(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 155) M. Huveners. fait l'appel nominal à une heure et quart.
M. Albéric Dubus. lit le procès-verbal de la séance précédente; la rédaction en est adoptée.
M. Huveners. présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Jean-Rodolphe Werder, ancien sous-officier, à Mons, né à Bois-lc-Duc (Pays-Bas), demande la naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Plusieurs habitants de Houtain-l'Evêque et de Wolsbetz, présentent des observations en faveur de la route de Hannut à Landen, décrétée par arrêté royal du 25 mars 1840, et demandent qu'on mette, au plus tôt, en adjudication les travaux de construction de cette route. »
« Même demande de plusieurs habitants de Warnant, Racour, Opheylissem, Neerheylissem et Linsmeau. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Van Hamme, ancien inspecteur provincial des contributions, douanes et accises à Anvers, demande qu'il soit nommé une commission pour réviser les pensions. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Charleroy demandent la réforme postale, basée sur la taxe uniforme de 10 centimes. »
M. Rodenbach. - La chambre a déjà renvoyé à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, plusieurs requêtes qui demandaient également la réforme postale ainsi que la suppression du décime rural.
Je proposerai de suivre la même marche pour la pétition dont on vient de nous présenter l'analyse, et je désire que la commission veuille bien faire son rapport dans le plus bref délai possible.
- La proposition de M. Rodenbach est adoptée.
M. de Brouckere. - Messieurs, au mois d'avril dernier, M. le ministre des finances a présenté à la chambre un projet de loi portant renonciation de l'Etat à toute répétition à charge des provinces de Liège et de Limbourg, du chef des obligations restant à remplir en ce qui concerne l'extinction de l'emprunt levé, en vertu de la loi du -25 janvier 1824, pour la construction du canal de Maestricht à Bois-le-Duc. Ce projet a été examiné en sections et 5 des 6 sections ont nommé leurs rapporteurs. Je demanderai à M. le président de bien vouloir convoquer la section centrale afin qu'elle s'occupe de ce projet qui a un véritable caractère d'urgence. En effet, messieurs, les fonds qui doivent être restitués à la province de Liège, d'après ce projet, sont destinés à des travaux dont on s'occupera dans ie courant de cet hiver. Déjà le conseil provincial de Liège, dans une session assez reculée, a disposé d'avance de ces fonds pour des travaux d'utilité publique, pour une prison, des routes, des églises, des hospices ; plusieurs de ces travaux pourraient être entamés cet hiver; mais dans l'incertitude où la province reste, elle ne peut pas disposer des fonds ni promettre des subsides d'une manière formelle.
Je demanderai donc que la section centrale veuille bien s'occuper le plus tôt possible du projet dont je viens de parler.
M. le président. - Aussitôt que le second vice-président, M. Dumont, sera de retour, je le prierai de présider la section centrale dont il s'agit.
M. Castiau. - Je prierai la chambre de me permettre d'adresser une interpellation à M. le ministre de la justice. Cette interpellation a un caractère d'urgence; elle est relative aux nouveaux dépôts de mendicité que M. le ministre se propose d'ouvrir sans retard dans la province de la Flandre occidentale.
Vous savez tous, messieurs, qu'une députation du conseil communal de Bruges s'est mise récemment en rapport avec le gouvernement. Elle est venue à Bruxelles pour signaler à nos ministres le développement effrayant que le paupérisme prenait dans cette ville et dans la province, et la nécessité de le combaltre par des moyens décisifs.
Vous avez pu apprécier le caractère de cette démarche et la gravité de la situation, en lisant dans nos journaux le récit suivant de l'entrevue que la députation de Bruges aurait eue avec nos ministres :
« La dépulation chargée d'exposer au gouvernement la situation du dépôt de mendicité, est partie de Bruges dimanche et rentrée le même jour, Son rapport a été communiqué hier au conseil communal. Il en résulte que MM. le bourgmestre, Delescluze et Vanden Peereboom, arrivés à Bruxelles, se sont rendus directement chez M. de Muelenaere, ministre d'Etat, et lui ont exposé l'objet de leur mission. M. de Muelenaere, qui se trouvait sur le point de se rendre au conseil des ministres, a engagé la députation à l'y accompagner.
