(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 759) (Présidence de M. Liedts)
M. Huveners procède à l’appel nominal à midi ; la séance est ouverte.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Huveners fait connaître l’analyse des pétitions suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Piron, ancien sergent major, demande une augmentation de pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les propriétaires et cultivateurs de Tirlemont protestent contre la pétition des raffineurs de sucre d’Anvers, qui a pour objet la révision de la loi sur les sucres. »
M. de La Coste – La pétition dont le bureau vient de vous donner connaissance, est revêtue d’environ 180 signatures ; elle est signé par le bourgmestre, les membres du conseil communal de Tirlemont, un grand nombre de propriétaires, de cultivateurs et autres habitants notables. Ils réclament contre les attaques dirigées contre la fabrication du sucre indigène ; ils se plaignent de ce qu’on a prétendu que cette industrie ne tourne qu’au profit d’un petit nombre de fabricants. Ils font observer qu’elle offre un débouché très-important à l’industrie des houilles, tellement que dans la seule ville de Tirlemont, le produit de l’octroi sur la houille employée dans cette fabrication, s’élève à 5,000 francs par an. Ils ajoutent que cette industrie doit inspirer d’autant plus d’intérêt, qu’elle donne lieu à une main-d’œuvre considérable, qu’elle donne du travail à la classe laborieuse, à la classe pauvre. Chaque fabricant emploient, assurent-ils, 150 ouvriers en hiver, et un nombre double et triple pendant la saison de la culture et de la récolte. Cette fabrication, disent-ils en terminant, comme toutes les autres industries indigènes, a droit à conserver la protection dont elle jouit vis-à-vis d’un similaire étranger. Le sucre exotique étant en général le produit du travail des esclaves, l’égalité de droits serait une dérision et la ruine de la fabrication indigène.
Si je me suis permis d’analyser cette pétition, c’est que je ne veux pas demander pour elle l’insertion au Moniteur ; cette insertion n’ayant pas eu lieu pour les pétitions en différents sens sur la matière, et mon désir étant que la plus grande impartialité soit observée dans l’examen de cette question. Je me borne donc à demander que l’on suive à l’égard de cette pétition la même marche que pour les autres, c’est-à-dire qu’on renvoie celle-ci à la commission d’industrie, avec demande d’un prompt rapport.
M. Manilius – Je suis extrêmement touché de l’analyse que vient de faire l’honorable M. de La Coste. Je demande la parole, non pour répondre à cette analyse, mais pour demander le renvoi pur et simple à la commission d’industrie, sans ajouter avec demande d’un prompt rapport. Quand il s’agit d’une question aussi compliquée, il faut laisser à la commission le temps de procéder à un examen approfondi. Elle a promis d’examiner cette question à fond, et avec désintéressement ; il ne faut pas la déranger dans son travail en lui faisant une loi de la promptitude.
J’insiste pour le renvoi pur et simple.
M. de La Coste – Je n’avais demandé un prompt renvoi que parce que je pensais que c’était la formule qui avait été adoptée pour les autres pétitions. Je retire donc cette partie de ma proposition, d’après l’observation de l’honorable M. Manilius.
M. Cogels – La commission d’industrie est saisie de plusieurs pétitions qui embrassent toutes les faces de la question. Je pense qu’elle pourrait se dispenser de faire un très-grand nombre de rapports, et en présenter un seul sur l’industrie sucrière et sur tous les intérêts qui sont en jeu dans cette question. (Adhésion.)
- La pétition est renvoyée à la commission d’industrie.
« Le sieur Coulon, capitaine pensionné, prie de nouveau la chambre de statuer sur sa réclamation contre une décision de M. le ministre de la guerre, qui refuse de lui tenir compte des ses services civils pour la liquidation de sa pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les habitants de St-Gérard, canton de Fosse, demandent que les barrières établies sur la route de Ligny à Dénée soient placées aux distances indiquées dans le cahier des charges de la concession de la route. »
M. de Garcia – Messieurs, dans cette question, beaucoup d’habitants de Saint-Gérard, canton de Fosse, province de Namur, se plaignent de ce que les barrières sur la route de Dénée à Ligny, ne sont pas aux distances voulues par la loi, et notamment par l’acte de concession.
Je demanderai que la commission des pétitions soit invités à nous faire un prompt rapport sur cette requête.
- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
« Plusieurs fabricants et teinturiers en fil de soie demandent les mesures de prohibition contre l’entrée des soies écrues retorses à coudre, et un droit de 6 fr. au moins par kilogramme sur les soies décreusées ou teintes retorses pour coudre et pour la passementerie ; ils proposent en même temps de déclarer le poids de 50 kilogrammes pour minimum de l’entrée des soieries trames destinées au tissage des étoffes. »
M. de Haerne – Messieurs, la pétition dont on vient de nous faire l’analyse, nous est envoyée par plusieurs fabricants de fils de soie à coudre d’Anvers et de Courtray. C’est déjà la seconde pétition qui nous arrive pour nous demander une protection en faveur de cette industrie nationale. La première pétition a été renvoyée à la commission d’industrie, qui a fait un rapport assez favorable. Elle a proposé d’établir un droit protecteur de 5 p.c. Ce droit, messieurs, serait sans doute protecteur ; mais je pense qu’il pourrait être plus élevé et que ce ne serait pas aller trop loin que d’établir un droit de 10 p.c.
Cette protection est nécessaire contre l’Allemagne et surtout contre la Suisse, où le bon marché de la main-d’œuvre et la facilité avec laquelle on peut s’y procurer la matière première, assurent à l’industrie les plus grands avantages.
Je n’insisterai pas pour le moment sur cette question, parce que je dois y revenir, lorsque le rapport de la commission d’industrie vous sera présenté ; mon intention est seulement d’appeler l’attention de la chambre sur cet objet important.
Messieurs, depuis que le rapport a été fait sur la première pétition, la concurrence est devenue beaucoup plus vive, beaucoup plus redoutable. L’étranger va même jusqu’à faire le commerce de détail. On a même spéculé sur les résultats éventuels de la première pétition ; plusieurs négociants se préparent à introduire des soies écrues retorses dans le pays, et à les soustraire à la manipulation nationale. Il est temps, messieurs, que l’on prenne des mesures de protection pour les soies écrues et même pour les soies décreusés ou teintes à coudre et de passementerie. Cette intéressant industrie, que M. Goethals-Danneel a récemment perfectionnée à Courtray, promet, si elle est suffisamment protégée, un bel avenir.
Pour les soies écrues, les pétitionnaires demandent des mesures de prohibition. Et en effet c’est paralyser tout à fait et sans motif la filature nationale que de laisser introduire dans le pays des soies écrues ; et quant aux autres, en les laissant entrer on porte encore un grand dommage au travail national, bien que cependant pour la soie travaillée on doive avoir égard à une autre industrie ; et c’est pour cela que les pétitionnaires ne demandent pas un droit aussi élevé.
Messieurs, je regarde cette question comme très-importante. Je demanderai donc que la commission d’industrie soit invitée à nous faire un prompt rapport, de manière même que nous puissions avoir connaissance de ses observations avant que nous en venions à la discussion du chambre du budget de l’intérieur où figure un crédit pour encouragements à l’éducation des vers à soie.
Vous savez, messieurs, que depuis nombre d’années, la chambre a introduit dans le budget un crédit de quelques mille francs pour encourager l’éducation des vers à soie. Mais ces encouragements serait tout à fait illusoires si, d’autre part, on laissait dépérir l’industrie qui doit prendre la matière première résultant de cette éducation ; ce serait établir d’une main pour détruire de l’autre.
J’insiste donc, messieurs, pour qu’un rapport nous soit fait avant la discussion du chap. XI du budget de l’intérieur.
- La pétition est renvoyée à la commission d’industrie, avec prière de faire son rapport avant la discussion du chapitre XI du budget de l’intérieur.
« Le sieur de Laveleye expose de quelle manière s’est formée la société Taylor, pour l’établissement du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, et déclare cesser toute participation à cette affaire. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi de crédit et de concession pour l’exécution de divers travaux publics.
M. Zoude – J’aurais désiré qu’on donnât lecture à la chambre de la lettre de M. l’ingénieur de Laveleye. Mais attendu qu’elle est un peu longue, je me bornerai à demander l’insertion au Moniteur. Je la demande, parce qu’elle peut exercer quelque influence sur les sections qui s’occupent du nouveau contrat relatif au chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse.
Nous rendons tous hommage à la probité de M. l’ingénieur de Laveleye ; il reconnaît maintenant que l’on a abusé de son talent, que la compagnie Taylor, qu’il croyait sérieuse, ne l’est pas.
Cette déclaration est de nature à nous confirmer dans l’idée que chacun a de la probité de cet honorable ingénieur.
- La chambre ordonne l’insertion au Moniteur.
M. Huveners donne lecture de trois messages du sénat, faisant connaître l’adoption 1° du projet de loi sur le domicile de secours ; 2° du budget de la marine ; 3° du projet de loi relatif au nouveau mode de sanction, de promulgation et de publication des lois.
- Pris pour notification.
(page 760) M. Lesoinne, au nom de la commission qui a examiné l’amendement introduit par le sénat dans le projet de loi relatif aux maladies contagieuses parmi les bestiaux, présente le rapport sur cet amendement.
La commission, à l’unanimité, en propose l’adoption.
- Sur la proposition de M. le ministre des finances, la chambre décide qu’elle procèdera immédiatement à la discussion.
La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet.
M. Dubus (aîné) fait remarquer qu’indépendamment de l’amendement qui forme le 2° § de l’article 1er, le sénat à amendé le 1er § du même article en substituant pour les mots « maladies épizootiques » un pluriel à un singulier ; il demande que ce changement soit soumis au vote de la chambre.
M. le président – D’après les antécédents de la chambre, il faut que chaque article soit soumis au vote de la chambre.
- La discussion générale est close.
« Art. 1. Le Roi règle par des arrêtés les mesures que la crainte de l’invasion ou l’existence de maladies épizootiques ou réputées contagieuses rend nécessaires, tant à l’égard des provenances en destination de la Belgique, que sur les frontières de terre et de mer ou dans l’intérieur du pays.
L’exemption du droit sur le sel est destiné à combattre l’invasion où les progrès de ces maladies est comprise au nombre de ces mesures.»
- Adopté.
« Art. 2. Les dispositions prises en vertu de l’article précédent sont publiées et affichées dans les communes auxquelles elles sont applicables ; elles ne seront obligatoires qu’après leur insertion au Moniteur, et dans le délai à déterminer par ces arrêtés. »
- Adopté
« Art. 3. Le gouvernement fixe le chiffre de l’indemnité à accorder, suivant les circonstances, aux détenteurs des animaux malades ou suspects, qui sont abattus, par suite des dispositions arrêtés en vertu de l’art. 1er. Il n’y a pas lieu à indemnité en cas de contravention aux règlements en vigueur. »
- Adopté.
« Art. 4. Dans les cas non prévus par les lois en vigueur, le gouvernement pourra comminer des peines pour contravention aux dispositions portées en vertu de la présente loi ; ces peines ne pourront excéder un emprisonnement de cinq ans et une amende de deux mille francs, soit cumulativement, soit séparément. »
- Adopté.
« Art. 5. Lorsque les circonstances paraîtront atténuantes, et que le préjudice causé n’excédera pas 25 fr., les tribunaux sont autorisés à réduire au-dessous de 6 jours et au-dessous de 16 francs, l’emprisonnement ou l’amende qui seraient prononcées en vertu de l’article précédent ; ils pourront aussi prononcer séparément l’une ou l’autre de ces peines, sans qu’en aucun cas elle puisse être au-dessous des peines de simples police.
- Adopté.
« Art. 6. La présente loi cessera ses effets au 1er janvier 1847. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet de loi qui est adopté à l’unanimité des 60 membres présents.
Ce sont : MM. de Florisone, de Foere, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delehaye, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Naeyer, Deprey, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Theux, de Tornaco, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Bernard), Dumont, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Goblet, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Lesoinne, Liedts, Lys, Maertens, Manilius, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Savart, Scheyven, Sigart, Simons, Smits, Thyrion, Van Cutsem, Van Volxem, Verwilghen, Zoude, de Terbecq, Brabant, Castiau, Cogels, Dechamps, de Chimay et de Corswarem.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, on a distribué hier soir les listes dont la chambre a besoin pour d’occuper du choix des nouveaux membres du jury d’examen. Je proposerai donc de mettre ce choix à notre ordre du jour pour vendredi.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président – La discussion continue sur l’article 2 du chapitre V.
« Art. 2. Complément des frais de confection des plans généraux de délimitation des chemins vicinaux : fr. 40,000. »
M. Savart-Martel – Je dois déclarer d’abord que je partage en faveur de l’agriculture la sympathie de l’honorable député de Waremme.
L’agriculture est notre mère nourricière et la pourvoyeuse du trésor public ; cependant, nous la sacrifions impitoyablement, sous prétexte d’avantager l’industrie et le commerce qui, certainement, méritent aussi protection, mais qui, dans le fait, ne profitent point de ces sacrifices. Il est triste de penser que nous n’ayons pas eu le courage de lui réserver au moins tous nos marchés intérieurs. Il n’est donc pas étonnant que j’aie appuyé la proposition de l’honorable membre en faveur des chemins vicinaux ; je regarde la viabilité de ces chemins comme l’un des plus grands services qu’on puisse rendre à l’agriculture.
Arrivé au poste du budget qui concerne les frais de confection des plans généraux de délimitation des chemins, je remarque que l’agriculture n’a rien à gagner à cette énorme dépense de 700,000 francs et je regrette sincèrement le contrat qu’on dit avoir eu lieu à forfait avec un ancien employé du ministère, surtout qu’il est admis généralement que ces travaux fourmillent d’erreurs, et que la plupart des plans n’ont pu même être reçus par les administrations provinciales.
Déjà l’on s’est plaint de la hauteur de la dépense, mais quelque chose de plus grave, c’est l’influence que pourront avoir ces plans mensongers sur le droit de propriété et la tranquillité des familles.
Cette œuvre de bureaucratie, si peu propre à inspirer la confiance, est un pas à procès ruineux pour les communes et les particuliers.
Qu’arrive-t-il en effet ? Le fermier qui est dans l’habitude de cultiver un terrain tient, en général, peu de compte de délimitations faites à son insu ; pour lui la possession est tout.
On verbalise à sa charge, on le traduit au tribunal de police correctionnelle où s’élève la question de propriété.
Si le plan a pour lui la présomption juris résultant des formalités légales, le fermier peut être condamné d’emblée à l’amende, voire même à l’emprisonnement ; sauf à exercer civilement l’action en revendication.
Si, au contraire, les formes n’ont point été remplies (ce qui arrive parfois), la pénalité n’est que suspendue, la question préjudicielle est renvoyée aux tribunaux civils ; et l’on force, non point le demandeur, mais le défenseur à intenter à la commune un procès bien et dûment conditionné, souvent pour un are ou deux de terrain, et quelquefois pour moins encore.
Je sais bien que le plus sage, en pareil cas, et de céder à la vexation et d’abandonner la parcelle contestée, comme on abandonne sa bourse à celui qui vous la demande, force en mains ; mais la peine n’en est pas moins encourue ; vous n’en restez pas moins exposé à un jugement correctionnel inévitable alors. D’ailleurs, il peut arriver telle circonstance où tenir au chemin, par la parcelle contestée, est d’absolue nécessité.
A ces plaintes, le ministère répond que la garantie contre les abus et erreurs se trouve dans la loi du 10 avril 1841.
Mais c’est précisément cette loi qui ne s’exécute pas.
En effet, cette loi avait attribué, non point au ministère, mais aux administrations communales, le droit de dresser les plans généraux d’alignement et de délimitation des chemins vicinaux ; et l’on conçoit que ces autorités, d’ailleurs toutes paternelles, étaient plus aptes que tout autre pour pareil ouvrage.
Mais cette loi a été violée, ces administrations n’ont point dressé les plans, et il s’explique naturellement comment il se fait que parfois les plans n’ont point été publiés ni les fermiers ou propriétaires avertis. Beaucoup d’administrations communales se sont abstenues. En pratique, on sait d’ailleurs ce que c’est que le dépôt de plans dans une maison commune qui n’est parfois qu’une salle de cabaret ; Convenons-en, les garanties n’existent point.
Je ne conçois pas d’ailleurs comment l’entrepreneur arrivant sur les lieux, accompagné d’arpenteurs de son choix, plus ou moins connus, plus ou moins instruits, pouvait s’y prendre pour délimiter les chemins, fût-il aidé (ce qui n’arrivait pas souvent) de l’administration communale.
Y a-t-il des traits caractéristiques là où cesse le chemin, et commence la propriété privée ? A quels signes reconnaît-on des emprises ?
Voyons ce qui fut : voyons ce qui est ; et nous serons forcés de convenir que nos 700,000 fr. sont de l’argent perdu.
La reconnaissance et l’entretien des chemins vicinaux avaient fixé l’attention de nos ancêtres. Presque toutes nos coutumes et notamment celles de Flandre (qui sont nombreuses), ainsi que la charte du Hainaut, en avaient fait l’objet de dispositions spéciales.
Deux fois pas an, les gens de lois parcouraient les chemins vicinaux, en constataient les emprises et les faisaient restituer. Mais l’abolition des coutumes et la suppression des gens de loi, en 1798, firent cesser cet usage et pendant longtemps la police municipale perdit de vue cette partie de ses fonctions.
Aujourd’hui, la plupart des emprises remontent à plus de 30 années et indépendamment des moyens de droit, vous sentez combien il est devenu difficile de prouver les frais d’une manière légale surtout. Que vouliez-vous donc que fît l’entrepreneur ?
Ou il était chargé d’un ouvrage purement matériel ; ou il était chargé d’un ouvrage intellectuel. Au premier cas, il lui suffisait de copier le plan cadastral ; au deuxième cas, il se chargeait d’un ouvrage impossible. Dans l’un et l’autre cas, je le répète, ce sont 700,000 francs perdus.
Le ministère fait remarquer qu’on se plaint à tort de la hauteur de la dépense, parce qu’on a ainsi voulu un ouvrage monumental. C’est vraiment un beau monument qu’un travail entaché d’erreurs, et d’ailleurs extra légal. Sans doute, nous avons des plans parfaitement coloriés, des atlas admirablement ornés ; mais il en est de ces ouvrages comme des statistiques auxquelles personne n’oserait se fier, et qui cependant coûtent chaque année des sommes considérables.
