(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1578) M. Huveners fait l'appel nominal à deux heures et un quart.
- La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est adoptée.
M. Huveners fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants de Wyngene demandent l'union douanière avec la France. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Coffin, juge de paix (Waes), réclame contre l'interprétation donnée par la cour des comptes à l'article 32 du décret du 18 juin 1811. »
- Même renvoi.
« La chambre des avoués près le tribunal de Malines prie la chambre de ne pas se séparer avant d'avoir discuté le projet de loi qui modifie les tarifs en matière civile. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi.
« Le sieur Deswatine, candidat notaire à Peruwelz, présente des observations sur le projet de loi relatif à l'organisation du notariat. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.
« Les membres de l'administration communale d'Appels présentent des observations contre le projet d'établir le chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Messages du sénat faisant connaître l'adoption des projets de loi portant règlement des comptes de 1833, 1834 et 1835 et du projet de loi qui proroge la loi du 24 septembre dernier concernant les denrées alimentaires.
- Pris pour notification.
Il est fait hommage à la chambre par M. G.-L. Léonard, de 25 exemplaires d'une brochure intitulée : « Réflexions sur la restauration du palais de justice, sur la réforme électorale et sur le projet de loi réorganique du notariat.
- Dépôt à la bibliothèque.
Message de M. le ministre de la justice accompagnant l'envoi de renseignements sur six demandes de naturalisation.
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. d’Huart, ministre d’Etat. - Messieurs, je ne prends pas la parole dans cette discussion comme membre du cabinet ; je viens, en mon nom personnel et comme député, dire quelques mots en faveur de la loi qui nous est soumise, au moment où mon tour de parole arrive, après avoir été inscrit depuis trois jours sur la liste des orateurs tenue par le bureau.
Je n'ai pas la prétention d'apporter des lumières nouvelles dans ce débat, car il serait difficile de ne pas tomber dans des redites après les discours que nous avons entendus ; ainsi l'honorable ancien ministre des travaux publics, M. d'Hoffschmidt, n'a laissé aucune objection à réfuter, aucune observation essentielle à présenter, et par là il a ajouté à l'honneur d'avoir présenté le projet à la chambre, le mérite de l'avoir dignement défendu.
Pour faire ressortir l'importance de la demande en concession qui nous occupe, on s'est fortement appuyé sur les résultats extérieurs probables de la voie projetée, résultats qui paraissent être entrés pour beaucoup dans les prévisions de la compagnie concessionnaire. Pour moi, messieurs, qui n'envisage la chose que d'un point de vue beaucoup plus modeste ; pour moi, dis-je, qui ne veux dans cette question me préoccuper que des intérêts intérieurs, que des intérêts belges exclusivement, je trouve cependant que la disposition législative qui va décider l'exécution du chemin de fer du Luxembourg, consacrera l'un des monuments les plus grandioses et les plus glorieux que la Belgique ait jamais pu élever.
Qui eût osé croire, il y a quelques années, qu'un tiers environ de la superficie du pays, qui semblait condamné par la nature à rester dans un éternel isolement, sans participation sensible au bien-être, à la vie industrielle si active des autres parties du royaume, serait tiré de ce marasme, et que les territoires séparés de la capitale par un intervalle de 40 lieues, se trouveraient un jour reportés à six lieues de distance de cette même capitale, dont la proximité seule peut développer complétement les éléments de la prospérité publique !
Les avantages directs, immédiats, que ce chemin de fer procurera au Luxembourg et à la province de Namur, seront immenses. Il serait oiseux que je cherchasse à le démontrer, car l'évidence n'a pas besoin d'être prouvée.
Cette voie perfectionnée, reliée à l'Ourthe canalisée, opérera une révolution dans l'agriculture et dans l'industrie de ces deux provinces et dans une partie de la province de Liège ; des milliers d'hectares de terres incultes seront transformés, au moyen des engrais désormais faciles à obtenir, en terrains productifs.
Le pays pourra se suffire à lui-même en céréales.
Le bois, les divers minerais, les ardoises, les pierres, les écorces, tout recevra une valeur jusque-là inconnue.
A côté des forgeries et de tant d'autres usines rendues à l'activité, des tanneries, des faïenceries, s'élèveront de nouvelles fabrications devenues possibles par la facilité du transport des matières premières et des produits.
De ce mouvement extraordinaire résultera dans les provinces du Luxembourg et de Namur un accroissement de valeur territoriale équivalant au double peut-être de la valeur actuelle, augmentation de richesse dont la Belgique aura fait la complète paisible au grand profit de ses populations et de ses finances.
Dans les contrées privées de chemin de fer à côté de celles qui en sont dotées, l'industrie et le commerce sont placés dans un état ruineux d'infériorité dont la justice distributive appelle sans cesse le redressement. Le chemin de fer du Luxembourg rétablira l'équilibre qui a été rompu par ceux construits dans les autres provinces.
Comment pourrait-on sérieusement s'opposer à l'exécution de cette vaste conception ? Les produits du chemin de fer de l'Etat, au lieu d'y perdre, y gagneront ; car il est généralement admis aujourd'hui que les chemins de fer aboutissant même à des points centraux communs, loin de se nuire, servent d'affluents réciproques aux produits de leurs exploitations. On ne demande rien à la nation, c'est une société privée qui se charge de tous les frais et qui accepte toutes les responsabilités en même temps que les conditions qui ont été jugées nécessaires dans l'intérêt de l'Etat et du public, quant à l'usage de ce chemin de fer.
L'honorable M. Pirson s'est vivement récrié contre la direction que le chemin de fer paraît destiné à recevoir à partir de Namur, et il vous a exprimé ses regrets de ce que le chef-lieu de l'arrondissement qui l'a envoyé dans cette enceinte, n'ait pas été désigné comme point obligé du passage de la voie ferrée. Pour réparer ce qu'il considère comme une faute et une injustice, il propose d'introduire un amendement à la convention provisoire conclue avec les concessionnaires.
Ce que l'honorable membre a dit de l'importance de Dinant est exact, et je reconnais avec lui qu’il serait infiniment désirable que le chemin de fer pût passer tout près de cette ville ; mais malheureusement des obstacles naturels s'y opposent. On voit en effet dans l'un des rapports de M. l'inspecteur de Moor, déjà cité par un honorable préopinant, qu'outre un détour de trois lieues sur cinq et demie de distance totale entre Namur et Ciney, selon le tracé direct, il y a des difficultés de terrain à peu près insurmontables par le vallon de Leffe qu'il faudrait remonter de Dinant vers Ciney.
M. Pirson conteste, je le sais, l'exactitude des renseignements donnés par nos ingénieurs à cet égard ; il cite la déclaration qu'aurait faite un ingénieur de la société elle-même, et de laquelle résulterait la possibilité de remonter convenablement la vallée de Leffe ; mais en présence d'une (page 1579) étude sérieuse faite par nos ingénieurs, après qu'ils annoncent qu'ensuite d’un nivellement général, ils ont constaté les accidents de terrain qu'ils signalent, comment ajouter moins de foi à ce rapport qu'à la simple déclaration d'un ingénieur qui nous est inconnu et qui n'a produit aucun écrit pour justifier son assertion ? Et si celle-ci était exacte, pourquoi la société s'opposerait-elle au projet de son propre agent ?
Nous sommes libres sans doute de rejeter la convention passée entre M. le ministre des travaux publics et les concessionnaires ; mais nous ne pouvons leur imposer des conditions qu'ils ne sauraient remplir ou qui renverseraient entièrement le plan qu'ils se sont proposé. Ils ont contracté vis-à-vis de leurs actionnaires des obligations générales qu'ils doivent remplir ; or, s’ils déclarent que le passage par Dînant détruit, à raison du détour et de l'accroissement considérable de la dépense, les conditions fondamentales de leur entreprise et la rend impossible, force nous est de les laisser libres à cet égard, ou bien d'écrire dans la loi une clause qui, les dégageant de leur contrat, causera un véritable malheur public en nous privant de la communication qui nous est offerte.
Je suis, messieurs, dans une position analogue à celle de l'honorable M. Pirson, mais bien plus défavorable.
De même que de Namur à Ciney, les concessionnaires se réservent l'option, faculté que je regrette vivement, comme mon honorable collègue, qu'on leur ait accordée par rapport au départ primitivement obligé d'Yvoir ; les concessionnaires se réservent, dis-je, l’option entre deux tracés, dont l'un présente dix kilomètres de distance de moins que l'autre se rapprochant de Dinant. De même entre Recogne et Arlon, les concessionnaires se réservent de choisir entre deux tracés, l'un direct passant par les crêtes ayant neuf kilomètres de moins de longueur que l'autre se dirigeant par les vallées vers le centre de l'arrondissement qui m’a envoyé dans cette enceinte, et traversant celui-ci sur vingt-six kilomètres, tandis que le premier ne fait que toucher à l'extrême limite de cet arrondissement.
Le tracé par la Semois se rapproche davantage de la ville de Neufchâteau et des ardoisières d'Herbeumont ; contrairement à ce qui se rencontre sur celui des hauteurs, il traverse une quantité de villages très populeux où il y a d'importantes industries ; il passe près du village des Bulles à côté d'une montagne de marne qui procurerait, sans autres frais que ceux du transport, l'engrais le plus actif et le plus économique que l'on puisse employer pour fertiliser les terrains à bruyères des Ardennes. Ici, au surplus, il n'y a aucun obstacle à l'exécution des travaux ; au contraire, le système des pentes y est de beaucoup le plus favorable, l'exploitation y serait plus assurée et plus économique. Et cependant, malgré toutes ces considérations puissantes, je m'abstiendrai de présenter un amendement tendant à rendre obligatoire le passage par la Semois ; je n'essayerai pas d'empêcher que les choses restent abandonnées au libre arbitre de la société sous ce rapport, parce que je craindrais de compromettre l'exécution du contrat, et parce qu'à mes yeux l'intérêt général doit tout dominer, et qu'ainsi l'essentiel est d'obtenir un chemin de fer qui, traversant les provinces de Namur et de Luxembourg, rattache les chefs-lieux de ces provinces avec la capitale, quel que soit, quant aux détails intermédiaires, le tracé que l'on adopte.
