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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 12 février 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Dumont.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 637) M. Huveners. fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. A. Dubus. lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners. présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Emile Demeestere, à Menin, né dans cette ville, de parents français, réclame la qualité de Belge. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Arens, cultivateur à St-Paul, demande à être exempté du service militaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal et les habitants de Sugny, demandent que la route de Nafraiture vers Charleville, passe par Sugny. »

- Renvoi à la section centrale du budget des travaux publics.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1846

Discussion générale

M. de Man d'Attenrode (pour une motion d'ordre). - Messieurs, la discussion générale du budget de la justice va s'ouvrir, et il me semble que je dois saisir cette occasion pour adresser à M. le ministre de la justice une interpellation sur la situation du tribunal de Louvain.

Les justiciables de l'arrondissement de Louvain nous ont adressé depuis longtemps les plaintes les plus vives, fondées sur ce qu'ils ne peuvent pas obtenir la solution de leurs différends, sur ce que grand nombre d'entre eux préfèrent transiger plutôt que d'attendre indéfiniment un jugement. Les membres qui composent le tribunal, ainsi que le barreau, attribuent cet état de choses à l'insuffisance du personnel. En effet, le nombre des affaires correctionnelles a augmenté comme 9 est à 13 et les affaires civiles ont acquis une importance si grande que le personnel succombe en quelque sorte sous le faix, sans pouvoir combler l'arriéré, bien que ce tribunal tienne des audiences supplémentaires, auxquelles la loi ne l'oblige pas. Il est impossible, messieurs, que cette situation soit maintenue davantage ; les plaintes qu'elle soulève durent depuis trop longtemps ; il faut absolument que le gouvernement y apporte un remède, qu'il fasse cesser ces dénis de justice. M. le ministre de la justice nous a dit, l'année dernière, qu’il prendrait des renseignements à cet égard. Je lui demanderai quand il pourra enfin nous présenter un rapport qui soit de nature à fixer notre opinion sur ces réclamations. J'espère que cet exposé ne se fera pas attendre, et qu'il sera suivi d'un projet de loi ayant pour objet l'augmentation du personnel du tribunal de Louvain.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Si la chambre le désire, je répondrai immédiatement aux interpellations de l'honorable membre ; cependant j'ai des chiffres à citer et je serai assez long ; je pense donc que ma réponse trouvera mieux sa place dans la discussion générale du budget de la justice. (Adhésion.)

Rapport sur une pétition

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs,la commission d'industrie m'a chargé de vous présenter le rapport sur une pétition que vous aviez recommandée à son prompt examen.

La commission d'industrie s'est occupée avec attention de la pétition du sieur Decerf de Jandrin, province de Brabant, tendant à obtenir une exemption de droit d'accise sur le sel destiné à l'engrais des terres, pétition que vous avez renvoyée avec demande d'un prompt rapport.

La commission après mûre délibération a décidé que cette pétition serait renvoyée à M. le ministre des finances avec invitation de vouloir faire procéder à un essai de cette fabrication avec prière d'en communiquer le résultat.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, depuis la première discussion qui a eu lieu au sujet de la pétition sur laquelle il vient d'être fait rapport, j'ai examiné de nouveau si la législation actuelle me donnait le pouvoir d'accorder l'exemption demandée par le pétitionnaire, et j'ai reconnu qu'elle ne me donne pas ce pouvoir. Cependant si j'ai bien compris les conclusions du rapport, elles tendraient à ce que l'exemption fût accordée, même en dehors des termes de la loi. Il me semble que cela n'est pas admissible. Je crois que le mieux serait d'ordonner le renvoi pur et simple. Je ferai un rapport, et nous verrions alors quelle suite il y a lieu de donner à celle affaire.

M. Eloy de Burdinne, rapporteur. - Messieurs, la commission d'industrie conclut à ce que vous renvoyiez la pétition à M. le ministre des finances. en l'invitant à autoriser le pétitionnaire à faire, sous la surveillance de l'administration, un essai propre à constater si le procédé dont il s'agit, est réellement utile à l'agriculture. Cet essai terminé, M. le ministre voudrait bien en faire connaître le résultat à la chambre.

M. Rodenbach. - Messieurs, la commission d'industrie n'a pas entendu autoriser M. le ministre à accorder l'exemption de l'accise sur le sel. Il s'agit d'un cultivateur qui compose un engrais dans lequel il entre une certaine quantité de sel, et le pétitionnaire demande que le sel auquel il donne cette destination soit exempt du droit d'accise. C'est une spéculation, et il nous est impossible d'apprécier, jusqu'à présent, si elle peut avoir des résultats utiles pour le pays. La commission n'a voulu qu'une chose, c'est que ce spéculateur fît connaître son secret au gouvernement et qu'on examinât jusqu'à quel point son engrais peut servir aux progrès de l'agriculture. Il n'a pas été du tout question d'autoriser M. le ministre à accorder l'exemption de l'accise, car des milliers de cultivateurs pourraient demander la même faveur, et l'accise sur le sel ne produirait plus rien. Il s'agit évidemment du renvoi pur et simple de la pétition à M. le ministre des finances. La section centrale n'a pas voulu autre chose.

M. Dumortier. - Je ne comprends pas trop les propositions qui qui nous sont faites. Je ne conçois pas que la chambre renvoie des pétitions aux ministres avec prière de faire telle ou telle chose ; la chambre ne donne que des ordres aux ministres (réclamations), c'est là la véritable doctrine constitutionnelle.

Quant à l'exemption du droit d'accise, la chambre ne peut pas autoriser le gouvernement à l'accorder, puisque, aux termes de la Constitution, aucune exemption d'impôt ne peut être accordée qu'en vertu d'une loi.

Il faut donc, messieurs, se borner au renvoi pur et simple.

M. le ministre des finances (M. Malou). - D'après les observations que vient de présenter l'honorable M. Rodenbach, il me semble que la discussion doit être terminée. Il est entendu qu'il s'agit d'un renvoi pur et simple et que le ministre donnera à la pétition telle suite qu'il jugera convenable. Si cependant on veut ajouter au renvoi une demande d'explications, je ferai un rapport à la chambre.

M. Eloy de Burdinne, rapporteur. - Je répondrai à l'honorable M. Dumortier que la commission d'industrie ne m'a pas chargé de prescrire au ministre telle ou telle chose ; elle m'a chargé de proposer à la chambre d'inviter M. le ministre des finances à faire faire des essais pour s'assurer si l'engrais composé par le pétitionnaire peut être d'une grande utilité pour l'agriculture. C'est ce que la commission d'industrie a décidé dans sa séance d'hier, et l'honorable M. Rodenbach paraît avoir perdu de vue cette discussion.

M. Rodenbach. - Nous sommes d'accord.

M. Manilius. - D'après les explications que nous venons d'entendre, il s'agit d'un renvoi pur et simple à M. le ministre des finances. Or, M. le ministre nous a dit qu'il est disposé à donner des explications ; je demande donc que la chambre prononce le renvoi avec demande d'explications ; de cette manière tout le débat serait terminé.

M. Rogier. - La pétition concerne l'agriculture. Je demanderai qu'elle soit également renvoyée à M. le ministre de l'intérieur, qui a l'agriculture dans ses attributions.

M. Desmet. - La commission, ne sachant pas quelles sont les qualités de l'engrais dont il s'agit, a dû se borner à demander que le gouvernement fît faire un essai. Il est désirable que cet essai se fasse, et c'est dans ce but que j'appuierai la proposition de l'honorable M. Rogier.

M. Eloy de Burdinne, rapporteur. - Je ne m'oppose pas à ce que la pétition soit renvoyée à M. le ministre de l'intérieur en même temps qu'à M. le ministre des finances ; mais je le répète, il s'agit seulement de savoir si la chambre consentira à ce qu'il soit fait un essai et à ce qu'on exempte quelques kilogrammes de sel du payement de l'accise.

M. Rogier. - C'est dans l'intérêt de la pétition que je demande le renvoi à M. le ministre de l'intérieur, qui est chargé de l'agriculture.

M. Eloy de Burdinne., rapporteur. - Je ne m'y oppose pas.

- Le renvoi à M. le ministre des finances, avec demande d'explications, et à M. le ministre de l'intérieur, est mis aux voix et adopté.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1846

Discussion générale

M. Lange. - Aux réclamations par différents tribunaux du royaume, tendantes à obtenir un accroissement de personnel et un rang supérieur à celui que la loi de 1832 leur assigne, M. le ministre de la justice, lors de la discussion du projet de loi relatif à l'augmentation des traitements des membres de l'ordre judiciaire, dans la séance du 11 novembre 1844, s'est exprimé en ces termes :

« La chambre n'est pas saisie du projet de classification des tribunaux, les renseignements statistiques sont à peine arrivés et ne sont pas encore entièrement coordonnés au département de la justice : les derniers états imprimés s'arrêtent à 1839 ; les nouveaux tableaux seront publiés d'ici à quelques mois de manière que réellement l'affaire, quant à une nouvelle classification, n'est pas instruite. »

Aujourd'hui que M. le ministre de la justice est probablement en possession de tous les documents propres à cette nouvelle classification, je viens, dans l'intérêt du service, solliciter pour le tribunal de Mons l'augmentation d'un juge effectif et son élévation à la première classe des tribunaux de première instance.

Quelques mots à l'appui de cette réclamation sur lesquels j'appelle l'attention de M. le ministre de la justice.

Le personnel effectif actuel du tribunal de Mons se compose, d'après la loi du 4 août 1832, d'un président, d'un vice-président et de sept juges ; c'est le même personnel que lui avait donné l'organisation de 1811. Déjà alors ce personnel suffisait à peine aux nécessités du service ; que doit-il en être aujourd'hui que les attributions sont augmentées et le nombre des transactions sociales plus que doublé ?

Celles de ces attributions qui incombent spécialement au président, telles que les référés, plus nombreux encore depuis la loi sur le déguerpissement ; l'examen des requêtes, les interrogatoires des accusés, la surveillance des greffes, etc., etc., permettent rarement à ce magistrat de siéger aux audiences ordinaires.

Celles du juge d'instruction, et elles sont nombreuses, sont également obstatives à ce que cet autre fonctionnaire puisse assister aux audiences ; la loi le dispense d'ailleurs formellement de tout autre service ; et l'on doit reconnaître que, dans un arrondissement tel que celui de Mons, la recherche des crimes et délits, et l'instruction des affaires de répression suffisent pour absorber tous les instants du juge le plus actif et le plus laborieux. Le tribunal, ainsi réduit, se divise de droit en deux chambres : la première, composée nécessairement du président et de trois juges, est le plus souvent présidée par un de ces derniers pour cause d'empêchement du titulaire ; et telle est, à Mons, la besogne de cette première chambre, jugeant exclusivement les affaires civiles, qu'elle est constamment forcée à accorder des audiences extraordinaires.

La seconde chambre se compose du vice-président et de trois juges. Dans la vue d'expédier un plus grand nombre d'affaires, cette chambre s'est divisée en deux sections : l'une civile, l'autre correctionnelle ; de là, nécessité absolue d'appeler continuellement deux, et quelquefois trois juges suppléants que leur affaires personnelles ou leur clientèle, comme avocat, empêchent souvent de se rendre à l'invitation du tribunal.

La nécessité de diviser cette seconde chambre en deux sections est évidente si l'on considère que la section correctionnelle, obligée de donner chaque semaine trois et parfois quatre audiences, ne peut aucunement s'occuper d'affaires civiles. En effet, elle a à connaître annuellement de douze à treize cent délits, indépendamment de son travail, comme chambre du conseil ; des affaires de douanes et accises, et des affaires d'appel des tribunaux de Tournay et de Charleroy dont chaque catégorie nécessite deux à trois audiences ou réunions par mois. C'est encore cette chambre qui fournit, autant que possible, au service des assises. L'un des plus grands obstacles à la marche des sections ordinaires du tribunal se rencontre dans les sessions irrégulières de la cour d'assises ; pendant ces sessions, les sections civiles et correctionnelle sont forcément désorganisées au point de devoir quelquefois suspendre leurs travaux ; le secours d'un juge nouveau permettrait de composer cette cour de manière à laisser aux autres sections leurs juges permanents, en y appuyant, au besoin, pour les cas extraordinaires seulement, les juges suppléants qui, aujourd'hui, sont obligés, pour ne pas faire manquer le service, de remplir de fait les fonctions de juges titulaires.

Passant aux affaires civiles dont la première chambre et la section civile de la seconde ont à s'occuper, on peut avancer que depuis la mise en activité de la loi de 1832, outre 350 affaires environ alors arriérées, 500 causes, chiffre moyen, ont été introduites annuellement (et ce, d'après le compte de l'administration de la justice civile présenté au Roi par M. le ministre de la justice), sans compter que le tribunal a à statuer sur même un plus grand nombre de requêtes que, pour grossir le chiffre, on pourrait porter au nombre des causes civiles ordinaires. Il est donc vrai de dire que malgré le travail assidu et pénible que chaque membre du tribunal de Mons s'est imposé depuis la loi de 1832, l'arriére n'a fait qu'augmenter. Il était à la rentrée des tribunaux, en octobre 1815, de 839 affaires, plus 37 ordres ; et il faut bien qu'on en convienne, cet arriéré tient particulièrement au personnel peu nombreux de ce tribunal.

Le tribunal de Mons a donc besoin d'une augmentation de personnel dont l'expérience, comme on vient de l'établir, a démontré depuis longtemps la nécessité. La population de son arrondissement qui, au 31 décembre 1844, compte 236,740 habitants (d'après la statistique de la Belgique publiée par M. le ministre de l'intérieur), l'extrême division des propriétés, le nombre considérable d'établissements industriels, la multitude de ses houillères, l'importance de sa navigation intérieure, etc., etc., sont les causes de cette multiplicité de procès, la plupart longs et difficiles, dont quelques-uns ont absorbé jusqu'à 15 audiences de plaidoiries et plusieurs jours de délibération.

Abordant le second point de ma proposition : Il n'est pas douteux que la province du Hainaut par son étendue, son importance et le nombre des causes qui, de ses tribunaux vont en instance d'appel, aurait suffi à composer le ressort d'une cour supérieure ; opinion, soit dit en passant, qui déjà s'était fait jour dans le sein du congrès national lors de la discussion de l'art. 104 de la Constitution, et qui avait trouvé plusieurs défenseurs dont l'un d'eux siège encore parmi nous, l'honorable M. Nothomb.

Dans cet état de choses, il serait de toute équité que, dans la nouvelle classification, le tribunal de Mons, chef-lieu de la province, fût porté de la seconde à la première classe des tribunaux de première instance, rang auquel l'appelaient indubitablement les considérations que je viens d'avoir l'honneur de vous soumettre.

Vous reconnaîtrez sans peine, M. le ministre, la frappante disproportion qui existe entre l'importance judiciaire du tribunal de Mons et celle de quelques autres tribunaux que la loi de 1832 met sur la même ligne.

J'ose donc espérer que la demande d'augmentation de personnel et d'élévation de rang que je sollicite pour le tribunal de Mons, rang auquel il a droit autant que certains autres tribunaux qui y sont placés, recevra un bon accueil de la part du gouvernement.

Puisque j'ai la parole, messieurs, je me permettrai d'appeler un instant l'attention du gouvernement et de la chambre sur une proposition que j'ai eu l'honneur de faire dans le sein de la section centrale et qui est relative à une pétition des compositeurs typographes du Moniteur.

Pour ne pas abuser de vos moments, je ne rappellerai pas ici les termes de cette pétition ; elle est d'ailleurs mentionnée dans le rapport de l'honorable M. Savart, à la page 25. Vous verrez, messieurs, que la section centrale était disposée à l'adopter lorsque M. le président a reçu une communication de la part de M. Deltombe, imprimeur du Moniteur. M. Deltombe s'engagerait à maintenir pendant toute l'année 1846 le salaire des ouvriers typographes et des porteurs à leur taux actuel, qui est de 3 fr. par jour pour les uns, et de 32 fr. 50 pour les autres, pourvu que M. le ministre de la justice ou tout autre ministre voulût bien lui accorder, pendant le cours de l'année, l'impression d'un ouvrage un peu considérable.

Je demanderai à M. le ministre de la justice si le gouvernement peut obtempérer à la demande de M. Deltombe, et prévenir ainsi la discussion de ma proposition.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, les honorables MM. de Man et Lange ayant traité des questions de même nature, je crois devoir répondre dès à présent à ces deux honorables membres.

L'honorable M. de Man a élevé la voix en faveur du tribunal de Louvain ; il a dit que, depuis longtemps déjà, des pétitions avaient été adressées au gouvernement ; que le gouvernement s'était sans doute entouré des renseignements nécessaires pour juger si, en effet, le personnel du tribunal de Louvain permettait à ce corps judiciaire de rendre aux justiciables bonne et prompte justice.

Messieurs, il est vrai que depuis longtemps des pétitions sont parvenues au gouvernement, pétitions qui ont été appuyées dans cette chambre par les observations souvent réitérées des honorables MM. de la Coste et de Man, pétitions appuyées maintenant par les réclamations que le gouvernement a reçues de la part d'administrations locales de l'arrondissement de Louvain. Je n'ai pas perdu un moment pour m'occuper de cet objet ; j'ai recueilli tous les renseignements dont j'ai cru avoir besoin, pour apprécier si ces réclamations étaient fondées.

