(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 85) M. de Villegas fait l'appel nominal à dix heures et un quart.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est adoptée.
M. de Villegas présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants de Wavre demandent la réforme postale basée sur le taxe uniforme de 10 centimes. »
« Même demande de plusieurs habitants de Dison. »
« Les sieurs Magherman, Declerck et autres membres du comité industriel de Renaix, demandent un droit de sortie sur les lins et des primes d'exportation pour les toiles. »
- Renvoi à la commission d'industrie.
(page 86) M. le président. - La parole est à M. de Muelenaere, membre du cabinet.
M. de Muelenaere, ministre d’Etat. - Messieurs, je comprends toute l'impatience de la chambre de voir se terminer cette longue discussion. Aussi, je n'abuserai pas de votre bienveillance. Je me bornerai à vous soumettre quelques observations, et je tâcherai de les rendre aussi courtes que possible. Malgré tout ce que j'ai entendu depuis cinq jours, je persiste à croire, messieurs, que le cabinet, dès le début de cette discussion, a pris une attitude convenable et digne.
S'il avait été moins préoccupé des véritables intérêts du pays, s'il n'avait eu en vue que son existence ministérielle, le cabinet aurait pu se déclarer satisfait et adopter l’adresse telle qu'elle vous a été présentée. Mais il faut en convenir, sa position eût été moins honorable, et cette conduite l'aurait exposé tôt ou tard à des reproches fondés.
Le ministère a voulu éviter toute espèce d'équivoque dans l'avenir ; et quelles que soient les dispositions dans lesquelles on se trouve vis-à-vis du cabinet, je pense que les hommes de toutes les opinions doivent lui savoir gré de dessiner nettement sa position et de vous mettre à même de vous prononcer immédiatement avec franchise et loyauté.
Veuillez, messieurs, fixer un instant votre attention sur les événements qui se sont passés en 1841. A cette époque des hommes sages, des hommes sérieux et réfléchis croyaient que l'opposition n'avait pas le droit de juger un ministère d'après l'esprit qui avait présidé à sa formation ; ils croyaient, à cette époque, que l'opposition n'avait pas le droit de juger un ministère d'après ses tendances et ses opinions, aussi longtemps que ces opinions n'avaient pas été mises en pratique ou formulées dans les actes.
Eh bien, que voyons-nous aujourd'hui ? Un cabinet nouveau se forme ; fort de ses intentions, ce cabinet, dès les premiers pas qu'il fait dans la carrière, vient vous demander si vous approuvez le principe de sa formation, si les éléments dont ce cabinet se compose méritent votre approbation, votre confiance.
Le but du ministère, messieurs, c'est la conciliation, la transaction entre les deux grandes opinions qui divisent les chambres et le pays. Cette conciliation, vous la voulez tous ; elle est, dit-on, au fond de tous les cœurs, au fond de toutes les pensées. Eh bien, le ministère vous déclare qu'il est fermement résolu à essayer cette conciliation, cette transaction entre les opinions, et à la faire passer dans tous les actes de son administration. Vous avez donc à vous prononcer sur le principe qui a présidé à la formation du cabinet et sur les éléments dont ce cabinet se compose.
Un honorable membre qui occupe une large place dans les rangs de l'opposition, vous a dit qu'il accorderait une grande confiance, je me sers de ses expressions, qu'il accorderait une grande confiance à M. le ministre de l'intérieur, si M. le ministre de l'intérieur d'aujourd'hui pouvait dire, comme M. le ministre de l'intérieur de l'année dernière : « Le ministère, c'est moi. » D'abord, messieurs, quelles que soient les antipathies politiques que l'on puisse avoir contre M. le ministre de l'intérieur de l'année dernière, je crois que tout le monde sera d'accord que l'honorable M. Nothomb avait trop de sens et une trop haute raison pour vouloir ainsi parodier les paroles du grand Roi. J'ose d'ailleurs espérer, messieurs, pour l'honneur de mon pays, que jamais un ministre en Belgique ne pourra tenir un tel langage, et que celui qui aurait la ridicule prétention de résumer en lui seul tout un cabinet, ne trouverait pas de collègues qui voulussent s'associer à lui et subir un pareil joug. Loin de moi cependant la pensée de vouloir, par ces paroles, atténuer la position que le talent et les services rendus au pays par l'honorable M. Van de Weyer, lui assurent dans les conseils de la Couronne.
M. Van de Weyer exercera dans ces conseils une autorité grande, une autorité légitime ; et puisqu'à tout prix on veut établir une comparaison, je n'hésite pas à dire qu'à mon avis l'influence de M. Van de Weyer dans le ministère ne sera ni moins grande, ni moins forte, ni moins influente que celle de M. Nothomb lui-même. Messieurs, c'est précisément cette position de l'honorable M. Van de Weyer dans le cabinet, qui le met à même de stipuler utilement, efficacement les intérêts de l'opinion libérale, et cette opinion ne me semble avoir aucun motif pour s'alarmer de la composition du cabinet dans lequel se trouve un homme que les libéraux déclarent eux-mêmes libéral, à qui quelques-uns même supposent des opinions très avancées. Mais, comme l'a dit l'honorable M. Van de Weyer, si vous croyez que sa position n'est pas encore assez forte dans le cabinet, le meilleur moyen de la fortifier, c'est de lui venir en aide, de lui prêter votre secours. Il me semble juste que le représentant reconnu et avoué de l'opinion libérale dans le cabinet puisse compter sur le concours des voix libérales dans le parlement.
C'est ainsi, messieurs, que le vœu d'un honorable député qui a parlé dans la séance d'hier, serait rempli. C'est par cette conduite sage, prudente et gouvernementale, que l'opposition, comme l'a désiré l'honorable député de Mons, accomplirait ses progrès par des voies ordinaires et par le jeu régulier de nos institutions. Mais, me dit-on, pourquoi M. le ministre de l'intérieur, le représentant de l'opinion libérale dans le cabinet, s'est-il donc associé des hommes qui appartiennent à une opinion que nous combattons dans cette enceinte ? La raison en est toute simple, c'est une conséquence toute logique du libéralisme de M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l'intérieur se déclare franchement de l'opinion libérale. Il appartient à cette opinion d'ancienne date ; il ne renie aucun de ses principes, aucun de ses antécédents ; il veut les faire prévaloir, dit-il, dans le cabinet ; c'est là le motif de son entrée dans le ministère. Mais, d'un autre côté, par une conséquence logique d'un libéralisme éclairé, M. le ministre de l'intérieur ne veut proscrire aucune opinion, il croit que la conciliation, la transaction est possible. C'est le but de sa mission, et il ne croit pas que la conciliation qu'il veut faire passer dans les faits et dans les actes soit impraticable entre les hommes raisonnables des deux opinions.
Le gouvernement, comme l'a dit dans une autre enceinte M. le ministre de l'intérieur, le gouvernement n'est d'aucun parti. Le gouvernement doit une justice impartiale à tous les partis quels qu'ils soient ; mais il faut qu'il se place, lui, au-dessus de tous les partis ; il faut qu'à l'occasion il puisse les contenir tous dans de justes, dans de légitimes limites. Dès lors, il me semble tout naturel que M. le ministre de l'intérieur, avec ses idées libérales, mais avec ses idées libérales si éclairées, n'ait pas voulu de composition exclusive, qu'il n'ait voulu la proscription d'aucune opinion, mais qu'il ait recherché, même dans les personnes, la transaction, la conciliation.
Cette tentative de transaction, de conciliation produira-t-elle des résultats utiles et durables ? Il m'est difficile, messieurs, de répondre à une pareille question. Je désire de tout mon cœur qu'il en soit ainsi, mais il ne suffit pas que l'on veuille faire le bien, il ne suffit pas qu'un homme veuille la transaction et la conciliation ; il faut encore que ceux à qui on veut faire le bien soient disposés à l'accepter. La paix n'est possible qu'autant que les deux parties belligérantes la désirent à des conditions acceptables.
Eh bien, je n'hésite pas à dire que si les opinions libérale et catholique veulent sincèrement une transaction, une conciliation, le moment de l'opérer me semble très opportun ; de part et d'autre, cette conciliation peut être sincère, honorable ; elle peut porter pour le pays les plus heureux fruits. Je vois un honorable membre, dont je respecte beaucoup les opinions, me faire un signe négatif. Il croit probablement (d'ailleurs, il l'a dit en toute franchise) qu'un ministère mixte, un ministère composé d'éléments pris dans les deux grandes fractions de la chambre, est incapable d'opérer cette réunion que nous avons en vue entre l'opinion libérale et l'opinion catholique. L’honorable membre a une prédilection plus ou moins prononcée pour un ministère composé d'éléments pris dans une seule fraction de la chambre.
Eh bien, je pense qu'il est impossible (je l'avoue franchement) de faire accepter de pareilles conditions par une opinion quelconque. Une opinion qui se sent un peu d'avenir et de force, ne consent jamais à se laisser humilier. Je conçois qu'on impose de pareilles conditions à une opinion, mais il faut préalablement que cette opinion soit vaincue, et vaincue à tel point qu'il y ait impossibilité pour elle-de se relever de sa défaite. Dans ce cas, cette opinion subit ces conditions ; mais elle ne les accepte pas, et elle en appelle au lendemain.
S'il y avait en dehors de cette chambre (car il y a des exigences dans toutes les opinions) des hommes qui aimeraient mieux le triomphe de leur opinion que le bien du pays, ceux-là devraient être de l'avis de l'honorable membre, qui veut une composition exclusive. Ces hommes trouveraient peut-être dans cette composition, sinon des motifs réels, tout au moins des prétextes pour présenter cette opinion comme humiliée, comme opprimée, comme asservie.
Oh ! c'est alors que cette opinion catholique, qu'on calomnia en vain et qui a de profondes racines dans le pays, se retremperait d'une manière vigoureuse ! C'est alors qu'en peu de temps vous la verriez arriver dans cette enceinte la tête haute et fière ; c'est alors que vous la verriez entrer ici triomphante, mais malheureusement peut-être exclusive à son tour. C'est là le danger que nous voulons conjurer. C'est le danger que nous avons prévu. C'est pour l'éviter que l'honorable ministre de l'intérieur, franchement libéral, mais d'un libéralisme éclairé, vient se joindre à nous pour assurer le bonheur et la tranquillité du pays.
Je ne prolongerai pas les observations que je voulais présenter à la chambre. J'en ai dit assez pour vous convaincre que la ligne de conduite que se propose de tenir le cabinet sera une conduite d'impartialité la plus large envers toutes les opinions du pays.
Sans nous exagérer ce qui se passe au dehors, nous croyons qu'il faut tenir compte à l'opinion libérale des progrès qu'elle a faits en Belgique. Mais il faut que cette opinion soit assez sage, assez gouvernementale pour ne demander que ce qu'un gouvernement peut légitimement lui accorder. Il ne faut pas qu'elle exige, qu'elle fasse rien qui puisse paraître hostile à l'opinion qu'elle a combattue jusqu'à présent.
Vous connaissez, messieurs, le but que le cabinet se propose : il ne peut l'atteindre qu'avec le concours loyal et franc des chambres législatives.
M. Delfosse. - J'ai demandé la parole pour adresser une courte réponse à M. le ministre de la justice, qui m'a fait l'honneur de s'occuper de moi.
M. le ministre de la justice s'est plaint de ce que j'avais fait peser sur lui seul et sur M. le ministre des affaires étrangères la responsabilité des actes du précédent cabinet. J'aurais dû, selon lui, associer à cette responsabilité M. le ministre de la guerre et l'honorable comte de Muelenaere.
Je ne ferai pas ressortir tout ce que cette réclamation a de peu bienveillant pour les deux collègues de M. le ministre de la justice. Je me bornerai à lui répondre que si je n'ai pas parlé de M. le ministre de la guerre, c'est que j'ai toujours considéré, et je considère encore l'honorable général du Pont comme un homme en dehors de la politique, comme un homme spécial, qui se renferme sagement dans les attributions du département qui lui est confié.
Quant à l'honorable comte de Muelenaere, je le voyais si rarement assis au banc des ministres ; il avait jusqu'à ce jour pris une part si mince à nos débats, même à ceux qui pouvaient paraître compromettants pour le (page 87) ministère, que j'avais presque oublié qu'il eût fait sous le cabinet précédent, et qu'il fît encore sous celui-ci, partie du conseil des ministres.
Du reste, si l'honorable comte de Muelenaere veut prendre sa part des reproches que j'ai adressés au précédent cabinet, ce n'est pas moi qui l'en empêcherai.
L'honorable comte de Muelenaere vient de nous faire entendre de belles paroles, des paroles de conciliation ; mais n'en avait-il pas fait entendre d'autres belles, .en d'autres circonstances ? Comment les actes ont-ils répondu aux paroles ? Que l'honorable comte de Muelenaere nous le dise ! N'est-ce pas après avoir fait entendre de telles paroles qu'on nous a ravi des libertés qui nous étaient chères, auxquelles nous tenions ?
On nous parle de conciliation. On nous demande de déposer les armes. Mais que nous offre-ton pour cela ? Quelles concessions veut-on nous faire ? Quelles libertés ravies veut-on nous rendre ? Tant qu'on ne nous l'aura pas dit, il nous sera impossible de croire à la sincérité des paroles !
M. le ministre de la justice a paru affecté de ce que j'ai supposé que le ministère serait réduit à mendier les voix de la droite. Je ne m'attendais pas, je l'avoue, a tant de susceptibilité de la part de M. le ministre de la justice. Quand on s'est montré aussi humble qu'il l'a été dans l'affaire du jury d'examen ; quand on a consenti comme lui à passer sous les fourches caudines de la majorité, on devrait accepter sans réclamation l'expression que j'ai employée et même des expressions plus fortes.
Mais, dit M. le ministre de la justice, nous prenons aujourd'hui une position bien plus digne ; nous sollicitons ouvertement, franchement un vote de confiance, nous en taisons une question de cabinet.
Je vous en prie, M. le ministre de la justice, ne levez pas la tête si haut. Vous avez posé une question de cabinet, oui sans doute ; mais avant de la poser, n'auriez-vous pas par hasard compté les voix !
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je n'en sais pas encore le compte.
M. Delfosse. - Ne sauriez-vous pas d'avance dans quel sens elle sera résolue ?
J'ai vu, dans je ne sais quelle pièce de théâtre, certain personnage trembler comme une feuille en présence du danger ; puis, quand il était bien certain que le danger avait disparu, faire le brave, et même tirer l'épée.
M. le ministre de la justice m'a accusé d'avoir émis une doctrine en quelque sorte inconstitutionnelle, en déniant à mes collègues de Louvain, d'Ypres et de Bastogne des droits qui appartiendraient à ceux de Liège, de Bruxelles et d'Anvers.
Je n'ai pas, messieurs, dit un mot de cela. Je suis le premier à reconnaître que, dans cette enceinte, nous sommes tous égaux ; nous y avons tous les mêmes droits ; nous y représentons tous la nation au même titre.
Mais est-ce à dire qu'une démonstration électorale à Bruxelles, obtenue surtout en dépit de toutes les influences du pouvoir, n'aurait pas plus d'importance, n'exercerait pas sur le pays une influence plus forte qu'une démonstration électorale à Bastogne ? Ce n'est pas sérieusement, sans doute, que M. le ministre de la justice voudrait attacher la même portée à ces deux faits.
Mais, nous dit M. le ministre de la justice, si j'ai eu pour moi les influences du pouvoir, vos amis ont eu pour eux d'autres influences. Oui, sans doute ; ils ont eu l'influence de leur parti ; mais n'avez-vous pas eu aussi les influences du vôtre ? Vous avez eu en outre celle du pouvoir ; et vous en connaissez la valeur.
Dites-le franchement, M. le ministre, si le Roi ne vous avait fait l'honneur de vous appeler dans ses conseils, croyez-vous que les électeurs de Louvain vous auraient appelé à siéger dans cette chambre ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Cela prouve la confiance qu'on a dans le Roi.
M. Delfosse. - Permettez, ne mettons pas le Roi en cause. La confiance du Roi pourrait être partout, alors que la confiance dans le ministère ne serait nulle part.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Nous l'allons voir tout à l'heure.
M. Delfosse. - L'observation de M. le ministre des finances me prouve que le ministère est sûr d'avance de la majorité. C'est ce que je disais tantôt à M. le ministre de la justice.
Il me reste, messieurs, pour compléter ma réponse à M. le ministre de la justice, à parler des poursuites qui ont été dirigées contre un de nos honorables collègues.
Le journal l'Observateur avait publié un article dans lequel on accusait certaines personnes exerçant des fonctions dans l'un des hospices de Bruxelles, d'avoir poussé le zèle religieux trop loin.
Il n'y avait rien dans cet article qui fût de nature à porter atteinte à l'honneur de personne. Si les faits étaient inexacts, on pouvait les réfuter dans un article que le journal aurait également publié.
Cependant, le conseil général des hospices n'a pas cru devoir suivre cette marche qui semblait naturelle ; il a préféré porter une plainte en calomnie. Je ne l'en blâme pas ; il a use de son droit.
L'éditeur du journal, appelé en justice, refusa de faire connaître l'auteur et déclara en assumer toute la responsabilité.
Cette déclaration devait suffire ; car l'éditeur du journal était un homme connu, solvable. On aurait dû se borner à diriger des poursuites contre lui, et je suis convaincu que les auteurs de la plainte s'en seraient contentés.
Mais le parquet ne l'entendait pas ainsi. Il eut recours à des mesures qui ne sont guère employées que lorsqu'il s'agit de délits plus graves. Une visite domiciliaire eut lieu dans les bureaux de l’Observateur, et peu de temps après, l'un de nos honorables collègues dont le mandat allait expirer, qui devait bientôt comparaître devant le collège électoral, fut impliqué dans les poursuites, comme auteur présumé de l'article.
La chambre du conseil, appelée à délibérer sur cette affaire, déclara qu'il n'y avait pas lieu à suivre. Cela pouvait être fâcheux pour le ministère. Notre honorable collègue allait comparaître devant le collège électoral tout à fait pur de l'accusation qui avait été portée contre lui.
Cette décision de la chambre du conseil avait été prise un jour à trois heures de l'après-dîner, et le lendemain, à onze heures du matin, la chambre des mises en accusation, brusquement saisie de l'affaire par le procureur général, annula la décision de la chambre du conseil et renvoya notre honorable collègue devant la cour d'assises, sans qu'il eût même été appelé à faire valoir ses moyens de défense.
Le jour des élections était proche ; notre honorable collègue, au lieu de se présenter devant les électeurs avec une décision favorable, devait comparaître devant eux sous le poids d'un arrêt qui le renvoyait devant la cour d'assises. Il faut convenir que cela servait à merveille les vues du ministère qui combattait à outrance la réélection de notre honorable collègue.
La précipitation inouïe que l'on a mise dans cette affaire, le zèle étrange que l'on a déployé, produisirent dans le public la sensation la plus pénible. Chacun crut y voir une tactique électorale digne des plus mauvais temps de la restauration française.
Le chef du parquet a-t-il agi de lui-même ou par suite d'ordres qu'il aurait reçus ? Il me paraît impossible que ce magistrat, qui doit avoir des rapports fréquents avec M. le ministre de la justice, ne l'ait pas au moins consulté sur cette affaire. Il me paraît impossible que M. le ministre de la justice n'en ait pas eu connaissance et ne s'en soit pas préoccupé. Quoi qu'il en soit, je n'ai rien affirmé sur ce point. J'ai dit que M. le ministre de la justice avait permis, ordonné peut-être. Qu'il ait permis, c'est ce qui ne peut faire l'objet d'un doute ; car il n'a ni empêché ni blâme. A-t-il ordonné ? C'est ce qui est probable, mais c'est ce dont je ne suis pas certain.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - C'est ce que je nie formellement.
