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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 12 février 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 773) (Présidence de M. Liedts)

M. Huveners procède à l’appel nominal à midi et quart.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le sieur Collins et autres membres du comité de l’industrie linière à Aerseel, demandent que des négociations soient ouvertes avec la France pour obtenir le retrait de l’amendement de Lespaul. »

- Renvoi à la commission d’industrie.


« Le sieur Belu et autres membres de la commission des charbonnages liégeois présentent des observations concernant le projet de loi de crédit et de concession pour l’exécution de divers travaux publics. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée de l’examen du projet.


« Le sieur de Corswarem, ancien surveillant en chef du domaine pour les routes et canaux du quatrième ressort, privé de ses fonctions en 1830, par suite de la suppression d’emploi, demande une pension. »

- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur la pension des fonctionnaires qui ont perdu leurs emplois par suite de la révolution.


« Les médecins-chirurgiens et accoucheurs domiciliés à Enghien et dans les environs demandent l’abolition de l’impôt patente auquel sont assujettis ceux qui exercent l’une des branches de l’art de guérir. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée de l’examen du projet de loi sur les patentes.


« Les ouvriers employés dans les fabriques de sucre de betteraves à Farcienne, Heylessens et Donceel présentent des observations contre les pétitions qui tendent à faire réviser la loi des sucres. »

M. de Renesse – Les pétitions dont on vient de faire l’analyse vous sont adressées par les ouvriers de trois fabriques qui n’avaient pas encore pétitionné. Ce sont les ouvriers de la fabrique de Farcienne près de Charleroy, de celle de Heylessens près Tirlemont, et de celle de Donceel dans la province de Liége ; ils demandent qu’on ait égard à leur position et qu’on ne sacrifie pas leurs intérêts à ceux d’une industrie rivale.

Je demande le renvoi de ces pétitions à la commission d’industrie.

- Ce renvoi est ordonné.


« Par message en date du 19 février, le sénat renvoi à la chambre la demande en naturalisation ordinaire du sieur A-B. Maillet qu’il a prise en considération. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Il est fait hommage à la chambre, par M. Arhendt, de son ouvrage sur la neutralité de la Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.


- M. d’Hoffschmidt remplace M. Liedts au fauteuil.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l'exercice 1845

Discussion du tableau des crédits

Chapitre X. Ecole de médecine vétérinaire; société d’horticulture de Bruxelles

Article premier

M. le président – Nous en étions restés à l’art. 1er du chap. X relatif à l’école de médecine vétérinaire et d’agriculture.

M. de Man d’Attenrode – Messieurs, hier j’ai demandé la parole pour dire quelques mots à la suite du discours de l’honorable député d’Audenarde.

C’est avec une véritable hésitation, c’est avec répugnance, que j’ai appelé votre attention sur quelques actes posés par cet honorable collègue, pendant sa courte administration ; il a fallu me rappeler que j’avais un devoir à remplir pour m’y décider ; car personne plus que moi dans cette chambre ne professe plus d’estime pour les bonnes intentions de notre honorable président.

Je suis d’ailleurs convaincu que sa religion a été surprise, et que si son administration se fût prolongée davantage, il eût su démêler le bon grain de l’ivraie, faire prévaloir le bien, et fonder solidement les études vétérinaires et agricoles.

Maintenant je dirai quelques mots à la suite du discours de M. le ministre de l'intérieur.

Toute son argumentation pour faire rejeter la proposition de la section centrale a été fondée sur ce que cette commission ne proposait un crédit de trois mois, que pour obliger le gouvernement à se décider sur la question de savoir si l’établissement devait être en même temps vétérinaire et agricole ; si l’enseignement agricole devait y dominer, si l’établissement ne devait pas être déplacé.

Quant à la question de l’enseignement, quant à celle de la discipline, il en a été à peine fait mention.

L’école est, nous a dit M. le ministre, ce qu’elle a toujours été ; c’est une chose bonne à savoir, car il est une époque où elle ne marchait pas mal. Quant à la discipline, il a fait cesser, nous a-t-il dit, les abus ; je me permettrai de lui demander quels sont les abus qu’il a réformés ?

Je pense, quant à moi, que la question de l’enseignement et de la discipline a été traitée d’une manière si étendue dans le rapport du jury, qu’il en a fait un tableau si étrange qu je suis fondé à croire que ce tableau aura contribué pour beaucoup à faire prendre à la section centrale le parti de ne nous proposer qu’un crédit de 3 mois. Elle a compris que le provisoire n’était plus tolérable, qu’il y avait lieu de tirer le gouvernement de son inaction et de son insouciance pour les détails de l’administration, détails qui touchent de si près aux intérêts des contribuables.

La section centrale a été encore frappée de la circonstance suivante : le département de l’intérieur renvoie tous les défauts d’organisation à l’administration antérieure ; or, cette administration a cessé d’exister depuis plus de 5 années, celle qui l’a remplacée a eu carte blanche, a fait tout ce qu’elle a voulu ; et qu’a-t-elle fait pour y remédier ? Rien du tout.

La section centrale s’est rappelé enfin que le gouvernement nous promet tous les ans un projet de loi d’organisation, le rapport de la section centrale de l’année dernière en fait foi, et que tous les ans, comme aujourd’hui, ce projet est ajourné à l’année suivante.

Veuillez remarquer, messieurs, que si vous votez l’allocation demandée par le gouvernement, vous lui accordez les fonds nécessaires non-seulement pour continuer l’année scolaire de 1844-1845, mais même pour l’année 1845-1846.

Au reste, j’espère que le rapporteur de la section centrale ne tardera pas à s’expliquer, qu’il développera la proposition de la commission dont il est l’organe.

Dans la séance d’hier, M. le ministre de l'intérieur a témoigné le regret de ce que je ne me sois pas appesanti davantage sur la question de l’enseignement agricole et vétérinaire. Il me semble que M. le ministre pourrait se passer de mes observations, car il paraît avoir ses opinions toutes faites sur ces questions, qu’il a traités longuement.

D’après les paroles qu’il a prononcées, M. le ministre paraît donner la préférence à la réunion de l’enseignement agricole et vétérinaire ; il semble vouloir faire prédominer l’enseignement agricole dans cet établissement et être peu favorable à l’emplacement de Cureghem. J’ai même lieu de croire que le gouvernement songe à transférer l’école vétérinaire ailleurs, et qu’il se propose d’acquérir à cet effet une vaste propriété située à Waterloo.

Je viens même d’apprendre qu’il a été sursis à la vente de cette propriété afin de lui donner la possibilité de l’acquérir. La combinaison dont il est question consisterait à réunir le dépôt d’étalons de Tervueren, qui ne peut pas continuer à rester où il est, à l’école vétérinaire, et d’y ajouter une école d’enseignement agricole. Cette combinaison ne me paraît pas heureuse ; il me semble qu’il serait dangereux de placer à côté d’un dépôt de chevaux malades un dépôt de chevaux de prix qui vaut quelques cent mille francs, et qui pourrait être infesté par un voisinage semblable. On y joindrait encore, pour l’enseignement agricole, une ferme modèle.

Cette adjonction ne paraît pas plus heureuse que la précédente, car une école vétérinaire doit être située près d’une grande ville et une ferme modèle demande à être placée à la campagne. Au reste, j’ignore s’il s’agit ici d’une ferme expérimentale ou d’une ferme modèle, car il y a une grande différence entre les établissements : ils sont d’une nature différente et ne sont pas appelés à remplir le même but.

Ces observations me conduisent à dire quelques mots de la ferme expérimentale annexée à l’école, et qui est située à une demi-lieue de la capitale. Je demanderai d’abord à M. le ministre de l’intérieur pour quel motif il a consenti à louer chèrement l’année dernière, de nouvelles terres, alors qu’il paraît avoir l’intention de transférer ailleurs l’enseignement agricole. Pourquoi fait-on tant de dépenses pour cette ferme expérimentale, alors que l’enseignement agricole, dont cette ferme est l’annexe, est si peu complet ; car l’enseignement ne se compose que d’un professeur et de dix élèves ; et nous avons une ferme expérimentale qui nous coûte beaucoup d’argent, et dont la direction est défectueuse, parce qu’elle est partagée.

Des terres ont été louées en 1841, on en a loué encore l’année dernière, comme je viens de le faire remarquer. Ces terres sont d’une qualité très-inférieure et elles ont été louées à des prix très-élevés.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Quels prix ?

M. de Man d’Attenrode – Je vais vous le dire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ce sont les prix des environs de Bruxelles.

M. de Man d’Attenrode – Eh bien, le gouvernement a loué l’année dernière cinq hectares d’assez mauvaises terres pour 860 fr., c’est-à-dire 172 fr l’hectare ; nous possédons des terres dans les environs de Bruxelles et nous sommes très-heureux quand nous pouvons obtenir 100 fr. M. le ministre trouve que ce prix est modéré ; quant à moi, je ne puis trouver qu’il en soit ainsi, surtout quand il s’agit de terres médiocres.

Hier, je suis entré dans quelques détails personnels, avec hésitation ; mais puisque je suis entré dans cette voie, je citerai encore un fait qui vous fera apprécier la conduite de l’administration. Il existait au haras de Tervueren un régisseur ; ce régisseur paraissait suffisant pour remplir ses fonctions qui se bornaient à l’achat de fourrages, à régler la nourriture des chevaux et à surveiller les palefreniers du dépôt d’étalons. Cette place était convoité. Que fit-on On le déplaça ; on lui donna les fonctions de régisseur de l’école expérimentale alors que ces fonctions exigeaient des connaissances spéciales, une capacité beaucoup plus grande ; à peine y est-il nommé, qu’on reconnut (page 774) qu’il était incapable de remplir cette nouvelle charge. On était à même cependant de le savoir plus tôt. Qu’a-t-on fait alors ? On l’a renvoyé chez lui et on lui a maintenu son traitement de 2,500 fr. Je n’en dirai pas davantage, pour le moment ; j’attendrai les explications de l’honorable rapporteur de la section centrale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – On pourrait résumer en ces termes tout ce qui a été dit depuis hier sur l’école vétérinaire : tout ce qui s’est fait avant 1840 était bien ; tout ce qui s’est fait depuis cette époque est mal. Je crois qu’il y a de l’exagération des deux côtés ; on pousse l’exagération en faveur de ce qui s’est fait avant 1840, jusqu’à tout approuver indistinctement, y compris le choix de l’emplacement. J’oserai dire, sans vouloir critiquer personne, car la critique retomberait sur nous tous, sur les deux chambres, que l’idée d’avoir une école agricole et vétérinaire aux portes de Bruxelles, dans l’emplacement de Cureghem, a été une idée malheureuse. Je ne veux pas dire qu’il faille aujourd’hui enlever cette école du lieu où elle se trouve. Nous aurons à examiner jusqu’à quel point il faut respecter ce fait malheureusement accompli.

On dirait que si on expulsait deux professeurs nommés en 1840, et si on rendait l’omnipotence au fonctionnaire supérieur qui, jusqu’en 1840, l’a exercée, tout serait bien. Je pense que quand même vous expulseriez les deux professeurs contre la nomination desquels on continue mal à propos de protester, si vous rendiez l’omnipotence à l’ancien fonctionnaire qui administrait souverainement en l’absence de tout règlement intérieur, la question ne serait pas résolue. Cette question ne peut pas se résoudre avec cette facilité : c’est pourquoi je demande très-modestement un délai. Je ne demande pas ce délai pour rétablir la discipline dans l’école, car j’ai déjà pris des mesures à cet effet ; et je désire que ces mesures ne soient pas quelque peu contrariées par certains détails qu’on a cru devoir mêler à la discussion d’hier et d’aujourd’hui. La discipline doit être rétablie, la surveillance doit être réelle ; il faut que tous les cours prescrits soient réellement donnés. C’est là un des griefs articulés par le rapport du jury.

Reste une autre question, celle de l’enseignement vétérinaire et agricole, et ensuite celle du maintien de l’emplacement actuel. Ce sont là les deux grandes questions qu’il est impossible de résoudre d’ici au 1er avril.

Je répéterai la déclaration que j’ai faite que, pour tout ce qui tient à la discipline, à la manière dont les cours sont donnés, j’ai trouvé les mesures urgentes ; je m’en suis déjà occupé, je m’en occupe encore. Quant aux deux autres questions, il n’est pas possible de les résoudre d’ici au 1er avril.

Je crois que la chambre agira sagement en accordant, comme les années précédentes le crédit nécessaire…

M. de Brouckere – On ne fera pas d’acquisition ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est évident, il faut une loi pour faire des acquisitions. Le gouvernement ne doit pas rendre compte des démarches faites, des combinaisons diverses qu’il peut examiner. Si on s’arrête à une combinaison, vous serez saisis d’un projet de loi sur lequel vous aurez toute votre liberté d’action. Mais de même que vous devez laisser toute liberté au gouvernement pour examiner et rechercher ce qu’il croit le plus convenable.

Il me serait impossible de répondre aux détails dans lesquels est entré l’honorable M. de Man. Beaucoup de propositions sont faites au gouvernement ; l’idée est répandue, à tort peut-être, qu’on quittera Cureghem ; à proximité de Bruxelles comme à une certaine distance, on va faire au gouvernement des propositions ; nous les examinerons ; si le gouvernement en accepte une, la chambre sera saisie d’un projet de loi ; mais, nous le déclarons d’avance, la chambre restera libre dans son vote ; qu’on nous laisse libre dans l’examen que nous avons à faire.

On a annexé à l’école vétérinaire une ferme expérimentale ; pour que l’établissement méritât son titre d’école vétérinaire et agricole, il fallait qu’il y eût une ferme expérimentale.

On a beaucoup exagéré la dépense de cette ferme ; elle n’est en déduisant les frais, que de 6 à 7,000 francs. Il y a 25 hectares loués, en moyenne 130 francs par hectare ; il y en a qui sont loués plus cher, d’autres qui sont loués moins cher. Voilà les chiffres que j’ai sous les yeux.

Cette ferme expérimentale est un essai ; tout l’établissement de Cureghem est un essai. (Interruption.) Oui, tout l’établissement de Cureghem est un essai ; si l’on abandonne l’établissement, on pourra vendre assez avantageusement l’emplacement et les bâtiments. C’est une question que le gouvernement doit examiner. Si l’établissement de Cureghem pouvait être vendu sans grande perte, la question du déplacement de l’établissement…

M. de Garcia – Deviendrait fort simple.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Sans doute.

Il faut que le gouvernement examine mûrement toutes ces questions. Dès lors il est impossible de mettre le gouvernement au pied du mur, en votant un crédit pour trois mois. Ce serait d’ailleurs vous mettre dans un grand embarras ; comment la chambre pourrait-elle statuer avant le 1er avril ? ou bien veut-on que le gouvernement réorganise l’école par arrêté ? Il faut sortir du régime des arrêtés ; il faut une organisation définitive ; il n’est de possible que par une loi.

Pendant cette session, on pourrait s’occuper de l’une de ces lois : la loi sur l’exercice de l’école vétérinaire. C’est peut-être par là qu’il faudrait commencer. Car si vous adoptez l’opinion qu’a exprimée hier l’honorable M. de Mérode que l’exercice de l’art vétérinaire doit être libre…

M. Lesoinne – Il serait inutile d’avoir une école vétérinaire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ce serait moins nécessaire.

Je m’occupe de cette loi. J’ai consulté à cet égard l’Académie de médecine. Peut-être dans quelques jours serai-je à même de vous saisir d’un nouveau projet de loi ; projet correspondant au titre dernier du projet présenté par l’honorable M. de Theux en décembre 1836.

S’il y avait une loi, l’école vétérinaire serait immédiatement peuplée ; il y aurait alors avantage à avoir un véritable diplôme, à être véritablement vétérinaire. Si l’on veut rester dans l’espèce d’état dénaturé où l’on est, en absence de toute loi, si l’on adoptait l’opinion de l’honorable M. de Mérode, qui tend à proscrire toute loi, un établissement vétérinaire deviendrait moins nécessaire.

Il est impossible de songer, cette session, à régler l’enseignement agricole et vétérinaire, soit qu’on réunisse les deux enseignements, soit qu’on maintienne l’école vétérinaire actuelle, soit que l’on crée un établissement agricole distinct ; il est impossible, dis-je, de décider cette question pendant cette session.

Il est une question dont on pourrait s’occuper ; c’est l’exercice de l’art vétérinaire. Peut-être serai-je à même dans quelques jours de vous saisir de ce projet de loi.

M. Maertens, rapporteur – Je ne suivrai pas les honorables membres, qui ont parlé hier, sur le terrain où ils se sont placés. Je n’examinerai pas les causes qui ont amené l’état de décadence de l’école vétérinaire. Je ne rechercherai pas si cet état doit être attribué à l’administration de tels et tels ministres qui ont passé successivement au pouvoir.

Toutes ces discussions, qui dégénèrent souvent en questions de personnes, ne produisent jamais aucun résultat pour le bien du pays.

Ma tâche, à moi, messieurs, se bornera à établir l’état désastreux dans lequel se trouve actuellement cet établissement, et, ce fait établi, j’aurai justifié les conclusions prises par la section centrale.

Ces conclusions, comme vous le savez, messieurs, ont été arrêtées le 7 décembre dernier. Mon rapport porte cette date et il a été imprimé immédiatement après. Il conclut à n’allouer au gouvernement que le crédit nécessaire pour les trois premiers mois de l’exercice courant et en même temps la section centrale invitait le gouvernement à fournir un rapport complet sur l’état de cet établissement.

La section centrale n’avait sous les yeux que le rapport du jury d’examen qui constatait des abus graves que l’on rencontrait dans l’établissement. M. le ministre de l'intérieur, dans les notes qu’il a remises à la section centrale, lui fit connaître que ce rapport n’était que la première pièce d’une enquête qu’il poursuivait activement. Or, messieurs, la section centrale a désiré que M. le ministre complétât cette enquête, non pas pour savoir quelles étaient les modifications à apporter plus tard dans l’organisation de l’école agricole et vétérinaire, non pas pour savoir s’il fallait placer ailleurs cet établissement, mais pour connaître exactement son état actuel, et en même temps pour qu’il marchât d’une manière quelque peu convenable pendant le courant de cet exercice.

M. le ministre, qui a eu deux mois devant lui depuis cette époque, n’a pas voulu compléter cette enquête, n’a pas voulu indiquer ces mesures. Ce n’est pas à nous, mais à lui que la faute doit être imputée.

Je sais bien que, par ce refus de M. le ministre, l’état des choses est quelque peu changé. Déjà maintenant nous sommes au milieu du mois de février, et il ne resterait plus que quelques jours pour achever le travail ; mais il est à remarquer qu’il aurait pu être terminé depuis longtemps ; car M. le ministre était saisi du rapport du jury d’examen depuis le mois de septembre ; la section centrale lui a adressé sa demande le 7 décembre dernier, de manière qu’il a eu tout le temps qu’il lui fallait, s’il avait voulu satisfaire aux désirs de la section centrale, et, s’il y avait satisfait, la chambre pourrait se prononcer aujourd’hui en connaissance de cause, ce qu’elle ne pourra faire, puisque d’un côté il y a eu des assertions et de l’autre des dénégations.

Quoi qu’il en soit, chargé de soutenir les conclusions de la section centrale, et ayant entièrement partagé son opinion, je dois à la chambre de lui faire connaître les motifs qui ont déterminé son opinion. Pour le faire, je serai obligé de vous donner quelques extraits du rapport du jury d’examen. Je tâcherai de laisser de côté tout ce qui pourrait paraître personnel. Je ne m’attacherai qu’à des faits matériels, et certes des faits matériels paraîtront d’autant plus concluants qu’ils ne peuvent jamais être imputés à la partialité.

D’abord, messieurs, je vais vous faire connaître les résultats des examens subis au mois d’août dernier. Vous allez juger par là des progrès que l’on fait dans cette école.

19 élèves se sont fait inscrire pour subir les examens ; 16 seulement se sont présentés. Sur ces 16, un seul a été admis avec distinction, et cet élève avait déjà, l’année dernière, subi son examen d’une manière satisfaisante. Des 15 autres, deux ont été admis d’une manière satisfaisante. Quant aux 13 restants, 10 ont été ajournés et 3 on été rejetés définitivement. Et remarquez-le, messieurs, la décision du jury sur ces examens a été unanime.

