'indépendance du pouvoir civil contre l'influence du parti clérical ; sacrifier les droits, la liberté de la commune, écrits dans la loi communale, j'appelle cela de la réaction, et, sous ce rapport, il ne me sera pas difficile de démontrer combien cette épithète de réactionnaire est exacte.
L'honorable M. Van de Weyer avait inscrit au frontispice de son projet de loi, le principe suivant, et tout était là :
« Les communes ne peuvent déléguer à un tiers l'autorité que les lois leur confèrent sur leurs établissements d'instruction moyenne.
« Les transactions de l'espèce intervenues antérieurement à la présente loi, sont nulles et de nul effet pour l'avenir. »
Sur quoi se fondait l'honorable M. Van de Weyer ? Sur deux motifs principaux : Le premier de ces motifs était : « qu'il était impossible d'admettre que la liberté de la commune pût s'étendre jusqu'à la faculté d'abdiquer cette liberté. »
Le second motif était que « le principe contraire, en vertu duquel une commune qui fait seule les frais d'une école peut l'administrer librement comme ferait un citoyen de sa propriété, a été repoussé par la législature qui a fait prévaloir dans la loi du 23 septembre 1842 sur l'instruction primaire, le principe diamétralement opposé. »
Il y a plus : ce principe qui réduisait une administration communale au rôle d'un simple particulier, est réprouvé formellement par la loi communale du 30 mars 1836, loi déjà mutilée par les lois réactionnaires de 1842 et dans lesquelles au moins on avait respecté le principe de l'indépendance des communes dans la nomination et la révocation des professeurs et des instituteurs attachés aux établissements communaux. L'article 84 de la loi communale ne laissait à cet égard aucune espèce de doute. Cette nomination, exclusivement attribuée aux conseils communaux, ne peut être déléguée à personne.
Maintenant, messieurs, autoriser les communes à déléguer à des tiers, et surtout à des corporations, la nomination des professeurs des établissements communaux, permettre que des corporations participent à la nomination et à la révocation de ces professeurs, n'est-ce pas chose aussi extraordinaire que si, pour les fonctions de médecin, chirurgien, artiste vétérinaire, par exemple, un conseil communal déléguait la nomination à l'Académie de médecine ?
L'article 84 de la loi communale est fondé non seulement sur les principes élémentaires du droit civil, mais encore et surtout sur un principe inviolable, en matière de fonctions publiques.
En matière de droit civil, il est constant que le mandataire ne peut jamais déléguer, à moins qu'il n'en ait reçu expressément le pouvoir du mandant. En matière de fonctions publiques, la chose est encore bien plus grave., la loi, en attribuant à une certaine catégorie de fonctionnaires un droit quelconque de nomination, de direction, leur a accordé ce pouvoir, à raison de leurs fonctions. Si maintenant il était possible qu'eux-mêmes allassent déléguer ce pouvoir, et permettre que des tiers, quels qu'ils soient, y participassent, ce serait le bouleversement le plus complet de ce qui constitue l'essence même des pouvoirs.
Messieurs, voyons une autre anomalie. Le dernier paragraphe de cet article 84 a prévu les cas de nomination à d'autres fonctions que celles exclusivement dévolues au conseil communal.
Les employés qui ne rentrent pas dans cette dernière catégorie, peuvent être nommés par le collège échevinal ; mais aucun des fonctionnaires appartenant à l'ordre de ceux qui doivent être nommés par le conseil, ne pourrait être nommé par le collège ; ; le conseil ne peut déléguer cette nomination au collège qui est le pouvoir exécutif de la commune, si je puis m'exprimer ainsi ; et il pourrait déléguer ce droit à des corps étrangers ! Mais c'est là un non-sens. L'on voit que le dernier paragraphe de l'article 84 vient renforcer le principe inviolable, que tout fonctionnaire auquel la loi attribue le pouvoir de procéder à une nomination ou à une révocation des fonctionnaires ou employés, a la direction d'un établissement, ne peut pas déléguer ce pouvoir que lui-même ne tient que de la loi.
Messieurs, la loi de l'enseignement primaire elle-même a consacré ce principe. Sous l’empire de la loi du 23 septembre 1842, croyez-vous que le conseil communal pût déléguer soit à l'épiscopat, soit à tout autre corps, le droit de nommer les instituteurs primaires communaux ? Mais non, vous avez décidé en 1842 que les communes elles-mêmes nommeraient, et lorsque je vous disais qu'en accueillant la participation du pouvoir épiscopal ou de toute autre personne tierce à la nomination des professeurs, l'on avait rétrogradé, j'étais dans le vrai.
N'est-il pas constant maintenant que la partie du ministère actuel qui se trouvait en parfait désaccord avec l'honorable M. Van de Weyer sur la question de l'indépendance des communes a l'égard de la nomination de leurs professeurs ; que cette partie du ministère, dis-je, est surprise en flagrant délit de réaction ? Et ce que je dis de ces membres de l'ancien cabinet, je dois le dire de M. le ministre de l'intérieur qui, lors de la discussion de la convention faite ou projetée (car on ne sait pas encore ce que cela est devenu) entre le collège échevinal de Tournay et l'épiscopat, a professé les mêmes doctrines ; et c'est en présence de ce dissentiment capital sur le principe le plus vivace, sur le principe le plus fondamental de la loi d'enseignement moyen ; c'est en présence de ce dissentiment que M. le ministre de la justice est venu dire au sénat, il y a quelques mois et vous a encore répété hier, que ses collègues (page 1106) et lui étaient parfaitement d'accord avec l'honorable M. Van de Weyer sur les principes de la loi, qu'il ne différait que sur les détails. Mais comment M. le ministre de la justice a-t-il osé soutenir pareille chose en présence du sénat, quand tout le monde se rappelle que c'est postérieurement à la discussion solennelle sur la convention de Tournay que M. d'Anethan a fait cette déclaration ?
La chute de l'ancien ministre de l'intérieur n'est pas difficile à expliquer. La discussion sur la convention de Tournay avait fait voir à ceux qui siègent sur d'autres bancs quels étaient les principes qui le dirigeaient ; dès ce moment sa perte était jurée.
Il est clair qu'il ne pouvait pas convenir pour faire les affaires de certain parti. On nous a dit hier que nous avions combattu M. Van de Weyer. L'honorable M. Verhaegen, à qui cette observation était adressée, y a déjà répondu : Nous n'avons pas combattu le ministre de l'intérieur, nous avons fait nos réserves et nous étions bien avisés de les faire, puisque l'expérience nous a prouvé ce que nous avions à craindre, instruits par ce qui s'était passé sous le précédent ministère dans la question du jury d'examen.
M. le ministre de la justice nous a dit, répondant au discours de l'honorable M. Verhaegen, que l'opposition avait soutenu que M. Van de Weyer n'avait pas la majorité. Jamais l'opposition n'a soutenu pareille chose, elle a fait une distinction entre les votes et les discours. L'opposition plus d'une fois et entre autres dans cette mémorable discussion de la question de cabinet posée par M. Nothomb, les membres de la majorité lui accordaient les uns une demi-confiance, les autres une confiance expectante, voire même une confiance homéopathique.
Eh bien, dans cette solennelle discussion, après avoir combattu l'administration de M. Nothomb avec plus de force peut-être que les membres de l'opposition, quel a été le résultat ? La droite, après avoir parlé contre, a voté pour ; l'opposition, conséquente dans ses votes avec ses discours, a voté contre le cabinet de M. Nothomb qui s'était déclaré solidaire avec M. le ministre de l'intérieur.
Messieurs, l'administration qui a précédé celle de l'honorable M. Van de Weyer a eu deux époques bien distinctes. La première est celle que j'appellerai l'époque de la réaction ; la seconde était une époque de déception.
A ces deux époques, qui ont été suivies de la démission du ministre de l'intérieur, en a succédé une autre, qui, pour nous, était une époque d'espérance. L'espérance s'est évanouie avec celui qui s'est retiré du ministère.
L'époque de la réaction, vous ne vous en souvenez que trop, c'est celle des années 1842 et 1843. Alors le ministre de l'intérieur entama les libertés de la commune en proposant la nomination du bourgmestre en dehors du conseil.
Il n'avait proposé que cette innovation à la loi communale ; qui a voulu renchérir en fait de réaction ? C'est M. le ministre de l'intérieur qui actuellement est à la tête du cabinet, qui a proposé la mesure du fractionnement, c'est lui qui a proposé d'étendre le mandat des membres du conseil communal jusqu'à huit ans. Et que disait alors M. Nothomb quant au fractionnement ? Il ne jugeait pas que ce fût nécessaire, mais il pensait que la mesure pouvait être bonne. Dans cette hypothèse, tous ceux qui étaient plus particulièrement attachés au sort du ministère d'alors ont voté les deux mesures qui évidemment entamaient les dispositions les plus protectrices de nos libertés communales. Ces deux mesures de réaction sont sorties du sein de la droite, sont émanées de celui qui se trouve aujourd'hui à la tête du cabinet.
Il en est de même des modifications apportées à la loi électorale. C’est encore dans cette période de réaction que cette loi fatale a été votée.
Une seconde période, que j'ai appelée une période de déception, a succédé à celle-là.
Le ministre de l'intérieur, M. Nothomb, pour flatter sans doute le parti libéral après qu'il eut reçu la terrible leçon des élections de 1843, proposa la loi du jury d'examen. cette loi fut accueillie avec faveur sur nos bancs. Pendant l'examen et la discussion de ce projet, les incidents les pîus étranges eurent lieu, on vit la démission temporaire d'un ministre qui avait pris part aux délibérations du cabinet. M. Nothomb entraîné par la droite, répudia son œuvre et nous laissa seuls sur la brèche.
J'ai appelé cette période du ministère de M. Nothomb une époque de déception, parce qu'à partir de ce jour M. Nothomb a perdu la confiance des hommes loyaux qui pensent qu'un ministre qui propose un projet de loi est là pour le soutenir et non pour passer sous les fourches caudines.
Vous le voyez donc, il est impossible, quand on examine sous quelle influence a été créé le ministère actuel, quand on se pénètre de celle pensée que les membres de l'ancien ministère ont répudie l'indépendance des conseils communaux, sous le rapport de la nomination du personnel de leurs établissements d'enseignement, il est impossible, dis-je, de ne pas dire que ce sont des hommes rétrogrades, des hommes de réaction, puisqu'ils entament la loi communale, et que, sans tenir compte de ce qui avait été décidé par la loi sur l’enseignement primaire, ils veulent faire, quant à l'enseignement moyen, la position du pouvoir civil beaucoup plus mauvaise que dans l'enseignement primaire.
En terminant son discours à la séance du 21, M. de Theux a dit : « Où conduisent ces discours, que vous entendez avec regret prononcer dans cette enceinte ? A jeter dans le pays le germe de funestes dissensions... Je n'accuse pas ici les intentions, mais quand on jette dans le pays de tels brandons de discorde, on a beau dire, que l'on veut sincèrement la religion, que l'on est ami du clergé... Non, messieurs, nous avons beau protester de ce respect, il faut encore nous abstenir d'exciter des hostilités, qui ne sont pas justifiées par des actes. »
Est-ce à nous que s'adresse ce reproche d'exciter des hostilités ? Vous reprochez cela aux membres qui siègent sur ces bancs ! Mais songez donc que nous sommes sur la défensive. Est-ce nous qui demandons qu'il soit porté la moindre atteinte aux droits que notre Constitution accorde au clergé ? A Dieu ne plaise ; si pareille chose se manifestait, vous nous verriez les premiers soutenir avec toute notre énergie, avec toute la puissance de notre âme, les droits constitutionnels du clergé. Quoi ! quand nous respectons religieusement les droits que la Constitution accorde au clergé de fonder des écoles sans aucun contrôle de la part du pouvoir civil, nous serions hostiles au clergé !
Nous ne combattons que les catholiques politiques, nous attaquons ceux qui veulent confisquer au profit du pouvoir spirituel le pouvoir civil, le pouvoir communal, l'indépendance du pouvoir communal dans la loi sur l'enseignement. L'imputation d'hostilité lancée contre nous, messieurs, est une amère dérision !
Oui, nous voulons que le pouvoir civil reste dégagé de toute suprématie de la part du pouvoir spirituel.« Mon royaume n'est pas de ce monde, » a dit notre divin maître. Voilà la ligne de démarcation établie entre les deux pouvoirs. « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. « Il ne s'agit pas des anciens maîtres de Rome païenne, ni des dominateurs absolus des temps modernes. Il s'agit de nous ; nous avons une Constitution qui garantit au clergé une part de liberté parfaite. Nos droits respectifs sont parfaitement déterminés dans notre pacte fondamental.
L'article 16, ne l'oubliez pas, affranchit le clergé de toute intervention du pouvoir civil dans les nominations de ses membres, et lui donne la liberté de correspondre avec ses supérieurs et de publier ses actes.
L'autorité civile ne peut intervenir dans les actes du clergé ; son intervention est repoussée par notre pacte fondamental ; et le clergé pourrait intervenir dans la nomination des fonctionnaires civils ; l'autorité civile pourrait aliéner une partie de ses droits ! cela n'est pas possible. L'article 17, après avoir décrété la liberté de l'enseignement dit, que l'enseignement donné par l'Etat sera réglé par la loi. Il n'est pas possible d'équivoquer : l'instruction donnée à l'Etat est celle à laquelle participent par des subsides la commune, la province et l'Etat.
Et certes lorsque la Constitution a voulu que cette instruction fût réglée par la loi, il était entendu qu'il ne serait pas permis de déroger aux lois organiques relatives à la nomination des fonctionnaires de la commune, de la province et de l'Etat.
Ainsi, je le répète, le précepte même qui est pris dans l'Evangile et qui dit de rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu, s'appliquant à notre situation, pourrait à mon sens se traduire ainsi : Laissez à l'autorité civile de votre patrie l'indépendance que lui assigne la Constitution la plus libérale du monde, Constitution qui n'a rien laissé à désirer au clergé, qui a consacré tous ses droits, dans l'intérêt de la civilisation de la société, dans un intérêt plus grand encore, celui des secours à accorder aux malheureux, mission à laquelle, je suis heureux de le dire, le clergé n'a jamais failli.