M. Delfosse. - Si vous le niez, je dois vous croire ; mais les apparences sont contre vous.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Il ne faut jamais juger sur les apparences.
M. Delfosse. - M. le ministre de la justice nous assure qu'il n'y a pas eu de tactique électorale, et la preuve qu'il en donne, c'est que cela a tourné, en définitive, contre le ministère.
Oui, sans doute, cela a tourné contre le ministère. Cela a tourné contre le ministère comme la loi sur le fractionnement, comme la loi sur la nomination des bourgmestres, loi que le ministère considérait comme une arme électorale très puissante, et qui au contraire a produit, dans les esprits, une réaction fatale aux candidats du gouvernement. Oui, cela a tourné contre vous, comme beaucoup de choses tourneront contre vous. Car, sachez-le bien, lorsqu'on est dans une fausse voie, les plus habiles ne le sont jamais assez.
On voulait pouvoir dire et on a dit aux électeurs des campagnes. Voyez cet homme qui se présente devant vous, qui sollicite vos suffrages, qui aspire à l'honneur de vous représenter, il va comparaître devant une cour d'assises ; il va s'asseoir sur le banc des accusés. On attendait un effet prodigieux de ces paroles ; si elles ont été stériles, c'est que les électeurs des campagnes sont beaucoup plus clairvoyants que MM. les ministres ne se l'imaginent !
Je ne veux pas, messieurs, terminer sans dire un mot à M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l'intérieur a eu, avant-hier, un succès qui m'a rappelé les beaux jours de M. Nothomb, et qui rend plus frappante encore la ressemblance que j'avais signalée entre ces deux hommes d'Etat.
Lorsque M. Nothomb trouvait la droite trop froide pour lui, il savait faire un appel chaleureux à ses passions ; il cherchait à la déchaîner contre la gauche ; et alors, c'étaient des trépignements, des applaudissements qui ne finissaient pas ; rien de tout cela n'a manqué à M. le ministre de l'intérieur, ni les trépignements, ni les applaudissements. Ils ne lui ont pas manqué surtout, lorsque s'emparant malencontreusement de quelques paroles échappées à l'un de nos collègues, il s'est permis de mettre en doute notre attachement aux libertés consacrées par la Constitution. C’est là un triste début... pour un libéral, et je n'en féliciterai pas M. le ministre de l'intérieur. Tout ce que je puis faire, c'est de le féliciter sur le talent vraiment remarquable qu'il a montré dans cette discussion, d'autant plus remarquable que, depuis quinze ans, M. le ministre de l'intérieur est resté étranger à nos débats parlementaires.
Je voudrais partager les espérances que l'honorable M. Dolez a placées hier sur la tête de l'honorable M. Van de Weyer ; mais je ne le puis.
Et d'abord M. le ministre de l'intérieur aura-t-il dans le cabinet la haute influence sur laquelle mon honorable ami fondait ces espérances ? Les collègues de M. le ministre de l'intérieur consentent-ils à le reconnaître pour le chef du cabinet ? L'honorable comte de Muelenaere vient de nous faire connaître, sur ce point, la pensée du cabinet, et elle n'est pas conforme à celle de l'honorable député de Mons.
Ensuite, l'honorable M. Dolez vous l'a dit lui-même, nos défiances sont légitimes. Nous avons été trop souvent trompés.
Oui, messieurs, nos défiances sont légitimes ; mais nous n'avons pas été trompés. Celui qui a été trompé, c'est l'honorable M. Dolez, lui qui, cédant à des illusions que nous ne pouvions partager, a placé sur d'autres têtes (page 88) encore que celle de M. le ministre de l'intérieur des espérances qui ne devaient pas se réaliser.
Il y a deux ans, nous étions en face d'un cabinet qui avait les mêmes apparences, qui nous faisait entendre des paroles telles que celles que l'honorable comte de Muelenaere vient de prononcer. Nous combattions ce cabinet, nous prédisions tout ce qui est arrivé ; mais l'honorable M. Dolez, plus confiant, ne trouvait dans le cabinet qu'un ministre qui lui déplût. Tous les autres, indistinctement, avaient ses sympathies. Je demanderai à mon honorable ami comment les actes ont répondu à son attente.
Si M. le ministre de l'intérieur est l'homme dont on parlait hier, s'il est digne d'être l'ami de Gendebien, nous le saurons bientôt.
M. le ministre de l'intérieur, il nous l'a dit, veut une majorité composée des hommes modérés des deux opinions. Eh bien, je le prédis d'avance, telle ne sera pas la majorité qu'il va obtenir.
Il aura pour lui, comme M. Nothomb les a eus, presque tous les fonctionnaires de cette chambre. Il y a beaucoup de fonctionnaires dans cette chambre, il y en a trop.
Il aura pour lui, à une ou deux voix près peut-être, toute la droite dans ce qu'elle a de plus extrême comme dans ce qu'elle a de plus modéré. Il aura pour lui ceux qui voulaient le rétablissement de la mainmorte. Il aura pour lui ceux qui ne voulaient pas d'instruction aux frais de l'Etat, ceux qui conspiraient la ruine des universités de l'Etat. Il aura pour lui ceux qui regardaient la construction des chemins de fer comme un malheur, parce que les habitants des campagnes, si heureux dans leur ignorance, viendraient se gâter au contact de la civilisation des villes.
M. de Mérode. - Qui est-ce qui a dit cela ?
M. Delfosse. - Veuillez relire le Moniteur, M. le comte, vous le saurez.
Voilà ceux que M. le ministre de l'intérieur aura pour lui.
Il aura contre lui l'opposition tout entière dans toutes ses nuances, il aura contre lui les hommes modérés et gouvernementaux qu'elle renferme. Il aura contre lui, sur l'amendement, l'honorable M. Dolez lui-même, homme dont le caractère est tellement conciliant qu'il se disait hier las d'être dans l'opposition.
Si M. le ministre de l'intérieur est digne d'être l'ami de Gendebien, il dira : je ne m'appuie pas sur une telle majorité.
M. le ministre de l'intérieur se reporte toujours aux souvenirs de 1830. Oui, messieurs, il y avait en 1830 au sein du Congrès, une majorité catholique qui nous a donné de grandes libertés, des libertés qui nous sont chères ; mais alors elle était entraînée par les sentiments populaires. Le pays tout entier était sous les armes, l'ennemi menaçait la frontière : il eût été imprudent de manifester des prétentions qui ont surgi depuis... (Interruption.) Ces prétentions, le pays les connaît, il ne les a pas oubliées.
Je vous le disais l'autre jour, messieurs, et je crois devoir le répéter en terminant, parce que le mal est là ; il y a dans le pays une idée généralement répandue, une idée qui a jeté de profondes racines et qui a fait bien du mal au pouvoir. Cette idée, c'est que le clergé pèse d'un trop grand poids sur le gouvernement, c'est que le clergé a des vues de domination que le gouvernement manque d'énergie pour combattre.
Tant que cette idée subsistera, le gouvernement sera frappé d'impuissance, ses protestations même les plus vraies seront accueillies avec incrédulité, ses intentions même les plus pures seront méconnues, et ceux qui lui viendront en aide se verront bientôt impopulaires et déconsidérés.
M. de Renesse. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour motiver mon vote.
Il n'entre pas dans mes habitudes parlementaires de voter systématiquement contre un ministère, parce qu'il serait composé, plutôt de tels hommes politiques ou de tels autres. J'examine avant tout s'il est formé de personnes honorables à opinions modérées et conciliantes, désirant réellement s'occuper des véritables intérêts du pays. Si le ministère actuel accepte le programme du ministère de 1840, dont j'ai déploré la chute, je puis, sans manquer à mes antécédents, lui accorder mon appui.
J'aime à croire que le nouveau ministère s'occupera activement de l'amélioration des intérêts moraux et matériels du pays, qu'il proposera les modifications jugées unies à nos lois, à notre système financier ; qu'il introduira des économies dans les dépenses de l'Etal, et que, surtout, l'agriculture, la mère de toutes nos industries, obtiendra une plus bienveillante et plus sérieuse attention, de la part du gouvernement ; j'ose, ainsi, espérer, qu'il s'empressera de présenter et de provoquer la discussion, notamment de projets de loi sur un bon enseignement agricole, sur le défrichement des terrains incultes, sur les irrigations, sur la réorganisation de l'école vétérinaire, et sur l'art d'exercer la médecine des animaux, etc. Le ministère, en s’appuyant, plus particulièrement sur les deux partis modérés du pays, peut être assuré de mon bienveillant concours, pour appuyer la marche de son administration, surtout s'il gouverne avec impartialité, et s'il met de la franchise dans ses actes. Je désire dans l'intérêt du pays, comme sincèrement attache à nos belles institutions politiques, que l'on s'occupe plutôt de ses véritables besoins, que de questions de partis, de personnes ou de portefeuilles qui, malheureusement, provoquent presque toujours de l'irritation à l'intérieur et de la déconsidération à l'extérieur.
Je donnerai surtout mon appui au ministère, parce qu'il a déclaré franchement, par l'organe de M. le ministre des travaux publics, qu'il acceptait le programme du ministère de 1840 ; programme adopté alors par les deux partis de la chambre, et surtout, par le parti libéral modèle, avec lequel je n'ai cessé de voter, depuis que j'ai l'honneur d'appartenir à la représentation nationale.
Ayant l'honneur de siéger à la chambre des représentants depuis 1832, je crois, par suite de ma longue carrière parlementaire, pouvoir faire un appel sincère au maintien et à l'union plus intime des deux partis modérés de la chambre qui, depuis notre régénération politique, ont dirigé les affaires du pays. Dans mon intime conviction, il me semble qu'un ministère doit être composé des différents éléments modérés de la représentation nationale ; s'il donne, en outre, les garanties de capacité, de moralité, de franchise, et d'impartialité dans ses actes, il a droit d'obtenir l'appui de tous ceux qui désirent que l'on s'occupe plus activement des véritables besoins du pays.
J'ose espérer que nos honorables collègues, qui partagent mon opinion politique, voteront comme moi pour assurer l'existence, la force d'un ministère qui, jusqu'ici, n'a posé aucun acte qui puisse nous donner de la défiance. J'ai dit.
M. Dumortier. - Messieurs, j'ai cru devoir demander la parole pour présenter quelques observations en faveur du projet d'adresse qui vous a été soumis par voire commission. Ayant vu la plupart des membres de cette commission accepter ou au moins paraître vouloir accepter la modification qui vous a été présentée par M. le ministre de l'intérieur, j'ai regardé comme un devoir de justifier les propositions que la commission d'adresse vous a présentées et qui, ce me semble, doivent obtenir votre assentiment.
En me levant pour prendre la parole dans cette grave et solennelle discussion, je n'ignore pas, messieurs, tout ce que ma position vis à vis du chef du cabinet peut avoir de délicat devant vous. Plusieurs croiront peut-être que je vais apporter à cette tribune certaines discussions étrangères à la chambre, d'autres penseront peut-être que, précisément à cause de ces attaques injustes je devrais rester étranger aux débats qui nous occupent en ce moment.
Messieurs, je ne veux accepter ni l'un ni l'autre de ces rôles. Lorsqu'un membre de la représentation nationale entre dans cette enceinte, il doit secouer à la porte la poussière du dehors. Il doit comprendre qu'il arrive ici, non point pour représenter ses sentiments propres, non point pour venger même son honneur outragé, mais pour représenter la pensée nationale la pensée du pays. Voilà, messieurs, quel est le devoir d'un représentant de la nation, et c'est ce devoir que j'ai à cœur de remplir devant vous.
C'est vous dire assez, messieurs, que mon intention n'est point de faire de l'opposition systématique au cabinet, ni à M. le ministre de l'intérieur. Mais, dans la circonstance actuelle, il s'agit d'accorder un vote de confiance au cabinet. Nous avons donc à examiner quels sont les antécédents du cabinet, sur quoi se fonde le vote de confiance qui vous est demande ; et, pour mon compte, je dois le dire, tout ce qui s'est passé, tout ce qui s'est dit, tout ce qui s'est fait ne me paraît pas de nature à modifier le système de réserve que votre commission d'adresse, agissant en cela de la même manière que la commission d'adresse du sénat, a cru devoir adopter.
Messieurs, depuis cinq à six jours, il s'est opéré un grand changement dans l'atmosphère de cette chambre, si je puis m'exprimer ainsi. Lorsque nous sommes venus, il y a aujourd'hui même huit jours, vous présenter le projet d'adresse, notre système de réserve à l'égard du cabinet a été accueilli par l'assentiment de toute l'assemblée. Cependant aujourd'hui un grand nombre de membres de cette chambre, et principalement un grand nombre de membres de l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, paraissent vouloir accueillir une modification à ce projet.
Qui a pu amener cette modification ? J'ai déjà eu l'honneur de dire, en parlant sur un incident, dans lequel certainement je neveux point rentrer, que ce qui a amené cette modification c'est le système suivi par le cabinet, système complétement analogue à celui qui a duré pendant les 4 années précédentes et qui consiste à jeter la gauche à la tête de la droite et la droite à la tête de la gauche, afin de sortir blanc comme neige de la discussion. On a ainsi détourne l'attention de la chambre de la question de confiance, posée devant elle. On a présenté cette question sous un aspect tout à fait différent ou plutôt on a substitué une question tout autre.
On est venu demander s'il fallait un ministère homogène ou un ministère mixte, s'il fallait admettre la dissolution par blanc-seing. Voilà ce qui a modifié toutes les opinions.
Au heu d'examiner la question de l'existence du ministère, les questions qui se rattachent à sa composition ; en un mot tout ce qui doit être mis en cause lorsqu'il s'agit d'une question de confiance, on s'est jeté dans des questions de théorie, on a voulu frapper l'esprit des membres de la droite en leur faisant comprendre que l'acceptation de certaines théories, de certains systèmes aurait pour résultat de compromettre leur position dans une réélection. Voilà, messieurs, comment on s'y est pris pendant 4 ans pour semer la division dans cette enceinte, et voilà (je le dis avec infiniment de regret) ce qui s'est fait encore dès le début de cette discussion, et ce qui a opéré le changement subit d'une partie de l'assemblée.
Sans doute, messieurs, s'il était question, comme on vous l'a dit, de voter sur le point de savoir si le pays doit être gouverné par un ministère mixte ou par un ministère homogène, s'il fallait mettre aux voix si un ministère peut demander à la Couronne un blanc-seing pour la dissolution, eh, mon Dieu, mon opinion serait bien vite acquise au gouvernement. Mon opinion n'a jamais varié sur la nécessité d'un ministère mixte. J'ai toujours partage la pensée que le pays étant fractionné en deux partis qui sont à peu près égaux en force, il fallait nécessairement, pour empêcher les collisions les plus vives, collisions dont la nationalité pourrait se ressentir, il fallait nécessairement que le gouvernement fût composé de représentants des (page 89) deux opinions, unis non point dans leur intérêt propre, unis non point par l'ambition d'être ministres, mais par une communauté de vues conformes à l'intérêt du pays, par le désir de faire prévaloir cet intérêt.
Messieurs, un honorable député de Liège est venu dire qu'un pareil gouvernement aurait pour résultat de rendre impossible la conciliation des partis, de démonétiser immédiatement le membre de la gauche qui consentirait à accepter cette position. Eh bien, messieurs, à cela je répondrai que dans tout ministère quel qu'il soit, tout membre de la gauche qui ne se prêtera pas à des vues réactionnaires, aura toujours contre lui les exagérés de la gauche, car dans tous les partis (et je ne parle pas ici des membres qui siègent dans cette assemblée), dans tous les partis, vous le savez, ce qu'il y a de plus difficile à conduire, c'est ce qu'on est convenu d'appeler la queue du parti.
Supposez la formation d'un ministère homogène pris exclusivement dans les rangs de la gauche.
Eh bien, des deux choses l'une : ou ce ministère entrera dans des voies réactionnaires, ou bien il gouvernera le pays avec modération. S'il gouverne le pays avec modération, je ne lui donne pas six mois pour être renié par son propre parti. Avant six mois, on viendra lui dire : « Nous ne vous avons pas porté aux affaires pour satisfaire vos propres ambitions ; nous vous avons porté au pouvoir pour faire nos affaires personnelles ! » Et alors ce ministère, se trouvant dans la position de ne plus pouvoir compter sur la majorité de son parti, est forcé de se rejeter dans les bras de ses adversaires. Mais pensez-vous que le parti adverse, le parti ainsi effacé de la composition ministérielle, se prête facilement à appuyer un ministère entièrement pris dans les rangs de ses adversaires ? Pensez-vous qu'il ajoute une foi entière dans la modération d'administration de personnes qui ont commencé par l'exclure ? Mais par le fait même que vous avez commencé par l'exclure, n'avez-vous pas posé un acte qui lui est hostile ? Et puis après avoir posé un acte qui a ce caractère, vous voulez qu'il vous accorde son concours !
Vous devez croire que, parmi les membres de cette chambre, nul n'est étranger aux conditions de l'humanité ; or, si vous commencez par exclure la moitié de cette chambre de la direction des affaires, il serait par trop commode de prétendre que cette moitié ainsi proscrite doit vous appuyer.
Ainsi donc si le ministère est homogène et s'il ne se porte pas à un système réactionnaire, je dis qu'avant six mois d'existence, ce ministère aura contre lui les éléments les plus avancés de son parti, et il ne trouvera pas dans l'opinion adverse cette adhésion franche, loyale et sincère, sans laquelle il ne pourrait maîtriser la queue de son parti Que si, au contraire, ce ministère adopte une politique réactionnaire, alors, oh ! alors, ce sera vite fait de lui dans tout le pays.
La Belgique, à mes yeux, ne peut donc exister sous un gouvernement homogène, excepté dans des circonstances extraordinaires qu'il est impossible de prévoir.
J'ai entendu plusieurs membres de la gauche reconnaître qu'il était des circonstances où il était possible, indispensable même d'avoir un ministère mixte : on est allé jusqu'à dire que dans certains cas donnés, comme, par exemple, si des éléments de trouble venaient à se développer dans le pays, ou bien si des événements européens menaçaient nos frontières, le gouvernement mixte serait le plus avantageux pour la chose publique.
Mais, messieurs, un ministère ne se crée pas pour le moment de sa formation ; il se crée pour les événements qui doivent la suivre, qui doivent se présenter pendant sa durée.
Or, quel est celui de nous qui peut prévoir les événements qui peuvent surgir pendant la durée d'un ministère ? Qui peut dire si l'ordre public ne sera pas menacé à l'intérieur, si nos frontières elles-mêmes ne seront pas menacées ? Qui de nous pourrait assurer, par exemple, qu'un événement désastreux, événement que je voudrais écarter de ma pensée, mais qui cependant doit s'accomplir un jour ; qui pourrait assurer, dis-je, que le décès de S. M. le roi des Français ne jettera pas l'Europe dans une grande perturbation ? Supposons un événement semblable arrivant en Europe ; vous voudriez alors constituer un ministère mixte pour maintenir la nationalité. Mais votre ministère serait tout formé, il serait trop tard de le renvoyer, pour en prendre un autre, et vous arriveriez à ce résultat déplorable, que le but que vous voudriez vous proposer dans une pareille circonstance, vous seriez dans l'impossibilité de l'atteindre.
Ainsi, messieurs, il est évident qu'au point de vue de la paix publique à l'intérieur, au point de vue de l'intérêt de la sécurité nationale à l'extérieur, le seule mode de gouvernement qui puisse convenir à la Belgique, c'est un gouvernement mixte.
Messieurs, c'est par l'union des deux partis que la révolution s'est opérée, c'est par l'union des deux partis que nous avons consolidé notre indépendance, c'est par l'union des deux partis que nous pouvons la conserver.