Mais, messieurs, il ne suffisait pas d'examiner isolément le nombre d'affaires du tribunal de Louvain, il fallait mettre ce nombre en rapport avec celui des affaires traitées dans les autres tribunaux ayant un personnel semblable, et s'assurer si ces tribunaux parvenaient à se tenir au courant. Cet examen une fois terminé, il fallait se demander s'il y avait des motifs spéciaux pour traiter le tribunal de Louvain d'une manière spéciale.

J'ai fait faire un premier tableau, établissant le nombre des affaires civiles qui ont été introduites devant le tribunal de Louvain, le nombre des jugements rendus, l'arriéré, et le nombre des affaires correctionnelles soumises à ce tribunal.

Eh bien, la moyenne du nombre des affaires civiles introduites a été moindre dans la période de 1841 à 1845 qu'elle ne l'a été dans la période de 1838 à 1841 ; la moyenne, pour cette dernière période, a été de 183, tandis qu'elle n'a été que de 167 pour l'autre période.

La moyenne des affaires correctionnelles introduites devant le même tribunal a été, pendant la période de 1838 à 1841, de 811, et de 795 seulement pendant la période de 1841 à 1845.

(page 639) Ainsi, pour la période de 1841 à 1845, il y a eu, relativement à la période de 1838 à 1841, diminution sur le nombre des affaires tant civiles que correctionnelles.

L'arriéré, à la fin de l'année 1845, était de 226 causes ; il avait élé jusqu'à 440, 459 et 370 pour les années 1834, 1835 et 1836. Si l'arriéré est plus considérable maintenant qu'à la fin des années 1843 et 1844, il est plus faible, comparativement aux autres années que je viens de citer. Pour faire connaître l'affaire sous toutes ses faces, je dois ajouter qu'il y a eu augmentation, quant au nombre d'affaires instruites par le juge d'instruction. Dans la période de 1838 à 1841, le nombre de ces affaires a été de 255, tandis qu'il a été de 312 dans la période de 1841 à 1845.

J'ai fait faire un second tableau comparatif ; et ce tableau, dont je vais faire connaître les résultats à la chambre, prouvera que le tribunal de Louvain n'a pas autant d'affaires que d'autres tribunaux qui n'ont pas un personnel plus considérable.

Voici la moyenne des affaires civiles qui ont été introduites devant divers tribunaux :

Louvain, 167

Audenarde, 236

Termonde 292

Courtray, 147

Verviers, 213

Dinant, 284

Charleroy, 815

Tournay, 323.

Quant à l'arriéré, s'il est a Louvain de 220 causes, il est

à Dinant de 390,

à Charleroy de 556 et

à Tournay de 524.

(Affaires correctionnelles)

Termonde, 803

Louvain,…

Dinant, 898

Charleroy, 1,083.

J'ai voulu savoir aussi quel était le nombre d'heures d'audience par semaine des magistrats pour le tribunal de Louvain et pour les autres tribunaux dont je viens de parler.

Le nombre est

de 13 h. 34 pour le tribunal de Louvain,

de 13 h. 32 pour celui de Termonde,

de 15 h. 36 pour celui de Courtray,

de 13 h. 52 pour celui de Dinant, et

de 14 h. 33 pour celui de Charleroy.

Ainsi, relativement au nombre d'heures employés par les magistrats à l'expédition des affaires, ils n'est pas démontré que le tribunal de Louvain doive être rangé dans une position exceptionnelle.

Les résultats de ces tableaux ont été communiqués, non seulement aux membres du tribunal de Louvain, mais encore à des membres du barreau de cette ville, qui m'avait envoyé une députation. Ces messieurs m'ont fait observer que la plus grande partie des affaires qui se présenteraient devant le tribunal de Louvain, étaient d'une nature telle qu'elles exigeaient un grand nombre d'audiences, et ensuite des recherches très laborieuses et un travail très long de la part des magistrats.

J'ai fait porter alors sur ce point mes investigations. Je fais rechercher le genre et la nature d'affaires qui se traitent le plus souvent devant le tribunal de Louvain ; et comme l'arrondissement de Louvain compte trois villes et qu'en général les affaires qui viennent des villes sont plus importantes que celles qui arrivent des campagnes, il est très possible que les circonstances qui seront constatées établiront la nécessité d'une augmentation de personnel, et si cette nécessité m'est démontrée, je n'hésiterai pas à faire une proposition à la chambre.

Mais il faut, avant tout, messieurs, s'assurer des faits ; il faut, avant d'augmenter le personnel d'un tribunal, examiner attentivement les causes de l'arriéré pour juger si le nombre d'affaires et l'importance des affaires tient à une cause permanente ou purement accidentelle. C'est cette instruction qui se fait maintenant.

Ne peut-il pas arriver que pendant une année, deux années peut-être, des affaires excessivement importantes soient portées devant un tribunal ? Les juges auront, durant ce laps de temps, un peu plus d'ouvrage, cela est vrai, mais on peut compter sur leur zèle et ce n'est pas un motif suffisant pour augmenter définitivement le personnel du tribunal. Le tribunal de Louvain a eu à juger, relativement aux bourses d'études, notamment des affaires fort importantes qui ont absorbé parfois jusqu'à 14 ou 15 audiences ; mais des affaires semblables se reproduiront-elles ? Présenteront-elles les mêmes difficultés ? Le principe, étant une fois jugé, abrégera les plaidoiries pour les affaires de même nature et en facilitera la solution.

La chambre comprendra dès lors que, dans l'étal actuel de l'instruction de l'affaire, il m'est impossible de donner à l'honorable M. de Man une réponse aussi pertinente qu'il le demande. Je puis lui donner l'assurance que cette affaire ne sera pas perdue de vue, et que, dès que j'aurai reçu les renseignements nécessaires, je prendrai une détermination.

L'honorable M. Lange a appelé également mon attention sur la nécessité d'augmenter le personnel du tribunal de Mons. Il y a à Mons des affaires très nombreuses et très importantes. Néanmoins, je ne pense pas que, dans l'état actuel des choses, il y ait lieu d'augmenter le personnel du tribunal de Mons. En voici le motif :

L'honorable M. Lange sait qu'un projet de loi est déjà présenté depuis 1834, projet d'après lequel les cours d'assises devraient siéger au nombre de trois magistrats. Or, l'honorable membre conviendra que si ce projet était voté, il en résulterait pour le tribunal de Mons la possibilité de se tenir au courant, à l'aide des deux membres qui ne siégeront plus aux assises.

Je n'aurais peut-être pas fait allusion au projet de 1834, si le gouvernement n'était pas sur le point de présenter un nouveau projet, basé sur les mêmes principes, et contenant en outre d'autres modifications au Code d'instruction criminelle. Je hâterai autant que possible la présentation et la discussion de ce projet. Il sera ainsi satisfait au désir de l'honorable M. Lange.

Quant à la clarification, je ne pense pas qu'il faille la changer. Le principe général de la classification est celui-ci : Les tribunaux de première classe sont placés aux chefs-lieux où siègent les cours d'appel : une seule exception a été faite à ce principe pour le tribunal d'Anvers. Des raisons particulières ont fait introduire cette exception, sur laquelle je ne pense pas qu'il y ait lieu à revenir.

Mais il ne faut pas, d'après moi, étendre cette exception et mettre le tribunal de Mons sur la même ligne que ceux de Bruxelles, Liège, Gand et Anvers. Le tribunal de Mons, comme ceux d'autres localités, doit rester dans la deuxième classe. Je maintiens le principe de la loi de 1832.

J'oubliais de répondre à la dernière interpellation de l'honorable M. Lange.

La chambre sait qu'à la suite de la discussion qui a eu lieu l'an passé, l'impression du Moniteur a été mise en adjudication. Cette adjudication a amené pour résultat un avantage assez remarquable pour le trésor. Mais cet avantage a été obtenu en partie au détriment des ouvriers. La diminution qui porte sur les ouvriers est de 5 mille fr. environ. Le bénéfice que fera le trésor sera, je pense, de 14 mille fr.

Le gouvernement, comme la chambre, a reçu également des réclamations des ouvriers typographes, mais il n'a pas pu y faire droit. Le contrat entre l'entrepreneur et ses ouvriers ne regarde pas le gouvernement ; en maintenant le contrat à l'égard de l'entrepreneur, le gouvernement ne pouvait pas forcer celui-ci à augmenter le salaire des ouvriers. C'est ce qui a été reconnu à la section centrale. Un membre avait proposé une indemnité en faveur des ouvriers. Ce principe m'a paru assez dangereux. Ne serait-ce pas un précédent qu'on pourrait souvent invoquer, et qu'il serait peu prudent d'admettre ?

La section centrale, qui peut-être a partagé ces craintes, s'est empressée d'adhérer à une autre proposition de M. Deltombe qui consentait à maintenir les salaires au taux actuel, sous la condition que le ministre de la justice s’engageât à lui fournir des impressions pendant l'année. Cet engagement, il m'est impossible de le prendre.

La chambre se rappellera que jadis le Bulletin des lois était imprimé par M. Weissembruch, non seulement sous le gouvernement des Pays-Bas, mais sons le gouvernement belge ; M. Weissembruch avait en même temps de nombreuses impressions à faire pour les chambres et les différents ministères. Il ne lui restait plus que le Bulletin officiel lorsque la loi de 1845 a ordonné que le Recueil des Lois serait imprimé à l'aide des caractères et de l'impression du Moniteur. Cette publication lui fut alors retirée. Le gouvernement, en agissant ainsi, a usé de son droit et a fait un acte avantageux au trésor. Mais M. Weissembruch a été, par cette mesure, lésé dans ses intérêts. Sans contracter d'engagement formel, j'ai pris la résolution de donner à M. Weissembruch toutes les impressions du ministère de la justice. Je ne crois pas devoir dévier de cette règle en faveur de M. Deltombe.

M. de Corswarem. - Messieurs, vous savez tous que dans le dernier comité secret de la chambre, il a été fait un rapport sur une pétition qui vous a été adressée au nom de quelques imprimeurs, demandant la mise en adjudication des impressions de la chambre. Vous avez alors chargé la questure de déclarer aux imprimeurs de la chambre que, s'ils ne baissaient pas leurs prix, la questure devait mettre les impressions en adjudication. Vous avez chargé la questure de s'entendre avec les imprimeurs pour obtenir un abaissement de prix.

C'est ce que nous avons fait ; nous avons obtenu des imprimeurs de la chambre une réduction de prix, mais elle n'est pas telle que la chambre paraissait l'attendre. Nous insistons pour obtenir une réduction plus forte, mais ces imprimeurs réclament ; ils disent que, s'ils doivent diminuer encore leurs prix ils devront réduire le salaire de leurs ouvriers, et qu'ils les engageront à s'adresser à la chambre pour en obtenir une indemnité. De sorte que le précédent serait posé non seulement pour les imprimeurs du Moniteur, mais aussi pour les imprimeurs de la chambre. Je tenais à donner ces explications, l'occasion s'en présentant naturellement.

M. Savart-Martel, rapporteur. - Messieurs, en s'occupant du budget du département de la justice, plusieurs sections ont demandé avec instance les lois qui nous ont été si souvent promises, concernant la contrainte par corps, les sursis et faillites et le tarif des frais en matière criminelle.

Par le rapport de la section centrale, qui contient la réponse de l'honorable ministre, vous avez pu voir, messieurs, que les projets sont en instruction ; mais la session va s'écouler encore sans que la législature en soit saisie d'aucun.

Un projet qui a pour but de n'admettre plus la différence entre les causes sommaires et ordinaires, un autre qui concerne le tarif des frais en matière civile, seront tout au plus discutés.

Mais si je sais gré au ministre de s'être enfin occupé de remplir en partie ses promesses, je ne puis en dire autant pour ce qui concerne le système hypothécaire, dont la révision a élé sollicitée si souvent, et qui n'est encore qu'à l'état d'embryon. Cependant, et en mettant à part même et les vives sollicitations et les vaines promesses, le pays est en droit d'accuser hautement le gouvernement, du chef de négligence ou d'une lenteur inexplicable, puisque la révision des codes nous a été imposée par la Constitution depuis plus de 15 ans ; que la politique n'a rien à dire dans cette partie de notre législation, et que rien, rien au monde n'a pu contraindre à l'inaction nos gouvernants.

Sans doute on doit agir avec prudence et circonspection. On met beaucoup de temps quand il s'agit de doter le pays de bonnes institutions ; (page 640) tandis que quelques traits de plume suffisent pour grever annuellement le peuple de nouveaux impôts. Mais 15 années n'ont-elles donc pas suffi ? A ce jour même, qu'attend-on ? On a tant dit, tant dit, tant écrit, tant écrit sur la matière, qu'il est moralement impossible qu'on obtienne encore de. nouveaux renseignements.

Est-ce que par hasard, nous traînant à la remorque d'un Etat voisin, nous voudrions attendre ses décisions ?

Mais, d'après la manière dont on y procède, 15 nouvelles années ne suffiront peut-être pas encore.

En matière d’hypothèque surtout, nous devons avoir une législation qui nous soit propre : une législation nationale, d'autant plus facile en Belgique, qu'à la différence de la France, nous n'avons point cette disparate qui existait autrefois entre le Nord et le Midi, entre les pays soumis au droit romain, les pays coutumiers, et les pays régis par des édits, circonstance qui a eu tant d'influence sur le régime hypothécaire.

Un bon système, nous l'aurons, quand il plaira au ministère, non pas dans une suite d'années, mais dans trois mois, dans un mois.

Le fond du régime hypothécaire ne sera jamais en discussion, mais son principe, la publicité, doit être une vérité. Il ne faut pas que les exceptions étouffent la règle.

Les actions résolutoires, les actions rescisoires, les rapports à partage, les hypothèques occultes, les privilèges de toute espèce, voilà ce qui détruit le principe, voilà ce qui trompe le public, voilà ce qui cause la ruine des familles.

Victime de son erreur, le Belge dort tranquille quand il a placé sa fortune sur une première hypothèque et qu'il est possesseur du certificat constatant son inscription en premier ordre. Il croit sa fortune bien assurée ; hélas ! il n'en est rien. La publicité est un mot sonore en matière d'hypothèque, mais la chose n'existe pas.

Messieurs, à chaque session, nous cherchons à améliorer, autant que possible, la situation de la classe moyenne et celle de l'agriculteur.

Nous voudrions que les économies de la classe aisée contournassent au profit du laboureur, du marchand, de l'industriel qui savent faire valoir leur fonds autrement que le propriétaire. Nous voudrions voir diminuer les baux ruraux.

Un bon système hypothécaire nous conduirait à ce but.

En effet, le propriétaire (je parle ici des modestes fortunes surtout, qui sont les plus nombreuses), le propriétaire aime, comme tout autre, à améliorer sa position. Ne pouvant placer avec sûreté son hypothèque, il achète à cher denier. Pour obtenir 2 à 2 1/2, il est forcé d'augmenter les baux ; et l'on peut d'autant moins s'en plaindre, qu'il est, de tous les industriels, celui dont l'argent profile le moins. Si, au moyen de l'hypothèque, il pouvait s'assurer 3 à 3 1/2 p. c, nul doute qu'il préférerait y placer ses économies.

Le prix d'achat des biens immeubles diminuerait, et partant la valeur des baux.

D'autre part, l'industriel, le marchand, le laboureur même qui peuvent utiliser des capitaux, les trouveraient à un intérêt modique ; tout le monde y gagnerait.

De plus, en cet état, tous seraient attachés à nos institutions par la force même de leurs intérêts privés ; et la paix publique ne pourrait qu'y gagner.

Je sais que mon opinion n'aurait point pour elle ceux qui rêvent la loi agraire, et la dissolution de la société ; mais notre devoir à nous est de proscrire ces pensées de désorganisation qui, on doit l'espérer, n'auront jamais d'écho dans cette enceinte.

J'adjure donc le ministère, et l'honorable ministre de la justice surtout, de nous mettre à portée de discuter sous peu les lois hypothécaires ; c'est à mes yeux l'un des plus grands services qu'il puisse rendre au pays.

Un autre point sur lequel j'appelle avec confiance, l'attention du gouvernement et de la chambre, c'est la longueur vraiment déplorable des procès parfois les moins importants et les moins compliqués même. Ce ne sont plus des semaines, des mois, ce sont des années qui s'écoulent avant d'obtenir jugement. Cependant la justice est le premier devoir de la société ; c'est le premier devoir du gouvernement.

S'il n'y a rien à dire quant au personnel de la magistrature ; si son instruction et son zèle sont à l'abri de tout reproche ; si l'on peut proclamer hautement que l'indépendance de la magistrature belge est une vérité, il importe de rechercher la cause de cette lenteur vraiment désespérante qui enhardit la mauvaise foi, qui force souvent à sacrifier les intérêts les plus légitimes et à abandonner son droit.

Quand on n'y regarde point de près, on est tenté de l'imputer aux officiers ministériels ; mais lorsqu'on saura que les tribunaux sont investis, à cet égard, d'un grand pouvoir discrétionnaire, au point de pouvoir faire cesser toutes plaidoiries quand la cause paraît suffisamment instruite ; quand on connaît les diverses dispositions de discipline et réglementaires, cette opinion banale doit cesser, car elle retomberait d'aplomb sur la magistrature même.

La véritable cause, messieurs, ce sont ces milliers de formalités exigées par le malencontreux Code de procédure civile, code exotique qu'on pourrait croire inventé en haine des créanciers, et qui, sous prétexte de favoriser le débiteur, finit par le ruiner à force de protection.

Contrairement à notre ancienne législation, cette loi présume que tous les demandeurs ont tort, que les défaillants même ont raison.

