(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 1288) M. Maertens procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
- La séance est ouverte.
M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Maertens présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Les bourgmestre et échevins des conseillers communaux et des électeurs à Wodecq demandent que, pour les élections aux chambres, il y ait un bureau électoral dans chaque commune, et que le bureau principal soit maintenu au chef-lieu de l'arrondissement. »
- Renvoi à la commission des pétitions du mois de mars.
« Un echevin, des conseillers communaux et des électeurs à Couvin demandent qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale. »
- Même disposition.
« Le capitaine Pellabon demande que les hommes qui ont pris part aux événements de 1850 et qui sont entrés dans l'armée à un âge avancé puissent obtenir une pension capable d'assurer leur existence. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les habitants de Bruly, hameau de Pesche, et le conseil communal de Pesche demandent que ce hameau soit érigé en vicariat ou chapellenie. »
- Même disposition.
« L'administration communale de Diest prie la chambre d'accorder à la société Lebon la concession d'un chemin de fer de Jemeppe à Diest. »
- Même disposition.
« Le conseil communal de Saint Gery déclare adhérer à la pétition du conseil communal de Jodoigne relative à la construction d'un chemin de fer de Jemeppe à Diest, avec embranchement de Gembloux à Fleurus. »
- Même disposition.
« Plusieurs négociants, distillateurs et autres habitants de Hasselt prient la chacibre d'accorder au sieur Benard la concession d'un chemin de fer de Hasselt à Ans par Tongres. »
- Même disposition.
« Des habitants de Maeseyck prient la chambre d'accorder au sieur Maréchal la concession d'un chemin de fer dit de la Grande Jonction. »
- Même disposition.
« Le conseil communal de Tongres prie la chambre d'imposer à la compagnie Mackensie l'obligation de construire un embranchement du chemin de fer de Bilsen à Ans par Tongres, ou de modifier la concession demandée par le sieur Benard, en faisant diriger son tracé d'Ans à Tongres sur Bilsen. »
M. Julliot. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« M. le ministre de la justice renvoie, avec les renseignements y relatifs, les demandes en grande naturalisation, formées par les sieurs Hennequin, de Villermont, de Grenus, consul général de Belgique en Suisse, et Fuchs, président de la chambre de commerce d’Anvers. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Le sieur Van Iseghem, préfet des études au collège d'Alost, fait hommage à la chambre d'un exemplaire de la biographie de Thierry Maertens. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. T’Kint de Nayer demande un congé ; il exprime en même temps le regret d'être dans l'impossibilité d'assister à la discussion de la loi sur l'organisation de l'armée.
- Le congé est accordé.
La discussion générale continue.
M. le président. - La parole est à M. le ministre de la guerre.
M. le ministre de la guerre (M. Anoul). - Messieurs, la section centrale chargée de vous présenter un rapport sur le projet de loi relatif à l’organisation de l’armée, à conclu au rejet de toutes les propositions du gouvernement, et propose (par trois voix contre une et trois abstentions) le maintien pur et simple de la loi de 1845 ; sauf à fournir annuellement au gouvernement, par le vote du budget, les moyens de donner à l’armée la « consistance » que les événements pourraient réclamer.
Cette décision est le résultat d'une discussion longue et approfondie, à la suite de laquelle la section centrale a pris les résolutions suivantes.
Première question :
Les cadres de l'armée permanente, sur pied de paix, seront-ils organisés pour 100,000 hommes ? Cinq voix répondent non et deux oui.
Deuxième question :
Les cadres de l'armée permanente, sur pied de paix, seront-ils organisés pour 80,000 hainmes ? Quatre voix répondent oui ; trois abstentions.
Troisième question :
Enfin, sur la question de savoir si la garde civique sera appelée à jouer, comme auxiliaire, dans l'armée active, le rôle que lui avaient assigné les précédentes organisations, il est répondu affirmativement par cinq voix ; deux abstentions.
C'est donc non seulement le maintien pur et simple de l'organisation de 1845, mais aussi celui de l'établissement militaire du pays, considéré au point de vue général, tel qu'il a été arrêté à cette époque.
Avant de discuter les divers arguments qui paraissent avoir guidé les membres de la majorité dans leurs votes hostiles au projet du gouvernement, je me permettrai deux remarques au sujet des décisions qui précèdent.
Je dirai d'abord que je ne comprends pas bien ce que l'honorable rapporteur entend par cette phrase « le maintien pur et simple de la loi de 1845, sauf à fournir annuellement les moyens de donner à l'armée à la consistance que les événements pourraient réclamer. »
S'il est ici question des effectifs des corps, du plus eu moins grand nombre de soldats à maintenir sous les drapeaux, je conçois cette théorie ; mais je ne la concevrais pas, si, par le mot « consistance », la section centrale entendait une extension de cadres quelque faible qu'elle pût être, comme, par exemple, la création des cadres de la réserve, pour porter l'armée de 65,000 à 80,000 hommes ; car ce serait là une violation de la loi de 1848 dont eile demande néanmoins le maintien.
Je ne puis donc penser que la section centrale ait fait ici allusion aux cadres. Aussi ne puis-je m'expliquer le maintien pur et simple de la loi de 1815, en présenc du second vote émis par elle, à savoir que les cadres de l'armée permanente, sur pied de paix, seront organisés pour 80 mille hommes ; car la loi de 1845 ne satisfait pas à cette condition.
L'honorable général qui a présenté cette loi n'a jamais caché cette circonstance. Il l'a exprimée de la manière la plus formelle dans l'exposé des motifs qui accompagnait le projet, et personne à ce sujet ne peut arguer d'ignorance.
Les cadres des bataillons de réserve restaient à former. J'ai expliqué cette particularité et les motifs qui, en 1845, légitimaient cet état de choses, dans une note que l'honorable rapporteur de la section centrale a jointe à son rapport (page 14).
Aujourd'hui l'état complet d'instruction de nos classes nécessite une modification à l'état de nos cadres de réserve, alors même que les augmentations survenues depuis cinq années dans l'état des cadres de toutes les arméi-3 de l'Europe n'en feraient pas au gouvernement un devoir.
J'ai donc raison de dire que la conclusion finale de la section centrale n'est pas d'accord avec ses votes pour l'organisation de l'armée.
Cela posé, passons aux objections élevées contre le projet du gouvernement ; elles sont de diverses sortes :
On dit d'abord : « Mieux vaut une armée de 80,000 hommes bien organisée, qu'une de 100,000, avec une mauvaise organisation. Une armée de 80,000 hommes bien organisée, bien payée, vaut mieux qu'une mauvaise armée de 100,000 hommes.
Ces sentences sont justes, mais n'ont pas d'application ici. La loi de 1853 est calquée sur ceile de 1845. La commission mixte et le gouvernement ont maintenu cette organisation dans sa partie capitale, à savoir : la force, la formation et les cadres de l'armée active. Là, rien de changé, tout a été intégralement maintenu. En votant la loi de 1853, on votera donc les principes de la loi de 1845 ; elle n'en diffère essentiellement qu'en ceci : l'organisation de 1845 reportait au moment de la guerre la formation des cadres de la réserve ; tandis que celle de 1853 en demande la formation immédiate. Ce n'est pas le renversement, mais la régularisation, l'amélioration du système de 1845.
Je puis donc repousser les expressions de mauvaise organisation, mauvaise armée, et je pourrais plutôt les appliquer aux 80,000 hommes de la section centrale, puisqu'elle n'organise pas la réserve.
On ajoutait :
« Jusqu'ici on a été d'avis que le chiffre de 80,000 hommes était suffisant. »
Dans la dernière séance, la chambre a acquis la preuve du contraire.
En tout temps, on a considéré le chiffre de 100,000 hommes comme le minimum des forces nécessaires a la défense du pays ; seulement (page 1289) depuis 1841 et sous la pression des idées d'économie qui régnaient à cette époque, on avait fait entrer dans ce chiffre, comme élément, 20,000 à 30,000 hommes de garde civique mobilisée, destinés à l'année des places.
Je constate donc que depuis la paix, ministres, commission des généraux, comité de défense, commission mixte de l'établissement militaire, n'ont jamais varié à ce sujet.
D'après tous, on estimait à 50,000 hommes la force destinée à la défense des places, et il restait en conséquence 50,000 hommes pour la campagne.
Ce qui distingue l'organisation de 1853 de celle de 1845, c'est que la garde civique mobilisée n'y est plus considérée comme pouvant, en temps de guerre, remplacer une partie de la réserve. La commission mixte a rejeté cette combinaison et elle a décidé qu'il y avait lieu de chercher un autre système de réserve, qui puisse être un auxiliaire efficace à l'armée. Le gouvernement s'est rallie à cette décision.
Je me suis expliqué à cet égard dans la note qui est jointe au rapport fait au nom de la section centrale, par l'honorable M. Manilius (page 8).
Des membres de la section centrale ont attaqué le système de la réserve en lui-même. Ils disent : « Un chiffre (d'armée) moins élevé est préférable pour qu'on n'ait pas de réserves illusoires. La réserve ne répond pas à ce qu'on doit attendre d'une armée bien organisée.
« Avec 100,000 hommes, vous avez une réserve sans consistance. »
Après ces assertions, il semblerait que les membres qui les ont énoncées vont présenter pour l'armée de 80,000 hommes votée par la section centrale, une réserve fortement constituée : il n'en est rien. Là encore, la décision prise est en contradiction avec les prémisses ; elle n'organise rien ; elle conserve le système de 1845. Or, je le répète, depuis la présentation de cette loi et la publication de l'exposé des motifs qui l'accompagne, tous ceux qui se sont occupés de notre établissement militaire savent que cette partie si importante de notre organisation restait à former an moment de la guerre.
La section centrale renverse donc ce que le gouvernement propose, mais elle n'édifie rien.
La réserve, telle que le gouvernement la demande, présente toutes les garanties que l'on est en droit d'exiger d'une semblable institution, dont le rôle, en Belgique, est tout spécial.
Si l'on conservait aux cadres de réserve, en temps de paix profonde, le complet du temps de guerre, ce serait entraîner l’Etat dans les dépenses qui rien ne justifierait. On les a limités à ce qui est nécessaire pour encadrer les classes rappelées chaque année, surveiller les contrôles et les magasins, et faire le service qui incombera dans les forteresses aux officiers et sous-officiers de cette partie de l’armée.
Ils suffisent encore pour assurer le rassemblement de toutes les classes de la réserve, en cas de rappel général jusqu'à ce qu'il ait été pourvu, par le département de la guerre, à leur complètement.
Pour rendre les réserves susceptibles d'entrer en action, il n'y aura pas à nommer de sous-officiers ; ils seront en congé avec les soldats, et il suffira d'adjoindre à chaque compagnie un troisième officier, en tout : 128, qu'on trouvera aisément parmi les officiers des corps peu propres à faire la campagne, les officiers en non-activité, ou par nominations parmi les anciens sous-officiers. Ce supplément peut être créé en aussi peu de temps qu'il en faudrait pour réunir les classes.
Pour combattre le chiffre de 100,000 hommes, on ajoute encore :
« Si le chiffre de 100,000 hommes était adopté, il faudrait, en cas de guerre, recourir à beaucoup de nominations d'officiers, la loi projetée étant insuffisante pour l'encadrement des réserves, dans l'éventualité d'une force numérique portée à 100,000 hommes. »
Ici encore l'observation est en contradiction avec les décisions de la section centrale. Pour porter au pied de guerre l'armée de 80,000 hommes organisée d'après la loi de 1842, il faut créer autant d'officiers que pour porter l'armée, organisée d'après le système de 1853, à 100,000 tiommcs.
Ce nombre serait, dans le premier cas, de 770, et dans le second, de 709. Cela provient de ce que la loi d'organisation de 1845 n'a pas de réserves constituées, et que pour porter l'armée à 80,000 hommes, en adoptant le système de la commission mixte, il y aurait à nommer, en adoptant le système de la commission mixte, il y aurait à nommer, en temps de paix, 155 officiers.
Telles sont, MM. les représentants, les objections principales que le rapport de la section centrale articule contre le projet du gouvernement. J'ose dire qu'elles ne l'ont pas ébranlé. J'ose répéter qu'il y a contradiction flagrante entre les votes émis et les conclusions de la commission.
J'espère donc que la chambre n'adoptera pas ce qu'on lui propose. Je la prie de remarquer qu'un des besoins les plus urgents, c'est l'organisation des cadres de notre réserve. Si l'on néglige ce soin, il deviendra peut-être impossible d'assurer par elle la garde et la défense de nos places fortes, et nous serions forcés, en cas de danger, d'y laisser les bataillons destinés à tenir la campagne. Nous aurions à notre disposition de nombreux soldats instruits, formés, sans pouvoir les faire agir, faute d'une direction préparée à l'avance.
La réserve est le pivot de notre organisation. Sans elle, point de mobilisation. Ne point l'organiser, c'est maintenir une situation mauvaise dont je ne veux encourir la responsabilité à aucun prix ; ce serait paralyser nos forces vives et rendre infructueuses les dépenses que le pays a consacrées, depuis longues années, à son établissement militaire.
Je ne terminerai pas sans rencontrer ce que l'honorable M. Ernest Vandonpeereboom a dit dans la dernière séance, relativement à la composition de la commission mixte. Il s'étonne de n'y trouver aocun officier pensionné.