Si donc la question était posée sur ce terrain, si le vote que nous aurons à émettre tout à l'heure n'était relatif qu'à cette question de principe, je vous le déclare, messieurs, mon vote serait immédiatement acquis à la proposition qui nous serait faite. Mais ici, quoi qu'en ait dit le cabinet, ce n'est pas une question de principe qui est en jeu ; la question de principe dont on nous parle, n'est qu'un manteau dont on couvre la question de confiance.
Nous pouvons être parfaitement d'accord sur la position du principe, mais nous devons, d'autre part, désirer d'attendre les actes du ministère, avant de lui accorder notre confiance. C'est la position que la commission d'adresse a cru devoir prendre.
On a agité encore une autre question sur laquelle je ne reviendrai également que comme question de théorie. (Interruption.} Puisque la discussion de la question de théorie a été soulevée, à mon grand regret, dans cette enceinte, je crois que l'examen de cette question peut présenter la plus grande utilité pour l'avenir. Il s'agit de la question de savoir si un ministère quelconque, se formant, peut demander à la Couronne une dissolution avec blanc-seing.
Messieurs, je crois que s'il fallait encore voter sur cette question, je proclamerais immédiatement, par mon vote, qu'un pareil système est impossible.
En effet, d'une part, la Couronne serait amoindrie dans sa prérogative ; d'un autre côté, le mandat de député deviendrait moins libre.
Ainsi, un pareil système n'aurait qu'un résultat, d'abord d'affaiblir la prérogative de la Couronne, prérogative que nous voulons tous maintenir intacte ; puis de faire aussi du mandat de député un instrument mis à la disposition de tous les caprices ministériels.
Or, ces deux choses sont également dangereuses. La royauté doit conserver toujours sa liberté d'action ; elle doit surtout, en matière de dissolution, pouvoir librement se prononcer entre le ministère et le pays représenté par les chambres. C'est là sa seule prérogative ; la formation des cabinets et la dissolution, voilà la prérogative essentielle de la royauté dans le jeu du gouvernement constitutionnel ; vous ne pouvez donc pis modifier ce rouage sans modifier la Constitution elle-même et sans la modifier dans ce qu'elle a de plus conservateur dans l'exercice de la royauté. Je vous le demande, que devient la royauté si, en cas de dissentiment entre le ministère et la chambre, elle n'a pas même à examiner de quel côté doit pencher la balance.
D'autre part, au point de vue des institutions populaires, vouloir que les députés soient toujours sous le coup d'une dissolution, sous le coup, je ne dirai pas d'un appel aux électeurs, mais d'un appel aux manœuvres, aux intrigues électorales, c'est vouloir compromettre singulièrement, c'est anéantir l'indépendance des députés, c'est faire de la chambre un instrument à la disposition des ministres, c'est établir le pire de tous les despotismes, le despotisme ministériel.
Ainsi, sous aucun point de vue, je ne puis accepter ce système. Je me hâte de dire, au reste, que les explications qui ont été données dans le cours de la discussion, me paraissent des plus satisfaisantes, quant à l'honorable membre dont il a été personnellement question dans ce débat.
Ainsi, messieurs, si la question que nous avons à résoudre était portée sur ce double terrain, je vous le déclare, je n'hésiterais pas un instant à accorder mon vote au ministère.
Mais là n'est pas la question. Il s'agit de savoir si le ministère actuel nous donne des gages de stabilité, des gages pour assurer le triomphe de la cause de la modération dans le gouvernement du pays.
On a adressé deux reproches au gouvernement, le reproche de ne pas avoir tenu compte des élections de 1845, et celui de ne pas avoir présenté de programme.
Les élections de 1845 ont eu certainement un caractère de gravité que nul ne peut méconnaître. Mais, messieurs, je crois que c'est exagérer les choses que de résumer la représentation nationale dans les élections de deux de nos localités.
Ainsi, ce n’est pas cela qui peut me toucher dans la combinaison actuelle.
Quant à la question de savoir si le gouvernement devait présenter un programme, je pense, messieurs, que le meilleur de tous les programmes, c'est le programme des personnes qui se trouvent aux affaires, et je n'en connais pas d'autre ; hors de là, un programme est une généralité que tout le monde peut accepter ; il n'est qu'une feuille de papier dont on fait ensuite ce que l'on veut ; ce sont, je le répète, des généralités, et rien de plus. Le seul programme possible dans un gouvernement constitutionnel, c'est le programme des noms propres. Pour mon compte je n'en connais pas d'autre. Eh bien, c'est un programme des personnes que nous sommes appelés à juger en ce moment, non pas sur des paroles, ou des déclarations vagues, incertaines, mais sur les précédents politiques des membres du cabinet actuel.
Messieurs, on dira sans doute que le discours prononcé par M. le ministre de l'intérieur, il y a quelques jours, a pu rassurer pleinement les opinions à cet égard et que c'est une profession de foi nette, claire, précise.
Messieurs, pour mon compte, je ne crois pas que ce discours puisse avoir une autre signification que celle de l'embarras de la situation. Voilà, messieurs, la seule signification que je puisse voir à ce discours ; et, en effet, messieurs, le discours de M. le ministre de l'intérieur est trop en opposition, je ne dirai pas avec ses principes philosophiques, je n'ai pas à m'en occuper, mais avec les principes publiques de M. Van de Weyer, pour que je puisse avoir une foi absolue dans sa sincérité. Je n'ai pas besoin d'ajouter que si on pouvait me démontrer que je puis avoir une foi absolue dans sa sincérité, je n'hésiterais pas à donner mon vote au projet d'adresse présenté par M. le ministre de l'intérieur ; mais cela ne m'est nullement démontré.
On nous demande un vote de confiance. Mais, messieurs, je demanderai de confiance en quoi ? Où sont les précédents qui peuvent commander cette confiance ? Je les cherche partout ; et, je vous le déclare, je ne les trouve nulle part.
Depuis quinze années, le pays est privé à l'intérieur des services de M. le ministre de l'intérieur actuel ; dans cet intervalle, que s'est-il passé pour justifier notre confiance ? Je rends volontiers hommage à la conduite tenue par lui au sein du congrès, lors des événements de la révolution ; mais je voudrais voir s'il est reste fidèle aux principes qu'il professait alors. Quels sont les actes principaux de sa gestion ?
(page 90) Ce seraient la négociation des 24 articles et la négociation de la British-Queen. Je vous le déclare : ni l'un ni l'autre de ces actes n'est de nature à m'inspirer une confiance entière. Voilà pourquoi j'adhère à la rédaction du projet d'adresse. La négociation des 24 articles, c'est la déception la plus amère que le pays ait jamais pu éprouver. Comment ! nous avions un négociateur à Londres pour soutenir nos intérêts et vous avez vu comme ils ont été tristement abandonnés ! Cette négociation nous a été communiquée ; c'est la négociation la plus pauvre, la plus déplorable, dont l'histoire de la diplomatie puisse fournir l'exemple, et nous avons vu pour résultat la Belgique condamnée par la conférence à perdre des enfants qui lui étaient chers, à perdre 300,000 de nos frères et la moitié de deux de nos principales provinces, du Limbourg et du Luxembourg, condamnée à payer une rente de 18 millions de francs, qu'elle ne devait pas ; et sans un membre de cette chambre, qui reprit en sous-œuvre le travail de M. le ministre de l'intérieur actuel, il est probable que cette dette pèserait encore sur le pays.
Sont-ce là des titres à la confiance qu'on nous demande ? Notre devoir est d'examiner les précédents pour juger de l'avenir. Sont-ce là des titres pour que sans aucun acte, qu'aucun principe nouveau soit posé, nous venions dire : Nous avons confiance dans ce que vous pouvez faire. Je ne vois pas là de titre à la confiance de la chambre, mais un titre pour attendre et voir venir. !
La négociation de la British-Queen a-t-elle été plus heureuse ? Vous savez tous à quoi elle a abouti. Je me souviens encore d'un certain rapport, présenté dans la séance du 5 décembre 1841, par le ministre de l'intérieur de cette époque, et dans lequel on vous a communiqué le rapport de notre ministre de l'intérieur actuel. Eh bien, qu'est-ce qu'on nous promettait dans cette négociation ? A en croire l'honorable M. Van de Weyer, par l'acquisition de la British-Queen, la Belgique devait s'assurer le monopole du transport rapide des marchandises de l'Europe entière vers les Etals de l'Union ; les choses devaient aller à tel point, que l'Angleterre elle-même devrait recourir à l'intermédiaire de la Belgique.
Je cite textuellement les expressions. Vous avez vu jusqu'à quel point la Belgique a eu le monopole du transport des marchandises de l'Europe entière vers les Etats de l'Union ; vous avez vu jusqu'à quel point l'Angleterre a été obligée de recourir à l'intermédiaire de la Belgique. Vous avez vu qu'une dépense de trois millions a donné à sa vente pour tout produit la somme de 239 mille fr. Je vous le demande, est-ce avec de pareils titres qu'on doit venir demander un vote de confiance ?
Ce ne sont pas là des titres pour accorder de la confiance a priori. Si le ministère persiste dans les principes qu'il a avancés dans une séance précédente, il aura mon concours ; car, je le répète, je ne veux pas faire d'opposition systématique ; mais je désire attendre ; je ne veux pas exprimer de confiance a priori, quand tous les actes posés par M. Van de Weyer, pendant son séjour à Londres, sont des actes que la chambre a bien pu accepter, parce qu'il était impossible de les repousser, mais que la chambre n'a pas pu approuver au fond.
Je sais bien qu'on va me répondre : Mais vous-mêmes, vous avez voté l'acquisition de la British-Queen. Oui, mais comment ? En formulant en même temps un vote de non confiance, en accordant un bill d'indemnité, le seul qui ait jamais été présenté dans cette chambre, c'est-à-dire que j'ai voté cette loi au moyen d'une condamnation acceptée par le ministère d'alors.
Il serait inusité de venir se prévaloir d'un vote alors que ce vote est en même temps un blâme.
Mais revenons au fait en lui-même. La chambre, en votant le bill d'indemnité, le seul qu'elle ait voté depuis 15 ans, a prouvé qu'elle désapprouvait l'acte d'acquisition. Est-ce là un motif pour demander un vote de confiance de la part de cette chambre ? Je ne saurais le croire.
Un membre. - Ce n'est pas une confiance illimitée.
M. Dumortier. - J'entends dire qu'on ne demande pas une confiance illimitée ; alors nous donnerons une confiance avec défiance, une confiance homéopathique, une confiance allopathique.
M. Rodenbach. - Nous le jugerons sur ses œuvres.
M. Dumortier. - Vous voulez le juger sur ses œuvres, après avoir déclaré que vous avez confiance en lui. Moi je me réserve de vtler la confiance ou la non confiance suivant que les œuvres le mériteront.
Ceci me ramène involontairement vers une question qui a son caractère de gravité.
Que vous a dit M. le ministre des affaires étrangères ? Nous avons besoin d'un appui moral ; nous ne voulons pas être placés entre l'hostilité des uns et l'indifférence des autres ; et mon honorable ami M. Dedecker a si bien compris qu'il fallait éviter le tort qu'avait fait à la situation du pays le vote du 30 janvier dernier, qu'il a fait un appel à la majorité de se prononcer avec franchise sur le point de savoir si elle voulait donner un concours loyal | au cabinet.
Voilà comme j'entendrais la confiance, si je me trouvais dans la position de mon honorable ami. Ces demi-confiances, ces quarts, ces huitièmes, ces millionièmes de confiance, n'ont qu'un seul et unique résultat : déconsidérer le pouvoir qui la reçoit, et la majorité qui la donne. J'aime beaucoup mieux la franchise, un vote franc de réserve qu'un vote hypocrite de confiance. Je crois qu'un ministère même doit le préférer.
Nous avons, dit-on, besoin d'un appui moral. Mais le ministère le trouvera-t-il, cet appui moral ? J'ai vraiment peine à le croire. Si la majorité peut ajouter foi aux déclarations faites il y a quelques jours, par M. le ministre de l'intérieur, si elle peut ajouter foi à ses paroles chaleureuses, je crois qu'elle doit lui donner sa confiance. Pour moi, je ne puis m'empêcher de remarquer que ces paroles sont trop en opposition avec certain écrit bien récent pour qu'il me soit possible de me décider entre les uns et les autres. J'ai entendu le ministre de l'intérieur faire l'éloge de la conduite de la majorité catholique dans le congrès, vous exposer sa modération, vous dire comment elle a soutenu le gouvernement, comment elle a contribué à consolider l'Etat. Mais alors veuillez mettre ces paroles d'accord avec cette singulière déclaration :« qu'il est temps de débarrasser le pays de la tendre merci d'une majorité catholique. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - (Erratum, inséré à la page 100) Je n'ai pas dit cela.
M. Dumortier. - Non, mais vous les avez écrites. Cela est-il conséquent ?
J'entends dire encore que l'opinion catholique mérite tous les égards, tout l'appui du gouvernement ; mais je me demande : Comment mettre cela en harmonie avec la phrase que je viens de citer ?
Il ne s'agit pas ici d'opinions philosophiques. S'il s'agissait d'opinions personnelles, d'opinions philosophiques, ce serait pour moi un devoir de me taire, et j'aurais la force de le remplir. Mais il s'agit d'une question politique, il s'agit d'apprécier la portée de cette déclaration, en la mettant en rapport avec d'autres. Qu'est-ce que je conclus de ce rapprochement ? J'en conclus que M. le ministre de l'intérieur a deux langages : l'un lorsqu'il est en présence du besoin d'un vote de la chambre, l'autre lorsqu'il est froidement livré à ses pensées. En présence de cette double opinion, je suis en droit de me demander, comme représentant de mon pays et de l'opinion à laquelle j'appartiens : Où est votre opinion la plus vraie ? Est-ce celle que vous émettez lorsque vous avez besoin d'un vote, ou est-ce celle qui s'échappe de votre cœur lorsque vous êtes dans le silence du cabinet ?
En présence de cette double position, la réserve m'est plus commandée que jamais, et j'éprouve le besoin d'attendre M. Van de Weyer à ses actes.
On a parlé dans toute cette discussion du mouvement libéral qui s'opère depuis quelques années dans le pays. Pour mon compte, je n'ai jamais été de ceux qui ont vu avec regret se former un parti libéral. Depuis bien longtemps, j'ai regardé la formation du parti libéral, non seulement comme une nécessité, mais comme un bonheur pour le pays ; car tout parti est naturellement entraîné à se porter à des excès. S'il n'a pas un contrôle, il se perdra de lui-même. Ce contrôle était nécessaire, afin que notre parti ne se portât pas à des exagérations que nous devons tous déplorer et que, pour mon compte, j'ai toujours blâmées chaque fois qu'il en a été question dans cette enceinte. Jamais (je fais un appel à vos souvenirs) je n'ai blâmé la formation du parti libéral ; au contraire je l'ai regardé comme un bien-être pour le pays, comme empêchant de recourir à des mesures qui pourraient déconsidérer le parti adverse, auquel j'ai l'honneur d'appartenir.
Cependant on ne peut méconnaîtra que le mouvement de l'opinion libérale que l'on a appelé ascendant n'ait des causes (car jamais il n'y a de faits sans causes) et qu'il ne puisse avoir de grands résultats.
Déjà nous avons vu dans une de nos provinces proclamer des principes tout à fait antipathiques à notre Constitution ; je veux parler de la suppression du cens électoral, ce qui serait la suppression d'une disposition de notre loi fondamentale. Il y a donc un danger dans la situation actuelle, il y a un danger que chacun a pu voir, dont nous pouvons apprécier la portée et que le gouvernement doit chercher par tous les moyens à conjurer autant que possible. Mais pour arriver à ce résultat, pour empêcher le développement de pareilles prétentions, il n'est qu'un moyen à mes yeux, ce moyen c'est la composition du ministère. Il faut un ministère qui non seulement offre des garanties au pays, mais, comme le disait fort bien l'honorable M. Dolez dans la séance d'hier, dont les noms inspirent la confiance au pays. Dans un gouvernement constitutionnel, les questions personnelles sont d'une haute importance ; toute idée a besoin d'un organe ; sans cela, c'est une idée métaphysique, atmosphérique, si je puis m'exprimer ainsi. Les hommes représentant les idées, les questions personnelles ont autant d'importance que les questions de principes elles-mêmes. Je cherche donc dans le cabinet actuel l'influence des noms et je ne puis l'y trouver.
Messieurs, je viens vous le déclarer en toute sincérité, je n'ai pas vu que depuis la formation du ministère, dans aucune partie du pays, la question de personnes ait rassuré l'opinion publique. Je fais abstraction ici de mes sentiments particuliers pour certain membre de ce cabinet, j'examine seulement la chose publique que nous devons seule examiner. Comment les choses se sont-elles passées ? D'un bout de la Belgique à l'autre on n'a pu croire à la viabilité du cabinet et, pour la première fois depuis la révolution, lorsque le gouvernement vient demander aux deux chambres de déclarer à l'avance qu'elles ont confiance dans le ministère, dans le gouvernement du Roi, pour la première fois, les commissions d'adresse des deux chambres, agissant sous l'impression de l'opinion publique dans leur province, et sans s'être entendus, présentent chacune un projet qui ajourne la question de confiance. Il y a dans ce fait une immense signification, et je désire vivement qu'il puisse arriver jusqu'au Trône. Je le désire dans l'intérêt si vif que je porte à la patrie. Ainsi, il y a unanimité dans les deux commissions d'adresse des deux chambres pour proclamer un fait des plus graves dans l'intérêt de la chose publique. Aux yeux des deux commissions d'adresse, organes du sénat et de cette chambre, le ministère est insuffisant pour la situation du pays.
Ne croyez pas, messieurs, que la commission d'adresse ait fait acte de légèreté en vous proposant la rédaction qu'elle vous a soumise. La commission d'adresse a su ce qu'elle faisait ; elle a cru remplir le vœu de l'opinion publique. Si elle n'avait pas su ce qu'elle faisait, il faudrait l'accuser d'une inconcevable légèreté.
(page 91) Dans le sénat, la question de confiance dans le gouvernement n'a pas été résolue. En réponse à la phrase du discours du Trône, par laquelle le gouvernement demandait pour lui une déclaration de confiance, le sénat sur la proposition de sa commission d'adresse a répondu qu'il avait confiance en Sa Majesté. La commission de la chambre des représentants, investie de la même mission, avant de savoir ce qui s'était passé au sénat, a agi de même. Il y a dans ce double fait une double signification que la Couronne, à mon avis, ne doit pas méconnaître.
Il ne suffit pas en effet que le ministère obtienne, au moyen d'une discussion habile, d'un système adroit, un vote de confiance de la chambre ; il faut aussi qu'il ait la confiance de la nation. Dans les circonstances ordinaires, la situation est moins grave, mais elle augmente de gravité par les événements qui se passent chaque jour dans le pays. A cet égard, je répète que la rédaction des commissions d'adresse des deux chambres, adoptée sous l'impression d'un devoir, sans témérité ni légèreté, sans aucun sentiment de haine ni de vengeance, est bien digne d'être pesée par la Couronne. Car nous sommes dans une situation grave dont il faut bien sonder les profondeurs.
Messieurs, j'ai eu l'honneur de vous le dire, et je le répète, en finissant, mon intention n'est pas de faire une opposition systématique au ministère ; mais je le déclare, je n'ai pas de motifs suffisants pour lui accorder dès aujourd'hui un vote de confiance.
Quand j'émets un tel vote, je me crois lié par ce vote, je crois devoir agir en conséquence. Je veux émettre un vote franc et loyal, ce sera un vote de réserve. Je voterai donc pour le paragraphe que la commission a eu l'honneur de proposer.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - J'ai plus besoin que jamais de votre indulgence ; car, si je n'écoutais que la simple prudence, je ne serais pas dans cette enceinte ; l'état de ma santé ne me permet guère, aujourd'hui, de prendre part à cette discussion si fatigante. Cependant, vous m'avez déjà montré beaucoup d'indulgence ; je compte que vous me la continuerez encore.
