(Moniteur belge n°20, du 20 janvier 1833)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Jacques fait l’appel nominal à une heure.
- La séance est ouverte.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. Jacques expose sommairement l’objet des pièces adressées à la chambre.
Parmi ces pièces se trouve la lettre suivante adressée par M. le ministre de la guerre.
« Monsieur le président,
« De concert avec la commission de la chambre chargée de faire rapport sur les deux projets de loi que j’avais proposés et à laquelle j’avais soumis le budget des dépenses de l’armée sur le pied de guerre, j’ai profité du temps des vacances de la chambre pour le faire imprimer pour être distribué à MM. les représentants.
« Mais je compte le présenter moi-même à la chambre après le retour de S. M., et je vous prie de vouloir bien en annonçant sa distribution préalable, prévenir que j’aurai l’honneur de le présenter au nom du gouvernement.
« Veuillez agréer, etc.
« Le ministre, directeur de la guerre,
« Signé Baron Evain. »
M. Nothomb, rapporteur de la commission chargée de la vérification des pouvoirs des députés nouvellement élus, est appelé à la tribune. - Messieurs, dit-il, votre commission m’a chargé de faire un rapport sur les élections de Bruxelles. Elle n’a reçu que le procès-verbal du bureau principal, mais dans ce procès-verbal se trouve l’analyse des opérations des sections, de sorte que la commission s’est crue dispensée de demander communication des procès-verbaux concernant ces opérations.
Les électeurs de Bruxelles sont divisées en dix sections : votre commission doit appeler votre attention sur une singularité qui s’est manifestée dans ces sections ; personne ne s est présenté à la neuvième section. Quoi qu’il en soit, 321 électeurs étaient présents, M. Rouppe a obtenu dans la première section 19 voix ; dans la deuxième 11 ; dans la troisième 33 ; dans la quatrième 25 ; dans la cinquième 50 ; dans la sixième 35 ; dans la septième 48 ; dans la huitième 60, et dans la dixième 13 ; en tout 296 suffrages ; d’autres personnes ont obtenu les 25 autres voix : ainsi M. Rouppe a réuni tous les suffrages moins 25. Votre commission n’ayant trouvé d’autre incident que celui que j’ai signalé, et ayant vu toutes les opérations régulières, propose l’admission de M. Rouppe.
M. le président. - Il n’y a pas d’opposition ? Je proclame, en conséquence, M. Rouppe membre de la chambre.
M. Nothomb. - Votre commission s’est encore occupée des élections de deux autres districts ; mais son rapport n’est pas prêt sur ces deux élections.
Pour le district de Liége, il y a de nombreuses réclamations tant pour l’admission que contre l’admission des élus ; la commission a examiné aujourd’hui le volumineux dossier pour terminer son travail.
Quant au district de Tournay, la commission a eu à regretter l’absence d’un de ses membres qui s’est occupé spécialement de ces élections ; cependant elle aurait étudié le dossier si cette étude avait pu atteindre au but que se proposait un honorable membre. Votre commission, par le rapprochement des dates, en suivant toutes les opérations matérielles par lesquelles on doit passer jusqu’à la convocation des électeurs, a trouvé qu’on ne pourrait procéder à une nouvelle élection pour le 31 janvier. Supposez en effet que, demain 19, il y ait décision prise par la chambre et annulation de l’élection de M. Goblet : le ministre de l’intérieur recevrait la décision de la chambre le soir, il écrirait après-demain 20 janvier ; sa dépêche arriverait à Mons le 21 janvier ; M. le gouverneur transmettrait la décision au commissaire de district de Tournay le 22 ; le commissaire transmettrait la même décision aux bourgmestres le 23. Accordons deux jours pour l’envoi des listes de convocation aux électeurs ; nous voici arrivés au 25.
D’après la loi électorale il faut un délai de 8 jours après la convocation pour procéder à l’élection ; ainsi, nous tombons au 2 février, et nous ne pouvons satisfaire le vœu exprimé par l’honorable membre.
