(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 1413) (Présidence de M. Vilain XIIII, vice-président)
M. Huveners procède à l’appel nominal à deux heures un quart.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est approuvée.
M. Huveners fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.
« Le conseil communal de Roeulx demande l’adoption de la proposition de loi sur les céréales, signée par 21 députés. »
« Même demande de plusieurs habitants de Hoelbeck, Hoesselt, Bilsen, Alken, Martenslinde, Looz ».
- Sur la proposition de M. Desmet, renvoi à la section centrale chargée d’examiner la proposition de loi.
« L’administration communale et plusieurs agriculteurs de Cumptich demandent des modifications à la loi sur les céréales. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner les propositions de loi sur les céréales.
« Plusieurs habitants de Moresnet, de Limbourg et de Verviers, demandent le rejet des propositions de loi sur les céréales. »
« Même demande de plusieurs brasseurs du canton d’Antoing. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Huy présente des observations en faveur du chemin de fer projeté entre Liège et Namur. »
- Renvoi à la commission chargée d’examiner le projet de loi concernant ce chemin de fer.
« Le conseil communal du Roeulx présente des observations contre le chemin de fer projeté de Manage à Mons. »
- Renvoi de la commission chargée d’examiner le projet de loi relatif à cet objet.
« Plusieurs cultivateurs de Villers-le-Ville demandent le rejet du projet de loi sur les céréales. »
- Renvoi à la section centrale, chargée d’examiner le projet de loi.
« Le sieur Santlus, inspecteur surveillant à l’école centrale de commerce et d’industrie, qui a obtenu la naturalisation ordinaire, prie la chambre de l’exempter du droit d’enregistrement ou de l’autoriser à n’acquitter ce droit que par cinquième d’année en année. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Devaux – La chambre a reçu le rapport de la section centrale sur le projet de loi ayant pour but de mettre le canal de Bruges à Gand sur la même ligne que le canal de Terneuzen. Le projet est présenté depuis plusieurs mois, le rapport est déposé depuis plusieurs jours. Cet objet est, pour ainsi dire, en suspens depuis le traité avec la Hollande ; car il s’agit de décréter une conséquence du traité. Je demande que ce projet de loi qui occupera la chambre très-peu de temps, soit mis à l’ordre du jour après les objets qui y sont dans ce moment. Si le projet de loi n’était pas mis à l’ordre du jour immédiatement, il serait probablement ajourné à une autre session ; ce serait une perte pour le commerce, dont on reconnaît que les réclamations sont justes, et qui attend depuis plusieurs années qu’il y soit fait droit.
- La proposition de M. Devaux est mise aux voix et adoptée.
M. Smits – J’ai eu l’honneur de faire samedi un rapport au nom de la commission d’industrie sur une rectification devenue indispensable à la loi des droits différentiels. J’avais demandé que cet objet fût mis à l’ordre du jour après les objets qui y sont déjà ; mais la chambre n’a pas pu prendre de résolution, parce qu’elle n’était pas en nombre. Vu l’urgence, je renouvelle ma demande pour que cet objet soit mis à l’ordre du jour immédiatement après le projet de loi dont l’honorable M. Devaux vient d’entretenir la chambre.
M. Donny – Je m’oppose à ce que le projet soit dès à présent mis à l’ordre du jour. Il ne s’agit ni plus ni moins que de la suspension partielle pendant quatre ans d’une des dispositions les plus essentielles, les plus importantes de la loi sur les droits différentiels. C’est, si je ne me trompe, le bouleversement de ce que vous avez décidé il y a quelques mois. Je crois que vous pourrez décider ultérieurement la mise à l’ordre du jour ; il ne faut pas tant se presser ; il faut le temps de s’éclairer.
M. Smits – Ce n’est nullement le bouleversement de la loi des droits différentiels que la commission d’industrie vous a proposé, messieurs ; c’est une simple rectification. D’ailleurs, la chambre a pu en juger déjà, par le rapport qui a été inséré dans le Moniteur d’hier et qui sera imprimé et distribué demain ; et elle a pu se convaincre que c’est simplement la rectification d’une erreur qui a été commise.
Qu’a-t-on voulu par la loi des droits différentiels ? c’est de favoriser les arrivages directs, les importations directes des pays transatlantiques et des Grandes-Indes ; et c’est pour cela que la législature a frappé de plus hauts droits les arrivages des ports d’Europe.
Mais plus tard, la chambre est revenue sur ce système ; elle a diminué les droits sur les arrivages des entrepôts européens ; mais elle n’a pas appliqué cette diminution à toutes les catégories des importations assimilées à ces derniers. Il y a, par conséquent, une erreur commise ; et c’est cette omission, cette erreur qu’on propose de rectifier.
Du reste, on pourra examiner la question. Mais rien n’empêche la mise à l’ordre du jour de la proposition de la commission d’industrie. Il y a, d’ailleurs, urgence ; car toutes les importations en sucres des pays transatlantiques, par navires étrangers, sont suspendues.
M. Donny – Si j’envisageais la chose du même point de vue que l’honorable préopinant, si je croyais qu’il ne s’agit que d’une simple erreur à rectifier, loin de m’opposer à la mise à l’ordre du jour immédiate de la proposition dont il est question, je l’aurais demandée. Mais c’est parce que pour moi la question est bien plus importante qu’elle ne le paraît à l’honorable membre, que je me suis opposé à la mise à l’ordre du jour.
Voici, messieurs, la conséquence possible de la mise à l’ordre du jour immédiate : chacun des objets qui se trouvent aujourd’hui à l’ordre du jour peut, par suite d’un incident ou d’un autre, être discuté demain ou après-demain, et vous pouvez ainsi être amenés à vous occuper de la proposition de la commission d’industrie sans avoir eu le temps de l’examiner. Si j’avais la certitude que cette proposition ne viendrait en discussion que dans sept ou huit jours, je ne m’opposerais pas à la motion de l’honorable M. Smits, mais je crains que la chambre n’ait pas un délai suffisant pour s’éclairer.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, je crois que l’honorable membre peut être complètement rassuré, en mettant à la suite de l’ordre du jour la proposition de la commission d’industrie ; il me paraît évident que la discussion ne pourra en venir avant la fin de la semaine.
M. Donny – Si la discussion de cette proposition ne doit venir qu’à la fin de la semaine, je ne m’oppose plus la mise à la suite de l’ordre du jour.
- La chambre décide que la proposition de la commission d’industrie sera mise à la suite des objets à l’ordre du jour.
M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) présente un projet de loi tendant à allouer au département de la guerre un crédit complémentaire de 21,022,000 francs, pour faire face aux dépenses de ce département pendant l’exercice 1845.
M. le président – Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi. Il sera imprimé et distribué.
La chambre veut-elle le renvoyer à l’examen des sections ou d’une commission ?
Un membre – A le section centrale qui a examiné le projet de loi d’organisation de l’armée.
M. Rodenbach – Il existe une section centrale pour l’examen du budget de la guerre. Une seule section n’a pas nommé son rapporteur. Il me semble rationnel de lui renvoyer le projet de loi qui vient d’être présenté.
L’organisation de l’armée était une toute autre question. La loi de budget est une loi financière. Il n’y a plus, je pense, qu’un membre à nommer ; la section que ce membre doit représenter doit être invitée à le désigner. C’est tout ce qu’il y a à faire.
M. le président – Il résulte des renseignements du bureau qu’il n’y a qu’un seul rapporteur nommé, c’est celui de la troisième section.
M. Rodenbach – Alors, il faudrait renvoyer le projet de loi à la section centrale de l’année dernière.
M. Lys – Nous avons déjà accordé deux crédits provisoires dans le cours de cet exercice. Ces crédits ont été examinés par la section centrale du budget de la guerre de l’année dernière. Il me semble qu’il faudrait en faire autant aujourd’hui.
- La chambre, consultée, renvoie le projet à la section centrale qui avait été chargée de l’examen du budget de la guerre pour l’exercice de 1844.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) présente : 1° un projet de loi tendant à réprimer la désertion dans la marine marchande et la contrebande des gens de mer ; 2° un projet de loi tendant à accorder au département de la justice un crédit supplémentaire pour payer des dépenses arriérées de l’administration du Moniteur.
(page 1418) M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, une partie de la chambre a paru attacher une assez grande importance à l’adoption de l’amendement proposé par l’honorable M. Dumortier ; j’ai déclaré, dans la séance de samedi dernier, que, pour moi, je n’y en attachais aucune, par la raison que j’ai indiquée, que, sauf de rares exceptions, les canaux ne pourront être concédés qu’à l’aide de subsides fort élevés, ce qui suppose toujours l’intervention de la législature.