J'ai quelques mots à répondre à deux honorables préopinants, d'abord à l'honorable M. Delfosse, qui, comme il l'a déjà essayé, dans une séance antérieure, a fait un parallèle entre mon honorable prédécesseur et moi, et m'a demandé si je comptais continuer son système ; je ne serais donc, à ses yeux, qu'une espèce de deuxième édition de ce système, mais non, à ce qu'il paraît, revue et corrigée.
J'ai déjà eu l'honneur de le dire, il serait de la plus haute inconvenance que je discutasse, ici, les mérites de mon honorable prédécesseur ; j'ajouterai encore que le danger ou l'honneur de lui être comparé n'exerce sur moi aucune influence. En tout cas, je n'ai pas contracté envers moi-même, pour ne pas lui ressembler, l'obligation de ne pas avoir de succès parlementaires.
J'en demande pardon à l'honorable préopinant, mais le reproche d'avoir obtenu ce succès n'est pas très sérieux de sa part.
On vous a dit, messieurs, que le ministère obtiendrait une majorité dont on a cherché à diminuer la valeur, en la qualifiant d'une manière peu honorable. Vous aurez, dit-on, une majorité composée des membres de la droite et peut-être de certains fonctionnaires. Il importe, messieurs, qu'au début de ma nouvelle carrière politique, au début d'un nouveau ministère, je déclare quels sont, à l'égard des fonctionnaires, les principes dont le gouvernement ne s'écartera pas. A ses yeux, il n'y a pas ici de fonctionnaires publics ; il n'y a que des représentants de la nation, appelés à juger avec une complète indépendance et le ministère et ses principes.
Je vous prie de croire, messieurs, que le gouvernement n'exercera sur le vote de ses fonctionnaires aucune espèce d'influence, et je fais un appel à ceux qui sont revêtus de ce caractère, je leur demande si, depuis l'ouverture de ces débats, la moindre insinuation leur a été faite. (Non ! Non !) Ils sont tous parfaitement libres ; et si dans la majorité, qu'on nous annonce, il se trouve des hommes revêtus de fonctions publiques, je veux qu'il soit dès à présent bien constaté que ce vote, ils l'ont donné en toute liberté et qu'ils l'ont donné après s'être consciencieusement rendu compte de la situation, et non pas afin d'assurer le maintien de leur position ou bien les faveurs futures du pouvoir. J'espère qu'après cette déclaration, il ne restera plus aucune espèce de doute dans l'esprit de l'honorable préopinant.
M. Delfosse. - Je me suis borné à constater un fait qui, dans mon opinion, se reproduira tantôt.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - L'honorable membre dit qu'il a constaté un fait ; comme si l'énoncé du fait n'était pas exposé à l'interprétation que vous lui donnez dans votre esprit. Si vous n'en eussiez tiré mentalement l'induction que tout le monde se faisait déjà, je ne l'eusse point relevé. J'en appelle à la franchise et à la loyauté de l'honorable préopinant.
On vous a dit que le ministre de l'intérieur, fidèle aux traditions de son prédécesseur, avait fait un appel aux passions de la droite, et que la droite, répondant à cet appel, avait, et par des trépignements et par des applaudissements, appuyé, encouragé le ministre de l'intérieur. Je croyais, messieurs, avoir fait un appel à la raison de la droite et non pas à ses passions. Je croyais que lorsque l'honorable membre, et quelques autres de ses amis, avaient indiqué comme le grand embarras de la situation actuelle les empiétements du pouvoir religieux sur le pouvoir civil, j'avais, en portant cette question devant vous, en exprimant clairement ma pensée, et en faisant un appel aux principes de la droite même, invoqué autre chose que des passions. Qu'avez-vous vu dans cette circonstance ? Les membres de la droite accepter les principes qu'il était de mon devoir de poser comme représentant du pouvoir, et s'associer à la pensée de ne point permettre ces empiétements, s'ils avaient lieu ; n'avez-vous pas entendu les honorables membres de cette partie de la chambre protester, qu'eux aussi, quoique soumis spirituellement au pouvoir ecclésiastique, ne permettraient pas ses usurpations sur le pouvoir civil ? Je demande si c'est là faire un appel aux passions ; si ce n'est pas, au contraire, poser la question sur le véritable terrain gouvernemental, terrain où j'ai été bien aise de rencontrer un si grand nombre de membres dont l'opinion ne vous était pas connue.
Je ne rentrerai pas, messieurs, dans les débats historiques qui ont eu lieu devant vous ; je n'examinerai pas si c'est la peur ou la conviction qui ont déterminé les catholiques au congrès à poser dans la Constitution le principe des libertés qui nous sont garanties. J'ai un trop haut respect pour cette noble assemblée, qui conservera dans l'histoire le caractère le plus élevé, pour attribuer à la peur ce qui était le résultat d'un patriotisme sincère et profond. Qu'on ne vienne pas rabaisser ce que cette assemblée a fait de beau et de grand ! Qu'on ne vienne pas ainsi démolir, pièce à pièce, l'édifice que nous avons élevé, nous ravir nos titres au respect de nos contemporains et arracher la plus belle page de notre histoire.
On m'a fait un reproche encore d'avoir abusé en quelque sorte de lambeaux de conversation pour en faire l'objet de tirades à effet. Messieurs, je ne cherche pas à faire des tirades à effet. Quand je parle, c'est avec une conviction profonde ; si cette conviction ne m'animait pas, je ne trouverais pas une parole à vous dire. Pourquoi ai-je relevé le mot ainsi échappé ? Parce que ce n'est pas la première fois que des hommes politiques ont laissé entrevoir la pensée que nos institutions fondamentales avaient un caractère dangereux ; qu'il était prudent de prévoir le jour où elles pourraient subir des modifications. Eh bien ! qu'ai-je fait ? Je me suis demandé quel est le devoir des hommes qui sont pénétrés de cette conviction. N'est-ce pas de se faire les représentants de cette pensée, franchement, courageusement ?
Il faut que l'on pratique en Belgique, messieurs, ce qui se fait en Angleterre. Lorsque lord Grey conçut, à l'âge de 25 ans, le projet d'introduire, dans son pays, la réforme électorale, il était seul de son avis. Cela ne le découragea point, il présenta son projet. Qu'en résulta-t-il ? c'est qu'il resta isolé, non seulement au sein de la représentation nationale, au sein de la société anglaise, au sein même de sa famille. Il n'en reproduisit pas moins sa pensée dans toutes les occasions, et ce vénérable vieillard eut, à l'âge de 70 ans, la gloire de la réaliser.
Eh bien, je voudrais que cette noble conduite fût imitée en Belgique. Je voudrais que tous les hommes politiques qui ont l'intention de modifier notre Constitution (et j'admets qu'on puisse consciencieusement croire à l'utilité de ce projet) vinssent le dire franchement, se posassent en réformateurs de nos institutions, en poursuivissent l'exécution, ouvertement, à la face de la nation, et devant cette assemblée même.
J'arrive maintenant au discours de l'honorable M. Dumortier.
L'honorable membre, dans un discours empreint d'une prudente modération, vous a dit qu'il me refusait sa confiance, non parce que je fais actuellement partie d'un ministère mixte, ministère dont le principe ne répugne pas aux convictions de l'honorable membre, mais parce que ma vie politique se renferme en quelque sorte, depuis quinze années,dans deux actes,, et deux actes qui paraissent à l'honorable membre d'une gravité telle, que je ne puis aujourd'hui venir réclamer ni la confiance de la chambre, ni celle du pays.
Le premier de ces actes, messieurs, c'est le traité des 24 articles.
La chambre ne s'attend pas à ce que je vienne de nouveau discuter devant elle la question diplomatique. Mais l'honorable membre vous dit que dans cette négociation je me suis montré si peu soucieux des intérêts du pays, je les ai si imparfaitement connus, si mal défendus, qu'ils ont été réellement sacrifiés et que dès lors il est impossible d'accorder sa confiance à-un pareil homme.
MM., je ne chercherai pas à faire ici ma propre apologie ; mais vous avez aujourd'hui dans votre sein, comme députés, des hommes qui étaient alors, investis de la confiance royale et aux mains desquels se trouvait le portefeuille des affaires étrangères. Je demande à ces hommes si, pendant toute la durée de la négociation, je n'ai pas défendu les intérêts du pays, non pas seulement avec chaleur, mais avec une parfaite connaissance de cause.
L'honorable membre, qui paraît avoir la mémoire si fidèle lorsqu'il s'agit d'attaquer le ministre de l'intérieur, aurait bien dû ne pas perdre le souvenir des pièces officielles qui ont été déposées sur le bureau. Or, parmi ces pièces, il existe un rapport que vous a présenté le ministre des affaires étrangères à l'appui du projet des vingt-quatre articles, rapport dans lequel ce ministre expose à la chambre que le ministre du Roi à Londres (moi-même, messieurs) avait reçu de la Conférence une communication à laquelle le plénipotentiaire belge ainsi que le plénipotentiaire hollandais étaient tenus de répondre dans les deux fois vingt-quatre heures. Or, M. le ministre des affaires étrangères ajoutait : Je suis heureux de pouvoir dire à la chambre, que M. Van de Weyer, dans les deux fois vingt-quatre heures indiquées, a remis à la Conférence un travail complet et remarquable (Messieurs, il ne m'est pas permis d'être modeste dans cette circonstance, je dois citer les paroles mêmes du ministre), un travail complet et remarquable, où tous les intérêts du pays avaient été complétement défendus. C'est qu'en effet, messieurs, pendant ces 48 heures je n'ai point quitté la plume d'une minute ; et je puis citer ce travail comme un des actes dont je puis m'honorer. Je laisse à d'autres honorables membres qui ont manié le portefeuille des affaires étrangères après celui dont je viens de parler, de déclarer si jamais entre mes mains les intérêts du pays ont couru quelque danger.
(page 92) J'arrive, messieurs, à l'autre point, c'est-à-dire aux négociations relatives à l'acquisition de la British-Queen.
Je suis heureux qu'on me fournisse enfin l'occasion de m'expliquer devant la représentation nationale sur celle affaire. Aussi longtemps que les accusations ne s'étaient trouvées que dans les journaux, aussi longtemps que les imputations les plus odieuses n'avaient été portées contre moi, que dans la presse, mon devoir était de me renfermer dans le silence. Agent du gouvernement, j'avais la conscience d'avoir rempli la tâche qui m'était imposée.
On a constamment parlé de cette négociation et de l'acquisition de la British-Queen, comme si la pensée primitive m'en était due, comme si l'initiative avait été prise par moi. Eh bien, messieurs, je déclare, et les hommes qui faisaient partie du cabinet à cette époque sont ici pour réfuter ou pour confirmer mes paroles, je déclare que le jour où m'est parvenue à Londres une dépêche par laquelle on me chargeait de, procéder à l'acquisition de la British-Queen, j'ignorais complétement que cet achat fût possible ; j'ignorais complétement que la British-Queen fût à vendre. Je reçus du cabinet les instructions les plus positives, les plus claires, les plus nettes pour acheter la British-Queen avec la plus grande célérité et le plus grand secret possibles. C'est alors, messieurs, que, dans l'intérêt même du gouvernement, je pris les plus grandes précautions pour m'assurer du bon état du navire ; j'eus recours à des ingénieurs, à des constructeurs de navires, à tous les hommes capables de m'éclairer, et je rendis un compte détaillé de tout ce que j'avais fait, au gouvernement d'alors.
Je vous avoue, messieurs, que, l'initiative ayant été prise par le gouvernement, la pensée me parut belle, la conception me parut heureuse ; j'y donnai mon approbation. J'aurais pu me dispenser d'applaudir à ce projet et d'entrer à cet égard dans les détails qu'on vous a lus : agent du gouvernement, j'exécutais ses ordres ; agent du gouvernement, je devais réaliser sa pensée. Si je l’approuvais, c'était de ma part un zèle qu'on ne me demandait point.
Je pense, messieurs, qu'il est bien constaté maintenant que l'idée première de cette acquisition n'est pas venue de moi. Mais la véritable responsabilité que j'ai prise, la voici : charge par le gouvernement de faire l'acquisition de la British- Queen, je reçus l'ordre ensuite de proposer à la compagnie qui avait cédé ce navire, de lui proposer quoi, messieurs ? L'annulation du marché ? En aucune façon, mais une modification dans le mode de payement. Je me rendis au sein de la compagnie, je lui soumis les propositions du gouvernement ; elles furent vivement combattues ; mais, après deux ou trois jours de négociations je parvins à obtenir ce que le gouvernement avait demandé.
Mais plus tard, messieurs, plus tard le gouvernement, renonçant à son idée primitive, me demanda de déclarer à la compagnie que le gouvernement se proposait d'annuler le marché. C'est alors que, fidèle à mes principes d'honneur et de dignité, je répondis que le gouvernement ne pouvait pas exiger qu'après avoir fait adopter une modification dans le mode de payement, c'est-à-dire, la consécration du principe de l'achat (car offrir de payer de telle façon plutôt que de telle autre, c'est en définitive ratifier le contrat), que le gouvernement, dis-je, ne pouvait pas exiger de moi que je fisse déclarer l'achat nul. La compagnie avait accepté mes propositions de payement, j'avais donc posé le principe de l'approbation de l'achat, au nom du gouvernement. Pouvais-je ensuite retirer l'offre, que l'on m'avait autorisé de faire ? Je déclarai donc que je ne serais pas en cette circonstance l'interprète de nouvelles intentions du gouvernement. Je vous le demande, messieurs, cette position n'est-elle pas fort honorable ; et ne devez-vous pas m'approuver plutôt que de me blâmer ?
Voilà, messieurs, la participation que j’ai eue dans l'acquisition de la British-Queen. Je suis bien aise d’avoir eu enfin l'occasion de m'expliquer à cet égard en public, et devant la représentation nationale.
Je ne rentrerai point, messieurs, dans le fond même du débat, à l'occasion du discours de l'honorable préopinant. Je n'examinerai pas non plus si la commission dans son projet d'adresse, a eu la pensée que l'honorable membre a exprimée.
M. de Theux. - La commission n'a pas discuté la question.
M. Fallon. - Elle a voulu éviter à la chambre un débat politique.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). -Il semblait résulter des paroles de l’honorable préopinant que la commission aurait voulu exprimer une espèce de défiance.
M. Dumortier. - Je prie M. le ministre de l'intérieur de bien se rappeler ce que j'ai eu l'honneur de dire. J'ai eu l'honneur de dire que la commission, à l'unanimité, avait entendu émettre un vote de réserve. (Interruption.) J'entends plusieurs membres de la commission dire : « Non, non ; » mais veuillez-vous rappeler, messieurs, ce qu'a déclaré l'honorable rapporteur M. Dedecker dès l'origine de la discussion. Je ne dis autre chose que ce qui a été dit par mon honorable ami. Je n'ai pas parlé d'un vote de défiance, et si je m'étais servi de cette expression, ce que je ne pense pas, je la retire bien volontiers. Tout ce que j'ai dit, c'est que la commission d'adresse a voulu émettre un vote de réserve, c'est-à-dire qu'elle n'a pas voulu préjuger la confiance.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Alors nous sommes parfaitement d'accord.
Quant à la simultanéité entre la présentation du projet d'adresse de la chambre et la présentation du projet d'adresse du sénat, je me permets de faire observer à l'honorable préopinant que celle simultanéité n'existe point, que le projet d'adresse du sénat a été discuté avant que la commission de la chambre ne formulât le projet qu'elle nous a présenté. (Interruption.)
M. le président. - Le rapport imprimé de la commission du sénat a été distribué aux membres de la commission.
M. Dumortier. - Il me serait excessivement pénible que l'on voulût faire croire (et ce n'est certainement pas l'intention de M. le président) que j'aurais mal rendu la pensée de la commission. Cette pensée a été exprimée à la chambre, dès le premier jour de la discussion, par le rapporteur. Comment les choses se sont-elles passées ? Dans la.première séance de la commission, nous avons lu, paragraphe par paragraphe, le discours du Trône, et nous avons discuté la question de savoir dans quel sens on répondrait à chacun de ces paragraphes. Eh bien, sur le dernier paragraphe, la commission a émis à l'unanimité le vote qui posait le principe de la réponse qui a été soumise à la chambre, un vote de réserve. Ensuite est venue la rédaction, et une autre séance a eu lieu pour la lecture du projet d'adresse. C'est dans l'intervalle de ces deux séances que le sénat a voté son adresse, et que cette adresse est parvenue à notre connaissance, et alors nous avons cru devoir exprimer la réserve dans les mêmes termes que le sénat. Il n'en est pas moins vrai que, dans le second vote comme dans le premier, la commission a voulu garder la position de réserve dont l'honorable rapporteur nous a parlé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, je ne prolongerai pas inutilement ce débat. Ce n'est plus le projet de la commission que nous avons à examiner, c'est l'amendement proposé par le ministère.
Messieurs, j'ai reconnu en commençant que l'honorable préopinant avait empreint son discours d'une sage et habile modération. Il.trouvera donc naturel que je ne me place point ici sur un terrain autre que celui de la politique ; je ne ferai donc aucune allusion à d'autres discussions qui ont eu lieu ailleurs.
Est-ce à dire que je recule devant mes principes ? Je vous l'ai déjà dit, messieurs, je ne recule devant rien ; je n'ai rien à rétracter, rien à désavouer, rien à cacher. Mes collègues, connaissant et ma position et mes principes, se sont associés à moi ; et nous vous avons présenté de commun accord une série de mesures qui, suivant nous, répondent aux besoins du pays. Pour l'exécution de ces mesures nous avons besoin de votre appui, de votre confiance, de votre concours bienveillant.
Telle est la question que vous avez à discuter ; je n'en veux point d'autre dans cette enceinte.
- La clôture est demandée.
M. de La Coste. (contre la clôture). - Messieurs, mon but n'était pas de rouvrir la discussion politique, mais permettez-moi de vous faire observer, que le discours du Trône vous a été présenté d'abord, surtout sous l'aspect d'un programme d'affaires. C'était sous ce rapport que je voulais présenter quelques considérations. Ou me dira, peut-être : Mais attendez la discussion des paragraphes. Je répondrai que les objets sur lesquels je voulais particulièrement fixer l'attention de la chambre et du ministère, sont précisément tels, que, dans mon opinion, ils constituent une lacune dans ce programme d'affaires.
Je demande un moment d'attention à M. le ministre de l'intérieur (M. le ministre de l'intérieur fait un signe affirmatif), qui veut déjà bien me l'accorder, et à M. le ministre de la justice, que la chose concerne particulièrement.
Après avoir fait sur ces objets quelques courtes observations, si la chambre veut bien les écouter, je renoncerai à la parole.
- La clôture de la discussion générale du projet de l'adresse est mise aux voix et prononcée.
On passe à la discussion des paragraphes.
« La chambre des représentants apprend avec satisfaction que les rapports de V. M. avec les puissances étrangères, conservent un caractère marqué de mutuelle confiance. »
- Adopté.
« L’importance des relations internationales sera d'autant mieux appréciée, leur stabilité sera d'autant mieux garantie qu'elles reposeront sur les intérêts positifs des peuples.
M. de La Coste. - Je puis placer ici mes observations, puisqu'il s'agit d'intérêts matériels. Je n'exige pas toutefois que le ministère prenne en ce moment des engagements formels sur les deux points sur lesquels j'ai à entretenir la chambre.
Le premier de ces points est un intérêt local, mais très important dans la circonstance présente. Il s'agit de l'administration de la justice dans l'arrondissement de Louvain. Je n'ai pas besoin d'en dire davantage, pour M. le ministre de la justice, il doit me comprendre parfaitement et je m'en rapporte à sa sollicitude. C'est un point qu'il connaît mieux que moi, qu'il peut mieux apprécier, et sur lequel cependant j'ai une conviction bien arrêtée : c'est que les moyens d'administration de la justice dans l'arrondissement de Louvain sont insuffisants, et dans ce moment surtout, il importerait qu'elle eût toute la force nécessaire, car s'il faut secourir le peuple par le travail, il faudra bien contenir la malveillance par la justice.
