(Moniteur belge n°76, du 16 mars 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure.
Après l’appel nominal, le procès-verbal est lu et adopté.
M. Lebègue analyse quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
Il est donné lecture d’une lettre de M. Blargnies, conçu en ces termes :
« M. le président, la continuation des causes qui m’ont si souvent éloigné de la chambre des représentants, et l’état de ma santé, me forcent à vous envoyer ma démission.
« Recevez, etc.
« Signé, Blargnies. »
M. le président. - Il en sera donné avis à M. le ministre de l'intérieur, pour qu’il soit pourvu au remplacement de M. Blargnies.
L’ordre du jour est la suite de la délibération des articles du budget de la guerre.
La discussion est ouverte sur l’article 2 du chapitre 5, relatif au haras militaire, et s’élevant à la somme de 21,000 fl.
La commission propose de supprimer cette somme.
M. Zoude. - Appartenant à un canton de l’Ardenne où l’éducation des chevaux est particulièrement soignée, je dois vous présenter les vœux d’un grand nombre de mes concitoyens, et vous demander en leur nom et au mien la conservation du haras.
Les chevaux ardennois sont incontestablement les plus nerveux, les plus courageux et les plus sobres de la Belgique ; mais ils pêchent généralement par les formes, et tous nos efforts tendent à leur faire acquérir en beauté ce qu’on se plaît à leur reconnaître en bonté.
Cette beauté, qui donnerait à la race ardennoise un des premiers rangs parmi les chevaux connus, nous ne pourrons l’obtenir que par le croisement avec les étalons étrangers ; et, si cette amélioration était acquise, nos exportations vers la France qui s’élèvent annuellement à plusieurs millions, malgré le droit de 50 à 60 fr. par tête, ces exportations, dis-je, s’accroîtraient considérablement en multipliant les élèves, et l’essor qu’on donnerait à cette branche d’industrie augmenterait la richesse nationale.
Mais, sans l’établissement d’un haras, le perfectionnement de nos chevaux sera toujours lent, je dirai même impossible.
Je sais que les premiers essais n’ont pas toujours été heureux ; mais tel est le sort de la plupart des établissements naissants. D’ailleurs, la faute, si faute il y a, n’en est pas à ceux qui dirigeaient immédiatement le haras, mais à ces inspecteurs hollandais qui, ici comme en toutes choses, exigeaient que tout fût soumis au caprice de leur volonté ; et c’est ainsi qu’on nous a souvent imposé des étalons sans égard au climat, au sol, à la nourriture, toutes circonstances qui devaient exercer une influence sur l’animal, et par suite sur la reproduction.
Ces inconvénients ont presque tous disparu, et il ne reste guère maintenant qu’un choix très distingué dans les étalons du haras. Loin donc de le supprimer, je voudrais qu’il s’en établît dans chaque province. L’élève tient au sol, chaque sol aurait son espèce particulière ; là prospérerait l’élève pour la cavalerie légère, ailleurs celui de la grosse cavalerie, ici le carrossin, autre part le cheval de trait.
On trouverait ainsi, dans l’intérieur du royaume, tout ce que le luxe, et les besoins généreux et particuliers vont chercher dispendieusement au-dehors.
Non, messieurs, vous ne permettrez pas qu’on fasse un pas rétrograde en supprimant le haras ; mais, à l’exemple de tous les gouvernements européens, vous en ferez un des objets de votre sollicitude.
Celui que nous possédions dans le Luxembourg était déjà tellement apprécié, que deux provinces sollicitèrent en 1830 la faveur d’en partager le bienfait, et, pour l’obtenir, celle de Namur avait offert de fournir aux frais de l’établissement.
Cet arrangement se serait effectué sans les événements de la révolution.
Je voterai donc pour le maintien du haras, en attendant que je puisse en voter un pour chacune de nos provinces.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Messieurs, il paraît qu’il y a ici une erreur. Quelques membres ont cru que le haras dont il s’agit était destiné exclusivement aux remontes de cavalerie, et d’autres, qu’il devait être transféré au ministère de l’intérieur. Il n’existe qu’un seul haras dans le pays, et il appartient au département de la guerre ; voici pourquoi ; il n’y a que trois espèces d’hommes qui peuvent s’occuper de cet objet, savoir : ceux qui le font par goût, ceux qui le font par spéculation, et les officiers de cavalerie qui le font par état. C’est pour cela que le haras est joint au département de la guerre. En France il appartient au ministère de l’intérieur ; mais, si je suis bien informé, il est question de le faire passer au ministère de la guerre.
