(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)
(page 587) (Présidence de M. Destouvelles, deuxième vice-président)
La séance est ouverte à onze heures. (P. V.)
Un des secrétaires donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, lit une lettre par laquelle M. Van Snick demande un congé de quelques jours pour cause d'indisposition. (Hilarité.) (M. B., 21 juill.)
- Le congé est accordé. (P. V.)
M. le président – La parole est à M. Rogier pour développer sa proposition, tendant à célébrer annuellement l'anniversaire des journées de septembre par des fêtes nationales. (M. B., 21 juill.)
M. Charles Rogier – Messieurs, ce sont là des propositions qui n'ont pas besoin de longs développements et qui sont plutôt de nature à être adoptées par acclamation qu'à la suite de longues discussions. Pendant la durée du congrès, peu de choses ont été faites pour le peuple, qui fut l'auteur et le fauteur principal de la révolution. A la vérité, nous lui avons donné une constitution libérale, très libérale. Là sont toutes ses libertés ; mais ces garanties écrites, le peuple ne les apprécie pas ; les résultats en tournent indirectement à son avantage, il est vrai, mais directement et visiblement elles sont peu de chose pour lui. Il lui faut quelques avantages plus matériels, des bienfaits qui le soulagent ou qui plaisent à son imagination. Au pouvoir législatif qui va nous succéder, nous laisserons la mission de soigner les intérêts matériels de ce peuple, en diminuant les impôts, en créant des établissements fondés sur une philanthropie éclairée et prévoyante, et en brisant les liens qui, dans nos anciennes législations, peuvent encore arrêter sa liberté industrielle et commerciale. Quant à nous, avant de nous dissoudre, il m'a semblé que nous devons laisser ce dernier témoignage à la révolution.
Les victoires de septembre sont l'ouvrage du peuple ; lui seul a tout fait : à lui doit en revenir la gloire ; pour lui les souvenirs ; et quand les classes opulentes, si généreusement épargnées par ce peuple au milieu des désordres de l'anarchie, quand les classes opulentes peuvent à tout instant goûter mille jouissances intellectuelles, est-ce trop que de fournir aux classes inférieures l'occasion d'une réjouissance ? réjouissance, nous l'espérons, d'où l'on saura écarter tout ce qu'ont offert d'ignoble tant de ces fêtes prétendues populaires, (page 588) qui ne rappelaient rien au peuple, si ce n'est l'anniversaire de tel ou tel prince, dont au fond du cœur il maudissait la mémoire. Ce sera au pouvoir exécutif à donner à ces fêtes le caractère qui conviendra et à leur origine et au noble peuple à qui elle sont offertes. Du reste, ces fêtes ne seront pas seulement pour les classes inférieures, il faut que toute la nation belge célèbre chaque année l'époque de sa régénération, afin qu'elle n'oublie jamais de quel prix elle a été payée. Dans ces fêtes où le peuple retrouvera le souvenir de sa gloire et de son dévouement, le pouvoir trouvera un sage avertissement. Les sentiments serviles, une leçon sévère ; les sentiments généreux, une noble satisfaction et un utile encouragement. Voilà comme j'envisage ces fêtes, et je n'en voudrais pas autrement. Je n'ai point fixé de jour pour la célébration de ces fêtes, parce que du 21 au 30 septembre il s'est passé tant de faits, soit à Bruxelles, soit ailleurs, que j'ai cru devoir laisser à ceux qui régleront l'ordre de ces fêtes le soin d'en fixer l'époque précise. (M. B., 21 juill.)
M. de Neeff – Je demanderai quelles sont ces journées de septembre qu'on se propose de célébrer annuellement ; il y en a trente, on ne peut les célébrer toutes, car j'aurai l'honneur de vous faire observer, messieurs, qu'une population d'une ville voisine de Bruxelles prit l'initiative de l'attaque contre nos oppresseurs au moment opportun où une partie de l'armée du prince Frédéric, établie à Vilvorde, voulut s'emparer de Louvain, et en prendre possession pour couper la communication entre les villes de Bruxelles et de Liége qui se trouvaient déjà en état d'insurrection ; cette attaque date des 2 et 3 septembre, et c'est cette première attaque qui obtint un succès complet et qui fit de Louvain le point culminant d'union, et le pivot de tous les mouvements insurrectionnels, qui coupa à nos ennemis toute communication entre Anvers et Namur, entre le prince et Cortheyligers, et auquel tous nos succès suivants doivent leur origine.