Le second point que je recommande a M. le ministre de l'intérieur, sans lu demander aucun engagement, c'est la question des octrois. M. le ministre me répondra peut-être : « Attendez les renseignements qui ont été promis et qui sont à l'impression. » Mais je crains que cette question importante ne reste ensevelie sous un amas de papiers, à moins que M. le ministre de l'intérieur, avec la haute intelligence dont il nous a donné déjà tant de preuves, ne s'empare de cette question, et n'entreprenne courageusement une réforme d'abus évidents, non une utopie, (car je ne suis pas un homme d'utopies), mais une reforme pratique. Si le gouvernement n'avait pas un temps suffisant à donner à cette question, alors je réclamerais l'honneur de m'en occuper ; je réclamerais de la complaisance de MM. les ministres (page 93) différents renseignements qui me mettraient à même de me livrer avec fruit à cette étude ; et je serais heureux de consacrer le reste de ma vie politique à la solution d'une question si importante pour la localité principale qui m'a envoyé dans cette enceinte.
Mais ce que je demande, surtout au ministère dans cette circonstance, comme dans toutes celles qui concernent les intérêts matériels, c'est qu'il ne suive pas une pente naturelle dans sa position, généreuse même, c'est qu'il tienne la balance égale et n'accorde pas une attention plus grande aux réclamations faites par les voix énergiques des membres de l'opposition, qu'à celles qu'élève ma voix plus faible peut-être, mais non moins patriotique.
- Personne ne demandant plus la parole, le paragraphe 2 est adopté.
«La chambre accueille avec faveur l'annonce des arrangements que le gouvernement vient de conclure ; elle partage l'espérance que des traités nouveaux seront bientôt le résultat des négociations commerciales avec d'autres Etats. »
M. Osy. - Je regrette avec l'honorable M. Delehaye que le traité conclu avec les Etats-Unis n'ait pas été déposé sur le bureau avant la discussion. Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères de me dire si cette convention ne renferme pas une modification importante à une disposition de la loi des droits différentiels. Dans cette loi, nous avons établi trois catégories pour les droits d'entrée. Le droit le moins élevé s'applique aux importations directes des lieux de production ; un droit un peu plus considérable a été fixé pour les provenances des entrepôts des Etats-Unis, et en dernier lieu, le droit le plus élevé a été établi pour les provenances des entrepôts d'Europe. Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères, si par la convention on accorde aux Etats-Unis la faveur d'importer de leurs entrepôts, des produits de leurs colonies autres que les leurs, au même droit qui frappe les provenances des pays de production. En cas d'affirmative, je demanderai au gouvernement, après le dépôt de la convention sur le bureau, si les chambres de commerce ont été consultées sur ce point.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire hier, le traité conclu avec les Etats-Unis sera nécessairement déposé sur le bureau de la chambre. Je ne sais si la chambre entend qu'on entre prématurément dans le fond même du débat. (Non ! non !) Cependant puisque cette interpellation m'est faite, j'y répondrai directement.
Le principe admis dans le traité, relativement aux provenances d'entrepôt, est le même principe qui se trouve écrit dans le traité de 1840, c'est-à-dire qu'on admet l'assimilation de part et d'autre pour les provenances des entrepôts. J'ai lieu de m'étonner que cette disposition du traité ne reçoive pas l'assentiment de l'honorable M. Osy, car cet honorable membre sait que le commerce d'Anvers a demandé presque unanimement que ce système fût consacré dans un traité à intervenir avec les Etats-Unis. La raison en est fort simple : Si la Belgique s'était refusée à admettre l'assimilation pour les provenances des entrepôts des Etats-Unis, le gouvernement américain aurait usé de réciprocité à l'égard de la Belgique et aurait refusé d'admettre l'assimilation pour les provenances des entrepôts de la Belgique. Je pense que cette disposition aurait frappé directement sur le commerce d'Anvers.
Je ne veux pas entrer dans la discussion de ce point important ; je veux seulement répondre à l'interpellation de l'honorable préopinant.
M. Osy. - Je ne veux pas non plus anticiper sur la discussion de cette disposition importante que je ne blâme ni n'approuve quant à présent. Je demande seulement à M. le ministre des affaires étrangères de vouloir bien déposer sur le bureau, conjointement avec le traité, les avis des chambres de commerce sur cette question, pour le cas où elles auraient été consultées.
M. Delehaye. - Je savais hier que l'assimilation était étendue aux produits d'entrepôt. Aussi était-ce par ce motif que je pensais qu'il ne fallait pas accueillir avec faveur, comme le fait la commission, l'annonce de la convention conclue avec les Etats-Unis.
On dit que la chambre n'a pas été appelée à statuer sur cette convention, cela est vrai ; mais j'ai fait partie de la commission chargée d'examiner la première convention. L'honorable M. de Theux qui présidait cette commission pourra vous dire que cette partie de la convention a été très mal accueillie dans la commission. Je sais que nous n'avons émis aucun doute, mais comme plusieurs membres croyaient la convention peu avantageuse et voulaient la rejeter, je pense que vous ne pouvez pas dire que vous accueillez avec faveur une convention pareille.
Le gouvernement devait déposer d'abord la convention conclue ; il ne l'a pas fait, parce qu'il savait que ceux qui sont à même d'apprécier la position de la navigation nationale vis-à-vis de celle des Etats-Unis trouveraient une semblable disposition contraire aux intérêts du pays ; c'est là le seul motif pour lequel la conventionné vous a pas été communiquée. Je ne puis pas donner mon assentiment à l'expression d'un accueil favorable à une convention que l'on nous soustrait et que je sais renfermer une disposition que je ne puis approuver.
M. de Theux. - Il est vrai que dans le sein de la commission chargée d'examiner le premier traité avec les Etats-Unis, il s'est élevé des objections contre la disposition dont il s'agit, mais la commission n'avait pas émis de vote sur ce traité. J'ai essayé plusieurs fois de réunir la commission ; malgré mes efforts je ne suis pas parvenu à faire examiner le projet. Voilà le véritable état de choses.
Quant au paragraphe de l'adresse, la commission n'a entendu approuver le traité, ni dans son entier, ni dans aucune de ses dispositions, mais seulement annoncer qu'elle ferait un accueil favorable à un traité indiqué, sauf à l'examiner dans toutes ses dispositions. Une disposition de ce traité pourrait convenir à tous, il ne s'ensuit pas que les autres leur conviendraient également. Le vote que nous émettons ne préjuge en rien le vote sur le traité, nous nous bornons à dire que nous faisons un accueil favorable à l'annonce du traité.
- Le paragraphe est mis aux voix et adopté.
« La chambre examinera avec l'attention que réclame la gravité des questions qu'il soulève, le projet annoncé par V. M. pour l'organisation d'une société d'exportation.|»
- Adopté.
« La prospérité de la plupart de nos industries et l'état généralement satisfaisant de la récolte des céréales, sont pour le pays un gage de sécurité. L'empressement mis par la législature à répondre à l'appel du gouvernement est un sûr garant du dévouement avec lequel nous continuerons de prêter notre concours aux mesures destinées à détourner les conséquences du fléau qui a frappé l'une des substances alimentaires les plus précieuses. »
M. Osy. - Je ne propose pas de changement au paragraphe dont il s'agit, cependant il exprime une confiance peut-être un peu trop grande sur l'éatt généralement satisfaisant de la récolte. Car je crois que positivement nous avons moins qu'une récolte moyenne ; nonobstant les froments récoltés dans le pays, les arrivages de céréales dont vous voyez le tableau dans le Moniteur d'aujourd'hui, les arrivages sont arrachés par les consommateurs, parce que les besoins sont considérables.
Je ne veux pas, je le répète, proposer de changement ; je veux bien laisser le paragraphe tel qu'il est rédigé, pour ne pas alarmer le pays. Mais à cette occasion, je dois revenir sur la discussion du mois de septembre dernier. Je demandais alors que le gouvernement voulût adopter un amendement pour l'entrée des farines. Cet amendement a été malheureusement rejeté. Depuis lors, les Hollandais et les Anglais ont fait des achats considérables de farines aux Etats-Unis, à tel point que la hausse des farines en Amérique, entre notre dernier vote et le 31 octobre, date des dernières nouvelles qui nous sont arrivées, a été de 10 fr. par baril de 90 kilog. La même hausse s'est fait sentir sur les grains ; mais ce que je crains le plus, c'est qu'après l'hiver, les prix continuent à s'élever. Nous trouverons alors sur les marchés du Nord et du Midi la concurrence de deux grandes nations, la France et l'Angleterre. Je pense qu'il est plus que temps que le gouvernement s'occupe de l'objet de l'amendement de M. Delfosse qu'il a adopté, car sur lui pèse la responsabilité de tout ce qui peut arriver. Je crois qu'il doit, sans tarder, examiner la situation exacte tant des besoins du pays que des arrivages et voir s'il n'est pas temps de permettre l'entrée des farines, je ne dis pas libre de droits, mais au droit de 2 fr. par baril, par exemple, ce qui représente le salaire du meunier.
Je pense qu'il est nécessaire que le gouvernement s'occupe de cet objet. J'appelle maintenant son attention sur ce point, parce que d'ici à longtemps ; je ne pourrai pas le faire, et que d'ailleurs les ordres ne pourront arriver aux lieux de production qu'en mars ou avril. Il est possible qu'en janvier ou février la réaction sur les céréales s'opérera. Je suis persuadé qu'en mars et avril vous aurez des prix plus élevés qu'aujourd'hui, et déjà le froment est à 20 fr. et le seigle est à 18 fr., prix qui ne s'est jamais vu depuis la malheureuse année 1817. Il est plus que temps que le gouvernement s'occupe des besoins qui peuvent survenir.
J'ajouterai que le gouvernement ferait bien d'examiner s'il n'y aurait pas lieu de présenter un projet de loi pour les semis de pommes de terre. Le commerce a fait tout ce qu'il a pu pour introduire, dans le pays, cette nourriture nécessaire à la classe ouvrière. Pendant toute l'année, il n'est entré que 160 mille hectolitres de pommes de terre, tandis que la consommation et les semis montent à 20 millions ; je mets 16 si vous voulez, ce chiffre n'est pas exagéré. Vous aurez un déficit de 12 millions qu'il faut remplacer par des céréales.
Ce qui m'occupe, ce sont les semis ; je voudrais que le gouvernement encourageât l’arrivage des pommes de terre pour les semis, parce que sans cela le mal pourrait continuer pendant plusieurs années. Car l'introduction des pommes de terre est un commerce extrêmement ingrat. Les pommes de terre envoyées du Nord et du Midi par mer, sont arrivées gâtées ; on a dû en jeter à la mer dans un port de relâche et dans les ports d'arrivée.
Je crois que le gouvernement ne doit pas perdre de vue le point de savoir s'il n'y a pas lieu d'autoriser l'introduction des viandes salées et du poisson sec, ce qu'il peut faire par arrêté royal. Je l'engage à s'en occuper.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, à votre session extraordinaire, vous avez accordé au gouvernement un vote de confiance dans l'ordre des intérêts matériels. Le gouvernement a accepté la responsabilité qui résulte de ce vote. La chambre a apprécié alors les motifs qui empêchaient le gouvernement d'entrer dans des détails sur les mesures à prendre. Je prie la chambre, dans l'intérêt du pays et de notre responsabilité, de nous permettre de conserver cette position. Si je prends la parole, c'est pour empêcher que certaines exagérations ne s'accréditent dans le pays.
Il n'est pas étonnant que dans la situation actuelle les prix se soient élevés. Ce qui est étonnant, c'est qu'ils ne se soient pas élevés davantage.
Rappelez-vous ce qui s'est passé en 1816et 1817. La moyenne du prix du seigle pour toute l'année a été de 35 fr. l'hectolitre : le prix du froment s'est élevé jusqu'à 60 fr. Si dans les circonstances où nous nous trouvons, les prix n'ont pas subi la hausse que nous craignions, c'est que les mesures prises pendant la session extraordinaire ont produit un heureux résultat. Les tableaux insérés au Moniteur prouvent que ces mesures n'ont pas été (page 94) stériles et combien les arrivages de toutes les denrées alimentaires ont été considérables,
M. Lys.-— Il me semble qu'on pourrait joindre les deux paragraphes 5 et 6.
M. le président. - M. Lys propose de réunir les paragraphes 5 et 6 ; le paragraphe en discussion serait ainsi conçu :
« La prospérité de la plupart de nos industries et l'état généralement satisfaisant de la récolte des céréales sont pour le pays un gage de sécurité. L'empressement mis par la législature à répondre à l'appel du gouvernement est un sûr garant du dévouement avec lequel nous continuerons de prêter notre concours aux mesures destinées à détourner les conséquences du fléau qui a frappé l'une des substances alimentaires les plus précieuses. »
- La proposition de réunir ces deux paragraphes est mise aux voix et adoptée.
M. Lys. - Je commence par vous dire, messieurs, que je me rallie entièrement à la demande faite par l'honorable baron Osy, pour obtenir l'entrée libre des farines, et engager le gouvernement à faire les approvisionnements nécessaires, afin de pourvoir aux semis des pommes de terre, en livrant les quantités nécessaires aux cultivateurs, à un prix modéré ; j'ai déjà présenté pareille demande lors de la discussion de la loi, pendant la session extraordinaire ; il est inutile d'en déduire de nouveau les motifs, le gouvernement ne les aura pas perdus de vue.
C'est avec étonnement, messieurs, que je lis dans le projet d'adresse que la prospérité de la plupart de nos industries et l'état généralement satisfaisant de la récolte des céréales sont pour le pays un gage de sécurité, quand une industrie aussi considérable que celle de la fabrication des draps et étoffes de laine est dans un état de souffrance telle que les affaires sont dans une stagnation déplorable.
On vous parle, messieurs, des avantages résultant des mesures prises par le gouvernement, quand la misère n'est pas seulement à nos portes, mais est entrée à l'intérieur. Nous ne pouvons, malheureusement, pas dire, comme l'a fait mon honorable ami, M. Delehaye, en partant de la ville de Gand : L'industrie de Verviers est prospère. Je dois dire, au contraire : L'industrie de la fabrication des draps et étoffes de laine, dans le district de Verviers, est souffrante, et, en effet, messieurs, nous voyons déjà une partie de nos ateliers ne s'ouvrir qu'avec le jour et se fermer avec la nuit. Comment voulez-vous, des lors, que l'ouvrier puisse se nourrir avec une journée qui commence à 8 heures du matin et finit à 4 heures du soir, vu la cherté seule du pain, sans parler des autres substances alimentaires ?
On doit s'attendre, messieurs, que ce malaise n'ira qu'en augmentant. Dès lors le district de Verviers mérite bien certainement d'avoir une large part dans les secours mis à la disposition du gouvernement.
Je dirai à MM. les ministres : Remarquez-le bien, un nombre bien considérable de malheureux se trouveront dans le besoin, dans la misère, par le défaut d'ouvrage et par la cherté des denrées de première nécessité. Je dirai à MM. les ministres : Jamais des secours d'aucun genre n'ont été accordés aux ouvriers du district de Verviers, jamais ils n'en ont demandé. C'est donc pour la première fois, et à l'occasion d'une urgente nécessité, que nous sollicitons un pareil secours.
L'arrondissement de Verviers est surtout frappé, messieurs, par le fléau que présente la récolte des pommes de terre, qui sont la principale nourriture de l'ouvrier. A ce malheur se joint nécessairement la cherté excessive du pain, ce qui réduit, je le répète, à un état bien misérable le grand nombre des ouvriers de fabrique dans le district de Verviers.
Si un million, messieurs, avait été employé (par un roulement continuel), à faire des acquisitions en grains et à les jeter sur nos marchés, en temps opportun, les grains ne resteraient pas entre les mains des détenteurs et des gros fermiers qui spéculent sur la misère publique : et le prix des céréales, au lieu d'être en hausse commue, serait souvent en baisse.
Si avec un état satisfaisant de la récolte des céréales, si avec l'entrée considérable des grains étrangers, nous voyons le prix du pain s'élever de jour en jour, je dois dire que le gouvernement n'a pas pris les mesures convenables, au moyen du crédit qui lui a été accordé. Inutilement M. le ministre des finances fait-il une comparaison avec l'état des choses en 1816 et 1817, car elle n'est pas exacte, la récolte était alors mauvaise, aujourd'hui on la déclare bonne.
Ordinairement le ministère crée facilement des commissions ; c'est ici, messieurs, qu'une commission pour l'achat de grains, à l'effet de former des greniers, je ne dirai pas d'abondance, mais de secours, était indispensable. En fournissant des céréales sur divers marchés, à des prix convenables, on tenait le prix du pain à un taux peu élevé.
Je terminerai, messieurs, par solliciter une part dans les sommes mises à la disposition du gouvernement en faveur des ouvriers de fabrique du district de Verviers.
Je demande à M. le ministre des travaux publics de mettre de suite en adjudication les travaux des routes de Francorchamps et de l'embranchement de Jalhay.
Ces communes et celles voisines sont au nombre de celles qui souffrent le plus par la privation de la récolte des pommes de terre ; car elle ne peut être portée au dixième d'une récolte ordinaire, et c'est cependant leur principal produit. La perte qu'essuient les malheureux cultivateurs est tellement grande qu'ils restent sans ressource autre que celle que leur fournit la récolte des avoines.
Je prie aussi M. le ministre de ne pas oublier de statuer bientôt en ce qui concerne la route de la Planck, commune d'Aubel, car les ouvriers des campagnes seront encore plus à plaindre que ceux des villes et seront tout aussi nombreux ; car ils seront augmentés cet hiver de bon nombre de cultivateurs, qui n'ont d'autre ressource pour leur famille que le produit résultant de la vente des pommes de terre, produit dont ils sont privés.
La situation actuelle de nos fabriques mérite toute l'attention du gouvernement ; il se gardera sans doute de faire aucun changement à la législation existante, qui pourrait compromettre davantage leur position.
Je n'entrerai pas dans des explications, le ministère doit me comprendre.
M. de Theux. - J'approuve fort le zèle de l'honorable député de Verviers, pour procurer du travail aux populations de son district ; mais si nous entrons dans cette voie il n'est peut-être aucun d'entre nous qui ne se trouve dans le cas de faire la même réclamation. Ce ne sera plus l'adresse que nous discuterons, mais le budget du département des travaux publics. Je demande que l'on s'en tienne à la discussion de l'adresse.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Je suis prêt à répondre à toutes les interpellations qui me seront adressées (Non, non) ; mais je crois, avec l'honorable M. de Theux, que cela nous entraînerait dans de trop longues discussions, si nous nous occupions de tous les travaux réclamés dans l'intérêt de la clause ouvrière.
Je puis répondre cependant à l'honorable préopinant que les routes qu'il a désignées seront mises incessamment en adjudication. Pour me conformer aux désirs de la chambre, je n'entrerai pas dans d'autres détails.
M. le président. - J'invite les orateurs à se renfermer dans l'objet du paragraphe en discussion.
M. Dumortier. - Après le vote de confiance que la chambre aura tout à l'heure à émettre, il n'est aucun paragraphe plus digne de votre sollicitude que celui qui vous occupe. Je dirai même qu'au point de vue du pays, ce paragraphe est le plus important. Je crois donc que la chambre ne manquera pas de l'examiner avec maturité. Il s'agit de l'emploi du subside que nous avons voté il y a deux mois. Cela est digne de toute la sollicitude de cette assemblée. Je présenterai donc sur cette question quelques observations et je demanderai quelques explications au gouvernement.