M. d’Huart, ministre d’Etat. - L'honorable préopinant vient de dire que, dans son opinion, tout avait été dit sur le programme de M. Rogier ; il a ajouté qu'il se référait sur ce point, aux discours de ses honorables amis, qui ont défendu ce programme. De mon côté, je répéterai aussi que tout a été dit pour combattre le programme et je m'en réfère par suite à ce qu'ont dit mes honorables collègues MM. les ministres à cet égard.
Mais il est un point dont je dois parler tout spécialement, parce que ce point me paraît le plus essentiel dans tous ces débats.
La majorité de la chambre est réactionnaire, et par conséquent le ministère sera réactionnaire. Tel est, dans toute cette discussion, le grief principal de l'opposition, présenté sous différentes formes, avec différents développements et qui doit, dans l'intention de ceux qui l'ont produit, justifier leur réprobation contre le cabinet.
A mes yeux, ce grief serait très grave s'il était réel, et c'est sur ce point que je me propose de vous entretenir spécialement.
Voici les faits sur lesquels on établit cette accusation contre la majorité. Elle a voté les modifications à la loi communale, et c'est dans ses rangs que se sont trouvés les partisans de la proposition relative aux céréales ; de plus, vient-on de dire, elle a modifié la loi électorale.
Et d'abord, les honorables membres qui rappellent ces faits devraient avoir la prudence de se rappeler en même temps que des hommes, appartenant à leurs rangs, se sont associés aux actes dont il s'agit, et que plusieurs hommes, qui appartiennent à la majorité, se sont au contraire prononcés contre ces actes. Ceci, soit dit en passant, prouve du moins que ceux qu'on qualifie si légèrement de réactionnaires, n'avaient guère combiné leurs tentatives.
Maintenant que sont donc en réalité ces changements, si fâcheux selon l'opposition, apportés à la loi communale ? Ce n'est pas au fractionnement qu'on attache quelque importance : c'est dans la faculté pour le gouvernement de choisir exceptionnellement le bourgmestre en dehors du conseil, que l'on trouve le véritable grief. Or, il faut bien l'avouer, cette disposition, prévue par la Constitution en termes exprès, n'a rien qui puisse restreindre en quoi que ce soit la liberté communale ; c'est une simple mesure d'ordre public, d'ailleurs d'une application fort rare, et qui était nécessaire pour donner au gouvernement les moyens d'assurer, dans tous les cas, l'exécution régulière des lois du pays.
Et quant à la proposition que d'honorables membres de cette assemblée avaient faite en vue d'une protection à l'agriculture compatible, selon leur (page 1007) intention, avec le maintien d'un prix modéré des céréales, vainement cherche-t-on là quelque tendance liberticide, quelque vue réactionnaire ; à moins que l'on ne prétende que les agriculteurs, les cultivateurs, gens essentiellement paisibles et patients de leur nature, ne soient tout à coup devenus des envahisseurs et des égoïstes.
Dirai-je que, pour ce qui concerne la loi électorale, les changements adoptés étaient réclamés par toutes les opinions et que généralement on a considéré ces changements comme une véritable amélioration ?
De semblables antécédents méritent-ils donc de telles qualifications envers la majorité de cette chambre ? Et si nous voulions nous poser aussi en accusateurs, ne pourrions-nous pas avec bien plus de raisons prétendre que ce sont ceux qui se permettent ces qualifications, qui visent à la réaction, à la réaction sérieuse, compromettante.
En effet, ceux qui veulent enlever aux chambres législatives, aux représentants directs de la nation, toute participation dans la composition du jury d'examen universitaire, ne sont-ils pas des réactionnaires, et des réactionnaires bien imprudents, puisqu'ils exposeraient ainsi l'une des plus précieuses libertés constitutionnelles ?
Ne sont-ils pas des réactionnaires véritables ceux qui, ne tenant aucun compte des faits posés sous l'empire et la protection des lois, depuis 15 ans, en matière d'enseignement moyen, voudraient tout modifier, organiser le monopole dans les mains du pouvoir exécutif et retirer même aux communes toute liberté d'action ? Et quand nous arriverons à la discussion de cette loi, nous verrons quels seront les vrais défenseurs des libertés communales, nous verrons aussi si nos honorables adversaires seront aussi homogènes qu'ils le prétendent sur ce point.
Ne sont-ils pas des réactionnaires ceux qui appellent la réforme électorale en vue de détruire l'équilibre établi par la sagesse éclairée du congrès ?
Ne sont-ils pas des réactionnaires ceux qui aspirent à gouverner le pays avec l'intention annoncée d'expulser la majorité parlementaire qui, depuis notre émancipation politique, a participé à la haute direction des affaires du pays et posé tant d'actes qui font l'honneur de la Belgique et l'admiration de l'étranger ?
On essaye de nous effrayer, messieurs, en cherchant à faire peser sur nous des responsabilités qui ne pourront jamais nous atteindre.
Les associations libérales s'organisent ; jusque-là les hommes qui les composent avaient des intentions modérées ; mais, dit-on, qui peut répondre qu'ils les conserveront, qui peut prévoir qu'ils ne dépasseront pas le but qu'ils se sont proposé si l'on s'obstine contre l'avènement de ces hommes au pouvoir ? Cette levée de boucliers est sans doute regrettable, elle peut amener bien des maux dans le pays, mais ce n'est certes pas la majorité parlementaire qui en est la cause ; jamais elle n'a voulu opprimer aucune opinion ; elle a toujours désiré, appelé la conciliation dans le gouvernement ; c'est encore l'objet le plus ardent de ses vœux. Qui veut la division, qui appelle les luttes, qui doit en porter la responsabilité ? Ceux qui se déclarent exclusifs, ceux qui conspuent comme des transfuges et des renégats les hommes de leur opinion qui s'associent de bonne foi aux hommes de l'opinion contraire, pour diriger le char de l'Etat dans la voie des intérêts commun de la nation ; ceux qui exercent une sorte de tyrannie contre les hommes de leur opinion qui, dans le fond de leur âme, préfèrent l'union à la discorde.
On a déjà suffisamment répondu, messieurs, à cette singulière prétention de parquer le pays en deux catégories, Tune intelligente qui fournit l'opposition, l'autre inintelligente qui fournil la majorité numérique. Je n'y reviendrai pas ; ici comme au dehors, on comprend suffisamment la valeur et la portée du compliment ; mais on a été plus loin, non content de s'être attribué, à titre de représentant de certaines localités, le monopole de l'intelligence, on a été jusqu'à dire que l'opposition seule était nationale ; ainsi vous, mes chers collègues, qui faites partie de la majorité ; vous, à peu près tous, hommes de 1830, qui, non sans des dangers bien imminents, avez contribué puissamment à fonder cette nationalité et ces institutions qui sont si chères et qui font l'envie des autres peuples, vous êtes aujourd'hui des hommes antinationaux, des hommes sans patriotisme !
Consolons-nous de ces injustes attaques, et puisons dans nos consciences pures le courage de continuer à servir notre pays comme nous l'avons fait jusqu'à présent. Prenons même nos encouragements dans les aveux échappés à nos adversaires. On nous l’a rappelé, nous n'avons, nous, rien à désirer de mieux que nos institutions ; soit que nous restions dans la majorité parlementaire, soit qu'on nous transporte dans l'opposition, dans cette chambre comme en dehors nous combattrons pour le maintien complet de ces institutions. Pourrait-il y avoir un rôle plus noble, plus patriotique, que celui de conservateur de ce que nous avons de plus cher, de ce que nous avons juré de transmettre intact à ceux qui nous suivront !
Messieurs, d'honorables membres se sont plaints de ce que le ministère ne se soit pas suffisamment expliqué sur sa formation, qu'il n'aurait pas exposé assez longuement ses intentions. Je pense cependant que ces explications, quoique peu étendues, sont nettes et précises. On vous l’a dit, les hommes qui composent le cabinet veulent ce qu'ils ont toujours voulu, l’exécution sincère de la Constitution et des lois, le maintien de l’ordre et une protection égale à tous ; aucune pensée d'exclusion ne les a réunis, aucune idée d'hostilité ne les anime ; ils acceptent le concours des hommes de toutes les opinions pour atteindre le but qu'ils se sont proposé, la conservation des institutions du pays et l'amélioration progressive de ce qui touche à son bien-être moral et matériel, telles sont les conditions d'existence du cabinet, il y sera fidèle.
M. Rogier. - Messieurs, si nous voulions juger de la modération qui nous est promise par le cabinet actuel, si nous voulions juger de l'esprit de conciliation qui l'anime, nous aurions, dans le discours qui vient d'être prononcé, un avant-goût des douceurs qui sont réservées à l'opinion libérale.
M. d’Huart, ministre d’Etat. - De quoi vous avons-nous menacés ?
M. Rogier. - menacés !... Pour moi j'ai retrouvé avec plaisir dans le discours de l'honorable M. d'Huart, cette ancienne chaleur, cette impétuosité que quelques-uns croyaient entièrement refroidie en lui. L'honorable M. d'Huart ne siège pas d'aujourd'hui sur ces bancs. Mais c'est une ancienne connaissance.
Nous l'avons connu sur les bancs de l’opposition ; il y jouait un grand rôle ; il y jouait un rôle imposant ; il y votait alors la mise en accusation des ministres.
Oublieux de la prérogative royale, il poussait dans cette enceinte des cris de guerre ; il nous provoquait tous à marcher en avant ; plus tard, conservant dans le ministère même quelque chose de cette énergie qu'il avait eue dans les rangs de l’opposition, il allait jusqu'à refuser au Roi, lui ministre, la nomination des échevins.
Depuis lors, l'attitude de l'honorable M. d'Huart s'est singulièrement modifiée.
Ardent conservateur, il vient se livrer aux accusations les plus violentes contre des hommes qui ont défendu la prérogative royale contre lui, qui l'ont défendue, lorsqu'il y avait quelque danger à la défendre, dans le mouvement des commotions politiques, lorsqu'il y avait du courage, non de la courtisanerie à le faire. (Applaudissements dans les tribunes publiques.)
M. le président. - L'article 93 du règlement de la chambre est ainsi conçu :
« Art. 93. Pendant tout le cours de la séance, les personnes placées dans les tribunes se tiennent assises, découvertes et en silence.
« Toute personne qui trouble l’ordre est, sur-le-champ, exclue des tribunes. Elle est traduite sans délai, s'il y a lieu, devant l'autorité compétente. »
Je ferai exécuter l'article du règlement, à la première manifestation des tribunes.
La parole est continuée à M. Rogier.
M. Rogier. - Je supplie ceux qui m'interrompent de vouloir bien me laisser le cours de mes idées et d'épargner à M. le président la peine de les rappeler au règlement. Je les en supplie d'autant plus que ce matin encore un organe de l'opinion ministérielle accusait l'opposition de placer dans les tribunes des espèces de chevaliers du lustre pour provoquer des applaudissements.
Je parlais d'une interversion de rôles dont j'ai lieu de m'étonner.
Après qu'il a siégé, pendant les premières années de sa carrière parlementaire, sur les bancs de l'opinion extrême, après qu'il a attaqué le gouvernement sur tous les points, j'ai droit d'être surpris de cette révolution complète qui s'est opérée chez l'honorable membre qui siège maintenant au banc ministériel. La violence de son langage reste la même ; mais ses sentiments, ses principes sa sont singulièrement adoucis et amoindris.
J'arrive à la question qui est véritablement pour moi à l’ordre du jour.
Nous avons devant nous un ministère homogène catholique ; il ne niera pas son nom ; la qualification n'a rien d'ailleurs d'offensant.
Ce ministère homogène catholique, quel est-il ? Que peut-il ? Que veut-il ?
Voilà les trois questions que je me propose d'examiner brièvement. En principe, un ministère homogène, c'est à mes yeux chose régulière, chose désirable.
L'honorable M. de Theux, l'un des chefs les plus honorables de son parti, est appelé à conduire les affaires du gouvernement au nom de ce parti. Je n'y trouve rien à redire. Notre conscience politique est, sous ce rapport, tranquille et satisfaite.
Je demanderai seulement s'il en est de même sur les bancs ministériels, et sur les bancs du parti ministériel, si là aussi toutes les consciences sont tranquilles et satisfaites ; si là on ne fait pas de cruels retours sur soi-même ; si là on adopte avec la même bonne volonté que ce qu'on n'a cessé, depuis plusieurs années, de blâmer, de repousser, de condamner.
Les consciences sont-elles tranquilles sur les bancs ministériels, quand j'y vois l'honorable M. de Theux qui, pendant cinq années, a soutenu, sinon par ses discours au moins par ses votes, les ministères mixtes, la politique mixte ; quand j'y vois l'honorable M. Dechamps qui a fait à maintes reprises des déclarations très explicites sur l'impossibilité de gouverner le pays sans un ministère mixte, sans la politique mixte (mais j'ai déjà dit que je ne citerais plus l'honorable M. Dechamps), quand j'y vois l'honorable M. Malou, qui nous faisait, avec l'esprit qui le distingue, la déclaration suivante :
« Lorsque l'honorable M. de Brouckere a dit qu'il n'était pas disposé à appuyer un ministère de six MM. Malou, il n'a pas été assez loin ; je vais plus loin. S'il y avait devant vous un ministère composé de six MM. Malou, et s'il m'était possible de le combattre, je le combattrais. Je crois que, par sa composition même, il serait réduit à une complète impuissance. Je croîs qu'il serait fatal au pays, comme on l’a dit. »
Comment puis-je croire que toutes les consciences sont aussi tranquilles que les nôtres au banc ministériel, quand je vois à ce banc l'honorable baron d'Anethan qui, comme il vous le répétait hier, est resté parfaitement conséquent avec ses principes ?
Voici, messieurs, quels sont les principes de l'honorable M. d'Anethan en matière de ministères homogènes : « Quant à moi, je considère et j'ai toujours considéré un ministère de cette espèce... »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Exclusif.
(page 1108) M. Rogier. - Peu importe le nom, vous vous expliquerez, ou plutôt vous ne vous expliquerez pas.
« J'ai toujours considéré un ministère de cette espèce comme fatal pour le pays et je tiens à déclarer qu'un pareil ministère ne me comptera jamais au nombre de ses membres et n'aura ni mon approbation ni mon appui. »
Comment pourrais-je croire que les consciences sont tranquilles sur les bancs de la droite, comme elles sont tranquilles et satisfaites sur les bancs de la gauche, en présence d'un ministère homogène, quand je me rappelle les discours prononcés par les hommes les plus considérables du parti de la droite ? Quand je me rappelle les discours de l'honorable M. Dumortier et les discours surtout de l'honorable M. Dedecker, pour ne parler que de ces discours ?