Je ne connais pas de canal non concédé qui puisse être construit sans le concours de l’Etat. Le premier en rang d’importance est, chacun le sait, le canal de jonction de Mons à la Sambre ; eh bien, à la lecture du travail de M. Vifquain, on peut se convaincre que ce canal ne peut être exécuté qu’à l’aide de quelques millions de subside, afin d’amener des péages modérés sans lesquels l’importance de ce canal n’existerait pas.
J’ai expliqué, samedi dernier, messieurs, les raisons qui ont porté le gouvernement à préférer jusqu’ici le mode de l’arrêté royal de 1836, c’est-à-dire l’instruction administrative pour les concessions de canaux. Plusieurs honorables membres ont prétendu, que la loi de 1832, sainement interprétée, aurait ôté au gouvernement le droit qu’il a cru devoir y puiser. Messieurs, les termes de la loi de 1832 donnait ce droit au gouvernement, et il en a usé. Pour l’avenir, je ne vois aucune difficulté à adopter l’amendement de l’honorable M. Dumortier ; seulement, je pense que cette mesure sera inutile dans ses résultats. Au lieu d’une instruction administrative, vous aurez une instruction parlementaire, et comme les concessions de canaux doivent être très-peu nombreuses, et que, sauf de rares exceptions, le concours de l’Etat sera toujours nécessaire, je ne vois aucun inconvénient à ce que la législature examine les concessions de canaux comme elle examine les concessions de chemins de fer. Je dois l’avouer, l’amendement introduit en 1842, relativement aux chemins de fer, contenait en germe l’amendement de l’honorable M. Dumortier ; les raisons ne sont pas les mêmes sans doute, mais elles sont analogues et la différence n’est pas assez grande pour que j’insiste et que je m’oppose à l’adopter de cet amendement.
Seulement, messieurs, je ne puis pas accepter la discussion qui a eu lieu comme pouvant avoir pour sens de jeter la moindre défaveur pour les projets de concessions présentés par le gouvernement. Je suis, pour ma part, un partisan très-décidé de l’action directe de l’Etat dans les travaux publics et si en 1834, j’avais eu l’honneur de siéger dans cette enceinte, j’aurais défendu de toutes mes forces le principes qui a prévalu, c’est-à-dire la construction et l’exportation du chemin de fer de l’Etat. Mais je considère le réseau de nos grandes lignes, créé d’après les lois de 1834 et de 1837 comme ayant un double but : rattacher la Belgique aux pays étrangers, et rattacher les chefs-lieux de nos provinces à un centre commun.
Je regarde ce système comme devant être complet lorsque vous aurez voté les lois relatives aux chemins de fer de Jurbise et de Hasselt.
Je pense, messieurs, que ce serait une faute grave de la part du gouvernement, que de repousser maintenant le concours de l’intérêt privé lorsque nos grandes lignes sont achevées. Il me paraît qu’en prenant toutes les précautions nécessaires, nous pouvons, sans aucun inconvénient, concéder les lignes qui viennent s’embrancher au railway national et qui sont destinées à en augmenter considérablement le mouvement et les produits.
Ainsi, messieurs, je n’accepte pas la discussion dans ce sens qu’elle tendrait à jeter quelque défaveur sur les projets présentés à la chambre. Du reste, lorsque la discussion de ces projets viendra, je démontrerai que toutes les garanties ont été prises, et quant au caractère sérieux que doivent avoir les compagnies et pour prévenir tous les abus possibles.
(page 1413) M. de Naeyer – Messieurs, j’avais demandé la parole dans la séance de samedi dernier pour fixer le sens de l’amendement de l’honorable (page 1414) M. Dumortier. L’honorable M. Dumortier n’a pu vouloir qu’introduire dans la législation une disposition qui ne s’y trouvait pas auparavant, et non pas interpréter la loi de 1832 ; car il est évident que la loi n’a pas besoin d’interprétation ; il est évident qu’elle parle uniquement de la canalisation des fleuves et des rivières, et que dès lors on ne peut pas l’appliquer aux canaux proprement dits. Canaux, mêmes latéraux, et canalisation de fleuves et de rivières, sont deux choses essentiellement différentes. Lorsque l’on construit un canal dans une vallée à côté d’un fleuve ou d’une rivière, il n’y a plus une seule voie d’eau, il y en a deux ; tandis que si vous vous bornez à canaliser un fleuve ou une rivière, vous n’avez jamais qu’un seul cours d’eau. Cette différence est importante, sous le rapport du régime des eaux. La canalisation d’un fleuve ou d’une rivière peut présenter de graves inconvénients ; d’abord, à cause du préjudice qui peut être causé de cette manière aux usines établies ; ensuite parce que, du moment où cette canalisation est concédée à des particuliers, il est souvent extrêmement difficile de concilier les intérêts de la navigation et ceux des propriétaires riverains. Il résulte souvent des difficultés nombreuses et graves de la double destination des rivières et fleuves canalisés, et il importe de prendre à cet égard des précautions qui ne sont pas nécessaires lorsqu’il n’est question que de canaux même latéraux, c’est-à-dire qui ne sont pas établis en lit de rivières ou fleuves.
Il est donc assez naturel qu’on ait limité les pouvoirs du gouvernement quant à la concession de la canalisation de fleuves et de rivières, sans limiter ces pouvoirs en ce qui concerne la concession de canaux proprement dits. Je crois qu’il est suffisamment établi que c’est là le sens de la loi, et je n’insisterai pas sur ce point. J’ai cru toutefois devoir attirer l’attention de l’assemblée sur le sens de l’amendement de l’honorable M. Dumortier, parce que, d’après les explications données par l’honorable membre, il aurait semblé qu’il voulait interpréter la loi. Or, cela n’est pas admissible, car, d’abord, la loi qu’il s’agirait d’interpréter n’existe plus ; c’est une loi provisoire dont la durée est expirée. Ensuite on n’interprète une loi que lorsqu’elle soulève des doutes, et ici aucun doute ne pourrait exister.
M. Verhaegen – Messieurs, on a parlé, dans la dernière séance, d’agiotage, mais on n’a pas dit le dernier mot à cet égard, et je crois qu’il ne sera pas inutile de compléter la pensée.
C’est une question de haute moralité que nous avons à traiter et, surtout, au point de vue de la position toute spéciale dans laquelle la Belgique vient d’être placée.
Dans la séance de samedi, mon honorable ami M. Rogier a qualifié comme elle méritait de l’être, cette fièvre d’agiotage qui se répand à la suite de ces nombreuses demandes de concessions de chemins de fer. Messieurs, nous avons vu naguère des fortunes considérables se fondre, des pères de famille courir à leur ruine en jouant à la hausse ou à la baisse sur ces nombreuses actions industrielles ; je crains fort que les mêmes désastres ne se reproduisent un jour au sujet des actions des chemins de fer.
On a beau se le dissimuler, l’agiotage s’est déjà emparé des concessions éventuelles de chemins de fer ; depuis plusieurs jours on cote à la bourse de Londres les actions de chemins de fer dont les projets sont à peine établis sur le papier. L’honorable M. Rogier a énoncé à cet égard une opinion qui a été combattue par l’honorable M. Meeus, et c’est à la suite de cette controverse que j’ai demandé la parole.
L’honorable M. Meeus trouve qu’il n’y a pas d’agiotage lorsqu’on ne fait qu’apprécier à leur juste valeur les objets que l’on vend. Ce sont là les expressions dont il s’est servi. Il pense que les sociétés qui se sont formées étaient sérieuses, et les associés, d’après les bases que l’on adopte en Angleterre, étant solidaires, il n’y a rien à craindre ; car, dit-il, ces sociétés ne présentent pas les mêmes dangers que les sociétés anonymes ! (La leçon dans la bouche de M. Meeus est précieuse !) Mais, messieurs, les observations faites par l’honorable M. Rogier ne portent pas sur le plus ou le moins de solidité des sociétés, sur le plus ou le moins de solvabilité de leurs membres ; mais elles se rattachent à l’objet des sociétés. Ainsi, je puis fort bien admettre, avec l’honorable M. Meeus, qu’il n’y a pas d’agiotage lorsqu’on apprécie à sa juste valeur l’objet qu’on vend. Mais certes lorsqu’on vend un objet qui n’existe pas, il y a agiotage, agiotage dans toute la force du terme ; or, l’honorable M. Rogier a établi que tous les chemins de fer projetés dans notre pays sont dès à présent cotés à la bourse de Londres, quoiqu’ils ne soient pas encore approuvés par la législature ; car il n’y a que le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse dont nous ayons approuvé la concession il y a quelque temps.
Messieurs, les nombreux projets soumis en ce moment à nos délibérations et qu’on s’est borné à renvoyer à l’examen d’une commission spéciale, tant il y a urgence, sont jetés déjà en pâture aux spéculateurs de bourse ; on verra bientôt se reproduire dans notre pays ce scandale qu’on a eu à déplorer en France, où six sociétés, qui s’étaient constituées pour la concession d’un seul chemin de fer, ont vu leurs actions cotées à la bourse avec un agio plus ou moins considérable, alors cependant qu’une seule société, d’après le résultat, pouvait offrir quelque chose de réel et que les cinq autres n’avaient pour base qu’une chimère.