Voilà deux mois passés que la chambre a voté un crédit de deux millions dans le but d'empêcher les désastres qui pouvaient subvenir, par suite de la mauvaise récoltle d'une des principales denrées alimentaires, si nécessaire à la classe ouvrière.
M. le ministre des finances, interpellé tout à l'heure sur l'emploi de ce subside, a eu l'honneur de vous dire qu'il désirait que le gouvernement pût garder le silence dans l'intérêt de la responsabilité ministérielle. Je ne pense pas que ce soit le cas de parler de la responsabilité ministérielle. Il s'agit de pain et non pas de responsabilité ministérielle en cette circonstance.
Pour moi je vous le déclare, avant de voter le paragraphe en discussion, je désire vivement savoir, ainsi que je viens de le dire, quel emploi a fait le gouvernement des fonds alloués par la législature. Je désire savoir surtout si le gouvernement a fait emploi de ces fonds ; et s'il m'est démontré qu'il n'en a fait aucun, je regarde comme un devoir de le presser de faire usage de ces fonds dans le plus bref délai possible.
Voici le motif sur lequel j'appuie celle opinion.
La récolte des pommes de terre n'a pas totalement manqué. Dans certaines parties de la Belgique, on a fait un quart de récolte ; dans d'autres une demi-récolte ; d'autres ont été mieux favorisées, mais dans certaines localités on n'a pas récolté le vingtième d'une récolte ordinaire. On est aujourd'hui occupé à consommer le peu qu'on a récolté. D'un autre côté le peuple a encore, pour subsister, les légumes d'automne qui seront bientôt consommés ; mais après cela que restera-t-il au peuple pour vivre ? Les mois de mars et d'avril se présentent à mes yeux sous les plus sombres couleurs. Il est incontestable qu'il s'opérera une très grande hausse sur les céréales, parce que toute la consommation devra se porter exclusivement sur les céréales.
Si les approvisionnements ne sont pas faits à l'avance, je crains que dans beaucoup de villes on n'éprouve de grands embarras pour la classe ouvrière, je crains qu'elle ne soit dans une très fâcheuse situation. Je m'en suis beaucoup préoccupé et je suis demeuré convaincu que la question des approvisionnements pour les mois de mars et d'avril est de la dernière importance au point de vue de la tranquillité publique. J'aurais voulu que le gouvernement profitât du moment où les ports du Nord sont encore ouverts pour en tirer le plus de grains possible. J'aurais voulu qu'on achetât des céréales, non sur notre marché, ce qui amènerait une hausse rapide qu'il faut éviter, mais sur les marchés étrangers.
D'un autre côté j'aurais voulu que le gouvernement engageât les grands centres de population à se procurer de grands approvisionnements de riz parce que c'est le seul aliment qui puisse remplacer les légumes quand nous arriverons entre mars et avril, quand la végétation nouvelle ne produira pas encore de quoi pourvoir à l'alimentation du peuple.
Je demande quel emploi on a fait des fonds alloués. Je le répète, il ne s'agit pas là de responsabilité ministérielle, ce serait une erreur de croire qu'avec ce mot on pourrait tranquilliser le pays. Si l'emploi des fonds n'a pas été fait, j'adjure le gouvernement de le faire le plus tôt possible et d'encourager tous les établissements de charité de nos grandes villes à s'attacher à faire venir des approvisionnements qu'on sera heureux de trouver au prochain printemps, lorsqu'il n'y aura plus aucuns légumes et que toute la consommation devra se rejeter sur les céréales.
M. le ministre des finances (M. Malou). - La loi que vous avez votée pendant votre session extraordinaire porte que le gouvernement devra vous faire un rapport sur l'emploi du crédit du deux millions que vous avez voté (page 95) et sur les mesures qu'il aura prises en vertu des pouvoirs extraordinaires que vous lui avez donnés. Si maintenant je suivais l'honorable membre sur le terrain où il s'est placé, je rouvrirais une discussion immense et très difficile, et je vous donnerais ainsi une partie du rapport que nous devrons faire lorsque les éléments en seront complets.
Permettez-moi d'ajouter qu'il y aurait quelque danger à suivre l'honorable membre sur ce terrain ; permettez-moi de le dire : il n'y a pas de matière plus difficile à traiter en public que celle des subsistances ; parce qu'un mot prononcé avec les meilleures et les plus patriotiques intentions peut faire naître des craintes parmi les populations qui sont d'autant plus faciles à alarmer qu'il s'agit de leur premier, de leur plus cher intérêt.
J'indique franchement à la chambre pourquoi je n'entre pas dans le débat que l'honorable membre a soulevé. En le faisant, je croirais manquer à mes devoirs. Je ne me prononce pas sur ses observations, je ne dis pas si elles sont oui ou non fondées, mais je pense que cette discussion est inopportune, qu'elle serait contraire aux intérêts du pays.
Lorsque j'ai parlé de noire responsabilité, je n'ai pas voulu prononcer un grand mot, mais faire allusion à une chose grande et sérieuse.
M. Desmet. - Messieurs, j'avais demandé la parole quand j'avais entendu dire, par un honorable député d'Anvers, que cette année il n'y avait eu qu'une demi-récolte de grains, et pour vous dire que ce n'était pas là mon opinion, du moins pour ce qui concerne celle qui a été faite dans les Flandres, où la récolte a été, pour la quantité, comme dans une année ordinaire : mais pour ce qui regarde la qualité, elle a été moindre ; le grain est, en général, moins farineux que l'an dernier.
Messieurs, dans la délicate question des céréales et de la rareté des subsistances, je me garderai bien d'émettre une opinion publiquement à cette tribune ; je veux seulement faire quelques observations sur cette matière, et cela dans l'intention unique d'y attirer l'attention du gouvernement.
On est généralement étonné de l'élévation des prix des grains et surtout du seigle, qui cependant est la principale nourriture de la classe pauvre et des habitants de la campagne des Flandres. On remarque que les marchés sont mal fournis. On remarque aussi que les grains étrangers se placent en petite quantité. On soupçonne que les cultivateurs ne veulent pas encore vendre, dans l'incertitude où ils se trouvent des besoins extraordinaires en grains, que la détresse des pommes de terre pourrait occasionner. Mais on dit aussi que le battage ne se fait pas encore en grand, et on pense que, quand les grands cultivateurs se mettront à battre, alors le prix des grains pourra bien diminuer.
On vient de vous dire que les prix des grains étaient plus élevés en 1816 et 1817 qu'aujourd'hui ; cette assertion est bien exacte ; mais il y a grande différence entre les deux époques.
En 1816 et 1817, il y avait réellement dans le pays une mauvaise récolte de céréales, et c'est ce que l'on ne peut pas dire de la récolte dernière ; on peut ajouter qu'en 1815 tous les greniers étaient vidés pour les subsistances des armées qui venaient de passer dans le pays.
Messieurs, le paragraphe que nous discutons dit que la plupart de nos industries sont eu prospérité ; il est vrai que quelques-unes le sont, mais pas toutes, tout le monde le sait ; mais ce n'est pas le moment d'en parler avec détail ; tout ce que je veux en dire, et cela aussi dans la seule intention d'attirer encore une fois l'attention du gouvernement, c'est que, par suite du fléau de la détresse dans la récolte des pommes de terre, il est à craindre qu'il y aura quelque temps peu de débit de quelques produits industriels, et qu'il serait peut-être à craindre que des établissements se trouveraient obligés de renvoyer quelque partie de leurs ouvriers.
Ce serait une mesure déplorable et il est à espérer qu'elle n'aura pas lieu, que les industriels, prenant en considération les besoins de la classe ouvrière, auront compassion d'elle et qu'ils n'arrêteront pas du tout leurs travaux.
Comme la discussion est aussi ouverte sur le sixième paragraphe, je dirai quelques mois sur la pauvreté qui règne. On ne doit pas le cacher, et même je dirai qu'il n'y a aucune imprudence d'en parler ici ouvertement, et surtout qu'il y a moyen de remédier à cette situation déplorable, qu'il y a moyen de venir au secours des nécessiteux.
A quoi j'engage tout particulièrement le ministre, c'est que l'Etat vienne en aide aux communes, à leurs bureaux de bienfaisance ; on ne peut mettre en doute qu'ils ont besoin de secours ; mais il y a même un besoin de leur procurer ce secours le plus tôt possible ; à présent on met partout beaucoup de zèle pour assister les pauvres, pour leur procurer du travail et des subsistances ; mais on compte sur l'aide de l'Etat. Si donc le gouvernement remettait trop longtemps à donner des subsides, l'élan et le zèle des communes diminueraient beaucoup et pourraient peut-être s'arrêter entièrement. C'est encore un point sur lequel j'attire l'attention du cabinet.
Messieurs, on ne peut mettre en doute que, quand les subsistances manquent pour la classe pauvre, alors il y a plus fréquemment du maraudage et que les vols se multiplient ; je fais cette observation pour engager le gouvernement à faire marcher les patrouilles dans les campagnes ; c'est une mesure, je pense, qui fera beaucoup de bien et tranquillisera beaucoup les habitants du plat pays.
Je ne peux terminer sans attirer l'attention toute particulière de l'administration sur le district d'Audenarde, où la pauvreté est très grande ; j'en parle surtout parce que les mendiants de ce district font invasion dans le district d'Alost qui a ainsi la double charge d'entretenir ses propres indigents et de devoir donner beaucoup à ceux qui lui sont étrangers,
- La clôture est demandée.
M. Osy. (contre la clôture). - Messieurs, il me paraît que l'on ne peut clore aussi promptement la discussion sur une question de cette importance. Quand aurons-nous encore occasion de traiter cette question ? Probablement lorsque nous nous occuperons du budget de l'intérieur. Mais je crois qu'il y aurait de graves inconvénients à remettre jusqu'alors les observations que nous avons à faire pour éclairer le gouvernement et lui indiquer les moyens de procurer de la nourriture à bon marché à la classe ouvrière.
Je proteste donc formellement contre la demande de la clôture, et si elle est adoptée, je demande qu'il soit dit dans le procès-verbal que j'avais demandé la parole.
M. de Theux. - Je ne m'opposerais en aucune manière à ce qu'il s'établit une discussion sur les mesures à prendre, si le gouvernement pouvait prendre part à cette discussion. Mais il a annoncé l'intention formelle de ne pas y prendre part. A quoi donc pourrait servir cette discussion ?
M. de Brouckere. - Messieurs, je comprendrais parfaitement que l'on voulût continuer la discussion si l'on avait des reproches formels à adresser au gouvernement sur la marche qu'il a suivie jusqu'à présent. Mais je prie la chambre de remarquer que personne n'adresse de reproches au gouvernement, mais qu'on se contente de lui donner des conseils. Eh bien ! je dirai à ceux qui ont des conseils à donner, que ces conseils seront plus efficaces et plus utilement donnés dans le cabinet de MM. les ministres qu’en public ; je crois que MM. les ministres accueilleront avec reconnaissance les conseils de tous les membres de la chambre. Mais, M. le ministre des finances a eu parfaitement raison, c'est une matière qu'il ne faut pas traiter en public dans ce moment-ci.
M. Mast de Vries. - J'ajouterai à ce que vient de vous dire l'honorable préopinant, que les observations que vous a présentées l'honorable M. Osy pourront déjà avoir ce résultat d'amener une augmentation dans les prix des grains. Il vous a dit que ces prix s'élèveraient aux mois de mars et d'avril ; c'en est assez pour que plusieurs de ceux qui possèdent des grains, les conservent jusqu'à cette époque.
M. Osy. - Mes observations porteront sur un autre point. Je veux engager le gouvernement à revenir sur un amendement qui a été rejeté à la session dernière et sur lequel je m'étais réservé de prendre la parole.
Il me paraît, messieurs, que loin de vouloir faire augmenter les prix des denrées, je fais tout ce que je puis pour les faire diminuer. Si l'on veut me permettre deux mots, on verra que je dis la vérité. Je désire engager le gouvernement à revenir sur l'amendement du 1er juin. C’est une affaire assez intéressante pour que vous m'accordiez quelques minutes. D'autant plus que la Hollande a dû revenir sur la première proposition du gouvernement.
Si, malgré ma réclamation, la chambre clôturait, je demanderai que cette réclamation soit insérée au procès-verbal.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
Les paragraphes 5 et 6 sont mis aux voix et adoptés.
« La chambre applaudit aux efforts du gouvernement de Votre Majesté, pour atténuer le malaise dont l'industrie linière souffre encore, et pour améliorer la condition morale et matérielle des classes indigentes. »
- Adopté.
« Les projets de loi ayant pour but d'assurer et de développer nos intérêts agricoles, auxquels se lient tant d'autres intérêts, recevront l'accueil qu'ils méritent de la part des représentants d’une nation qui a toujours considéré l'agriculture comme le premier élément de sa prospérité et de son bien-être. »
- Adopté.
« L'exposition des beaux-arts vient de prouver, et la prochaine exposition industrielle attestera, sans aucun doute, quel essor peuvent donner à l'intelligence d'un peuple le souvenir d'un passé glorieux et le sentiment de son indépendance. »
M. Osy. - Je demanderai au gouvernement si c'est par économie qu'il ne fera pas d'exposition de l'industrie nationale en 1846. Si c'est là le motif, je l'approuve complétement. Car je crois que, dans cette session, nous devons tous être aussi économes que possible des deniers de l'Etat.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, l'économie est bien un des motifs qui ont déterminé le gouvernement à ne pas faire d'exposition l'année prochaine ; mais d'autres considérations nous y ont aussi décidés, et l'honorable membre semble les approuver toutes. Car, si j'ai bonne mémoire, j'ai eu occasion de traiter cette question avec lui.
M. Dumortier. - Messieurs, je demanderai si, dans une adresse à la Couronne, il convient bien de parler d'une exposition qui n'aura lieu que dans deux ans. Ordinairement les discours du Trône ne parlent que des événements qui doivent se passer dans le cours de l'année.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Une des raisons qui ont déterminé le gouvernement à mentionner, dans le discours du Trône, la future exposition, tout en ne l'annonçant pas pour l'année actuelle, c'est de prévenir les intéressés afin qu'ils ne fussent pas pris au dépourvu.
- Le paragraphe est mis aux voix et adopté.
« Une lacune existe dans l'organisation de l'enseignement public. Le projet de loi, dont la chambre est saisie, et les développements que le gouvernement de Votre Majesté nous annonce, seront examinés avec le désir sincère de compléter ce système d'institutions libérales qui fait l'honneur de la Belgique régénérée. »
M. Devaux. - Messieurs, ce paragraphe peut laisser subsister quelques doutes sur les intentions qu'on a eues en le rédigeant.
Si par les mots compléter ce système d'institutions libérales qui fait l'honneur de la Belgique régénérée on veut faire l'éloge le plus complet des lois que nous avons faites sur l'instruction publique, des lois qui concernent l'enseignement supérieur, l'enseignement moyen et l'enseignement primaire, (page 96), si ce sont là les intentions de la commission, je ne puis accepter cet éloge, et je ne puis le voter. Je ne puis dire que les lois qui régissent l'enseignement supérieur, l'enseignement moyen, l'enseignement primaire font la gloire ou l'honneur de la Belgique régénérée.
Si l'on a voulu, au contraire, rendre hommage au principe de la liberté d'enseignement qui est sanctionné par la Constitution, alors je m'associe à la commission, mais pour cela il faut que la rédaction soit changée. Je dis que je ne puis regarder comme devant être rappelées en termes presque emphatiques toutes les lois qui régissent l'instruction publique, et vous en comprendrez la raison.
Quant à la loi sur l'enseignement supérieur, elle est, messieurs, sujette à révision. Déjà ses auteurs mêmes, déjà le ministère, il y a plusieurs années, vous a présenté un projet de loi pour la réviser. Dans l'opinion de l'honorable M. de Theux, cette loi devait être révisée, cette loi présente de nombreuses défectuosités.
Une autre loi régit l'enseignement supérieur ou s'y rattache ; c'est la loi du jury d'examen. Je ne pense pas que la commission ait voulu faire décider d'avance à la chambre que la loi du jury d'examen était l'honneur de la Belgique régénérée, c'est-à-dire rendre en quelque sorte définitive une loi dont on a jugé le mérite si peu sûr qu'on l'a rendue provisoire et temporaire.
Enfin la loi sur l'instruction primaire, nous ne l'avons adoptée, messieurs, de ce côté-ci de la chambre que par un vote de concession, comme une loi d'essai, mais nous ne nous sommes pas dissimulé les vices qu'elle présentait dans plusieurs de ses dispositions, et l'exécution est loin de les avoir fait disparaître.
Nous ne pouvons donc pas dire que l'ensemble des institutions qui régissent l'instruction publique font l'honneur de la Belgique régénérée.
En un mot, si vous voulez reporter l'hommage sur le principe de la liberté d'enseignement, nous sommes prêts à le faire et je crois que de ce côté de la chambre on saisira avec empressement l'occasion de répondre aux paroles par lesquelles M. le ministre de l'intérieur a jeté du doute sur notre respect pour une des libertés constitutionnelles. Nous ne demandons pas mieux que de confirmer ce respect par un vote formel.
Je vous propose donc, messieurs, de substituer à la fin du paragraphe de la commission, ces mots : « avec le désir sincère d'aider aux progrès de l'instruction en respectant les principes que la Constitution a rendus inviolables. »
De cette manière, l'intention de la commission, quant à la liberté de l'enseignement, se trouve exprimée et nous ne nous trouvons pas forcés de donner une approbation sans réserve à la loi sur l'instruction supérieure, jugée depuis longtemps imparfaite, à la loi du jury d'examen, qui est temporaire et à la loi sur l'instruction primaire qui est à l'essai et à laquelle tout le monde ne reconnaît pas la perfection.
M. Dedecker, rapporteur. - Messieurs, l'honorable préopinant a donné, aux termes dont s'est servie la commission d'adresse, une interprétation restrictive qui n'est pas conforme à la pensée de la commission. Par les mots : « Institutions libérales, » la commission d'adresse n'a pas entendu parler exclusivement des lois qui se rapportent à l'enseignement ; elle a voulu parler de l'ensemble de nos libertés nationales ; voilà quelle a été la pensée de la commission tout entière.
Quant à moi, messieurs, après cette explication publique que je viens de donner, je pense qu'il devient inutile de changer la rédaction proposée par la commission. Toutefois, si l'honorable préopinant persiste dans son amendement, je ne m'y opposerai pas, parce qu'au fond c'est la même pensée exprimée en termes différents.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Nous nous rallions à l'amendement de l'honorable préopinant.
Plusieurs membres. - Oui, oui, c'est la même chose.
M. de Theux. - Il m'est parfaitement indifférents que la chambre vote la proposition de la commission ou celle de M. Devaux ; l'une et l'autre expriment au fond la même pensée, et je n'ai demandé la parole que pour répondre à un passage du discours de M. Devaux, dans lequel cet honorable membre disait que j'avais proposé moi-même la modification de la loi sur l'enseignement supérieur. Il est bon de faire observer à la chambre que ces modifications portent sur des dispositions purement accessoires et nullement sur des dispositions fondamentales, Du reste, je ne m'opposerai jamais à des modifications dans la loi sur l'enseignement supérieur, quand ces modifications seront réclamées dans cette enceinte et reconnues utiles.
M. Rogier. - En appuyant l'amendement de mon honorable ami, je crois pouvoir dire, messieurs, que je parle au nom de l'opposition tout entière. L'opinion libérale, a pris une trop grande part et au mouvement libéral de 1830 et à la confection de nos lois constitutionnelles, l'opinion libérale a joué un trop grand rôle dans la fondation de la nationalité belge, dans le développement de cette nationalité, dans l'établissement de toutes les libertés du pays, pour qu'elle n'ait pas à cœur de se montrer tout aussi susceptible sur toutes les grandes questions constitutionnelles que toute autre partie de cette chambre. Tout ce que nous demandons, messieurs, c'est que nos libertés constitutionnelles soient respectées, non pas seulement dans leur texte, mais aussi dans leur esprit, par toutes les opinions.