Cette méfiance de la loi suit pas à pas le créancier jusqu'au jugement ; elle le suit même pendant l'exécution.

De là ces nombreuses formalités sans utilité réelle ; de là ces entraves, ces embarras, ces nullités sans griefs, qui font parfois que la fortune, l'honneur même dépendent de l'intelligence ou d'un moment d'oubli soit du greffier, soit de l'avoué, soit d'un huissier.

Pourquoi des formes dont on peut si facilement abuser ?

Les formes, dit-on, sont parfois la conservation du droit ; mais elles sont aussi parfois la perte du droit.

Comme il ne s'agit pas ici de réglementer la procédure, mais de démontrer la nécessité de sa révision, je me bornerai à quelques points les plus saillants.

Les articles 150-156 et suivants qui, après avoir ordonné la preuve, même en cas de défaut, ordonnent une exécution complète dans les six mois du jugement à péril de péremption, sont cruels même pour le débiteur, puisqu'ils forcent le créancier à l'exécuter, et ne permettent d'accorder aucun délai.

De plus, il est injuste que le créancier qui use d'humanité, doive perdre son droit sur ce qui appartient ou appartiendra par la suite à son débiteur.

Les articles 260, 261 et 269 des enquêtes abandonnent le sort du procès aux officiers ministériels, sans que la partie intéressée puisse y pourvoir. Ainsi supposons qu'une question d'état dépendît, comme il arrive souvent, de la preuve par témoins ; la plus petite omission suffit pour rejeter du sein d'une famille un citoyen qui y aurait le droit le mieux fondé.

Les tribunaux de commerce, article 432, occupés par de hautes notabilités commerciales, sont soumis aux formes des enquêtes sommaires ; et on les croirait à peine, leurs jugements par défaut sont périmés par 6 mois, si le débiteur est assez adroit pour ne pas se laisser prendre dans ce délai. Et d'ailleurs fût-il arrêté, il lui suffit de déclarer opposition pour être relaxé.

Les titres des saisies immobilières et de l'ordre, sont si hérissés de formalités et de nullités, tellement qu'on ne saurait exproprier utilement une propriété de 12 à 1,300 francs ; il en coûterait parfois davantage. et pour comble de mesures injustes, les délais d'appel sont tellement raccourcis que la partie peut à peine en être informée.

Plusieurs des articles de l'ordre ne sont qu'un vrai grimoire que les tribunaux appliquent diversement.

Si l'on faisait disparaître les actes inutiles, les formes parasites, les nullités sans griefs ; si l'on réduisait les saisies immobilières aux actes nécessaires dans l'intérêt du débiteur et des tiers inscrits ; si l'on dispensait de lever et de notifier les jugements préparatoires ou interlocutoires, le Code serait réduit des deux tiers.

Les formes mêmes engendrent des procédures ; sur cent plaidoiries, cinquante concernent les formes, ce serait donc rendre au public un immense service que de réviser les règlements de la procédure.

Ces règlements sont si mauvais, que l'Etat n'en veut jamais quand il s'agit de ses intérêts, témoin la loi du mois de frimaire an VII - la loi du 21 avril 1810 - les lois d'expropriation pour cause d'utilité publique, etc.

On vient de nous parler que certains tribunaux sont chargés de nombreuses affaires, je remarque que c'est principalement la matière correctionnelle qui occasionne ce chiffre. Mais si l'on admettait l'idée par moi développée l'année dernière, aux fins de renvoyer devant les juges de paix une multitude de petites affaires, il serait facilement remédié aux plaintes dont il s'agit.

J'aurais bien quelques observations à faire encore sur les établissements de bienfaisance, sur les œuvres de philanthropie que se propose le ministère, mais je crains de fatiguer la chambre en ce moment, me réservant d'y revenir par la suite.

Dès ce moment je rappellerai cependant au ministère que l'année dernière il nous a promis une loi de classification des tribunaux,

M. de Bonne. - (Note du webmaster : le discours qui suit était appuyé de nombreuses notes de bas de page, reprenant les références des textes utilisés pour argumenter certains passages, essentiellement des références au droit canon. Ces notes ne sont pas reprises dans la présente version numérisée.) Messieurs, en prenant la parole, je n'ai pas l'intention de m'occuper de tout le budget de la justice. Mes observations ne sont relatives qu'à une partie de ce budget, mais ce n'est pas la moins importante, car elle absorbe à elle seule le tiers de son chiffre, c'est celle qui concerne les cultes.

Il est de notoriété publique que M. l'évêque de Liège a fait un voyage à Rome au commencement de février, qu'il en est revenu dans les premiers jours de juillet, c'est-à-dire après une absence de cinq mois environ.

L'objet ou le but de son voyage n'est plus un mystère, les journaux en ont rendu compte ; bien plus, ils ont publié le résultat de sa mission et de la négociation que lui-même s'est autorisé à entamer avec le saint-siège.

Il a soumis au souverain pontife un doute sur la question de savoir si les curés succursalistes sont encore révocables à volonté par l'évêque du diocèse, conformément, dit il, à l'article 31 de la loi organique de 1801.

Le 1er mai 1845 il lui a été répondu que le saint-père, adhérant à sa requête, consentait (annuit) à ce qu'il ne fût apporté aucune mutation (changement) à l'administration des églises succursales, jusqu'à ce que le saint-siège eût autrement statué, donec aliter statutum fuerit.

Ce que M. l'évêque de Liège a fait auprès du saint-père, je crois devoir le faire près de la chambre, près du ministère.

La démarche de ce prélat, tendant à établir des précédents fâcheux, et constituant, pour ainsi dire, une usurpation dangereuse, et pour la prérogative royale et pour les droits de la chambre, me semble trop grave pour qu'il soit possible de la laisser passer inaperçue et de ne pas appeler sur elle toute son attention.

Je veux croire que les intentions de M. l'évêque ont été pures et sincères, mais je pense aussi qu'un zèle trop actif l'a entraîné plus loin qu'il ne le voulait peut-être, et qu'il n'a pas réfléchi à ce que sa démarche a d'insolite, pour ne rien dire de plus sévère.

Se constituer le représentant de la Belgique à Rome, y demander l'interprétation d'une loi ou d'un traité, et cela de son autorité privée, c'est traiter (page 641) de nous, sans nous et contre nous. L'inamovibilité des curés succursalistes peut-elle faire une question ?

La Constitution belge et la loi invoquée ne sont-elles pas explicites ?

Dans tous les cas était-ce à Rome qu'il était permis de demander la solution de cette question ?

En le faisant et en publiant l'arrêté d'une puissance étrangère, n'a-t-on pas porté atteinte à la prérogative royale ?

N'a-t-on pas méconnu les pouvoirs de la chambre ?

Et finalement, n'a-t-on pas enlevé à une classe de nos concitoyens (les curés succursalistes) des droits acquis ?

Voilà les questions principales à examiner ; au préalable il sera utile d'éclaircir quelques faits accessoires qui peuvent être d'une certaine influence dans l'appréciation de l'acte sur lequel j'ai l'honneur d'appeler l'attention de la chambre.

Il s'agit d'abord de savoir ;

1° Si le ministre a autorisé la négociation ;

2° Si, sans l'avoir autorisée, il en a eu connaissance ;

3° Si tout l'épiscopal belge s'est joint à l'un de ses membres ?

Le ministère ne paraît pas avoir autorisé cette négociation et plusieurs circonstances le prouvent : la requête n'a pas été présentée au nom du gouvernement belge ; M. l'évêque n'a pris aucune qualification diplomatique ; la réponse n'a pas été insérée au Moniteur ; elle n'est pas soumise à l'approbation de la chambre, il n'est pas même question de la lui soumettre.

S'il en a été donné connaissance au gouvernement, nous espérons qu'il se fera un devoir de communiquer aux mandataires du pays les renseignements nécessaires à ce sujet.

Les termes de la requête ne permettent pas de penser que tout notre épiscopat se soit uni au chef de l'Eglise de Liège qui ne parle qu'en son nom et dans l'intérêt de son diocèse, en un mot, qui ne semble avoir agi que proprio motu et pro domo sua.

En admettant que le prélat n'ait agi que de son chef, il semblerait inutile d'examiner ses motifs. Mais le silence, dans le cas actuel, établirait un précédent qui pourrait être interprété comme un acquiescement, et je crois prudent d'en signaler les conséquences.

Tout évêque, d'après les lois canoniques, est tenu à la résidence : pour pouvoir s'absenter du diocèse il faut une cause juste (justa causa) ; elle doit être soumise au saint-père ou au métropolitain ; il peut se passer de leur permission en cas d'urgence, de nécessité ; mais, dans ce cas, l'appréciation de la cause est laissée à la conscience de l'évêque : « Espérant, est-il dit dans le concile de Trente, qu'ils (les évêques), l'auront timorée (la conscience), et sensible à la piété et à la religion, puisqu'ils savent que Dieu pénètre le secret des cœurs et que par le danger qu'ils courraient eux-mêmes, ils sont obligés à faire leur œuvre sans fraude ni dissimulation ; » quam sperat religiosam et timoratam fore, cum Deo corda pateant. (Conc. Trident, ses. 23, can. 1 de reformatione ; Van Espen, t. 1, p. 137, n°10 ; Durand de Maillane, Dict. de droit canon, v. Résidence, p. 202 ; Thomassin, de l'anc. et de la nouv. discipline de l'Eglise, part. 2, liv. 3, chap. 30, 31 et 32), etc.

S'il agit contrairement à ces règles, il n'a pas droit aux fruits de son bénéfice (son revenu) échus pendant son absence ; il doit les distribuer à la fabrique de son église et aux pauvres. (Voyez les auteurs cités.)

S'il y avait lieu à l'application de la peine, la charité bien connue de M. l'évêque nous est un sûr garant qu'il ne voudrait pas s'y soustraire.

Ce que je viens de dire sera peut-être considéré comme oiseux ; mais qu'on veuille remarquer que si, contre toute attente, un évêque, au lieu de quitter son diocèse pendant cinq mois, s'en absentait pendant un, deux et trois ans, sans permission du gouvernement et sans lui donner connaissance des causes de son absence, celui-ci pourrait-il lui payer ses appointements ? La législature en voterait-elle l'allocation ?...

Je n'ajoute rien : il ne s'agit pas ici de traiter cette question. Je n'ai voulu que la signaler et je me borne a faire des réserves pour l'avenir.

J'ai dit que la négociation de M. l'évêque près du saint-père constituait une usurpation de la prérogative royale, et en voici les raisons :

L'article 68 de la Constitution « confère au Roi le pouvoir de faire les traités de paix et d’alliance. Les traités de commerce et ceux qui pourront grever l'Etat, ou lier individuellement les Belges, n'ont d'effet qu'après avoir reçu l'assentiment des chambres. »

A la couronne seule donc appartient le pouvoir de faire des traités. C'est ce qu'on appelle une prérogative royale.

Or, les prérogatives royales sont, d'après le dictionnaire de l'Académie française. : les droits et les honneurs assurés au Roi par la Constitution de l'Etat, et, pour s'exprimer constitutionnellement, l'ensemble des attributions qui sont dévolues à la royauté.

Un des premiers et des meilleurs écrivains sur la Constitution de l'Angleterre, De Lolme, en traitant du pouvoir exécutif et de ses prérogatives, dit que le souverain envoie et reçoit des ambassadeurs, fait des traités, parce qu'il est à l'égard des nations étrangères le représentant et le dépositaire de tout le pouvoir et de la majesté collective de la nation.

C'est dans ce même sens que Benjamin Constant a compris le droit des nations qui ne communiquent entre elles que par leur gouvernement.

Dans la supposition qu'un doute put s'élever sur les droits des desservants des succursales, et qu'il y eût lieu à interprétation des lois qui les concernent, était-ce à M. l'évêque qu'il devait appartenir d'ouvrir une négociation à ce sujet ?

N'est-ce pas au pouvoir même, qui a le droit de le conclure, qu'appartient en même temps le droit de l'interpréter ? L'article 14 de la Constitution établit la liberté des cultes ; l'article 16 déclare « que l'Etat n'a le droit ni d'intervenir dans la nomination ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs et de publier leurs actes sauf la responsabilité, etc. »

Ces droits, que la Constitution donne au clergé, peuvent-ils s'entendre dans ce sens qu'il peut demander à la cour de Rome l'interprétation des traités publics ? Bientôt il pourrait y joindre l'interprétation des lois civiles et celle de tous les actes qu'il jugerait nuisibles à ses intérêts.

Que le concordat subsiste encore ou ait été abrogé ; que la loi organique en fasse partie ou ne soit qu'une ordonnance de police, ou loi d'exécution, tout cela est étranger au fait de l'interprétation et de la question que j'examine.

Dans le premier cas, c'est un traité fait entre deux puissances. L'interprétation d'un de ses articles ne peut être demandée que par l'une d'elles ou avec son autorisation.

Si c'est une loi, un arrêté, l'autorité législative avait seule qualité pour la donner.

Remarquons bien qu'il ne s'agit pas de nomination, d'institution des ministres du culte, de correspondance, de publication d'actes purs et simples, mais de l'article d'un traité ou d'une loi dont l'interprétation intéresse une partie des citoyens, dont le sort doit être soumis à des lois fixes et rationnelles et non à l'arbitraire ; à des mesures qui soient constitutionnelles au spirituel et au temporel, si je puis m'exprimer ainsi.

Et ce qui est encore digne d'attention, la puissance qui a donné l'interprétation a toujours protesté contre la loi qu'elle apprécie aujourd'hui ; elle a toujours réclamé, vainement, il est vrai, car elle a dû la subir, mais elle n'en a pas moins réclamé. La preuve de ce que j'avance se trouve :

1° Dans les travaux et discours de Portalis, l'un des négociateurs du concordat et rédacteur de la loi organique : il y rappelle, page 69, la lettre du cardinal Gonsalvi à M. Cacault, ministre de France à Rome, à laquelle celui-ci répondit dans une note verbale : « Quant aux articles organiques, vous avez prié de les modifier : on ne les modifiera pas, mais votre protestation va partir ; elle est décente, réservée dans les termes et avec cela courageuse et assez déterminée au fond, etc. »

2° et plus tard, le 11 juin 1817, le saint-père, dans le concordat avec la France, stipula expressément, article 3 « les articles organiques qui furent faits à l'insu de Sa Sainteté et publiés sans son aveu, le 8 avril 1802, en même temps que ledit concordat du 15 juillet 1801, sont abrogés en ce qu'ils sont de contraire à la doctrine et aux lois de l'Eglise. »

D'après la cour de Rome, cette loi organique (car c'est d'elle seule qu'il s'agit, et non du concordat) n'est pas considérée comme faisant corps avec le concordat lui-même ; ce n'est qu'une loi d'exécution faite par le pouvoir temporel, auquel, comme le dit M. de Portalis, « le pape n'a jamais contesté le droit de porter sur l'exercice du culte public des règlements de police nécessaires pour la tranquillité publique. »

C'est ce qui rend cette interprétation de l'article 31 de la loi organique d'autant plus extraordinaire, plus insolite, parce qu'indépendamment de toutes les protestations et de tous les principes qu'on peut invoquer sur ce point, on doit observer que cette loi est encore l'œuvre du pouvoir temporel seul, et conséquemment c'est à lui seul que doit appartenir le droit de l'expliquer et de l'interpréter.

Si l'on fermait les yeux sur de pareils actes, où nous conduiraient-ils ? Demain les ministres de tous les cultes reconnus par le gouvernement, et de ceux qu'il reconnaîtrait par la suite, pourraient demander à leur chef respectif l'interprétation d'un traité ou d'une loi, et de cette manière enlever à nos concitoyens qui professent tel ou tel culte, les droits que leur garantit la Constitution.

Vous reconnaîtriez au roi de Prusse, au roi de Suède, à la reine d'Angleterre, à l'empereur de Russie, à un grand rabbin ou un sanhédrin, etc.. etc., le droit de faire des lois, des canons, des règlements pour vous, chez vous et sans vous.

Les législateurs de 1831 n'ont point établi de pareils principes, et ce serait faire injure au bon sens de la chambre d'en dire davantage sur ce sujet.

Je n'ai qu'effleuré la question relative à l'atteinte portée aux pouvoirs de la chambre : je vais en continuer l'examen.

La Constitution belge a donné à tous les cultes une liberté entière ; mais en la décrétant, les législateurs belges n'ont pas oublié que chaque culte avait ses lois propres, et que ce serait à celles-ci de régler les rapports des individus qui les professent, toutes les fois que ces mêmes lois n'ont rien de contraire à la constitution.

L'article 117 de la Constitution, en disant que les traitements et pensions des ministres des cultes sont à la charge de l'Etat, et que les sommes nécessaires pour y faire face sont annuellement portées au budget, a garanti à tout citoyen pourvu légalement d'une fonction sacerdotale de son culte, les émoluments y affectés : il a dû penser qu'il ne pourrait être révoqué ou (page 642) destitué que d'après la législation de son culte, à laquelle la Constitution est censée l'avoir renvoyé.

Cette fonction, les émoluments y attachés, constituent un droit acquis temporel, qui ne peut être enlevé arbitrairement ; il ne peut l'être que d'une manière légale et conformément aux lois fondamental du culte auquel il appartient. Les lois du culte catholique, dont il s'agit, sont les plus libérales de toutes, rien n'est laissé à l'arbitraire.

