(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 1365) (Présidence de M. Liedts)
M. Huveners procède à l’appel nominal à une heure.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Huveners fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur J.-B. Cutsart, chef de station à Jurbise, né à Dunkerque, demande la naturalisation ordinaire. »
« Même demande des sieurs M.-C. Schmidt, capitaine de navire à Anvers, né à Wolgart (Prusse), et J. Vandendringen, sous-brigadier des douanes à Termonde, né à Schyndel (Pays-Bas). »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Hardy, ancien militaire, devenu presque aveugle par suite de l’ophtalmie qu’il a contractée au service, demande une pension. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le budget de la guerre.
« Plusieurs membres de l’administration communale et des habitants notables de Landen présentent des observations en faveur du projet de route de Hannut à Landen. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Quisquatre, milicien de la levée de 1841, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir un congé illimité. »
- Même renvoi.
« L’administration communale de Chimay présente des observations contre les propositions de loi sur les céréales. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée de l’examen de ces propositions.
« L’administration communale de Burdinne demande l’adoption de la proposition des 21 membres sur les céréales.
- Même renvoi.
M. Dubus (aîné) – J’ai l’honneur de présenter le rapport de la section centrale sur le projet de loi ouvrant un crédit de 52 mille francs au ministre des finances, pour terminer, par transaction, le procès existant entre le gouvernement et les héritiers Dapeens.
M. Lys – Cet objet ne tiendra la chambre qu’un instant. Je ferai remarquer qu’il y a urgence à s’en occuper, car l’Etat doit payer l’intérêt de cette somme à raison de 5 p.c. par an.
M. Dubus (aîné) – Le rapport sera imprimé et distribué aujourd’hui même.
- La proposition de M. Lys est adoptée.
M. Zoude – Messieurs, vous avez demandé un prompt rapport sur plusieurs pétitions d’ophtalmistes, votre commission m’a chargé de vous le présenter.
Diverses pétitions nous sont adressées par des militaires qui, renvoyés pour cause d’ophtalmie, ont communiqué cette maladie à leurs parents, chez lesquels elle s’est développée avec une telle violence que des familles entières sont frappées d’une cécité complète. Cependant, malgré les demandes les plus pressantes, ils n’ont pu obtenir jusqu’ici aucun secours pour eux ni pour leurs parents.
Ces faits sont consignés dans les pièces suivantes : d’abord dans une adresse de l’administration communale de Lombise (Hainaut) qui atteste que par suite du renvoi dans ses foyers, en 1833, pour cause d’ophtalmie, la famille du milicien Etienne, qui jusque-là avait joui de la meilleure santé, a été atteinte bientôt du mal d’yeux avec une telle intensité que sa mère, âgée de 77 ans, en a perdu un œil, et que son frère, âgé de 34 ans, est devenu complètement aveugle.
Le conseil communal de Fontaine-l’Evêque expose que le milicien Hubart, renvoyé dans ses foyers pour la même cause, a communiqué l’ophtalmie purulente à sa famille, où elle a exercé les plus grands ravages. En effet, son père, sa mère et ses sœurs ont perdu entièrement l’organe de la vue.
Un milicien, Dindal, de Mons, renvoyé pour un commencement de cette maladie, est aussi devenu entièrement aveugle.
Eh bien, messieurs, non-seulement ces malheureux ont adressé des suppliques pour obtenir des secours, mais les autorités de leurs communes, la députation provinciale du Hainaut et le gouvernement lui-même les ont sollicités avec les plus vives instances ; leurs démarches sont restées sans effet.
Ce n’est pas que l’obligation d’acquitter cette dette sacrée soit méconnue par le ministère de la guerre, ni par celui de la justice ; tous deux sont d’accord sur la légitimité des réclamations ; mais une lacune paraît exister dans la loi, de manière que l’obligation de ces secours n’incombe à aucun d’eux.
Celui de la guerre ne trouve dans la loi des pensions militaires aucune disposition qui soit applicable aux pétitionnaires ; dès lors, dans le silence de la loi, il estime que la disposition à intervenir constituant un acte de bienfaisance, doit ressortir au département de la justice, mais celui-ci à son tour paraît décliner toute compétence.
Entre temps, l’humanité souffre, et il est de nos soldats et de leurs parents, privés de la vue, qui sont réduits, depuis un assez grand nombre d’années, à vivre du pain de l’aumône ; et nous ne pouvons le taire, en tendant la main, mais ils accusent le gouvernement d’ingratitude et de barbarie.
Un état de chose aussi douloureux doit avoir son terme, et s’il est bien vrai qu’il y ait lacune dans la loi, il est plus que temps de la combler. A cet effet, votre commission a l’honneur de vous proposer d’engager les deux ministres à se réunir pour vous présenter un projet de loi qui les mette en position de satisfaire à des dettes trop longtemps différées.
Si cette conclusion n’est pas conforme aux usages de la chambre, votre commission, alors, vous propose le double renvoi avec demande d’explications.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Zoude, rapporteur – Vous avez également demandé un prompt rapport sur les pétitions de plusieurs communes demandant la prompte exécution de la route de Hannut à Landen ; la commission vous propose le renvoi de ces pétitions à M. le ministre des travaux publics.
M. Eloy de Burdinne – Je regrette que M. le ministre des travaux publics ne soit pas présent ; j’aurai appelé son attention sur ces pétitions.
M. le président – Proposez-vous d’attendre aussi pour statuer sur les conclusions ?
M. Eloy de Burdinne – Non, M. le président, j’appuie le renvoi.
- Le renvoi est ordonné.
M. Zoude – Tout à l’heure on a fait l’analyse d’une pétition d’ophtalmiste. Je demanderai le même renvoi que celles sur lesquelles je viens de faire un rapport, afin de n’avoir pas à faire un nouveau rapport.
M. le président – C’est la pétition du sieur Hardy.
- La proposition de M. Zoude est admise.
M. le président – Nous en étions restés à l’art. 6 proposé par la section centrale. Vous l’avez sous les yeux, ainsi que l’amendement présenté par M. le ministre de la guerre.
M. Pirson – Messieurs, la deuxième section avait demandé que la faculté laissée au gouvernement par la loi du 26 mai 1838, de mettre les officiers à la retraite à l’âge de 55 ans fût restreinte.
Ainsi qu’il l’est dit dans son rapport, la section centrale a fixé son attention sur ce point.
(p. 1366) La disposition de la loi qui accorde au gouvernement cette faculté, ne se trouvait pas dans le projet primitif qui fut présenté à la chambre. Elle y fut ajoutée par la section centrale chargée d’examiner la loi qui fut votée en 1838, et, après discussion, la chambre l’adopta. Je pense, messieurs, que cette faculté doit être conservée au gouvernement dans les termes de la loi actuelle.
En Belgique, avant les événements de 1830, les pensions militaires étaient réglées par l’arrêté-loi du 21 août 1814. Cet arrêté déterminait le droit à la retraite d’après l’ancienneté de services, mais sans fixer d’âge. Le souverain avait, en outre, le droit de mettre à la pension de retraite les militaires qui, pour cause d’indispositions ou d’infirmités, ne pouvaient plus continuer le service actif.
En France, dans la loi du 22 août 1790, l’assemblée constituante avait posé en principe que les militaires ayant 30 ans de services et 50 ans d’âge avaient droit à la retraite.
La même limite d’âge de 50 ans a été conservée dans toutes les lois postérieures concernant les pensions militaires.
Si, messieurs, cette limite d’âge de 50 ans a été posée en principe dans la loi de 1790, c’est que l’on a pensé qu’en général l’homme, arrivé à cet âge, ne pouvait plus satisfaire à toutes les exigences du service actif. Si elle a été conservée dans toutes les lois postérieures, on est fondé à admettre que l’expérience a consacré ce principe. Dans la loi que vous avez faite en 1838, vous avez ajouté 5 ans d’âge de plus que dans toutes les lois françaises ; je ne pense pas qu’en ce qui concerne la généralité des individus on puisse aller plus loin, et je crois que, dans l’intérêt du service, vous devez conserver cette disposition de la loi dont, je le répète, l’initiative a été prise par cette chambre.
Si, messieurs, je ne consultais que mes affections personnelles, si je ne voyais dans l’armée que les individus isolés, je viendrais appuyer de tous mes efforts la proposition de la deuxième section, car je suis très-lié avec des personnes qui, entrées en service à un âge avancé déjà, ne pourront probablement pas continuer à servir jusqu’à ce qu’elles aient acquis 30 ou 40 années de services, et qui, vraisemblablement, seront atteintes par cette faculté nécessaire que vous avez abandonnée au pouvoir. Mais, comme membre de cette assemblée, il faut savoir faire son devoir et subir de certaines nécessités ; comme législateur, tout sentiment d’affection personnelle, tout motif d’intérêt particulier doivent s’effacer devant des vues d’intérêt général. Sans cette disposition de la loi, le gouvernement se verrait obligé de conserver dans l’armée des officiers qui, soit par affaiblissement de leurs facultés intellectuelles ou par incapacité physique, ne se trouveraient plus en état de remplir leurs fonctions. Un pareil état de choses ne pourrait être que très-nuisible à la constitution aussi bien qu’à l’esprit de l’armée, et, dans son intérêt bien entendu, qui est celui du pays, il est nécessaire de donner au gouvernement le droit de mettre à la retraite tout officier qui ne peut plus remplir utilement ses fonctions.
En 1838, la commission que vous aviez nommée pour examiner des amendements présentés par le ministre de la guerre, vous a proposé d’insérer dans la loi la disposition dont il s’agit, la considérant comme un principe conservateur de la bonne organisation de l’armée. Votre section centrale de la loi d’organisation de l’armée a partagé l’opinion de cette commission, qui est celle aussi que la chambre a adoptée en 1838, et il nous a paru qu’il n’y avait pas lieu de reculer la limite d’âge prescrite au § 3 de l’art. 2 de la loi du 26 mai 1838, parce qu’il n’y a pas de carrière qui, plus que l’état militaire, exige de la vigueur et des forces physiques.
La question soulevée par la deuxième section, nous a conduits, messieurs, à en examiner une autre posée par l’un des membres de votre section centrale et qui, après discussion, y a été adoptée à l’unanimité. C’est la disposition que la section centrale vous propose d’inscrire dans la loi à l’art. 6 et qui a pour objet de restreindre la faculté laissée au gouvernement de mettre ou de ne pas mettre à la retraite les officiers ayant plus de 55 ans d’âge. Il lui a paru qu’en traçant aux dépositaires du pouvoir des règles fixes, ce serait donner au militaires une plus grande garantie contre les caprices de la faveur, au gouvernement le moyen de prévenir l’arbitraire et d’entretenir l’émulation nécessaire dans l’armée, et c’est pourquoi elle vous a proposé de rendre obligatoire la mise à la retraite de tout officier parvenu à un certain âge. Cette proposition, à laquelle je me suis rallié, ne pourra que porter de bons fruits dans l’armée.
La section centrale, dans sa proposition, a établi dans les différents grades, une diversité d’âge pour la mise à la retraite obligatoire, diversité d’âge qui est basée sur l’espèce de fonctions inhérentes aux différents grades. Dans l’état militaire, messieurs, chacun le sait, les officiers subalternes ont besoin de plus de forces physiques que les officiers supérieurs à qui, en retour, plus d’intelligence et une plus grande expérience sont nécessaires.
La section centrale vous propose donc d’ajouter à la loi un article par lequel le gouvernement serait obligé de mettre à la retraite :
- Les sous-lieutenants et lieutenants à l’âge de 55 ans.
- Les capitaines, à l’âge de 57 ans.
- Les officiers supérieurs, à l’âge de 59 ans.
- Les généraux-majors, à l’âge de 62 ans.
- Les lieutenants-généraux, à l’âge de 65 ans.
Ces limites me paraissent assez étendues, car je pense qu’il n’y aurait que très-peu de militaires qui, passé ces âges, pourraient servir encore utilement dans leur grade.
La disposition, si vous l’adoptez, sera, je crois, très-bien accueillie dans l’armée. Elle sera une garantie pour tous, et la loi venant en aide au gouvernement, on ne pourra plus l’accuser de suivre aujourd’hui tel principe, demain tel autre. Elle lui donnera également plus de force pour résister à certaines prétentions, à certaines influences qu’il doit quelquefois ménager et qui sont souvent très-nuisibles au bien-être du service.
En outre, il faut bien le reconnaître, parce que cela est ainsi dans la nature, il est très-peu de personnes qui avouent que l’âge a affaibli leurs facultés intellectuelles et physiques. En général, on s’exagère à soi-même ses moyens personnels, ses facultés morales et physiques, l’importance des services que l’on a rendus, et, par contre, le prix que les autres doivent y attacher.
Je n’ai presque jamais vu mettre d’officiers à la pension qu’ils ne soient froissés et mécontents de cette retraite, qui leur arrive à l’improviste, d’une manière si brusque et souvent si inattendue. C’est une injustice, disent les uns ; on maintient M. un tel dans le cadre d’activité, et cependant, il est plus âgé que moi. On m’a sacrifié pour faire avancer M. un tel. N’est-ce pas bien malheureux ? disent les autres, je venais précisément de passer un nouveau bail de maison, d’acheter des chevaux, de faire faire des uniformes neufs. Que faire de ma maison, de mes chevaux, de mes uniformes ? Si au moins on m’avait prévenu d’avance, je me serais bien gardé de faire ces dépenses, je ne me serais pas mis dans la gêne ; je ne me serais pas mis en arrière.
Eh bien, messieurs, par la disposition que la section centrale vous propose, on fera cesser toutes ces récriminations, tous ces mécontentements. A tel âge, on saura que la loi prononce d’une manière générale et absolue, qu’elle s’applique à tous les grades ; les officiers se feront à cette idée, ils prendront leurs mesures, leurs dispositions en conséquence, et ils recevront leur retraite comme une récompense due à leurs bons et loyaux services, et non comme une punition, ainsi que beaucoup la considèrent aujourd’hui. Ne pouvant plus juger par des comparaisons qui les rendent mécontents, il ne leur sera plus permis de dire : Moi qui me trouvais sans relations influentes, on m’a mis à la retraite sans pitié, tandis que M. un tel, quoique plus âgé, parce qu’il était fortement recommandé et protégé, on lui a conservé une position plus avantageuse en le maintenant dans le cadre d’activité.
Je crois, messieurs, que, pour la mise à la retraite, il est nécessaire de fixer une limite que le gouvernement ne pourra pas dépasser ; et dans l’intérêt de l’Etat aussi bien que dans celui de l’armée, j’espère que vous sanctionnerez la proposition de la section centrale.