Il est maintenant, messieurs, parfaitement établi que personne, au moins dans cette enceinte, n'en veut à la liberté de l'enseignement, telle qu'elle a été consacrée par la Constitution. Mais en admettant la liberté d'enseignement, messieurs, il est des opinions qui n'ont pas abdiqué les prérogatives de l'Etat. Ces opinions sont celles que je professe, et il m'importe, à l'avènement d'un nouveau cabinet, de connaître si, dans les questions d'enseignement public, les prérogatives de l'Etat seront suffisamment défendues par tous les membres du cabinet qui se présente comme homogène. Cette question, messieurs, a un intérêt immense à mes yeux. S'il m'était démontré que tous les membres du cabinet sont décidés à défendre sincèrement et efficacement dans la loi d'enseignement moyen les prérogatives du pouvoir civil, alors, messieurs, ce ministère, je dois le dire, aurait fait un pas vers la confiance que je ne puis lui accorder aujourd'hui. Il me reste des doutes à cet égard, des doutes que j'ai à cœur d'éclaircir et sur lesquels j'attends de M. le ministre des affaires étrangères, en particulier, une réponse catégorique.
An point de vue de l'enseignement supérieur, M. Van de Weyer montre un zèle qui n'est équivoque pour personne. Nous sommes convaincus sur ces bancs, et nous lui en savons gré, des efforts qu'il fera pour maintenir l'enseignement de l'Etat sur des bases solides, pour l'encourager, pour le perfectionner.
Je n'entends pas cependant par là justifier tout ce qui a été fait jusqu'ici ; mais quant aux intentions de M. le ministre de l'intérieur, en ce qui concerne l'instruction supérieure, je les crois bonnes et j'espère qu'il tâchera de les réaliser. Mais M. le ministre des affaires étrangères joue un rôle important dans la nouvelle combinaison ministérielle. Que ce rôle soit en harmonie avec sa capacité, c'est ce que je ne conteste point ; à part un moment d'oubli, à part sa singulière persistance, à chercher des contradictions, des inconséquences dans la vie politique de ses adversaires, à part ces légers torts, que je ne lui reproche pas même, dans cette discussion si vive, je dirai qu'il n'a eu pour moi que des paroles bienveillantes, que des procédés dont je lui sais gré. Je ne cherche donc point à le placer dans une position embarrassante, j'attends de lui seulement une déclaration franche et nette.
M. le ministre des affaires étrangères a été chargé, en 1835, du rapport sur la loi de l'enseignement supérieur, dont on détacha le titre du projet complet que j'avais eu l'honneur de présenter à la chambre. Ce rapport, que j'ai souvent lu, renfermait, en matière d'enseignement public, des idées que je ne puis admettre, des idées qu'il est impossible que M. le ministre des affaires étrangères ait conservées entières le jour où il est entré dans les fonctions ministérielles. La compétence de l'Etat en matière d'enseignement était virtuellement niée. En ce qui concernait l'enseignement des universités, voici quelle était l'opinion exprimée par M. le rapporteur :
« L'enseignement public, pour lequel le peuple est forcé de verser d'énormes sommes au trésor, est en réalité si peu national et a acquis si peu la confiance des parents, qui cependant en font les frais, que les deux opinions qui divisent la Belgique (avril 1835) ont dû élever, avec leurs deniers, deux universités libres pour les représenter chacune.
« La confiance publique pourra entourer les institutions libres de telle façon que les universités de l'Etat, par exemple, deviennent à peu près désertes. Cette prévision, tous ceux qui ont foi dans la liberté, doivent la nourrir. »
Cette prévision, M. le ministre de l'intérieur, qui a foi dans la liberté, ne la nourrit pas, j'en suis sûr...
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je l'ai dit hier.
M. Rogier. - M. le ministre de l'intérieur ne pense pas non plus que l'enseignement donné aux frais de l'Etat soit en effet si peu national.
Mais cette prévision qu'on nourrissait alors, de voir les universités de l'Etat complétement désertes, la nourrit-on encore aujourd'hui ? Si l'on a sacrifié cette opinion, j'ai presque dit ce préjugé, sur l'autel de la conciliation, qu'on veuille bien le dire.
Ces opinions, messieurs, je veux bien le reconnaître, ont 10 années de date ; elles ont pu se modifier au contact des affaires ; l'expérience, l'âge peuvent, messieurs, corriger ce qu'on a pu avoir d'absolu dans certaines idées, et si je demande aujourd'hui à M. le ministre des affaires étrangères des explications à cet égard, ce n'est point pour en tirer parti contre ce qu'il y aurait de contradictoire et d'inconséquent entre deux époques de sa carrière. Malheureusement, messieurs, cette opinion qui fut manifestée en 1835 se manifesta encore plus tard. Nous avons de M. le ministre des affaires étrangères des opinions plus récentes en matière d'enseignement public, opinions qui ne me rassurent pas plus que celles qu'il a exprimées en 1835. Dans la grande lutte ministérielle de 1841, il fut beaucoup question d'enseignement public. Il fut surtout question de l'enseignement moyen. L'honorable M. Dechamps attaqua avec beaucoup de violence l'institution du concours ; il considéra cette institution comme illégale, inconstitutionnelle, entachée même d'immoralité. Je demande à M. le ministre des affaires étrangères s'il a conservé sur l'institution du concours, je ne dirai pas le même préjugé, mais la même opinion.
Quant à M. le ministre de l'intérieur, je n'ai pas besoin de dire que j'ai la conviction, confirmée d'ailleurs par des témoignages publics dont je saisis l'occasion de le remercier ; que j'ai la conviction, dis-je, qu'il regarde le concours comme une chose bonne, légale et parfaitement constitutionnelle.
Il y a plus. Ce n'était pas seulement le concours de l'enseignement moyen qui était attaqué par l'honorable M. Dechamps, c'étaient les bases mêmes du projet de loi sur l'enseignement moyen. On vient nous dire aujourd'hui, et c'est M. le ministre des affaires étrangères lui-même qui en a fait la déclaration, qu'on adopte les bases du projet de loi de 1834 ; que non seulement le cabinet adopte ces bases, mais qu'il les étendra au profit du pouvoir civil. Voilà dans quels termes l'honorable M. Dechamps s'est expliqué, au nom du ministère.
Eh bien, messieurs, je ne demande pas mieux que de voir le gouvernement adopter pour l'enseignement moyen les bases du projet de 1834 ; je (page 97) ne demande pas mieux que de voir ces bases élargies, au profit du pouvoir civil, toujours en respectant la liberté constitutionnelle.
Mais en 1841, l'honorable M. Dechamps, était loin de nous faire pressentir l'opinion à laquelle il se rallie aujourd'hui.
Voici ce que nous disait, au sujet de notre projet de loi sur l'enseignement moyen, l'honorable M. Dechamps :
« Sous le rapport de l'instruction religieuse et morale, c'est-à-dire de la base d'un bon enseignement primaire et moyen, la Belgique serait placée par la loi au dernier échelon par les nations civilisées. »
Il ajoutait :
« Je dis que cette loi est telle qu'elle placerait la Belgique, parmi les autres peuples, dans une exception inqualifiable. » Voilà l'opinion qu'on exprimait en 1841.
En présence d'une telle opinion, il nous est assurément permis d'avoir des doutes, de faire des réserves, de conserver de la défiance sur la sincérité des déclarations qui nous sont faites aujourd'hui, sur la sincérité de l'engagement que l'on prend non seulement de suivre fidèlement les bases du projet de loi de 1834, mais encore de les étendre au profit du pouvoir civil.
Messieurs, dans beaucoup de questions analogues, mais particulièrement dans celles de l'enseignement, où le gouvernement trouvera-t-il probablement ses premiers, ses plus fermes défenseurs ? Ce sera, messieurs, sur ces bancs de l'opposition où, à en croire ses adversaires, ne siégeraient que des hommes exagérés, ingouvernables, tandis qu'on semble réserver les éloges pour d'autres bancs où, à ce qu'il semble, l'on ne trouve que la modération la plus parfaite, l'esprit de conciliation le plus évangélique.
Si le gouvernement est sérieusement décidé à faire respecter les prérogatives du pouvoir civil dans les lois de l'enseignement supérieur et moyen, tout en respectant la liberté constitutionnelle, je ne crois pas trop m'avancer, en disant que, sur ce terrain, notre concours est acquis au gouvernement. Ce n'est certes pas là de l'exagération : c'est de la justice, c'est de la vraie modération, et c'est être conséquents avec nous-mêmes.
Mais ce même concours sera-t-il promis à M. le ministre de l'intérieur par l'autre côté de la chambre ? N'aurons-nous pas à craindre le renouvellement de cette scène pénible, où le gouvernement, après avoir compromis l'initiative royale, l'abandonna, hélas ! si misérablement, et où l'opposition qu'on accuse d'être ingouvernable, intraitable, dut s'emparer du rôle du gouvernement ? Oui, il fallut alors que l'opposition prît en main la cause du gouvernement qui, se manquant à lui-même, s'associait alors aux contempteurs de la prérogative royale.....
M. de La Coste. - Je demande la parole.
M. Rogier. - Voilà quel genre de modération nous avons montré ; voilà quelle espèce d'opposition nous avons faite ; voilà dans quel système nous persévérons.
Messieurs, il faut s'entendre sur la modération. Entend-on par modérés des hommes qui, sans vouloir donner au gouvernement le concours sympathique et actif qu'il réclame, lui accordent, à la dernière extrémité, un ou deux discours bien froids ; qui, lorsqu'on leur demande une confiance complète, répondent : « Je vous surveille » ; qui, dans tout grand danger politique du ministère, gardent le silence le plus absolu, et permettent à l'opposition de le battre en brèche ? Est-ce là l'exemple de modération qu'on nous engage à suivre ?
Nous, messieurs, nous ne pratiquons pas cette modération. Nous sommes vifs parfois dans notre opposition. Ah ! si nous avions sur le banc ministériel des hommes qui eussent notre confiance, nous serions heureux d'employer à les défendre, une chaleur que nous mettons à les attaquer. Voilà, messieurs, comment nous entendrions notre rôle de majorité, voilà comment l'opposition l'a pratiqué ; car enfin, cette opposition qu'on dit ingouvernable, cette opposition a été majorité, elle a été ministérielle. Et rappelez-vous, messieurs, le rôle qu'elle joua alors ; comparez les circonstances, les positions.
Nous étions vivement attaqués comme ministres ; nous l'étions pour des griefs qu'on a reconnus depuis injustes ; nous l’étions pour des raisons que l'auteur principal de la lutte a proclamées depuis mal fondées, gémissant lui-même, il y a deux jours encore, sur les suites de ces attaques.
M. de Mérode. - Ce n'est pas moi.
M. Rogier. - Ce n'est pas de vous que je parle, M. le comte, c'est de l'honorable M. Dechamps. Je crois, du reste, que vos accusations, en cette circonstance, n'ont pas beaucoup pesé dans le débat.
Eh bien, l'opposition alors était ministérielle ; un côté de la chambre nous attaquait ; l'autre côté nous défendait avec chaleur ; tous ceux à qui le don de la parole n'était pas refusé, s'empressaient de se lever pour nous soutenir, pour nous donner ce concours énergique et sympathique, qu'un de vos amis particuliers, MM. les ministres, a vainement réclamé de la majorité qui va voter silencieusement pour vous, et qui vous conduira, sans doute, au même résultat où sont arrivés vos prédécesseurs.
Aujourd'hui, j'avais à cœur de venger l'opposition des attaques injustes dont elle a été l'objet, et contre lesquelles M. le ministre de l'intérieur lui-même aurait dû se lever, s'il est vrai qu'il aspire à représenter l'opinion libérale.
Je n'ai plus que quelques mots à dire.
L'opposition soutiendra le gouvernement dans les questions d'instruction publique, si le gouvernement reste fidèle aux prérogatives du pouvoir civil.
M. Delfosse. - Je partage sur beaucoup de points l'opinion de l'honorable M. Rogier ; mais je veux rester libre d'examiner les questions quand elles se présenteront.
M. Rogier. - Je pense que l'honorable M. Delfosse prendra sans peine l'engagement de faire respecter les libertés inscrites dans la Constitution, et si le gouvernement vient défendre les prérogatives du pouvoir civil dans les questions d'enseignement, je suis persuadé que l'honorable membre ne le combattra pas...
M. Delfosse. - J'examinerai jusqu'où je dois aller.
M. Rogier. - Quant à moi, j'y mets moins de réserve. Et parlant ici en mon nom personnel, je dirai en finissant que tel j'ai été dans l'opposition tel je m'y maintiendrai ; si des exagérations venaient à s'y manifester, je ne m'y associerai pas ; si au contraire les amis de la modération et de la conciliation trouvent que je vais trop loin, je ne leur en voudrai pas pour cela, je leur demande seulement de respecter la position que j'ai prise et dont je ne dévierai pas.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, mon intention n'est nullement de rentrer, à la suite de l'honorable membre, dans la discussion générale ; je viens seulement répondre aux questions relatives à l'instruction publique, qui ont formé, de la part de l'honorable préopinant, l'objet des interpellations qui me concernent personnellement, quoique je ne sois pas chargé, dans le ministère, de ce qui concerne l'instruction publique.
L'honorable M. Rogier, en faisant l'histoire de mes opinions en matière d'instruction publique, a rappelé plusieurs faits : le rapport que j'ai présenté en 1835 sur l'instruction supérieure et les paroles que j'ai prononcées dans les discussions politiques de 1841 ; mais il a oublié de parler de mon rapport plus récent sur l'instruction primaire et de la conduite que j'ai tenue dans la longue discussion de cette loi ; je me permettrai de compléter à cet égard les faits rappelés par l'honorable M. Rogier.
En 1835 j'ai présenté un rapport dont l'honorable membre vous a lu un passage isolé. Je reconnais que dans ce rapport, présenté il y a 10 ans, j'ai insisté d'une manière trop absolue peut-être sur les principes relatifs à la liberté d'enseignement, sans donner les mêmes développements à ce qui concerne l'intervention de l'Etat. Je suis même prêt à reconnaître que quelques-unes des opinions consignées dans ce rapport, ne sont plus tout à fait les miennes aujourd'hui. Ce rapport, je l'ai présenté à mon entrée dans cette chambre, et les opinions que j'y exprimais ont pu certainement se modifier aux lumières de nos discussions et au contact des affaires publiques. Cependant je dois dire qu'on a exagéré la pensée générale de ce rapport. Je n'en veux pour preuve que les conclusions auxquelles ce rapport aboutit. Si j'avais voulu nier la compétence du gouvernement en matière d'instruction, comment aurais-je soutenu l'établissement de deux universités de l'Etat, fondées sur de très larges basés ?
Je rappellerai un autre souvenir : peu d'années après, quand la chambre a discuté une autre loi relative à l'instruction publique, la loi organique de l'école militaire, la chambre s'en souviendra, j'ai uni mes efforts, dans la minorité, à ceux de l'honorable M. Devaux, pour appuyer un système dont le but était de fortifier l'enseignement des universités de l'Etat.
Dans le passage que l'honorable M. Rogier a lu, passage concernant les débats politiques qui ont amené la retraite du cabinet dont l'honorable membre faisait partie, je traitais spécialement la question de l'instruction primaire dont le caractère social est plus marqué que celui de l'instruction secondaire. Lorsque j'ai parlé de l'insuffisance de la loi de 1834, c'était de l'instruction primaire que j'étais préoccupé.
On m'avait souvent prêté des opinions que je n'avais pas relativement à l'instruction publique ; j'ai eu occasion d'exprimer quelles étaient ces opinions dans la solennelle discussion de la loi sur l'instruction primaire, de cette loi qu'on regardait comme insoluble. On me croyait des prétentions exagérées, je me suis mis d'accord cependant avec l'honorable M. Rogier, puisque nous avons voté ensemble pour cette loi de l'instruction primaire.
Quand j'ai parlé du concours des établissements d'Instruction moyenne en 1841 c'était surtout au point de vue de la légalité.
L'honorable membre se rappellera que j'ai soutenu cette thèse que le concours aurait dû être établi par une loi et non pas par arrêté royal. Cette opinion je la professe encore.
Je pense que ces explications suffisent pour démontrer que mes opinions ont pu sans doute être modifiées en quelques points, mais que celles que j'ai professées sont conformes aux principes de la liberté de l'enseignement et aux droits de l'Etat.
Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !
M. de La Coste. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, rapporteur de la loi dont les partisans viennent d'être signalés comme des contempteurs de la prérogative royale, il me semble que la chambre qui m'a chargé alors de défendre son passé quoique j'y fusse, en grande partie, étranger, doit me permettre de dire quelques mots.
- La chambre, consultée, ne ferme pas la discussion.
M. le président. - La parole est à M. de la Coste.
M. de La Coste. - Je demande, et je soumets avec confiance cette question au jugement calme de l'honorable M. Rogier, si une semblable expression est parlementaire, si elle est admissible. Pour moi, je crois et j'ai toujours cru que la proposition contraire est évidente. En effet, la prérogative royale, pour laquelle nous avons tous le plus profond respect, est déterminée par la Constitution. Il est impropre d'appeler prérogative royale un pouvoir qu'on peut ôter ou donner par une loi au chef de l'Etat. La prérogative royale n'était donc pas en cause. Au surplus, nous n'avons pas à délibérer sur les lois faites, parce qu'elles ne sont plus en discussion, ni sur les lois à faire, parce que le moment de les discuter n'est pas venu.
Si j'ai voté pour la loi dont il s'agit, c'est que j'avais la conviction qu'il fallait une.garantie quelconque, autre que l'intervention unique du (page 98) pouvoir royal, à la liberté de l'enseignement dont l'honorable M. Rogier se montre un si chaud partisan ; que sans cela elle courrait un grand danger. Si, quand cette loi reviendra devant nous, cette conviction, comme je le crois, n'est pas modifiée, aucune considération ne me fera reculer et je la soutiendrai encore. Mais si on présente une autre garantie aussi forte que celle que contient la loi actuelle, si on nous présente une transaction loyale acceptable par tous les hommes de cœur sur tous les bancs de cette chambre, je serai heureux de m'y rallier.
M. Rogier. - Il s'est agi de l'intervention du gouvernement dans l'instruction publique ; j'ai dit qu'elle avait été appuyée par ces bancs ; s'il y a eu dans mes expressions quelque chose de blessant pour les membres de l'opinion contraire, je le retire bien volontiers.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
L'amendement proposé par M. Devaux est mis aux voix et adopté.
L'ensemble du paragraphe ainsi modifié est également adopté.
« Plusieurs parties de la législation ont besoin d'être révisées ; le concours de la chambre ne fera point défaut pour la solution de toutes les questions qui s'y rattachent. »
M. Osy. - A la dernière session, on vous a fait le rapport tant désiré sur la loi d'organisation de la comptabilité de l'Etat. Comme ce rapport a été fait plus ou moins avec le concours de l'ancien ministère, je demanderai à M. le ministre des finances s'il a examiné ce rapport, et si bientôt on pourra le mettre à l'ordre du jour.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, le discours de la Couronne a rappelé comme un objet digne de votre attention et qu'il est désirable de voir décider dans la présente session, le projet de loi sur la comptabilité générale de l'Etat. Il ne m'appartient pas de dire quelle sera l'époque que la chambre jugera la plus opportune pour aborder cette grave discussion. Mais je ferai en sorte d'être aux ordres de la chambre.
Le paragraphe est adopté.