Il y a, parmi les officiers pensionnés, des hommes d'un grand mérite sans doute, mais dès qu'il s'agissait de forger, pour ainsi dire, l'épée du pays, il était rationnel d'y employer ceux qui, en temps de guerre, doivent la manier. Ce qui semble préoccuper l'honorable membre, c'est la crainte que l'autorité des chefs n'ait influé sur les décisions des subordonnés, et, en effet, il s'exprime ainsi :
« Mais il est évident que du moment que vous mettiez dans la commission des généraux de brigade et leurs colonels à côté d'eux, avec le pouvoir d'agrandir l'organisation actuelle de l'armée, vous deviez nécessairement arriver à des proportions plus grandes. »
L'honorable représentant a dit qu'il a lu avec attention les procès-verbaux de la commission, et que son intention était de les relire encore.
Je l'engage alors à examiner le résultat des votes, et il verra que leur répartition révèle la plus complète indépendance de la part des inférieurs. Si, dans le service, l'officier obéit passivement aux ordres de ses chefs, s'il se soumet avec respect et sans observations aux instructions qu'il en reçoit, il n'en est pas un seul qui ait d'autre guide que sa conscience, lorsqu'il s'agit de donner son avis sur une question que le gouvernement lui pose.
Les divergences d'opinions qui se sont révélées dans le sein de la commission, je les avais prévues, je les avais même provoquées. Divers systèmes au sujet de notre défense nationale avaient été énoncés à différentes époques ; j'ai voulu les mettre en présence et les livrer en quelque sorte à l'apprécation d'un jury composé de membres des deux chambres, choisis dans les diverses opinions qui s'étaient fait jour au sujet de notre établissement militaire.
J'espère que la chambre ne conservera aucun doute sur l'impartialité qui a présidé au choix des membres de la commission, et qu'elle aura foi dans la sincérité de leurs votes.
M. Manilius, rapporteur (pour une motion d'ordre). - Messieurs, je demanderai la permission à la chambre de dire immédiatement quelques mots, en réponse à l'interpellation directe que M. le ministre de la guerre m'a faite, pour connaître la tendance des conclusions du rapport de la section centrale.
M. le président. - M. Manilius demande qu'on intervertisse en sa faveur l'ordre des inscriptions ; il n'est pas dans les usages de la chambre d'entendre les rapporteurs, quand ils le demandent, et le règlement porte que la parole est accordée suivant l'ordre des inscriptions. Je consulte la chambre sur la motion d'ordre.
- La chambre décide que M. Manilius sera entendu immédiatement.
M. Manilius, rapporteur. - Messieurs, il m'a paru utile, dans l'intérêt même de la discussion, de répondre immédiatement à l'interpellation judicieuse de M. le ministre de la guerre.
M. le ministre paraît ne pas avoir bien compris les conclusions de ta section centrale ; il importe donc que j'explique, autant qu'il est en mon pouvoir, quelle est la tendance de ces conclusions.
M. le ministre de la guerre demande si, en nous prononçant pour le maintien de la loi de 1845, nous entendons parler des cadres ou de la consistance ; si nous voulons maintenir 80,000 ou 63,000 hommes.
Voici, messieurs, ce qui s'est passé dans la section centrale :
Ainsi que l’a expliqué M. le ministre de la guerre, des questions de principe ont été posées ; la question de principe relative aux 100,000 hommes a été résolue négativement ; vous avez entendu comment les autres questions de principe ont été résolues. Il en est résulté qu'il fallait s'arrêter aux questions qui avaient été résolues affirmativement. Ainsi, pour celle qui se rapporte aux 80,000 hommes, on a demandé au gouvernement quelle était la décomposition de l'armée. Un tableau nous a été fourni : il nous a fait voir quelle était la nature des hommes qui composaient l'armée pour les cadres de 80,000 hommes. Nous avons trouvé ce tableau assez remarquable, et nous avons été frappés d'étonnement d'un fait, ce tableau, œuvre du gouvernement et non pas de la section centrale, vous prouve à l'évidence que l'armée était composée de huit classes de miliciens et de 13,211 volontaires, ce qui constitue un effectif de 84,746 hommes. C'est incontestable, car les chiffres ne mentent pas.
Je n'entrerai pas maintenant dans les considérations que je me propose de présenter lorsque mon tour de parole viendra ; mais je dois dire en passant qu'on a toujours maintenu que les 80,000 hommes existaient et pouvaient être encadrés ; ce n'est qu'au dernier moment qu'on a produit un tableau faisant valoir les dépenses en plus ou en moins, qu'on a avancé qu'on ne pouvait encadrer que 63,000 hommes.
C'est impossible. Il y a 84,000 hommes. Vous ne demandez que deux classes de plus ; ce sont les deux classes qui ont servi, elles comportent 13,000 hommes, l'une de 7,080, l'autre de 6,797. Cela fait donc 13,000 à 14,000 hommes de plus que vous n'avez eu jusqu'à présent. Quand nous vous demandons combien vous aurez d'hommes avec dix classes, vous expliquez comme quoi vous aurez 98,000 hommes.
Je suis au regret d'avoir dû entrer dans ces détails. Si je n'avais pas été interpellé, je n'en aurais pas fait mention, car la section centrale ayant été conduiie par conciliation à maintenir l'etat de choses, n'a voulu qu'une chose : que l'armée eût la plus grande consistance ; à cet effet elle s'est ralliée à l'idée d'une augmentation de dépense pour permettre de conserver les soldats plus longtemps sous les armes, parce que, (page 1290) comme disait M. le ministre de la guerre, l'épée est forgée en temps de paix jour servir en temps de guerre, il faut donc forger la baïonnette en temps de paix pour servir en temps de guerre.
La section centrale a su ce qu'elle voulait en prenant ses conclusions ; elle a voulu éviter de mettre le désordre dans notre système de défense. Le gouvernement voulait une résolution prompte. On a dit : Nous secondons vos vues ; nous maintenons l'armée comme état permanent au chiffre de 80,000 hommes, et nous vous promettons que le lendemain, s'il est jugé nécessaire, nous voterons votre budget de 32 millions, nous vous donnerons vos 100,000 hommes par une loi de contingent et l'autorisation de nommer vos officiers. Toute la responsabilité pèse sur vous, aussi nous voulons vous accorder ce que vous demandez. Vous êtes responsables de la tranquillité intérieure et de la sécurité du territoire. Nous avons compris tout cela, c'est parce que nous l'avons compris que nous vous avons donné tout cela : seulement nous ne vous le donnons pas d'une manière permanente, nous avons dit qu'une loi permanente des cadres n'arrêterait pas l'ennemi d'un seul pas. Vous aurez beau lui opposer votre loi d'organisation, il marchera sur vous. Il faut autre chose que cela, il faut de la matière valide, jeune et active.
Messieurs, je voulais être court comme je l'ai promis, mais j'ai encore besoin de m'expliquer sur un point qui vient d'être de nouveau soulevé.
M. le ministre a parlé, tout le monde a cité les quelques mots que j'ai dit, relativement à l'institution du corps de réserve de garde civique formé du premier ban.
Eh bien, je suis charmé d'avoir l'occasion de résoudre complètement cette question à l'instant même.
Dans la séance du 17 décembre 1851 de la commission mixte, il s'agissait seulement de décider la question de savoir quelle serait la réserve à la suite d'une armée permanente de 60,000 hommes, qu'on venait de voter. Le débat s'ouvrait après ce vote, et l'on se demandait comment l'on formerait cette réserve.
Il fallait 60 mille hommes pour l'armée en campagne et 40 mille hommes de réserve pour la garde des places.
Nous venions, après le 2 décembre, de prendre un congé de 10 à 15 jours. Nous revenions un peu plus rassurés qu'auparavant. On ne parlait alors que de combats, de guerre, d'invasion immédiate. Nous devions être envahis en 24 heures. Il fallait se presser ; il fallait prendre des mesures que je n'oserais énumérer, et qui fussent de nature à demander ni une organisation trop longue, ni une loi qui organisât le premier ban de la garde civique mobile.
Messieurs, il faut en peu éclaircir cette question, car jusqu'ici, chaque fois qu'on a parlé de la garde civique, j'ai remarqué, que dans cette chambre, on est tombé dans la plus grande confusion, chaque fois qu'on en a parlé au point de vue de s'en servir comme d'auxiliaire à l'armée. La garde civique, disait-on, n'a pas de consistance ; les hommes ne peuvent se déplacer ; la garde n'est organisée que dans 40 communes, elle ne peut jamais servir d'auxiliaire à l'armée.
Je réponds que cela est vrai, qu'on a raison, que la garde civique, telle qu'elle est organisée par la loi du 8 mai 1848, n'est pas destinée à servir d'auxiliaire à l'armée.
Dans cette loi, il ne s’agit que d'une garde civique urbaine, d'une garde civique de gens qui possèdent, qui ont intérêt à défendre ce qu'ils possèdent. Or qu'avez-vous fait, il y a huit jours ? Vous avez maintenu dans la garde civique les hommes de 40 à 50 ans, et vous avez eu raison ; mais quand vous avez pris cette décision, vous n'entendez pas organiser une garde civique qui eût servir d'auxiliaire à l'armée. Vous avez compris qu'elle n'avait en aucune façon cette destination.
Nous avions donc raison, lorsque dans la séance de la commission mixte du 17 décembre 1851, nous disions que la garde civique ne pouvait venir en aide soit à l'armée en campagne, soit à l'autre partie de l'armée qui doit occuper nos forteresses.
J'insiste là-dessus ; je maintiens ce que je disais en 1851. C'est en vain que l'on veut m'opposer une contradiction. On me dit ; Nous voici arrivés à 1853, vous votez une armée de 60,000 hommes et 20,000 de réserve. Nous vous en avons demandé 40,000. C'est une légère erreur. On ne vous enlève que les dernières classes fermant ensemble 13,000 hommes.
Nous avons voulu que lorsque vous aurez besoin de plus de 80,000 hommes, vous pussiez recourir à une seconde réserve, seconde réserve qui ne devait pas être la garde civique existante, mais une garde civique qui doit être créée comme vous créez votre réserve, comme vous créerez les bataillons que vous voulez organiser ; non cette garde civique existant dans 40 communes, qui ont des hommes armés pour garantir la sécurité urbaine, mais une garde civique prise dans tout le pays et organisée en premier ban.
Car j'espère que celui qui mettra ce projet à exécution, projet prévu dans la loi du 8 mai 1845, ne se bornera pas à comprendre dans cette garde civique les hommes des quarante communes qui ont aujourd'hui une force urbaine organisée, mais qu'il prendra, sous le nom de garde civique mobile, dans tout le pays, les jeunes gens de 20 à 30 ou 35 ans. En 1831, on a aussi mobilisé la garde civique ; mais alors on l'a fait dans le trouble et le désordre, on a pris les jeunes gens des villes qui avaient ces hommes armés pour leur securité, et l'on a commis une grave injustice que l'on a excusée par le motif que l'on avait de se défendre contre une attaque imprévue.
Eh bien, nous avons donc dit, le 17 décembre 1851, que ce n'était pas le moment d'appeler activement les gardes civiques sédentaires, que vous n'aviez pas le temps d'établir l'organisation de la garde mobile ; et alors nous avons conseillé, comme nous conseillerions encore en cas de péril, de prendre les hommes dont les baïonnettes ont été forgées en temps de paix, qui ont appris l'art de combattre, qui ont appris la discipline et qui peuvent former instantanément une armée capable de résister à un envahissement. Voilà ce que j'ai voulu, parce que j'étais poussé alors comme aujourd'hui par le sentiment de la dignité nationale et de l'importance du serment que nous avons tous fait en entrant ici.
M. Renard, commissaire du Roi. - Je demande à la chambre la permission de donner quelques explications au sujet des observations de l'honorable M. Manilius.
L'honorable membre n'a pas, je pense, bien compris l'observation de M. le ministre de la guerre. M. le ministre de la guerre a demandé si par « consistance » l'honorable rapporteur entendait parler de l'augmentation des effectifs des corps ou bien de la formation des cadres.
Le tableau qui a été remis à l'honorable M. Manilius et qui se trouve imprimé à la suite de son rapport, donne 84,000 hommes disponibles pour l'armée ; mais les cadres de 1845 ne peuvent en encadrer que 63,000. Ce que le gouvernement demande, c'est si par les mots « consistance à donner tous les ans à l'armée éventuellement, selon les circonstances », l'honorable M. Manilius entend la création des cadres qui manquent.
L'honorable rapporteur dit encore : Quand viendra le moment de discuter votre budget, nous vous accorderons les 32,190,000 fr. que vous demandez, Mais ces 32,100,000 fr. comprennent non seulement les augmentations d'effectifs, ils comprennent aussi une extension des cadres.
Or, la loi de 1845 limite, en temps de paix, les pouvoirs du gouvernement ; il ne peut augmenter le nombre des officiers de l'armée aussi longtemps que cette loi existera. C'est parce que nous avons les 84,000 hommes et que nous ne pouvons les encadrer avec la loi de 1845, que le gouvernement demande à la compléter.
Il y a donc contradiction, comme l'a dit M. le ministre de la guerre, entre les 80,000 hommes votés par la section centrale et le maintien de cadres seulement pour 63,000 hommes.
La deuxième observation que j'aurai l'honneur de présenter...
M. Manilius. - Quant a la consistance de l'armée, nous la croyons renforcée par un terme plus long des recrues présentes sous les armes.
M. Renard, commissaire du Roi. - Si je comprends bien M. Manilius, il conserve la loi de 1845 et par « consistance » il entend seulement parler de l'augmentation de l'effectif.
