(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)
(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)
(page 517) M. de Rossiusµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Vrintsµ présente l'analyse suivante des pièces adressées la Chambre.
« Le sieur Ledoux demande la révision de l'article 52 de la Constitution. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Claude demande qu'il soit tenu compte aux contribuables des sacrifices qui leur ont été imposés par les emprunts forcés en 1848. »
- Même renvoi.
« Les administrations communales de Beersse, Thielen, Gierle et Lichtaert demandent la constriction d'une route de l'Etat partant vers Merxplas. »
« Les administrations communales d’Oolen et de Norderwyck adhèrent à cette demande dans l'hypothèse que la chaussée se prolongera jusqu’à la route d'Herenthals à Nordewyck. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Florenville prient la Chambre d'autoriser le ministre des travaux publics à accorder au sieur Brassine la concession d'un chemin de fer d'Athus à la frontière française dans la direction de Givet, à condition que cette ligne passe par Epioux, Lacuisine el Florenville. »
M. Bouvierµ. - Comme cette pétition intéresse vivement mon arrondissement et surtout le canton de Florenville, je demande que la Chambre envoie cette pétition à la commission, avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Des habitants de Molenbeek-Saint-Jean prient la Chambre d'examiner s'il n'y a pas lieu de faire établir, dans chaque commune, une salle d'observation pour prévenir les inhumations précitées. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Crocq, Feigneaux, Gorrissen et Van Bastelaer proposent, au nom de la fédération médicale belge et de l'association générale pharmaceutique de Belgique, un contre-projet de loi sur la police et la discipline médicales. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur la police et la discipline médicales.
« Les secrétaires communaux de Sinay, Dacknam et Exaerde demandent que l'avenir des secrétaires communaux soit assuré et que leur traitement soit mis en rapport avec l'importance de leur travail et des services qu'ils rendent aux administrations communales, provinciales et générale. »
« Même demande des secrétaires communaux des cantons de Binche et de Roeulx. »
Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions identiques.
« Le sieur Oger Domal demande l'abattage des arbres qui bordent la route de Namur à Arlon sur le territoire des communes de Naninne et de Wierde. »
« Même demande d’habitants de Jambes quant aux arbres qui bordent la route sur le territoire de cette commune. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions analogues.
« Le sieur Croonenberghs propose de faire aux sociétés d'agrément une position analogue celle des sociétés coopératives. »
- Renvoi à la commission du code de commerce.
« Le sieur Coppin prie la Chambre de statuer sur sa réclamation concernant un abus de pouvoir commis à son égard par l'autorité judiciaire. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur la réclamation du pétitionnaire.
« Par messages en date du 19 février, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi sur la milice et à celui relatif à la réduction des peines subies sous le régime de la séparation. »
- Pris pour notification.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur J.-J. Verhoeven. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« M. Damseaux fait hommage de tris exemplaires de son mémoire couronné, en réponse à la question : Déterminer, par un bon exposé et une discussion sommaire, l'état actuel de nos connaissances sur les rapports de l'azote à l'état simple ou de combinaison arec la végétation. »
- Dépôt à bibliothèque.
« M. Dewandre, obligé de s'absenter, demande un rongé pour la séance de ce jour. »
« MM. De Fré et Thonissen, retenus pour motif de santé ; M. Vermeire, empêché par un deuil de famille, demandent un congé de quelques jours. »
- Ces congés sont accordés.
« M. le ministre de l’intérieur adresse quelques exemplaires des deux ouvrages de MM. Labye et Sauveur relatifs à la législation sur les cours d'eau non navigables ni flottables.
- Distribution aux membres de la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur les cours d’eau et dépôt à la bibliothèque.
« Art. 79. Sont prescrites par cinq ans :
« Toutes actions contre les associés, à partir de la publication, conformément à l’article 11, de la retraite de l'associé, de l'acte de dissolution ou de la clause mettant fin à la société ;
« Toutes actions contre les administrateurs de sociétés anonymes, tant de la part des tiers que de la part de la société, à partir des faits qui y donnent lieu ;
« Toutes actions contre les liquidateurs de société, à partir de la publication, conformément à l'article de la clôture de la liquidation. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, une discussion eu lieu au titre de la société en commandite, sur la question de savoir par combien de temps se prescrirait l'action intentée aux commanditaires, en restitution de dividendes indûment perçus.
L'article 79 n'ayant pas indiqué de terme, cette prescription pourrait avoir une très longue durée.
D'un autre coté, nous avons admis le recours de la part des commanditaires qui seraient obligés à restitution contre les administrateurs et commissaires. Il faut aussi une prescription à l’action des commanditaires.
Je propose de régler la prescription de ces actions à l'aide d'une disposition additionnelle à l'article 79.
(page 518) Cette disposition serait ainsi conçue :
« Toutes actions intentées en vertu du deuxième paragraphe de l’article 21 contre les commanditaires, gérants ou commissaires à partir du payement des intérêts et dividendes ou de leur restitution. »
M. Eliasµ. - Je demanderai à M. le ministre de la justice si l'article 79 s'applique aux prescriptions qui seront commencées au moment de la publication de la loi et si le terme qu'elles auront à parcourir sera réduit à cinq ans pour ce cas-là.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je pense qu'il en doit être ainsi.
M. Lelièvreµ. - D'après les règles applicables aux prescriptions en général, la prescription commencée continue à courir conformément à la loi ancienne (article 2281 du code civil). Il me semble que l'on pourrait sanctionner le même principe dans le code que nous discutons. Il est juste, du reste, qu'on prenne égard au temps utile pour la prescription qui s'est écoulée avant la loi nouvelle.
M. Eliasµ. - La loi française contient une disposition que prévoit ce cas. Je la crois bonne et je propose d'ajouter un paragraphe à la loi pour lever tout doute. Il suffirait de dire au dernier paragraphe : Les prescriptions commencées au moment de la publication de la loi et qui auraient parcouru un terme plus long que celui de cet article, seront réduites à cinq ans.
M. Lelièvreµ. - Je pense que l'amendement de M. Elias devrait figurer parmi les dispositions transitoires. On ne peut s'en occuper convenable ment à l'occasion de notre article. Il s'agit en effet d'une véritable question transitoire, à raison du passage de la législation ancienne à la nouvelle.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, ainsi que vient de le faire observer l'honorable M. Lelièvre, l'amendement proposé par l’honorable M. Elias a le caractère d'une disposition transitoire. Il faudrait donc ajourner la discussion de cet amendement jusqu'à celle des articles 87 ct 88.
M. Eliasµ. - Je ne m'y oppose pas.
M. le président. - La discussion de l'amendement de M. Elias est donc ajournée jusqu'à celle des articles 87 et 88.
- L'article 19, tel qu'il a été complété par M. le ministre la justice, est mis aux voix et adopté.
« Art. 80. L'action des actionnaires d'une société anonyme agissant individuellement contre les administrateurs ou les liquidateurs, dans le cas où l'assemblée générale a approuvé leur gestion, ne pourra être intentée que dans les trois mois à partir du jour où l'action de la société est devenue non recevable. »
M. de Rossiusµ. - A l'occasion de l'article 80, je prie M. le ministre de la justice de me donner une explication relative à l'action intentée individuellement par un actionnaire contre les administrateurs. Les textes de la loi nouvelle ne s'expliquent pas suffisamment sur cette action et je voudrais savoir si, dans le cas où l'assemblée générale a refusé son approbation au bilan et a décidé d'agir contre les mandataires de la société, un actionnaire peut l'intenter parallèlement à l'action sociale. (Interruption.)
Il me paraît assez difficile de joindre deux actions dont l'une a pour objet des dommages-intérêts au profit de l'être moral, et l'autre une indemnité, au profit d'un associé individuellement.
Je demanderai ensuite quel sera, toujours dans l'hypothèse de la non approbation du bilan, le délai de la prescription de l'action individuelle ? Sera-t-il de cinq ans ? Il me paraît difficile d'admettre que pendant cinq années l'actionnaire puisse individuellement agir quand la société tout entière représentée par l'assemblée générale a réservé tous ses droits. Ne serait-il pas plus rationnel de n'autoriser la réclamation de l'associé que si l'être juridique reste dans l'inaction ?
Je signalerai une autre lacune du projet. Nous avons voté l'article qui, dans son paragraphe 2, accorde aux tiers, aux créanciers et à la société une action en réparation du dommage causé par les administrateurs qui ont violé la loi ou les statuts. Aux termes de cette disposition, l'action est solidaire.
L'article 46 se tait sur l'action individuelle de l'actionnaire.
Vous pourrez me répondre que cette action est de droit commun, que l'actionnaire peut individuellement réclamer des administrateurs sa part du préjudice qui lui a été causé. Mais n'oublions pas que l'action de l'article 46 est une action solidaire et qu'aux termes du code civil la solidarité ne peut jamais se présumer. Il faut que la loi déclare expressément qu'elle existe.
Par conséquent, si de droit commun, quand la loi ou les statuts sont violés, un actionnaire isolé peut intenter une action, il devra nécessairement la diviser, s’il la dirige contre un seul administrateur. Il ne jouira pas de la solidarité.
Je pense que ces dispositions sur l'action individuelle devraient être revues, examinées de nouveau par la commission. Je ne crois pas possible que la Chambre, sur une discussion qui s'est établie et s'établit aujourd'hui sur les articles 46, 56, 79 et 80, puisse arrêter le système le plus équitable, décider en connaissance de cause que l'actionnaire aura une action individuelle, quand cette action lui sera accordée, et dans quel délai il devra l'intenter dans les différentes hypothèses qui peuvent se présenter.
Je demande donc positivement le renvoi de ces dispositions à la commission.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable membre a parlé de divers cas où les actionnaires auraient une action contre les administrateurs. Mais, messieurs, de ces divers cas il y en a plusieurs qui sont réglés par la droit commun et pour lesquels la loi actuelle n'a rien changé.
Dans l'article 80, il ne s'agit que d'une espèce d'action, l'action réservée aux actionnaires en vertu de l'article 56, pas autre chose. C'est dans ce cas-ci : lorsque, à l'assemblée générale, des actionnaires s'opposent à l’approbation du bilan, dans ce cas, ils ont une action individuelle contre les administrateurs, et c'est pour ce cas seulement que l'article 80 dispose et non pour le cas d'infraction à la loi ou aux statuts, qui est régi par le droit commun, comme sous la législation actuelle.