« La situation prospère des chemins de fer de l'Etat est de nature à nous faire désirer la prompte et rigoureuse exécution des travaux sur les lignes récemment décrétées, et destinées à étendre notre réseau national. Si une instruction complète, prudemment appréciée, vient démontrer au gouvernement l'utilité de nouvelles concessions, elles seront examinées sous l'impression des devoirs que nous impose l'étude des besoins du pays. »
M. Osy. - Messieurs, lors de la discussion du budget des travaux publics, je demanderai à M. le ministre de vouloir nous faire un rapport sur la situation des concessions qui ont été accordées dans la session dernière, parce que la situation malheureuse qu'a amenée le jeu effréné que nous avons prévu sur les actions des chemins de fer....
M. d’Huart. - Pas chez nous.
M. Osy. - Non, mais à l'étranger.
Parce que cette situation malheureuse, dis-je, pourrait faire craindre que plusieurs de ces travaux ne s'exécutassent pas.
Il est une autre observation que me suggère le paragraphe en discussion. Il paraît que le ministère compte nous présenter dans la session actuelle de nouveaux projets de concession. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics d'examiner avec la plus grande attention les demandes qui lui seront faites et de ne les accepter qu'avec la garantie de forts cautionnements. Car si des travaux concédés ne s'exécutaient pas, nous exciterions chez les populations qui se flattaient d'avoir de nouvelles voies de communication, des exigences qui feraient retomber à la charge de l'Etat des dépenses énormes ; car ces populations demanderaient l'exécution de ces voies de communication aux frais de l'Etat.
Messieurs, puisque j'ai la parole, je dirai à la chambre que l'on a découvert dans la Campine anversoise des minerais de fer. Déjà j'ai eu l'honneur de remettre à M. le ministre des travaux publics une demande pour qu'il accorde, à un taux réduit, le transport par chemin de fer de ces minerais vers les lieux de consommation. J'engagerai M. le ministre à bien vouloir examiner cette demande le plus tôt possible. Si elle était accueillie, l'extraction du minerai pourrait donner du travail dans la Campine à plusieurs centaines d'ouvriers.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, l'honorable préopinant a témoigné le désir qu'un compte soit rendu à la chambre, lors de la discussion du budget des travaux publics, sur l'exécution des lois relatives aux concessions de chemins de fer. Si la chambre le désire, je m'empresserai de lui faire ce rapport. Mais dès aujourd'hui je puis lui donner l'assurance que les compagnies qui ont obtenu des concessions en Belgique, exécutent scrupuleusement les engagements qu'elles ont contractés vis-à-vis du gouvernement et du pays.
M. Sigart. - Toutes sans exception ?
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - A une exception près.
Ces compagnies ont viré les cautionnements auxquels elles étaient atteintes ; elles font étudier les projets définitifs qui leur sont demandés ; enfin, jusqu'à présent elles ont accompli toutes les conditions qui leur ont été impostes dan» les conventions et dans les cahiers des charges.
L'honorable préopinant a parlé des jeux de bourse qui ont lieu dans d'autres pays. Je crois ne pas devoir, dans ce moment, entretenir la chambre de cet objet ; mais par suite des sages dispositions que le gouvernement et les chambres ont adoptées dans les lois qui ont été votées à la dernière session, vous savez que la Belgique a été mise complétement à l'abri de ces jeux de bourse.
Quant aux concessions qui sont demandées, ainsi qu'il a été exprimé dans le discours de la Couronne, celles qui seront de nature à être présentées aux chambres pendant cette session devront au préalable avoir été soumises à l'instruction que les dispositions sur la matière exigent. Or, vous savez, messieurs, que cette instruction est fort complète. L'instruction exigée par les règlements sur la matière, demande un examen approfondi et de la part du corps des ponts et chaussées et de la part des commissions d'enquête et des députations permanentes des conseils provinciaux.,
L'honorable préopinant vous a parlé d'une demande qu'il m'a remise, en effet, il y a quelques jours, relativement au transport par le chemin de fer, des minerais de fer découverts dans la Campine. Je me suis empressé de soumettre cette demande à une instruction régulière. C'est là une question purement de tarif de chemin de fer, et je crois que d'ici à peu de jours il pourra être pris une décision à cet égard.
M. Dumortier. - Messieurs, je viens d'entendre M. le ministre des travaux publics nous dire que les sociétés à qui le gouvernement avait concédé des lignes de chemins de fer, remplissaient complétement leurs engagements- Dans ce cas je désirerais savoir comment il se fait (car ici vous sentez que chacun doit parler de ce qui se passe dans sa localité), qu'en ce qui concerne le chemin de fer de Jurbise qui, vous le savez, avait été complétement étudié dans toutes ses parties, non seulement aucun travail n'ait été entrepris, mais que même on n'ait pas encore commencé l'expropriation et l'achat des terrains.
On parle, messieurs, de la classe ouvrière et des moyens de lui donner du travail pendant l'hiver. Certainement l'exécution du chemin de fer est un excellent moyen de donner du travail pendant l'hiver à la classe ouvrière.
Je conçois que, pour la compagnie à qui la concession a été accordée, cette question est fort insignifiante ; mais, pour nous, elle a une très grande portée ; et dans la contrée que doit traverser cette ligne, on se plaint vivement de ce qu'on n'ait pas encore commencé, je ne dirai pas les travaux, mais même les acquisitions de terrains.
Je demande donc que M. le ministre des travaux publics veuille bien me faire l'honneur de me donner un mot de réponse sur ce point. J'espère qu'il voudra bien faire en sorte que les travaux commencent immédiatement sur cette ligne, d'autant plus que, comme je l'ai dit, lorsque le projet de loi approuvant la concession nous a été présenté, les études étaient complètes, et ainsi, pendant l'hiver, nos ouvriers qui seraient sans travail, particulièrement les ouvriers des campagnes, pourront trouver des moyens de subsistance.
D'un autre côté, messieurs, je dois engager le gouvernement à être extrêmement prudent quant aux concessions dont on vient de parler ; je l'engage surtout à être très sévère pour les cautionnements qui ont été versés. Si je suis bien informé, il y a déjà telles lignes qui ont été concédées, dont les actions ont été d'abord vendues à grandes primes à la bourse de Londres, et ne valent plus aujourd'hui que 7/10 de livre sterling, c'est-à-dire infiniment moins que ce qui a été versé. Vous voyez donc que nous avons été un peu vite dans l'ordre des concessions.
Que va-t-il arriver, messieurs ? C'est que, si les compagnies n'exécutent pas leurs engagements, les localités qui ont obtenu des promesses, viendront en demander l'exécution aux frais de l'Etat. Eh bien ! pour éviter de pareils inconvénients, je demande que le gouvernement se fasse fournir les cautionnements et qu'il soit extraordinairement sévère dans l'application des principes qui ont été portés dans les chartes de concessions.
Messieurs, je réitère ma demande principale ; il s'agit de savoir si vous donnerez du travail à la classe ouvrière et principalement aux ouvriers des campagnes, pendant l'hiver au moyen de l'exécution des nombreuses lignes qui ont été concédées. Lorsque nous nous sommes occupés des projets de loi accordant les concessions, on nous faisait entrevoir que ce serait un moyen de donner des moyens d'existence pendant l'hiver à la classe ouvrière. Je demande ce qu'on peut espérer à cet égard ?
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - L'honorable préopinant a appelé votre attention sur la ligne de chemin de fer de Tournay à Jurbise. Tous les projets définitifs concernant cette ligne, sauf la question de l'emplacement de la station d'Ath, sont maintenant définitivement approuvés par le gouvernement.
Quant au commencement des travaux, il dépend exclusivement des concessionnaires, car par le cahier des charges que vous leur avez imposé, il leur est accordé une année entière pour le commencement des travaux. Jusqu'à l'expiration de cette année, le gouvernement n'a aucune action sur la compagnie pour lui imposer l’obligation de mettre la main à l'œuvre. Dès lors vous comprendrez, et l'honorable M. Dumortier comprendra lui-même que l'action du gouvernement est purement persuasive ; et cette persuasion, j'ai cherché, dans toutes les occasions, à l'employer. En effet, je désire aussi vivement que l'honorable préopinant que l'exécution de ces travaux puisse procurer des moyens de subsistance à la classe ouvrière.
M. Savart-Martel. - De manière qu'on ne travaillera pas de sitôt !
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - J'ai lieu de croire qu'on travaillera très incessamment sur cette ligne, mais je ne puis donner aucune affirmation à cet égard.
Pour d'autres lignes on m'a fait concevoir la même espérance. La plupart des compagnies ont montré de l'empressement et ont donné l'assurance au gouvernement qu'elles seconderaient ses vues sur ce point. Mais il y a beaucoup de formalités à remplir avant de pouvoir mettre la main à l'œuvre. Il faut procéder aux expropriations, à la confection des plans définitifs, etc.
Du reste, je le répète, j'ai lieu d'espérer que d'ici à peu de temps (page 99) plusieurs de ces compagnies pourront procurer du travail à la classe ouvrière.
- La clôture est demandée.
M. Dolez. (contre la clôture). - Je n'aurai que deux mots à dire, ou plutôt qu'une simple interpellation à adresser à M. le ministre des travaux publics, à l’occasion du paragraphe dont on s'occupe. C'est pour un intérêt majeur. Je prie la chambre de croire que, sans cela, je n'insisterais pas. (Parlez ! parlez !)
- La clôture est mise aux voix et rejetée.
M. Dolez. - Messieurs, la chambre se rappellera que, dans sa session dernière, un système complet de communications nouvelles a été voté pour la province du Hainaut. La chambre se rappelle encore qu'il a été reconnu par le gouvernement et par elle que ce système devait être exécuté dans toutes ses parties, afin de conserver entre les différents bassins houillers l'équilibre qu'on a toujours cherché à y maintenir.
Cependant, messieurs, on m'assure que pendant que la plupart des communications nouvelles qui ont été votées sont en voie d'exécution, il y a une de ces voies à l'exécution de laquelle les concessionnaires se refusent.
Je demande au gouvernement s'il est bien formellement disposé à user de la rigueur la plus complète et surtout la plus pressante, afin de contraindre ces concessionnaires à l'exécution des obligations qu'ils ont contractée.
Il y a, messieurs, un double intérêt à agir ainsi. Il y a d'abord l'intérêt de la province, l'intérêt de localité, qui commande de ne pas exécuter une partie d'un système sans en exécuter en même temps l'autre partie. Mais il y a un autre intérêt, et cet intérêt est plus grave encore, si c'est possible, attendu que c'est un intérêt de moralité. Il importe que l'on sache bien que les votes que la chambre a émis n'étaient pas des votes de concours à des manœuvres d'agiotage, que tout ce que nous avons fait était éminemment moral, éminemment sérieux, et que ceux qui ne sont guidés que par l'espoir des avantages qu'ils trouveront dans des jeux de bourse, ne peuvent trouver dans le gouvernement ni dans cette chambre aucun genre de sympathie et d'appui.
Je désire donc que le gouvernement comprenne le devoir qui repose sur lui dans cette occasion, et j'espère qu'il saura rappeler ceux auxquels j'ai fait allusion, au respect des contrats et de la foi promise.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - L'intention du gouvernement est formelle à cet égard. Il cherchera, par tous les moyens à sa disposition à faire exécuter les volontés de la loi par les concessionnaires auxquels l'honorable préopinant vient de faire allusion. Je puis lui annoncer que les demandeurs en concession ont été déclarés concessionnaires des voies de communication dont il s'agit par arrêtés royaux du 13 de ce mois.
M. le président. - La parole est à M. Sigart. (La clôture ! la clôture !)
M. Sigart. - En présence de l'impatience de la chambre, je crois devoir renoncer à la parole.
- Le paragraphe est mis aux voix et adopté.
« Nous exprimons de nouveau le vœu, que le gouvernement de Votre Majesté puisse présenter le compte général de l'emploi des divers emprunts affectés à la construction des chemins de fer de l'Etat. »
- Adopté.
« L'armée connaît la sympathie que n'a cessé de lui montrer la représentation nationale. Cette sympathie, qui s'est manifestée si vive dans la discussion et le vote de la loi d'organisation définitive, était due à sa fidélité, à ses sentiments d'ordre et de patriotisme. »
- Adopté.
« Les propositions qui nous seront faites pour améliorer la législation des sucres, seront examinées avec la sollicitude que commandent les besoins du trésor et les divers intérêts des deux industries. »
- Adopté.
« Nous sommes heureux d'apprendre que l'équilibre entre les revenus et les dépenses pourra être maintenu. Toutefois, dans l'ignorance des sacrifices que les circonstances nous imposeront peut-être, l'obligation d'opérer de rigoureuses économies emprunte à ces circonstances mêmes un caractère plus impérieux.
- Adopté.
« Sire, ce n'est point sans une émotion profonde que nous avons entendu V. M. évoquer le souvenir des quinze années de travaux consacrés à la consolidation de notre indépendance et de notre prospérité nationales. Ces heureux résultats, auxquels V. M. a si puissamment concouru, lui assurent la continuation de notre dévouement et de la confiance dont le pays entoure le Roi qui s'est associé à ses destinées. »
Le gouvernement propose, par amendement, de remplacer ce paragraphe par le suivant :
« La chambre aime à se rappeler que la Constitution sur laquelle s'appuie la nationalité belge, est l'œuvre de la conciliation entre les hommes modérés de toutes les opinions. Persuadés comme vous, Sire, que ce même esprit de conciliation doit, pour le bonheur du pays, présider à la direction de ses plus chers intérêts, nous venons offrir à Votre.Majesté l'assurance du concours bienveillant que nous sommes disposés à prêter au gouvernement dans l'examen des mesures qui nous seront soumises. »
M. le président. - Cet amendement va être mis aux voix par appel nominal.
M. Delfosse. - Je prie la chambre de me laisser donner lecture d'une lettre que m'adresse à l'instant l'honorable M. Verhaegen :
La voici :
« Samedi, 2 1/2 heures.
« Mon cher collègue !
« Je me trouve en ce moment à la cour d'assises chargé, conjointement avec mes confrères. MM. Orts et Roussel de la défense du sieur Dandoy, accusé de tentalive d'assassinat ; et la parole va m'être accordée pour répliquer à M. le procureur général.
' « Ne pouvant pas abandonner mon client dans ce moment décisif, je vous prie de dire à la chambre que j'eusse voté contre l'amendement du ministère, et même contre l'adresse en cas d'adoption de cet amendement, s'il m'avait été possible d'arriver à temps.
« Tout à vous,
« Verhaegen. »
- L'amendement présenté par le gouvernement est mis aux voix par appel nominal.
88 membres répondent à l'appel nominal.
59 votent l'adoption.
25 votent le rejet.
4 s'abstiennent.
En conséquence l'amendement est adopté. Il remplacera le dernier paragraphe du projet d'adresse.
Ont voté l'adoption : MM. d'Anethan, de Breyne, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de la Coste, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d'Hoffschmidt, d'Huart, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumont, Duvivier, Fallon, Henot, Huveners. Kervyn, Lejeune, Liedts, Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Orban, Pirmez, Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Vilain XUII, Wallaert, Zoude, Biebuyck, Brabant, Clep, Coppieters.
Ont voté le rejet : MM. David, de Bonne, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Tornaco, Devaux, Dolez, Dumortier, Fleussu, Lange, Lesoinne, Loos, Lys, Manilius, Orts, Osy, Rogier, Savart, Sigart, Thyrion, Veydt, Anspach, Cans, Castiau.
Se sont abstenus :
MM. de Baillet, de Brouckere, Jonet et Pirson.
Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. de Baillet. - Je me suis abstenu parce que, d'un côté, je ne voulais pas refuser mon appui au chef libéral du cabinet ; parce que, d'un autre coté, je ne crois pas pouvoir appuyer un cabinet où il ne m'est pas démontré que M. le ministre de l'intérieur peut avoir une influence prédominante, et qu'on ne nous a pas fait connaître à quelle condition on prétend opérer une conciliation réelle.
M. de Brouckere. - Je m'en réfère au discours que j'ai prononcé dans une des séances précédentes.
M. Jonet. - Je n'ai pas voulu voter pour l'amendement, parce que, sans mentir à ma conscience, je ne pourrais pas dire que j'ai confiance dans le ministère composé comme il l'est.
Je n'ai cependant pas voulu voter contre, car il serait possible que je me trompasse dans l'objet de mes craintes ; il serait possible que, contre certaines apparences, ce ministère fût propre à faire le bien du pays, en conservant la Constitution intacte, en donnant à chacun ce qui lui vient, et aussi en ne cédant à personne ce qui ne lui appartient réellement pas ; et si cela devait arriver, je serais aux regrets d'avoir entravé sa mission, en lui ôtant les moyens et le temps de développer ses projets de liberté pour tous, et d'indépendance pour le pouvoir civil.
M. Pirson. - Quoique sans défiance pour le ministère actuel à qui je prêterai mon concours s'il tient les promesses qu'il a faites dans cette assemblée, ne pouvant cependant m'engager à le soutenir, alors qu'il n'a pris aucun engagement envers nous, et qu'il n'a posé aucun acte caractéristique d'où je puisse induire quelle sera sa conduite politique, je me suis abstenu.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble de l'adresse ; en voici le résultat :
89 membres sont présents.
65 adoptent.
25 rejettent.
1 (M. Jonet), s'abstient. En conséquence le projet d'adresse est adopté. Ont voté l'adoption :
MM. d'Anethan, de Baillet, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de la Coste, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d'Hoffschmidt, d'Huart, Dolez, Donny, Dubus (aine), Dubus (Albéric), Dumont, Duvivier, Fallon, Henot, Huveners, Kervyn, Lejeune, Liedts, Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Orban, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Vilain XUII, Wallaert, Zoude, Biebuyck, Brabant, Clep, Coppieters.
Ont voté le rejet : MM. David, de Bonne, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Tornaco, Devaux, Dumortier, Fleussu, Lange, Lesoinne, Loos, Lys, Manilius, Orts, Osy, Rogier, Savart, Sigart, Thyrion, Verhaegen, Veydt, Anspach, Cans, Castiau.
M. Jonet. - Je m'en rapporte, pour motiver mon abstention à ce que j'ai dit tout à l'heure.
M. le président. - Il va être procédé, par la -voie du sort, à la nomination d'une commission qui sera chargée, avec le président, de présenter l'adresse au Roi.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je crois qu'il serait bon de fixer d'abord l'ordre du jour de la prochaine séance. Je demanderai à la chambre de bien vouloir s'occuper du projet de loi sur les traitements d'attente et les toelagen. Il importe que ce projet soit promptement discuté, car plus tard la position des parties ne serait peut-être plus la même.
M. Osy. - J'appuie la proposition de l'honorable ministre des finances ; mais je demanderai que la chambre mette également à son ordre du jour le rapport de M. de Garcia sur certaines pensions arriérées. Ce sont de ces questions qu'il faut vider par un oui ou par un non, car tous les jours il nous arrive des réclamations.
M. de La Coste. - Je demanderai que cette deuxième affaire, qui a une portée beaucoup plus politique que financière, ne soit pas traitée seulement en présence de M. le ministre des finances, mais d'autres membres du cabinet et notamment de MM. les ministres de la justice et de l'intérieur.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je demande à la chambre de mettre également à l'ordre du jour le projet de loi sur les attentats aux mœurs sur lequel il a été fait rapport par M. Van Cutsem. Il est urgent que ce projet soit discuté, car d'après les rapports qui me sont parvenus il est fort désirable de combler le plus tôt possible la lacune qui existe maintenant dans la législation.
- Les propositions de M. le ministre des finances, de M. Osy et de M. le ministre de la justice sont successivement mises aux voix et adoptées.
- La chambre fixe ensuite sa prochaine réunion à mardi à 2 heures.
M. le président procède au tirage au sort de la commission qui sera chargée, conjointement avec lui, de présenter l'adresse au Roi.
Cette commission est composée de MM. Goblet, Dumont, Wallaert, Pirmez, de Man d'Attenrode, Rogier, Lesoinne, Dolez, Orban et Biebuyck.
La séance est levée à 3 heures et 1/2.