J'ai dit, messieurs, que ma position était plus défavorable que celle de l'honorable M. Pirson ; et, en effet, en supposant que la compagnie adopte partout le tracé direct, l'arrondissement de Dinant aurait encore quarante kilomètres du chemin de fer, tandis que celui de Virton n'en obtiendrait qu'environ cinq. De plus, le tracé direct dans l'arrondissement de Dinant serait au moins favorable aux cantons de Ciney et de Rochefort, qui comprennent à eux seuls quarante-neuf communes et une superficie de 68,477 hectares, tandis que tous les cantons de l'arrondissement de Virton, qui est le plus riche de la province, seraient laissés à de beaucoup plus grandes distances du railway selon le tracé direct.
Je pourrais aussi, et au nom de tous mes commettants sans exception, adresser des reproches très vifs au ministre signataire de la convention, mais je craindrais d'être injuste envers lui ; je crois à ses bonnes intentions et je n'oublie pas que les conditions devaient être débattues entre deux parties également libres de contracter ou de ne pas contracter, et que, par conséquent, M. d'Hoffschmidt n'était pas maître d'imposer sa volonté.
L'honorable M. Pirson a demandé si la société qui sollicite la concession est sérieuse, si elle présente les garanties suffisantes pour l'exécution des travaux. Il a été répondu d'une manière satisfaisante à cette question par l'ancien ministre des travaux publies en ce qui concerne personnellement les représentants de cette société ; nous avons en outre le témoignage de l'honorable M. Osy, qui par ses relations est à même de connaître parfaitement la position financière et sociale de ces messieurs ; moi, je ne les connais en aucune manière, et je n'ai eu avec eux aucune espèce de rapport direct ni indirect ; mais il me semble que lorsqu'il a été mis au pouvoir du gouvernement un cautionnement de cinq millions en écus, lorsqu'en outre une somme plus considérable est déjà matériellement appliquée pour parvenir à l'achèvement de la canalisation de l'Ourthe, opération connexe au chemin de fer en question, toutes les garanties raisonnablement exigibles nous sont données, et plutôt que d'exprimer des inquiétudes, j'applaudis hautement et sans réserve au courage des hommes qui viennent ainsi s'engager à déverser chez nous, au profit exclusif de nos régnicoles, et en grande partie sous forme de main-d'œuvre pour la classe ouvrière, d'énormes capitaux.
L'article 47 du cahier des charges a soulevé des réclamations de la part de plusieurs honorables préopinants, et l'on demande même à la chambre de modifier cet article de manière à en retrancher la disposition qui garantit à la société concessionnaire que, pendant douze ans, il ne sera construit on Belgique aucun railway qui puisse faire concurrence au chemin de fer du Luxembourg. Cette disposition est cependant bien légitime, quoique exceptionnelle. Ainsi que l'a dit M. le ministre des travaux publics, l'entreprise du chemin de fer du Luxembourg est aussi tout exceptionnelle. Il y a encore beaucoup de personnes qui ne se rendent pas assez compte peut-être des relations de toute nature : que l'établissement d'une semblable voie fait naître, croient que la compagnie concessionnaire ne recueillera pas tous les bénéfices qu'elle s'est promis ; n'est-il pas nécessaire dès lors que cette compagnie soit, autant que possible, encouragée, protégée afin d'arriver au but, c'est-à-dire à l'exécution prompte et complète de cette entreprise, et par conséquent n'est-il pas prudent, raisonnable, juste, de lui donner la garantie formelle qu'une funeste rivalité ne viendra pas compromettre, ni même inquiéter la marche de ses opérations ?
Cette garantie, au surplus, messieurs, elle est purement morale et elle ne peut avoir d'autre utilité que d'agir favorablement sur l'esprit des actionnaires, car il est en dehors de toutes les probabilités qu'il se fasse jamais un chemin de fer de Pepinster vers Trêves, en vue duquel seul les objections se sont élevées, et il faut bien reconnaître que la seule direction admissible en Prusse pour relier le chemin de fer rhénan avec la Moselle à Trèves, serait celle ayant son point de départ à Aix-la-Chapelle.
La réserve portée à l'article 47, et dont le retranchement exposerait à une immense responsabilité, puisqu'il pourrait anéantir toutes les espérances d'avoir jamais un chemin de fer dans le Luxembourg, cette réserve, dont en tous cas la durée a un terme peu éloigné, ne saurait porter le plus minime préjudice à la partie occidentale de la province de Liège, ni à aucune autre partie du pays.
La loi qui nous occupe a rencontré aussi de l'opposition chez quelques membres qui craignent que l'embranchement de Bruxelles à Wavre, en ouvrant avec le chemin de Louvain à Namur, la communication directe entre cette dernière ville et la capitale, ne nuise aux produits du chemin de fer de l'Etat. Cependant les calculs incontestables qu'on lit dans l'exposé des motifs, prouvent, comme on l'a déjà rappelé, qu'en supposant qu'il n'y ait aucune compensation, la perte que la ligne directe de Bruxelles à Namur occasionnerait au trésor ne serait que de 137,000 francs ; mais cette supposition est toute gratuite, car il est évident que beaucoup de voyageurs nouveaux, arrivant à Namur par le chemin de fer du Luxembourg, prendront la ligne de Mons, et que d'un autre côté l'accroissement du nombre des voyageurs produit par la nouvelle voie se répandra sur les chemins de fer de l'Etat au-delà de Bruxelles.
Ce serait donc pour une crainte chimérique que l'on condamnerait les voyageurs de Bruxelles à Namur et réciproquement à parcourir éternellement un trajet de 22 lieues au lieu de 12. Je n'ajouterai rien, pour combattre une semblable prétention, aux raisons qui ont été produites avec tant de force dans une précédente séance par un honorable député d'Alost, dont je partage entièrement l'opinion, et qui par conséquent me trouvera tout décidé à appuyer de mon vote, quand l'occasion m'en sera offerte, la construction d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Gand, alors même que cette construction devrait s'exécuter aux frais de l'Etat.
En repoussant tous les amendements qui nous sont soumis, et en admettant, sans aucune espèce de modification, le projet dont nous sommes saisis, je croirai avoir servi les vrais intérêts de mon pays ; ainsi que je l'ai dit en commençant, rétablissement d'un chemin de fer reliant le Luxembourg à la capitale, sera, selon moi, l'un de plus beaux legs que la législature belge puisse laissera la postérité ; aucune considération ne saurait me faire admettre le risque d'en compromettre la réalisation.
(page 1583) M. Orban. - La chambre est trop pénétrée de l'importance des travaux publics, de l'influence qu'ils exercent sur le bien-être général, elle a imposé au pays des sacrifices trop considérables pour lui procurer un système de chemins de fer, pour ne pas accueillir avec faveur le projet de loi en discussion. Cependant si l'on devait en juger par les débats qui ont eu lieu jusqu'à présent, on serait amené à douter de cette bienveillance. En effet, sauf les défenseurs officiels et ceux en quelque sorte obligés qu'a trouvés le projet, personne ne s'est attaché à en faire ressortir l'immense utilité et il n'a, en quelque sorte, rencontré que des adversaires.
Il est cependant certain que jamais proposition plus conforme aux vrais intérêts du pays n'a été soumise à la législature. Si le projet de chemin de fer de l'Etat était plus vaste dans sa conception, s'il promettait et s'il a produit réellement des résultats plus grands, il faut considérer que ces résultats n'ont été acquis qu'au prix de sacrifices non moins grands, tandis qu'aujourd'hui les charges qu'il s'agit d'imposer au pays sont nulles et à peine appréciables.
La concession qui vous est soumise renferme l'ensemble de travaux publics, le plus grand qui ait été soumis à la chambre. Il s'agit de doter le pays, sans bourse délier, d'une voie ferrée de 40 lieues d'étendue, dont 30 seront sur le territoire belge, dont 26 constitueront un affluent productif au chemin de fer de l'Etat, et d'une voie navigable qui doit réaliser en partie un des plus beaux projets qui aient été conçus par le gouvernement des Pays-Bas.
J'ajouterai, et la chambre en est maintenant convaincue, que cette préposition est entourée des garanties les plus sérieuses dont aucune demande de ce genre ait encore offert l'exemple jusqu'à présent.
Les résultats du chemin de fer luxembourgeois sont incalculables. Il est évident qu'en rapprochant le Luxembourg du reste de la Belgique par une voie rapide et économique ; vous rendez la vie à son industrie et à son commerce ; vous augmenter d'une part la valeur de ses productions, de toute nature, tandis que, d'un autre côté, vous diminuez le prix de revient des objets de consommation que les habitants du Luxembourg doivent demander aux autres provinces de la Belgique.
Vendre plus cher et acheter à meilleur marché, c'est en réalité se trouver plus riche ; et il n'est pas douteux que cette double cause de bien-être et d'amélioration ne réagisse sur la valeur de toutes choses, sur la valeur de la propriété territoriale surtout, de manière à doubler en peu de temps l'importance de cette province. C'est donc une véritable conquête qu'il s'agit de faire, conquête toute pacifique, par laquelle il vous sera donné de réparer matériellement, et autant qu'il est en vous, le préjudice causé à la Belgique par le regrettable abandon d'une partie de cette province, i Telles seront inévitablement les conséquences de l'établissement du chemin de fer luxembourgeois. Mais les résultats prochains et immédiats de ce projet, ceux qui doivent être la conséquence de l'exécution même des I travaux, ont une importance qui doit frapper la chambre.
Ces travaux donneront lieu à une dépense de 30 millions, qui viendront accroître le capital national. De ces trente millions, huit au moins seront employés à rétribuer la main-d'œuvre et deviendront le patrimoine de la classe ouvrière.
Que la chambre veuille bien donner son attention au fait que je lui signale : car il renferme, selon moi, la solution de deux des questions les plus importantes, dont le gouvernement ait à se préoccuper. Je veux parler du défrichement de nos terrains vagues et de la destruction du paupérisme des Flandres.