Je ne puis m’empêcher d’exprimer combien je regrette que la perte sensible que vient de faire l’un de nos honorables collègues de la section centrale l’empêche d’assister à cette discussion. S’il n’est pas l’auteur de la proposition, il l’a chaudement appuyée dans le sein de votre section centrale, et c’est lui qui en a fixé l’échelle d’âge. Ses talents et ses lumières nous eussent été d’un grand secours dans une question qui, selon moi, intéresse vivement l’avenir de l’armée, et qui, à en juger par le discours qu’a prononcé hier l’honorable M. Orts, n’a pas été bien comprise par cet honorable membre.
J’essayerai de prouver à l’honorable membre qu’il est dans l’erreur sur tous ces points.
D’abord je commencerai par lui faire remarquer que je suis aussi jaloux qu’il pourrait l’être du respect que l’on doit à la prérogative royale, et que par notre proposition, bien loin de nuire à la prérogative royale, je crois, au contraire, que nous lui venons en aide, parce qu’il est de l’intérêt du pouvoir que la loi établisse des limites, afin d’éviter l’arbitraire.
L’art. 1er de la loi du 26 mai 1838 est ainsi conçu :
« Les militaires de tout grade et de toute arme qui ont 40 années de services et qui sont âgés de 55 ans accomplis, ont droit à une pension de retraite. »
Aux termes de cet article, il est loisible à tout officier ayant 40 années de services et 55 ans d’âge d’exiger sa retraite, comme il est loisible au gouvernement de la lui donner d’office, sans cependant qu’il soit tenu de le faire aussitôt que l’officier réunit ces deux conditions. Que résulte-t-il de cette faculté laissée au gouvernement ? C’est que, lorsqu’usant de son droit, il met tel ou tel officier à la retraite, tout en maintenant dans le cadre d’activité tel ou tel officier plus âgé, on l’accuse d’arbitraire et de partialité. La prérogative royale apparaît alors comme un acte de rigueur, un acte tout personnel, et la faculté que lui donne la loi lui est plutôt nuisible que favorable.
La section centrale vous proposant d’insérer dans la loi une limite d’âge que l’on ne peut dépasser, exclut toute supposition de favoritisme ou d’arbitraire, et en cela elle rend service à la prérogative royale au lieu de lui nuire. On ne pourra plus alors établir de comparaison, on ne pourra plus dire que la décision du souverain est un acte personnel, un acte de rigueur, que tel ou tel a été maintenu par faveur, qu’on a cédé à telle ou telle obsession, que tel ou tel ministre suit un système diamétralement opposé à celui de son prédécesseur ; c’est la loi, qu’on ne pourra accuser qui aura prononcé d’une manière absolue et générale pour tous ; et en adoptant la proposition à la section centrale, je le répète, au lieu de nuire à la prérogative royale, comme semble le croire l’honorable M. Orts, dans mon opinion, on aurait posé un acte qui lui aura été favorable, parce qu’il n’y a aucun avantage pour elle à l’exercer en pareille circonstance.
Vous voulez priver l’armée de l’expérience des vieux officiers, dit encore l’honorable député de Bruxelles. « Frappé d’un ostracisme légal, le vieil officier devra céder la place à un plus jeune qui souvent ne le vaudra pas, (page 1367) tant sur le rapport des connaissances acquises que sous celui de l’expérience. »
Messieurs, personne plus que moi assurément ne professe une reconnaissance plus vive et plus sincère pour les vieux officiers qui ont bien servi le pays, mais tout à ses limites, sa fin, et le service militaire, comme les autres choses, est soumis à cette loi générale de la nature. L’on ne peut méconnaître qu’arrivé à une certaine époque de la vie, chaque année nouvelle n’enlève à tout homme plus de force et de vigueur qu’elle ne lui apporte d’expérience, et si, par rare exception, quelques hommes échappent à la loi commune, y aurait-il là, messieurs, un motif suffisant de repousser un système qui s’applique à la grande généralité ? Qu’on profite de l’expérience des anciens officiers aussi longtemps que cette expérience peut encore se traduire par des faits utiles, à la bonne heure, mais il ne faut pas perdre de vue que les services militaires sont d’une nature telle qu’ils sont incompatibles avec la perte des forces physiques, et que l’on ne peut admettre une espèce d’inamovibilité dans des fonctions qui, pour être bien remplies, exigent beaucoup d’activité.
On a invoqué contre la proposition de la limite d’âge, les services que pourraient avoir rendus les vieux officiers et l’obligation de reconnaissance que ces services imposent au pays. Sans doute, messieurs, on doit honorer les services militaires comme ils le méritent, et pour mon compte, je ne vois jamais un bon et ancien militaire écarté de l’armée, sans en éprouver un sentiment pénible de regrets. Cependant, il faut bien reconnaître que si l’on n’admettait pas le principe des retraites pour les officiers qui ne peuvent plus servir activement et utilement, un système contraire serait désastreux pour l’armée.
Qu’il y a dans l’armée beaucoup d’officiers qui, pour avoir quelques années de moins, ont tout autant de connaissances et d’expérience que ceux qui sont un peu plus âgés ;
Qu’il est d’une nécessité indispensable de donner aux sous-officiers et aux officiers subalternes une perspective d’avancement ;
Que quelques services qu’un militaire puisse avoir rendus, lorsque la force lui manque pour en rendre de nouveaux, on ne peut pas exiger de le rétribuer à l’égal de ceux qui en rendent d’effectifs ;
Et toutes ces considérations me paraissent trop péremptoires pour, tout en déplorant la nécessité de retraiter les officiers, ne pas être convaincu que cette nécessité est indispensable dans l’intérêt du pays et de l’armée.
Assurément, messieurs, les vieux militaires méritent tous les égard possibles. Ils doivent être honorés, ils doivent être considérés, et jamais je ne crois qu’ils ne puissent faire ce qu’ils ont fait ; mais je crois que l’intérêt du pays et de l’armée s’oppose à ce qu’un militaire parvenu à un certain âge soit employé en raison seulement des services qu’il a rendus et non de ceux qu’il peut rendre.
« L’amendement de la section centrale est non-seulement nuisible au service public, mais il est de nature à compromettre l’intérêt du trésor », dit également l’honorable député de Bruxelles.
Messieurs, je crois déjà vous avoir prouvé que notre amendement ne serait nullement nuisible au service public ; j’espère aussi vous prouver qu’il ne sera pas si onéreux pour le trésor que semble le croire l’honorable M. Orts.
Veuillez le remarquer, après des âges tels que ceux de 55, 57, 59, 62 et 65 ans, les chances de vie, surtout pour les militaires, ne sont pas bien grandes. La mort se chargera trop vite d’éclaircir le rang des pensionnés. Et puis, du moment qu’une armée est reconnue nécessaire, indispensable, il faut bien en subir les conséquences.
En France, la somme affectée en 1844 aux pensions militaires, s’élève à 43,940,000 fr. La Belgique n’y consacre qu’une somme de 1,940,000 fr. (budget de cette année). Ce chiffre est loin d’être proportionnel à celui de la France, si l’on considère la population et l’effectif de l’armée dans les deux pays. Si l’on prenait le 1/8, il serait de 5,492,500 fr.
D’ailleurs, messieurs, il ne faut pas croire que si vous adoptez la proposition de la section centrale, il y aura un si grand nombre d’officiers à pensionner. Je crois qu’il y a erreur dans le relevé dont l’honorable M. Orts vous a donné lecture dans la séance d’hier. En voici un autre que j’ai fait d’après l’Annuaire et qui je pense, est plus exact :
En 1845, il y aurait 50 officiers de tous grades à pensionner ; en 1843, 20 ; en 1847, 31 ; en 1848, 23 ; en 1849, 29. Total : 153.
Dans cette période de 5 années, il n’y aurait donc que 153 officiers à pensionner et encore ce chiffre ne serait pas atteint, car la mort n’épargne personne, et vraisemblablement quelques officiers disparaîtraient avant que ces 5 années ne fussent écoulées.
Dans les 5 années écoulées, de 1839 à 1843 inclus, il y a eu 224 officiers pensionnés ; donc une différence de 71 officiers pensionnés en plus qu’il ne pourrait y en avoir dans les 5 années à venir, si vous adoptiez notre amendement, et admettant que pas un ne vînt à mourir d’ici à cette époque.
Vous le voyez, le nombre d’officiers à pensionner ne sera pas si considérable que semble le croire l’honorable M. Orts.
Messieurs, si l’on ne doit pas perdre de vue que le principe des retraites repose sur cette considération que l’Etat doit récompenser les services rendus au corps social, quand leur importance et leur durée mérite ce témoignage de reconnaissance, et que, d’un autre côté, si l’on ne faisait pas de vacature, il n’y aurait pas d’avancement et pas de possibilité de constituer un cadre de sous-officiers. Il en résulterait que dans tous les grades on n’aurait que des officiers vieillis, découragés, et l’Etat perdrait certainement plus à n’avoir qu’une armée dépourvue d’énergie et d’activité, qu’il ne gagnerait en finances.
L’honorable M. Orts reconnaîtra sans doute avec nous qu’il y a nécessité d’entretenir l’émulation dans l’armée, et de ne pas arrêter entièrement l’avancement ; eh bien, messieurs, en temps de paix, c’est un principe reconnu dans toutes les armées, il n’y a d’autre moyen, pour obtenir ce résultat, que d’accorder des retraites.
Il importe d’entretenir et d’exalter l’esprit militaire ; pour y parvenir, il faut nécessairement qu’on puisse stimuler le zèle, et émouvoir l’ambition par l’espoir des récompenses. Si, en temps de paix, vous n’assuriez pas un avenir à l’armée, vous n’y verriez entrer et y rester que le rebut de la société. Quel est celui qui voudrait entreprendre une carrière sans perspective d’avenir ? L’armée, dans un pays constitutionnel surtout, doit être composée de toutes les classes de la société ; eh bien, il n’y a pas à en douter : dans toutes les familles quelque peu à l’aise, les parents chercheraient à détourner leurs enfants de la carrière militaire, si l’avancement de l’armée était paralysé.
L’honorable M. Delehaye vous signalait comme l’un des inconvénients de notre armée, le manque de sous-officiers. En laissant s’accumuler le nombre des non-valeurs, on contribue encore à augmenter cette détresse.
Si les chances ordinaires de mortalité devaient seules procurer l’avancement, les grades inférieurs se trouveraient placés dans une espèce d’immobilité, et les sous-officiers, moins que jamais, auraient des chances d’obtenir l’épaulette. On ne peut le contester : même en temps de paix, un certain mouvement ascensionnel est nécessaire à l’armée, autant pour rajeunir les grades que pour procurer l’émulation, condition vitale pour une armée, et pour engager un chacun à bien faire son devoir et bien servir le pays. C’est une nécessité indispensable pour y conserver de l’énergie et de la vigueur ; et si, en dehors des chances de mortalité, on n’établissait pas un certain vide dans l’armée, il en résulterait qu’au moment de la guerre, il faudrait procéder à un renouvellement presque complet de tous les grades, inconvénient qui serait des plus graves.
En temps de guerre, cette difficulté n’existe pas, le vide s’établit dans le cadre des officiers, souvent d’une manière trop rapide ; mais en temps de paix si on ne le faisait pas, on amènerait un découragement complet et le dégoût de l’état militaire.
D’ailleurs les officiers inférieurs qui, comme toutes les autres, sont toujours prêts à verser leur sang pour le pays, ont des titres à l’avancement, et des droits pour les fonctions qui, en réalité, ne sont pas remplies ou qui sont dérisoirement occupées.
Enfin, messieurs, l’honorable M.Orts vous a fait remarquer que la sortie du cadre d’activité, prononcée par les années, était aveugle, et pouvait être mal appliquée à l’égard de certains officiers.
Quoi, dit l’honorable M. Orts, « la constitution physique la plus robuste, la jouissance la plus complète des facultés intellectuelles, le zèle le plus actif dans l’accomplissement de tous les devoirs, ne pourront pas empêcher la mise à la retraite d’un officier du service militaire actif. »
Je conviens, messieurs, que notre proposition peut être rigoureuse pour quelques-uns, mais, au moins, cette mesure ne sera nuisible qu’à ces quelques-uns et nullement à la généralité ni au service public. Que deviendrait donc l’armée, si son état-major était en quelque sorte inamovible ? L’avancement est déjà si peu rapide que, dans plusieurs années, une quantité de lieutenants et de sous-lieutenants n’ont pas reçu d’avancement depuis 13 ans, et que l’on ne peut parvenir à compléter le cadre des sous-officiers.
Un certain mouvement d’avancement est indispensable dans l’armée. Puis, il faut bien le reconnaître, il est une époque de la vie où les facultés morales et physiques déclinent, et la loi de la nature est telle que ceux qui ont été ne peuvent plus être, et doivent céder la place à ceux qui sont ou qui seront.
Je ne me dissimule pas que la limite absolue d’âge, telle que vous la propose la section centrale, peut donner lieu à quelques exclusions prématurées, mais cet inconvénient est beaucoup moindre que ceux que présente la faculté laissé au ministre de conserver en activité de service, suivant son bon plaisir, et sans règles fixes, les officiers qui ont plus de 55 ans d’âge. Cette faculté est dangereuse, d’abord parce que, par déférence pour de hautes positions, le ministre peut se laisse circonvenir par des influences particulières, et ensuite parce qu’alors même qu’il résiste à ces influences, il n’est pas moins soupçonné d’y avoir égard, qu’il faut presque autant de mécontents qu’il pensionne d’individus, et que la retraite est envisagée comme une position, et non comme une récompense.
Je suis persuadé que, s’il se trouve, au-delà des limites que nous proposons, quelques officiers doués d’une constitution assez robuste pour faire encore un service actif, ces exceptions sont peu communes, et la généralité, ce me semble, doit l’emporter.
Je crois donc, messieurs, qu’il est beaucoup plus juste, plus naturel, plus exact, plus prudent de poser dans le même grade des limites d’âge égales pour tous, parce que les exceptions de la nature seront beaucoup plus rares que celles que pourrait faire naître la faveur ; que de cette manière on préviendra les mécontentements, et qu’on rendra à la retraite son véritable caractère, qui est celui d’être une récompense, et non une punition.
Je terminerai, messieurs, en vous faisant remarquer qu’il est peu de pays où les institutions militaires soient mieux comprises et débattues qu’en France. Eh bien, en France, c’est la loi qui prononce d’une manière absolue la sortie du cadre d’activité pour les officiers généraux, à un âge déterminé.