C'est le général Tripp qui commandait cette expédition ; il fit des efforts impuissants pour reprendre cette position de Louvain ; la ruse et la force échouèrent devant le dévouement et le courage réfléchi de cette brave population ; c'est cette époque des 2 et 3 septembre que je demande qu'on fixe annuellement pour célébrer le souvenir de notre délivrance.
Il paraît qu'on veut renfermer toute la Belgique dans Bruxelles ; eh bien, si l'on ne donne en partage à Louvain les bénéfices de la révolution, elle prendra sa grosse part dans la gloire qu'elle s'est acquise. (E., 21 juill.)
M. le baron Beyts – Certainement, messieurs, on doit des éloges aux habitants de Louvain, pour le fait d'armes que vient de rappeler l'honorable préopinant ; mais il faut se souvenir que si la démonstration des habitants de Louvain a eu lieu les 2 et 3 septembre, les premiers mouvements ont eu lieu à Bruxelles dès le 25 août ; mais ce n'est aucune de ces époques qui doivent être prises pour anniversaire ; le grand danger, la grande victoire nationale ont eu lieu à Bruxelles ; et ce n'est pas seulement les habitants de cette ville qui y ont pris part, ce sont les habitants de plusieurs villes voisines ou éloignées, et entre autres les Liégeois, à la tête desquels je me souviens d'avoir vu arriver l'honorable M. Rogier. Sans ces braves, nous aurions peut-être été découragés ; quand je dis nous, ce n'est pas que je prétende avoir pris part au combat (on rit) ; mais j'ai été témoin oculaire de ce qui s'est passé, et je me suis trouvé dans la bagarre depuis la première heure jusqu'à la dernière. C'est cette dernière victoire qu'il s'agit de célébrer ; car c'est elle qui a opéré la délivrance du pays. Il le faut avec d'autant plus de raison, que chaque ville a son fait particulier à célébrer. La ville d'Ath, par exemple, est arrivée ici avec ses canons ; et tant d'autres que je n'ai pas besoin de nommer auraient aussi leurs jours particuliers à célébrer. Dans cette position, il convient de célébrer le fait capital, celui qui a vraiment opéré notre délivrance ; et, comme témoin oculaire de ce qui s'est passé, je suis obligé de rejeter la proposition de M. Deneeff et d'appuyer l'adoption pure et simple de celle de M. Rogier. (Appuyé !) (M. B., 21 juill.)
M. Charles Rogier – Rien n'empêche que chaque ville célèbre sa fête particulière à l'époque qu'elle adoptera. (C. M., 21 juill.)
M. Van Meenen – La proposition de M. Rogier n'est pas en contradiction avec les observations de MM. Deneeff et Beyts. Rien n'empêche qu'on ne les admette lors de l'exécution. La proposition pose en principe que des fêtes auront lieu, et elle mérite d'être accueillie sans rien préjuger. (C. M., 21 juill.)
M. de Neeff – J'ai demandé qu'on accordât à Louvain la faculté de célébrer les journées des 2 et 3 septembre. (Aux voix ! aux voix ! La clôture !) (J. F., 21 juill.)
- La clôture, réclamée de toutes parts, est mise aux voix et prononcée. (M. B., 21 juill.)
(page 589) On procède au vote par appel nominal sur la proposition de M. Charles Rogier ; le décret est adopté à l'unanimité des 116 votants. (P. V.)
M. le chevalier de Theux de Meylandt fait un rapport au nom de la commission chargée de la révision des lois sur la presse ; il signale les inconvénients qu'il y aurait à introduire trop légèrement des modifications au Code pénal et aux lois des 16 mai 1829 et 1er juin 1830. La commission se borne à exprimer le vœu que la législature prochaine s'occupe de cette révision. (E., 21 juill.)
M. Raikem – J'avais soulevé la question de savoir si les lois sur la matière faites sous le gouvernement du roi Guillaume étaient encore en vigueur ; c'est la question qu'il faut trancher. (E., 21 juill.)