Ce n’est rien qu’un recueil illustré, entaché d’erreurs. Je ne veux pas qu’on puisse supposer par la suite des temps qu’il aura reçu l’approbation du parlement ; j’ai donc dû m’expliquer franchement à cet égard.
Je finirai par une dernière observation : s’il est vrai, comme il a été dit sans contradiction, que l’entrepreneur est loin d’avoir rempli ses obligations, il faut au moins ajourner la somme pétitionnée à cette fin.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne reproduirai pas toutes les observations que j’ai faites hier. Je crois avoir prouvé à l’évidence que la loi a été exécutée comme elle avait été entendue par les deux chambres. Il ne reste plus qu’une seule question de fait : Les plans sont-ils exacts ? La loi a indiqué une procédure à suivre dans les communes et (page 761) devant la députation. Il faut que l’on se conforme à cette marche, et dès lors, les plans seront aussi exacts que peut l’être un ouvrage de ce genre.
L’honorable membre vient de faire une critique assez sévère des administrations communales. Si cette critique était fondée, il faudrait à l’avenir déposséder entièrement les administrations communales, ne plus compter pour rien sur elles. C’est, au fond, qu’il faudrait en venir ; c’est la conclusion véritable du discours de l’honorable membre. Moi, j’ai une confiance plus grande dans les administrations communales et aussi dans les propriétaires.
Il est très-vrai que peu d’atlas ont été reçus jusqu’à présent ; ces atlas doivent être reçus par les députations et ceux qui ont été reçus sont en très-petit nombre, mais à l’heure qu’il est plus de 2,000 atlas sont confectionnés et transmis aux gouverneurs des provinces. C’est donc dans le cours de cette année que doit se faire la réception de ces atlas. Si les critiques faites dans cette discussion sont fondées, les députations renverrons les atlas aux administrations communales, et celles-ci feront des publications, ordonneront le dépôt, feront un appel aux propriétaires. Voilà comment les députations procèderont. Si l’honorable membre a peu de confiance dans les administrations communales, j’espère qu’il voudra bien accorder un peu de confiance aux députations permanentes.
Vous voyez donc que, si on veut observer la loi, les atlas ne seront pas aussi défectueux qu’on le suppose. Moi, je persiste à dire que c’est une œuvre vraiment monumentale. J’ai vu beaucoup de ces plans et je crois qu’ils ne sont pas aussi inexacts que le crient quelques honorables membres.
C’est donc dans le cours de cette année que les atlas doivent être reçus. Il y en a déjà 2,000 de faits ; 400 environ restent à mettre au net, surtout la deuxième copie ; cela se fait aussi en ce moment. Si tous les atlas sont reçus, le fonctionnaire qui a entrepris ce travail sera payé ; si les atlas ne sont pas reçus, il ne sera pas payé. C’est pour ce motif que j’ai déjà déposé une certaine somme dans la caisse des consignations.
Je demande que la somme qui manque soit votée, parce que si tous les atlas étaient reçus, il sera juste de les payer.
M. Osy – L’honorable M. de Garcia avait raison hier, de dire que d’après le rapport de la section centrale, cet ouvrage avait coûté au-delà de 600,000 fr. Nous voyons, en effet, dans le rapport de la section centrale qu’avec la somme pétitionnée on aura dépensé 650,000 fr. M. le ministre de l'intérieur a dit hier que les sommes votées de 1841 à 1845 s’élèveront à 373,000 fr. Nous devons supposer que les 300,000 fr. restants ont été payés par les communes ; mais si les communes ont payé cette somme, elle doit figurer au budget, au moins au budget pour ordre. Or, j’ai cherché ces 300,000 fr. dans les budgets de 1843 et de 1844, mais je ne les ai trouvées nulle part. Nous devrions cependant pouvoir nous assurer si le gouvernement est resté dans les limites de la loi, nous devrions savoir combien l’Etat paie pour cet objet et combien payent les communes. Eh bien, messieurs, je ne trouve rien à cet égard au budget, c’est un véritable dédale.
M. le ministre nous a dit hier qu’il avait été fait un traité avec l’ingénieur chargé de la confection des plans, mais je voudrais savoir si la somme de 658,000 francs, qui a été dépensée est effectivement le résultat de ce traité ; si le gouvernement s’en est tenu aux bases qui y sont posées. Nous devrions avoir, à cet égard, des calculs exacts.
M. le ministre nous a dit que les communes auront payé environ 250 fr par commune terme moyen ; eh bien, messieurs, si les 2,400 communes de la Belgique ont payé chacune 250 fr. en moyenne, voilà une recette de 6,000,000 fr. Vous voyez donc, messieurs, que tout est vague dans cette affaire.
Je demande positivement que M. le ministre veille nous soumettre le compte des dépenses faites, en vertu du contrat passé avec M. Heuschling et une autre au compte de ce que payent les communes dans ces dépenses. Alors nous saurons au juste où en est cette affaire, et, en attendant, je propose l’ajournement du crédit de 40,000 fr. jusqu’au second vote du budget de l’intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne comprends pas l’importance de la première observation faite par l’honorable préopinant. Il prétend qu’il y a confusion dans la comptabilité, parce que des recettes qui doivent figurer aux budgets communaux, ne sont pas également portées comme recettes pour ordre au budget de l’Etat. Il ne devrait en être ainsi que si l’Etat avait fait des avances pour les communes, et que ces dernières dussent rembourser ces avances. Il y aurait lieu alors à ouvrir un article au tableau des voies et moyens. Mais ici, rien de semblable n’existe ; les communes entrent pour leur part dans une dépense générale, et cette part, sauf la somme qui se perçoit en centimes communaux, ne doit pas nécessairement figurer au budget de l’Etat non plus que les autres ressources au moyen desquelles les communes font face à la dépense.
M. Osy – Messieurs, si je suis bien informé (et c’est du reste, ce qui a été dit par plusieurs honorables membres), les communes ont déjà payé et les fonds sont entrés dans le trésor de l’Etat. Les communes ne payent pas directement au sieur Heuschling ; elles payent aux gouverneurs et les gouverneurs remettent les fonds au trésor de l’Etat. Ces sommes devraient donc évidemment figurer au budget des recettes pour ordre. Eh bien, messieurs, il n’en est rien. Il y a donc irrégularité dans la comptabilité.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je suis à même de donner à la chambre les renseignements que demande l’honorable M. Osy. D’abord, je rectifierai une conséquence très-erronée, qu’il tire d’une explication que j’ai donnée hier. J’ai dit que les atlas coûteraient 200 à 250 fr. par commune, et en effet, divisez entre les 2,400 communes les 6 ou 700,000 fr. qui seront dépensés, et vous obtiendrez bien le chiffre de 220 à 250 fr. Je n’ai pas dit que chaque commune payerait 250 fr. (Interruption.)
Que payera la commune ? La commune payera la moitié, et l’Etat, l’autre moitié… Il me semble que cela est bien clair. J’entre dans ces détails, pour qu’on comprenne que le marché qu’on a fait, est avantageux ; je dis que si on avait opéré isolément, il eût été impossible d’obtenir deux atlas, copiés et mis au net pour chaque commune ; qu’il eût été impossible d’obtenir ce travail pour 250 francs. Voilà ce que j’ai voulu dire hier
Fixons-nous bien sur la dépense dont il s’agit. On a porté : au budget de 1842 : fr. 141,902 c. 75 ; au budget de 1843 : fr. 141,902 c. 75 ; au budget de 1844 (premier supplément) : fr. 50,000 ; au budget de 1845 (complément) : fr. 40,000. Total : fr. fr. 373,805 c. 50.
Les communes payeront une pareille somme ; ce qui porte la dépense totale à 747,611 fr.
Divisez maintenant le chiffre 747,611 francs entre les 2,400 communes et vous aurez approximativement ce que l’atlas coûtera par commune.
Voici la marche qu’on a suivie :
La dépense est portée dans les budgets communaux ; le produit des budgets communaux est versé au trésor public. La somme à payer est liquidée pour moitié sur le trésor public, en considérant les revenus de l’Etat, et pour moitié par le trésor public, eu égard à ce fonds particulier ; voilà la marche qui a été adoptée par les ministres de l’intérieur et des finances, d’accord avec la cour des comptes.
La chose est extrêmement simple pour celui qui, comme moi, a signé des milliers de pièces de ce genre. Le paiement se fait à raison des hectares ; l’entrepreneur envoie au ministère de l’intérieur des états visés par lui. Je suppose qu’un état se monte à 100 fr. dans telle commune ; le ministre de l’intérieur y appose son visa ; un mandat est délivré, il est revêtu des formalités nécessaires par la cour des comptes et par le ministre des finances. Comment se paient ces 100 francs ? Ils se payent par le trésor, avec la distinction suivante : 50 fr. par le trésor, caisse de l’Etat ; 50 fr. sur les fonds provenant des budgets communaux, et versés au trésor.
Je dois avouer que peut-être à la rigueur il aurait fallu faire figurer ces derniers fonds au budget des recettes pour ordre.
Voilà les seuls renseignements que je pourrais donner dans huit jours, si la chambre ajournait le vote du crédit. Je pense donc qu’il n’y a pas lieu à ajournement.
M. Savart-Martel – M. le ministre se trompe quand il dit que je manque de confiance dans les administrations communales, et que je les traite sévèrement. Si quelques administrations ont repoussé le don ministériel et se sont abstenues, ce ne sont point ces autorités qui ont tort, c’est le ministère ; elle, comme moi, ne devons connaître que la loi. Or, la loi dit positivement et très-positivement que ce sont les administrations communales qui feront dresser ces plans, qui les feront même compléter ou réviser.
En ôtant à ces administrations l’ouvrage dont la loi les avait chargées, le ministère prouve que c’est lui qui manque de confiance dans ces autorités.
Quant à moi, je raisonne la loi à la main, et je me plains de ce défaut de confiance.
M. Lys – Messieurs, je commence par dire que je suis parfaitement d’accord avec mon honorable ami M. Verhaegen, sur la manière dont il a attaqué l’opération dont il s’agit.
Il est exact de dire que les arrêtés qui ont été pris, ne l’ont pas été en exécution de la loi, mais par infraction à la loi. Ces arrêtés sont donc une véritable violation de la loi. Et, en effet il suffit de lire les art. 1 et 2de la loi pour en être convaincu.
Aux termes de l’art. 1er, les administrations communales sont chargées de faire dresser les plans des chemins vicinaux. L’art. 2 dit la même chose avec cette addition : que la formation des plans se fera, d’après les règles qui seront présentées par le gouvernement chargé d’en assurer la bonne exécution.
Il reste donc constant que les communes ont été chargées de dresser les plans.
M. le ministre de l'intérieur était tout à fait d’accord avec cette interprétation, lors de la discussion de la loi devant le sénat. Je lis dans le compte-rendu de la séance du 4 mars 1841, ce qui suit :
« La seule chose qui soit spéciale dans la loi actuelle, c’est que le gouvernement, par l’art. 2, aura mission de tracer aux autorités communales, chargées de l’exécution de la loi, les règles nécessaires pour que cette exécution soit faite avec régularité et uniformité dans toutes les communes. »
Le ministre de l’intérieur reconnaissait donc alors que les plans devaient être dressés par les communes. Seulement le gouvernement ou la commission centrale indiquait la marche à suivre dans l’exécution. M. le ministre de l'intérieur s’est appuyé pour exécuter la loi, sur ce qui a été dit dans le rapport du sénat. Mais il faut ne pas perdre de vue les motifs qui avaient dicté cette partie du rapport. La commission avait évalué ce que coûterait la confection des plans, parce qu’elle avait proposé un nouvel art. 3 ; elle avait proposé d’ajouter un demi-centime aux contributions directes ; la commission, en faisant un calcul sur ce que produirait ce demi-centime, avait voulu prouver que les plans coûteraient 7 à 8 centimes par hectare ; et que le produit du demi-centime suffirait pour faire face à la dépense qu’elle proposait à l’art. 3.
Remarquez que le rapporteur du sénat déclarait qu’il était d’accord avec le département de l’intérieur sur ce plan.
Il est vrai de dire que nous ne pouvons plus critiquer cette dépense, parce que déjà, depuis plusieurs années, nous avons accordé un bill d’indemnité. (page 762) Il est certain que, lors de la discussion des budgets de 1842, 1843 et 1844, vous n’avez pas pu ignorer cette convention. Nous devons, dès lors, reconnaître que nous avons passé trop légèrement sur cee objet ; ce qui prouve que dans les budgets, nous devrions porter une investigation plus minutieuse sur les dépenses qui sont proposées en exécution d’une loi. Nous n’avons plus qu’une ressource, c’est de voir si les engagements sont bien exécutés. Or, il est reconnu, d’après le rapport de la section centrale, que jusqu’à présent on a déjà payé 505,981 fr. Eh bien, je soutiens que, quand un particulier qui a pris des engagements est en retard de les remplir, quand son ouvrage n’est pas reçu par l’administration qui est chargée de recevoir, le gouvernement ne devrait pas lui payer la somme de 505,000 fr. On viendra dire plus tard que c’est un fait accompli, et vous aurez encore une somme à dépenser, pour parfaire un ouvrage qui n’est pas achevé ; voilà le reproche que je fais au gouvernement ; dès que l’entrepreneur est en retard de fournir son ouvrage, dès que l’ouvrage n’était pas examiné le gouvernement ne devait pas payer. Maintenant que les paiements sont en grande partie déjà effectués, le gouvernement expose l’Etat à faire une perte.
Quant aux communes, y aura-t-il obligation pour elles de payer d’après cette convention ? et ne pourront-elles pas s’en dispenser, en alléguant l’infraction de la loi ? C’est là une question qui ne me paraît nullement douteuse.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, il faut distinguer, quant à la dépense. Il y a une dépense qu’il est impossible de ne pas payer : ce sont les frais des journées, allouées aux arpenteurs et aux géomètres. Mais la dépense des copies des plans, mis au net peut ne pas être intégralement et immédiatement payée ; aussi déjà ai-je fait déposer à la caisse des consignations une somme assez considérable.
J’ai dit hier, et je répète aujourd’hui que je ne demande pas un bill d’indemnité ni pour moi ni pour mon honorable prédécesseur. Il est impossible d’admettre que mon prédécesseur n’ait pas compris le rapport de la commission du sénat et les discussions qui ont eu lieu dans les deux chambres. Je suis toujours au regret quand je dois mettre en cause un de mes prédécesseurs, mais je suis forcé de dire que tout était préparé quand je suis entré au ministère.
M. Heuschling, qui s’était mis en rapport avec le ministère dans le cours de l’année 1840, avait été chargé d’une mission près de toutes les députations permanentes du pays ; il leur a exposé ses vues, et ses vues ont été approuvées. Il s’agissait toujours de centraliser le travail à Bruxelles. M. Heuschling a ensuite rendu compte de ses vues à la commission du sénat. C’est à la suite de toutes ces démarches que le rapport de la commission du sénat a été rédigé.
La loi a été votée dans les deux chambres, et le même fonctionnaire a alors réitéré par écrit ses offres au ministre de l’intérieur ; il lui a annoncé qu’il se chargerait du travail et le ministre de l’intérieur, sous la date du 31 mars 1841, a annoncé qu’il était disposé à accepter les offres que M. Heuschling lui faisait par sa lettre du 27 mars 1841.
Il y a plus : M. le ministre de l’intérieur a écrit, sous la date du 2 avril suivant, à M. le ministre des finances, pour le prévenir qu’il y aurait à porter au budget de 1842 une somme de 141,902 fr. 75 c. pour le premier payement.
Vous le voyez donc, messieurs, je n’entends pas dire que tout a été fait par mon prédécesseur ; je sais parfaitement bien qu’il avait seulement annoncé qu’il était disposé à accepter ces offres. Je cite ceci pour établir de quelle manière avait été entendue la loi par le ministre qui avait concouru à la discussion devant les deux chambres. En présence de ces faits, il est impossible de révoquer en doute le sens de l’amendement introduit par le sénat. On a voulu centraliser le travail à Bruxelles, et en charger un seul homme pour avoir des plans identiques ; cette identité, on ne l’aurait jamais obtenue si les plans avaient été dressés isolément dans chaque commune.
M. de Garcia – Je partage l’opinion de M. Lys sur la réserve que le gouvernement doit mettre à payer le travail du plan général des chemins vicinaux. D’après l’exposé fait par M. le ministre de l'intérieur, il aurait été payé une somme de cinq à six mille francs et il resterait une somme de sept et quelques mille francs. Je lui demanderai si la retenue est en raison du travail qui reste à faire ; en d’autres termes, je désire connaître à quel point on en est arrivé sur le travail du plan général des chemins vicinaux. Cet ouvrage est-il terminé pour 7/7 pour 6/7 ? voici ce que nous devons savoir. Ce point connu, nous verrons si la retenue faite par le gouvernement est en rapport avec la partie du travail qui reste à faire. M. le :ministre doit savoir à quoi en est ce travail, et la réponse à la question que je lui adresse, outre la garantie qu’elle nous donnera sur l’exécution complète de la convention, nous conduira à connaître d’une manière positive le montant de la dépense qui incombera de ce chef au pays. Je le prie donc de nous dire dans quelle proportion il considère le plan général des chemins vicinaux du pays comme achevé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il y a 2,400 communes environ dans le royaume ; et à l’heure qu’il est 2,078 atlas sont rédigés ; les plans sont faits pour les autres ; on s’occupe de la mise au net, ils sont au nombre de 400 environ.
Ce travail sera promptement achevé, il doit l’être ; il est donc impossible de ne pas considérer le travail comme à peu près terminé. Reste la réception par les députations permanentes…
M. de Garcia – Il faut vous réserver un moyen d’action en cas de non-réception.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je me suis réservé ce moyen par un dépôt à la caisse des consignations. Du reste, je n’ai pas si mauvaise opinion du travail que quelques honorables membres ; je pense que la plupart des atlas seront reçus. Il faut supposer que dans quelques mois les 400 atlas qui manquent encore seront remis au gouvernement et aux députations permanentes.
- La discussion est close.
L’article 2 du chapitre V est mis aux voix et adopté.
« Article 1er. Service de santé : fr. 27,000 »
- Adopté
« Art. 2. Académie royale de médecine : fr. 18,000 »
- Adopté.
