(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 849) (Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance, dont la rédaction est approuvée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les brasseurs de Malines présentent des observations sur la proposition de la commission permanente d’industrie, qui tend à établir sur le houblon un droit d’entrée de 20 fr. par 100 kilogrammes. »
M. Scheyven – Messieurs, dans la séance du 16 janvier dernier, la commission permanente d’industrie a présenté un projet de loi à la chambre, qui a pour objet d’établir un droit de 20 francs à l’entrée sur le houblon.
Les pétitionnaires réclament contre ce projet, et ils font valoir plusieurs motifs à l’appui de leur réclamation.
Je pense qu’il conviendrait d’insérer cette pétition dans le Moniteur, et de la déposer sur le bureau, pendant la discussion du projet déposé par la commission d’industrie. Nous connaissons les raisons qui ont déterminé la commission à soumettre ce projet à la chambre ; il est utile dès lors que nous connaissions aussi les motifs que les pétitionnaires invoquent contre l’adoption du projet de loi.
Je demande donc que la pétition soit insérée dans le Moniteur, et qu’elle soit déposée sur le bureau pendant la discussion du projet.
- Cette double proposition est adoptée.
« Le sieur Richard Brewer, négociant-commissionnaire à Ostende, qui a obtenu la naturalisation ordinaire, demande exemption du droit d’enregistrement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Baessen, fabricant de draps à Verviers, demande qu’il soit pris des mesures pour que les uniformes des employés belges ne puissent être confectionnés à l’étranger. »
M. Rodenbach – Messieurs, un fabricant de drap de Verviers se plaint de ce que les employés des ponts et chaussées dans la province du Limbourg se font confectionner leurs uniformes à Maestricht. Il prétend que ces employés se font faire à Maestricht leur uniforme avec du drap acheté en Hollande, et ils doivent faire 30 lieues pour introduire frauduleusement leur uniforme en Belgique. Le pétitionnaire prétend qu’il peut fournir la preuve de ce qu’il avance.
Je demande que la chambre renvoie la pétition à la commission des pétitions, avec demande d’un prompt rapport. Il est nécessaire que la pétition soit renvoyée dans un bref délai à M. le ministre des travaux publics, pour l’éclaircissement des faits signalés dans la pétition.
M. Lys – J’appuie cette proposition. Je ne connais pas le signataire de la pétition, mais il cite des circonstances qui me font croire qu’il est fort au courant des faits.
- Le renvoi de la pétition à la commission des pétitions, avec demande d’un prompt rapport est adopté.
« Le conseil communal de Jesseren, demande la construction du chemin de fer d’Ans à Hasselt par Tongres. »
- Renvoi à M. le ministre des travaux publics.
« Le sieur Selderslachs, blessé de septembre, décoré de la croix de Fer, demande qu’on lui accorde la pension attachée à cette décoration, ou qu’on lui donne un emploi dans l’administration du chemin de fer. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l’intérieur.
M. d’Elhoungne informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister aux séances de l’assemblée.
- Pris pour information.
M. de Mérode – J’ai vu dans deux journaux qu’un soldat était mort gelé au cachot de Charleroy ; je ne proclame pas l’exactitude du fait signalé par ces feuilles publiques, et dont je n’ai aucune preuve directe, (page 850) mais il est assez grave pour appeler l’attention très-sérieuse de M. le ministre de la guerre, de manière que ceux qui en seraient cause, s’il y a eu lieu, ne puissent plus le renouveler.
- Cet incident n’a pas de suite.
La discussion générale est ouverte. La parole est à M. Verhaegen.
M. Verhaegen – Messieurs, nous votons annuellement des sommes considérables pour l’enseignement public, et je suis loin de m’en plaindre ; mais je viens, pour la dixième fois au moins, me plaindre de l’insouciance, je puis même dire de « l’inaction coupable » du gouvernement en fait d’instruction.
Je commence par l’instruction primaire.
Je vois figurer au budget une somme de près de 700,000 fr. pour la seule instruction primaire ; j’ai donc le droit de demander au gouvernement quel est l’état de cette instruction en Belgique.
