(Moniteur belge n°153, du 1 juin 1832)
(Présidence de M. Destouvelles.)
A midi et demi la séance est ouverte.
On procède à l’appel nominal et à la lecture du procès-verbal dont la rédaction est adoptée sans réclamation.
Un de MM. les secrétaires fait connaître d’une manière sommaire l’objet de plusieurs pétitions adressées à la chambre.
M. le président donne lecture d’une lettre du ministre des affaires étrangères, par laquelle il prévient la chambre que par un arrêté en date du 26 courant, M. Goblet est nommé ministre plénipotentiaire, en mission extraordinaire auprès de la conférence. Il annonce qu’il n’a droit qu’à une indemnité de route et de séjour, et fait remarquer que déjà une fois, au mois de septembre dernier, M. Goblet s’est trouvé dans la même position, sans qu’il y ait eu la moindre difficulté pour lui accorder un congé.
L’ordre du jour, dit le président, est la suite de la discussion du projet de loi sur les douanes.
- Plusieurs membres. - Non ! non ! Nous devons nous occuper du congé demandé par M. Goblet.
M. Pirson. - La question relative au congé a été renvoyée à la séance de ce jour ; d’ailleurs j’ai une interpellation à faire à un ministre, n’importe lequel.
M. Jullien. - Il ne faut pas confondre les deux questions.
M. Lebeau. - Il n’y a à l’ordre du jour que la demande de congé.
M. le président. - Vous avez entendu la demande de congé faite par M. Goblet ; si personne ne prend la parole, je vais mettre cette demande aux voix.
M. de Robaulx. - S’il dépend du ministère de décider, par une déclaration faite après coup, que telle personne ne recevra qu’une indemnité et point un salaire, vous leur donnez la faculté de dénaturer les choses. Mais la question n’est pas de savoir s’il y a indemnité ou salaire pour telle fonction ; elle est de savoir si la fonction est, par son essence, un emploi salarié. Dans notre budget vous avez voté des fonds extraordinaires, des fonds secrets ; on pourra toujours, avec ces ressources, donner des indemnités aux fonctionnaires et dire qu’ils ne sont pas salariés ; qu’ils renoncent au traitement de l’emploi. Mais, ajoute-t-on, M. le général Goblet n’a qu’une mission temporaire ; je ne connais que des ambassadeurs temporaires ; je ne connais pas d’ambassadeurs inamovibles.
S’il est permis au pouvoir exécutif de nommer à des fonctions salariées, et de venir dire ensuite, le fonctionnaire ne recevra pas de salaire, il ne recevra que des frais de route, déclarons que l’article 36 de la constitution est rayé.
Si on veut admettre que ceux qui sont nommés par le gouvernement siégeront encore dans la chambre, pourvu qu’ils ne reçoivent pas de traitements, on donnera le moyen d’éluder la constitution, puisqu’on rétribuera les fonctionnaires avec les fonds secrets, avec les fonds pour les dépenses imprévues ; ce n’est pas là l'esprit de la constitution. Cette loi fondamentale a dit que les fonctions salariées donnaient lieu à une réélection ; les ambassadeurs sont évidemment salariés ; il y a pour eux des fonds au budget. On ne peut pas faire une exception par M. le général Goblet. M. de Theux a été soumis à l’application du principe que l’on invoque maintenant. Il était ministre d’Etat, on l’a nommé ministre de l’intérieur par interim ; il a déclaré ne recevoir aucun traitement…
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Cette question n’a pas même été discutée.
- Des voix. - C’est quand M. de Theux a été nommé définitivement ministre de l’intérieur qu’il a été soumis à la réélection.
- D’autres voix. - On n’a pas demande la réélection, quand il n’était que ministre d’Etat ou ministre par interim.
M. de Robaulx. - Eh bien, dès que M. de Theux a été nommé ministre de l’intérieur, il a été soumis à la réélection ; donc si M. Goblet, nommé ministre plénipotentiaire n’est pas réélu, vous ne suivez pas toujours le même principe. Quant à moi, je dis que la chambre ne peut accorder le congé demandé, car M. Goblet a cessé d’en être membre.
M. Nothomb. - M. le général Goblet s’est déjà trouvé à peu près dans la même position le 11 ou le 12 septembre dernier, je crois ; cette fois, comme aujourd’hui, il a été nommé plénipotentiaire du roi. Cette fonction n’est pas de sa nature salariée, le cas n’est pas formellement prévu dans le budget. Il est bien question dans le budget d’un envoyé extraordinaire près de sa majesté britannique ; mais il n’est pas dit que tel ou tel traitement sera alloué aux envoyés près de la conférence. Ce cas tombe dans le dernier chapitre de la loi des finances, celui des missions extraordinaires. Il me semble que l’honorable préopinant n’a pas fait cette distinction. La mission est extraordinaire ; la situation n’est pas prévue, dont l’emploi n’est pas de sa nature salariée.
Le dernier chapitre du budget, comprenant celui des missions extraordinaires, est seul applicable. A chaque instant, messieurs, non seulement au département des affaires étrangères, mais encore dans les autres départements, il y a des missions particulières, extraordinaires, à remplir dans l’intérieur du pays ou à l’étranger ; c’est ainsi que nous avons vu à l’époque de l’emprunt des commissaires envoyés par le ministre des finances à Calais ; parmi ces commissaires il y en avait qui faisaient partie de la chambre. C’est ainsi, que pendant l’existence du congrès, auquel l’article de la constitution n’était pas applicable, nous avons eu plusieurs missions extraordinaires à Londres à faire remplir. Dans aucune de ces circonstances les envoyés n’ont reçu de salaire ; ils recevaient une indemnité pour frais de séjour et frais de route. C’est aujourd’hui ce que reçoit M. le général Goblet ; il sera payé par jour ; son séjour sera peut-être très court. Si le gouvernement persistait dans son système de ne pas négocier, il est possible que le séjour du général ne se prolonge pas au-delà d’un mois.
Le préopinant a rappelé la discussion qui avait eu lieu relativement à M. de Theux. Nommé d’abord ministre par interim, sans salaire, on ne peut le soumettre à la réélection ; mais le lendemain il est nommé ministre définitivement, et dès lors il tombe dans le cas de l’article 36 de la constitution. Et pour prouver que l’on n’avait aucun égard à la nomination par interim de M. de Theux, c’est que depuis peu de temps nous avons vu M. le comte F. de Mérode nommé par intérim ministre de la guerre sans que des réclamations se soient élevées.
M. de Robaulx. - Il était auparavant ministre d’Etat.
M. Nothomb. - M. de Theux, avant d’être nommé ministre par interim à l’intérieur était aussi ministre d’Etat... (on m’en fait souvenir.) Ainsi les arguments de l’honorable préopinant sont sans force. Je le répète, le cas n’est pas prévu dans le budget ; le général Goblet remplit une mission extraordinaire. Il est toujours député et c’est à la chambre à lui accorder un congé.
M. H. de Brouckere. - La question ne me paraît pas aussi facile à résoudre que l’a cru le préopinant. En prenant la parole, je commence par déclarer que je me réserve mon vote, je veux montrer les choses dans leur véritable état.
L’orateur a dit que le général Goblet s’était trouvé dans une position analogie, puisque le 12 septembre, ayant été chargé d’une mission importante à Londres, il a demandé et obtenu sa démission. Je crois que les choses se sont passées comme je vais le dire. Il avait été nommé à Londres avant son élection.
M. Nothomb. - Non, je suis parti avec lui à Londres.
M. H. de Brouckere. - Que vous soyez parti avec lui cela ne prouve rien. (Bruit.)
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - M. le général Goblet a reçu sa première mission le 10 septembre, et dans cette mission il était qualifié de membre de la chambre.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, peu nous importe ce qui s’est passé à cette époque ; peu nous importe cet antécédent.
Il faut résoudre la question par la question, et non par ce qui s’est passé antérieurement. Peu importe que l’honorable M. de Mérode soit resté dans la chambre, quoique nommé par interim à la guerre ; peu importe que la question n’ait pas été soulevée lors de la première nomination de M. Goblet à une mission semblable à celle qu’il a reçue ; la question est soulevée maintenant et il faut la résoudre d’après la constitution.
Il faut lire avec attention l’article 36 de la constitution et on y verra que pour qu’un membre cesse de faire partie de cette chambre il ne faut pas qu’il soit nommé à une fonction dont il tire un salaire, mais à une fonction salariée. Telle a été l’intention du législateur, et j’en tire la preuve de la comparaison de l’article 36 à l’article 103. D’après ce dernier article un juge ne peut accepter d’autres fonctions qu’autant qu’il renonce aux appointements de ces secondes fonctions. Aux membres de la chambre on ne donne pas la même faculté. La question qui se présente est donc celle-ci : la place de ministre plénipotentiaire près la conférence de Londres est-elle de sa nature, une fonction salariée, oui ou non ? La solution de cette question fera connaître si le général Goblet doit siéger dans la chambre et si on peut lui accorder un congé.
M. Delehaye. - Par quels motifs a-t-on voulu qu’un membre nommé à un emploi fût réélu ? C’est parce que l’on a craint que se livrant à son emploi il ne pût exercer les fonctions de député ; c’est encore parce que l’on a craint qu’il ne perdît son indépendance. Le général Goblet n’est-il pas dans ces deux cas ? Il ne peut plus vaquer aux fonctions de député ; je ne dirai pas qu’il n’est plus indépendant ; mais je crois que la place qu’il a acceptée est tout à fait salariée. On a parlé de M. de Mérode, il était ministre d’Etat, titre qui de sa nature n’emporte aucun salaire, et il a ensuite été ministre de la guerre par interim et sans honoraires.
La conférence est aujourd’hui un des potentats de l’Europe, M. le général Goblet remplit les fonctions d’ambassadeur privé près de ce potentat ; s’il reçoit une indemnité ou un salaire, c’est bien la même chose ; je le demande, peut-on douter qu’il soit dans le cas prévu par la constitution ?
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L’emploi qu’occupe M. le général Goblet est-il salarié, oui ou non ? Voilà la question. Je pense que l’emploi qui lui a été conféré n’est pas salarié de sa nature. Déjà on a cité des exemples de missions temporaires auxquelles aucun salaire n’était attaché. Des frais de route et de séjour ne sont pas un salaire ; un salaire, c’est la rétribution pour le temps et les peines consacrées à un emploi. Or, y a-t-il un traitement pour l’emploi d’envoyé à la conférence de Londres ? Le général Goblet reçoit-il un traitement ? Non. Par conséquent l’emploi qu’il occupe n’est pas salarié.
Pour tomber dans l’article de la constitution, il faudrait que le traitement fût une suite de la place occupée soit d’après un arrêté antérieur, soit d’après la nomination.