Ce qui manque à la province de Luxembourg pour mettre ses bruyères en culture, ce sont des bras et des capitaux. Eh bien, huit millions vont être déversés dans le pays, vont devenir perdant plusieurs années le partage de la classe ouvrière, de ces hommes laborieux auxquels il ne manque qu'un pécule pour acquérir des terres et pour les fertiliser.
D'un autre côté, il n'a pu vous échapper non plus, que la province de Luxembourg, avec sa faible population, ne pourra, bien loin s'en faut, (page 1584) fournir à elle seule la main-d'œuvre que nécessiteront des travaux aussi considérables. On devra demander des ouvriers aux autres provinces. Eh bien, que l'on s'adresse aux Flandres, qu'on demande des travailleurs à sa population exubérante. Transplantés ainsi naturellement sur le sol de la province de Luxembourg, où ils resteront fixés pendant plusieurs années, ils trouveront dans leur travail, les moyens d'acheter des terres et dans leur expérience des travaux de l'agriculture, dans leur connaissance des bonnes méthodes, dans leurs habitudes laborieuses, les moyens de les fertiliser. Ils contribueront ainsi par leur exemple, non moins que par leur travail, à amener la transformation agricole de nos Ardennes.
Mais il importe que le gouvernement ne s'endorme pas ; l'occasion est là, il doit la saisir et aviser aux moyens d'organiser cette double transformation. Ce n'est point d'aujourd'hui que l'on a entrevu la possibilité de faire servir la population laborieuse des Flandres au défrichement de nos bruyères, et le défrichement des bruyères à détruire le paupérisme des Flandres. Ou je me trompe fort, ou M. le gouverneur de la Flandre occidentale songeait à réaliser ce projet lorsqu'il s'adressait à l'administration de la province de Luxembourg pour s'informer de l’étendue et de la condition des terrains vagues et de la possibilité de les acquérir.
Il manquait alors une chose pour réaliser ce projet, c'était l'occasion d'opérer cette transformation, de procurer aux ouvriers pauvres les moyens de se transporter dans le Luxembourg, de s'y acclimater et d'y devenir propriétaires. Eh bien, cette occasion va se présenter naturellement, et l'exécution du chemin de fer luxembourgeois est le moyen assuré, pour peu que le gouvernement veuille bien y aider, de porter remède au paupérisme des Flandres en opérant, sans qu'il en coûte une obole au trésor, la colonisation agricole d'une partie de nos terres en friche.
C'est assurément une tâche digne d'un gouvernement éclairé et qui mérite toute sa sollicitude.
S'il fallait une preuve de l'importance du chemin de fer, dont la concession est demandée, nous la trouverions dans le privilège qu'il a eu d'absorber presque toute l'attention au préjudice de l'importante voie navigable dont la société concessionnaire doit aussi doter le pays. Le canal de Meuse et Moselle, projeté sous le gouvernement précédent, fat la grande conception de l'époque. Accueillie avec enthousiasme elle avait reçu un commencement d’exécution lorsqu'elle fat subitement interrompue par les événements de 1830.
Depuis lors que de regrets n'a pas excités dans la Belgique, dans la province de Luxembourg surtout, qu’elle était appelée à vivifier, l'abandon de cette entreprise ! L'honorable M. Rogier lui-même a souvent déploré à cette tribune l'abandon de ce grand ouvrage d'utilité publique et l'état d'interdit et de délaissement dans lequel elle plaçait l'un de nos plus beaux cours d'eaux. Eh bien, messieurs, la société qui se présente pour exécuter le chemin de fer du Luxembourg, s'offre également et accessoirement en quelque sorte, à combler en partie cette regrettable lacune. Elle doit exécuter le canal de La Roche à Liège, et mettre ainsi en communication avec l'un de nos centres de population et d'industrie les plus importants, une province avec laquelle elle a les relations les plus nombreuses.
Tels sont, messieurs, les avantages immenses dont on vous offre de doter le pays, sans lui imposer de sacrifices appréciables.
J'ai trop de confiance dans le patriotisme de la chambre pour croire qu'elle puisse envisager avec indifférence un projet qui doit combler de tant de bienfaits une partie du pays. Cependant, messieurs, l'on discute depuis trois jours, l'on marchande en quelque sorte l'acceptation d'une pareille proposition. Quelles sont donc les objections graves qu'on a pu lui opposer ? Qu'il me soit permis, à mon tour, après la réfutation si complète dont elles ont été l'objet, de les passer en revue.
La principale objection est tirée de l'article 47 du cahier des charges. Je n'en ferai pas connaître la teneur ; vous la connaissez suffisamment. On a généralement reproché au gouvernement d'avoir souscrit cette condition. Les membres les plus portés à accueillir le projet, ont cependant regretté que le gouvernement eût consenti à l'accorder. Eh bien, messieurs, je le déclare franchement, je ne partage pas cette manière de voir et je ne vois là rien qui soit regrettable. Je pense que le gouvernement a agi habilement, sagement, dans cette circonstance, qu'il a agi conformément aux véritables intérêts du pays.
Vous n'ignorez pas, messieurs, que la concession demandée ne présente pas des avantages bien apparents ni surtout bien immédiats ; il est certain que le chemin de fer du Luxembourg ne peut produire les avantages que les concessionnaires sont en droit d'en attendre qu'au bout d'un assez grand nombre d'années, que lorsque l'ensemble du système sera réalisé, c'est-à-dire lorsque, indépendamment de la ligne du Luxembourg, on aura exécuté la continuation vers Trêves et même vers Trieste.
Eh bien, messieurs, je le demande, lorsque des étrangers consentent à verser des capitaux immenses dans une pareille entreprise, en vue de résultats aussi éloignés, n'est-il pas nécessaire d'accorder à la société qui demande la concession, tous les privilèges, toutes les assurances, toutes les garanties qu’elle peut légitimement exiger ?
Et n'était-ce point une exigence bien modeste, bien légitime de sa part, que d'obtenir l'assurance qu'une concession rivale ne viendrait point changer les conditions de l'entreprise avant même que celle-ci ne fût arrivée à son terme.
A mon sens, le gouvernement a d'autant mieux agi de ne pas résister sur ce point qu'en souscrivant l'article 47, il faisait une concession qui pour lui était purement nominale, tandis qu'au contraire elle était fort importante pour la société qu'elle devait rassurer sur des dangers imaginaires.
Il est difficile d'admettre, en effet, que le concours de circonstances qui a rendu possible l'exécution du chemin de fer du Luxembourg puisse se produire une seconde fois. Il a fallu pour cela qu'une grande idée fût conçue par des hommes persévérants, par des hommes haut placés dans la province. Il a fallu peut-être que ces mêmes hommes fussent liés, dès l'origine, à la négociation, comme ils l'ont été par le rachat de la concession du canal de l'Ourthe.
Quelle consistance présente le projet dont il a été fait mention, d'établir une voie ferrée de Pepinster à Trêves ? Quels sont les capitalistes connus qui sont à la tête de cette entreprise, quelles garanties ont-ils offertes ? C'est à peine s'il existe une idée arrêtée à cet égard. N'avez-vous pas entendu en effet l'honorable M. d'Hoffschmidt vous lire une dépêche dont il résulte que le comité des chemins de fer trévirois est disposé à se relier à la Belgique par la ligne du grand Luxembourg, tandis que l'honorable M. David, organe des auteurs du projet vers Pepinster, vous faisait connaître que ceux-ci étaient disposés à accorder la préférence au tracé qui relierait Trêves au railway de Cologne sans quitter le territoire prussien.
Je n'hésite donc point à le dire, messieurs ; radier l'article 47, faire subir au cahier des charges une modification qui rendrait à la société concessionnaire du Luxembourg la liberté de se soustraire à ses engagements, ce serait sacrifier la certitude la plus avantageuse à la plus incertaine éventualité ; ce serait, qu'on me passe l'expression, abandonner la proie, pour l'ombre.
Et que l'on ne pense pas que la modification de l'article 47 ne soit point de nature à compromettre le sort de la concession. Sans doute, la société est sérieuse, elle est bien disposée à réaliser ses projets, mais aussi la perspective de rentrer dans l'énorme capital de 5 millions déposée comme cautionnement, offre une bien dangereuse séduction, et l'on pourrait voir renaître la proposition déjà agitée une fois à Londres dans l'assemblée des actionnaires de se borner à la concession et à l'exécution du canal devenu la propriété de la société.
La chambre, j'en ai l'assurance, ne livrera point les graves intérêts qui lui sont confiés à de pareils hasards.
J'aborde la seconde objection importante qui a été faite contre le projet, je veux parler de celle qui consiste à considérer l'exécution du chemin de fer de Wavre à Bruxelles, comme devant constituer une concurrence au chemin de fer de l'Etat. Mais ici, encore une fois, je crois que le gouvernement a bien fait de modifier la concession primitive, car il lui importait de rendre la concession la meilleure possible, il lui importait que la société devînt sérieuse, il lui importait de lui procurer des avantages tels que la société pût persévérer dans l'exécution du projet. Eh bien, cette clause a notablement contribué à procurer ces avantages à la concession qui vous est demandée.
Il est évident qu'on ne peut pas songer éternellement à refuser d'établir un chemin de fer direct de Bruxelles à Namur. De toutes les villes de la Belgique qui sont reliées à la capitale, il n'en est aucune qui soit reliée plus indirectement que la ville de Namur ; le détour est près de moitié. Vous avez déjà accordé des concessions, tendant à établir une communication directe entre des villes déjà reliées par le chemin de fer, et pour lesquelles il existait un détour moins considérable. Ainsi on ne peut songer sérieusement à refuser à la ville de Namur, la communication directe que sa position réclame.
Toute la question est donc de savoir si cette concession, à raison du préjudice qu’elle causerait au chemin de fer de l'Etat, à raison des avantages qu'elle peut présenter, ne devrait pas être réservée au gouvernement lui-même, si le gouvernement ne devrait pas se réserver l'exécution de ce chemin de fer.