Messieurs, le haras est très utile et très important pour l’agriculture. Le cultivateur ne sent pas encore bien la nécessité de faire saillir sa jument par des étalons étrangers ; mais il la sentira plus tard. La preuve que ce croisement contribue beaucoup à améliorer la race des chevaux, c’est que les Anglais viennent chercher nos grosses juments pour les faire saillir chez eux, et qu’elles produisent de superbes chevaux de carrosses et de course. On pourrait tirer du haras un résultat aussi avantageux dans notre pays. Un malentendu, à ce qu’il paraît, y a mis obstacle jusqu’à présent. Mais je me suis mis en communication à cet égard avec les provinces, et déjà plusieurs bourgmestres m’ont demandé des étalons pour le temps de la saillie, et j’en enverrai partout où l’on en demandera. Comme les particuliers ne connaissent pas encore les avantages de faire croiser la race indigène avec les chevaux étrangers, le gouvernement donne la saillie pour rien. Quand les cultivateurs seront bien persuadés de cette vérité, vous pourrez alors supprimer le haras, si vous voulez ; mais dans ce moment ce serait un pas rétrograde.
M. d’Elhoungne pense qu’en France, où il existe des haras, l’amélioration des chevaux a fait moins de progrès que partout ailleurs, et qu’en Angleterre, au contraire, où la race des chevaux est si perfectionnée, il n’existe pas de haras. Etant d’avis de laisser agir la concurrence individuelle pour toute industrie, il n’est pas favorable à l’établissement d’un haras. Mais, comme cet établissement existe, il croit qu’il faut ajourner la question, et vote pour les 21,000 fl.
M. Pirson appuie fortement les observations de M. le ministre de la guerre.
M. de Woelmont. - Je ne puis, messieurs, partager l’opinion de la section centrale, relative au haras ; et en effet, est-ce bien sérieusement pour diminuer le budget d’une somme aussi minime que celle de 21,000 fl., qu’on nous propose de détruire dans son principe une des branches d’administration qui peut, avec le temps et des moyens convenablement appliqués, procurer à la Belgique d’abondantes et convenables remontes, tant pour la cavalerie légère que pour l’artillerie ? Pourquoi donc resterions-nous tributaires de nos voisins pour cet objet de nos armements ?
Les haras ont produit déjà de bons résultats en Belgique, malgré le peu d’étalons convenables et de bons choix introduits jusqu’à ce jour dans le pays, et les vices de l’administration hollandaise qu’on était obligé de suivre. Ce fait est reconnu par tous les officiers de cavalerie, qui doivent être bien à même d’en juger ainsi que par tous les connaisseurs de chevaux.
L’économie qu’on veut faire au budget n’en est pas une ; car, lorsque l’on compare à la dépense des haras les avantages qu’il procure, on voit que chacun de ses produits peut être considéré comme d’une valeur d’un quart en sus, au minimum du prix habituel de nos chevaux communs dès le premier croisement de race : les ventes publiques faites à Tervueren et lieux environnants en font preuve.
Déjà nous possédons une partie des éléments principaux propres à obtenir de grandes améliorations dans nos races de chevaux ; il ne faut que leur donner une direction convenable pour les voir prospérer : c’est la tâche du gouvernement, et M. le ministre ne l’oubliera pas sans doute.
Peut-être viendra-t-on m’objecter que l’administration du haras doit plutôt être du ressort du ministre de l’intérieur que de celui de la guerre ; je ne puis partager cette opinion. Vous en expliquer ici les motifs en détail serait trop long ; je dirai seulement que je n’aime pas, pour plusieurs raisons, voir cet objet soumis à des commissions d’agriculture, les commissions n’ayant d’ordinaire que des intérêts particuliers en vue, et rarement l’intérêt général. Dans tous les gouvernements voisins, les haras se rattachent au département de la guerre : la France seule faisait exception ; mais, depuis 1831, une ordonnance du roi rend cette administration mixte, en attendant qu’elle se rattache tout à fait au département de la guerre.
En refusant les fonds demandés au budget, force est au gouvernement de se défaire à vil prix des étalons que nous possédons ; donc préjudice aux intérêts du gouvernement, plusieurs des étalons ayant coûté de très fortes sommes. Il en résulterait encore un préjudice aux agriculteurs, puisqu’ils obtiennent maintenant, sans frais, des productions préférables. Ce fait, messieurs, est tellement notoire, que je tiens en main une pétition qu’on vient de me remettre pour être transmise à la chambre, et signée de plus de 30 agriculteurs du Brabant qui réclament le maintien du haras. Je ne puis donc admettre la proposition de la section centrale, et je demande, au contraire, le maintien de l’allocation des 21,000 florins au budget, espérant bien voir s’étendre à toutes les provinces de la Belgique des avantages que quelques-unes ont possédés seules jusqu’à présent, quoique nous ayons, dans toutes les localités convenables pour l’augmentation de belles reproductions de chevaux, tant pour le service des remontes que pour les chevaux de luxe de toute espèce.