M. Manilius. - Oui, présent sous les armes.
M. Renard, commissaire du Roi. - Ainsi il est constaté que vous ne donnez pas au gouvernement la faculté d'augmenter le nombre d'officiers, et, en effet, vous ne le pouvez pas aussi longtemps que la loi de 1845 existe ; la réserve reste donc sans organisation.
L'honorable M. Manilius parle de la garde civique. Il dit : « Lorsque j'ai fait mention de la garde civique, lorsque j'ai dit qu'elle ne pouvait pas servir de réserve à l'armee, j'ai entendu parler de la garde civique actuelle, mais je n'ai pas entendu parler de la garde civique que l'on pourrait créer ; d'un premier ban qu'on lèverait non seulement dans quelques villes, mais dans tout le pays. Une telle garde civique pourrait former une excellente réserve de l'armée. »
La section centrale diffère du gouvernement en ceci : elle ne veut donner les cadres de la réserve qu'au moment de la guerre, tandis que le gouvernement désire les créer en temps de paix.
Avant de juger l'organisation du premier ban dont parle M. Manilius, il importait que cette création prît un corps.
Le gouvernement ne peut pas faire face aux événements avec des nuages, avec des mots ; cette garde civique, où est-elle ? Une garde civique destinée à servir de réserve à l'armée, doit être, non pas une force communale, mais une force générale ; il faut la lever dans tout le pays, comme nous levons l'armée ; il faut que les gardes soient instruits dans leurs foyers.
Eh bien, je le demande, si la garde civique était organisée de cette façon, n'exigerait-eile pas une dépense considérable ? Vous seriez obligés d'avoir des officiers ou des sous-officiers instructeurs dans tous les villages.
En 1832 le gouvernement pouvait disposer de 20,000 hommes de gardes civiques, dont une partie n'avait pas été appelée sous les armes. On s'était donné beaucoup de peine pour instruire la partie mobilisée. Les bataillons avaient vécu avec nous sous les yeux de nos chefs. Après une année, ils manœuvraient bien, ils étaient fort beaux en apparence, quoique les généraux eussent eu plusieurs fois l'occasion de signaler les germes d'indiscipline qu'ils renfermaient dans leur sein par suite du mode d'élection des ofhciers. Toutefois, le gouvernement, dans la prévision de la mobilisation de la partie restée disponible, vint demander à la législature l'autorisation de faire instruire les gardes civiques dans leurs foyers, et de nommer des instructeurs.
La chambre a reculé devant les obligations qu'il fallait leur imposer pour les rendre capables de servir. Le gouvernement alors est venu demander autre chose : il a proposé de donner à la garde civique mobilisée une autre direction, et la faculté de la pourvoir de cadres instruits. Ici encore la chambre a refusé ; elle a signalé l'inconstitutionnalité du projet. Mais reconnaissant hautement les inconvénients et les dangers du mode de réserve en usage, elle prit l'initiative d'une proposition qui doit créer (page 1291) l'armée d'une réserve véritable, puisée dans les classes de milice. Dès que cette réserve put entrer en action, la garde civique fut licenciée.
Ainsi, messieurs, à cette époque on a tout tenté, on a cherché à faire ce que M. Manilius propose ; on avait une garde civique mobilisée ; eh bien, lorsqu'il s'est agi de l'instruire, on a reculé et on a proposé immédiatement ce que le gouvernement propose aujourd'hui, c'est-à-dire de puiser la réserve, non dans la garde civique, mais dans les rangs de l'armée.
Voilà, messieurs, ce qui s'est passé à cette époque et ce qui se passerait encore si les mêmes circonstances se reproduisaient.
M. de Brouwer de Hogendorp. - Heureuse sous sa libre Constitution et sous un Roi sage qui place sa gloire dans la prospérité du pays, la Belgique, autant et plus qu'aucun autre peuple, désire le maintien de la paix. La Belgique ne rêve aucune conquête et ne désire rien dans le partage de l'empire d'Orient. On ne saurait l'accuser d'ambition ; mais elle peut être un objet de grande convoitise.
On a dit avec raison que pour la conservation de notre nationalité, notre meilleure garantie est dans les traités et dans la jalousie réciproque des grandes puissances, qui ne verraient pas de sang-froid une d'elles s’emparer d'un si beau joyau. Si nous étions menacés par l'Allemagne, nous compterions sans aucun doute sur les secours de la France ; si la France, s'écartant un jour de cette voie de modération et de désintéressement dans laquelle le fondateur de sa dynastie actuelle a pris à tâche de la maintenir, tournait ses efforts contre nos belles provinces, l'appui des autres puissances continentales et de l'Angleterre ne nous ferait pas défaut.
Mais, messieurs, quelle que soit la bonne volonté à notre égard de la France contre l'Allemagne, de l'Allemagne contre la France, donnons au moins le temps à cette bonne volonté de se produire. Ne nous laissons pas surprendre ! N'oubliez pas, messieurs, que la théorie des faits accomplis est puissante à notre époque. La résurrection de notre nationalité serait plus difficile, soyez-en sûrs, que son maintien. Ne la laissons pas disparaître avant que nos alliés aient pu venir à son secours.
Le discours si clair et si habile de M. le ministre des affaires étrangères et le discours substantiel de M. le ministre de la guerre me dispensent d'entrer dans les détails techniques ; mais je regrette que ni eux, ni M. le rapporteur de la section centrale, ne nous aient fait connaître la force numérique réelle de l'armée en campagne à laquelle sera confiée la garde du drapeau de la Belgique, dans les deux hypothèses d'une armée de 100,000 hommes ou de 80,000 hommes. Si le rapporteur avait fait le relevé des troupes nécessaires à nos trop nombreuses places fortes, et s'il avait pris la peine d'y joindre les hommes aux hôpitaux et toutes les non-valeurs, il aurait acquis la certitude que les 80,000 hommes de l'organisation actuelle ne nous fourniraient pas, pour l'armée en campagne, 30,000 combattants. L'effectif demande par le gouvernement nous en donnera à peine 40,000. Est-ce trop pour la défense de notre nationalité ? Est-ce trop pour la défense de notre honneur ?
Si le gouvernement fait son devoir - l'armée, j'en suis sûr, ne faillira jamais au sien - si le gouvernement fait son devoir, une pareille force donnera à notre existence comme nation un droit supérieur à celui des traités. Bien organisés, bien commandes, établis dans une position bien choisie, 40,000 hommes sauront maintenir le drapeau de la Belgique et donneront à nos alliés le temps de voler à notre secours.
Si nous avions une armée insuffisante, si nous nous laissions surprendre brusquement, si notre drapeau était abattu avant l'arrivée de nos alliés, oh ! messieurs, soyez persuadés que l'Europe ferait bon marché, dans les combinaisons d'avenir, d'un peuple qui n'aurait pas su remplir son devoir. La réunion de la Belgique à un de ses voisins ou le partage de notre chère patrie tirerait sa légitimité de notre faute et de notre honte.
Mon patriotisme s’empresse de repousser la responsabilité effrayante que voudraient faire peser sur nous ceux qui nous conseillent de refuser au gouvernement ce qu'il croit nécessaire à la conservation de la nationalité belge.
Je voterai pour le projet de loi.
M. Thiéfry. - Messieurs, avant d'aborder la discussion du projet de loi soumis à nos délibérations, je répondrai quelques mots à l'honorable comte de Liedekerke qui a dit que la loi d'organisation était une question de défense nationale, et non une question de parti. Je lui dirai que nous n'avons jamais tenu un autre langage, avec cette grande différence, que nous avons joint les actes aux paroles, tandis que l'honorable membre, à propos de toutes les discussions qui concernent l'armée, lance toujours les attaques les plus injustes contre l'ancien cabinet, et il oublie que c'est à ce ministère que l'armée devra d'être plus forte qu'à une époque où lui et la plupart de ses amis défendaient chaudement ce qu'ils trouvent maintenant si mauvais.
L'honorable comte de Liedekerke reproche à la section centrale de n'avoir pas présenté à la chambre un contre-projet ; il ne pense pas qu'il fait ainsi ressortir l'esprit de conciliation qui a animé la majorité de la section centrale ; elle a cru qu'il ne convenait pas que les membres de cette chambre usassent de leur initiative dans une question semblable et que cela devait venir du gouvernement ; la section centrale n'avait donc rien autre chose à faire qu'à proposer le maintien de ce qui existe, sauf à corriger par les budgets les principaux défauts de la loi de 1845, c'est-à-dire la durée de la présence des miliciens sous les drapeaux, et l'augmentation de l'effectif des bataillons et des escadrons.
Si nous eussions présenté un projet à la chambre, l'honorable membre qui, en section centrale, invoquait à chaque instant son incompétence, eût sans doute blâmé notre présomption. Son incompétence, du reste, ressort bien en effet d'une observation qu'il a faite à mon égard : j'ai en vérité peine à comprendre comment un homme d'intelligence comme M. de Liedekerke a pu dire que je n'avais pas de système avouable, que ma réserve était des plus réservée, et que je voulais que l'armée se bornât à occuper les places fortes. Jamais je n'ai donné lieu à une semblable supposition.
Si l'honorable membre s'était rappelé ce que j'ai dit mainte fois dans cette enceinte, s'il avait lu les procès-verbaux de la commission, il saurait que je demande à avoir toute l'infanterie organisée uniformément.
Si M. de Liedekerke ne voit pas que la réserve consiste dans les hommes qui sont en congé illimité, pourquoi a-t-il brigué l'honneur de faire partie de la section centrale ? S'il est incompétent dans des choses aussi simples, que ne cherche-t-il à s'éclairer avant de se prononcer sur l'organisation militaire ? Bien loin de ne pas vouloir d'armée en campagne, j'ai toujours soutenu que 35,000 hommes en campagne était un maximum pour avoir une armée bien constituée.
A entendre l'honorable membre, il semble que si on partageait l'opinion de ceux qui combattent le projet de loi, l'indépendance du pays courrait les plus grands dangers. Eh bien, qu'il me permette de lui dire que plusieurs militaires de haut mérite ne sont pas favorables au projet d'organisation, et que les membres de cette chambre, qui critiquent la loi, ont certainement autant de patriotisme que ceux qui l'appuient. Peut-être même ont-ils plus de courage ; car il faut, pour se mettre au-dessus de mille petits désagréments, qu'on évite en flattant les intérêts privés, et l'amour-propre de ceux qui croient rehausser la Belgique aux yeux de l'Europe, en prétendant qu'elle peut mettre 100,000 hommes sur pied.
Les opposants à la loi en discussion sont unanimes sur deux points : ils trouvent les dépenses trop élevées, et la charge du service militaire trop lourde ; ils sont convaincus que le mécontentement qui en résultera enlèvera au gouvernement l'affection des populations, ils prévoient l'avenir, ils cherchent à éviter de fâcheuses conséquences.
Tous sont encore unanimes pour demander que l'armée soit mieux constituée, et la preuve, c'est qu'ils admettent les mesures qui doivent en augmenter la force. Rappelez-vous, messieurs, qu'il fut un temps où l'on nous faisait passer pour des désorganisateurs de l'armée ; on répandait sur notre compte les bruits les plus calomnieux, on dénaturait nos intentions... Et qu'arrive-t-il aujourd'hui ? On propose d'adopter les grands principes que nous avons défendus avec tant de chaleur, et qui nous ont valu peu de sympathie, pour ne pas dire plus, de tous les ministres de la guerre qui se sont succédé au pouvoir.
La loi d'organisation que nous discutons est le résultat du travail d'une commission à laquelle j'ai eu l'honneur d'appartenir ; son examen m'oblige à faire ressortir les conséquences des grands changements qu'elle apportera, soit que les mesures proposées aient un rapport direct avec l'armée, soit qu'on les envisage au point de vue financier ou des familles.
La commission a décidé la démolition de quelques forteresses, le renforcement des unités de chaque arme, la prolongation du temps à passer sous les drapeaux, l'augmentation de la durée du service des miliciens, et l'obligation d'avoir une armée de 100,000 hommes sur le pied de guerre. Ces résolutions auront pour résultat d'élever le budget de 26,787,000 à 32,190,000.
La démolition de quelques forteresses a été reconnue d'une nécessité absolue, d'abord par toutes les grandes puissances, puis par diverses commissions militaires qui se sont occupées de la défense du pays. Cette décision a été prise en raison du nombre des soldats qu'il faudrait pour défendre toutes les places et de l'impossibilité d'entretenir une armée qui permît, de réunir un effectif assez considérable sur le pied de guerre.
Aux fortifications existantes, on a ajouté le camp retranché d'Anvers, on a donné des développements aux retranchements de la tête de Flandre : Pour compléter le système il sera en outre nécessaire de fortifier le défilé d'Aerschot et d'exécuter quelques ouvrages pour couvrir Malines et protéger la station du chemin de fer. Ces travaux exigeront encore quelques mille hommes de plus pour la conservation des ouvrages permanents ; l'on a augmenté par conséquent es difficultés qui ont motivé la décision des grandes puissances et des commissions spéciales. La nécessité de la démolition de quelques forteresses est devenue par conséquent plus impérieuse que jamais ; aussi le gouvernement l'a-t-il déjà commencée ; seulement, je l'engage, dans l'intérêt du pays et de l'armée, à attaquer cette démolition plus vigoureusement, pour que les places soient entièrement rasées dans un an ou deux.
Le renforcement des unités est une obligation non moins grande que la démolition des places fortes.
Le bataillon est l'unité dans l'infanterie, il est facile de concevoir que s'il n'a nulle consistance, qu'il y ait 40, 50 ou 60 bataillons dans une armée, cette armée sera mauvaise.