N’avons-nous pas eu pour le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse deux sociétés aussi ? La concession a été accordée à l’une, et l’autre n’a rien obtenu, et cependant il n’y a pas de raison pour que l’agiotage ne se soit pas emparé de toutes les deux.
Messieurs, il y aura agiotage chaque fois qu’on parlera de société, de concession, et cet agiotage ira en croissant, en raison des noms qu’on mettra en avant.
Ainsi, l’on dit déjà à Londres que telle ou telle société, à la tête de laquelle se trouvent, comme administrateurs ou comme commissaires, certains fonctionnaires belges haut placés, ou certains membres des chambres législatives, a plus de chance de succès que telle ou telle autre société, à la tête de laquelle ne se trouvent que de simples particuliers, et la cote se ressent de ces observations. Il est donc de notre dignité, messieurs, d’user de réserve et de prudence.
J’ai reçu ce matin une lettre de Londres où l’on me propose ni plus ni moins que de prendre, avec quelques-uns de mes amis politiques, la direction d’une société nouvelle ayant de grands capitaux et qui compte dans son sein des membres du parlement anglais très-influents. J’ai repoussé cette proposition, comme elle méritait de l’être. Si nous avions le malheur de nous laisser entraîner par des considérations d’intérêt personnel, le danger signalé par notre honorable collègue M. de Haerne serait imminent.
L’honorable M. de Haerne, dans la séance de samedi, disait avec beaucoup de raison :
« Je partage la crainte manifestée par l’honorable M. Rogier, quant à l’agiotage.
Il est vrai que cet agiotage, d’après les précautions prises par le gouvernement, ne paraît pas devoir être dangereux pour les indigènes ; mais s’il allait trop loin à l’étranger, il pourrait en résulter un effet fâcheux pour le pays sous le rapport politique, il pourrait nuire à sa considération et à la considération de son gouvernement. De cette observation, je ne conclus pas qu’il faille s’opposer au mouvement des capitaux qui affluent chez nous, mais qu’il faut être prudent. »
Eh bien, si à la suite des opérations nombreuses qui vont avoir lieu, si à la suite de cet agiotage qui se présente sous les formes les plus effrayantes, on allait dire à l’étranger que tel ou tel honnête fonctionnaire belge, tel ou tel membre des chambres a un intérêt pécuniaire dans les sociétés qui se forment sous son égide, la moralité belge serait en jeu, notre responsabilité serait énorme.
Pour mon compte, je le déclare, quelle que soit la position où je puisse me trouver, quels que soient les avantages qui puissent y être attachés, jamais je ne consentirai à être administrateur ou commissaire dans aucune de ces sociétés ; jamais je n’y prendrai intérêt, ni directement ni indirectement. Je prends, à cet égard, l’engagement le plus formel.
Il serait à désirer qu’au sein de la représentation nationale il n’y eût qu’une seule voix pour faire la même déclaration.
M. le président – La parole est à M. Lejeune.
M. Lejeune – Comme je ne veux pas parler sur l’agiotage, je renonce pour le moment à la parole.
M. Dumortier – Je désire répondre deux mots à l’interpellation de mon honorable collègue M. de Naeyer.
L’honorable M. de Naeyer m’a demandé dans quel sens il fallait entendre la proposition que j’ai eu l’honneur de faire et à laquelle le gouvernement s’est rallié. Messieurs, cette proposition est excessivement simple. Par la loi précédente, le gouvernement avait le droit de concéder les canaux à l’exception de la canalisation des rivières. Nous voulons aujourd’hui que les canaux de plus de 10 kilomètres ne soient concédés que par un acte de la législature.
Quant à l’autre question soulevée par mon honorable collègue, de savoir comment j’entends la loi votée en 1832, j’ai déjà eu l’honneur de dire que je suis l’auteur de l’amendement qui a été adopté et que je n’ai jamais entendu l’amendement dans un autre sens que celui-ci : c’est que toute canalisation de rivière navigable et toute création de canal latéral à des rivières navigables étaient du domaine de la législature. On ne l’a jamais entendu autrement. Et pourquoi, messieurs ? Parce que, par des créations semblables, on peut nuire à des intérêts privés et à des intérêts de l’Etat. Ainsi, si tel canal était concédé par arrêté ministériel, vous pourriez voir diminuer votre budget d’un million ou d’un million et demi de recettes. Croyez-vous, par exemple, que si le gouvernement allait concéder un nouveau canal de Charleroy à Bruxelles, pour mettre les charbonnages du Flénu en rapport avec l’Escaut, vous pourriez vous attendre à voir vos recettes diminuer d’un million ? Vous avez racheté les canaux à grands prix. Il est impossible de supposer que le gouvernement eût pu accorder des concessions qui en seraient venues supprimer les revenus.
C’est dans ce sens, messieurs, que j’ai entendu l’amendement qui a été adopté en 1832, et je crois que la chambre n’a pu l’entendre autrement. Il est impossible de supposer qu’il ait appartenu au gouvernement d’accorder de sa pleine autorité des concessions de nature à amender des déficits considérables. Le gouvernement n’est pas majeur en pareille matière ; il ne peut gérer les affaires de l’Etat de manière à le ruiner.
M. Rodenbach – Messieurs, je suis aussi ennemi de l’agiotage que l’honorable député de Bruxelles. Mais je crois qu’en Belgique il y a trop de probité publique pour qu’une loi, telle que celle qui a été proposée en France, y soit nécessaire. Je ne pense pas qu’on puisse accuser aucun de nos honorables collègues de s’être livré à l’agiotage, soit sur des chemins de fer soit sur toute autre entreprise.
Quant à la réputation qu’on pourrait nous faire à l’étranger, je crois que nous n’avons rien à en craindre ; la loyauté du peuple belge est bien trop connue.
Messieurs, c’est aux membres de la chambre à savoir s’ils veulent prendre des actions ou non dans les entreprises de chemins de fer. Quant à moi, je ne voudrais pas plus que l’honorable préopinant, prêter les mains à aucune espèce d’agiotage ; mais je dis que si l’Angleterre veut nous envoyer des millions pour faire des travaux utiles au pays, nous ne devons pas les repousser.
La Belgique, messieurs, offre de grandes ressources ; quoi qu’on en dise, (page 1415) c’est un pays riche ; son agriculture est riche. Si, comme on l’a avancé, les Anglais se contentent d’un revenu de 3 ou 4 p.c., je ne vois pas qu’il y ait agiotage de leur part à s’intéresser dans les entreprises de chemin de fer qui sont annoncées. Car j’ai la conviction intime que, notamment dans les Flandres, les chemins de fer qu’il s’agit d’y construire, rapporteront au moins 3 à 4 p.c.
Nos spéculateurs, messieurs, ne se contentent pas de pareils bénéfices. Pour s’intéresser à ces entreprises, il faudrait qu’ils eussent l’espoir d’en tirer un revenu de 12 à 15 p.c. Nous ne devons donc pas craindre qu’ils risquent leurs fonds trop légèrement ; ils seront extrêmement prudents.
Messieurs, si nous avons insisté pour le renvoi immédiat à une commission des projets relatifs à différentes concessions de chemin de fer, qui nous ont été présentés, c’est que nous avons cru, comme nous croyons encore, que des compagnies qui commencent par verser un cautionnement d’un million, sont des compagnies sérieuses et que dès lors le pays ne risque rien.
Messieurs, tout le monde sait que sur toutes les bourses de l’Europe, il y a de l’agiotage ; mais il n’est pas en notre pouvoir de l’empêcher. Je crois qu’il y a de l’agiotage à Londres, mais il y en a aussi à Paris sur les chemins de fer ; il y en a à Amsterdam sur les rentes de l’Etat. L’agiotage est en quelque sorte inhérent à l’institution des bourses. Mais, je répète, ce n’est pas un motif pour repousser les millions qui nous viennent de l’étranger. Si des Belges, messieurs, veulent acheter des actions, ils seront assez prévenus par les discours des honorables membres, pour ne pas se laisser duper.
Je sais qu’en 1837 et 1838, des familles honorables ont été victimes de l’agiotage. Mais ceux qui se livrent à des spéculations hasardeuses dans l’espoir de faire une fortune rapide, savent qu’ils risquent de perdre ce qu’ils possèdent. D’ailleurs, messieurs, il est des sociétés anonymes fondées à cette époque et qui donnent aujourd’hui des revenus considérables. Je citerai les hauts fourneaux. Plusieurs de ces sociétés, que l’on croyait en très-mauvais état, prospèrent ou vont prospérer par suite de la grande quantité de fer qu’exigent les nombreux railways que l’on construit.