Eh bien, je dis que cette question ne peut guère être résolue affirmativement. Déjà une partie de cette voie ferrée, celle de Wavre à Namur, est concédée, et ne peut plus être exécutée par l'Etat. La partie qui reste à exécuter, de Bruxelles à Wavre, présente des difficultés immenses ; elle donnerait lieu à des frais aussi élevés que la partie la plus dispendieuse de la ligne de la Vesdre. Je vous laisse à apprécier si le gouvernement devrait se charger de construire la partie la plus dispendieuse de la ligne de Bruxelles à Namur, et partager les bénéfices de cette ligne avec la société déjà concessionnaire de la majeure partie de la ligne de Bruxelles à Namur.
Cette première considération fait disparaître la possibilité pour le gouvernement de se réserver la construction de cette section de chemin de fer. Quand le gouvernement pourrait avoir la pensée de l'exécuter, il me semble alors qu'il y aurait lieu de tenir compte de la différence d'une exécution immédiate avec une exécution plus ou moins éloignée.
L'exécution de nos chemins de fer a été extrêmement coûteuse, parce qu'on y a mis beaucoup d'empressement, et cet empressement a contribué à augmenter considérablement les prix des matériaux et tous les frais d'exécution. Cependant jamais personne n'a songé à s'en plaindre, à en faire un reproche au gouvernement ni à la législature, parce que l'on a procuré au pays l'avantage de jouir quelques années plus tôt de ce nouveau moyen de communication.
Cet avantage de jouir plus tôt d'un vaste système de communication a suffi pour faire oublier le préjudice causé au trésor par l'exagération des frais de construction.
La même considération se présente en faveur de la concession qui vous est demandée. Si vous accordez la concession, l'exécution sera immédiate ; si l'Etat se réserve la construction de cette ligne, elle sera retardée Dieu sait pendant combien d'années.
(page 1585) Ainsi, vous le voyez, si la question se présentait de savoir si l'Etat doit se réserver la construction du chemin de fer de Namur à Bruxelles, prise isolément, vous auriez déjà bien des motifs de vous prononcer en faveur d'une solution négative. Mais il ne s'agit pas ici de concéder une ligne de chemin de fer de Bruxelles à Wavre ou de Bruxelles à Namur, mais bien une ligne de Bruxelles à Arlon, dont cette section n'est qu'une partie fort minime.
Cette concession a donc été accordée à une société qui se charge d'une entreprise importante qui entraînera pour elle des sacrifices considérables, dont l'Etat a jugé l'exécution impossible par lui-même ; les conditions favorables et celle-ci est du nombre, insérées au cahier des charges, peuvent être considérées comme un avantage indirect accordé à la société par le gouvernement.
Une seconde considération non moins pressante, c'est que le préjudice que pourrait causer à l'Etat la concession d'un chemin de fer de Bruxelles à Namur, disparaît lorsqu'il s'agit de prolonger la ligne jusqu'à Arlon, car alors des avantages de toute nature viennent amplement compenser cette diminution de produits.
En effet, de Namur à Arlon, c'est-à-dire sur une étendue de plus de 26 lieues, la nouvelle ligne constituera un affluent au chemin de fer de l'Etat qui le mettra en communication avec le Luxembourg entier et une partie de la province de Namur.
On vous a dit que certaines provinces fournissaient au chemin de fer au voyageur sur 7 habitants, d'autres un voyageur sur 2 1/2 habitants. Eh bien, le Luxembourg en fournit à peine un sur 40. Cette différence immense ne peut provenir que de l'absence de communication par voie ferrée entre le Luxembourg et le railway national et doit cesser avec la cause qui l'a produite.
Vous pouvez apprécier aussi l'augmentation de transports de voyageurs qui devra nécessairement résulter de l'établissement du chemin de fer projeté. Il est évident qu'au lieu de fournir un voyageur sur 40 ou 50 habitants, il en fournirait par la suite un sur 10 ou 12 comme les autres provinces. Le transport des marchandises venant de la même province, ou en destination pour elle, subira nécessairement une augmentation analogue. N'est-ce point là déjà une large et suffisante compensation ?
Mais les compensations pour le trésor ne se bornent point là ; ce ne sera même que la plus faible partie. L'augmentation considérable dans la valeur des terres, la mise en culture des bruyères, leur transformation en prairies ou terres arables promettent à l'Etat, dans l'avenir, une augmentation assurée de l'impôt foncier. Elles lui assurent une augmentation considérable et plus prochaine des droits de mutations et d'enregistrement. Il n'est pas jusqu'aux droits de patente qui deviendront plus productifs par suite de l'impulsion donnée au commerce et à l'industrie.
N'est-ce point là, je le demande encore, une compensation magnifique autant qu'elle est certaine, d'un sacrifice de 130,000 fr. environ, que subirait maintenant la recette du chemin de fer ?
Il fut un temps où l'on était plus large et plus vrai dans les principes que l'on proclamait en cette matière. L'on disait alors que l'intérêt dominant des chemins de fer, c'était l'intérêt commercial et industriel, le besoin de rapprocher les populations ; l'on reconnaissait que l'intérêt du trésor, quelque puissant qu'il fût, devait céder devant l'intérêt général. En serait-on venu aujourd'hui à prétendre qu'une diminution dans les recettes du chemin de fer n'est pas même compensée par une augmentation correspondante dans le revenu des autres branches du trésor ?
Je regrette, comme l'honorable orateur qui a pris la parole avant moi, que la ville de Dinant ne soit pas reliée au chemin de fer projeté, je le regrette dans l'intérêt du Luxembourg qui a de nombreuses relations avec Dinant, et dans l'intérêt de cette ville même qui est un centre important de population, de commerce et d'industrie.
Toutefois, messieurs, malgré le regret que j'éprouve, je suis amené à considérer la modification qu'a subie sous ce rapport le cahier des charges comme avantageuse. Car nous lui devons en quelque sorte la certitude d'avoir le chemin de fer, et cet intérêt doit dominer à mes yeux tout intérêt secondaire, quelque puissant qu'il soit du reste. C'est pour obtenir cette modification que la société a recouru à la faculté que lui accordait le contrat de renoncera l'exécution du chemin de fer, sans perdre son cautionnement, dans le cas où la dépense se fût élevée à plus de 800,000 fr. par lieue. Il est évident que cette clause rendait le cautionnement et tous les engagements à peu près illusoires, et offrait à la société toutes sortes de moyens de se délier.
Je ne terminerai point sans dire un mot encore de la gravité de la mesure soumise à la chambre. C'est véritablement une question d'existence pour la province à laquelle j'appartiens par ma naissance, par mon mandat, par mes affections. Il s'agit pour elle de savoir si elle sera ou non privée à tout jamais de ce puissant agent de civilisation et de bien-être auquel la Belgique doit une partie de ce qu'elle est.
Il s'agit de savoir si les habitants de l'Ardenne sont voués pour toujours à cette condition misérable et chétive, à cette condition si dure que Tacite, l'historien de la Germanie, déclarait que l'amour du pays natal seul pouvait la rendre supportable.
Il s'agit de savoir si la distance si grande qui sépare le Luxembourg des autres provinces de l'heureuse Belgique est à jamais infranchissable, si nous sommes destinés à voir se reproduire dans l'avenir ce fait si déplorable de la disette sévissant dans une province, tandis que dans les autres le prix des subsistances se trouve à un taux normal. : J'ai vu, messieurs, dans l'auditoire de cette chambre pendant une partie de cette discussion, les premiers magistrats de la province de Luxembourg et de la capitale venir à Bruxelles pour confirmer l'existence de ce fait et demander que le gouvernement y appelât des remèdes. Je les ai vus, je dois le dire, péniblement émus de voir discuter et mettre en quelque sorte en question la grande mesure que le Luxembourg attend avec tant d'impatience et qui doit prévenir le retour des calamités qui sévissent en ce moment sur elle. Puissiez-vous leur envoyer une solution qui les rassure et les console.
(page 1579) M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, j'ai demandé la parole pour donner à la chambre quelques explications, qui me paraissent nécessaires en présence de l'amendement déposé par l'honorable M. Osy à la séance de samedi.
Autant que l'honorable membre, messieurs, je tiens à ce qu'il y ait, dans l'administration, de la moralité et de la régularité. Les actes des agents de l'administration doivent, dans ma pensée, être non seulement irréprochables au point de vue de la droiture, de la loyauté et de la bonne foi, comme ils l’ont été dans l'occurrence ; ils doivent encore être inattaquables, à quelque point de vue que l'on se place.
Je l'avouerai franchement, messieurs, toute critique du genre de celle faite par l'honorable membre, est, à mes yeux, peu susceptible d'être discutée, d'être combattue, même par les arguments qui pourraient légitimement lui être opposés.
Je renonce donc, messieurs, à combattre l'honorable M. Osy, et je me bornerai à m’expliquer sur la proposition de cet honorable membre.
D'après le cahier des charges, messieurs, il n'est pas intervenu, entre le gouvernement et la société concessionnaire, de convention, aux termes de laquelle les projets devaient être faits par les agents du gouvernement, moyennant un prix déterminé à fournir par la société au gouvernement. Le cahier des charges impose à la société l'obligation de couvrir toutes les dépenses d'exécution des projets, sans limitation de chiffre. La société, messieurs, a complétement satisfait à cette obligation. Il s'ensuit que cette société ne pourrait être obligée à payer une seconde fois les frais de l’exécution du projet. Si donc l'amendement de l'honorable M. Osy était adopté, ce seraient les ingénieurs de l'Etat, qui auraient à verser au trésor de l'Etat une somme de 75,000 francs.
(page 1580) Ce versement, messieurs, serait rigoureusement possible, si la somme de 75,000fr. dont il est question, ne représentait qu'une rémunération du travail des ingénieurs. Mais, messieurs, telle n'est pas la position. Cette somme de 75,000 fr. comprend, en majeure partie, des dépenses toutes matérielles. Je citerai notamment des acquisitions d'instruments, des journées d'ouvriers chaîneurs, d'ouvriers bûcherons, des indemnités payées pour dégâts occasionnés à des propriétés boisées.
Evidemment, messieurs, pour toutes les dépenses de ces différentes natures, les parties prenantes sont autres que les ingénieurs. Pour toutes ces dépenses matérielles, les payements faits doivent être considérés comme définitifs et la chambre jugeât-elle convenable d'adopter l'amendement de l'honorable M. Osy, elle devrait restreindre la somme à verser au trésor de l'Etat, à ce qui a été réellement accordé aux ingénieurs à titre de rémunération, à titre de dédommagement de leurs dépenses personnelles.