Or, dans le cas de l'article 80, c'est bien simple. Vous avez, vous administrateurs, dressé un bilan. La majorité de l'assemblée l’a approuvé, mais quelques actionnaires s'y sont refusés. Eh bien, ils ont le droit d'intenter une action du chef de ce bilan et ils ont trois mois pour intenter cette action.
Mais l'honorable membre a posé un autre cas : le cas où une société serait chargée d'intenter une action aux administrateurs et il a demandé si les actionnaires pourraient concurremment intenter aussi une action.
Ce n'est pas le cas de l'article 80.
M. de Rossiusµ. - Quelle la prescription ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il est impossible de répondre ainsi à des questions de droit. Nous n’avons pas de disposition sur ce sujet.
Nous restons sous l'empire des principes, nous ne dérogeons pas au Code actuel. Si vous trouvez qu'il faut une disposition nouvelle, proposez-la ; mais quant à l'article 80, nous devons être parfaitement d'accord ; il ne concerne pas le cas que vous avez supposé.
Voici ce dont il s'agit ; l'assemblée approuve le bilan, quelques actionnaires s'y opposent ; ils ont trois mois pour intenter leur action. De quoi peut-on se plaindre ? Je dirai même que trois mois sont un délai très court.
M. de Rossiusµ. - D'autant plus qu'ils n'ont pas les pièces sous les yeux.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne pense pas, messieurs, qu'il puisse y avoir lieu à renvoi.
M. Teschµ. - L’honorable M. de Rossius a posé une question qui me semble devoir être résolue et sur laquelle l'honorable ministre de la justice ne s'est pas expliqué.
L'honorable M. de Rossius suppose le cas où une action est intentée par la société elle-même, par le corps moral, contre les administrateurs et il demande si, dans le cas où le corps moral aurait, lui, intenté une action, les actionnaires, en nom individuel, pourraient encore assigner devant les tribunaux les administrateurs en dommages intérêts pour des faits du chef desquels la société elle-même aurait intenté une action.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce n'est pas le cas de l'article 80.
M. Teschµ. - L'article 80 ne détermine pas le cas où un actionnaire aura ou n'aura pas d'action ; il dit seulement que le délai sera de trois mois.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce n'est que dans le seul cas où l'assemblée générale a approuvé le bilan. C'est le cas prévu par l'article 56, paragraphe 3 :
« L'adoption du bilan vaut décharge pour les administrateurs et les commissaires de la part de la société et des actionnaires qui ne s'y sont pas opposés... »
(page 519) C'est-à-dire que pour les actionnaires qui s'y sont opposés...
M. Teschµ. - Il n'y aurait donc pas d'action individuelle là où le corps moral a intenté une action ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Evidemment, l'honorable M. Tesch et l'honorable M. de Rossius ont posé une question sérieuse, mais elle ne concerne pas l'article 80.
Dans l'article 80, il s'agit du cas où la société approuve le bilan et où quelques actionnaires n'approuvent pas ; on dit à ceux-ci : Vous avez trois mois pour intenter votre action.
Maintenant les honorables membres demandent : Qu'arrivera-t-il dans l'espèce suivante : On n'approuve pas le bilan et on intente un procès aux administrateurs ; quel sera le droit des actionnaires ? C’est une consultation, comment faut-il la résoudre ? Je ne veux pas me prononcer, parce qu'en cette matière on ne peut trancher une question sans mûr examen. Il faut prendra garde, toutefois, de refuser aux actionnaires le droit de venir se joindre à la société pour défendra leurs intérêts.
Ainsi, je suppose un conseil d'administration qui intente une action et suit telle ou telle marche qu'approuve la majorité de l'assemblée.
Il y a des actionnaires qui ne sont pas de cet avis ; ils veulent faire porter les dommages-intérêts sur tel ou tel point.
Pourquoi les empêcher d'avoir leur action individuelle ? En matière de faillite, on n'empêche pas les créanciers de venir défendre leurs droits à côté du curateur. Le failli lui-même a le droit de venir plaider.
Je le répète, cette question est très grave, mais je pense qu'elle est résolue sous le code actuel. (Interruption.)
Il y a actuellement une quantité d'actions pendantes contre des administrateurs dans des cas où l’assemblée générale n'avait rien fait.
Si un administrateur a fait un acte de dol ou de fraude, les actionnaires ont le droit demander des dommages-intérêts ; si une partie du capital est perdue, ils ont le droit de demander la dissolution.
Dans tous les cas cette question demande à être examinée.
M. de Rossiusµ. - C’est précisément parce que je n'ai pas trouvé dans le rapport de l'honorable M. Pirmez, rapport cependant très complet et fait de main de maître, les éléments de la solution que je cherche, que je pense qu'il serait opportun que la commission examinât de nouveau la question des actions intentées aux administrateurs.
Je vous ai signalé une lacune dans l'article 46. Je sais très bien que nous l'avons voté, mais faut-il attendre le second vote pour vous faire remarquer que l'on donne une position plus favorable à la société, à l'être moral qu'à l'actionnaire : le premier jouissant de la solidarité refusée au second.
Je vous signale encore que dans votre loi on ne prévoit pas le cas du concours de l'action sociale qui appartient à l'être juridique avec l'action individuelle.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les affaires seront jointes.
M. de Rossiusµ. - Je doute qu'il soit possible à un tribunal de prononcer la jonction.
L'objet des actions n'est pas le même.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Alors les actions seront différentes.
M. de Rossiusµ. - Comment voulez-vous joindre des actions quand fatalement le succès de l'une doit amener une décision fatale à l’autre ?
Si l'être moral obtient gain de cause, il est impossible à l'associé de réussir.
Le paragraphe 3 de l'article 56 porte :
« L'adoption du bilan vaut décharge pour les administrateurs et les commissaires de la part de la société et des actionnaires qui ne s'y sont pas opposés, mais seulement en tant qu'il n'y ait pas réserve, au contraire, et que le bilan ne contienne ni omission ni indication fausse, dissimulant la situation réelle de la société. »
Voilà le texte de l'article 56. Tranche-t-il la question ? Autorise-t-il le concours, ou ne l'autorise-t-il pas ? L'action sociale n'ayant pas réussi, les administrateurs n'ayant pas été condamnés, permet-il aux actionnaires d'agir à leur tour contre les administrateurs ? Sera-t-il permis aux 500 actionnaires d'une société anonyme, endéans le délai voulu, d’intenter successivement des actions individuelles contre les administrateurs ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - La jurisprudence a dû trancher la question.
M. de Rossiusµ. - Je ne le pense pas, je crois que vous allez trop loin en l’affirmant. Dans tous les cas, je trouve que ces questions sont assez importantes pour mériter l'examen sérieux de la Chambre et des solutions formulées dans les textes de la loi.
Serait-il si difficile de dire dans le projet que le concours sera possible ou ne le sera point ; que l’action de la société n'ayant pas réussi, chacun des actionnaires aura ou n'aura pas la faculté de la reprendre pour son compte. Semblables déclarations seraient utiles, et c'est parce que je n'ai pas trouvé dans le rapport des éléments suffisants pour apprécier la pensée réelle de son rédacteur et former ma conviction que je demande que la commission spéciale fasse un examen attentif des points dont j'ai parlé.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne vois pas, pour ma part, les difficultés que l'honorable membre indique. Jamais l'attention des auteurs, ni en France. ni en Belgique, n'a été appelée sur cette prétendue contrariété des actions de la société et des actionnaires. Tous les jours des actionnaires intentent des procès aux administrateurs. L'honorable M. de Rossius me dit : Comment allez-vous faire ? Vous ne pouvez pas joindre les actions.
L’honorable membre se trompe. Si l'objet est le même, les causes seront jointes ou elles se plaideront à la suite l'une de l'autre. Si, au contraire, il s'agit d'objets différents, il est très naturel que l’action puisse être intentée séparément. (Interruption.)
On ne peut empêcher l’actionnaire d'intenter une action d'un autre chef que celui de la société. (Nouvelle interruption.)
L'actionnaire peut se joindre à la société, mais s'il invoque un autre chef, je vois pas pourquoi il devrait suivre la marche que lui indique l'assemblée générale. Il a le droit de réclamer, de son propre chef, des dommages-intérêts que l’assemblée générale ne voudrait pas réclamer. Or le système de M. Rossius tendrait à limiter les droits des actionnaires. Il faut maintenir aux actionnaires le droit d’intenter des aux procès administrateurs quand ils ont des motifs pour agir ainsi.
Nous n'avons voulu limiter la prescription que dans un seul cas, celui où le bilan a été adopté par l'assemblée générale. Pour tous les autres cas, nous restons dans le droit commun.
M. de Rossiusµ. - Quelle est la prescription de l'action individuelle ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Celle qui existe actuellement. Je comprends qu'on restreigne le droit des actionnaires en cas d'approbation du bilan ; mais en dehors de ce cas, je ne l'admets pas.
M. Lelièvreµ. - Je proposerai une simple observation ; toute disposition introduisant une prescription doit être claire et précise.
Or, il me semble que la phrase « à partir du jour l'action de la société est devenue non recevable » est vague et incertaine.
Quel est le jour où l'action de la société est devenue non recevable, voilà ce que la loi devrait indiquer clairement. Il importe d’informer d'une manière certaine les intéressés relativement à l'époque précise à laquelle commence la prescription ; mais énoncer une locution aussi générale et aussi vague que celle « du jour où l'action de la société est devenue non recevable », c'est réellement édicter une disposition non précisée propre à induire en erreur les intéressés et susciter des contestations sérieuses que les tribunaux ne résoudront que très difficilement. Il faudrait au moins indiquer les actes auxquels on prétend faire allusion.
M. Teschµ. - Messieurs, malgré l'explication que l'honorable ministre de la justice m'a donnée tantôt, l'article 80, tel qu'il est rédigé, laisse encore un doute dans mon esprit et je crois devoir appeler de nouveau l'attention de M. le ministre sur la rédaction de cet article.
Il nous a dit que l’article 80 ne prévoyait qu'un seul cas : c'est celui où le bilan ayant été adopté par la majorité de l’assemblée, quelques actionnaires s'y opposant voudraient porter leurs griefs devant les tribunaux. Eh bien, la finale de l'article 80 ne répond pas du tout à cette idée. Il porte que l’action ne pourra être intentée que dans trois mois à partir da jour l'action de la société est devenue non recevable.
Mais, messieurs, si la majorité de l'assemblée a adopté le bilan, la société n'a plus d'action.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela dépend ; s'il y a dol ou fraude, la société conserve son droit.