Je crains bien que le gouvernement ait définitivement abandonné toute intervention dans l’instruction primaire, car jusqu’à ce jour il ne nous présenté aucun rapport à cet égard.
Que le gouvernement ne nous objecte pas que le clergé était déjà maître du terrain, avant la loi du 23 septembre 1842 ; car nous lui répondrons que nos avertissements ne lui ont pas manqué ; que depuis 1839, et successivement d’année en année, nous avons éveillé son attention sur ce point important d’administration.
Quant à moi, messieurs, je n’ai aucun reproche à me faire : à peine étais-je entré dans cette chambre que j’ai engagé le ministère à organiser l’instruction primaire ; j’ai renouvelé mes instances, et cependant le gouvernement est resté dans l’inaction la plus complète !
Ce que j’ai prévu est arrivé : plus d’une fois j’ai dit au gouvernement que, par l’insouciance qu’il mettait à créer des écoles normales aux frais de l’Etat, alors que l’épiscopat en avait déjà plusieurs à sa disposition, il était sur le point d’abandonner aux mains d’un parti intolérant l’instruction primaire toute entière. Je prévoyait bien qu’un jour le fait aurait été sanctionné par le droit ; mes prévisions paraissaient alors être le fruit de l’exagération, et cependant aujourd’hui on doit reconnaître qu’elles se sont réalisées.
Dans la dernière discussion politique, des révélations importantes nous ont été faites, et ces révélations viennent à l’appui de nos assertions : « Le plus beau titre de M. le ministre de l'intérieur, vous a dit l’honorable M. Dedecker, à la reconnaissance de la majorité, c’est la loi de l’instruction primaire » et il a ajouté très-naÏvement, « que sous tout autre ministère le parti clérical n’aurait jamais obtenu une loi aussi favorable. » Pourquoi M. Dedecker n’est-il pas allé jusqu’à dire que l’exécution que M. Nothomb a donné à la loi du 23 septembre 1842 lui a valu les plus grands éloges de la part de ses amis politiques ? Il eût encore dit vrai.
D’après l’exécution qu’a reçue la loi de l’instruction primaire, cette instruction n’est plus qu’un monopole dans les mains du clergé, et c’est une dérision que de parler encore d’une instruction donnée aux frais de l’Etat et qui par cela même doit être une instruction gouvernementale.
Messieurs, comme j’ai eu l’honneur de vous le rappeler, dès 1839 j’ai éveillé l’attention du gouvernement sur l’état de l’instruction primaire ; je lui disais, entre autres, que le clergé avait déjà créé des écoles normales dans la plupart des diocèses, et au sujet de l’allocation que, pendant trois ans successifs, on nous a demandé pour le prétendu petit séminaire de Rolduc, je lui faisais remarquer que ce petit séminaire n’était, en définitive, qu’une « nouvelle école normale créée sur une grande échelle », et qui, plus tard, ferait une véritable concurrence aux écoles normales que pourrait créer l’Etat ; encore une fois, mes prévisions se sont réalisées, le gouvernement a laissé faire, plusieurs années se sont écoulées sans qu’il ait donné signe de vie, et quand enfin il a pris une résolution, le terrain se trouvait occupé. Il a été évident pour tout le monde que ce n’était que le résultat d’un pacte secret.
Dans un des articles de la loi de l’instruction primaire, il a écrit, pour la forme sans doute, que le gouvernement organiserait immédiatement deux écoles normales aux frais de l’Etat ; la loi a été promulguée le 23 septembre 1842, et le gouvernement n’a organisé ses deux écoles normales que le 11 novembre 1843, c’est-à-dire quatorze mois après. Ainsi toujours la même insouciance de la part du ministère, ou plutôt sa même complaisance coupable pour le parti dont il n’est que l’instrument !