« Là, M. le bourgmestre a pris la parole et a exposé au conseil des ministres la position alarmante où se trouve la ville de Bruges, par suite de l'agglomération trop grande, dans ses murs, de la population pauvre. Il a ajouté que le dépôt de mendicité était encombré et qu'il était devenu impossible de recevoir les individus qui se présentaient tous les jours; parlant qu'il demandait au gouvernement de procurer à la province un nouveau local; qu'en attendant, lui, bourgmestre de la ville de Bruges, ne pouvait plus répondre de la tranquillité de la ville et que le gouvernement devenait responsable des suites que cet état de choses pouvait amener.
« Cette déclaration de la part de M. le bourgmestre a vivement impressionné MM. les ministres, et après quelques pourparlers il a été répondu en substance à la députalion, que le gouvernement prendrait en haute considération la position grave dans laquelle la ville de Bruges se trouvait, et que dans trois semaines au plus tard le gouvernement procurerait un nouveau local pour y placer le trop plein du dépôt de mendicité.
« M. de Pélichy a répliqué qu'il y avait péril dans la demeure, que non seulement le dépôt était encombré, mais que même dans la prison on ne pouvait plus recevoir un seul individu ; cependant des malheureux se présentent tous les jours par bandes, et journellement aussi la gendarmerie conduit à Bruges un nombre considérable de malfaiteurs. Je le répète de nouveau, a dit M. le bourgmestre, il y a péril dans la demeure et nous ne pouvons accorder un répit de trois semaines ; nous ne pouvons pas accorder trois jours.
« Le conseil des ministres a promis ensuite que des commissaires seraient envoyés immédiatement sur les lieux pour se procurer les locaux indispensables. Pour éviter une agglomération trop considérable, on choisira ces locaux, soit dans une des villes de la Flandre orientale, à Courtray ou à Ypres. Un commissaire sera également envoyé pour examiner les locaux construits sur la bruyère à Ruysselede.
« Après que M. le bourgmestre eut fait l'exposé de sa mission, MM. les conseillers ont présenté des observations sur l'état des choses, M. Bauwens entre autres a fait remarquer qu'en sa qualité de juge d'instruction il ne pouvait plus suffire à la besogne, qu'il avait encore un quarantaine de malfaiteurs et de mendiants à interroger, et que tous les jours la gendarmerie lui en amenait de nouveaux. »
Je n'ai donné lecture de cet article que pour fournir au gouvernement l'occasion de donner les explications qu'il provoque; car si les injonctions menaçantes contenues dans le récit de l'entrevue avaient été adressées au gouvernement, et si les représentants du pouvoir avaient accepté le rôle par trop humble qu'il suppose, il faudrait dire que le pouvoir aurait abdiqué en cette circonstance, et qu'il serait passé des mains de nos ministres dans celles de la députation de Bruges.
Je comprends, du reste, la chaleur et l'insistance que les membres de la députation auraient apportées dans leurs représentations. S'il a pu y avoir de l'exagération dans le compte rendu que j'ai lu, il n'y en a malheureusement pas dans les faits si graves qu'il révèle. Je n'insisterai pas sur ces faits, parce qu'ils n'ont pas besoin de commentaires, et que, dans les circonstances actuelles, si j'en développais ici toute la gravité, on ne manquerait pas d'accuser ma parole d'imprudence.
Je veux donc me renfermer dans l'examen de la question spéciale que j'ai soulevée, l'établissement de nouveaux dépôts de mendicité.
Est-ce là, messieurs, je vous le demande, le moyen d'arrêter le paupérisme, de calmer les alarmes de la ville de Bruges, et de faire disparaître tout ce que la position a de critique?
Mais c'est, au contraire, le moyen le plus menaçant pour le présent et pour l'avenir. C'est le moyen le plus désastreux tout à la fois et pour les intérêts matériels et pour les intérêts de la morale publique. Quelques mots suffiront pour le prouver.
On veut établir de nouveaux dépôts de mendicité dans la province de la Flandre occidentale; mais trouvera-t-on des locaux? Ces locaux seront-ils convenables? Compte-t-on les acheter ou les louer ? Quoi qu'on fasse, n'y aura-t-il pas des frais d'appropriation considérables ? Ce n'est pas tout, les locaux appropriés, il faudra organiser des administrations à grands frais; il faudra, de plus, y entretenir des ateliers et des moyens de travail, car je ne puis supposer que le gouvernement laissera les détenus abandonnés à tous les dangers, à tous les vices de l'oisiveté. Eh bien! messieurs, s'il en est ainsi, je puis dire sans exagération que les deux millions que la législature a abandonnés au gouvernement seront absorbés avant d'avoir pu réaliser la pensée malencontreuse du ministère.