M. Jaminé et M. Mary parlent aussi en faveur de l’allocation. M. Mary demande que le haras soit transféré au ministre de l’intérieur.
M. A. Rodenbach demande si on enverra des étalons dans toutes les provinces.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - J’ai dit tout à l’heure qu’il y avait eu quelques difficultés par malentendu ; mais aujourd’hui, je me suis mis en communication avec MM. les bourgmestres, et j’enverrai des étalons partout où l’on m’en demandera.
M. d’Huart. - Je pense que le haras, appartenant au ministère de la guerre, profitera plutôt à l’armée qu’à l’agriculture. Je ferai remarquer, en outre, que les 35 étalons dont il se compose ne suffiront pas pour toutes les provinces. Il vaudrait mieux, peut-être, employer l’allocation pour encourager l’agriculture.
- L’allocation portée au budget est mise aux voix et adoptée.
« Art. 1er. Matériel de l’artillerie : fl. 940,000. »
La commission propose d’accorder seulement 800,000 fl. Cette réduction a été consentie par M. le ministre de la guerre.
- Le chiffre de 800,000 fl. est adopté.
« Art. 2. Matériel du génie : fl. 1,000,000. »
La commission propose de n’allouer que 450,000 fl. Cette réduction est fondée, d’après son rapport, sur l’inutilité d’entretenir des places qui doivent être démolies, et sur le peu d’urgence de la plupart des travaux projetés dans celles que l’on conserve.
M. le général Goblet, pour démontrer l’insuffisance du chiffre de la commission, soumet à la chambre des états qu’il a dressés sur les dépenses nécessaires pour les forteresses, et il propose de renvoyer ces états à la commission pour être examinés par elle, afin de faire ensuite à la chambre un nouveau rapport sur cet objet. Quant à la démolition des forteresses, il faut remarquer qu’elle donnera tout au plus à une diminution d’un tiers.
M. Tiecken de Terhove. - Dans la séance du 6, un honorable membre a dit, parlant du crédit demandé pour l’entretien de nos forteresses, que nous ne pouvions nous reposer entièrement sur des garanties placée en dehors de nos limites, et que nous devions en ajouter d’autres à l’intérieur, pour nous mettre à même d’attendre, sans péril, le secours de nos protecteurs naturels, pour que la Belgique ne pût être surprise ni enlevée par un coup de main.
Parfaitement d’accord avec l’honorable membre sur le principe, je ne le suis pas dans son application. Il improuve la commission pour n’avoir pas accordé la somme demandée pour l’entretien des forteresses, et moi je suis parfaitement de l’avis de la commission. D’abord vouloir entretenir, à grands frais, les quatre forteresses destinées à être démolies, serait certes une dépense bien inutile, pour n’en pas dire davantage.
Quant aux autres forteresses sur les frontières de France, je n’en vois pas non plus l’utilité ni la nécessité. N’y eût-il pas de forteresse, nos frontières du côté de la France n’en seraient pas moins en sécurité. Car, messieurs, sans la France, où en serions-nous ? Déjà nous eussions subi une terrible restauration. La France est notre alliée naturelle, notre alliée intime ; elle est plus, elle est notre protectrice. Rappelons-nous bien que toutes les fortifications élevées par la sainte-alliance sur cette frontière l’ont été en hostilité contre la France, et, je dirai, contre nos libertés. Ce n’est pas là qu’est notre côté faible ; ce n’est pas là qu’est le danger ; ce n’est pas là que nous serons surpris et enlevés par un coup de main. Pour moi, je voudrais, sur cette frontière, les voir disparaitre toutes : ce serait une grande économie pour l’Etat ; car je ne pense pas que nous en ayons jamais besoin, et si ce malheur nous arrive un jour, ce qu’à Dieu ne plaise, nous serions bien près de perdre nos libertés, notre indépendance, et d’être effacés du rang des nations ; car ce cas supposerait une guerre avec la France, et si nous avions la guerre avec elle, quelle alternative nous resterait-il ? Ou d’être envahis par elle, ou de nous jeter dans les bras de la sainte-alliance ; et, dans cette terrible alternative, chacun sait le sort qui nous attendrait ! Chacun sait comment les peuples qui se sont affranchis du jour du despotisme, crime affreux à leurs yeux, sont traités par elle ; elle nous étoufferait dans ses étreintes. Rappelons-nous bien l’héroïque et trop malheureuse Pologne !