Vous voyez par là les progrès que l’on fait à l’école de médecine vétérinaire, qui d’abord a coûté des sommes immenses au trésor, et qui, d’un autre côté, coûte des sommes également considérables aux pères de famille qui ont la bonhomie d’y envoyer leurs enfants.

Quand je parcours, plus loin, le rapport du jury d’examen, je trouve ce qui suit :

« L’école vétérinaire et d’agriculture de l’Etat, dans les conditions d’hommes et de choses où se trouve cet établissement, ne répond pas au but de son institution.

« Telle est l’opinion unanime du jury, elle résulte de l’ignorance des élèves, lesquels n’ont pu être interrogés que sur une faible partie du (page 775) programme. Ce programme n’est qu’un grand mensonge, une déception. Répandu et affiché partout, il a déterminé un grand nombre de familles à envoyer leurs enfants à l’école vétérinaire et agricole de Bruxelles, dans l’espérance de leur voir acquérir les connaissances promises avec tant d’emphase. Ces familles se sont imposées des sacrifices en pure perte ; car, d’un côté, l’enseignement agricole n’y existe pas, et d’un autre côté, sous le rapport de l’instruction vétérinaire, cet établissement ne produira que des sujets augmentant le nombre déjà trop grand d’empiriques, fléau des campagnes. »

Le rapport continue et porte :

« M. le ministre a recommandé de la sévérité dans la délivrance des diplômes, en faisant remarquer au jury que, dans l’intérêt de l’agriculture, on ne devait délivrer ces titres qu’aux personnes qui sont réellement dignes de les obtenir.

« Le jury n’a pu se conformer à cette recommandation, parce qu’en déployant une apparence de sévérité, il n’aurait obtenu aucune réponse. Par conséquent, il a dû se borner à interroger les candidats sur les premiers éléments de quelques cours du programme. »

Et encore, comme je l’ai dit plus haut, sur seize candidats qui se sont présentés, trois seulement ont obtenu le diplôme.

« Plusieurs élèves ont déclaré oralement et par écrit que des cours n’avaient point été donnés ou ne l’avaient été que d’une manière incomplète et souvent irrégulière. Les examens confirmaient ces déclarations.

« L’enseignement repose moins sur la théorie que sur la routine.

« Tous les élèves sont étrangers aux notions les plus vulgaires d’anatomie pathologique. On n’a jamais enseigné le cours important sur lequel repose l’étude de la physiologie et de la pathologie. »

Voilà pour les connaissances ; voyons maintenant ce qui en est du régime de l’école :

« Le jury a visité l’établissement. Il n’est clos de nulle part, et cette absence de clôture a des conséquences sérieuses sur la discipline.

« La malpropreté, le désordre semblent y avoir fixé leur domicile (les écuries et la pharmacie exceptées) : il n’y a ni direction ni subordination, tout flotte au hasard. Des faits matériels, les inconvénients passent dans l’ordre intellectuel. L’esprit des élèves s’en ressent, ainsi que leurs études ; leurs réponses l’ont prouvé.

« On voit à regret un cabaret établi dans une institution scientifique, comme un appel, une provocation aux plus funestes habitudes : la paresse, l’ivrognerie, le jeu.

« Les collections scientifiques se bornent aux objets d’histoire naturelle que le gouvernement a donnés à l’école ; aucune préparation anatomique ne s’y trouve.

« Malgré l’active surveillance du jury, les réponses aux questions écrites ont été glissées frauduleusement dans la salle où étaient renfermés les candidats. »

Passons maintenant à la manière dont les cours sont donnés :

« Physique et chimie – Absence de connaissances et de moyens de les acquérir dans l’établissement. Les élèves en ignorent les premiers éléments : leurs réponses ont révélé leur incapacité de la manière la plus déplorable.

« Botanique – Les questions les plus élémentaires n’ont pu être résolues par les élèves. Le jardin se trouve dans un désordre complet, les plantes manquent d’étiquettes, leur classification est vicieuse.

« Anatomie – Tous les élèves ont montré une faiblesse désespérante sur ce cours important.

« Physiologie – Les réponses des élèves ont prouvé qu’ils étaient étrangers à une partie de la physiologie : ils ont été presque tous dans l’impossibilité de donner une explication satisfaisante sur les autres parties. Aucun n’a obtenu vingt points sur le maximum fixé à quarante.

« Pathologie générale et spéciale – C’est particulièrement sur ces deux cours que le jury a été frappé de l’ignorance des élèves. Ils ne connaissent pas seulement la valeur des expressions reçues en pathologie. Ils n’ont aucune notion de la thérapeutique générale ou spéciale. Il est tel des élèves qui, après avoir passé cinq ou six années à l’école, se trouve à peine au niveau du plus grossier empirique. »

Et le rapport conclut en disant :

« Il paraît que toutes les connaissances se bornent à savoir forger des fers et à ferrer des chevaux, au simple métier de maréchal.

« En présence de cet état de choses, le gouvernement ne peut rester inactif sans se rendre complice d’une mystification scientifique, qui dure depuis trop longtemps. »

Eh bien, messieurs, je déclare, au nom de la section centrale, qu’elle n’a pas voulu, elle, rester complice d’un semblable état de choses, et comme il a été dit que ce rapport n’était que le commencement d’une enquête, la section centrale a cru qu’en donnant deux mois au gouvernement il aurait le temps d’achever cette enquête, de vérifier tous les faits et de rechercher les moyens de faire cesser un état de choses aussi déplorable, de rechercher au moins quelles sont les mesures qu’il est nécessaire, indispensable, de prendre immédiatement. Voilà, messieurs, les motifs qui ont déterminé la section centrale à n’allouer que les fonds nécessaires pendant le premier trimestre de l’année.

Je tenais à donner ces explications à la chambre ; elle pourra maintenant non pas se prononcer en connaissance de cause, mais discuter en connaissance de cause.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, dans ce rapport dont l’honorable membre vient de lire une partie, il y a plusieurs faits qui sont vrais, qui sont constatés depuis nombre d’années. Il y a des cours qui ne sont pas donnés ; mes prédécesseurs et moi nous avons exigé qu’ils le fussent. C’était là le reproche le plus grave qu’on pût adresser à l’établissement ; aussi nous avons pris toutes les mesures nécessaires pour faire cesser cet abus.

Le deuxième reproche qui a été fait concerne le désordre qui semble régner dans l’établissement ; nous avons également pris des mesures pour que ce désordre vînt à cesser ; pour que l’école vétérinaire présentât le caractère de propreté que tout établissement, que toute habitation doit présenter.

J’ai autrefois vu l’école vétérinaire très-souvent ; j’ai été la voir notamment quand je m’occupais de la station des Bogards ; eh bien, messieurs, alors l’établissement était ce qu’il est aujourd’hui.

Depuis nombre d’années, on s’y prenait d’une manière fort singulière pour mettre les élèves à même de répondre aux questions qui leur étaient faites. Le moyen qu’on employait à cet effet, se trouve indiqué dans le rapport de la section centrale. La chose est vraiment curieuse. Les examens se faisaient dans une pièce au-dessus d’une cave ; on avait pratiqué des trous dans le plancher, et des personnes obligeantes, placées dans la cave, glissaient les réponses au travers de ces trous et les faisaient ainsi arriver aux élèves. Ce fait on l’a constaté cette année pour la première fois. J’avais prescrit au jury d’être très-sévère et il l’a été. Je connaissait indirectement plusieurs de ces faits, ils m’étaient dénoncés, mais je n’en avais pas la certitude ; je les ai fait constater.

Il se trouve maintenant que c’est le jury et moi qui sommes les grands coupables, parce que nous avons fait constater certains abus qui n’étaient que trop réels. J’ai donné des instructions pour faire cesser ces abus ; ces instructions ont été données même avant que le rapport du jury eût été communiqué à la section centrale.

Maintenant faut-il faire des clôtures, faut-il faire de nouvelles dépenses à un établissement que l’on devra peut-être déplacer ? Je ne le pense pas pour le moment. Tout ce qu’on peut faire maintenant c’est de prendre les mesures nécessaires pour que les cours soient bien donnés et pour qu’il y ait une véritable discipline.

M. de Brouckere – Pourquoi n’y a-t-il pas une commission administrative comme il y en a partout ? On n’en a jamais voulu.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’ai maintenu ce qui a été fait en 1840. J’ignore si, lorsqu’il y aurait une commission, on serait plus heureux.

(page 785) M. de Naeyer – Messieurs, mon intention n’est pas de parler de l’école de Cureghem, d’examiner s’il est vrai qu’elle se trouve dans l’état de décadence qui a été signalé par quelques orateurs, ni de rechercher les causes de cette décadence. Je désire soumettre à la chambre quelques observations sur la nécessité d’organiser enfin, en Belgique, l’enseignement agricole.

Dans la discussion politique qui a précédé la discussion des articles du budget de l’intérieur, j’ai eu l’occasion d’attirer l’attention de la chambre sur l’importance de notre agriculture. Mon intention n’est pas d’entrer de nouveaux dans de longs développements à cet égard. Je me contenterai de dire qu’on ne peut refuser à notre agriculture le premier rang parmi les industries du pays, lorsqu’on considère l’importance des capitaux qu’elle emploie, l’importance des valeurs qu’elle crée annuellement, le nombre des ouvriers auxquels elle procure du travail, le montant des impôts qu’elle verse au trésor public et le contingent qu’elle fournit chaque année à notre armée ; il est même vrai de dire que, sous ces différents rapports, l’agriculture a plus d’importance que toutes les autres industries réunies. Pour être justes envers l’agriculture, nous devons donc l’envisager, comme le premier et le plus puissant des intérêts matériels du pays, digne avant tout de la sollicitude du pouvoir et de la représentation nationale. Aussi cette vérité est généralement comprise par tout le monde. Je n’en veux d’autre preuve que la discussion même que nous consacrons depuis plusieurs jours à nos intérêts agricoles.

L’attention de la chambre a été spécialement fixée sur deux moyens de venir en aide à l’agriculture, la protection du tarif de douanes et l’amélioration de la voirie vicinale. Nous avons à nous occuper pour le moment d’un troisième moyen qui me paraît aussi de la plus haute importance, savoir : l’enseignement agricole.

On a compris depuis longtemps les immenses services que les sciences naturelles et physiques peuvent rendre dans leur application aux industries en général. C’est pour cela qu’on s’est efforcé avec un zèle bien louable de répandre l’enseignement industriel dans nos principaux centres de production manufacturière. Dans la loi sur l’enseignement supérieur, il est dit formellement que les universités de l’Etat doivent être organisées de manière à fournir l’instruction nécessaire pour les arts, les manufactures, les mines, les constructions nautiques et civiles. Deux écoles industrielles, subventionnées par le trésor public, sont établies dans le pays : l’une à Verviers, l’autre à Liége. Le gouvernement encourage en outre, au moyen de subsides, un grand nombre d’académies de dessin. Les athénées établis dans les principales villes, les collèges, les pensionnats sont aujourd’hui divisés en deux sections dont l’une est spécialement destinée à former des industriels versés dans toutes les sciences qui peuvent être utiles pour l’exercice de leur profession. Il est constant que ces divers moyens d’instruction industrielle, produisent les résultats les plus favorables aux progrès de nos industries. Malheureusement, il n’en est pas de même pour l’agriculture, l’enseignement scientifique est resté jusqu’ici complètement étranger à cette grande industrie. Toutes les autres industries son placées sous la direction éclairée de la science. L’agriculture seule est encore abandonnée à l’aveugle routine.

Cette triste vérité a été avouée hier par M. le ministre de l'intérieur. Il a reconnu ce que nous savions déjà, que l’enseignement de l’agronomie est à peu près nul en Belgique, puisque l’école de Cureghem, seul établissement de ce genre que nous possédions, n’a servi jusqu’ici qu’à former des médecins vétérinaires. Cet aveu, il faut le reconnaître, n’est guère flatteur pour l’administration de M. le ministre de l'intérieur, alors que depuis quatre ans l’agriculture est placée dans ses attributions.

Messieurs, cette absence de tout enseignement agricole est d’autant plus déplorable que, parmi toutes les industries, il n’en est aucune qui puisse tirer du concours des sciences physiques et naturelles des avantages aussi considérables que l’agriculture, et la raison en est évidente.

En effet, l’agriculture consiste essentiellement dans une application journalière, continuelle, de presque toutes les lois de la nature organique et inorganique ; dès lors, il est clair comme le jour que la connaissance raisonnée, scientifique de ces lois, est d’une utilité incontestable pour l’agriculture et que rien n’est plus propre pour la mettre à même de tirer chaque jour de nouveaux trésors de la terre, d’augmenter sans cesse la somme de ses produits, tout en diminuant la proportion de ses frais de production. Il suffit d’ailleurs d’examiner très-rapidement quelques-unes des opérations de l’agriculture pour demeurer convaincu que sans cesse les sciences naturelles et physiques sont appelées à rendre les services les plus éminents à cette grande industrie ; c’est ainsi que, pour apprécier avec pleine connaissance de cause la nature des terrains, pour amender le sol en corrigeant les vices et les défectuosités de sa composition, pour la formation, la conservation, l’emploi des engrais qui jouent un si grand rôle dans l’agriculture, pour perfectionner les instruments aratoires destinés à rendre le travail moins pénible et moins coûteux, pour régler les assolements qui ont pour objet de laisser reposer, alors même qu’elle produit, l’agriculteur peut puiser les notions les plus utiles, je dirai même les plus indispensables dans les principes consacrés par la physique, par la chimie, par la dynamique, par la botanique, par la physiologie végétale ; s’il a le malheur d’être complètement étranger à ces sciences, il marche en aveugle, incapable de faire des essais et des expériences par lui-même ; une routine opiniâtre lui fait encore très-souvent repousser les découvertes et les inventions les plus utiles.

Quant à l’élève du bétail, quant à l’amélioration de la race des animaux domestiques, combien n’est-il pas nécessaire, combien n’est-il pas indispensable que les principes de la science zoologique puissent recevoir leur application dans les exploitations agricoles ? On s’est plaint souvent du peu de résultats obtenus par les types régénérateurs que le gouvernement fait acheter à grands frais en pays étrangers ; on a même soutenu que l’utilité de ces mesures n’est pas proportionnée aux dépenses qu’elles entraînent Messieurs je veux bien admettre que le choix peu judicieux de ces types régénérateurs peut avoir contribué à faire naître ces plaintes ; mais si l’on veut être juste, il faut aussi reconnaître que l’insuccès doit être aussi attribué en grande partie aux préjugés contre toute innovation, à l’esprit de routine qui règne dans la plupart des communes rurales, et à l’absence de toute science zoologique parmi la plupart de nos cultivateurs. Il me serait facile de multiplier ces considérations de détails pour demander de plus en plus la grande influence que les sciences peuvent exercer sur l’avenir et sur les progrès de notre agriculture ; mais je craindrais d’abuser de l’indulgence en insistant davantage pour établir cette vérité, qui me paraît (page 786) de la dernière évidence ; qu’il me soit permis cependant de rencontrer aussi brièvement que possible certaines objections que j’ai entendu faire assez souvent par des personnes très-zélées pour l’agriculture, mais qui n’attachent pas à l’enseignement agricole la haute importance qu’on lui reconnaît généralement aujourd’hui.

Ces personnes vous diront qu’en agriculture, la pratique fait tout, que la théorie n’est pas si nécessaire, qu’elle reste, en général, stérile en résultats utiles. Cette objection est fondée sur une vérité ; c’est qu’un enseignement agricole qui serait purement théorique serait une absurdité. La raison en est bien simple, l’agriculture est une science pratique et d’application ; l’isoler de la pratique, ce serait la dénaturer complètement, cela reviendrait à enseigner la musique instrumentale sans instrument. Ce serait à peu près la même chose que l’enseignement agricole sans pratique. Aussi ce que je réclame en faveur de l’agriculture, ce n’est pas un enseignement purement théorique, c’est un enseignement pratique qui consiste à suivre pas à pas l’agriculteur dans toutes ses opérations, à lui expliquer le pourquoi de ce qu’il fait, à lui faire connaître ces lois de la nature qu’il applique à chaque instant, et à le mettre ainsi à même d’en faire une application plus judicieuse, mieux entendue et plus économique. Nier l’utilité d’un tel enseignement, ce serait dire qu’on frappe plus juste quand on frappe en aveugle, qu’on trouve plus facilement son chemin quand on marche environné de ténèbres.

On me dira que, dans une grande partie du pays, notre agriculture est arrivée à un haut degré de perfection sans qu’il y ait eu ni école d’agriculture ni ferme modèle. C’est possible. Mais remarquez que ce serait une absurdité de conclure de là, que notre industrie agricole ne peut progresser davantage. Le nier ce serait nier les progrès possibles des sciences dont l’agriculture n’est qu’une application.

D’ailleurs, cet état avancé de l’agriculture existe-t-il dans toute la Belgique ? est-ce qu’elle est partout arrivée à un haut degré de perfection ? Non : ceux qui le soutiendraient prouveraient qu’ils ignorent ce qui se passe dans une grande partie de la Belgique. Je leur conseillerais de visiter nos différentes provinces ; il arrivera que leurs regards seront attristés à la vue d’immenses étendues de terrains restés jusqu’ici incultes, et qui cependant ne demandent que des capitaux et des travailleurs intelligents pour se couvrir de riches moissons ; ils trouveront aussi des contrées où l’agriculture semble encore ignorer dans la pratique, que les engrais sont la nourriture des plantes, comme les fourrages sont la nourriture des animaux domestiques ; où la stabulation, le régime alimentaire des animaux domestiques est tellement vicieux et défectueux, qu’un séjour de moins de dix ans suffirait peut-être pour y faire dégénérer complètement les plus belles races du monde.

Pour tirer ces contrées de l’état où elles se trouvent, y a-t-il un moyen plus puissant que l’enseignement agricole ? Evidemment non ; car si le gouvernement ne donne impulsion, les bons procédés en matière d’agriculture ne s’y répandront pas par un mouvement en quelque sorte spontané, et quand l’enseignement ne servirait qu’à mettre ces contrées au niveau de celles où l’agriculture a atteint depuis longtemps un haut degré de perfection, ne serait-ce pas déjà un immense bienfait ?

Messieurs, l’utilité, la nécessité de l’enseignement agricole a été, ce me semble, démontrée à la dernière évidence, et par l’importance de notre agriculture, et par les services que les sciences sont à même de rendre à notre grande industrie par leur nature même et par les progrès qui sont encore possibles, même dans les parties privilégiées de la Belgique où l’agriculture est parvenue à un état très-avancé, mais qui sont surtout nécessaires, indispensables dans les contrées où l’agriculture se trouve encore, en quelque sorte, dans un état d’enfance.

Messieurs, qu’il me soit permis maintenant de vous signaler très-sommairement quelques-uns de nombreux inconvénients très-graves qui résultent de l’absence de tout enseignement agricole en Belgique.

D’abord il en résulte, et c’est à mes yeux un mal très-grave, que l’agriculture n’est pas assez honorée, qu’elle n’est pas respectée comme elle devrait l’être. Malheureusement, messieurs, il faut l’avouer, l’opinion publique place l’agriculteur, le premier producteur du pays, dans un état d’infériorité à l’égard des autres industriels ; et malheureusement encore, l’agriculteur lui-même en général semble trop souvent partager cette idée. Il ne comprend pas lui-même ni la dignité ni l’indépendance de sa position. Il croit, par exemple, qu’il a en quelque sorte ennobli sa famille, lorsqu’il est parvenu à lancer ses enfants dans une autre carrière souvent moins honorable, mais presque toujours plus servile.

Un autre inconvénient, c’est que l’agriculture n’obtient pas du gouvernement la sollicitude, les sympathies qui lui sont dues et qu’elle peut réclamer à si juste titre. Il ne faut pas se le dissimuler, messieurs, c’est aujourd’hui la science qui est toute-puissante, à condition toutefois qu’elle soit appuyée par le nombre ; car ce ne sont que les réclamations appuyées par le nombre qui ont cours dans les régions gouvernementales, au moins dans l’état actuel des choses.