(page 1368) Pour les autres grades, la sortie du cadre d’activité a encore lieu en raison de l’âge, mais par ordonnances royales, ou ensuite des instructions données aux inspecteurs généraux. Les officiers de tous grades savent que tel jour ils recevront leur brevet de retraite, et, dès trois mois à l’avance, il leur est permis de rendre leurs dispositions en conséquence. Si le principe de la limite d’âge a été adopté en France comme le meilleur et le moins arbitraire, je crois que nous pouvons l’adopter sans crainte, et, en l’inscrivant dans la loi, il n’y a pas de doute que les intérêts des personnes seront mieux garantis que nous abandonnons au pouvoir la faculté de statuer sur leur sort.
Tous ces motifs, messieurs, me font vivement désirer que vous sanctionniez la proposition de la section centrale.
M. d’Huart – Messieurs, l’argument principal présenté pour combattre les observations de l’honorable M. Orts et appuyer la disposition proposée par la section centrale, il vous a été facile de le reconnaître, c’est l’insuffisance du gouvernement à prendre les mesures auxquelles l’autorise la loi de 1838, c’est la crainte du département de la guerre de froisser quelques intérêts particuliers. Voilà toute la base, la base fondamentale du système qui vous est proposé. Quant à moi, je ne puis admettre un semblable système ; je désire que les ministres conservent leur responsabilité et sachent en user.
Je ne puis donner les mains à un système semblable qui est uniquement motivé sur ce que le gouvernement n’oserait pas exécuter la loi. Pour obvier à cela, que vous propose-t-il ? De stipuler aveuglément, de par la loi, la mise à la retraite des officiers quand ils sont arrivés à un certain âge.
L’honorable M. Orts l’a démontré ; il arrivera que, par cette disposition, vous allez mettre à la retraite des hommes valides, et que, par votre loi d’organisation vous désorganiserez l’armée, vous mettrez de côté des officiers qui peuvent rendre de grands services pendant un grand nombre d’années encore. Ce système ne paraît pas avoir de grandes chances de succès dans cette chambre ; car dans une loi dont vous vous êtes occupés naguère, une disposition, ayant quelque analogie avec celle dont il s’agit, avait été proposée ; elle n’a pas été admise. Ainsi, pour l’ordre judiciaire, on avait proposé de mettre à la retraite les magistrats ayant atteint leur 70e année. On n’a pas voulu présumer l’incapacité du magistrat à 70 ans ; on a voulu le laisser sur son siège aussi longtemps qu’il pourrait rendre des services. Vous voudriez que les officiers qui, eux aussi, ont des garanties constitutionnelles, fussent mis à la retraite quand ils auront atteint certain âge que vous déterminerez arbitrairement dans une loi !
C’est vainement qu’on veut vous rassurer sur la dépense qui pourrait résulter de la disposition. Je m’empare des calculs présentés par l’honorable M. Pirson lui-même. En quatre ans et non en cinq ans, de 1845 à 1849, 150 officiers seront mis à la retraite dans les grades supérieurs ; il en résultera une dépense de plus de 300 mille francs qu’il faudra porter pour les pensions à votre budget.
On n’a pas bien réfléchi à la portée de cette disposition, car elle va en sens inverse du but que ses auteurs se sont proposé ; en vertu de la loi de 1838, les officiers de tout grade peuvent être mis à la retraire à l’âge de 55 ans. Vous voulez, par l’art.6, qu’en certains cas la mise à la retraite des officiers ait lieu à 65 ans quand on pourrait les y mettre à 55 ans. Il ne faut pas se le dissimuler : on attendra l’âge de 65 ans pour mettre le général de division à la retraite, alors que ses infirmités ne lui permettraient plus de rendre des services. Ce qui arrivera pour les généraux de division, arrivera dans des proportions à peu près semblables, pour les officiers d’un grade moins élevé.
Messieurs, je crois du reste, que, quelle que soit l’opinion que l’on ait à cet égard, il est de toute impossibilité que la chambre s’occupe aujourd’hui utilement de cette question. Si on veut y donner suite, il faut une loi spéciale ; car la disposition qu’on présente bouleverse complètement la loi des pensions militaires. En effet, vous n’avez pas prévu ce qui arriverait dans plusieurs cas si vous adoptiez les dispositions rigoureuses proposées pour la mise à la retraite des officiers. La loi que j’ai citée est basée sur deux prévisions, les blessures et les infirmités et l’ancienneté de service.
D’après votre disposition vous mettez un homme à la retraite n’eût-il que dix ans de service. Quelle pension lui accorderez-vous, sur quoi vous baserez-vous pour la lui donner ? Comment pourra-t-on liquider cette pension, si l’officier mis à la retraite n’a ni blessures, ni infirmités, ni le temps de service exigé par la loi sur les pensions ?
Vous bouleversez donc complètement la loi des pensions militaires qui a eu égard, comme la loi des pensions civiles, aux services rendus, aux blessures, aux infirmités contractées dans le service.
On ne peut pas incidemment adopter une loi qui bouleverse une autre loi générale qui n’a été adoptée qu’après de longues discussions. Je demande qu’on me dise comment on pourra liquider une pension d’officier ayant dix ans de services et n’ayant ni blessures ni infirmités. Vous ne le pourrez pas. Je propose donc, comme motion d’ordre, de renvoyer l’article dont il s’agit à la section centrale pour en faire, s’il y a lieu, l’objet d’une loi spéciale.
Ainsi, je demande positivement la disjonction.
M. de Brouckere – Messieurs, je suis partisan de la mesure qui a pour objet de rendre obligatoire la mise à la pension de retraite des officiers, d’après une échelle d’âge en rapport avec les différents grades ; et il faut que mon opinion à cet égard soit bien arrêtée pour qu’elle n’ait pas été ébranlée par le discours qu’a prononcé hier M. Orts. J’expliquerai le plus brièvement possible quels sont les motifs de mon opinion, et vous verrez qu’ils ne se restreignent pas à une seule considération, comme semble le penser l’honorable M. d’Huart. Mais, d’abord, je rencontrerai les principaux arguments qu’a fait valoir l’honorable M. Orts, arguments qui ont déjà, en grande partie, été réfutés par l’honorable M. Pirson.
D’abord, selon l’honorable membre, notre système, qu’il qualifie à tort, selon moi, de rigoureux, restreindrait sans nécessité la prérogative royale ; et pourquoi ? Parce que, aujourd’hui, la mise à la retraite des officiers parvenus à un certain âge, n’est que facultative, et qu’on veut rendre cette mise à la retraite obligatoire. Veuillez remarquer, messieurs, qu’il n’est nullement question ici d’une prérogative constitutionnelle, ni même d’une prérogative qui aurait pour effet d’entourer le pouvoir royal de plus de force, de plus de considération, de plus de respect. La loi de 1838 renferme, sur la mise à la retraite des officiers, certaines dispositions que la loi de 1845 peut très-bien modifier, sans qu’il y ait à cela la moindre difficulté. La meilleure preuve qu’il n’est pas question ici d’une prérogative du pouvoir royal, dont ce pouvoir pourrait être le moins du monde jaloux, c’est que le gouvernement lui-même adhère à la disposition que nous discutons et vient la soutenir.
Au Roi appartient le choix, la nomination de tous les officiers ; mais sa prérogative à cet égard a été astreinte à certaines règles, à certaines conditions qu’il doit observer. La loi peut également prescrire des règles et des conditions pour la conservation des officiers en activité de service.
« Ainsi, (dit l’honorable M. Orts,) la constitution physique la plus robuste, la jouissance la plus complète des facultés intellectuelles, le zèle le plus actif dans l’accomplissement de tous les devoirs, ne pourront empêcher la mise à la retraite soit d’un officier du service militaire actif, soit d’un officier du corps de l’intendance, ou du service de santé, du moment où l’heure fatal de l’âge légal aura sonné pour lui !
Le gouvernement, convaincu des services précieux que cet officier dévoué rend et qu’il pourra rendre encore pendant plusieurs années peut-être, désirera en vain le conserver ; un mur d’airain s’élève entre les fonctions et le fonctionnaire.
Frappé d’un ostracisme légal, il devra céder la place à un plus jeune, qui souvent ne le vaudra pas, tant sous le rapport de connaissances acquises que sous celui de la pratique. »
Vous voyez, messieurs, que je ne cherche pas à affaiblir les arguments de l’honorable M. Orts, puisque je les reproduis en me servant des termes qu’il a employés.
Je réponds à cela qu’il y a un âge où, en règle générale, un homme n’a plus une constitution physique aussi robuste pour suffire à un service très-actif, pour supporter des fatigues de tous les jours ; et quand je parle d’un service très-actif, de fatigues de tous les jours, c’est que j’ai toujours en vue des cadres organisés pour la guerre, et non pas, comme certains orateurs, les cadres d’une armée qui ne serait organisée que pour la paix.
Il y a sans doute des exceptions à cette loi de la nature qui veut qu’à dater d’une certaine époque nos forces aillent en s’affaiblissant. Mais nous ne faisons pas les lois pour les exceptions. Il faut au contraire que nous perdions de vue les cas rares et exceptionnels, pour ne nous occuper que de l’ordre habituel des choses et des événements ordinaires de la vie.
Mais, dit encore l’honorable M. Orts, le pouvoir qu’exerce aujourd’hui le gouvernement de mettre ou de ne pas mettre à la retraite des officiers arrivés à un certain âge ne présente aucun danger ; laissez-le juge des questions qui s’élèvent à cet égard ; il agit sous votre contrôle et si par faiblesse ou par favoritisme le ministère ne fait pas son devoir, c’est à vous de le lui rappeler ; c’est votre droit, c’est votre obligation.
Ainsi, chaque année (et c’est ce que nous propose l’honorable M. Orts), en examinant le budget de la guerre, nous discuterons si le gouvernement fait bien de conserver au service tel officier qui a atteint l’âge où il peut être mis à la pension, et si l’on trouve que le gouvernement a tort de ne pas mettre à la retraite tel général, tel colonel, tel major.
Le système préconisé par l’honorable M. Orts, a deux inconvénients qu’il suffit de signaler pour le faire condamner.
D’abord, il vous entraîne dans une foule de questions de personnes que la chambre doit, au contraire, éviter et qui véritablement lui répugnent et répugnent à chacun de nous. Mais mieux vaudrait renvoyer l’examen des articles du budget qu’on veut nous faire rejeter par des votes motivés, à une académie de médecine. Car cette académie serait beaucoup plus compétente que nous pour examiner, relativement à chaque officier parvenu à un certain âge, s’il a encore, oui ou non, les facultés physiques et morales nécessaires pour être conservé au service.
En second lieu, il résulterait de ce système que ce serait, en définitive, la chambre qui prononcerait sur la conservation ou la mise à la retraite des officiers, et je pense, messieurs, que cela serait bien pire encore que le système qui existe aujourd’hui, et pire surtout que le système que nous voulons substituer à celui qui existe.
L’honorable M. Osy a parlé de quelques personnes qui seraient entrées au service en 1830, quoique parvenues à l’âge de 40 ou de 45 ans et qui, à l’entendre, ne l’auraient certes pas fait, si elles avaient pu prévoir qu’on les mettrait à la retraite après quinze ans de loyaux services. Mais encore une fois, messieurs, ceci ne peut être qu’une exception ; et pour l’intérêt d’un petit nombre de serviteurs, que je crois très-méritants, du reste, je ne renoncerai pas, quant à moi, à une mesure dont je crois qu’il y a beaucoup de bien à attendre, et sans laquelle, je n’hésite pas à le dire, nous n’aurons jamais une armée capable et prête à entrer en campagne.
En effet, il est incontestable qu’à un certain âge et selon le service dont on est chargé, en règle générale, on n’est plus propre aux fatigues d’une campagne.
Cependant, le gouvernement recule, en temps de paix, devant une mise à la retraite qui contrarie ceux qui doivent en être atteints.
(page 1369) C’est de la faiblesse, dit-on ; soit, messieurs ; mais c’est une faiblesse dont tous les ministres se rendront coupables. Les ministres n’ont pas chez nous une si longue existence pour qu’ils l’emploient à se créer des ennemis, et quand ils peuvent l’éviter, ils l’évitent. Ils reculent devant une mesure qui doit froisser ou un ancien camarade ou quelquefois même un ancien chef. Car je vous prie de ne pas le perdre de vue, sans reculer bien loin, nos trois derniers ministres de la guerre, y compris le ministre qui est aujourd’hui au pouvoir, n’avaient que le grade de généraux de brigade, et l’on conçoit combien il doit leur être difficile et pénible de faire mettre à la retraite des généraux de division sous les ordres desquels ils ont servi, auxquels il ont peut-être certaines obligations.
Ces généraux, d’ailleurs, entre beaucoup d’autres griefs, ne manqueront pas d’accuser le ministre, leur inférieur en grade, de n’avoir voulu, en provoquant leur retraite, que travailler à leur propre avancement, que faire ouvrir des places pour qu’il puisse plus promptement être appelé à un grade supérieur.
Il y a une autre considération, messieurs, qui explique cette prétendue faiblesse, c’est que les ministres de la guerre, comme tous les autres hommes font quelquefois un petit retour sur eux-mêmes et qu’ils doivent se dire : « Comme je traiterai les autres, on pourrait très bien me traiter plus tard. Or, comme je ne suis pas très-désireux d’avoir ma retraire de bonne heure, je laisserai le plus longtemps possible au service les généraux qui y sont aujourd’hui. » A l’aide de ce petit raisonnement fort naturel, on ne met personne à la retraite.
Il n’y a, messieurs, qu’un seul remède à tous ces inconvénients, et puisqu’il est impossible que le gouvernement prononce d’une manière convenable aux intérêts de l’armée, qui sont les intérêts du pays, puisqu’il est bien plus impossible encore que ce soient les chambres qui prononcent, il faut que la loi le fasse. Les officiers mis à la retraite de par la loi, n’auront pas à se plaindre, puisqu’ils ne feront que subir une loi commune, et cette mise à la retraite qui aujourd’hui est un véritable brevet d’incapacité, cette mise à la retraite ne sera plus que l’effet d’une mesure générale.
D’un autre côté, messieurs, vous rajeunirez l’armée, vous la rendrez plus énergique, plus vigoureuse, vous ranimerez l’émulation, vous ferez renaître l’espérance et avec elle le dévouement, vous serez sûrs que si la guerre doit éclater il ne faudra pas commencer par tout bouleverser, par ôter leur commandement à des hommes qui ne sauraient le conserver sans danger et le confier à des mains inhabiles et inexpérimentées. Dans toutes les éventualités les cadres resteront tels qu’ils sont, et les soldats continueront à être conduits par les hommes auxquels ils sont habitués.
D’ailleurs, messieurs, l’honorable M. Pirson vous l’a dit, le même système existe en France, et je ne pense pas que l’on s’en plaigne. En fait d’organisation militaire, nous pouvons, sans trop d’humilité, chercher des leçons chez nos voisins du midi.