Ce n’est pas tout : Il y avait des écoles normales épiscopales dans tous les diocèses, sauf à Malines ; eh bien, à peine les deux écoles normales de l’Etat furent-elles érigées, que la direction fut abandonné à deux ecclésiastiques, comme si, dans tout le pays, il n’y avait pas de laïques capables d’être directeurs d’une école normale ; et ne le perdons pas de vue, l’une de ces écoles fut établie dans le diocèse de Malines, le seul diocèse où le clergé n’avait pas encore de pareil établissement ; ainsi, si quatorze mois après la promulgation de la loi, l’Etat a créé deux écoles normales, cela a été dans l’intérêt exclusif du clergé, car l’Etat n’est intervenu que pour payer. Ajoutons à cela que le gouvernement, par arrêté du 17 décembre 1843, a adopté toutes les écoles normales épiscopales et s’est chargé, par conséquent, de les subsidier.
Enfin, pour couronner l’œuvre, le gouvernement, qui avait la faculté d’adjoindre des cours normaux à ses écoles primaires supérieures, n’en a rien fait, et ainsi il a à tout jamais assuré le monopole au clergé ; car les écoles normales ou les cours normaux sont la base de l’instruction primaire.
Nous parlera-t-on de l’inspection civile comme garantie contre les tendances de l’épiscopat ? Mais l’inspection civile n’est, en définitive, qu’une mauvaise plaisanterie imaginée pour couvrir les abus incessants du clergé. Les inspecteurs civils sont sans la moindre influence, car le gouvernement a eu soin, sauf dans les grandes villes, où il craignait le contrôle de l’opinion publique, de ne nommer que des hommes tout à fait étrangers à l’instruction et d’une nullité complète.Voulez-vous savoir, messieurs, ce que valent les inspecteurs civils chargés conjointement avec les inspecteurs ecclésiastiques de contrôler l’enseignement primaire et de veiller à l’exécution de la loi du 23 septembre 1842 ? Ecoutez ce qu’écrivait un de ces fonctionnaires à l’éditeur du journal de Termonde, le 27 septembre 1844. La pièce que j’ai sous les yeux et que je crois officielle, est trop curieuse, pour que je ne me permette pas de vous en donner lecture, elle porte :
« Termonde, le 27 septembre 1844.
« Monsieur l’éditeur, sachant, par expérience, que vous aimez à ouvrir vos colonnes au vrai, je vous prie de vouloir accorder l’insertion aux lignes suivantes :
« Le 24 de ce mois, j’assistai à une de ces fêtes qui, d’ordinaire, font battre tant de cœurs, et trompent bien des attentes. La salle belle et vaste contenait avec peine le nombreux clergé, les dames à beaux sentiments et un public distingué. La musique de la place voulait donner du relief à cette intéressante fête de la studieuse jeunesse, faisait entendre les doux sons de ses instruments harmonieux, qui égayèrent tous les cœurs, en donnant à la fois une bien vive expression à tant de figures animées… Le rideau se lève, l’adolescence apparaît avec tout son feu…, un drame se joue, et la prononciation aussi pure que bien accentuée, des jeunes artistes, excite à plusieurs reprises l’HILARITE générale et approbative de la belle assemblée accourue de toutes parts pour couvrir de ses applaudissements bien mérités les courageux athlètes de cette bonne institution.
« Le directeur, M. Van Coethem, prononça ensuite un discours flamand, bien pensé, sur les suites funestes d’une mauvaise éducation et sur les bons résultats que peuvent attendre d’une éducation religieusement soignée, les parents, les familles, l’Etat et l’autel.
« Heureuses les institutions qui marient ainsi l’utile et l’agréable à la sublimité de notre religion !
« L’école n°2 ne donne pas moins de preuve de son savoir-faire, et les demoiselles aussi représentèrent leurs pièces à la satisfaction générale.
« Qu’il m’est personnellement doux de voir ainsi fleurir, dans le 13e ressort scolaire, les progrès scientifiques, moraux et religieux ! Et qu’il m’est agréable, MM. les instituteurs de ce ressort, d’avoir la conviction que vous marchez tous dans cette voie noble et sublime !