L'amendement ainsi formulé, messieurs, ne me semble pas nécessaire, et je pense que l'honorable M. Osy n'aura plus de motifs d'insister pour son amendement, après la déclaration que je vais faire.
Je déclare, messieurs, que la somme qui a été touchée par les ingénieurs, à titre de rémunération de leur travail et de dédommagement de leurs dépenses personnelles, sera restituée à la société, que le gouvernement réglera par lui-même les indemnités qui peuvent être dues à ces agents et qu'il invitera la société à en verser le montant au trésor de l'Etat.
Je pense, messieurs, que cette déclaration doit donner à l'honorable M. Osy une entière satisfaction et qu'elle amène dans cette affaire une complète régularisation.
M. Desmet. - Messieurs.je m'empresse de témoigner ma vive reconnaissance à l'honorable ministre d'Etat qui a parlé le premier en cette séance, pour les quelques mots de consolation qu'il a prononcés, pour les sentiments d'intérêt qu'il a manifestés en faveur d'une contrée de 200,000 habitants qui est en souffrance et que l'on voudrait laisser dans son état d'abandon, et j'ose espérer qu'il réussira à faire partager, par ses collègues du cabinet, son opinion consolante, et que des prétextes ne seront plus cherchés pour refuser la présentation d'un projet qui sera si éminemment au profit du trésor de l'Etat et en général très avantageux au pays, et dont l'étude est incontestablement très complète.
Messieurs, je voterai en faveur du projet de loi qui décrète la construction, par concession, d'un chemin de fer de Bruxelles à Arlon, et qui se dirige directement par Namur ; je le voterai sans aucune modification. Je dois trop reconnaître que le Luxembourg en a un grand besoin, aussi bien pour y introduire des produits que pour en retirer ; un fait constant c'est que le Luxembourg, comme toutes les autres contrées qui sont privées d'un chemin de fer, est comme dans une île qui est inabordable. Oui, messieurs, depuis que le système des chemins de fer a été généralisé dans le pays, depuis la loi de 1837, toutes les parties qui ne jouissent pas de cette faveur se trouvent comme entièrement isolées et leur commerce et leur industrie en souffrent considérablement ; c'est ce que le gouvernement doit reconnaître et ne peut pas faire l'imprudence de méconnaître, car la souffrance engendre du mécontentement et surtout quand des motifs réels existent.
Messieurs, un fait existant dans ce moment doit faire voir tout de suite combien est vrai ce que j'avance et combien le Luxembourg est dans la souffrance par la privation d'une bonne voie de transport. Le prix du froment est en ce moment à Arlon, de 32 fr., tandis qu'à Anvers et dans les Flandres, il n'est que de 22 à 23 fr. Et d'où provient cette différence ? De l'absence de moyens de transport. Nous avons fait un chemin de fer en faveur des Allemands ; nous importons d'Anvers en Allemagne toutes les matières premières et nous recevons les produits allemands ; mais nous sommes dans l'impossibilité d'envoyer des denrées ou d'autres marchandises ou produits dans le Luxembourg et de recevoir les produits de cette partie du pays. Le Luxembourg ne peut pas tirer d'Anvers les grains dont il a un si grand besoin en ce moment.
Il ne peut pas non plus recevoir les grains français, à cause du droit de sortie qui existe en France. Il me semble que ces considérations seules suffiraient pour nous déterminer à accorder au Luxembourg la voie de communication qui lui est offerte.
Quant aux produits du Luxembourg, il y a par exemple les écorces qui sont une matière première pour les tanneries de l'intérieur, les ardoises que nous ne devrions plus tirer de la France, le plâtre qui ne se trouve que là, surtout le bon minerai ; nous n'avons plus ce bon fer du Luxembourg dont nous avons besoin pour faire de l'acier.
Ensuite, messieurs, le Luxembourg a droit à ce chemin de fer. Puisque nous avons établi un vaste système de voies ferrées, toutes les localités un peu importantes doivent y avoir leur part, et si l'on ne suit point ce principe, on entre forcément dans un système de privilège que votre Constitution repousse et qui est la source de toute espèce de mécontentement.
Messieurs, j'adopterai le projet sans aucune modification ; je repousserai tous les amendements, car je crains fort que si vous alliez introduire dans la convention ou dans le cahier des charges quelque modification, la concession pourrait péricliter. Les demandeurs ont dû faire des études très sévères pour trouver le moyen d'exécuter la construction, et si vous deviez, en quelque point que ce soit, contrarier leur projet, il est très probable qu'ils abandonneraient leur demande, car on sait que le Luxembourg n'est pas un pays facile à y faire des chemins de fer.
On fait deux objections assez importantes ; la première c'est que vous enlevez à l'Etat le produit de 50 kilomètres de son chemin de fer. Messieurs, cela peut être, mais je vois que le gouvernement ne le craint pas ; M. le ministre des travaux publics, qui a présenté le projet, nous a dit qu'il y a moyen de compenser cette perte. D'ailleurs, messieurs, vous avez concédé avec une facilité extrême d'autres chemins de fer qui font de même beaucoup plus de tort aux lignes de l'Etat que ne pourra jamais leur en faire le chemin de fer du Luxembourg.
Le chemin de fer de Gand à Anvers est dans ce cas, et chose assez remarquable, qu'alors on n'a pas entendu les plaintes de Malines et de Termonde qui, cependant, quand le chemin sera achevé, perdront les voyageurs qui se rendent de Gand à Anvers. Il en est un autre qui pourra faire encore bien plus de tort au railway national, c'est le chemin de fer de Jurbise. Et j'appelle sur ce point toute l'attention du gouvernement. Ce chemin de fer nous enlèvera, non seulement un grand nombre de transports vers la Flandre, mais il fera un tort considérable au port d'Ostende et aux bateaux à vapeur appartenant à l'Etat ; la plupart des voyageurs venant d'Angleterre débarqueront à Calais, et pour se rendre en Allemagne ils se dirigeront par le chemin de fer dé Mouscron, Tournay et Jurbise, pour se rendre soit à Bruxelles, soit en Allemagne, soit à Valenciennes, et que les voyageurs seront surtout aidés par les chemins concédés de Manage et de Liège à Namur, ce qui se fera au détriment du chemin de l'Etat et au profit des concessions.
Et ensuite on ne passera plus autant par le centre du pays, et lorsqu'on ne passe pas par le centre, par la capitale, on ne s'arrête pas, car ce n'est que pour la capitale qu'on séjourne. Il y aura par Jurbise une diminution de distance de 15 lieues, c'est là le motif pour lequel cette voie sera préférée. Cependant si vous faisiez un chemin de fer direct de Bruxelles vers la ligne de l'Ouest, il y aurait au contraire un avantage de 4 kilomètres, par le chemin de fer de l'Etat, car le chemin direct de Bruxelles à la ligne de l'Ouest raccourcit la distance de 19 kilomètres. Alors le railway national ne serait pas déserté et le port d'Ostende ne subirait pas le tort considérable dont je viens de parler. Quand l'honorable ministre des travaux publics pèsera cette considération, je dois penser qu'il n'aura plus longtemps le penchant d'ajourner la présentation du chemin de Bruxelles vers l'Ouest, car il devra reconnaître que cette voie est le seul remède, le seul antidote au mal que les concessions de 1845 auront fait aux revenus de chemin de l'Etat.
La deuxième objection est relative à l'interdiction de construire un chemin de fer de Pepinster vers Trêves. Mais, messieurs, si vous voulez que le chemin de fer du Luxembourg s'exécute, il faut accorder à la compagnie ce petit monopole qu'elle demande pour 12 années seulement. Quant à la ligne de Coblentz, je ne vois pas qu'elle puisse faire concurrence au chemin de fer du Luxembourg, et, dès lors, elle ne serait pas interdite, car l'article 47 n'interdit que la construction des lignes de nature à faire concurrence à celle dont la compagnie se charge.
M. Lys. - Je n'étais nullement opposé à la concession du chemin de fer du Luxembourg ; je la voyais, au contraire, avec plaisir ; mais je vous avoue, messieurs, que je ne m'attendais nullement à voir produire ce paragraphe| 2 de l'article 47. Je ferai observer que contre ce paragraphe se sont élevés non seulement un ingénieur civil, M. Delaveleye, mais la section centrale elle-même qui nous démontre combien ce paragraphe est nuisible au railway de l'Etat.
En effet, messieurs, la section centrale nous dit que, pour nous conserver le marché de Cologne, le chemin de fer du Luxembourg est extrêmement nécessaire. Ainsi, d'après la section centrale, le marché de Cologne devrait être desservi à l'avenir par le chemin de fer du Luxembourg. Eh bien, je vous le demande, quelle perte n'en résulterait-t-il ras pour le railway national ?
Le paragraphe 2 de l'article 47 interdit à l'Etat de concéder tout autre chemin de fer depuis Liège ou au-dessus, jusqu'à la frontière prussienne. L'Etat ne pourra donc pas, pour sauver ses intérêts, concéder un chemin de fer, soit en partant de Pepinster, soit en partant de Liége en amont de la Meuse, soit en partant de Chênée. Voilà la position où l'on met le railway national ; il doit se soumettre à toutes les éventualités
Une concession est demandée ; elle porte un grand préjudice au chemin de fer de l'Etat ; c'est égal ; la concession est demandée, elle est utile à certaines localités ; que le chemin de fer de l'Etat soit sacrifié !
Vous vous mettez, messieurs, dans une position tout à fait contraire-à celle où vous vous étiez placés jusqu'à présent. Vous vouliez que le chemin de fer produisît non-seulement l'intérêt à S p. c. des sommes employées à sa construction ; vous vouliez encore qu'il couvrît annuellement les sommes nécessaires à l'amortissement des emprunts contractés, vous vouliez même qu'il couvrit la perte résultant de ces emprunts, perte assez considérable.