Mais ce n’est pas là, messieurs, que nous devons employer l’argent dont nous pouvons disposer. Ce n’est pas là le point qui doit fixer toute notre attention. Sur toute la ligne du nord, et en face de nos ennemis implacables, nous sommes à découvert. Nous sommes vulnérables sur une ligne immense, tandis que leurs frontières sont hérissées de forteresses. Voilà le point vers lequel on devrait élever des fortifications ; la défense de l’Etat, la sécurité du pays, l’exige impérieusement. Dans le temps, de pareilles réclamations furent adressées au pouvoir ; d’autres précautions furent indiquées ; on réclama avec instances les premiers éléments, les éléments les plus indispensables pour notre petite armée, mais vainement. Ceux-là auraient mérité de la patrie, qui alors auraient écouté ces voix. Ceux-là auraient mérité de la patrie, parce que, en les écoutant, ils nous auraient épargné les désastres du mois d’août ; désastres dont tant de voix ont fait retentir la voûte de cette enceinte.
Mais, à cette époque, bien des gens dormaient mollement sur des roses, semées par la diplomatie, mais dont les épines ne tardèrent pas à se faire sentir. Alors des cris s’élevèrent de toute part, on chercha des boucs d’Israël ; on voulut les charger de toutes les iniquités, et ceux qui montrèrent une incurie si coupable se cachèrent dans l’ombre.
Hier, on a reproché au congrès de n’avoir pas autorisé l’admission de généraux étrangers. Pour moi, je regrette aussi que le congrès n’avait pas eu recours à l’étranger pour quelques hommes d’Etat, qu’on a dû improviser ici. Si nous avions eu des hommes prévoyants, des hommes capables de diriger nos affaires, organiser notre armée, la pourvoir de tous les éléments dont elle avait besoin, la mettre sur un pied respectable, nous n’aurions pas à élever si souvent nos regrets sur le passé.
Aujourd’hui, faisons au moins que la leçon de l’expérience ne soit pas perdue pour nous. Soyons plus vigilants, plus prudents, et, au lieu d’employer inutilement des sommes considérables en réparations des fortifications qui sont sans but comme sans utilité, employons-les sur les points menacés, où ils doivent servir à nous garantir d’une nouvelle invasion.
Je n’accorderai donc que le crédit alloué par la commission, à moins qu’on ne nous en demande pour une destination telle que celle que je viens d’indiquer, et je m’empresserai d’y donner mon assentiment.
M. le général Goblet demande que M. le président mette aux voix sa proposition de renvoyer à la commission les états dont il vient de donner lecture.
- Cette motion est appuyée par M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) et M. Dumortier, et combattue par M. d’Elhoungne.
-Le renvoi est mis aux voix et ordonné.
M. d’Huart. - Je crois qu’il est indispensable de renvoyer aussi les contrats passés pour l’entretien des forteresses, afin de savoir quelles sont les obligations du gouvernement.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) y consentant, ces contrats seront joints au renvoi.
« Art. unique. Traitements de non-activité et de réforme : fl. 225,000. »
La commission propose de réduire le chiffre à 115,0000.
M. le président. - M. Jullien a proposé un amendement relatif aux officiers des corps francs.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) demande que cet amendement soit discuté séparément et forme l’article 2 du chapitre VII. Il combat la résolution de la commission, et demande qu’on lui accorde au moins 150,000 fl.
M. Brabant. - Nous avons fait cette réduction dans la prévision de l’état de guerre. Il me semble qu’elle est raisonnable. Je ferai à ce sujet une observation, c’est qu’on a accordé très légèrement des traitements à des militaires mis en disponibilité. Je connais un officier en disponibilité qui touche un traitement triple de sa pension (murmures). Il a été nommé le 17 mai, et depuis je l’ai vu figurer seulement dans des fêtes et des inaugurations.
M. Rogier. - Je présume que l’honorable membre veut parler d’un général de brigade, et non pas d’un général de division, dont je suis prêt apprendre la défense.
M. Brabant. - C’est d’un général de brigade.
Le chiffre de la commission est mis aux voix et adopté.
M. Jullien propose un amendement tendant à accorder à M. le ministre de la guerre une somme de 20,000 fl. pour payer aux officiers des tirailleurs francs la dette que le gouvernement a contractée envers ces braves, pour prix des services rendus par eux pendant la révolution. L’honorable membre soutient que c’est là une question d’équité ; il reconnaît que le gouvernement a eu le droit de licencier ces officiers, mais il pense qu’ils ont droit à une indemnité.