« Je vous prie, M. l’éditeur, d’agréer ma parfaite estime.
« L’inspecteur cantonal du 13e ressort scolaire, A. DE GEYTER. »
(Messager de Gand)
Voilà, il faut en convenir, un chef-d’œuvre de style, de convenance et de bon sens et cela de la part d’un inspecteur, nommé par M. Nothomb pour contrôler le mode d’enseignement d’un grand nombre d’instituteurs ; ab uno disce omnes. Le clergé entend autrement la mission des inspecteurs chargés de l’exécution de la loi du 23 septembre 1842 ; c’est dans l’élite de sa milice qu’il a soin de choisir ces fonctionnaires : aussi en opposant des hommes de talent aux nullités que le gouvernement a pris à tâche de nommer, il est sûr d’atteindre le résultat qu’il se propose, en d’autres termes, il est sûr que personne n’osera désormais lui opposer la moindre résistance.
Est-il étonnant après cela, que dans certains communes rurales, les curés, aidés par les inspecteurs civils et diocésains, défendent aux instituteurs, sous peine de destitution, de fréquenter les estaminets, de faire partie de certaines sociétés, de sociétés d’harmonie par exemple, les plus inoffensives au point de vue de la morale ; que dans certaines autres communes les instituteurs soient obligés, pour se maintenir, d’acheter leurs livres chez des libraires privilégiées par l’épiscopat, et que partout la guerre soit déclarée aux écoles privées contre lesquelles les moyens les plus déloyaux sont mis en œuvre ? Que reste-il après cela de l’instruction primaire gouvernementale ? (Interruption de la part de M. de Mérode.) Puisque vous m’interrompez, M. le comte, je vous dirai que je ne pense pas que la mission du gouvernement doive se borner à payer et à laisser faire. Je pense, au contraire, que quand une instruction est donnée aux frais de l’Etat, le gouvernement a le droit et l’obligation d’intervenir, que la surveillance du gouvernement est et doit être exclusive de tout autre au moins quant à l’enseignement qui reste étranger aux dogmes de la religion. S’il en était autrement, le gouvernement ne serait, pour l’instruction primaire, que le caissier de l’épiscopat et certes, quant à moi, je suis loin de l’entendre ainsi.
Dans la discussion de la loi sur l’instruction primaire, j’ai développé mes théories sur l’instruction gouvernementale franchement et sans arrière-pensée ; ces théories, qui avaient pour base la constitution, n’étaient pas celles de l’honorable comte de Mérode, je le sais, et c’est par cette raison que nous combattons encore aujourd’hui dans des camps opposés. Mon opinion est restée ce qu’elle était en 1842, et je ne puis que renouveler de toute l’énergie de mon âme les protestations que je formulais alors. L’exécution que M. Nothomb a donné à la loi de l’instruction a justifié d’ailleurs toutes les craintes que j’avais précédemment énoncées.
(page 851) Le clergé, maître de l’enseignement primaire, que le gouvernement lui a abandonné, marche aussi en ce moment tête levée au monopole de l’enseignement moyen. Les avertissements que je pourrai donner à M. Nothomb n’auront probablement pas plus d’effet que ceux que je lui ai donnés dès 1839 au sujet de l’instruction primaire. Je sais bien que M. le ministre de l'intérieur a fait un nouveau pacte avec la majorité, qui veut bien le tolérer. A ce prix au moins, j’aurai rempli mon devoir et je n’aurai pas à me reprocher mon silence.
Nous venons de voir que l’instruction primaire toute entière est passée au pouvoir du clergé, et il est impossible, d’après la conduite du gouvernement, qu’avant peu il n’en soit de même pour l’instruction moyenne ; en effet, il nous reste en tout et pour toute la Belgique seize collèges ou athénées indépendants, juste autant qu’en possède le clergé dans une seule province, celle de la Flandre orientale. Le gouvernement, comme toujours, reste dans l’inaction la plus complète : je me trompe, loin d’organiser l’instruction moyenne, il vient au secours du clergé, qui convoite sans relâche les quelques établissements indépendants qui ont échappé, jusqu’à présent au monopole, et quand il n’y aura plus rien à convoiter, le fait sera encore une fois sanctionné par le droit.