Un troisième inconvénient, que je me permets de soumettre à votre attention, c’est que ceux qui ont de la fortune, ceux qui peuvent se créer des moyens d’existence dans une autre position, par cela même que l’agriculture est si peu honorée, si peu respectée, abandonnent cette industrie ; c’est que les capitaux se retirent aussi de l’agriculture, et se réfugient dans les villes pour prendre leur direction vers d’autres industries.

D’où cela provient-il, messieurs ? Est-ce parce que les capitaux ne pourront trouver dans cette industrie un emploi utile et productif ? Non ; c’est parce que la science agricole n’est pas là pour révéler les ressources, les trésors inconnus que l’on peut encore tirer de la terre. Dans une autre discussion, messieurs, on vous a parlé de l’émigration des populations rurales vers les villes, surtout en ce qui concerne la classe ouvrière. Messieurs, le mal est grave, il est réel ; certainement on n’y aura pas remédié par les dispositions insérées dans notre loi sur le domicile de secours, et qui n’auront d’autre résultat que d’aggraver la position des communes rurales, en leur faisant supporter l’entretien d’indigents qui leur sont devenus étrangers ; le remède pour arrêter le mal dont il s’agit, le seul remède efficace consiste à développer et à faire progresser l’agriculture. Mais cette autre émigration que je viens de signaler, celle de tous ceux qui possèdent quelque chose, qui ont le moyen de se créer une existence dans les villes, cette autre émigration est tout aussi déplorable, elle est une des causes principales de l’émigration de la classe ouvrière et elle mérite de fixer toute l’attention du gouvernement.

Oui, messieurs, ceux qui possèdent quelque chose, qui ont de la fortune, se réfugient en général dans les villes ; ils restent étrangers aux opérations de l’agriculture et les relations que les propriétaires ont avec les populations rurales consistent à rançonner celles-ci, à en tirer les plus grands fermages possibles. Mais quant à leurs capitaux, ils refusent, en général, de les associer aux travaux de l’agriculture ; ils préfèrent les placer dans l’industrie et les exposer souvent dans les entreprises les plus aventureuses.

Voilà, messieurs, un mal très-grave qui existe, et qui, selon moi, engendre cet autre, celui de l’émigration des classes ouvrières vers les villes. Toutes se réfugient dans les villes ; et il restera dans les campagnes, qui, messieurs ? Ceux qui ont encore quelque chose à perdre, qui ont un dernier sou à dépenser.

Messieurs, je viens de vous signaler une tendance que j’ai été souvent à même de constater et qui doit entraîner les conséquences les plus funestes et pour l’avenir de nos communes rurales et pour l’avenir de notre agriculture. Il en résulte cet autre inconvénient, c’est que dans certaines contrées de la Belgique, les exploitations sont divisées à l’infini ; c’est que l’on ne voit plus que de très petites exploitations se bornant à la culture d’un ou de deux hectares. Est-ce là un progrès, messieurs ? Pour moi, c’est un mouvement rétrograde, et je n’en donnerai qu’une seule raison, péremptoire selon moi : c’est substituer la bêche à la charrue ; et certainement ce n’est pas là un progrès.

Messieurs, je viens de vous indiquer le mal, je crois qu’il est très-grave et qu’il mérité toute l’attention du gouvernement. Mais il ne suffit pas de signaler le mal ; le grand point c’est de trouver le remède. Comment parviendra-t-on, sans entraîner l’Etat dans des dépenses trop fortes, à organiser convenablement l’enseignement agricole en Belgique ? Comment parviendra-t-on à extirper de nos campagnes cet esprit de routine, ces préjugés, cette ignorance qui sont, suivant moi, les plus grands obstacles aux progrès de l’agriculture ? Comment parviendra-t-on surtout à faire pénétrer dans les classes fortunées de la société la science agricole, afin d’attirer vers l’agriculture les capitaux qui ne servent maintenant qu’à faire des oisifs « heureux » (si le bonheur peut se trouver dans l’oisiveté), mais inutiles pour la société ?

Ces questions sont graves, messieurs, et je regrette, pour ma part, de ne pas avoir eu le temps nécessaire pour les envisager sous toutes leurs faces. Je les recommande à l’attention du gouvernement.

Je me permettrai cependant d’indiquer à M. le ministre de l'intérieur une question qu’il n’a pas comprise dans celles qu’il a posées.

M. le ministre de l'intérieur a établi que, pour le moment, nous avions surtout deux points à examiner : le premier, de savoir s’il convient d’organiser en Belgique un établissement qui aurait pour caractère principal l’enseignement agricole ; le second, de savoir si l’emplacement de l’école de Cureghem offre, sous ce rapport, toutes les conditions désirables.

Je crois, messieurs, qu’il ne faut pas seulement s’arrêter à ces deux questions, et qu’il faut en examiner une troisième qui me paraît la plus importante : c’est celle de savoir si un seul établissement serait suffisant, et s’il ne conviendrait pas d’établir enfin chez nous ces fermes-modèles qui existent dans d’autres pays et qui rendent de très-grands services à l’agriculture.

Quant à moi, messieurs, je crois qu’un établissement central est indispensable et qu’il faut l’organiser sur les bases les plus larges, afin d’atteindre ce premier but, de faire pénétrer la science agricole dans les classes fortunées de la société, et de provoquer ainsi l’emploi des capitaux à l’agriculture.

Je ne comprends même pas pourquoi l’agriculture n’est pas enseignée dans nos universités. Cela me parait en opposition avec les noms que portent ces établissements d’enseignement public. On y enseigne tout, et ce qui est le plus important pour la Belgique en fait d’intérêts matériels y est totalement oublié.

Je désire vivement, messieurs, qu’une chaire d’agronomie soit érigée dans chacune de nos universités. De cette manière, les sciences seraient ainsi mises en contact avec l’agriculture ; elles seraient mises à même de féconder cette grande industrie, comme toutes les autres. J’espère que, bientôt, nous sentirons le besoin d’exiger des examens préalables de ceux qui se destinent aux carrières administratives, et je voudrais que ceux qui désirent devenir administrateurs fussent tenus de subir un examen sur l’agronomie ; pour ma part, je considère comme une véritable calamité que la gestion des affaires de la Belgique, pays essentiellement agricole, puisse être confiée à des hommes complètement étrangers aux intérêts, aux besoins de l’agriculture, de l’industrie nourricière du pays ; mais tout cela serait encore insuffisant et ne pourrait servir à répondre la science agricole parmi les laboureurs (page 787) proprement dits. Pour atteindre ce résultat, qui est de la plus haute importance, il faut, avant tout, des fermes-modèles, et il en faut plusieurs ; il en faut autant que possible dans toutes les provinces ; c’est le seul moyen de rendre la science accessible à la fortune et à l’intelligence du laboureur ; et si le gouvernement veut y mettre de la bonne volonté, s’il veut y apporter tout le zèle, toute la sollicitude, tout le dévouement que l’importance de l’objet réclame, j’ai la ferme conviction que le pays pourra être doté de ces utiles établissements, sans être entraîné dans des dépenses considérables. Je crois que des institutions de cette nature pourront souvent couvrir à peu près leurs frais.

Je n’insisterai pas davantage, pour le moment, sur ces observations ; je me borne à les recommander à l’attention de M. le ministre de l'intérieur, et j’espère qu’il ne négligera pas de nous mettre à même de discuter le plus tôt possible les projets de loi nécessaires pour organiser convenablement l’enseignement agricole en Belgique.

(page 775) M. de Tornaco – Messieurs, mon intention n’est pas d’entrer non plus dans les questions de personnes qui ont été agitées dans ce débat ; je m’abstiendrai également d’entrer dans l’examen des détails : ce qui a été dit par M. le rapporteur de la section centrale et par M. le ministre de l'intérieur lui-même, me paraît plus que suffisant sur cette matière. Je me bornerai donc à présenter des observations générales.

Messieurs, l’école vétérinaire me paraît avoir été le fruit d’une de ces conceptions malheureuses, que je mettrai au rang de toutes les bévues qui ont coûté si cher aux contribuables. Je ne la placerai pas précisément à côté de la navigation transatlantique, mais je la mettrai tout au moins à côté du fameux tunnel de Cumptich sur lequel les siècles devaient passer inaperçus, et sous lequel je souhaite à mes collègues de ne plus passer du tout. (On rit.)

L’école vétérinaire a été, messieurs semble-t-il, établie sans plan arrêté d’avance, sans but bien déterminé, sans idée bien précise sur les moyens d’exécution. Aussi, messieurs, après avoir été visiter, l’an dernier, cet établissement, j’en suis revenu avec la conviction qu’il ne pourrait plus être de longue durée.

Après des tâtonnements et des essais de plusieurs années, l’école vétérinaire a pris un caractère mixte. On y enseigne l’art vétérinaire, on y fait semblant aussi de donner l’enseignement agricole, l’enseignement d’une très-faible partie de la science agricole.

La question que nous avons à examiner aujourd’hui devrait être, messieurs paraît-il, de savoir si cet établissement est en rapport avec les besoins du pays, et si, eu égard aux services qu’il rend, il doit continuer à être maintenu au prix des lourds sacrifices qu’il impose.

Sous le point de vue de l’enseignement agricole, et je pense bien que l’honorable M. de Naeyer, que je viens d’écouter avec tant de plaisir, sera de mon avis sur ce point ; sous le rapport de l’enseignement agricole, quiconque a une idée de ce qu’est l’enseignement agricole, reconnaîtra qu’il ne peut être donné à l’école vétérinaire.

La partie principale de l’enseignement agricole est évidemment la partie pratique. La pratique ne peut être exercée qu’à la ferme de Forêt. Or, cette ferme, au lieu d’être un modèle de ferme expérimentale, doit être, au contraire, considérée comme une ferme dont l’imitation doit être évitée avec le plus grand soin. (On rit.)

Les constructions sont d’abord vicieuses, elles ne peuvent servir d’exemple à aucun cultivateur. Les terrains qui sont attachés à cette exploitation sont fort restreints, ils sont d’une nature peu variée, ils ne peuvent, par conséquent, pas servir aux expériences agricoles. Il y a là, en résumé, tout au plus de quoi former des jardiniers pour le Brabant tout seul, et encore ne faudrait-il pas que ce fussent des jardiniers pépiniéristes.

Quant à l’enseignement agricole, l’école vétérinaire, en y comprenant la ferme de Forêt, ne peut donc pas répondre aux besoins du pays.

En ce qui concerne l’enseignement vétérinaire, il devient aussi inutile d’entrer dans des détails, après ceux qui vous ont été donnés. Je ne critiquerai pas les résultats de cet enseignement, bien que moi-même j’aie été plusieurs fois à même de les apprécier.

Le local de l’établissement a été extrêmement mal choisi : l’honorable M. Pirson en a fait ressortir hier tous les inconvénients ; L’honorable M. de Theux, (page 776) en lui répondant, a bien, il est vrai, signalé quelques avantages du choix qui a été fait de ce local ; mais il n’est pas parvenu, et la chose eût été difficile, à prouver que le local d’une école vétérinaire doit être choisi dans une sorte de marais, sujet à des inondations telles, qu’il devient inabordable par moment. S’il s’agissait d’une école de natation ou d’une pêcherie, je me mettrais plus facilement d’accord avec l’honorable représentant de Hasselt.

Messieurs, on l’a dit plusieurs fois dans cette enceinte, et l’honorable M. David, lors de la discussion concernant l’école vétérinaire, l’a répété l’an dernier, l’école vétérinaire coûte trop cher pour ce qu’elle produit. D’après les calculs qui ont été faits, chaque artiste vétérinaire qui sort de l’école nous coûte 15 à 16,000 fr. ; vous reconnaîtrez tous avec moi, messieurs, que ce prix est exorbitant.

L’honorable ministre de l’intérieur et notre honorable président nous ont dit hier que, pour satisfaire aux besoins du pays, il suffit de sept à huit vétérinaires par année. Ils ont établi leurs calculs sur la proportion d’un vétérinaire pour huit communes. Je suis persuadé, quant à moi, que cette proportion est encore trop élevée, quant au nombre des vétérinaires. Quiconque habite les campagnes, reconnaîtra qu’un vétérinaire qui ne pourrait opérer que dans la circonscription de huit communes, n’y gagnerait pas de quoi satisfaire à son existence.

En supposant qu’il ne faille à la Belgique que sept ou huit vétérinaires par an, je crois qu’il serait beaucoup plus convenable de fonder des bourses pour les élèves vétérinaires, de les donner à des jeunes gens, après un examen préalable, et de les envoyer faire leurs études dans une école de premier ordre à l’étranger.

Je pense, messieurs, que nous y trouverions profit à tous égards, profit à l’égard de la dépense, profit à l’égard du mérite de nos vétérinaires. Toutefois, je n’émets cette opinion que pour répondre à un besoin temporaire. Je suis partisan d’une école vétérinaire dans notre pays ; mais je pense avec M. le ministre de l'intérieur qu’eu égard aux besoins de notre pays, nous ne devons avoir une école vétérinaire qu’autant qu’elle serait annexée à une autre école.

A quelle école une école vétérinaire doit-elle être annexée ? Je partage encore l’opinion de M. le ministre de l'intérieur sur ce point ; c’est à une école d’instruction agricole. Je repousse l’idée d’annexer l’école vétérinaire aux universités, parce que la population des écoles vétérinaires ne peut pas être la même que celle qui fréquente les universités, et il arriverait, par le moyen de cette combinaison, que l’école vétérinaire ne serait pas suivie. C’est ce qui est déjà arrivé : l’expérience nous a démontré que des cours d’agriculture ne pouvaient pas être donnés aux universités, qu’ils n’étaient pas fréquentés.

Messieurs, la conséquence la plus rationnelle de ce qui précède, me paraît être celle-ci : c’est d’engager le gouvernement à se défaire d’abord de la ferme de Forêt, qui n’est d’aucune utilité pour l’agriculture ; et en second lieu de l’école de Cureghem, dont le local ne changera jamais de place (on rit), et qui, par conséquent, ne pourra jamais répondre d’une manière convenable à sa destination.

J’appuierai donc les conclusions de la section centrale, ou tout autre proposition qui pourrait être faite, afin de donner au gouvernement le temps nécessaire pour se défaire de ces deux établissements, ou pour leur assigner une autre destination, si la chose est possible.

Ce qui me porte surtout à regarder ces conclusions comme rationnelles, c’est la situation de l’école vétérinaire dont on vous a parlé et qui est déplorable. De tout ce qui vous a été dit, vous devez nécessairement conclure que l’existence d’une école vétérinaire ne peut pas continuer dans l’état où elle se trouve, qu’il y a un besoin urgent d’une réforme complète.

D’un autre côté, je crains bien que, dans le cas où l’école vétérinaire serait maintenue, le ministère auquel je prête l’intention de s’occuper d’enseignement agricole, ne mît trop de précipitation dans son travail, guidé par la pensée de vouloir utiliser, soit le personnel, soit d’autres ressources qui se trouvent à l’école vétérinaire ; (je désire que l’on me passe cette expression), je désire que table rase soit faite et que le ministère ait une liberté entière dans ses mouvements. C’est à cette condition seulement que nous pourrons obtenir un bon enseignement agricole.

Messieurs, il me reste peu de choses à dire pour faire ressortir le mérite de l’enseignement agricole, après ce que vous avez entendu de l’honorable M. de Naeyer. Parmi les avantages que j’y reconnais, j’en citerai pourtant quelques-uns dont il n’a pas été fait mention, je crois.

L’enseignement agricole formerait une classe dont nous manquons absolument, la classe des régisseurs ou directeurs de propriétés rurales. Cette classe serait appelée à jouer un grand rôle dans les perfectionnements agricoles de notre pays. A l’aide d’agronomes expérimentés et intelligents, des exploitations agricoles pourraient avoir lieu par le mode d’assignation. Ce qui ne s’est pas fait jusqu’à présent.

Messieurs, le défaut d’association dans les entreprises agricoles est un grand obstacle aux améliorations agricoles, attendu que les capitaux leur manquent d’une manière évidente.

Une autre observation que je ferai quant à cette classe de citoyens, c’est que si, par la suite, la population de notre pays devenait trop considérable, on pourrait avec ses ressources personnelles s’occuper alors, avec toute chances de succès, d’entreprises extérieures, chose impossible à réaliser aujourd’hui ; l’enseignement agricole aurait en outre l’avantage de détourner une foule de jeunes gens intelligents des carrières aujourd’hui encombrées.

Quant au mode de répandre l’instruction agricole, voici ce que je pense : notre pays devrait posséder trois grands établissements d’instruction agricole. L’un serait placé dans les provinces occidentales, un autre dans les provinces orientales, dont les besoins ne sont pas les mêmes que dans les provinces occidentales, où la culture est plus avancée ; un troisième établissement serait central et supérieur, et c’est à ce dernier que, selon moi, devrait être attachée l’école vétérinaire.

Il est bien entendu, messieurs, que ces établissements ne devraient être formés que successivement et avec toute la prudence que réclame l’importance de la matière dont il s’agit. Les deux premières écoles recevraient des jeunes gens qui auraient déjà une bonne instruction primaire ; cette instruction serait continuée concurremment avec l’instruction agricole ; l’école centrale recevrait les élèves sortant de deux autres écoles, et aspirant au titre d’agronomes capables d’administrer un domaine complet, c’est-à-dire comprenant des propriétés rurales de natures diverses. Pour le choix des emplacements, il conviendrait que le gouvernement examinât s’il ne s’en trouverait pas de convenables parmi les biens domaniaux où les matériaux de constructions seraient à pied d’oeuvre. Peut-être, messieurs, que la forêt de Soignes verrait dans son sein l’école centrale d’agriculture. Deux ou trois cent hectares de terres, de nature variée, seraient nécessairement attachés à chacun des trois établissements. Je bornerai là mes observations, je comprends que ce n’est pas le lieu de lui donner plus de développement ; j’ai cru bien faire en vous les soumettant aujourd’hui, afin de donner matière aux réflexions du gouvernement. Je désire qu’avant d’agir, il s’entoure de renseignements nombreux, et que, si l’un ou l’autre de ses membres ne peut pas lui-même visiter des établissements agricoles, il fasse du moins de bons choix, afin de suppléer à l’impossibilité où il pourrait se trouver.

M. de Renesse – Messieurs, les réponses que M. le ministre m’a faites à la séance d’hier sur les différentes observations que je lui ai adressées à l’égard de l’école vétérinaire de l’Etat, ne me paraissent nullement satisfaisantes, ni sur la prompte réorganisation de l’école vétérinaire, ni sur les causes qui ont occasionné la décadence des études, ni sur la désunion qui existe entre les professeurs, ni sur les différents abus signalés par plusieurs de nos honorables collègues.

Lorsque le rapport de la section centrale a été présenté à la chambre, et que j’ai demandé alors le dépôt du rapport du jury d’examen sur le bureau, M. le ministre nous disait que ce travail du jury n’était que la première partie de l’enquête qu’il faisait poursuivre ; il paraît, toutefois, que cette enquête se poursuit si peu, que, jusqu’ici, les professeurs de l’école vétérinaire n’ont pas été entendus sur les faits avancés à l’égard de certains de leur cours, sur les causes qui semblent avoir actuellement une fâcheuse influence sur la direction, la marche de l’école vétérinaire.

Ne fallait-il pas poursuivre avec la plus grande activité cette enquête, la faire contradictoirement, de manière à faire à la chambre, dans la discussion du chapitre X, un rapport complet et surtout impartial sur l’état actuel de l’école vétérinaire ?