M. Rogier. - Messieurs, je désire, autant que qui que ce soit, que les hommes qui ont rendu des services pendant la révolution soient récompensés, et sous ce rapport j’appuierai l’amendement de l’honorable membre, mais il n’a parlé que des tirailleurs francs, tandis que je voudrais que cette somme ne s’appliquât qu’aux volontaires, qui ont pris réellement part aux combats et aux dangers des journées de la révolution, et non à ceux qui ne sont arrivés que quand les Hollandais avaient été mis en déroute ; et, pour ma part, j’en connais plusieurs que j’ai vus arriver à Anvers après le bombardement, qui ne se sont jamais trouvés en face de l’ennemi et que j’ai vus plus tard, à mon grand étonnement, revêtus de grades et les épaules chargées d’épaulettes qu’ils avaient gagnées je ne sais où ; et ce ne sont pas ceux qui ont réclamer le moins haut. Je ne m’oppose pas, je le répète, à ce qu’on récompense les hommes de la révolution ; s’il en est qui aient été oubliés, je suis prêt à les appuyer de toutes mes forces ; mais je m’opposerai à ce qu’on grève le trésor pour payer des services imaginaires.
M. Gendebien propose de porter la somme aux volontaires à 40,000 florins. Messieurs, dit-il, ce que vient de dire M. Rogier suffirait pour faire adopter mon amendement. J’ajouterai cependant quelques mots. Je ne suis pas plus d’avis que l’honorable préopinant de récompenser les hommes du lendemain, mais c’est à tort qu’il a dit que les tirailleurs francs n’ont point pris part aux journées de la révolution : au reste, les hommes à récompenser seront faciles à reconnaître, ils portent les certificats de leurs services sur la poitrine, et j’en connais un qui, après avoir été blessé le premier jour à Bruxelles d’un coup de feu, a été blessé, quatre jours après, d’un coup de sabre et d’un coup de feu ; d’autres qui, quoique n’ayant pas assisté aux combats de Bruxelles, ont été tués les jours suivants, et certes ceux-là ne sont pas des hommes du lendemain. Les hommes du lendemain sont ceux qui se pavanent sous de grosses épaulettes sans avoir rien fait, et qui sont jaloux aujourd’hui de la faible récompense que l’on veut accorder aux hommes qui les ont faits ce qu’ils sont, et qui ont versé leur sang pour notre indépendance. Eh ! messieurs, souvenons-nous que la plupart de ceux qui réclament aujourd’hui étaient à la frontière souffrant du froid, campant au milieu de la neige, surveillant l’ennemi, tandis que tout s’organisait à l’intérieur. Ceux-là n’ont pas d’épaulettes, parce qu’ils n’ont pas comme tant d’autres, encombrés les antichambres à Bruxelles. Et cependant, messieurs, ce sont ces hommes qu’on a voulu flétrir : quand ils ont fait entendre leurs premières réclamations, on est venu vous dire qu’un général avait fait prendre un bain à tout un régiment, c’était un mensonge. On a ajouté que, par ce moyen, on a découvert que 14 ou 15 officiers avaient été marqués. Le premier fait a été démenti comme faux, le second comme calomniateur.
Pour moi, messieurs, j’admire la longanimité de ces braves qui ont demandé justice, avec persévérance sans doute, mais par les voies légales. Je demande donc que 40,000 florins soient alloués pour les récompenser. Que dis-je, récompenser ? C’est justice qu’il faut leur rendre, car leurs droits sont incontestables. Qu’on accueille mon amendement, alors je me tairai ; je cesserai de parler en leur faveur.
M. Fleussu. - S’il ne s’agissait que de voter 40,000 florins pour payer des services que je reconnais, je consentirai volontiers à l’amendement proposé ; mais au fond de cet amendement, je vois autre chose. Depuis longtemps un procès existe entre ces officiers de volontaires et M. le ministre de la guerre : en accordant aux premiers une indemnité, c’est leur reconnaître un droit, par conséquent donner tort à M. le ministre de la guerre, et je vous avoue que je ne suis pas assez fixé sur les droits des réclamants, pour prononcer aussi subitement entre eux et le ministre. Je demande donc que les amendements soient renvoyés à une commission, afin d’examiner les droits des officiers et nous faire ensuite un rapport, sur lequel nous prononcerons en connaissance de cause.