« Article unique. Frais de célébration des fêtes nationales : fr. 30,000 »
- Adopté
« Art. 1er. Traitement du contrôleur des jeux, et autres dépenses : fr. 2,220. »
M. Rodenbach – Messieurs, par un arrêté du gouvernement provisoire, on a aboli en Belgique les loteries et les maisons de jeu. En France, on a également par une loi, supprimé ces tripots. Je demanderai, puisque je vois figurer au budget 2,220 francs pour un contrôleur, et 20,000 francs pour réparations des monuments de la commune de Spa, je dois supposer que ces 22,220 francs proviennent de l’argent qu’on a prélevé sur le bénéfice de ces maisons de jeu. Ce doit être l’argent des dupes, une partie des dépouilles des victimes du jeu. Ces 22,000 francs sont probablement perçus par ces directeurs qui sont venus en ligne directe de Paris pour exploiter ces maisons de jeu. Je sais qu’il y a un traité entre feu notre roi Guillaume et ces directeurs de Paris ; je demanderai à quelle époque ce traité expire, car je désirerais savoir si nous allons bientôt voir disparaître cette immorale institution.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Le pacte conclu entre les entrepreneurs des jeux de Spa et l’ancien gouvernement doit expirer, je pense, dans deux ans. La question se présentera alors, elle se présente même aujourd’hui, de savoir s’il faut maintenir à Spa les jeux qui y existent. D’après le bail, le gouvernement partage les bénéfices avec les entrepreneurs. Je dois même dire que l’année a été très-bonne. (On rit.)
Le gouvernement a touché pour sa part 140,000 fr. qui ont été versés au trésor public. Le gain avait été rarement aussi considérable. On peut donc regarder la somme de 2,220 fr. pour le contrôleur des jeux et autres employés et les 20,000 fr. pour réparations pour les monuments de Spa, comme étant pris sur la part du gain attribuée à l’Etat.
Il y a ici une grave question de moralité ; nous ne pouvons pas en disconvenir ; mais il y a aussi une autre question : c’est celle de savoir si l’abolition des jeux n’entraînerait pas la perte de cette localité. Ce qu’on peut dire en ce qui concerne la question de moralité est connu de nous tous, et senti de chacun de nous. Quant à l’autre question, celle d’utilité, j’ai consulté les autorités locales et provinciales ; elles sont d’avis que si on abolissait les jeux à Spa, on anéantirait cette localité ; Spa ne serait plus fréquentée, d’autant plus qu’il y a des jeux à Aix-la-Chapelle, qui est à proximité de Spa. Si on prenant en Allemagne la même mesure, si on y abolissait partout les jeux, si seulement le gouvernement prussien abolissait les jeux à Aix-la-Chapelle, il faudrait suivre cet exemple de moralité et abolir les jeux à Spa.
Il a été question en Allemagne de prendre une grande mesure relativement aux établissements de jeux ; la diète germanique se saisirait de cette question ; mais comment donner un caractère fédéral à cette question que chaque souverain déclarera s’être réservée à lui-même ?
Une nouvelle maison de jeu vient d’être établie à Hombourg. On y a découvert quelques sources d’eaux minérales et grâce à cette découverte on a construit une ville nouvelle qui couvrira bientôt presque toute la principauté. Il est vrai que la principauté de Hombourg n’est pas considérable. Elle ne compte de 6 mille habitants.
Pense-t-on que le landgrave de Hesse-Hombourg consentira à la suppression de cet établissement ?
On a fait plus : un chemin de fer prussien traverse pendant quelques minutes la principauté d’Anhalt ; le duc, dit-on, a consenti à l’établissement d’une roulette à la station établie sur cette petite fraction de son territoire. (On rit.)
Le gouvernement prussien a adopté cette règle de conduite, qu’il n’autorise pas l’établissement de jeux nouveaux ; mais là où ils existent, il les a laissé subsister ; il a donc laissé subsister les jeux à Aix-la-Chapelle. Cette ville prétend, comme Spa, que ces jeux sont indispensables à son existence.
Il y a quelques années on a découvert des sources nouvelles ou des vertus nouvelles à des sources anciennes à Kreutznach, on y a fait des constructions considérables, on s’est adressé au gouvernement prussien pour obtenir un établissement de jeux. Le gouvernement prussien a répondu que si des jeux avaient existé à Kreutznach, il les aurait probablement laissé subsister, mais qu’il n’autoriserait pas l’établissement de jeux nouveaux. Nous avons été sollicités d’en autoriser l’établissement à Ostende et à Bruxelles ; vous allez voir combien les joueurs sont ingénieux ; un décret de l’Empire, de je ne sais quelle année, porte qu’il pourra y avoir des établissements de jeux « dans notre capitale » et dans les endroits où se trouvent des « eaux minérales ». On s’est adressé au gouvernement belge, au nom de la ville de Bruxelles et au nom de la ville d’Ostende, pour avoir des établissements (p. 763) de jeux, et on a dit : « Des eaux minérales » ; il y en a à Ostende, car les eaux de la mer sont des eaux minérales. (On rit.) Quant à Bruxelles, on s’est appuyé sur les termes du décret : « Il pourra y avoir des jeux dans notre capitale. On a dit « notre capitale », c’est Bruxelles faisant parler le Roi des belges comme parlait l’Empereur. (Nouveaux rires.)
Vous concevez que cette singulière argumentation n’a été adoptée par le gouvernement ni pour Ostende, ni pour Bruxelles.
Une autre demande a été faite au gouvernement, en faveur de Chaudfontaine ; on demandait l’établissement de jeux à Chaudfontaine et même on a voulu se prévaloir d’un engagement pris sous l’ancien royaume des Pays-bas. Le gouvernement n’a pas hésité à refuser, d’après l’avis de toutes les autorités, et notamment d’après l’avis des autorités académiques de l’université de Liége.
Nous sommes donc bien fixés sur ce point : il ne faut pas accorder l’établissement de jeux nouveaux. Faut-il adopter la règle de conduite du gouvernement prussien, qui n’accorde pas de jeux nouveaux, mais qui laisse subsister les jeux où ils existent, notamment à Aix-la-Chapelle ? Ou bien faut-il aller plus loin : non-seulement ne pas autoriser l’établissement de jeux nouveaux, mais encore abolir ceux qui existent, en saisissant l’époque de l’expiration du bail ? C’est une question qu’il faut examiner, question très-grave, parce que si d’un côté la morale publique applaudit à l’abolition des jeux, nous risquerions d’un autre côté, d’anéantir la localité célèbre, du reste, quoique cependant un peu déchue, où il se trouve encore des jeux.
M. Rodenbach – Je félicite le gouvernement d’avoir refusé l’établissement de maisons de jeu à Ostende et à Bruxelles.
J’espère, je me plais à le croire, que dans l’intérêt de la morale publique, quand le bail entre le roi Guillaume et les chefs de la roulette de Paris sera expiré, on discutera le principe.
D’ailleurs, je l’ai dit tout à l’heure, il y a un arrêté du gouvernement provisoire qui a éliminé ces maltôtiers, ces hommes immoraux dont l’industrie consiste à ruiner les fils de famille. Vous le savez, messieurs, de grand joueur à fripon il n’y a pas loin, surtout quand il s’agit de ces hommes qui vont sans cesse d’une ville à l’autre et pour qui le jeu est une profession. Ce sont des hommes dangereux pour la société ; je ne vois pas la nécessité d’attirer de tels hommes dans le pays.
Ce serait, dit-on, la ruine de Spa. Mais à Bruges, ville de 45,000 âmes, il y a, de l’aveu d’un honorable député de cette ville, 20,000 pauvres. Si l’on venait vous proposer la création d’établissements immoraux pour le soutien de ces pauvres, aurait-on quelque chance de succès ? Evidemment non ; cependant, il s’agit là de 20,000 pauvres. Je ne pense pas qu’à Spa il y en ait autant
Je sais qu’on peut puiser des exemples dans l’histoire. On nous a cité l’Allemagne, que je croyais plus morale. Mais cela ne prouve rien. La France n’a-t-elle pas extirpé les maisons de jeu ! n’a-t-elle pas chassé ces joueurs effrénés qui ont ruiné tant d’honnêtes familles et réduit à la dernière misère tant de veuves et d’orphelins ? Je trouve que la Belgique devrait expulser aussi ces hommes si dangereux pour le pays et pour les étrangers qui viennent le visiter.
Je pourrais en dire davantage et aller chercher des exemples jusque dans l’histoire romaine. Mais non ; j’espère que notre gouvernement n’invoquera pas l’autorité de Vespasien, qu’il ne trouvera pas que l’argent provenant d’une source aussi impure ne sent pas mauvais. (On rit.)
M. Mast de Vries – Il est malheureusement vrai qu’il est impossible de supprimer les jeux dans les villes de bains ; si vous les supprimez, à Spa, les étrangers iront à Aix-la-Chapelle.
Mais en Allemagne il y a des règlements que je voudrais voir adopter ici, lorsqu’il s’agira du renouvellement du bail. Là les personnes de la localité ne sont pas admises à jouer.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il en est de même à Spa.
M. Mast de Vries – Dans ce cas, mon observation vient à tomber.
M. Lys – Je répondrai d’abord à l’honorable M. Rodenbach, que les jeux à Spa ne sont pas exploités par des étrangers, comme il le dit ; la ferme des jeux de Spa appartient aux propriétaires des trois maisons construites à Spa, à la suite du privilège des jeux qui fut accordé, dans le temps, par le prince-évêque de Liége.
Je n’examinerai pas ici, messieurs, la question en ce qui concerne la suppression des jeux : c’est là une question fort grave et fort difficile. En résulterait-il un avantage pour les mœurs ? On n’aurait plus de jeux publics, qui pouvaient être surveillés ; ils auront fait place à des jeux clandestins, qui échapperaient à toute surveillance.
En ce qui concerne Spa, nous ferions de la moralité tout à fait à nos dépens, et qui, réellement, n’en serait point ; car les jeux de Spa seraient supprimés au bénéfice d’Aix-la-Chapelle, où les étrangers peuvent être transportés avec plus de célérité qu’à Spa.
Je ferai aussi remarquer, en répondant à l’honorable M. Mast de Vries, que l’on ne permet pas aux habitants de la localité de participer aux jeux, qui ne sont réellement fréquentés que par des étrangers.
Je dirai, enfin, que Spa ne pourrait exister sans l’établissement des jeux. Ce sont les fermiers des jeux qui font toute la dépense que nécessité la présence des étrangers, auxquels vous devez fournir des fêtes et des amusements si vous voulez les faire séjourner. Spa, aujourd’hui privé des jeux, n’existe plus demain ; car il n’y a pas de ressources pour fournir aux plaisirs de l’étranger ; vous ruineriez ainsi une assez forte population, et vous perdriez l’un des plus beaux séjours, et tout cela pour faire, prétendument, de la moralité au profit d’Aix-la-Chapelle.
Remarquez encore que le séjour des étrangers à Spa, pendant la belle saison, les engage, le plus souvent à passer l’hiver dans l’une des villes de la Belgique.
Spa n’a d’autre industrie que les ouvrages de Spa, et, dès lors, la présence des étrangers est indispensable pour leur débit. Je bornerai là ma réponse aux observations de l’honorable M. Rodenbach.
M. de Garcia – Je renonce à la parole. L’honorable M. Lys vient de présenter à la chambre les observations que je voulais faire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il n’y a plus que deux villes de jeux de ce coté-ci du Rhin : Aix-la-Chapelle et Spa.
Si le gouvernement prussien abolissait les jeux à Aix-la-Chapelle, il serait bien difficile de ne pas les abolir à Spa. Nous verrons ce que fera le gouvernement prussien, en ce qui concerne les jeux à Aix-la-Chapelle. Si l’on maintient les jeux à Spa, dans deux ans, il ne faudra pas trop se lier ; il faudra que l’on puisse abolir les jeux à Spa, s’ils sont abolis à Aix-la-Chapelle. Alors, il n’y aura plus de jeux en deçà du Rhin.
M. Dumortier – L’observation de M. le ministre de l'intérieur me paraît assez satisfaisante, dans la situation déplorable où nous sommes de devoir maintenir des jeux de hasard.
Au reste, ce n’est pas de cela que je veux parler.
M. le ministre de l'intérieur vient de dire que les jeux à Spa ont rapporté l’année dernière 140,000 fr. Je lui demanderai si l’Etat intervient dans les pertes.
Si le banquier faisait banqueroute, ce qui, je crois arrive souvent, que devrait payer l’Etat ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Rien.
M. Dumortier – Je ne pense pas que l’on viendrait proposer un crédit supplémentaire pour combler une banqueroute du banquier des jeux.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Le gouvernement ne contribue en rien dans les pertes, seulement il a moitié des bénéfices. A cet effet, un contrôleur, nommé parle ministre de l’intérieur, assiste aux jeux. Le ministre de l’intérieur, pendant toute la saison des eaux, reçoit quotidiennement le bulletin de la journée. (On rit.)
M. Rodenbach – Je désire répondre quelques mots à ce qu’a dit l’honorable député de Verviers.
Il est possible que je me sois trompé, lorsque j’ai dit que les exploitants des jeux étaient venus en ligne directe de Paris. Mais il est positif que lorsqu’on a supprimé les tripots à Paris, ce sont les joueurs de Paris qui ont demandé à venir établir des maisons de jeux à Bruxelles et à Ostende.
M. le ministre de l'intérieur vient de dire que si l’on supprimait les jeux à Aix-la-Chapelle, on pourrait aussi les supprimer à Spa. Mais on pourrait traiter à ce sujet. Je ne pense pas qu’il soit au-dessous de la diplomatie de solliciter la suppression des maisons de jeu ; car tout le monde doit convenir que c’est une immoralité.
On taxe souvent la France d’immoralité ; cependant ici elle ne mérite pas ce reproche, car la France, le gouvernement français n’ont pas calculé ici leur intérêt ; la roulette à Paris rapportait plusieurs millions qui étaient versés dans la caisse de la police, pour la police secrète. La France n’a pas reculé devant le sacrifice de quelques millions. Pouvons-nous hésiter quand il s’agit pour nous d’une centaine de mille fr. seulement ?
Nous avons deux ans devant nous. Dans deux ans, à l’expiration du bail, nous examinerons s’il y a lieu de maintenir les jeux à Spa. Quant à moi je pense qu’ils doivent être supprimés. Cette question ne me paraît pas douteuse en présence de l’arrêté du gouvernement provisoire. La constitution n’en parle pas. On pourrait donc soutenir que le maintien des jeux, à l’expiration du bail, serait inconstitutionnel.
Je ne sais si le bail a été conclu par le roi Guillaume ou par son gouvernement. On pourrait soutenir que cet acte est nul comme immoral. Il en est ainsi pour les actes passés par les notaires.
Quoi qu’il en soit, je ne m’oppose pas à ce qu’on attende deux ans. J’espère qu’alors nous serons unanimes pour mettre fin à une institution immorale.
M. Desmet – Il est bien entendu qu’aujourd’hui nous ne discutons pas le fond de la question, nous le discuterons dans deux ans.
Cependant, je désire que le gouvernement négocie avec le gouvernement prussien, pour voir s’il n’y aurait pas moyen de supprimer les jeux à Aix-la-Chapelle comme à Spa, et de suivre ici l’utile exemple donné par la France.
- La discussion est close.
Le chiffre de 2,220 francs est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Frais de réparation des monuments de la commune de Spa : fr. 20,000 »
- Adopté.
« Article unique. Premier quart d’une somme de 200,000 fr. pour frais de construction d’un hôtel pour l’administration provinciale du Luxembourg, à Arlon : fr. 50,000. »
M. Savart-Martel – Je ne viens point contester ici la somme de 200,000 fr. destinée au palais de l’administration provinciale du Luxembourg. Mais nous sommes si souvent si scandaleusement trompés sur les évaluations des constructions que je saisis cette occasion pour recommander au ministère d’aviser enfin à des moyens sérieux d’éviter ces abus. Peut-être l’article 173 du Code civil, s’il était introduit dans les conditions, ferait-il cesser une déplorable situation qui livre la fortune publique à la merci des entrepreneurs.
Le chiffre de 50,000 fr. est mis aux voix et adopté.
(page 764) « Art. 1er. Ecole médecine vétérinaire et d’agriculture de l’Etat – Jury d’examen : fr. 153,500. »
La section centrale propose de n’allouer des fonds que pour un trimestre, c’est-à-dire la somme de 38,375 francs.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, je ne puis pas me rallier à la proposition de la section centrale. Je crois qu’il est nécessaire de voter cette année, comme l’année précédente, l’allocation qui a toujours figuré au budget.
Je vais, messieurs, entrer dans quelques explications, d’abord pour vous démontrer cette nécessité, et en second lieu pour vous indiquer le caractère de la décision que vous prendrez. Ce n’est pas une décision tellement définitive qu’elle ne suppose pas que le gouvernement ne fasse une étude nouvelle de la question de l’enseignement agricole et vétérinaire.
Je ne sais pas, messieurs, quelle est l’étende que cette discussion prendra. Mais je vais dès à présent faire connaître quelques faits propres à faire apprécier l’enseignement agricole et vétérinaire dans ce pays-ci.
Il faut d’abord, messieurs, nous rappeler l’origine de cet établissement dont il s’agit.
Il y a eu d’abord un établissement privé. Le gouvernement a accordé des subsides ; ensuite il a fait l’établissement sien. C’est une loi, messieurs, qui a autorisé le gouvernement à acquérir l’emplacement actuel, les bâtiments qui s’y trouveraient, à les approprier et à les agrandir. Cette loi est du 6 juin 1836. Le projet de loi vous a été présenté le 13 mai 1838. Je lis ce qui suit dans l’exposé des motifs :
« Il s’est présenté une occasion d’acheter pour le compte de l’Etat, pour un prix et à des conditions favorables, des terrains étendus très-avantageusement situés, sur lesquels la plus grande partie des bâtiments nécessaires existent déjà, et nous avons cru devoir les acquérir provisoirement, sauf à demander les fonds nécessaires. Le projet de loi que nous avons l’honneur de vous présenter a pour objet d’assurer le premier payement à effectuer.