Le général Goblet jouit de son traitement de général ; il est chargé d’une mission à Londres ; il doit être indemnisé de ses frais de voyage, voilà l’état de la question. Ainsi posée elle ne peut présenter de difficulté pour être résolue.
M. Jullien. - Pour qu’un membre de l’une ou l’autre chambre soit obligé de cesser ses fonctions, il faut qu’il accepte du gouvernement un emploi, et qu’il soit salarié. Ces deux conditions existent-elles dans le cas qui nous occupe ? Je pense que non ; vous conviendrez avec moi qu’un emploi, tel que la constitution l’entend, est une place, une charge donnée par le gouvernement. L’honorable général Goblet a-t-il dans ce sens un emploi, une charge ? S’il était nommé plénipotentiaire purement et simplement près de la conférence de Londres, je n’hésiterais pas à dire que c’est un emploi qu’il a reçu et l’un des emplois qu’aux termes de la constitution, le Roi confère à l’intérieur et à l’extérieur. Et quoique le terrain soit assez mouvant, cela ne m’empêcherait pas de dire que c’est un emploi. (On rit.)
Mais faites attention aux termes de l’arrêté.
L’arrêté porte que c’est une mission extraordinaire. Cette mission extraordinaire n’est donc pas la même que la mission ordinaire d’un chargé d’affaires ou d’un ministre plénipotentiaire près de la conférence. Dans la mission, il y a des termes restrictifs qui montrent qu’elle est temporaire. je crois donc que vous ne pouvez pas assimiler cette mission aux charges et aux emplois dont parle la constitution.
Si vous voulez pénétrer dans l’esprit du législateur, je crois qu’il est facile de le concevoir. Le législateur n’a pas voulu qu’un membre de la chambre fût exposé aux graves inconvénients qui résultent de la dépendance dans laquelle il se place volontairement vis-à-vis du gouvernement, en acceptant un salaire.
Le législateur a cru que le membre attaché par des liens au gouvernement perdrait le caractère le plus honorable d’un député, l’indépendance. Il est extrêmement rare de voir un fonctionnaire voter autrement qu’avec le gouvernement. C’est dans la nature des choses ; et la constitution a voulu que dans ce cas-là on fît un appel aux commettants. La constitution a-t-elle voulu la réélection pour des fonctions temporaires ? Je ne le pense pas. La conférence peut amuser le général Goblet un mois ; elle ne manquera même pas de l’amuser, puis il reviendra dans la première condition.
Si la première condition ne me semble pas remplie, la seconde n’existe pas davantage.
J’entends par fonctions salariées une place qui a un traitement annuel, mais on vient de déclarer solennellement que le général ne recevait que l’indemnité des frais de voyage. Cela ne saurait être considéré comme salaire.
Puisque les deux conditions manquent dans mon opinion, que tout au moins l’une d’elle manque essentiellement, je suis d’avis d’accorder le congé.
Vous rendriez un mauvais service au gouvernement en adoptant une jurisprudence pareille à celle qu’on vous propose ; car toutes les fois qu’il aurait besoin d’un membre de l’une ou de l’autre chambre, vous lui interdiriez de le prendre et de lui confier vos missions importantes.
M. de Robaulx. - L’orateur vient de dire que si M. Goblet avait été nommé plénipotentiaire près de la conférence, il n’hésiterait pas à le classer dans la catégorie des fonctionnaires salariés, mais lisez l’arrêté ; M. le général Goblet y est bien positivement nommé plénipotentiaire. Je le demande à M. Jullien : quand on nomme un ambassadeur près la Porte ottomane ou ailleurs, est-ce que c’est pour toujours ? Un ministre plénipotentiaire est nommé pour demain, après-demain, ou pour dix ans ; vous ne connaissez pas les instructions données au général ; la chambre n’a même pas le droit de s’en enquérir.
Il a déjà fait un traité à Londres, s’écrie-t-on : peut-on argumenter de ce que alors la chambre ne l’ait pas soumise à une réélection ? L’article de la charte est là : l’arrêté qui nomme le général plénipotentiaire est là ; que vous faut-il de plus ? Cet arrêté prouve que nous avons deux ministres à Londres ; l’un qui se repose, l’autre qui agit, (on rit), si vous ne considérez pas de telles fonctions comme salariées, si vous croyez que comme ambassadeur il n’a pas droit à indemnité je ne puis le concevoir. Admettez alors que tous les ambassadeurs ne seront pas soumis à une réélection.
Il n’y a rien de personnel pour M. Goblet dans ma discussion ; c’est un principe que j’économise. Je n’ai aucune haine parlementaire, chacun a ses opinions et a le droit de les manifester ; mais il n’en est pas moins vrai qu’il est dans la catégorie de ceux que la constitution frappe d’interdiction. Si vous ne le jugez pas ainsi, vous éludez votre loi fondamentale, qui ne sera plus appliquée que selon l’intérêt des coteries ; on l’appliquera pour l’un et point pour l’autre. Je pense que les électeurs doivent décider maintenant si le général Goblet peut siéger dans la chambre.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - D’après ce que nous a dit l’honorable M. Jullien, il me semble qu’il ne me reste plus rien à ajouter sur la question qui vous occupe. Cette question a été parfaitement développée par lui. Il nous a fait voir quelles étaient les deux conditions requises par la constitution et l’application qu’on devait en faire. Ici on envisage la question en thèse générale.
Vous savez, messieurs, que le général Goblet a été nommé en mission extraordinaire, vous savez aussi qu’il ne recevra pas de traitement, mais une simple indemnité. Dans de pareilles circonstances, est-ce un emploi salarié auquel s’applique l’article 36 de la constitution ? Je ne le pense pas : une mission extraordinaire ne me paraît devoir être envisagée comme conférant un véritable emploi.
Qu’a voulu la constitution ? Garantir l’indépendance des députés ; elle a voulu que le gouvernement ne pût pas déverser des faveurs sur un membre de la représentation nationale, pour le corrompre. Tel a été le but de l’article 36 de la constitution. Or, une mission extraordinaire peut-elle être considérée comme une charge avec un salaire quelconque ? Il me semble qu’il est impossible de la considérer de cette manière. On peut douter au moins que cette mission soit un véritable emploi ; dans le doute il me semble qu’on ne peut s’appuyer de l’article 36 de la constitution pour déclarer un représentant déchu de son titre.
Mais il y a plus, c’est qu’il n’existe aucun doute. La mission dont il s’agit n’est point un emploi salarié, En effet aucun traitement n’y est attaché, mais seulement une simple indemnité qui est due à tout fonctionnaire qui se déplace. Ainsi chaque fois qu’un député recevrait une mission temporaire du gouvernement et qu’on lui accorderait les frais de route, il serait donc sujet à réélection. Je ne pense pas, messieurs ; je ne pense pas qu’on puisse arriver jusque-là pour appliquer l’article 36 de la constitution.
M. Gendebien. - Je n’étais pas présent quand on a lu l’arrêté qui contient la nomination de M. le général Goblet. Je demande qu’il en soit fait une deuxième lecture.
M. le président donne une deuxième lecture de cet arrêté ainsi que de la lettre qui l’accompagne
M. Gendebien. - Messieurs, ce que nous a dit notre honorable collègue, M. H. de Brouckere sur le texte des articles 36 et 103 de la constitution me paraît d’une telle lucidité que s’il fallait résoudre la question par le texte même, je n’y verrais aucune difficulté. La différence qu’on a établie des membres des chambres avec les autres fonctionnaires me paraît décisive. Je n’y reviendrai pas parce qu’il me semble que tout le monde a dû acquérir une conviction pleine et entière.
Voyons maintenant si l’esprit de la constitution est plus favorable au système de ceux qui prétendent que le général Goblet n’est pas sujet à réélection.
Que vous dit-on, messieurs, pour abroger en quelque sorte le texte de la loi fondamentale en invoquant son esprit ? On vous dit que l’esprit de cette loi tend à éviter que le gouvernement exerce de l’influence sur les membres de la représentation nationale, mais que cette influence ne peut avoir lieu que lorsque le gouvernement accorde aux députés un emploi de certaine durée ? Sera-t-elle de 2, de 5, de 10 ans ou de toute la vie ? Cela me mène tout naturellement à dire que la constitution n’a entendu établir aucune distinction entre les emplois salariés. Dès lors disparaissent toutes les subtilités qu’on a mises en avant pour montrer qu’il n’y a pas d’identité entre les missions ordinaires et les missions extraordinaires. L’impuissance de trouver dans la constitution un mot qui indique une distinction quelconque sur ce point me prouve bien que tout emploi conféré par le gouvernement tombe sous le coup de l’article 36 de la loi fondamentale.
Du reste, est-il bien vrai qu’on puisse voir cette différence ? Si dans un emploi à vie conféré par le gouvernement se trouve l’inconvénient qu’a voulu prévenir la constitution, à plus forte raison se trouvera-t-il dans des fonctions temporaires ; car il est bien plus facile au gouvernement de créer des missions temporaires pour les concéder aux députés qu’il voudrait corrompre, que de créer des emplois à vie. Vous voyez donc que toute distinction, qui d’ailleurs, n’est pas légitimée par la constitution, mène à une conséquence absurde.
Souvenez-vous, messieurs, de la fameuse discussion du système financier en 1832. A cette époque, le gouvernement écarta des états-généraux un grand nombre de membres, en leur accordant des missions extraordinaires, et c’est par ce moyen qu’il parvint à faire admettre ce système monstrueux. Eh bien, si vous considérez qu’un emploi ne se trouve pas sous le coup de l’article 36 de la constitution, vous pourrez donner lieu aux mêmes abus, abus que cette constitution a pour but d’éviter.
On a argumenté de ce que cet article parlait des emplois salariés, mais est-ce à dire pour cela qu’il faille que le membre qui remplit un emploi soit réellement salarié ? Non, messieurs, dans une précédente discussion relative à M. de Theux, on a établi qu’il suffirait que le fonctionnaire soit « salariable, » pour être sujet à réélection. Ici, il n’est pas même besoin de nous occuper de la question, de savoir si l’emploi dont il s’agit est salarié de sa nature, car il est véritablement salarié : j’en trouve la preuve dans l’arrêté lui-même et dans les explications de M. le ministre, qui a dit que le général Goblet serait payé par chaque jour de ses frais de route et de séjour. Or, vous laisserez-vous prendre à un pareil piège ? Comment, parce que vous accorderez à un individu, 40 ou 50 florins par jour, comme frais de séjour, vous prétendrez qu’il ne recevra pas de traitement ?