Voulez-vous, messieurs, savoir comme M. le ministre de l'intérieur prête les mains au clergé pour lui donner le monopole de l’enseignement moyen ? Je ne citerai entre plusieurs qu’un seul exemple : il existe à Wavre un collège que l’administration communale, malgré de faibles ressources, est parvenue à maintenir en possession d’un crédit justement mérité. Cédant à un mouvement de générosité perfide, M. le ministre de l'intérieur gratifia l’institution d’un subside de 3,000 fr., mais c’était à condition de convertir l’établissement au profit des idées intolérantes d’un parti, à condition de tout refaire, de tout bouleverser, de dépouiller d’un titre légitime des professeurs dont le seul tort était d’être libres d’engagement envers le clergé politique.
Une commission de surveillance fut donc instituée par les soins de M. le ministre de l'intérieur, et l’un de ses premiers actes, fut de solliciter le remplacement des dignes professeurs, qu’entourait la confiance du collège de régence.
Pour déjouer l’intrigue, les mandataires de la commune adoptèrent une résolution que l’événement est venu justifier : dans la séance du 24 août 1844, le conseil communal, sur la proposition de M. Marschouwd qui suivit cette affaire avec la plus louable sollicitude, résolut de renoncer au subside annuel que le gouvernement avait accordé, dans une intention à laquelle des hommes indépendants ne pouvaient nullement se rallier. Ainsi, fort heureusement échoua la coupable tentative du gouvernement contre le collège de Wavre, mais des tentatives semblables échoueront-elles aussi contre le très-petit nombre d’établissements qui ont survécu à la convoitise du parti dominant ? Y aura-t-il partout des hommes fermes et indépendants comme à Wavre ? Dieu le veuille ! car bientôt, si l’on n’y prend garde, toute l’instruction moyenne deviendrait, grâce à M. Nothomb, la proie de l’épiscopat à l’instar de l’instruction primaire.
Quant à l’instruction supérieure, le ministère s’inquiète aussi fort peu, car il nous a donné cette année un rapport très-insignifiant. En effet, messieurs, c’est un rapport qui ne ressemble pas du tout au rapport des années précédentes. Les renseignements les plus indispensables ne s’y trouvent pas ; ce qui a trait, par exemple, aux progrès des élèves, au zèle des professeurs, à la prospérité des établissements, est complètement oublié ; ce qui peut tendre à l’amélioration de l’instruction supérieure ne s’y trouve pas même énoncé ; c’est ainsi que M. le ministre passe complètement sous silence ce qui est relatif aux matières qu’il importe d’enseigner dans l’intérêt de la science, aux matières qui doivent faire l’objet des examens. Le gouvernement, depuis longtemps, avait promis de s’occuper de cette grave question, et il n’en dit plus un mot.
Que le ministère cependant veuille bien y faire attention. Il ne lui reste pour ainsi dire plus que l’enseignement supérieur, l’instruction primaire lui ayant complètement échappé, parce qu’il l’a bien voulu, et l’instruction secondaire étant sur le point de lui échapper encore. Veut-il laisser périr les universités de l’Etat ? Qu’il y prenne garde sa responsabilité serait énorme !
S’il n’y avait que la seule université libre de Louvain, depuis longtemps les universités de l’Etat auraient cesser d’exister. Le vrai soutien est l’université libre de Bruxelles, qui rend impossible le monopole quant à l’enseignement supérieur ; que le gouvernement le sache donc ; quelles que puissent être ses menées sourdes contre les universités de l’Etat, il ne parviendra jamais à procurer à sa majorité le monopole de l’instruction supérieure, et puisque ses universités doivent vivre malgré lui, qu’il consente donc à les laisser vivre honorablement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable membre a passé en revue les trois degrés de l’enseignement, et il s’est demandé chaque fois ce qu’était devenue l’instruction indépendante. Il s’est surtout fait cette demande pour l’instruction primaire.