« Avant de faire cette acquisition, nous nous sommes assurés, par l’avis des médecins, que la localité est salubre ; par le rapport des professeurs de l’école vétérinaire, que cette propriété offre tous les avantages désirables pour sa nouvelle destination ; par le procès-verbal d’experts, qu’elle vaut au moins le prix qui en était demandé, et, enfin, par des plans et devis d’architectes, que les bâtiments qui s’y trouvent peuvent facilement, en peu de temps et sans grands frais, être appropriés à l’usage d’une école vétérinaire et d’agriculture. »
Le rapport vous a été fait le 26 mai 1836. Le rapporteur est entré dans de grands détails, notamment pour établir que le choix de l’emplacement était heureux.
L’enseignement dont il s’agit, messieurs, doit être considéré sous deux faces : comme enseignement vétérinaire proprement dit, et comme enseignement agricole. C’est aussi sous ce double point de vue que la question a été envisagée dès 1836.
Il faut cependant reconnaître que de fait, l’établissement a toujours été plutôt un établissement vétérinaire qu’un établissement ayant le double caractère d’établissement agricole et d’établissement vétérinaire, peut-être même le premier caractère doit-il être le caractère dominant, peut-être l’enseignement agricole doit-il être l’affaire principale ? Je m’appuie non-seulement sur l’importance qu’a l’agriculture dans ce pays, mais sur quelques faits que je vais avoir l’honneur de vous faire connaître.
Nous avons, messieurs, dans le pays des médecins ayant des diplômes, soit du gouvernement actuel, soit du gouvernement des Pays-Bas ou du gouvernement français. Nous avons des empiriques qui exercent sans diplôme.
J’ai fait faire un travail assez curieux ; en voici les résultats. Il y a en Belgique 1,314 empiriques, nous pouvons dire 1,400, et nous n’allons pas trop loin ; car je n’ai pas fait comprendre, dans ces renseignements, les maréchaux, les bergers qui exercent l’art vétérinaire, et les colporteurs de médicaments. Je n’ai pas compris, dans ce chiffre de 13 à 1,400, que les empiriques très-connus comme tels, et qui exercent de notoriété publique, qui en font leur métier principal, leur profession unique…
Un membre – Leur fait-on prendre patente ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je crois qu’oui. Il y a dans le pays 246 vétérinaires diplômés, et sur ces 246, il y a 126 vétérinaires du gouvernement et 120 qui ont des diplômes quelconques.
Nous avons donc dans le pays 246 vétérinaires qui portent ce titre, et environ 1,400 empiriques. Je ne comprends pas dans ce chiffre de 246 les médecins de l’armée qui sont au nombre de 29 et les vétérinaires attachés à l’école de médecine qui sont au nombre de 4. cela fait 33. Je laisse ce chiffre de côté ; vous allez vous pourquoi.
Combien de vétérinaires faudrait-il pour le pays ? Si vous supposez le pays partagé en ressorts de 8 communes, vous arrivez en divisant nos 2,400 communes par 8, à ce résultat qu’il faudrait 300 vétérinaires. Vous en avez déjà 246. Vous voyez donc qu’il ne faut plus au pays un grand nombre de vétérinaires pour avoir le chiffre rigoureusement nécessaire en supposant le pays divisé en ressorts de 8 communes.
Messieurs, ne soyons pas trop rigoureux ; supposons qu’il nous faille encore 80 vétérinaires. Une école vétérinaire peut nous les produire très-facilement.
Maintenant, autre question : Quelles seront les places vacantes chaque année sur 300 à 350 vétérinaires ? J’ai consulté les calculs faits en France, les calculs faits dans ce pays ; et on a évalué à 5 les places qui seraient vacantes une fois que le service vétérinaire serait complètement organisé. Mais encore une fois, ne soyons pas trop rigoureux. Supposons qu’il faille dix vétérinaires par an.
Evidemment il ne nous faut pas un établissement vétérinaire spécial pour nous procurer dix vétérinaires par an.
Vous voyez, messieurs, quel est probablement l’avenir, dans ce pays, d’un établissement purement vétérinaire. L’enseignement vétérinaire, par la force des choses, doit devenir secondaire. Il faut peut-être un grand établissement qui soit, avant tout, agricole et accessoirement vétérinaire.
Il y a messieurs, dans notre législation deux lacunes : la première, c’est qu’il n’existe pas de loi sur l’exercice de la médecine vétérinaire, ce qui fait que les 1,400 empiriques dont j’ai parlé tout à l’heure exercent impunément…
M. Rodenbach – Ils payent patente.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – La plupart payent patente.
Voici même ce qui est arrivé impunément. 56 élèves inscrits à l’école vétérinaire ont échoué aux examens ; j’ai leurs noms sous les yeux : 3 ont échoué 5 fois, 5 ont échoué 4 fois, 8 ont échoué 3 fois, 13 ont échoué 2 fois, les autres ne se sont présentés qu’une fois et ont échoué ; ces 56 élèves repoussés aux examens, se sont établis dans les villages et sont aujourd’hui en plein exercice de l’art vétérinaire. Il y a plus, messieurs, il y a des élèves qui n’ont pas cru tenter l’épreuve des examens ; ils ont fréquenté pendant quelques temps les cours de l’école vétérinaire et ils se sont établis ensuite dans l’un ou l’autre village où ils exercent aujourd’hui. C’est là, messieurs, une lacune extrêmement grave et qui empêche, il faut bien le dire, l’organisation véritable de la médecine vétérinaire.
Un autre lacune, messieurs, c’est que l’école vétérinaire établie de fait depuis 1836 comme établissement de l’Etat n’a point en quelque sorte une existence légale ; il aurait fallu une loi pour l’organiser. Une loi vous a été présentée par un de mes prédécesseurs, l’honorable M. de Theux, le 23 décembre 1836, et ce projet de loi dont vous êtes encore, à la rigueur, saisis, n’a jamais été examiné. Ce projet de loi avait même un double but : il avait pour but de remplir les deux lacunes que je viens de signaler ; le titre Ier renferme l’organisation de l’école vétérinaire de l’Etat et le titre IV renferme les dispositions sur l’exercice de l’art vétérinaire et le débit des médicaments. Il est à regretter, messieurs, que les travaux législatifs n’aient pas permis à la chambre de donner suite à l’examen de ce projet de loi qui aurait fait disparaître la double lacune dont je viens de parler.
Il faut néanmoins reconnaître que dans ce projet de loi l’enseignement agricole occupe peut-être une place trop secondaire.
Je pense donc, messieurs, que je puis pour le moment admettre comme point de départ cette proposition qu’il faut au pays un établissement agricole et vétérinaire, mais agricole avant tout. Faut-il maintenant que cet établissement soit là où se trouve aujourd’hui l’école vétérinaire, ou bien faut-il choisir un autre emplacement ? est-il nécessaire de faire choix d’un autre emplacement, d’abord parce que l’emplacement actuel n’offrirait pas les conditions de salubrité nécessaires ensuite parce qu’il n’offrirait pas non plus ce qu’il faut pour créer un grand établissement digne du pays ? C’est là la première question que le gouvernement doit examiner et qu’il n’est pas facile de résoudre aussi promptement que le suppose le rapport de la section centrale.
(page 765) La section centrale a pris connaissance d’un rapport qui a été fait l’été dernier par le jury d’examen au ministre de l’intérieur. Ce rapport, messieurs, porte sur trois points que voici :
Faut-il conserver l’école vétérinaire là où elle est aujourd’hui ? En second lieu, ne faut-il pas au pays un établissement où l’enseignement agricole soit la partie prédominante ? En troisième lieu, n’y a-t-il pas, abstraction faite de ces deux questions, n’y a-t-il pas dans l’établissement actuel des vices, notamment en ce qui concerne l’enseignement de certaines branches et la discipline ? Ce troisième point, messieurs, je l’appellerai secondaire, en ce sens que le gouvernement peut et doit, dès à présent, veiller à ce que les cours soient donnés à l’école vétérinaire et à ce qu’une discipline convenable y existe. C’est aussi ce que nous avons cherché à obtenir.
Si la section centrale n’a cru devoir se borner à accorder un crédit jusqu’au 1er avril, que pour mettre le gouvernement en demeure de faire cesser certains abus à l’école actuelle, je dirai que ce but est à peu près atteint. En effet, le gouvernement a fait cesser ces abus, et s’ils n’ont pas complètement cessé, il les fera cesser ; il ne reculera devant aucune mesure pour les faire cesser. Mais si la section centrale veut n’accorder que la somme nécessaire jusqu'au 1er avril, pour mettre le gouvernement en demeure de résoudre les deux grandes questions que j’ai d’abord indiquées, savoir : Ne faut-il pas à ce pays un établissement où l’enseignement agricole occupe la première place ? en second lieu, l’emplacement de Cureghem est-il à cet effet heureusement choisi ? si la section centrale veut que d’ici au 1er avril le gouvernement ait résolu ces deux questions, je dirai, messieurs, que c’est chose absolument impossible, d’autant plus impossible qu’il faudrait donc d’ici au 1er avril faire choix d’un nouvel emplacement, si l’on se résout à abandonner l’emplacement actuel, et voter une loi organique de l’enseignement agricole et vétérinaire. Je regarde cela, messieurs, comme absolument impossible et pour le gouvernement et pour les chambres.
Quant au troisième point, les abus qui existent dans l’école, le gouvernement croit les avoir fait cesser ; s’ils n’avaient pas cessé, il ne reculerait devant aucune mesure pour rétablir la discipline et faire en sorte que les cours soient convenablement réellement donnés.
On a beaucoup parlé de la décadence de l’école vétérinaire de Bruxelles. Je crois, messieurs, qu’il y a en cela beaucoup d’exagération. Je crois que l’école est aujourd’hui ce qu’elle a toujours été. Il n’y a qu’un seul point de changé, c’est que l’adhésion est moins facile. Ce changement a été fait en 1840, par mon prédécesseur immédiat. Jusqu’en 1840, l’admission avait été très-facile, parce qu’on donnait dans l’établissement même des cours que je puis presque qualifier de cours d’enseignement primaire. A différentes reprises, le jury d’examen et les professeurs avaient réclamé contre la facilité avec laquelle on admettait à l’école vétérinaire. Je ne donnerai pas lecture à la chambre de tous les rapports antérieurs à 1840 qui se trouvent au ministère de l’intérieur. J’en ai pris un presque au hasard, qui est du 11 octobre 1838, et où l’on disait au ministre de l’intérieur d’alors :
« Le résultat des examens fait désirer qu’aucun élève ne soit admis à l’école sans avoir reçu une instruction primaire suffisante pour profiter de l’enseignement, l’étude pour acquérir ces connaissances préliminaires, ne pouvant marcher de pair avec les études médicales. »
On a supposé, messieurs, que, depuis 1840, l’école se trouve en quelque sorte dépeuplée. Je vais vous donner lecture d’un tableau qui indique le mouvement des élèves depuis 1836 jusqu’à ce jour :
« De 1836 à 1837, il y a eu 134 élèves ; de 1837 à 1838, 130 élèves ; de 1838 à 1839, 147 élèves ; de 1839 à 1840, 144 élèves.
Jusque-là, comme j’ai eu l’honneur de le dire, on admettait avec une extrême facilité.
A partir de 1840 le nombre des élèves a diminué. On savait qu’il diminuerait ; vous allez cependant voir, messieurs, qu’il est resté encore assez considérable. En effet, depuis 1840, le nombre des élèves à été : de 1840 à 1841 (après l’introduction des nouvelles mesures) de 90 ; de 1841 à 1842 de 73, de 1842 à 1843 de 66, de 1843 à 1844 de 40 et de 1844 à 1845 de 67.
Il y a diminution. On savait qu’il y aurait diminution, mais l’école est loin d’être dépeuplée. Je dis même que le nombre des élèves, considérés comme élèves vétérinaires, est suffisant.
En résumé, messieurs, on peut soutenir qu’il faut au pays un établissement agricole et vétérinaire largement organisé, surtout sous le premier rapport. C’est une question dont le gouvernement s’occupe, et j’espère que nous pourrons, au commencement de la session prochaine, saisir la chambre des projets de loi qui devront lui être soumis à cet égard. S’il est décidé que l’emplacement actuel ne sera pas conservé et si l’on peut, dans un bref délai, acquérir un emplacement nouveau, nous pourrons peut-être présenter plus promptement à la chambre un projet relatif à cette acquisition.
Si donc, en proposant de n’accorder que les fonds nécessaires jusqu’au 1er avril, la section centrale n’a peu d’autre but que de mettre le gouvernement en demeure de faire cesser les abus avant le 1er avril, je le déclare de nouveau, ces abus, on a cherché à les faire cesser ; s’ils n’ont pas cessé, on aura recours à de nouvelles mesures.
M. de Renesse – Messieurs, depuis plusieurs années, des observations assez nombreuses ont été adressées à M. le ministre de l'intérieur sur la nécessité, sur l’urgence, d’organiser, par la loi, l’école vétérinaire de l’Etat, et de régler en même temps l’exercice de la médecine des animaux.
Malgré les promesses faites aux chambres, la présentation de ce projet de loi a été ajournée d’année en année, et, au département de l’intérieur, l’on pas jusqu’ici attaché assez d’importance à l’examen de différentes questions qui se lient intimement aux intérêts de l’agriculture.
D’après les informations que j’ai prises, il paraît que l’école vétérinaire a été primitivement bien établie ; si actuellement elle laisse à désirer, il faut l’attribuer à la non-organisation par la loi, à défaut d’une bonne surveillance et direction supérieure, aux différents changements introduits depuis quelques années.
Il est certain, et à cet égard plusieurs de nos honorables collègues qui s’occupent spécialement de tout ce qui a rapport aux intérêts de l’agriculture, pourraient affirmer que cet établissement d’utilité publique a été bien dirigé pendant les premières années de son institution, que de bons élèves et artistes vétérinaires distingués y ont été formés, qui ne l’eussent pu être si l’instruction n’y avait pas été bonne, si les études n’avaient pas été à la hauteur de la science ; aussi, je crois devoir saisir l’occasion de cette discussion pour rendre un témoignage public au zèle de l’honorable haut fonctionnaire auquel nous devons, en partie l’établissement de l’école vétérinaire de l’Etat, qui y donnait tous ses soins, y exerçait une constante et intelligente surveillance. Je regrette surtout, dans l’intérêt de l’agriculture que la direction supérieure de cet établissement ne soit pas restée dans ses attributions ; j’ai tout lieu de croire que cette institution publique eût alors continué à prospérer ; les anciens professeurs auraient acquis plus d’expérience et de services, les élèves eussent progressé dans leurs études ; l’école ne serait pas en décadence, comme on le prétend ; il n’y aurait pas une division parmi les professeurs, ce qui exerce toujours une fâcheuse influence sur les études, et est peut-être l’une des causes principales du manque d’ensemble dans l’enseignement vétérinaire.
Si dans les premiers temps de cette école on y admettait trop facilement les élèves, il fallait successivement introduire plus de sévérité dans les admissions ; toutefois, je crois devoir faire observer qu’il peut être utile d’avoir auprès de cette institution une bonne école primaire préparatoire aux études vétérinaires, où les fils de nos cultivateurs, pourraient s’y préparer ; il ne faut pas être trop sévère pour les admissions ; l’on ne peut prétendre que les aspirants à l’école vétérinaire subissent des examens d’admission aussi difficiles que les jeunes gens se destinant aux études universitaires ; il faut avoir égard à la position de fortune des élèves qui se vouent à l’étude de la médecine des animaux ; ils n’ont pas toujours eu jusqu’ici les moyens de faire de bonnes études primaires. Si je suis bien informé, la faiblesse des études constatée par le dernier jury d’examen provient en partie de ce que, parmi les élèves qui se sont présentés, plusieurs avaient déjà échoué les années antérieures, à cause de leur peu de dispositions pour les études vétérinaires ; si, effectivement, ces élèves ne faisaient aucun progrès depuis leur première présentation à l’examen, il ne fallait pas les conserver à l’école ; aussi un certain nombre de jeunes gens qui se sont présentés aux examens n’appartenaient pas à l’établissement de l’Etat.
S’il était reconnu depuis quelques années que l’école vétérinaire de l’Etat ne faisait pas de progrès, qu’il y avait du relâchement dans l’administration intérieure, que la première organisation laissai à désirer, n’était pas complète, il fallait d’autant plus s’occuper de la réorganiser par une bonne loi, ne pas laisser tout à l’incertain, à l’abandon. Dans cette institution d’utilité publique, pour laquelle le pays avait fait des frais considérables d’établissement, si les chambres accordent chaque année un crédit notable pour le maintien d’une bonne école vétérinaire, réellement utile et indispensable au bien-être et au progrès de l’industrie agricole, il était du devoir du gouvernement de donner une bonne direction supérieure à cette institution nationale, et si M. le ministre s’était entouré d’un conseil d’hommes spéciaux et pratiques pour les consulter sur tout ce qui a rapport à l’agriculture, il est plus que probable que l’on serait parvenu depuis longtemps à faire une bonne loi d’organisation de cette école.
Il faut donc s’empresser de réorganiser cet établissement d’après une loi sur des bases meilleurs et plus économiques ; car depuis quelques années, il paraît que l’on a augmenté les dépenses du personnel, sans une nécessité bien établie ; les anciens professeurs, qui étaient tous en état, si je suis bien informé, de donner convenablement une partie des cours qu’on leur à ôtés, auraient pu continuer à les enseigner comme ils l’avaient fait antérieurement à la satisfaction du gouvernement et des élèves ; alors, aucune plainte ne s’est élevée contre l’enseignement vétérinaire. L’on a en outre créé un cours d’équitation, ce qui était une dépense trop considérable ; il fallait, comme l’on fait à l’école militaire, ou dans les autres institutions d’enseignement, faire un arrangement avec un écuyer qui aurait donné des leçons d’équitation aux élèves pendant les derniers mois de leurs cours. Malgré toutes ces dépenses nouvelles, les études à l’école vétérinaire paraissent, d’après le rapport du jury, être moins fortes qu’auparavant, alors qu’il y avait une surveillance active, dirigée avec une entière connaissance des besoins de cette institution d’utilité publique : il faut donc qu’il y ait un défaut réel, ou dans l’organisation ou dans la direction supérieure actuelle de cet établissement.