Je n'ai pas cité, messieurs, dans l'énumération des membres du cabinet, les noms de MM. de Muelenaere et d'Huart. Ces messieurs étaient aussi convaincus qu'il n'y avait de salut pour le pays que dans les ministères mixtes. Aujourd'hui ces messieurs n'ont pas sans doute la prétention de représenter le cabinet comme un cabinet mixte Je pense que la manière dont l'honorable M. d'Huart vient de parler, l'a complétement identifié avec ses collègues.
M. d’Huart, ministre d’Etat. - Nous agirons comme si le ministère était mixte.
M. Rogier. - L'honorable M. Dedecker était tellement convaincu du danger que courait le pays à subir un ministère homogène, qu'il déclarait qu'il avait voté contre l'honorable M. de Theux, parce qu'il le considérait comme donnant une couleur trop exclusive à un cabinet. Il allait jusqu'à dire que si l'honorable M. de Theux revenait aux affaires, le jour même il le combattrait. Hier l’honorable M. Dedecker était de trois jours en retard, nous voici arrivés au quatrième....
Cette répulsion de la droite pour l'homogénéité ne s'appliquait, croyait-on, qu'aux ministères libéraux homogènes. Mais non ; vous le voyez ; l'honorable M. Dedecker ne distinguait pas ; il était, nous le reconnaissons tous, parfaitement conséquent, impartial.
Quand on se rappelle, messieurs, toutes ces professions de foi des hommes les plus considérables de la droite, quand je déroule devant eux leur programme politique depuis cinq années, leur programme constant, invariable, je devrais être effrayé moi-même du ministère que nous avons devant nous. Car enfin, comme on vous l'a dit de toutes parts, un pareil ministère serait fatal, serait un malheur pour le pays.
Si aujourd'hui le ministère homogène et catholique n'est plus un malheur, n'est plus fatal, que signifiera-t-il au moins ? Il signifiera ceci : éclatante palinodie, complet abandon de principes. Ainsi, qu’on le prenne comme on voudra, il y a en ce moment devant vous, au banc ministériel, ou un malheur ou une abdication complète de principe. Si c'est par là qu'on veut imposer du respect au pays, si c'est ainsi qu'on croit dignement représenter la Royauté, oh ! je plains sincèrement ceux qui se présentent pour jouer un pareil rôle avec de pareils antécédents.
Mais l'honorable chef du cabinet vous l'a dit, s'ils sont arrivés aux affaires, les ministres ont eu la main forcée, il y a eu nécessité. La crise était imminente ; on avait frappé à toutes les portes ; on avait essayé de tous les remèdes. On vint enfin, dans ce moment désespéré, à mettre la main sur l'honorable chef du cabinet, qui dut, en quelque sorte, céder à la violence, et nous eûmes alors, messieurs, ce que jusqu'à présent nous ne connaissions que dans une excellente comédie de l'immortel auteur du Tartufe. Nous connaissions un médecin malgré lui ; nous eûmes un ministre malgré lui. (Interruption.)
M. Rodenbach. - Un médecin malgré lui, cela ne sent pas bon.
M. Rogier. -Nous avions eu des ministères de bien des couleurs différentes. L'espèce manquait encore au genre.
Mais, de grâce, messieurs, ne vous faites pas si petits : ne vous rabaissez pas tant ; ne vous amoindrissez pas à ce point ; ne vous présentez pas comme un ministère de pis-aller. Quand on a la prétention de représenter à un aussi haut degré la dignité du pouvoir royal, il faut avoir une autre attitude. Il faut se montrer et plus fier et plus ferme. Songez, messieurs, qu'en vous abaissant, vous ne vous abaissez pas seuls, que vous avez d'autres intérêts que les vôtres à soutenir, une autre dignité à sauvegarder.
Vous êtes toujours, dites-vous, par goût et par principe, pour les ministères mixtes, et vous n'avez pas fait de ministère mixte.
Vous ne l'avez pas fait, et pourquoi ? parce que, direz-vous, vous n'avez pas pu le faire. Triste aveu que celui-là ! Vous confessez donc que votre politique de prédilection, que cette politique sans laquelle le pays ne pouvait pas vivre, est devenue impraticable, que personne n'en veut plus.
Vous inaugurez votre ministère par un aveu d'impuissance. C'est votre propre condamnation à la main que vous demandez la confiance des chambres, que vous voudriez compter sur la confiance du pays !
Voici mes conclusions quant au ministère.
Le ministère est un ministère fatal, si lui et ses amis sont restés fidèles à leur programme politique, à leurs convictions politiques des cinq dernières années, S’il n'est pas un ministère fatal, il est le ministère sans principes, de désertion de principes. Il est enfin un ministère malgré lui, un ministère qui ne trouve sa raison d'être que dans son impuissance même.
Mais laissons tout cela. Abandonnons le ministère à son vice originel. Prenons-le tel qu'il est, et voyons ce qu'il peut, ce qu'il veut.
Quelle est la question sur laquelle il s'est formé ? Quelle est la question à l’ordre du jour, la première en date et en importance, celle pour laquelle il a besoin de la confiance des chambres, et de celle du pays que je ne sépare pas ? C'est évidemment la question de l’enseignement moyen.
Quelle est dans l'enseignement moyen la question fondamentale pour le législateur laïque ? La question fondamentale est la part à faire à l'autorité laïque dans tous ses degrés ; la création des établissements laïques, la composition de leur personnel. A qui cette tâche est-elle en ce moment conférée ? A l'opinion catholique.
Qu'est-ce que veut, qu'est-ce que peut vouloir l'opinion catholique en matière d'enseignement ? L'opinion catholique en matière d'enseignement est vraiment, est précisément celle, et la seule, qui fasse concurrence à l'enseignement laïque.
Pourquoi attachons-nous, nous représentants de l'autorité laïque, une si grande importance à voir l'enseignement public réglé par la loi ? C'est principalement pour pouvoir faire une concurrence utile à l'enseignement donné par le clergé, pour empêcher que toute la civilisation du pays ne passe entre les mains du clergé. Voilà nettement notre but.
Eh bien ! messieurs, un ministère catholique est-il bien apte à nous donner toute sécurité à cet égard ? La position et les principes de MM. les ministres ne doivent-ils pas nous mettre en garde contre ce qu'ils feront à l'avenir ?
L'honorable M. Dechamps, il y a quelque temps, s'expliquait sur l'enseignement donné par l'Etat, en des termes très explicites. Je sais bien que sous l'honorable M. Van de Weyer, cette couleur de l'honorable M. Dechamps s'était un peu déteinte. Mais quand je vois ses collègues d'aujourd'hui, je crains fort que sa couleur d'autrefois ne lui revienne, et ne lui revienne avec des teintes beaucoup plus prononcées.
L'honorable M. Dechamps a longuement développé ses idées dans son rapport sur l'enseignement supérieur. Il y soutenait cette thèse que l'enseignement public donné aux frais de l'Etat, ne devait être, en quelque sorte, qu'un pis-aller temporaire, qu'il devait disparaître devant l'enseignement libre ; l'enseignement libre, c'est-à-dire l'enseignement donné par le clergé, car on sait très bien en définitive que dans la question d'enseignement, la concurrence n'est possible qu'entre les deux grandes forces du pays : le gouvernement et le clergé.
Eh bien, l'honorable M. Dechamps a déclaré que tout homme qui a foi dans nos institutions nourrissait l'espoir de voir un jour les universités de l'Etat désertes. Voilà quelle était la prévision de l'honorable M. Dechamps et il est probable que l'honorable ministre, qui est un des membres les plus conciliants de la droite, qui sur beaucoup de questions est plus rapproché de nous que d'autres membres de son opinion, il est probable que l'honorable M. Dechamps, en émettant une pareille idée, ne dépassait pas les espérances de ses amis.
L'honorable chef du cabinet s'expliquait, dans une circonstance beaucoup plus récente, en des termes beaucoup moins rassurants encore, car nous savons de lui qu'il persiste dans ses idées, qu'il persiste dans ses convictions.
Nous rendons hommage, sous ce rapport, à son caractère ; et c'est parce que nous rendons hommage à son caractère, que nous craignons ses actes.
L'honorable M. de Theux en présence de l'opposition qu'avait soulevée ici la convention désignée sous le nom de convention de Tournay, l'honorable M. de Theux déclarait positivement et en parlant au nom d'une partie de cette chambre, de la partie qu'il représente aujourd’hui au pouvoir, l'honorable M. de Theux disait que jamais une proposition qui aurait pour but d'empêcher de pareilles conventions, n'aurait de chance d’être adoptée. Eh bien, messieurs, qu'est-ce que la convention de Tournay ?
Je l'examine au point de vue des principes. C'était l'abdication de l'autorité laïque au degré communal, entre les mains de l'autorité épiscopale. Voilà la portée, la signification de la convention de Tournay. Eh bien, cette convention rentre entièrement dans les goûts, dans les principes de l'honorable M. de Theux et c'est parce que je reconnais à l'honorable membre une grande persistance dans ses vues, que je me défie à bon droit quand je le vois chargé de représenter en ce moment, au gouvernement, les intérêts de l'autorité laïque.
Remarquez-le bien, messieurs, et je ne vous en fais pas un crime, ceux d'entre vous qui s'expriment avec le plus de franchise et de loyauté ne cachent pas qu'ils ont une préférence marquée pour les établissements d'instruction dirigés exclusivement par des ecclésiastiques. Ce sont ces établissements que l'honorable M. Brabant, que j'honore d'une manière toute particulière ; ce sont ces établissements que l'honorable M. Brabant nommait, en les opposant à ceux de l'Etat : « Notre université, nos collèges, nos écoles, » c'est-à-dire l'université dirigée par les évêques les collèges dirigés par les évêques ou par les jésuites, car il paraît qu'il faut maintenant distinguer à cet égard, les écoles primaires dirigées par les petits-frères ou par d'autres ecclésiastiques.
M. Brabant. - C'est très exact.
M. Rogier. - Eh bien, l'opinion de M. Brabant, qui ne la cache pas lui, qui ne la dissimule pas lui (et je l'en félicite), cette opinion est bien certainement celle de son voisin de gauche, elle est, sans doute, aussi celle de ses voisins de droite, elle est celle des hommes qui se trouvent sur les bancs du ministère, du ministère dont M. Brabant est l'ami (et cet ami lui fait beaucoup plus d'honneur que celui dont on parlait hier).
Si donc, MM. les ministres, vous devez rester fidèles à vos convictions intimes, si vous ne voulez pas, si vous ne pouvez pas faire violence aux convictions, aux intérêts de votre parti, je dis que sur la question de l’enseignement moyen vous ne nous offrez pas des garanties d'impartialité suffisantes. Il s'agit de faire concurrence aux écoles ecclésiastiques et ce sont les artisans de ces écoles ecclésiastiques qui viendront organiser l'enseignement civil destiné à leur faire concurrence. Mais, messieurs, vous ne pouvez pas croire qu'une pareille situation soit acceptable pour tous ceux de nos bancs qui ont quelque peu de prévoyance et de bon sens.
(page 1109) Ainsi donc, messieurs, vous ne pourrez rien faire pour nous, je le répète, sans vous faire violence à vous-mêmes, sans faire violence aux sentiments, aux exigences de votre propre parti.
Vous allez vous récrier peut-être contre nos paroles, vous allez nous dire que vous le pourrez. On vous le disait aussi à l'époque où l’on vous présentait cette loi sur le jury d'examen, que l'honorable M. d'Huart vient à l'instant même de combattre avec tant de chaleur. On n'a pas pu alors ce que l’on voulait et l’on ne pourra pas davantage aujourd'hui ce que l’on veut, si tant est qu'on veuille quelque chose de nouveau, quelque chose d'agréable, quelque chose de garantissant pour l'opinion libérale.
« Pourquoi, dites-vous, l'opinion libérale s'alarmerait-elle ? On est animé pour elle des intentions les plus conciliantes. » Ce programme libéral contre lequel on s'est si fortement élevé, ce programme, à part la question de dissolution, est devenu aujourd'hui très acceptable, très susceptible même d'être mis à exécution par un ministère catholique.
Le cabinet est animé des meilleures intentions ; il dit à l'opinion libérale : « Laissez-nous faire vos affaires. Remettez le soin de vos intérêts entre nos mains, ils ne pourront jamais être mieux confiés. » Messieurs, le parti libéral est très sensible à ce doux langage, mais que voulez-vous ? Il a le mauvais esprit de ne pas y croire. Il n'est pas payé pour être trop confiant. Et quand vous venez nous dire, comme l’a dit M. le ministre des finances dans son remarquable discours d'hier, quand vous venez nous dire : « Parlez, nous sommes prêts à vous écouter ; mettez vos idées en avant, nous les exécuterons. » Quand on vient nous tenir un pareil langage il nous est impossible de le prendre au sérieux. Cela touche véritablement au ridicule. A qui fera-t-on croire qu'un ministère catholique homogène soit venu tout exprès au pouvoir pour faire les affaires de l'opinion libérale pour faire triompher les intérêts de cette opinion. Cela, je le répète, touche au ridicule.
Voici, messieurs, une réflexion que je puise dans un fait actuel. Nous négocions en ce moment avec la Hollande. Il s'agit entre la Hollande et la Belgique de questions graves, où sont engagés de grands intérêts matériels. Je suppose que, par aventure, les ministres de Sa Majesté neérlandaise viennent trouver les nôtres et leur tiennent à peu près ce langage : « Eh bonjour, MM. les ministres belges. Nous sommes animés pour vous des meilleures intentions. Les intérêts belges ne peuvent être confiés à de meilleures mains que les nôtres. Chargez-vous de ces intérêts ; nous les réglerons pour votre plus grand bien. » Nos ministres n'auraient pas, sans doute, la bonhomie de céder à ce beau langage et de lâcher leurs droits. Ils répondraient sans détour à de telles avances : « Merci de vos services. Vous êtes trop bons Hollandais pour bien régler les intérêts belges ; nous sommes décidés à les régler nous-mêmes. » Eh bien, messieurs, à notre tour, et sans vouloir porter aucune atteinte à notre caractère, nous vous dirons : Merci de vos services. Ce n est pas à vous que nous voulons confier le règlement de nos intérêts : vous êtes trop bons catholiques pour cela !...