Je suis même étonné de voir les adversaires du chemin de fer, l'honorable M. de Mérode, par exemple, lui qui a toujours provoqué une augmentation du prix du transport des voyageurs et des marchandises sur le railway national ; de voir, dis-je, ces membres ne faire aucune opposition à une demande qui doit avoir pour résultat de sacrifier en grande partie notre chemin de fer.
Ainsi le railway national doit être le tributaire de tous les railways qui seront accordés.
M. le ministre des travaux publics a dit avant-hier : « Les concessions que nous avons faites jusqu'à présent, n'ont pas causé de tort au railway de l'Etat. Qu'est-ce en autorise M. le ministre à faire une semblable déclaration ? Les chemins de fer concédés sont-ils exécutés ? Le ministre peut-il connaître dès à présent si oui ou non nous ferons une perte ? Mais (page 1581) non ; on ne pourra savoir cela que plus tard ; jusque-là nous resterons nécessairement dans le doute.
J'ai cru jusqu'à présent que, dans l'intérêt général, on n'aurait dû accorder l'entreprise particulière d'aucune ligne de chemin de fer sans avoir formulé un plan d'ensemble ; sinon, il y a danger à voir dilapider la fortune publique.
Un principe absolu devait servir de guide : ce principe est celui-ci : « Les concessions demandées ne devront pas nuire aux lignes de l'Etat. » Le gouvernement me semble ici faire tout le contraire. Je ne reproche pas au Luxembourg qu'on lui ait accordé deux millions, pour l'indemniser de ce qu'il n'avait pas de chemin de fer ; je ne reproche pas au Luxembourg qu'on lui concède aujourd'hui un chemin de fer ; mais je ne veux pas qu’on mette dans la concession des clauses de nature à nuire au chemin de fer de l'Etat. En général, je serai toujours favorable aux concessions, car concéder des chemins, des canaux, c'est augmenter, selon moi, la richesse du pays. Mais concéder le chemin de fer aux conditions stipulées dans l’article 47, paragraphe 2, du cahier des charges, c’est évidemment blesser l’intérêt général ; car comment, avec cette condition, voulez-vous que nous conservions notre marché de Cologne ? La section centrale dit elle-même qu'il est à craindre que nous ne perdions ce marché ; remarquez que je raisonne dans le sens de votre section centrale ; aujourd'hui vous vous défendez à vous-mêmes d'ouvrir pendant 12 ans aucun railway qui puisse communiquer de Pepinster ou de toute autre partie de la ligne entre Liège et la frontière prussienne, vers Trêves. Vous travaillez dès lors, en sens contraire de la conservation du marché de Cologne, si vous étiez menacé de le perdre.
Et ici, je dois relever une erreur dans laquelle est tombé l'honorable M. Orban. Cet honorable membre a prétendu que l'honorable M. David aurait dit dans la dernière séance que le comité de Trêves voulait diriger son railway de Trêves sur Aix-la-Chapelle. Ce n'est pas ainsi que mon honorable ami s'en est expliqué ; cet honorable membre a dit que si l'on maintenait le paragraphe 2 de l'article 47, le comité de Trêves, qui voulait diriger son chemin de fer sur Pepinster, pourrait le diriger sur Aix-la-Chapelle. Messieurs, des demandeurs en concession ne voient qu'une chose : le succès de leur entreprise particulière. L'intérêt général n'est pas leur affaire ; c'est le gouvernement qui est chargé de cette haute mission ; et malheureusement, dans beaucoup de circonstances, le gouvernement ne s'en occupe guère.
En effet, ce que nous a révélé l'honorable M. Osy, doit faire ouvrir les yeux à la chambre. On est venu nous dire qu'on perdait confiance en nous, que les Anglais ne conservaient plus pour la Belgique cette confiance qu'ils avaient naguère. Mais, messieurs, ce n'est pas la faute de la législature belge, c'est la faute du gouvernement. Pourquoi toutes ces conventions provisoires, au moyen desquelles on s'est livré à l'agiotage à la bourse de Londres ? Pourquoi aussi la conduite qu'on a tenue pour le chemin de fer du Luxembourg ? Le gouvernement n'a pu ignorer que le actionnaires de ce chemin avaient déposé une somme de cent mille fr. pour servir au payement des honoraires de nos ingénieurs qui avaient dressé les plans, et que 75,000 fr. étaient déjà absorbés.
Le gouvernement ne devait jamais permettre que ceux-ci touchassent eux-mêmes cette somme.
Les traitements et les suppléments de traitement de nos ingénieurs leur sont payés par l'Etat ; nos ingénieurs n'ont pas le droit de prétendre à autre chose. Je dis que c'est nuire à la réputation de nos ingénieurs en général que de tolérer un pareil abus, et le gouvernement l'a sciemment toléré en ne faisant pas verser cette somme au trésor public. Voilà des faits qui déconsidèrent la Belgique à l'étranger, et le gouvernement à l'intérieur.
Je ne comprends pas l'insistance et des concessionnaires et du gouvernement à vouloir maintenir le paragraphe 2 de l'article 47. Quand on est venu vous énumérer les objets de tout genre qui circuleront sur le chemin de fer du Luxembourg, on vous a dit à satiété que cette circulation suffirait amplement pour assurer le succès de l'entreprise. On a été même plus loin ; le rapport vous dit que tout cela n'était même pour l'entreprise qu'un point secondaire.
Il y avait ici, disait-on, une plus haute pensée ; le but principal de l'entreprise était de joindre Londres, le centre du monde commercial, aux Indes orientales, en empruntant le territoire belge ; à peine avait-on le temps de saluer l'Europe en passant. Croirait-on, après cela, que, poursuivant un si noble but, la société attachait tant d'importance à la clause prévue par le paragraphe 2 de l'article 47 ? Une société qui veut réunir les deux mondes, insiste pour obtenir que, pendant 12 ans, il soit interdit au gouvernement belge de construire un misérable railway partant de celui entre Liège et Aix-la-Chapelle !
Ainsi, le résultat de cette réserve sera de créer, comme toujours, une concurrence au railway national, sans que celui-ci puisse en faire autant de son côté ; ce dernier doit tout souffrir. Mais alors abandonnez le système que vous avez soutenu pendant si longtemps ; car au moment où il allait réussir complétement à répondre à toutes vos exigences, au moment où vous alliez avoir la certitude que votre chemin de fer tiendrait toutes ses promesses, vous le détruisez vous-même ; désormais le railway national ne pourra plus payer les intérêts des capitaux employés. Il ne faut donc plus penser à amortir le capital ; vous l'aurez ainsi voulu.
On craint que le marché de Cologne ne nous échappe, que la voie fluviale libre de toute entrave ne présente un prix de transport moins élevé.
Peu importe que votre railway en souffre, que l'intérêt national soit lésé, il y aura le chemin de fer du Luxembourg qui prendra les bénéfices.
Il suffirait, pour démontrer que ce paragraphe 2 de l'article 47 ne peut pas exister, de s'appuyer des motifs mêmes qu'invoque le rapport de la section centrale pour le démontrer.
En effet, que dit-on dans le rapport de la section centrale pour justifier l'augmentation du tarif, car le tarif du chemin de fer du Luxembourg sera plus élevé que celui du chemin de fer de l'Etat.
« Mais l'augmentation de prix qui n'est qu'une faculté laissée à l'entrepreneur cédera devant son intérêt, qui lui commandera de le modérer de manière à pouvoir concourir avec l'étranger sur les marchés de la Moselle, des provinces rhénanes, de la Suisse, etc. »
Eh bien, si on faisait un chemin de fer de l'Etat ou un chemin de fer concédé partant de Pepinster et allant par Spa, Malmédy et Stavelot à la frontière prussienne, la concurrence qui en résulterait ferait beaucoup plus pour faire baisser le tarif du Luxembourg que la raison donnée par la section centrale. Cette considération existerait donc en faveur de ce railway.
On doit convenir que le railway du Luxembourg fera tort au chemin de fer de l'Etat pour une somme assez considérable, quant à la concession de Bruxelles à Wavre ; cela est avoué par la section centrale.
Mais fût-il vrai, dit-elle, qu'il y aurait une légère réduction dans les revenus, l'Etat n'en serait-il pas largement indemnisé par les ressources que ce nouveau chemin lui procurerait, en ouvrant au commerce d'Anvers une communication directe avec Trêves, Metz, l'Allemagne centrale, etc. ? »
Ce railway, auquel vous renoncez par le paragraphe 2 de l'article 47, produirait aussi bien plus d'avantages à l'Etat, car il viendrait se réunir à la frontière prussienne au chemin de fer de l'Etat, qu'il parcourrait sur un espace assez long. Ce serait donc bien plus avantageux pour les intérêts de l'Etat.
L'honorable M. Osy vous a démontré qu'il y avait 150 kilomètres de moins par la ligne de Pepinster. Il est vrai qu'il a pris son point de départ à Liège, mais en faisant la concession de prendre Namur pour point de départ, il reste encore 92 kilomètres de différence. Si donc on ne consulte que la distance à parcourir, il y a encore avantage pour la ligne à laquelle vous renoncez par le paragraphe 2 de l'article 47.
Il reste donc démontré que ce paragraphe est contraire à l'intérêt général ; il est aussi contraire aux intérêts particuliers en ce que des localités, centres commerciaux et industriels, sont privées de ce railway ; car pendant 12 années, il est positivement déclaré qu'on ne pourra pas le concéder.
Nous avons entendu répéter plusieurs fois dans cette assemblée que le comité de Trêves avait renoncé au railway qui.se dirigeait sur Pepinster. Le contraire est prouvé aujourd'hui, car le ministre des travaux publics a reçu une demande de concession de chemin de fer, de Pepinster à la frontière prussienne. La demande a été déposée à une heure au cabinet de M. le ministre. J'espère qu'il aura la bonté de s'expliquer là-dessus. J'annoncerai que cette demande n'a eu lieu qu'avec l'intervention du président du comité de Trêves. Vous voyez que l'affaire est bien loin d'être abandonnée, car elle est près de se réaliser.