Ce serait en vérité un raisonnement ridicule. Eh quoi ! on donnera à tel député une mission de 15 jours ou un mois avec 200 florins par jour sous prétexte que cette somme n’est qu’à titre de frais de route et de séjour, et vous croyez que cela ne sera pas aussi dangereux que le don d’une fonction d’une plus longue durée et même d’une fonction à vie ? La nature même des fonctions extraordinaires présentat plus encore que toutes les autres, l’inconvénient que la constitution a voulu éviter. Il me semble donc que les députés qui remplissent ces fonctions sont sujets à réélection. Autrement il faudrait considérer l’article 36 de la constitution comme nul. Je voterai donc pour que le général Goblet soit soumis à réélection.
M. Leclercq. - Messieurs, au point où est arrivée la discussion, je ne me livrerai pas à de longs développements pour motiver mon opinion ; elle sera conforme à celle que l’honorable M. Jullien a émise, en l’appuyant de considérations d’une justesse incontestable, et auxquelles, pour ma part, je n’aurais rien à ajouter, si ce n’est à cette réponse que toute mission temporaire, pour laquelle on paie une indemnité à celui qui l’accepte, le soumet nécessairement à une réélection.
On a oublié, en raisonnant ainsi, une distinction fort essentielle à faire entre un emploi permanent et une mission temporaire. Le premier subsiste, indépendamment de la personne de celui qui l’occupe ; la seconde, au contraire, ne subsiste que dans la personne même chargée de la mission ; c’est un emploi attaché à sa personne et qui disparaît avec elle. Cette distinction se trouve établie dans le budget du ministère des affaires étrangères. Là, on distingue les emplois permanents pour lesquels un traitement déterminé a été fixé, et les emplois temporaires pour lesquels une somme a été allouée, sous le titre de dépenses imprévues. Eh bien, cette distinction résout la question. Par elle, il devient évident que M. Goblet ne tombe ni sous la lettre, ni sous l’esprit de la constitution. La constitution s’est proposé deux choses par l’article 36 ; d'abord qu’un député, en vue du salaire attaché à un emploi quelconque, ne trahisse les intérêts de ses commettants ; en second lieu, qu’il ne remplisse les fonctions de député sous l’influence de la crainte et d’une destitution qui le priverait de son emploi.
Sous le premier rapport, il est certain qu’une mission temporaire ne présente pas assez d’avantages pour porter un député à trahir son mandat, s’il pouvait d’ailleurs exister d’homme assez lâche pour le trahir en vue d’un misérable intérêt pécuniaire. En second lieu, l’influence de la crainte d’une destitution n’est pas à craindre, parce que celui qui se charge d’une mission temporaire sait très bien qu’il n’est là que pour un temps déterminé, et ordinairement très court. Vous voyez donc que le général Goblet, en acceptant sa mission, ne tombe ni sous les termes, ni sous l’esprit de la constitution, et dès lors, disparaissent tous les inconvénients signalés, et par lesquels on a voulu faire naître dans vos esprits la crainte qu’en écartant un député, en lui confiant une mission de 15 ou 20 jours, et en lui donnant une indemnité de 2 ou 300 fl. par jour, le gouvernement n’eût sans cesse la facilité de fausser la représentation nationale.
A propos de cette indemnité de 2 ou 300 fl. par jour dont on a parlé, on a sans doute oublié que le budget est là et que si le gouvernement se permettait d’allouer une semblable indemnité, la chambre ne serait pas assez complaisante pour confirmer cette allocation. Que si nonobstant la crainte de la voir rejeter par la chambre, le gouvernement ne reculait pas devant une telle allocation, c’est qu’il se mettrait au-dessus de bien d’autres considérations et il trouverait bien d’autres moyens de corruption pour altérer la pureté de la représentation nationale. Je pense donc, messieurs, avoir prouvé que M. le général Goblet n’est pas obligé de se soumettre à la réélection ; je voterai en conséquence pour que son congé lui soit accordé.
M. Lebeau. - Je partage l’opinion de deux préopinants, MM. de Robaulx et Gendebien, que la nomination à un emploi révocable porte atteinte à l’indépendance du député ; mais porte-t-elle à cette indépendance l’atteinte prévue par la constitution ? Voilà, messieurs, toute la question. Si la simple dépendance qui résulte de la collation d’un emploi, qu’il soit honorifique ou salarié, était dans le but de la constitution, alors, messieurs, les rédacteurs de la loi fondamentale auraient commis un pléonasme, ils auraient inséré dans l’article 36 une véritable superfluité, en accolant au mot emploi la qualification de salariés. Il semble que quels que soient les inconvénients résultant de l’occupation d’un emploi non salarié, ils n’ont pas paru de nature, aux rédacteurs de la constitution, et à ceux qui l’ont votée, à faire prononcer l’incompatibilité de semblables fonctions avec celle de député.
L’exemple de M. de Mérode se rétorque aisément. Il est inutile de dire qu’il ne s’agit pas ici des personnes, le caractère de M. de Mérode est trop au-dessus de toute atteinte pour cela, il ne s’agit que de la question de principes. Or, il est bien certain que dans sa qualité de ministre d’Etat il ne jouissait plus de cette plénitude d’indépendance légale dont il était revêtu avant qu’il fût appelé à faire partie du cabinet. Sa dépendance était le résultat de cette nomination ; mais cette dépendance n’était pas telle que la constitution crût y voir l’incompatibilité des fonctions législatives et des fonctions administratives. Et M. de Mérode pourrait rester dix ans ministre d’Etat que l’incompatibilité n’aurait pas plus lieu à la fin qu’aujourd’hui. Il faut prendre les choses dans leur nature et non dans leur durée.
On a dit que le but de la constitution avait été d’empêcher que par l’acception de fonctions, un député ne fût dans la position à ne pouvoir plus remplir son mandat. Je dis que cet argument prouve trop, car il prouve qu’on ne pourrait plus réélire le député qui accepte un emploi, que les électeurs ne pourraient plus lui conférer un mandat nouveau. C’est un principe général que quand on trouve trop, on ne prouve rien.
Mais est-il vrai que les missions diplomatiques soient de leur nature des fonctions rétribuées ? Je ne le pense pas.
Il y a telle de ces fonctions qui sont purement honorifiques ; les missions qui ont lieu pour notifier un événement, par exemple ; les missions par lesquelles un souverain se fait représenter au couronnement d’un souverain, ces missions sont honorifiques. On y attache cependant une grande importance ; c’est à ce point qu’elles sont briguées dans certains pays avec la condition d’en faire tous les frais, et c’est ce que nous avons vu tout récemment.
Mais, messieurs, quand même une mission ne serait pas proprement honorifique, elle ne tomberait pas pour cela dans la disposition prévue par la constitution. La mission des honorables membres de Brouckere et Osy, pour la négociation de l’emprunt, n’était pas purement honorifique ; on ne l’a pas considérée comme salariée quoiqu’ils aient reçu une indemnité pour frais de déplacement ; et ce n’était pas un moyen détourné qu’on avait pris pour leur donner un salaire.
Quelqu’un a-t-il songé à demander qu’ils fussent soumis à la réélection ? Le gouvernement nomme les membres de la commission des prisons ; à ces fonctions se rattache une indemnité modique, il est vrai ; mais le gouvernement pourrait l’augmenter ; et bien il y a des membres de la chambre qui font partie de cette commission, et cependant ils ne sont pas soumis à la réélection. Ce que l’on peut dire de la commission des prisons s’appliquerait également aux commissions législatives.
Je fais la même observation pour les commissions futures de démarcation et de liquidation. Si, comme je le conseillerais très fort au gouvernement, on prenait pour composer ces commissions des membres de cette chambre, je ne crois pas qu’on accorde à ces commissions, tout à fait temporaires, autre chose qu’une indemnité de séjour et de déplacement. Pourrait-on les placer dans le cas de l’article 36 de la constitution ? Je ne le crois pas.
On me dit que par cette indemnité on peut doubler, tripler le traitement d’un fonctionnaire public. Si cette assertion pouvait être accueillie elle ferait repousser tous les fonctionnaires. Le gouvernement peut avoir besoin d’envoyer un général, membre de la chambre, faire une inspection ; et même sans besoin le gouvernement peut se servir d’un prétexte pour l’employer et lui donner des émoluments ; par ce moyen le gouvernement pourrait s’emparer de la conscience du député.
On a dit encore que le gouvernement, par le moyen des missions extraordinaires, peut écarter de la chambre les hommes dont l’opinion pourrait faire avorter des projets de loi ; mais le gouvernement a constamment ce pouvoir envers les fonctionnaires publics ; on ne veut pas, sans s’exposer à la destitution, alors qu’on est agent révocable, se refuser à se rendre à un poste si le gouvernement déclare que le besoin du service exige, par exemple, la présence immédiate d’un gouverneur ou d’un commissaire de district sur les lieux. Voilà un inconvénient ; mais il vient de la nature des choses. C’est aux électeurs à peser toutes les chances attachées à cette position, et même à savoir s’ils ne trouvent pas dans le caractère personnel du député des garanties suffisantes contre cet inconvénient. Certainement un fonctionnaire public qui aurait eu l’honneur de représenter son pays ne se serait pas éloigné du gouvernement quand il doit déposer un vote consciencieux ; il n’hésiterait pas à remplir le mandat de ses commettants, à moins qu’il ne fût un misérable prêt à se vendre pour de l’argent.
On a argumenté de l’article 103 de la constitution ; on s’est appuyé sur le texte en méconnaissant l’esprit. Qu’a voulu cet article ? Qu’un juge ne se plaçât pas sous la dépendance du gouvernement, en acceptant des fonctions salariées de leur nature. La constitution n’a décidé ici qu’une question d’argent et non une question d’incompatibilité. La crainte de perdre les émoluments attachés à la fonction aurait pu avoir de l’influence sur l’équité du juge. Le député est au grand jour, il est une partie très minime de l’un des trois pouvoirs législatifs ; tandis que la voix du juge peut décider d’un arrêt ; il délibère dans l’ombre, et sans responsabilité. Aux yeux de la constitution les intérêts des justiciables sont aussi sacrés que ceux des électeurs, et voilà pourquoi elle n’a traité que la question d’argent.
Il y a sans doute un grand inconvénient qu’un député soit sous la dépendance de l’administration ; mais lorsque l’on ne place pas son indépendance entre un intérêt visible et sa conscience, la crainte doit cesser. Je crois que la constitution s’est arrêtée là pour le député comme pour le juge. Par ces considérations je crois donc qu’il y a lieu d’accorder le congé.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, j’aurais voulu pouvoir me rallier à l’opinion des honorables membres qui ne sont pas l’avis que l’honorable M. Goblet doive se soumettre à la réélection. Je me suis efforcé d’attraper dans leurs arguments au moins une demi-conviction, mais j’avoue que cela m’a été tout à fait impossible et j’émettrais un vote tout à fait contraire à ma conscience, si je soutenais une semblable opinion.