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - L'honorable M. Rogier a fait un appel à notre conscience. Notre conscience, messieurs, est tranquille. Il nous a demandé tout à l'heure ce qu'on lui a demandé tant de fois à lui-même, comment il se faisait que lui, qui avait fait, pendant 12 ans, partie des majorités mixtes, qui avait été deux fois au pouvoir, s'appuyant sur des majorités, comment il se faisait qu'il avait abandonné ce système pour appuyer un système homogène. C’était l'époque alors où l'honorable membre avait le courage, comme il l’a rappelé tout à l'heure, de défendre le pouvoir. Mais il me permettra de lui rappeler qu'alors aussi l'opposition libérale lui disait que ce n'était pas du courage, que c'était de la courtisanerie. Eh bien, messieurs, l'honorable membre a eu une réponse pour expliquer cette évolution ; il a parlé de la différence des époques et des circonstances. J'aurai tout à l'heure une autre réponse à donner, plus franche peut-être, c'est que nous avons accepté une nécessité que les événements avaient créée.
Je ramène la question sur le terrain où l'honorable membre vient lui-même de la placer. Nous sommes l'opinion catholique ; vous êtes l’opinion libérale ! C'est pour cela que vous nous combattez. Vous croyez que, pour conserver vos principes, pour ne pas les abandonner lâchement, comme vous l'avez dit, vous croyez que nous devons nécessairement nous placer sur la pente qui mène à des réactions que peut-être nous ne voulons pas aujourd'hui.
J'ai déjà eu occasion de rappeler les paroles remarquables qu'un ancien collègue de l'honorable M. Rogier, M. Leclercq, prononçait à cette tribune ; l’honorable M. Leclercq vous a dit que les noms de catholiques et de libéraux dans l’ordre politique étaient un non-sens en présence des grands principes de notre Constitution. L'honorable M. Leclercq a porté le défi d'expliquer la signification réelle de ces deux dénominations politiques.
La Constitution, qu'est-elle autre chose, sinon la transaction intérieure, signée par l'opinion catholique et par l'opinion libérale ? Aussi longtemps que ce contrat solennel n'est pas déchiré, que veulent dire ces noms de catholiques et de libéraux ? Si vous voulez, comme moi, la liberté religieuse, la liberté d'enseignement, la liberté des associations religieuses, si je veux, comme vous, la liberté des opinions philosophiques, la liberté de la presse, la liberté des associations politiques, pourquoi êtes-vous libéral ? pourquoi suis-je catholique ?
Si au lieu d'être, comme nous le prétendons, des constitutionnels de 1830, nous étions, comme on semble vouloir le faire croire, des légitimistes de la restauration ; si, à l'exemple des légitimistes de la restauration, nous avions amené la dynastie et le pouvoir sur les baïonnettes étrangères ; si nous étions le parti de l'étranger ; si, comme les légitimistes de la restauration, nous n'avions pas voulu de la charte à son avènement, et si depuis nous avions conspiré contre elle, oui, vous auriez raison de nous combattre, vous poursuivriez un but constitutionnel et patriotique à la fois.
Mais sommes-nous le parti de l'étranger ? Qui oserait le dire ? Est-ce nous qui avons voté au congrès pour la réunion, masquée ou non masquée, à la France ? Est-ce nous qui avons voulu la restauration du régime ancien ? Je le demande franchement, combien trouvez-vous de nos noms inscrits sur les listes de conspirateurs en 1831, 1834 et 1842 ? Aucun.
Des voix à gauche. - Aucun des nôtres non plus.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je n'accuse aucune opinion en général d'être responsable de ces actes ; mais quand j'ai entendu hier l'honorable M. Verhaegen vouloir revendiquer pour sa seule opinion le beau titre de parti national, j'ai le droit, je pense, de rappeler ces souvenirs.
Hier, messieurs, peu d'instants après que l'honorable M. Verhaegen avait voulu réserver à son opinion le nom de parti national, l'honorable M. Dolez a fait un aveu bien honorable pour la majorité ; pour justifier la nécessité de l’avènement de l'opinion libérale aux affaires, l'honorable membre vous a dit que l'opinion catholique n'avait rien à espérer en dehors de l’ordre de choses actuel et qu'on n'avait dès lors rien à craindre d'elle.
En effet, elle n'a rien à espérer de la restauration, et elle n'a rien à espérer de la réunion à la France, rien à espérer du partage. L'honorable M. Dolez a laissé entrevoir sous des mots prudents que peut-être une autre opinion pouvait concevoir certaines de ces espérances ; il a semblé le craindre ; ce que l'honorable M. Dolez vous a dit, n'est que la traduction de la même pensée révélée par un des hommes éminents de l'opinion libérale, l'honorable M. Devaux. Cet honorable membre a eu la franchise de nous dire qu'il aurait sincèrement désiré que le pays tout entier appartînt à ce qu'on était convenu d’appeler l'opinion catholique, afin d'entourer notre nationalité de barrières plus fortes vis-à-vis de l'étranger.
Nous ne sommes donc pas, comme les légitimistes de la restauration, le parti de l’étranger !
Sommes-nous un parti qui ne veut pas de la charte, qui conspire contre elle ? Est-ce à notre opinion que la minorité du congrès appartenait ; cette minorité qui ne voulait, ni de la liberté religieuse, ni de la liberté d'enseignement, ni de la liberté des associations ? Est-ce nous qui avons fait inscrire dans les procès-verbaux du congrès, comme une protestation permanente, les votes négatifs contre chacune de ces libertés constitutionnelles ? N'est-ce pas nous qui avons soutenu sincèrement, sans réserves, ces libertés qui vous étaient plus chères, la liberté de la presse, la liberté des opinions, lan liberté des associations politiques ?
Depuis le congrès, est-ce nous qui avons voulu la réforme électorale, la réforme d'une loi que M. Castiau a appelée éminemment constitutionnelle, cl qui l'avons voulu, en violant ouvertement et le texte et l'esprit de la Constitution ? J'ai démontré dans le rapport dont l’honorable M. Castiau vous a parlé ; j'ai démontré, et personne ne m'a répondu jusqu'ici, que la réforme électorale, à l'aide d'un cens uniforme et de l'admission des professions libérales, était formellement contraire au texte et à l'esprit de la Constitution. C’est donc sous l'inspiration de l'opinion catholique que la Constitution a été dictée.
Avons-nous, depuis, conspiré contre elle ? Je le demande, cette Constitution n'est-elle pas encore debout tout entière après 15 années ? Quel est l'article qu'on a altéré ? Je dirai plus, quelle est l'atteinte que la Constitution a reçue depuis 1830 ? On ne pourrait articuler aucun fait qui pût prouver que la moindre atteinte y a été portée.
.Messieurs, chacun comprend si bien que cette Constitution est encore tout entière, qu'aucune de ses pages n'a été déchirée, qu'on a dû nous opposer l'encyclique romaine, un fait romain, une question théologique, au lieu d'un fait belge, d'une question belge.
Dans l’ordre politique nous ne relevons de personne, et lorsque chacun de nous est venu prêter serment à la Constitution tout entière, personne n'a le droit de suspecter la sincérité de ce serment ; le reste est une question de conscience qui ne doit pas être portée à cette tribune.
Je dis donc, messieurs, que ces qualifications malheureuses de catholiques et de libéraux sont un non-sens devant les principes de notre Constitution, aussi longtemps que ces principes sont debout.
Je conçois les partis parlementaires, je conçois les luttes politiques vives et passionnées ; je les comprends lorsqu'un de ces partis veut atteindre un bul que l'autre repousse, lorsque l'un veut des principes que l'autre combat, lorsqu'un a un programme que l'autre ne pourrait pas signer.
Eh bien, et je réponds ici à ce que l'honorable M. Rogier a dit tout à l'heure, nous avons aujourd'hui le programme écrit du libéralisme parlementaire ; je ne parle pas du programme du libéralisme des associations libérales, parsemé de réformes radicales et inconstitutionnelles ; je ne parle pas, qu'on me permette de l'ajouter, du programme développé, il y a quelques jours à cette tribune, par l'honorable M. Castiau, programme qui n'est autre chose qu'une protestation contre l’œuvre admirable de ces 15 années, y compris l’œuvre du congrès constituant, y compris même notre Constitution ; l'honorable M. Castiau n'a-t-il pas, entre autres griefs, cité l'article de notre Charte, par lequel le renouvellement des chambres a lieu par période biennale ? Je ne veux pas faire allusion à ces programmes, mais je veux parler du programme parlementaire de l'honorable M. Rogier.
Eh bien, je le demande à l'opposition, est-ce parce que la loi sur le fractionnement n'est pas retirée ? est-ce parce que la nomination des bourgmestres se fera par le Roi, avec ou sans l'avis de la députation permanente, est- ce pour cela qu'il y a des catholiques cl des libéraux en Belgique ? Est-ce pour cela que ces luttes vives sont engagées et que les partis sont en présence ?
(page 1110) La loi du fractionnement, et l'honorable M. Verhaegen l’a dit hier, si on la considérait comme une mesure politique et non administrative, ce serait nous qui en demanderions le retrait, ce serait vous qui en demanderiez le maintien.
La question de savoir si les bourgmestres seront nommés par le Roi avec ou sans l'avis de la députation permanente, est-ce une question catholique, une question libérale ? Vous savez, comme moi, que sur cette question de liberté communale et de pouvoir central, les chambres ne se fractionnent pas en catholiques et en libéraux.
Mais parmi nous comme parmi vous les opinions sont divergences sur ce point.
Le jury d'examen ? Pour ma part je suis prêt à signer l'article du programme de M. Rogier. Le mode actuel de la nomination de jury, avez-vous écrit, devra subir les changements indiqués comme nécessaires par l'expérience et conformes à l'esprit de la Constitution.
L'intention de ces termes vagues est évidemment de ne rien dire et de ne rien promettre.
Reste la loi sur l’enseignement moyen, l'article principal du programme de l'honorable membre.
Eh bien, d'après les explications qui ont été données à cette tribune par l'honorable M. d'Hoffschmidt, je dois croire que la distance qui sépare l'honorable M. Rogier du ministère actuel n'est pas grande, si toutefois cette distance existe, ce dont je doute.
Que vous a dit avant-hier l'honorable M. d'Hoffschmidt ? Cet honorable membre qui a assisté, dans le conseil dont j'ai fait partie avec lui, aux discussions sur cette question grave, vous a déclaré qu'après avoir reçu communication du projet du ministère nouveau, il s'était convaincu que les principes qui lui servaient de base rallieraient la majorité dans les chambres. Pourquoi le disait-il ? Parce que lui qui connaissait nos opinions, qui connaissait sur quels points le dissentiment s'était manifesté entre M. Van de Weyer et nous, savait que ce projet était acceptable par nous, puisqu'il était acceptable par lui, attendu que, à quelques nuances près peut-être, nous avions été d'accord sur cette question importante.
M. Rogier. - Quelles sont ces nuances ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Ne m'interrompez pas.
En 1834, permettez-moi de vous rappeler ces faits, une commission a été nommée dans laquelle les deux opinions étaient représentées, dans laquelle l'honorable M. Devaux siégeait à côté de M. de Theux. Cette commission a présenté au gouvernement le projet de loi de 1834. L'honorable M. Rogier, ministre de l'intérieur, a soumis le projet de loi aux chambres. Je le dis franchement, à cette époque les objections venaient plutôt de nous que de l'opinion libérale relativement à ce projet de 1834.
En 1840, le ministère, par l'organe de M. Liedts, a déclaré qu'il admettait les principes du projet de 1834 comme bases de sa politique en matière d'enseignement.
En 1841, pendant les débats politiques qui ont amené la chute du cabinet, sur mes interpellations, MM. Rogier, Leclerc, Lebeau nous ont déclaré qu'ils maintenaient les principes qui formaient la base de ce projet comme la limite de la transaction entre les partis qu'ils acceptaient. Ils déclaraient même que si la discussion prouvait que des modifications pouvaient avoir lieu de manière à étendre les garanties religieuses dans l'intérêt des familles, ils étaient prêts à faire un pas vers nous, à admettre ces modifications.
En 1842, dans la discussion mémorable sur l'enseignement primaire, ces mêmes honorables membres et l'honorable M. Devaux en particulier, vous ont déclaré qu'ils voulaient toute la loi de 1834. M. Devaux a dit alors qu'il ne voulait rien de plus rien, de moins !
En 1846, nous avons déclaré que nous voulions maintenir le projet de 1834, en lui donnant une extension au profit de l'action du pouvoir central.
Nous sommes restés fidèles à cet engagement ; nous avons voulu plus que le ministère de 1840 ; l'exposé inséré au Moniteur le démontre suffisamment.
Nous sommes donc, au point de vue de l'enseignement moyen, plus libéraux que ne l'était le ministère de 1840, plus libéraux que vous ne l'étiez en 1842 ; j'ajoute que nous étions aussi libéraux que le ministère Rogier et Delfosse ; d'après les explications de M. d'Hoffschmidt, j'ai lieu de croire que le projet de loi sur lequel ce cabinet s'était mis d'accord était acceptable par vous ! Et c'est nous qu'on attaque, et c'est nous qu'on accuse d'être réactionnaires, ce sont nos exigences que l'on accuse !
L'honorable M. Rogier m'a rappelé encore une fois le rapport que j'ai fait en 1835 ou 1836 sur la loi d'enseignement supérieur. Je lui ai adressé plus d'une réponse à cet égard. Il me suffira de dire que j'ai fait avec lui la loi sur l'enseignement supérieur que nous avons votée ensemble, la loi d'instruction primaire que nous avons votée ensemble, et que s'il avait été ministre, nous aurions vraisemblablement voté ensemble la loi d'enseignement secondaire.
Ainsi donc, messieurs, je vous le demande : que signifient ces dénominations de catholiques et de libéraux ? S'il y avait entre nous des obstacles infranchissables, je les comprendrais ; mais je viens de le dire, ce programme écrit du libéralisme parlementaire sur les articles duquel je n'ai pas personnellement à me prononcer ici, pourquoi l'opinion catholique ne pourrait-elle pas le signer ?