M. Rogier. - J’appuie la proposition de M. Fleussu, et je crois, par cela même que nous ne pouvons actuellement juger de la nature des services rendus et les droits des réclamants, qu’il convient de charger une commission de cet examen. Je suis d’accord avec M. Gendebien qu’il y a, parmi les officiers de tirailleurs, des hommes qui ne sont pas du lendemain ; aussi, n’ai-je parlé que de quelques individus quand j’ai dit qu’ils étaient arrivés quand il n’y avait plus l’ennemi à combattre. Quant aux autres allusions de M. Gendebien, je ne sais si dans son intention elles peuvent s’adresser à moi (M. Gendebien fait un signe négatif) ; mais dans ce cas, il faudrait qu’on s’expliquât un peu plus clairement.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Messieurs, je ne fatiguerai pas de nouveau l’attention de la chambre en répondant à des personnalités, d’autant que, lorsqu’un ministre veut dire un mot en réponse aux injures qu’on lui adresse, on l’accuse aussitôt de se permettre des personnalités, et nous nous entendons à tout moment traiter d’intrigants, d’ineptes ; enfin, il n’y a qu’un instant, on vient de dire que j’avais avancé des faussetés, des calomnies. Si ces expressions sont parlementaires, je vous avoue, messieurs, que je ne m’y connais plus. L’affaire du bain, que j’ai avancée, je la maintiens vraie ; elle est prouvée par des pièces authentiques. Quant à celle de la marque, elle venait de m’être affirmée en présence de 16 officiers, au moment où je l’ai avancée moi-même ; et je conviens que j’avais été induit en erreur. Au lieu de 14 hommes marqués, il n’y en avait qu’un seul, qui avait été condamné à vie, et qui s’était échappé du bagne de Leyde. Je n’ai, du reste, rapporté ce fait que pour prouver que tous les officiers n’étaient pas également dignes de la sollicitude de la chambre.
M. Jullien. - Messieurs, la tournure que vient de prendre la discussion prouve de plus en plus qu’il faut en finir avec cette affaire ; car, comme vous le voyez, la matière est inflammable. Je n’ai pas examiné, en proposant mon amendement, si les volontaires étaient des hommes du jour ou du lendemain, quoique je sache très bien qu’en révolution les hommes du jour sont rares, et qu’il ne manque jamais d’hommes du lendemain et même du surlendemain. (On rit.) Ce n’est pas non plus à titre de récompense que j’ai proposé mon amendement, c’est à titre de dette. Nous ne sommes malheureusement pas assez riche pour distribuer des récompenses, mais nous le sommes assez pour payer nos dettes. J’ai proposé 20,000 fl., et je dois rendre cette justice à M. le ministre de la guerre que, l’ayant consulté sur mon amendement, il m’a dit que cette somme suffirait pour apaiser toutes les exigences. Si maintenant on pense que c’est trop peu, je me rallierai au chiffre de M. Gendebien. Un honorable membre a dit que ce serait condamner, en quelque sorte, le ministre, en adoptant mon amendement ; telle n’est pas mon opinion : c’est tout bonnement lui donner le moyen d’en finir avec des hommes qu’il a eu le droit de licencier, mais envers qui l’équité et l’humanité nous commandent des sacrifices.
M. F. de Mérode. - Messieurs, si j’avais reconnu que les réclamations des volontaires fussent fondées en droit légal, je n’aurais pas proposé de les renvoyer aux tribunaux ; mais il m’est impossible d’admettre le principe qu’un engagement militaire soit bilatéral et synallagmatique comme un contrat civil. Si on voulait établir un pareil principe, je m’opposerais à l’allocation de la somme proposée par M. Jullien ; car, messieurs, prenons-y garde, on a dit que nous n’étions ni en état de paix ni en état de guerre ; or, il pourrait arriver qu’une trêve, chose que je ne prévois pas assurément, fût conclue, et si cette trêve, comme les trêves de la Hollande avec l’Espagne, étaient de plusieurs années, il en résulterait que les hommes qui ont porté, comme je l’ai dit, pendant plusieurs semaines des épaulettes d’officiers, seraient, pendant tout ce temps, à la charge de l’Etat. En conséquence, j’appuie le renvoi à une commission ou aux sections, pour que l’on ne reconnaisse pas trop légèrement des droits onéreux au pays.