Je citerai aussi, dans les Flandres, les filatures de lin à la mécanique. Ce sont encore des sociétés dont on a blâmé la création ; cependant, elles sont aujourd’hui très-prospères ; elles retirent des revenus trois et quatre fois plus considérables que ceux que l’on obtient sur les propriétés foncières. Les actionnaires ont donc fait une excellente spéculation en s’intéressant dans ces filatures.
Si j’entre dans tous ces détails, messieurs, c’est pour vous prouver que l’on ne peut pas toujours regarder comme guidées par un but d’agiotage, les sociétés qui se forment. Il en est de même pour les chemins de fer. Plusieurs de ces entreprises rapporteront un revenu assez considérable. Certainement il peut y en avoir de mauvaises, mais c’est à ceux qui achèterons des actions à examiner la confiance qu’elles méritent.
M. Meeus – Messieurs, je dois quelques mots de réponse à l’honorable M. Verhaegen. Car je pense qu’il n’a pas bien compris le sens de mes paroles à la dernière séance.
J’ai dit, messieurs, que les sociétés anglaises qui s’étaient présentées pour faire des chemins de fer en Belgique étaient des sociétés sérieuses, qu’elles présentaient des garanties et que ces sociétés étaient solidairement responsables, la prime dont jouissaient leurs actions ne pouvait être regardée comme de l’agiotage, parce qu’il n’y avait pas la chance à courir que présente l’émission d’actions de sociétés anonymes, quand le capital entier n’est pas versé. Je m’explique.
L’honorable M. Rogier, si ma mémoire est fidèle, avait dit : On n’a versé que 2 liv. sterling, et la prime est de 8. Si on avait émis des actions de sociétés anonymes sur lesquelles on n’eût fait qu’un simple versement de deux livres, qu’on pourrait abandonner, si l’affaire ne réussissait pas, il serait vrai de dire que cette prime serait réellement énorme ; mais lorsque les associés sont engagés personnellement, solidairement, peu m’importe que le capital ait été versé ou ne l’ait pas été ; il est de fait qu’il peut être appelé d’une manière certaine, à mesure que les besoins de l’entreprise l’exigeront.
Puisqu’il s’agissait du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, si je n’avais pas crains d’abuser des moments de la chambre, j’aurais pu citer ce qui s’était passé dans une autre occasion. On avait formé en Belgique une société pour la même entreprise ; un premier versement de 500,000 francs avait été effectué. La catastrophe de 1839 est survenue : comme il s’agissait ici d’une société anonyme, et que le capital n’avait pas été intégralement versé, qu’est-il arrivé ? Les associés ont abandonné le versement qu’ils avaient fait, et le chemin de fer n’a pas été exécuté ; alors le gouvernement est intervenu ; il n’a pas même voulu faire perdre aux personnes qui avaient opéré ce versement les sommes qui se trouvaient déposées, j’ignore dans quelle caisse, et l’on a retiré la concession.
Je dis qu’un semblable événement ne peut pas se reproduire, lorsque vous avez affaire à des sociétés constituées de la manière dont le sont les sociétés anglaises, sociétés où les associés sont solidairement responsables.
D’ailleurs, messieurs, vous savez que le gouvernement a pris toutes les garanties désirables, et que de forts cautionnements ont été versés.
L’honorable M. Verhaegen vous a dit qu’il n’y a pas seulement prime pour les chemins de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, mais qu’il y a prime également sur les actions des autres chemins de fer dont la concession n’est pas encore accordée par la législature. L’honorable membre a établi une comparaison entre ce qui existe en France et ce qui se passe chez nous ; cette comparaison n’est pas exacte ; en France, il y a, à la vérité, comme le dit l’honorable préopinant, six sociétés formées pour l’obtention d’une seule concession ; mais le gouvernement français n’a pas encore accordé cette concession, tandis qu’en Belgique on a accordé la concession, sauf la ratification de la législature. Des projets sont présentés… (Interruption.)
L’honorable M. Verhaegen, qui m’interrompt, voudra bien convenir avec moi que des associés qui ont obtenu du gouvernement une concession, et qui n’attendent plus que la ratification de la législature, ont quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent, d’obtenir la concession par préférence, puisque leur travail a été élaboré par le conseil des ponts et chaussées, et que le gouvernement y a déjà donné son approbation. Il peut certainement arriver qu’un de ces projets soir rejeté ; mais il faut convenir que ce sera là une exception.
En France, au contraire, il n’y a, de la part du gouvernement, aucune approbation, aucun encouragement quelconque ; ce sont simplement des sociétés qui se forment, à l’abri de la réputation de quelques grands capitalistes ; on fait des actions, on les émet, et il s’est trouvé six sociétés de formées, pour une concession qui peut-être ne sera jamais accordée ; ces actions jouissent d’une prime de 20 à 25 p.c., c’est-à-dire que les primes des six sociétés constituent un capital supérieur à 50 p.c. à celui qui serait nécessaire pour l’exécution de l’entreprise. Si ce n’est pas de l’agiotage, alors je ne comprends plus ce mot ; mais appliquer le mot agiotage à toutes les entreprises, comme a semblé le faire l’honorable M. Verhaegen ; faire consister l’agiotage dans la hausse et dans la baisse que peuvent subir certains fonds, par suite d’événements quelconques, je crois que c’est tout confondre.
L’honorable membre a cité ce qui s’est passé en 1836, en 1837, en 1838 et 1839 ; je ne dis pas qu’il n’y ait pas eu quelqu’agiotage durant ces années ; il est impossible qu’il en soit autrement dans les affaires de bourse ; il y aura toujours, pour les affaires même les plus sérieuses, un certain agiotage ; mais il ne faut pas déprécier, ravaler ce qui a été fait pendant les années que je viens d’indiquer ; les hommes qui se sont alors occupés de doter la Belgique de magnifiques entreprises de hauts fourneaux, de charbonnages ont créé dès lors pour la Belgique des sources immenses de prospérité et de richesses. Mais, parce qu’une catastrophe immense a pesé en 1839 sur la Belgique, qu’il y a eu, non pas agiotage, mais dépréciation de tout, est-ce à dire qu’il n’y a pas eu d’entreprises utiles ? Messieurs, il suffira de parcourir le pays, et de se rappeler ce qu’était le pays après la révolution, en 1832 et 1833. Qu’on parcoure aujourd’hui les bassins houillers et l’on verra comment ces bassins ont été développés, comment l’extension des charbonnages a augmenté la richesse nationale.
En 1833, par exemple, nous vendions à la France (et nous ne savions pas extraire et vendre davantage, faute de capitaux), en 1833, nous vendions à la France 3,500 à 4,000 bateaux de charbons, et en 1844, je pense que le nombre s’en est élevé à 7,000.
L’industrie métallurgique est maintenant montée en Belgique de manière à pouvoir faire face à toutes les demandes de l’Allemagne, d’un pays considérable, qui, par suite du dernier traité et de la hausse des fers en Angleterre, va devenir un débouché de 50 à 60 millions de fonte pour la Belgique ; mais si vous n’aviez pas ces magnifiques établissements métallurgiques que les Anglais, qui viennent nous demander des concessions, ne cessent d’admirer, depuis qu’ils parcourent le pays, comment pourriez-vous suffire à ces besoins ? Comment pourriez-vous fournir les matériaux nécessaires pour les immenses entreprises qui se préparent ?
Parce qu’il y a eu un moment de dépréciation et de confusion, on n’est pas fondé à jeter en avant le mot d’agiotage. Non, ce n’est pas de l’agiotage : la plupart de ces entreprises ont été faites par des hommes honorables qui y ont mis une partie de leur fortune, dont la fortune a pu être compromise, mais qui se sont lancés dans ces entreprises, non pas dans des vues de spéculation, mais parce qu’ils les considéraient comme éminemment utiles au pays.
J’arrive, messieurs, à cette partie du discours de l’honorable M. Verhaegen, où il a parlé de l’inconvénient qu’il y aurait à ce que des membres de la législature devinssent administrateurs de sociétés formées par suite des concessions qui vont être accordées.