M. Dumortier. - Messieurs, je suis réellement étonné que la commission s’empresse si peu de faire son rapport sur les élections de Tournay ; le district de Tournay est privé d’un député. Depuis six semaines, la commission a eu tout le temps d’examiner les pièces concernant cette élection. On a peur de déranger un membre de la commission qui, dit-on, a été chargé spécialement de ce travail, et l’on ne craint pas de déranger douze ou quinze cents électeurs
Quand on dit qu’il n’y a pas possibilité de faire les élections de Tournay en temps utile, cette assertion n’est pas fondée. Nous sommes aujourd’hui au 18 du mois ; si l’arrêté ministériel paraît le 23, les électeurs seront prévenus 8 jours d’avance. On peut se dispenser de quelques formalités intermédiaires ; c’est ce que l’on fait pour les élections de Gand. Chacun de vous doit sentir qu’il est important de ne pas déplacer trop fréquemment les électeurs, sans quoi les opérations électorales deviendraient illusoires.
Dans l’intérêt même de M. Goblet, il faut que la question se décide ; M. Goblet ne gagnera rien à l’ajournement. Il a obtenu une majorité de 9 voix parmi les personnes qui ont voté il y en avait 22 inscrites sur une liste supplémentaire ; dans les élections de Liége on a écarté les électeurs supplémentaires ; si on adopte le même système pour les élections de Tournay, il faudra ôter 22 voix à M. Goblet qui, je le répète, n’a obtenu qu’une majorité de 9. L’élection peut donc être annulée et donner lieu à une nouvelle convocation. Le ministre de l’intérieur, dans des occasions urgentes, et quand il s’agit de déplacer quinze cents à deux mille électeurs, peut hâter les opérations, Par ces considérations, je prie la commission de se retirer et de préparer son rapport.
M. Nothomb. - J’avais espéré que les explications que je présentais au nom de la commission, satisferaient l’honorable membre. J’ai insisté sur la nécessité de 8 jours francs entre la convocation des électeurs et les opérations électorales pour montrer l’impossibilité de présenter un travail en temps utile. Que dit l’honorable membre ? Il rappelle ce qui s’est passé à Gand, où les 8 jours de délai n’ont pas été donnés, et où l’élection n’a pas été infirmée.
Si l’élection de Gand a été validée, c’est parce qu’on n’a pas élevé de réclamations ; si nous procédions comme on a fait à Gand, et qu’on élevât des réclamations, c’est nous qui aurions créé un vice ; et dès qu’il serait l’objet d’observations, nous devrions y faire droit.
L’honorable membre est entré dans le fond de la question. Cette question n’est pas si simple qu’il le suppose. Elle n’est pas identiquement la même que celle qui a été jugée pour les élections de Liége. Il est très vrai qu’il s’agit de 22 électeurs inscrits sur une liste supplémentaire, mais ne croyez pas que tout soit décidé par l’élimination de ces 22 électeurs ; il y a encore d’autres questions à résoudre. Le député élu a obtenu 9 voix de majorité ; il faut se demander si, sur les 22 électeurs de la liste supplémentaire, 13 ont voté ou ne se sont pas présentés. C’est un fait à éclaircir. La commission ne peut l’examiner maintenant ; elle regrette l’absence du membre qui s’était occupé de cette vérification.
- Plusieurs membres. - L’ordre du jour ! l’ordre du jour ! -
M. Dumortier. - L’honorable membre est complétement dans l’erreur.
M. Jaminé. - Je demande la parole pour un rappel au règlement ; je demande que l’on s’occupe de ce qui est à l’ordre du jour.
M. Dumortier. - Le vice de l’argument de l’honorable préopinant résulte de ceci : c’est que sur 40 ou 50 électeurs inscrits sur la liste supplémentaire il y en a 22 qui ont pris part au vote. M. Nothomb n’a pas examiné les pièces.
M. Poschet. - Je demande la parole sur une motion d’ordre.
M. Dumortier. - Je parle sur une motion d’ordre... M. Nothomb dit que je ne conteste pas l’impossibilité où l’on est de pouvoir faire faire de nouvelles élections, à Tournay, pour le 31 janvier ; il est dans l’erreur ; sa crainte est une chimère. La décision prise aujourd’hui, les communes peuvent être averties après-demain ; c’est ce qui s’est fait pour les élections de Gand ; c’est ce qui peut se faire encore. Il me semble que si la commission voulait actuellement se retirer un instant, elle pourrait, séance tenante, nous faire son rapport.