Eh bien, messieurs, il n'est pas un seul militaire dans le sein de la commission, comme ailleurs, qui n'ait avoué hautement que l'effectif du bataillon a toujours été insuffisant pour le service et l'instruction de la troupe, et que le renvoi en hiver d'une partie des miliciens est très nuisible à la discipline et à l'esprit de corps. Tous ont déclaré qu'une (page 1292) infanterie dans de semblables conditions était sans force, sans solidité, et pouvait compromettrec l'honneur de l'armée et l'indépendance du pays.
Je l"ai déjà dit dans les sessions précédentes, qmnd on a une organisation militaire qui diffère essentiellement de ce qui se pratique chez les autres puissances, c'est qu'on a admis de faux principes. J'ai compris, au moment même où l'on faisait dans cette enceinte un éloge extraordinairement pompeux de l'organisation de l'armée, que personne n'aurait eu foi alors dans mes paroles ; depuis la vérité s'est fait jour, parce que les militaires ont osé parler.
L'effectif des unités est une chose si importante qu'il est vraiment regrettable que l'on n'ait pas fixé dans la loi le minimum en dessous duquel il ne pourrait descendre.
L'article 3 dit que l'organisation des corps et l'effectif de paix seront réglés par arrêté royal ; or l'expérience a prouvé combien cette disposition donne lieu à des abus graves, quand un ministre est assez faible pour faire des économies aux dépens de la forme de l’armée ; c’est ainsi que l’effectif de l’infanterie a été diminué à tel point que j’ai vu des situations de compagnies où dans des revenues il y avait trois officiers présents et seulement 5 soldats. Tous les militaires ont reconnu que ce manque de soldats étant la véritable cause de la désorganisation de l'armée, il est de toute nécessité, pour empêcher le renouvellement d'un semblable état de choses, d'insérer dans la loi le minimum de l'effectif de chaque unité en temps de paix.
Quant au temps que les miliciens doivent passer sous les drapeaux, constatons encore un fait, c'est qu'au moment même où l'on déclarait à la chambre que les hommes restaient 18 mois sous les armes, une énorme quantité ayant seulement servi 3 et 6 mois étaient déjà en congé illimité ; M. le ministre de la guerre Anoul nous a dit que sur les deux seules classes de 1846 et 1847, il y en avait plus de 9,000.
D'ailleurs, 18 mois suffisent-ils pour former un fantassin ? Evidemment non. Ce n'est pas en aussi peu de temps que son éducation morale sera terminée, qu'on lui apprendra à se plier à la discipline, à se faire un point d'honneur de ne pas abandonner son drapeau, et qu'on lui donnera assez de confiance dans son arme pour ne pas craindre la cavalerie.
Dans une armée bien constituée, tous les cadres doivent se recruter parmi les soldats volontaires ; or le nombre de ceux-ci sera tellement restreint qu'on se trouvera obligé de prendre une très grande quantité de miliciens pour former les cadres, et je le demande, est-ce avec une durée de service de dix-huit mois en deux ans qu'en obtiendra des hommes capables de remplir les fonctions de sous-officiers ?
Toute la commission qui, en 1842, s'est occupée de l'organisation a demandé à l'unanimité que le terme du service continu fut fixé à trois ans ; la commission de 1851 avait aussi admis le même nombre d'années ; si elle a consenti à le réduire de six mois, ce n'est que pour avoir plus de troupe ; c'est,à mon avis, une erreur au point de vue d'une bonne organisation militaire de sacrifier la qualité à la quantité.
En Piémont les soldats servaient 15 mois, puis, comme en Belgique, on les renvoyait en congé. Les désastres de Novare ont servi d'une rude leçon aux malheureux Piémontais, la loi sur le recrutement a été changée ; le ministre de la guerre avait proposé de fixer à 4 ans le service continu du fantassin, les chambres ont trouvé ce temps trop court et elles l'ont encore prolongé d'une année, parce que, ont dit les généraux, il faut plus de courage et de sang-froid dans l’infanteie que dans les autres armes pour supporter avec résignation les fatigues de la guerre, et les ravages que le feu de l'ennemi fait dans ses rangs. Il suffit pour se convaincre de cette vérité de se rendre compte de la situation des divers corps en campagne et sur le champ de bataille.
Ce qu'on appelle l'armée active sera certainement supérieure à ce qui existe aujourd'hui ; elle gagnera en force ; les bataillons, les escadrons et les batteries seront mieux constitués, les soldats plus instruits, le nombre de chevaux plus en rapport avec les besoins du service. Mais l'adoption du chiffre de 100,000 hommes a empêché d'avoir une organisation parfaite. La réserve de l'infanterie laissera beaucoup trop à désirer, et c'est le motif principal de mon opposition, parce que la réserve sera toujours une des meilleures garanties contre la surprise de nos places fortes, elle ne présentera pas la consistance qu'ont les corps organisés en temps de paix, elle sera composée d'hommes renvoyés chez eux depuis de trop longues années ; d'un autre côté, l'effectif de la cavalerie et de l'artillerie de campagne, si l'on pouvait compléter les cadres, dépasserait les besoins. Il est préférable, à mon avis, d'avoir une armée moins nombreuse, et tous les bataillons d'infanterie organisés uniformément, la cavalerie et l'artillerie réduites au strict nécessaire.
M. le ministre des affaires étrangères a présenté un amendement à l'article 2 du projet de loi sur le recrutement de l'armée où la durée du service était fixée a dix ans. Elle sera, dit-on, comme aujourd'hui de huit années, mais on n'apurera le compte des hommes qu'a la fin de la dixième.
C'est là un amendement diplomatique qui n'a pas même l'avantage de couvrir d'un voile bien épais l'aggravation d'une charge qui sera entièrement supportée par le pauvre.
On retiendra aux soldats leur argent, leurs habits, on aura le droit de les rappeler sous les drapeaux, et on dit qu'ils seront libres après 8 ans de service !... C'est une liberté qu'on peut comparer à celle du prisonnier auquel on permet de sortir de sa cellule pour se promener dans un préau, sauf à le réintégrer dans sa prison.
On a voulu amoindrir l'effet moral qu'a produit la prolongation du service des miliciens et en fait cela n'y change rien, je ferai même remarquer qu'en votant 100,000 hommes, on fixera réellement la durée du service à douze ans.
M. le ministre présente son amendement comme une concession qui sera d'autant mieux appréciée par la chambre, que la commission mixte s'était prononcée à l'unanimité pour la prolongation du service de 8 à10 ans. M. le ministre oublie de dire que l'adoption de l'effectif de l'armée à 100,000 hommes avait mis la commission dans la nécessiié absolue de porter la durée du service à 10 ans, car vouloir réaliser cet effectif sans cette prolongation ou sans augmenter encore considérablement le bud-get, c'eût été une impossibilité.
Pour ce qui me concerne, je n'ai admis la durée du service à 10 ans qu'avec la pensée de donner une compensation à ceux qui sont obligés de servir personnellement, modification que j'ai préconisée dans cette enceinte en 1849. Je croyais que la commission aurait discuté la loi sur le recrutement.
On proclame souvent le grand principe de l'égalité des charges, cette égalité dans le recrutement est limitée à une simple obligation imposée à tous les jeunes gens qui ont atteint 19 ans de concourir au tirage au sort pour compléter le contingent de l'armée. Immédiatement après cette opération, toute équité cesse ; les jeunes gens sont d'abord divisés en deux catégories, ceux que le hasard a favorisés d'un numéro heureux sont entièrement libères du service militaire ; les autres, au contraire, sont obligés de servir en personne. On établit encore une différence parmi ces derniers on accorde aux riches la faculté de mettre un remplaçant, et, quant aux pauvres, ils sont incorporés aujourd'hui pour huit ans, et on propose de majorer encore la durée du service de ces mêmes hommes pendant plusieurs années.
Tout le monde reconnaîtra qu'il y a là une criante injustice ; du moment où le service militaire est rendu obligatoire, celui qui veut s'en exempter, doit une compensation au profit de celui qui sacrifie ses plus belles années au service de l'Etat.
Pour me prononcer sur la durée du service, j'ai besoin de savoir si le ministère veut faire de l'état militaire une carrière, s'il se ralliera à un des systèmes de cotisation ou d'exonération qui ont été mis en avant, et qui tous tendent à donner une compensation aux miliciens et qui permettraient de leur accorder un pécule proportionné à la durée du service sous les armes, et aux sous-officiers, caporaux et soldats volontaires des pensions beaucoup plus considérables que les misérables retraites qu'on leur donne aujourd'hui, retraite insuffisante au point que beaucoup d'anciens soldats n'ayant après 40 ans de services effectifs qu'une pension de 250 francs, sont obligés de mendier pour pourvoir à leur existence.
Si M. le ministre me répond qu'il n'a pas encore eu le temps d'examiner cette question, cela sera assez significatif.
J'arrive maintenant à cet effectif qui a été arrêté par suite de la décision prise qu'il fallait une armée de 60,000 hommes en campagne. Les documents fournis à la chambre contiennent toutes les raisons alléguées pour prouver cette nécessité.
Comme les conséquences de notre vote seront excessivement graves, mon devoir m'oblige à dire toute ma pensée, quelque pénible que soit ma tâche.
Je résume d'abord les motifs donnés en faveur des 100,000 hommes.
On a dit qu'en cas de conflagration générale, la France ne pourrait pas disposer de plus de 60 à 70 mille hommes pour entrer en Belgique et que par conséquent une armée nationale de 60,000 hommes empêcherait une invasion.
On a même été jusqu'à supposer que la France aurait toutes ses frontières menacées à la fois, et on a réparti son armée entière sur tout son territoire, excepté en face de la Belgique.
On a prétendu que si nous étions attaqués par la France, ni l'Angleterre, ni la Prusse, ni la Hollande ne nous prêteraient immédiatement l'appui de leurs armes, tandis que si une autre puissance envahissait la Belgique, la France interviendrait le jour même.
On a soutenu qu'avec une armée en campagne de 35,000 hommes et en supposant en outre nos forteresses gardées par de bonnes troupes, il n'y aurait aucune sécurité pour la Belgique.
On a dit que 30,000 hommes ne résisteraient pas à 40,000, tandis que 60,000 se maintiendraient devant 100,000. C'est-à-dire que 60,000 Belges résisteront à 100,000 Français. 60,000 hommes, a-t-on ajouté, est le maximum d'une armée qu'un général peut faire manœuvrer convenablement, et avec 60,000 hommes on ne se bat pas le même jour, on ne sera pas obligé d'accepter la bataille.
Je vais voir si ces raisons sont fondées, en examinant quelle doit être, dans mon opinion, la force du corps d'armée en campagne ?
Pour répondre à cette question d'une manière simple et juste, je dirai qu'après avoir pourvu toutes les forteresses de la quantité d'hommes nécessaires à leur défense, l'armée en campagne doit être la plus forte possible ; il ne peut, sous le rapport militaire, y avoir aucune limite : la population et les ressources financières seules doivent mettre des bornes à une trop grande extension.
Je n'ai pu admettre l'effectif de 60,000 hommes parce qu'à moins d'avoir un budget de 36 millions et même plus, il est impossible d'obtenir en même temps de bonnes troupes pour la défense des places. J'abandonnerais néanmoins mon opinion personnelle s'il m'était démontré qu'avec ces 60,000 hommes on empêcherait une invasion française, ou, pour me servir des mêmes termes que ceux de la proposition qui a été votée, « si on pouvait avec 60,000 hommes résister immédiatement à la frontière et s'opposer à l'envahissement du pays ». Pour obtenir (page 1293) ce résultat, il n'est aucun de nous qui ne consente à payer bien au-delà des 32 millions réclamés.
Quelque chimérique que paraisse l'idée de croire qu'une nation de 4 millions d'individus puisse résister à une nation belliqueuse de 36 millions, il faut bien cependant répondre à cette observation, puisque c'est la raison qu'on allègue pour avoir une armée et un budget hors de proportion avec nos ressources.
Wellington disait déjà en 1814 qu'en cas d'hostilité, les Français, au premier abord, seraient supérieurs en nombre aux troupes alliées. Or, si à un écpoque où notre pays était réuni à la Hollande, et alors qu'il était loisible au roi des Pays-Pas de recevoir des garnisons étrangères comme auxiliaires, si, dis-je, à cette époque on ne pouvait pas espérer de réunir en Belgique une armée égale à une armée française, comment cela serait-il possible aujourd'hui que nous avons une population moitié moindre et qu'il est défendu à tout soldat anglais, prussien ou hollandais de franchir la frontière avant l'invasion ; le simple bon sens dit qu'en cas de guerre, l'armée française sera, sans nul doute, beaucoup plus nombreuse que l'armée belge.
La France, en effet, sera maîtresse de ses mouvements militaires, elle ne fera pas une invasion en Belgique avec une armée inférieure à ce qu'elle rencontrerait. On a pensé qu'elle ne saurait pénétrer dans notre pays avec plus de 60,000 à 70,000 hommes. On a basé cette opinion sur la nécessité où elle se trouverait d'avoir une armée d'observation sur le Rhin, une autre dans le Lyonnais, de mettre en état de défense les côtes de l'Océan, de la Méditerranée, etc., etc. ; mais il est évident qu'un grand pays comme la France n'aura jamais toutes ses frontières également menacées et qu'il pourra toujours disposer d'un plus grand nombre de troupes pour porter une armée vers un point déterminé à l'avance.