Il faut donc un jugement rendu légalement et conformément aux lois canoniques, pour que la puissance temporelle puisse refuser à un curé (de succursale) le traitement que lui assure l'article 117 de la Constitution. La puissance temporelle (le gouvernement) aurait encore le droit de vérification, avant d'admettre ou reconnaître le bien jugé, parce qu'il s'agit ici de donner au pouvoir spirituel l'appui du bras séculier.

Ce ne serait pas là porter la main à l'encensoir, car le pouvoir temporel a des droits inaliénables sur l'extérieur de l'Eglise dans ses points de contact avec la vie civile.

« Il ne peut y avoir de difficulté, dit le père de la Borde de l'Oratoire, que par rapport à ces actes extérieurs qui entrent dans l'ordre de la religion, en tant qu'ils en sont ou les effets ou les moyens nécessaires pour la former ou l'entretenir dans les âmes ; et c'est par rapport à ces actes mêmes qu'on ne saurait refuser à la puissance temporelle.

« 1° Le droit d'en connaître et de s'en faire rendre compte, non dans l'ordre de la religion, c'est-à-dire à raison des rapports que ces actes peuvent avoir avec les opérations de l'âme ; mais dans ce qu'ils ont de purement extérieur, à raison de quoi ces actes peuvent intéresser l'ordre public. » Or, de ce droit du prince (le gouvernement) résulte de la part de la puissance spirituelle, l'obligation de les exposer avec toute la simplicité possible, pour obéir au droit qu'il a sur le corps de ces actes, et qu'on ne peut lui contester, au moins quant au pouvoir d'en connaître, quantum ad cognoscendum.

« 2° Dans le cas d'un abus certain et d'une atteinte constante que l'un de ces actes donnerait à l'ordre public, le prince a non seulement le droit d'en connaître, mais encore celui de les empêcher, quantum ad impediendum.

« Et ce droit emporte à l'égard de la puissance spirituelle l'obligation de lui obéir dans ce cas, soit en reformant ces actes, soit en apportant les modifications nécessaires pour que l'ordre public ne soit pas troublé. »

Les auteurs que je cite ont puisé ces règles dans les ouvrages de saint Grégoire de Tours, saint Ambroise, saint Augustin, et, pour en finir avec les autorilés invoquées, voici comme le dernier (saint Augustin) a reconnu et expliqué magnifiquement cette dépendance que l'Eglise a des lois humaines : c'est dans le 19ème livre de la Cité de Dieu, chapitre 17 :

« La cité céleste, dit-il, ou plutôt cette portion qui est en pèlerinage dans cette mortalité, et qui vit de la foi, a besoin de cette paix de la terre. Sa mortalité, qui en a besoin pour se soutenir, la lui rend nécessaire pendant cette vie. C'est pour cette raison que pendant tout le temps qu'elle passe étrangère et captive dans la cité terrestre, elle ne fait aucune difficulté d'obéir aux lois de la cité terrestre, qui sont nécessaires pour l'administration et le soutien de cette vie mortelle, afin de garder, dans toutes les choses qui concernent la mortalité qui leur est commune, une entière concorde. Les lois de la religion ne leur sont pas communes ; mais au reste, pourvu que le culte du vrai Dieu ne soit pas empêché, elle garde, elle suit toutes les lois, tous les usages et toutes les coutumes qu'elle trouve dans les différentes nations, qui peuvent contribuer à acquérir ou à posséder la paix de la terre. »

Il paraît, par ce passage, que saint Augustin a reconnu que l'Eglise était obligée d'obéir aux lois des princes temporels, dans tous les cas où la religion et le culte du vrai Dieu n'étaient point intéressés. Il faut donc maintenir que dans les choses mixtes l'Etat demeure toujours juge souverain, que c'est à lui de prononcer sur ses besoins et sur l'intérêt que l'Eglise pourrait avoir dans ces sortes de matières. Car enfin, si dans les choses surnaturelles et divines, l'Eglise fait un corps à part, distinct de l'Etat, dans les choses humaines et naturelles l'Etat est le premier. Ce n'est pas, dit Optat de Milève, l'Etat qui dans est l'Eglise, c'est l'Eglise qui est dans l'Etat : Ecclesia in imperio. V. Du Boulay, histoire du droit canonique et du gouvernement de l'Eglise, page 210, in-4°. C'est le 2ème volume de l'histoire du droit public ecclésiastique français ; V. le père de la Borde de l'Oratoire, les principes sur l'essence, la distinction et les limites des deux puissances spirituelle et temporelle, p. 20, 1753, in-12.

L'application de ces principes se fait d'elle-même.

La déclaration publiée par M. l'évêque de Liège a donc pour objet le droit de révocation à volonté des desservants de succursales ; ceux-ci ayant des droits acquis temporels assurés par l'article 117 de la Constitution, il en résulte nécessairement qu'il détruit ces droits, qu'il porte atteinte à ceux de la chambre, qui seule pourrait interpréter, s'il y avait lieu ; en un mot ; qu'il déchire une page de notre pacte fondamental, que nous avons juré d'observer, et que nous devons transmettre à nos enfants comme le palladium de nos libertés.

Ce n'est pas sans un sentiment de peine que nous nous voyons obligés à invoquer des lois rendues il y a quinze siècles, dans le but d'obvier à des abus qui pourraient se reproduire aujourd'hui. Et quoique nous soyons loin de prétendre que les circonstances soient identiques, il suffit qu'on puisse songer à établir une comparaison ou un rapprochement quelconque entre cette époque et la nôtre, pour que nous jugions nécessaire de citer ces lois, afin d'éviter, autant qu'il dépend de nous, qu'on vienne alléguer les motifs mêmes qui en ont déterminé la promulgation.

Le concile de Sardique, sur la proposition du grand Osius, évêque de Cordoue, qui a été considéré comme le père, le chef et le président de ce concile, a décrété que « si l'évêque, emporté par sa passion, entreprend d'expulser précipitamment de l'église un prêtre ou un diacre, il faut laisser à celui-ci la voie du recours aux évêques de la province, pour faire examiner sa cause avec maturité ; et l'évêque qui a rendu le premier jugement, doit en souffrir patiemment la révision, afin qu'il soit confirmé ou infirmé selon l'exigence du cas. »

Ce recours au concile de la province, pour faire réviser la sentence prononcée par l'évêque contre un prêtre ou un diacre, est encore une preuve convaincante que la sentence des évêques devait être appuyée, non sur leur caprice, mais sur les lois de la justice aussi bien que le jugement du synode provincial.

Il ne s'agit point ici de ces règlements de circonstance, qui ne doivent avoir qu'un effet temporaire, mais bien, comme le dit saint Léon, « des canons qui doivent durer jusqu'à la fin du monde, lesquels emportent la nullité de toute ordonnance qui y serait contraire : parce que ce qui a été universellement établi pour l'utilité perpétuelle, ne saurait éprouver aucun changement, aucune variation, et que les bornes posées par les pères, pour le bien commun, sont fixes et permanentes. »

En rapportant ces autorités, nous n'avons pas entendu en faire une application à la circonstance actuelle : nous n'avons voulu qu'indiquer la source d'un principe observé depuis quinze siècles, qui règle le droit de chaque membre du clergé et la juridiction à laquelle il est soumis.

Ce préliminaire était nécessaire avant de passer à l'examen des droits des desservants de succursales, parce que, connaissant les maximes et les principes fondamentaux de l'Eglise, à l'égard des prêtres ayant charge d'âmes, il est facile d'en induire les droits de tous les individus qui se trouvent dans le même cas, quel que soit d'ailleurs le nom dont on peut ou veut se servir pour les désigner.

C'est surtout sur la nature des fonctions dont un prêtre est investi, et qu'il doit exercer, que doit se mesurer la portée de la discipline introduite en sa faveur ; et la sollicitude de l'Eglise universelle, ainsi que les précautions qu'elle a cru devoir prendre à ce sujet, sont marquées au coin d'une profonde sagesse. Elles sont dignes du plus haut respect, soit qu'on les envisage comme homme d'Etat ou comme publiciste, soit qu'on les considère avec cette déférence qui est commandée à tout membre de la communion catholique.

Quoique le principe de l'inamovibilité des prêtres ayant charge d'âmes ait été posé dans le commencement de l'Eglise chrétienne, ce n'est cependant pas dans les temps primitifs de l'ordre sacerdotal qu'il faut en chercher l'application : le nombre des fidèles était trop petit et circonscrit dans les limites d'un territoire peu étendu. L'évêque remplissait en personne les fonctions du ministère ; les prêtres n'y concouraient avec lui que sous ses ordres. On ne célébrait qu'un seul sacrifice. C'était l'évêque qui le célébrait, assisté des prêtres qui l'offraient conjointement avec leur chef.

Il en était de même de toutes les autres fonctions du ministère, qui n'étaient pas exclusivement réservées à l'épiscopat, comme de présider dans les assemblées, d'administrer les sacrements de l'ordre et de la confirmation. A cela près, ils baptisaient avec lui, ils jugeaient avec lui, ils étaient son conseil dans le gouvernement de l'Eglise.

La division de territoires, devenue nécessaire par l'accroissement du nombre des fidèles, et par l'impossibilité où se trouva l'évêque de pourvoir en personne à leurs besoins spirituels, fit naître un nouvel ordre de choses. On fixa les prêtres dans chaque district, dont il leur fut interdit de dépasser les limites. Leur état et leurs fonctions furent réglés par les (page 643) canons, sans toutefois rien leur ôter de ce qu'ils tenaient du caractère sacerdotal : dès lors l'évêque cessa d'être le seul pasteur immédiat de chaque église.

Les peuples, divisés par cantons ou par paroisses, eurent un pasteur particulier, spécialement chargé de leur procurer tous les moyens de salut. L'évêque demeura toujours le supérieur, le chef du gouvernement, mais il perdit la juridiction immédiate sur chacun de ses diocésains. Le salut des peuples exigeait cette modification de son autorité, pour faire peser sur les pasteurs du second ordre (les presbyteri) la responsabilité du troupeau.

Ces prêtres titulaires, qu'on appela depuis curés parce qu'ils avaient la cure, le soin des âmes, et qu'ils répondaient du salut de celles de tout leur troupeau, étaient inamovibles, en ce sens qu'ils ne pouvaient être destitués que pour un délit qui les rendait incapables ou indignes d'un si saint ministère, et après qu'on leur avait fait leur procès conformément aux règles canoniques.

Le concile d'Arles, en 314, déclara, un des premiers, que les prêtres doivent être permanents dans les lieux où ils ont été attachés par leur ordination, et que les diacres n'y pourront exercer leurs fonctions sans y être autorisés par eux. Même chose est décidée par les conciles de Chalcédoine, de Plaisance et autres. Le prêtre titulaire d'une église y est attaché pour toujours : telle est la règle consacrée par les saints canons. Le concile de Trente a renouvelé ces dispositions dans la session 23, chapitre 16 de reformatione.

Cette église, ou ce bénéfice, doit être à charge d'âmes, curata, comme les bénéfices parochiaux, parochialia, où l'on confia la cure des âmes d'un peuple certain et déterminé que le bénéficier ou pasteur gouverne, auquel il administre tout ce qui regarde le salut.

Par la suite, cette sage discipline s'altéra, elle fut même tout à fait méconnue. Des églises paroissiales furent réunies à des chapitres et à des monastères, leur direction fut confiée à des vicaires non perpétuels, amovibles, Différents synodes se sont opposés à ces abus. Entre autres celui de Mayence, en 1225, celui de Bourges, en 1233, etc. ; ce dernier prescrivait et ordonnait sévèrement que chaque église paroissiale eût son prêtre propre et perpétuel.

Nonobstant la rénovation fréquente de ces décrets, souvent encore on plaçait dans plusieurs églises des vicaires amovibles. Le concile de Trente, pour apporter un remède efficace à un état de choses aussi déplorable, ordonna impérieusement aux ordinaires d'avoir soin d'envoyer dans les bénéfices à charge d'âmes, réunis à perpétuité à d'autres églises ou à des monastères, des vicaires capables et perpétuels, pour y exercer la cure d'âmes d'une manière convenable.

El plus tard, voulant que le peuple fût divisé en paroisses fixes et déterminées, il ordonna aux évêques d'assigner à chacune un curé perpétuel et spécial.

Il s'ensuit, d'après l'esprit du concile de Trente, pour qu'un vicaire perpétuel puisse être député (deputandum), c'est-à-dire nommé, institué, qu'il faut préalablement que l'évêque ait érigé une vicairie perpétuelle, comme Fagnan affirme qu'il a été résolu par la sacrée congrégation.

Maintenant, puisqu'un bénéficier, en vertu de son institution, est attaché comme ministre perpétuel à une certaine église pour la desservir durant sa vie, il n'en peut être éloigné malgré lui, à moins que, par la sentence du juge et pour une juste cause, il ne soit déchu de son grade et de ses fonctions.

Aussi voyons-nous, au XIème siècle, le concile de Nîmes, sous la présidence d'Urbain II, décréter « que les prêtres, quand ils sont préposés au gouvernement des églises, reçoivent la cure d'âmes des mains de l'évêque, pour qu'ils servent Dieu toute leur vie, à moins qu'ils ne soient canoniquement destitués de leurs fonctions. « Sacerdotes, quando regendis prœficiuntur ecclesiis, de manu episcopi curam animarum suscipiant, uti et in tota vita Deo deserviant, nisi canonice degradentur officio . »

Ces règles n'étaient pas nouvelles ; le concile de Nîmes ne faisait que remettre en vigueur les anciens canons tombés en désuétude par la perversité des temps.

Le concile de Carthage, en 347, pour opposer une barrière aux entreprises des évêques, avait ordonné qu'une sentence de déposition ne put être prononcée et devenir exécutoire, qu'en présente de six prélats, lorsqu'il s'agirait d'un prêtre, ce qui n'empêchait pas le recours au concile de la province.

Les conciles de Nicée, d'Antioche, de Sardique, etc., déclarent également qu'un évêque, un prêtre, un diacre ne peuvent être déposés qu'après avoir été convaincus du crime qui les rendait passibles de cette peine. Ils ordonnent encore que les prêtres, et même les évêques, soient jugés suivant les formes établies par les lois de l'Eglise.

Qu'il nous soit permis de faire une dernière citation : c'est un exemple emprunté à l'histoire nationale, un fait arrivé dans notre pays, et qui doit par conséquent intéresser d'une manière toute spéciale notre curiosité.

Le pape Alexandre III, au XIIème siècle (1179), obligea l'évêque de Tournay à rendre sa cure à un prêtre qu'il avait institué canoniquement pour remplir les fonctions de curé, et qu'il avait ensuite révoqué, parce qu'il le jugeait incapable d'un tel emploi.

Le pape ordonna qu'il fût réintégré dans ses droits et qu'on le rétablît dans son bénéfice, jusqu'à ce que son incapacité fût prouvée par un jugement canonique.

Cette inamovibilité des pasteurs à charge d'âmes est enseignée par les meilleurs canonistes ; la plus grande célébrité de l'ancienne université de Louvain, Van Espen, dont les ouvrages ont eu l'honneur de la réimpression en Allemagne, en France (ce que celle-ci, par rapport à nous, appelle aujourd'hui de la contrefaçon), professe cette opinion ; il s'appuie principalement sur le concile de Nîmes, que nous avons déjà cité.

Ces principes ne résultent pas seulement de la doctrine des auteurs qui ont traité de la discipline de l'Eglise, ils prennent leur source dans l'Ecriture sainte, dans les écrits qui nous restent des Saints Pères et dans les canons des conciles, qui servent encore de règle à toute la chrétienté.

Ce n'a pas été sans raisons que l'Eglise a voulu que dans la déposition ou la suspension des curés, on procédât conformément à l'ordre judiciaire, et non pas selon l'arbitraire des évêques : puisqu'on trouve ces déplorables paroles dans un concile d'Espagne : « Il y en a beaucoup (en parlant des évêques) qui, sans les avoir entendus, condamnent les autres avec un pouvoir tyrannique ; et comme ils élèvent quelques-uns par grâce et par faveur, ils en humilient d'autres par haine et par envie. »

Réduisant à leur plus simple expression les principes de tous les canonistes, on trouve qu'un bénéficier ne peut être dépouillé de son bénéfice que pour un crime ; que ce crime doit être prouvé, et que, la preuve faite, la sentence du juge doit prononcer la privation.

Et quand même le crime emporterait de droit la privation du bénéfice, encore faudrait-il qu'il fût prouvé au juge que le crime a été commis par le bénéficier, et qu'il fût prononcé une sentence déclaratoire du crime.

C'est ce qu'enseigne Garcias et un grand nombre d'autres canonistes qu'il cite. Voici ses expressions : « Aucun crime, même digne d'être puni de privation, n'emporte la privation d'un bénéfice de plein droit, mais elle doit être prononcée par sentence. »

Si, d'après l'ancienne discipline, il n'y avait pas d'amovibilité sans jugement, devons-nous croire que le concordat de 1801 a détruit ce principe et introduit un droit nouveau ? Nous soutenons le contraire, et pour en donner la preuve, nous allons examiner les articles qu'on se plaît généralement à invoquer pour établir les principes opposés.

L'article 10 est ainsi conçu :

« Les évêques nommeront aux cures ; leur choix ne pourra tomber que sur des personnes agréées par le gouvernement. »

Mais, dira-t-on, ce n'est pas dans le concordat que se trouve la disposition relative à l'amovibilité des curés qu'on appelle desservants. Cela est vrai, car c'est dans la loi organique du 26 messidor an IX, à l'article 31 placé dans la section 4.