M. le baron Beyts dit qu'il ne pourrait donner sa voix à de pareilles conclusions ; qu'il est prêt à discuter et à voter une loi complète. (E., 21 juill.)
M. Devaux propose de mettre en discussion un projet de décret précédemment proposé par M. Barthélemy. Ce projet, quoique imparfait peut-être, dit-il, serait infiniment préférable au maintien des lois existantes. (E., 21 juill.)
M. le chevalier de Theux de Meylandt, rapporteur, dit que la commission n'a pas cru nécessaire de présenter une loi nouvelle ; elle a été d'avis unanime que les lois de 1829 et 1830 étaient en vigueur et pouvaient nous régir. (E., 21 juill.)
M. le baron de Sécus (père) – Les lois de 1829 et l830 furent faites pour punir les atteintes à l'autorité du roi.
Par ces lois, on entendait l'autorité du roi telle que lui-même l'entendait dans son message du 11 décembre aux États-Généraux (En note de bas de page, l’ouvrage d’E. HUYTTENS reprend le texte intégral de ce message du 11 décembre 1829. Cette note n’est pas reprise dans cette version numérisée) ; nous avons (page 590) bataillé contre ces lois. Nous les avons rendues seulement supportables : une loi est obligatoire tant qu’elle n’a pas été formellement révoquée ; en conséquence ces deux lois, n’ayant pas été révoquées, (page 591) sont encore obligatoires. Je pense bien que ces deux lois ne feraient plus le même mal. Il serait prudent et sage, suivant moi, de les abroger par un acte formel du congrès et de nous replacer (page 592) sous la législation du Code pénal jusqu'à ce que l'assemblée puisse faire avec maturité une loi nouvelle. Une loi sur la presse est difficile à faire ; il y a beaucoup de nuances à observer. Elle ne peut être trop méditée. (E., 21 juill.)
M. Van Meenen – Je crois indispensable, avant de nous séparer, de porter une loi sur la presse ; le Code pénal ne suffirait pas. On n'a pas pourvu dans ce Code aux besoins de la législation avec la liberté de la presse. Je conviens qu'avec de légères modifications, les lois de 1816, 1829 et 1830 pourraient être rendues applicables à notre état actuel, tout en le prémunissant contre les abus qu'on pourrait en tirer. Il faudra peu de travail et de temps pour faire ces rectifications. Nous transmettrions à la législature qui doit nous succéder un travail sinon parfait, du moins qui servira de base pour faire plus tard un travail complet. Il faut pourvoir à l'espèce de régime transitoire qui va s'établir. Nous devons mettre en délibération le projet présenté par le ministre de la justice. (E. 21 juill.)
M. Raikem – (page 593) La commission n'approuve pas les lois de 1829 et 1830. La question de savoir si elles existent encore lui a été soumise. Aucun acte législatif ne les a révoquées ; il faut absolument que le congrès déclare si elles sont ou non obligatoires.
L'orateur cite la disposition de l'article 3 de la loi du 1er juin 1830, qu'il regarde comme utile pour assurer le respect dû aux actes émanés du congrès. Il cite à cette occasion les efforts qui ont été faits par certains journaux pour provoquer à la désobéissance au décret qui prononce l'exclusion des Nassau, provocation qu'il faut pouvoir réprimer. Je trouve la question grave, dit-il. Tout le monde sent la nécessité d'une décision ; la justice ne pourrait marcher. Vous avez deux cours royales, il faut prévoir le cas où l'une déclarerait ces lois obligatoires, et l'autre non obligatoires. (E., 21 juill.)
M. Barthélemy, ministre de la justice – Ayant passé plusieurs années dans une commission de législation, je me croyais à même de présenter un projet sur la législation de la presse. Les deux lois obtenues sous Guillaume furent un triomphe pour l'opposition : on disait partout que ces lois étaient les meilleures qu'on eût fait passer jusqu'alors. Il n'y avait qu'un reproche à leur faire, c'est pour le cas de la calomnie, d'astreindre à prouver les faits par jugements ou autres titres authentiques. C'est en conséquence de cela que j’ai proposé au congrès un petit projet en onze articles, dont le premier attribue au jury tous les délits de la presse. J'ai puisé dans les lois françaises ce qu'il y a de mieux.