Cependant, messieurs, je reconnais qu’il y aurait quelque chose de dur, d’injuste même à rendre immédiatement obligatoire la disposition proposée par la section centrale et modifiée par M. le ministre de la guerre, puisque cette disposition frapperait, dans un délai plus ou moins rapproché, un assez grand nombre d’officiers, qui ne s’y attendent point. Aussi je propose la disposition additionnelle suivante :
« Cette disposition ne recevra son exécution qu’à partir du 1er janvier 1848. »
M. d’Huart – Cela prouve la bonté du principe.
M. de Brouckere – Ce ne prouve, à coup sûr, rien sur la bonté du principe ; j’ai appuyé une règle générale que je considère comme excellente, sans laquelle vous ne pouvez pas avoir une bonne armée ; mais je ne vois pas d’urgence à en faire une application rigoureuse.
L’honorable M. d’Huart partage sans doute mon espoir, ma pensée que la guerre n’est pas prête à éclater ; il n’y a donc pas nécessité à ce qu’une mesure qui peut froisser des hommes honorables, des hommes aux services desquels je rends parfaitement justice, à ce que cette mesure soit mise immédiatement à exécution. Ce sera un avertissement pour eux ; ils sauront qu’à partir du 1er janvier 1848, la disposition sera obligatoire pour tous. Mais remarquez bien, messieurs, que la disposition qui existe aujourd’hui, et en vertu de laquelle le gouvernement a la faculté de mettre à la retraite les officiers qui ne peuvent pas être conservés en activité de service, que cette disposition restera en vigueur. Le gouvernement conservera donc, d’ici au 1er janvier 1848, la faculté dont il jouit aujourd’hui, et l’obligation n’existera qu’à partir du le janvier 1848.
Un membre – Faites-vous une exception pour le service de santé ?
M. de Brouckere – On me demande, messieurs, si je fais une exception pour le service de santé, et je réponds tout d’abord : Non. Je conçois très-bien qu’on peut être excellent médecin pour le service d’une garnison après l’âge de 60 ou 65 ans ; peut-être même fait-on bien, quand on a le choix, de préférer un médecin vieux à un médecin jeune, parce que le premier a plus d’expérience ; mais je ne puis concevoir qu’un homme de 65 ans puisse être considéré, en règle générale, comme ayant assez de forces physiques pour suffire en campagne à un service tout aussi fatigant que celui des officiers de ligne.
Je n’admets donc aucune exception pour le service de santé, parce que je suis toujours sous l’empire de la même idée, que je n’ai pas abandonnée un seul instant, que nous organisons l’armée, non pas pour la paix, mais pour la guerre.
Je déposerai mon amendement sur le bureau, mais peut-être, s’il était adopté, pourrait-on se contenter de rédiger l’article de la manière suivante : « A partir du 1er janvier 1848, etc. »
M. de Chimay, rapporteur – Messieurs, les amendements de la section centrale ont eu, en général, peu de succès ; aussi, est-ce presque en tremblant que je remonte encore à la brèche. L’art. 6, proposé par nous, traite cependant, comme on vous l’a dit, d’une question du plus haut intérêt pour la bonne organisation, les progrès, l’efficacité de l’armée, et j’ose espérer que la chambre si généreuse jusqu’ici ne s’arrêtera pas devant de faibles considérations financières tout à fait nulles si on les met en balance avec le grand but qu’on se propose.
Plus que personne, messieurs, je respecte l’âge et l’expérience, qu’en règle générale, il peut seul donner. J’apprécie tout ce qu’il y a de pénible dans la retraite forcée que nous proposons d’appliquer à de bons et anciens serviteurs du pays, par cela seulement qu’une heure fatale aura légalement sonné pour eux.
Eh bien, messieurs, la justification morale du projet de la section centrale, en dehors de son incontestable nécessité, au point de vue militaire, est tout entière dans ce reproche.
Oui, messieurs, nous avons voulu, au profit du gouvernement lui-même et de sa liberté d’action, et de l’armée, que la loi, impartiale pour tous, parce qu’elle s’applique à tous, mît le gouvernement en garde, tantôt contre l’intrigue, tantôt contre un excès de bienveillance et entretînt, avec quelques espérances d’avancement dans les rangs de l’armée, les éléments de force et d’activité inséparables de la jeunesse, quoi qu’on en dise, et sans lesquels cette armée ne serait qu’une charge irrationnelle autant qu’inutile. Toute règle à ses exceptions. Je sais que, dans le nombre des officiers atteints ou à atteindre par la mesure proposée, il pourra se trouver quelques-unes de ces constitutions qui semblent défier l’âge et ses tristes conséquences ; mais quand il s’agit d’un principe applicable à deux mille cinq cent personnes, peut-on, en bonne logique, prendre pour base ces rares exceptions ? dans mon esprit, messieurs, elles n’existent même pas d’une manière absolue.
Le temps, ce grand destructeur de toutes choses, peut sans doute porter ses premiers et inévitables ravages sur telle ou telle partie de notre organisation, mais jamais il ne la laisse subsister intacte, et, en général, il est incontestable surtout aux gens de guerre. Vous avez vu, messieurs, les scrupules qui se sont élevés à propos de la magistrature ; n’a-t-on pas parlé, du reste fort à tort, selon moi, et ainsi que l’a dit l’honorable M. d’Huart, de mise à la retraite, pour raison d’âge, à propos des inamovibles par excellence. Je dis à tort, parce que les travaux administratifs et sédentaires admettent non-seulement une longévité plus grande, mais une conservation des facultés intellectuelles qui survivent parfois d’une manière admirable à un anéantissement physique presque absolu.
En résume, messieurs, les avantages de l’amendement de la section centrale sont incontestables au triple point de vue de l’impartialité, de la force de l’armée et de la prévoyance. Vous vous rappelez tous, messieurs, la faiblesse de notre ancienne organisation militaire ; on l’attribuait avec raison à la caducité, au peu de vigueur des cadres, surtout dans les grades élevés. Et je tiens de source certaine qu’en 1831, les lenteurs et l’inefficacité de l’attaque hollandaise ont été dues en grande partie à l’obligation de donner à l’armée un repos qui a peut-être préservé Bruxelles d’une occupation dont les résultats eussent été incalculables.
Je citerai un autre exemple : Lorsqu’il a fallu, en 1835, organiser une expédition pour l’Algérie, le gouvernement français s’est vu dans la nécessité de pensionner un grand nombre d’officiers reconnus impropres à supporter les fatigues de la guerre. Il en résulta une telle perturbation qu’on fut amené à l’adoption d’un système de limites d’âge analogue à celui que nous vous proposons.
Or, messieurs, quelles que soient les hypothèses de défense ou d’attaque que nous adoptions, vous reconnaîtrez que l’intérêt national nous défend, à tout prix, de courir de pareilles chances.
Je n’ai pas besoin d’insister sur la force que puise notre amendement dans l’adhésion pleine et entière de M. le ministre de la guerre aux principes sur lesquels cet amendement est basé. Je me rallierai donc aux conditions d’âge posées par le gouvernement, et mieux réglées peut-être que les nôtres. J’approuve également les exceptions qu’il propose. Je reconnaîtrai même avec l’honorable M. Orts, pour peu qu’il y tienne, la convenance d’une exception absolue à l’égard du service de l’intendance et du service de santé. Car, dans mon appréciation, la mesure sera complète du moment qu’elle atteindra la partie active de l’armée. On peut, à tout âge, très-bien compter et régler des comptes. Je consens donc à décréter l’immortalité administrative des intendants.
Les chirurgiens militaires ont besoin tout à la fois d’expérience et d’énergie ; je veux bien encore, au détriment de cette dernière et précieuse qualité sur le champ de bataille, admettre quelques années de tolérance. Mais, consciencieusement, tout le monde comprendra l’incompatibilité que nous désirons établir entre les épaules de 55 ans et les épaulettes de lieutenant.
J’espère que dans les limites que je viens d’indiquer, et en dehors de toute question financière qu’on peut renvoyer à un examen ultérieur, pour rester conséquent avec les principes posés, le gouvernement joindra tous ses efforts aux miens pour obtenir l’adhésion de la chambre.
Messieurs, en prenant la parole probablement pour la dernière fois dans cette discussion, j’ai doublement à remercier la chambre ; je la remercie, comme représentant, de l’extrême bienveillance qu’elle n’a cessé de me témoigner ; mais je la remercie surtout, comme Belge, du beau et grand spectacle qu’elle vient de donner au pays et aux étrangers. Oui, messieurs, ce spectacle a été grand et beau, car, une fois encore, la chambre a montré qu’il n’y a plus dans son sein de rivalités d’hommes ou de principes quand il s’agit des grands intérêts nationaux ; elle a prouvé que tous unanimement (page 1370) nous voulons et entendons conserver notre patrie telle qu’elle est, indépendante et forte, respectable et respectée !
M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – Je viens satisfaire à l’invitation qui m’a été adressée par l’honorable rapporteur, en défendant la proposition qui vous a été soumise en premier lieu par la section centrale et à laquelle j’ai eu l’honneur de proposer des modifications.
Qu’il me soit permis d’abord d’écarter ici une question qui a été plusieurs fois soulevée. On a argumenté du manque de courage du gouvernement.
Je dois faire observer, messieurs, que le système concernant la fixation des limites d’âge a été proposé par la section centrale et qu’il est seulement appuyé par le gouvernement ; que ce système a été admis également en France et que les ministres français n’ont pas cru qu’ils manquaient de courage à cette occasion.
Quant à moi, messieurs, lorsque j’ai eu l’honneur d’être chargé du portefeuille de la guerre, je me suis enquis de mes devoirs, et j’ai pris la bien ferme résolution de les remplir, non-seulement à l’égard de mes inférieurs, mais aussi à l’égard de mes supérieurs en grade. Je ne crois pas, messieurs, devoir appuyer davantage sur ce point.
On a parlé aussi des influences auxquelles un ministre est sujet : à cet égard encore, je dois vous dire, messieurs, que la grande influence pour moi sera toujours l’accomplissement de mes devoirs, et que la grande influence pour moi sera la justice et l’intérêt du service.
Je passe maintenant, messieurs, à la proposition que j’ai l’honneur de vous soumettre.
Messieurs, dans la question qui vous est soumise, il ne faut pas se le dissimuler, plusieurs intérêts sont en présence : 1° les intérêts des jeunes officiers ; 2° les intérêts des anciens officiers ; 3° les intérêts du service.
L’amendement de la section centrale, avec les modifications que j’y ai proposées, me paraît satisfaire en même temps à ces différents intérêts.
Il est nécessaire d’entretenir l’émulation dans l’armée, et par conséquent, de faciliter l’avancement qui permet de conduire le mérite aux grades les plus élevés.
Le passage régulier à la retraire fournit un moyen d’imprimer une marche régulière à l’avancement, ; et par conséquent l’art. 6 est favorable aux officiers bien méritants en général.
D’un autre côté, messieurs, l’art. 2 de la loi de 1838 sur les pensions militaires, donne au gouvernement le pouvoir de mettre à la retraite les officiers ayant 55 ans d’âge. C’est sur cette disposition que les officiers de cette catégorie ont fondé quelques craintes. Ils redoutent qu’un ministre n’abuse de cette disposition, et qu’il ne leur en fasse l’application, quelle que soit leur force physique et morale, quels que soient les services qu’ils auront rendus, quelle que soit l’expérience dont il auront fait preuve.
L’art. 6, messieurs, est destiné à détruire ces inquiétudes. Il résulte de l’esprit et des termes dans lesquels il est conçu que ce n’est que dans des cas exceptionnels, tels qu’infirmités, que le gouvernement s’écartera de l’échelle d’âge qui vous est proposée.
Je sais bien, messieurs, que cette échelle contrariera les espérances de quelques officiers, mais cet inconvénient particulier doit s’effacer, même à leurs yeux, devant les garanties générales dont je viens de vous parler.
J’ai à vous entretenir du troisième intérêt engagé dans cette question, celui du service. Cet intérêt, le plus important de tous, se trouve naturellement satisfait avec les deux autres. En effet, d’un côté, en facilitant l’avancement des officiers de mérite, d’un autre côté, en conservant les officiers d’expérience, la disposition proposée assure la bonne composition de nos cadres.
Ainsi, cet amendement est basé sur un principe d’émulation, tout en mettant un frein à des ambitions qui pourraient être démesurées et à des prétentions fondées sur d’anciens services, qui doivent aussi être contenues dans des limites raisonnables.
Il est en tout cas favorable à la bonne composition des cadres, qui fait l’objet de cette loi ; l’adoption de cet amendement, messieurs, me paraît donc d’une utilité incontestable.
M. Verhaegen - Messieurs, je regrette qu’après avoir été d’accord jusqu’à présent, avec M. le ministre de la guerre, je doive, à la fin de la discussion, me séparer complètement de lui.
D’abord, comment se fait-il que M. le ministre vienne se rallier à la proposition de la section centrale, alors qu’il n’a pas jugé à propos de formuler, à cet égard, un article dans son projet primitif. De deux choses l’une : ou le gouvernement trouvait cette disposition utile et, dans ce cas, il devait nous la présenter, ou il la trouvait inutile, dangereuse même, et, dans ce cas, le vœu énoncé par la section centrale ne devrait exercer aucune influence. Un gouvernement, messieurs, ne doit jamais hésiter ; il faut qu’il ait un plan arrêté, que les projets de loi qu’il présente soient suffisamment et consciencieusement élaborés et qu’il les soutienne jusqu’au bout. Plus d’une fois l’opposition est venue en aide au ministère, et presque toujours le ministère, avant la fin du débat, s’est posé l’adversaire le plus prononcé de l’opposition. C’est un reproche que je lui ai adressé souvent et que je renouvelle encore dans la circonstance actuelle.
Un membre – Cela prouve que l’opposition a tort de soutenir le ministère.
M. Verhaegen – Messieurs, je ne ferai jamais de l’opposition systématique. Lorsqu’un projet est bon et utile, je le soutiens, quels que soient mes griefs contre le cabinet ; ma conduite sur ce point n’a pas variée et ne variera jamais.
Messieurs, l’honorable M. Pirson a soutenu la disposition de la section centrale comme avantageuse à l’armée, et moi je viens soutenir le système contraire comme favorable à l’armée, au pays et aussi au trésor public, qu’il ne faut pas négliger.
J’ai hâte, messieurs, d’en finir avec cette objection qu’on est allé chercher dans la loi française. Je vois avec peine, et je le dis tout d’abord, que chaque fois que nous avons à discuter une question importante, on aille cherche des exemples en France. Ne pouvons-nous donc rien faire de bien chez nous sans que nous soyons obligés d’aller chercher ailleurs le système que nous devons adopter ? Ce n’est pas trop présumer de notre pays que de croire que nous ne pouvons faire en Belgique tout aussi bien qu’on fait en France.