Je n'ai pas besoin de faire remarquer que lorsque je parle du programme de M. Rogier, j'en distrais les questions relatives à la dissolution et aux fonctionnaires, questions en dehors du programme réel, moyens destinés uniquement à assurer la marche du cabinet.
Est-il utile de modifier la loi communale ? c'est là une question que je n'examine pas mais je le répète, est-ce pour obtenir ces minces résultats qu'il faut jeter le pays dans des luttes irritantes qui tendent à nous affaiblir.
Messieurs, nous n'acceptons pas d'être l'avènement d'un parti aux affaires, dans un but d'exclusion. Notre intention est de soutenir la politique modérée que tous les ministères depuis 15 ans ont suivie.
L'honorable M. Rogier nous a dit que lui, ministère homogène, il n'aurait été mu par aucune intention réactionnaire, par aucune prétention exagérée qu'il avait un programme acceptable par nous. En effet, je viens de le démontrer, en dehors du droit de dissolution qui a été le seul obstacle de son avènement au pouvoir, le programme de l'honorable M. Rogier est-il si opposé aux principes qui sont les nôtres ?
L'honorable membre a dit qu'il se serait conduit à l'égard du parti catholique, avec tant de loyauté, d'impartialité, de justice, de modération,, qu'il nous aurait forcés de l'appuyer et de lui donner nos votes.
J'ai cru l'honorable M. Rogier, mais je lui demanderai pourquoi il ne nous croirait pas.
L'honorable M. Dolez a bien voulu dire que les hommes assis sur ces bancs ministériels avaient son estime comme hommes, qu'ils étaient d'un caractère honorable. Ce caractère honorable n'est-il donc pas une caution de la sincérité de nos paroles ?
Nous aurions cru l'honorable M. Rogier, j'ai la conviction que les intentions qu'il a annoncées étaient bien les siennes, qu'il les aurait pratiquées. J'ai regretté, l'honorable M. Rogier sait qu'il ne peut pas douter de ce regret ; j'ai regretté qu'un obstacle ait été mis à l'avènement du cabinet qu'il avait formé. S'il s'était constitué sans avoir créé l'obstacle de la dissolution sur lequel je ne reviendrai pas, j'ai la conviction qu'une majorité considérable dans les deux chambres l'aurait appuyé aussi longtemps qu'il aurait été fidèle aux principes qu'il proclamait.
L'opinion catholique n'est pas assez aveugle pour ne pas savoir qu'elle a besoin de beaucoup de modération pour détruire les préjugés dirigés contre elle. Elle aurait saisi volontiers l'occasion qui s'offrait de faire de nouveau acte de modération, en appuyant le ministère de l'honorable M. Rogier.
Si l'honorable membre, au lieu d'être mu par des défiances contre tous, avait agi avec la confiance qu'il pouvait avoir, il n'aurait pas eu besoin de dissolution, non plus que de moyens défensifs contre l'opposition éventuelle des fonctionnaires publics, il aurait trouvé la majorité.
Je ne permettrai de répéter à cette tribune les mots que je lui ai adressés pendant la crise ministérielle même. Si l'honorable membre avait eu assez de confiance en lui pour former un ministère modéré, il aurait trouvé en nous ses amis permanents. S'il était arrivé hier au pouvoir ou s'il y arrive demain, il doit s'attendre à voir s'élever, d'abord en dehors et ensuite dans cette enceinte, une gauche de l'opposition.
Il sait qu'il aurait besoin du concours des hommes modérés des deux opinions pour gouverner, qu'il aurait trouvé ses amis permanents parmi ceux qu'il persiste à considérer comme ses adversaires.
Je dis donc que nous aurions cru l'honorable membre, mais quand nous protestons des mêmes intentions que vous d'agir avec tant de loyauté, d'impartialité, de justice, de modération, que nous vous forcerons bien à le reconnaître et à ne plus nous combattre, pourquoi nous répondre par un sourire d'incrédulité ?
Je comprends du reste l'hésitation dans laquelle quelques membres de, l'opinion libérale modérée peuvent se trouver. Mais cette hésitation, je le répète, nous nous efforcerons de la vaincre par nos actes et par notre conduite. On croit que le ministère, tel qu'il est constitué, ne peut sauvegarder l'indépendance du pouvoir civil. On nous a parlé de domination occulte, celle vieille accusation renouvelée tant de fois depuis 1830 ! Mais cette indépendance du pouvoir civil, s'il y avait des prétentions qui pussent la compromettre, je le déclare hautement, l'opinion même que nous professons, nous donnerait le droit et le pouvoir de mieux y résister que vous-même.
L'honorable M. de Theux, dans une séance précédente, lorsqu'on a parlé de pouvoir occulte, a demandé à quels actes sérieux on rattachait cette accusation. Nous sommes encore à attendre cette réponse qui n'a pas été faite et qu'on se gardera bien de faire.
On l'a rappelé : lorsque l'honorable M. Rogier et ses amis politiques faisaient partie de la majorité, lorsque deux fois ils se sont trouvés au pouvoir, n'a-t-on pas dirigé contre eux les mêmes accusations ? Je demanderai à ces honorables membres s'ils ont cru à cette domination occulte. Mais l'honorable M. Lebeau et M. Leclercq, en 1841, en déclarant que le ministère s'était formé en vue de détruire ces préventions qui égaraient une partie de l'opinion, avouaient que ce pouvoir occulte ils n'y croyaient pas.
L'honorable M. Devaux, pour démontrer que la prépondérance appartenait à l'opinion libérale, n'a-t-il pas rappelé que cette opinion, depuis le gouvernement provisoire, était en possession des portefeuilles ministériels, des fonctions diplomatiques, des hautes fonctions administratives, des sièges de la magistrature, des grades supérieurs de l'armée ?
Pendant que l'opinion libérale, comme un flot qui monte, envahissait ainsi toutes les positions, nous étions majorité et pouvoir, nous pouvions faire de la force et de la prépondérance, nous pouvions vous vaincre ; l'avons-nous fait ?
Mais alors où donc est cette domination occulte qui pèse sur le pouvoir ?
Si les hommes ont manqué pour que la politique de transaction fût assez complétement personnifiée, dans une combinaison mixte, cette politique reste la même ; c'est celle que nous voulons pratiquer et que nous pratiquerons.
(page 1111) Depuis 15 ans, l'opinion catholique a compris que le nom que ses adversaires lui ont donné, attirait sur elle de vieilles préventions accumulées depuis un demi-siècle.
Comme je le disais tout à l'heure, nous constitutionnels de 1830, on veut nous faire passer pour les royalistes de 1814. L'opinion catholique a compris qu'elle devait vaincre par beaucoup de prudence et de modération ces préventions injustes, mais existant dans une partie du pays.
C'est parce qu'elle l'a compris, qu'elle, majorité en 1830, a porté au gouvernement provisoire les hommes éminents de l'opinion libérale. C'est pour cela qu'elle, majorité, a élu à la présidence du congrès constituant un homme éminent de l'opinion libérale. C'est pour cela qu'elle a élevé à la plus haute dignité, alors que le trône était vacant, à la régence du royaume, un des chefs de cette opinion.
C'est pour cela que, depuis 15 ans, l'opinion catholique a préféré soutenir ce qu'on a nommé les ministères mixtes ; elle a soutenu M. Charles de Brouckere, en 1831, MM. Lebeau et Rogier deux fois de 1832 à 1834, MM. Ernst, d'Huart. Willmar, plus tard MM. Nothomb et Goblet, plus tard M. Van de Weyer.
Ce n'était pas pour gouverner par personne interposée. C'est précisément à cause de ces préventions, qu'elle connaissait bien et qu'elle voulait détruire, que l'opinion catholique avait besoin dans le gouvernement de cautions contre ces préjugés. (Dénégation sur quelques bancs.)
Aujourd'hui si, par des circonstances plutôt personnelles que politiques, les hommes ont manqué, pour réaliser d'une manière complète cette politique de transaction, je le répète, c'est une raison pour nous de réaliser cette politique d'une manière plus large dans les actes que nous aurons à poser.
La politique que nous voulons soutenir est la même ; la majorité sur laquelle nous voulons nous appuyer est la même.
C'est une épreuve difficile, je le reconnais, que nous sommes appelés à traverser ; cette épreuve, nous l'acceptons. Nous avons à démontrer par nous-mêmes aujourd'hui que nous ne sommes pas un parti réactionnaire, que nous sommes aussi modérés, aussi constitutionnels, aussi nationaux, aussi capables que vous.
Si nous échouons dans cette tentative, à vous le pouvoir !
Mais si nous réussissons, les hommes ne manqueront plus à cette politique de transaction, et j'aurai à défendre encore dans l'avenir des ministères qui la personnifieront.
M. de Mérode. - Au commencement de cette session, je m'élevais contre la confusion de langage qui attribuait la qualification de libérale à une opinion que je combats, précisément parce que, bien loin de posséder le monopole du sentiment qui porte l'homme généreux à respecter la liberté d’autrui, les adeptes du prétendu libéralisme, très jaloux de leurs propres droits, sont très enclins à s'emparer de tous les pouvoirs et à faire peser leur joug sur tout ce qui ne pense pas comme eux, sur tout ce qui ne se soumet pas aveuglément à leurs prétentions, à leurs idées. Ainsi, par le plus singulier renversement de la véritable langue française, on a baptisé du nom de cabinet libéral, et mes amis mêmes ont la fatale et déplorable manie de tromper le public par ce contre-sens, on a baptisé du nom de cabinet libéral une combinaison ministérielle dont le programme est fondé sur l'intimidation à l'égard des chambre, sur l'intimidation à l'égard des fonctionnaires de l'Etat, et dont les champions, dans cette enceinte, ont constamment à la bouche les menaces et les plus injustes accusations !
Vainement, me dis-je souvent à moi-même, je sens bouillonner dans mon cœur, depuis ma plus tendre jeunesse, la haine des oppressions, ou religieuses, ou factieuses, ou monarchiques, ou aristocratiques, ou démocratiques ; car peu m'importe le masque sous lequel grimace la tyrannie ; et néanmoins je dois, vu la fausse et ridicule acception que l'on donne à ce mot, je dois renoncer à me prétendre libéral. Que suis-je donc ? Si l'on doit s'en rapporter au style incompréhensible ainsi forgé, maintenant je suis anti-libéral. Et pourtant j'éprouve, je le répète, la plus grande répugnance à la vue de l'oppression, même lorsqu'elle s'exerce sur les animaux : ainsi lorsque l'on traquait en Espagne ceux qu'on appelait les negros, lorsque j'apprenais la mort de Riego livré par l'armée du duc d'Angoulême à la vengeance de Ferdinand VII et des apostoliques, bien qu'attaché à l'Eglise, clérical enfin pour me servir de l'argot du jour, du sobriquet inventé pour ridiculiser le sentiment qui a civilisé un monde ingrat, j'éprouvais la plus profonde sympathie en faveur de la victime, la plus vive répulsion à l'égard du royal bourreau et de ses appuis. Depuis lors, il est vrai, voyant que le triomphe des mêmes negros précipitait dans la misère d'infortunées religieuses en les arrachant avec un brutal despotisme à leurs paisibles retraites, en les réduisant à la mendicité ; lorsque j'ai vu ces negros progressistes souvent plus durs que les défenseurs de l'ordre ancien, j'ai compris qu'il y avait peut-être pour ceux-ci nécessité de se préserver eux-mêmes de la violence par la force ; mais en définitive, le malheur les a frappés tous successivement, sans doute pour réaliser l'oracle qui disait a Pierre : « Quiconque frappera de l'épée périra par l’épée, » c'est-à-dire les violents seront tôt ou tard punis par la violence qui s'exercera sur eux.
Le même amour pour le bon droit et pour la liberté m'a fait prendre, en toute occasion, la défense des enfants de la malheureuse Pologne. Au risque de déplaire à des vainqueurs puissants, j'ai prêté de mon mieux aux proscrits mon faible appui, et qu'on ne dise pas que c'est parce que la Pologne était un royaume catholique. La Grèce ne l'était point et je n'en ai pas moins, avec mon bon droit pour la cause belge, souscrit largement, l'un des premiers, pour ce pays, esclave depuis tant de siècles. Cependant je dois toujours, vu la bizarre transformation du vocabulaire, me refuser le titre de libéral et subir en conséquence l'exclusion destinée aux ilotes déclarés incapables d'être aujourd'hui ministres, puisque le ministère selon le préopinant, doit être homogène et ne peut être que libéral, à sa manière bien entendu. Ainsi donc je n'ai plus le droit de prendre part au gouvernement du pays, mais seulement de me soumettre aux intelligences supérieures qui s'attribuent exclusivement la capacité d'exercer le pouvoir en Belgique et qui daigneront peut-être me régir avec un orgueil bienveillant.
Messieurs, je le demande, qu'on compare de bonne foi le discours si constitutionnel de M. le ministre de l'intérieur, exposant la formation du cabinet actuel, avec les prétentions du cabinet auquel on s'obstine à donner, contre toute justice et raison, la qualification de libéral, et l'on verra si ce n'est pas se moquer de la langue que d'abuser ainsi des termes qui doivent servir à rendre nos idées. En style de chancellerie romaine, l'empereur Nicolas a été appelé Magnanime ; les empereurs païens, qui livraient les chrétiens aux bêtes et eux-mêmes à toutes sortes d'excès, se nommaient Très-Cléments. Que les chancelleries, que les despotismes aient une langue sans signification sérieuse, peu m'importe ; mais moi, qui ne parle point ici pour adoucir un autocrate persécuteur ou pour contenter la vanité d'un potentat devant lequel se prosternait le sénat romain, je ferai toujours comme le poète français (excusez la familiarité de la citation), qui disait : J'appelle un chat un chat.
Donc, un cabinet libéral ne sera jamais, pour moi, un cabinet armé d'avance contre les chambres de la menace de la dissolution, contre les fonctionnaires de la menace de la destitution, contre le Roi d'obligations par lesquelles il se sera lié les mains. Quoi qu'il arrive, un cabinet qui repoussera en principe les ministères de conciliation tels qu'ils ont existé depuis quinze ans en Belgique, non, jamais je ne le croirai, jamais je ne l'appellerai libéral ; il pourra être, sans doute, fort capable de m'opprimer, fort intelligent pour me dompter, fort éclairé pour me spolier de mes droits, fort habile pour jeter même force poudre aux yeux de la foule trompée par les mots ; mais je ne serai pas indirectement son complice en adoptant ces mots-là dans mon langage. Je protesterai, au contraire, sans relâche contre une pareille duperie, dont les conséquences sont beaucoup plus dangereuses qu'on ne le croit généralement.