Lisons avec un peu d'attention cette section 4, intitulée « des curés. »

Après avoir fixé leur entrée en fonctions, le serment à prêter, leur mise en possession et leur résidence, il y est dit :

« Art. 30. Les curés seront immédiatement soumis aux évêques, dans l'exercice de leurs fonctions. »

« Art. 31. Les vicaires et desservants exerceront leur ministère sous la surveillance et la direction des curés ; il seront approuvés par l'évêque et révocables par lui. »

Ces dispositions sont en tout point conformes aux règles de l'ancienne discipline.

Remarquons d'abord qu'avoir placé les desservants après les vicaires, indique déjà qu'ils sont quelque chose de moins que ceux-ci : et ce moins consiste en ce que ces desservants ne sont que temporaires, ne pouvant être appelés qu'à desservir des annexes, des chapelles, des écarts, à la nomination et sous la direction des curés. C'est pourquoi ils ne sont pas à la nomination de l'évêque, mais seulement soumis à son approbation et aussi sujets à sa révocation. Nous verrons par la suite qu'il y a des desservants nommés directement par l'évêque ; ceux-ci sont titulaires d'un bénéfice.

L'article 68 porte :

« Les vicaires et desservants seront choisis parmi les ecclésiastiques pensionnés, en exécution des lois de l'assemblée constituante, etc. »

La forme de rédaction de cet article nous indique qu'il est une suite ou un appendice de l'article 31. Il commence de même : Les vicaires et desservants, etc.

Cette prescription de les choisir parmi les ecclésiastiques pensionnés de l'Etat, avait pour but de leur procurer une augmentation de revenu et de pourvoir par ce moyen à l'amélioration de leur condition.

Il n'a pas été ordonné de choisir les curés parmi ces pensionnaires, parce que ces fonctions sont pénibles, demandent des connaissances plus étendues, et qu'à cette époque il fallait aussi ménager les susceptibilités et prendre des hommes pour ainsi dire nouveaux, sans antécédent républicain ou royaliste.

Ces deux articles 31 et 68 ne concernent donc que les vicaires et desservants nommés par les curés ; deux fonctionnaires temporaires, sans bénéfice et sans charge d'âmes.

Cela résulte de la nature de leurs fonctions. Les vicaires sont des prêtres qui aident les curés dans leurs fonctions paroissiales : ils sont des adjoints du curé titulaire du bénéfice, et permanents jusqu'à révocation ou déplacement.

Les desservants sont des fonctionnaires provisoires, nommés pour desservir des annexes ou des chapelles ou bien pour remplacer un titulaire absent, malade ou impotent ; mais dans ce dernier cas ils sont nommés par l'évèque ; toujours est-il qu'ils sont provisoires et pour ainsi dire ad interim.

L'article 63 de la loi organique est bien différent de l'article 31. Celui-ci ne contient que le mot « desservants », sans aucune addition, tandis que dans le premier on emploie l'expression : « prêtres desservants des succursales ».

Pourquoi ces différences ? demandera-t-on.

C'est parce que, d'après l'ancienne discipline, les desservants étaient nommés par le curé, qui pouvait encore le faire en vertu de l'article 31 de la loi organique, mais avec l'approbation de l'évêque : tandis qu'en instituant une nouvelle espèce de titulaires, appelés desservants de succursales, il fallait dans ce cas, pour éviter la confusion et le doute, exprimer nettement que leur nomination et leur institution appartenaient à l'évêque, qui seul a le droit de nommer à un bénéfice avec charge d'âmes.

Il résulte de ce rapprochement que les articles 31 et 68 ne concernent que les desservants nommés par les curés, dont la révocation, ou, pour nous exprimer selon les modernes, l'amovibilité ne peut former matière de doute et qui ne doivent pas faire l'objet de notre discussion.

Si nous examinons l'article 72, qui ordonne de rendre les presbytères et jardins y attenant aux curés et desservants des succursales, nous y voyons encore la confirmation de la distinction que nous venons d'établir : et la conséquence naturelle à tirer de ces dispositions est que ces desservants forment une troisième classe de curés, non pas approuvés par l'évêque, mais nommés directement par lui, et conséquemment jouissant des privilèges qui appartiennent à la nomination et à l'institution canonique, c'est-à-dire l'inamovibilité.

La place même qu'occupe l'article 63, indique et exprime l'intention du législateur : c'est dans le titre 4, section 2, intitulée « de la circonscription des paroisses », que leur qualité se trouve énoncée.

Les desservants des succursales sont donc, sous un autre nom, de véritables curés, des titulaires, des bénéficiers à charge d'âmes, et, à ce titre, ils ne sont pas révocables à volonté, on ne peut pas les déplacer à son gré et sans jugement canonique.

On trouvera de plus grands développements sur cette matière, dans la commentaire sur le concordat de M. Blanchet.

On pourrait nous accuser de réticence, si nous ne disions rien des décrets et arrêtés rendus depuis la publication de la loi organique. Il y en a plusieurs dont voici les principaux :

1° Arrête du 27 brumaire an XI (18 novembre 1802) ; il n'est relatif qu'aux curés des première et deuxième classe et au payement des traitements ecclésiastiques.

2° Arrêté du 18 germinal an XI (8 avril 1803), relatif également aux traitements des ministres du culte et à d'autres dépenses accessoires.

Il est à remarquer, quoique cela importe peu, que cet arrêté ne fut jamais inséré au bulletin des lois.

Sa seule différence avec le précédent, c'est qu'il est plus général, parle des vicaires et desservants, et rappelle aux conseils communaux qu'ils ont à délibérer sur l'augmentation de traitement à donner à ces ecclésiastiques.

3° Décret du 11 prairial an XII (31 mai 1804), contenant le règlement sur une nouvelle circonscription des succursales : la première circonscription nous est inconnue.

Ce décret ne contient rien de particulier, si ce n'est qu'il fixe le traitement des desservants, et, contrairement à l'article 67 de la loi organique, leur défend de rien exiger au-delà, excepté le logement, aux termes de l'article 72 de cette loi.

4° Décret du 5 nivôse an XIII (26 octobre 1804), qui fixe le mode de traitement accordé aux desservants et vicaires des succursales.

Remarquez, à l'appui de ce qui précède, qu'ici le mot « desservants » est avant le mot « vicaires ».

Ce décret ne porte aucune disposition nouvelle sur le mode de payement ; seulement il en résulte, qu'indépendamment des desservants, payes par l'Etat, il y en avait encore d'autres, entièrement à la charge des communes ; secondement, que les communes pouvaient accorder des augmentations de traitements, même aux desservants payés par l'Etat, de manière que le décret du 11 prairial an XII se trouvait rapporté pour ce qui concernait cette défense.

5° Décret du 30 septembre 1807, qui augmente le nombre des succursales. L'article 8 de ce décret permet l'établissement de chapelles, et l'article 11, celui des annexes, à la charge des communes.

L'article 13 dispose ensuite que « les chapelles et annexes dépendront des cures ou succursales, dans l'arrondissement desquelles elles seront placées. Elles seront, y est-il dit, sous la surveillance des curés ou desservants, et le prêtre qui y sera attaché n'exercera qu'en qualité de vicaire ou de chapelain. »

Remarquons-le bien : ces dispositions ne sont relatives qu'à des chapelles et annexes érigées à la demande des principaux contribuables, et sur l'obligation personnelle souscrite de payer le vicaire ou chapelain.

Si ce chapelain est un ecclésiastique pensionné par l'Etat, sa pension ne lui est pas précomptée, parce n’est pas rétribué par l'Etat pour le service de la chapelle ou de l'annexe, mais par la commune.

Or, les fonds accordés par celle-ci, et le service de la chapelle, ne sont pas considérés par l'Etat comme formant un bénéfice. Cela résulte de ce que l'exception faite dans l'arrêté du 27 brumaire an XI, article 3, et dans le décret du 11 prairial an XII, article 4, qui défend aux desservants des succursales de rien exiger des communes au-delà de leur traitement, si ce n'est le logement, aux termes de l'article 72 de la loi du 18 germinal an X, ne les concerne pas

Même en France, où l'on fait une application si fausse de l'article 31 de la loi organique, on lui a donné cette interprétation. « Les desservants non succursalistes, dit M. Henrion, chargés de gouverner les cures pendant leur vacance, n'ont que des pouvoirs révocables, ainsi que les ecclésiastiques auxquels se trouve confié le service des chapelles et annexes, et qui doivent être approuvés par l'évèque, à l'instar des vicaires. »

Ce décret du 30 septembre 1807 a cela de remarquable, qu'il modifie celui du 5 nivôse an XIII, qui permettait d'établir une espèce de desservants payés par les communes, et que maintenant celui de 1807 n'autorise plus que l'établissement de chapelles et d'annexés, et, au lieu de qualifier de desservant le prêtre qui y était attaché, il déclare expressément qu'il n'exercera qu'en qualité de vicaire ou de chapelain.

Il ne reste donc plus à voir qu'une instruction et une circulaire ministérielles.

6° L'instruction du 11 mars 1809, sur l'érection des chapelles ou annexes, de même que la circulaire ministérielle du 4 juillet 1810, ne contiennent que des explications sur les formalités à remplir pour obtenir l'érection d'une chapelle ou annexe, en exécution du décret du 30 septembre 1807. Inutile est-il de les analyser, car elles ne pouvaient le modifier en rien.

On conçoit que ces deux actes ont pu servir à expliquer les décrets rendus sur la matière, mais que dans aucun cas ils n'ont pu en altérer le sens ni l'esprit.

Du rapprochement que nous venons de faire des décrets et arrêtés rendus (page 645) après la publication du concordat, il résulte un enseignement qui n'est pas sans utilité.

La loi organique, tout en établissant des desservants de succursales, n'avait pas fixé de traitement. Le décret du 11 prairial an XI, leur alloue 500 francs, avec défense de rien exiger des communes au-delà de cette somme. Celui du 5 nivôse an XIII, permet ensuite à celles-ci de leur accorder des augmentations de traitement.

Ce même décret, article 2, ne fait pas de différence entre les desservants à la charge des communes et ceux payés par l'Etat, de sorte que l'organisation tracée par la loi organique, se trouverait complétement renversée. Mais le décret du 30 septembre 1807 vint mettre un terme à cette confusion, et rétablit les droits fixés dans la loi organique, qui, dans notre opinion, n'avait, relativement aux desservants, rien de contraire à l'ancienne discipline, si ce n'est le nom nouveau donné à une classe de pasteurs.

En conséquence, la réclamation que nous croyons de notre devoir d'élever en faveur d'une classe de nos concitoyens, nous semble fondée en droit et en justice. Il était même inutile d'analyser et de discuter toutes les lois, les décrets, les arrêtés qui régissaient autrefois cette matière, et si nous l'avons fait, ce n'a été que pour ne pas laisser l'ombre d'un doute sur l'illégalité canonique et constitutionnelle de l'encyclique ayant pour objet de rétablir un droit d'amovibilité qui n'a jamais existé, et ne devait jamais exister.

Abandonnant donc toute discussion de la loi organique, nous pensons que, soit qu'on la considère comme ayant fait partie du traité nommé concordat, soit comme n'étant qu'une loi d'exécution du pouvoir temporel, qui fut l'une des parties contractantes, on ne peut contester que la Constitution de 1831 ne l'ait abrogée.

Pour s'en assurer il suffît de lire l'article 16 de la Constitution : « L'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination, ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication. »

Et mettons en regard de celui-ci l'article premier de la loi organique, qui porte : « Aucune bulle, bref, rescrit, décret, mandat, provision, signature servant de provision, ni autres expéditions de la cour de Rome, même ne concernant que les particuliers, ne pourront être reçus, publiés, imprimés ni autrement mis à exécution, sans l'autorisation du gouvernement. »

Joignez à cela la nomination des évêques par le souverain, leur prestation de serment, celui des curés entre les mains du préfet, l'obligation à la résidence, la défense d'en sortir sans autorisation, etc., etc., et l'on verra s'il y a possibilité de concilier la Constitution belge avec la loi organique ?

En outre, si le principal entraîne avec lui l'accessoire, comment concilier les dispositions prohibitives de la Constitution avec celles du concordat et de la loi organique ?

Et si le premier est abrogé, comme nous le pensons, par le pacte fondamental, il doit entraîner avec lui toutes les autres parties, qui ne sont que secondaires et accessoires.

Pour bien apprécier l'esprit du concordat, et même de la loi organique, il faut se reporter à l'époque de la négociation. Le pape Pie VII a signé le concordat afin de mettre un terme aux innovations funestes de la constitution civile du clergé. Le pouvoir temporel, auteur de la loi organique, a pris des précautions pour éviter les polémiques religieuses, et à cette fin il a voulu que tout se fît par son entremise.

Je reconnais que l'amovibilité des desservants de succursales a été admise dans la pratique, mais au mépris de la loi. A l'époque de leur établissement, on sortait à peine d'une révolution terrible, ennemie déclarée du catholicisme, qui avait proscrit le clergé en masse, détruit tous les établissements ecclésiastiques et fait désespérer de la religion même ; il y avait eu des apostasies, des adhésions au schisme, etc. Il pouvait, avec quelque apparence de raison, paraître dangereux de rendre inamovibles des hommes qui avaient prêté serment à la constitution civile du clergé, ou qui l'avaient refusé, ou qui, peu après, l'avaient rétracté. Les soumettre, au moins pour quelque temps, à la volonté de l'évêque, a pu sembler, à cette époque, sinon nécessaire, au moins utile. Mais ces temps, de pénible mémoire, sont loin de nous, rien ne peut plus justifier l'inobservation, la violation de la loi. Ce qui pouvait être d'utilité, est devenu un abus aujourd'hui, et quelque long qu'en soit l'usage, il ne peut constituer un droit.

L'exemple de ce qui se fait dans un Etat voisin ne peut nous servir de règle, non exemplis sed legibus judicandum est, dit un vieil adage.

Nous avons à justifier ce cri : « la liberté comme en Belgique, » à prouver que sa Constitution est une vérité, en proclamant les droits qu'elle a garantis à une classe respectable de nos concitoyens, les desservants de succursales. Nous rendrons un grand service à l’épiscopat belge en faisant disparaître toutes les traces de la prétention qu'on pourrait lui attribuer, de faire peser sur le clergé secondaire et séculier un joug d'autant plus odieux, qu'il ne peut s'allier avec le caractère, les préceptes et les principes d'une religion toute d'amour et de charité, dont il est le premier ministre et le plus ferme soutien.

Pour nous résumer, nous pensons que tout ce que nous avons eu l'honneur de dire nous conduit à demander :

1° A M. le ministre des affaires étrangères :

S'il a chargé M. l'évêque de Liége de la mission qu'il a remplie, et si la réponse de la cour de Rome lui a été adressée, soit par cette cour, soit par l'évêque ?

2° A M. le ministre de la justice :

Si cette même réponse de la cour de Rome lui a élé remise ou communiquée, et par qui ?

3° S'il considère comme légale et obligatoire la décision du saint-siège et l'encyclique de l'évêque, qui l'accompagne ou l'a suivie ?

4° De vouloir bien nous dire si un desservant lui ayant été désigné par M. l'évêque, comme nommé et institué dans une cure succursale, il le raye ensuite de ses registres et lui refuse son traitement sur la simple déclaration de l'évêque qui l'a remplacé par un autre prêtre, sans connaître ni demander les causes de la démission ou destitution ?

Il importe, nous paraît-il, de savoir comment le ministre veille à la conservation des droits du gouvernement.

Les difficultés entre l'épiscopal et le clergé secondaire excitent toujours l'attention publique ; elles donnent lieu à des suppositions plus ou moins outrageantes pour la dignité et le caractère des pasteurs. Le mode arbitraire et illégal suivi par l'épiscopal pour aplanir et faire cesser ces différends n'est pas propre à calmer l'inquiétude de beaucoup d'esprits bien pensants : ils y voient un mépris des institutions canoniques et constitutionnelles ; ils ont des motifs de craindre que l'avenir ne vienne encore augmenter les empiétements, enfin qu'on ne finisse par placer la crosse et là mitre là où ne doivent briller que le sceptre et la couronne.

(page 649) M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, vous aurez été aussi étonnés que moi sans doute, d'apprendre que l'évêque de Liège avait empiété sur les prérogatives royales en se rendant à Rome. Vous aurez également été bien étonnés en entendant dire que par la révocation d'un desservant ce prélat avait empiété sur les prérogatives de la chambre. Que s'est-il passé ? L'évêque de Liège a pensé devoir révoquer un desservant de son diocèse ; il a notifié la révocation au desservant révoqué ; il ne l'a plus fait porter sur les états de traitement des membres du culte que me transmettent les gouverneurs.

Le gouvernement n'avait évidemment qu'une seule chose à faire ; c'était de refuser le traitement au desservant révoqué, et de le faire payer au prêtre nommé a sa place ; voilà ce que j'ai fait. Quelques courtes explications suffiront pour justifier ma conduite.

Je dois aussi faire connaître à la chambre que les ministres de la justice et des finances sont appelés devant les tribunaux par le desservant révoqué à l'effet d'entendre déclarer que le traitement de 787 fr. lui est dû malgré sa révocation et que la somme due pour les trimestres échus depuis sa révocation doit lui être payée.

J'ai donné des instructions pour repousser cette action introduite devant les tribunaux ; au fond, me basant sur la révocation, je refuse le payement du traitement ; et subsidiairement, si on veut mettre en question la valeur de la révocation elle-même, je soutiens que les tribunaux sont incompétents pour en connaître ; l'appréciation du mérite de l'acte qui nomme ou révoque un ministre des cultes n'est de la compétence, ni de la chambre, ni du gouvernement, ni des tribunaux.