Ayant la conviction que depuis plusieurs années l’on n’a rien fait au département de l’intérieur pour maintenir l’école vétérinaire dans une bonne (page 766) direction, pour la faire progresser et prospérer, je ne puis que me prononcer hautement contre ce défaut de surveillance d’un établissement si utile, si nécessaire aux intérêts de l’agriculture, et pour lequel le pays avait fait des sacrifices assez notables.
Il fallait chercher par tous les moyens au pouvoir du gouvernement, à réorganiser cette école sur des bases solides, si, sous ce rapport, sa première organisation était défectueuse, et l’utiliser principalement en y adjoignant une bonne instruction agricole, où les fils de nos cultivateurs eussent pu acquérir les connaissances théoriques et pratiques sur la meilleure culture de nos terres, sur les améliorations à introduire parmi nos différents races d’animaux destinés à l’agriculture, et, à cet égard, le gouvernement aurait pu prendre les renseignements les plus utiles après de pareils établissements, formés en Allemagne, en Suisse, en France et en Angleterre.
M. le ministre de l'intérieur, voulant s’assurer des causes qui, depuis quelques temps, semblent influer d’une manière fâcheuse sur les études à l’école vétérinaire, avait institué le jury d’examen, en commission d’enquête ou de quasi-enquête, puisque l’on prétend actuellement que ce jury n’avait pas été chargé de cette mission ; mais pour qu’une enquête eût été efficace, il fallait en écarter les professeurs de l’établissement faisant partie du jury ; ils ne pouvaient pas être juges de leur propre cause ; il fallait composer cette commission de personnes qui ne fussent pas étrangères à la médecine vétérinaire et complètement désintéressées. Cette enquête devait être contradictoire ; tous les professeurs de l’école auraient dû être entendus, ils auraient pu alors indiquer les véritables causes de la décadence des études, si elle existe réellement ; indiquer les remèdes et se défendre des allégations inexactes ; ils auraient peut-être pu prouver que, dans les premières années de l’établissement de cette école, les études étaient bien dirigées, puisque de bons artistes vétérinaires y ont été formés et dont le pays peut s’honorer ; en outre, il ne fallait pas faire cette enquête, comme on me l’a assuré pendant les vacances, où les professeurs et les élèves étaient en partie absents.
Le rapport du jury d’examen aurait dû être communiqué au corps professoral de l’école vétérinaire ; il ne fallait pas attendre, à cet égard, l’interpellation de l’honorable M. de Man, pour faire droit à la réclamation de la grande majorité des professeurs ; si, dans le rapport du jury l’on attaque la manière de donner certains cours à cet établissement de l’Etat, il est de l’honneur du corps professoral de pouvoir se défendre publiquement des assertions qui seraient erronées.
La chambre était appelée à examiner la valeur des faits énoncés à l’égard des cours de la plupart des professeurs de l’école vétérinaire, il faut que cette affaire soit traitée sous tous ses rapports, il faut qu’elle soit éclaircie.
Je crois devoir, dans cette circonstance, désapprouver la manière d’agir envers certains professeurs de l’école vétérinaire ; s’ils étaient accusés de mal donner leurs cours, M. le ministre aurait dû leur communiquer immédiatement le rapport du jury d’examen ; il fallait les entendre, il fallait les mettre en état de se disculper, puisque leur honneur, leur considération personnelle sont ici mis en question.
Cette enquête n’était pas contradictoire, par conséquence incomplète, nous ne pouvons y puiser tous les renseignements nécessaires pour connaître les véritables causes de la décadence de l’école vétérinaire de l’Etat. Si les faits énoncés sont exacts, nous ne pouvons savoir si une partie de ces causes existaient déjà lors de la première formation de l’école, comme l’on semble le prétendre, où si elles se sont introduites successivement par défaut d’une bonne surveillance et direction supérieure ; d’ailleurs, aucune comparaison n’a été faite entre l’état de l’école dans les premiers temps de son existence et l’état actuel.
Dans cet état de choses, il me semble que la chambre devrait elle-même nommer une commission d’enquête ; elle pourrait charger la section centrale du budget de l’intérieur de la faire, puisqu’elle s’est déjà occupée de l’examen de cette affaire.
Je me réserve d’en faire la proposition si je n’obtenais pas des éclaircissements satisfaisants sur la direction supérieure et l’administration actuelle de cette école, sur les causes de sa décadence, sur les moyens d’y porter remède, et l’assurance formelle de sa prompte réorganisation par une bonne loi ; de manière que dorénavant l’argent des contribuables ne soit plus dépensé en pure perte, mais réellement employé à maintenir cette institution d’utilité publique à la hauteur de la science vétérinaire.
Si je suis bien informé, l’on aurait proposé à M. le ministre de l'intérieur de supprimer l’école vétérinaire, et de joindre aux universités de l’Etat des cours de la médecine des animaux ; je ne pourrai approuver une pareille proposition, je m’opposerai à son exécution ; je ne puis consentir à ce que les élèves vétérinaires, qui sont en général des fils de cultivateurs, de personnes peu fortunées, soient mêlés avec les élèves de nos universités ; ils ne peuvent supporter les dépenses assez notables que le séjour des universités occasionne ; destinés à une étude toute spéciale, ils en seraient détournés par de trop nombreuses distractions, par d’autres idées qu’ils y puiseraient, et probablement ils ne s’adonneraient plus avec autant de fruit, de zèle à l’étude vétérinaire, que s’ils étaient restés réunis pendant tous leurs cours, dans un même établissement, où l’on enseignerait aussi l’agronomie ; d’ailleurs, si aux universités de l’Etat on enseignait les cours vétérinaires, il est probable que les universités libres voudraient aussi organiser cet enseignement ; il y aurait alors quatre établissements au lieu d’un, où l’on formerait des artistes vétérinaires ; leur nombre deviendrait beaucoup trop considérable pour les besoins du pays ; car déjà actuellement les artistes vétérinaires de l’Etat ont de la peine à se procurer une existence honnête, ayant à lutter contre la concurrence des empiriques qui exploitent nos campagnes.
Si l’Etat fait de grands frais pour créer des artistes vétérinaires, le gouvernement doit aussi chercher, par une bonne loi sur l’exercice de la médecine des animaux, à donner aux artistes revêtus d’un diplôme, les moyens de se procurer une clientèle, une certaine aisance ; il doit, surtout, protéger les médecins vétérinaires contre la concurrence des empiriques, patentés ou non, exploitant parfois nos campagnes, au détriment de l’agriculture.
Sous l’ancien gouvernement, la plupart des artistes vétérinaires de l’Etat, recevaient, dans les premières années de leur exercice, un subside sur le budget de l’Etat ; en outre, aucun artiste non revêtu d’un diplôme ne pouvait exercer son état sans avoir été admis par les commissions provinciales. Les agriculteurs obtenaient alors une certaine assurance que les artistes commissionnés, mais non revêtus d’un diplôme, avaient fait des études et possédaient les connaissances nécessaires pour traiter les cas de maladies ordinaires des animaux domestiques, et ils n’étaient pas exploités, comme actuellement, par les empiriques, même patentés, qui parcourent nos campagnes.
En terminant, j’insisterai auprès de M. le ministre de l'intérieur pour que, dans un bref délai, il présente à la chambre, un projet de loi réglant l’exercice de la médecine des animaux et, en même temps, une loi organique de l’école vétérinaire de l’Etat, à laquelle il faudrait adjoindre, dans l’intérêt de l’agriculture, une bonne école d’instruction agricole ; à cet égard j’adhère entièrement aux excellentes considérations, longuement développées dans le rapport du jury d’examen, sur la nécessité, sur la grande utilité d’un pareil établissement, où l’on enseignerait la théorie, la pratique de la culture des terres, l’éducation et l’amélioration des animaux domestiques. L’on parviendrait ainsi à propager dans le pays la science agricole, qui, aurait pour résultat, surtout la fertilisation de nos terrains incultes, donnerait, par conséquence, de l’occupation à nos classes pauvres, augmenterait notre classe agricole, et l’on peut dire, avec le jury d’examen, « que c’est au défaut d’organisation de l’enseignement agricole, qu’on doit attribuer l’ignorance des populations rurales, et l’état stationnaire de l’agriculture belge. »
J’ose espérer que M. le ministre de l'intérieur, en réorganisant l’école vétérinaire de l’Etat, prendra en considération les observations du jury d’examen, en adjoignant à cet établissement un bon enseignement agricole théorique et pratique.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, il ne faut pas supposer avec l’honorable préopinant que l’année dernière le gouvernement ait chargé le jury d’examen d’une mission nouvelle. Chaque année, le jury d’examen vétérinaire présentait au ministre de l’intérieur des considérations sur l’état et la marche de l’école vétérinaire ; seulement l’année dernière, au lieu d’un rapport de quelques pages, comme celui du 10 octobre 1838 que j’ai sous les yeux, on a présenté au gouvernement un travail extrêmement étendu.
Il ne faut pas non plus supposer que ce travail ne porte que sur des questions personnelles. Les questions personnelles y occupent une place fort secondaire. Voici ce qui est arrivé et ce qui a dû arriver : des élèves se sont présentés, et n’ont pas pu répondre aux questions qui se rattachaient à tel ou tel cours ; les élèves se sont excusés, en disant que ces cours n’étaient pas donnés, ou n’étaient donnés qu’imparfaitement. Voilà comment le jury a été amené à s’occuper des questions personnelles ; et malheureusement, le peu d’assiduité de certain professeur avait déjà été signalé, depuis nombre d’années, à mes prédécesseurs.
Messieurs, les véritables questions qui ont été traitées par le jury, sont les deux questions que j’ai eu l’honneur d’indiquer. La première de ces questions est celle-ci :
« Ne faut-il pas un établissement agricole et vétérinaire, et avant tout agricole ? »
Le jury est pour l’affirmative.
Seconde question :
« Ce double établissement est-il possible à Cureghem ? »
Le jury d’examen est d’avis que non.
Voilà les deux questions que le jury a examinées. Il ne faut donc pas supposer que le jury se soit en quelque sorte occupé avec prédilection de questions personnelles.
Je ne dirai pas, comme l’honorable préopinant, qu’il faut adjoindre à l’école vétérinaire l’enseignement agricole ; je dirai plutôt qu’il faut un grand établissement agricole auquel sera adjoint l’enseignement vétérinaire (Marques d’assentiment.) Voilà comment je me permets de renverser la proposition de l’honorable préopinant.
Maintenant dans quel but la chambre ordonnerait-elle une enquête ? Etablirait-elle une enquête pour savoir s’il faut avant tout un établissement agricole, avec adjonction d’un enseignement vétérinaire ? Je crois que pareille enquête n’apprendrait pas grand’chose à la chambre ? Ordonnerait-elle une enquête pour savoir si l’emplacement de Cureghem est bien choisi ? Cette enquête, si la chambre l’ordonnait, ne pourrait être faite à une meilleure époque de l’année, car nous touchons au moment où il y aura probablement de grandes inondations près de Bruxelles, et l’enquête serait promptement terminée. (On rit.)
Reste alors la question purement personnelle, relativement à la manière dont certains cours sont donnés. C’est une question dont nous ne pouvons pas parler ici.
Je dis que le gouvernement a fait ce qu’il a cru nécessaire ; mes prédécesseurs ont, à plusieurs reprises, adopté des mesures pour faire cesser certains abus qui sont presque inévitables. J’ai moi-même pris des mesures ; si ces (page 767) mesures ne sont pas suffisantes, notamment pour rendre la surveillance efficace, j’aviserai à d’autres moyens propres à atteindre ce but.
M. Rogier – Le rapport du jury d’examen a été déposé sur le bureau ; il renferme beaucoup de détails intéressants, et mérite l’attention de la chambre. Mais pour que cette espèce d’enquête fût complète, et eût un caractère d’impartialité à l’abri de tout soupçon, je pense que M. le ministre de l'intérieur aurait bien fait d’y joindre les rapports qu’il a dû recevoir deux fois par an du commissaire royal qui a été attaché à l’établissement. Une semblable institution, qui coûte des sommes si considérables à l’Etat, n’a pu rester abandonnée à elle-même. Lorsque le prédécesseur de M. le ministre de l'intérieur chercha, par des mesures nouvelles, à fortifier l’enseignement et à prévenir les abus, il nomma près de l’établissement un inspecteur chargé de faire au gouvernement deux fois par un an rapport sur l’enseignement donné dans l’école. Si des abus aussi graves que ceux qui ont été signalés par le jury d’examen ont existé, ils ont dû être signalés dans les rapports de l’inspecteur du gouvernement. Je demanderai donc à M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien joindre ces rapports à celui du jury d’examen.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je dois dire que les fonctions qui ont été données au commissaire du gouvernement n’ont pas été remplies, comme le supposaient l’arrêté royal et l’arrêté ministériel pris en 1840. Il peut exister, dans mes bureaux, des lettres émanées de l’inspecteur du gouvernement ; mais le département de l’intérieur n’a pas reçu de rapport de ce fonctionnaire, du moins depuis que je suis à la tête de ce département. Je verra s’il existe un rapport de l’année 1840.
M. Rogier – Il serait étonnant que le gouvernement eût négligé de demander les rapports que la commission royale devait lui adresser deux fois par an, en dehors de l’établissement, et s’en soit rapporté ensuite à une commission d’examen, prise en partie en dehors de l’établissement, et dont le rapport a été taxé de partialité. Je ne pourrais que reprocher au gouvernement sa négligence, s’il n’avait pas demandé ces rapports à son commissaire. Sans doute, si les abus qu’on a signalés, étaient réels, le commissaire royal aurait dû les dénoncer depuis quatre ans, et le gouvernement aurait dû aviser aux moyens de les faire cesser.
D’après ce que vient de dire, il paraîtrait qu’il en est du commissaire royal attaché à l’école vétérinaire, comme du commissaire attaché à la colonie de Guatemala. Si je suis bien informé, ce commissaire royal, qui devait surveiller toutes les opérations de la compagnie de colonisation, qui devait s’assurer de la manière dont les statuts étaient exécutés dans l’intérêt des colons, n’a pas envoyé de rapport au gouvernement, et le gouvernement n’en a pas exigé..
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je vous demande pardon.
M. Rogier – Si le commissaire royal a envoyé des rapports, je désire que M. le ministre les dépose sur le bureau ; car l’affaire de Guatemala n’est pas finie ; il en a été question, il est vrai, lors de la discussion politique, mais l’affaire n’est pas arrivée à son terme, au point de vue administratif.
M. de Man d’Attenrode – Messieurs, des hommes dévoués aux intérêts de la plus sérieuse de nos industries, à l’agriculture, fondèrent une école vétérinaire qui, en 1835, devint une institution de l’Etat.
Cet établissement a produit des sujets qui l’honorent et qui rendent déjà des services.
Depuis quelques années, cependant, nous avons entendu circuler les bruits les plus étranges sur son organisation, sur sa marche.
L’intérêt de l’agriculture, l’intérêt du trésor, qui a contribué pour des sommes considérables à son entretien, nous ont fait un devoir de nous éclairer sur leur origine et sur ce qu’ils pourraient avoir de fondé.
Les sections, poussées par la même pensée, je suppose, ont fait des recommandations au gouvernement, lui ont adressé diverses questions.
La section centrale les a transmises au gouvernement, et M. le ministre de l'intérieur y a répondu par l’envoi du rapport du jury d’examen de 1844, accompagné de quelques notes sur l’origine, la marche successive et l’état de l’école vétérinaire. Ces notes sont de nature à appeler toute notre attention et, avant d’émettre une opinion, il m’a semblé convenable d’en vérifier l’exactitude.
D’abord, ce n’est pas en 1833, comme le disent les renseignements du ministère de l’intérieur, mais en 1832, que quelques membres du jury vétérinaire, nommé en 1831, pour examiner quelques élèves venus d’Alfort et d’Utrecht, fondèrent une école d’économie rurale et vétérinaire. C’est n’est pas en 1836 qu’un professeur d’équitation a été nommé, mais en 1840. Jusqu’à cette époque, on ne donnait que 2 ou 3 mois de leçons d’équitation aux élèves de dernière année, et elles étaient données par l’un ou l’autre écuyer ; jusque-là l’équitation n’était qu’un accessoire ; depuis 1840, elle est devenue un cours permanent et de tous les jours.
Ce n’est pas en 1836 qu’un élève fut attaché, comme préparateur à la chaire d’anatomie, mais en 1837.
Ce n’est pas en 1837 que ce préparateur a été nommé professeur, mais c’est en 1840.
Ces erreurs semblent d’abord de peu d’importance, mais elles sont de nature à donner peu de confiance dans les renseignements qui suivent.
Je continue : « Les élèves étaient nombreux, disent les renseignements du ministère, mais l’on se plaignait de ce qu’ils ne possédaient pas le degré d’instruction propre à leur faire comprendre les cours de l’école ; l’on pensait que c’était là la principale cause de la faiblesse des études ; tel était l’état de choses à l’avènement du ministère de 1840. »
Nous allons examiner ce qui a été fait pour remédier à la faiblesse des études et pour renforcer les éléments de surveillance. J’espère que la chambre me pardonnera d’entrer dans quelques détails, mais ils sont inévitables dans cette circonstance.
Avant 1840, l’école avait trois surveillants, dont deux avaient été choisis parmi les meilleurs sujets, que le jury venait de diplômer ; on conféra à ces derniers le titre d’agrégés, et ils donnaient aux élèves des conférences qui étaient de la plus grande utilité pour fortifier les études. Le troisième surveillant était en même temps économe.
Que fit-on pour renforcer les études et la surveillance ?
On renvoya les deux surveillants agrégés, et on les remplaça par un surveillant qui ne donnait pas de conférences.
De plus, on nomma un économe qui n’était pas surveillant ; de sorte que l’école compta deux surveillant et un économe. Le personnel resta en conséquence le même ; mais il y eu un surveillant de moins, et il n’y eut plus de conférences. Cette combinaison, il faut en convenir, ne devait renforcer ni les études ni la surveillance.
Mais la suppression de ces agrégés était nécessaire, paraît-il, pour motiver l’érection d’une nouvelle chaise destinée à faire l’objet d’une faveur.
Cette nomination eut lieu, en effet ; mais ce ne fut pas sur les instances de trois professeurs, qui n’avaient aucun motif de se regarder comme surchargés de travail, car ils se contentèrent d’y adhérer, sur les promesses que leur firent ceux qui s’intéressaient tant à cette nomination.