Il ne faut pas s'imaginer, en effet, que la multitude raisonne avec une logique très ferme, qu'elle sache parfaitement comprendre la portée d'un style qui confond les notions reçues sur la valeur fondamentale des expressions. Elle entend dire qu'un homme est libéral quand il ouvre sa bourse généreusement, quand il remet facilement sa dette à un pauvre débiteur : elle attache donc, comme de raison, de la largeur, de la noblesse au sentiment libéral. Or, en opposition avec lui, vous présentez toujours le sentiment d'attachement spécial et non superficiel à la religion. Vous dites : L'opinion libérale, l'opinion catholique ; et, pour ridiculiser celle-ci, le prétendu libéralisme l'appelle cléricale. Dès lors, fussiez-vous le plus sincère ami de la liberté vraie, de la tolérance civile, de l'égalité des droits, fussiez-vous l'adversaire le plus constant de tous les despotismes, vous ne savez plus comment vous définir, et vous paraissez sur la scène politique comme si vous n'étiez qu'homme d'Eglise, que serviteur du clergé et non pas ce que vous êtes réellement, citoyen appartenant à l'ordre civil, dévoué à tous les intérêts de cet ordre, occupé des besoins matériels du peuple, non moins que de ses besoins religieux et moraux.
Il y a dans plus d'un pays des catholiques qui ne sont pas libéraux, qui ne comprennent pas l'ordre constitutionnel moderne : tels étaient et sont encore les légitimistes français. Mais chez nous, pourquoi la liberté sincère domine-t-elle depuis quinze ans ? N'est-ce point parce que la majorité qu'on tend à détruire, à force d'accusations non méritées, à force d'imputations sans fondement, comme cette discussion même le démontre, a toujours été libérale selon la langue vraie ? Les faits sont d'irrécusables témoins de ce que j'avance ; car où trouverez-vous une constitution mise en pratique sans réserve pendant plus de trois lustres avec une loyauté pareille à ce qui s'est pratiqué parmi nous ? Le jour de l'an, le grand rabbin disait au Roi : « Sire, si nos croyances religieuses, héritage de nos pères, nous inspirent pour ceux qui sont appelés par la Providence à régner sur la terre des sentiments d'hommage et de haut respect, combien ces sentiments ne doivent-ils pas être vrais et sincères pour la personne d'un souverain sous le règne duquel la Belgique est devenue l'asile de la liberté, de la justice, du droit de l’homme ! »
Je ne prétends pas, messieurs, attribuer à cette allocution une autorité décisive, comme on le fait trop souvent en citant certaines paroles, empruntées à des discours quelconques ; mais l'orateur Israélite qui parlait au chef de l'Etat dans un jour solennel pouvait se borner à des compliments, à des expressions de respect, tandis que son langage a formulé en peu de mots le nlus bel éloge de notre gouvernement tout entier. Or les chambres en font partie, personne, je pense, ne le conteste ; et si la Belgique est devenue, selon ma conviction, l'asile de la liberté, de la justice, du droit de l'homme avec le régime constitutionnel, tel qu’il a été pratiqué jusqu'à ce jour, pourquoi nous lancer dans un nouveau système destitutionnel et dissolutionnel, menaçant, afin de conduire les chambres et les fonctionnaires le knout à la main ?Lorsque je fus nommé pour la première fois représentant à Nivelles, en 1833, il y a treize ans laissant a Bruxelles ma place à M. Lebeau, j'eus pour concurrent M. Mercier, employé supérieur de l'administration des finances. Ai-je pour cela songé à provoquer sa destitution ? Nullement ; et cependant d'après l'argot, non d'après la langue heureusement, je ne suis pas réputé libéral.
Serait-ce parce que j'ai soutenu la nomination du bourgmestre par le Roi dans et hors du conseil communal ? Je ne pourrais assurément mieux (page 1112) me défendre qu'en rappelant l'excellent discours prononcé par M. Fallon, lorsque M. Rogier, ministre de l'intérieur, réclama cette faculté pour le pouvoir exécutif, lors de la discussion de la loi communale en 1834. Sans doute, nous ne pouvons recommencer de pareils débats, mais j'ose dire que la libre nomination par le gouvernement d'un fonctionnaire qui doit être dans la commune l'homme de tout le monde et non pas l'homme d'une majorité maîtresse de tout le pouvoir délibérant et exécutif à la fois, est plus libérale, au fond, que la nomination restreinte dans le conseil. Que la majorité exerce mal le pouvoir dans la nation, il est impossible d'éviter cet abus ; mais pourquoi tout lui livrer dans une ville ou un village, sans égard pour des minorités souvent très nombreuses qui peuvent trouver quelqu'appui dans l'autorité centrale ? Je suis, je le reconnais, un des grands coupables, si coupable il y a, de la modification obtenue sous ce rapport il y a trois ans. Quant au fractionnement des électeurs par quartier, je n'y voyais pas grand avantage ; mais, après tout, cette clause non plus n'a rien de contraire à une théorie libérale, et en pratique elle a été fort insignifiante.
Quand on est obligé d'accuser sur de pareils griefs une majorité qui a si puissamment contribué à faire de la Belgique l'asile de la liberté, de la justice, du droit de l'homme, il faut admettre que ses torts sont bien faibles. Aussi, que lui disait hier l'honorable M. Dolez ? « Prenez garde, vous avez à faire à des adversaires peu tolérants. Calmez-les, comme le saint-père cherchait sans doute à modérer l'empereur Nicolas en le qualifiant de magnanime (j'ajoute de mon cru la comparaison), laissez-vous dominer par eux d'une manière exclusive car ils pourraient devenir moins tolérants encore plus tard, et l'avenir leur appartient sans nul doute. Vous êtes contents de la Constitution comme pères de famille, cessez donc de prendre part au pouvoir. On vous permettra longtemps encore d'élever vos enfants comme vous voudrez ; mais si vous persistez à vouloir être quelque chose dans l'administration supérieure du pays, la colère des triomphateurs futurs n'aura pas de bornes. » A quoi je murmurais tout bas cette réplique : Oui, la conclusion de ce que vous dites est que nous sommes de bonnes gens et que nous avons à faire à plus durs que nous.
Il est possible que les prédictions de M. Dolez s'accomplissent. Néanmoins si je dois descendre, j'aime mieux descendre l'escalier des élections régulières que de sauter par la fenêtre des destitutions et des dissolutions que nous mettait en perspective un cabinet, par antiphrase sans doute, appelé cabinet libéral.
Messieurs, le préopinant qui a parlé avant M. Dechamps, celui qui devait composer le cabinet homogène dit libéral, vient de vous démontrer en peu de mots la convenance des ministères mixtes. Il vous a dit en effet : Comment voulez-vous que mon parti ait confiance dans un ministère homogène de votre opinion ? C'est comme si le gouvernement hollandais vous offrait ses plénipotentiaires pour arranger vos intérêts belges avec la Hollande. Mais si sa comparaison est exacte, pourquoi l'opinion éclectique offrirait-elle des assurances suffisantes à l'opinion catholique non représentée dans le gouvernement ?
En vérité, je ne comprends rien à ces singulières argumentations qui n'ont aucune logique saisissable et concordante. Mon principe à moi c'est toujours : ne faites pas à un autre ce que vous ne voulez pas pour vous-même. Pendant sept ans, j'ai appartenu à des ministères de conciliation. Je ne cesse de préférer ces ministères à tous autres. Si les circonstances ont empêché qu'il se formât sur cette base un cabinet, précisément parce que l'on a trop vanté l'homogénéité, parce que MM. Rogier et consorts ont décrié à outrance les combinaisons conciliantes comme des combinaisons hypocrites, il a fallu en adopter un autre moins complétement satisfaisant pour tous, mais qui est devenu par ce motif temporairement inévitable.
Messieurs, nous avons à traiter beaucoup d'autres affaires que les questions politiques ; j'espère donc que cette discussion ne se prolongera pas indéfiniment ; car il est bien des intérêts en souffrance qui réclament notre attention.
M. le président. - La parole est à M. Fleussu.
M. Fleussu. - Au risque de déplaire à l'honorable comte de Mérode et de faire perdre quelques moments à la chambre, j'userai du tour de parole qui m'est donné.
Il est assez naturel que nous désirions tous le triomphe de l'opinion à laquelle nous appartenons. Nous devons désirer de la voir arriver aux affaires, pourvu qu'elle puisse prendre le pouvoir avec dignité, avec des garanties d'avenir.
Qu'on n'aille pas croire cependant que si nous nous élevons contre le cabinet actuel, c'est que nous soyons animés d'un esprit d'envie ! Non ! Une pensée plus généreuse nous préoccupe : c'est l'intérêt, c'est la prospérité, je dirai même que c'est la tranquillité du pays.
Loin de me plaindre de la préférence que l'opinion catholique a obtenue sur l'opinion libérale, je m'en suis par devers moi félicité, dans l'intérêt de cette opinion. N'a-t-elle pas encore des conquêtes à faire ! Les bénéfices du temps ne sont-ils pas pour elle ! L'opinion libérale a une grande puissance dans les villes, dans les grandes localités de la Belgique ; elle y règne en quelque sorte sans partage ; mais prenons-y garde, elle ne fait que pénétrer dans les campagnes, elle y grandira aussitôt que les fâcheuses qualifications de libéraux et de catholiques, dont l'honorable M. Dechamps vous entretenait tout à l'heure, seront comprises dans leur signification politique, lorsqu'on saura que l'opinion libérale n'est pas irréligieuse, qu'elle aime l'ordre, et que par dessus tout elle est tolérante. C'est alors que l'avènement d'un ministère libéral sera accueilli avec d'unanimes applaudissements. C'est alors que le pouvoir sera fort et considéré ; il sera fort, parce qu'il s'appartiendra tout entier ; il sera fort, parce qu'il puisera sa force en lui-même ; il sera fort, parce qu'il sera fondé et s'appuiera sur le sentiment national.
Pourquoi donc me plaindrais-je de la préférence donnée à l'opinion rivale de la mienne ? A entendre l'honorable M. Dechamps, il n'y a plus de différend entre nous ; nous pouvons tous nous donner la main ; car nous voulons tous la même chose. N'avons-nous pas voulu, dit l'honorable M. Dechamps, toutes les libertés votées par le congrès. Les procès-verbaux ne sont-ils pas là pour en faire foi ? Ne sont-ce pas nos noms que l'on voit figurer dans les votes en faveur de ces libertés ?
Je m'étonne vraiment de ce langage de M. le ministre des affaires étrangères. Où était-il donc lors du congrès ? Il était inconnu. Je me trompe, il était connu par ses écrits républicains, contenant les doctrines les plus radicales, écrits qu'il faisait distribuer à tous les membres du congrès.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - C'est une erreur.
M. Fleussu. - Ce n'est pas une erreur.
Nous avons voulu, nous aussi, toutes les libertés dont l'honorable M. Dechamps parlait tout à l'heure, nous avons voulu comme lui la liberté de la presse qui nous intéresse tant. Mais nous la voulons ailleurs que dans la Constitution, nous la voulons dans l'exécution, tandis que pour la vouloir aussi large que nous, les catholiques devraient mettre l'index d'accord avec la Constitution. Si vous voulez la liberté de la presse, comment se fait-il qu'on aille, dans certaine petite ville que je pourrais nommer, jusqu'à défendre la lecture de l' « Indépendance », jusqu'à la mettre à l'index, ainsi que d'autres journaux, tout aussi inoffensifs à l'endroit de la religion ?
Plusieurs membres. - Ce n'est pas le gouvernement.
M. Fleussu. - Je le sais, mais je dis que ceux dont vous défendez les intérêts ont une conduite contraire a votre langage.
Messieurs, puisqu'on fait un appel aux procès-verbaux du congrès, je demanderai, messieurs, de quel côté viennent les réclamations contre cette disposition de la Constitution qui statue que tous les pouvoirs émanent de la nation ? Quelle était donc, messieurs, au congrès la partie de cette chambre qui faisait opposition à ce que cet article fût consacré dans la Constitution ? Répondez, M. Dechamps, puisque vous connaissez si bien l'histoire du congrès.
Et qui donc, messieurs, dans cette chambre voulait que l'on pût célébrer le mariage religieux avant le mariage civil et soustraire ainsi les actes de l'état-civil aux officiers de l'état-civil ? Car une fois que vous auriez autorisé le mariage religieux avant le mariage civil, on aurait pu se dispenser du mariage civil. Nous savons tous ce qui s'est passé sous le régime de l'arrêté de 1814 qui autorisait un semblable état de choses. On se mariait devant l'autorité ecclésiastique et on dédaignait de se marier devant l'autorité civile.
M. de Haerne. - On voulait la continuation de ce qu'avait fait le gouvernement provisoire.
M. Fleussu. - Messieurs, il se passe une chose assez étrange. C'est qu'après trois jours d'une discussion solennelle, je suis encore à me demander ce qu'est le ministère ? Où est son programme ? Je le cherche, je ne le trouve nulle part. Car on ne présentera sans doute pas comme un programme les quelques lignes qui se trouvent consignées dans le Moniteur, où l'on dit que l’on est venu forcément s'asseoir au banc ministériel, où l'on dit que l'on exécutera le mieux possible la Constitution et les lois. Mais c'est là le langage de tous les ministères, et ce langage est si simple qu'il me semble qu'il ne valait pas la peine de le tenir.
On nous dit, ce sont les paroles de l'honorable M. d'Huart, c'est l'honorable M. Dechamps qui nous répète après lui et qui, depuis qu'il est au ministère, nous l'a répété si souvent, qu'en vérité on finirait bien par ne plus y croire, que c'est un ministère de modération. Mais, messieurs, ce n'est pas assez de nous dire quelles sont les lois qu'on entend nous présenter, sur lesquelles on entend nous faire discuter. Un programme doit contenir encore autre chose ; il doit nous faire connaître quelles sont les vues du ministère en matière d'administration ; eh bien, sur ce point pas un mot.