Je ne m'attendais pas, messieurs, à entendre l'honorable préopinant citer deux fois l'article 16 de la Constitution, car tout son discours contient un exposé de doctrines entièrement contraires aux dispositions de cet article ; qu'il me soit permis de le relire.

« L'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination, ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication. »

Ainsi, messieurs, aux termes de cet article, défense absolue pour le gouvernement d'intervenir soit dans la nomination soit dans l'installation des ministres du culte ; défense également d'interdire à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs et de publier leurs actes.

Cet article nous traçait la ligne de conduite du gouvernement ; s'y est-il conformé ? Voyons en peu de mots les faits.

L'évêque de Liège s'est rendu a Rome. L'honorable membre, qui paraît si bien connaître les actes de tous les conciles jusqu'aux temps les plus reculés, n'ignore pas sans doute, qu'une règle universellement suivie oblige un des évêques de chaque pays à se rendre à Rome tous les deux ans ou du moins à certaines époques déterminées. Il n'a pas été dévié à cette règle depuis la révolution belge. Plusieurs de nos prélats se sont, je pense, déjà rendus dans la capitale de la chrétienté, et s'ils ont laissé passer, sans faire ce voyage, les époques déterminées, ils ont dit en faire connaître les motifs au saint-siège.

Telle est la règle suivie. L'évêque de Liège en se rendant à Rome n'a fait qu'accomplir un devoir, et observer les règles de discipline ecclésiastique.

L'évêque de Liège n'a pas demandé et ne devait pas demander au gouvernement l'autorisation de quitter son diocèse et de se rendre à Rome.

Ce prélat, j'ai à peine besoin de le dire à la chambre, n'a été chargé d'aucune mission par le ministre des affaires étrangères, il n'a eu à entamer à Rome aucune négociation ; son voyage n'avait pour objet ni de faire un traité qu'il aurait été chargé de négocier, ni d'empiéter sur la prérogative royale, en négociant sans mission, ni enfin de faire modifier une loi belge et d'empiéter ainsi sur les prérogatives de la chambre ; il s'est rendu à Rome, dans le but qui, dans quelques années, y conduira probablement un autre évêque de la Belgique.

L'évêque de Liège, conférant avec le saint-père, aura parlé de la question que vient de traiter l'honorable M. de Bonne ; il lui aura demandé s'il considérait les articles organiques et notamment l’article 31, comme devant encore être observés. Le saint-père lui aura répondu qu'il n'y avait pas de motif pour déroger à ces articles qui, conformes au droit canonique, devaient encore être observés. Les autres évêques, l'épiscopal belge, en un mot, est resté étranger à cette démarche de l'évêque de Liège. Je puis, je pense, le déclarer, d'après des conversations que j'ai eues avec des hommes éminents dans le clergé qui considéraient, comme inutile la demande de l'évêque de Liège, et par suite la décision de la cour de Rome, d'après le motif que les lois et règlements étaient clairs et précis, et qu'un doute ne pouvait s'élever sur l'obligation de s'y conformer.

Je ne puis donc me rendre compte de l'importance qu'on attache à la déclaration que le saint-père a faite à l'évêque de Liège. Le saint-père a fait connaître son opinion dans une conférence. L'évêque a publié le résultat de cette conférence. Je dis qu'il l'a publié, ou laissé publier ; mais de quelle manière ? Cette décision a été insérée dans le Journal historique de Liège. Mais le gouvernement n'a donné aucun ordre de publication dans un journal officiel.

Le Journal historique de Liège est dévoué à la défense des doctrines catholiques. Dans ce journal se trouve tout ce qui intéresse la croyance religieuse, la discipline de l'église, etc. C'est dans ce journal qu'a été insérée la décision du saint-siège ; c'est dans ce recueil que j'en ai eu connaissance.

Le gouvernement, je le répète, ne peut pas intervenir dans la nomination ni dans l'institution des ministres des cultes. Dès lors il ne peut s'ingérer dans l'examen des causes de révocation. Il est évident qu'il ne peut dire : « L'évêque de Liège a révoqué un desservant ; il ne peut donc pas en nommer un autre à sa place.» Il résulterait d'une doctrine contraire que le gouvernement, s'il donnait tort à l'évêque, devrait continuer à payer le desservant révoqué, qui ne pourrait pourtant plus rendre aucun service au culte, à qui peut-être l'administration des sacrements serait même interdite ; et que le gouvernement ne pourrait donner aucun traitement au prêtre institué canoniquement pour remplir les devoirs du saint ministère.

Quelle exécution recevrait alors l'article 16 de notre pacte fondamental, auquel l'honorable M. de Bonne faisait tout à l'heure un si chaleureux appel ? Il suffit, je le répète, de lire cet article pour se convaincre combien sont peu fondés tous les raisonnements qu'a faits l'honorable préopinant.

Je ne sais, du reste (qu'il me permette de le dire), ce que veut l'honorable membre ; d'un côté il conteste le droit des évêques ; de l'autre il conteste la force obligatoire et l'applicabilité de la loi organique.

Je demande alors en présence de quelles dispositions nous nous trouvons ; s'il ne faut pas s'en rapporter aux lois organiques du concordat, ne faut-il pas au moins appliquer les lois canoniques ? Et qui a mission d'interpréter et d'appliquer ces lois ? Ce n'est pas sans doute, en ce qui concerne les nominations et révocations des ministres des cultes, ni la chambre, ni le gouvernement, ni les tribunaux ; il faut donc bien se conformer à la décision de l'autorité compétente en cette matière, c'est-à-dire des évêques et du Pape. Il me semble qu'il est impossible de soutenir une autre doctrine en présence de la Constitution.

Je ne comprends pas à quelle autorité intermédiaire on aurait recours si l'on refuse toute autorité à la décision du saint-siège et aux dispositions des lois organiques.

Je ne sais, du reste, pas à quel propos, puisque l'honorable M. de Bonne refuse de reconnaître les articles organiques, il est venu argumenter des articles 31 et 63 de ces articles.

Du reste, les arguments qu'il a tirés de ces articles ne résistent pas à un examen quelque peu sérieux.

M. Verhaegen. - Je demande la parole.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - D'après la loi organique, de même que d'après les lois canoniques, dont quelques dispositions ont été citées par l'honorable M. de Bonne, il y a trois classes de prêtres : les curés, les desservants, les vicaires ; on pourrait ajouter une quatrième classe (page 650) d'ecclésiastiques, auxquels l'honorable M. de Bonne a indûment donné le nom de desservants, et qu'on appelle coadjuteurs. Les coadjuteurs sont momentanément désignés pour aller aider les curés infirmes ou dans un état de maladie.

Ainsi d'après toutes nos lois, d'accord avec les lois canoniques, il existe des cures et des desservants ; ces derniers ne sont pas nommés pour suppléer un curé ; mais pour remplir dans une succursale les fonctions que les curés remplissent dans les paroisses.

Ces desservants, tout le monde le sait, sont révocables à volonté ; leur institution même le porte.

L'honorable M. de Bonne, qui a beaucoup parlé des effets de l'institution canonique, a complétement oublié comment est conçue l'institution des desservants ; cette institution porte expressément que les desservants sont nommés jusqu'à révocation, qu'ils sont nommés usque ad revocationem, qu'ils sont révocables ad nutum. Voilà l'expression dont se servent les évêques, en nommant les desservants.

Ainsi je puis me servir des propres arguments de l'honorable M. de Bonne, pour le combattre. Cet honorable membre invoque l'institution canonique, je l'invoque aussi ; mais si cette institution assure l'inamovibilité aux curés, elle établit le droit de révocation. Quant aux desservants, un jugement canonique est nécessaire pour permettre la révocation du curé nommé à vie ; ce jugement n'est pas exigé quant aux desservants révocables.

Le desservant, en acceptant sa nomination, accepte la condition de révocabilité selon la volonté des évêques qui y est attachée. Ce droit de révocation, les évêques l'exercent dans l'intérêt général du culte, dans l'intérêt général des populations catholiques.

Je disais que les arguments que l'honorable M. de Bonne a tirés des articles 31 et 63 des articles organiques ne peuvent souffrir un examen bien sérieux. Il suffit de les lire pour s'apercevoir que le mot « desservants », dans l'un et l'autre article, s'applique à la même catégorie de prêtres.

Il n'y a pas deux espèces de desservants, tous les desservants sont nommés de la même manière. Le concordat de 1801 a toujours été interprété ainsi en Belgique, en France, et dans le royaume des Pays-Bas.

En France, il est vrai, il y a eu quelques difficultés relatives à la révocabilité des desservants. On connaît la prétention des frères Allignol ; tout l'épiscopat français leur a donné tort ; le saint-siège leur a également donné tort. Je pense qu'il ne peut y avoir à cet égard aucun doute, aucune contestation entre les catholiques véritables, entre ceux qui reconnaissent l'autorité de la cour de Rome.

M. de Haerne. - Les frères Allignol ont eux-mêmes reconnu leur erreur.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Oui ; ils ont fait amende honorable, renonçant à leur prétention qu'ils ont reconnues ne pas être conformes aux lois canoniques.

L'honorable M. de Bonne (et c'est par là que je terminerai) a invoqué l'article 117 de la Constitution qui porte : « Art. 117. Les traitements et pensions des ministres des cultes sont à la charge de l'Etat ; les sommes nécessaires pour y faire face sont annuellement portées au budget. »

Cet article, nous l'appliquons, nous continuerons à l'appliquer.

Mais en quoi cet article peut-il venir en aide au sentiment de l’honorable M. de Bonne ?

L'article 117 n'entend parler que des véritables ministres des cultes ; et peut-on considérer comme tel celui qui est révoqué, qui n'a plus de titre ? Ainsi l'article 117 ne peut aucunement justifier la thèse de l'honorable M. de Bonne ; car nous sommes toujours ramenés à examiner ce qu'il faut entendre par ministre du culte. Or, évidemment nous ne devons reconnaître comme tel que celui qui est reconnu en cette qualité par l'autorité ecclésiastique. Le gouvernement ne peut, sans violer l'article 16 de la Constitution, s'immiscer dans les questions qu'a soulevées l'honorable M. de Bonne.

L'honorable membre a terminé par une interpellation adressée à M. le ministre des affaires étrangères et à moi. J'ai déjà répondu quant à mon honorable collègue des affaires étrangères.

Quant à moi, je déclare de nouveau n'avoir reçu aucune notification, de la part de l'évêque de Liège, de la pièce qualifiée de bulle par l'honorable membre. J'ai appris l'existence de l'opinion du saint-père par la lecture des journaux. Je n'ai eu, à cet égard, aucune communication avec l'évêque de Liége.

(page 645) M. Vanden Eynde. - M. le ministre de la justice, répondant aux interpellations qui lui avaient été adressées par l'honorable M. de Man, vous a cité, messieurs, quelques chiffres, relativement aux affaires portées devant le tribunal de Louvain. Je ne viens pas contester l'exactitude de ces chiffres, que je suppose puisés à une source officielle, mais j'aurai à vous présenter quelques observations qui vous démontreront que les chiffres cités par M. le ministre ne prouvent rien contre la nécessité d'augmenter le personnel du tribunal de Louvain.

M. le ministre nous a dit que, dans la période de 1841 à 1845, il y avait eu décroissement dans le nombre des affaires civiles, relativement à la période de 1835 à 1840, mais il ne nous a pas fait connaître la cause de ce décroissement et il ne nous a pas démontré que ce décroissement devait continuer ; circonstance qui pourrait seule justifier la conclusion que M. le ministre a tirée de ses chiffres.

Voici, messieurs, quelle a été la cause du décroissement signalé par M. le ministre de la justice. C'est que dans la période de 1835 à 1840, le tribunal de Louvain a eu à s'occuper d'un grand nombre de procès qui ne se sont pas reproduits dans la période suivante, mais qui se reproduiront certainement dans la période de 1846 à 1850. Ainsi, dans la première période, nous avons eu toutes les expropriations des terrains nécessaires à l’établissement du chemin de fer de l'Etat. Nous avons eu, en outre, plusieurs affaires relatives aux bourses d'études. Nous avons eu, en troisième lieu, le renouvellement des titres de rente. Eh bien, messieurs, dans la période de 1846 à 1850, le tribunal de Louvain devra s'occuper des expropriations des terrains nécessaires à l’établissement des chemins de fer concédés à des compagnies et des terrains nécessaires à la construction de certaines routes décrétées dans l'arrondissement. Il résultera de là une grande augmentation du nombre des affaires portées devant le tribunal de Louvain, et dès lors M. le ministre a eu tort de conclure, des chiffres qu'il a cités, que le personnel de ce tribunal ne devrait pas être augmenté.

D'ailleurs, messieurs, il faut surtout examiner la nature des affaires dont un tribunal doit s'occuper. Je me permettrai de vous citer, à cet égard, un exemple que le barreau de Louvain a fait connaître à M. le ministre de la justice et aux députés de l'arrondissement, il y a une quinzaine de jours. A l'ouverture de l'année judiciaire, au mois d'octobre dernier, il a été porté devant le tribunal de Louvain une affaire civile dans laquelle se trouvaient engagées cinq ou six parties, représentées par cinq ou six des principaux avocats du barreau de cette ville.

Les plaidoiries ont commencé en octobre dernier, mais dans l'opinion des avocats cette affaire devait tenir environ 15 audiences. Le tribunal de Louvain avait deux audiences civiles et deux audiences correctionnelles par semaine ; mais pour arriver à l'expédition des affaires correctionnelles il a été forcé de remplacer l'une des deux audiences civiles par une audience correctionnelle. Cette affaire, qui doit tenir 15 audiences, a dû nécessairement être ajournée très souvent pour faire place à des affaires plus urgentes ; il en résultera qu'elle ne sera peut-être terminée que vers le milieu de l'année judiciaire. Eh bien, messieurs, c'est là un véritable déni de justice.

Je pourrais citer à la chambre un grand nombre d'autres affaires pendantes devant le tribunal de Louvain et dont il n'est pas possible d'obtenir la solution dans un délai convenable, comme les justiciables ont le droit de l'exiger.

Un avocat distingué et très suivi du barreau de Louvain a bien voulu me remettre une liste des affaires les plus importantes qu'il a à plaider devant le tribunal de cette ville.

Parmi ces affaires, il en est qui sont introduites depuis 8, 10 et 12 ans et dans lesquelles on n'a pas encore pu obtenir un jugement. Cependant plusieurs d'entre elles sont tellement urgentes que, dans l'intérêt des parties et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, elles devraient être expédiées dans les trois mois de leur introduction. J'en citerai une, par exemple, qui a été introduite le 20 mars 1840 : elle a pour objet une demande de déchéance d'usufruit, motivée sur un abus dans la jouissance ; jusqu'à présent il a été impossible d’obtenir un jugement, et en attendant l'usufruitier demeure en possession, alors qu'il n'est peut-être pas solvable. Une autre affaire qui a pour objet l'opposition faite à une vente publique d'immeubles, a été introduite le 15 mai 1845 ; elle a été déclarée urgente et (page 646) elle ne sera probablement pas terminée avant le mois de juin ou de juillet prochain.

Je pourrais, messieurs, multiplier ces citations, mais je crois vous en avoir dit assez pour vous démontrer qu'on dénie réellement la justice aux justiciables de l'arrondissement de Louvain et qu'il est plus que temps de prendre des mesures pour arriver à une expédition moins lente des affaires., Quant aux affaires correctionnelles, comme j'ai eu l'honneur de le dire tout à l'heure, le tribunal a été obligé d’y consacrer trois audiences par semaine ; et ce ne sont pas, messieurs, des audiences qui durent 3 ou 4 heures, comme le prescrit la loi, ce sont des audiences qui commencent à 10 heures, qui sont continuées dans l'après-dînée et qui durent souvent jusqu'à une heure avancée de la soirée. Tous ceux qui suivent les tribunaux reconnaîtront qu'il est impossible à des magistrats occupés ainsi pendant toute la journée à écouter des plaidoiries et à juger des affaires correctionnelles, de travailler encore chez eux pour se préparer à prononcer sur des affaires civiles, souvent très compliquées et très importantes.

J'engage donc vivement M. le ministre de la justice à s'éclairer surtout sur la nature et l'importance des affaires civiles portées devant le tribunal de Louvain. Je l'engage à vouloir presser ses investigations à cet égard pour ne pas faire perdre courage aux magistrats, qui font des efforts inouïs pour que les justiciables souffrent le moins possible de l'encombrement d'affaires qui existe au tribunal de Louvain. Il y a en ce moment 300 affaires civiles arriérées, sans compter les affaires correctionnelles.

Messieurs, je dois ajouter un mot relativement aux affaires criminelles qui appartiennent au parquet du juge d'instruction. Ces affaires, comme l'a dit M. le ministre de la justice, ont augmenté considérablement dans la période de 1841 à 1845 ; le nombre en est aujourd'hui tellement grand que le magistrat instructeur est hors d'état de satisfaire aux besoins de la justice ; il a réclamé l'assistance d'un autre juge, et le tribunal, à cause de l'encombrement des affaires civiles et correctionnelles, a été obligé de refuser la délégation. Il en résulte que les prévenus arrêtés, soit en flagrant délit, soit en vertu d'un mandat d'amener ou d'arrêt, restent en prison pendant un temps considérable, avant que la chambre du conseil puisse prononcer leur renvoi devant la chambre des mises en accusation, ou ordonner leur mise en liberté.