Messieurs, je vous avoue que je suis très-libéral sur ce point. Je laisse à chacun de nous le soin d’apprécier ce que lui dicte sa conscience, et je ne vais pas la scruter ; mais puisque l’honorable M. Verhaegen vous a dit ce qu’il croyait devoir faire, par suite d’une proposition qui lui a été adressée de Londres, je crois bien faire en faisant à mon tour ma profession de foi sur ce point. Ma position dans cette chambre me fera toujours un devoir de ne prendre part ni directement ni indirectement, soit par intérêt pécuniaire, en prenant des actions, soit en m’immisçant dans l’administration, dans aucune de ces sociétés qui sont en demande de concessions qui doivent être accordées par la législature : telle a toujours été mon opinion, et cette opinion, je l’avoue franchement, ne m’a pas été seulement dictée par la haute position que j’occupe dans cette chambre, mais encore par les exigences de mes principes. Il m’a paru que, pour faire partie d’une société pour de semblables entreprises, il fallait les avoir étudiées sérieusement, il fallait, étant Belge, être tout au moins un des fondateurs ou un des propagateurs de l’entreprise. Ne remplissant pas ces dernières conditions, j’aurais encore cru ne pas pouvoir y prendre une part quelconque. Je vous laisse, messieurs, apprécier si en cela j’ai fait ce à quoi m’obligeait la délicatesse. Mais, encore une fois, je ne suspecte les intentions d’aucun de mes collègues, et quiconque, membre de cette chambre, jugera convenable d’être administrateur ou de ne pas l’être, de s’intéresser dans ces sociétés ou de ne pas s’y intéresser, n’encourra, certes, de ma part, aucun blâme, et ne cessera pas de jouir de toute mon estime. Je suis convaincu que si un membre quelconque de cette chambre prend une part de ces entreprises, il le fait avec la (page 1416) science de l’honnête homme, et dès lors la législature et les électeurs n’ont rien à y relever.
M. Desmet – Je n’ai pas bien compris le but de la motion de l’honorable M. Verhaegen. Veut-il simplement empêcher que désormais des membres de cette chambre fassent partie de sociétés pour travaux publics ? Je le veux bien ; mais je ne veux pas que l’élan qui se manifeste et qui porte les capitaux vers l’exécution de travaux publics soit comprimé ou ralenti.
Quoique je ne suis pas grand partisan des chemins de fer, je voudrais que les projets de chemin de fer qu’on a présentés et d’autres grands travaux d’utilité publique pussent être exécutés. De quoi la Belgique a-t-elle besoin ? Elle a besoin de travail : tout le monde en demande. N’allons donc pas arrêter l’élan d’entreprises qui doivent fournir du travail à nos ouvriers.
Je dirai maintenant deux mots de l’amendement de l’honorable M. Dumortier.
Messieurs, la loi qu’il s’agit de proposer a été certainement utile au pays ; jamais on n’a réclamé contre cette loi.
Une seule exception est renfermée dans cette loi, c’est celle qui concerne les rivières canalisées.
C’est la seule exception qui existe dans cette loi, vous ne pouvez pas l’étendre. Une exception doit être formellement spécifiée, on ne peut pas l’étendre par analogie.
Messieurs, l’exception a été bien comprise ; on a toujours entendu que pour les rivières à canaliser, à modifier pour en faciliter la navigation, l’intervention de la législature est nécessaire ; à cet égard, la loi n’a pas besoin d’interprétation. Je ne m’étendrai pas davantage sur ce point. Mais je ne puis pas adopter un amendement comme celui qui vous est présenté, dans une loi de prorogation. Je crois que ce serait dangereux. Ce que doit tâcher d’obtenir la Belgique, c’est que beaucoup de travaux se fassent par concession pour donner de l’ouvrage à nos prolétaires. En Angleterre, ces choses-là passent comme un rapport de pétitions, tandis que, chez nous, elles donnent lieu à de grandes discussions.
Messieurs, je crois donc qu’il faut y penser à deux fois avant de lier les mains au gouvernement comme on propose de le faire. Ce qu’on dit des canaux, on peut le dire des routes. La loi a voulu que tout nouveau travail d’intérêt public pût être fait par concession. Dans l’arrêté de 1839, ne voit-on pas toutes les précautions que prend le gouvernement quand il s’agit d’accorder une concession. Aucun intérêt n’est négligé, il n’accorde la concession qu’après s’être livré aux investigations les plus sévères. Le gouvernement est plus prudent et plus difficile que ne pourrait l’être la chambre. L’arrêté royal de 1839 bien exécuté, on ne pourrait construire un travail public sans que l’utilité en fût bien constatée.
Je ne voterai donc pas l’amendement parce qu’il ne me paraît pas avoir été suffisamment mûri.
(page 1418) M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, cette discussion pourrait paraître prématurée, cependant elle ne sera pas inutile, car elle peut être considérée comme discussion générale sur les divers projets de concessions de chemins de fer que nous examinerons plus tard à un point de vue spécial.
La manière dont plusieurs honorables membres semblent accueillir les capitaux étrangers qui viennent nous permettre d’achever une grande partie de nos travaux publics, a lieu d’étonner. En Allemagne, les gouvernements ont cru devoir garantir l’intérêt d’un capital d’un milliard employé dans la construction des lignes ferrées, afin d’amener la constitution de compagnies, pour l’exécution de ces vastes travaux.
En 1842, en France, le gouvernement avait consenti à une dépense de 600 millions de francs, non pour exécuter directement et exploiter les chemins de fer, mais, par ce concours, aider à la formation des sociétés.
En Belgique, par une circonstance exceptionnelle et heureuse, les capitaux se dirigent spontanément vers nos entreprises de chemins de fer et de canaux, sans que l’on demande le concours financier de l’Etat. Plusieurs membres semblent préoccupés, non du bienfait qui doit en résulter, mais de la crainte de l’abus possible de ce bienfait.
Les projets présentés supposent l’emploi dans le pays d’un capital de près de 115 millions de francs versé au profit de l’agriculture, de l’industrie et surtout des classes ouvrières. Ces projets concernent des entreprises étudiées, utiles, dont les produits probables doivent couvrir les intérêts. Ainsi l’agiotage pour ces entreprises n’est pas possible.
En France, ensuite des faits qui viennent d’être rappelés, je comprends la préoccupation dans laquelle la chambre des députés s’est trouvée et la proposition faite par la chambre des pairs pour obvier à ces abus de l’agiotage ; mais en Belgique, aucun de ces faits n’a été signalé, et ils sont rendus impossibles par les précautions consignées dans les conventions provisoires, dans les cahiers des charges et dans les statuts des sociétés anonymes.
Ainsi que l’honorable M. Meeus vient de le faire remarquer, les capitalistes qui se sont engagés dans les conventions conclues, sont solidairement et personnellement responsables. Le gouvernement s’est par là assuré de la constitution du capital social. Or, l’agiotage ne peut avoir lieu à l’égard d’une entreprise, dont le capital est constitué.
L’art. 48 du cahier des charges de la concession de l’Entre-Sambre-et-Meuse, est reproduit dans les autres concessions. Cet article renferme une stipulation nouvelle qui donne toute garantie pour l’avenir.
Des procès avaient eu lieu, dans lesquels on avait prétendu que, dans la constitution d’une société anonyme, les obligés primitifs se trouvaient dégagés. Une nouvelle rédaction a obvié à cette prétention. Elle est ainsi conçue :
« Art. 48. les concessionnaires ont la faculté de former une société en nom collectif ou anonyme, avec émissions d’actions, en se conformant, du reste, aux lois et règlement sur la matière. Cette émission ne pourra se faire qu’en titres sur lesquels il aura été versé 30 p.c.
« Ces titres ou actions ne pourront être cotés aux bourses d’Anvers et de Bruxelles qu’après l’entier achèvement du chemin de fer.
« Si les concessionnaires usent de la faculté que leur confère le paragraphe premier du présent article, ils n’en restent pas moins personnellement (p. 1419) obligés envers le gouvernement pour l’entière et bonne exécution des travaux dans les limites de la présente convention, même dans le cas où ils formeraient une société anonyme approuvée par le gouvernement ; l’approbation qui serait donnée aux statuts d’une semblable société ayant uniquement pour but de lui assurer une existence légale, mais nullement de substituer un nouvel obligé aux obligés primitifs qui seraient déchargés. »
Cet article est très-important ; il assure la constitution du capital social, sous la garantie personnelle des contractants. La seconde garantie stipulée, c’est le cautionnement considérable d’environ un dixième, exigé avant la signature du contrat provisoire. C’est celui qui a été exigé en France dans ces derniers temps. En troisième lieu, avant de faire aucun expropriation, avant de commencer les travaux, un second versement doit être fait, qui varie d’un dixième, à un dixième et demi du capital d’exécution. En quatrième lieu, aucune émission d’actions ne peut être faite en Belgique, avant le versement de 30 p.c. du capital ; enfin il y a interdiction de les coter aux bourses de Bruxelles et d’Anvers, avant l’exécution totale des travaux.
Il est évident que le jeu de bourse n’aura pas lieu quand les travaux seront exécutés, car l’agiotage ne s’attache qu’aux projets éventuels et incertains.
Je prie l’honorable M. Verhaegen de nous dire comment l’agiotage est possible avec ces précautions et dans les conditions d’un tel cahier des charges.
Quant à ce qui se passe en pays étranger, le gouvernement n’a aucun moyen d‘y parvenir.