M. Teschµ. - Ce n'est pas le cas. Mais quand alors ces trois mois commenceront-ils ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Quand le dol est découvert, c'est une question de fait.
M. Teschµ. - Vous devez faire courir le délai de trois mois à partir de l'approbation du bilan. Ainsi une assemblée générale, après avoir délibéré sur le bilan d'un exercice, approuve ce bilan ; malgré la décision de la majorité, vous ouvrez une action individuelle aux actionnaires.
Soit, mais dans quel délai cette action doit-elle être intentée Dans les (page 520) trois mois ? Mais ce délai doit commencer à courir à dater de l'approbation du bilan.
Voilà quelle est la pensée de l'article, et je suis convaincu que le rédacteur de l’article n’a pas songé au cas de dol ou de fraude dont nous a parlé M. le ministre.
Je demanderai que les mots : « à partir du jour où l'action de la société est devenue non recevable », soient remplacés par ceux.ci : « à partir de l'approbation du bilan. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable membre a parfaitement raison quand il dit que l'action doit être intentée dans les trois mois à partir de l'approbation du bilan quand tout s'est passé régulièrement. Mais une assemblée générale qui a approuvé le bilan n'est pas désarmée contre les administrateurs si ultérieurement elle découvre qu'il y a eu dol ou fraude dans la présentation du bilan.
L'approbation du bilan est déclarée nulle comme ayant été entachée de dol et de fraude, il y a de ce chef une action. La disposition n'a absolument rien de dangereux parce qu'elle se réfère aux principes du droit commun. Il y a une foule de matières où il faut agir de la même manière c'est-à-dire que les décisions prises un moment donné sont sujettes à annulation parce qu'elle sont entachées de dol et de fraude.
M. Teschµ. - Messieurs, je retire mon amendement du moment qu'il est bien entendu que, dans tous les cas où il n'y aura ni dol, ni fraude, l'action sera prescrite par trois mois.
M. de Rossiusµ. - Je demanderai cependant à M. le ministre de la justice quelle sera la prescription pour l'action individuelle de l'associé, quand le bilan n'aura pas été approuvé.
Il est à remarquer que l'article 70, qui vient d'être voté, ne parle pas de la prescription dans ce cas.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il y aura, pour l'action de l'associé, la même prescription que pour celle de la société.
- L'article 80 est mis aux voix et adopté.
M. Guillery. - Des condamnations en matière de presse sont intervenues depuis quelques jours, et préoccupent vivement l'opinion publique.
Tout ce qui concerne la liberté de la presse touche à ce qu'il y a de plus élevé dans l'ordre politique.
Il appartient à la Chambre, gardienne vigilante des libertés publiques, de s'éclairer et d'éclairer le pays sur tout ce qui pourrait directement ou indirectement y porter atteinte.
J'ai l'honneur de prévenir M. le ministre de la justice que je ferai demain une interpellation à ce sujet.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai demandé un rapport au parquet sur les fails dont parle l'honorable M. Guillery ; je crois qu'après-demain je serai en mesure de répondre à l'interpellation. Je prie donc l'honorable membre de l'ajourner jusque-là.
M. Guillery. - Très volontiers.
M. le président. - Il est donc entendu que l'interpellation de l'honorable M. Guillery n'aura lieu qu'après-demain.
« Art. 81. Les sociétés anonymes et les autres associations commerciales, industrielles ou financières, constituées et ayant leur siège en pays étranger, pourront faire leurs opérations et ester en justice en Belgique. »
M. Lelièvreµ. - Quand notre disposition parle des sociétés constituées en pays étranger, je pense qu'elle se réfère à des sociétés valablement constituées, c'est-à-dire à l'égard desquelles les dispositions substantielles exigées par les lois étrangères ont été observées.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Evidemment.
- L'article 81 est mis aux voix et adopté.
« Art. 82. Toute société dont le principal établissement est en Belgique, est soumise à la loi belge, bien que l'acte constitutif ait été passé en pays étranger. »
- Adopté.
« Art. 83. Les articles relatifs à la publication des actes et des bilans, et l'article 58, sont applicables aux sociétés étrangères qui fonderont en Belgique une succursale, ou un siège quelconque d'opération.
« Les personnes préposées à la gestion de l'établissement belge sont soumises à la même responsabilité envers les tiers que si elles géraient une société belge. »
M. Mullerµ. - Je demanderai si c'est avec intention que l'on parle des sociétés étrangères qui fonderont en Belgique une succursale. La disposition est-elle applicable aux sociétés étrangères qui auraient déjà des succursales fondées dans notre pays avant la loi ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si des sociétés existant actuellement viennent fonder des succursales après que la loi sera en vigueur, la disposition leur sera applicable.
- L'article est adopté.
M. le président. - Vous avez renvoyé à la discussion des dispositions pénales diverses propositions :
D'abord, celle de M. Dumortier ainsi conçue :
« Il est interdit à la société en commandite :
« 1° De racheter ses actions, à moins de modifications aux statuts publiés en conformité de la loi ;
« 2° de prêter aux actionnaires sur dépôt de leurs actions au porteur.
« Il est interdit au gérant de faire les versements appelés sur les actions non libérées en ouvrant aux actionnaires un compte courant dont le débit est chargé de la valeur de ces versements. »
Ensuite, la proposition de M. Dupont.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il la retire.
M. le président. - Il y a encore la proposition de M. Orts ainsi conçue :
« Les associés solidaires de la commandite ne peuvent être actionnaires. »
L'article 84 est ainsi conçu :
« Seront punis d'une amende de 50 francs à 10,000 francs :
« Ceux qui, en se présentant comme propriétaires d'actions ou de coupures d'actions qui ne leur appartiennent pas, ont pris part au vote dans une assemblée générale d'actionnaires ;
« Ceux qui ont remis les actions pour en faire l'usage ci-dessus prévu ;
« Les administrateurs ou les commissaires qui ont faussement déclaré, pour entrer en fonctions, être propriétaires d'actions. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Au dernier paragraphe, je demande que l'on dise : « Les gérants ou administrateurs et les commissaires. »
M. Teschµ. - Est-ce à cet article que se rattachent les deux amendements que vient de lire M. le président ?
M. le président. - On peut les rattacher à cet article.
M. Teschµ. - Je n'y tiens pas. Je veux seulement savoir s'ils sont mis en délibération en ce moment.
M. le président. - Non, je les mettrai en délibération tout à l'heure.
- L'article, modifié comme le propose M. le ministre, est adopté.
« Art. 85. Sont considérés comme coupables d'escroquerie :
« 1° Ceux qui, par simulation de souscriptions ou de versements à une société anonyme, ou par la publication faite de mauvaise foi de souscriptions ou de versements qui n'existent pas ou de tous autres faits faux, ont obtenu ou tenté d'obtenir des souscriptions ou des versements ;
« 2° Ceux qui, pour provoquer des souscriptions ou des versements ont, de mauvaise foi, publié les noms de personnes désignées, contrairement à la vérité, comme étant ou devant être attachées à la société anonyme à un titre quelconque. »
M. Lelièvreµ. - Je pense qu'il faut énoncer : « seront considérés comme coupables d'escroquerie et punis des peines portées par le code pénal : 1° ceux, etc. »
En effet il est à remarquer qu'il s'agit de nouveaux faits auxquels ne s'applique pas le code pénal en vigueur en définissant l'escroquerie. En conséquence il ne suffit pas de qualifier d'escroquerie les nouveaux faits, il faut encore les frapper spécialement et formellement des peines portées par le code pénal.
Du reste mon amendement est conforme au texte primitif du projet.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, pour faire droit à différentes observations qui ont été présentées, il faut supprimer le mot « anonyme » dans les n° 1° et 2°, et dire :
« Ceux qui, par simulation de souscriptions ou de versements à une société ou par la publication faite de mauvaise foi de souscriptions ou de versements qui n'existent pas ou de tous autres faits faux, ont obtenu ou tenté d'obtenir des souscriptions ou des versements,
« 2° Ceux qui, pour provoquer des souscriptions ou des versements ont, de mauvaise foi, publié les noms de personnes désignées, contrairement (page 521) à la vérité, comme étant ou devant être attachées à la société, à un titre quelconque.
Au paragraphe 3°, il faudrait ajouter : « gérants ou », mais ce paragraphe est remplacé par l’article 86.
M. Jacobsµ. - M. le ministre de la justice propose de supprimer le n°3°, mais alors il ne reste plus que deux cas de véritable escroquerie, bien définis par la loi. L'article, réduit aux n°1° et 2°, perd donc son utilité.
M. Lelièvreµ. - Je pense qu'il y a utilité à maintenir notre disposition. En effet, elle a pour but de ne laisser aucun doute sar le caractère des faits qu'elle atteint ; sans cela. on pourra discuter si les faits prévus par notre article rentrent dans les dispositions du code pénal concernant l'escroquerie. C'est donc afin qu'il n'y ait aucun doute à cet égard que je pense qu'il est utile de maintenir l'article en discussion. Il importe de prévenir toute difficulté à cet égard. La matière est trop importante pour qu'on ne prévienne pas toute discussion sur ce point ; de graves intérêts réclament la disposition dont il s'agit.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il est évident que des discussions très graves vont s'établir sur ce point, et c'est parce que, dans les deux cas dont il s'agit, il pouvait ne pas y avoir tous les caractères de l'escroquerie, caractères qui sont très nombreux et dont l'appréciation peut conduire jusqu'en cassation, que la commission a voulu les assimiler à des faits d'escroquerie. Il n'y a donc aucune espèce d'inconvénient à maintenir les deux paragraphes.
- Les paragraphe 1 et 2 sont adoptés.
Le paragraphe 3 est supprimé.
« Art. 86. Seront punis d'une amende de 50 francs à 10,000 francs, et pourront en outre être punis d'un emprisonnement d'un mois à un an, les administrateurs qui, en l'absence d'inventaires, malgré les inventaires ou au moyen d'inventaires frauduleux, ont opéré la répartition aux actionnaires de dividendes ou d'intérêts non prélevés sur les bénéfices réels. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il faut dire : « les gérants ou administrateurs qui, etc. »
- L'article, ainsi amendé, est adopté.
M. le président. - Messieurs, c'est ici que doit se placer l'article nouveau de l'honorable M. Orts et qui serait ainsi :
« Les associés solidaires de la commandite ne peuvent être actionnaires. »
M. Lelièvreµ. - Je pense qu'il faudrait maintenir l'ancien article 68 relatif aux circonstances atténuantes. Le droit de modifier en ce cas les peines conféré aux juges est établi par les lois générales non moins que par les lois spéciales que nous votons chaque jour. On a coutume d'énoncer constamment que ce pouvoir modérateur est accordé aux tribunaux.