Je crois, messieurs, que le gouvernement appréciera la gravité de cet état de choses, et j'espère que M. le ministre de la justice emploiera, sans perdre de temps, tous les moyens nécessaires pour s'éclairer à cet égard. Je suis persuadé que lorsqu'il aura reçu des renseignements complets, il n'hésitera pas à proposer à la chambre d'augmenter le personnel du tribunal de Louvain.

M. Verhaegen. - Messieurs, la question qui a été traitée il n'y a qu'un instant, par l'honorable M. de Bonne, est beaucoup plus sérieuse que ne semble le croire M. le ministre de la justice. Il ne s'agit pas d'examiner si le haut clergé peut librement correspondre avec la cour de Rome ; personne ne lui conteste ce droit ; ce droit est écrit dans la Constitution. La question que soulève mon honorable ami est celle de savoir si une loi, si une convention est obligatoire pour tous les citoyens quel que soit le caractère dont ils sont revêtus, et spécialement s'il peut dépendre d'un évêque d'abroger ou de modifier une loi existante.

S'il n'appartient pas à un évêque d'apporter un changement à une loi existante, il ne lui appartient pas non plus de l'interpréter ou de la faire interpréter par la cour de Rome, car ceux-là seuls qui font les lois ont le droit de les interpréter, de même que ceux qui font des conventions ont seuls le droit de les modifier.

Ainsi, pour le concordat, qui constitue une convention entre le saint-siège et le gouvernement, il n'appartient qu'au gouvernement et au saint-siège d'apporter à cette convention des changements quelconques.

Il y a donc, dans l'acte posé par l'évêque de Liège, une usurpation des droits gouvernementaux.

Quant à la loi organique du concordat, le droit de la changer, s'il y a lieu, ne peut appartenir qu'à la législature, à laquelle seule appartient aussi le droit de l'interpréter, parce que, je le répète, il est de principe que ceux qui font les lois peuvent seuls les interpréter.

Quelle est maintenant la question soulevée par mon honorable ami ? ' C'est celle qui se rattache à la portée des articles 31 et 63 de la loi organique. Dans son opinion (et je pense qu'il a raison) l'article 31 s'occupe des desservants nommés par les curés, pour desservir des chapelles ou annexes, tandis que l'article 63 s'occupe des desservants proprement dits, nommés par les evêques.

Les desservants nommés par les curés sont révocables par les chefs des diocèses, les desservants nommés par les évêques, au contraire, sont inamovibles. C'est ce qui résulte des textes cités du droit canon et des différentes dispositions de la loi organique.

Il y a eu, je le sais, contestation à cet égard, et ce qui le prouve, c'est que l'évêque de Liège est allé à Rome pour demander une interprétation de la loi organique.

Aussi c'est cette démarche dont s'est plaint l'honorable M. de Bonne, et qu'il a signalée à l'attention de la chambre et du gouvernement.

En vain, M. le ministre de la justice nous dit-il que l'article 117 de la Constitution d'après lequel « les traitements et pensions des ministres des cultes sont à la charge de l'Etat » n'est applicable qu'aux véritables membres du clergé, et que ceux qui sont révoqués ne font plus partie du clergé. Nous avouons, sans difficulté, que les desservants qui ont été valablement révoqués ne sont plus membres du clergé ; mais le ministre veut décider la question par la question même.

Restent membres du clergé, ceux qui ne sont pas révoqués d'une manière régulière. Si l'on avait du doute à cet égard, si une interprétation devenait nécessaire, cette interprétation on ne pouvait l'obtenir que des chambres ; voilà dans quel sens mon honorable ami s'est plaint d'empiétements sur les droits du pouvoir législatif.

M. le ministre de la justice prétend que ce n'est ni au gouvernement ni aux chambres à s'enquérir de la question de savoir si une révocation d'un desservant a été bien ou mal faite ; que la mission du gouvernement se borne à un rôle purement passif.

Ainsi l'un de nos concitoyens sera frappé dans ses intérêts les plus chers par un acte illégal ; il perdra la position qu'il s'est acquise au prix de ses veilles, de ses études et de sacrifices de toute nature ; il la perdra pour avoir déplu à ses supérieurs, envers lesquels il ne se sera peut-être pas montré assez servile ; le gouvernement devra obéissance à l'épiscopat et le citoyen dont les droits auront été méconnus n'aura aucun moyen d'obtenir justice !

Je demanderai à M. le ministre de la justice ce qu'il ferait s'il plaisait un jour au saint-siège de destituer un évêque. Refuserait-il à l'évêque son traitement ? Les tribunaux seraient-ils incompétents pour statuer sur la demande formée par l'évêque révoqué ? Je crois, moi, que les tribunaux seraient compétents, je crois qu'ils le seraient également pour apprécier la réclamation d'un desservant révoqué par l'évêque contrairement aux canons et à la loi organique.

En résumé sur ce point M. le ministre n'a pas répondu à l'objection principale, il s'est borné à tourner la difficulté. La véritable question est une question d'interprétation de la loi organique, qui ne peut être donnée que par ceux qui ont le droit de faire des lois, par conséquent par la législature.

La conduite que vient de tenir M. le ministre est une preuve non équivoque de sa soumission aux membres du haut clergé.

Messieurs, le département de la justice se distingue entre les autres départements ministériels par une soumission aveugle aux ordres de l'épiscopat qu'il considère comme une autorité dans l'Etat. Jamais à aucune époque et sous aucune administration cette soumission ne s'est fait sentir aussi vivement qu'aujourd'hui.

Si nous fixons notre attention sur la collation des places dépendantes du ministère de la justice, sur la manière dont certaines lois sont exécutées, sur la conduite de quelques parquets en ce qui concerne la poursuite de certains délits, partout nous rencontrons l'influence, l'action directe même du haut clergé.

Cette circulaire si noble et si belle du 16 novembre 1843, dans laquelle l'honorable M. d'Anethan en condamnant la transmission à prix d'argent des offices ou charges dont les titulaires sont nommés par le gouvernement, disait que les fonctions, dans l'esprit de nos institutions, doivent être accessibles à tous, sans autre cause de préférence que le mérite personnel ou les services rendus : cette circulaire est bien loin de nous, et si nous en rappelons encore aujourd'hui les termes, c'est pour faire ressortir davantage l'énormité des abus.

M. le ministre de la justice, pour atteindre le but qu'il avait annoncé, devait nécessairement consulter les autorités judiciaires et administratives sur les demandes des candidats, et quand il s'agissait d'une place de notaire il devait commencer par demander l'avis de la chambre des notaires.

Eh bien, M. le ministre quelque temps après sa circulaire a fait connaître aux chambres des notaires qu'à l'avenir il ne les consulterait plus sur les demandes de candidats, et nous avons vu alors paraître dans le Moniteur des nominations dont le pays tout entier a su apprécier la portée. Déjà, dans la discussion politique de l'année dernière, nous avons cité des faits ; nous pourrions en citer bien d'autres aujourd'hui. Mais il ne suffisait pas d'avoir écarté l'intervention des chambres des notaires, il fallait encore se soustraire au droit qu'ont eu de tout temps les autorités judiciaires et administratives de donner leur avis, et même de présenter des candidats en cas de vacature d'une place. Par une circulaire toute récente, M. le ministre de la justice vient d'interdire aux procureurs généraux, procureurs du roi et autres fonctionnaires de faire à l'avenir aucune présentation de candidats pour quelque fonction que ce puisse être.

Il est cependant impossible que le chef d'un département ministériel sache par lui-même quel est le candidat qui offre le plus de garanties, quel est celui qui a le plus de mérite, celui qui, à raison de son âge, à raison de son rang d'ancienneté, doit l'emporter sur ses compétiteurs ; aussi M. d'Anethan, en écartant les autorités administratives et judiciaires, reconnaît-il l'autorité ecclésiastique. Ce sont aujourd'hui les évêques diocésains qui, sous de vains prétextes, sont consultés officiellement sur le mérite des candidats. Que devient la liberté des cultes proclamée par la Constitution, lorsque, pour être nommé aux fonctions de notaire ou de magistrat, celui qui postule doit, pour avoir quelque chance, rapporter un billet de confession ?

Dans l'exécution des lois, on trouve la même soumission aux exigences du clergé.

La loi du 28 février 1815 exige l'insertion de tous les arrêtés royaux par extrait, dans le Moniteur, sauf ceux dont la publicité, sans présenter aucun caractère d'utilité publique, pourrait léser les intérêts individuels ou nuire aux intérêts de l’Etat.

Cette loi est bien explicite : donner l'extrait d'un arrêté c'est en faire connaître les parties substantielles et non simplement le titre. Néanmoins lorsqu'il s'agit des intérêts du clergé, le journal officiel ne nous apprend rien à cet égard.

Ainsi lorsqu'il s'agit d'accorder à un étranger, à un jésuite qui vient de France, par exemple, l'autorisation d'établir son domicile en Belgique, le Moniteur ne dit pas un mot de sa qualité, de son nouveau domicile.

(page 647) Ainsi, organise-t-on l'administration de l’une des anciennes fondations de bourses qui représentent en Belgique un revenu de plus de 500,000 fr., et qui sont presque toutes passées à perpétuité à la collation du clergé, puisque le gouvernement abuse le plus souvent de son pouvoir en déférant la direction non pas à tel individu mais à tel office, on se garde bien de mettre les intéressés à même de connaître les noms des collateurs, l'impartialité que le gouvernement a apportée dans leur choix, et la destination de ces bourses. Le journal officiel ne donne aucune indication sur ces points importants.

Ainsi, approuve-t-on une donation, un legs faits au profit d'une corporation religieuse, on omet dans le Moniteur les indications qui seraient de nature à éveiller l'attention publique.

Il y a même des arrêtés dont on ne trouve aucune trace dans le journal officiel. Tels sont ceux qui créent des places de coadjuteurs, qui allouent des augmentations personnelles de traitement ou qui autorisent le cumul de deux traitements, car nous croyons qu'il doit intervenir des arrêtés royaux dans tous ces cas, ne fût-ce que pour autoriser la cour des comptes à appliquer son contrôle.

Voilà comment M. le ministre de la justice, pour complaire à ce qu'il appelle l'autorité ecclésiastique, a su rendre illusoire la loi du 28 février 1845 et faire revivre indirectement le système vicieux des arrêtés inédits.

Passons à d'autres lois.

Messieurs, nous avons en Belgique un grand nombre d'établissements de mainmorte qui n'existent qu'en vertu de certaines dispositions de la loi, et il importe que les garanties données par la loi contre les abus inhérents à pareils établissements ne soient pas foulées aux pieds.

En invoquant le décret du 18 février 1809, on crée, sous le nom de congrégations hospitalières, un nombre considérable de personnes civiles qui viennent faire concurrence à nos établissements laïques, qui ne jouissent pas des avantages de la personnification.

Le seul moyen pour le gouvernement de s'assurer si les conditions exigées par l'article premier du décret sont remplies par les congrégations hospitalières, c'est d'exiger le compte annuel de leurs revenus, conformément à l'article 15.

Cet article 15 porte : « Le compte des revenus de chaque congrégation ou maison séparée sera remis chaque année à notre ministre des cultes. »

Jusqu'à l'année dernière, ce compte n'a pas été rendu, et j'ai des raisons de croire que, cette année encore, le décret de 1809 est resté sans exécution.

Si ces comptes étaient rendus, on y verrait quelles sont les congrégations qui contreviennent aux conditions de leur institution, quels sont les établissements d'instruction qui, au lieu de se borner à l'instruction des enfants pauvres, condition sine qua non pour jouir des avantages de la personnification, reçoivent des pensionnaires riches à 1,000 et 1,200 fr. par an.

Or, c'est ce que le haut clergé ne veut pas qu'on sache, et M. le ministre, en n’exécutant pas la loi, ne fait qu'obéir.

L décret du 6 novembre 1815 sur l'administration des biens du clergé exige pour les séminaires ce que le décret du 18 février 1809 exige pour les congrégations hospitalières.

L'article 80 porte :

« Les comptes (des séminaires) seront envoyés par l'évêque au ministre des cultes ; et si aucun motif ne s'oppose à l'approbation, le ministre les renverra à l'évêque qui les arrêtera définitivement et en donnera décharge. »

Ainsi encore une fois, les séminaires diocésains ne jouissent exceptionnellement de la personnification civile, qu'à la condition de présenter annuellement leurs comptes au gouvernement et, chose extraordinaire, le gouvernement répudie cette prérogative écrite dans la loi et qui lui est indispensable pour parer aux abus incessants que la personnification entraîne.

L'année dernière, j'ai soumis au gouvernement les mêmes observations que je viens de lui soumettre.

M. le ministre de la justice m'a répondu alors que, « quant aux corporations hospitalières, aucun compte n'avait été rendu jusque-là, mais qu'il avait lieu de penser qu'elle ne s'opposerait en aucune façon à observer l'article 15 du décret de 1809. »

Ont-elles obéi ?

Quant aux grands séminaires, M. le ministre a prétendu que l'article 14 de la Constitution, proclamant la liberté des cultes, les dispensait de rendre compte au gouvernement.

Quoi, l'Etat alloue annuellement une somme de 73,861 fr. 59 c. pour les bourses des séminaires qui ont des revenus considérables, et qui sont en outre dotés d'une quantité de fondations particulières, et, sous le prétexte de la liberté des cultes, l'Etat ne pourrait examiner si le subside qu'il accorde reçoit sa destination, si les bourses accordées aux séminaires ne sont pas accordées aux élèves des écoles normales de l'épiscopat et à d'autres établissements d'instruction moyenne, qui parviennent ainsi à tuer les établissements laïques !

Le chiffre alloué pour bourses aux séminaires dépasse de beaucoup le chiffre des bourses destinées à favoriser toutes les autres sciences et le gouvernement ne serait là que pour payer et non pour vérifier l'emploi ?

Chaque fois que le gouvernement alloue des subsides, il a le droit de contrôler la gestion de ceux auxquels il les accorde, et si ce contrôle pouvait entraver le moins du monde la liberté des cultes, le refus du subside ferait disparaître cette entrave imaginaire.

Mais non seulement M. le ministre dispense les séminaires des comptes annuels que la loi exige en termes formels, il évite même avec soin que le Moniteur fasse connaître au pays les noms des boursiers. Le journal officiel se borne à mentionner que les bourses vacantes dans tel séminaire ont été conférées par arrêté d'un tel jour.

Impossible donc de savoir si ces bourses sont acquittées sur état collectif ou individuel, si le mérite a été le seul mobile de la collation, si le titulaire a continué ses études pendant la période pour laquelle chaque bourse est conférée. La complaisance du gouvernement va si loin sur ce point que M. le ministre lui-même serait fort embarrassé s'il était obligé de répondre à ces questions.

En examinant les développements du budget sur les chapitres concernant le culte, nous rencontrons toujours la même tendance.

D'après les tableaux qui nous ont été communiqués, il y a aujourd'hui en Belgique 4,500 curés et desservants, et nous n'avons que 2,700 communes, parmi lesquelles il y en a qui ne comptent que 32 à 33 habitants.

Et cependant M. le ministre de la justice nous demande, pour érection de nouvelles cures, une augmentation de 60,000 francs ; il nous annonce même une semblable augmentation pour l'année prochaine, et ainsi le budget des cultes s'élèvera bientôt à 5 millions.

Dans la discussion du budget de 1845, M. d'Anethan avait promis de publier tous les arrêtés qui auraient pour objet la création de fonctions ecclésiastiques et depuis, la loi du 28 février 1845 lui en a fait l'obligation.

Cette promesse n'a pas été exécutée à tous égards : le Moniteur que nous avons parcouru ne décèle aucune création de place de coadjuteur quoique les développements du budget accusent l'existence de 67 places de ce genre.

Pourquoi se refuse-t-on d’ailleurs à nous communiquer le tableau nominatif de tous les offices ecclésiastiques rétribués par la loi ? On a intérêt à nous cacher la vérité et M. le ministre de la justice seconde cet intérêt.

Il y a quelques années l'honorable M. de Theux, alors ministre de l'intérieur, vint nous demander sur le budget des cultes une augmentation de près de 400,000 fr. La section centrale proposait le rejet de cette demande d'allocation, on demanda des tableaux, des éclaircissements, on ne put obtenir que des explications évasives ; il s'agissait, disait-on, de créer des succursales nouvelles, de nommer des coadjuteurs, etc., mais on ne voulait entrer dans aucun détail ; toutefois l'honorable M. de Theux déclara, et le Moniteur en fait foi, que ce serait la dernière augmentation qu'on demanderait pour les cultes, et il était en effet temps de s'arrêter, car depuis 1830 le budget des cultes a subi une majoration de plus de quinze cent mille francs.

La chambre continuera-t elle à disposer ainsi aveuglément des fonds du trésor ? Se résignera-t-elle à un rôle purement passif ? C'est-à-dire se résignera-t-elle à payer sans savoir pourquoi ni à qui ?

Tout est obscur dans le budget dont nous nous occupons :

Les revenus des biens de cure doivent être défalqués et ont toujours été défalqués des traitements. Ainsi, ces revenus diminuent les traitements jusqu'à due concurrence.

Or d'après un tableau joint au budget, ces revenus ne se monteraient pour toute la Belgique qu'à la modique somme de 3,620 francs 80 centimes.

Qui donc a vérifié l'exactitude de ce chiffre ? Quelles mesures M. le ministre a-t-il prises pour rechercher l'importance des biens de cure ?