Lorsqu’il s’agit des intérêts qui se rattachent à l’agriculture, il parait que, au département de l’intérieur, l’on ne se hâte guère de les examiner, de porter remède aux abus qui pourraient exister. A cet égard, plusieurs journaux, qui traitent des intérêts agricoles, n’ont cessé, depuis une couple d’années, de signaler l’absence, au département de l’intérieur, d’une bonne direction de l’agriculture. Quant à moi, pour ne citer qu’un exemple, je dirai ce qui s’est passé à l’égard du projet de loi qui doit autoriser le gouvernement à prendre des mesures contre l’introduction, dans le pays, de l’épizootie qui sévit en Allemagne et en Hongrie ; c’est au commencement du mois de décembre, je pense, que notre honorable collègue, M. Eloy de Burdinne, interpella M. le ministre sur cet objet ; l’on répondit alors que le gouvernement s’occupait de prendre tous les renseignements nécessaires pour décréter des mesures contre ce terrible fléau de l’agriculture. A la rentrée de la chambre, après les vacances de la nouvelle année, un projet de loi fut présenté. Renvoyé à une commission, les membres de cette commission pouvaient croire que M. le ministre avait eu le temps, pendant plus d’un mois, de formuler un règlement, ou d’indiquer, d’une manière précise, les mesures que l’on apporterait conte l’invasion de l’épizootie. Comme membre de cette commission, ayant demandé à M. le directeur de l’agriculture s’il avait préparé un travail à cet égard, il nous fut répondu que l’on avait recherché quelques anciens règlements, qu’une commission était nommée pour examiner cette affaire, mais que l’on ne pouvait encore indiquer à la commission que vaguement, quelles seraient les mesures que l’on prendrait.

Vous voyez, messieurs, par ce seul fait, quels sont le soin, l’activité, que l’on met au département de l’intérieur pour prévenir les désastres qui pourraient frapper l’agriculture. Ne fallait-il pas immédiatement, dès que cette maladie contagieuse du bétail avait été signalée au gouvernement, prendre toutes les mesures, les renseignements nécessaires pour empêcher l’introduction, dans ce pays, de cette épizootie contagieuse ?

M. le ministre de l'intérieur n’ayant, jusqu’ici, aucune résolution arrêtée sur la réorganisation de l’école vétérinaire de l’Etat, ne m’ayant pas répondu d’une manière satisfaisante sur les différentes questions que j’ai eu l’honneur de lui adresser, je crois que la chambre devrait adopter, ou les propositions de la section centrale qui n’accorde qu’un crédit de trois mois pour l’école vétérinaire, ou plutôt nommer une commission d’enquête qui puisse rechercher les véritables causes de la décadence des études à cet établissement de l’Etat ; car il faut que cette affaire soit examinée sous tous ses rapports ; il faut enfin que la vérité se fasse jour ; il faut que la chambre puisse voter en connaissance de cause les fonds demandés pour l’école vétérinaire, et qu’elle sache s’ils seront dorénavant utilement appliqués.

M. Verhaegen – Je ne pense pas que la nécessité d’une enseignement vétérinaire puisse être sérieusement révoquée en doute. Mais tout en admettant la nécessité d’un enseignement vétérinaire national, nous comprenons (page 777) aussi la nécessité d’un enseignement agricole, et nous partageons, à cet égard, l’opinion qui a été émise et développée par l’honorable M. de Naeyer. Mais qu’on y prenne attention, si l’on veut réunir l’enseignement agricole et l’enseignement vétérinaire, on pourrait compromettre ce qui existe.

J’aime beaucoup mieux, pour ne pas faire de dépenses inutiles, conserver notre école vétérinaire, matériellement parlant, sauf à l’améliorer, à faire cesser les abus qui peuvent exister. J’aime beaucoup mieux conserver un établissement qui nous a coûté beaucoup d’argent, que de tomber dans le vague et faire de l’imaginaire.

Je suis d’accord avec l’honorable M. de Naeyer, que l’on peut fort bien diviser ces deux enseignements. Nous pouvons conserver l’enseignement vétérinaire proprement dit à Cureghem, et créer un enseignement agricole ailleurs, en commençant par faire des essais et en augmentant successivement d’après les besoins et d’après les succès que l’on obtiendra. Je ne vois pas qu’il y ait un rapport si immédiat entre l’enseignement vétérinaire et l’enseignement agricole.

L’enseignement agricole prend dans l’enseignement vétérinaire pour l’élève du bétail ; mais au dehors de cela, l’enseignement vétérinaire est tout à fait indépendant de l’enseignement agricole. Je me demande pourquoi il serait nécessaire de faire table rase et de considérer comme perdus les frais que nous avons faits naguère pour l’enseignement vétérinaire. Nous avons dépensé à Cureghem, si mes renseignements sont exacts, pour achat de terrains, 270 mille fr. et pour constructions, 180 mille fr. Voilà 450 mille fr. que nous avons dépensés à Cureghem. On veut abandonner Cureghem, avoir table rase pour faire autre chose, qui nous entraînerait dans une dépense d’un mille et demi ou de deux millions.

Nous avions fait un établissement pour la culture du mûrier, nous l’avons abandonné ; nous avions fait un établissement pour la culture du maïs, nous l’avons abandonné ; nous avons fait une école vétérinaire, nous voulons l’abandonner, pour en fonder une autre à grands frais, et nos 450 mille francs seront perdus !

On veut nous faire réparer les folies des autres, on veut nous faire reprendre certain établissement qu’on veut abandonner ; un établissement qu’on jette à la tête du gouvernement tantôt pour en faire un établissement agricole, tantôt pour en faire un pénitencier. Quant à moi je trouve que quand on a, il ne faut pas acheter. Nous avons un établissement pour une école vétérinaire, il faut la conserver.

Je partage l’avis de l’honorable M. de Theux, il nous a dit que toutes les raisons données contre l’établissement de l’école de Cureghem ont été développées précédemment, que toutes les objections faites contre cet emplacement ont été présentées et qu’à ces objections on a répondu, et qu’après avoir entendu le pour et le contre on s’est décidé pour l’emplacement de Cureghem.

L’honorable M. de Theux a reproduit en grande partie les réponses faites aux objections qui avaient été produites ; j’ai trouvé que ces réponses ne laissaient rien à désirer. L’école se trouve non sur une hauteur, mais dans un bas-fonds, près d’une eau courante. Ce n’est pas un inconvénient, pour les cliniques, c’est ce qu’il faut ; pour les prairies dont on a besoin, les irrigations ne sont pas sans utilité.

Il y a, dit-on, des inondations ; les eaux s’approchent des bâtiments. Avec quatre mille fr. de dépense, vous feriez cesser ces inondations sur l’étendue d’un hectare ; rien de plus facile que de faire conduire là les décombres de la ville. Vous aviez un terrain parfaitement établi avec les avantages qu’offre un bas-fond pour une semblable école. Si vous vouliez établir votre école sur une hauteur, à Waterloo, par exemple, cette situation serait très-mauvaise ; vous ne pourriez pas, en été, faire là ce que l’enseignement vétérinaire exige. La situation de Cureghem est infiniment plus convenable ; l’honorable M. de Theux l’a parfaitement établi. Je n’en dirai pas davantage sur ce point.

On a dit qu’il n’y a pas de clôture. Qu’on en fasse une : la dépense ne sera pas très-considérable. Si cette clôture n’existe pas, c’est que la construction n’est pas achevée. Achevez-la ; si les eaux se rapprochent trop des bâtiments, élevez le terrain autour des bâtiments, cela ne vous coûtera pas grand’chose.

J’ai été étonné d’entendre dire par M. le ministre de l'intérieur que l’emplacement de Cureghem n’était pas convenable et présenter cela comme une des causes de la décadence de l’école. C’est une excuse qu’on a été chercher quand on n’avait pas le moyen de répondre à des objections sérieuses. L’emplacement n’est pas un inconvénient auquel on puisse attribuer la décadence de l’école ; car l’emplacement a été reconnu bon.

Maintenant, cette école, dont tout le monde comprend la nécessité, cette école qu’il ne faut pas abandonner, cette école est dans un état de décadence ; tout le monde est d’accord sur ce point. Mais quelle est la cause de cette décadence ? Voilà ce que nous avons à rechercher. Chose assez singulière, c’est que le gouvernement qui aurait à nous éclairer sur ce point, se retire et a l’air de ne pas s’occuper de la question.

L’école est en décadence, il y a un rapport fait par le jury d’examen en septembre dernier ; le gouvernement, que dit-il en réponse à ce rapport ? Dit-il que les membres du jury d’examen qui se sont constitués en commission ou qui ont été constitués en commission ont tort ou raison ? Le gouvernement ne dit rien ; il se borne à avouer qu’il y a des faits signalés dans le rapport qui étaient vrais, que des cours se donnaient d’une manière irrégulière et incomplète, qu’il y avait désordre, malpropreté, et il a cité un fait assez extraordinaire concernant les examens. Cela est un peu tard. Depuis 1840, tout cela se passe, le gouvernement ferme les yeux.

Cependant, il y avait un inspecteur rétribué, un commissaire royal même. Il y a des faits graves qui se passent dans cet établissement, nous les connaissons ; nous les connaissons depuis longtemps, dit M. le ministre, nous avons su et vu tout cela, et nous n’avons rien fait. Je vous demande s’il est dans votre intention de laisser mourir l’école. Si telle n’est pas votre intention, vous avouez donc que vous avez des mesures à prendre.

Messieurs, il y a une chose bien fâcheuse dans cet établissement ; il n’était pas nécessaire pour la signaler, d’introduire dans le débat des questions de personnes. L’honorable M. de Theux l’a dit hier, la véritable cause de la décadence de l’école, c’est la zizanie, la division qui existe entre les professeurs, et même dans l’administration. C’est une chose excessivement grave, dans une administration telle que celle-là qui devrait éveiller l’attention de tous les jours, du gouvernement ; il y a zizanie dans le corps professoral, zizanie dans l’administration, et cela aux portes de Bruxelles, dans la ville où se trouve le gouvernement central. Ces abus ont lieu depuis plusieurs années, et le gouvernement reste impassible. Ils ont lieu sous les yeux du commissaire royal qui ne dit rien, qui ne fait aucun rapport. Il semble vraiment, que tout le monde se soit endormi depuis 840.

M. le ministre de l'intérieur nous dit : « J’ai trouvé cette école en 1840, elle était organisée ; je l’ai conservé dans l’état où elle était. »

« Dans l’état où elle était » ! Je crois, messieurs, qu’en 1840, l’école n’était pas dans l’état où elle est aujourd’hui. Beaucoup s’en faut. En 1840, on a voulu une surveillance, une inspection de tous les jours ; on a nommé un commissaire royal à qui l’on a donné des appointements. Si on voulait conserver l’école dans l’état où elle était, on devait, par l’intermédiaire du commissaire royal, savoir ce qui s’y passait tous les jours.

Si le gouvernement ignore ce qui se passe à Cureghem, aux portes de Bruxelles, comment saura-t-il ce qui se passe dans les établissements d’instruction publique éloignés de Bruxelles, par exemple, à Gand, à Liége, en un mot, dans tous les établissements placés sous son contrôle ?

C’est une chose très-grave que la conduite du gouvernement en cette occurrence.

Il faut bien le dire, sans citer des noms propres, les professeurs sont divisés en deux camps. Il y a zizanie dans le corps professoral, il y a zizanie dans l’administration. Il y a des hommes honorables dans les deux camps. Mais au lieu de faire des rapports officiels, de part et d’autre, on a travaillé dans l’ombre ; aussi, dois-je le dire, des deux côtés on conspire contre l’école, et en définitive je ne sais plus où est l’administration ; au moins elle n’est pas où elle devrait être.

Dans cet état de choses, le gouvernement ayant abandonné l’école à la merci des événements, et ne s’en étant pas inquiété, qu’avons-nous à faire ? Allons-nous dire aux membres du jury érigé en examen : « Vous avez raison ; des abus graves existent ; il n’y a pas d’instruction, il n’y a pas de subordination à l’école vétérinaire ; il n’y a que désordre, que malpropreté ; au lieu de salles d’étude, il y a des cabarets, etc., etc., » que sais-je ?

Ou bien, dirons-nous que les membres du jury d’examen que le gouvernement a érigé en commission ont tort. Je ne donnerai tort ni aux uns, ni aux autres. Je m’en garderai bien ; car le gouvernement qui, avant tout, doit nous éclairer, ne veut pas se prononcer.

Comme les faits sont très-graves, il s’agit de savoir de quel côté est la vérité. Ce qu’on propose est rationnel : c’est une enquête, et le gouvernement n’a pas à se plaindre de cette mesure, car le gouvernement ayant entre les mains, depuis le mois d’octobre, le rapport de ses commissaires, avait certes des renseignements à prendre. Il ne les a pas pris ; il ne s’explique pas même aujourd’hui d’une manière catégorique, et, par conséquent, la chambre qui a ici un devoir de jury à remplir, doit savoir, avant de prendre une décision, de quel côté est la vérité.

Nous avons un point de départ (tout le monde est d’accord sur ce point), c’est que l’école est dans un état de désordre. Cet établissement, qui nous coûte beaucoup, pouvons-nous, en bons pères de famille, l’abandonner en pure perte ? c’est cependant ce que nous ferions en maintenant l’école vétérinaire dans l’état où elle est aujourd’hui.

Pourquoi ne pas ériger en commission d’enquête la section centrale, ou bien nommer une commission dans le sein de la chambre, c’est-à-dire ouvrir une enquête parlementaire.

Si une pareille proposition était faite, je l’appuierais, mais je voterais le crédit au moins pour 10 mois, car, je dois le dire, je craindrais qu’en n’accordant que la somme nécessaire pour trois mois, nous ne fissions quelque chose qui portât atteinte à l’existence de l’école.

Ainsi, messieurs, comme j’attache de l’importance à la conservation de l’école vétérinaire, je n’admets pas la proposition de la section centrale ; mais je voterai pour l’enquête parlementaire.

M. Desmet – Je demande la parole pour motiver le changement de mon vote, de celui que j’ai émis dans la section centrale et de celui que je compte émettre à présent. Dans la section centrale, j’avais voté pour un crédit de trois mois. Mais depuis que j’ai vu, dans la discussion, la tendance de certains projets, et que l’administration ne s’oppose pas facilement contre la suppression de l’école, mais a envie de faire un nouvel établissement, je crois de mon devoir de voter l’allocation pour toute l’année.

Le motif pour lequel j’avais voté le crédit pour trois mois, c’est qu’il y avait de graves imputations contre certaines personnes de l’école, et que je voulais savoir par une enquête si réellement l’école était, comme on le disait, dans un état si déplorable ; et si toutes les accusations que portait le rapport du jury d’examen étaient bien réelles.

A cet égard, je dois vous rappeler ce qui s’est passé dans la section centrale.

Arrivés à l’article « Ecole vétérinaire », on a demandé communication du rapport du jury d’examen. Après que j’ai vu ce rapport, j’ai proposé de ne (page 778) pas en faire usage. Je voyais une accusation, où les accusés n’avaient pas été entendus. J’ai cru qu’il convenait de n’en pas faire usage. La section centrale a pensé comme moi. Non-seulement, elle n’a pas joint ce document au rapport, mais encore elle n’en a pas fait le dépôt. A cette époque, M. le ministre de l'intérieur était de notre opinion. Quand le rapport de M. le ministre de l'intérieur a été déposé, l’honorable comte de Renesse a demandé le dépôt du rapport du jury d’examen. Le président de la section centrale a dit le motif pour lequel la section centrale n’a pas fait le dépôt du rapport ; M. le ministre a consenti alors au dépôt du rapport ; il a ajouté que c’était la première pièce d’une enquête sur la situation de l’école. Je n’ai pas compris alors sa réponse à l’honorable comte de Renesse : qu’il n’était pas besoin de faire une enquête, tandis qu’il était déclaré que c’était la première pièce de l’enquête. Mais cela démontre de plus en plus combien entendre enquête est nécessaire.

Les motifs pour lesquels la section centrale n’a voté qu’un crédit que pour trois mois, vous ont été signalés par l’honorable rapporteur, il vous cite les principaux passages du rapport du jury d’examen. Je ne veux pas les répéter, car il ne faut pas prolonger le scandale d’articuler des accusations sans avoir la défense.

Comme je le disais, les accusés n’ont pas été entendus. M. le ministre de l'intérieur a confirmé les accusations, en disant que des choses inouïes se sont passées dans l’école, que, même pendant l’examen, on faisait passer aux élèves les réponses aux questions par des trous faits dans le plancher. Mais à qui la faute ? Ce n’est pas la faute de l’école ; ce n’est ni celle des professeurs, ni celle du directeur ; mais c’est la faute du jury d’examen lui-même. Quand le jury a procédé à l’examen, c’était à lui de voir si le local était bien fermé, si l’endroit était convenable. Dans d’autres endroits, on vérifie que si « le temple est à couvert ». Ici c’était bien le cas de voir si la salle où se faisaient les examens était fermée et couverte.

Quand on attaque des hommes savants et recommandables sous tous les rapports, il ne faut pas être si empressé de donner foi à des imputations ni surtout de les rendre publiques ; une enquête est nécessaire pour l’honneur du corps et du pays. J’appuie donc la proposition d’enquête parlementaire faite par l’honorable comte de Renesse. J’espère bien que la chambre l’adoptera.

On a beaucoup critiqué la situation de l’école. On a dit que les cours étaient mal faits, que l’école marchait très-mal, que tout était mal administré et était négligé. Mais à qui la faute ? Au gouvernement qui n’a pas voulu nommer une commission administrative. C’est comme si M. le ministre de la justice supprimait toutes les commissions de surveillance des prisons, dont on est cependant bien content, et qui font beaucoup de bien, et, chose bien étrange et vraiment incompréhensible, c’est ce que l’on m’a affirmé qu’au département de l’intérieur on a toujours refusé d’instituer cette commission. Ce fait dit beaucoup et donnera la clef à expliquer bien des énigmes.

Messieurs, un motif principal qui me fera voter l’allocation pour toute l’année, pour l’école de Cureghem, c’est que je crains que si l’on supprime cette école, on ne se livre à de très-grandes dépenses qui ne produiront pas les fruits qu’on en attend.

Il paraît, messieurs, qu’on veut faire un grand achat. Quant à moi, je porte beaucoup d’intérêts à l’agriculture ; je crois qu’on doit la protéger, mais je ne regarde pas comme possible l’établissement d’écoles ou de fermes modèles. Je connais des fermes d’essai ; je conçois qu’on établisse dans la Campine une ferme pour favoriser le défrichement des terres incultes. Je dirai même que cela existe déjà. Ainsi, un M. Coppens a établi une ferme modèle dans la Campine. Eh bien, qu’on lui donne des subsides ; je le conçois ; mais établir des fermes modèles telles que celles dont ont parlé d’honorables membres, ce serait faire de grandes dépenses tout à fait inutiles.

On pourrait aussi, messieurs, établir des fermes modèles dans les terrains incultes du Luxembourg ; là encore, il en existe déjà. Une famille d’Alost a établi une ferme près de Saint-Hubert ; un bon cultivateur du département du Nord, exploite, près de Bastogne, des terrains assez étendus et fait des essais. On pourrait accorder à ces personnes des subsides.

On pourrait encore tirer un bon parti des jeunes gens qui se trouvent au pénitentiaire de St-Hubert. Que M. le ministre de la justice tâche de mettre à la disposition de ces établissements une quantité de terres incultes, et que, pour diriger les travaux de l’exploitation, il mettre à la tête des jeunes prisonniers quelques cultivateurs instruits du pays de Waes.

Messieurs, il faut certainement faire tout ce qui est possible pour l’agriculture, mais il faut le faire utilement ; et c’est ce qui n’a pas eu lieu jusqu’à présent. Ainsi, messieurs, de quoi a surtout besoin l’agriculture ? C’est des engrais ; eh bien on ne soigne pas cette partie de la culture. S’il y avait, dans le Luxembourg, des moyens de communication pour transporter la chaux, l’agriculture pourrait y faire de grands progrès. Eh bien, qu’on s’applique à donner à l’agriculture de bonnes voies de communication, et vous ferez chose utile pour elle.

Oui, messieurs, c’est surtout l’engrais qui manque ; c’est là où le gouvernement devrait prêter ses soins à l’agriculture ; car on sait combien ces engrais sont chers et manquent même, surtout aux petits cultivateurs.