On comprend en effet qu'il peut exister des circonstances où la justice ct l'équité exigent qu'on réduise les peines comminées par notre disposition. Dans certains cas, elles peuvent être excessives. Pour que les peines soient toujours proportionnées aux faits, il importe que les pénalités puissent être diminuées selon les circonstances, qui peuvent varier à l'infini. Je pense donc qu'il faut maintenir l'ancienne disposition et en cela, nous ne faisons que nous conformer à tous les précédents suivis invariablement depuis nombre d'années.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois que le code pénal actuel admet les circonstances atténuantes chaque fois que les lois spéciales n'y dérogent pas.
M. Guillery. - En effet, l'article 100 du code pénal porte ce qui suit :
« A défaut de dispositions contraires dans les lois et règlements particuliers, les dispositions du premier livre du présent code seront appliquées aux infractions prévues par ces lois règlements à l'exception du chapitre VII, des paragraphes 2 et 3 de l'article 72, du paragraphe 2 de l'article 76 et de l'article 85.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le code pénal dispose pour toutes les matières pénales, qu'il s’agisse de lois passées ou de lois futures. Dès lors il faut pas embarrasser la législation de dispositions inutiles.
M. Lelièvreµ. - Quant à moi, je pense qu'il est utile d'énoncer la disposition relative aux circonstances atténuantes. car évidemment le code pénal ne parle pas des lois futures, en ce qui concerne les circonstances atténuante, il se réfère aux lois spéciales antérieures ; du moins cette opinion peut être soutenue. Je pense donc qu'il n'y a pas lieu de supprimer une disposition qui peut prévenir des doutes et faire cesser toutes difficultés.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est une erreur complète. Tout le premier livre du code pénal concerne les infractions. Il règle non seulement les autres dispositions du code pénal, mais toutes les matières pénales en général, moins qu'il n'y ait des dispositions particulières.
M. Lelièvreµ. - S'il est bien entendu que la disposition du code pénal relative aux circonstances atténuantes régit la matière dont nous nous occupons, le but est atteint. Je constate donc que c’est seulement comme inutile que ma proposition est combattue et qu'en conséquence les dispositions du code pénal relatives aux circonstances atténuantes pourront être appliquées aux faits énoncés au projet. Sous bénéfice des explications données dans le sens qui précède, je puis ne pas insister sur ma proposition.
M. le président. - Nous avons maintenant l'amendement de M. Elias.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Et les amendements de MM. Orts et Dumortier ?
M. le président. - J'ai demandé tout à l'heure à l'honorable M. Orts comment sa disposition pouvait se rattacher aux dispositions pénales et je dois dire qu'il n'a pu me renseigner à cet égard.
Si cependant la Chambre veut voter d'abord sur l'amendement de M. Orts, je n'y fais pas obstacle.
Voici comment cet amendement est conçu :
« Les associés solidaires de la commandite ne peuvent être actionnaires. »
Je fais remarquer qu'il n'y a pas de pénalités, pas de sanction,
M. Orts. - Je tiens à dire deux mots pour expliquer le véritable sens de ma proposition qui, je crois, n'a pas été bien comprise.
Mon but est tout simplement celui-ci : Assurer au public que les sommes promises à une commandite comme devant être fournies par les actionnaires seront réellement versées et qu'elles ne se confondront pas avec cette autre partie du capital de la commandite, qui est la solvabilité personnelle, illimitée des associés solidaires.
Je prends un exemple pour rendre ma pensée plus claire.
Je forme une société en commandite, dans laquelle je me pose comme associé solidaire et gérant, et je dis qu'outre ma solvabilité, le capital social se compose de 500.000 francs d'actions, à fournir par des souscripteurs. Si je souscris moi-même ces 500,000 francs d'actions, je ne donne pas un sou de plus, en fait de garantie, au public que si je faisais la société à moi tout seul.
Si, au lieu de souscrire les 500,000 francs, je souscris 100,000 francs que je paye en puisant dans ma fortune personnelle, il n'y a, dans ma société, que moi et 400,000 francs et non plus 500,000 francs. On ne peut être à la fois commanditaire et commandité dans la même société. Je veux, en somme, que tout l’avoir de l’associé solidaire reste toujours la garantie du public, en même temps que les sommes demandées aux actionnaires. Il faut, en matière de société, que toutes les promesses faites au public restent une vérité. Tel est le but de ma proposition.
M. Teschµ. - Je ne puis pas adopter l'amendement de M. Orts ; il présenterait, à mon avis, plus d'inconvénients que d'avantages.
M. Orts n'a d'autre but que d'empêcher qu'on puisse supposer qu'outre le capital qu'il verse, le commandité a une autre fortune qui répond de sa gestion et que le public ne voie deux garanties là où il n'y en a qu'une.
M. Orts n'a en vue qu'un cas, le cas de faillite ; le cas le passif dépasse l'actif. Mais il y a une autre situation encore qui peut se présenter et qui exige impérieusement que le commandité soit intéressé, c’est le cas où l'actif est entamé sans cependant que le passif excède cet actif et il y a un grand intérêt, pour tous les sociétaires, à ce que l'associé ait une partie de sa fortune dans la société.
M. - Tout y est.
M. Teschµ. - Rien n'y est ; vous confondez deux choses différentes ; le corps moral, qui est la société, et l'avoir particulier du commandité.
Tout l'avoir du commandité y est dans le cas ou l'actif est absorbé et au delà par le passif. Alors pour ce qui dépasse l'actif, la fortune particulière du commandité en répond. Mais lorsque le passif n'absorbe, par exemple, que la moitié de l’actif les commanditaires perdront 50 p. c. et les commandités ne perdront rien du tout.
Voilà la véritable situation que vous créez et je ne la trouve pas admissible.
M. Orts. - M. Tesch ne m'a pas compris. Il croit que le but de mon amendement est de constituer des commandites dans lesquelles le commandité n’aurait aucun intérêt. Ce n’est pas cela ma pensée.
Dans une commandite, la gérant est indéfiniment responsable, donc il est nécessairement intéressé.
(page 522) Il doit faire un apport, mais je dis qu'après cet apport lorsqu'il promet au public, outre l'apport, de l'argent fournir par des tiers, cet argent ne sort pas de sa propre caisse.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois que l’amendement de M. Orts doit tomber par deux raisons : c’est que d'abord dans les sociétés en commandite on n'est pas obligé d'indiquer le capital. M. Orts dit : Vous me trompez avec l'indication de votre capital. Vous dites que ce capital s'élève à 500,000 francs, alors qu'il n'y a en tout que 300,000 francs pris par des commanditaires.
Messieurs, dans les sociétés en commandite on n'indique pas capital. (Interruption.)
On doit indiquer dans l'acte les apports, mais on sait, par cet acte, ce qu'apporte le commandité et ce qu'apportent les commanditaires. Dès lors, on ne peut être trompé. Si le capital est indiqué comme étant de 500,000 francs et que le commandité prend 200,000 francs d'actions, on sait que les commanditaires ne donnent que 200,000 francs. On trouve donc dans le contrat le moyen de se garer contre la fraude.
M. Teschµ. - Je ne comprends pas le raisonnement de l'honorable M. Orts.
Dans une commandite ordinaire où le capital n’est pas en actions, la part du commandité n’est pas en actions. Cela est évident. Mais là où l'avoir social, le capital social est représenté par des actions, il est évident que le gérant n'a plus d’intérêt dans la société, si vous ne lui permettez pas d'avoir des actions ; et je ne connais pas de commandite en actions où l'avoir du commandité ne soit représenté par des actions.
Vous ne pouvez donc pas défendre à un commandité d'avoir des actions dans la société.
- La discussion est close.
La proposition de M. Orts est mise aux voix et n'est pas adoptée.
M. le président. - Vient maintenant la proposition de M. Dumortier, proposition ainsi conçue :
« Il est interdit à la société en commandite :
« 1° De racheter ses actions, à moins de modifications aux statuts publiés en conformité de la loi ;
« 2° de prêter aux actionnaires sur dépôt de leurs actions au porteur.
« Il est interdit au gérant de faire les versements appelés sur les actions non libérées en ouvrant aux actionnaires un compte courant dont le débit est chargé de la valeur de ces versements. »
M. Teschµ. - Messieurs, s'il ne s'agit que du rachat d'actions par le capital même, je n'ai aucune objection à faire à la proposition de l’honorable M. Dumortier ; mais, dans quelques sociétés, le rachat des actions sc fait sur les bénéfices ; c'est là un mode d'amortissement que je ne vois aucune difficulté à maintenir, et qui est très légitime, et qui ne diminue pas l'avoir social.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, il est bien évident que l'honorable M. Dumortier, par son amendement, n'a pas voulu atteindre le rachat d'actions fait à 1'aide des bénéfices. Mais ce que l'honorable M. Dumortier n'a pas voulu, c'est qu'on diminuât le capital social par des opérations de bourse, en faisant baisser les actions pour les racheter à vil prix ou en recourant à d'autres manœuvres.
Je ne m'oppose pas, pour le moment, à l'amendement de l'honorable M. Dumortier. Mais d'ici au second vote, il devra probablement subir une autre rédaction et il faudra lui donner une sanction. L'honorable Dumortier interdit certains faits et il ne les punit pas. Il faudra dire : seront punis d'une certaine peine déterminée, qu'il y aura lieu d'examiner, ceux qui ont fait telle chose. Si la Chambre adopte l'amendement, je présenterai une rédaction nouvelle au second vote.
M. Jacobsµ. - Je crois qu'il y a différents cas, que l’on devrait prévoir, dans lesquels le rachat d’actions pourrait avoir une utilité véritable pour une société. Je suppose que, dans une souscription d'actions, un grand nombre d’actions aient été prises par une personne sans solvabilité sérieuse. La société pourra avoir grand intérêt à annuler cette souscription d'actions plutôt que de les faire vendre au détriment de ce panier percé qui les a souscrits et à son grand préjudice à elle ; car cela discrédite ses actions. Il peut donc se présenter des cas dans lesquels, je ne dirai pas l’achat, mais l'annulation de certaines souscriptions peut être utilité pour la société. Je pense qu'il ne faut pas englober ta prescription tons les rachats d'actions.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les actions ont une valeur ou elles n’en ont pas. Si elles ont une valeur, elles se vendront parfaitement et je ne vois pas quel intérêt la société aurait à les racheter ou à annuler ces actions.