Il y a donc ici réellement augmentation de tarif ; cela nuit à l'intérêt général du pays. La concurrence pouvait seule forcer la compagnie à faire des réductions. Cette concurrence, vous l'avez abandonnée, empêchée par ce paragraphe. L'intérêt de l'Etat est lésé par la concession de Bruxelles à Wavre, le fait est reconnu ; vous lui nuisez encore par ce paragraphe 2, car la communication par Pepinster pouvait activer les transports sur notre railway national. Cette communication avait de plus l'avantage d'être plus directe ; vous nuisez encore, par ce motif, à l’intérêt général en l'écartant.
Qu'oppose à tout cela le rapporteur de la section centrale ? Il vous disait avant-hier : Le pays est trop montagneux, l'exécution d'un railway dans cette direction est impossible ; un diplomate haut placé a dit que la Prusse ne permettrait jamais l'établissement d'un chemin de fer sur cette ligne. Mais alors pourquoi l'article 47 du cahier des charges ? Il était absolument inutile.
Je ne comprends pas, en présence de la preuve de la lésion qu'éprouvent les intérêts généraux et les intérêts particuliers, le maintien du paragraphe 2 de l'article 47.
Voilà, messieurs, les observations que j'avais à faire contre l'article 47, car je désire que le Luxembourg soit doté d'un railway. Mais je ne veux pas que ce soit au détriment de l'intérêt général. J'y consens volontiers, mais je n'entends pas qu'on maintienne le paragraphe 2 de l'article 47. Je me réunis donc à l'amendement de l'honorable M. Mast de Vries qui a pour moi la même portée que celui de l'honorable M. David.
Plusieurs membres. - La clôture.
M. Osy. - Je ne m'oppose pas à la clôture. Mais il est entendu sans doute que, quand on viendra à l'article 2 que j'ai proposé, on m'accordera la parole. (Adhésion.)
M. Liedts. - Jusqu'ici, dans les lois de concession de chemins de fer, on n'a pas voté article par article sur le cahier des charges. Mais on a voté sur tous les articles du cahier des charges qui ont été considérés comme faisant partie intégrante de la loi. Si l'on veut dévier de cette règle, je consulterai l'assemblée. (Non ! non !)
M. Osy. - Je propose, non pas une modification au cahier des charges, mais un article additionnel.
(page 1582) M. Dedecker. - Vous savez, messieurs, qu'à propos de la discussion relative à la concession du chemin de fer du Luxembourg, on a traité une question du plus haut intérêt pour mon arrondissement. Je demande à dire deux mots pour motiver mon vote.
M. Lesoinne. - Je demande la parole contre la clôture, parce que j'ai une proposition à soumettre à la chambre, pour affecter une partie du cautionnement à la concession du canal de l'Ourthe.
Plusieurs membres. - Cela est fait.
M. de Tornaco. - Je m'oppose à la clôture, parce que je désire présenter plusieurs observations à la chambre. Je ne demande que cinq minutes. Je m'engage à ne faire aucune observation qui ait déjà été présentée. Je veux parler sur l'exécution de la loi.
M. David. - J'espère que si la clôture était prononcée, je serais néanmoins admis à répondre aux objections qui ont été faites contre mon amendement.
M. le président. - Assurément ! Après la clôture de la discussion générale, la discussion sera ouverte sur l'article premier et ensuite sur les amendements.
- La chambre consultée prononce la clôture de la discussion générale.
M. Liedts. - La discussion est ouverte sur l'article premier ainsi conçu :
« Article unique. Le gouvernement est autorisé à accorder aux sieurs F.-F. Clossmann et consorts, la concession du chemin de fer du Luxembourg, d'après les bases posées dans la convention et le cahier des charges signés sous les dates des 13 et 20 février 1846 et annexés à la présente loi. »
Si des amendements étaient adoptés, on devrait ajouter à l'article ces mots : « sauf les modifications ci-après. » (Adhésion.)
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - L'article se termine par ces mots « annexés à la présente loi. » Ces mots ne se trouvent pas dans les lois de concessions antérieures. Il en résulterait des écritures fort longues qu'on pourrait éviter. Le cahier des charges sera annexé à la loi, mais on pourrait se dispenser d'en faire mention.
M. le président. - En effet pour les lois antérieures, le cahier des charges a été annexé, non pas à la loi, mais à l'arrêté relatif à l'exécution de la loi.
M. de Tornaco. - Comme la chambre m'a refusé la parole dans la discussion générale, je demande la parole sur l'article premier, parce que je ne puis me dispenser de demander à M. le ministre une explication concernant l'article 9.
Vous vous rappelez que le cahier des charges de la concession du chemin de fer de Liège à Namur contient un article conçu identiquement dans les mêmes termes. Or, malgré cet article, M. le ministre a cru pouvoir autoriser l'emploi, pour la construction de ce chemin de fer, de bois qui n'étaient pas de première qualité. Pour ma part, je regarde cette condescendance du gouvernement comme une violation de la loi. Je désirerais savoir si le gouvernement se croit autorisé à permettre aux concessionnaires de faire usage de bois autres que ceux de première qualité.
Il est à remarquer que, dans le Luxembourg, les propriétaires de bois ont souffert pendant très longtemps, payant d'assez fortes contributions sur un revenu qui n'existait pas, c'est-à-dire qui était absorbé par l'impôt, les frais de garde et d'entretien. La construction du chemin de fer du Luxembourg offre à cette province un débouché pour ses bois. Il y aurait de graves inconvénients à permettre ici l'emploi des bois étrangers, des bois de sapin. Je désire que le gouvernement nous dise s'il prétend avoir ce droit. Quant à moi, je crois qu'il ne l'a pas.
Je considère l'article 9 comme partie intégrante de la loi. Je crois qu'il est désirable qu'il n'y ait aucun doute sur sa portée.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je pense que l'article 9 doit être considéré comme faisant partie de la loi ; et qu'il n'appartient pas au gouvernement de le modifier. Mais je pense que cet article, d'après ses termes, ne rend pas obligatoire l'emploi du bois de chêne. Pour le chemin de fer du Luxembourg, l'observation de l'honorable membre a peu de gravité. Le bois de chêne est sur les lieux. Pour le bois exotique, il y aurait des frais de transport considérables. Il est donc évident que les concessionnaires seront amenés à employer le bois de chêne.
Mais je ne pense pas que cet article exige nécessairement l'emploi de ce bois.
- L'article premier est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Il y a deux amendements qui se rattachent à l'article premier du cahier des charges.
La première modification est celle proposée par M. Pirson ; la seconde, celle proposée par M. de La Coste.
M. Pirson propose de rédiger comme suit les deuxième et troisième paragraphes de l'article premier du cahier des charges :
« De Namur, le tracé de la ligne du Luxembourg sera conduit sur Arlon par Ciney, Rocheforf et Recogne, en passant par la vallée de la Meuse, et en remontant soit la vallée du Fonds-de-Leffe, soit celle du Boucq.
« Le chemin de fer du Luxembourg aura deux embranchements obligés, l'un vers l'Ourthe, l'autre sur Bastogne ; s'il ne suit pas la direction de la vallée du Fonds-de-Leffe, un troisième embranchement sur Dinant sera de plus obligatoire. »
M. de La Coste supprime de l'article premier du cahier des charges, les mots : « Avec lequel il pourra, en outre, être relié au moyen d'un raccordement aboutissant à l’une des stations intermédiaires de la section de Wavre à Gembloux. »
M. de Man d’Attenrode. - Mon honorable collègue, M. de La Coste, m'a chargé de déclarer à la chambre qu'il retirait son amendement, la réponse que lui a faite M. le ministre des travaux publics l'ayant satisfait.
M. le président. - Il ne reste plus dès lors que l'amendement de M. Pirson.
M. David. - Je ferai remarquer qu'à l'heure avancée à laquelle nous sommes arrivés, on va voter les amendements au galop, et refuser probablement la parole à ceux qui voudront encore défendre leurs amendements. Je serai cependant de ce nombre. J'ai des observations très importantes à faire en réponse à celles qui m'ont été présentées. Je demande donc que M. le président veuille bien déclarer la séance levée. Il est quatre heures et demie.
M. le président. - Il n'appartient pas au président, mais à l'assemblée, de lever la séance.
- L'amendement de M. Pirson est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
M. le président. - Vient l'amendement de M. Mast de Vries. Il propose d'ajouter au paragraphe 2 de l'article 47 du cahier des charges,, les mots : « à l'exception toutefois des lignes dans la direction de Coblentz ou Trêves qui serviraient à prolonger la ligne nationale vers l'Allemagne centrale. »
M. Osy. - Il me paraît que nous pourrions ouvrir une discussion sur l'amendement de l'honorable M. Mast de Vries et sur celui de M. David. Tous deux ont rapport à l’article 47 du cahier des charges.
M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, la discussion portera sur les deux amendements à la fois.
Celui de M. David tend à ajouter au paragraphe 2 de l'article 47 une disposition, ainsi conçue :.
« Le gouvernement pourra néanmoins accorder la concession d'un autre chemin de fer partant de la province de Liège, soit de Pepinster, soit de Chênée, vers la frontière prussienne. »
M. Osy. - Messieurs, j'avais demandé au gouvernement, dans une séance précédente, de nous communiquer les réclamations de la Prusse au sujet de l'article 47 ; et je crois qu'avant de passer au vote, nous devons exiger que le gouvernement nous fasse connaître ces réclamations.
Non seulement, messieurs, le gouvernement prussien a réclamé auprès de notre ambassadeur à Berlin, mais je sais d'une manière positive que l'ambassadeur de Prusse à Bruxelles a aussi réclamé contre l’article 47.
On vient nous dire : La route de Pepinster à Trêves est impraticable. Mais soyez persuadés que le gouvernement prussien connaît très bien le royaume de Prusse, et que s'il réclame, c'est qu'il sait que cette route est praticable. Je demande donc formellement à M. le ministre des affaires étrangères de bien vouloir nous communiquer les réclamations faites par M. le ministre des finances de Prusse auprès de notre ambassadeur à Berlin, et celles faites ici par l'ambassadeur de Prusse près notre cabinet. Je crois que cette communication est nécessaire, avant que nous puissions voter l'article 47 du cahier des charges.