M. Poschet. - Je suis membre de la commission et je ne me sens pas capable de faire le travail aussi lestement. Si M. Dumortier travaille facilement, il aurait dû se faire nommer membre de la commission de vérification des pouvoirs.
(Addendum inséré au Moniteur belge n°21, du 21 janvier 1833) M. Deleeuw. - Je ne veux pas traiter la question relative au temps ni la question relative au fond ; je veux seulement faire observer qu’il est de la plus haute importance que les vérifications de pouvoir soient faites promptement, sans quoi il en résultera que des districts électoraux ne seront pas représentés. Je pense que l’on a eu le temps d’examiner les opérations électorales de Liége et de Tournay, et je suis étonné que l’on ne nous en ait pas fait un rapport. On allègue, pour Tournay l’absence de quelques membres de la commission ; ainsi, l’absence de deux membres de la commission paralyserait son action et empêcherait que des districts électoraux fussent représentés.
Je me borne à cette réflexion, et je demande que la commission accélère son travail.
M. le président. - On a demandé l’ordre du jour, je vais le mettre aux voix.
M. Gendebien. - Il me semble que nous devons délibérer sur la proposition de la commission qui a demandé l’ajournement.
M. le président. - L’ordre du jour, ayant été demandé, doit avoir la priorité.
M. Poschet. - On a demandé de s’occuper des objets à l’ordre du jour.
M. Deleeuw. - Je demande que la commission soit invitée à faire son rapport lundi prochain.
M. Poschet. - Si M. Jullien était présent, il pourrait faire son rapport demain.
M. Dumortier. - Lundi, il serait trop tard ; la motion que j’ai faite est pour éviter un inconvénient dans lequel on tomberait par ce retard.
M. Dubois. - Il sera impossible d’avoir le rapport demain ; il me semble que, pour tout concilier, M. le ministre de l’intérieur peut retarder l’élection de Tournay.
- Plusieurs voix. - C’est impossible !
- La chambre consultée décide que la commission fera demain son rapport sur les élections de Liége et de Tournay.
M. Gendebien. - Il faudrait seulement demander le travail sur les élections de Tournay ; la commission ne pourra pas examiner deux énormes dossiers d’ici à demain.
M. le président. - La parole est à M. Corbisier, rapporteur de la commission des mines.
M. Corbisier, rapporteur. - Messieurs, votre commission spéciale des mines s’est livrée à un examen scrupuleux du projet de loi que vous a présenté M. le ministre de l'intérieur, dans la séance du 29 décembre dernier.
Ce projet est conçu dans le but de lever les obstacles, que le conseil des mines rencontre à l’exécution de la loi du 1er juillet 1832, à cause de l’impossibilité ou il se trouve de constater l’existence d’oppositions formées devant le gouvernement précédent, en vertu de l’article 28 de la loi du 21 avril 1810, à des demandes en maintenue de concession ou d’exploitation ancienne, faites avant la révolution et renouvelées sous le gouvernement actuel.
Votre commission, messieurs, a cru que le conseil des mines s’est exagéré les difficultés de sa position et qu’un simple arrêté du pouvoir exécutif aurait suffi pour prévenir les auteurs de ces oppositions, d’en faire conster ou de les renouveler près du ministère de l’intérieur, dans un délai qu’aurait fixé cet arrêté. Toutefois le gouvernement ayant eu recours à la chambre pour combler la lacune que le conseil des mines, a cru remarquer à cet égard dans la loi du 1er juillet 1832, votre commission n’a vu aucun inconvénient à l’adoption du projet, qu’elle a modifié cependant en plusieurs points.
Elle a été d’avis d’abord que les demandeurs en maintenue de concession et d’exploitation ancienne, ayant prouvé au conseil des mines qu’ils ont rempli les formalités prescrites par les articles 22 à 26 de la loi du 21 avril 1830, il serait injuste d’exiger d’eux un nouvel accomplissement de ces mêmes formalités, quoique dans un délai fort court à la vérité, et elle vous propose en conséquence la suppression des articles 1 et 2 du projet ministériel.