Enfin cette nomination se fit malgré le rapport du commissaire du gouvernement près de l’école.
Voici quels étaient ses motifs :
1° Aucun des professeurs ne s’était jamais plaint lors de la formation du programme annuel des cours d’être surchargé de travail ; et ils avaient donné constamment, avec tous les développements nécessaires, les cours qui leur étaient confiés.
2° Si ces messieurs avaient dit et démontré qu’ils ne pouvaient pas s’acquitter utilement de tout le travail dont ils étaient chargés, il eût été fait droit à l’instant à leurs réclamations, dans l’intérêt même des élèves, ce qui pouvait se faire en chargeant les agrégés d’une partie des matières confiées aux professeurs titulaires.
3° Le professeur extraordinaire Thiernesse n’ayant qu’un cours semestriel (l’anatomie descriptive), pouvait être encore chargé d’une nouvelle branche, par exemple l’extérieur, qui a tant de connexité avec l’anatomie.
4° La nomination d’un nouveau professeur devait occasionner une forte dépense sans aucun avantage, et était sans contredit un passe-droit, un découragement pour les professeurs extraordinaires et agrégés, qui depuis plusieurs années déjà attachés à l’école, y avaient rendu de véritables services.
5° Si on doutait de leur savoir, on devait au moins établir un concours pour leur donner l’occasion de se justifier dans l’opinion.
Ces observations, fort justes, furent inutiles, et sous prétexte de renforcer les études, on érigea une nouvelle chaire de professeur ordinaire en faveur d’un homme qui remplissait déjà d’autres fonctions près du gouvernement.
Serait-ce peut-être encore pour renforcer les études qu’on nomma un professeur permanent d’équitation, nomination dont la conséquence fut pour l’Etat l’entretien de 8 chevaux, de 2 palefreniers, et l’achat d’une sellerie somptueuse ?. Serait-ce encore pour renforcer les études qu’un professeur, qui jouit de peu de crédit parmi ses collègues, a été précisément choisi pour les contrôler avec le grade d’inspecteur et une augmentation de traitement, bien entendu ?
L’on rendit enfin l’admission à l’école vétérinaire si difficile, on exigea des études préliminaires si complètes, que peu d’élèves furent admis ; aussi les professeurs chargés de l’enseignement primaire sont-ils devenus en quelque sorte inutiles et on continue cependant à leur payer leurs traitements.
Cette situation n’était pas faite pour la relever de l’état prétendu d’infériorité dont on l’accusait en 1840 ; aussi, au lieu de produire des hommes distingués, tels que les Thiernesse, Van Haelst, Moreau, Duvieussart, Cambton, Masson, etc., l’école s’est-elle consumée en vaines agitations, suite de la désunion de ses membres, car les études, pour être fortes, ont besoin de calme, d’efforts communs, et elles ont dû souffrir nécessairement de cette situation fâcheuse.
Maintenant, l’enseignement vétérinaire, après avoir traîné une existence pénible au milieu de mille tiraillements, a été livrée à l’appréciation d’un jury, dont le chef a été choisi parmi ses plus ardents adversaires. Ce jury a fait un rapport ; je ne puis l’analyser, puisqu’il ne nous a été communiqué que sous une forme confidentielle ; mais je me bornerai à cette réflexion : Y a-t-il bonne foi à prononcer un jugement sévère, pour ne pas dire une condamnation sur un enseignement, dont on n’a pu juger les résultats, puisque les jeunes gens qui sont venus subir l’épreuve des examens étaient des élèves dits vétérans, des élèves ajournés les années précédentes, deux empiriques et des élèves sortis d’un établissement étranger ? La faiblesse des sujets qui se sont présentés en 1844, n’a rien qui doive surprendre, quand on songe qu’en 1840 aucun élève n’a été reçu à l’école vétérinaire à cause des conditions d’instruction exigées subitement pour les admissions ; et la durée des cours est de quatre années.
Voyons maintenant comment a été renforcée la discipline intérieure :
Avant 1840, les élèves ne pouvaient circuler à Bruxelles qu’en uniforme ; il leur était interdit d’entrer dans les lieux publics ; ils étaient obligés de rentrer avant la brune.
(page 768) Tous ces moyens d’ordre ont été supprimés comme inutiles ; le gouvernement nous dit cependant que la discipline a été renforcée ; il entend parler sans doute du parti qu’il a pris de retirer les 25 abonnements qu’il avait au « Journal de médecine vétérinaire », qui s’était permis de critiquer le rapport d’un professeur envoyé pour étudier le bétail et l’agronomie en Angleterre.
Le gouvernement, si sévère pour cette publication, qui prouve la capacité du corps enseignant de l’école, a été plus indulgent pour la « Sentinelle des campagnes », qui s’était livrée à des attaques de la même nature.
Du reste, voulez-vous savoir la cause de la situation où se trouve l’école ? La voici :
Un homme probe, zélé pour le bien, l’a fait ce qu’elle était en 1840 ; elle n’était pas sans défauts, j’en conviens ; mais nous lui devons tout ce qu’elle a encore de bons éléments, et elle en compte encore beaucoup. La source du mal est que son existence a été fondée sur un seul homme ; c’est de n’avoir pas donné à cet établissement des bases plus solides ; c’est de ne pas l’avoir fondé sur une loi, sur un arrêté royal réglementaire.
Une réaction politique lui a fait perdre son unique guide. Dès lors, le bâtiment sans pilote expérimenté a donné sur des écueils, et ce sont ceux qui lui ont imprimé cette direction, je n’inculpe pas les intentions, qui en rejettent la cause sur tout, excepté sur eux-mêmes, et qui vont disant que dans les conditions d’hommes et de choses où se trouvent cet établissement, il ne peut répondre au but de son institution.
Ce qu’il faut à l’école vétérinaire, c’est une loi pour la fonder solidement ; c’est un arrêté sous la forme d’un règlement d’administration, et des hommes probes, intelligents pour la diriger ; c’est un ministre qui daigne s’en occuper un peu.
Je le demande dans l’intérêt de la morale publique, dans l’intérêt du trésor ; je le demande, en un mot, dans l’intérêt du pays.
Maintenant, M. le ministre se fiant peu sans doute au rapport du jury d’examen, a annoncé à la section centrale que cette pièce ne serait que la première d’une enquête qu’il ferait poursuivre. Mais comment se fait-il que cette enquête ne soit pas encore terminée ?
M. le ministre de l'intérieur est nanti depuis le mois de septembre d’un rapport qui inculpait gravement l’enseignement vétérinaire ; son devoir était de faire procéder à une enquête immédiate ; voilà que cinq mois se sont écoulés et il n’a aucun éclaircissement à nous donner. Mais je me trompe, il a produit à la suite de sa demande de crédit pour l’année dernière un rapport qui est de nature à répandre l’inquiétude, à déconsidérer l’établissement, à faire rejeter toute l’allocation !
Je pense, messieurs, que si nous accordons le crédit proposé par le gouvernement, je pense que l’enquête dont parle le gouvernement, sera ajournée, indéfiniment ; c’est ce que vous ne pouvez vouloir, messieurs. Car l’école ne peut continuer à marcher comme elle le fait ; cette situation ne peut se prolonger. Tout a été attaqué, sa discipline, son ordre intérieur, le zèle de ses professeurs. Il faut que la vérité puisse se faire jour, qu’une enquête fasse connaître ce qui entrave sa marche, et ce qui l’empêche de prospérer ; il faut que les bons éléments puissent prévaloir ; il faut que ceux qui ont été accusés soient promptement à même de se défendre, de se justifier.
Eh bien, le moyen d’y parvenir, c’est d’adopter la proposition de la section centrale, c’est de ne voter que le chiffre nécessaire au service du premier trimestre.
Messieurs, l’école vétérinaire est appelée à rendre de grands services à l’agriculture l’empirisme est encore toléré par le gouvernement ; il est encore exploité par 1,400 individus, on vient de vous le dire ; il faut que des sujets soient formés par elle en assez grand nombre, pour permettre d’interdire cette lèpre de nos campagnes. Tant que les vétérinaires auront à lutter contre l’empirisme légalement pratiqué, ils ne pourront prêter que difficilement leur concours au gouvernement pour la police sanitaire. Il s’agit là pour eux d’une question d’existence car il n’y a pas de pratiques à espérer pour ceux qui dénoncent, dès leur origine, les maladies contagieuses. Aussi l’existence du mal n’est-il déclaré que lorsque la contagion a causé tout son ravage, lorsque le bétail infecté n’a pu être, ni porté aux marchés, ni vendu pour la consommation, et qu’il n’y a plus d’espoir de guérison.
Je dirai, en terminant, que l’emplacement d’une école vétérinaire doit être fixé à la porte d’une grande ville, afin de lui assurer des professeurs instruits à des conditions favorables, et pour entretenir sa clinique, un établissement de ce genre doit être situé sur une rivière, dans un but de salubrité ; la position de Cureghem remplit ces conditions.
Je ne pousserai pas plus loin mes observations pour le moment. Je me réserve, si l’occasion s’en présente, de dire quelques mots de l’enseignement agricole, de la ferme expérimentale qui laisse à désirer beaucoup.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, je regrette que l’honorable préopinant se soit si longtemps attaché à des questions que j’appellerai des questions de personne. La désunion, selon lui, date de 1840 : des nominations ont été faites en 1840, et n’ont pas eu l’assentiment du corps professoral.
Je ne sache pas que l’assentiment du corps professoral fût précisément nécessaire. J’ignore si ces nominations ont rencontré en 1840 une opposition de la part de quelques professeurs ; mais, selon moi, ces nominations étant faites, elles devaient être acceptées et respectées par le corps professoral, et quelques professeurs n’auraient pas dû se constituer, comme on paraît le supposer, en état de protestation permanente contre les nominations faites depuis 1840.
Je regrette beaucoup, je le répète, que l’honorable préopinant soit entré dans ces détails ; j’aurais préféré qu’il eût donné plus de développements à la dernière partie de son discours, et qu’il eût examiné d’une manière générale la question de l’enseignement agricole et vétérinaire, et se fût attaché à prouver que le lieu où est située l’école vétérinaire était choisi pour un grand établissement agricole et vétérinaire. Malheureusement, sous ce rapport, son discours ne nous fournit guère de lumières.
Je ne mets pas précisément en question le maintien de l’école à Cureghem, je n’ai pas d’opinion arrêtée sur ce point. Je n’exprime que le regret que cet endroit ait été choisi ; je ne pense pas qu’il se prête aux développements d’un grand établissement agricole et vétérinaire.
L’honorable préopinant a parlé du zèle qu’un haut fonctionnaire public a montré pour cette école. Je suis le premier à le reconnaître. Il a ensuite exprimé un regret. En effet, il ne faut pas qu’un établissement quelconque repose sur un seul homme ; les choses en étaient à ce point quand l’honorable M. Liedts est arrivé au ministère de l’intérieur : l’établissement reposait tellement sur un seul homme, qu’il n’y avait pas de règlement ; c’est le 26 novembre 1840 que M. Liedts a fait un règlement intérieur ; jusque-là, c’était un homme qui était le règlement vivant de l’école. Quand un établissement repose sur un seul homme, il faut le moindre événement pour que tout doit compromis.
Je ne connais pas assez les détails des mesures prises en 1840 et 1841, pour répondre à l’honorable préopinant. Je répète que jusqu’en 1840 l’établissement reposait sur un seul homme à tel point qu’il n’y avait pas de règlement écrit ; alors il n’y avait pas de directeur, ou inspecteur, mais il y avait un homme que j’appellerai un maître.
M. Liedts – Vous n’attendez pas de moi, messieurs, que je vienne défendre devant vous les abus qu’on prétend exister dans l’école vétérinaire ; je me joins au contraire de grand cœur aux deux honorables collègues qui ont demandé que le gouvernement se livrât à des investigations sévères sur l’ordre et la discipline de cette école. Si je prends la parole, c’est parce que quelques actes que j’ai cru devoir prendre en 1840 ont été attaqués, je ne dirai pas avec amertume, mais avec une sévérité à laquelle je n’étais pas accoutumé.
Personne plus que moi, messieurs, n’a une haute idée de l’agriculture en Belgique. Je crois qu’elle produit à elle seule autant que produisent toutes les autres industries réunies. Sur 1,400 millions, somme à laquelle j’évalue la dépense annuelle de tous les habitants de la Belgique, l’agriculture en crée 700 millions.
C’est précisément parce que je place si haut les produits de l’industrie agricole, que je suis heureux d’avoir pu lui faire quelque bien pendant mon court passage au ministère. Je citerai en premier lieu la loi sur les chemins vicinaux à laquelle j’ai mis la dernière main et attaché mon nom en 1841. Je place en seconde ligne les 100 mille fr. que je suis parvenu, malgré l’opposition de quelques membres, à faire porter au budget de l’intérieur pour l’amélioration des chemins vicinaux.
Quant à l’institution de l’école vétérinaire, j’avoue que je n’ai pu que faiblement esquisser ce qui devait se faire plus tard.
Mais, quoiqu’il m’a été impossible de rien faire de définitif, je ne crois pas avoir à me reprocher aucun des actes qu’on a critiqués. Je conviens tout d’abord avec les préopinants qu’il faut qu’on mette, par une loi, un terme à toutes ces discussions qui se reproduisent chaque année. Je suis tellement convaincu de cette vérité, que si personne ne fait de propositions, j’exhumerai le projet de loi non retiré qui a été présenté par l’honorable M. de Theux ; il est urgent que l’état de choses actuel cesse ; il faut que les bases de l’instruction agricole et vétérinaire soient réglées définitivement comme l’a été l’enseignement de l’école militaire. Mais, en attendant que cette loi fût portée, il fallait pourvoir au plus pressé. C’est ce que j’ai fait. Pour répondre aux attaques dont les mesures que j’ai prises ont été l’objet, je ne puis mieux faire que de passer en revue les différents points qui ont été signalés à votre attention. Je crois devoir d’abord vous rappeler deux choses qui n’ont pas été touchées. Vous n’aurez pas oublié qu’avant mon entrée au ministère une partie de la chambre signalait comme un grave abus la dépense de construction du local de l’école vétérinaire. Le plan avait une dimension exagérée et n’avait jamais été soumis à la législature ; chaque année, la législature votait des sommes assez importantes pour l’école vétérinaire, et c’est sur cette somme globale qu’on prenait en premier lieu de quoi construire une école vétérinaire. Quand je suis arrivé au ministère, la première chose que j’ai recherchée, ç’a été le nombre de vétérinaires qu’il convenait de créer chaque année ; j’y suis parvenu, j’ai reconnu qu’une fois les cadres remplis, six à huit vétérinaires par année suffiraient pour pourvoir à la guérison des maladies qui se déclareraient parmi le bétail. Dès lors, il était naturel de se demander s’il était nécessaire d’avoir des bâtiments aussi vastes que ceux qu’on se proposait de construire. Chacun peut voir, à l’heure qu’il est, que l’établissement projeté n’a pas été achevé, qu’il n’a maintenant qu’environ la moitié de la dimension qu’il devait avoir, d’après le plan primitif. Je ne pense pas qu’on puisse, de ce chef, m’adresser un blâme mérité. Je n’ai fait que suivre l’intention du législateur ; j’ai arrêté les constructions parce que celles qui étaient faites me paraissaient suffisantes pour le service. Ce que j’ai changé à l’état de choses existant avant mon arrivée au ministère, ce sont les conditions d’admission, et je pense avoir bien fait : n’oubliez pas que l’instruction de l’agronome et de l’artiste vétérinaire sont distinctes, qu’il faut d’autres connaissances pour l’agronome que pour l’artiste vétérinaire. Si l’école vétérinaire avait été dans des conditions convenables pour faire une bonne école d’agronomie, en même temps qu’une école vétérinaire, il aurait fallu diviser l’école, se montrer très-indulgent pour ceux qui seraient venus y puiser des connaissances d’agronomies et plus sévères pour ceux qui seraient venus, pour prendre un diplôme de vétérinaire. Mais l’école, telle que je l’ai trouvée, n’avait (page 769) pas la moindre apparence d’école pratique d’agronomie ; elle n’avait rien de ce qu’il faut pour faire des agronomes instruits. Je devais prendre l’école comme je la trouvais, comme école exclusivement vétérinaire. Qu’ai-je fait ? ai-je exagéré outre mesure les conditions d’admission ? Nullement. Je me suis borné à exiger une instruction primaire complète ; je n’ai pas même demandé une instruction moyenne, mais seulement qu’on fît preuve d’avoir reçu une bonne instruction primaire ; en un mot, ce qui était indispensable pour comprendre les leçons des professeurs. Et, messieurs, quand vous entendez le programme de l’enseignement qui se donne dans cette école, vous ne serez pas étonnés que j’ai exigé plus que la connaissance de l’alphabet pour y entrer ; et à moins de descendre jusque-là, on ne pouvait pas demander moins que je n’ai fait, moins qu’une instruction primaire soignée. On donne des cours de chimie, de pathologie, de physique, de médecine légale, de zoologie, de botanique, de minéralogie, etc., etc.
Vous comprenez qu’un jeune homme qui vient pour prendre part à ces leçons et qui ne saurait pas les premiers éléments de l’alphabet, devrait commencer par passer une grande partie de son temps à apprendre à lire et à écrire.
On ne peut pas pousser jusque-là les facilités de l’admission. Je m’applaudis donc d’avoir exigé que les élèves voulant fréquenter ces cours eussent au moins reçu une bonne instruction primaire.
Il en est résulté, dit-on, que vous avez repoussé des élèves. Je l’avoue, le nombre des élèves a diminué ; il a diminué en effet, puisque d’après les chiffres que vient de fournir M. le ministre de l'intérieur, de 144 il est descendu à 67. Mais je n’y vois aucun mal ; car je pense que le chiffre de 60 élèves est suffisant pour fournir 6 à 8 vétérinaires diplômés par an, et comme je le disais tout à l’heure, une fois les cadres remplis, 6 à 8 vétérinaires par an suffisent pour les besoins du pays.
Croyez-vous que ce soit un grand bienfait pour les parents et pour la jeunesse que de lancer des jeunes gens avec des diplômes qui ne pourront pas les faire vivre ? Il faudrait, au contraire, les détourner de cette école une fois que les cadres seront remplis.