Un argument que je me hâte d’aborder, consiste à dire que la mission de M. Goblet ne peut pas être considérée comme un emploi salarié, parce que la dépense n’a pas été portée au budget. J’avoue que cet argument me paraît singulier ; car enfin, il y a au budget un chapitre de dépenses imprévues, sur lesquelles le ministre peut prendre les sommes qu’il lui plaît pour salarier le chargé de mission, et que le salaire soit pris sur les dépenses prévues ou imprévues il importe peu ; le salaire n’en existe pas moins.
Mais d’ailleurs, savez-vous pourquoi on n’a pas spécifié au budget la dépense nécessaire pour rétribuer l’emploi de ministre plénipotentiaire auprès de la conférence ? On ne l’y a pas mis par une raison bien simple ; c’est que quand les budgets ont été faits, ils l’ont été sans prévision pour l’avenir et sous l’influence du moment. Quand le budget a été présenté, une seule personne était à Londres, réunissant deux qualités distinctes, celle d’ambassadeur auprès de la cour de St-James et celle de ministre plénipotentiaire auprès de la conférence ; il n’était besoin de porter pour une seule personne qu’une seule dépense.
Depuis, des événements sont survenus, qui ont amené la division des deux qualités, dont je viens de parler, sur deux personnes différentes, de là, nécessité d’un double traitement. Si ces événements étaient arrivés avant le budget, nous n’aurions pas eu un seul homme, à la fois ambassadeur auprès du roi d’Angleterre et ministre plénipotentiaire auprès de la conférence, mais nous en aurions eu deux et le traitement de chacun eût été porté au budget. Ainsi quant à l’argument pris du budget, ce n’est qu’un argument de date et rien de plus.
On a dit que la mission de M. Goblet était une mission extraordinaire, Oui, messieurs, elle est extraordinaire, par deux raisons. La première c’est parce que le corps auprès duquel il est accrédité, est lui-même une puissance extraordinaire, et qu’il eût été absurde d’envoyer un ministre plénipotentiaire ordinaire auprès d’une puissance extraordinaire. Chacun des membres de la conférence est accrédité extraordinairement auprès de la conférence. Les envoyés de Hollande ne sont aussi que des envoyés extraordinaires ; mais qu’est-ce que cela prouve ? La mission du général Goblet est encore extraordinaire, parce qu’en diplomatie, entre un ministre résidant et un ambassadeur ordinaire, se trouve une place intermédiaire, celle d’envoyé extraordinaire, qui n’en réside pas moins quand il le faut, dans le lieu où réside la puissance, auprès de laquelle il est accrédité.
Voilà les deux raisons pour lesquelles on a qualifié d’extraordinaire la mission de M. Goblet, mais cela n’influe en rien sur la question de savoir si ses fonctions sont salariées. On a dit encore que cette mission n’était que temporaire, oui, temporaire comme la conférence elle-même ; mais comme il y a deux années qu’elle est assemblée (on rit) cette mission temporaire pourrait durer encore fort longtemps. On a assimilé cette mission à la commission de l’emprunt, à la commission des prisons, à la mission d’un général en tournée, tous ces exemples sont peu concluants.
M. Lebeau. - J’ai cité aussi les membres de la commission de démarcation.
M. Ch. de Brouckere. - Si les commissaires de démarcation sont députés, ils s’en iront aussi. Telle est mon opinion. Quant à la commission de l’emprunt, notre mission n’avait rien de salariée. On m’a demandé, comme on a demandé à un banquier de la ville, s’il voulait se charger de traiter de la négociation de l’emprunt ; sur la réponse affirmative, voulez-vous savoir quelle mission on nous a donnée ? Allez à Calais, a dit le gouvernement, savoir si un tel banquier veut faire un prêt à la Belgique. Nous sommes partis, l’un de nous a payé la dépense. Au retour il en a fait le compte qu’ils présenté au gouvernement et on l’a remboursé. Voilà comment les choses se sont passées.
Quant aux commissions des prisons, M. Legrelle s’est trompé en disant qu’elles étaient salariées ; ce qui prouve qu’on peut être membre de la commission des prisons et se tromper (on rit) ; les commissions des prisons n’ont aucune indemnité. Mais les membres qui ne résident pas au lieu où est la prison reçoivent une somme pour frais de la voiture qu’ils sont obligés de prendre pour s’y rendre. Cela se fait ainsi pour les membres qui habitent Bruxelles, quand ils vont à Saint-Bernard. On leur accorde cette espèce d’indemnité, parce qu’il n’est pas naturel que des hommes qui remplissent des fonctions pro Deo soient encore obligés de dépenser leur argent quand ils se rendent aux prisons.
Je passe à l’exemple d’un général en tournée et qui reçoit des frais de route. Ces frais tiennent à la place même qui oblige à faire les tournées. Ainsi par exemple, le général Goblet était inspecteur-général du génie, avant d’être député. Pour faire des inspections, il faut se déplacer, se mouvoir ; il est donc naturel qu’on alloue les frais de déplacement à un général en inspection. C’est une chose inhérente à son emploi, le salaire qu’il reçoit pour cela ne change pas sa position. Ces trois cas ne font donc rien à la chose.
Il me semble d’après ce que je viens de dire que la place du général Goblet n’est pas essentiellement temporaire, et quant au salaire qui, dit-on, n’en est pas un puisqu’on ne lui allouera qu’une somme fixée par jour, tant que durera sa mission, on me permettra de dire que cela ne change rien à la question.
D’abord allouer tant par jour à M. Goblet, pour frais de voyage et de séjour, ce n’est pas seulement le défrayer, mais le salarier, parce que s’il ne s’agissait que de parer aux frais qu’il exposerait, il ne faudrait pas fixer une somme par jour, mais bien lui payer les sommes qu’il aurait été réellement obligé de dépenser, autrement c’est un véritable traitement qu’on lui accorde. Peu importe en effet, dans un traitement qu’on fixe la somme annuelle à laquelle il est porté, ou que divisant cette somme par 365 jours, on calcule ce que cela fait par jour, cela revient absolument au même. Seulement cela s’appelle éluder les choses au lieu de les faire franchement.
Je présenterai un dernier argument, à propos de l’antécédent qu’on a cité à propos du ministre de l’intérieur qui d’abord avait été nommé par interim. La question n’a pas été vidée, j’en conviens ; mais si, sous prétexte d’intérim on pouvait dispenser de la réélection les députés qui acceptent des fonctions salariées, on pourrait faire un gouvernement par intérim. Pour ne citer qu’un exemple il serait fort aisé de nommer un gouverneur de province ad interim, et le député que, par cette nomination vous dispenseriez de la réélection, en lui accordant par jour une somme qui multipliée par 365 produirait une somme égale à son traitement annuel, aimerait mieux une telle nomination qu’une nomination définitive avec un traitement annuel, si elle l’exposait à se faire réélire. Mais ce n’est pas ainsi que l’on peut éluder la constitution. Je le déclare donc, mon intime conviction est que le général Goblet a cessé de faire partie de la chambre et qu’il doit se soumettre à la réélection.
M. Leclercq. - Messieurs, l’honorable préopinant vous a dit en termes, qui ne sont pas un compliment pour ceux qui ne partagent pas son opinion, qu’il s’était vainement efforcé d’attraper dans leurs arguments une demi-conviction. Il eût mieux valu pour lui, au lieu de chercher à attraper une demi-conviction, qui d’ailleurs ne suffirait pas, pour l’émission de son vote, qu’il eût tâché de répondre à nos arguments ; or, et c’est ce qu’il n’a pas fait. Je laisserai les autres orateurs dont il cherche à réfuter les raisonnements lui répondre à leur tour, je ne répondrai que pour moi, et pour défendre ce que j’ai avancé.
Il vous a dit qu’on avait soutenu, que la mission du général Goblet n’était pas un emploi salarié, et qu’on en avait donné pour raison, que le budget ne portait pas d’allocation pour un pareil emploi. Quand on veut réfuter des arguments, il faudrait au moins les reproduire tels qu’ils ont été présentés. C’est ce que le préopinant n’a pas fait. Je n’ai pas dit ce qu’il me fait dire. J’ai présenté une distinction fondée sur le budget à laquelle le préopinant n’a pas répondu : j’ai dit qu’il fallait soigneusement distinguer entre l’emploi qui existe indépendamment de la personne qui l’occupe, de celui qui n’existe qu’avec la personne et qui disparaît avec elle. J’ai dit que le premier était un emploi qui rentrait dans le sens de l’article 36 de la constitution, et qu’il en était autrement du second, et je crois que par ma distinction, j’ai fort bien trouvé cette proposition. Voilà à quoi il fallait répondre.
Au lieu de cela il a dit que la mission du général Goblet n’était extraordinaire que parce que la conférence elle-même était un pouvoir extraordinaire, que cette mission n’était temporaire que parce que la conférence n’était que temporaire. Cela est vrai, mais il n’en résulte pas que la mission de M. Goblet change de nature, ni qu’elle présente des avantages assez consistants pour rentrer dans la disposition de l’article 36 de la constitution et faire naître la suspicion qu’encourt tout député qui accepte un emploi salarié, dans le sens de cet article.
Voilà les considérations que j’avais mises en avant et qui subsistent en entier. Il faut toujours en revenir à ce point, si l’on tient à interpréter sainement la constitution. Une mission extraordinaire à laquelle ne sont pas attachés des avantages pécuniaires mais pour laquelle on accorde seulement une indemnité pour frais de voyage et de séjour, peut-elle être considérée comme un emploi salarié ? Je crois avoir clairement démontré la négative, et je persiste dans cette opinion.
M. Ch. de Brouckere. - Si l’honorable M. Leclercq avait suivi toute la discussion, il aurait vu que ce n’était pas à lui que j’avais répondu, en parlant du budget, mais à M. Nothomb. Je n’ai pas l’habitude peu parlementaire de nommer les membres auxquels je réponds, sans cela, j’aurais nommé M. Nothomb.
M. Devaux. - Messieurs, ce qui me semble le plus évidemment résulter de cette discussion, c’est que nous manquons d’une loi interprétative de la constitution. Cette loi aurait déjà dû être présentée, nous aurions évité cette discussion et toutes celles qui pourront s’élever par la suite. Nous avons eu à examiner une question d’interim, nous avons maintenant la question d’indemnité, nous avons encore celle des missions à l’intérieur, enfin une foule d’autres pourront se présenter, qui seraient toutes aplanies, si la loi les eût prévues. Je demande donc que le ministre s’occupe dès aujourd’hui de préparer cette loi.
Je le demande dans l’intérêt des fonctionnaires eux-mêmes, pourvu qu’ils sachent bien à quoi ils s’exposent en acceptant les fonctions que le gouvernement leur confie. Car il est probable que si le général Goblet avait cru que la mission qu’il est allé remplir le forcerait à se soumettre à la réélection, il ne l’aurait pas acceptée.