Je dis même que la société ne peut annuler ces actions ; car ce serait une diminution du capital social.
Que veut M. Dumortier ? Il dit à la société : Vous ne pouvez acheter vos actions.
Qu'arrivera-t-il dans le cas que suppose l'honorable Jacobs ? On vendra les actions, et je le répète, si la société est sérieuse, ces actions se vendront bien. Mais si la société rachetait ces actions et devait faire de ce chef des versements, ce serait au détriment de la société.
M. Jacobsµ. - Il est certain qu’il y a des sociétés dont les actions ne sont pas appréciées dans l'origine par le public. Si l'une de ces sociétés se trouve dans le cas d'avoir quelqu'un de ses actionnaires qui est insolvable, il est certain que lui défendre d'annuler la souscription de cet actionnaire, c'est la précipiter vers la déconfiture. Car meure sur le marché ce paquet d'actions qui a été souscrit par un actionnaire véreux, c'est précipiter la chute de la société.
Il me semble que, dans ce cas, la société ne devrait pas être victime de l'indélicatesse d'un de ses actionnaires et qu'on devrait lui permettre d'annuler ces actions.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce serait une véritable diminution du capital. Ainsi une société a 100 actions. 0n en a vendu 40 à un insolvable, l'honorable membre veut que la société puisse annuler ces actions ; c'est une diminution de 40 p. c. du capital.
M. Jacobsµ. - On publiera ce rachat.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il vaut mieux suivre la règle générale. On poursuivra la personne qui a souscrit les actions et qui ne paye pas.
Au surplus, la proposition est encore autre chose que le rachat des actions ; on demande la possibilité de les annuler. Quand on rachète des actions, on est tenu de toutes les obligations que peuvent avoir les actionnaires. tandis que, dans le cas d'annulation, c'est le capital qui est réduit et ce n'est pas le cas qui est prévu par l'honorable M. Dumortier.
M. de Theuxµ. - Il me semble que la proposition devrait être adoptée provisoirement, sauf à y revenir au second vote.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - M. Dumortier a proposé de dire : « Il est interdit à la société en commandite » : »
Il faut ajouter : « Et à la société anonyme ».
M. Saincteletteµ. - Je crois, messieurs, qu'il y a toujours de très grands inconvénients à limiter la liberté des conventions. J'ai été personnellement témoin d'un rachat d'actions accompli dans les conditions les plus honorables et les plus avantageuses à la société. Le concessionnaire d'un charbonnage qui le faisait l'avait apporté en société et avait reçu en payement un certain nombre d'actions. dont partie était restée en dépôt. Un procès s'est engagé sur l'étendue de la garantie due par lui, lui réclamant ses actions, la société prétendant les retenir. Ce procès a duré plusieurs années et voici comment il s'est terminé :
La société a racheté à un prix débattu toutes les actions que l'apporteur avait reçues, et l'on a pu terminer ainsi un procès qui, sans ce moyen d'accommodement, aurait encore duré plusieurs années.
Messieurs, dans les rapports des sociétés avec les apporteurs et les fondateurs, il se présente une foule de cas qu'il est impossible de prévoir et où il peut être utile de faire une opération de ce genre-là. Que le rachat des actions soit interdit lorsqu'il est fait en fraude des droits des tiers, lorsqu'il a pour but de crier une situation exceptionnelle à un groupe d'intéressés, d'augmenter fictivement la valeur de l'avoir social, rien de mieux ; mais alors, le droit commun suffit. Il donne l'action civile en dom mages-intérêts contre les administrateurs qui ont fait un rachat dans de semblables conditions.
J’avais d'abord été séduit par certains aspects plausibles de l’amendement de M. Dumortier, mais la réflexion m'a fait voir qu'il pourrait y avoir beaucoup plus d'inconvénients à interdire le rachat des actions qu'il n'y en a à laisser ces opérations sous l'empire du droit commun.
- L'amendement de M. Dumortier est mis aux voix par paragraphe :
« Il est interdit à la société en commandite et la société anonyme :
« 1° de racheter ses actions, à moins de modifications aux statuts publiés en conformité de la loi. »
- Le n°1° n'est pas adopté.
« 2° De prêter aux actionnaires sur dépôt de leurs actions au porteur. »
- Adopté.
« Il est interdit au gérant de faire les versements appelés sur les actions libérées en ouvrant aux actionnaires un compte courant dont le débit est chargé de la valeur de ces versements. »
- Adopté.
M. le président. - Ici vient l'article 86 nouveau proposé par M. Sainctelette.
(page 523) Cette proposition est ainsi conçue :
« Le prévenu d'un délit de calomnie pour imputations dirigées, à raison des faits relatifs à leurs fonctions contre les gérants des sociétés en commandite par actions ou contre les administrateurs des sociétés anonymes, sera admis, à faire, par toutes les voies ordinaires, la preuve des faits imputés, sauf la preuve contraire par les mêmes voies. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, j'apprécie parfaitement les intentions de l'honorable membre et je suis de son avis quant au fond. Mais je vois des inconvénients à introduire dans le code de commerce une disposition qui touche au décret sur la presse, au code pénal, et à une foule de matières étrangères à la loi actuelle.
Je crois donc qu'il vaudrait mieux attendre une loi générale.
M. Saincteletteµ. - Messieurs, je n'ai présenté cet article nouveau que pour appeler l'attention de la Chambre sur une question d'une grande importance, sur un moyen de contrôle que je considère comme le plus efficace. On a vu plus d'une fois avec quelle adresse les faiseurs savent obtenir le concours de la partie complaisante de la presse, avec quelle habileté ils usent de ce concours, combien par là ils savent acquérir d'influence et quel parti ils en tirent.
Evidemment il n'y a aucun moyen de remédier à ce mal ; mais il est possible de mettre la partie indépendante de la presse en position d'intervenir librement et efficacement dans le débat, désillusionner l'opinion, montrer avec quel engouement se passionnent parfois même les hommes d'affaires, comment cet engouement a souvent sa source dans le charme que sait exercer un seul homme.
La disposition que j'ai présentée à la Chambre est le complément nécessaire de toutes les dispositions introduites dans le projet de loi, pour éclairer l'opinion publique.
Mais la déclaration que vient de faire l'honorable ministre, à savoir : qu'une disposition analogue ne tardera pas à ure présentée par lui dans une loi générale, me satisfait complètement.
Je n'hésite pas à déférer à ce vœu et à retirer momentanément ma proposition.
M. Hymans. - Je crois que l'honorable M. Sainctelette a bien fait de retirer sa proposition, parce qu'en introduisant, dans la loi qui nous occupe, une mesure d'exception à l'égard des administrateurs des gérants de sociétés, il aurait nui peut-être au succès de la proposition qui sera faite ultérieurement d'inscrire dans une loi spéciale une disposition en termes généraux.
Je partage en principe l'opinion de l'honorable M. Sainctelette et je suis heureux d’avoir vu se produire sa proposition.
Je me permettrai de rappeler que l'année dernière lors de la discussion du projet de loi sur la contrainte par corps, j'ai eu l'occasion de dire que la plus belle garantie que l'on pût donner à la presse, c'était le droit de prouver les faits qu'elle avançait chaque fois qu'elle incriminait les actes d'un individu agissant dans ses rapports avec le public.
Mais, messieurs, il n'y a pas que les directeurs et les gérants des sociétés en commandite qui se trouvent dans ce cas. Toute personne qui fait appel au public se trouve dans la même situation. Le marchand qui vend à faux poids, le directeur d'un établissement d'instruction qui maltraite ses élèves, les captateurs de successions causent un préjudice la chose publique, et je crois qu'à l’égard de ces individus la preuve doit arc admise.
Lorsque j'ai émis cette idée l'année dernière, M. Tesch a fail une objection ; il m'a dit : « Attendez qu'un projet de loi sur la presse soit présenté ou faites une proposition générale. » Eh bien, quand il y aura lieu de réviser la législation sur la presse, si M. Sainctelette veut présenter une proposition dans laquelle il demanderait à faire de son principe une application générale, je serai très heureux de la signer avec lui et je crois que nous ferions alors une meilleure besogne que nous ne ferions aujourd'hui en décrétant une mesure exceptionnelle.
M. Guillery. - Je regrette, quant à moi, l'amendement de M. Sainctelette et voici pourquoi. Je ne crois pas que nous soyons appelés, d'ici à longtemps, à faire une loi sur la presse.
M. Hymans. - Il y a un projet à l'ordre du jour.
M. Guillery. - Un projet sur la compétence. (Interruption.) je sais bien qu'on peut en étendre le cadre, mais la loi générale à laquelle a fait allusion M. le ministre de la justice présente beaucoup de difficultés et je ne crois pas que nous en soyons saisis d'ici à longtemps.
La question soulevée par M, Sainctelette est tout à fait spéciale et je ne vois pas qu'on puisse lui reprocher d'empiéter sur une loi générale et d'être inopportune dans la loi actuelle.
Quel est le but de la loi actuelle ? C'est d'établir la publicité et la responsabilité des administrateurs. Eh bien, le meilleur moyen d'établir la publicité et la responsabilité des administrateurs, c'est d'assimiler les administrateurs de société à des fonctionnaires publics. Il n'y a pas autre chose dans l'amendement de l'honorable membre. La preuve permise contre les personnes ayant agi avec un caractère public, on la permet à l'égard des sociétés anonymes. Pourquoi ? Parce qu'ils sont de véritables fonctionnaires, des mandataires ; mais il y a d'autres personnes auxquelles s'appliquera la loi, et, lorsque nous ferons une loi sur d'autres matières, nous pourrons examiner s'il y a lieu d'étendre ce principe.
Mais aujourd'hui, nous faisons une loi sur les sociétés, sur la responsabilité des administrateurs et, la qualité de cette responsabilité, il s'agit de savoir jusqu'où elle ira. Voulez-vous du concours de la presse ? Soit, mais c'est à condition que vous lui donnerez certaines garanties, et ces garanties sont précisément celles que le Congrès a données à l'égard des fonctionnaires publics.
Le Congrès a dit dans son décret de 1831 : ce que vous ne pouvez pas faire à l'égard des particuliers. vous pouvez le faire à l'égard des fonctionnaires publics. Pourquoi ? Parce qu'ils ont un mandat public et que dès lors ils doivent compte de tous les faits qui concernent leur fonction.
M. Sainctelette dit : L'administrateur est un véritable fonctionnaire, il est mandataire, il remplit une fonction publique, il faut appeler sur ses actes le contrôle de l'opinion publique et de la presse, de la presse vigilante, honnête et loyale.