D’ailleurs, c’est à tort qu’on a parlé de la France, car le principe que la section centrale veut proclamer n’existe pas chez nos voisins. En France, il y a retraite forcée pour les officiers généraux, mais pour les autres officiers la mise à la retraite n’a lieu que sur la proposition des inspecteurs et par ordonnance royale, ce qui veut dire que le Roi met ou ne met pas à la retraite et qu’il juge de l’opportunité.
Examinons donc la question, abstraction de ce qui se passe en France.
Mon honorable ami, M. Orts, dans la séance d’hier, vous a dit, avec beaucoup de raison, que lorsqu’il s’agit de remplacer une disposition de loi protectrice tout à la fois de l’intérêt de l’Etat et des droits des citoyens, il importe, avant tout, d’établir une comparaison entre les avantages et les inconvénients des deux systèmes. Cette comparaison, il l’a établie, et il a démontré que les avantages étaient loin de contre-balancer les inconvénients.
Je partage, à tous égards, l’opinion de mon honorable ami.
La proposition de la section centrale a pour premier effet de favoriser certaines armes au détriment d’autres. Je veux bien que les armes spéciales soient favorisées, quant au rang et à la solde, mais quand il s’agit de la mise à la retraite, et surtout de la mise à la retraire forcée, il faut qu’il y ait égalité pour tous. On ne m’accusera pas certes d’être l’adversaire des armes spéciales, car je leur ai donné, dans plus d’une circonstance, des preuves de sympathie, et je leur en donnerai encore, avant la fin de la discussion.
L’amendement de M. le ministre favorise quelques individualités ; une loi ne peut pas porter le cachet de l’intérêt personnel, et, à ce point de vue, je n’en veux pas.
D’après le projet de la section centrale, il y aurait, pour ne parler que des officiers supérieurs, deux colonels, trois lieutenants-colonels et un major dans l’infanterie, et deux colonels dans la cavalerie qui devraient être mis à la retraite dans le courant de l’année, et cependant tous ces officiers sont des hommes de guerre très-capables de servir encore pendant plusieurs années ; il suffit de jeter les yeux sur l’Annuaire pour en être convaincu.
Il n’y a qu’un seul officier supérieur (un colonel) dans l’artillerie et le génie, qui sera atteint par le projet, d’ici à plusieurs années, tandis qu’il y en aura, d’ici à trois ans, un grand nombre dans les autres armes, surtout dans l’infanterie, par la raison du peu d’avancement qu’elle a obtenu.
Dans l’état-major des places, il y aurait à mettre immédiatement à la pension :
- 3 colonels ;
- 4 lieutenants-colonels ;
- 1 major ;
- 6 capitaines.
Je ne parle pas des sous-lieutenants, lieutenants et capitaines appartenant aux différentes armes, car la proportion serait encore beaucoup plus forte.
Ainsi, la proposition de la section centrale en favorisant d’abord les armes spéciales, aurait pour deuxième effet d’éloigner de l’armée des hommes de mérite, d’expérience et d’une santé à faire parfaitement leur métier, en même temps qu’elle grèverait très-inutilement le trésor public ; il semble qu’on veuille faire apparaître dans la sphère militaire les nombreux abus que nous avons signalés plus d’une fois, quant aux pensions, dans la sphère civile.
La proposition aura pour troisième effet de rendre nul pour les grades supérieurs surtout, le bénéfice de l’article de la loi des pensions qui accorde un cinquième en sus pour avoir passé dix ans dans le même grade.
Elle aurait pour quatrième effet que d’ici à cinq ans on ne trouverait presque plus aucun homme de guerre dans l’armée, les généraux compris.
Elle aurait enfin pour cinquième effet une atteinte grave portée à la prérogative royale écrite dans l’art. 68 de la Constitution.
Le roi commande les forces de terre et de mer ; il est le chef de l’armée. Si, dans l’intérêt de la bonne organisation, il croit devoir conserver certains officiers, après un âge déterminé, pourquoi ne pas lui en laisser la faculté, sous la responsabilité de ses ministres ?
Mais, dit-on, le ministère ne revendique pas cette prérogative royale ; c’est la preuve qu’elle n’est pas en jeu. Plus d’une foi, messieurs, j’ai démontré que nous, membres de l’opposition, nous sommes plus partisan de la prérogative royale que le gouvernement lui-même. Dans la loi sur les jurys d’examen universitaire, n’avons-nous pas soutenu les droits de la Couronne et le ministère ne les a-t-il pas abandonnés ?
Je ne cite que cette seule discussion de la loi sur le jury d’examen, parce que c’est la plus importante de toutes, mais je pourrais en citer plusieurs autres.
Ainsi l’abandon de la prérogative royale par le gouvernement n’est pas un motif suffisant pour appuyer la proposition de la section centrale. Le (page 1371) gouvernement est dans l’habitude de sacrifier la prérogative royale à la nécessité de sa position.
La section centrale, composée d’hommes influents, n’avait pas été heureuse ; elle avait vu rejeter toutes ses propositions. Le gouvernement n’a pu résister au désir qu’elle avait manifesté d’obtenir au moins un succès, et il a été convenu de choisir l’art. 6. Quant à moi, je ne me prête pas à pareilles transactions. Plusieurs fois déjà, il m’est arrivé que, soutenant franchement le ministère, il virait de bord avant la fin de la discussion. Comme de raison, je n’ai pas abandonné pour cela le terrain sur lequel je m’étais placé dès le principe ; seulement j’avais le droit de me plaindre de la conduite du gouvernement, comme je le fais encore en ce moment.
Du reste, je tiens à constater que, membre de l’opposition, je suis dans cette circonstance, comme dans beaucoup d’autres, plus gouvernemental que les membres du cabinet.
Il me reste encore une dernière observation à faire sur la portée de la proposition de la section centrale ; la section centrale ne s’occupe aucunement du point de savoir à qui serait, dans son hypothèse, confié le commandement de nos 21 forteresses si un événement de guerre venait à surgir ; le commandement d’une forteresses ne va d’ordinaire qu’à de vieux officiers, endurcis au métier, et qui, par la sévérité de leurs mœurs militaires, sont toujours dévoués à leur pays et tiennent à finir noblement leur carrière. Mourir ou survivre sur une brèche en la défendant, voilà ce qu’on semble vouloir faire oublier aujourd’hui.
« Mais, dit-on, la proposition de la section centrale est un stimulant, un encouragement pour l’armée ; elle est toute dans l’intérêt de nos jeunes officiers. » Messieurs si j’avais pu croire que l’intérêt de l’armée fût attaché à l’adoption de l’amendement de la section centrale, j’aurais hésité à le combattre, car j’aime l’armée et je crois lui avoir donné plus d’une preuve de sympathie. Mais l’intérêt de l’armée est hors de cause aussi longtemps qu’on n’aura pas mis un terme à cet esprit de favoritisme qui démoralise le corps des officiers. Souvent j’ai signalé des abus, des abus graves ; en parlant de la démoralisation de l’armée j’en ai recherché la cause, et je l’ai attribuée exclusivement à ces actes nombreux de favoritisme qui ont enlevé trop souvent aux officiers leurs droits légitimes à l’avancement.
La loi sur l’avancement porte : « La moitié des emplois vacants de lieutenants et capitaines dans toutes les armes sera accordée à l’ancienneté dans le grade inférieur sur la totalité de l’arme, l’autre moitié sera au choix du Roi. »
Eh bien, messieurs, pour commencer par l’artillerie, M. le ministre de la guerre, pendant les années 1843 et 1844, a fait les promotions suivantes
\1843. Lieutenants promus capitaines : au choix : 1 ; à l’ancienneté : 0
1843 : Sous-lieutenants promus lieutenants : au choix : 9 ; à l’ancienneté : 0
\1844. Lieutenants promus capitaines : au choix : 12 ; à l’ancienneté : 0
1844 : Sous-lieutenants promus lieutenants : au choix : 9 ; à l’ancienneté : 4
ce qui fait pour les sous-lieutenants 18 promotions au choix sur 4 à l’ancienneté, et pour les lieutenants, 13 au choix, aucune à l’ancienneté.
Le ministre, pour légitimer ce déni de justice, se base sur ce qu’en 1839 M. Willmar a promu au grade supérieur les 23 sous-lieutenants en tête de la liste par rang d’ancienneté, et qu’en 1842 M. le général de Liem a agi de même à l’égard de 17 sous-lieutenants, et il dit que puisque ses prédécesseurs se sont montrés justes et impartiaux envers les anciens officiers, il est en droit de suivre une route contraire en nommant au choix 40 sous-lieutenants au grade supérieur.
Il est inadmissible cependant, à moins d’inconduite, d’admettre qu’un sous-lieutenant ne puisse pas être nommé lieutenant : les fonctions de l’un et de l’autre étant à peu près identiques, ce dernier grade ne peut être considéré que comme une indemnité pécuniaire accordée à l’ancienneté. Il résulte du système de M. du Pont que des officiers placés en tête de la liste d’ancienneté et qui ont été mis de côté deux fois, ont la triste perspective de devoir subir encore, pendant plusieurs années, ce genre d’humiliation, puisqu’il se réserve dans la suite la nomination au choix de 26 sous-lieutenants au moins.
En raisonnant de cette manière, M. le ministre serait en droit de continuer éternellement la nomination au choix, sauf à répondre aux plaignants : « Soyez tranquilles, plus tard, l’ancienneté aura son tour, n’importe même pour une autre génération. »
Je pense, messieurs, que l’esprit de la législation exige que dans chaque promotion importante, ou au moins dans une certaine période, la moitié de l’avancement doit être accordée à l’ancienneté et que l’autre moitié peut être laissée au choix. Si le ministre n’use pas de cette faculté immédiatement, il ne peut invoquer plus tard un droit de rappel.
L’application de la loi française ne laisse aucun doute à cet égard ; dans chaque promotion la moitié des grades est donnée au choix, l’autre moitié est réservée à l’ancienneté. Et pour les nominations au choix, on a la garantie de la présentation des chefs publiée 3 mois d’avance. La loi belge n’étant qu’une contrefaçon de la loi française, doit être exécutée de même.
Le ministère se trompe quand il prétend qu’en Belgique les notes des chefs de corps lui servent de règle dans ses choix. L’estime des chefs est loin d’être une garantie ; l’intrigue et les démarches en dehors de la voie légale et hiérarchique ont bien d’autres chances de succès, ceux pour lesquels les portes de l’école militaire sont trop étroites, passent très à l’aise par les portes du favoritisme. Nous pourrions citer plus d’un nom propre, mais nous nous en abstenons pour rester dans les bornes parlementaires.
J’ai parlé de l’artillerie. Je pourrais ajouter qu’il est des lieutenants qu’on a nommés commandants d’artillerie dans des places fortes pour ne pas être obligé de les nommer au grade de capitaine.
Et parmi ces hommes, il y en a un qui a 24 années de service, 3 comme sous-lieutenant, 12 comme lieutenant et 4 campagnes.
Je ne puis me dispenser de dire un mot aussi de l’infanterie et entre autres des officiers promus en 1832 et qui sont resté sans aucun avancement depuis cette époque.
En 1832, il a été nommé dans la cavalerie : lieutenants, 7 ; sous-lieutenants, 6 ; dans l’infanterie : lieutenants, 51 ; sous-lieutenants : 6.
C’est ce qu’il résulte de l’Annuaire de 1845.
Dans aucune armée du monde un officier n’est resté 13 ans dans le même grade !!
Qu’on soit juste, c’est ce que je demande depuis longtemps. Que le favoritisme cesse une bonne fois. C’est ce que je demande, c’est ce que j’ai toujours demandé. Que le mérite l’emporte sur tout autre considération, c’est ce que je veux ; c’est ce que j’ai toujours voulu. C’est ce que je voudrai toujours. C’est pour cela qu’il faut exécuter franchement la loi sur l’avancement, c’est pour cela que j’insiste pour que le choix ne soit pas dicté que par le mérité ; en d’autres termes, que la faveur et l’intrigue se séparent enfin de la marche gouvernementale.
Si l’on veut réellement atteindre le but qu’on se propose, si on veut rétablir la bonne harmonie dans le corps des officiers, faire cesser la démoralisation qui mine l’armée, qu’on se rende enfin à mes conseils, qu’on exécute franchement la loi sur l’avancement.
M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – Messieurs, j’ai été fort étonné de l’interpellation de l’honorable membre. Cette interpellation, qu’il me permette de le faire remarquer, est étrangère au projet de loi qui nous occupe. L’honorable membre m’avait déjà interpellé sur ce point. Il dit maintenant que j’ai remis à la discussion du budget la réponse que j’avais à lui faire. Il n’en est rien ; j’ai répondu immédiatement après l’interpellation ou au moins dans la séance suivante ; car l’honorable membre avait pris la parole à la fin d’une séance. J’ai exposé alors, messieurs, quel était mon système ; j’ai démontré qu’il n’était pas celui du favoritisme. Jamais je n’admettrai ce système.
On vous a dit, messieurs, que, dans l’artillerie, il avait été fait plus de nominations au choix qu’à l’ancienneté. Messieurs, la chose est ainsi ; il a été fait plus de nominations au choix qu’à l’ancienneté, et dans une occasion précédente, je vous en ai également exposé les motifs.
Je vous l’ai dit, messieurs, nous avons pris la loi de 1836 au sérieux, au grand sérieux ; à mon entrée au ministère, j’ai fait faire un contrôle portant d’un côté sur les nominations au choix et de l’autre sur les nominations à l’ancienneté. Il en est résulté, messieurs, que les premières n’étaient pas en nombre égal aux secondes. La loi porte que, quand il y a des vacances, on doit donner la moitié à l’ancienneté et l’autre moitié au choix. La loi ne dit pas qu’il faille opérer simultanément, et si quelques-uns de mes prédécesseurs ont commencé par la première moitié, c’était à moi à compléter leur œuvre quant à la seconde moitié. C’est ainsi, messieurs, que j’ai compris les choses et j’ai agi sincèrement.
Messieurs, la différence dans quelques armes n’était pas grande. Avec le système que j’ai adopté, la balance se trouve déjà établie dans l’infanterie et la cavalerie.
Elle ne se trouve pas encore établie dans l’artillerie et dans le génie ; et c’est là la raison de la différence dans ma manière d’agir pour l’artillerie et pour le génie.
Du reste, messieurs, croyez-moi, quand j’ai fait ces promotions, l’intérêt du service était mon plus grand mobile, et je défie l’honorable M. Verhaegen de me prouver que j’ai rien donné au favoritisme. Jamais je ne le ferai. J’ai choisi les plus capables. Consultez tous les officiers d’artillerie.