Messieurs, je crois qu’on ne peut pas dire que l’agriculture est stationnaire en Belgique. Je sais très-bien qu’il y a des contrées qui ont besoin d’être cultivées ; mais je crois que la culture fait tous les jours des progrès en Belgique. Je citerai des contrées, et particulièrement le pays de Waes, qui ont de véritables écoles modèles pour l’agriculture comme pour l’élève du bétail. Si l’on voulait faire chose utile, messieurs, on créerait des bourses pour envoyer des jeunes gens des autres parties du royaume dans ces contrées pour s’y instruire dans l’agriculture ; en bien, qu’on veuille aider ces jeunes gens et qu’on leur donne des moyens qui couvriraient la dépense de leur séjour dans le pays modèle de culture ; ce sera ici le cas de donner très-utilement des bourses.

Les Anglais eux-mêmes envoient des personnes en Belgique pour y étudier l’agriculture ; les Anglais ont continuellement des explorateurs dans le pays de Waes et y séjournent pour examiner et étudier la bonne culture de cette contrée, si savante dans la science agricole.

Oui, messieurs, la Belgique a eu la palme dans les connaissances agricoles, et on ne peut pas dire qu’elle soit restée stationnaire ; ceux qui observent notre agriculture doivent reconnaître qu’elle fait journellement des progrès et qu’elle y fait les améliorations nécessaires.

A ce sujet vous me permettrez que je vous cite un fait qui est arrivé dans ma province sous le régime français ; pendant l’administration du préfet Faitpoul, le gouvernement français, méconnaissant probablement la bonne situation de l’agriculture en Belgique et pensant aussi d’instruire nos cultivateurs, envoya dans le département de l’Escaut le sénateur français de Neufchâteau, afin d’examiner notre culture et de la corriger. Le préfet de l’Escaut, homme intelligent et adroit, et connaissant le grand savoir de ses administrés des campagnes dans la culture, fit faire, par un de ses chefs de bureau, un itinéraire qu’on aurait fait suivre par le sénateur commissaire pour faire son exploration.

Cet itinéraire était fait de telle sorte qu’il aurait commencé par la contrée la moins bien cultivée ; c’était alors celle qui se trouvait aux environs de Grammont, sur les limites de la frontière du Hainaut. Le sénateur, arrivé sur ces lieux, et après avoir interrogé les cultivateurs et examiné la culture et la tenue du bétail, paraissait déjà très-étonné de rencontrer tant de savoir en culture, et plus il avançait vers le pays, plus son étonnement s’agrandissait, et, arrivé dans le pays de Waes, il y est resté quelques jours pour s’instruire et a trouvé utile d’emmener avec lui quelques cultivateurs pour donner de l’instruction aux cultivateurs de France. Vous voyez donc, messieurs, que notre culture a toujours suivi le progrès et qu’elle s’est placée à la tête de toutes les agricultures de l’univers entier.

Il est vrai que nous avons fait quelquefois des fautes. Ainsi nous cultivions jadis fort bien les lins fins. Malheureusement on a voulu trop retirer de la terre ; au lieu d’étendre les assolements sur 17 années, on les a raccourcis de cinq années. L’avarice a dominé la science, et c’est ce qui nous prive donc de ces beaux fils de lin.

Messieurs, je pense donc que nous devons conserver l’école vétérinaire ; mais qu’avant d’établir des fermes modèles, nous devons bien étudier la question. A cet égard je me résume : je demande qu’une enquête soit établie par le parlement pour s’enquérir de tous les faits relatifs à l’école vétérinaire ; et je demande aussi que l’on établisse une commission administrative près de cet établissement, comme il en existe près de la plupart des autres établissements de l’Etat.

M. Devaux – Messieurs, l’école vétérinaire n’est pas le seul établissement important qui dépende du département de l’intérieur.

Le département de l’intérieur a dans ses attributions, outre l’école vétérinaire, des conservatoires de musique, une école de gravure, des écoles de navigation, des écoles ou au moins une grande école de dessin, une société d’horticulture à laquelle se rattache l’enseignement de la botanique, des bibliothèques, des haras. Ce sont là des institutions très-importantes pour lesquelles nous votons tous les ans des sommes considérables. Pour moi, depuis plusieurs années, j’émets le vœu que nous ne votions ces sommes qu’en connaissance de cause. L’année dernière encore j’avais demandé formellement à M. le ministre de l'intérieur qu’un rapport nous fût fait sur ces institutions et j’avais dit très-expressément qu’en demandant ce rapport, je voulais non seulement que les chambres fussent éclairées, mais que le gouvernement fût forcé de s’éclairer lui-même. Je croyais que le gouvernement avait promis ce rapport ; il est possible que je me trompe, je n’ai pas vérifié le fait dans le Moniteur. Mais je regrette beaucoup qu’il n’ait pas suivi cette voie, il se serait peut-être épargné des embarras qui aujourd’hui sont très-naturels, car la chambre est sans lumières, sans renseignements officiels sur des faits très-graves et M. le ministre de l'intérieur ne fait qu’augmenter nos perplexités.

Qu’est-il arrivé, messieurs ? Et ce qui arrive aujourd’hui, arriverait peut-être pour les autres institutions, si l’on approfondissait les choses ; il est très-possible que ce qui arrive pour l’école vétérinaire se reproduirait pour d’autres institutions, si nous avions un moyen d’y porter particulièrement notre attention, dans l’absence de renseignements où nous sommes et dans l’absence de renseignements où est le gouvernement lui-même.

Qu’arrive-t-il, messieurs, pour l’école vétérinaire ? Certains griefs sont articulés contre cette école. Le gouvernement charge une commission nommée par lui, le jury d’examen, de faire un rapport. Ce rapport, je n’examine pas s’il est juste ou non. Mais en fait, ce rapport est accablant pour l’école ; il la réduit à rien, au-dessous de rien. Ce jury nommé par le gouvernement fait en cela la censure la plus vive de l’administration. Car si le rapport du jury est vrai, l’administration du gouvernement est très-coupable ; elle est négligente, elle n’a pas remédié aux abus les plus flagrants.

Cependant, messieurs, le chef du département de l’intérieur fournit ce rapport à la section centrale. Il est vrai qu’on a dit qu’il le lui avait fourni confidentiellement ; mais quant à moi, je n’admets pas de rapports confidentiels à une section centrale sur des objets d’administration qui sont de leur nature aussi publics que celui-là. Je n’admets pas qu’il y ait des secrets pour les institutions d’instruction publique. Je crois que nous n’en sommes pas encore venue à réclamer des comités secrets pour discuter les affaires qui concernent l’école vétérinaire.

(page 779) Mais enfin ce rapport est communiqué. Et comment le gouvernement justifie-t-il son administration des reproches accablants que contient ce rapport ? Le gouvernement se borne à dire : Je crois que c’est exagéré, et il ne nous fournit aucune opinion raisonnée, aucun motif. Ce sont des conjectures ; il dit, comme chacun de nous pourrait le dire : Je crois que c’est exagéré.

Mais n’était-il pas du devoir du gouvernement, dès qu’il a eu ce rapport entre les mains, de s’enquérir au moins si les faits étaient vrais ? N’était-il pas du devoir du gouvernement de prendre des informations sous une forme ou sous une autre, de faire une contre-enquête ? Messieurs, ce rapport est daté du mois d’août ; il y a six mois qu’il existe. Le gouvernement a eu tout le temps de s’éclairer.

Mais il y a plus : il ne devait pas avoir ce temps. Le gouvernement, comme on vous l’a dit, devait faire cette enquête journellement ; il doit toujours être instruit de l’état des institutions qui sont sous la surveillance de l’administration. S’il s’agit de savoir quel est l’état des conservatoires, quel est l’état de l’école de gravure, des écoles de navigation, des bibliothèques, faut-il que le gouvernement attende qu’une commission ait l’occasion de lui dire que cet état est mauvais, pour faire une contre-enquête ? mais le devoir du gouvernement est de savoir comment sont employés les deniers de l’Etat ; il ne doit jamais ignorer s’il y a des abus dans ses institutions.

Qu’arrive-t-il, messieurs, dans cet état d’abstention du gouvernement ? Il arrive l’anarchie. Il arrive que d’abord nous sommes forcés de faire nous-mêmes de l’administration, parce que le gouvernement n’en fait pas. En second lieu, messieurs, il arrive que les professeurs sont forcés de se faire justice à eux-mêmes.

Le jury institué par le gouvernement, injurie les professeurs de l’école vétérinaire. Vous avez probablement reçu comme moi ce matin la réponse des professeurs ; ils injurient à leur tour le jury, sans ménager le gouvernement qui s’est annulé. Les professeurs de l’école vétérinaire se divisent en deux camps ; les uns injurient les autres ; et le gouvernement lui-même est accusé en termes exprès, par le directeur de l’école et par la majorité des professeurs, de vexer l’école et de faire du favoritisme.

Voilà, messieurs, l’état déplorable de choses qui résulte de l’inaction du gouvernement.

Qui a raison, messieurs ? Mais nous n’en savons rien. Nous ne sommes pas, nous, constitués pour aller à l’école vétérinaire nous ériger chacun, en notre nom personnel, en juges entre le gouvernement et les professeurs.

Le gouvernement, messieurs, nous a dit hier qu’il avait remédié aux abus, qu’il avait réformé la discipline. Eh bien, messieurs, le directeur et sept ou huit professeurs de l’école lui donnent un démenti formel. Il paraît qu’il est réellement dans la destinée du chef du département de l’intérieur de recevoir partout des démentis. Voici ce qu’ils disent :

« Le gouvernement, dit plus loin la note fournie à la section centrale, s’est empressé de remédier aux abus bien constatés, et il a renforcé la discipline intérieure.

« Il serait curieux de savoir quels ont été les abus qu’on a fait disparaître à l’école vétérinaire, et en quoi la discipline y a été renforcée ! Ferait-on ici allusion au retrait des abonnements que le gouvernement avait pris, comme moyen d’encouragement au « Journal vétérinaire et agricole », pour en « punir » (expression de M. de Sorlus) les rédacteurs qui avaient osé mettre en évidence les compilations de M. Gaudy ? Nous serions bien surpris qu’on osât se glorifier d’un tel acte. Il serait, du reste, facile de prouver qu’au lieu de renforcer la discipline, elle a été altéré considérablement par le favoritisme dont quelques-uns ont été l’objet et par les procédés vexatoires exercés envers le directeur, et la plupart des professeurs. »

Voilà, messieurs, le langage des directeurs et des professeurs de l’école à l’égard du gouvernement. Ce qui se passe n’est-il pas bien édifiant ? Voilà les rapports du gouvernement avec les institutions qui sont sous ses ordres. Quand le jour y pénètre vous voyez ce que sont ces rapports. Quel exemple pour le pays !

Maintenant, messieurs, le gouvernement demande un nouveau délai ; il dit qu’il examinera. Mais il a déjà eu un délai de six mois pour examiner, pour prendre son parti. Ce délai ne coûte-il rien ? mais l’école vétérinaire coûte 12,000 fr. par mois ; ainsi chaque fois que vous perdez un mois, c’est 12,000 fr. que vous perdez.

Le gouvernement n’a pas encore fait de réponse au rapport du jury. Seulement vous avez entendu tout à l’heure M. le ministre de l'intérieur, comme si la chose ne le regardait pas, s’égayer aux dépens d’une école qu’il administre depuis quatre ans, signaler quelques-uns des abus qu’il est de son devoir de prévenir.

Maintenant que fera-t-il ? Il ne le sais pas. Il n’a pas d’opinion. Il attend que la chambre veuille bien lui en suggérer une. Mais la chambre ne sait pas quel est l’état des choses. Ce qui est clair, c’est qu’il y a là une très-mauvaise administration, qu’on a cherché à se mettre tantôt derrière le jury, tantôt derrière la chambre ; qu’on n’a pas su depuis quatre ans ce qui se passait à l’école, qu’il n’a pas eu un rapport du fonctionnaire chargé de la surveiller. On dit : « J’ai trouvé l’école dans cet état », et selon l’habitude de M. le ministre de l'intérieur, il voudrait encore rejeter la chose sur ses prédécesseurs. Mais que nous importe ce que vos prédécesseurs ont fait ? ce qui nous importe, c’est l’état actuel de l’école. S’il y avait des abus, c’était à vous d’y remédier ; vous avez eu quatre ans pour cela.

Maintenant, on dit qu’il faut une loi. Il semble que, s’il y avait une loi, tous les abus disparaîtraient comme par enchantement. Mais faut-il une loi pour faire cesser ces abus ? Le gouvernement a la direction de l’école, il a de l’argent, il a des sommes considérables à sa disposition, il a des élèves ; que lui manque-t-il pour faire une bonne école ?

Je le crains, messieurs, ce que nous trouvons dans l’école vétérinaire, je crains bien que nous le trouvions un jour dans d’autres institutions. J’insiste de nouveau pour que chaque année, on nous fasse, à tour de rôle, un rapport sur une partie des institutions qui dépendent du ministère de l’intérieur, de manière qu’au bout de deux ou trois ans, ces rapports forment un tout complet, que nous fasse connaître la situation de l’ensemble de ces institutions. A peine, cette année, avons-nous pu obtenir le rapport sur l’instruction supérieure ; encore il ne nous a été communiqué que ces derniers jours, et il n’est pas même encore imprimé, de sorte que nous n’aurons le temps de recueillir aucun renseignement pour contrôler ce rapport, et qu’il arrivera ce dont on se plaint chaque année, que, par exemple, nous ne pourrons contrôler ce qui concerne l’année scolaire de 1843 à 1844, qu’en 1846, c’est-à-dire, lorsque la chose ne présentait plus aucun intérêt.

Il est évident, messieurs, que nous sommes appelés à voter ici une somme immense, une somme de 153,000 fr., et que nous ne savons pas si cette somme aura une destination utile ou une destination inutile. Que le gouvernement nous donne son opinion. Que nous sachions au moins ce que nous faisons. Il faut que la chambre sache où en est l’école. Il faut qu’elle sache aussi ce que le gouvernement veut faire de l’école. Quant à moi, je me trouve dans le plus grand embarras, en face de ce chiffre de 153,000 francs, en présence des griefs qui ont été signalés, et du silence gardé par le gouvernement. Je vous avoue que je ne sais pas dans quel sens voter. Nous n’avons aucun renseignement positif. Nous avons, d’un côté, un rapport du jury, de l’autre le silence du gouvernement. Le gouvernement accepte-t-il ce rapport ? Ne l’accepte-t-il pas ? Qu’il nous le dise. Dans l’état actuel des choses nous sommes dans l’impossibilité d’émettre un vote.

M. le président – Voici une proposition qui vient d’être déposée sur le bureau.

« J’ai l’honneur de proposer de n’allouer à l’art. 1er du chapitre X qu’un crédit de 10 mois, 124,580 fr., et de nommer dans le sein de la chambre une commission d’enquête chargée de rechercher les causes de la décadence de l’école vétérinaire de l’Etat, et les moyens à employer pour parer aux inconvénients qui existent actuellement.

de Renesse »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Si je voulais déplacer la responsabilité, comme le suppose l’honorable préopinant, si je voulais me réfugier derrière la chambre, j’accueillerais avec empressement la proposition faite par l’honorable M. de Renesse. Je veux, au contraire, comme l’a dit aussi l’honorable préopinant, que la chambre ne fasse pas de l’administration…

M. Devaux – Faites-en vous-même.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’en ferai moi-même, mais je désire qu’on me laisse faire librement.

Messieurs, une instruction existe. Le crédit annuel nous est demandé. Faut-il voter ce crédit ? Je crois qu’il faut le voter comme on l’a fait les années précédentes. Des faits ont été signalés ; le gouvernement vous a déclaré, non pas qu’une enquête est inutile, il reconnaît qu’une enquête est nécessaire, mais il vous déclare qu’il veut faire cette enquête lui-même. Je veux la faire principalement par moi-même, et je n’ai pas besoin de vous dire pourquoi. Il me semble que l’on vous a assez entretenus des personnes pour que vous sachiez qu’une intervention très-forte, très-directe du chef du département est ici nécessaire.

Maintenant, cette enquête, puis-je la faire dans le cours de cette session ? Evidemment, non. (Interruption.) Le rapport m’a été fait à l’ouverture de la session, et certes, depuis lors, je n’ai guère pu m’occuper d’une enquête semblable.

Ce n’est donc pas pour décider cette question qu’il faut une loi. Je l’ai dit à plusieurs reprises, deux lois sont nécessaires ; une lois sur l’exercice de la médecine vétérinaire, et une loi sur l’organisation définitive d’un établissement agricole et vétérinaire. Mais, avant cela, une enquête est nécessaire ; cette enquête, c’est le gouvernement qui doit la faire, et je désire que rien ne soit préjugé sur cette enquête, notamment en ce qui concerne les personnes.

L’honorable membre, je ne sais pourquoi, a tiré des conclusions générales de ce premier fait, que je déplore. Il suppose que toutes les institutions gérées plus ou moins directement par le gouvernement, se trouveraient dans un état déplorable.

Il y a auprès de presque toutes ces institutions des commissions ; la plupart de ces commissions font annuellement un rapport au gouvernement et ces rapports, j’en ai fait insérer plusieurs au Moniteur. Je fais même faire d’autres rapports, qui seront également insérés au Moniteur. Il y a été inséré récemment un rapport sur l’état de l’observatoire, on y insérera successivement un rapport sur l’état des bibliothèques, un rapport sur l’état du conservatoire. Veut-on maintenant que le gouvernement fasse un rapport général sur l’état des diverses institutions qui dépendent de lui ? c’est une question à examiner. Je puis demander un rapport sur l’état du conservatoire de Liége, qui a des relations avec le gouvernement. Je puis prévenir la commission, lui demander un rapport fait avec plus de soin, un rapport destiné à être publié, et faire insérer ce rapport au Moniteur. Ce n’est jamais moi qui repousserai la publicité. Mais ce que je repousserai, ce sont des enquêtes incomplètes, des enquêtes qui enlèvent au gouvernement toute liberté d’action. J’ai vu avec peine la publicité donnée au travail tout à fait préliminaire du jury. J’aurais voulu que le gouvernement fût resté beaucoup plus libre.

Ainsi, messieurs je réitère ma déclaration, que mon intention est de poursuivre l’enquête, et je désire y intervenir personnellement aussi activement que possible. En attendant, il faut bien que l’établissement reste (page 780) debout, et que la somme nécessaire à cet effet soit votée. Voilà la véritable position que la chambre doit prendre et que le gouvernement doit prendre également.

Si l’honorable préopinant désire un rapport, n’importe sur quel établissement de l’Etat, je demanderai ce rapport, je le ferai faire et probablement il sera publié. Je ne refuserai jamais ni de donner des renseignements à la chambre, ni de publier, lorsque je croirai que cette publication est devenue opportune, tous les rapports qui pourraient en être faits.

Quant à l’enquête, je la ferai dans l’intervalle des sessions, et j’en rendrai compte à la chambre dans la session prochaine. Le crédit pour 1845 à 1846 ne sera pas demandé sans que la question ait été complètement éclaircie. Je crois que la chambre ne doit pas demander davantage. Si elle se chargeait elle-même de l’enquête elle peut m’en croire, elle se préparerait de grands embarras.

M. de Theux – Je crois aussi, messieurs, que le terme pour lequel la section centrale propose d’accorder un crédit, est beaucoup trop restreint. Remarquez d’ailleurs que la proposition de la section centrale a été faite à une époque où l’on pouvait prévoir une discussion plus prochaine du budget de l’intérieur. Je conçois aussi qu’en présence de questions beaucoup plus importantes encore que celle dont nous nous occupons, nous ne pouvons pas précipiter l’examen de celle-ci. D’ailleurs, messieurs, mon intention est de laisser à M. le ministre de l'intérieur le temps de prendre connaissance par lui-même des causes de la désorganisation et de la décadence de l’école vétérinaire, et d’y apporter un remède, principalement en ce qui concerne la discorde qui règne dans cet établissement. J’aime à croire que M. le ministre de l'intérieur est animé d’un esprit de conciliation et qu’il agira dans cette circonstance avec toute l’impartialité et toute la justice que nous devons attendre du chef d’un département ministériel.