- A la demande de plusieurs membres, M. le ministre donne lecture de son projet. (E., 21 juill.)
M. Fransman – Je reconnais que la gravité de la matière exige de la réflexion ; mais une décision transitoire est nécessaire. Il faut craindre que le nouveau gouvernement ne vexe les citoyens qui auront le courage d'attaquer les abus ; il ne faut pas les exposer à retomber sous l'arbitraire d’où nous sortons. Songez bien qu'ils ne seront même pas protégés par l'inamovibilité judiciaire, puisqu'elle n'est pas encore réglée par une loi. J’appuie le projet de M. Barthélemy, sauf les modifications que le congrès trouvera bon d'adopter. (E., 21 juill.)
M. le baron Beyts attaque la législation sur la presse antérieure à la révolution, qui était calquée sur la législation française de cette époque. Il convient que l'article 3 de la loi de 1830 cité par M. Raikem est utile ; mais les dispositions qui suivent et qui précèdent, faudra-t-il les admettre également ? Il partage l'avis de M. de Sécus, qui croit que ces lois n'existent plus. L'arrêté du 16 octobre du gouvernement provisoire les a abolies. Je suis franc, dit-il, je veux l'abolition de ces lois ; je demande que nous en fassions une autre, séance tenante. Je trouve le projet Barthélemy extrêmement bon, sauf un seul article qu'on peut modifier. (E., 21 juill.)
M. Barthélemy, ministre de la justice – La question à examiner est celle de savoir si les lois sont abolies. Elles sont relatives à la calomnie. Or le gouvernement provisoire a-t-il voulu permettre de calomnier ? Il importe que le congrès se prononce, ne serait-ce que sur ce seul point. Je ne pense pas qu'elles soient abolies. (E., 21 juill.)
M. Dumont – Le congrès ne peut pas se contenter de l'opinion émise par la commission sur la proposition de M. Raikem. Je demande donc que le projet de M. Barthélemy soit mis sur-le-champ en discussion. (E., 21 juill.)
M. Van Meenen soutient que les lois en question n'ont pas été abrogées par le gouvernement provisoire, qui n'a aboli que les lois qui gênent la manifestation des opinions, et non celles qui punissent les injures et la calomnie. D'un autre côté, ces lois ne sont pas contraires à la constitution qui nous régit.
L'honorable membre se dispose à indiquer les changements qu'il croirait utiles d'apporter dans les lois de 1829 et 1830. Il voudrait notamment qu'on supprimât ces mots : Dignité royale, qu'il appelle du sentimentalisme, du romantisme politique. (J. B. et E., 21 juill.)
- Plusieurs membres font observer à M. Van Meenen qu'il discute sur des projets qui ne sont pas mis en discussion. (E., 21 juill.)
M. Van Meenen achève au milieu du bruit. (E., 21 juill.)
M. le président fait remarquer que jusqu'à présent on n'a déposé sur le bureau aucune autre pièce que les conclusions de la section centrale, (page 594) qui expriment un vœu ; qu'il ne peut mettre un vœu aux voix. (E., 21 juill.)
M. Devaux – Il me semble que nous délibérons sur les conclusions de la commission, qui, d'après le considérant, ont demandé l'ordre du jour. C'est cet ordre du jour que je combats. (E., 21 juill.)
M. Charles Rogier propose que le projet de M. le ministre de la justice soit renvoyé à une commission qui s'occupera, séance tenante, de présenter un projet de loi complet, en combinant le projet ministériel avec les lois de 1829 et 1830. (A.)
M. Simons demande que l'on décide préalablement si les lois antérieures sont encore en vigueur. (J. F., 21 juill.)
M. Le Bègue combat cette motion et demande que l'on nomme la commission proposée par M. Rogier, et que dans l'intervalle on s'occupe de l'établissement du jury. (J. F., 21 juill.)
- Le congrès décide qu'une commission s'occupera, séance tenante, de faire une loi sur la presse. (M. B., 21 juill.)