Messieurs, l’honorable membre vous a dit en commençant que le ministère était vacillant, parce qu’il s’était rallié en quelque sorte à l’amendement de la section centrale.
Le ministère, messieurs, avait d’abord pensé que cette question, qui est une question de pension militaire, était étrangère à la loi ; c’est pour cela qu’il n’avait pas cru devoir la comprendre dans le projet. Mais je trouve étonnant que l’honorable M. Verhaegen nous blâme maintenant d’avoir cédé à l’opinion de la section centrale sur ce point, lui qui hier proposait et soutenait une disposition tout à fait étrangère à la loi, une question de traitement. Messieurs, j’ai suivi le principe de l’honorable M. Verhaegen et j’ai accepté la discussion d’une autre question également étrangère à la loi.
Messieurs, il n’a pas eu d’égalité, d’après l’honorable membre, entre les différentes armes. J’ai une arrière-pensée. Je veux atteindre de préférence les officiers de cavalerie et les officiers d’infanterie, et je veux ménager les officiers d’artillerie ; comme si, messieurs, la loi qui vous est proposée était une loi momentanée, comme si ce n’était pas une loi qui devra être exécutée encore l’année prochaine, qui devra être exécutée encore dans dix ans, qui devra aussi être exécutée au moment où les officiers d’artillerie seront les plus âgés.
Messieurs, je ne pense pas que cet argument puisse encore porter atteinte à la sincérité dont je crois vous avoir donné des preuves.
M. le président – M. le ministre, avant de vous laisser continuer, permettez-moi de donner lecture d’une proposition qui vient d’être déposée sur le bureau. Elle est ainsi conçue :
« Je propose de renvoyer l’art. 6 et les amendements qui s’y rapportent à (page 1372) la section centrale pour être mis en harmonie avec la loi sur les pensions militaires et faire l’objet, s’il y a lieu, d’un projet de loi spécial.
(Signé) d’Huart »
Comme cette proposition sera soumise à un vote préalable, elle doit faire l’objet d’une discussion spéciale.
M. Malou – Messieurs, je ne dirai qu’un mot en faveur de la proposition de mon honorable ami M. d’Huart ; c’est que l’amendement proposé par la section centrale, sous-amendé par M. le ministre de la guerre et par d’autres membres, est complètement inconciliable avec le système de la loi relative aux pensions militaires.
Il y a, dans la loi relative aux pensions militaires, deux ordres principaux de pensions et deux modes de fixation de pensions. Il y a la pension pour ancienneté qui repose sur un certain âge et une certaine durée de service. Il y a la loi pour blessures et infirmités.
Que faites-vous aujourd’hui par l’amendement ? Vous supprimez l’une des deux conditions à raison desquelles les pensions sont conférées pour ancienneté et vous ne touchez nullement aux dispositions de la loi qui règle la base des pensions. En d’autres termes, les amendements, s’ils étaient adoptés, mettraient le gouvernement en présence de l’obligation de pensionner et ne lui donnerait aucune base pour calculer la pension. Et, en effet, messieurs, le tableau qui est annexé à la loi de 1838 porte un médium, un minimum et un maximum pour la pension d’ancienneté, et il proportionne la pension pour infirmités et blessures à la nature de ces infirmités et de ces blessures.
Il est évident, messieurs, qu’un militaire qui sera parvenu à l’âge de 55 ans, et qui se portera parfaitement bien ne pourra ni en légalité, ni en fait, être pensionné du chef d’infirmités. Le gouvernement ne pourra pas lui appliquer non plus les dispositions de la loi qui sont relatives à l’ancienneté, par la raison que la loi ne donne de droit qu’après trente années au moins de service.
Il me semble que de ces simples observations il résulte qu’il est impossible d’adopter l’amendement sans le coordonner avec la loi de 1838. j’appuie donc la proposition de renvoi à la section centrale. Lorsqu’un nouveau rapport aura été fait, lorsqu’on aura recherché le moyen de mettre l’article en harmonie avec la loi générale, on discutera le fond.
Qu’il me soit permis, cependant, d’ajouter un mot. Parmi les propositions qui nous sont faites, il en est une qui tend à ajourner à trois années, les bienfaits selon les uns, et selon les autres, les inconvénients de la loi. D’ici à trois mois, à six mois au moins, la section centrale pourra faire un nouveau rapport. Je tire donc de la proposition de l’honorable M. de Brouckere une preuve qu’il n’y a pas d’urgence ; que nous avons tout le temps d’examiner cette question tout à fait étrangère au projet de loi actuel. L’on ne doit d’ailleurs pas, sans y bien réfléchir, porter la hache sur une loi organique qui forme un système.
M. de Brouckere – Messieurs, la motion d’ordre qui vient de vous être présentée, doit nécessairement suspendre la discussion du fonds de la question ; mais avant de me prononcer sur cette motion, je désirerais qu’on me dise franchement quel est le but qu’on veut atteindre.
M. d’Huart – Je demande la parole.
M. de Brouckere – Si l’on simplement en vue le renvoi de la proposition à la section centrale, afin que le section centrale coordonne la proposition avec la loi des pensions, et nous fasse immédiatement un rapport, je n’ai aucune objection à faire ; ce sera un retard d’un jour, de deux jours peut-être, et certes ce retard ne sera pas du temps perdu, si nous sommes mieux éclairés sur le vote que nous aurons à émettre. Mais, si le renvoi à la section centrale doit avoir pour résultat une remise indéfinie de la discussion, je ne puis plus l’adopter.
D’abord, messieurs, quoi qu’on en ait dit, la disposition se rattache, selon moi, immédiatement à une loi d’organisation de l’armée, à tel point que, dans mon opinion, comme dans celle d’un grand nombre de mes collègues, la loi d’organisation de l’armée serait incomplète, si elle ne renfermait pas une disposition, stipulant une époque quelconque ou la mise à la retraite de certains officiers est obligatoire. Je dis de certains officiers, parce que j’admets qu’on puisse soutenir la thèse dont vous a entretenus l’honorable M. Verhaegen, et qui consisterait à ne rendre la mise à la retraite obligatoire que pour les généraux. Je conçois qu’on puisse soutenir ce système, mais toujours est-il que, selon moi, la loi d’organisation de l’armée sera incomplète, si elle ne contient pas une disposition sur la mise à la retraite obligatoire pour les officiers ou pour certains officiers.
Aussi donc, je ne pourrai me rallier à une proposition qui aurait pour but une disjonction, c’est-à-dire qui devrait avoir pour résultat le vote de la loi actuelle, sans que la chambre ait pris une décision sur la question que nous discutons.
D’abord, messieurs, voilà deux séances que nous passons à examiner la question, et je pense que cette discussion sera bientôt arrivée à son terme ; ce serait donc du temps absolument perdu.
Après cela, le travail dont on veut charger la section centrale ne me semble pas extrêmement difficile : une ou deux heures de conférence lui suffiront pour qu’elle puisse nous présenter un rapport.
Mais je demanderai aux honorables membres qui ont présenté ou appuyé la proposition, dans quelle position ils seront quand ils auront un rapport de la section centrale qui aura mis le système du gouvernement en harmonie avec la loi des pensions ? Je leur demanderai si leur intention est toujours de voter contre la proposition.
M. Malou – On la modifiera peut-être, de manière qu’elle soit acceptable.
M. de Brouckere – Bien. Si donc la proposition est présentée de telle manière qu’elle semble acceptable aux honorables membres, ils ne s’opposeront plus à ce que la loi d’organisation de l’armée renferme une disposition sur la mise à la retraite dans certains cas. Eh bien, je demande à la chambre qu’elle veuille se prononcer sur la question générale que je vais lui présenter et, après cela, je consentirai à tous les renvois qu’on voudra :
« La loi fixera-t-elle un âge auquel la mise en retraite de certains officiers sera obligatoire ? »
Si la chambre résout cette question affirmativement, je conçois alors le but que pourrait avoir le renvoi à la section centrale ; le principe étant admis, la mission de la section centrale sera de nous présenter une disposition en harmonie avec la législation existante. Mais, à quoi bon, je vous le demande, aller charger la section centrale d’un nouveau travail, si la majorité de la chambre était d’avis de n’adopter aucune disposition du genre de celles que nous discutons.
Je demande donc qu’on mette d’abord aux voix la question générale que je viens d’indiquer.
M. le président – Ce qui revient à demander qu’il y ait division dans le vote de la proposition de M. d’Huart, et qu’on mette d’abord aux voix la question de disjonction.
M. d’Huart – Messieurs, je me suis expliqué assez clairement, pour que l’honorable M. de Brouckere n’ait pas pu avoir de doute sur mes intentions ; j’ai demandé positivement la disjonction de cette disposition (et je me suis même servi de ce terme), pour en faire, s’il y a lieu, l’objet d’un projet de loi spécial.
J’ai énoncé les motifs qui ont dicté ma proposition : c’est que l’article qui nous occupe ne se rattache pas à l’organisation de l’armée, c’est qu’il est complètement étranger à la loi en discussion.
Je pourra même à cet égard m’étayer de l’opinion de M. le ministre de la guerre, qui a déclaré qu’il n’avait pas compris une semblable disposition dans le projet de loi, parce qu’elle se rattachait à un autre ordre d’idées. En effet, cette disposition se rapporte à la loi des pensions militaires, et nullement à la loi d’organisation de l’armée.
L’honorable M. de Brouckere propose de décider immédiatement la question au fond ; car il demande qu’il y ait un âge auquel la mise à la retraite sera obligatoire. Si l’on veut mettre aux voix la question qui nous occupe, je ne m’y oppose pas, mais je crois que les partisans de l’opinion professée par l’honorable M. de Brouckere n’ont pas intérêt à ce que la question soit soumise à un vote immédiat, car je crois que cette opinion a peu de chances de triompher dans cette chambre. Mais je ne pense pas néanmoins qu’il convienne de décider la question d’emblée ; je pense qu’il faut la faire examiner d’une manière spéciale et avec maturité par la section centrale.
C’est dans ce but que j’ai demandé et que je demande encore la disjonction. (Appuyé !) Que veuille bien ne pas le perdre de vue, la disposition qui nous est soumise n’est pas le dernier mot dans la matière. On nous a parlé de la France, eh bien, je pourrai puiser en France des exemples pour prouver qu’on ne s’est pas conformé ici à ce qui a été fait en France ; qu’on pouvait lui emprunter des dispositions qui valent mieux que celles qui sont proposées par la section centrale. Cet objet est donc très important et mérité un nouvel examen.
M. Manilius – Messieurs, j’ai demandé la parole pour appuyer la proposition de l’honorable M. d’Huart, quant au renvoi à la section centrale, persuadé que je suis, qu’il est nécessaire que la section centrale examine de nouveau la question, et à l’aide de nouveaux éléments. J’ai surtout demandé la parole, parce que j’ai entendu l’honorable M. Malou appuyer cette proposition, au moment même où je prenais de nouveau lecture du rapport de la section centrale, lecture que me rappelle que la proposition dont l’honorable M. Malou appuie l’ajournement, a été faite par la section centrale à l’unanimité, et l’honorable membre faisait partie de cette section. Je regrette que s’il s’est agit de cette question dans le sein de la section centrale, l’honorable membre ne nous ai pas laissé jouir de ses lumières. Il vient de présenter des observations qui, au premier abord, me semblent extrêmement judicieuses ; peut-être que la section centrale se rendra à ces nouvelles considérations.
M. Malou – Je demande la parole pour un fait personnel…
Un membre – M. Malou n’était pas à la section centrale lorsqu’il s’est agi de cette question.
M. Manilius – Je ne dis pas qu’il était là ; j’allais dire qu’il n’était pas là, et comment il n’était pas là.
J’ai besoin de donner ici une explication, puisque je signale en quelque sorte l’absence de l’honorable M. Malou ; je vais la donner, pour faire comprendre à l’assemblée que l’honorable membre n’est pas en opposition avec lui-même.
Le rapport de la section centrale parlant d’unanimité, l’honorable membre est censé avoir appuyé la disposition qui nous occupe. Eh bien, messieurs, l’honorable M. Malou n’était pas à la section centrale, parce qu’il a cru peut-être qu’il ne pouvait pas y être. Vous vous rappellerez tous que l’honorable M. Malou a dû se retirer de la chambre pour avoir accepté des fonctions salariées du gouvernement. L’honorable membre a été réélu dans l’intervalle des sessions, et il n’a pas jugé à propos d’assister aux séances de la section centrale pendant la session actuelle ; néanmoins, il y est venu à la fin, mais sans avoir assisté à la séance dans laquelle on a agité la question qui nous occupe. Je tenais à donner cette explication, pour faire comprendre que, si la section centrale avait été éclairée par les lumières de l’honorable membre, elle se serait peut-être ralliée à son opinion. Mais maintenant il devient nécessaire d’ajourner cette question jusqu’à demain au (page 1373) moins, si les dires de l’honorable M. Malou sont fondés, on y fera droit, et si l’on y fait droit, de manière à disjoindre cette question du projet de loi actuel, alors viendra la proposition de l’honorable M. de Brouckere.
Il est donc nécessaire que la chambre suspende sa décision sur cette seconde proposition et se prononce d’abord sur celle de l’honorable M. d’Huart. La section centrale pourra faire son rapport dans un bref délai. Et alors la seconde question viendra peut-être à propos.
M. Malou (pour un fait personnel) – Messieurs, je regrette que M. Manilius ait soulevé ici une question de personnes. J’ai été soumis à la réélection dans l’intervalle des sessions ; mais j’ai été réélu avant l’ouverture de la session, et si j’ai manqué à quelques séances de la section centrale, ce n’est point du tout pour le motif indiqué par l’honorable préopinant, c’est pour un motif plus douloureux ; ce sont des malheurs de famille qui m’ont éloigné de la chambre pendant plusieurs semaines. (C’est vrai !)
Je regrette que l’honorable membre soit venu réveiller chez moi ces souvenirs.
Je crois ne pas devoir insister davantage. Je récuse d’ailleurs ces observations. Comment, je me serais prononcé à la section centrale, des difficultés auraient surgi dans la discussion, de nouveaux systèmes auraient été présentés, de nouvelles idées auraient été émises, moi-même je me serais livré à de nouvelles études et je devrais, malgré cela, être inféodé à une opinion que j’aurais émise dans le sein de la section centrale ! Mais alors, pourquoi discutons-nous ici ?
Ce n’est donc pas aux motifs que l’honorable préopinant à énoncés que vous devez attribuer la proposition que j’ai eu l’honneur de faire, mais au désir légitime de voir maintenir en parfaire harmonie toutes les parties de notre législation, et, à cet effet, à un examen plus approfondi une mesure dont votre discussion elle-même a prouvé les difficultés.