Elle estime que, pour mettre les demandeurs et les opposants dans une condition égale, la loi doit exiger de ces derniers la preuve de l’accomplissement des formalités que leur imposent l’article 28 de la loi du 21 avril 1810, et l’article 4 de l’arrêté du 18 décembre 1818. L’article 3 du projet renferme cette obligation. Votre commission l’a maintenu en apportant quelques modifications à sa rédaction. Cet article deviendrait le premier de la loi.
L’article 4 du projet a été unanimement adopté et serait l’article 2.
Enfin l’article 5 a été également admis par votre commission qui a néanmoins cru devoir y ajouter une disposition, en vertu de laquelle le conseil des mines devra passer outre à une décision définitive, dès que les formalités voulues par l’article premier auront été remplies.
Quelques changements ont été faits aux considérants pour les mettre d’accord avec la nouvelle rédaction du projet.
Voici, messieurs, ce projet que, d’après les considérations qui précèdent, votre commission des mines m’a chargé de soumettre à la chambre :
« Léopold, Roi des Belges, etc.
« Vu les lois des 21 avril 1810 et 1er juillet 1832 ;
« Considérant que des oppositions forcées en vertu de l’article 28 de la loi du 21 avril 1810, à des demandeurs en maintenue de concession ou d’exploitation ancienne, peuvent avoir été transmises à La Haye, sous le précédent gouvernement ;
« Voulant offrir à tous les intéressés la garantie que leurs droits seront pris en considération ;
« Nous voyons, d’un commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Art. 1er. Les opposants aux demandes en maintenue de concession ou d’exploitation ancienne qui, avant, le 1er octobre 1830 ont formé leur opposition en vertu de l’article 28 de la loi du 21 avril 1810 et de l’article 4 de l’arrêté du 18 septembre 1818, en feront conster par la reproduction des pièces ; sinon ils renouvelleront leur opposition dans le terme d’un mois, à dater de la publication de la présente loi.
« Art. 2. Les oppositions seront faites par simple requête timbre, et adressées au ministre de l’intérieur.
« Art. 3. A l’expiration du délai mentionné à l’article premier, le ministre de l’intérieur transmettra au conseil des mines les demandes en maintenue avec les oppositions, s’il y en a, ou un certificat constatant qu’il n’en a pas reçu ; et il sera passé outre à la décision définitive.
« Mandons, etc. »
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport, et fixe la discussion du projet de loi à demain.
L’ordre du jour appelle ensuite la discussion du projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à céder à la ville de Gand le pont domanial dit de la Pêcherie.
M. le président donne lecture de l’article unique de la section centrale, ainsi conçu :
« Le gouvernement est autorisé à faire céder à la ville de Gand la propriété incommutable du pont domanial de la Pêcherie, sis en ladite ville, près de la porte de Bruxelles, moyennant le prix de dix mille florins, payable en dix ans, par termes de mille florins, avec l’intérêt de 4 p. c. et sous la condition expresse que la ville ne pourra jamais établir à son profit aucun droit de passage sur ce pont. »
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à cette rédaction ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je pense que mon honorable collègue, M. Duvivier, ne verra aucun inconvénient à se rattacher au projet de loi de la section centrale.
Seulement il sera nécessaire de convertir les florins en francs.
M. le président. - L’article sera modifié de cette manière : « Moyennant le prix de 21,164 francs, payable en 10 ans, par termes de 2,116 francs 40 centimes. »
- La discussion générale est ouverte.
M. Gendebien. - Je désirerais être éclairé sur des doutes qui me paraissent assez graves. D’après les deux rapports qui nous ont été faits par M. le ministre et par la section centrale, le pont dont s’agit donnait, terme moyen, un revenu de 1,764 florins ; ce capital, calculé à raison de 20 fois le revenu, présente donc une somme de 34,280 fl. Maintenant, je suppose que la vente de ce pont s’élèverait à 22,896 florins ; ce serait encore 11,384 fl., moins que sa valeur, et en déduisant de cette dernière somme 2,000 florins pour les frais d’entretien, à raison de 100 florins par an, quoiqu’ils ne soient portés qu’à 90 florins, il resterait toujours à l’acquéreur un bénéfice de 9,384 florins.
Or, messieurs, on propose de céder le pont pour 10,000 florins seulement, payables en 10 ans et avec intérêt de 4 p. c., ce qui offre un avantage bien plus considérable encore. Il est possible que des circonstances particulières que j’ignore légitiment cette cession, mais jusqu’à ce qu’on me les ait fait connaître, jusqu’à ce qu’on m’ait justifié les motifs d’une pareille mesure, je dois croire que c’est un don que l’on veut accorder à la ville de Gand. Je demande des explications à cet égard.