La commission est nommée par le bureau, du consentement de l'assemblée ; elle se compose de MM. Van Meenen, Devaux, Charles Rogier, Dumont et Du Bus. (P. V.)
La commission se retire. (M. B., 21 juill.)
L'ordre du jour est la discussion du projet de décret sur le jury, présenté par M. Raikem et plusieurs autres membres. (P. V.)
M. Raikem – Messieurs, l'abolition du jury a été l'un de nos griefs. On aurait préféré conserver le jury impérial à ne pas en avoir du tout. Hâtons-nous donc de le rétablir. Et si nous ne pouvons en ce moment perfectionner l'institution, nous l'aurons mise en activité, et une fois mise en vigueur, n'en doutons pas, la législature qui nous suivra fera le reste.
Ne soyons pas trop exigeants tout d'un coup. C'est souvent le moyen de faire tout manquer, et alors le cas de dire que le mieux est l'ennemi du bien.
Une organisation judiciaire et une procédure criminelle existent. Elles exigent un changement. Il y en aura nécessairement lors de la loi de l'organisation judiciaire, qui, d'après la constitution, doit être décrétée dans le cours de la première réunion législative. Mais, jusque-là, force nous est bien d'adapter le jury à l'organisation actuellement existante. Nous ne pouvons donc que remettre en vigueur les dispositions du Code d'instruction criminelle de 1808 relatives au jury, en y apportant quelques modifications. Tel est l'objet du projet. L'article 2 de ce projet a été rédige d'après les observations de la commission que vous avez nommée pour s'occuper de l'institution du jury.
Les commissions permanentes des conseils provinciaux formeront les listes des jurés. Jusqu'à leur installation, il faudra en charger les députations existantes, que vous avez maintenues par votre décret du 30 juin dernier. Mais la chose n'est pas absolument laissée à l'arbitraire. Les listes doivent être quintuples ; et les trente-six jurés sont ensuite désignés par la voie du sort,
Ici, je l'avoue, il y a une lacune dans la deuxième partie de l'article 4 du projet. Il serait nécessaire de régler le mode de désigner les jurés par la voie du sort ; cela devrait se faire en public ; et le jour auquel cela aurait lieu devrait être annoncé par la voie des journaux.
D'après le Code d'instruction criminelle, les simples délits sont de la compétence des tribunaux correctionnels ; et ils n'étaient pas soumis au jury de jugement. Mais, d'après l'article 98 de la constitution, le jury est également établi pour les délits politiques et de la presse. L'article 7 du projet ne soumet l'instruction qu'à la chambre du conseil. Je pense qu'il faut en outre la soumettre à la chambre des mises en accusation, et qu'il faut prévoir le cas où l'accusé serait contumace.
Ces observations pourront donner lieu à quelques amendements à faire au projet. (M. B., 21 juill.)
- La discussion générale est fermée. (P. V.)
Le considérant et l'article premier sont adoptés sans changement ; ils sont ainsi conçus :
« Vu l'article 98 de la constitution ;
« Considérant que la nation doit jouir du bienfait de l'institution du jury, et qu'en attendant la révision des codes, il y a lieu de le rétablir sans s'écarter de l'instruction criminelle actuellement suivie,
« Décrète :
« Art. 1er. L'arrêté du gouvernement de la Belgique du 6 novembre 1814, et celui du gouvernement provisoire du 7 octobre 1830 sont (page 595) abrogés, et les dispositions du Code d'instruction criminelle de 1808, relatives au jury, sont remises en vigueur sous les modifications contenues dans les articles suivants : » (P. V.)
« Art. 2. L'article 381 du Code d'instruction criminelle est remplacé par les dispositions suivantes :
« Les jurés seront pris,
« 1° Parmi les citoyens qui, dans chaque province, payent le cens fixé par la loi électorale pour le chef-lieu de la province ;
« 2° Parmi les fonctionnaires qui exercent des fonctions gratuites ;
« 3° Parmi les docteurs et licenciés en droit, en médecine, en chirurgie, en sciences et en lettres ;
« 4° Parmi les notaires et les avoués ;
« 5° Parmi les officiers de terre et de mer jouissant d'une pension de retraite. » (A. C.)