Je passe au fond de la question. On vous a déjà dit qu’il n’y avait pas de différence entre l’indemnité et le salaire, L’honorable M. de Brouckere ; pardon, si je le nomme, ça m’est échappé. (Hilarité générale.) L’honorable M. de Brouckere (nouvelle hilarité, interruption) a dit que diviser par jour le traitement annuel, et en payer journellement le dividende, revenait au même que de le payer en entier : cela est vrai ; mais l’honorable membre, qui est si bon financier, a oublié que la loi des comptes doit nous arriver, et que si des sommes qui ne doivent pas y figurer s’y trouvaient portées, nous la rejetterions. M. Goblet ne se soumettant pas à la réélection, il ne doit pas avoir de traitement. Si le ministre lui en accordait un, ce serait une véritable commission, et c’est nous qui en serions les juges ; il ne faut donc rien craindre à cet égard, et le ministre ne dépassera pas certainement ses allocations.
On vous a parlé de la mission qu’ont remplie à Calais les commissaires pour l’emprunt. On vous a dit que cette mission était semblable à celle du général Goblet, et, en effet, pour ma part, je n’y vois aucune différence. Un membre de cette commission nous a dit que le gouvernement leur avait donné la mission en ces termes : allez voir si un tel banquier veut négocier un emprunt pour la Belgique. Les termes m’importent peu. Que le gouvernement ait dit : allez voir si tel ou tel banquier veut prêter des fonds, ou qu’il se soit servi de toute autre formule, la chose est indifférente ; ce qui importe, c’est que votre voyage et vos frais de séjour aient été payés et ils l’ont été. Il n’en est pas autrement pour le général Goblet, et du moment que vous avez reçu une indemnité comme lui, dans votre système, vous deviez vous soumettre à une réélection. Mais, dit-on, le gouvernement pourra accorder une indemnité qui égalera le traitement. Oui, sans doute, si vous supposez l’improbité ; elle pourra même, avec cette supposition, dépasser le traitement ; mais ce n’est pas avec de telles suppositions qu’on argumente.
Messieurs, on a cité des exemples, j’en citerai encore un. Les présidents des cours d’assises sont à la nomination du ministre de la justice et à son défaut, à celle des premiers présidents des cours. Par cela, qu’un conseiller député sera nommé président d’une cour d’assises, devra-t-il se faire réélire ? Je ne crois pas que personne osât le soutenir. Il reçoit cependant une indemnité pour aller remplir ces fonctions.
On a longuement agité la question de savoir si une mission extraordinaire était, par rapport à la discussion actuelle, différente d’une mission ordinaire. Ce n’est pas là que gît la difficulté : elle consiste seulement à savoir si la fonction est salariée ou si elle ne l’est pas. Du moment qu’il n’y a qu’une indemnité d’accordée au lieu d’un traitement, les termes de la constitution ne sauraient être applicables. On a parlé aussi des missions à l’intérieur, et je soutiens qu’il y aurait même raison de décider que pour les missions à l’extérieur. Car ce n’est pas par le lieu où siège la conférence que la question peut se décider, et que la conférence soit à Londres ou à Ostende, la position du plénipotentiaire serait la même. Je suppose qu’un général, le lendemain d’une bataille, et si le général ennemi était là faisant des propositions de paix, je suppose dis-je, qu’un général membre de la chambre, fût nommé ministre plénipotentiaire pour négocier la paix. Faudra-t-il que pour une mission qui ne durera qu’un jour peut-être, il se fasse réélire ? Non sans doute. Eh bien la position du général Goblet est la même.
Je finirai comme j’ai commencé en demandant qu’une loi soit promptement présentée aux chambres, afin d’interpréter l’article 36 et de préciser les cas qui soumettront les députés à la réélection. Je voterai pour que M. Goblet obtienne son congé.
M. Jullien. - Messieurs, en attendant la loi interprétative dont on parle, que nous attendrons encore longtemps, selon toute apparence, je crois qu’il n’est pas possible de ne pas reconnaître ce qui est dans la constitution. Je veux dire qu’il faut, pour être obligé à réélection, avoir accepté du gouvernement un emploi et un emploi salarié. Réduite à ses termes, la discussion n’est presque plus qu’une discussion grammaticale. L’emploi est une chose qui reste indépendamment des personnes qui l’occupent. Ainsi le titulaire meurt, il est destitué, il se démet, l’emploi reste toujours. C’est dans ce sens qu’on doit entendre le mot emploi, c’est dans ce sens que la constitution l’a entendu. La mission confiée à M. Goblet est-elle de cette nature ? Non, car l’espèce d’emploi qu’il occupe cessera d’exister quand sa mission sera remplie.
En un mot il s’agit ici tout simplement d’un mandat et celui qui le remplit ne saurait être rangé dans la classe des fonctionnaires, le mandat s’éteint avec la mission qui l’avait rendu nécessaire. La mission était remplie, il n’y a plus ni mandataire, ni mandant ; ceci est donc bien différent de la nature toute permanente de l’emploi salarié, tel que l’entend l’article 36.
Voyez, messieurs, où nous conduirait le système contraire. Le Roi donnerait mission à un député d’aller recevoir un souverain étranger à la frontière. Voilà aussitôt le député transformé en ministre plénipotentiaire ; et parce qu’on lui accorderait une indemnité de route et de séjour, on le dirait salarié et on voudrait le soumettre à une réélection. Cela n’est pas admissible.
On a dit que la mission du général Goblet n’était une mission extraordinaire, que parce que la conférence était elle-même un corps extraordinaire. Je conviens que la conférence est une puisse extraordinaire et même très extraordinaire. (Hilarité.) Mais cet argument me touche peu. Il me déterminerait même à raisonner d’une manière tout à fait opposée à celle de mes adversaires. Je leur dirai : c’est précisément parce que la conférence est une puissance extraordinaire que vous ne pouvez pas appliquer ici la constitution qui n’a été faite que pour les cas ordinaires. Au reste, messieurs, ne perdons pas de vue qu’il s’agit ici de la déchéance d’un droit, que chacun de nous serait fort fâché qu’on lui enlevât ; vous conviendrez au moins qu’il y a doute, et dans le doute il faudrait encore, comme l’a très bien dit M. le ministre de la justice, l’interpréter en faveur de M. Goblet. Je persiste donc à soutenir qu’il faut lui accorder le congé.
M. Gendebien. - Je demande pardon à la chambre de prendre encore une fois la parole. Mais si j’insiste, c’est dans l’unique but de faire appliquer la constitution dans son véritable sens. Veuillez croire en effet qu’il n’y a rien de personnel contre le général Goblet ; au contraire, nous sommes, je puis le dire, amis dès l’enfance, et il y a eu dès longtemps entre sa famille et la mienne un fidéicommis d’amitié. Dès lors, je pense avoir le droit d’être entendu avec faveur, car mes raisonnements ne peuvent être suspects de partialité.
Un des arguments sur lesquels on s’est le plus étendu, est pris de la grande différence qui existe entre l’emploi et la fonction temporaire. L’emploi reste, dit-on, indépendamment du titulaire ; la fonction temporaire passe avec celui qui la remplit. J’ai déjà répondu à cet argument, en faisant remarquer que la constitution ne faisait aucune espèce de distinction dans son texte entre l’emploi temporaire ou définitif, et que dans son esprit elle devait repousser cette distinction parce que les emplois extraordinaires sont encore plus dangereux pour l’indépendance d’un député que les emplois ordinaires.
Mais, dit-on, ce n’est qu’un mandat qui cesse quand le mandataire a rempli sa mission, ce n’est donc pas un employé que M. Goblet. Si le préopinant avait dit : ce n’est pas un fonctionnaire, j’aurais été de son avis. Mais c’est assurément un emploi, temporaire si l’on veut, mais toujours un emploi que M. Goblet a accepté ; et comme la constitution se sert du mot emploi, il retombe sous le coup de l’article 36, parce qu’il suffit pour être atteint par ses dispositions d’être employé par le gouvernement et de recevoir de lui un salaire.
On vous a dit que le danger n’était pas tel que je l’avais dépeint, parce que le budget est là et que dans la loi des comptes nous pourrions rejeter les allocations faites de ce chef. Un honorable membre a ajouté qu’il s’en reposait entièrement sur la responsabilité ministérielle. Mais on oublie qu’il existe dans le budget un chapitre pour les dépenses imprévues ; que tout emploi non perpétuel, ou extraordinaire, peut être rétribué au moyen des fonds alloués pour ces dépenses, que la cour des comptes ne peut se refuser à le mandater, et que vous-mêmes vous n’avez pas dépassé. Vous voyez donc qu’on répond mal à nos objections.
Pour moi j’ai toujours présente à l’esprit la mission conférée aux députés dont l’absence fit passer la loi désastreuse de 1822, et je ne veux pas que sous l’empire de la constitution pareil abus se reproduise. On vous a parlé de missions diplomatiques de diverses natures et notamment que la mission donnée pour assister au couronnement d’un souverain était toujours gratuite. C’est une erreur que je peux prouver par un exempte récent, celui de l’ambassadeur d’Angleterre qui fut chargé d’assister au couronnement de Charles X. Le nom de celui qui fut chargé de cette mission m’échappe en ce moment, mais il me souvient très bien qu’il renonça à son traitement. Donc il avait droit d’en recevoir un.
On vous a dit qu’il y avait lieu de faire une loi interprétative de l’article 36. Gardons-nous-en bien messieurs : si nous nous laissions aller à cette pente, nous finirions bientôt par voir notre constitution dénaturée par des lois interprétatives, et je crois que c’est d’autant plus inutile pour ce cas que les dispositions de l’article 36 me paraissent bien claires et bien nettes.
On vous a cité l’exemple des présidents de cours d’assises. Mais ce cas a été prévu par les collèges électoraux : ceux qui ont élu un conseiller pour leur représentant savaient très bien qu’il était inhérent à son emploi qu’il fut nommé à ces fonctions. C’est une conséquence de sa position.
On vous a demandé si un général d’armée que le roi chargerait, soit de porter un ultimatum au général ennemi, soit de faire l’échange d’un traité de paix, serait aussi obligé de se faire réélire. Non sans doute, mais on sent bien que l’exemple n’est pas concluant, car ce serait tout bonnement une commission que ce général remplirait en raison de son grade. Mais si ce même général était envoyé à Berlin pour y négocier la paix, il serait à mes yeux, comme le général Goblet, chargé d’un emploi salarié et comme lui obligé de se faire réélire.
Les arguments que l’on nous a opposés ne prouvent donc rien contre nous. Le seul qui m’a paru quelque peu subtil, et qui est fondé sur la distinction entre l’emploi et les fonctions temporaires, je l’ai pleinement réfuté par cette seule observation que la constitution ne fait aucune distinction, et que nous ne devons pas en faire plus qu’elle.