Ainsi, je pose en fait que l'armée française, en cas d'invasion, sera plus nombreuse que la nôtre ; j'ajoute en outre qu'il nous sera bien difficile d'arrêter sa marche, parce que, comme l'a dit Wellington en 1814, la Belgique ne présente aucune position défensive, toutes sont susceptibles d'être tournées, et ce qui était vrai en 1814, l'est bien davantage aujourd'hui, car depuis lors on a construit une infinité de routes qui pénètrent de France en Belgique sans passer par nos forteresses, et une quantité de ponts ont été établis sur nos fleuves et rivières ; on a par conséquent facilité la marche des armées.
Quand on a entendu un des hommes les plus éminents de l'Angleterre, lord Palmerston, déclarer à la chambre des communes que le roi Louis-Philippe, pendant son séjour en Angleterre, lui avait dit qu'en cas de rupture, ces généraux avaient pris engagement d'être à Londres dans 8 jours, on peut affirmer, sans manquer de patriotisme et sans blesser l'orgueil national, qu'il nous est difficile de résister à une invasion française, car, si sous le rapport du courage, un Belge vaut un Français, un Allemand, eu ne peut prétendre qu'un Belge saurait résister à trois Français ou trois Allemands. Le gouvernement comprend si bien la possibilité d'avoir à combattre une armée beaucoup plus nombreuse que la nôtre, que c'est dans cette prévision qu'il a fait construire le camp retranché d'Anvers, et je le félicite sincèrement de sa prévoyance.
Ce tableau serait bien inquiétant si au-dessus du droit du plus fort, il n'y avait pas celui de l'équité et de l'équilibre européen. L'envahissement de la Belgique, du duché de Bade, du Wurtemberg, est chose facile pour la France ; mais la France sait bien que cette invasion serait le signal d'une guerre générale, et malgré tout le courage de cette nation, elle succomberait contre cette coalition. Pourquoi, d'ailleurs, envahirait-elle la Belgique ? Ne couvrons-nous pas sa frontière du Nord ? Ne connaît-elle pas tout l'attachement que nous avons pour nos institutions et notre indépendance ? Ne sommes-nous pas résolus à traiter en ennemies toutes les armées qui ne respecteraient pas notre neutralité ? et la France voudrait-elle, sans nécessité, augmenter le nombre des troupes qu'elle aurait à combattre et voir nos places fortes servir d'appui aux armées de ses adversaires ?
Si les grandes puissances pouvaient impunément s'emparer des petits Etats, le monde entier se composerait de grands gouvernements, et si les petits pays entretenaient des armées capables de lutter avec celles de leurs puissants voisins, ils marcheraient directement à leur ruine. Si enfin ils s'imposaient extraordinairement pour supporter cette charge, ils consacreraient alors pour l'entretien de l'armée des sommes considérables qui auraient une meilleure destination en les appliquant à développer l'industrie et à améliorer le sort des classes inférieures.
On m'a objecté que les Etats allemands font partie de la confédération germanique, et, qu'en cas d'attaque, ils se soutiendront mutuellement ; tandis que notre neutralité nous interdisant toute alliance, nous oblige à entretenir une armée plus nombreuse.
On a été plus loin encore : on a émis dans la commission l'opinion que nous ne serions pas même secourus en cas d'invasion. Quant à moi, j'envisage d'une tout autre manière les conséquences de notre situation. Je pense, au contraire, que, dans cette circonstance, nous serions puissamment aidés. Si toute alliance nous est interdite pour le moment, c'est parce que ces alliances sont formées, elles nous sont assurées si nous sommes attaqués. Pour en être certains, nous avons bien plus qu'un traité, nous avons l'intérêt des grandes puissances, et c'est la meilleure garantie pour nous. Ce qui s'est passé en Belgique depuis des siècles prouve que mon raisonnement est juste.
Est-ce à dire pour cela que je veux abandonner la défense de nos frontières à des alliés ?... Ni moi, ni aucun membre de cette chambre n'avons donné lieu à de semblables suppositions ; ce serait un système flétrissant, a dit M. le ministre des affaires étrangères, c'est vrai, mais ce qui ne flétrit pas une nation, c'est d'accueillir des alliés qui viennent vouus aider à chasser l'ennemi. Je ne pense pas que l'honneur de la Belgique ait reçu la moindre atteinte, lorsque, dans la première année de son indépendance, et son armée n'étant pas encore organisée, elle appela les troupes françaises à son secours. L'honneur de la Belgique n'est-il pas reste intact en 1815 ? Celui de la Bavière a-t-il été compromis, quand Bonaparte, en 1805, transportait en 8 jours toute son armée du camp de Boulogne au centre de ce pays pour en chasser les Autrichiens ? S'il en était ainsi, il n'y aurait aucun pays du continent exempt de cette flétrissure.
Nous pouvons être exposés à deux espèces d'agressions, à une invasion subite, ou à une attaque préparée à l'avance. Notre armée, dans les deux hypothèses, ne sera que l'avant-garde d'une armée plus considérable. Si la guerre est prévue, nous formerons, comme en 1815, un corps d'armée dans l'armée de secours ; si au contraire nous sommes attaqués subitement, nous formerons encore un corps d'armée dans l'armée de nos alliés ; seulement nous serons abandonnés à nous-mêmes pendant un temps qui, à mon avis, sera de bien courte durée, si nous conservons nos places fortes, et si l'armée nationale peut se retirer en bon ordre daus le camp retranché d'Anvers.
Faut-il alors un corps de 50,000 à 60,000 hommes en campagne ? Je l'ai déjà dit, l'armée ne saurait être trop forte ; mais il serait dangereux, pour avoir cet effectif, de compromettre la situation financière du pays et surtout la défense des places. C'est pourtant ce qui arrivera avec uu budget qui a jeté la stupéfaction dans la chambre et le pays, et avec une reserve sans grande consistance pour la défense des forteresses.
J'ai été et je suis encore d'opinion que toutes nos places étant garnies de bonnes troupes, une armée de 35,000 hommes en campagne est un corps suffisant.
L'honorable commissaire du roi a dit, « qu'avec une armée de 35,000 hommes en campagne, il n'y aurait aucune sécurité pour la Belgique. parce que nous ne saurions pas nous mettre à l'abri d'une surprise, attendu qu'en 48 heures une armée ennemie de 50,000 hommes, munie d'un matériel considérable, peut être réunie et que cette force serait suffisante pour pousser devant elle nos 35,000 hommes, s'il est possible de les rassembler, ce qui est douteux ; mais il n'en serait pas de même, si l'ennemli, au lieu de 50,000 hommes, devait en avoir 80,000 ou 100,000. Les garnisons limitrophes sont loin de suffire à un pareil armement, il faudra tirer de loin les régiments, les batteries, les voitures de parcs ; une surprise ne sera plus possible, la Belgique pourra se préparer à la lutte. »
En lisant ces quelques lignes, on est d'abord étonné de voir mettre en doute la possibilité pour la Belgique de réunir 35,000 hommes, tandis qu'on est certain d'en rassembler 60,000. J'abandonne néanmoins cette objection pour en rencontrer de plus sérieuses.
Si notre nationalité ne reposait que sur la possibilité d’une surprise, elle serait bien chancelante, car si l’honorable commissaire admet qu’en 48 heures la France peut jeter 50,000 hommes en Belgique, il ne faudra pas beaucoup plus de temps à notre voisin pour entrer dans le pays avec 20,000 ou 25,000 hommes de plus.
Tout le monde sait que les Français ont leur matériel à nos portes, et j'ai fait le relevé de leurs troupes qui étaient peu éloignées de notre frontière à une époque où elles occupaient leurs garnisons ordinaires (en 1847). J'y ai compris Paris d'où les convois ou chemin de fer amèneraient les troupes en bien peu de temps. J'ai trouvé que la France pouvait réunir, en 48 heures, 21 régiments d'infanterie, 17 régiments d'artillerie. Si l'on tient compte de la multiplicité des chemins de fer et de la célérité avec laquelle les transports auraient lieu, on sera convaincu que cet effectif pourrait être encore considérablement augmenté.
Depuis l'empire, les années ont pris d'énormes proportions, parce que tous les gouvernements maintiennent sur le pied de paix un nombre de troupes très considérable, et qu'à l'aide de la conscription, on trouve le moyen de les étendre et de réparer immédiatement les pertes qu'elles éprouvent ; on peut affirmer avec certitude qu'en cas de guerre elles ne seront pas moins nombreuses qu'à Waterloo, à Leipzig, à Lutzen, etc.
Pour apprécier si l'opinion que je combats est fondée, ou si je suis réellement dans le vrai, en prétendant que la France peut jeter inopinément une armée de 100,000 hommes sur un point déterminé, rappelons-nous les faits, rappelons ce qui s’est passé en 18S15 dans notre pays. L'Europe entière était en armes, les Pays-Bas étaient occupés par 254,000 Prussiens, Anglais, Belges, etc. ; cette formidable armée, en attendant le commencement de la lutte, reposait dans ses cantonnements, on ne jouissait pas alors de ces communications rapides que nous possédons aujourd'hui. Tout à coup les troupes françaises se mettent en marche de Metz, Laon, Paris, Dunkerque, Lille, Valenciennes pour se réunir entre Maubeuge et Avesnes. En moins de 8 jours tous ces mouvements sont exécutes, Bonaparte quitte Paris le 12 juin et le 14 plus de 120,000 hommes avec 350 pièces de canon campent entre Solre-sur-Sambre, Beaumont et Philippeville à 3 lieues du quartier général du corps commandé par Ziethen qui ignore la présence de l'ennemi, et Blücher n’en est informé que par des traîtres qui quittent les rangs de l'armée françaises pour annoncer aux alliés la présence de l'empereur.
Wellington n'apprend cette nouvelle à Bruxelles que le 15 vers sept (page 1294) heures du soir, et ce n'est qu'à 11 heures qu'il peut donner des ordres pour le rassemblement de son armée. Ainsi, malgré la présence en Belgique de 254,000 hommes, on n'a pu empêcher l'invasion du pays. Si la France, à cette époque, a pu réunir sur nos frontières une armée formidable en aussi peu de temps, à plus forte raison obtiendrait-elle aujourd'hui un semblable résultat.
Une armée de 50,000 hommes, a ajouté l'honorable colonel, ne peut lutter contre 40,000 ; 60,000 hommes au contraire se maintiendront avec honneur devant 80,000 ou 100,000.
Malgré tous les raisonnements donnés à l'appui de cette opinion, je crois qu'il y aura beaucoup d'incrédules, car si cela était vrai, les puissances du premier ordre n'entretiendraient pas à grands frais des armées aussi nombreuses.
Quand une armée résiste à une autre supérieure en nombre, c'est qu'elle est commandée par un général plus habile que celui qui se trouve à la tête de l'armée ennemie, c'est que cette armée manœuvre dans un pays accidenté dont le chef sait profiter des diverses positions, c'est qu'elle est composée de meilleures troupes, voilà ce qui donne la victoire.
Pour prouver qu'avec 60,000 hommes, nous résisterions à 80,000 ou 100,000 hommes, on a dit que « 60,000 hommes est le maximum d'une armée qu'un général peut faire manœuvrer avec facilité, qu'au-delà de cet effectif, il ne l'a plus ni dans la main, ni dans les yeux, sa volonté ne domine plus le champ de bataille, il n'est plus maître des événements, et ne peut parer à temps aux accidents qui surviennent durant l'action. Avec de grandes armées, a-t-on ajouté, les batailles restent indécises, les résultats ne sont pas en proportion des efforts et des moyens mis en œuvre. »
Les faits prouvent à l'évidence que ces raisonnements ne sont pas fondés. En 1815 l'armée anglaise était de 104 mille hommes, l'armée prussienne de 120 mille et l'armée française de 122 mille, et la bataille de Waterloo n'a certainement pas été indécise, les résultats ont été immenses.
La bataille de Leipzig, où 450,000 hommes étaient en ligne, n'a pas été moins importante et la victoire moins féconde dans ses conséquences.
Les guerres de l'empire fourmillent de circonstances qui démontrent suffisamment que les généraux savent très bien commander des armées supérieures à 60,000 hommes et tirer un bon parti de leur victoire.
On a dit que quand une armée dépasse 60,000 hommes, on ne se bat pas le même jour, et que, tout en guerroyant, on ne sera pas obligé d'accepter la bataille !...
Que l'on se batte le même jour ou le lendemain, cela est très peu important ; la question essentielle est celle de savoir si l'armée la plus faible pourra se retirer en bon ordre, et, à ce point de vue, si une armée inférieure pouvait toujours opérer sa retraite à volonté, bien des désastres n'auraient pas eu lieu. Il suffit, en effet, que l'ennemi gagne une seule marche pour tourner l'armée inférieure et occasionner une déroute.
Le rôle principal de l'armée nationale n'est pas, à mon avis, de livrer immédiatement bataille, cela me paraît excessivement dangereux, la perte d'une bataille entraînerait celle de tout le pays. L'armée doit faire une retraite honorable et choisir une position où elle attendra l'occasion de combiner ses efforts avec les opérations de ses alliés.
L'objet essentiel est de conserver les forteresses qui peuvent servir de points d'appui aux armées de secours, attendu que ces armées n'auraient plus d'intérêt à arriver sur-le-champ en Belgique, si ces places fortes étaient entre les mains de l'ennemi.
Pour atteindre ce but, une armée en campagne de 35,000 hommes est le maximum que nous puissions obtenir afin d'avoir, en outre, de bonnes troupes pour la défense des forteresses.
Avec 35,000 hommes il n'y aurait, a-t-on dit, aucune sécurité pour la Belgique.