M. Cruts propose l'amendement suivant :
« Les articles 382 et 386 du Code d'instruction criminelle sont remplacés, etc. » (P. V.)
- Cet amendement est adopté ainsi que l'article amendé. (P. V.)
« Art. 3. L'incompatibilité établie par l'article 384 du Code d'instruction criminelle, pour les fonctions de préfet et sous-préfet, est remplacée par celle de membre de la commission permanente du conseil provincial, de gouverneur et de commissaire de district.» (A. C.)
M. l’abbé Boucqueau de Villeraie demande s'il y a dans la loi un article exceptionnel en faveur des ecclésiastiques. (C. M., 21 juill.)
M. Raikem répond en lisant l'article 384 du Code d'instruction criminelle, qui déclare incompatibles les fonctions d'ecclésiastique et de juré.
- Une discussion s'engage sur les incompatibilités. (C. M., 21 juill.)
M. Raikem propose d'ajouter à l'article 2 du projet ces mots : sans préjudice des autres incompatibilités établies par ledit article 384. (C. M., 21 juill.)
- L'article est adopté avec cette addition. (P. V.)
« Art. 4. L'article 387 du Code d'instruction criminelle est remplacé par la disposition suivante :
« Les commissions permanentes des conseils provinciaux formeront, sous leur responsabilité, une liste de jurés, toutes les fois qu'elles en seront requises par les présidents des cours d'assises. Cette réquisition sera faite quinze jours au moins avant l'ouverture des assises.
« La liste comprendra un nombre quintuple des trente-six jurés, lesquels seront désignés par la voie du sort. » (A. C.)
M. Brabant propose de substituer au dernier paragraphe de l'article 4 la disposition suivante :
« Cette liste sera composée de deux cents citoyens parmi lesquels le président du tribunal du lieu où siégerait la cour d'assises tirera au sort trente-six noms, qui formeront la liste des jurés pour toute la durée de la session.
« Le tirage sera fait en audience publique de la section où siége habituellement le président. » (A.)
M. Helias d’Huddeghem propose de remplacer les paragraphes 2 et 3 de l'article par ces dispositions :
« Les commissions permanentes des conseils provinciaux dresseront chaque année, du 15 avril au 1er mai, la liste des personnes domiciliées dans la province qui réunissent les qualités fixées par les articles 381 du Code d'instruction criminelle et 2 du présent décret.
« Les réclamations seront jugées dans la forme prescrite par le décret du 3 mars 1831
« La liste sera transmise, dans la première quinzaine de juin, au président de la municipalité du chef-lieu de la province, qui, quinze jours avant l'ouverture de chaque session, tirera au sort trente-six noms destinés à former la liste des jurés pour toute la durée de la session ; ce tirage sera fait en séance du conseil de régence. » (A.)
- Une discussion s'engage sur la formation des listes du jury. (C. M., 21 juill.)
Les paragraphes 1 et2 de l'article sont adoptés sans changement. (P. V.)
M. Cruts propose de concilier les amendements de MM. Helias d'Huddeghem et Brabant en substituant au paragraphe 3 les dispositions suivantes :
« La liste comprendra les noms de tous ceux qui, aux termes de l'article 2, ont droit d'être jurés.
« Le président du tribunal, du lieu ou siégera la cour d'assises tirera au sort trente-six noms qui formeront la liste des jurés pour toute la durée de la session.
« Le tirage sera fait en audience publique de la chambre où siége habituellement le président. » (A.)
- Ces dispositions sont adoptées. (P. V.)
« Art. 5. Le gouverneur enverra la liste, réduite à trente-six jurés, aux fonctionnaires désignés dans l'article 388 du Code d'instruction criminelle. » (A. C.)
- Cet article, ayant subi un changement de rédaction, est adopté en ces termes :
« Le président enverra la liste des trente-six jurés, etc. » (P. V.)
« Art. 6. Les obligations imposées aux préfets par les articles 389 et 391 du Code d'instruction criminelle seront remplies par les gouverneurs ; celles imposées au préfet par l'article 395 du même Code, le seront par la députation permanente du conseil provincial. » (A. C.)
M. Brabant propose de substituer les mots commissaires du gouvernement à celui de gouverneurs. (C. M., 21 juill.)
- L'article 6 est adopté avec cet amendement. (P. V.)