M. Manilius – Messieurs, la chambre comprendra que je n’ai pas voulu rappeler à l’honorable membre des souvenirs douloureux pour lui. Telle n’était pas mon intention. Je me suis assez clairement expliqué pour qu’on ne se méprît pas sur mon but qui était de faire comprendre comment il se faisait que la section centrale avait été unanime pour proposer la disposition dont il s’agit. Il aurait pu paraître étrange que quand une résolution avait été prise à la section centrale à l’unanimité, un de ses membres non-seulement ne la soutînt plus dans cette enceinte, mais soutînt le contraire. Il fallait une explication, je l’ai donnée.
M. Malou – Je ne vous ai pas chargé de cela.
M. Manilius – Je le crois, car vous n’avez à me charger de rien. Messieurs, je n’ai pas voulu réveiller un souvenir douloureux pour l’honorable membre. Sa nomination comme gouverneur n’est certainement pas un souvenir douloureux pour lui.
M. Orts – Je viens appuyer la proposition de l’honorable M. d’Huart, de prononcer la disjonction de l’art. 6, pour en faire l’objet d’un projet de loi spécial en harmonie avec la loi des pensions.
Il ne s’agit pas, a-t-on dit, de pension dans cette disposition. Mais a-t-on oublié que la proposition de la section centrale est modifiée par celle de M. le ministre de la guerre ? Hier, M. le ministre vous a fait une proposition contre laquelle s’élèvent les orateurs qui parlent en faveur de la proposition de la section centrale.
Je vais faire voir que la proposition de M. le ministre de la guerre se rattache infiniment à la question des pensions. N’oubliez pas qu’après avoir établi quelques différences dans l’échelle des âges, et quelques exceptions en faveur du corps de l’intendance et du service de santé, enfin une exception spéciale en faveur d’un officier général, M. le ministre propose un dernier paragraphe ainsi conçu ; vous allez voir s’il n’est pas question de pensions :
« Lorsqu’un officier ayant au moins 5 années d’activités dans son grade sera mis à la retraite par suite de l’application des articles précédents de la présente loi, sa pension sera augmentée d’un cinquantième pour chaque année complète passée dans le dernier grade. »
Est-ce trop ? est-ce trop peu ? Je n’en sais rien. Toutefois, je rends hommage aux bonnes intentions qui ont inspiré cette disposition ; je remercie M. le ministre d’avoir cherché à tempérer, par ce léger adoucissement, l’excessive rigueur de la proposition de la section centrale. Il a senti qu’il fallait faire quelque chose ; il augmente d’un cinquantième par année, dans certains cas, la pension de ceux que l’âge frapperait. Cela vous prouve qu’il y a ici une question de pension. Sommes-nous capables, sans un travail complet, de combiner la loi de 1838 avec ce paragraphe que je vois avec plaisir dans la proposition, bien que je persiste à combattre le prise de la mise forcée à la retraite.
Je pense qu’il est impossible de voter aujourd’hui sur ces diverses propositions contraires entre elles. La matière n’est pas mûrie ; elle est digne de toute notre attention ; ce serait, en quelque sorte, escamoter une question des plus graves, des plus délicates, que de glisser une disposition semblable dans un projet de loi d’organisation de l’armée, la loi qui peut être votée, sans qu’il soit nécessaire d’y comprendre la disposition qui fait l’objet de l’article 6 du projet de la section centrale.
M. de Mérode – Messieurs, nous sommes occupés de l’objet très-important de l’organisation de l’armée ; une bonne organisation dépend, selon moi, comme l’a dit l’honorable M. de Brouckere, de la fixation d’un terme pour certains services militaires. Si on ne décide pas cette question maintenant, je ne sais quand on la décidera. Pour mon compte, je désire qu’on se contente, quant à présent, du renvoi à la section centrale, sans rien décider de plus. Quant la section centrale aura fait son rapport, on verra quelle décision on jugera à propos de prendre. (Aux voix ! aux voix !)
- La chambre consultée décide que l’art. 6 et les amendements qui s’y rapportent, feront l’objet d’un projet de loi spécial.
La chambre en ordonne ensuite le renvoi à la section centrale pour coordonner la proposition avec la loi sur les pensions, et en faire, s’il y a lieu, l’objet d’un projet de loi spécial.
M. Rogier – La section centrale fera-t-elle son rapport dans cette session ?
M. le président – Nous avons plusieurs autres objets très-importants à examiner en section centrale, mais si l’on veut, je mettrai aux voix la question de savoir si la section centrale, toute affaire cessante, s’occupera immédiatement de l’objet renvoyé à son examen.
Plusieurs voix – Non ! non !
M. Delehaye – J’en fais la proposition. Remarquez qu’il ne s’agit pas de décider que la section centrale s’occupera de cet objet toute affaire cessante, car elle n’a pas autre chose à faire. En effet, la section centrale qui a été chargée de l’examen de la loi d’organisation de l’armée, a terminé son travail ; elle ne peut donc être détournée de l’objet que l’on vient de lui renvoyer, par d’autres travaux.
Un autre motif pour demander l’examen immédiat, c’est que si nous reprenons prochainement cette discussion, nous aurons encore présents à l’esprit les arguments qu’on a fait valoir dans la discussion qui vient d’avoir lieu et nous arriverons plus facilement à une solution.
Je demande que le rapport soit fait le plus promptement possible afin que nous puissions prendre une décision dans la session actuelle.
M. d’Huart – Il est vrai que si la section centrale doit présenter un projet de loi, il serait à désirer qu’elle le fît dans cette session, mais je ne pense qu’on puisse le lui prescrire ; vous devez la laisser libre à cet égard, car elle devra recueillir des renseignements, ce qui lui demandera un certain temps. D’un autre côté, nous sommes très-rapprochés du terme de la session ; il serait dangereux d’exiger que la section centrale mît la rapidité dans son travail, car on l’exposerait à présenter un projet de loi qui ne serait pas satisfaisant. Ceux qui ont appuyé la proposition de la section centrale, ne se montraient pas si pressés tout à l’heure, puisqu’ils n’en demandaient la mise à exécution qu’à partir de 1848. Nous avons donc le temps de l’examiner.
Il n’y a pas nécessité de sortir des usages parlementaires, de prescrire à une section centrale de s’occuper, dans un délai déterminé, d’un objet spécial.
M. Mast de Vries – Il y a d’autant plus de raison pour ne pas prescrire un examen immédiat, qu’un membre de la section centrale qui a pris une grande part à ces travaux, se trouve absent par suite d’un malheur de famille; si son retour n’est pas très-prochain, la section centrale ne pourra plus s’occuper de cet objet avant la fin de la session. Nous avons d’ailleurs d’autres travaux ; notre président sera occupé à d’autres sections centrales, et ne pourra pas réunir celle de l’organisation de l’armée.
M. Delehaye – Il n’est pas exact de dire que ceux qui demandent la mise en vigueur de la disposition à partir de 1848, insistaient maintenant pour l’examen immédiat par la section centrale. Je n’ai pas appuyé la proposition de ne rendre la disposition de l’art. 6 exécutoire qu’à partir de 1848 ; je me proposais, au contraire, d’en demander l’application immédiate. Ainsi ce qu’a dit l’honorable M. d’Huart ne m’est pas applicable.
Quant à ce qu’on vous a dit d’un malheur de famille arrivé à un membre de la section centrale, je ne sais pas combien de temps cela le retiendra. Du reste, la section centrale n’est pas obligée de vous faire immédiatement un rapport. Si elle ne croit pas pouvoir le faire avant la fin de cette session, elle nous dira pourquoi.
Mais la question n’est pas nouvelle pour elle, elle s’en est déjà occupée, son examen ne sera pas long ; l’honorable M. d’Huart a demandé que la proposition fût coordonnée avec la loi sur les pensions. C’est la seule chose que la section centrale ait à faire. Une ou deux séances devront suffire pour cela. Cependant je ne veux pas fixer l’époque pour la présentation de son rapport.
Je demande seulement qu’elle s’occupe immédiatement de cet objet.
M. le président – Aucune proposition n’étant faite, nous passons à l’art. 7 de la section centrale relatif à l’état-major et aux troupes du génie, sur lequel un amendement a été présenté par le ministre de la guerre, qui a été rejeté par la section centrale.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet d’Alviella) – Messieurs, la position que j’ai l’honneur d’occuper dans le corps du génie me fait naturellement désirer de vous donner quelques explications sur l’arrêté du 4 juin 1842, qui a fixé son organisation actuelle.
Je m’efforcerai de prouver que l’acte incriminé n’a été que le résultat d’une pensée aussi utile aux individus que profitables aux intérêts du service.
Je suis mieux placé que tout autre, messieurs, pour en juger sainement. Personne n’est plus intéressé que moi à la considération et au bien-être du corps du génie. Personne, par conséquent, ne devait être plus peiné que moi des démarches de toutes natures, auxquelles on s’est livré, pour faire croire qu’il avait été porté atteinte aux droits de certains membres de ce corps.
Je saisis donc avec empressement l’occasion d’émettre, au sein de cette assemblée, quelques considérations qui lui sont indispensables pour apprécier jusqu’à quel point on a dénaturé les intentions qui ont inspiré l’arrêté du 4 juin 1842.
Lorsque le général de Liem prit la résolution de poser cet acte, son projet me fut soumis, en ma qualité d’inspecteur général.
Je ne fus d’abord frappé que des inconvénients de son exécution ; il m’était impossible de ne pas prévoir toutes les difficultés qu’elle ferait surgir. (page 1374) Cependant, après un examen plus attentif, il me parut très-évident que la mesure portait avec elle le cachet d’une bonne organisation, offrant la condition rare de concilier les avantages du service avec les intérêts bien entendus des individus. J’y donnai dès lors d’autant plus volontiers mon assentiment, qu’elle procurait à la partie la plus éclairée du corps, un avancement immédiat et accroissait le bien-être matériel de ceux qui, dans une position moins favorable, auraient désormais à craindre une concurrence plus redoutable.
Je ne regrette pas, aujourd’hui, de mettre rallié aux idées du général de Liem. Malgré l’opposition qu’elles ont rencontrée, je ne cesse pas de croire, qu’en les admettant, j’ai rendu un véritable service aux officiers du génie. Je suis persuadé, en outre, que les avantages actuels ne sont pas les seuls que leur ait procurés la nouvelle organisation ; ils y trouveront encore un avenir militaire qu’ils ne pouvaient espérer auparavant. Beaucoup d’officiers de l’état-major, et je crois pouvoir dire presque tous les officiers supérieurs du corps le reconnaissent aujourd’hui. Ceux même qui persistent dans leur première opposition, remercieront peut-être un jour le ministre qui a heurté leurs préventions, pour leur frayer le chemin qu’il auront parcouru.
Pour apprécier, messieurs, les choses sous leur véritable jour, il faut remonter à une époque déjà assez éloignée de nous.
Quand, en 1830, la révolution éclata, le corps de génie militaire du royaume des Pays-Bas se composait de 120 officiers, au nombre desquels il ne se trouvait que 8 de nos compatriotes.
Au moment de l’organisation d’une armée belge, force fut donc, pour constituer le corps du génie militaire, d’avoir recours à l’empressement et au dévouement des personnes qui, par la nature de leurs études et de leurs connaissances, offraient quelques garanties de capacités pour les fonctions qu’elles pourraient être appelées à remplir.
Le corps du génie militaire fut donc composé en 1831, de
- 8 officiers de l’ancienne armée,
- 9 cadets de l’Académie militaire de Bréda,
- 4 gardes du génie,
- 2 ingénieurs en chef des ponts et chaussées,
- 7 professeurs de mathématiques,
- 3 anciens officiers du génie rentrés au service,
- 10 étudiants en sciences,
- 22 architectes, conducteurs des travaux publics, conducteurs ou élèves des ponts et chaussées ou des mines, géomètres des mines ou du cadastre, et enfin
- 6 officiers d’infanterie.
Toutes ces personnes destinées à coopérer au même but et animées des mêmes sentiments de dévouement, composaient d’abord les deux sections du corps : les uns firent partie de l’état-major, les autres furent chargées du commandement des troupes. Alors, comme par la suite, et durant tout le temps où il fallut plutôt agir que réglementer, les officiers des deux fractions du corps furent confondus dans les mêmes travaux ; il n’y avait entre eux d’autre rivalité que celle de bien faire, on ne se demandait pas d’où l’on venait ; on s’estimait réciproquement à raison de l’empressement que l’on mettait à s’entr’aider.
Les officiers des troupes du génie étaient souvent appelés à suppléer ceux de l’état-major. Le nombre de ceux qui furent dans ce cas variait selon les besoins des services respectifs, et, dans ces circonstances, ils déployèrent généralement toutes les qualités désirables ; ceux dont la théorie n’était pas aussi profonde compensèrent souvent, et au delà, par la pratique et l’expérience, l’infériorité de leurs connaissances théoriques.
Il est vrai que les officiers de l’état-major n’étaient pas, de leur côté, employés au régiment ; ce n’est que par un arrêté du 19 août 1838, pris sous le ministère du général Willmar, qu’ils pouvaient y être envoyés. Cet arrêté ne fut d’abord appliqué qu’aux sous-lieutenants provenant de l’école militaire. On s’était cru obligé d’avoir égard aux répugnances qu’éprouvaient les officiers plus âgés, pour le service de la troupe. Mais l’honorable général de Liem ne crut pas que l’intérêt général du corps dût fléchir devant ces considérations personnelles. Convaincu qu’il était nécessaire d’identifier l’officier du génie avec toutes les exigences militaires, aussi bien qu’avec les travaux scientifiques, il résolut de réunir les deux parties du corps, séparées jusqu’alors. Son but fut donc d’imprimer à ce corps un cachet plus militaire.
Il voulait que les idées y prissent à la longue une direction plus conforme aux vrais intérêts de l’armée comme à ceux des individus eux-mêmes.
Si cette fusion eût été réalisée quatre années plus tôt, sa mise à exécution n’eût excité que bien peu de récriminations ; on se connaissait, on avait traversé les moments difficiles en se prêtant une coopération fraternelle ; et ce n’était pas parce qu’on était enfin parvenu à des temps plus calmes qu’il eût pus naître des germes de division.
Mais un nouvel élément s’était introduit dans le corps du génie : l’école militaire avait fourni ses premiers sujets au mois de janvier 1839. C’était la première fois que cet établissement si remarquable dotait le corps du génie d’officiers qui y avaient été élevés.
Je me plais, messieurs, à rendre la plus grande justice à ces jeunes gens ; leur science fait honneur au chef éminent qui les a formés, après avoir présidé à l’organisation d’un établissement qui ne redoute aucun parallèle, pour la direction des études.