Cela serait vrai si nous étions abandonnés à nous-mêmes, mais dans ce cas une armée supérieure ne changerait pas notre situation, et dans la supposition où nous serions secourus 35,000 hommes seraient suffisants. Qu'avions-nous, en effet, à Waterloo ? 29,566 hommes ; et la Belgique et ses alliés sont pourtant sortis victorieux de la lutte.
On se prévaut de ce que la commission des généraux nommée en 1842 a été d'avis qu'une armée de 80,000 hommes ne suffisait pas pour parer aux éventualités. J'ai ici le rapport de cette commission, elle a été appelée à délibérer sur la question de savoir si le chiffre de l'armée sur pied de guerre pouvait être réduit en dessous de 80,000 hommes, même en supposant le concours de la garde civique.
Ainsi il est bien constaté qu'on demandait à des militaires si on pouvait réduire l'armée ; la réponse était facile à prévoir ; que dit la commission ? demande-t-elle 100,000 hommes ? Non, voici ses conclusions. Je cite textuellement.
« La commission conclut que le complet sur le pied de guerre à 80,000 hommes, tel qu'il est fixé depuis trois ans par la loi annuelle dite du contingent, doit être maintenu à ce taux, même en supposant, en cas de guerre, le concours de la garde civique convenablement organisée. »
Je dois ajouter que ces conclusions sont précédées des passages suivants cités déjà dans la dernière séance.
« Il n'est donc pas supposabie que l'ensemble des forteresses exigeât moins de 50,000 hommes et par conséquent si l'armée était de 80,000 il en resterait seulement 30,000 pour tenir la campagne et couvrir la capitale.
« De ces considérations on peut certainement conclure qu'une armée de 80,000 hommes sans la garde civique, loin de paraître supérieure à ce que réclame la défense du pays, ne peut pas même satisfaire autant qu'on doit le désirer aux éventualités les plus probables ; si donc on doit s'en contenter, ce n'est que parce que les ressources financières qu'on peut y consacrer ne paraissent pas pouvoir être augmentée. »
Cette opinion ou plutôt ce désir d'avoir une armée plus nombreuse est bien naturel chez des militaires qui, à leur point de vue, n'ont jamais assez de troupes, quand surtout ils se font un point d'honneur de résister aux armées des puissances de premier ordre, et comme l'a très bien dit l'honorable M. Vandenpeereboom, vous ne trouverez pas plus de militaires consentant à réduire l'armée, que vous ne rencontrerez de curés disposés à diminuer le nombre des évêques.
Pour motiver la nécessité d'avoir 100,000 hommes et faire voir qu'on peut facilement mettre cet effectif sur pied, on vient nous dire qu'en 1833, l'armée comptait 116,000 hommes et qu'en 1839, il y avait 13 classes de milice. Il était facile d'avoir de telles armées, alors que pendant 8 ans on est resté sur le pied de guerre sans tirer un coup de canon ; on incorporait chaque année une classe de milice sans congédier personne, le premier ban de la garde civique était mobilisé, on avait tout le loisir de former des hommes pour les cadres, on entretenait un nombre de chevaux suffisant. Mais on se garde bien de rappeler les sommes dépensées pendant ces années. C'est pourtant ce qui est des plus essentiel pour savoir si avec 32 millions on saurait avoir une bonne armée de 100,000 hommes sur le pied de guerre. Je vais combler cette lacune.
En 1833 la dépense a été de 51,296,550 fr. 49 c. ; en 1834, de 42,742.758 fr. 20 c. ; en 1835, de 40,755,042 fr. 35 c. ; en 1836, de 37,283,557 fr. 26 c. ; en 1837, de 41,614,303 fr. 48 c. ; en 1838, de 43,517,674 fr. 12 c. ; en 1839, de 48,503,685 fr.
Le total des dépenses de ces 7 années a été de 305, 713,550 fr. 90 c. La moyenne de 43,673,364 fr.
On entretenait à cette époque 15,285 chevaux, y compris ceux des officiers, ou 6,532 de plus que le nombre porté au budget de 1853. Il y avait en solde en 1839, 51,440 hommes, et en 1835, 53,335, dont 38,548 sous-officiers et soldats d'infanterie, c'est 10,950 déplus que l'effectif repris au budget de 1853. Vous le voyez, messieurs, pour avoir une armée de 100 mille hommes sur le pied de guerre, il faudrait, d'après ces données, dépenser plus de 40 millions, entretenir sur le pied de paix 10 mille hommes et 6 mille chevaux de plus que ne comprend le budget de 1853 ; sinon l'effectif de 100 mille hommes sera une déception. Si on a réellement besoin d'une armée de cent mille hommes, qu'on l'organise fortement pour qu'en cas de guerre on ait effectivement cette armée.
Mais pour faire ressortir tout ce qu'il y a d'exagéré dans ce chiffre de 100,000 hommes, il me suffira de dire que proportionnellement à la population :
La France devrait avoir des cadres pour 811,000 hommes, tandis que l'armée française n'est organisée que pour 500,000.
L'Autriche devrait avoir 845,000 hommes, et l'armée autrichienne n'est que de 637,000.
Et parmi les pays d'une moindre population, je citerai les Pays-Bas, qui devraient avoir 74,000 hommes et qui n'en ont que 60,000.
La Bavière devrait avoir 103,000, elle en compte 71,000.
La Sardaigne aurait 100,006, tandis que les cadres de son armée soat aujourd'hui établis pour 90,000.
Je terminerai l'examen de l'effectif de l'armée par une observation. Le duché de Bade est, comme nous, voisin de la France et son armée sur pied de guerre n'est que de 17,000 hommes.
Les Pays-Bas touchent à la Prusse, ils n'ont, comme je viens de le dire, qu'une armée de 60,000 hommes et n'entretiennent que la cavalerie et l'artillerie pour un corps de 30,000 hommes en campagne.
La Bavière a une population un peu plus élevée que celle de la Belgique, quoique contiguë à l'Autriche qui peut mettre plus de 600,000 hommes sur pied, elle vient de procéder à la réorganisation de son armée dont l'effectif en cas de guerre ne sera que de 71,000 hommes.
Je pourrais encore citer d'autres exemples, mais j'en ai dit assez pour faire voir qu'aucun petit pays n'a d'armée assez nombreuse pour résistée à une puissance du premier ordre.
Il me reste à parler des dépenses qui seront la conséquence de l'adoption du projet d'organisation. J'ai toujours dit lors des discussions des budgets de la guerre, et je le répète aujourd'hui, que je considère la bonne organisation de l'armée comme l'objet prédominant. J'approuve donc entièrement les augmentations proposées pour obtenir une meilleure constitution des unités de force de chaque arme, mais je blâme celles qui proviennent de la trop grande extension donnée à l'armée. De ce que les dépenses viennent en seconde ligne, elles n'en ont pas moins une bien grande importance : car s'il faut des hommes pour faire la guerre, il est aussi nécessaire d'avoir de l'argent et beaucoup d'argent ; cependant la commission, quoique mixte, ne s'est nullement préoccupée de la question de savoir si la Belgique peut ou ne peut pas supporter les charges d'un budget aussi élevé que celui qui nous est présenté. C'est donc à nous à faire cette appréciation.
(page 1295) Les dépenses annuelles qui sont aujourd'hui de 26,787,000 francs, s'élèveront à 32,190,000 francs, non compris 2,500,000 francs pour pensions militaires. C’est une augmentation permanente de 5,405,000 fr.
Nous avons voté près de 40 millions pour l'exercice 1852. M. le ministre des finances, dans le budget des voies et moyens, évalue à 8 millions la somme encore nécessaire pour compléter l'achèvement des travaux de défense du pays et la démolition des places fortes. Ce n'est certainement pas à ce crédit que se borneront les dépenses extraordinaires, il faudra y ajouter celles qui concernent le matériel, et je puis affirmer que plus de 23 millions seront réclamés, si on exécute réellement ce qui doit être fait.
M. le ministre de la guerre me fait un signe négatif ; eh bien, je suis prêt à donner le détail des dépenses ; je crains seulement d'être un peu long et de fatiguer l'attention de la chambre.
- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !
M. Thiéfry. - Le comité de la commission de défense, nommée en 1848, était composé des inspecteurs généraux de l'artillerie et du génie, et de 3 colonels, il a fait le relevé des dépenses nécessaires pour mettre le pays en état de bonne défense ; ce travail a été soumis à la commission de 1851, deux fois il y a eu unanimité sur son utilité.
En voici le résumé :
Réparations arriérées aux fortifications et aux bâtiments militaires dans les places à conserver, fr. 1,725,000
Achèvement et amélioration des fortifications et dépendances, et des bâtiments réclamés par l'artillerie, 5,197,700
Ouvrags nouveaux, 4,562,000
Pour mettre le matériel de l'artillerie au complet dans les places conservées, 8,543,000
Je n'ai pas déduit la valeur du matériel existant dans les places à démolir parce que l'armement du camp retranché d'Anvers et des retranchements de la Tète de Flandre absorberont les économies qu'on pourrait faire à cet égard.
Complément des armes portatives pour l'armée, 2,577,114
Approvisionnement des places en outils pour le service du génie, 200,000
M. Renard, commissaire du Roi. - Ces renseignements sont d'une nature confidentielle.
M. Verhaegen. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
Messieurs, je crois que notre règlement ne peut pas permettre qu'on fasse emploi de pièces qui ne sont pas destinées à recevoir de la publicité.
Si nous devions continuer dans cette voie, il conviendrait de demander le comité secret.
Je suis convaincu que plusieurs de mes honorables collègues se joindraient à moi, dans cette hypothèse, pour demander le comité secret, aux termes du règlement.
M. le président. - Pour que la chambre se forme en comité secret, il faut que dix membres ou le président en fassent la demande.
Je ne sais si M. Thiéfry a fait usage de pièces d'une nature confidentielle ; s'il l'a fait, c'est sous sa responsabilité, mais je n'ai rien entendu qui fût de nature à motiver l'intervention du président.
M. Thiéfry. - Je demande la parole sur l'incident.
Je ne comprends pas en vérité comment on choisit ce moment pour demander le comité secret ; il s'agit d'une question de finances. Les pièces dont j'ai fa'it usage ne sont pas confidentielles.
- Plusieurs voix. - Le comité secret ! le comité secret !
M. Thiéfry. - Je réclame mon droit ; on ne peut pas m'interrompre.
- Plusieurs voix. - Le comité secret !
M. le président. - Ceux qui veulent le comité secret n'ont qu'à en signer la demande ; aussitôt qu'elle portera les signatures de dix membres, le président prononcera le comité secret.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Il me semble impossible qu'on ne prononce pas le comité secret.
M. Thiéfry. - Je demande si le règlement autorise à interrompre un orateur.
M. le président. - Le président a le droit de prononcer le comité secret. Le gouvernement insistant pour qu'il ait lieu, je le prononce, la chambre décidera s'il y a lieu de le maintenir ou de reprendre la séance publique. J'use de mon droit.
Messagers, faites évacuer les tribunes.
- La chambre se forme en comité secret à 3 heures 1/4.
La séance publique est reprise à 3 heures 3/4.
M. le président. - Après une courte discussion en comité secret la chambre, d'accord avec le gouvernement, a décidé que la séance serait reprise en public.
La parole est continuée à M. Thiéfry.
M. Thiéfry. - Je disais donc qu'après avoir disposé des sommes qui ont été allouées par les lois des 3 avril et 14 décembre 1852, le département de la guerre devrait encore dépenser plus de 25 millions pour exécuter ce qui reste à faire.
S'il y avait la moindre apparence de guerre, il faudrait de nouveaux millions pour approvisionner toutes les places fortes de vivres ; car aujourd'hui les forteresses en sont dépourvues, et si dans cette circonstance on ne les approvisionnait pas sur-le-champ, on exposerait la garnison à être prise en peu de jours.
Or, je le demande, un peut pays de 4 millions d’habitants peut-il consacrer au budget de la gierre des sommes aussi considérables ? Proportionnellement à la population, toutes les puissances du continnt, dont j’ai vu les budgets, dépensent pour leur armée de terre une somme moindre que la Belgique ; et en temps ordinaire, la France même qui a été si souvent appelée à litter contre la coalition des grandes puissances, dépense aussi moins que nous pour son armée de terre destinée à combattre en Europe. Je l’ai prouvé dans une session précédente en citant une dizaine de pays ; je me bornerai aujourd’hui à comparer nos dépenses avec celles de nos trois voisins.
Le budget de la guerre de 1853 s'élève en Hollande à 18,845,737 fr. non compris les pensions ; ce serait pour une population égale à celle de la Belgique 25,455,722 fr. ou 6,743,278 fr. de moins que le budget qui nous est présenté.
En Prusse, le budget de 1853 est de 89,713,830 fr. non compris les pensions ; ce serait, pour une population égale à la nôtre, 24.338,329 ou 7,851,671 fr.de moins que le budget qui nous est présenté.
Pour la comparaison avec la France on ne peut pas prendre pour base le chiffre de son budget actuel, puisqu'il s'agit de comparer les dépenses faites de part et d'autre en temps ordinaire et que cette puissance, pour maintenir l'ordre sur son territoire, entretient, pour le moment, presque un effectif de guerre. Le taux moyen des budgets des dépenses ordinaires de 1844 à 1853 pour l'intérieur de la France, déduction des frais de justice et de ceux des invalides, lesquels snnt portés en Belgique au budget de la justice et à celui de la dette publique, ce taux moyen, dis-je, est de 232,426,310 fr., soit, pour une population égale à la nôtre, 28,647,756 ou 5,542,244 fr. de moins que le budget qui nous est soumis.