« Art. 7. Lorsqu'il s'agira de délits politiques ou de la presse, le juge d'instruction instruira conformément aux dispositions du Code d'instruction criminelle, et soumettra l'affaire à la chambre du conseil.
« Si cette chambre estime que la prévention contre l'inculpé est suffisamment établie, le renvoi aura lieu devant la cour d'assises, à l'effet d'être soumise au jury de jugement.
« Le prévenu de délits politiques ou de la presse devra comparaître en personne, devant la cour d'assises, et il aura une place distincte de celle des accusés pour crimes. » (A. C.)
M. Raikem – Il y a une lacune dans cet article ; non seulement les délits politiques et de la presse doivent être soumis à la chambre du conseil, mais ils devraient l'être encore à la chambre des mises en accusation, lorsqu'il y a lieu de poursuivre. Je ne vois pas non plus qu'on ait prévu le cas où un accusé de délits politiques ou de la presse serait contumace. Il me semble nécessaire de remédier à ces lacunes. (C. M., 21 juill.)
M. le baron Beyts propose d'ajouter au paragraphe premier de l'article 7 ces mots :
« Et successivement s'il y a lieu, à la chambre des mises en accusation, en suivant sur le tout les règles du Code d'instruction criminelle. » (A.)
M. Jaminé propose de rédiger l'article 7 de la manière suivante :
« Lorsqu'il s'agira de délits politiques ou de la presse, le juge d'instruction instruira conformément aux dispositions du Code d'instruction criminelle.
« Si l'accusé est renvoyé devant la cour d'assises, il devra y comparaître en personne, et il aura une place distincte de celle des accusés pour crimes.
« Si l'accusé ne comparaît pas, il sera jugé par contumace. » (A.)
- Cet amendement est adopté. (C. M., 21 juill.)
M. Le Bègue propose un amendement tendant à ajouter à l'article 7 une définition des délits politiques. (C. M.. 21 juill.)
M. Jaminé signale une erreur qui lui est échappée dans la rédaction de son amendement, il demande qu'on ajoute au premier paragraphe de l'article 7, ces mots : en matière criminelle. (C. M., 21 juill.)
M. Forgeur propose de rédiger le paragraphe premier de la manière suivante :
« Lorsqu'il s'agira de délits politiques ou de la presse, il sera procédé à l'instruction et au jugement comme en matière criminelle. » (C. M., 21 juill., et P. V.)
M. Nothomb propose d'ajouter à cet amendement :
« Néanmoins, par dérogation à l'article 133 du Code d'instruction criminelle, la chambre du conseil renverra le prévenu des poursuites dirigées contre lui, si la majorité des juges se prononce en sa faveur. » (C. M., 21 juill.)
Le premier paragraphe de l'amendement de M. Jaminé, amendé par M. Forgeur, est adopté ainsi que l'addition de M. Nothomb. (P. V.)
M. Le Bègue présente un amendement au 3e paragraphe pour le cas de contumace. Il le retire ensuite. (C. M., 21 juill.)
- Les §§ 2 et 3 de l'amendement de M. Jaminé sont successivement adoptés. (P. V.)
L'ensemble de l'article 7 est adopté. (C. M., 21 juill.)
M. le baron Beyts demande que l'emprisonnement préalable n'ait pas lieu et qu'un article additionnel consacre cette disposition. (C. M., 21 juill.)
M. Brabant appuie cette demande et rédige un amendement dans ce sens. (C. M., 21 juill.)
M. Masbourg propose une disposition ainsi conçue :
« Sont abrogés les paragraphes 1 et 2 de l'article 336 du Code d'instruction criminelle. » (P. V., et A.)
M. Le Bègue, M. Forgeur et M. Isidore Fallon appuient cette proposition ; M. Raikem la combat. (C. M., 21 juill.)
- La proposition est mise aux voix et adoptée ; elle forme l'article 7 du décret ; l'article 7 deviendra l'article 8. (P. V.)
M. Brabant propose d'ajouter à l'article 7 du projet :
« Il ne pourra jamais être emprisonné qu'en vertu d'arrêt passé en force de chose jugée. » (C. M., 21 juill.)