Toutefois, je n'insisterais pas sur la question d'argent, si le projet da gouvernement devait faire disparaître tous les dangers et tous les malheurs du paupérisme; mais il les aggrave encore, car il ajoute à la misère des classes pauvre» la démoralisation des dépôts de mendicité.
(page 156) L'organisation actuelle de ces dépôts est loin d'être irréprochable. Elle est même condamnée en ce moment et tellement condamnée, qu'un projet de loi de réorganisation des dépôts de mendicité a été soumis aux conseils provinciaux et va l'être sans doute à la chambre. Et pourquoi ce travail de réforme? C'est que les dépôts de mendicité n'ont pu échapper à la contagion qui ravage les prisons. Mêmes abus et même confusion et souvent mêmes désordres. C'est à peine si l'on est parvenu à y établir la séparation des sexes ; tout le reste est confondu, le vieillard avec l'enfant, le condamné avec l'entré volontaire. Comment la corruption ne fermenterait-elle pas au milieu de ce pêle-mêle des âges et des vices? Et cette corruption se joint à la démoralisation qu'entraîne presque inévitablement la captivité.
Comment donc, dans le moment où le gouvernement proclame lui-même les vices de l'institution, comment peut-il penser à la relever, à l'étendre et à développer l'intensité d'un mal qui l'épouvante puisqu'il sent le besoin de le combattre ?
N'aurait-il pas d'autres moyens de venir en aide aux classes pauvres de la province de la Flandre occidentale? Fallait-il nécessairement leur imposer l'obligation humiliante de venir déposer leur liberté aux portes d'un dépôt de mendicité pour obtenir le droit de vivre et de travailler?
Il y a deux mois, MM. les ministres faisaient vivement ressortir leur sollicitude pour les classes pauvres ; ils annonçaient que des travaux publics allaient être organisés dans les diverses provinces, et surtout dans les Flandres. Eh bien ! que sont devenues ces promesses et pourquoi n'y a-t-il pas des travaux organisés pour tous les mendiants valides que la misère pousse en ce moment dans les dépôts ?
N'avons-nous pas encore les colonies agricoles qui, réorganisées et convenablement dirigées, pourraient rendre les plus grands services dans la position critique où nous nous trouvons ? Pourquoi le ministère ne pense-t-il pas à les utiliser en ce moment ?
Nos principales villes sont déjà parvenues à établir des ateliers libres pour les ouvriers sans travail. C'est là la plus humaine et la plus morale des institutions, car elle n'arrache pas l'ouvrier à ses foyers pour le soumettre à la honte d'un véritable emprisonnement. Pourquoi le gouvernement ne cherche-t-il pas à en établir de semblables dans la ville de Bruges ?
Enfin, si tous les moyens sont insuffisants, pourquoi ne pas organiser un système complet de secours à domicile dans les communes les plus pauvres des Flandres? Le secours à domicile, lui, est moral autant qu'utile; il ne brise pas les liens de la famille; toute la famille en profite; il n'affaiblit pas la terreur et la honte qui s'attachent à toute captivité, même à celle des dépôts de mendicité ; il ne livre pas l'ouvrier honnête au contact des vices et des passions qui y fomentent; il le laisse au milieu de ses affections et de ses devoirs de famille. La moralité publique, l'intérêt surtout des classes ouvrières exigeaient donc que ce système l'emportât sur l'organisation réprouvée aujourd'hui des dépôts de mendicité.
Et non seulement les plus graves considérations d'ordre public en exigeaient l'adoption, mais l'intérêt tout matériel de l'Etat et des communes voulait qu'on lui donnât la préférence ; c'était, en effet, le système le plus économique; et pour s'en convaincre, il suffit de comparer le taux de la journée d'entretien dans les dépôts de mendicité aux frais d'entretien d'un indigent dans son domicile et dans sa commune.