Mais ici je dois le dire en passant,je regrette que M. le ministre de l'intérieur ait consenti de livrer à la publicité un document tel que le rapport du jury vétérinaire, sans avoir auparavant entendu le directeur et le conseil des professeurs de l’école vétérinaire ; alors nous eussions été munis de documents qui eussent pu éclairer notre opinion, et nous n’eussions pas été discuter en face d’une accusation extrêmement grave, en l’absence de toute défense de la partie incriminée. Il y a, dans ce fait, je dois le dire, beaucoup de légèreté.

Le second motif qui m’engage à ne pas limiter le crédit au terme de trois mois, c’est qu’on ne peut apporter aucun changement matériel à l’école vétérinaire sans un vote préalable des chambres, car s’il s’agissait de déplacer l’école vétérinaire, s’il s’agissait d’acquérir d’autres locaux, il faudrait une loi, il faudrait une discussion préalable.

Je regrette aussi, messieurs, qu’en 1841, l’on ait perdu de vue l’idée principale qui avait dirigé le gouvernement, lors de l’établissement de l’école de Cureghem. Cette idée consistait dans une école vétérinaire, avec l’adjonction de quelques cours d’agriculture. A côté de cette école, on a créé une ferme expérimentale qui, je le reconnais, n’est pas dans les conditions normales pour un enseignement agricole. M. le ministre de l'intérieur a dit, dans la séance d’hier, que l’idée primitive du gouvernement était, avant tout, une école vétérinaire, et seulement subsidiairement un enseignement agricole. Cette observation était parfaitement juste : en ajoutant quelques cours d’économie agricole à l’école vétérinaire, on n’a fait ici que ce qui a été fait en partie à l’université de Liége, où l’on a fondé un cours d’économie forestière ; et ce que plusieurs membres ont demandé aujourd’hui, c’est que de nouveaux cours fussent adjoints aux universités, pour propager, au moins, les bonnes théories agricoles ; et, il faut en convenir, des cours de cette nature devraient plutôt être attachés à l’école vétérinaire qu’aux universités.

Le jury vétérinaire a constaté que la ferme expérimentale était mal placée. Eh bien, c’est la justification de l’opinion que je viens d’émettre : aussi n’était-il pas entré dans ma pensée d’établir une ferme expérimentale à Cureghem.

On a parlé beaucoup de la discipline. Chacun comprend que la première cause de l’affaiblissement de la discipline, c’est la discorde dans l’administration, c’est la discorde dans le personnel même de l’école. Dans un pareil état de choses, la discipline doit nécessairement se perdre. J’ose même dire que lorsque j’ai quitté le ministère en 1840, l’harmonie existait dans l’école ; je ne veux pas prétendre que l’école fût alors organisée d’une manière parfaite, qu’elle ne laissât rien à désirer, sous le rapport soit de l’administration, soit de l’enseignement. Ce n’était qu’un établissement naissant qui avait alors trois ans d’existence, mais aujourd’hui l’accusation a infiniment plus de portée, car il y a sept années que l’école existe, et les faits de décadence se sont surtout produits depuis les dernières années.

L’on a parlé des examens subis dans la dernière séance du jury vétérinaire. Mais, messieurs, vous aurez peut-être lu une réponse, qui a été faite à ce grief dans un journal de la capitale, réponse signée par sept professeurs de l’école vétérinaire. L’on y fait remarquer qu’à la vérité sur 16 élèves qui se sont présentés, trois seulement ont été admis par le jury, et les treize autres rejetés ; mais que parmi ceux-ci il y en avaient qui avaient déjà été plusieurs fois rejetés. Mais peut-on conclure de ce fait que l’enseignement de l’école vétérinaire ait été primitivement mauvais ? Non, sans doute ; si les anciens élèves des universités, rejetés par le jury d’examen, s’avisaient de se représenter aujourd’hui devant le jury, et que le jury les rejetât de nouveau, pourrait-on tirer une conséquence fâcheuse de cet nouvel échec quant à l’enseignement universitaire ? Assurément non. Or, ce ne sont pas treize élèves universitaires, mais des centaines d’élèves qui ont été rejetés par le jury.

Messieurs, l’on s’occupe aujourd’hui très-vivement des intérêts agricoles. Le gouvernement a successivement pris l’initiative de divers améliorations telle que la création d’une école vétérinaire, d’un haras et d’autres mesures encore. Les épizooties attirent aussi grandement l’attention des chambres et du gouvernement ; il en est de même du défrichement de nos landes, de la tarification en matière de céréales et des moyens d’exportation.

En présence de si graves intérêts, je me suis demandé s’il ne serait pas temps de faire au département de l’intérieur une légère augmentation de dépense, pour y créer une direction, exclusivement occupée des intérêts agricoles. Nous avons au département de l’intérieur une direction de l’industrie, une direction du commerce ; nous avons au département des affaires étrangères une direction du commerce ; mais, messieurs, la direction du commerce n’a aucun établissement à administrer, elle n’a qu’à s’occuper de l’examen des questions de tarif, des moyens d’exportation ; mais une direction de l’agriculture aurait des établissements à administrer. Ce serait là une très-grande amélioration ; une direction de l’agriculture, exclusivement occupée de cet intérêt, et bien composée, serait appelée à rendre de grands services au pays.

L’honorable M. de Renesse nous a entretenus, il y a un instant, d’un fait extrêmement remarquable, en ce qui concerne les épizooties ; non-seulement on ne s’était pas occupé de la confection d’un projet de loi, mais depuis que le projet de loi a été présenté, on ne s’était pas même occupé d’un règlement pour l’exécution de la loi. Et cependant les chambres ont voté la loi d’urgence. Or, si l’épizootie s’était déclarée, le département de l’intérieur aurait été pris au dépourvu.

Si les renseignements que j’ai obtenus sont exacts, le projet de loi que M. le ministre de l'intérieur avait présenté sur les céréales, et qui avait pour objet d’apporter des modifications à la loi de 1834, ce projet de loi n’a été examiné en aucune manière à la division mixte qui s’occupe d’agriculture et des affaires de la milice et de la garde civique. Assurément, s’il y avait un directeur des affaires agricoles, la première mission de ce directeur serait de s’occuper des projets de loi concernant les céréales.

Vous voyez donc, messieurs, qu’il y a au département de l’intérieur, une lacune, en ce qui concerne les intérêts agricoles. Je désire que cette lacune soit comblée. Je ne reculerai pas devant une dépense de 10 à 12,000 fr., pour organiser la direction de l’agriculture sur un pied respectable et qui inspire confiance au pays. On réclame en ce moment des établissements d’enseignement agricole. C’est un motif de plus pour créer la direction que j’indique.

En effet, si on veut donner l’enseignement agricole tel qu’on l’a signalé, il y aura de grandes acquisitions de terrains à faire ; il y aura des intérêts très-graves à administrer ; il y aura des établissements importants à surveiller, etc.

Toutefois, je n’entends pas me prononcer quant à présent sur la création de fermes agricoles, de l’enseignement agricole répandu dans tout le pays. Je dis « répandu dans tout le pays », car ce ne seraient pas une ou plusieurs écoles d’agriculture qui pourraient suffisamment éclairer nos agriculteurs.

D’abord, la plupart des cultivateurs reculeraient devant la dépense d’une instruction toute spéciale ; très-peu d’entre eux seraient disposés à envoyer leurs enfants dans ces écoles pendant plusieurs années. D’autre part, l’expérience a prouvé que les cultivateurs ne se déplacent pas facilement.

Si des fermes expérimentales ne se trouvent pas partout à la portée du cultivateur, il ne fera pas un voyage, pour aller jeter un coup d’œil sur une ferme expérimentale qui sera à 30 ou 40 lieues de son village ; les fermes expérimentales, pour être réellement et généralement utiles, doivent être répandues sur toute la surface du pays, là où se rencontrent des diversités de terrain et des cultures variées ; alors seulement vous aurez un ensemble d’enseignement agricole, et alors aussi vous obtiendrez de grands résultats.

Un autre point essentiel pour la prospérité de notre agriculture, c’est de mettre la culture en honneur comme elle est honorée en Angleterre. Là, les grands propriétaires ne craignent pas de s’occuper eux-mêmes de culture ; ils ont généralement des fermes qui sont exploitées pour leur compte.

Ils se réunissent en comices agricoles, et dans ces comices on discute toutes les améliorations dont sont susceptibles les procédés agricoles. Je vois avec satisfaction que déjà bon nombre de nos grands propriétaires commencent à prendre intérêt à la culture. Ce serait là une source inépuisable d’avantages pour le pays, parce que les propriétaires aisés ne reculent pas devant les dépenses que nécessitent l’achat de chevaux de première qualité, de bons sujets de la race bovine, etc., et en général tous les essais nouveaux qui peuvent être utiles à l’agriculture. Le locataire qui a beaucoup de peine à payer son fermage, ne peut pas tenter ces essais, c’est le propriétaire seul qui peut les faire. Le gouvernement ferait donc bien d’encourager l’établissement de comices agricoles ; un autre et puissant stimulant, ce serait d’accorder des récompenses honorifiques à ceux qui auraient fait faire des progrès sérieux à l’agriculture.

Je désirerais aussi qu’avant d’instituer un comité central d’agriculture ou de faire la réforme des commissions d’agriculture provinciales, le gouvernement présentât aux chambres un projet de loi sur cet objet, et que l’on pût, dans une discussion approfondie, poser au moins quelques bases ; car je craindrais qu’un règlement d’administration générale, qui ne serait pas précédé d’une discussion dans cette chambre et de l’adoption de quelques bases, ne répondît pas à l’attente du pays.

Je pense qu’il est inutile d’entrer dans plus de développements, j’abandonne ce qui n’est pas essentiel pour la discussion.

M. Mast de Vries – J’ai demandé la parole après les discours de (page 781) MM. de Naeyer et de Tornaco. Ces discours doivent avoir fait d’autant plus d’impression sur vous que ces deux honorables membres sont grands partisans d’économies, et que pour vous indiquer de nouvelles dépenses à faire, il faut qu’une conviction profonde les ait engagés à le faire. Je conçois qu’une école vétérinaire, qu’elle soit située dans un bas-fond, sur un lieu élevé ou dans une plaine, je conçois, dis-je, qu’elle puisse atteindre le but qu’on s’est proposé, quand il y a une bonne organisation, quand elle est bien dirigée, l’enseignement vétérinaire est le même partout.

Ce que je ne conçois pas, c’est que les honorables membres puissent croire qu’en joignant un enseignement agricole à l’école vétérinaire, on va satisfaire aux besoins du pays. Messieurs, mettez l’école où vous voudrez ; établissez une école modèle à Cureghem ou à Waterloo, son utilité sera locale ; ce ne sera qu’un établissement local. Jamais une ferme modèle ou une école agricole ne répondra aux besoins des autres localités. Ainsi, si l’école se trouve dans la province du Brabant, ce sera utile pour la province, mais cela ne servira à rien pour la culture dont nous avons besoin dans d’autres localités, dans des terrains de moindre qualité, comme dans la Campine. Cela est tellement vrai qu’il serait facile de nommer plusieurs personnes qui ont fait des essais dans la Campine et se sont ruinées ou ont fait de mauvaises affaires et ont dû abandonner leur exploitation. Sous ce rapport, je ne donnerai pas mon approbation à l’établissement de fermes modèles, parce que, selon moi, cela nous entraînerait dans de grandes dépenses sans qu’il en résultât aucun bien pour le pays en général.

Messieurs, j’ai une autre idée à vous soumettre, et c’est pour cela que j’ai pris la parole ; ce n’est pas une idée théorique, mais une idée pratique à laquelle je désirerais que le gouvernement voulût songer. Vous savez que pour les cultivateurs il faut quelque chose qui leur frappe les yeux. Eh bien, il y aurait un moyen ; ce serait de désigner dans chaque arrondissement une ou deux communes, où l’on ferait des expériences, sous la surveillance des autorités communales. Le commissaire de district ou un délégué du conseil d’agriculture pourrait désigner deux communes par arrondissement, et à faire des essais, de telle manière qu’un champ serait divisé en deux parties, et que dans l’une on appliquerait la culture actuelle, et dans l’autre on appliquerait la méthode perfectionnée. Je voudrais que dans les arrondissements les moins favorisés on fît des essais sur quelques bonniers ; le fermier verraient qu’en faisant telle innovation, on obtient des résultats plus avantageux. Vous seriez certains que les cultivateurs iraient examiner les résultats obtenus et en profiteraient. Ce serait un fait que vous pourriez enseigner dans vos écoles. Les propriétaires ont commencé par appliquer les théories, ils n’ont rien obtenu.

Dans la Campine, on cultive comme jadis ; on continuera à le faire à moins qu’on ne pose des faits tels que les cultivateurs soient forcés de se rendre devant l’évidence.

Je suppose que votre école forme des artistes vétérinaires ayant des connaissances agricoles ; les plus capables iront se placer dans les villes ; les campagnes n’en profiteront pas Quels sont ceux qui iront dans les campagnes ? les moins forts ; ceux-là n’auront pas la confiance des agriculteurs.

Il est une autre question sur laquelle je veux appeler votre attention. Je ne sais s’il n’y aurait pas moyen de faire quelque chose de plus. N’y aurait-il pas moyen de donner un cours d’agriculture dans les écoles normales ? Bientôt vous aurez dans chaque commune un instituteur venant d’une école normale. Si on y donnait un cours d’agriculture, non en grand, parce que cela ne conduit à rien, mais un cours d’agriculture pour les besoins de nos communes, cet homme inspirerait plus de confiance que des professeurs d’agriculture et rendrait des services réels.

Voilà une idée que je soumets au gouvernement. Je demande qu’il y réfléchisse, mais je pense que tous les grands cours, les grandes expériences ne serviront à rien.

On a déjà beaucoup fait, dit-on, pour l’agriculture. J’aurais voté l’allocation pour l’amélioration des chemins vicinaux, si j’avais été présent à la séance ; cependant, je dois dire que cela ne fera pas grand-chose pour les parties du pays qui ont le plus besoin d’améliorations pour leur agriculture. En effet, qui obtient une part de l’allocation pour améliorer ses chemins vicinaux ? les communes qui ont des ressources. Le gouvernement dit qu’il faut contribuer dans une forte proportion à la dépense, pour obtenir un subside. Ce sont les communes riches qui seules les obtiendront. Il est vrai que vous n’aurez plus des communes aux environs de Bruxelles, ne pouvant pas se rendre à la capitale, mais qu’est-ce que cela fera aux malheureuses communes de la Campine ? Les communes riches vont s’emparer de la majeure partie de l’allocation.

Si vous voulez faire quelques chose pour l’agriculture, c’est quelque chose de pratique qui puisse être compris par la généralité. Vos grandes écoles ne produiront rien dans les campagnes. C’est ainsi que ce que vous avez voulu faire pour améliorer la racine bovine est repoussé partout ; les fermiers ne veulent pas de vos perfectionnements ; voilà où l’on arrive avec des théories ; on fait beaucoup de dépenses sans résultat. Si on établissait des fermes modèles, il en adviendrait ce qui est advenu de l’établissement pour l’éducation des vers à soie. Le procédé que j’indique ne coûterait pas mille fr. par arrondissement, et produirait plus que tout ce qu’on vient de proposer et qui coûterait très-cher.

M. Rogier – Des considérations diverses ont été présentées dans cette discussion qui, je pense, trouveront mieux leur place quand le gouvernement voudra enfin vous présenter le projet de loi relatif à l’enseignement agricole. Il n’en faut pas moins savoir gré à d’honorables membres d’avoir émis des idées utiles ; le gouvernement pourra en faire son profit. L’année dernière il m’est arrivé aussi d’entrer à cet égard dans des considérations générales auxquelles M. le ministre de l'intérieur a bien voulu donner son adhésion. J’aurais pu m’attendre à les voir passer plus prochainement dans la pratique. Il n’en a pas été ainsi. D’après le rapport de la section centrale de l’année dernière, la chambre devait croire qu’on lui présenterait un projet de loi d’organisation de l’enseignement agricole. Ce travail est encore à venir, et des difficultés sont venues compliquer singulièrement la situation.

Ainsi au mois d’août 1844, M. le ministre de l'intérieur ne sachant, ce semble, à quoi s’en tenir, sur une institution située aux portes de Bruxelles, dont il peut apprécier chaque jour, chaque heure, le bon ou le mauvais état, exprima au jury chargé d’examiner les candidats artistes vétérinaires, le désir d’être éclairé sur l’état de l’enseignement vétérinaire et agricole donné par le gouvernement. Voilà le jury constitué en commission d’enquête. Le gouvernement, pour s’éclairer, a recours aux lumières de cette commission, il s’abstient d’une intervention directe, il oublie aussi qu’un commissaire royal a été placé auprès de l’établissement pour tenir le gouvernement au courant de ce qui s’y passait. Si ce commissaire n’a pas rempli sa mission, j’accuse le gouvernement d’une très-grande négligence et d’une trop grande indulgence à cet égard. Le gouvernement n’aurait pas dû attendre quatre ans pour remédier aux abus signalés, si ce commissaire lui avait transmis des renseignements sur l’école, et le ministre n’aurait pas été amené à charger un jury de faire une enquête sur des faits qui devaient lui être parfaitement connus.

Or, l’enquête faite par ce jury a révélé des faits tellement accablants pour l’école que, si le jury a dit vrai, M. le ministre serait hautement répréhensible de ne pas avoir immédiatement fermé un pareille école.

De deux choses l’une : ou le jury d’examen a dit vrai, et alors M. le ministre a fait preuve d’une grande faiblesse en ne mettant pas fin immédiatement aux abus signalés ; ou le jury d’examen n’a pas dit vrai, et alors il y a eu de la part du gouvernement une grande légèreté à investir d’une mission aussi délicate des hommes capables de mensonge.

Qu’arrive-t-il ? le rapport du jury d’examen est traité de mensonger par la plupart des professeurs et par le directeur de l’école. Les hommes choisis par le gouvernement, investis de la confiance royale pour faire un rapport sur l’état de l’école, sont accusés ni plus ni moins que d’impudence et de calomnie ! Et ce n’est que cinq mois après le rapport, ce n’est que d’aujourd’hui que M. le ministre, sans avoir, à ce qu’il paraît, cherché à s’éclairer sur les faits dénoncés dans ce rapport, se montre disposé à faire une nouvelle enquête.

Je ne sais si M. le ministre se propose de procéder lui-même à cette enquête ; mais je dis que s’il avait été pénétré de ses devoirs, il aurait dû commencer ses investigations le lendemain même de la présentation du rapport du jury d’examen. Car on a beau vouloir tenir dans le secret un pareil rapport, il état impossible qu’il n’en transpirât pas quelque chose dans le public. Et c’est ce qui est arrivé. Avant tout le scandale dont nous sommes témoins, la presse n’avait-elle pas retenti de toutes ces discussions de professeur à professeur, de professeur à directeur, de professeur à membre du jury, de professeur à gouvernement ? Un pareil état de choses aurait dû cesser depuis longtemps, de manière que la chambre n’eût pas à s’en occuper.

Mais cette anarchie, loin de cesser, a été croissant : à l’enquête on oppose aujourd’hui une espèce d’inquisition ; on procède par des dénonciations secrètes, par des brochures plus ou moins pamphlétaires envoyées sous le sceau du secret à divers membres d la chambre.

Je ne veux pas d’inquisition. Je veux une enquête au grand jour, une enquête franche et loyale.

L’état actuel des choses est intolérable. Il est impossible que des professeurs, des collègues qui se renvoient d’aussi graves accusations puissent continuer d’avoir une vie commune. Sans doute, cela s’est vu ; cela se voir même encore quelquefois. Mais en matière d’enseignement sous les yeux même des élèves, de tels conflits ne peuvent durer sans de graves préjudices pour l’école, et ce n’est certes pas trop d’exiger des professeurs que de vouloir qu’ils aient et qu’ils montrent quelque estime l’un pour l’autre.

La chambre, je le reconnais, poserait un acte qui aurait quelque gravité, si elle se chargeait elle-même d’une enquête. Toutefois, je dois le dire : si je vote, dans la situation où est l’école vétérinaire, le chiffre demandé pour cet établissement, ce ne sera qu’avec beaucoup de répugnance. Je crois que nous engagerions beaucoup notre responsabilité, en continuant à subsidier un établissement tombé aussi bas, sous les yeux de l’administration, qui n’a rien fait pour le maintenir dans un état prospère.