M. Forgeur propose un changement de rédaction ainsi conçu :
« L'emprisonnement préalable ne pourra jamais avoir lieu pour simples délits politiques ou de presse. » (C. M., 21 juill., et A.)
- L'article 7 du projet est définitivement adopté avec cette addition. (P. V.)
« Art. 8. Le présent décret sera obligatoire le...
« Néanmoins, les commissions permanentes des conseils provinciaux dresseront la liste des personnes comprises dans l'article 2, dans un bref délai après la réception du numéro du Bulletin officiel dans lequel sera inséré le présent décret. » (A. C.)
- Cet article est adopté avec l'addition au premier paragraphe des mots 1er octobre prochain, et la substitution dans le deuxième paragraphe du mot immédiatement, à ceux de : dans un bref délai. (P. V.)
- Au moment de passer à l'appel nominal, M. le baron d'Huart demande la parole. (E., 21 juill.)
M. le baron d’Huart – Messieurs, je suis autant que qui que ce soit partisan de l'institution tutélaire du jury, et ce sera à regret que je me verrai forcé de refuser mon vote au projet de décret qui vient d'être discuté ; mais l'amendement à l'article 4, présenté par l'honorable M. Cruts, adopté par l'assemblée, bouleverse, à mon avis, tout le système, et peut rendre le jury dangereux, car, en abandonnant entièrement au sort le choix des jurés, il peut arriver que, bien que payant le cens électoral, les trente-six individus désignés ne présentent pas la garantie désirable sous le double rapport de la moralité et du discernement ; il peut arriver aussi que dans la province de Luxembourg, par exemple, où une moitié de la population parle le français, tandis que l'autre ne comprend que l'allemand, le sort désigne des jurés allemands pour une procédure française, et réciproquement. On conviendra avec moi que dans ce cas, il pourrait résulter les plus graves dangers au détriment de la justice, et je recule devant leurs conséquences. (E., 21 juill.)
M. Raikem – Quoique partisan très prononcé du jury depuis longtemps, je déclare que je ne puis donner à la loi mon vote approbatif... (C. M., 21 juill.)
M. Forgeur et M. Jottrand interrompent l'orateur : le premier demande le rappel au règlement ; il établit que, lorsqu'on veut parler contre un article, il faut le faire au moment où l'article est en discussion ; que si on demandait à motiver son vote au moment de l'appel nominal, chaque membre pouvant user de ce droit, la discussion serait interminable. (M. B., 21 juill.)
M. Raikem explique que le projet ne répond pas à son attente, et qu'il ne peut l'approuver. (Aux voix ! aux voix !) (C. M., 21 juill.)
- La clôture de la discussion est prononcée. (M. B., 21 juill.)
On procède au vote par appel nominal sur l'ensemble du décret.
126 membres répondent à l'appel.
79 votent pour le décret.
40 votent contre.
7 s'abstiennent.
En conséquence le décret est adopté. (P. V.)
Se sont abstenus : MM. Goethals-Bisschoff, Davignon, Destriveaux, Liedts, Morel-Danheel, Biver, Masbourg. (E., 21 juill.)
M. Lecocq fait un rapport au nom de la commission chargée d'examiner le budget du département de la guerre. La commission a trouvé l'organisation de ce ministère on ne peut plus défectueuse. Elle émet le vœu de le voir réorganisé sur un pied tout différent, et elle se borne à demander l'insertion de ce vœu au procès-verbal. (M. B., 21 juill.)
- La discussion des conclusions du rapporteur est remise à demain. (P. V.)
M. Charles de Brouckere fait le rapport de la commission chargée de s'aboucher avec les ministres pour la fixation des crédits nécessaires au service du troisième trimestre de l'année 1831. (M. B., 21 juill.)
- L'assemblée en ordonne l'impression et la distribution. (P. V.)
La séance est levée à quatre heures et demie pour être reprise à huit heures du soir. (P. V.)
(L’assemblée ne s’est pas réunie le soir, les membres du bureau, qui avaient dû se rendre à Laeken, n’ayant pas été de retour à Bruxelles, à l'heure fixée pour la séance. (Voyez les explications données par le président au commencement de la séance suivante.)