Je cherche un programme, messieurs, et je ne le trouve pas. Le programme du ministère, c'est une négation, c'est la négation du programme du ministère de l’honorable M. Rogier. Car, chose fort extraordinaire, le ministère au lieu de nous exposer ses vues, de nous amener à débattre ses moyens d'administration, attaque, lui, le programme d'un ministère non accepté.
Je demande donc ce que c'est que le ministère. Est-ce un ministère nouveau ? Est-il la continuation du ministère de l'honorable M. Van de Weyer, moins toutefois le différend qui est survenu sur la loi d'instruction ?
Mais si c'est la continuation du ministère de M. Van de Weycr, s'il accepte la succession de ce ministère défunt sous bénéfice d’inventaire, il devra bien aussi assumer les obligations qu'avait contractées l'honorable M. Van de Weyer. Or, M. Van de Weyer nous avait fait connaître, lui, quelles étaient ses dispositions. D'abord il avait proclamé hautement dans cette enceinte l'indépendance du pouvoir civil, et il l'appliquait surtout en matière d'enseignement. Or, connaissons-nous l'opinion du ministère sur ce point ? A-t-il daigné répondre à cet égard ? L'honorable M. Orts a fait tantôt tout un discours sur cette matière ; l'honorable M. Rogier a traité le même sujet, et nous ne savons pas encore comment le ministère entend l'indépendance du pouvoir civil.
L'honorable M. Van de Weyer avait déclaré que contrairement à ce qui s'était fait avant lui, il entendait que les affaires de son administration fussent traitées au grand jour dans ses bureaux et par ses bureaux, en dehors de toute autre influence.
(page 1113) Voilà, messieurs, la déclaration que nous avait faite l'honorable M. Van de Weyer.
Eh bien, l'honorable M. de Theux prend sa place, et l'honorable M. de Theux rétablit le cabinet noir où viennent sans doute aboutir les recommandations d'une part, et peut-être les dénonciations d'une autre.
L'honorable M. Van de Weyer nous avait dit encore qu'il ne présenterait au choix de S. M. que les hommes les plus capables, abstraction faite de leurs opinions religieuses ; il ne voulait voir que la capacité et la moralité. Est-ce aussi le système du ministère actuel ? Nous n'en savons rien, messieurs, et ce qui fait que j'en doute, c'est la conduite de M. le ministre de la justice, qui depuis quelque temps a envoyé aux procureurs généraux, aux procureurs du roi, aux présidents des tribunaux, une circulaire pour leur défendre de faire des présentations pour les nominations. Est-ce que par hasard M. le ministre de la justice pense que de son cabinet il appréciera mieux les sujets répandus sur toute la surface de la Belgique que les hommes qui sont sur les lieux ? Ou peut-être veut-il être parfaitement indépendant et se donner une libre carrière dans les nominations. C'est ce qui expliquerait alors, messieurs, comment pour une place de juge de paix devenue vacante et sollicitée par une douzaine d'avocats, au nombre desquels il y en avait de très capables, on a donné la préférence, à qui ?... à un médecin. C'est ce qui expliquerait peut-être encore comment, au moyen des places de notaire, alors qu'il y a des candidats qui blanchissent en attendant ces places, on récompense des services administratifs.
Voilà, messieurs, des choses qui se voient et qui excitent des réclamations continuelles.
L'honorable M. Van de Weyer voulait donner suite à une partie du discours de la Couronne où il était dit qu on désirait que l'instruction fût complétée dans tous ses degrés et où l'on annonçait des amendements à la loi présentée sur l’enseignement moyen. L'honorable M. Van de Weyer avait pris l'engagement de nous présenter ces amendements avant la discussion de son budget. Je demande s'il est dans l'intention de M. le ministre de l'intérieur de nous présenter ces amendements avant la discussion de son budget.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - En section centrale.
M. Fleussu. - Oh ! c'est là que je vous attendais. Nous ne pouvons-nous contenter de l'envoi de ces amendements à la section centrale, et voici pourquoi. C'est qu'il s'agit d'une question trop grave pour que la chambre soit prise au dépourvu et ne connaisse les amendements du gouvernement que par le rapport de la section centrale. Vous devez faire en cette matière ce qu'on a fait d'abord pour le jury d'examen, ce qu'a fait tout récemment encore M. le ministre des finances, en présentant des amendements aux projets de son prédécesseur, au sujet du projet de loi sur les caisses de consignation. Ce projet a été renvoyé aux sections. Nous demandons qu'il en soit de même pour l'instruction moyenne ; il faut que l'opinion publique soit éclairée non-seulement sur le projet, mais aussi sur vos amendements. Il ne faut pas que trois jours après le rapport on puisse dire : Vous allez discuter le rapport de la section centrale. Ça été là une ruse de M. Nothomb ; c'est ainsi qu'il a procède pour la loi sur l'instruction primaire ; mais nous avons su ce qui est résulté d'être pris ainsi au dépourvu et de ne pas nous être suffisamment préparés à la discussion. Nous ne voulons plus qu'il en soit ainsi, et puisqu'il n'existe plus que des débris de l'ancienne section centrale, nous croyons qu'il est dans l’ordre que le gouvernement nous présente ses amendements et que ces amendements soient renvoyés aux sections. Remarquez, messieurs, comme on me le dit, que le projet a été présente en 1834, que depuis lors soixante nouveaux membres sont entrés dans la chambre et que la plupart n'ont pas même le projet de 1834.
Messieurs, je ne sais si la proposition du renvoi des amendements du gouvernement aux sections sera faite, mais je désire qu'elle soit formulée.
Plusieurs membres. - Faites-la.
M. Fleussu. - Messieurs, dans les discours qui ont été prononcés, la plupart des orateurs ont développé contre le ministère des raisons auxquelles je me rallie. Mais, messieurs, il est une considération que je tiens en quelque sorte comme m'étant personnelle, qui fait que je ne puis, dans aucune circonstance, prêter mon concours au ministère nouveau. C'est la dissidence qui me sépare des membres du cabinet, eu matière d'enseignement. Et en effet quels sont les hommes qui siègent sur le banc ministériel ? C'est l'honorable M. Dechamps qui s'est pressé de faire un rapport sur le haut enseignement, et qui a tenu le projet sur les autres degrés de l'instruction pendant près de huit ans dans son portefeuille avant de faire un rapport sur ces autres parties. C'est l'honorable M. Dechamps qui, lorsqu'il a été question de la loi du jury d'examen, et après avoir donné en conseil son approbation au projet de M. Nothomb, s'est retiré, au moment de la discussion, des bancs ministériels pour s'asseoir sur un banc de l'opposition. C'est l'honorable M. Malou qui a quille ses fonctions au ministère de la justice, afin d'être plus à son aise pour combattre la proposition faite par le gouvernement, et en cela je ne fais qu'applaudir à la détermination qu'il avait prise.
Relativement à l'organisation des universités de l'Etat, qui vois-je au banc ministériel ? C'est l'honorable M. de Theux, sous l'administration duquel, si je ne me trompe, les deux universités de l'Etat ont été organisées, mais ont été organisées de telle manière que sans un redoublement de zèle et d'efforts de la part des professeurs, elles ne pourraient plus soutenir la lutte contre les établissements libres. En effet, messieurs, il n'existe, dans ces universités, aucun lien entre les professeurs et les élèves. Ceux-ci sont entièrement indépendants. Ils peuvent fréquenter les cours ou ne pas les fréquenter.
Un professeur na pas même le droit de leur donner un avertissement. Ils ne sont pas obligés de fréquenter les cours, parce qu'ils n'ont pas besoin, pour se présenter aux examens, d'un certificat de fréquentation. Le relâchement est tel, que je puis affirmer qu'un cours semestriel se donne au plus pendant quatre mois ; de sorte que les élèves sont en vacance pendant un tiers de l’année. Cependant nous exigeons beaucoup ; nous voulons que ceux qui se présentent aux examens soient des hommes parfaits, pour ainsi dire.
Et nous ne les obligeons pas à travailler. Ils peuvent faire de leur temps ce qu'ils veulent. Il n'y a, je le répète, aucun lien entre les professeurs et les élèves.
Et maintenant encore, messieurs, le croirez-vous ? Alors que les vacances de Pâques doivent être terminées depuis longtemps, les cours ne sont pas commencés ; c'est seulement mardi prochain, si je suis bien informé, que l'ouverture des cours aura lieu. Qu'est-ce qui résulte de tout cela ? C'est que dans les universités de l’Etat, la plupart des élèves passent deux ans dans la faculté de philosophie par exemple, tandis qu'à l'université de Bruxelles, ils subissent leur examen après une année de travail.
On disait tantôt que nous étions des réactionnaires (car on nous accuse aussi de réaction), parce que nous avons voulu modifier la loi sur le jury d'examen ; on nous accuse d'avoir voulu par là porter atteinte à une de nos libertés constitutionnelles, à la liberté d'enseignement. Mais, messieurs, la loi sur le jury d'examen ne touchait en aucune manière a la liberté d'enseignement. Que demandions-nous, messieurs ? Que le gouvernement, à qui seul doit appartenir le droit de surveiller l'exercice de certaines professions, parce que le gouvernement représente tous les intérêts du pays, nous demandions, dis-je, que le gouvernement soumît les jeunes gens qui veulent exercer la profession d'avocat, la profession de médecin, à un examen constatant leur capacité. Mais, messieurs, faire nommer les membres du jury par les chambres, n'est-ce pas là faire faire de l'administration ; n'est-ce pas un acte qui entre entièrement dans les attributions du pouvoir exécutif ? C’est encore en défendant les prérogatives de la Couronne que nous demandions la nomination des membres du jury d'examen par le gouvernement.
Et voyez ce qui arrive de cette composition fractionnée, si je puis m'exprimer ainsi ; la chambre nomme deux membres, le sénat en nomme deux, le gouvernement nomme les trois autres ; eh bien, voici un résultat assez curieux de cette manière de procéder : la faculté de philosophie de l’une des universités de l'Etat n'a pas un seul représentant dans le jury d'examen. Je me trompe, la faculté de philosophie de l'université de Liège a un professeur dans le jury, mais c'est le professeur de langues orientales, un homme fort estimable, mais que les élevés ne connaissent peut-être pas, un homme qu'ils n'ont peut-être jamais vu, dont ils ne fréquentent pas les cours. Quant aux professeurs aux leçons desquels les élèves sont habitués,, qu’ils seraient rassurés en les rencontrant dans le jury, ceux-là ne s'y trouvent pas. Il est donc vrai de dire que la faculté de philosophie de l'université de Liège n'a aucun représentant dans le jury.
Messieurs, j’avais encore quelques autres observations à faire, mais je m'aperçois que j'ai déjà été assez long, et je termine par le point pour lequel j'avais principalement demandé la parole.
A la fin de la séance d'hier on a révèle un fait qui m'a profondément touché, un fait exorbitant, un fait arbitraire puisqu'il a été pose contre la volonté de la loi, mais qui a cependant ce bon côté qu'il nous a fait connaître un de ces hommes poussés par ce qu'on a appelé tantôt l'influence occulte, et que l’on voit, par cette influence arriver en peu de temps aux emplois les plus lucratifs de la Belgique.
Messieurs, pour apprécier l'affaire de ce Retsin, il ne faut point isoler son élargissement de tout ce qui précède ; il faut en faire un ensemble et c'est cet ensemble qu'il faut examiner. Nous savons tous ce qu'était Retsin. C'était un homme en état de domesticité. Il quitte cet état pour se lancer dans la carrière des emplois et il s'y lance, messieurs, avec une rapidité qui jette quelquefois la déconsidération et souvent le dégoût dans les administrations. Pour lui, les rapports défavorables de ses chefs sont des titres à l'avancement, pour lui les disgrâces sont des faveurs, et en quelques années cet homme arrive à un des emplois les plus enviés de son administration.
Vous savez, messieurs, que cet homme était un hypocrite, qu'il avait trompé les âmes pieuses qui s'étaient intéressées a lui, que c'était un vendeur d’amulettes, que c'était même un contrefacteur, si je puis m'exprimer ainsi, de reliques, car le bruit était assez répandu dans les environs, qu'il en faisait avec des os de lapins.
Cet hypocrite a donc forfait ; il a laissé un déficit dans sa caisse ; quelle est sa conduite d'abord vis-à-vis du contrôleur ? Il lui dit : « Cachez la chose et je vous promets de l'avancement ; si au contraire, vous me découvrez, vous serez perdu.» Je sais bien que ce sont là des propos un peu fanfarons, mais il y en a d'autres, et nous verrons ce qui les justifie. Il est traduit en justice. Il cherche à corrompre l'officier du ministère public, homme de talent, à ce qu'il paraît, en lui disant que son poste est à Bruxelles et qu'il l'y fera placer s’il le ménage dans l’accusation.
En face de ses juges il ose dire : « Si vous me condamnez, avant six mois je serai devant vous. » J'ai dit tout a l'heure que ce qu'il avait dit pourrait n'être considéré que comme des propos fanfarons, et je crois, en effet, qu'il n’était pas très fondé à avancer que ses amis étaient au pouvoir ; mais quand il dit a ses juges : « Si vous me condamnez, avant six mois je serai devant vous, » et lorsqu'il retourne en effet a Mons avant même que les six mois se soient écoules, alors je dis que ces paroles sont faites pour produire une vive impression sur les esprits, et il est fort étonnant que si M. le ministre connaissait ces propos, il ait pu faire droit a la demande d'élargissement.
(page 1114) A votre séance d’hier, dans l’indignation qu’il éprouvait, mon honorable ami M. Dolez, au caractère duquel je crois rendre hommage en disant qu’il est modéré entre les modéré, dans l’indignation qu’il éprouvait, a lancé contre M. le ministre de la justice une expression de blâme et M. le ministre de la justice ne s'est pas levé aussitôt pour relever cette expression en quelque sorte accusatrice, pour repousser ce blâme avec énergie. J'ai été frappé du silence de M. le ministre. Si j'avais eu l'honneur d'être assis au banc ministériel et si un semblable langage avait été dirigé contre moi, à l'instant même je me serais levé et j'aurais repoussé de toutes mes forces ces paroles de blâme.