Ce qui pourrait au surplus justifier en ce moment l’intervention de la chambre, c’est qu’en réalité le gouvernement a fait son enquête. En effet, par des hommes de son choix et probablement de sa confiance ne s’est-il pas enquis de l’état de l’instruction à l’école vétérinaire ?

Si la chambre faisait de son côté une enquête, les renseignements lui viendraient de deux côtés à la fois. Plus de lumières pourra jaillir d’une double épreuve. M. le ministre s’y oppose et offre de se charger lui-même d’une nouvelle enquête.

Mais quelle que puisse être l’impartialité de M. le ministre, il y a pour ainsi dire préjugé, dans la majorité de l’école vétérinaire, contre son intervention.

Il aura beau vouloir procéder avec impartialité ; je crois que les professeurs, (page 782) le directeur, tous ceux qui ont été inculpés par le jury, n’auront pas une confiance entière dans l’administration d’où ce jury émanait.

Nous sommes dans le doute et le gouvernement ne nous éclaire pas ; nous avons des accusations réciproques, et nous manquons de base pour établir notre jugement. Il est de notre devoir, et c’est notre droit de nous enquérir du véritable état des choses, de connaître la vérité, de savoir, avant de voter des subsides pour un établissement de l’Etat, si un pareil établissement mérite ou non la confiance du pays.

M. le ministre de l'intérieur aurait pu, sans doute, s’éclairer, et éclairer la chambre plus qu’il ne l’a fait. A-t-il entendu les inculpés sur les griefs articulés contre eux ? Non. A-t-il entendu le commissaire royal attaché à l’école sur les griefs articulés contre l’établissement ? Non. De là l’incertitude et l’obscurité qui règnent sur le débat ; de là la justification d’une enquête, si la chambre se résolvait à la faire.

Ce qui doit donner à la chambre des doutes sur la situation satisfaisante de l’école, c’est que dans le jury d’examen nommé par M. le ministre de l'intérieur, et transformé en commission d’enquête, il se trouve non pas toutes personnes qu’on aurait pu supposer hostiles à l’école, mais deux professeurs qui n’ont pas signé d’abord le rapport, mais qui ensuite ont dû déclarer qu’ils se ralliaient aux accusations du jury.

En résumé, l’école se trouve sous le poids de soupçons très-graves, d’accusations qui peuvent porter atteinte, je ne dirai pas seulement à l’honneur des professeurs, mais à l’établissement même.

Il importe que l’on mette fin au plus tôt à une situation aussi mauvaise, et que l’école soit en mesure de rendre des services proportionnés aux sacrifices que l’on fait pour elle.

Je ne reculerai jamais, pour ma part, devant des dépenses même considérables, alors surtout qu’elles pourraient produire de bons résultats pour la généralité du pays. Mais des sommes demandées pour propager le relâchement, l’anarchie et la discorde dans un établissement public quelconque, je les refuserai toujours.

Je réserve donc mon vote quant au crédit demandé pour l’école vétérinaire.

M. de Naeyer – Je n’aurai que peu de choses à dire, mais je dois un mot de réponse à l’honorable M. Mast de Vries. Je suis assez embarrassé pour lui répondre ; en effet, il a commencé par m’attribuer des opinions que je n’ai pas exprimées, puis pour réfuter ces opinions, il a fait valoir à peu près les mêmes observations que j’ai eu l’honneur de développer.

L’honorable membre a dit qu’une seule école analogue à celle établie à Cureghem, et même organisée sur les bases les plus larges, serait insuffisante et ne répondrait pas aux besoins du pays, qu’elle exercerait son influence dans un cercle trop restreint. Je suis d’accord avec lui sur ce point, c’est pour cela que j’ai demandé que le gouvernement créât plusieurs établissements, non pas des écoles proprement dites, mais des fermes modèles. J’ai dit qu’il fallait en créer dans toutes les provinces et les mettre à la portée des agriculteurs parce que ce n’est que de cette manière que la science agricole pourra se répandre dans les communes rurales.

Ensuite j’ai soutenu la nécessité d’un établissement central largement organisé, parce que je veux un enseignement agricole de deux classes différentes : j’en veux un pour la classe des propriétaires, j’en ai expliqué le motif ; : c’est pour attirer dans l’agriculture les capitaux nécessaires. L’intérêt agricole n’est pas compris, on ne conçoit pas assez l’emploi utile, lucratif, que les capitaux peuvent recevoir dans cette grande industrie, parce que la science agricole fait défaut.

Il faut donc un établissement central organisé sur des bases larges, non pas pour les laboureurs proprement dits, mais pour les propriétaires.

J’aurai voulu que l’honorable eût attaqué l’utilité d’une telle institution, envisagée à ce dernier point de vue. Je crois qu’il eût été facile de répondre à son argumentation.

L’honorable a dit que pour l’agriculteur il fallait un enseignement pratique, qu’il fallait « parler aux yeux ». c’est ce que j’ai dit ; ce sont à peu près les propres termes dont je me suis servi.

C’est pour cela que je veux que l’on joigne à l’enseignement théorique l’enseignement pratique, qu’il ait des fermes modèles où les bonnes méthodes, les bons procédés, en matière d’agriculture, seront enseignées bien moins par des paroles que par des faits, par des résultats que les cultivateurs viendront constater et pratiqués en quelque sorte par eux-mêmes.

Dirait-on que le bien que nous attendons d’institutions de cette nature est une illusion ? Mais, ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire, ce serait soutenir que l’on trouverait plus facilement son chemin lorsqu’on marche environné de ténèbres, ou bien encore que la science est impuissante pour ce qui est le plus directement de son domaine.

L’honorable membre trouve en quelque sorte étrange que nous, les partisans des économies, nous venions proposer ici de nouvelles dépenses. Si, j’ai déjà eu l’occasion dans une autre discussion de vous dire que je fais une grande distinction, entre les diverses dépenses, et quand je vois qu’on puise à pleines mains dans le trésor pour des indemnités, pour des augmentations de traitements de toute nature, ne doit-il pas nous être permis d’y puiser à notre tour, non pour améliorer des positions individuelles, mais pour améliorer les grands intérêts du pays ; faudrait-il par hasard que les dépenses improductives eussent toujours le pas sur les dépenses productives ?

L’honorable membre dit qu’avec la théorie on ne fera rien du tout ; que les théories ne sont bonnes à rien ; et immédiatement après il vient vous proposer d’annexer des cours théoriques d’agriculture à chaque école normale. Car je suppose qu’il n’entend pas qu’on donne l’enseignement pratique dans les écoles normales, car pour cela il faudrait mettre une espèce de ferme à l’usage de chacun de ces établissements. Il me semble donc que l’honorable membre se trouve là en contradiction avec lui-même.

Quant à moi, messieurs, je ne repousse pas l’idée de l’honorable membre ; je voudrais aussi qu’on pût annexer des cours d’agronomie aux écoles normales ; c’est une opinion que l’honorable M. de Theux a déjà émise dans la séance d’hier. En effet, messieurs, les instituteurs sortant de ces écoles, et se distribuant dans les diverses communes, serviraient à répandre les connaissances agricoles.

Je croirais abuser des moments de la chambre si j’insistais davantage pour réfuter en détail toutes les observations à l’honorable membre ; je tenais seulement à rétablir le sens de mes paroles.

M. de Garcia – Messieurs, la question qui est réellement à l’ordre du jour, et qui est très-importane, il faut en convenir, est celle de savoir si nous pouvons voter, en connaissance de cause, le subside pétitionné par le gouvernement pour l’école vétérinaire.

Messieurs, je le déclare, dans aucune circonstance, je ne me suis trouvé dans un semblable embarras. Il est constaté, je crois, pour toute la chambre, que l’école vétérinaire est dans un désarroi complet. Il est même établi, en quelque sorte que, d’ici à la fin de l’année, on ne pourra guère rétablir l’ordre ou, au moins, y établir l’instruction voulue par le programme de l’établissement. Pour atteindre ce but à toutes fins, l’on semble généralement vouloir la présentation d’un projet de loi complet. L’état de décadence dans lequel l’on prétend qu’est tombé cet établissement, semble justifier cette manifestation.

Cependant, messieurs, je ne puis me résoudre à donner un vote qui oblige à fermer l’école. Car, enfin, cet établissement existe, et il y aurait de grands inconvénients pour la chose publique à ne pas le maintenir. Il est démonté, selon nous, de toute évidence, qu’une école vétérinaire est nécessaire et indispensable aux besoins du pays

Dans cette position, que faut-il faire ? Le plus sage me paraît de ne pas voter les fonds pour l’année entière. Je voudrais donc appuyer l’amendement de l’honorable comte de Renesse, et voter seulement un subside pour dix mois. D’ici là le gouvernement pourra nous faire connaître les résultats de son enquête, et ses vues sur la réorganisation de cette institution. Cependant, je dois le dire, messieurs, si je croyais fondées les accusations articulées contre l’école vétérinaire, je ne voterais pas un centime, je ferais ce qu’on appelle, table rase. Mais dans l’espoir que le gouvernement nous mettra à même d’apprécier cette affaire, et ne voulant rien préjuger qu’en parfaite connaissance de cause, j’accorderai un crédit suffisant pour dix mois.

Quant à la proposition d’enquête par la chambre, je le repousserai. Je n’aime pas non plus que la chambre fasse de l’administration ; car de cette manière, nous couvrons la responsabilité du gouvernement. Or, j’aime que le gouvernement fasse lui-même sa besogne, et je l’appuie toutes les fois qu’il la fait convenablement.

Je me prononcerai donc contre l’amendement de l’honorable comte de Renesse en ce qui concerne la demande d’enquête ; et lorsque nous en viendrons au vote, je demanderai la division de la double proposition.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, l’honorable préopinant suppose que l’école vétérinaire est en désarroi. Je puis assurer à l’honorable membre que si quelque chose a fait naître quelque émotion dans l’école, c’est l’attente de la discussion à laquelle nous nous livrons. J’ajouterai que cette discussion terminée, l’école rentrera dans le calme, et que si elle n’était pas rentrée dans l’ordre, elle ne se rouvrirait pas au mois d’octobre prochain.

L’honorable préopinant n’a donc pas besoin des moyens coercitifs qu’il trouve dans la proposition de l’honorable comte de Renesse. La discipline est ou sera rétablie, l’enseignement est ou sera convenablement donné. Je verrai les autres moyens à prendre ; un projet de loi vous sera présenté à la session prochaine soit pour la conservation de l’établissement de Cureghem comme école vétérinaire ou comme école vétérinaire et agricole, soit pour la formation d’une institution sur d’autres bases. Mais si l’ordre n’étai pas rétabli, l’école serait fermée même avant le mois d’octobre prochain.

M. Dumortier – Messieurs, je ne crois pas qu’on puisse dire qu’il y a du désordre dans l’école vétérinaire. Je crois qu’il y a beaucoup d’ordre et qu’on peut rendre tout hommage au directeur actuel.

Pour prétendre qu’il y a du désordre dans une école, il faudrait qu’il y eût de l’insubordination chez les élèves, et je pense que personne n’a prétendu qu’il en fût ainsi, et n’a voulu jeter un pareil blâme sur une institution qui a rendu et qui peut encore rendre d’immenses services au pays.

Je pense donc qu’il ne peut s’agir de faire rentrer l’école dans l’ordre.

Mais ce qu’il y a de mauvais, messieurs, dans cet établissement, c’est un décousu infini entre les professeurs. A quoi faut-il attribuer cet état de choses ? Chacun peut le voir à sa manière ; quant à moi, je crois le voir en ce que M. le ministre de l'intérieur, après la réception du rapport qui se trouve déposé sur le bureau, n’a pas cherché à éclairer les faits. Il a en quelque sorte admis comme prouvé tout ce qui se trouvait dans ce rapport.

Messieurs, le rapport du jury d’examen est vrai ou il ne l’est pas. Je ne veux pas examiner maintenant cette question, ; mais il reste constant que, laisser faire, par le gouvernement, une enquête, alors qu’il a pu la faire et qu’il l’a arrêtée au point où elle en est, c’est nous exposer à nous retrouver, à la session prochaine, dans la situation où nous sommes aujourd’hui.

Il n’y a donc, messieurs, qu’un moyen d’en finir : c’est d’accepter la proposition (page 783) de l’honorable comte de Renesse. Que la chambre s’éclaire par elle-même, qu’elle voie les faits, et alors elle jugera en connaissance pleine et entière. Elle saura ce qu’il faut faire de l’école, s’il faut la maintenir, s’il faut lui donner une autre destination s’il faut la réorganiser.

Je voterai donc pour la proposition de l’honorable comte de Renesse, et je regrette que l’honorable M. de Garcia regarde cette proposition comme étant une question d’administration. Non, messieurs, la chambre ne fait pas de l’administration, quand elle établit une enquête ; elle use d’un droit constitutionnel, et personne ne peut et n’oserait lui contester ce droit.

Messieurs, y a-t-il lieu de faire une enquête ? mais si jamais elle a été nécessaire, c’est après ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur. Comment ! on vient vous signaler, du haut de la tribune de la représentation nationale, des faits d’une excessive gravité, et on n’y a pas porté remède depuis plusieurs années. Messieurs, si ces faits sont exacts, le ministre, qui les connaissait, devait les réprimer. Si, au contraire, ces faits ne sont pas vrais, la chambre cherchera à s’en assurer ; elle ne voudra pas s’en tenir à l’accusation sans entendre la défense.

Ce que nous devons tous désirer, messieurs, c’est de connaître parfaitement la vérité. Or, qu’est-ce qu’une enquête ? C’est une investigation sur la vérité.

La chambre, messieurs, est plus intéressée que jamais à connaître la vérité. Il s’agit d’une dépense considérable, d’une dépense annuelle de plus de 150,000 fr. Il s’agit d’un établissement auquel est attaché le sort de beaucoup de jeunes gens en Belgique, qui peut rendre de très-grands services au pays. Que la chambre s’enquiert donc de la vérité, et, après avoir reconnu ce qu’il a d’exact dans les faits qui lui sont signalés, elle jugera avec sagesse et en pleine connaissance de cause. Je le répète, messieurs, si nous n’agissons pas ainsi, nous nous exposons à nous retrouver, l’année prochaine, dans la même situation qu’aujourd’hui.

M. Dubus (aîné) – Messieurs, un établissement de l’Etat qui a été prospère pendant plusieurs années et qu’on dit maintenant en décadence, se trouve réellement traduit à votre tribune et menacé dans son existence ; car il est impossible d’apprécier le rapport du jury d’examen de 1844, comme autre chose qu’une attaque dirigée contre l’existence même de l’établissement et ayant pour but de provoquer sa suppression. Il est impossible de donner une autre portée au rapport du jury d’examen.

Cette école, messieurs, ne le perdons pas de vue, était d’abord un établissement libre appartenant à ceux qui l’avaient fondé. Cet établissement qui existait dans l’enceinte même de la ville de Bruxelles et qui avait eu un grand succès, a fixé l’attention du gouvernement. Le gouvernement a désiré qu’il devînt un établissement de l’Etat et il est entré à ce sujet en négociations avec les fondateurs qui ont consenti à céder cet établissement au gouvernement, devenant, eux, alors, professeurs dans l’établissement de l’Etat.

Cela ne s’est pas fait, messieurs, sans l’approbation de la législature, puisqu’il a fallu recourir aux chambres pour obtenir l’autorisation d’acquérir les bâtiments et les terrains nécessaires pour y transférer ce nouvel établissement de l’Etat.

Messieurs, il est impossible de méconnaître qu’il résulte déjà de ces faits un véritable engagement moral entre le gouvernement et l’Etat même d’une part, et les fondateurs de l’autre. Provoquer maintenant la suppression de cet établissement par des attaques préparées en secret par une prétendue enquête dont on dérobe les éléments et dont on ne fait connaître que les résultats, ce serait arriver à violer cet engagement, à dépouiller ces professeurs de ce qui est en quelque sorte leur propriété morale ; et tout cela probablement, parce qu’on aurait conçu le dessein de fonder ailleurs, et au profit d’autres hommes, un autre établissement.

Messieurs, vous devez craindre d’entrer dans une pareille voie. Vous devez appeler une investigation sévère sur tous les faits ; vous devez surtout tenir à ce que l’enquête soit publique, afin que ceux qui sont attaqués puissent enfin se défendre et se défendre au grand jour.

On a parlé tout à l’heure, messieurs, de brochures qui seraient des pamphlets, qui seraient distribuées sous le manteau et dans lesquelles les professeurs hasarderaient leur défense. Mais ce qu’on a oublié de dire, c’est que dans ces brochures ces professeurs demandent une enquête, et une enquête au grand jour. Ils ne redoutent donc pas la publicité, puisqu’ils l’appellent hautement, et je crois qu’il est de notre devoir de répondre à cet appel, sinon nous courons le risque d’être injustes et de violer des droits que nous devons respecter.

Comment est-on arrivé, messieurs, à mettre ainsi cet établissement en suspicion ?. En nommant le jury d’examen pour 1844, on lui a donné un mission, qui, si mes renseignements sont exacts, n’avaient pas été donné jusqu’ici aux jurys d’examen pour l’école vétérinaire…

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Chaque année, cette mission a été donnée au jury.

M. Dubus (aîné) – J’appellerai l’attention de la chambre, à cet égard, sur une circonstance. Dans une lettre publiée dans un journal de la capitale, vers la fin de l’année dernière et signée par sept professeurs de l’école, il est déclaré que, pour les trois sessions qui on précédé celle de 1844, aucune mission semblable n’a été donnée au jury d’examen. Et trois de ces professeurs attestent qu’ils faisaient partie du jury pour ces trois sessions antérieures. Ils connaissaient donc parfaitement le fait.

Il ne s’agit donc pas ici d’une défense qui serait communiquée sous le manteau ; il s’agit d’une lettre publiée par un journal de la capitale, au mois de décembre dernier, en réponse à une lettre du président du jury d’examen, et pour démentir les assertions contenues dans cette dernière lettre.

Ainsi, messieurs, il n’est pas du tout établi que cette mission ait été donnée aux autres jurys d’examen, et ces sept professeurs déclarent que c’est en 1844 qu’elle a été donnée pour la première fois.

Il y a, messieurs une autre circonstance. On vous a dit qu’il y a zizanie entre les professeurs. Deux professeurs se trouvent, en effet, en opposition avec tous leurs collègues. Eh bien, en composant le jury d’examen, on a choisi précisément ces deux professeurs-là, et l’on a exclu tous les autres. Voilà, messieurs, un fait qui me paraît assez grave. Cette enquête secrète donc on ne nous fait connaître que le résultat, est l’œuvre de deux professeurs qui sont en opposition avec tous leurs collègues, elle est dirigée contre tous ces collègues ; il se trouve qu’à point nommé ces deux professeurs sont devenus membres du jury d’examen qui devait faire cette enquête.

Mais, messieurs, voici une circonstance de plus, et à cette occasion, je rappellerai que l’on a été très-injuste à l’égard du commissaire du gouvernement près de l’école, lorsqu’on a imputé à son défaut de surveillance les abus que l’on a signalés. Il n’était pas chargé de cette surveillance.

Rappelez-vous, messieurs, que dès 1841 on a nommé un inspecteur des études, et l’on a chargé de ces fonctions un professeur, et au lieu de demander, comme l’a fait un honorable député, les rapports du commissaire du gouvernement, sur la manière dont l’enseignement était donné, il me paraît qu’il eût été plus rationnel de demander les rapports de cet inspecteur des études. Or, il paraît qu’aucun rapport n’a été fait par ce fonctionnaire. Cependant, s’il y a eu des abus depuis quatre ans, il me semble qu’il aurait dû les signaler. Eh bien, messieurs, voici précisément que cet inspecteur des études se trouve être l’un des deux professeurs hostiles à tous les autres, et qui font partie du jury d’examen de 1844. Voici que cet inspecteur vient condamner tout à coup, en 1844, un enseignement qu’il avait mission de surveiller depuis plusieurs années et sur lequel il n’a fait aucun rapport.