M. Gendebien. - Messieurs, je ne m’oppose pas au renvoi à une commission, proposé par M. Fleussu, parce que je crois que les volontaires ont tout à gagner à ce qu’on examine leur affaire de près. Je répondrai à ce que vient de dire le ministre de la guerre, que ce n’est pas moi qui ai traité son allégation de fausse et de calomnieuse : ce sont les volontaires eux-mêmes qui l’ont publié dans les journaux. Je n’ai fait que rappeler cette circonstance, et j’aurais poussé plus loin en rapportant les paroles sorties de la bouche du ministre, qui vint nous dire que les prisons de la Hollande avaient été ouverte à des malfaiteurs, pour qu’ils vinssent s’enrôler dans les rang de nos volontaires. On a parlé d’un de ces officiers condamnés à vie et flétri : le fait est vrai, messieurs ; mais il a été condamné pour s’être battu en duel et avoir tué son adversaire. Je ne suis pas, au surplus, de ceux qui pensent que, parce qu’un homme aura commis une faute, il est à tout jamais incapable de rendre service au pays. Les braves officiers qu’on a calomniés ont mis le ministre à même de juger entre eux et leur accusateur. Le général étant venu à Bruxelles, il y a quelque temps, ils écrivirent au ministre à trois diverses reprises pour être confrontés avec le général. (Ici l’orateur lit ces trois lettres.) Eh bien ! messieurs, que leur a répondu le ministre ? Il leur a répondu par un refus. Ceci était une nouvelle injustice ; car, quand des hommes d’honneur demandent à se laver d’une imputation calomnieuse, on ne devrait pas leur en refuser le moyen. Quoi qu’il en soit, et après cette digression qui nous a rejetés fort loin du budget, je reviens à mon amendement et je demande qu’il soit renvoyé à une commission.
M. d’Elhoungne. - Il me semble, messieurs, que cette discussion a pris une singulière marche. A propos du budget, on vient vous proposer un véritable projet de loi, où l’on pose en principe qu’il faut accorder une récompense aux hommes qui ont combattu pendant la révolution. Ce n’est pas dans le budget, et par forme d’amendement, qu’une pareille loi doit être placée. Si on veut récompenser les volontaires, qu’on en fasse la proposition formelle, et que le projet de loi soit renvoyé en sections et suive la filière de toutes les propositions. Sans cela, messieurs, le travail que nous ferons ici ressemblera à la toile de Pénélope, faite, défaite et toujours à faire. Il me semble, d’ailleurs, que les honorables membres se sont mépris sur les droits de la chambre. Je ne crois pas que nous ayons le droit de proposer des augmentations ; les contribuables nous ont envoyés ici dans un but tout contraire. Nous devons régler le budget, il est vrai, mais en réclamant toutes les diminutions possibles. Le gouvernement propose les augmentations, c’est là son devoir et sa tâche ; la nôtre est de réduire. Je pense que ces observations suffiront pour faire rejeter les amendements, et on proposera ensuite une loi, si on veut.
M. Nothomb. - Je viens appuyer le renvoi des amendements à la commission, et je proposerai moi-même un sous-amendement. Selon moi, ce n’est pas ici une simple question de légalité, c’est une question d’équité et de générosité. Il me semble, sous ce rapport, qu’il y a une lacune à remplir dans tous les amendements proposés. Vous savez qu’il y a une classe de volontaires, sortis des murs de Maestricht et de Luxembourg, qui vinrent s’enrôler dans les rangs des défenseurs de notre indépendance, et qui, licenciés plus tard, n’ont pu, depuis six mois, rentrer dans leur ville. Je propose d’ajouter 20,000 fl. aux 40,000 proposés par M. Gendebien, et que la somme totale serve à indemniser ces volontaires aussi bien que les autres.
M. Barthélemy. - Messieurs, je suis d’avis, comme M. d'Elhoungne, que la chambre doit s’abstenir de proposer des augmentations. Nous sommes appelés ici pour organiser le budget ; mais il y a deux manières de l’organiser : en proposant les réductions dont il est susceptible, et en examinant ce qui aurait été omis et qui serait cependant nécessaire au bien du service. C’est ainsi qu’au budget de l’intérieur, j’ai remarqué une omission, relative aux enfants trouvés ; eh bien ! je demanderai que cette dépense, mis mal à propos à la charge des provinces et des communes, y soit rétablie ; sans quoi je voterai contre le budget de l’intérieur. Nous pouvons faire de même en cette circonstance.
id=leclercqVolontairesM. Lebeau appuie les observations de M. Barthélemy et ajoute qu’il y a urgence de renvoyer à la commission ; car, si on suivait l’avis de M. d'Elhoungne, et qu'on fît de la proposition l’objet d’un projet de loi, ce serait lui faire subir un ajournement indéfini, et ce serait, en quelque sorte, un déni de justice, ce qui est, sans doute, fort loin de la pensée de M. d'Elhoungne.
L’orateur demande le renvoi à la commission qui a examiné le budget de la guerre.
M. Leclercq. - Je ne crois pas que ceci puisse faire l’objet d’une loi, car les lois ne s’occupent que des intérêts généraux, et la proposition actuelle ne concerne que des intérêts particuliers. Je crois qu’il y a urgence dans le renvoi à une commission ; mais, par cela même, je demande qu’il ne soit pas fait à la commission de la guerre, car déjà deux objets importants lui ont été renvoyés, et il lui serait impossible de s’occuper de celui-ci.