Je me plais à confirmer complètement ce qu’a dit l’honorable M. Meeus relativement à la formation des compagnies anglaises avec lesquelles le gouvernement est entré en négociation. Le gouvernement, avant de s’engager dans des conventions avec les compagnies, s’est entouré de tous les renseignements nécessaires pour s’assurer du sérieux des entreprises. Ces compagnies sont composées d’hommes honorables, de capitalistes, connus pour leur fortune et la considération dont ils sont entourés.
Je serai désolé que les paroles de l’honorable M. Verhaegen, contre son intention, sans doute, puissent leur paraître hostiles et les faire douter de l’accueil auquel ils ont droit chez nous.
On a parlé hier de la hausse qui avait lieu sur les actions de la société d’Entre-Sambre-et-Meuse ; j’ignore si les actions des autres sociétés sont cotées aux bourses de Londres.
M. Verhaegen – Je vois cotés, avec agio, les chemins de Jemeppe à Louvain et de Liège à Namur.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Cela est possible, et M. Meeus vient de vous en donner la raison. Pour les actions de l’Entre-Sambre-et-Meuse, c’est précisément parce qu’il n’y a pas de spéculation, que la hausse est si forte.
En effet, les capitalistes ont retenu la plus grande partie de ces actions entre leurs mains ; une faible partie, m’assure-t-on, a été offerte à la bourse. Cette rareté des actions de cette entreprise les a fait recherche, et la hausse en a été le résultat. Ce n’est donc pas à cause du caractère de spéculation de l’entreprise que la hausse a eu lieu, mais bien parce qu’elle n’a pas ce caractère.
Messieurs, je ne crois pas devoir suivre l’honorable M. Verhaegen sur un autre terrain qu’il a choisi. L’honorable membre a renouvelé ici, non une proposition, mais des observations qui ont été faites aux chambres françaises relativement à la participation des membres des chambres législatives dans ces entreprises, directement ou indirectement. C’est une question très-grave que je ne veux pas traiter ici. Cependant, je dois dire que cette proposition n’a pas reçu un accueil favorable en France, non-seulement parce qu’on ne l’a pas considérée comme valable, mais surtout parce qu’on en regardait le principe comme mauvais.
Ce principe serait, que l’intérêt personnel d’un membre dans une question, vicie son mandat. Si l’intérêt personnel vice le mandat dans des questions de travaux publics, il peut le vicier dans les questions de douane, d’industrie et de commerce.
Il serait interdit, sous peine de suspicion de partialité, à tous les membres ayant un intérêt dans l’industrie ou le commerce, de prendre part, à ces discussions. On pourrait prétendre qu’intéressés dans une question, leur impartialité n’est pas assez grande pour ne pas sacrifier l’intérêt public.
Supposer aux membres des chambres une aussi coupable faiblesse, c’est jeter le discrédit sur nos assemblées parlementaires.
Je ne veux pas traiter cette question ; elle est trop grave pour être envisagée incidemment.
(page 1416) M. Verhaegen – Je ne sais si ces honorables préopinants ne m’ont pas compris ou n’ont pas voulu me comprendre ; je n’ai pas dit ce qu’on m’a fait dire et surtout je n’ai pas fait de proposition.
L’honorable M. Desmet s’est trompé quand il a cru que je voulais éloigner des chambres tous les membres qui seraient administrateurs ou commissaires dans une société quelconque. Telle n’est pas mon intention.
J’ai parlé de sociétés qui se forment avec l’intervention du gouvernement et des chambres, si je puis m’exprimer ainsi, et dont l’objet d’exploitation ne peut exister qu’en vertu de la loi. Je me suis borné à présenter quelques réflexions, à émettre un vœu, mais je n’ai pas formulé de proposition, et cela précisément par les motifs que vient d’indiquer M. le ministre des travaux publics.
Je connais toutes les difficultés d’une pareille proposition. Mais j’espère que mes observations porteront quelques fruits. C’est dans cette idée que j’ai cru de mon devoir de faire tomber ces paroles du haut de la tribune nationale.
Qu’ai-je dit ? J’ai parlé de l’agiotage, surtout de cet agiotage dont les actions de sociétés formées pour la concession de chemins de fer sont l’objet à l’étranger.
Je sais bien que je ne puis empêcher complètement cet agiotage. Mais rentrant dans l’idée émise par l’honorable M. de Haerne, j’ai pu faire un appel à la conscience des membres des deux chambres et des fonctionnaires publics.
J’ai d’ailleurs un autre but ; car il ne faut pas scinder mon idée qui est une et indivisible. Certes, je n’ai pas dit ce que m’ont fait dire M. le ministre des travaux publics et l’honorable M. de Meeus. Loin de moi, messieurs, de blâmer ces sociétés anglaises qui nous apportent leurs capitaux ! Je désire que ces capitaux soient utiles au pays et à son industrie, et surtout qu’ils ne fassent pas tort aux chemins de fer de l’Etat. Sur ces nombreuses concessions, je n’ai pas encore formé mon opinion ; je me réserve de la former dans la discussion qui aura lieu bientôt, et je l’espère, avec toute la maturité nécessaire.
Ce qui m’a frappé, messieurs, c’est qu’à la fin d’une session une quantité de concessions surgissent toutes à la fois. Nous sommes à la veille nous séparer, et d’urgence on nous présente une quantité de projets, sans que nous ayons, en quelque sorte, le temps de les examiner. Nous verrons ce qui en arrivera. En attendant, pour ne pas enrayer ces projets de loi, car ce n’est pas ce que nous voulons, j’ai cru devoir présenter quelques observations sous forme de discussion générale.
Quand j’ai parlé d’agiotage, c’est parce qu’on en avait parlé avant moi, c’est parce qu’une opinion avait surgi dans un sens, une autre dans un autre sens. J’ai jugé à propos de m’éclairer.
Si j’ai parlé d’agiotage, ce n’est pas pour flétrir les opérations de ces sociéts anglaises, à la tête desquelles, je le reconnais avec l’honorable M. Meeus, il y a des hommes très-honorables. Loin de moi la pensée de dire quelque chose qui pût leur être défavorable.
Mes plaintes au sujet de l’agiotage ne portent pas sur la composition de ces sociétés ; mais elles portent sur l’objet, sur la vente de ce qui n’existe pas, et à cet égard, je n’ai fait que reproduire l’idée de l’honorable M. Meeus. M. Meeus avait dit qu’il n’y avait pas agiotage, alors qu’on appréciait à sa juste valeur l’objet qu’on vendait. D’accord ; mais quand l’objet n’existe pas, la vente est impossible ; alors il n’y a plus que jeu et, par suite, agiotage, voilà ce que j’ai dit et ce que je maintiens.
On nous a dit que toutes les demandes de concession ayant été approuvées par le gouvernement, on doit, pour ainsi dire, les considérer adoptées par les chambres. Autant dire que les chambres sont inutiles. On va même jusqu’à dire qu’il y a 99 chances d’adoption contre une : ce gage est de nature à faire hausser les actions, je le conçois ; moi, je ne vais pas les faire baisser.
Je ne veux ni la hausse, ni la baisse, mais je ne puis admettre que les concessions de chemins de fer, non approuvées par les chambres, soient des objets vendables ; car les concessions ne sont accordées par le gouvernement que provisoirement ; elles ne sont définitives qu’après avoir reçu l’assentiment des chambres. Si les chambres refusent cet assentiment, n’est-ce pas un néant qui aura été l’objet de la spéculation ?
Dans la lettre que j’ai reçue de Londres, on me dit que les actions des chemins de fer de Jemeppe à Louvain et de Namur à Liège, sont déjà cotées à la bourse de Londres avec un agio assez considérable. Les projets de loi relatifs à ces chemins de fer doivent être considérés comme adoptés d’après l’honorable M. Meeus ; il ne reste plus pour les chambres qu’une forme banale d’adoption. Je ne suis pas de cet avis. Je pense qu’il y aura une discussion sérieuse, à la suite de laquelle nous serons libres d’adopter ou de rejeter.
S’il y avait une demande antérieure, par exemple, à celle accueillie par le gouvernement, nous pourrions certes y donner la préférence. Dans ce cas, les actions de la société qui a provisoirement obtenu la concession du gouvernement, auraient bien évidemment été l’objet d’un agiotage.
Mais pourquoi ai-je parlé de cela ? C’est pour arriver à autre chose. Les réflexions de l’honorable M. de Haerne avaient fait impression sur mon esprit. Nous ne devons pas être engagés par des noms qui ont certain poids à l’étranger.
Veuillez croire, messieurs, que je ne fais allusion à personne. Je ne connais, jusqu’à présent, aucun membre des chambres qui ait un intérêt dans les sociétés dont il s’agit. Mais enfin si l’on disait : « Il y a à la tête de la société, comme administrateur ou comme commissaire, tel membre du parlement belge », ne croyez-vous pas que ce serait un motif de préférence, que l’agiotage serait plus considérable encore si de telles choses pouvaient exister (je ne dis pas qu’elles existent) ; ne croyez-vous pas que la réputation et la loyauté belge seraient gravement compromises à l’étranger ?