M. H. de Brouckere. - A l’ouverture de la discussion, j’ai commencé par déclarer que mon opinion n’était pas formée sur la question de savoir si M. le général Goblet devrait d’après l’article 36 se soumettre à une réélection oui ou non.
Je vous avoue que la discussion m’a pleinement convaincu que le général Goblet doit se soumettre à la réélection et j’ajouterai en outre que je ne vois pas un seul des arguments de nos adversaires qui n’ait été complétement réfuté. Il importe du reste beaucoup que la question soit résolue et qu’elle le soit conformément au sens précis de la constitution, car nous allons aujourd’hui poser un antécédent dont on ne manquerait pas de se prévaloir dans la suite, en sorte que l’article 36 serait entièrement perdu si votre décision n’était pas conforme aux principes qu’il a consacrés.
L’argument le plus fort de ceux dont je combats l’opinion consiste à dire que l’article 36 n’avait pas voulu parler des emplois temporaires. Voilà l’argument qui m’a paru faire le plus d’impression. Il est bien facile de le réfuter cependant.
Je suppose que dans la loi d’organisation judiciaire que nous allons bientôt discuter, on insérât une disposition portant que les juges de paix ne seront nommés désormais que pour cinq ans. Voilà une fonction qui deviendrait temporaire. (Rumeurs.) Si cette disposition existait, est-ce que le député nommé juge de paix ne serait pas soumis à la réélection ? Evidemment ce serait mal interpréter la constitution que de le soutenir. Mais, dit-on, ce n’est pas un emploi que remplit le général Goblet, c’est un mandat. Mais tous les emplois de l’ordre administratif sont des mandats, et tous sont révocables.
On a beaucoup prononcé les mots provisoire, temporaire, indemnité ; tout ce qu’on a dit à cet égard doit faire peu d’impression sur la chambre. Je n’ajouterai qu’un mot pour prouver l’abus qu’on a fait du mot indemnité. Supposons que le général Goblet au lieu de demeurer à Bruxelles, demeurât à Tournay, comme représentant. Il aurait droit à une indemnité, comme celle que touchent les 80 députés non domiciliés à Bruxelles. Eh bien, il en touchera une autre pour la mission à Londres, deux indemnités à la fois, ce qui n’est pas admissible. Voilà cependant où l’on nous conduirait.
L’honorable membre qui m’a précédé, a répondu à l’objection prise des conseillers nommés présidents des assises, et du général chargé d’échanger un traité de paix. Quant aux prisons, on a déjà prouvé que les membres des commissions ne recevaient pas de salaire, mais une indemnité bien minime, car elle ne s’élève qu’à 2,000 fl. qui doivent être partagés entre 13 personnes. Quant aux autres arguments ils ont tous été victorieusement réfutés et je n’en vois pas un seul qui soit resté débout.
M. Mary. - Jusqu’à ce qu’une loi ait interprété le sens de l’article 36, c’est à la chambre qu’il appartient de faire cette interprétation. Je ne suivrai pas les préopinants sur ce qu’il ont dit de la généralité des termes de l’article 36 ; je restreindrai mes arguments au cas qui nous occupe.
A l’époque où le général Goblet fut nommé député, il était inspecteur-général du génie ; nous étions en guerre avec la Hollande, et, dans ce moment, par la nature même de ses fonctions, il pouvait à tout instant être chargé d’une mission pour traiter de la paix avec la Hollande. Les électeurs le savaient et ne l’ont pas moins élu malgré cette considération.
Aujourd’hui que la Hollande ne veut pas traiter directement avec nous, M. Goblet est envoyé en mission temporaire auprès d’un pouvoir qui nous sert d’intermédiaire ; je dis « pouvoir, » quoique la conférence n’en soit pas réellement un : en effet, quand les 24 articles qu’elle avait rédigés ont été acceptés par nous, il a fallu encore attendre les ratifications. Eh bien, M. Goblet en remplissant une mission qui tend à obtenir un traité de paix de la Hollande, n’a pas réellement changé de position vis-à-vis des électeurs qui l’ont envoyé à la chambre ; dès lors il n’y a pas lieu à ce qu’il subisse une réélection, et d’ailleurs, plusieurs honorables membres ont parfaitement bien prouvé qu’alors même que sa position fût changée, elle ne l’était pas dans le sens de l’article 36 de la constitution.
M. Dumortier. - Dans la question qui nous occupe il n’est certainement personne d’entre nous qui envisage la personne de M. Goblet ; il s’agit ici d’une question de principes.
Il me semble que par suite de la longue et lumineuse discussion qui vient d’avoir lieu, on ne saurait refuser le congé demandé. Lorsqu’il s’agit de prononcer la déchéance d’un député, vous conviendrez que la stricte interprétation est de droit. Or, ce serait sortir de cette interprétation stricte que de vouloir ici étendre le texte de la constitution. Si l’on admettait un pareil système, la suite pourrait en être funeste. Dans le cours des événements, les chambres peuvent se former en majorité et en minorité, et les membres de la minorité pourraient être frappés par suite de l’antécédent que vous poseriez.
L’article 36 de la constitution porte : « Le membre de l’une ou de l’autre des deux chambres, nommé par le gouvernement à un emploi salarié, qu’il accepte, cesse immédiatement de siéger, et ne reprend ses fonctions qu’en vertu d’une nouvelle élection ».² Ce n’est pas pour le manque d’honneur, pour l’emploi en lui-même, que la constitution veut que la déchéance soit prononcée. mais c’est pour le salaire.
Le pouvoir exécutif a bien d’autres moyens de corruption que les emplois salariés, et cependant la constitution ne prononce pas la déchéance : le gouvernement peut donner des décorations, des grades, lesquels seraient capables de gagner un militaire siégeant dans la chambre ; il peut donner des titres de noblesse, etc. Le salaire seul fait prononcer la déchéance,
Lorsque le congrès s’est assemblé, on avait vu plusieurs années auparavant des membres des chambres se vendre pour de l’argent ; c’est par ce motif qu’on a prononcé la déchéance dans le cas du salaire.
Il s’agit de savoir actuellement si l’emploi, objet de la discussion, est rétribué ou s’il ne l’est pas. On a fait la distinction des emplois salarié, et salariables, et on a fait remarquer que si la constitution avait voulu que ce fussent les emplois salariables, elle n’aurait pas dit seulement les emplois salariés. Le salaire ne peut être réglé que par une loi ou par une ordonnance ; quelle loi règle le salaire des agents en mission extraordinaire ? Aucune. Une ordonnance ne le règle pas non plus ; le général Goblet ne reçoit qu’une indemnité de séjour. On a dit que l’on pouvait élever cette indemnité au taux qu’on voudrait, et qu’en la multipliant par 365 jours, on l’élèverait aussi haut qu’il plairait ; mais la preuve qu’il ne s’agit que d’une indemnité de séjour, c’est que le général conserve en entier son traitement d’officier supérieur ; si l’indemnité était le traitement principal, il aurait renoncé au traitement de son grade.
Lorsque M. de Theux a été nommé ministre de l’intérieur, il y a eu réélection ; lorsque l’honorable Vandenhove, que je vois avec plaisir siéger ici, a été nommé membre de la commission des monnaies, il a été réélu ; mais lorsque MM. de Mérode, de Theux ont été nommés ministres par interim, il n’y a pas eu réélection. Ces précédents doivent être suivis.
On a établi une distinction entre la mission de MM. Osy et de Brouckere et celle de M. Goblet ; M. Goblet, dit-on, est envoyé près des représentants des puissances ; mais M. Rothschild est également une puissance, et une puissance tout aussi extraordinaire que celle de la conférence. (On rit.)
Il faut prendre garde d’ôter au gouvernement la faculté de se servir des hommes qui dans la chambre possèdent des connaissances spéciales. Je vote le congé. (Aux voix ! aux voix !)
M. Pirson. - Je n’ai qu’un mot à dire. (La clôture ! la clôture !)
Je ne suis pas jurisconsulte et c’est cependant à des jurisconsultes que je vais répondre.
Je ne suis que contribuable (Bruit). Messieurs, les jurisconsultes ont dit que dans le doute on jugeait en faveur du débiteur, en faveur de l’accusé ; qu’aussi dans le doute on devait juger en faveur du pétitionnaire.
Je fais un grande distinction des jugements dans l’ordre civil et dans l’ordre politique ; néanmoins voyons l’application du principe qu’on oppose. Ici, qui est le débiteur ? C’est le contribuable. Que veut la constitution dans la circonstance qui se présente ? Elle veut éviter l’influence du pouvoir sur les députés ; en bien, dans le doute je jugerai en faveur des contribuables... (Bruit). Je crois que cette distinction est essentielle ; je la fais pour ceux qui pourraient l’oublier et je m’oppose au congé.
- La chambre ferme la discussion.
M. le président. - La question est de savoir s’il y a lieu d’accorder un congé.
M. d’Huart. - Je demande la parole pour la position de la question.
On pourrait considérer M. Goblet comme membre de la chambre, et ne pas donner le congé et l’on pourrait avoir de bonnes raisons pour soutenir cette opinion qui est la mienne.
- Plusieurs voix. - Faites connaître ces raisons.
M. d’Huart. - Lorsque les électeurs de Tournay ont nommé M. Goblet, ils n’ont pas prévu que ce général avait une mission qui l’éloignerait de son véritable poste pendant un certain temps. Je crois que pour les circonstances ordinaires on peut accorder un congé ; ainsi on peut en accorder pour cas de maladie, pour aller remplir des fonctions dont on était revêtu, parce que ces cas sont prévus ; mais pour une mission extraordinaire qu’on ne pouvait imaginer, on ne peut donner ce congé, sans quoi les électeurs de Tournay seront sans mandataire dans une circonstance à laquelle il n’avaient pas pensé. On ne peut les priver du droit d’avoir un mandataire, on ne peut donc accorder le congé.
M. Ch. de Brouckere. - Moi, je crois qu’il y a des raisons de poser ainsi la question : Le congé sera-t-il accordé, oui ou non ? Des membres nous ont dit : M. Goblet ayant reçu une mission semblable, n’a pas été soumis à réélection ; il a peut-être accepté la dernière mission parce qu’il a présumé qu’il ne serait pas renvoyé devant les électeurs.
D’après cette considération, je crois que la question doit être posée ainsi que je le propose.
M. Delehaye. - La constitution a dit : « Si un membre a accepté des fonctions salariées, etc. » Or, M. Goblet en a accepté, puisqu’il est parti. Quelques bons que soient les arguments de M. de Brouckere, ils ne peuvent être adoptés puisqu’ils sont contraires à la constitution. Si le congé est rejeté, qu’arrivera-t-il ? C’est que vous n’avez pas décidé si M. Goblet ne fait plus partie de la chambre. Je crois qu’il faut d’abord mettre aux voix la question de savoir si ce général est encore représentant.