Le minimum de la journée d'entretien dans nos dépôts de mendicité les mieux organisés est, je pense, de 40 centimes par tête. N'est-il pas vrai qu'avec la moitié de cette somme peut-être on parviendrait à fournir à l'entretien des indigents à domicile dans les Flandres ? C'est du moins ce que nous ont assuré souvent nos collègues de ces provinces.
Que fallait-il donc faire ? Organiser autrement que sur le papier les commissions de secours et la distribution de ces secours à domicile. Engager les communes à retenir, par tous les moyens possibles, les indigents dans leurs foyers. Aux communes qui manquaient de ressources, accorder immédiatement des subsides ou des avances. En suivant cette marche, on leur eût évite la charge accablante de l'entretien des indigents dans les dépôts, charge qui, ne pouvant être supportée par la plupart des communes des Flandres, finira inévitablement par retomber à la charge du trésor public.
Dans tous les cas, le dépôt de mendicité étant la plus mauvaise des ressources, devait aussi en être la dernière. Le gouvernement devait donc organiser d'abord les moyens de travail, donner l'élan à ces travaux publics annoncés depuis si longtemps, réorganiser les colonies agricoles, ouvrir des ateliers libres de travail et mettre, par des subsides et des avances, les communes et les établissements publics en mesure de retenir et d'entretenir à domicile toute cette population malheureuse qui ne traverse souvent les dépôts de mendicité que pour encombrer ensuite les prisons.
Ce n'est qu'après avoir tenté et épuisé toutes ces ressources et toutes celles que la .sollicitude gouvernementale aurait pu y joindre, qu'il devait être permis au ministère d'augmenter le nombre et l'importance de ces dépôts de mendicité dont il a tout le premier proclamé les inconvénients et les vices.
Et, dans ce cas encore, ce n'était pas au gouvernement seul qu'il appartenait d'ouvrir de nouveaux dépôts.
Aux termes du décret du 5 juillet 1808, de ce décret organique des dépôts de mendicité, chaque dépôt de mendicité devait être créé et organisé par un décret particulier.
Si donc M. le ministre persistait dans son projet d'ouvrir de nouveaux dépôts de mendicité dans les Flandres, il ne pourrait évidemment le faire sans le concours et l'assentiment des chambres.
Mais quelque importante que puisse être cette question de légalité, elle s'efface, ce me semble devant les considérations d'ordre, de moralité et d'économie que j'ai cru devoir invoquer pour combattre le projet du gouvernement. C’estsurtout au nom de ces considérations que je l'engage à y renoncer.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je dois d'abord rectifier une erreur dans laquelle est tombé l'honorable M. Castiau, ou plutôt le rédacteur de l'article dont l'honorable membre a donné lecture.
Ni M. le bourgmestre de Bruges, ni les autres magistrats qui l’accompagnaient, n'ont été admis au sein du conseil des ministres; le bourgmestre de Bruges s'est rendu chez M. le ministre de l'intérieur, et il a eu avec mon collègue une conversation à laquelle j'ai assisté. La députation du conseil communal de Bruges n'a, certes, pas fait au gouvernement les injonctions mentionnées dans l'article dont la chambre a entendu la lecture; ces messieurs se sont bornés à exposer à M. le ministre de l'intérieur et à moi la situation des choses ; ils l'ont dépeinte telle qu'elle leur apparaissait et nous ont indiqué les moyens à l'aide desquels il leur semblait possible de pourvoir aux besoins actuels des populations des deux Flandres ; le gouvernement a examiné ces moyens, mais n'aurait pas toléré que des injonctions lui fussent faites.
Messieurs, l'honorable M. Castiau a cru devoir, à cette occasion, traiter la grave question des dépôts de mendicité. L'honorable membre s'est demandé si, dans les circonstances actuelles, il était convenable, il était utile, d'établir de nouveaux dépôts de mendicité; et si l'on ne pouvait pas employer d'autres moyens pour venir en aide aux classes souffrantes de la société.
Je dirai d'abord que j'ai consulté des gouverneurs des provinces à l'occasion de l'encombrement des dépôts actuels de mendicité, et que tous ces hauts fonctionnaires, sans exception (je crois du moins me le rappeler) ont émis l'avis qu'il était indispensable d'organiser provisoirement des dépôts supplémentaires.