Dans cette circonstance, messieurs, qu'avons-nous à faire ? Je dis qu'il est de la dignité du ministre que la vérité dans cette affaire soit produite au plus grand jour. Je dis que notre devoir, à nous, c'est d'examiner si nous ne devons pas nous associer au blâme prononcé par l'honorable M. Dolez. Mais nous devons le faire en connaissance de cause, et pour que nous ne précipitions rien, pour que nous puissions juger après avoir examiné toutes les pièces, je demande que M. le ministre de la justice dépose, pendant le débat, sur le bureau de la chambre : 1° la demande d'élargissement provisoire de Retsin ; 2° le certificat du médecin de la prison établissant l'état de santé de cet individu ; 3° l'ordre d'écrou, et 4° l'ordre qui a été donné d'arrêter de nouveau Retsin. J'en fais la proposition formelle.
M. le président. - La parole est à M. Dubus (aîné).
Des membres. - Il faut discuter l'incident.
M. Manilius. (pour un rappel au règlement). - Il vient d'être fait une proposition qui a la forme et tous les caractères d'une motion d'ordre. On demande que M. le ministre de la justice dépose les pièces pour nous éclairer sur l'incident d'hier. Si M. le ministre n'adhère pas à cette proposition, elle doit être discutée immédiatement. Je pense que c'est là la règle qui a toujours été suivie et que nous devons continuer à suivre pour respecter le règlement.
M. le président. - J'attendais que la proposition fût déposée sur le bureau, pour en donner lecture.
M. Manilius. - Il faut laisser à M. Fleussu le temps de l'écrire. Il est arrivé cent fois qu'on attendît un moment pour permettre à un membre de mettre une proposition par écrit.
M. Fleussu, ayant rédigé sa proposition, l'envoie au bureau.
- Il est donné lecture de cette proposition.
M. Dolez. - Je demande que la proposition de M. Fleussu soit complétée dans ce sens que M. le ministre ait à produire aussi la correspondance administrative à laquelle a donné lieu l'élargissement du condamné Retsin.
J'insiste fortement sur cette adjonction d ont M. le ministre de la justice
M. le président. - M. Dolez, veuillez faire parvenir votre proposition par écrit au bureau.
La chambre entend-elle vider immédiatement cet incident, ou veut-elle le joindre à la discussion générale ? En d'autres termes, la proposition de M. Fleussu, complétée par M. Dolez, sera-t-elle considérée comme une motion d'ordre devant donner lieu à une discussion spéciale ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, dans la séance d'hier, un honorable membre a cité des faits ; mon honorable collègue, M. le ministre de la justice et moi-même, nous avons donné les explications que nous pouvions donner, en présence d'une accusation qui nous venait à l'improviste. Maintenant l'honorable M. Fleussu revient sur ces faits, aux questions qu'il pose l'honorable M. Dolez en ajoute d'autres, et on veut faire un incident qui serait vidé immédiatement.
Sur ces faits, comme sur tous les autres, le gouvernement vous donnera des explications, mais laissez continuer la discussion générale.
Soyons de bonne foi. Hier et les jours précédents, il s'agissait de juger le système politique, d'apprécier l'ensemble des besoins du pays ; cette discussion solennelle, on veut maintenant la fractionner en incidents. Nous ne refusons pas de nous expliquer sur l'incident, mais nous demandons que l'incident soit joint au fond : puisque nous parlons à l'honorable M. Fleussu, il me pardonnera cette expression de procédure.
Nous demandons, en conséquence, qu'il n'y ait pas de vote en ce moment ; et dans la séance de demain, M. le ministre de la justice et moi-même, nous donnerons des explications nouvelles à la suite desquelles la chambre appréciera s'il y a lieu de faire un incident. Je pense qu'on ne peut se refuser à suivre cette marche.
M. Delehaye. - Il dépend entièrement du gouvernement que l'on n'interrompe pas la discussion ; que le gouvernement déclare qu'il déposera sur le bureau les pièces demandées par l'honorable M. Fleussu, tout est dit, et la discussion ne sera pas interrompue. Le ministère ne peut pas reculer devant le dépôt de ces pièces ; il y va de son intérêt, de sa dignité, même de son honneur, que ce dépôt soit effectué le plus tôt possible.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, j'ai déjà donné hier la plupart des explications qu'il m'était possible de donner relativement à Retsin ; je les compléterai demain, si j'en ai omis quelques-unes ; j'indiquerai en même temps à la chambre les pièces que je croirai pouvoir déposer sur le bureau. La chambre décidera ensuite si d'autres pièces doivent être communiquées. Il sera satisfait aux intentions de la chambre.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, il me paraît que ce que propose M. le ministre de la justice doit satisfaire complétement les auteurs de la proposition, à moins qu'ils ne prétendent que dans le délai d'une minute ou de deux minutes, qu'il leur plairait de fixer à M. le ministre de la justice, celui-ci soit obligé de s'expliquer sur les pièces qu'il produira. C'est une chose assez étrange que, quand on vient soulever un incident, on veuille exiger qu'un ministre réponde dans le délai d'une minute ; la prétention va jusque-là. M. le ministre de la justice a annoncé qu'il s'expliquera demain ; on s'oppose à ce renvoi à demain ; c'est vraiment inconcevable.
M. Dolez. - Messieurs, l'honorable M. Dubus n'a pas compris les propositions émanées de ces bancs. Personne n'a demandé que M. le ministre de la justice eût à répondre, sans avoir eu le temps de réfléchir. Nous nous sommes bornés à dire à M. le ministre de la justice : « Hier vous avez prétendu que votre bonne foi avait été surprise, que vous n'aviez pas violé la loi, que vous n'aviez pas posé un acte qui révoltait notre conscience à tous. » Aujourd'hui nous demandons à M. le ministre qu'il mette sous les yeux de la chambre toutes les pièces de cet incident qui paraît à nous si grave, qui paraît à vous si simple ; que M. le ministre nous réponde que demain ou après-demain il déposera sur le bureau tout le dossier de cette affaire, et à l'instant la discussion générale recommence.
Ce que nous ne pouvons pas admettre, c'est la réponse que vient de faire M. le ministre de la justice : il examinera, a-t-il dit, quelles sont les pièces qu'il pourra déposer. Dans une question où la légalité et la moralité sont intéressées au même titre, ne devons-nous pas tous être d'accord pour dire que les éclaircissements doivent être complets, pour avoir un caractère de certitude ?
Il n'y a donc pas à hésiter, non pas seulement pour la chambre, mais pour le gouvernement lui-même, dont la dignité serait compromise si ces hésitations se prolongeaient. Il faut que tout le dossier soit mis sous les yeux de la chambre, afin qu'on connaisse s'il est vrai que la religion de M. le ministre de la justice a été surprise, s'il n'y a eu de sa part qu'un acte d’imprudence, et alors je serai prêt à retirer le blâme que je lui ai infligé hier.
M. le président. - M. Dolez, vous ne parlez plus sur la motion.
M. Dolez. - Je crois être complétement dans la discussion de l'incident qui préoccupe la chambre à si juste titre, et je pense que la chambre ne réclame pas contre mon observation. Je continue donc ; si au contraire, le dossier était produit d'une manière complète (j'insiste sur le mot), si les faits que nous avons articulés hier, se révélaient avec un caractère plus grave que celui que nous avons signalé, alors nous ne retirerions pas notre blâme, mais nous l'aggraverions encore par la forme que nous devrions lui imprimer.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable M. Dolez veut que, sans avoir sous les yeux le dossier, je m'engage à fournir toutes les pièces indistinctement relatives à cet affaire, même celles dans lesquelles il peut se trouver des détails confidentiels qu'il ne serait ni nécessaire, ni convenable de faire connaître à la chambre. Je demande à tous les ministres passés si, parmi eux, il y en a un seul qui, n'ayant pas une correspondance sous les yeux, prendrait un semblable engagement. Je ne me refuse pas à produire les pièces, mais je demande qu'on m'accorde le temps d'examiner ; s'il s'en trouve quelques-unes que je croie ne pas devoir produire, je donnerai les motifs de mon refus, la chambre prononcera alors, et je saurai ce que j'aurai à faire en exécution de l'ordre de la chambre.
M. Manilius. - Que M. le ministre de la justice nous fasse connaître pour le moment si, oui ou non, il accepte la proposition de l'honorable M. Fleussu ; si demain il déposera les pièces demandées ; si le ministre consent à les déposer, et qu'il veuille en même temps en soustraire quelques-unes à la connaissance de la chambre, il nous le déclarera. Mais je le répète, la seule question pour le moment est celle-ci : Aurons-nous oui ou non des pièces ?
M. Dubus (aîné). - Messieurs, je suis on ne peut plus étonné de l'insistance que l'on montre ; elle a, je dois le dire, un caractère véritablement injuste ; ce n'est pas là de l'impartialité parlementaire, il s'en faut de beaucoup ; cette insistance est contraire à tous les précédents, à tous les usages de la chambre. Il est même dans les précédents de l'assemblée que quand il s'agit de simples interpellations à adresser à un ministre, celui-ci a le droit de demander qu'elles lui soient délivrées, pour qu'il vienne y répondre un autre jour. Ici on va bien plus loin ; on exige qu'un ministre s'engage à produire une correspondance, on ne veut pas lui laisser le temps d'aller dans son cabinet pour examiner le dossier, afin de revenir dire à la chambre s'il croit pouvoir lui communiquer les pièces.
Le ministre, d'après les précédents de la chambre, a le droit de demander jusqu'à demain pour répondre à la motion d'ordre qui lui est adressée ; il use de ce droit, et vous ne pouvez sans injustice vous refuser au renvoi.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, je ne puis maîtriser l'émotion pénible que me cause l'incident qui s'élève en ce moment sur la motion de l'honorable M. Fleussu. Vous avez entendu hier les détails dans lesquels mes honorables amis sont entrés : ces détails ont laissé toute la chambre sous une impression douloureuse. Aujourd'hui, si M. le ministre de la justice avait véritablement à cœur de détruire les soupçons trop légitimes que cette affaire a fait naître dans cette enceinte et au-dehors, ne s'empresserait-il pas de venir dire à la chambre : « Je veux que dans cette affaire, rien ne soit caché, rien ne soit dissimulé » ? Les pièces que très probablement il a lues ce matin après la discussion d'hier, que plus probablement encore il avait vues déjà hier avant les interpellations ; ces pièces, il les apporterait à l'instant même.
Qui ne voit ici que le pouvoir se déconsidère encore une fois par ces hésitations ? Qui ne voit que chaque retard ajoute un soupçon aux soupçons écrasants que ces révélations ont fait naître ? Qui dans le pays ne croira pas (page 1115) que M. le ministre de la justice demande un délai, non pour examiner des pièces, comme le disait un honorable député de Turnhout, mais parce qu'il les a trop bien examinées ?
J'insiste donc pour que la motion d'ordre soit vidée à l'instant, pour que la chambre voie sur la question de savoir si on apportera sur le bureau les pièces de ce déplorable procès. L'honneur du pouvoir, l'honneur du gouvernement est intéressé à ce que le dépôt de ces pièces soit effectué ; et puisqu'on a parlé de précédents, je dirai qu'il n'y a pas, dans les annales parlementaires, de précédents d'une discussion portant sur un fait semblable à l'affaire Retsin ; et j'en félicite le pays.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il y a pour le pouvoir de grandes nécessités ; c'est quelquefois de laisser s'aggraver des soupçons, de subir temporairement des soupçons injustes. C'est une de ces nécessités du pouvoir que nous subissons aujourd'hui. Nous ne la subirons du reste pas longtemps ; ce qu'on demande à votre justice, c'est que vous laissiez à notre collègue le temps de lire les pièces avant de répondre à la demande de communication.
A-t-on jamais vu, devant aucun tribunal où le droit de la défense est respecté, rejeter une pareille demande de l'accusé traduit à la barre ? Pour un prévenu qui ne serait passible que d'une amende de simple police, vous seriez plus indulgents.
Par un prétexte que je qualifierai plus tard, on élève un incident sur un fait qui n'est pas digne d'occuper pendant cinq minutes la chambre des représentants. (Interruption.)
Nous le prouverons.
Je n'hésite pas à le dire, s'il y avait eu dans cette affaire une question de moralité, je ne me servirais pas de cette expression. J'ai le sentiment de la moralité privée ou politique à un aussi haut degré que les honorables membres qui m'interrompent. Si nous demandons un délai, c'est parce que nous aimons mieux pour soutenir la prérogative du gouvernement, nous exposer à d'injustes soupçons, que |de poser ce précédent, qu'il suffira que des pièces soient demandées au gouvernement pour que le gouvernement vienne à l'instant même déclarer qu'il les déposera.
Nous ne demandons pas ce délai seulement dans l'intérêt du gouvernement, mais aussi dans l'intérêt des fonctionnaires eux-mêmes. Qnand un ministre de l'intérieur a communiqué à la chambre une enquête administrative sur la loi communale, on a dit : « Vous gâtez les rapports qui, dans l'intérêt du pays, doivent exister entre le gouvernement et ses agents. » Voilà le reproche qui est parti, si je ne me trompe, des bancs de l'opposition.
Il y a donc ici une autre question que celle de la prérogative du gouvernement ; l'intérêt du pays veut que les rapports du fonctionnaire avec son supérieur ne soient livrés à la publicité qu'avec discrétion, après examen.
Ainsi, tous les motifs concourent pour qu'on nous permette de donner à la séance de demain des explications sur la demande de production de pièces et de produire celles que nous croyons susceptibles de l'être. Si, après avoir entendu ces communications que nous ferons après avoir eu ce délai de quelques heures, vous les trouvez insuffisantes, si vous dites que le sentiment moral qui est votre prétexte, je n'hésite pas à le déclarer, est encore blessé, vous renouvellerez l'incident.
Je crois donc qu'on ne peut, ni en justice, ni en principe, se refuser à joindre l'incident au fond et à continuer la discussion générale en attendant les explications.
M. Fleussu. - Je suis fâché que le gouvernement demande un délai pour fournir des pièces aussi simples que celles que je lui ai demandées, car rien n'était si facile que d'en opérer le dépôt. Enfin puisqu'il demande un délai, il y aurait quelque sévérité à le lui refuser ; mais ce délai pourra être interprété de plus d'une manière.
M. Delehaye. - Il est bien entendu que demain le ministre répondra à la demande qui lui est faite.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - On s'expliquera.
M. le président. - La parole est à M. Dubus aîné.
Plusieurs voix. - A demain ! à demain !
- La séance est levée à 4 heures.