Je ne remonterai pas au-delà de la loi du 23 septembre 1842. Cette loi repose sur l’idée d’un double concours : concours civil et concours ecclésiastique. Le gouvernement doit maintenir l’équilibre. C’est dans ce sens que la loi du 23 septembre 1842, qui n’a pas reçu l’assentiment de l’honorable membre, a été exécutée jusqu’à présent. Cette exécution se fait graduellement. Il y a des parties de la loi qui ne sont pas encore exécutées, parce que le temps ne l’a pas permis.
Un rapport sur les trois premières années d’exécution doit vous être fait. Quoiqu’il ne soit nécessaire de vous le présenter qu’à la fin de l’année, néanmoins je m’en occupe dès aujourd’hui.
L’honorable membre a cité plusieurs faits pour établir que la loi du 23 septembre 1842 a été faussée, en ce sens que tout a été fait au profit des concours religieux ou des établissements ecclésiastiques.
Il a cité ce premier fait : l’ouverture tardive des deux écoles normales de l’Etat. Il est très-vrai que ces deux écoles n’ont été ouvertes que quinze mois après le vote de la loi. Mais il ne pouvait en être autrement. Il fallait d’abord avoir tous les bâtiments nécessaires. 50 élèves se trouvent maintenant dans chacune de ces écoles ; des examens vont s’ouvrir, pour porter leur nombre à 75. de sorte que les deux écoles normales de l’Etat existent ; elles sont organisées, on les complète maintenant, on ne pouvait procéder autrement.
Sept écoles normales ecclésiastiques existaient avant la loi. Le gouvernement a agréé les offres qui lui ont été faites par l’épiscopat, et ces sept écoles ecclésiastiques sont soumises à l’inspection civile.
Le gouvernement avait le droit d’établir une école primaire supérieure par arrondissement. Il y a vingt-sept arrondissements judiciaires, et déjà vingt-quatre de ces écoles sont établies.
Des cours normaux peuvent être établis, par province, près d’une des écoles primaires supérieures. Cette adjonction a commencé à Bruxelles. Mais il est impossible d’admettre que la loi de l’instruction primaire ait pu recevoir instantanément, du jour au lendemain, son exécution. En France, par exemple, la loi de l’instruction primaire date de onze ans, et je crois qu’en Belgique l’exécution de la loi, qui ne date que de deux ans et demi, est plus avancée que ne l’est l’exécution de la loi française.
L’honorable membre a critiqué l’inspection civile. Il est impossible, messieurs, d’entrer ici dans des questions de personne. J’ignore si l’honorable membre aurait voulu des choix tel que l’exécution de la loi fût devenue impossible par le refus du concours du clergé.
L’inspection civile a été organisée dans l’esprit de la loi de septembre 1842.Il n’était pas facile, messieurs, de trouver de prime abord des hommes convenables. Il est même possible que l’un ou l’autre choix laisse quelque chose à désirer.
Cependant, je ne jugerai pas aussi sévèrement que l’honorable membre l’article du journal, dont il vous a donné lecture pour vous égayer. N’oubliez pas, messieurs, qu’il s’agit d’une province flamande. C’est un inspecteur qui a voulu rendre compte d’une cérémonie dans une langue qui n’est pas la sienne. Il a voulu faire du style fleuri, et l’essai ne lui a pas porté honneur, j’en conviens. (On rit.) Mais cette tentative ne peut pas être traitée aussi sévèrement que le fait l’honorable membre.
M. de Mérode – Ce n’est pas un professeur d’université.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Si vous pensez que tous les écrits des inspecteurs cantonaux doivent être des modèles de style ; si vous exigez des choix de ce genre, je vous déclare qu’il aurait été bien difficile d’organiser ce degré de l’inspection civile. Je regrette, du reste, que cet inspecteur ait jugé à propos de faire cet article de journal.