L'honorable M. Castiau pense que ce moyen est mauvais; il croit qu'il vaudrait mieux avoir recours à des travaux publics, à des ateliers libres de travail, et à des secours que l'on donnerait à domicile.
Messieurs, les ateliers de travail sont une chose très bonne sans doute, mais les dépôts de mendicité dans lesquels on recueille les individus qui se présentent pour travailler, rendent les mêmes services; non seulement ces individus trouvent du travail dans ces dépôts et peuvent y gagner un salaire, mais ils y trouvent encore un gîte; et leur séquestration momentanée ne peut pas être considérée comme une atteinte à leur liberté, puisqu'ils y entrent volontairement. Ainsi les dépôts de mendicité peuvent fort bien et fort utilement, surtout dans les circonstances actuelles, remplacer les ateliers de travail.
L'honorable M. Castiau pense que la création de nouveaux dépôts de mendicité serait un système désastreux ; il ajoute qu'on ne trouverait pas de locaux; que si on en trouve, il faudra les approprier, créer un personnel, et qu'il résultera de tout cela une dépense considérable.
Il est vrai, messieurs qu'il est très difficile de trouver des locaux convenables; néanmoins je ne désespère pas d'en obtenir, et l'honorable M. Castiau apprendra sans doute avec plaisir que ses vues seront en partie réalisées, quand il saura que les dépôts de mendicité que je me propose de créer seront de véritables colonies agricoles.
Il m'est impossible de faire connaître à la chambre les négociations que j'ai entamées dans ce but; l'honorable M. Castiau sentira que si je déclarais ici quels sont les locaux que j'ai en vue, le gouvernement serait exposé à devoir payer des prix très élevés.
Je demande également la permission à la chambre de ne pas répondre à l'honorable M. Castiau, en ce qui concerne les colonies agricoles qui existaient autrefois dans la province d'Anvers; elles ne sont pas la propriété du gouvernement, elles appartiennent à de nombreux propriétaires, et il serait imprudent, de ma part, de révéler les intentions que le gouvernement peut avoir relativement à ces colonies.
Je pense que. dans les circonstances actuelles, il n'y a pas moyen de faire autre chose que ce que je suis dans l'intention de faire, quelle que soit la dépense qui puisse en résulter; je pense que, lorsque les dépôts de mendicité sont encombrés, comme ils le sont maintenant, il est impossible de ne pas ouvrir des asiles provisoires aux malheureux qui se présentent...
M. Castiau. - Et les secours à domicile ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - On emploie aussi ce moyen; mais ces secours ne sont pas toujours suffisants ; et quand il y a urgence, ira-t-on fermer les portes du dépôt à l'individu qui n'a plus d'asile, qui n'a plus de pain? Mais si on avait l'inhumanité de le repousser, ne craignez-vous pas de voir renouveler ce qui est arrivé récemment à Bruges, où un individu n'ayant pas pu être admis au dépôt de mendicité, est allé commettre un vol pour se faire mettre en prison et obtenir ainsi un asile?
Je ne pense pas que, dans les circonstances actuelles, les secours à domicile puissent nous dispenser d'organiser des dépôts de mendicité supplémentaires.
M. Castiau. - Faites des avances aux communes.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je prie la chambre de me permettre de ne pas lui faire connaître l'emploi qui sera fait des deux millions; les secours à domicile sont un moyen à employer sans doute, mais ce n'est pas le seul, et quand il est inefficace, quand des individus n'ont pu être à temps et suffisamment secourus je vous le demande, ne serait-il pas barbare de refuser l'entrée d'un dépôt de mendicité à des gens accablés de misère et peut-être pressés par la faim ?
Du reste, l'organisation, quoique provisoire, de ces dépôts sera faite de telle manière que la moralité n'aura nullement à en souffrir ; je pense même pouvoir assurer que cette organisation provisoire satisfera aux intentions si louables de l'honorable M. Castiau. Je reconnais avec l'honorable membre combien est vicieuse l'institution actuelle des dépôts de mendicité.
(page 157) Si l'honorable M. Castiau avait lu le projet de loi quo j'ai soumis aux conseils provinciaux, il m'aurait rendu la justice de reconnaître combien j'ai cherché à améliorer le régime actuel de ces établissements.