M. Van Meenen. - Il y a lieu à savoir si M. Goblet doit être considéré comme membre de la chambre. Si la question est décidée affirmativement, alors on mettra aux voix le congé.
M. d’Huart. - Je me rallie à l’observation présentée par M.. Van Meenen. Il faut d’abord mettre aux voix la question de savoir si M. Goblet est membre de la chambre.
M. Devaux. - Je ne sais pas si nous pouvons prendre une décision dans des termes pareils ; si nous pouvons décider que tel ou tel n’est plus membre de la chambre, je ne pense pas que nous puissions nous épurer.
En quelle forme sera rendue cette décision ? Sera-ce sous la forme d’une loi ? sera-ce sous la forme d’un jugement. C’est sous la forme interprétative, me dit-on ? Mais si vous donnez à la chambre le droit de dire que tel membre n’est plus membre, vous vous épurez vous-mêmes ; c’est la même chose que ce qui s’est passé chez nos voisins lors de l’expulsion de Manuel. Nous pouvons faire une loi ; mais je doute fort que dans la circonstance nous puissions résoudre la question comme elle est posée. Que ferait-on si le sénat dans une occasion pareille décidait dans un autre sens ?
M. de Robaulx. - Le sénat n’a rien à voir ici.
M. Devaux. - Si vous faites une loi il aura à voir. Dans tout ceci vous pouvez seulement émettre une opinion, elle aura l’influence qu’elle doit avoir ; mais vous ne pouvez rien trancher.
M. Dumortier. - J’aurais bien désiré que la chambre acceptât la formule proposée par M. de Brouckere ; car celle de MM. d’Huart et Van Meenen me semble méséante. Demander si M. Goblet n’est plus membre de la chambre me paraît peu convenable, j’aimerais mieux qu’on posât ainsi la question : M. Goblet est-il susceptible de se soumettre à la réélection. (Hilarité générale et prolongée.)
- Plusieurs membres. - Cela revient au même.
M. Dumortier. - Dans les usages parlementaires, les expressions doivent être pesées, et elles ont souvent une grande influence… (Le bruit nous empêche de saisir la fin de la phrase.)
M. Dumortier reprend. - Du reste, je ne saurais partager l’opinion de M. Devaux, touchant le droit qui appartient à la chambre de décider la question. L’article 34 de la constitution est formel. Il porte : « Chaque membre vérifie les pouvoirs de ses membres, et juge les questions qui s’élèvent à ce sujet. » Il s’agit certainement ici de contestations qui s’élèvent à propos des pouvoirs d’un membre ; la chambre a donc qualité pour décider.
M. Gendebien. - Ce que le préopinant vient de dire me dispense d’entrer dans de grands développements. Il me semble que vous avez essentiellement qualité pour décider si M. Goblet a cessé ou non de faire partie de la chambre. Le préopinant a cité l’article 34 de la constitution, et en effet cet article est formel.
L’article 36 dit d’ailleurs que tout membre qui accepte un emploi salarié cesse immédiatement de siéger ? Qui donc pourra décider la question. Le ministère ? Le roi ? Le sénat ? Evidemment non. C’est nous, nous seuls, qui avons qualité pour cela. Si la constitution avait indiqué un autre pouvoir, je concevrais qu’on élevât des doutes, mais quand aucun n’a été désigné, je ne le conçois plus. Nous n’avons pas besoin d’une loi, ni du concours du sénat, pour constater un fait, car ce n’est qu’un fait à constater. Nous voyons un arrêté qui nomme M. Goblet à des fonctions, les uns prétendent salariées, les autres non salariées, qui prononcera si ce n’est nous ? Veut-on éluder la question et ne voter que sur le congé à accorder ? Peu m’importe, je voterai sur cette question. Mais votons, car nous en avons le droit. Sans cela, la discussion qui dure depuis trois ou quatre heures serait une discussion tout à fait oiseuse.
M. H. de Brouckere. - La formule proposée par M. Dumortier est plus polie et c’est pour cela que je l’appuierai. L’orateur pense que la question soulevée par M. Devaux ne fait pas le moindre doute et que d’après l’article 34, la chambre seule est compétente pour juger la question. Il faut remarquer que si on admettait qu’une loi fût nécessaire, le sénat pourrait en rejetant la loi empêcher qu’un député ayant accepté un emploi salarié se fit réélire, et de son côté, le ministère aurait par son veto le même pouvoir. Les chambres, dit l’orateur en terminant, sont omnipotentes en cette matière, et le sénat a déjà prouvé son omnipotence en admettant dans son sein et en y maintenant un sénateur, que les électeurs d’Ostende prétendaient n’avoir pas élu.
M. Van Meenen. - Les honorables membres qui ont combattu ma proposition ne paraissent pas en avoir bien saisi le sens. Je propose de poser la question ainsi : Y a-t-il lieu à considérer M. Goblet comme membre de la chambre ? Pourquoi fais-je cette question ? Parce que le général Goblet demande un congé. Est-il membre de la chambre ? On peut-on lui accorder le congé ou le lui refuser. N’est-il plus membre de la chambre ? Il n’y a pas lieu de délibérer sur sa demande. Il me paraît donc tout naturel de poser la question ainsi et de nous demander à nous-mêmes si M. Goblet est encore membre de la chambre. Sur la réponse que nous nous ferons le congé sera ou non accordé.
L’orateur combat l’opinion de M. Devaux et trouve que les articles 34 et 36 de la constitution ne permettent pas de douter a cet égard de l’omnipotence de la chambre.
M. Devaux persiste à croire que l’omnipotence de la chambre serait une arme fort dangereuse. Il demande qu’au lieu de voter sur les questions posées par divers membres, la chambre vote sur la question préalable, c’est-à-dire qu’elle déclare qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la question de la réélection.
M. Jullien appuie la position de la question de M. Van Meenen ; il combat la question préalable demandée par M. Devaux.
M. Taintenier. - Nous ne pouvons voter que sur ce qui nous est demandé. Si nous votions sur autre chose que sur ce qui nous est tracé par M. Goblet lui-même (Bruit.)
- Plusieurs membres. - Il n’a le droit de vous rien tracer.
M. Taintenier. - M. Goblet s’est contenté de vous demander un congé : vous n’avez autre chose à faire qu’à le lui accorder ou le lui refuser.
M. Ch. de Brouckere. - Nous n’avons à répondre qu’à une seule question, parce que le général Goblet ne nous a demandé qu’une seule chose, c’est un congé. Logiquement nous n’avons à répondre qu’à ce qui nous est demandé.
Nous voulons résoudre la question, relative à la qualité de représentant, parce qu’on nous a avertis ; si quelqu’un était nommé et qu’il n’avertit pas, il s’ensuivrait que le pays ne serait pas représenté.
M. Taintenier. - Cela peut arriver. (Bruit.)
M. Ch. de Brouckere. - La constitution a dit que dans le cas de vacance, il y a lieu à nommer un député ; c’est donc à nous à faire déclarer la vacance. On nous dit qu’il faut une loi pour cette déclaration ; je ne conçois pas la nécessité d’une loi ; pour tout ce qui est vérification de pouvoirs, nous sommes omnipotents. Je suppose que la question dise : « Lorsqu’un membre ne paiera pas tel cens, il cesser de siéger. » Eh bien ! quoique le député ne fasse pas de déclaration, nous aurions le pouvoir d’empêcher le député de siéger.
Comme citoyens, nous sommes tous soumis aux lois ; mais comme députés nous ne prêtons pas le serment d’obéissance aux lois ; nous ne sommes restreints que par la constitution même. Je suppose qu’il vienne un moment où la chambre soit d’accord pour l’application de l’article 36 ; la chambre qui vous succédera pourra dire : je ne reconnais pas les précédentes décisions ; je ne connais pas de loi, je ne connais d’autre règle que la constitution, que l’article 36.
M. Gendebien. - Messieurs, je serais très court. On vous a dit que c’était à tort qu’on voulait soumettre M. Goblet à une réélection, parce que l’article 36 ne nous donne pas le droit de revenir sur la vérification des pouvoirs. Et pour le prouver, on a cité ce qui est arrivé à l’égard d’un de nos honorables collègues, qui a été admis d’après les calculs du rapporteur, calculs sur lesquels il a voulu revenir, parce qu’ils étaient erronés. Vous savez qu’on a répondu qu’il y avait chose jugée, mais la question qui nous occupe est toute différente. Il s’agit de savoir s’il ne s’est pas opéré un changement dans la qualité de M. Goblet.
Il ne s’agit pas de savoir si ses pouvoirs sont en règle, mais de savoir si ses pouvoirs sont expirés.
Mais on a dit : vous ne pouvez juger que la question qui vous est soumise. D’abord je ferai remarquer que nous ne sommes pas des juges ordinaires. Lors même que nous serions des juges ordinaires, avant de prononcer au fonds sur une question, nous aurions à décider sur une fin de non-recevoir, s’il s’en présentait une. C’est aussi ce que nous devons faire. Nous pouvons le faire puisque nous agissons en vertu du titre de notre office. Vidons donc la question préjudicielle.
M. de Robaulx. - Messieurs, je n’abuserai pas de la parole. Je ferai observer que toutes les fois qu’une discussion s’élève sur une question, si on s’aperçoit qu’elle ait un côté faible, par lequel on ne puisse la soutenir, on ajoute promptement d’autres questions et l’on quitte le terrain trop glissant sur lequel on était placé. M. Gendebien a fait une question ; mais je suis aussi bien député que lui, et j’ai élevé une fin de non-recevoir, et cette question préjudicielle doit être décidée aussi.
Que dit la loi fondamentale ? Lorsqu’un député a accepté une fonction salariée, il n’est plus député. Mais la loi ne s’applique pas elle-même, et l’on voit que son exécution est tout doctrinaire. (On rit.) On vous dit qu’il faut une loi pour mettre le général à la porte, que vous ne pouvez prononcer que sur la question qui est posée… Ce sont là des puérilités… C’est à la chambre à voir, s’il y a démission ou non.
Il y a deux manières de donner sa démission. L’une directe par une lettre adressée à la chambre ; et sans loi, sans doctrine, on renvoie le membre.
La constitution admet une autre démission ; c’est la démission indirecte, en acceptant des fonctions salariées. Qui est-ce qui juge de cette démission ? Le même tribunal qui juge de la démission directe. Il y a un fait posé pour M. Goblet, c’est l’arrêté inséré au Moniteur, et ce fait est constaté par une lettre du général. M. Goblet en acceptant la mission conférée par l’arrêté a donné sa démission, oui ou non ? Si vous dites non, vous verrez ensuite si vous accorderez un congé.