L'amendement de M. Sainctelette est donc ici à sa place, puisque c'est ici qu'il faut préciser quelle est la qualité de responsabilité des administrateurs.
M. le président. - M. Guillery reprend-il l'amendement de M. Sainctelette ?
M. Guillery. - Non, M. le président.
M. Orts. - J'ai demandé la parole parce que les observations que vient de faire M. Guillery me paraissent tellement importantes, tellement sérieuses qu'elle me déterminent à une conclusion tout opposée à la sienne.
Je déclare reprendre l'amendement de M. Sainctelette.
Messieurs, de toutes les mesures que nous introduisons dans la loi sur les sociétés, en vue de garantir le public honnête contre les fraudes, contre les tripotages, la plus efficace, c'est l'amendement de M. Sainctelette.
En effet, du jour l'on pourra dire, à charge de prouver ce qu'on avance, tout ce qu'on sait contre la mauvaise gestion de l'administration des sociétés anonymes, en public ou par la voie de la presse ; le jour où, ayant mille fois raison, on pourra venir devant un tribunal justifier ses allégations, ce qu'on ne peut pas faire aujourd'hui, le contrôle des actionnaires, le contrôle du public sera sérieux, et il ne sera sérieux que de ce jour.
La meilleure police pour la gestion des sociétés anonymes, c'est la police de l'opinion publique. Je demande donc que la mesure proposée par l'honorable député de Mons soit inscrite dans la loi.
Maintenant, messieurs, quant à la fin de non-recevoir qu'on nous oppose, elle ne tient pas. Elle ne tient pas d'abord devant l'utilité incontestable de la mesure ; elle ne tient pas non plus devant la position que le gouvernement et la Chambre ont prise eux-mêmes dans le projet que nous discutons.
Comment ! on a introduit dans le projet de loi, sans attendre la révision du code pénal, une demi-douzaine de délits nouveaux d'escroquerie et personne n'a fait d'objection !
Pourquoi ne pas répondre aux amendements que nous avons votés tout à l'heure : Mais attendez les modifications au nouveau code pénal ; nous compléterons l'article sur l'escroquerie ; inutile de mettre tout cela dans la loi sur les sociétés. Vous ne l'avez pas dit et vous avez bien agi, parce qu'il y a urgence ; il y a un mal ; il faut y porter remède. On dit, messieurs, qu'un projet de loi sur la presse est soumis à vos délibérations. mais il ne s'agit pas que de la presse ; il s'agit du droit de critiquer en public la gestion d'une société anonyme, soit dans un journal, soit dans une réunion et de pouvoir être admis à faire la preuve de ses allégations si les administrateurs critiqués se plaignent.
Le droit que M. Sainctelette nous demande d'inscrire dans la loi est plus important encore pour la liberté de la parole que pour la liberté de la presse. Comment ? aujourd'hui un actionnaire qui sait qu'on le vole dans une société anonyme, qui a les mains pleines de preuves, ne peut pas (page 524) venir révéler en assemblée qu'il connaît, parce qu'il ne peut pas en faire la preuve devant les tribunaux ! Il sera condamné comme calomniateur, et cela pour avoir usé de la liberté de la parole !
Or, la loi sur la presse qui nous est soumise, ou du moins qui nous est promise, qui arrivera je ne sais quand, cette loi a trait uniquement à la procédure et aux dommages-intérêts pour le cas de poursuites dirigées contre un journal. Faisons une bonne loi pour tout le monde ; faisons ce qui est indispensable pour que chacun puisse dire ou écrire la vérité en public. Que le contrôle de l'opinion publique, que le contrôle des actionnaires soient sérieux dans les sociétés. N'attendons pas plus longtemps ; faisons cela aujourd'hui. Nous avons supprimé l'autorisation préventive du gouvernement dans les sociétés par actions et nous avons bien fait.
Soyons logiques. Après avoir supprimé le contrôle de l'Etat, donnons plus de force à l'initiative privée et les garanties du public auront gagné en solidité.
M. Hymans. - Messieurs, si j'étais certain que la proposition fût admise, je ne la combattrais pas ; mais je crains qu'elle ne soit pas admise. Que vous propose-t-on ?
On vous propose de déroger par le code de commerce, d'une manière incidente, par une voie détournée, aux principes généraux de la législation sur la presse.
Or, si la proposition n'est pas admise,' on viendra nous dire, plus tard, lorsque nous aborderons l'examen d'une mesure générale : « Comment ? A propos des gérants des sociétés en commandite ou des administrateurs des sociétés anonymes on avait proposé à la Chambre de permettre au prévenu d'un délit de calomnie, de faire, par toutes les voies ordinaires, la preuve des faits imputés ; et la Chambre a rejeté cette disposition ! Il faut donc rejeter aujourd'hui une mesure plus étendue ! »
Quant à moi, je ne puis m'empêcher de trouver irrégulier que, par le code de commerce, on vienne déroger à une disposition essentielle de notre législation sur la presse.
Notez-le, messieurs, dans le code de commerce il n'est pas seulement question de gérants et d'administrateurs de sociétés ; il y est aussi question d'agents de change, non plus nommés par l’Etat, mais d'agents de change patentés, responsables ; contre ceux-là la preuve ne sera pas admise ; elle sera admise contre les gérants des sociétés ; pourquoi cette mesure exceptionnelle ?
La proposition me paraît donc offrir un danger. Je regrette qu'elle ait été reproduite par mon honorable ami M. Orts, qui s'est toujours montré l'ami de la liberté de la presse, et qui en a constamment défendu, ici et ailleurs, les droits et les prérogatives. Je crois que si la proposition est rejetée, on aura fait tort à la presse, sans avoir abordé le fond du débat, et ce n'est pas à propos du code de commerce qu'on peut discuter toutes les faces de cette grave question constitutionnelle.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'amendement de l'honorable M. Sainctelette n'est pas complet ; il faudrait indiquer la procédure à suivre.
M. Orts. - J'ai sous-amendé la proposition de la manière suivante :
« La preuve des imputations dirigées, à raison des faits relatifs à leurs fonctions contre les gérants des sociétés en commandite par actions ou contre les administrateurs des sociétés anonymes, sera admise, par toutes les voies ordinaires, sauf la preuve contraire par les mêmes voies. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cette correction ne suffit pas. L'honorable M. Sainctelette n'a entendu que poser un principe ; mais il faudra dire comment la procédure devra se faire.
Les honorables membres croient qu'ils auront beaucoup fait par leur proposition ; mais, en réalité, ils n'auront absolument fait ; pourquoi ? Parce que les administrateurs véreux ne poursuivront pas du chef de calomnie. (Interruption.)
Je ne comprends pas l'interruption. Nous parlons d'un individu qui serait poursuivi du cher de calomnie contre les administrateurs. Mais si les administrateurs ne poursuivent pas ?
Vous pouvez être convaincus qu’il en sera ainsi dans tous les cas où le fait sera vrai, parce que, quand l'individu saura qu'il a fait un faux bilan, il se gardera bien de le faire constater par la justice.
Savez-vous ce que vous devriez faire ? Ce serait de supprimer la disposition du code pénal qui défend au parquet de poursuivre les calomniateurs si ce n'est sur la plainte du calomnié. Alors vous auriez autre chose. Le parquet pourrait poursuivre les calomniateurs et l'affaire se débattrait au grand jour. Voilà le véritable, le seul frein. Mais si vous croyez avoir fait quelque chose en pensant que les administrateurs véreux poursuivront les calomniateurs, vous vous trompez, vous n'aurez absolument rien obtenu. L'expérience est là pour prouver que vous aurez un véritable bile de La Châtre et pas autre chose.
M. Saincteletteµ. - La proposition que j'ai faite à la Chambre ne se borne pas à autoriser la presse à faire la preuve des faits diffamatoires. J'ai pensé qu'il était utile de permettre cette preuve à quiconque juge nécessaire de diriger des imputations diffamatoires contre un administrateur de société anonyme ou contre un gérant d'une société en commandite. Il faut que ce droit appartienne à tout le monde, qu'il soit exercé par la voie de la presse ou autrement. Mais ce n'est pas la seule difficulté que l'on peut rencontrer dans l'application du code pénal nouveau aux faits de sociétés.
Un article du code pénal nouveau punit d’un emprisonnement de quinze jours à six mois et d'une amende de 15 francs à 1,000 francs celui qui aura adressé par écrit à une personne des imputations calomnieuses contre son subordonné. Il résulte de là qu'un actionnaire même, signalant par écrit à un administrateur des faits répréhensibles posés par un des subordonnés de cet administrateurs, encourt la peine prescrite par l'article 456.
Je crois que, dans l'intérêt même des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions, une pareille disposition ne peut être maintenue. Beaucoup de sociétés ont, par le nombre des personnes engagées, par l'étendue des intérêts mis en jeu, autant d'importance que la plupart des communautés politiques dont on a voulu assurer la bonne administration en permettant la preuve des faits diffamatoires.
La gestion des affaires publiques et la gestion des sociétés anonymes ont beaucoup et de grandes analogies. Dun côté comme de l'autre, l'estime et la sympathie du public sont de puissants éléments de succès. C'est d'acquérir la confiance du public, c'est de rechercher son estime et ses sympathies que, d'un côté comme de l'autre, se préoccupent ceux qui veulent réussir, et d'un côté comme de l'autre, il y a, à laisser s'égarer l'opinion publique, un danger considérable.
Je crois que le moyen le plus efficace d'assurer la bonne gestion des affaires des sociétés anonymes et des commandites par actions dans leurs moindres détails, c'est de faire comme on a fait pour les affaires publiques, c'est de permettre la preuve des faits diffamatoires.
M. le ministre objecte que les administrateurs véreux se garderont bien de porter plainte en calomnie. Mais du moment que la presse aura le droit, en affirmant des faits diffamatoires, de demander à les prouver en cas de dénégation par les voies de droit commun, ils deviendront beaucoup plus prudents ; il y aura là un frein moral, mais très énergique. Aujourd'hui la presse indépendante ne peut tenir ce langage, elle ne peut signaler les abus, parce que, du moment où l'on ne touche pas à la vie publique, on n'est pas admis à faire la preuve, le frein moral n'existe pas.
De cette façon, il y a dans l'opinion deux sentiments tout à fait opposés, D'une part, presse complaisante exalte des affaires que beaucoup d'hommes compétents savent manquer de fond ; elle contribue à donner au public des illusions extrêmement fâcheuses pour lui ; d'autre part, une presse sérieuse, indépendante, honnête, mais gênée dans ses allures, est impuissante à détruire les allégations souvent mensongères mises en circulation.