Une autre mesure qu’on a critiquée, c’est l’adjonction d’un professeur nouveau. Je ne sache pas cependant que ce soit là un élément de désorganisation. J’aurais cru qu’on m’aurait plutôt reproché d’augmenter trop le nombre des professeurs.
Mais, certes, ce ne peut être là une cause de désorganisation, comme on l’a insinué. Ce professeur qu’on présente, comme ne connaissant pas la partie qu’il enseigne, a reçu son brevet à l’école d’Utrecht, et jamais brevet aussi flatteur n’a été délivré ; il l’a fait admettre à l’école de Breda ; en sortant de cette école, il a été ensuite attaché à notre armée en qualité d’artiste vétérinaire en chef ; c’est à cette qualité que je l’ai trouvé, quand je l’ai nommé professeur. Voilà les antécédents de ce professeur. Je ne pense pas qu’on puisse trouver quelqu’un de plus capable d’enseigner la matière dont il est chargé. J’ajouterai que les professeurs eux-mêmes de l’école me l’ont, si j’ai bon souvenir, désigné verbalement, sinon par écrit, comme le plus propre à remplir les fonctions qui lui sont confiées.
Une troisième mesure que j’ai prise, c’est la nomination d’un économe, qu’on regarde comme inutile. Quand je suis entré au ministère, l’économe était à l’administration centrale, c’était au bureau du ministre de l’intérieur qu’on tenait les écritures de la comptabilité intérieure de l’école. Le jeune homme qui remplissait ces fonctions, à la satisfaction du ministre, a senti qu’il y avait incompatibilité entre les fonctions d’employé au ministère de l’intérieur et celles d’économe à l’école où il n’était pas assidûment. Il l’a si bien senti, qu’il a présenté une démission qui a été acceptée. C’est alors qu’on a nommé dans l’intérieur un économe, comme il y en a un à l’école militaire et dans tous les établissements semblables.
Encore une fois, je ne pense donc pas qu’une mesure de cette nature ait pu être un élément de désordre pour l’école.
On a, dit-on, supprimé le cours de dessin, et l’on a donné plus d’extension au cours d’équitation. En effet, le cours de dessin, qui était obligatoire, est devenu facultatif. Certes, le dessin est un art très-utile à toutes les professions, à la médecine comme aux autres ; mais je ne sache pas que ce soit un cours obligatoire pour ceux qui exercent la médecine des hommes. Dès lors je ne pense pas qu’il faille l’imposer à ceux qui exercent la médecine des animaux. Il n’en est pas de même du cours d’équitation. Je ne conçois pas un médecin vétérinaire qui n’ait pas une connaissance parfaite du cheval, qui ne connaisse pas toutes ses allures. Je ne prétends pas qu’il faille en faire des écuyers parfaits ; mais je dis que l’équitation leur est plus utile que le dessin ; je ne regrette pas d’avoir donné la préférence au premier de ces cours sur le second. Le professeur de dessin s’est retiré, on a donné plus d’extension au cours d’équitation. Je ne vois donc pas qu’il y ait encore là un motif de blâme.
Quant au regret exprimé dans cette enceinte sur le défaut de concours d’un homme qui a rendu à l’école vétérinaire des services que je suis loin de méconnaître, je ne m’attendais guère à cette critique. Il a conservé le titre, bien honorable, sans doute, d’inspecteur général de cette école, avec des attributions telles que si, comme je n’en doute pas, il remplit ces fonctions avec le même zèle qu’il en a rempli d’autres, il peut être d’une grande utilité à cet établissement. Tout ce que j’ai fait, ç’a été de ne pas lui en laisser la direction exclusive.
Je désire que, dans une matière si importante, les questions personnelles ne viennent pas mettre obstacle à la réalisation du bien que nous pourrions faire ; je m’abstiendrai donc de suivre les préopinants sur ce terrain et de traiter ici ces questions délicates.
Je demande de nouveau, en terminant, qu’il y ait une investigation sévère, et qu’on fasse disparaître les abus, s’il y en a, en attendant que nous mettions, par une loi, la dernière main à l’organisation.
Voilà, messieurs, ce que je tenais à dire, dans le seul but de répondre à quelques critiques qui avaient été présentées.
M. Pirson – Messieurs, en compulsant les budgets antérieurs, j’ai trouvé que les dépenses de l’école vétérinaire se sont élevées de 1833 à 1844 inclus à 1,149,500 francs pour dépenses ordinaires, 270,000 francs pour achats de terrains et 180,000 francs pour frais de construction. Total 1,599,500 francs dont il faut déduire 339,500 fr. qui figurent aux budgets des voies et moyens pour les produits de cette école ; d’où il résulte que l’enseignement vétérinaire a coûté au pays dans cette période onze années la somme énorme de 1,260,000 fr.
Certainement, messieurs, après de pareils sacrifices imposés aux contribuables, on devait s’attendre à ce que l’école vétérinaire eût produit de meilleurs résultats, et comme les trois honorables préopinants qui ont pris la parole avec moi, tout en déplorant l’état de décadence dans lequel cette institution paraît être tombée, j’insiste pour que M. le ministre de l'intérieur présente le plus tôt possible un projet de loi pour la réorganiser et pour régler l’exercice de la médecine vétérinaire. Je me rallie aussi à la proposition de l’honorable M. Liedts, tendant à ce qu’il soit fait des investigations sévères sur ce qui s’est passé à l’école vétérinaire.
Mais, messieurs, si je partage l’opinion de nos honorables collègues, MM. de Man et de Renesse sur la nécessité d’une prompte réorganisation de l’école vétérinaire, je les crois tous deux dans l’erreur sur les causes auxquelles ils attribuent les tristes résultats, que signale le rapport du jury d’examen de 1844, et je regrette de ne pouvoir m’associer aux éloges qu’ils ont donné au haut fonctionnaire chargé primitivement de la direction de l’école vétérinaire.
L’honorable député de Tongres vous a dit que si cette direction eût été conservée, l’école eût mieux marché, qu’elle ne fût pas tombée en décadence et que les élèves eussent fait de meilleurs études.
Messieurs, si je ne me trompe, c’est le même fonctionnaire auquel l’honorable député de Tongres a fait allusion, qui, en 1840, époque à laquelle il quitta le ministère de l’intérieur, fut nommé commissaire du gouvernement près de l’école vétérinaire, qui l’est encore aujourd’hui, et qui, en cette qualité, touche une indemnité annuelle et spéciale de 1,000 fr. La même personne est donc restée chargée de la surveillance de l’école depuis sa création.
En ce qui concerne les études (au moins d’après la note insérée dans le rapport de la section centrale, page 17), aucun changement n’a été fait dans le personnel enseignant depuis cette époque, si ce n’est :
« La nomination d’un nouveau professeur, faite à la demande réitérée de trois professeurs qui se plaignaient de l’adjonction à l’école d’un trop grand nombre de spécialités, ce qui les chargeait du fardeau de toutes les branches vétérinaires proprement dites. » Or, messieurs, par l’adjonction de ce seul professeur, dont personne, je crois, ne contestera le savoir, qui passe pour donner parfaitement ses cours, qui a fait partie du jury d’examen, en 1838, en 1839 et en 1840, qui a été nommé membre effectif de l’Académie de médecine, l’école ne peut avoir perdu, elle a dû plutôt gagner.
Ce ne sont pas non plus des mesures telles que : « La nomination d’un économe en remplacement de l’employé du ministère de l’intérieur, qui étaient chargé de la comptabilité ;
« Les dispositions du règlement d’ordre et de discipline arrêté sous le ministère de l’honorable M. Liedts ;
« Celles du programme d’examen, exigeant comme condition d’admission, les éléments d’une bonne formation primaire ;
« La formation d’un cabinet pour les collections ;
« L’allocation annuelle de 1,500 fr. destinée à créer une bibliothèque ;
« La location d’une ferme expérimentale pour l’étude pratique de l’agriculture ;
« Ni enfin la fondation de dix bourses d’élèves agronomes ; » ce ne sont pas, dis-je, pareilles mesures qui ont pu contribuer à la décadence de l’école. Je crois, au contraire, qu’elles auraient eu pour effet d’y compléter l’enseignement vétérinaire, si l’organisation primitive et vicieuse de l’école n’y eût mis obstacle.
Ce sont d’autres causes, messieurs, que celles indiquées par les honorables préopinants qui ont mis l’école vétérinaire dans l’impossibilité de répondre au but de son institution, et ces causes, dans mon opinion, remontent à l’époque de sa création.
Je rends sans doute hommage aux bonnes intentions de l’honorable comte de Theux, qui, en sa qualité de ministre de l’intérieur, à pris l’initiative pour doter la Belgique d’un établissement qui devait être utile à l’agriculture. Mais, il faut le reconnaître, l’honorable comte n’a pas été heureux dans le choix de la personne qu’il a chargée de l’établissement et de l’organisation de l’école vétérinaire. Les faits qui le démontrent ne sont malheureusement que trop avérés sous le rapport de l’établissement.
L’emplacement du local qui, cependant a coûté 270,000 fr. a été mal choisi et présente les plus graves inconvénients. Lorsque les eaux de la Senne sont fortes, l’école est entièrement submergée, toutes les communications sont interrompues et les cours sont suspendus. Le manège, les forges, la salle de démonstrations, le réfectoire, les cuisines, sont complètement inondés ; les caves sont remplies d’eau une partie de l’année, et on ne peut s’en servir. Cette année encore (je parle de l’année scolaire, en novembre et décembre 1844), l’école a été deux fois submergée, et deux fois les cours ont été interrompus. Vraisemblablement, à la fonte des neiges, l’école sera de nouveau submergée, et les cours seront interrompus. Ensuite le (page 770) plan des bâtiments a été mal conçu. On a commencé par dépenser une somme assez considérable pour approprier les anciens locaux. L’année suivante, on a jugé convenable de les démolir. On aurait pu prévenir plus ou moins l’inconvénient des inondations, en exhaussant le sol ou en prenant d’autres précautions là on l’on élevait des constructions nouvelles ; on n’en fit rien.
Puisqu’à tort ou à raison, on s’était décidé à faire de l’établissement un pensionnat, on aurait dû grouper les bâtiments de manière à rendre facile la surveillance des élèves ; on fit l’inverse, on les dissémina ; l’établissement n’a pas de mur de clôture, et les élèves peuvent sortir sans qu’on s’en aperçoive.
Alors que la garnison de Bruxelles n’avait pas et n’a pas encore de manège, dès 1838 on a jugé urgent et indispensable d’en construire un pour l’école vétérinaire.
Sous le rapport de l’organisation, il suffira, messieurs, de vous indiquer quel est le personnel attaché à l’école, pour vous convaincre que l’institution a été organisée avec un luxe de professeurs inutiles, et que l’on aurait pu réduire considérablement les frais qu’elle a occasionnés et qu’elle occasionne encore.
Le personne comprend 9 professeurs pour l’enseignement vétérinaire, dont les traitements s’élèvent à 33,500 fr. Ici, messieurs, je dois vous faire remarquer que, dans aucune école vétérinaire étrangère, il n’y a autant de professeurs pour cet enseignement. Lorsque nous étions réunis à la Hollande, l’école d’Utrecht, qui cependant jouissait d’une très-bonne réputation, ne comptait que 3 professeurs dont l’un remplissait en même temps les fonctions de directeur ; 1 vétérinaire attaché à l’établissement et assistant le directeur, et 1 prosecteur assistant le professeur d’anatomie, en tout 5 personnes. En Belgique, outre les neuf professeurs que je viens de citer, il y a encore :
1 directeur au traitement de 4,000 fr.
1 aumônier, au traitement de 2,500 fr.
1 économe au traitement de 1,500 fr.
2 surveillants, au traitement de 2,500 fr.
1 inspecteur des études, au traitement de 500 fr.
5 répétiteurs choisis parmi les élèves, au traitement de 1,500 fr.
1 professeur d’équitation, au traitement de 1,500 fr.
1 professeur de musique, au traitement de 1,500 fr.
2 professeurs pour l’enseignement primaire, au traitement de 3,000 fr.
1 régisseur de ferme, au traitement de 2,500 fr.
1 directeur des travaux agricoles, au traitement de 2,500 fr.
1 maréchal-ferrant, 1 palefrenier, 1 jardinier et 4 domestiques : 5,840 fr.
Une partie de ce personnel est en outre logé, nourri, chauffé et éclairé aux frais de l’Etat.
Je vous le demanderai, messieurs, deux professeurs pour l’enseignement primaire, et deux maîtres de musique sont-ils des professeurs plus nécessaires dans une école vétérinaire que dans une université, et devant être rétribués par l’Etat ? Cet autre personnel :
1 directeur,
2 surveillants,
1 inspecteur des études,
5 répétiteurs,
1 régisseur de ferme, 1 directeur des travaux agricoles, etc.
était-il bien indispensable ?
Voyons maintenant pour les admissions ; a-t-on tenu compte du rapport qui doit exister entre le vétérinaire et l’éleveur ? Du tout, messieurs, on a perdu de vue l’étendue du pays et les besoins réels de l’agriculture. On a voulu peupler l’école à tout prix, et on ne s’est pas inquiété des moyens à employer pour le faire d’une manière utile. Une carrière nouvelle se présentait ; les élèves ne manquèrent pas. Ainsi, en 1837, il y en eut jusqu’à 130, en 1838 jusqu’à 147 dont 3 seulement, je crois, pour le cours d’agronomie, tandis que 50 à 60 eussent largement suffi pour assurer les besoins du pays.
On avait la faculté de faire un choix de bons sujets parmi le grand nombre ; on admit tous ceux qui se présentaient, même ceux qui savaient à peine lire et écrire. Qu’arriva-t-il, alors, messieurs ? on fut obligé d’ouvrir dans l’établissement un cours d’enseignement primaire appelé cours préparatoire ; et l’on poussa si loin le manque de tact et d’intelligence, que l’on crut possible de mener de front l’enseignement de l’orthographe, de la grammaire et de l’arithmétique, avec celui des hautes sciences.
Toute cette organisation vicieuse, messieurs, a produit ses fruits et le rapport du jury d’examen de 1844 indique quels ont été ces fruits. Il dit que, depuis sa création, l’école vétérinaire a produit autant d’empiriques que de médecins vétérinaires. L’exercice de la médecine vétérinaire n’étant réglé par aucun loi, bon nombre d’élèves que le manque d’instruction première n’aurait pas dû faire admettre à l’école, et qui, comme vous l’a dit tout à l’heure M. le ministre de l'intérieur, se sont présentés plusieurs fois devant le jury d’examen, sans pouvoir obtenir de diplômes, n’en ont pas moins quitté l’établissement en prenant des patentes de vétérinaires, et sont venus augmenter le chiffre de ces empiriques si dangereux pour les cultivateurs, dont parle le rapport du jury d’examen. Et ce chiffre n’est pas petit ! M. le ministre de l'intérieur vient de nous apprendre qu’il était de 1,400. Ajoutant à ces 1,400 empiriques les 278 vétérinaires diplômés, nous avons en Belgique un total de près de 1,700 personnes patentées vétérinaires, ce qui est hors de proportion avec notre population chevaline et bovine, qui n’est que d’environ un million et demi.
En Prusse, messieurs, où le gouvernement prend cependant si à cœur les intérêts de l’agriculture il n’y a que 479 médecins vétérinaires, pour une population chevaline et bovine de plus de 6 millions à laquelle outre les moutons ordinaires, comme en Belgique, toutefois il faut encore ajouter 4 millions de moutons de race précieuse à laine fine, espèce que nous ne possédons pas.
Quoique l’école vétérinaire, messieurs, porte aussi le titre d’école d’économie rurale, jusqu’en 1840, comme on vient de vous le dire, le cours d’économie n’a consisté qu’en quelques leçons théoriques données d’abord par un professeur vétérinaire et ensuite par un professeur de botanique, et si mes renseignements sont exacts, on n’a formé que trois élèves agronomes. Vous le voyez, messieurs, malgré le développement exagéré qu’on lui avait donné, l’école vétérinaire et d’économie rurale n’a pas été plus féconde en agronomes qu’en vétérinaires.
Il importe, messieurs, de mettre un terme à un pareil état de choses et de garantir nos campagnes d’une ignorance qui pourrait lui coûter cher. Il ne faut pas oublier que dans les temps d’épizootie, il a été observé que les bergers, les maréchaux, les charlatans, les empiriques auxquels les malheureux cultivateurs s’adressent souvent dans leur désespoir, portent quelquefois eux-mêmes dans les étables, par ignorance des voies de transmission, le fléau qu’ils sont impuissants à combattre. Il ne faut pas oublier non plus que nos animaux domestiques, d’après des évaluations modérées, représentent un capital de plus d’un demi-millard de francs, et on reconnaîtra sans doute que leur conservation est assez importante pour être placée sous le patronage de la loi.
En présence des faits que je viens de citer, je ne puis, messieurs, à mon grand regret, m’associer aux éloges qui ont été donnés à la direction première de l’école vétérinaire. Je crois au contraire qu’elle n’est pas exempte de reproches, et que c’est à la mauvaise impulsion qu’elle a donnée, aux mauvais moyens, quoique si dispendieux, qu’elle a employés, que l’on doit attribuer les résultats déplorables signalés dans le rapport du jury d’examen de 1844, et j’insiste de nouveau pour que M. le ministre de l'intérieur hâte la présentation du projet de loi qui doit remédier à l’état de choses actuel.
Il me paraît évident que, soit qu’on réunisse la médecine vétérinaire à l’enseignement universitaire, soit qu’on maintienne l’établissement existant, il sera possible d’arriver à des économies considérables, en supprimant toutes les superfluidités, toutes les inutilités actuelles.
Avant de terminer, messieurs, comme l’honorable comte de Renesse, je dirai aussi un mot des grands avantages qui me paraissent devoir résulter pour le pays, de la création de fermes modèles ou écoles théoriques et pratiques d’agriculture, destinées spécialement aux fils de fermiers et aux fils de cultivateurs.
En France, messieurs, en Allemagne, dans presque tous les pays il existe de pareils établissements qui rendent les plus grands services à l’agriculture. Ces écoles servent à répandre dans les campagnes les connaissances agricoles, à détruire de vieilles habitudes, souvent absurdes, et à déraciner de vieux préjugés dont beaucoup de cultivateurs sont encore imbus. On y enseigne la culture des céréales et des prairies, celle du lin, des arbres fruitiers et forestiers et des jardins potagers, la composition des engrais, la préparation des fumiers, l’éducation et l’amélioration des animaux domestiques.