Mais dire : avons-nous le droit ?... Faut-il une loi ?... N’en faut-il pas ?... Ce sont des questions oiseuses. La question est : A-t-il accepté une fonction salariée ? Voilà ce qu’il fait poser.
M. Taintenier. - Je dis que M. Goblet, qui est un de nos collègues, peut nous demander quelque chose comme un étranger. Je crois que pour procéder méthodiquement, il fallait qu’une motion fût faire relativement à l’examen de la question sur la nomination de M. Goblet ; comme tous les autres tribunaux, nous ne pouvons pas décider ultra petita.
M. le président. - Quatre questions ont été faites : 1° Y a-t-il lieu à accorder un congé à M. Goblet ; 2° Y-a-t-il lieu à considérer M. Goblet comme membre de la chambre ; 3° M. Goblet doit-il, en vertu de l’article 36 de la constitution, se soumettre à une réélection ; 4° M. Goblet, en acceptant une mission auprès de la conférence, a-t-il cessé d’être membre de la chambre ? Sur laquelle de ces question la chambre veut-elle d’abord délibérer ?
- Plusieurs voix. - Sur la première ! Sur la deuxième ! Sur la quatrième ! Sur la dernière ! (Hilarité.)
- Après un léger débat sur la priorité à accorder à l’une de ces questions, M. de Robaulx en propose une cinquième ainsi conçue : « M. Goblet a-t-il accepté un emploi salarié ? »
La chambre consulté décide qu’elle votera sur la deuxième question.
Plusieurs membres demandent que ce soit pas appel nominal.
La question est celle-ci : Y a-t-il lieu à considérer M. Goblet comme membre de la chambre ?
On procède à l’appel nominal ; en voici le résultat : votants 73, oui 55, non 18.
M. Goblet ne sera pas obligé de se soumettre à la réélection.
La chambre délibère ensuite sur le congé demandé. Il est accordé.
M. le président. - L’ordre du jour appelle…
M. A. Rodenbach. - L’ordre du jour est qu’il est quatre heures. (A demain ! à demain !)
M. Pirson. - Je demande la parole. J’ai déposé sur le bureau des interpellations que je voudrais adresser à un ministre quelconque ; cependant je préférerais que ce fût au ministre des affaires étrangères. (Il est présent !) Mes interpellations sont relatives au voyage du Roi. Quelques membres les connaissent déjà, parce qu’ils les ont lues dans un journal qui les a publiées ce matin ; cependant si la chambre le veut…
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je demande la parole.
M. le président. - M. le ministre a la parole.
M. Pirson. - Je n’ai pas fini. (Murmures.) J’ai la parole. Ai-je la parole, oui ou non,
M. le président. - M. le ministre l’a demandée.
M. H. de Brouckere. - Laissez parler M. Pirson : puisque la parole lui a été accordée, il a le droit d’être entendu. (Bruit.)
- Plusieurs membres quittent leur place et sortent de la salle.
M. Pirson. - Quand le père de famille est obligé de quitter la famille (on rit), ne fût-ce que très momentanément, il ne laisse point sa maison portes ouvertes à l’abandon ; la famille est informée de l’absence de son chef et quelqu’un l’y remplace.
Nous savons par les journaux qu’en ce moment le roi voyage en pays étranger. Les deux chambres sont assemblées ? ne doivent-elles pas être informées officiellement, ne fût-ce que par convenance, de l’absence momentanée du roi ? Mais je laisse de côté la convenance et j’aborde la véritable question, question de la plus haute importance, question non prévue par la constitution. La voici :
Lorsque le roi s’absente du royaume, ne doit-il pas nommer un lieutenant sous une dénomination quelconque ? Ne doit-il pas être remplacé par un être collectif ou individuel ? En effet, messieurs, l’absence la plus courte en projet peut devenir par accident ou événement imprévu, très prolongée ; une chute, une maladie, un grand mouvement politique dans le pays où l’on voyage, sont dans l’ordre des choses très possibles.
Je pense donc que le roi ne peut, même très momentanément, s’absenter du royaume sans avoir pourvu au vide qu’il laisse comme chef du pouvoir exécutif.
On dira, peut-être, que dans tous les cas il reste toujours un ministère responsable. Mais la signature d’un ministre ne constitue pas un acte royal, et à chaque instant cependant un acte royal peut être nécessaire. D’ailleurs, avons-nous un ministère ?
Hier encore j’ai vu au banc des ministres un piteux triumvirat, qui n’inspire point de confiance. L’un des trois, fidèle à ses précédents, s’agite en tous sens pour décliner la responsabilité constitutionnelle. Vous l’avez vu, vous l’avez entendu, il avait un grand procès… Qui a jugé ce procès ? Il ne l’a pas été, mais « on s’est embrassé » nous ont dit les journaux. Et les frais du procès, qui les paiera ? La nation. Nous aurons deux envoyés à Londres qui feront la navette et chanteront la palinodie. A des échanges de ratifications faussées, succèderont des échanges de bill d’indemnité. Ceux qui ont si mal commencé nos affaires n’ont garde de condamner ceux qui les finissent si mal.
Un autre fait des circulaires pour défendre à nos soldats de jurer (murmures), à la veille de livrer combat. Vraiment c’est bien le moment de leur faire apprendre par cœur un chapitre de la civilité chrétienne, puérile et honnête. Permettez qu’a cette occasion un homme de cœur et d’énergie repousse de toutes ses forces cette accusation répandue à l’étranger, que notre révolution n’aurait eu pour but, et n’aura pour résultat que le triomphe du parti prêtre. (Violents murmures.)
M. de Robaulx. - C’est bien ce qu’il dit là.
M. Pirson. - Je ne dis pas que cela soit ; au contraire c’est pour repousser cette accusation qui semble se répandre à l’étranger.
M. Jaminé. - Qu’a de comment cela avec la question.
M. Pirson. continue ainsi. - Il ne manquerait plus en effet pour compléter la conviction des incrédules que d’envoyer à la tête de nos armées des capucins, le vrai crucifix en main. (Nouveaux murmures, interruption prolongée.)
M. le président. - M. Pirson, vous sortez de la question.
M. Nothomb. - Il n’y a jamais été.
M. Pirson. - Je parle du ministère et j’en ai le droit.
M. le président. - Il appartient au président de rappeler à la question les orateurs qui s’en écartent. Vous n’êtes pas dans la question, je vous y rappelle.
M. Pirson. continue ainsi. - C’est alors que M. Seron, mon honorable ami, pourrait dire que Vandernoot avec son état-major de moines est ressuscité. Il n’en est rien, messieurs, catholiques et philosophes éclairés, nous voulons tous liberté et tolérance égale. En voilà assez sur le compte d’un ministre aujourd’hui sans portefeuille ; s’il s’est entièrement perdu dans l’opinion publique, à lui la faute.
Un journal du matin qui ne manquera pas d’être commenté et considérablement augmenté par les journaux ministériels, représente le vote unanime qui a été donné par la chambre, en séance publique, à la suite d’un comité secret sur la demande d’un crédit de 3 millions de florins, comme approbatif de la conduite du ministère.
Ce journal a raison s’il parle de la conduite que le ministère a promis de tenir. Il a tort s’il parle de sa conduite antérieure au 11 de ce mois, jour où la volonté unanime de la nations s’est fortement prononcée, et si le mot « bill d’indemnité » s’est fait entendre en comité secret, ce n’a été que par une seule bouche.
Il reste toujours vrai qu’on ne peut accorder une bien grande confiance à ceux qui ont persisté beaucoup trop longtemps dans un système de déception qu’il faut enfin abandonner.
J’en reviens à ma dernière question : Avons-nous un ministère responsable ?
Le ministre des affaires étrangères avait annoncé publiquement sa démission ; l’a-t-il retirée ; a-t-il fait sa soumission à la loi de la responsabilité ? Ou bien compte-t-il pour le passé et l’avenir sur des bills d’indemnité ?
Le ministre des finances et celui de la justice avait aussi donné la leur. On connaît leurs motifs honorables. Le premier des deux a reparu, il y a quelques jours, au banc ministériel, mais d’après ses paroles, ce ne serait que momentanément. Le second siégeait hier à la chambre, mais point au banc des ministres. Quant à celui de la guerre, il a déclaré qu’il ne voulait être qu’un homme d’exécution et non un homme politique. Reste donc le ministre de l’intérieur. Voilà notre pivot, la solidité est jugée, je n’ai plus rien à dire.
Il me reste à faire au premier ministre venu deux interpellations.
M. le ministre de (n’importe lequel) : Le roi voyage-t-il en ce moment hors du royaume ?
A-t-il été pourvu au remplacement de la signature du roi, si pendant son absence, il survient une circonstance nécessitant un acte royal ?
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je ne sais pas, messieurs, si je dois répondre aux compliments que M. Pirson vient d’adresser au ministère. Je ne sais ce qu’il peut être de convenance à cet égard ; je laisse donc à la chambre le soin de juger les motifs dont l’honorable membre a accompagné les questions qu’il a adressées au ministère, motifs qui d’ailleurs ne me semblent pas trop s’y rapporter. J’aborde cependant les question, et je me bornerai à y répondre.
M. Pirson nous demande 1° si le roi voyage hors du royaume ; 2° si, pendant son absence, on a pourvu à la signature des actes royaux.
Je ne sais pas trop si même je devais répondre à ces questions ; mais, enfin, je le ferai. Le roi voyage-t-il hors royaume ? Chacun, à cet égard en sait autant que vous. Vous savez que la constitution n’interdit pas au roi de voyager en pays étranger, et il a surtout le droit de s’absenter momentanément du royaume lorsque l’intérêt du pays l’exige.
Quant à la deuxième question, elle est résolue par la constitution. Le pouvoir exécutif appartient au roi. Les actes du pouvoir exécutif sont contresignés par un ministre responsable ; or, les pouvoirs constitutionnels ne se délèguent point. La constitution ne prévoir que les cas dont parlent les articles 81 et 82, et il ne peut s’en agir ici, où il n’est question que d’une absence momentanément et très courte, et d’un voyage fait sans un lieu peu éloigné.
M. Pirson demande ce qui pourrait arriver si un acte royal était nécessaire. Ce n’est pas sur un fait que repose cette question, mais sur une prévision pour l’avenir. Je ne sais jusqu’à quel point on peut nous interroger sur une prévision ; je dirai cependant à M. Pirson que si un acte royal était nécessaire, au moyen du service d’estafettes qui a été établi, il serait très facile de l’obtenir.
- De toutes parts. - Bien ! bien !
- La séance est levée à quatre heures et demie.
Nom de MM. les membres de la chambre des représentants, absents sans congé à la séance du 30 mai 1832 : MM. Angillis, Berger, Dams, de Foere, W. de Mérode, de Woelmont, Domis, Gelders, Osy, Rogier, Verdussen, Vergauwen, H. Vilain XIIII.