D'un côté, l'éloge le plus sympathique ; de l'autre côté, une critique restreinte dans d'étroites limites.
Il est évident que cette situation doit être modifiée.
Maintenant que la question soit résolue par la loi sur les sociétés ou qu'elle le soit par une loi générale, qu'importe ? J'avoue qu'il vaut mieux qu'elle le soit par une loi générale. Je crois ce parti beaucoup plus juridique, je crois qu'il vaut mieux tracer des règles générales plutôt que de procéder par voie de dispositions spéciales.
La loi sur les sociétés commerciales ne sera probablement pas mise à exécution avant une couple d'années.
Or, d'ici un an, le gouvernement peut nous présenter une loi sur la presse...
M. Bouvierµ. - Il vaut mieux un tiens que dix tu l'auras.
M. Saincteletteµ. - En tout cas, la question est assez importante pour justifier le renvoi à la commission de la proposition que j'ai eu l'honneur de faire. Elle pourra être utilement complétée par l'étude en commission. Le renvoi présente d'ailleurs d'autant moins d'inconvénients que la commission est déjà saisie d'autres propositions.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je n'ai pas combattu l'amendement de M. Sainctelette, mais j'ai dit que le public ne devait pas y trouver une garantie suffisante. Si vous voulez une véritable garantie, il faut assimiler les administrateurs et les gérants aux fonctionnaires publics. (Interruption.) Si vous voulez faire quelque chose d'efficace, donnez au parquet le droit de poursuivre sans plainte. (Interruption.) Un administrateur (page 525) commet les actes les plus criminels du monde, on l'attaque dans les journaux ; qu'est-ce que cela fait ? il ne poursuit pas. (Interruption.)
Vous voulez agir dans l'intérêt public, vous voutez que les actes répréhensibles des administrateurs soient connus ; il faut donc des débats publics ; mais comment voulez-vous les obtenir si l'administrateur préfère subir l'accusation et fuit le débat ? Il faut bien pour que vous puissiez faire le jour, donner au parquet le droit de poursuivre l'accusateur qui sera ainsi mis à même de fournir la preuve de son accusation.
M. Saincteletteµ. - J'aimerais mieux votre idée que l'état de choses actuel.
M. Guillery. - Je ne m'oppose pas au renvoi la commission, mais je tiens à répondre à certains arguments dont la commission pourra avoir à s'occuper.
On a parlé des difficultés d'un procès. Quant à la procédure. Nous aurions la même marche que dans les actions civiles intentées aujourd'hui par des fonctionnaires contre des calomniateurs ou de prétendus calomniateurs, et l'on suit alors une procédure qui emprunte quelque chose au décret de 1831 et quelque chose au code de procédure civile.
Il y a, à cet égard, assez de variation dans la jurisprudence, mais les procès n'ont jamais été arrêtés par cette difficulté. Nous sommes donc devant un état de choses qui dure depuis quarante ans.
Quant à la question elle-même, je ne puis partager l'opinion de M. le ministre de la justice ; il me semble qu'il a tort de croire que cet article ne trouverait son application que dans les cas où il y aurait procès.
Le procès n'est qu'une des faces de la question. Ce que l'on demande, c'est la liberté de parler et d'écrire.
Certes on ne peut forcer un homme à intenter un procès. Il y a des gens qui dédaignent une calomnie et qui ont raison.
Quant à moi, je déclare que si l'on m'accusait d'avoir volé, je ne répondrais pas et que je ne m'en occuperais pas. Chacun fait ce qui lui convient à cet égard.
Vous voudriez que l'on donnât au ministère public le droit de pour suivre d'office, parce que vous voulez voir absolument l'accusateur en présence de l'accusé.
C'est un moyen de contrôle, un moyen de donner de l'énergie à la loi, mais ce n'est pas le seul.
Dans le système de l'honorable M. Sainctelette, voici ce qui se passera.
L'actionnaire, le publiciste qui croira devoir reprocher à un administrateur des faits qui tombent sous l'application du code pénal ne sera pas arrêté, comme sous la législation actuelle, par la crainte d'être poursuivi soit au civil, soit au criminel, et de ne pouvoir faire la preuve de ce qu'il a avancé.
Si l'administrateur attaqué ne poursuit pas, de quoi pourra se plaindre celui qui a dénoncé les faits ? Il sera libre de démontrer ce qu'il a avancé ct dans les journaux et dans les assemblées d'actionnaires.
L'administrateur sera juge de la question de savoir s'il doit ou non poursuivre, mais nous aurons conquis, par un article de loi, le droit pour le journaliste honnête de signaler un abus. Nous voulons la liberté de tout dire pour contrôler des administrateurs qui, en définitive, remplissent une fonction publique.
Nous voulons que celui qui a des faits à signaler n'ait pas à craindre d'être condamné, alors qu'il aurait les mains remplies de preuves.
Voilà la liberté que l'on veut conquérir.
Il me semble que si ce n'est pas tout, ce sera quelque chose et que ce sera une véritable sanction à la loi.
M. Watteeuµ. - Messieurs, les révélations qui se font par la voie de la presse sont indubitablement les plus efficaces, parce qu'elles reçoivent immédiatement une publicité que ne fournit aucun autre moyen de publication.
La loi que nous discutons tend essentiellement à prémunir les tiers contre les pièges dont ils ont été tant de fois victimes.
Comme l'a fort bien dit l'honorable M. Orts, de toutes les mesures que nous voulons adopter, il n'en est peut-être pas une dont l'effet serait plus certain, plus immédiat, qu'une modification la loi sur la presse.
Cette loi sur la presse pourra peut-être discutée d'ici un an, mais nous comprenons tous qu'il est utile de porter au plus tôt remède au mal que l'on nous a signalé.
Je pense donc que, par mesure transitoire et en attendant qu'une loi générale soit votée, on pourrait adopter la rédaction suivante que je présente comme un sous-amendement à la proposition de l'honorable M. Orts :
« Les directeurs, les gérants et les administrateurs de sociétés anonymes et de sociétés en commandite sont assimilés aux fonctionnaires publics pour tous les faits qui se rattachent à leur gestion.
« En conséquence, les faits articulés à leur charge par la presse ou par tout autre mode de divulgation, pourront être prouvés par toutes les voies légales autorisées à l'égard des fonctionnaires. »
- Un membre. - Sauf les voies contraires...
M. Watteeuµ. - Bien entendu. Par conséquent on généraliserait seulement la loi sur la presse en ce qui concerne les fonctionnaires, et on l'étendrait également aux administrateurs et aux gérants des sociétés anonymes !
Il me paraît d'autant plus nécessaire de ne pas hésiter à adopter une mesure de cet ordre, qu'aujourd'hui il peut fort bien arriver qu'un rédacteur soit la première victime des supercheries de certains fondateurs de sociétés, et par suite patronne de la meilleure foi du monde de mauvaises opérations.
Or, que voyons-nous ? Il n'y a aucune peine qui puisse atteindre ceux qui patronnent de mauvaises opérations, et ceux qui ont le mieux saisi le défaut de la combinaison qu'on présente au public sont obligés de se taire, ils ne peuvent faire contre-poids aux éloges imprudents sur telle ou telle opération.
Par mon amendement on rétablirait l'équilibre et le public serait au courant lorsqu'il aurait entendu, d'une part, les éloges décernés à une opération et, d'autre part, les observations, souvent très sages, très judicieuses, que la presse n'hésiterait pas à faire pour éviter que les personnes qui voudraient s'intéresser dans ces affaires véreuses ne deviennent victimes de leur crédulité et de leur confiance.
- L'amendement de M. Watteeu est appuyé ; il fait partie de la discussion.
M. de Brouckere. - Renvoyons l'amendement de M. Watteeu à la commission.
- Le renvoi de l'amendement de M. Watteeu à la commission est ordonné.
M. Watteeuµ. - Des collègues me font remarquer que la proposition que je viens de soumettre à la Chambre serait complétée par les mots : « et poursuivis », ce qui serait ; « pourront être prouvés et poursuivis. »
« Art. 87. Le titre III du livre Ier du code de commerce est abrogé, à partir du jour de la mise en vigueur de la présente loi. »
- Adopté.
M. le président. - Ici se place la proposition de M. Elias.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois que l'honorable membre ferait bien de retirer sa proposition ; d'ici au second vote, on pourra examiner la question et s'il y a une lacune, on la comblera.
MpMOreauµ. - Je fais remarquer M. le ministre de la justice que s'il n'y avait pas d'amendement on ne pourrait revenir sur l'article au second vote.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - On ne pourrait raisonnablement cependant se retrancher derrière une disposition réglementaire pour empêcher de combler une lacune. D'ailleurs, chaque fois qu'on a discuté un code, il a été admis que l'on pourrait présenter des amendements au second vote.
« Art. 88. Les sociétés anonymes, existantes avant la mise en vigueur du présent titre, ne pourront être continuées au-delà du terme axé pour leur durée, qu'en supprimant toutes clauses des statuts qui y seraient contraires, et en se soumettant à toutes ses dispositions.
« Elles pourront apporter des modifications à leurs statuts aux mêmes conditions, sans que, dans ce cas, l'autorisation du gouvernement soit nécessaire. »
M.de Macarµ. - Le rapport indique nettement que les sociétés créées sous l'empire de la loi existante continuent à être régies par cette loi ; mais, comme le projet du gouvernement ne contenait pas la disposition qui fait l'objet du paragraphe 2 de cet article, je désire savoir si l'opinion de M. le ministre de la justice et du gouvernement est bien la mime que celle de M. le rapporteur de la commission.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le texte de l'article 88 est conforme à ce qui est dit dans le rapport de la commission.
M. de Macarµ. - Du moment que l'article 88 est entendu ainsi, je ne ferai pas de proposition.
M. Orts. - Les dispositions pénales de la loi ne seront-elles pas appliquées aux faits commis par les à la promulgation de la loi ?
M. de Rossiusµ. - Messieurs, je m'élève contre l'opinion émise par M. le ministre de la justice sur la force rétroactive des dispositions pénales du projet. L'accueillir serait faire de la rétroactivité détestable.
(page 526) D'après l'honorable M. Bara, toutes les pénalités que nous venons de voter frapperaient les sociétés actuellement existantes.