M. Lebeau. - Je me rallie à la proposition de M. Leclercq.
M. Destouvelles. - Je demande que M. le ministre de la guerre nous dise le nombre des personnes à récompenser ou à secourir ; sans cela, il est impossible qu’une commission fasse un rapport ; je demande aussi que le renvoi n’ait pas lieu à la commission de la guerre.
M. F. de Mérode. - La commission de la guerre est la plus propre à s’en occuper.
- L’assemblée, consulté, décide que les amendements seront renvoyées à une commission spéciale, nommée par le bureau.
M. le président désigne MM. Mary, Fallon, d’Huart, Milcamps et Dewitte.
Les auteurs des amendements s’adjoindront à la commission.
« Art. unique. Dépenses imprévues : fl. 361,182. »
La commission propose de n’accorder que 150,000 fl.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Je déclare que si la chambre adopte cette réduction, je ne pourrai faire face aux dépenses extraordinaires.
M. Brabant. - La commission a pensé que les appréciations ont été faites si largement qu’une somme de 150,000 fl. est suffisante.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - J’ai indiqué approximativement le montant des dépenses extraordinaires que je prévoyais devoir être faites et je ne m’attendais pas qu’on proposerait une telle réduction. Il y a plus, on a retranché 25,000 florins pour les traitements des ingénieurs civils à employer dans l’armée, de même sur les frais de route, etc. Il est juste au moins de laisser subsister le chiffre des dépenses imprévues, pour me mettre à même de faire face aux dépenses.
M. d’Huart. - Je demande que le chiffre proposé par la commission soit majoré des 25,000 fl. retranchés de l’article 5 pour supplément de traitement aux ingénieurs civils à employer à l’armée. Je fais cette proposition parce que la commission a dit elle-même que ce supplément devait être pris sur les dépenses imprévues. (Appuyé.)
M. Osy. - Je m’oppose à cet amendement, par le motif qu’il n’y a que les objets non prévus qui peuvent entrer dans l’article « dépenses imprévues. »
M. d’Huart. - Mais ce supplément de traitement est éventuel, ainsi que l’a dit M. le ministre de la guerre ; en conséquence, c’est un objet non prévu.
M. Delehaye. - Pour qu’une dépense soit imprévue, il faut qu’elle n’ait point été examinée.
L’amendement est appuyé par M. Brabant, M. d’Huart, M. Lebeau et M. Gendebien, et combattu par M. Osy, M. Delehaye et M. d’Elhoungne.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - J’avais demandé la parole ; mais il me semble que de tout ce qui vient d’être dit, il résulte que chacun est d’accord qu’au lieu de diminuer la somme demandée par M. le ministre de la guerre, il y aurait plutôt lieu à l’augmenter.
- La réduction de la commission est mise aux voix et rejetée.
La proposition faite par M. d’Huart est également rejetée.
Le chiffre de 361,182 fl., que portait le budget, est mis aux voix et adopté.
« Art. unique. Vivres de campagnes et fourrage en nature : fl. 2,148,499. »
M. Gendebien. - La commission dit dans son rapport qu’elle n’a pas cru devoir proposer de réduction sur cet objet, avant que la chambre eût statué sur la proposition de M. Jullien. Il me semble qu’on devrait, maintenant que le marché Hambrouk a été examiné, renvoyer ce chapitre à la commission, afin qu’elle voie s’il n’y a pas lieu à nous faire un second rapport à cet égard.
M. d’Huart s’y oppose, et demande que l’on discute le chiffre posé par M. le ministre de la guerre.
M. d’Elhoungne déclare appuyer la proposition de M. Gendebien.
M. Destouvelles. - La commission a accordé le même chiffre que celui demandé par M. le ministre de la guerre, par le motif qu’elle n’a pas cru devoir proposer de réduction avant que la chambre eût statué sur la proposition de M. Jullien. Or, quel a été le sort de cette proposition ? Elle a été rejetée. Il n’y a donc pas lieu de rien changer au chiffre, puisqu’aucune incertitude n’existe plus. D’ailleurs, quel avantage retireriez-vous du renvoi à une commission ? Evidemment, cette commission ne pourrait admettre ce qui a été rejetée.
M. Brabant s’oppose également à la proposition de M. Gendebien, ainsi que M. Leclercq, qui fait remarquer que renvoyer cette question à une commission, ce serait décider que cette commission fera ce qu’aurait fait celle que la chambre n’a pas voulu nommer.
M. dElhoungne, M. Delehaye et M. Gendebien insistant pour ce renvoi, la proposition est mise aux voix et rejetée.
Le chapitre IX est ensuite adopté sans modification.
- La séance est levée à 4 heures et demie.