Messieurs, si je suis bien informé, avant que la concession provisoire n'ait été accordée à la société Clossmann et compagnie, il y a eu une autre société formée au mois d'avril de l'année dernière ; dès ce moment nos ingénieurs ont été admis en présence de cette société, et ce sont eux qui ont pour ainsi dire dicté à la première compagnie l'article47. Cette clause ne serait donc pas le fait de la société actuelle, mais celui de nos ingénieurs. S'il en est ainsi, j'ai un blâme sévère à formuler contre nos ingénieurs. Car c'est à eux à défendre l'intérêt du railway de l'Etat qui aurait pu trouver de grands avantages dans l'exécution de la route sur Trêves ; ils doivent soigner les intérêts de la Belgique avant ceux des sociétés étrangères.
Je crois que les députés du Luxembourg ont assisté à la première réunion, et c'est là que les ingénieurs ont soulevé pour la première fois la question de l'article 47 qui défend pendant 12 ans d'accorder la concession de tout autre chemin de fer se dirigeant du railway de l'Etat vers Trêves.
Je dis donc, messieurs, que, si le gouvernement prussien a réclamé, tant à Berlin qu'à Bruxelles, c'est que la route de Pepinster à Trêves est praticable, parce que le gouvernement prussien a trop de bon sens pour réclamer en faveur d'une chose impossible.
Je demanderai aussi à M. le ministre des affaires étrangères, qui était ministre des travaux publics en 1845, de vouloir nous déclarer si les choses ne se sont pas passées ainsi que je l'ai dit, si ce n'est pas dans la première réunion qui a eu lieu et à laquelle assistaient les députés du Luxembourg, que les ingénieurs ont soulevé la question de l’article 47.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, j'ai déjà eu l'honneur de déclarer à la chambre qu'aucune réclamation officielle n'avait été adressée au gouvernement belge, ni à Berlin ni à Bruxelles. Des conversations ont eu lieu sur le sens et la portée de l’article 47 de la convention, mais je ne puis déposer sur le bureau des conversations que j'ai pu avoir avec le ministre de Prusse ni les conversations que notre envoyé à Berlin a pu avoir avec les membres du cabinet prussien.
Je répète encore qu'aucune réclamation officielle n'a été faite et que, par conséquent, je n'ai aucune réclamation à produire devant la chambre.
L'honorable M. Osy a déjà deux fois affirme que l’initiative de la réserve faite dans l'article 47 n'était pas venue de la société elle-même, mais des ingénieurs ou du gouvernement belge. Messieurs, c'est là une complète erreur. Cette initiative a été prise par la société dès le début. Pour ma part, lorsque j'étais ministre des travaux publics, j'ai longtemps résisté, et les honorables députés du Luxembourg le savent, avant d'admettre cette clause. Je ne l'ai admise que lorsqu'il m'a été démontré que c'était une condition sine qua non de viabilité pour le chemin de fer.
(page 1583) Je dois dire, messieurs, que depuis lors j'ai été charmé de voir la compagnie mettre cette insistance pour maintenir la clause de l'article 47. En effet, cette insistance a été pour moi la preuve que cette entreprise n'était pas, comme on l'a dit, une entreprise de spéculation ; car si elle avait eu ce caractère, évidemment peu importait à la compagnie de maintenir la clause de l'article 47, qui ne pouvait avoir aucun effet sur le cours et le jeu des actions. Mais cette insistance a été la preuve qu'elle voulait l'entreprise pour l'entreprise elle-même, c'est-à-dire qu'elle voulait sérieusement l'exécution du chemin de fer. Et permettez-moi, messieurs, cette remarque : tous ceux qui, dans cette discussion, ont prétendu que le chemin de Fer du Luxembourg était entouré de chances très incertaines, et sous le rapport de l'exécution de la ligne, et sous le rapport des produits, ceux-là doivent évidemment voter contre la proposition faite par l'honorable M. David. Il est clair que ceux qui croient que ce chemin de fer est une conception hardie, qu'il a des chances très aventureuses à courir dans l'avenir, ceux-là doivent voter pour l'article 47, tel qu'il est rédigé ; car ne pas voter l'article 47, c'est rendre encore ces chances beaucoup plus incertaines, c'est compromettre l'avenir de cette ligne d’une utilité si incontestable pour la Belgique.
Maintenant, pour répondre à l'interpellation de l'honorable M. Osy, j'affirme que ce n'est pas aux ingénieurs, ni au gouvernement, mais à l'insistance de la compagnie qu'est dû l'article 47 ; et, comme l'a remarqué M. Orban avec beaucoup de raison, cet article consacre une garantie pour la sérieuse exécution de cette entreprise ; le gouvernement belge a fait sagement de l'admettre, plus encore dans son intérêt que dans celui de la compagnie.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, la compagnie qui la première a demandé la concession d'un chemin de fer dans le Luxembourg, s'est présentée dans le courant du mois de mai de l'année dernière, et c'est cette compagnie qui a rédigé les premières conditions sur lesquelles devait reposer le succès de son entreprise. J'ai assisté avec d'honorables collègues de la province de Luxembourg à quelques conférences qui ont eu lieu dans le cabinet de M. le ministre des travaux publics d’alors, l'honorable M. Dechamps, et j'ai toujours remarqué que ce n'étaient pas les ingénieurs de l'Etat qui soutenaient l'article 47 ; mais c'était, comme l'a dit avec raison l'honorable M. Dechamps, la condition sine qua non posée par les demandeurs en concession en eux-mêmes.
Lorsque, par suite du non-versement, cette société s'est dissoute, la société actuelle s'est présentée, et elle a mis la même instance pour le maintien de l'article 47 ; de sorte que si cet article était modifié, on conçoit, à voir l'insistance que les deux sociétés ont mise à en demander le maintien ; on conçoit, dis-je, qu'il pourrait en résulter ce que nous craignons, c'est-à-dire le retrait de la concession elle-même et l'insuccès de l'entreprise.
M. Lys. - L'heure est avancée ; la question est importante, je demande que la suite des débats soit renvoyée à demain ; il me semble que les convenances l'exigent. L'auteur d'un des amendements n'est pas même présent. Les membres de la chambre qui veulent le chemin de fer du Luxembourg avec la clause de l'article 47, le voteront demain comme ils le voteraient aujourd'hui.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je ferai remarquer qu'aujourd'hui la séance a commencé le quart avant trois heures ; il y a huit jours que l'on s'occupe de la concession du chemin de fer du Luxembourg. Il reste beaucoup de travaux à accomplir d'ici à la clôture de la session, qui n'est plus très éloignée, Je demande, dans l'intérêt de ces travaux, qu'on continue encore un peu la séance, pour pouvoir finir du moins au commencement de la séance de demain.
- La chambre consultée décide que la discussion continue.
M. Lys. - Messieurs, j'ai annoncé aujourd'hui un fait, et M. le ministre des travaux publics n'a pas daigné me répondre si ce fait est exact. J'ai dit qu'il avait été déposé aujourd'hui une demande en concession d'un chemin de fer de Pepinster jusqu'à la frontière prussienne par Malmedy et Stavelot ; j'ai ajouté que cette demande se rattachait à une proposition que voulait faire le comité de Trêves, de venir se relier à Pepinster. Je tiens le fait d'une personne attachée à celle qui a fait le dépôt ; j'ajouterai que le président du comité de Trêves se trouve en ce moment sur les lieux.
On dit que le paragraphe 2 de l'article 47 a été soutenu avec persistance. Eh bien, je dois l'avouer, tous ces plans et tous ces devis ne m'inspirent pas la moindre confiance. Quand on est en aveu que nos ingénieurs ont été payés de leurs travaux directement par la compagnie, je dis que ceux qui ont reçu un pareil traitement ne me paraissent pas mériter la confiance de la représentation nationale. Le ministre a consulté ces ingénieurs sur les avantages ou désavantages qui devaient résulter du paragraphe 2 de l'article 47 pour le railway national ; eh bien, je dis que ces fonctionnaires qui étaient payés par l'étranger, n'étaient pas dans les conditions nécessaires pour pouvoir émettre une opinion impartiale ; car en donnant tel ou tel avis, ils pouvaient regarder leur intérêt personnel comme compromis. On aurait dû s'adresser pour cela à d'autres ingénieurs. (Interruption.)
Puisqu'on est si pressé, puisqu'on ne veut pas rechercher si le paragraphe 2 de l'article 47 ne nuira pas considérablement au railway national, eh bien, messieurs, gardez-en la responsabilité ; mais qu'à l'avenir on ne vienne plus nous dire que le railway national ne produit pas en raison de ce qu'il a coûté ; si désormais le railway national ne produit pas assez, ce ne sera pas la faute de ceux qui ont eu les premiers l'idée de créer un chemin de fer national, et qui depuis lors n'ont cessé d'entourer ce railway de toute leur sollicitude, mais ce sera la faute du gouvernement.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, je regrette qu’au milieu des discours qui ont été prononcés par quelques membres, je n'aie pas trouvé le moment de répondre à une interpellation de l'honorable M. Lys ; je m'empresse de réparer cette omission et de déclarer qu'effectivement le projet auquel il a fait allusion, m'est parvenu ce matin ; je dois dire ainsi que le temps m'a manqué pour l'examiner.
L'honorable M. Lys pose en fait que le projet est soutenu par le président du comité de Trêves ; cela peut être exact, mais je crois savoir que ce président se trouve actuellement en dissentiment avec un très grand nombre de membres de ce même comité.
M. David. - Messieurs, la chambre doit cependant reconnaître qu'il y a convenance à remettre la discussion à demain ; rien que l'aveu que vient de faire M. le ministre des travaux publics est plus que suffisant. Quoi ! le ministre déclare qu'il n'a pas même eu le temps de prendre connaissance d'une demande aussi importante que celle qui a été déposée ce matin, et l'on passerait outre, et l'on ne tiendrait aucun compte de ce fait nouveau ! Je ne puis pas le croire. On ne peut pas vouloir enlever un vote de cette manière. Ce serait indigne de la chambre.
M. Verhaegen. - D'ailleurs, nous ne sommes plus en nombre.
M. Liedts. - Effectivement, il n'y a que 45 membres présents.
- La séance est levée à 5 heures.