Eu comparant nos dépenses avec celles de la France, j'ai ajouté que cette nation était exposée aux coalitions des grandes puissances, j'ai voulu par là faire comprendre qu'on devait dépenser davantage en France pour l'armée destinée à s'opposer à ces coalitions. Or les troupes qui se trouvent en Algérie sont uniquement destinées à la défense de ce territoire, elles seraient même insuffisantes en cas de guerre avec certaines puissances. Il est d'ailleurs encore un autre motif pour ne pas compter les dépenses de l'Algérie, c'est que ce budget en comprend un grand nombre qui sont étrangères à l'armée, notamment les chapitres suivants :
Administration générale de l'Algérie et des populations arabes.
Dépenses pour les prisonniers arabes détenus en France et en Algérie ;
Frais de justice et du culte musulman ;
Service intérieur des ports ;
Service sanitaire ;
Surveillance de la poche du corail ;
Administrations provinciales, de l'enregistrement, des contributions, des ponts et chaussées ;
Dépenses pour la colonisation, les expropriations, les dépenses secrètes, etc.
Il faudrait, en outre, tenir compte des produits et revenus de l'Algérie qui figurent déjà au budget des voies et moyens pour plus de 13 millions, et avoir égard aux ressources indirectes provenant du commerce de ce pays avec la mère patrie.
J'ai négligé également les dépenses de la marine, parce que la marine sert principalement pour protéger le commerce des colonies, et nous ne possédons pas ces colonies qui augmentent les revenus du pays par des recettes directes et indirectes. D'ailleurs, pour que la comparaison d'une charge soit juste, il faut mettre en parallèle des choses semblables, et c'est ce que j'ai fait en comparant le coût des armées de terre seulement.
M. le ministre des affaires étrangères a établi ses calculs entre les dépenses de l'armée et les recettes de l'Etat dans divers pays : il est évident que cette base est tout à fait fausse ; je suppose, en effet, que le budget de 1852 soit d'un million plus élevé que celui de 1851 ; mais ea 1852 on aura obtenu trois millions de plus de recettes par suite d'impôts nouveaux. D'après le raisonnement de M. le ministre en aurait payé moins en 1852 qu'en 1851, ce qui serait contraire à la vérité, tandis que, proportionnellement à la population, les calculs sont toujours justes.
Les finances de l'Etat étaient dans une situation défavorable, un déficit venait augmenter chaque année la dette publique, l'honorable M. Frère a eu le courage de rétablir l'équilibre entre les recettes et les dépenses, eh bien, l'adoption du budget de la guerre à 32,190,000 francs détruira avant peu cet équilibre obtenu avec tant de peine par les libéraux et aux dépens de leur popularité. M. le ministre des finances, pour nous tranquilliser à ce sujet, dit dans une note adressée à la section centrale que les ressources de l'exercice 1854 sont évaluées à 126,002,150 fr., les dépenses à 122,475,870 39 et qu'il est probable qu'il y aura un boni de 3,526,279 69.
En remarquant attentivement la situation financière depuis notre indépendance, il est impossible de partager l'espoir de. M. le ministre des, finances. Nous voyons, en effet, généralement les budgets prévoir un excédant de recette, puis, quand l'exercice est clôturé, on a un déficit ; (page 1296) c'est ainsi que l'exercice de 1853, qui devait se solder avec un boni de 6,553,603 fr. 31 c., présentera une insuffisance de ressources de près de 4 millions, si encore de nouveaux crédits ne viennent grossir cette somme. Ce déficit, dit-on, est dû à des crédits extraordinaires et supplémentaires réclamés pour des travaux publics, ou autres objets d'un intérêt général ; mais ne sont-ce pas toujours ces mêmes causes qui se reproduisent ?
Et dans le budget des voies et moyens qui nous a été distribué, ne remarquons-nous pas que le déficit qui à la fin de 1851 s'élevait à 15,493,936 86 sera en 1853 de 28,368.289,13, et encore de 22,384,512 fr. en ne considérant pas comme définitif le remboursement de 11,261,436 pour la conversion de la dette 5 p. c. en 4 1/2.
Si ce déficit n'est pas plus considérable, c'est grâce à un million porté en recette pour vente des domaines, c'est parce que le budget a été arrêté avant qu'on ait voté certaines sommes supplémentaires au budget des dotations, plus tard on aura à payer pour minimum d'intérêt des sommes supérieures aux 300,000 fr. portés au budget de la dette publique.
On suppose d'ailleurs que toutes les années qui vont se succéder présenteront constamment une situation prospère, on ne songe pas qu'il est impossible d'éviter des crises financières qui se reproduisent à la suite d'une disette ou d'événements qui diminuent la recette des impôts.
Le résultat des 25 années qui viennent de s'écouler en dit plus que tous les raisonnements. Pour faire face à toutes les dépenses, on a créé, pendant ce laps de temps, pour plus d'un demi-milliard de ressources extraordinaires, on a vendu les domaines de l'Etat, on a fait des emprunts ; on a obtenu, il est vrai, des travaux productifs, comme les chemins de fer, le canal de Charleroi, et autres ; cependant ces 25 années prouvent suffisamment que l'intérêt général des populations exige des dépenses qui ne sont pas prévues dans les budgets, et comme l'a très bien dit M. le ministre des finances, nous devons les régler de manière à obtenir annuellement un notable excédant de revenu, sans secourir à une nouvelle aggravation dz charges publiques.
La véritable cause de l'énorme augmentation du budget de la guerre ne provient pas seulement du renforcement des unités, elle a principalement son origine dans la décision de la commission qui a déclaré qu'il fallait à la Belgique une armée de 100 mille hommes dont 60 mille pour tenir la campagne. Convaincu que le maintien de notre nationalité ne dépend pas d'un effectif aussi considérable, et qu'un budget de 32 millions mettrait obstacle au développement de l'industrie, je ne puis admettre le projet de loi qui nous est présenté.
J'ai entendu dire à des membres de cette chambre qu'il fallait avoir égard aux événemmls qui ont surgi en France, comme si une organisation militaire n'était pas toujours faite dans la prévision d'une guerre. Au surplus, je pense qu'ils s'effrayent sans aucun motif ; la situation de l'Europe me paraît fort tranquillisante, parce que tous les souverains, sans en excepter un seul, ont tout à perdre par la guerre et rien à gagner, le danger n'est pas sérieux.
J'ajouterai que nous aurons toujours ce même voisin ; et que pour éviter un mal dont les grandes puissances sauront bien nous garantir, on va exposer le pays à deux dangers non moins à craindre, celui du mécontentement que fera surgir la prolongation de la durée du service, et celui que la situation financière produira un jour à l'intérieur. Déjà nous avons vu comment les nouveaux impôts ont été accueillis, et quand cette situation se représentera de nouveau, il y aura certainement une réaction : c'est le motif pour lequel je regrette la présentation de l'organisation et du budget qui en est la conséquence : j'aurais désiré les voir à l'abri des attaques qui se renouvelleront sans aucun doute : la législature ne consentira pas à supporter pendant de longues années des dépenses aussi élevées.
J'ai approuvé les mesures prises pour l'augmentation de l'armée, et pour mettre le matériel en bon état, je ne reculerai jamais devant aucun sacrifice pour conserver notre indépendance et nous garantir des attaques du dehors, mais je ne puis pas approuver les dépenses inutiles.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Il est impossible de s'occuper du budget de la guerre, de notre organisation militaire, sans s'occuper en même temps de la situation financière. Je ne m'étonne donc pas que quelques orateurs, notamment celui qui vient de se rasseoir, aient touché à la situation de nos finances ; mais je ne m'attendais pas à ce qu'il en fît un tableau aussi sombre. L'honorable M. Frère, dit-il, qui a précédé l'administrateur actuel au département des finances, avait rétabli l'équilibre dans nos finances ; vous allez le détruire en augmentant le budget de la guerre de deux millions.
Si l'honorable membre avait fait une simple comparaison entre les recettes d'alors et les recettes actuelles, il ne serait pas arrivé à cette conclusion ; car c'est un fait très saillant pour tout le monde que si un budget de 30 millions était possible l'année dernière, un budget de 32 millions est à plus forte raison possible dans l'avenir, attendu que depuis l'administration de mon honorable prédécesseur, à l'intelligence de laquelle je rends hommage, les ressources permanentes se sont augmenter de plus de deux millions par an ; de sorte que j'ai le droit de dire que si le pays a pu supporter dans le passé un budget de 30 millions, un budget de 32 millions lui sera plus supportable eucore dans l'avenir.
En effet, l'économie annuelle résultant de l'opération de la conversion est de 2 millions 200 et des mille francs.
Vous avez, dit-on, deux manières de présenter la situation du trésor : quand il s'agit de travaux à faire, la situation est déplorable ; quand il s'agit du budget de la guerre, elle est prospère.
Messieurs je n'ai jamais tenu deux langages dans cette enceinte. La situation n'est dans un état prospère qu'à une seule condition, c'est que nous mettions des bornes à des dépenses qui ne sont pas indispensables.
Or, je considère comme de toute première nécessité de donner une bonne organisation militaire au pays.
Vous nous renvoyez, dit-on, à 1834 pour nous faire espérer un excédant de recette de 3,500,000 fr., car l'exercice 1853 se présente avec un déficit. Je dois nier le fait. Il est vrai que momentanément l'exercice 1853 se présente en déficit, mais si M. Frère était ici, lui qui a présenté ce budget il répondrait que le fait est inexact, attendu qu'on fait figurer parmi les dépenses de l'exercice les 4,800,000 fr. de frais de premier établissement du chemin de fer que vous avez votés.
Or, depuis 1834, tous les frais de premier établissement du chemin de fer ont été payés non sur les ressources ordinaires, mais sur l'emprunt.
Si on décharge le budget de l'année courante de ces 4 millions 800 mille francs l'exercice se présente avec un excédant favorable. Ce n'est pas tout ; les recettes de 1853 ont été calculées avec une excessive modération. Personne sans doute n'a la certitude qu'à la fin de l'exercice, nous aurons un accroissement de recettes égal à celui qui s'est présenté en 1852 ; cependant les prévisions sont pour la continuation de l'accroissement.
En effet, le premier trimestre de 1852 donnait un accroissement de recette de 773 mille francs sur le trimestre correspondant de 1851. Alors aussi on aurait pu dire : Qui vous assure que les trimestres suivants donneront la même augmentation ? En définitive cependant les recettes de 1852 ont dépassé de 5 millions les prévisions. Aujourd'hui que voyons-nous ? Ce n'est plus une augmentation de 770 mille francs, mais de 880 mille francs que présente le premier trimestre de l'exercice courant sur le trimestre correspondant de l'exercice 1852, de sorte qu'on serait jusqu'à certain point en droit de dire que de même que 1852 a donné 5 millions de plus que 1851, de même, si le progrès, constant jusqu'ici, continue, l'exercice courant produira 5 millions de plus que le précédent.
Toutefois, je ne vais pas jusque là parce que des événements d'un ordre supérieur pourraient venir démentir nos prévisions, mais ce que je suis en droit de dire, c'est que la recette dépassera les prévisions ; et si vous n'imputez plus sur l'exercice, mais sur l'emprunt, la dépense pour le chemin de fer, l'exercice courant pourra se clore sans déficit.
J'entends dire que ce ne sont que des réparations qu'on a faites au chemin de fer ; c'est une erreur ; ce sont des frais de premier établissement : c'est l'achèvement des hangars pour la conservation des voitures et des marchandises d'une part, et de l'autre l'extension du matériel dont il a fallu faire la dépense.
Or, de tout temps ces frais ont été pris sur l'emprunt, je défie qu'on cite une exception.
Mais puisque vous prononcez le mot emprunt, me dit-on, voilà un de vos millions d'excédant qui va vous échapper. Quand vous aurez réalisé votre emprunt pour consolider la dette flottante, le boni que présente le budget de 1854, diminuera de plus d'un million, pour assurer le service de cet emprunt.
Ceux qui soutiennent cette thèse auraient dû se rendre compte de ce qui existe aujourd'hui. Comment la dette flottante est-elle couverte ? Quelles sont les dépenses auxquelles elle donne lieu ? Les bons du trésor ne coûtent-ils rien ? Ne faut-il pas en payer les intérêts ? Ouvrez le budget, vous y trouverez que les intérêts de la dette flottante coûteront 800,000 fr. en 1853 et 880,000 fr. en 1854. De sorte que, quand j'aurai converti la dette flottante, il faudra non pas un million de dépense de plus, mais la différence entre 880,000 fr. et un million, en supposant qu'il faille un million pour pourvoir aux intérêts de l'emprunt futur.
Vous ne tenez aucun compte, ajoute-t-on, des crédits supplémentaires. J'en tiens compte, lorsque je dis que le pays peut supporter un budget de la guerre de 32 millions.
Fn effet, j'ai sous les yeux un tableau qui présente les résultats définitifs des divers exercices depuis 1840. Il en résulte que les crédits supplémentaires se sont élevés à la somme totale de 49 millions, ou en moyenne, à la somme de 2,250,000 fr. par an.
Déduisez cette somme ; vous aurez encore un excédant, et je fais une concession très large, en supposant que, pour les exercices futurs, les crédits supplémentaires doivent atteindre cette moyenne.
Je dis que nous ne devons pas le supporter par plusieurs motifs : le premier, qui est passager, c'est que nous avons, si je'puis ainsi dire, vidé le sac, et présenté aux chambres tous les crédits supplémentaires des exercices passés.