M. de Brouckere. - Pour l’avenir.
M. de Rossiusµ. - Voulez-vous me permettre de m'expliquer ?
Je vous ai rappelé dernièrement quel esprit étroit avait présidé à la rédaction des statuts de nos sociétés anonymes sous rempire de l'autorisation gouvernementale.
Les actionnaires importants ne peuvent paraître aux assemblées générales qu'avec cent ou cinquante titres selon qu'il s'agit d’actions de 500 ou de 1,000 francs.
Les fondateurs de sociétés ont été contraints de subir cette exigence déraisonnable que le gouvernement lui-même condamne aujourd'hui en autorisant la représentation par la même personne des deux cinquièmes des actions déposées. Mais dans la pratique on y échappait en s'adressant à des personnes complaisantes. On vous l'a dit dans une séance précédente, on le faisait franchement, sans s'en cacher, au su de tous, on s'affranchissait d'une entrave inadmissible. Eh bien, si les dispositions pénales qui frappent la répartition des titres sont applicables aux sociétés anciennes, vous mettez ces sociétés à la discrétion des petits actionnaires.
M. Eliasµ. - Elles modifieront leurs statuts.
M. de Rossiusµ. - Et si le gouvernement refuse de les y autoriser ? (Interruption.)
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le gouvernement ne peut pas refuser son autorisation.
M. de Brouckere. - Elles n'ont pas besoin d'autorisation.
M. de Rossiusµ. - Je vous demande pardon : elles ont besoin d'autorisation.
M. de Brouckere. - Non.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le paragraphe 2 dit que non, toutes les modifications à introduire, partielles ou générales, qui sont conformes au projet de loi n'entraînent pas la demande d'autorisation du gouvernement.
M. de Rossiusµ. - Vous n'avez donc pas lu votre texte. Le paragraphe 2 de l'article 88 porte : « Elles pourront apporter des modifications à leurs statuts aux mêmes conditions, sans que dans ce cas l'autorisation du gouvernement soit nécessaire, aux mêmes conditions, c'est-à-dire en se soumettant à tous les articles de la loi. »
L'honorable M. de Macar vous a fait une question sur la portée de cette disposition en vous faisant remarquer que votre texte n'est pas conforme aux explications du rapport. (Interruption.)
Vous avez répondu à M. de Macar, mais je n'interprète pas le paragraphe 2 dans le sens que vous avez indiqué, et je crois que l'on ne pourra, sans solliciter l'autorisation du gouvernement, introduire dans les statuts quelques-unes seulement des dispositions nouvelles. L'honorable ministre ayant déclaré que l'autorisation serait accordée, même s'il s'agissait de modifier une seule clause des anciens statuts, M. de Macar a annoncé qu'il ne ferait pas de proposition. Pour moi, messieurs, je considère la déclaration de l'honorable M. Bara comme insuffisante. J'appréhende, de la part du gouvernement, un refus d'autoriser la suppression des clauses des contrats actuels qui refusent aux forts capitalistes, aux actionnaires qui ont engagé des sommes considérables dans les entreprises industrielles, une influence proportionnée à leur intérêt.
Frappés par vos dispositions pénales, ils seront alors dans l'impossibilité de répartir leurs titres et d'échapper à l'application d'une restriction qu'ils ont dû subir, que rien ne légitime et que le gouvernement condamne maintenant.
La rétroactivité qu'on veut établir est contraire à tous les principes du droit ; elle est injuste et préjudiciable à l'industrie et au commerce. Je ne puis trop déplorer la réponse que l'honorable M. Bara a faite à l'honorable M. Orts.
M. de Macarµ. - Je crois qu'il serait assez facile de concilier les deux opinions. Nous avons une série de dispositions comminées par l'article et qui se rapportent uniquement au nouveau régime sous lequel les sociétés anonymes vont être mises ; pour celles-là, je crois qu’il ne faudrait pas les appliquer aux sociétés existantes, ce serait de la rétroactivité ; mais il en est d'autres où il s'agit d'escroqueries qui évidemment ne peuvent être commises impunément dans aucun cas. Sur ce dernier point, nous serons facilement d'accord. Il faut les réprimer.
Il faudrait donc comprendre la rétroactivité dans ce sens ; les dispositions pénales atteindraient exclusivement les faits dont il s'agit à l'article que je viens de rappeler ; elles n'atteindraient pas ceux dont il est question à l'article suivant.
Il est évident que le nouveau code modifiait sous lesquelles les conditions sous lesquelles les sociétés anonymes existent actuellement ; on ne peut pas atteindre les faits et gestes qui se passent sous ce régime comme on pourra le faire sous l'empire de la loi que nous votons en ce moment. Je crois que c'est dans ce sens qu'il faut admettre les dispositions comminant des pénalités. C’est une solution juste et modérée.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne vois, pour ma part, aucune espèce d'inconvénient à forcer les sociétés actuelles à s'en référer au principe admis par la présente loi en ce qui concerne le vote dans les assemblées et à ce que les administrateurs ne votent pas seul. Je crois même qu'on pourrait sérieusement prétendre que ce ne sont pas là des sociétés anonymes, mais que ce sont des particuliers qui gèrent leur fortune. Car, en ces sociétés où les administrateurs ont la majorité des voix, ce sont deux ou trois administrateurs qui gèrent leurs affaires et qui échappent à la responsabilité ordinaire, alors que les petits capitaux, qui devraient jouir des bénéfices de l'anonymat, n'existent pas. Ce sont des administrateurs qui n'ont pas le contrôle des assemblées générales ; il n'y a pas là de véritables sociétés anonymes.
Si vous prétendez que l'on peut faire des sociétés en commandite ou des sociétés anonymes dans lesquelles deux administrateurs gérants seront propriétaires de la plus grande partie des actions, je demande ce qu'est votre assemblée générale ? Il n'y en a plus ; c'est une véritable mystification, une véritable duperie.
Vous n'avez qu'à modifier votre société.
M. de Rossiusµ. - Prenez-vous l'engagement d'autoriser ce changement ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il est évident que nous prenons cet engagement. Ces changements seraient conformes la loi que nous venons de voter, comment pourrions-nous refuser de les approuver ?
Je parle ici de l'article 84. Quant aux articles 85 et 86, on ne pourra pas dire que ce ne sont pas des dispositions de droit pénal commun. Il s'agit là de véritables escroqueries. Il s'agit de gens qui, à l'aide de faux bilans ou de prétendus versements effectués, ont tenté d'extorquer tout ou partie de la fortune d'autrui.
Je crois, messieurs, que si nous voulons faire quelque chose de sérieux, il faut faire la police, non seulement des sociétés de l'avenir, mais. aussi des sociétés actuelles. Ces dernières vivront encore très longtemps ; elles demanderont des prorogations. Si nous ne les soumettons pas aux dispositions de la loi nouvelle, nous n'aurons rien fait.
- L'article 88 et mis aux voix et adopté.
M. le président. - Nous ne pouvons fixer aujourd'hui le jour du second vote ; il y a des articles renvoyés à la commission.
Je demande à la Chambre d'arrêter son ordre du jour pour la séance de demain.
Nous avons parmi les objets à l'ordre du jour d'autres titres du de commerce.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les rapports sur les autres titres du code de commerce portés à l'ordre du jour viennent d'être distribués. Il faut quelque temps pour les examiner.
- Un membre. - Et les sociétés coopératives ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les dispositions. relatives sociétés coopératives ont été renvoyées à l'examen de la commission et celle-ci ne se réunit qu'après-demain. Il sera donc impossible d'avoir le rapport cette semaine.
M. le président. - Conviendrait-il à la Chambre de mettre à l'ordre du jour de demain les dommages-intérêts et visites domiciliaires en matière de presse ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C’est une loi extrêmement importante.
M. le président. - Il y a ensuite les modifications à la loi du 25 janvier 1817 sur le dépôt en matière de propriété littéraire. (Adhésion.)
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est un simple vote.
M. le président. - La composition du cens provincial et du cens communal.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois que la Chambre ne voudra discuter cet objet qu'après la discussion, par le Sénat, du projet de réforme électorale.
M. le président. - Vient alors : Limite de l'esplanade de la citadelle du Nord à Anvers et modifications aux dispositions sur les servitudes militaires.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il est évident que si l'on ne veut pas discuter, à propos de cette loi, les questions soulevées par le projet de loi sur lequel M. Jacobs a fait rapport, la discussion ne pourra pas être longue ; mais il est impossible de s'occuper demain du rapport de M. Jacobs.
(page 527) M. le président. - Ainsi, nous porterons encore l'ordre du jour de demain l'objet que je viens d’indiquer. (Adhésion.)
M. de Macarµ. - Messieurs, le rapport est fait depuis deux ans, je crois, sur le projet de loi portant suppression des jeux de Spa. Pourquoi ne discuterions-nous pas ce projet ?
Il est d'autant plus urgent de le faire que la convention faite avec la société des jeux prévoit la suppression de ces jeux dans un avenir prochain et oblige la société à certains sacrifices sur les bénéfices à faire pendant la saison de jeux qui va commencer.
Je crois qu'il Importe de discuter ce projet dans la présente session.
M. Vander Maesenµ. - La question de la suppression des jeux intéresse au plus haut point la ville de Spa. Or, depuis un certain temps l'administration de la ville de Spa a été remplacée et il importe que la nouvelle administration ait le temps d'examiner cette affaire.
Je demande donc que le projet concernant la suppression des jeux de Spa soit mis à la fin de l'ordre du Jour.
M. de Macarµ. - Il faut cependant que ce projet soit discuté dans la session actuelle.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mon honorable collègue de l'intérieur est au Sénat et Je ne sais pas s'il n'aura pas d'objection à faire contre mise à l'ordre du jour de ce projet. Je demande que la question soit réservée.
M. le président. - L'ordre du jour sera fixé de la manière suivante :
Limite de l'esplanade de la citadelle du Nord à Anvers et modifications aux dispositions sur les servitudes militaires.
Réunion de la commune de Bolland au canton judiciaire de Herve.
Délimitation des deux cantons de Justice de paix d'Anvers (n°92).
Rapport de pétitions.
Feuilletons de naturalisation.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Et le projet de loi sur la propriété littéraire.
M. le président. - Ce projet de loi figurera également à l'ordre du jour.
MtpJµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi autorisant le gouvernement à concéder à la société anonyme des chemins de fer des bassins houillers du Hainaut une voie ferrée de Dour à Quiévrain et deux embranchements destinés à raccorder entre eux les chemins de fer industriels dits du Haut- et du Bas-Flénu et de Saint-Ghislain.
- Renvoi aux sections.
La séance est levée cinq heures.