M. A. Rodenbach. - Je dois entrer dans quelques détails qui, je l’espère, satisferont l’honorable M. Gendebien. Le pont que l’on veut céder est un pont en bois et qui n’existe que depuis 25 ans. Or, si, pendant qu’il était neuf, les travaux d’entretien n’ont monté qu’à une somme annuelle de 90 florins, cela ne doit pas étonner ; mais plus tard, quand il sera vieux, la réparation pourra coûter bien davantage.
Tous les motifs que la section centrale allègue dans son rapport pour faire adopter ses conclusions me paraissent fondés. Il est certain que, pour la vente du pont domanial de Gand, les propriétés de la pêcherie augmenteront de valeur, et que les fabricants et commerçants établis dans ce quartier en ressentiront les heureux effets. Outre cet immense avantage pour les manufacturiers domiciliés près de la porte de Bruxelles, le grand nombre d’ouvriers qu’ils emploient dans leurs usines seront également favorisés par cette aliénation. On exigeait des malheureux artisans un cents et demi pour droit de passage ; c’était en quelque sorte un droit prélevé sur leur salaire. D’ailleurs, messieurs, comme vous le dit le rapporteur de la section centrale, depuis la révolution le peuple a refusé de payer cette rétribution ; il a même débaptisé ce ci-devant pont Guillaume et l’a appelé pont de la Liberté. Jusqu’à présent la régence de Gand n’a point jugé à propos de rectifier cette dénomination nouvelle. Depuis plus de deux ans cette taxe est abrogée de fait, et des moyens de rigueur et de violente seraient impolitiques dans un moment que le peuple ne veut plus ni de Guillaume ni de son pont onéreux.
Je donnerai mon assentiment au projet de loi qui nous est soumis.
M. d’Elhoungne. - Il me semble que la difficulté qui embarrasse M. Gendebien se trouve à peu près expliquée dans le rapport qui nous été fait. Le pont à céder remplace un ancien bac pour lequel les passants étaient assujettis à une rétribution. Le domaine y a substitué un pont qui unit deux quartiers de la ville de Gand, exclusivement habités par la classe ouvrière.
Ce pont se nommait pont Guillaume, ainsi que l’a dit l’honorable M. Rodenbach ; mais, après les journées de septembre, il fut débaptisé et fut appelé le pont de la Liberté. Par une conséquence fausse on en induisit qu’il ne devait plus être payé de droit de passage. L’administration voulut d’abord user de moyens coercitifs, mais le repos de toute la ville se trouvait menacé à cette occasion, et c’est fort prudemment que l’administration interdit au fermier d’exiger le recouvrement du péage. Aujourd’hui ce pont ne produit plus rien pour le domaine, et si l’on voulait rétablir le droit qui était perçu, on s’exposerait à des désordres fort graves, surtout dans des quartiers occupés par la classe ouvrière qui raisonne fort peu, et emploie plutôt les voies de fait que les voies de droit. Je pense donc que la cession de ce pont, à la ville de Gand, sera profitable au trésor, en ce sens qu’il va en retirer un capital de 10,000 florins anéanti pour le gouvernement.
M. Mary. - Je désirerais avoir une autre explication. Ce pont appartient-il au gouvernement, ou appartient-il au syndicat d’amortissement ? Est-ce le syndicat qui l’a fait construire ?
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je crois qu’il est dit dans le rapport de l’honorable M. Dellafaille que c’est effectivement le syndicat qui l’a établi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - En supposant même que ce pont appartînt au syndicat d’amortissement, si la vente en est reconnue avantageuse, ce n’est pas cette circonstance qui doit l’arrêter. Or, il est démontré par les deux rapports présentés à la chambre que cette cession, loin d’être onéreuse au gouvernement, lui est au contraire profitable. En effet, il est avoué qu’il faut renoncer désormais au recouvrement du droit de passage ; il ne resterait donc rien au gouvernement, qui serait obligé à des dépenses pour l’entretien. Ce serait donc un objet onéreux pour le gouvernement, tandis que par la cession, le gouvernement rentre dans un capital de 10,000 florins, en imposant à la ville de Gand l’obligation de ne plus percevoir le péage.