Voilà, à la vérité, un motif qui n'est que passager. Mais ce qui ne l'est pas, c'est que les ordres les plus sévères sont donnés, dans les divers départements, pour que, sous aucun prétexte, on n'excède à l'avenir les crédits votés par les chambres, sans un vote préalable.
Ce n'est pas à dire que vous n'aurez plus de crédits supplémentaires. J'ai été le premier à vous prédire que vous en aurez encore : à l'occasion des crédits pour l'entretien des fleuves et rivières, je vous ai fait voir que si vous ne m'autorisiez pas à faire le transfert d'un article à l'autre, vous deviez vous attendre à des demandes de crédits (page 1297) supplémentaires. Vous n'y avez pas consenti, préférant que cela fût réglé législativement. Je ne le regrette nullement. Seulement, comme il n'est donné à qui que ce soit de prévoir les divers accidents des rivières, il arrivera qu'un crédit sera trop fort, un autre trop faible, et que, par suite, il y aura des demandes de crédits supplémentaires.
Il y en aura d'autres encore : par exemple pour les frais d'exploitation du chemin de fer : ainsi, vous arrêtez le budget, supposant 4 millions de voyageurs à transporter. Il y en a 5 millions. Il faut bien, pour transporter le million restant, un crédit supplémentaire. Il y a, d'autre j part, une compensation par les recettes qui augmentent.
Toutes les années, dit-on, ne présenteront pas une situation aussi prospère. C'est l'honorable préopinant qui nous le déclare. Mais ceux qui croient à la paix perpétuelle devraient, au contraire, être convaincus que cette prospérité ira en augmentant ; car s'il est un obstacle à l'accroissement de cette prospérité ; ce sont les crises et surtout les crises politiques. Deux causes annoncent cet accroissement de prospérité et en assurent la conservation. C'est d'abord l'accroissement de la population. Chaque année 40 mille nouveaux habitants concourent à l'augmentation de nos ressources. Il n'y a d'exception que pour certains impôts, tels que la contribution foncière ; mais dans tous les impôts de consommation, de mutation, dans les impôts de toute nature, les 40 mille Belges dont la population s'accroît apportent leur contingent. Ce contingent est d'un million par an. N'y eût-il aucun changement dans notre législation financière, aucun accroissement de la richesse nationale, rien que cette augmentation de population améliorerait les recettes.
Mais ce n'est pas tout : la richesse nationale augmente. On se fait souvent un plaisir de crier à la misère. Il doit donc être permis au gouvernement de dire que nulle part la prospérité n'est plus grande qu'en Belgique.
Depuis que la nation existe, il n'a pas été possible d'arrêter un budget aussi favorable que celui proposé par le cabinet actuel. Il y a une seule exception : c'est le budget de l'exercice 1849, qui a présenté un excédant de 4 millions. D'où résultait cet excédant ? De ce qu'il y avait eu, cette année-là, un changement dans le mode de la comptabilité, et de ce que vous n'aviez porté à la charge de ce budget qu'un seul semestre de la dette publique. De sorte que vous avez dégrevé ce budget de tout un semestre de la dette publique. Ce n'était qu'un excédant fictif. Mais sauf cette seule année, aucun budget n'a été voté par la chambre avec un excédant aussi favorable que celui que j'ai eu l'honneur de présenter.
J'en rends grâce en partie à mon honorable prédécesseur, en partie à la chambre qui a voté la conversion.
Je crois en avoir dit assez, messieurs, pour faire passer dans vos esprits la conviction, que si on se borne à voter les dépenses indispensables, le pays peut facilement supporter le budget de la guerre qui est présenté.
M. Osy. - Je désire expliquer la position que je prends à l'occasion de l'organisation de notre établissement militaire.
Avant les événements de 1848, pouvant compter sur la volonté de toutes les puissances de maintenir la paix en Europe, et pouvant nous appuyer sur l'amitié d'un gouvernement voisin, je croyais qu'il ne nous fallait qu'une armée bien disciplinée pour maintenir la tranquillité du pays. Aussi je m'élevais contre notre organisation d'alors et surtout contre le mauvais système que nous avions de ne conserver nos jeunes miliciens que quelques mois, de ne pas leur donner le temps de connaître le métier des armes et de leur donner le goût de devenir véritablement soldats. Aussi, nous n'avions, d'après moi, pas d'armée ; beaucoup d'officiers et pas de soldats
Je réclamais donc le sjstème qu'on vous propose aujourd'hui, de laisser les miliciens de l'infanterie deux ans et demi ou trois ans sous les armes, et ceux des corps spéciaux (cavalerie, artillerie et génie) quatre ans. Par là, je proposais de réduire nos cadres et le nombre de nos régiments d'infanterie et des corps spéciaux et en un mot d'avoir plutôt une armée respectable, forte par la qualité au lieu de la quantité.
Depuis 1848, tout est bien changé, et n'ayant plus le protecteur naturel d'avant cette époque, il était nécessaire, d'après moi, d'avoir une armée forte, tant en qualité qu'en quantité.
Ainsi j'insistais depuis plusieurs années pour faire examiner notre organisation militaire par une commission à nommer par le gouvernement ; je vis avec plaisir la nomination de cette commission et j'étais décidé de me rallier à ce qu'elle nous proposerait, si on donnait la consistance à notre armée, par un système qui prolongerait la durée du service en nous donnant la garantie qu'en cas d'événement intérieur ou extérieur nous pouvions résister à tous les événements et montrer que nous sommes une nation digne d'être indépendante, que nous pouvions véritablement défendre notre existence politique, que nous étions prêts à faire tous les sacrifices pour rester ce que nous sommes et prouver à toutes les puissances que ce n’est pas par des paroles que nous voulons notre nationalité, mais que nous pouvons aussi nous montrer par des actes, lorsque le besoin s'en ferait sentir et comme on ne crée pas une armée dans un jour, il faut s'y prendre d'avance et décréter, dans les moments tranquilles, ce qu'il nous faut et être prêts, si jamais il surgissait des événements pour ne pas être pris au dépourvu, comme nous l'aurions été en 1848 si la révolution de février avait amené la guerre générale qui certainement était bien à craindre alors.
Par le calme du pays en 1848 et l'union de tous les partis (quoique, d'après moi, nous n'avions pas d'armée alors), nous avons donné à l'Europe bouleversée par l'esprit révolutionnaire, l'exemple que nous voulions rester indépendants et sans chercher de nouvelles libertés comme tous nos voisins, nous voulions nous contenter de ce que le Congrès de 1830 avait si sagement fondé. Aussi en arrêtant l'incendie de nos voisins du midi, il n'a pu communiquer avec celui de nos voisins de l'est, cette interruption d'un grand fléau en Europe a permis aux puissances d'Allemagne de se reconnaître et de rétablir chez elles l'ordre et l'exécution des lois et de donner ainsi à tous les intérêts alarmés des garanties de tranquillité et de stabilité. Aussi l'Europe entière a admiré notre calme en 1848, pendant la tourmente révolutionniire.
La Belgique était peu respectée avant 1847, nous avons aujourd'hui pour nous les sympathies et la reconnaissance du monde entier, au moins des véritables conservateurs qui ne veulent que l'ordre et la tranquillité.
Le 9 avril nous avons pu donner à l'Europe entière un nouveau et noble exemple de notre attachement à notre dynastie, à nos institutions monarchiques ; jamais on n'a vu un pareil élan et unanimité dans une nation, pour faire éclater notre amour pour nos institutions décrétées en 1830.
Maintenant qu'on est persuadé que nous voulons conserver intact et sans autre ambition notre édifice social, il est plus que temps que nous mettions en évidence notre volonté de résister par la force et l'union à toute pression étrangère et prouver que nous saurons défendre notre existence politique sans être arrêtés par des sacrifices d'hommes et d'argent.
La commission militaire ainsi que le gouvernement nous proposent un nouveau régime que nous avons longtemps réclamé, c'est-à-dire de tenir nos jeunes soldats plus longtemps sous les armes, de leur donner en même temps le goût du service et une bonne instruction, et j'espère que, de cette manière, nous donnerons le goût des armes à notre armée, tandis qu'avec le système vicieux de ne tenir nos miliciens que six ou huit mois aux corps, il y avait toujours du mécontentement lorsque nous rappelions nos miliciens et ils avaient oublié ce qu'ils avaient appris d'une manière très imparfaite.
Maintenant la commission et le gouvernement nous proposent d'organiser une armée sur le pied de guerre de 100,000 hommes, c'est-à-dire une augmentation de 20,000 hommes. Comme j'étais décidé à me rallier aux propositions de la commission que j'avais demandées pendant tant d'années, je suis décidé à y donner mon assentiment.
J'ai lu avec attention les procès-verbaux et le travail de la commission et les raisons qu'on nous donne pour l'augmentation de l'armée ; elles me paraissent si bien fondées, que je n'ai pas balancé, même déjà en section, de donner mon adhésion aux demandes du gouvernement et ainsi sans aucune pression.
Il est vrai que nos miliciens seront tenus de rester deux ans de plus à la disposition du gouvernement, mais en temps de paix ce n'est véritablement que nominal ; car si nous n'avions que 8 classes de 10,000 hommes comme actuellement, vous pourriez en cas de guerre rappeler deux classes libérées, comme nous l'avions déjà fait depuis les événements de 1830. Nos militaires savent qu'en temps de paix, ils ne seront pas rappelés après 8 ans ; seulement on ne fera le décompte de leur masse qu'après dix ans, ainsi c'est le seul changement qu'on introduit.
Tous les crédits que le gouvernement nous a demandés pour la défense du pays, ont été votés presque à l'unanimité, et maintenant il nous faut une armée pour pouvoir défendre ce que vous avez décrété sans opposition et avoir une armée pour soutenir le système de défense adopté et approuvé par tout le monde.
Il est vrai que nous aurons avec ce nouveau système un budget qui sera augmenté de 5 millions. J'aurais certainement désiré une moindre charge annuelle, mais il faut savoir faire un sacrifice d'écus et ainsi donner en réalité du poids à nos paroles d'existence nationale.
Si nous devions trouver ces 5 millions par de nouveaux impôts, nous aurions pu mécontenter la nation, mais nous avons dans cette session procuré au gouvernement une nouvelle ressource annuelle de 2 millions par la conversion de la rente et qui, étant un impôt volontaire, a été reçu avec un véritable assentiment par tout le pays.
Aussi à cause de cette diminution de dépense, nous aurons, en 1854, un budget avec un excédant de 3,500,000 fr., et cependant on calcule sur un budget de la guerre de plus de 32 millions.
Il est vrai que nous aurons, à cause des grandes dépenses en dehors du budget, en 1854, une dette flottante de 28 millions, provenant principalement des grands travaux publics qu'on a décrétés avant de s'occuper de l'armée, et c'est ainsi une lourde charge de l'ancienne administration. Il faudra consolider cet arriéré, mais comme le budget de la dette publique contient déjà une somme de 880,000 fr. pour le service de la dette flottante, et comme il ne faut que 1,400,000 fr. pour l'intérêt et l'amortissement de ces 28,000,000, l'excédant présumé de 3,500,000 fr. pour 1854 ne sera diminué que de 500,000 fr. et il nous restera un excédant de 5,000,000.
Aussi, quand nous aurons consolidé la dette flottante (et j'engage M. le ministre des finances à y songer sérieusement et à ne pas tarder trop longtemps), nous pourrons, quand nous aurons décrété une bonne organisation de l'armée, voir avec calme tous les événements qui pourront surgir en Europe, et nous serons tranquilles sous le rapport financier et militaire, qu'il ne faut jamais séparer ; c'est sous ce rapport que je suis entré dans quelques détails, et j'ai voulu me rendre compte si, sans la moindre inquiétude, nous pouvons payer et entretenir ce que nous voulons pour la défense de notre nationalité, de notre existence politique.
Je finirai donc comme j'ai commencé ; j'ai voulu l'examen, par une (page 1298) commission, de notre organisation militaire. Jamais ni les chambres, ni la presse sérieuse n'ont réclamé contre la composition de cette commission, et cependant dans la session dernière il en a souvent été question dans cette enceinte ; alors, ceux qui se plaignent aujourd'hui qu'on n'y a pas adjoint des militaires en retraite, n'ont pas fait la moindre réclamation.
Ayant donc obtenu ce que je réclamais depuis tant d'années, un plus long service pour l'instruction de nos jeunes soldats, et en prenant en considéralion le changement politique survenu en Europe depuis 1848, je crois être parfaitement conséquent et logique, en donnant au gouvernement, aujourd'hui, mon vote approbalif pour une armée de 100 mille hommrs avec faculté de 10 ans de service, et je voterai également un budget de 32 millions ; ainsi aujourd'hui je donne mon adhésion à l'organisation de l'armée proposée par le gouvernement ; réservant seulement mon vote pour ce que le ministère nous demande en plus et qui n'a pas été accordé par la commission, c'est-à-dire les bataillons de réserve et le 7ème escadron pour nos régiments de cavalerie.
J'attendrai les discussions pour ces objets de détail et verrai les raisons qu'on nous donnera et qui seules constituent un léger différend entre le gouvernement et la commission.
Je finirai en disant que j'espère que lors de la discussion de la loi de la milice, on trouvera un moyen de compensation à la lourde charge de la conscription, et je me joindrai à nos honorables collègues qui déjà ont étudié cette difficile question qui, d'après moi, peut être résolue favorablement en faveur de ceux qui ne peuvent se faire remplacer.
- La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.