Quant aux travaux publics à faire par les soins du gouvernement, il leur a donné partout la plus forte impulsion; en ce qui concerne les travaux du chemin de fer, je ne puis que répéter la déclaration que M. le ministre des travaux publics a faite au sénat, à savoir : que le gouvernement ne peut forcer les sociétés concessionnaires à commencer à époque fixe des travaux pour l'exécution desquels elles se sont réservé un délai dans les contrats ; mais qu'il fait tous ses efforts pour hâter dans les provinces le commencement des travaux.
M. Rodenbach. - Messieurs, je pense que les asiles qu'il s'agit d'ouvrir provisoirement dans plusieurs provinces, et notamment dans la Flandre occidentale, sont indispensables. Ce n'est pas une exagération de dire qu'hebdomadairement il vient des campagnes dans les villes 60 ou 70 personnes qui n'ont pas de quoi suffire à leurs besoins. En effet, la misère est infiniment plus grande dans les campagnes que dans les villes, parce que dans les villes il y a beaucoup plus de ressources.
Je crois que le gouvernement doit s'empresser d'accorder aux administrations communales, et surtout aux bureaux de bienfaisance, les subsides qu'ils réclament sur les deux millions. Si on ne se hâte de faire cette répartition, on court le risque d'affaiblir l'ardeur de la charité publique. Aujourd'hui on signe à l'envi des listes de souscription dans la Flandre occidentale; mais ce zèle charitable ne continuera qu'autant que le gouvernement ne tarde plus à faire la répartition des deux millions.
Je reconnais, avec l'honorable M. Castiau, le vice de l'organisation actuelle des dépôts de mendicité; ces établissements sont une ruine pour les communes. Le fait est que, dans les communes mêmes, on peut entretenir un pauvre moyennant 15, 16 ou 17 centimes par jour. Je pourrais citer des communes de l'arrondissement de Roulers où cette dépense n'est pas plus considérable ; tandis que des hommes valides se rendent avec femme et enfants dans les dépôts de mendicité et y sont entretenus à bien plus grands frais; ils en font un moyen d'intimidation pour forcer les communes à leur donner des secours; ils disent : Nous irons dans un dépôt de mendicité.
Je crois donc qu'en ce qui concerne les dépôts provisoires, le gouvernement doit se montrer fort circonspect; il peut se borner à louer des locaux pour cette destination ; à Bruges déjà, on a affecté à pareille destination un local nommé le Rasphuis, où les pauvres se rendent journellement.
Eh bien, c'est dans cette prison qu'on doit les mettre. Il est de toute injustice de faire peser ces immenses dépenses sur les communes. Dans une crise semblable à celle dans laquelle nous nous trouvons, c'est le gouvernement qui doit subvenir à l'entretien des pauvres dans les dépôts supplémentaires qu'il s'agit d'établir.
Je prie M. le ministre de la justice de porter son attention sur cet objet, car les établissements de bienfaisance sont sous sa surveillance.
J'engage le gouvernement à accorder promptement des subsides aux administrations communales et aux bureaux de bienfaisance, sur les deux millions votés dans la session extraordinaire. Partout, on dit : La chambre est réunie, elle songera aux malheureux qui ont faim. Je pense que nous devons nous en occuper le plus promptement possible pour ne pas tromper leur attente.
M. de Haerne. - Il faut convenir que les dépôts de mendicité sur lesquels on vient d'appeler votre attention, sont une institution qui présente de grands inconvénients pour les communes. En effet, les dépôts de mendicité créent une grande charge pour les communes; car les mendiants se rendent au dépôt de mendicité à la charge de leur commune, sans qu'il lui soit loisible de les réclamer ou de refuser la subvention réclamée pour leur entretien.
On peut entretenir les pauvres dans les communes avec beaucoup plus d'économie que dans les dépôts de mendicité. Les moyens de les entretenir ainsi, on peut les créer ; dans la plupart des villages de la Flandre occidentale, dont il s'agit ici, il existe déjà des ateliers de travail qu'on s'est occupé de fonder depuis que la législature a accordé des subsides pour soutenir l'ancienne industrie linière. Ces ateliers produisent des effets merveilleux pour le travail. Il n'y aurait qu'à développer ces ateliers, les multiplier, les étendre aux localités où il n'y en a pas encore, à centraliser leurs opérations par une bonne et forte organisation. Pour cela, il faut des fonds; mais aussi il faut mettre de l'ensemble dans l'administration et l'emploi que l'on fait de ces fonds alloués pour soutenir l'ancienne industrie linière. De cette manière, on éviterait les inconvénients de l'envoi des pauvres aux dépôts de mendicité, et on sauvegarderait la moralité publique.