M. Rodenbach – Ils sont payés comme des douaniers.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ce ne sont pas des places, ce sont des missions qu’on leur donne et pour lesquelles ils sont indemnisés. On répète, avec raison, qu’ils ne doivent pas écrire des choses ridicules. Mais il ne faut pas conclure de ce fait que tous les inspecteurs soient dans le même cas.
L’honorable membre a aussi trouvé que l’on avait adopté avec trop de facilité des écoles privées, dans un certain nombre de communes. Sans doute, on a adopté et on a dû adopter des écoles privées. Il y a même des provinces où les écoles privées étaient en majorité avant l’existence de la loi. La loi a donc eu ce résultat extrêmement important, que des écoles privées complètement indépendantes, sont passées sous le régime de l’inspection civile. Si ces écoles ont été maintenues, c’est que les communes les ont adoptées. Mais l’honorable membre perd de vue qu’il a fallu l’intervention de l’autorité communale. Le gouvernement n’a donc mis aucun empressement à préférer les écoles privées aux écoles communales proprement dites. Il a laissé aux communes leur entière liberté d’action, et lorsque les communes sont venues déclarer au gouvernement, qu’elles adoptaient telle ou telle école, le gouvernement, se renfermant dans les termes de la loi, a dû respecter cette décision en revendiquant le droit d’inspection que lui donne la loi du 23 septembre.
Je disais tout à l’heure, messieurs, que l’honorable membre eût été bien embarrassé de définir ce qu’il faut entendre par enseignement primaire indépendant. Vous avez tout sacrifié, dit-on, à un parti. Nous avons fait en sorte, messieurs, d’exécuter la loi du 23 septembre 1842, suivant son esprit et suivant sa lettre. Nous avons conservé ou obtenu le concours du clergé, et je ne puis pas considérer le clergé comme un parti. Si je considérais le clergé comme un parti en dehors duquel il faudrait tenir l’instruction primaire, l’exécution de la loi du 23 septembre deviendrait impossible.
L’honorable membre, passant à l’instruction moyenne, a prédit que l’enseignement moyen cesserait également d’être indépendant. Messieurs, l’enseignement moyen dépend aujourd’hui de nos institutions communales. Il y a des collèges de différentes catégories : il y a des collèges institués par la commune en dehors de toute action du gouvernement et en dehors de tout concours du clergé ; il y a des collèges institués par les communes en dehors de tout concours du clergé, mais où l’on accepte l’intervention du gouvernement ; il y a, en troisième lieu, des collèges institués par les communes en dehors de l’action du gouvernement, mais où les communes ont accepté l’intervention du clergé ; enfin, messieurs, il y a des collèges, toujours institués par les communes, où la double intervention du gouvernement et du clergé existe. Voilà, messieurs, les différentes catégories d’établissements d’instruction moyenne qu’offre notre pays. Le pays les offre (p. 852) avec ces différences nuances, parce que c’est ainsi que les conseils communaux l’ont voulu.
Le gouvernement, chaque fois qu’il accorde un subside, le fait à la condition de la participation au concours annuel, et à la condition au moins de l’acceptation de l’inspection civile. Il y a même des établissements qui ont fait une part plus large au gouvernement.
Voilà, messieurs, l’état des choses quant à l’enseignement moyen. Tout repose ici sur la volonté exprimée par le conseil communal, et aussi longtemps qu’il n’y aura pas une loi spéciale organique de l’enseignement moyen qui dépossède, en quelque sorte, les conseils communaux, l’enseignement moyen aura sa véritable base dans la volonté des conseils communaux. Cela résulte de la loi communale.
Il est très-vrai, messieurs, qu’à Wavre, le conseil communal avait d’abord exprimé l’intention de convertir son collège en école industrielle et commerciale. On n’est pas tombé d’accord sur l’intervention qu’on accorderait au gouvernement, et dès lors le conseil communal de Wavre, usant de ses droits, a refusé le subside. Il a usé de ses droits, mais il en est de même du gouvernement, qui était libre de mettre des conditions au subside qu’on réclamait de lui. Il n’y a là rien d’extraordinaire.