Cette recherche constituerait-elle aussi par hasard une atteinte à la liberté des cultes, et serions-nous des impies si nous osions dire que dans une seule commune il existe des biens de cure dont les revenus excèdent trois mille francs ?

Mais M. le ministre de la justice se gardera bien de toucher à cette arche sainte !

Sous un autre article du chapitre VIII, figure une demande d'allocation de 80,000 fr. pour des bonnes œuvres.

Toujours la même incertitude, le même défaut de renseignements et pour cause. Une grande partie de cette somme est distraite de sa véritable destination pour, au moyen de subsides, aider des corporations, à se former des couvents à s'ériger, et c'est ainsi que les couvents et les corporations religieuses pullulent en Belgique et que la prédiction de feu notre honorable collègue Seron se réalise.

Comment ces corporations, ces couvents une fois établis peuvent-ils, à défaut de biens, pourvoir à leurs besoins ?

Au moyen d'aumônes sans doute, mais alors ils rentrent dans la catégorie des ordres mendiants, et les ordres mendiants enlèvent à la charité publique une partie de ses ressources.

La mendicité est un délit puni par nos lois, un délit pour les corporations comme pour les individus. Aussi l'autorité communale d'une de nos grandes villes a-t-elle fait constater des délits de cette espèce, mais le parquet a refusé de donner suite aux procès-verbaux qui lui avaient été transmis. M. le ministre de la justice poussera-t-il la soumission jusqu'à tolérer ce déni de justice ?

J'attendrai les réponses de l'honorable M. d'Anethan, et si elles ne sont pas satisfaisantes, comme l'année dernière je voterai contre son budget.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Verhaegen est revenu sur la proposition avancée par l’honorable M. de Bonne. Il a débuté en demandant si tous les citoyens n'étaient pas égaux devant les lois, s'il était permis à une certaine classe de personnes de se soustraire à l'exécution des lois.

Messieurs, de semblables questions n'ont pas besoin de réponse : personne, dans cette enceinte, ni ailleurs, n'a soutenu ni ne soutiendra qu'en Belgique il y a un citoyen quelconque placé au-dessus de la loi. Tout ce que les honorable MM. de Bonne et Verhaegen ont dit pour établir qu'un membre du clergé s'était mis au-dessus de la loi n'a pas même une ombre de fondement.

(page 648) L'honorable M. Verhaegen prétend que l'évêque de Liége s'est rendu à Rome, pour faire interpréter une loi ou un traitée par le pape ; mais je dois croire que l'honorable membre n'a pas fait attention à la réponse que j’ai donnée à l'honorable M. de Bonne ; j'ai dit alors que l'évêque de Liége s'était rendu à Rome, non pour obtenir l'interprétation d'une loi, mais pour se conformer à une règle de discipline qui s'observe dans tous les diocèses.

Je demande ce qu'il y a de sérieux dans une argumentation basée sur un fait inexact, et dont on tire ensuite des conséquences ? Il est inutile de répondre à une semblable argumentation, qui se réfute d'elle-même.

L'évêque de Liège s'est rendu à Rome, il est vrai ; mais je ne pense pas que l'honorable M. Verhaegen veuille aller jusqu'à interdire à ce prélat de se rendre à Rome ; je ne pense pas non plus que l'honorable membre veuille prétendre qu'il soit défendu à un prélat belge qui est à Rome, de parler au pape d'affaires concernant la Belgique ; je ne pense pas que l'honorable député de Bruxelles soit d'avis que l'évêque de Liège a manqué à la Constitution et aux lois, en demandant au pape si, d'après lui, la loi de germinal an X devait encore être observée. Voilà en effet tout ce qui s'est passé : l'évêque de Liège a demandé au pape : « Dois-je encore observer la loi organique ? - Oui, a dit le pape, cette loi est conforme aux lois canoniques. »

A quoi aboutit en définitive la théorie défendue par l'honorable M. Verhaegen ? Elle aboutit à attribuer la nomination des ministres du culte au gouvernement ou aux tribunaux. Voilà la théorie de l'honorable membre ; il veut que le gouvernement et les tribunaux soient compétents pour examiner si un évêque s'est fondé sur des raisons canoniques pour destituer un desservant. Exposer cette théorie dans toute sa nudité, c'est en faire justice.

Je passe maintenant à cette longue série de griefs que l'honorable M. Verhaegen a articulés à ma charge, et il ne me sera pas difficile de prouver que, de tous ces griefs, il n'y en a pas un seul qui ait le moindre fondement.

Le premier grief, très facile à avancer, mais très difficile à prouver, c'est ma soumission aveugle au clergé. Nous sommes habitués depuis longtemps à entendre ce reproche banal ; ce reproche, il ne suffit pas de l'articuler ; il faudrait l'établir par des faits. L'honorable M. Verhaegen a-t-il administré cette preuve ? « Oui, dit-il, je l'ai prouvé, parce que, dans la collation des places, vous vous conformez aveuglément au désir des évêques. »

Je n'ai qu'une seule réponse à faire à cela : c'est que, dans aucun cas, un évêque n'est consulté par moi, quant aux nominations.

« Vous avez été infidèle, me dit l'honorable membre, à votre belle circulaire du mois de novembre 1843, circulaire dans laquelle vous aviez dit que dans la collation des places, vous auriez égard au mérite seul et aux services rendus ; eh bien, vous avez violé ce beau principe à l'égard des places de notaire, puisque vous ne consultez plus les chambres de notaires pour les choix des candidats. »

Messieurs, je crois avoir bien fait, en ne demandant plus l'avis des chambres de notaires. Il m'a paru infiniment préférable de se borner à consulter les autorités judiciaires et administratives. Je pourrais invoquer ici le témoignage de tous mes prédécesseurs ; tous pourraient vous dire que jamais ou bien rarement ils ont été éclairés par les avis des chambres de notaires. J'ai remplacé l'avis de ces corps par une garantie bien plus efficace : jusqu'à mon entrée au ministère, le gouvernement ne consultait que les gouverneurs et les procureurs généraux, j'ai cru utile de consulter aussi les premiers présidents de cour d'appel, et je pense qu'il y a là une garantie plus sérieuse que celle qu'offraient les avis des chambres de notaires.

Un autre grief, allégué contre moi par l'honorable M. Verhaegen, consiste dans la défense que j'ai faite aux procureurs généraux, aux gouverneurs et aux premiers présidents de faire des présentations.

Cela est encore vrai : j'ai fait observer à ces divers fonctionnaires que je leur demandais, non des présentations, mais simplement un avis sur le compte des individus qui se présentaient pour les places de notaire.

En effet, messieurs, sur qui pèse la responsabilité des nominations ? Elle pèse uniquement sur le ministre, et non sur les premiers présidents, les procureurs généraux et les gouverneurs. Or, j'ai voulu conserver une liberté pleine et entière dans les propositions que j'avais à soumettre au Roi ; je n'avais pas cette liberté aussi grande lorsqu'il y avait des présentations.

Voici d'ailleurs un inconvénient grave qui résultait de ces présentations ; les candidats finissaient presque toujours par savoir qu'ils avaient été présentés dans tel ou tel ordre, soit par les gouverneurs, soit par les procureurs généraux, soit par les premiers présidents ; et argumentant de cette classification, ils accusaient la justice du gouvernement, lorsqu'ils n'obtenaient pas les places pour lesquelles ils avaient été présentés.

Pour certaines places, la loi exige des présentations ; quant à celles qui ne sont pas soumises à cette formalité légale, la responsabilité ministérielle suffit, et l'action du gouvernement doit s'exercer dans toute sa plénitude, et dans toutes sa liberté.

Puisque l'honorable M. Verhaegen a été initié en quelques sorte à une affaire domestique, j'ajouterai que j'ai eu même temps écrit aux gouverneurs, aux procureurs généraux et aux premiers présidents, que s'ils avaient à me faire des observations particulières, basées sur des motifs tout spéciaux, je les priais de m'adresser une lettre confidentielle ; que dès lors je serais à même d'envisager la question sous toutes ses faces et de prendre une décision avec pleine connaissance de cause. Ainsi, en réalité, la faculté de faire des présentations existe encore, mais j'ai cru qu'il était important de ne pas maintenir les présentations officielles.

Je ne fais pas convenablement exécuter les lois, au dire de l'honorable membre ; et c'est encore cette aveugle soumission aux ordres des évêques, qui m'empêche de remplir mon devoir.

Quelles sont les lois que, d'après l'honorable membre, je ne fais pas exécuter C'est notamment la loi du 28 février 1845, loi contre laquelle, si je ne me trompe, l'honorable préopinant a voté ; loi qui oblige le gouvernement à donner de la publicité à des actes qu'il pouvait auparavant laisser inconnus au public, conformément à l'avis du conseil d'Etat de prairial an XIII. Je rappellerai que c'est moi qui ai présenté la loi du 28 février 1845 qui étend, je le répète, la publicité à des actes pour lesquels elle n'était pas obligatoire auparavant. L'honorable membre m'accuse de ne pas publier des arrêtés qui doivent l'être, ou de ne les publier que d'une manière incomplète. Ainsi lorsqu'un étranger demande et obtient l'autorisation de résider en Belgique, si c'est un jésuite, un rédemptoriste, un religieux quelconque, dit M. Verhaegen, j'ai bien soin de ne pas insérer cet arrêté au Moniteur, ou de l'insérer en omettant la qualité de l'individu.

L'honorable membre est à cet égard dans une erreur complète. La lecture du Moniteur n'a peut-être pas pour lui un grand attrait ; mais s'il le lisait, il saurait que ce qu'il avance est tout à fait inexact. J'ai ici le relevé de toutes les autorisations qui ont été accordées à des individus, pour résider en Belgique, et les indications de la qualité ou de la profession et du lieu de naissance des individus s'y trouvent. Si l'honorable membre le désire, je mettrai ce tableau sous ses yeux. Ce tableau a été publié au Moniteur.

J'arrive maintenant au grief relatif aux fondations de bourses d'études. « Vous rétablissez, me dit-on, des fondations, mais vous ne publiez pas les arrêtés au Moniteur, ou vous ne les publiez qu'en partie. » Mais j'en appelle encore au Moniteur lui-même : depuis trois semaines environ, le Moniteur publie chaque jour un tableau partiel des fondations de bourses ; cette publication, qui n'avait pas été faite depuis 1827, sera bientôt complète ; je compte faire de tous les tableaux une seule collection ; de cette manière, on connaîtra alors le nombre des bourses, l'importance des revenus qui y sont attachés, les collateurs et les personnes à qui elles doivent être conférées.

Et ici je réponds à une autre critique de l'honorable préopinant. Vous attribuez, me dit-il, la collation des bourses, non pas à des individus, mais à certains offices ; vous déclarez, par exemple, que le collateur sera le curé de telle ou telle localité.

Sans doute, et en cela je ne fais que me conformer à la volonté du fondateur, la volonté du fondateur fait loi, il est de notre devoir de la suivre ; or quand le fondateur a attaché à une fonction le droit de collation, nous devons nous conformer à cette volonté, et désigner comme collateur, soit le curé, soit le bourgmestre, soit tout autre fonctionnaire, suivant l'acte de fondation.

Les noms des coadjuteurs qui sont destinés à aider les curés infirmes ne sont pas mis dans le Moniteur ; l'arrêté royal qui les nomme n'est pas publié. MM. les coadjuteurs sont nommés par les évêques. Or, les nominations faites par les évêques ne sont pas insérées dans le journal officiel, puisqu'il ne s'agit pas d'arrêté royal et que la loi du 28 février 1845 ne parle que des arrêtés royaux. Les noms des coadjuteurs sont portés sur des états remis aux gouverneurs par les évêques et transmis par les gouverneurs au ministre de la justice, en vertu d'un arrêté de prairial an XII.

M. Verhaegen. - Vous les payez !

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Evidemment, puisqu'ils sont nommés d'une manière régulière. Les états du personnel existent, mais vous ne voulez pas sans doute que j'aille publier tous les états de traitement. D'ailleurs, il n'y a eu que peu de coadjuteurs nommés cette année, et de plus un coadjuteur est nommé quelquefois pour 15 jours, un mois, deux mois, suivant le besoin, pour aider un curé infirme ; telles sont les fonctions d'un coadjuteur.

L'augmentation personnelle des traitements n'est pas non plus indiquée dans le journal officiel. C'est une erreur complète ; toutes les augmentations de traitement sans exception sont portées au Moniteur depuis la loi du 28 février 1845. Au reste il y en a eu deux on trois seulement et les arrêtés royaux qui ont été pris, ont été insérés au Moniteur ; tous les renseignements demandés par la section centrale lui ont été fournis.

Un membre. - Même les états de traitement ?

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Ils n'ont pas été demandés ; mais si la chambre le désire, les états nominatifs seront déposés demain sur le bureau.

Relativement aux congrégations religieuses, messieurs, l'honorable membre se plaint de ce que les arrêtés, qui autorisent les congrégations religieuses, les congrégations hospitalières, ne sont pas toujours insérés au Moniteur. Je lui dirai qu'on insère non seulement les arrêtés autorisant les congrégations, mais les statuts de ces congrégations. L'honorable membre vous a dit ensuite : Vous deviez exiger des congrégations autorisées en Belgique, la reddition de leurs comptes ; en vertu du décret de 1809, vous avez ce droit.

L'honorable membre devrait se rappeler que j'ai dit l'année dernière que j'insisterais pour avoir ces comptes. Eh bien, plusieurs congrégations me les ont rendus ; quelques-unes ne l'ont pas fait encore, mais je répète que je suis convaincu que tous les comptes finiront par être adresses au ministre. Cependant il ne faut pas exagérer l'exécution de ce décret ; il ne donne pas au gouvernement le droit de s'immiscer dans l'emploi des revenus.

L'honorable membre a parlé en outre de la nécessité d'exiger des grands séminaires une reddition de comptes, aux termes de l'article 80 du décret du 6 novembre 1813.

J'ai répondu l'année dernière et je persiste à penser que le gouvernement ne peut pas exécuter d'une manière littérale l'article 80 de la loi du 6 novembre 1813. Veuillez remarquer qu'aux termes de cet article, il ne s'agit pas seulement d'envoyer le compte au ministre, mais de le soumettre à son examen et à son approbation. L'honorable membre ne peut pas prétendre que, dans l'état actuel de nos lois, en présence de la liberté illimitée dont jouit le clergé, de la liberté des cultes proclamée par la (page 649) Constitution, le gouvernement aurait le droit d'examiner les comptes des grands séminaires, de voir si les dépenses sont utiles ou inutiles, si tel professeur est trop ou trop peu payé, de faire des observations à cet égard, et du pouvoir même d’empêcher l'évêque d'approuver les comptes.

L'honorable membre a parlé aussi des bourses conférées en vertu du décret de 1807. En effet, certaines bourses sont affectées à tous les séminaires ; elles sont payées sur quittances individuelles des boursiers. Aussi quand M. Verhaegen a dit que j'aurais de la peine à justifier que ces bourses étaient touchées par des jeunes gens qui font leurs études au séminaire, j'ai répondu : Rien de plus facile. En effet, je pourrais faire connaître tous les noms des boursiers. Si ces noms ne sont pas publiés, c'est qu'on a cru qu'il ne convenait pas de mettre dans les journaux le nom de ceux qui demandaient des bourses à cause de leur indigence, ou du moins de leur état peu aisé.

On a parle aussi des biens de cure ; on a demandé comment il se faisait qu'ils ne s'élevassent qu'à trois mille et quelques cents francs. Quand je suis arrivé au ministère, je les ai trouvés portés à cette somme ; mais j'ai pris des renseignements, et je parviendrai à connaître tous les biens de cure d'une manière très complète.

Enfin l'honorable membre a terminé en disant que dans une ville du pays on avait dressé un procès-verbal à raison de collectes faites dans un but de bienfaisance, que le procureur du roi de la ville à laquelle il a fait allusion a refusé de poursuivre. L'honorable membre a pressenti que je ratifierais ce refus...

M. Verhaegen. - Je n'ai pas dit cela.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - S’il ne l'a pas dit, il pouvait le dire et il aurait été dans le vrai. Je pense, en effet, que ce n'est pas le moment de faire revivre l'arrêté de septembre 1823 qui défend les collectes à domicile, arrêté qui, du reste, n'a pas été porté pour interdire le fait qu'on voudrait prévenir, et que, dans tous les cas, quant aux faits de cette nature, n'a pas été exécuté depuis je ne sais combien d'années. Je pense donc que dans la circonstance à laquelle on fait allusion, cet arrêté ne pouvait pas et ne devait pas recevoir d'application.

M. Verhaegen. - C'est des ordres mendiants que j'ai parlé !

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Alors c'est une observation en théorie que l'honorable membre a faite, car le seul procès-verbal qui me soit connu n'a pas été dressé contre des individus appartenant à un ordre mendiant, mais à la charge de dames connues par leur bienfaisance, et qui en donnaient des preuves en allant dans différentes maisons recueillir des dons pour les distribuer aux malheureux.

M. Verhaegen. - Ce n'est pas là-dessus que j'ai fait des observations et je m'en garderai bien.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je prie alors l'honorable membres de nous citer le procès-verbal auquel il a fait allusion.

M. Verhaegen. - Je savais qu'un procès-verbal avait été dressé, j'ignorais contre qui ; je pensais qu'il s'agissait de quêtes faites par des individus d'ordres mendiants, et c'était là-dessus que je voulais provoquer des explications de la part de M. le ministre de la justice.

- La séance est levée à 4 heures 3/4.