Telles sont les observations que j’ai voulu soumettre à la chambre en acquis de ma conscience.
Je n’ai pas fait de proposition. Je sais qu’il en a été fait une en France ; je sais quelles graves difficultés se rattachent à la réalisation de ce système. Mais mes paroles auront produit, j’espère, quelque effet, puisque des déclarations ont été faites à la suite de mon premier discours.
Au reste, je n’ai suspecté les intentions de personne. J’aime à croire comme les honorables MM. Meeus et Rodenbach, que chaque membre de cette assemblée n’agissant que d’après les inspirations de sa conscience, ne prendra part à ces opérations et ne portera aucune atteinte à notre réputation proverbiale de probité.
L’honorable M. Meeus a pensé qu’en flétrissant l’agiotage, j’avais condamné en même temps les opérations elles-mêmes. Il n’en est rien. J’ai fait quelques observations quant aux abus et rien de plus.
Certains hommes, a-t-il dit, ont rendu de grands services à l’industrie ; d’accord. Je suis le premier à la reconnaître. Il n’en est pas moins vrai que l’agiotage s’est attaché aux actions industrielles comme à toutes autres : si quelques personnes y ont gagné, d’autres y ont laissé leur fortune. Les fortunes se sont déplacées. Il y a des familles qui ont vendu leurs biens immeubles, et qui n’ont plus un centime, parce qu’elles ont été victimes de l’agiotage et de la spéculation. L’industrie en a retiré quelques fruits, je le reconnais. Certaines personnes ont été plus sages ou plus prudentes que d’autres ; elles ont profité du moment ; mais encore une fois les fortunes se sont déplacées.
Si on se laissait aujourd’hui aller à un nouvel engouement, il y aurait bientôt les mêmes désastres !
M. de Garcia – Il ne faut pas favoriser l’agiotage, dit l’honorable M. Verhaegen ; cela est évident, et je suis convaincu qu’il n’y a pas un membre de la chambre qui ne partage cette manière de voir. Les mesures prises par le gouvernement à l’égard des concessions de chemins de fer demandés, tendent-elles à amener ce résultat ? Voilà la seule question que nous ayons à examiner, d’après les observations présentées par quelques-uns des préopinants.
Y a-t-il agiotage ? Le gouvernement l’a-t-il favorisé ? Voilà ce que nous avons à constater. D’abord, il est à observer que s’il y a agiotage sur les concessions demandées, ces actes, condamnables sans doute, se passent à l’étranger, et que hors du territoire cesse complètement l’action du gouvernement.
Porter remède à un mal semblable, s’il existe, évidemment, c’est impossible (page 1417) Mais voyons s’il y a véritablement agiotage, ou simplement spéculation hasardeuse, mais permise.
L’honorable M. Verhaegen traite d’agiotage la vente d’actions qui ne reposent sur rien, qui n’ont qu’une valeur chimérique. Eh bien, messieurs, une vente semblable n’est pas de l’agiotage ; une vente semblable, il faut trancher le mot, constitue une friponnerie, un véritable vol.
Or, pouvez-vous empêcher des friponneries à l’étranger ? Evidemment non ; et le gouvernement pas plus que nous. Mais, selon moi, messieurs, dans ce qui se passe à l’étranger, sur la cote des actions des chemins de fer dont la concession est demandée, il n’y a ni agio ni friponnerie. Permettez-moi d’ajouter quelques mots pour déduire ma manière de voir à cet égard.
L’honorable M. Verhaegen n’ignore pas plus que moi qu’il y a des contrats aléatoires. Je n’hésite pas à ranger dans cette catégorie la vente d’actions de chemins de fer étudiés, dont la concession est demandée, et à raison desquels le gouvernement a déjà prêté son concours. Cette vente ne constitue pas évidemment la vente d’une chose imaginaire, ni du néant. Dans ces opérations, il y a cause, il y a matières à obligations, matières, il est vrai, tout à fait aléatoires.
Dès lors, on ne peut voir en cela ni friponnerie ni agiotage, et certainement il y aurait friponneries si, comme l’a prétendu l’honorable M. Verhaegen, ces actions ne reposaient que sur des choses chimériques, sur le néant. Il faut vouloir le possible ; or, vous ne pouvez empêcher ceux qui sont avides du jeu, de se livrer à ces opérations hasardeuses. Vous ne pouvez surtout l’empêcher, quand cela se passe hors du pays.
Je ne conçois donc pas trop, messieurs, quelle peut être la conclusion de la discussion qui s’est engagée au sujet de la loi sur les péages. Je reconnais cependant qu’elle peut avoir un avantage, c’est qu’elle empêchera peut-être des actes de légèreté, de la part de personnes à qui l’on porte un grand intérêt et dont on veut éviter la ruine.
Mais, je le répète, je crois que dans les opérations que l’on a signalées il n’y a ni agiotage ni friponnerie. Il y a tout simplement contrat aléatoire : on spécule sur une chose qui peut arriver, mais qui peut aussi ne pas arriver. Ces contrats ont été connus et permis dans tous les temps ; c’est le jactus retis des Romains, le coup de filet. On vend le poisson qu’on doit ramener : il ne ramène, le payement ne doit pas moins s’ensuivre.
Au surplus, messieurs, tous les faits qui ont provoqué les observations auxquelles j’ai cru devoir répondre en peu de mots, se passent en pays étrangers et il ne peut être en notre pouvoir de l’empêcher. Quant à ce qui est de la Belgique, le gouvernement a pris toutes les précautions nécessaires pour éviter l’agiotage, et en cela il a rempli son devoir.
Dans cet état, il faut éviter que, par des objections trop légères d’agiotage, on n’empêche l’exécution de spéculations sérieuses et utiles aux intérêts de la Belgique.
M. Lejeune – M. le ministre des travaux publics s’étant rallié à l’amendement de l’honorable M. Dumortier, je n’ai que peu de mots à dire.
Suivant quelques orateurs qui ont parlé samedi et dans la séance actuelle, il paraîtrait que le second paragraphe de l’art. 1er de la loi de 1832 serait douteux, qu’il serait susceptible de deux interprétations différentes. En effet, messieurs, l’honorable M. Rogier a commencé par faire une interpellation à M. le ministre pour savoir comme il interprétait cet article. Dans la séance de samedi, et aujourd’hui encore, l’honorable M. Dumortier a prétendu positivement que le sens du paragraphe était tel qu’il y avait défense pour le gouvernement d’accorder la concession de canaux latéraux aux rivières.
Je crois, messieurs, que l’amendement qui vous est présenté, devant être adopté, la question n’a plus autant d’importance. Cependant, il est bon de se fixer sur la portée de la loi pour savoir si l’on peut donner un sens rétroactif ou non à l’amendement que l’on va adopter.
Je prétends, messieurs, que le sens de ce paragraphe est très-positif, et qu’il n’est pas susceptible du moindre doute. Voici ce qui s’est passé en 1832, un amendement semblable à celui que l’honorable M. Dumortier a présenté dans la séance de samedi, avait été proposé dans la discussion par l’honorable M. Pirmez. Voici quels étaient les motifs de cet honorable membre :
« Une route nouvelle est toujours un moyen plus facile de communication : si elle n’est pas utile, elle n’est, sous le rapport de la facilité de communication, jamais nuisible. Mais un canal est souvent un grand obstacle aux communications. S’il unit plus intimement les points du pays qu’il traverse, il divise, il sépare d’autres contrées et interrompt brusquement leurs relations.
« Un canal froisse toujours une multitude d’intérêts, puisqu’il divise plus qu’il n’unit ; et c’est une mesure si grave que celle qui détruit ou change les relations d’une contrée entière, que vous jugerez qu’il faut une loi pour la prendre. »
Messieurs, cet amendement n’a pas été accepté par la chambre, et il ne l’a pas même été par l’honorable M. Dumortier, qui en a présenté un autre. L’honorable M. Dumortier, en proposant, avec les honorables MM. Verdussen et Dellefaille, son amendement, s’en est expliqué comme suit :
« Quant au mot canalisation qui se trouve dans l’amendement de M. Pirmez, dans un sens général, nous n’avons pas cru devoir l’adopter ainsi et nous ne faisons d’exception que pour la canalisation des fleuves et rivières. Quelques membres auraient voulu que notre exception ne portât que sur les rivières navigables, et qu’il fût par conséquent permis au gouvernement de canaliser les rivières non navigables ; nous n’avons pas voulu d’une semblable disposition, parce que les rivières non navigables aliment ordinairement un grand nombre d’usines et il serait dangereux de donner au gouvernement le pouvoir d’en ruiner les propriétaires par une canalisation. »
Messieurs, il me paraît que l’amendement présenté par l’honorable M. Pirmez n’ayant pas été accepté, qu’ayant même été repoussé par l’honorable M. Dumortier qui en a proposé un autre qui le restreignait, il n’est pas possible d’interpréter la loi dans ce sens, que le gouvernement n’aurait pas eu le droit d’accorder des concessions de canaux. Je crois que le gouvernement a eu ce droit et qu’il l’a jusqu’à ce que l’amendement qui est présenté, ait passé dans la loi.