M. Dellafaille. - Je puis éclaircir la question élevée par M. Mary. D’après un rapport de la régence de Gand, il est constant que le point a été établi par le syndicat, et que c’est auprès de cette administration que la ville a fait de longs et de vains efforts pour obtenir l’abolition d’un droit de péage odieux au peuple.
M. Osy. - Je désirerais connaître les termes de la demande en concession des bourgmestre et échevins de Gand, car le projet de loi ministériel proposait la vente, aux conditions consenties par la régence de Gand. Je voudrais savoir si la régence consentira à celle de ne jamais établir aucun droit de passage, que la section centrale a exprimée dans sa rédaction.
M. Dellafaille. - Le rapport de la régence de la ville de Gand se termine en ces termes :
« La régence du pont aurait lieu au plus tard au 1er juin prochain, et le perception du droit cesserait du jour de cette remise. »
La section centrale a cru que, malgré cette intention manifestée par la ville de Gand de supprimer le droit de péage, il était prudent d’en insérer la clause expresse dans la loi.
M. Gendebien. - Les explications qui viennent de m’être données par mes honorables collègues, m’ont convaincu que je pouvais voter avec assurance le projet de loi, sauf quelques changements de rédaction. Toutefois, je me félicite d’avoir élevé une objection qui a donné l’occasion à M. Rodenbach de nous prouver que le peuple de Gand veut encore la liberté comme il la voudra toujours. Du reste, je me déclare satisfait des explications que j’ai reçues.
- La discussion générale est close.
On passe à celle de l’article unique du projet.
M. Gendebien. - Je propose de rédiger l’article en ces termes :
« Le gouvernement est autorisé à faire céder à la ville de Gand le pont domanial dit de la Pêcherie, sis en ladite ville, au prix de 21,164 francs, payable en dix ans, par termes de 2,116 francs 40 c., avec l’intérêt de 4 p. c., et sous la condition expresse qu’aucun péage ne pourra jamais être établi à l’avenir sur ce pont. »
J’ai proposé cette rédaction, messieurs, parce qu’elle m’a paru plus convenable, et j’ai retranché, à la fin de l’article, les mots « à son profit, » qui auraient pu donner lieu à des abus ; car la ville de Gand se serait peut-être crue plus tard autorisée à rétablir un droit au profit des pauvres ou des hospices, ainsi que cela s’est fait dans le temps sous le gouvernement français.
- L’amendement de M. Gendebien est appuyé.
M. Dellafaille. - Je crois qu’il faudrait laisser subsister les mots « près de la porte de Bruxelles, » pour désigner plus exactement ce pont ; car il ne porte pas le nom de la Pêcherie.
M. Gendebien. - Je ne m’y oppose pas, mais cela est inutile, car il sera passé entre le gouvernement et la ville de Gand un acte qui contiendra les abouts et tenants. La loi ne doit pas entrer dans de semblables détails.
- La rédaction proposée par M. Gendebien est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Comme il y a eu un amendement au projet, nous ne pouvant voter que demain sur l’ensemble.
M. Gendebien. - Ce n’est qu’un simple changement de rédaction ; il n’a pas été touché au fond. Je propose donc de voter sur l’ensemble aujourd’hui. (Oui ! oui ! Appuyé !)
- On procède à l’appel nominal. Sur 63 votants, 62 se prononcent pour le projet. Un seul membre s’abstient ; c’est M. Olislagers.
En conséquence, le projet de loi est adopté.
M. le président. - J’invite M. Olislagers à faire connaître le motif de son abstention.
M. Olislagers. - Comme un amendement avait été introduit dans la loi, j’ai cru, aux termes du règlement, ne pas pouvoir voter aujourd’hui sur l’ensemble.
On procède ensuite au renouvellement des sections.
La séance est levée à trois heures.
Membres absents sans congé : MM. Angillis, Boucqueau, Coghen, Coppieters, Dams, de Foere, de Robaulx, de Robiano, de Roo, d’Hoffschmidt, d’Huart, Domis, Dumont, Helias, Jullien, Lardinois, Levae, Seron, Speelman et Thienpont.