Mais, messieurs, comme une éducation agricole ne peut être complète qu’en joignant à la théorie la pratique de toutes les opérations des champs et des divers modes de culture et d’assolement, je ne crois pas qu’une économie d’agriculture doive être annexée à notre institut vétérinaire, situé près d’une grande ville et au milieu de terrains de même nature. A cet égard, donc je ne puis partager l’opinion de l’honorable comte de Renesse.
Les écoles de ce genre devant être fréquentées par des fils de cultivateurs, l’enseignement à y donner doit être principalement pratique. Ainsi on doit y enseigner à apprécier la nature, les ressources et les besoins du sol ; à soigner et panser convenablement les chevaux et le bétail ; à se servir des instruments aratoires perfectionnés, destinés à la culture et à l’ensemencement des terres, à faucher et à récolter les plantes fourragères et céréalières ; à sarcler et briser les plantes pivotantes, à tailler et greffer les arbres ; à tenir une comptabilité rurale ; en un mot, on doit y former les jeunes cultivateurs à la pratique de toutes les opérations des champs et du jardin, et les mettre à même de se rendre compte des produits et des résultats de leurs travaux. A part, pour ces jeunes gens, les inconvénients et le danger du contact des grandes villes, le mode de cultiver variant d’après les diverses localités ou plutôt d’après la nature des terrains, je ne pense pas que ce soit auprès de l’école vétérinaire qu’on doive placer une école théorique et pratique d’agriculture.
Nous avons, en Belgique, de grandes étendues de terrains vagues, qui ne demandent, pour produire, que des bras, des engrais et des méthodes d’ensemencement propres à leur nature. Je crois qu’il serait plus avantageux de placer les écoles d’agriculture dans des communes où, à côté de bonnes terres il se trouverait de ces terrains vagues, et qu’il serait nécessaire d’en créer au moins deux, dont l’une serait située sur les confins de la province de Namur et du Luxembourg, et l’autre dans la Campine limbourgeoise.
On ne peut contester, messieurs, que de pareils établissements rendraient de très-grands services à l’agriculture. Ils contribueraient à déraciner beaucoup de vieux préjugés, à perfectionner les modes usités de culture et à augmenter les productions du sol. Ils tendraient aussi à diriger vers une occupation utile et indépendante beaucoup de jeunes gens qui aujourd’hui, faute d’un genre d’instruction manquant en Belgique, poursuivent la carrière des emplois sollicités le plus souvent vainement par eux.
(page 771) Messieurs, dans les autres pays, les fermes modèles ou écoles d’agriculture bien conduites, couvrent presque entièrement par leurs produits les frais qu’elles occasionnent. Je ne doute nullement qu’il en soit de même en Belgique, et je ne pense pas que ces écoles deviennent une charge bien onéreuse pour l’Etat.
Messieurs, à notre époque de réformes sérieuses et utiles, nous devons vouloir que les connaissances agricoles se répandent parmi tous nos cultivateurs, et qu’elles fassent disparaître ces vieilles routines, ces vieilles conventions si contraires aux progrès de l’agriculture. Sous le rapport de l’enseignement rural, la Belgique est restée en arrière, et n’a rien fait ou presque rien fait encore. Cependant, en favorisant le développement de l’agriculture, on concourt à l’accroissement de l’une des principales branches de la fortune publique. C’est dans ce but de faire donner à une industrie aussi importante un encouragement qui lui manque encore, et d’être utile aux campagnards, que je prie M. le ministre de l'intérieur d’aviser, dans le projet de loi qu’il annonce devoir nous présenter, aux moyens d’établir des fermes modèles ou des écoles d’agriculture destinées à faire pénétrer l’enseignement agricole jusque sous les plus humbles chaumières.
M. de Theux – Messieurs, mon intention n’est pas de discuter ici des questions de personnes, mais seulement ce qui est d’utilité publique.
J’examinerai, messieurs, en peu de mots, ce qui a été fait en ce qui concerne l’enseignement vétérinaire et agricole, et ce qui me semble devoir être fait.
Sous le gouvernement des Pays-Bas, la Belgique n’était pas dotée d’un établissement vétérinaire ; c’est la Hollande qui avait le bonheur d’en posséder un.
Dans les premiers temps de la révolution, le gouvernement et les chambres avaient à s’occuper de choses beaucoup plus essentielles, de choses beaucoup plus urgentes. Les ressources du trésor étaient aussi très-limitées.
Vous vous rappellerez, messieurs, que ce n’est qu’en 1835 que l’on a pu parvenir à discuter la loi sur le haut enseignement, et vous comprendrez facilement qu’il fallait s’occuper du haut enseignement avant de s’occuper de l’enseignement vétérinaire.
En attendant, il se créa deux institutions libres pour l’enseignement vétérinaire : l’un à Bruxelles, l’autre à Liége. Celle de Bruxelles reçut successivement des subsides modiques de la part du gouvernement. L’établissement de Liége reçut les subsides de la commune et de la province.
Alors, messieurs, on ne réclamait pas encore des écoles d’enseignement agricole. Chacun était préoccupé de la nécessité de combler la lacune en ce qui concernait l’enseignement vétérinaire ; et, messieurs, cette opinion publique état bien justifiée par la nature des choses. Les études vétérinaires sont difficiles, sont longues. L’enseignement agricole, au contraire, est d’une nature bien moins compliquées et s’apprend surtout par la pratique.
En 1836, le gouvernement proposa à la législature l’acquisition des bâtiments situés à Cureghem et de divers terrains. C’est à partir de cette époque seulement que le gouvernement put intervenir dans l’enseignement vétérinaire.
Je n’ai pas besoin, messieurs, de revenir sur le choix du local. La question de l’acquisition des terrains situés à Cureghem a été longuement discutée dans cette chambre. On a fait valoir alors toutes les objections qui ont été reproduites dans la discussion de ce jour, et l’on a reconnu qu’à côté de quelques inconvénients qui pouvaient résulter d’inondations momentanées, l’établissement de Cureghem présentait des avantages de beaucoup supérieurs à ces inconvénients possibles.
En effet, il est facile de comprendre qu’aux portes de la capitale, de la principale ville du royaume, il y a infiniment plus de facilités pour la clinique vétérinaire qui est à coup sûr la partie tout à fait essentielle de l’enseignement.
Il fallait aussi tenir compte de cette circonstance, que les professeurs de l’école vétérinaire libre de Bruxelles avaient déjà pour eux l’expérience de l’enseignement et que ces messieurs n’eussent pas consenti à s’éloigner de la capitale. Ces deux circonstances réunies ont déterminé le choix du gouvernement ainsi que le vote des chambres.
On a objecté que dans les premières années on avait été trop facile pour admettre les jeunes gens à l’école. Cette objection peut avoir quelque fondement, et cependant elle n’a pas toute l’importance que certains honorables membres y ont attachée ; d’abord on ne peut en aucune manière comparer les études vétérinaires aux études universitaires, ainsi que l’a fait l’honorable préopinant. Il y a une distance immense ; l’école vétérinaire ne devait être fréquentée que par des jeunes gens des campagnes qui n’ont pas reçu la même instruction préliminaire que les jeunes qui fréquentent les universités. Une pareille comparaison est même tout à fait déplacée.
L’observation faite relativement à la faiblesse d’un certain nombre d’élèves, ne s’applique pas exclusivement à l’école vétérinaire. La même observation a été faite en ce qui concerne les universités, à tel point que l’on a agité longtemps la question de savoirs s’il ne conviendrait pas d’établir un jury pour examiner les élèves avant leur admission aux études universitaires.
Cette objection s’applique encore aux collèges, et ici la comparaison serait peut-être plus exacte ; dans toutes les collèges on s’est plaint de la faiblesse d’une grande partie des jeunes gens, qui influait d’une manière très-fâcheuse sur leurs progrès. On a cru remédier à ce mal en établissant dans beaucoup de collèges ce qu’on a appelé un enseignement préparatoire. On a pris cette mesure parce que l’enseignement primaire avait été reçu d’une manière incomplète par beaucoup de jeunes gens qui entraient au collège.
Indépendamment, messieurs, que cette objection est commune à tous les établissements d’enseignement moyen et supérieur, il y a encore une autre considération à présenter en ce qui concerne l’échec de quelques élèves devant le jury ; c’est que tous les jeunes gens n’ont pas le même degré d’intelligence, ni la même application. C’est ainsi qu’il sort annuellement des collèges un grand nombre de jeunes gens qui, certes, n’ont, en aucune manière, répondu à l’attente de leurs parents et de leurs professeurs. Devant le jury universitaire, il y a également de nombreux échecs. Ainsi, messieurs, quoi qu’on fasse, quelques mesures que l’on prenne, jamais tous les élèves d’un établissement ne profiteront convenablement de l’enseignement qui leur est donné.
Il faut encore, en ce qui concerne l’école vétérinaire, tenir compte de ce que, en Belgique, on ne parle pas une seule et même langue : il y a la langue française et la langue flamande qui partagent les habitants du pays en deux grandes divisions ; il y avait ensuite la langue allemande qui est parlée dans une partie du Luxembourg. De là la nécessité de donner à l’école vétérinaire quelques cours de langue, pour mettre l’éducation des élèves plus en rapport avec la profession de médecins vétérinaires, que vous avez en vue de relever.
L’empressement que l’on montrait pour les études vétérinaires et qui avait donné lieu à la création de deux écoles libres, cet empressement explique aussi la facilité que l’administration a montrée dans le principe, relativement à l’admission des élèves. On réclamait alors des artistes vétérinaires dans tout le pays ; le ministère de la guerre en réclamait en grand nombre pour l’armée. Ceci me fait arriver à l’observation de M. le ministre de l'intérieur sur le nombre des vétérinaires nécessaires dans les communes. Je pense que le calcul présenté par M. le ministre est trop restreint. M. le ministre pense qu’il suffit d’un vétérinaire pour huit communes. Je ferai d’abord remarquer qu’il n’a point distingué entre les villes et les campagnes ; cependant il y a dans chaque ville plusieurs vétérinaires. Ensuite, dans la campagne, même un vétérinaire est insuffisant pour huit communes. Cette insuffisance est démontrée par le fait signalé par M. le ministre, qu’il existe encore 1,314 empiriques. Si vous voulez faire cesser l’empirisme il ne suffit pas que vous exigiez que les vétérinaires soient diplômés, il faut encore les mettre à proximité des populations. J’insiste beaucoup sur ce point, parce que les secours de l’art vétérinaire sont souvent extrêmement urgents ; un remède doit être quelquefois appliqué instantanément sous peine de voir périr le bétail. D’un autre côté, si vous n’aviez qu’un seul vétérinaire pour 8 communes, il en résulterait qu’ils seraient très exigeants pour le salaire, et s’il en était ainsi, vous n’auriez pas atteint le but que vous avez en vue ; car les paysans reculent toujours devant la dépense. C’est à tel point que, dans les maladies graves qui atteignent le père ou la mère de famille, ils négligent souvent d’avoir en temps utile recours au médecin, à cause des frais qui en résultent. Cependant, il faut convenir que, pour un ménage, l’existence du chef de famille ou de la mère de famille, est bien autrement importante que l’existence d’un bœuf, d’une vache ou d’un cheval.
Ainsi, messieurs, si l’on veut véritablement venir au secours des cultivateurs en leur procurant de bons vétérinaires, il faut que ces vétérinaires soient en nombre suffisant pour qu’il y ait concurrence, et que le salaire ne soit pas trop élevé, et aussi pour que les secours soient toujours à proximité du mal.
On a dit, messieurs, qu’il n’y a ni loi ni règlement sur l’école vétérinaire. Ceci demande une explication : dès la même année où le gouvernement a acheté l’établissement de Cureghem et repris l’école vétérinaire, il a soumis à la chambre un projet de loi. Dans l’attente de la discussion de ce projet, le gouvernement s’est abstenu de prendre un arrêté organique de l’école, parce qu’il voulait baser cet arrêté sur la loi qui serait votée, ce qui était l’ordre logique à suivre.
Messieurs, à mon avis, la véritable cause de la décadence de l’école vétérinaire, c’est la zizanie, la division qui a existé entre les professeurs et même dans l’administration. Voilà ce qui explique parfaitement la décadence de l’école depuis quelques années. Cette remarque, j’y insiste d’autant plus que c’est là le grand danger de tous les établissements qui sont sous la direction du gouvernement, ce sera toujours là la véritable cause de la décadence ou du défaut de prospérité de ces établissements. Veuillez ne pas perdre de vue, messieurs, que les établissements qui ont une administration forte et indépendante, qui ne sont point livrés aux vues diverses des hauts administrateurs qui se succèdent dans le gouvernement, que ces établissements ont une marche plus assurée, que leur situation est plus prospère, qu’il y règne beaucoup plus d’harmonie. C’est ainsi que les collèges particuliers ont généralement un avantage sur les établissements publics, dont l’administration est plus ou moins tiraillée. Cette considération, messieurs, est d’une très-haute importance. Nous ne devons jamais la perdre de vue dans la discussion des lois que nous avons à voter sur l’enseignement.
L’honorable préopinant a parlé de certaines dépenses qui ont été faites, il a critiqué, entre autres, la construction d’un bâtiment pour le manège. L’honorable membre a perdu de vue que l’honorable M. Liedts, qui m’a succédé au ministère de l’intérieur, avait regardé le cours d’équitation comme étant d’une grande utilité pour l’école. Dès lors il fallait aussi un bâtiment pour le manège, car il ne peut pas y avoir de cours d’équitation sans bâtiment, au moins dans la mauvaise saison.
L’honorable membre a aussi critiqué le luxe de professeurs, mais là encore (page 772) il a perdu de vue que l’honorable M. Liedts a trouvé que le personnel enseignant était insuffisant, et qu’il a cru devoir y adjoindre quelques nouveaux membres. Vous voyez, messieurs, que les critiques sont contradictoires, et c’est la meilleure preuve de leur peu de fondement.
J’ai dit, messieurs, que je ne faisais pas ici une question de personnes. Je ne puis passer sous silence les critiques que l’honorable préopinant a adressées au premier administrateur de l’école vétérinaire. Mais j’ai été témoin de son zèle pour l’établissement, et je me fais un plaisir de lui rendre pleine justice. Son désir était d’administrer l’école avec autant d’économie que possible et de la faire prospérer autant qu’il était en lui.
S’il s’y est trouvé quelques défectuosités, c’est le sort de tous les établissements. Ainsi les universités mêmes qui sont organisées par une loi, qui sont l’objet constant des soins de l’administration, dont chacune a un administrateur exclusivement occupé de la faire prospérer autant que possible ; les universités mêmes ont donné lieu à des plaintes, on y a signalé des défectuosités qui ont fait demander déjà, à différentes reprises, la révision de la loi sur le haut enseignement. Ainsi, quoi que vous fassiez, jamais un établissement d’instruction public, dirigé par le gouvernement, ne sera dans des conditions parfaites, ni à l’abri de toute espèce de critique. Je n’en dirai pas davantage sur l’école vétérinaire.
M. le ministre de l'intérieur a dit qu’au point où les choses en sont aujourd’hui, il pensait que l’enseignement agricole devait devenir la partie principale de l’enseignement, que l’école vétérinaire ne devait plus être que l’accessoire.
Pour moi, je ne partage pas entièrement cet avis. Je crois que l’école vétérinaire n’a pas encore rempli toute sa mission, qu’il reste encore beaucoup de vétérinaires à former pour le bien-être de notre agriculture.
Du reste, on n’a jamais entendu que l’école vétérinaire, telle qu’elle était organisée, fût en même temps un établissement agricole parfait ; loin de là, mais j’ai cru qu’il était utile d’y faire donner quelques cours d’agriculture, parce qu’il était bon que les vétérinaires, qui sont tous les jours en rapport avec les cultivateurs, possédassent les principes élémentaires de la bonne culture, et qu’ils pussent faire part de leurs connaissances aux cultivateurs, et améliorer ainsi insensiblement les procédés agricoles.
Mais, messieurs, si l’on veut maintenant donner une impulsion toute spéciale à l’enseignement agricole, il ne suffit pas de créer une seule école à laquelle serait attachée, comme succursale, une école vétérinaire ; il faut un enseignement théorique, et pratique tout à la fois, et cet enseignement doit être établi, non pas dans une localité, mais dans plusieurs localités. L’honorable préopinant a demandé deux écoles d’agriculture. Si vous en établissiez deux, vous devriez en ériger encore un plus grand nombre. C’est, du reste, une question sur laquelle je ne veux pas me prononcer en ce moment, parce que, tout en reconnaissance les avantages de l’enseignement agricole, nous avons aussi à examiner les frais qui en résulteraient, le mode d’organisation, en un mot, toutes les questions qui se rattachent à cet enseignement.
Je dirai plus : si l’on veut entre dans la voie de l’enseignement agricole, il ne suffira pas d’avoir plusieurs établissements modèles, disséminés sur la surface du pays, situés dans des conditions adaptées spécialement aux diverses provinces, à la nature du sol, aux produits que l’on cultive dans les différentes parties du royaume ; mais alors il y aura d’autres mesures à prendre : l’enseignement primaire pourra venir utilement au secours de ces établissements agricoles, non-seulement au moyen des écoles normales, mais encore au moyen d’un grand nombre d’écoles communales, ainsi que cela se pratique en Allemagne, et particulièrement en Prusse, si je suis bien informé. Les institutions seraient fort à même de propager les connaissances agricoles.
Vous voyez que c’est un champ très-vaste qui n’est pas encore cultivé ; nous aurons à examiner ces graves questions ; mais je ne pense pas que ce soit le moment de les traiter ; elles sont assez importantes pour mériter une discussion toute particulière, très-approfondie ; il serait même à désirer, avant que la chambre entamât une pareille discussion que le gouvernement présentât ses vues à cet égard.
M. de Mérode – J’ai seulement un mot à dire sur les empiriques. Il me semble qu’il est impossible de défendre à un cultivateur de guérir ses animaux comme il l’entend. J’espère bien qu’aucun ministre n’imaginera d’interdire ce mode de guérison économique ; celui qui peut disposer de sa bête de toute manière, peut bien, je pense, la faire traiter comme il l’entend. (On rit.)
- La chambre remet la suite de la discussion à demain.