Quant à cet amendement lui-même, je pense aussi que les précautions qui ont été prises par arrêté de 1836 suffisaient, et j’aurais préféré qu’on s’en tînt aux garanties que nous avons déjà. Je considère l’amendement non-seulement comme inutile, mais comme pouvant être nuisible dans certains cas.
M. Dumortier – Messieurs, je ne puis comprendre comment un membre de cette assemblée peut soutenir que l’examen de la concession des canaux par la chambre est inutile et souvent même dangereux. Autant vaudrait dire, messieurs, que toute discussion de la chambre est inutile et dangereuse. Je crois que nous sommes ici les représentants du pays, et que comme tels nous avons avant tout, pour devoir et pour prérogative, l’examen des questions qui se rattachent aux intérêts nationaux.
On pourrait soutenir aussi, qu’il faut abandonner au gouvernement les concessions de chemins de fer, que le législateur ne doit plus intervenir. C’est, messieurs, ce qui a existé jusqu’en 1842. Mais que s’est-il passé ? Lorsque le gouvernement a eu concédé le chemin de fer de Gand à Anvers, on a demandé au sénat et à la chambre des représentants de ne plus attribuer au gouvernement un pareil pouvoir, parce que le trésor public pouvait être lésé par de pareilles concessions et que dès lors il était juste que le législateur les examinât.
L’honorable préopinant, messieurs, donne une interprétation à sa manière de l’amendement que j’ai eu l’honneur de présenter en 1832 et qui a été introduit dans la loi. L’honorable membre ne faisait pas alors partie de la législature ; et je crois que ceux qui ont siégé à cette époque comme députés, et que moi, entre autres, qui suis l’auteur de l’amendement, nous devons savoir aussi bien que lui ce que nous avons voulu. Eh bien ! je le déclare encore, dans les termes les plus formels, lorsque j’ai présenté l’amendement qui a été adopté, j’avais en vue d’empêcher que le gouvernement ne pût accorder des concessions de nature à nuire soit au trésor public, soit à l’intérêt privé. Le gouvernement restait maître d’accorder des concessions de canaux, cela est vrai ; mais non des concessions de canaux latéraux aux rivières navigables qui pourraient faire perdre au trésor une partie de ses revenus, qui pourraient ruiner les propriétés du domaine public. Il est impossible, messieurs, de supposer qu’il pût en être autrement, et je voudrais qu’on me répondit à cet argument : Le gouvernement peut-il, par un simple arrêté, amener la ruine du trésor public ? Il serait vraiment singulier qu’il fût investi de pareils pouvoirs. Comment ! vous avez le canal de Charleroy qui rapporte deux millions au trésor, et le gouvernement pourra concéder un canal dans la même direction et priver ainsi le trésor de la plus grande partie de ce produit important ? Vous avez le canal de Mons à Condé, le canal de Pommeroeul à Antoing, qui donnent des revenus considérables, et le gouvernement pourra, par un acte de sa pleine autorité, concéder des canaux qui viendront supprimer ces revenus ? messieurs, cela serait monstrueux, et si la chambre avait pu l’entendre ainsi, je ne sais où elle devrait siéger ; mais ce ne serait certainement pas dans le palais législatif.
Il est impossible, messieurs, de supposer que la chambre ait entendu la loi comme le suppose l’honorable préopinant ; on en peut admettre que la législature ait accordé au gouvernement le droit de ruiner le trésor public. C’est cependant ce qui résulterait de la manière d’argumenter de l’honorable membre.
M. Lejeune – Il est inutile dans votre sens, puisque vous dites qu’il est dans la loi.
M. Dumortier – Il n’est pas inutile dans mon sens, puisque la loi ne dit pas que le gouvernement ne peut concéder aucun canal, qu’elle lui interdit seulement de concéder la canalisation d’une rivière navigable, ou, ce qui est la même chose, la construction d’un canal latéral. Car c’est identiquement la même chose.
Un membre – Pas du tout.
M. Dumortier – Il est possible que des intérêts de localités fassent parler l’honorable membre qui m’interrompt, mais il est incontestable pour ceux qui siégeaient ici en 1832, que la chambre a voulu se réserver l’examen de toutes les questions qui se rattachent au régime du domaine public, et les rivières navigables appartiennent au domaine public.
L’amendement de l’honorable M. Pirmez n’a pas été adopté. Mais cet amendement se rapportait à toutes les concessions de canaux. L’honorable M. Pirmez voulait, en 1832, qu’aucun canal ne pût être concédé sans l’intervention de la législature. Eh bien, j’ai demandé à cette époque que l’on bornât l’interdiction aux rivières navigables. Je me suis servi du mot canalisation, mais pour tout homme qui a assisté à la discussion, il ne peut y avoir de doute. (Interruption.)
Les députés d’Alost pourront soutenir que c’est inexact…
M. le président – Veuillez vous abstenir de personnalités.
M. Dumortier – Messieurs le président, je suis interrompu par d’honorables membres, et ce sont des députés d’Alost. Du reste, je crois que ces explications suffisent pour éclairer la chambre sur la portée de mon amendement.
(page 1418) M. de Naeyer – Messieurs, je crois avoir prouvé à la dernière évidence que la canalisation d’une rivière ou d’un fleuve, et la construction de canaux même latéraux à des rivières ou à de fleuves, sont des choses tout à fait différentes. Or, puisque la loi ne limite pas les pouvoirs du gouvernement qu’en ce qui concerne la canalisation des rivières et des fleuves, il est évident qu’en ce qui concerne la concession de canaux même latéraux, ces pouvoirs restent entiers, puisqu’il s’agit ici d’une exception à une règle générale, qui doit toujours être interprétée rigoureusement ; car on sait que les exceptions sont toujours d’interprétation rigoureuse. L’honorable M. Dumortier ne viendra pas, à cet égard, ébranler des règles de droit qui subsistent depuis des siècles.
Messieurs, le seul motif que l’honorable M. Dumortier allègue, c’est qu’il aurait entendu les dispositions de la loi de cette manière. Mais il résulte clairement des explications données par l’honorable M. Lejeune, que l’honorable M. Dumortier a oublié un peu ce qui s’est passé en 1832. D’ailleurs, les intentions de l’honorable membre n’auraient pu être converties en dispositions législatives, que pour autant qu’elles fussent exprimées dans la loi.
Le gouvernement, qui avait à exécuter la loi, a dû recourir au Bulletin et non à l’honorable M. Dumortier. Or, au Bulletin officiel, il ne trouvait de limitation à ses pouvoirs qu’en ce qui concerne la canalisation des rivières et des fleuves. Dès lors il état investi de pleins pouvoirs pour la concession de toute espèce de canaux sans aucune distinction. Cela est de la dernière évidence.
- La discussion est close.
L’amendement de M. Dumortier consiste à rédiger comme suit le 2e § de l’art 1er.
« Néanmoins, aucun canal de plus de 10 kilomètres, aucune ligne de chemin de fer, destinée au transport des voyageurs et des marchandises, et de même étendue, ne pourra être concédée qu’en vertu d’une loi. »
Ce paragraphe, ainsi amendé, est adopté.
Le premier paragraphe de l’art 1er est ensuite mis aux voix et adopté. Il est ainsi conçu :
« La loi du 19 juillet 1832 sur les concessions de péage (Bulletin officiel, n°519 LIII) est prorogée au 1er avril 1847. »
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire au lendemain de sa promulgation. » Adopte.
M. le président – Il y a eu un amendement.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je m’y suis rallié.
M. le président – La chambre veut-elle passer au vote définitif ?
De toutes parts - Oui ! oui !
Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet.
56 membres sont présents.
55 adoptent.
1 rejette.
En conséquence, le projet de loi est adopté.
Ont voté l’adoption : MM. Castiau, Coghen, d’Anethan, David, , Dechamps, de Chimay, de Corswarem, de Foere, de Garcia de la Vega, du Haerne, de La Coste, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Roo, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Tornaco, Devaux, Donny, Dubus (Alberic), Dumortier, Eloy de Burdinne, Goblet, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Lejeune, Lesoinne, Lys, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Mercier, Orts, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Savart, Sigart, Simons, Smits, Meeus, Thienpont, Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Van Volxem, Verhaegen, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.
M. de Smet a voté le rejet.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) présente un projet de loi relatif aux droits à percevoir par les consuls.
La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet et le renvoi à l’examen des sections.
La séance est levée à 4 ½ heures.