On a dit un mot des deux millions votés à la session extraordinaire à l'occasion des circonstances calamiteuses où nous nous trouvons. Je n'entrerai pas dans de grands développements sur l'emploi qu'on doit faire de ces fonds. Mais il résulte une assez grande responsabilité de ce chef pour le gouvernement; mon intention n'est pas de l'aggraver. Si le gouvernement ne répartit pas cette somme par province, en laissant à la disposition des autorités provinciales, des députations permanentes, le soin d'en déterminer l'emploi, je ne vois pas comment il pourra en sortir ; il rencontrera des difficultés inextricables.
Si ce moyen est adopté dans la Flandre occidentale, dont on a parlé, il sera facile de donner du travail aux malheureux, de les entretenir chacun dans sa localité, et de les empêcher de se porter hebdomadairement dans les dépôts de mendicité.
Ces fonds, mis ainsi à la disposition des villes et des villages, seront employés à donner du travail aux pauvres. Dans les communes des environs de Courtray, par exemple, on a fait généralement, à l'exemple de cette ville, des souscriptions pour l'entretien des pauvres, au moyen du travail. Le comité de Courtray seconde ces nobles efforts en distribuant des métiers et des rouets perfectionnés.
Je puis vous assurer que ceux à qui l’on peut accorder ces faveurs sont mis à même de gagner la vie avec l'appui des comités ruraux, qui leur avancent la matière première. Aussi les membres du comité de Courtray sont débordés par les demandes qui leur sont faites journellement. Mais comment suffire aux besoins avec les sommes modiques dont on peut disposer ? Si les deux millions étaient consacrés à cet objet, au moins pour les deux tiers, s'ils étaient employés à donner du travail aux pauvres des villes et des villages, je suis persuadé que les alarmes que l'on a conçues au sujet des dépôts de mendicité, ne présenteraient plus à beaucoup près la même gravité.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai l'honneur de présenter un projet de crédits supplémentaires pour le département de la justice, pour faire face à l'augmentation de traitement des membres de l'ordre judiciaire accordée à partir du deuxième semestre de 1845.
Je demande le renvoi de ce projet à une commission pour que l'instruction puisse être très rapide.
M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi dont il vient de faire l'analyse.
Ce projet et les motifs qui l'accompagnent seront imprimés et distribués.
Comment la chambre veut-elle qu'il soit examiné ?
M. de Garcia. - Par une commission nommée par le bureau.
M. Delfosse. - Ne pourrait-on pas renvoyer ce projet à l'examen de la section centrale chargée d'examiner le budget de la justice ? Plusieurs membres sont déjà nommés.
M. le président. - Je me proposais de composer la commission de membres qui ont fait partie de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à l'augmentation de traitement de l'ordre judiciaire.
- Le renvoi à une commission nommée par le bureau est ordonné.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai l'honneur de déposer un amendement au projet de loi présenté par mon prédécesseur pour régler le compte d'un navire chargé de sucre, arrivé, par suite de circonstances de force majeure, après le vote de la loi du 4 avril 1843.
- Cet amendement est ainsi conçu :
« Les dispositions de la loi du 4 avril 1833 seront appliquées au chargement du navire Fama Cubana, arrivé à Anvers, le 3 juillet 1843, chargé de 2,000 caisses de sucre brut de canne.
« Toutefois, les permis d'exportation formant excédant sur le compte des 6/10 de l'accise, qui sera ouvert pour ce chargement, pourront être imputés en décharge d'un autre compte des 6/10 de l'accise pour sucre de canne. »
Un rapport ayant déjà été présenté sur ce projet, je demanderai à la chambre de renvoyer cet amendement à la section centrale, avec invitation de faire un nouveau rapport.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - Nous allons reprendre la discussion du projet de loi relatif aux modifications à apporter aux articles 331 à 335 du Code pénal.
La chambre va se former en comité secret.
- La séance publique est levée à deux heures et quart.
Le comité secret s'est prolongé jusqu'à quatre heures et quart.