Comme je l’ai déjà dit, ce fut en 1839 que les élèves de l’école militaire commencèrent à prendre rang dans le corps du génie, et ce fut trois ans après qu’eut lieu la fusion des deux parties de ce corps.
Plusieurs de ces jeunes gens ne virent pas ce changement avec plaisir : leur répugnance pour le service du régiment était connue et ils craignaient que la durée de ce service ne fût augmentée sous l’empire de la nouvelle organisation ; d’ailleurs, ils crurent qu’on ne pouvait les confondre dans une même catégorie avec les sous-officiers des troupes du génie qui parvenaient au grade d’officier.
Messieurs, si l’on n’eût pris qu’un seul terme de comparaison, celui de la science, il y aurait eu quelque chose à dire ; mais le mérite de l’officier se compose de divers éléments, et c’est l’ensemble des services réels qu’il est susceptible de rendre qu’il faut envisager.
D’autre part, les nouveaux arrivés ne devaient pas négliger de considérer leur point de départ, comparé à celui des sous-officiers. A la plupart d’entre eux, l’aisance et l’éducation première avaient donné accès à l’école militaire. Là, ils avaient trouvé à profusion les moyens de s’instruire ; les autres au contraire, moins favorisés par le sort et n’ayant souvent reçu dans leur famille qu’une instruction très-élémentaire, avaient débuté de la manière la plus pénible. S’ils étaient parvenus au grade de sous-lieutenant, ce n’était qu’à force de zèle, de dévouement et des plus constants efforts.
A l’école militaire, messieurs, on peut s’appliquer tous les jours, et du matin au soir, tandis que le sous-officier qui veut parvenir est obligé d’utiliser dans ce but les rares loisirs qui lui sont laissés par le service ; après les fatigues du jour, il prélève sur son repos le temps qu’il consacre à l’étude.
Les efforts faits de part et d’autre ne doivent donc pas seulement se mesurer aux résultats qu’ils ont produits : les élèves de l’école militaire doivent être portés à le reconnaître et à tenir compte aux sous-officiers, des difficultés vaincues. Si les premiers brillent par la science, les autres rachètent souvent leur infériorité sous ce rapport par le zèle et la constance à toute épreuve qu’ils apportent à l’accomplissement de tous leurs devoirs militaires.
Je ne puis cependant disconvenir que si l’avancement était irrévocablement accordé à l’ancienneté, sans faire la part des connaissances acquises, il serait possible d’y voir, je ne dirai pas une injustice, mais un état de choses qui pourrait porter de graves préjudices aux intérêts bien entendus du service. Heureusement que la loi sur l’avancement donne les moyens d’être juste envers les individus en même temps que prudent quant aux intérêts du service : dans les promotions qui ont eu lieu postérieurement à la fusion, on ne négligea pas de faire la part du mérite scientifique ; et comme cette assertion pourrait être contestée, je vais la justifier en peu de mots pour ce qui concerne les officiers sortis de l’école militaire.
Si je compare l’avancement qu’ils ont reçu depuis cette mesure, à celui qu’ont obtenu leurs camarades provenant de la classe des sous-officiers, je trouve que, sur 17 promotions, 12 de ces élèves sortis de l’école d’application ont été nommés au choix, à différentes époques. Ces nominations au choix, fondées sur le mérite scientifique, ont été faites au détriment d’officiers provenant de la classe des sous-officiers ; et veuillez remarquez, messieurs, qu’aucun officier provenant des sous-officiers, n’a été depuis cette époque promu au détriment d’un élève de l’école militaire.
Quant à la rapidité d’avancement pour les élèves de l’école, vous pourrez en juger également par ce fait qu’un officier sorti de cette école, en 1839, a été promu au grade de capitaine en octobre 1844 et que d’autres pourront bientôt obtenir le même avantage.
Ces exemples vous démontrent, messieurs, que la loi sur l’avancement offre la latitude nécessaire pour assurer aux capacités l’encouragement qui leur est dû dans les grades inférieurs, tandis qu’il n’y a point de limites à leurs prétentions, dans les grades supérieurs.
Que les jeunes gens sortant de l’école se rassurent donc et que, d’ailleurs, ils veuillent bien se convaincre que, pour étendre leur chance d’une belle carrière militaire, ils ne doivent pas regretter d’avoir l’obligation de se frotter à la troupe, si je puis me servir de ce terme vulgaire mais qui rend bien ma pensée. S’ils ne veulent pas avoir de limite dans leur perspective d’avancement, qu’ils cessent de vouloir rester exclusivement des maîtres en architecture militaire.
Or, c’est au régiment, c’est dans un perpétuel contact avec les hommes et par l’autorité qu’on exerce sur eux qu’on devient propre à les dominer. On ne doit point perdre de vue qu’il arrive un moment où l’officier du génie qui n’a pas suffisamment manié la troupe, est presque irrévocablement arrêté dans sa carrière.
C’est alors que la science exclusive se voit commandée et dirigée par des hommes qui, familiarisés avec le commandement, peuvent acquérir les plus hautes positions.
Que les jeunes officiers en croient mon expérience. Plus tard, ils rendront grâce aux chefs qui les auront obligés à pénétrer dans les casernes, qui leur auront fait connaître tous les avantages qu’il peut y avoir à descendre des hauteurs de la science pour se mêler aux détails vulgaires de l’existence du soldat et suivre les progrès de sa première instruction.
Mais, messieurs, comment la vie du régiment aurait-elle des attraits pour eux, si les officiers qu’ils sont destinés à y rencontrer et qui doivent en quelque sorte les initier à tant de minutieux détails, n’étaient pas à même, en remplissant toutefois certaines conditions, de devenir leurs égaux à leurs propres yeux, comme à ceux de la troupe ?
A défaut de cette possibilité, il y aurait absence d’harmonie et de confiance, et par suite tiraillement et imperfection dans le service. Il y aurait alors autant de dommage pour l’intérêt général que peu de satisfaction pour les individus.
Un des résultats heureux de l’arrêté du 4 juin 1842 était de faire disparaître ces graves inconvénients.
Dans la situation que cet arrêté a établie, tous les officiers du génie peuvent être employés aux divers services du corps. Mais cet acte n’avait pas (page 1375) prévu les conditions à imposer aux officiers des troupes pour garantir leur aptitude au service de l’état-major ; en cela, il y avait lacune. On a d’abord cherché à la compléter en fixant, par voie administrative, les conditions auxquelles les lieutenants seulement de l’ancien bataillon de sapeurs-mineurs devaient satisfaire pour obtenir le grade de capitaine. Une section particulière fut créée, à cet effet, à l’école militaire.
Déjà un certain nombre de lieutenants ont subi avec succès l’épreuve voulue et d’autres sont en ce moment détachés à l’école pour s’y préparer.
Mais ce n’était point assez : il fallait en outre exiger certaines garanties de capacités des autres officiers des grades inférieurs pour que tous puissent être convenablement employés désormais au service de l’état-major. Ce sont ces garanties que l’amendement de M. le ministre de la guerre a pour but de déterminer dans une de ses stipulations. S’il est adopté, messieurs, je pense que l’intérêt général du service se trouvera concilié avec les égards dus aux positions acquises.
Il en serait tout autrement si l’on prenait en considération l’amendement de la section centrale.
En effet, messieurs, quelles en seraient les conséquences ?
Pour les apprécier, je supposerai d’abord que le corps soit arrivé à son état normal, ce qui est loin d’avoir lieu actuellement. Les cadres du régiment comportent 42 officiers inférieurs. Si donc le corps était dans l’état normal qu’il est destiné à atteindre un jour, c’est-à-dire si le tiers seulement des officiers inférieurs provenait de la classe des sous-officiers, on aurait, dans l’ensemble du corps du génie, deux fractions dont l’une contiendrait 14 individus de cette catégorie, et l’autre 91 puisés à l’école militaire ou assimilés à ceux-ci.
Pourquoi, messieurs, voudrait-on enlever à ces 14 officiers la perspective qui pourrait leur être laissée à certaines conditions d’être employés à l’état-major ? Pourquoi voudrait-on ainsi immobiliser en quelque sorte les serviteurs, dont la route a été la plus pénible et dont les services sont aussi indispensables et généralement plus consistants que ceux rendus par les officiers qui, par leur origine, sont destinés à passer alternativement du régiment à l’état-major et de l’état-major au régiment ?
Soyez tranquilles, messieurs, ce ne seront pas ces 14 modestes officiers qui mettront obstacle à l’ambition plus développée de leurs camarades.
Mais, messieurs, je le répète, le corps du génie est loin de cet état normal que je viens de supposer.
Je ferai d’abord remarquer que tous les officiers sortis de l’ex-bataillon de sapeurs-mineurs ne proviennent pas réellement de la classe des sous-officiers ; ensuite ils forment, non pas comme vous pourriez le supposer, le tiers des officiers inscrits sur les contrôles du régiment, ils sont au contraire dans la proportion de deux tiers sur la totalité. On ne pourrait donc pas vouloir ne les faire concourir qu’à raison du tiers ; cela n’est point praticable parce que ce serait souverainement injuste.
Ainsi donc, au lieu du tiers des avancements à faire au régiment, les officiers auxquels je fais allusion devraient, si vous adoptiez l’amendement dans son principe, en obtenir les deux tiers, et cette proportion devrait même varier successivement jusqu’à ce que la situation dût arriver à son état normal, jusqu’au moment où les officiers provenant des sous-officiers ne formeraient plus que le tiers de ceux du régiment. Il est facile de comprendre que ce serait une complication sans cesse renaissante, et elle ramènerait toujours avec elle la même cause d’irritation parmi deux catégories d’officiers qui, dans l’intérêt de leur service commune, doivent nécessairement vivre dans une parfaite harmonie.
L’amendement de M. le ministre de la guerre obvie à tous inconvénients et j’ose dire à ces impossibilités. Il offre, en outre, le grand avantage de respecter les droits acquis par de longs services. Pourrait-on, en effet, appliquer l’avancement séparé aux officiers qui existaient et qui servaient déjà quand les élèves de l’école militaire étaient bien jeunes encore ?
Personne, même parmi les partisans de l’amendement de la section centrale, ne peut vouloir admettre que le sort d’officiers d’origine analogue et ayant fait presque indistinctement le même service dans les circonstances les plus pénibles fût subordonné à des considérations qui ne se rapportent, si je puis m’exprimer ainsi, qu’à une nouvelle génération.
Il est vrai que les anciens officiers se composent en deux parties et qu’un certain nombre de l’une d’elles ont été à diverses circonstances appelés à subir des examens dont les matières étaient plus ou moins étendues. Mais dans ces examens, on doit en convenir, on se montrait plus ou moins exigeant, suivant les besoins du moment, suivant la valeur des services que l’expérience avait prouvé que l’on était à même de tirer des personnes soumises à l’épreuve.
D’ailleurs, messieurs, pour appliquer le principe de l’avancement séparé à cette partie ancienne du corps, il faudrait au moins prouver que la partie la plus instruite des officiers qui la compose eût été lésée par la fusion. Eh bien, il est, au contraire, facile de se convaincre que cette fusion a donné à ceux qui formaient d’abord l’état-major un avancement immédiat et même inespéré, si le corps fût resté divisé en deux sections.
Et puis, messieurs, maintenant que cette partie de l’ancien état-major du corps a profité de cette même fusion, pourrait-elle exiger qu’on remît les choses sur le pied où elles étaient auparavant ? ce serait augmenter encore les désavantages qu’a dû supporter l’autre catégorie, afin d’établir un juste équilibre entre tous, et d’arriver à des résultats indispensables aux vrais intérêts du service.
Telles sont, messieurs, les fâcheuses conséquences que produirait, pour les personnes, le principe de l’avancement séparé. Mais, ce qu’il faut surtout considérer ici, c’est l’ordre et la discipline ; je ne puis laisser ignorer à la chambre que, sous ce rapport, l’amendement de la section centrale pourrait avoir des suites déplorables. Les froissements qu’entraîne nécessairement toute innovation ont presque disparu. Je sais bien qu’il existe encore quelques esprits prévenus ; mais en général ceux qui d’abord se croyaient lésés commencent à mieux apprécier les avantages de l’état actuel. Séparer de nouveau leur avancement au-delà de ce qu’autorise la loi relative à cette matière, ce serait séparer leurs intérêts, actuellement confondus ; ce serait rompre le principal lien qui doit les unir, ce serait inévitablement créer deux castes. Au lieu d’une rivalité de zèle pour le service, on verrait surgir à toujours une rivalité de partis.
J’appelle, messieurs, toute l’attention de la chambre sur ce côté de la question qui, à mon avis, doit être pris en bien sérieuse considération.
Aucun corps de l’armée n’a besoin de plus d’union que le corps du génie. C’est cette union qui le rend capable de créer des ressources inattendues, dans les situations imprévues qu’amènent les événements de la guerre. Or, les mesures proposées pourraient jeter, parmi les officiers, une perturbation nouvelle dont les effets se feraient ressentir en toute occasion.
Messieurs, les détails dans lesquels je viens d’entrer, vous démontrent combien d’éléments vous seraient nécessaires pour apprécier les difficultés qu’il s’agit de résoudre.
Que serait-ce donc si vous aviez à peser les titres particuliers de chacun des hommes dont le sort est ici malheureusement remis en question ! C’est cependant ce qu’il faudrait faire pour que vous soyez bien convaincu de toutes les conséquences de votre intervention dans un sujet aussi personnel.
On a dit, messieurs, que la question que nous débattons était fort importante. Oui, elle est fort importante, elle est même d’une haute gravité ; mais ce n’est peut-être pas sous le même point de vue que celui de quelques honorables membres, que je lui donne ce caractère.
Ce n’est pas parce que l’arrêté royal du 4 juin 1842 porterait plus ou moins atteinte à de prétendus droits acquis, qu’elle revêt à mes yeux ce caractère de haute gravité.
Non, messieurs, c’est autre part que, pour moi, elle va puiser son importance. C’est par la manière dont elle a surgi dans le public, c’est par les moyens que l’on a employés hors de cette enceinte, pour lui donner les proportions d’une question législative, qu’elle a beaucoup grandi.
En la décidant, messieurs, contrairement aux intentions du gouvernement, on serait loin de développer de bonnes passions dans l’armée ; à votre insu, j’en ai l’intime conviction, ce serait donner gain de cause à des instincts peu dignes d’avoir d’aussi nobles défenseurs.
Laissez, messieurs, laissez au gouvernement cet ascendant qu’il doit incontestablement conserver sur toutes les parties de la force publique ; laissez-lui la responsabilité de ses actes, surtout quand il s’agit d’ordre et de discipline dans l’armée.
Je le déclare, messieurs, là est pour moi toute l’importance de la question.
- La séance est levée à quatre heures et demie.