Avant 1840, messieurs, l’école était dans un état satisfaisant, elle était même dans un état de progrès. Cela n’est pas contesté. Ce n’est que depuis lors qu’il aurait, dit-on, décadence. Cette décadence, en quoi aurait-elle consisté ? On a parlé du nombre beaucoup restreint des élèves ; mais, messieurs, c’est là le résultat d’une mesure prise en 1840 ; jusque-là, l’école n’avait pas été considérée comme exclusivement destinée à former des jeunes gens à l’art vétérinaire. On y admettait aussi des fils de cultivateurs, qui suivaient seulement une partie des cours donnés dans l’établissement, mais qui n’avaient aucun dessein de devenir vétérinaires, et qui sortaient de l’école sans avoir subi les cours de médecine vétérinaire proprement dits. Ils suivaient notamment les cours d’économie rurale, d’agronomie, d’éducation des animaux domestiques, etc… tous cours qui devaient leur être d’une grande utilité lorsqu’il seraient rentrés dans leurs communes. Pour faciliter les études, on avait institué des cours préparatoires qui devaient rendre ces jeunes gens propres à suivre avec succès les autres cours. Il résulte de là que l’on était peu difficile, qu’on l’était facile même dans l’admission des élèves. Mais en 1840, messieurs, on a tout à coup exigé des élèves qui se présentaient pour être admis à l’école vétérinaire des épreuves plus fortes qu’on n’en exige de ceux qui se présentent pour suivre les cours universitaires. Qu’en est-il résulté ? C’est qu’on n’a presque plus admis d’élèves. Je crois qu’en 1840 on n’en a admis aucun, et c’est tout au plus si pendant les trois années suivantes on en a admis trente. Ce n’est que 1844 que l’on est revenu jusqu’à un certain point à ce qui se pratiquait avant 1840. Aussi en 1844 on a admis 32 élèves, c’est-à-dire qu’on n’en avait admis pendant les quatre années précédentes. Si donc le nombre d’élèves a diminué, la cause en est évidente, c’est parce qu’on a soumis ceux qui se présentaient à des épreuves auxquelles ils ne pouvaient pas suffire, et, je le répète, à des épreuves plus fortes que celles qu’on exige des élèves qui veulent suivre les cours universitaires.

On a signalé d’autre part comme preuve de la décadence de l’école, que 16 élèves se seraient présentés aux examens de 1844 et que 3 seulement auraient été admis. Mais, messieurs, il a déjà été répondu à cela que ces 16 élèves n’appartenaient pas tous à l’école, que parmi eux il s’en trouvait qui n’appartenaient, à ce qu’il paraît, à aucune école, deux notamment étaient des empiriques qui venaient chercher un diplôme et qui n’en ont pas obtenu. Il en était d’autres qui avaient fait leurs études non pas à l’école de Cureghem, mais sous la direction du président même du jury, qui avant de venir à Bruxelles, dirigeait une école semblable à Liége. Cependant le jury, qui ne pouvait pas méconnaître ce fait puisqu’il y avait là quelque chose de personnel à plusieurs de ses membres et notamment à son président, le jury attribue ces 16 élèves à l’école de Cureghem.

Cette première inexactitude ne me donne pas, messieurs, une grande opinion de l’impartialité des auteurs du rapport.

Maintenant les élèves appartenant véritablement à l’école de Cureghem et qui se sont présenter en 1844, doivent-ils être considérés comme le produit normal et annuel de l’école, en élèves ayant reçu une instruction complète ? En aucune manière : de ces élèves-là il ne s’en trouvait pas un, puisque, comme je l’ai dit tout à l’heure, il n’a été admis en 1840 aucun élève. Or, c’était en 1844 que devaient avoir achevé leurs études ceux qui auraient été admis à l’école en 1840. il ne s’est présenté aux examens de 1844 que des élèves qui avaient déjà échoué plusieurs fois. Il en était d’après les renseignements qui m’ont été donnés, qui avaient déjà échoué quatre ou cinq fois et qui sont venus échouer à nouveau.

Et l’on viendra conclure de ce fait contre l’enseignement de l’école ! Mais, messieurs, cette conséquence n’est point du tout nécessaire. S’il y avait eu 16 élèves ayant fait leurs études pendant quatre ans à l’école et arrivant devant le jury en 1844, et si, à trois près, ces élèves avaient été trouvés insuffisants, je conviens que cette circonstance serait grave. Mais du moment où (page 784) vous reconnaissez les faits comme les professeurs attaqués les rétablissent, toute la gravité de l’imputation s’évanouit. Ici encore une fois je vous prie, messieurs, de remarquer que ce n’est pas sous le manteau que ces professeurs se sont défendus, toutes les circonstances que j’allègue ici sont puisées dans la lettre qui a été publiée par eux dans un journal de la capitale au mois de décembre dernier, qui était signée par sept professeurs de l’école vétérinaire, et qui servait de réponse aux attaques de M. Desaive, insérées dans le même journal.

Cependant, messieurs, à mon grand étonnement, pour certains membres de la chambre et même pour l’honorable rapporteur de la section centrale, il semble suffire que l’école ait été accusée dans le rapport du jury d’examen pour qu’on doive la condamner. Ainsi, encore une fois ces professeurs se trouveraient condamnés sans même avoir été entendus. Lorsque le bruit s’est répandu qu’un rapport ayant cette tendance avait été remis au ministre, ils ont demandé la communication de ce rapport et ils ont essuyé un refus ; on ne voulait donc pas même leur faire connaître quels étaient les griefs allégués à leur charge. Je crois qu’on a motivé ce refus par la circonstance qu’on voulait faire un supplément d’enquête pour vérifier les faits. C’était donc encore une enquête secrète qu’on voulait faire, en les plaçant dans l’impossibilité de se défendre.

Quant à moi, messieurs, je suis habitué à ne point condamner, sans entendre, ceux qu’il s’agit de juger et surtout de ne point admettre comme prouvés des faits aussi graves que ceux qu’on a allégué lorsqu’ils sont dénués, comme ceux-ci, de toute espèce de justification, alors qu’on ne fait pas même connaître, qu’ils aient été au moins vérifiés.

La manière dont l’école est tenue a été aussi l’objet de critiques. Eh bien, si j’en crois les renseignements qui m’ont été communiqués par plusieurs membres de cette chambre, qui ont visité l’école cet hiver, ils l’ont trouvée dans le meilleur ordre. Il m’est difficile de comprendre comment les membres du jury d’examen ont vérifié les faits, car remarquez-le, messieurs, c’est pendant les vacances, alors qu’il n’y avait pas d’élèves à l’école, qu’il y sont allés. On ne devine pas comment ils s’y sont pris pour constater alors le défaut d’ordre dans cette école.

D’honorables membres, je le répète, m’ont déclaré que pendant cette session ils sont allés visiter l’école et que tout était dans le meilleur ordre.

Il me semble qu’on doit avoir plus de confiance dans ce que me rapportent des collègues qui sont allés voir l’école en activité, que dans ce que disent les membres d’un jury, suspect à mes yeux, qui n’y sont allés que pendant les vacances, alors que l’école chômait.

Je n’admets donc pas la vérité de ces faits, jusqu’à ce qu’ils aient été vérifiés. Mais je crois que nous ne pouvons nous refuser de répondre à l’appel des professeurs inculpés, qui demandent à se disculper au grand jour ; je croirai faire acte de justice en votant pour l’enquête qui a été proposée. Toutefois, je ne voudrais pas réduire à dix mois le chiffre du crédit demandé pour l’année 1845, parce que cette réduction du crédit serait une sorte de préjugé contre l’école, et que je ne veux rien préjuger contre elle. Nous arriverons toujours à temps pour prendre les mesures que les circonstances commanderont, si les faits sont vérifiés ; mais, jusque-là, je ne veux pas donne mon assentiment à un vote qui préjugerait contre l’école, alors qu’il n’y a qu’une accusation dénuée de toute preuve.

Messieurs, on a articulé d’autres critiques contre cette école. Je ne les relèverai pas toutes, je dirai seulement un mot sur celle qui a été présentée comme la principale. Ce grief est la mauvaise réputation des lieux où l’école a été placée.

Cette question est une question jugée, et jugée par la loi. Cette question était entière en 1836 ; elle a été débattue alors ; moi-même, j’étais aussi d’avis que ce n’était pas là qu’il fallait placer l’école vétérinaire. Mais enfin on en a jugé autrement, la majorité a fait la loi, le gouvernement a demandé que l’école fût placée là, les deux chambres y ont consenti, la loi l’a ainsi décrété. Est-ce qu’il faut revenir maintenant sur ce qui a été décidé, alors que toutes les dépenses sont faites ? certes, il faudrait, pour cela, qu’il eût les motifs les plus graves. L’école a été placée à Cureghem, parce qu’on a trouvé un grand avantage à ce qu’elle fût aux portes de la capitale. On fait remarquer à ce sujet que dans les autres royaumes les écoles de ce genre sont aussi placées dans les capitales ou dans de grandes villes. Ainsi, il y a une école vétérinaire aux portes de Paris, il y en a une à Lyon, une à Toulouse, une à Vienne, une à Milan ; il y a un collège vétérinaire à Londres. On a eu en vue, en cela, d’obtenir un double avantage : d’abord celui d’avoir un plus grand nombre d’animaux malades qui servent pour les cliniques, et ensuite celui d’avoir à moindre frais tous les professeurs nécessaires à l’établissement et les meilleurs professeurs.

D’un autre côté, il était intéressant d’avoir près de l’établissement de bonnes prairies pour l’alimentation et même pour le traitement des animaux qui servent à la clinique de l’école. On trouve encore cet avantage à Cureghem.

Le principal inconvénient qui a été signalé est celui des inondations ; il est vrai que maintenant surtout, il y a des inondations périodiques à Cureghem. Je dis « maintenant », parce qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Par exemple, les anciens bâtiments qui sont là, doivent nous donne lieu de penser qu’à l’époque où on les a construits, les inondations n’atteignaient pas le rez-de-chaussée, parce que l’on doit admettre qu’on a eu égard, en les construisant à l’élévation des eaux d’hiver. Il est clair qu’il y a là actuellement des inondations dont on n’avait pas à se plaindre autrefois, ou du moins que ces inondations sont plus considérables aujourd’hui que celles dont on avait à se plaindre autrefois. On pourrait peut-être rechercher quelles sont les circonstances qui ont amené ce changement dans la situation des choses ; car enfin ces causes une fois reconnues, on pourrait les faire disparaître, et alors on reviendrait à l’état dans lequel se trouvait ce terrain au moment des premières constructions.

Mais il y a encore d’autres remèdes, et l’on a déjà demandé avec raison pourquoi ils n’ont pas été employés. Il y a des bâtiments nouveaux ; ces bâtiments ont été construits à une élévation telle que jamais les inondations les plus fortes ne peuvent y atteindre. Quant aux bâtiments anciens, M. le ministre de l'intérieur a fait faire en 1839 par l’ingénieur Urban, le plan d’un endiguement qui devait mettre ces anciens bâtiments à l’abri de toute inondation ultérieure. Ce travail doit encore exister dans les bureaux de M. le ministre de l'intérieur ; or, je pourrais lui demander pourquoi il n’a été donné aucune suite à ce projet de M. l’ingénieur Urban ; si ces inondations sont un inconvénient si grave que cela seul suffirait pour déterminer à abandonner l’école actuelle pour en créer une autre ailleurs, ce qui nous entraînerait dans des dépenses énormes, n’est-il pas préférable de faire une petite dépense pour éviter ces inondations ? ce qui est facile, d’après le travail de M. l’ingénieur Urban.

Du reste, c’est fort à tort qu’on a parlé de ces terrains comme étant marécageux. Ce sont des prairies qui sont inondées, pendant l’hiver, comme toutes les prairies, mais elles ne sont nullement marécageuses.

Ainsi, messieurs, le vice prétendu de l’emplacement n’est pas non plus un grief suffisant contre l’école. En conséquence, je voterai pour le crédit qui est demandé par le département de l’intérieur, mais je voterai en même temps pour l’enquête, et dès lors, je demanderai la division de la proposition de l’honorable M. de Renesse.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, on demande une enquête, pourquoi ? Est-ce pour disculper les professeurs ? mais il y a des faits qui aujourd’hui ne sont plus susceptibles de vérification, des faits qui ont cessé. On accusait, par exemple, l’établissement de ne pas présenter tous les caractères de propreté ; eh bien, des ordres ont été donnés, pour que les collections, entre autres, soient entretenues dans un état convenable.

Est-ce pour que les cours soient mieux donnés ? mais des mesures ont été également prises, pour que tous les cours soient donnés. Il y avait notamment un des cours les plus importants qui n’était pas donné avec la régularité nécessaire ; ce cours est aujourd’hui régulièrement donné. De quoi veut-on disculper les professeurs ? (Interruption.)

On me dit que sur 16 élèves qui se sont présentés, treize n’ont pas été admis par le jury. Mais l’honorable M. de Theux lui-même vient de déclarer que la non-admission de ces élèves ne prouvait rien. Veut-on sauver l’établissement ? c’est le deuxième but de l’enquête, ceci ne touche pas à l’honneur des professeurs. Veut-on, je le répète, sauver l’établissement ? Eh bien, je dis qu’on le compromettrait singulièrement, en faisant faire une enquête par la chambre. Voulez-vous faire rentrer l’institution dans l’état normal ? Eh bien, l’émotion qui existe dans ce moment, se perpétuerait par l’enquête que la chambre ferait. Veut-on sauver l’établissement, à ce point de vue que le gouvernement aurait l’intention de changer l’établissement de l’école ? mais le gouvernement ne peut changer cet emplacement sans y être autorisé par une loi. Vous pourrez donc être sur ce point, sans la moindre inquiétude : que craignez-vous dès lors ?

Je ne vois donc pas pourquoi la chambre ferait une enquête. (Interruption.) La chambre a sans doute le droit de faire une enquête ; je ne discute pas ce droit, mais je discute ici la convenance, l’utilité de l’enquête. L’honorable M. Dubus ne veut rien préjuger contre l’établissement. Or, je crois pouvoir dire que la chambre, en ordonnant une enquête, créerait un grand préjugé contre l’établissement. L’essentiel est que tout rentre dans l’état normal.

Il y a peut-être des mesures administratives à prendre ; mais la commission d’enquête qui serait instituée par la chambre, prescrirait-elle, prendrait-elle ces mesures ? Mais, au contraire, l’enquête étant ouverte, rien ne se ferait, le gouvernement serait forcément inactif.

Messieurs, il faut laisser la responsabilité là où elle est. Une discussion a eu lieu, je ne la regrette pas. Peut-être aurait-il mieux valu refuser à la section centrale la communication, même officieuse, de l’enquête. Maintenant on veut aller plus loin, on veut que la chambre se saisisse de toute la question, ce serait ajouter à un premier tort un tort beaucoup plus grave. Je crois que la discussion doit en rester là. On veut que l’établissement reste debout ; eh bien, j’ose le prédire, l’enquête que la chambre ordonnerait compromettrait gravement l’existence de l’établissement.

Des membres – Aux voix ! aux voix !

D’autres membres – Non ! non ! continuons.

D’autres membres – Alors à demain ! à demain !

M. Manilius – Je ne m’oppose pas à ce que la discussion continue demain, où même ce soir ; mais il est temps maintenant de lever la séance : nous sommes ici depuis dix heures du matin.

- La chambre, consultée, prononce la clôture de la discussion.

M. le président – On a demandé la division de la proposition de M. de Renesse : 1° l’enquête ; 2° le chiffre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je demande que, conformément à l’usage, on mette d’abord aux voix le chiffre le plus élevé qui est celui du gouvernement.

M. Dumortier – Il est indispensable de poser la question comme l’a indiqué M. le président. Si l’enquête est ordonnée, nous voterons le crédit entier ; si l’enquête est écartée, nous n’accorderons les crédits que pour dix mois.

M. de Renesse – Je me réunis à la proposition de l’honorable M. Dubus, de voter le crédit entier et d’ordonner l’enquête.

M. le président – Je vais mettre d’abord aux voix la question de savoir s’il y aura une enquête.

(page 785) - L’appel nominal ayant été demandé, il va être procédé à cette opération.

En voici le résultat :

66 membres ont répondu à l’appel ;

35 membres ont répondu non ;

30 membres ont répondu oui ;

1 membre s’est abstenu.

En conséquence, la proposition d’enquête n’est pas adoptée.

M. de Theux, qui s’est abstenu, est invité aux termes du règlement, à énoncer les motifs de son abstention.

M. de Theux – Je me suis abstenu parce qu’il s’agissait d’un établissement à l’administration duquel j’ai pris part pendant trois années. En deuxième lieu, j’aurais désiré une enquête pour fournir aux professeurs un moyen de se justifier, parce que, dans mon opinion, la religion de M. le ministre a été surprise, non que je pense qu’il y ait eu de sa part mauvais vouloir, mais par suite de ses occupations ou préoccupations politiques. D’autre part, j’ai craint que l’enquête ne fût pas un moyen de conciliation, choses que je regarde comme principale, et je compte sur la promesse qu’a faite M. le ministre de procéder à l’examen des questions avec un esprit de conciliation.

Ont répondu non : MM. de Corswarem, de Florisone, de Garcia, de la Vega, de La Coste, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, Desmaisières, de Terbecq, Donny, Dubus (Bernard), Dubus (Albéric), Dumont, Fallon, Goblet, Liedts, Malou, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Rodenbach, Scheyven, Simons, Smits, Thyrion, Van Cutsem, Van den Eynde, Van Volxem, Verwilghen, Wallaert, Cogels, d’Anethan, de Brouckere.

Ont répondu oui : MM. de Haerne, Delehaye, d’Elhoungne, de Man d’Attenrode, de Naeyer, de Renesse, de Roo, Desmet, de Tornaco, Devaux, Dubus (aîné), Dumortier, Duvivier, Fleussu, Huveners, Kervyn, Lesoinne, Lys, Maertens, Manilius, Osy, Pirson, Rogier, Savart, Thienpont, Verhaegen , Brabant, Castiau, de Chimay et Vilain XIIII.

M. le président – Je vais mettre aux voix le chiffre du gouvernement.

M. de Brouckere – S’il est rejeté, que mettra-t-on aux voix ? Sera-ce le chiffre proposé par M. de Renesse ?

M. le président – Celui de la section centrale ; celui de M. de Renesse est retiré.

M. de Brouckere – M. de Renesse n’a renoncé au chiffre qu’il proposait que pour autant que l’enquête fût autorisée. J’ai voté contre la proposition d’enquête, parce que je n’aime pas que la chambre fasse de l’administration, mais je suis disposé à voter un chiffre inférieur à celui demandé par le gouvernement pour être certain qu’il prendra les mesures nécessaires.

M. le président – Le bureau n’est saisi que de deux propositions : celle du gouvernement et celle de la section centrale.

M. Osy – M. de Renesse n’a retiré son chiffre que conditionnellement. Au besoin je reproduirai la proposition de n’accorder le crédit que pour dix mois.

M. le président – On va commencer par voter sur le chiffre du gouvernement qui est le plus élevé. S’il y a lieu on votera sur la proposition reprise par M. Osy.

- L’appel nominal étant demandé, il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

60 membres répondent à l’appel.

35 membres ont répondu non

25 ont répondu oui.

En conséquence le chiffre du gouvernement n’est pas adopté.

Ont répondu oui : MM. de Corswarem, de Florisone, de Meester, de Mérode, de Terbecq, de Theux, Donny, Dubus (aîné) Dubus (Bernard), Dubus (Albéric), Dumont, Fallon, Goblet, Liedts, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Scheyven, Smits, Van Cutsem, Van Volxem, Verwilghen, Brabant et d’Anethan.

Ont répondu non MM. de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delehaye, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Naeyer, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Tornaco, Devaux, Dumortier, Fleussu, Huveners, Kervyn, Lesoinne, Maertens, Malou, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Savart, Simons, Thienpont, Thyrion, Van den Eynde, Verhaegen , Wallaert, Castiau, Cogels, de Brouckere et Vilain XIIII.

L’article est ensuite adopté avec le chiffre de 124,580 fr. pour dix mois.

- La séance est levée à 5 heures.