Enfin, messieurs, l’honorable membre a regretté, quant à l’instruction supérieure, que le rapport de cette année ne fût pas aussi étendu que ceux des années précédentes, et n’offrît pas le même caractère. Je me permettrai de dire à l’honorable membre qu’il est extrêmement difficile de faire chaque année des rapports étendus même sur l’enseignement supérieur..
M. Devaux – Il est très-insignifiant.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il est possible que vous le trouviez très-insignifiant, parce que vous voudriez que, dans ces rapports, on discutât les questions générales ; des questions à résoudre peut-être dans l’avenir. Nous avons au contraire, aux termes de la loi, pensé qu’il fallait rendre compte aux chambres de l’exécution de cette loi telle qu’elle a été votée. Nous croyons même qu’il ne serait pas sans danger d’élever, à l’occasion, de ces rapports annuels, des questions ayant pour objet de remettre en doute l’existence de la loi. Il faut, avant tout, que l’enseignement supérieur, comme toutes les autres institutions, ait un caractère de stabilité.
L’honorable membre a reconnu cependant que j’avais dit un mot des matières d’examen. C’est en effet une question dont l’administration s’occupe. On examine si les quatre universités ne pourraient pas s’entendre entre elles pour adopter des programmes d’enseignement, et si à la suite de l’adoption de ces programmes pour chaque cours, on ne pourrait pas adopter un programme pour le jury d’examen. En un mot, messieurs, on ferait pour les examens universitaires ce que l’on fait pour les examens de l’école militaire, pour les examens des ponts-et-chaussées.
La science, messieurs, est immense ; les élèves se trouvent en quelque sorte en présence de cette immensité. S’il n’y avait pas une espèce de programme tacitement adopté, il faut bien l’avouer, pour le jury d’examen, les grades deviendraient presque impossibles ; eh bien, la question est de savoir s’il ne faudrait pas faire publiquement ce qui existe aujourd’hui tacitement. Il y aurait donc des programmes d’enseignement pour les cours dans les deux universités de l’Etat, programmes qui, s’ils étaient concertés d’avance, seraient aussi adoptés par les deux universités libres, au moins jusqu’à un certain point. Il y aurait ensuite, chaque année, un programme pour les examens universitaires. Ce programme serait cependant assez étendu pour que les récipiendaires fussent soumis à une épreuve suffisante.
Voilà, messieurs, la question que l’administration examine et je m’estimerais heureux si je parvenais à la résoudre.
Je crois, messieurs, que l’enseignement, dans ses trois degrés, est ce qu’il peut être avec les institutions que le pays s’est données. Il ne faut jamais perdre de vue ces institutions, notamment pour l’enseignement primaire et secondaire. Il ne faut pas perdre de vue la large intervention accordée aux autorités communales ; en outre, dans l’enseignement primaire, il ne faut pas perdre de vue la loi du 23 septembre 1842, qui suppose le concours ecclésiastique.
M. Orts – J’avais une interpellation à faite à M. le ministre de l'intérieur, et une phrase de la réponse qu’il vient de faire à l’honorable M. Verhaegen rend mon interpellation encore plus pressante. M. le ministre vous a dit qu’il y a maintenant un certain nombre d’écoles primaires supérieures organisées. Cela est vrai. Il vous a dit, que, quant aux cours normaux qui, aux termes de la loi, peuvent être adjoints aux écoles supérieures gouvernementales, il n’y en a encore aucune d’organisée, sauf qu’à Bruxelles il y a (j’ai écrit les termes dont s’est servi M. le ministre de l'intérieur) « un commencement d’adjonction » d’un cours normal à l’école primaire supérieure. Voilà bien ce que vient de déclarer M. le ministre. Maintenant, messieurs, avant de formuler mon interpellation positive, j’ai voulu mettre M. le ministre de l'intérieur à même d’y répondre pertinemment.
Il est nécessaire que je rappelle deux dispositions de la loi du 23 septembre 1842. L’article 33 établit, comme vous le savez, deux écoles normales gouvernementales ; il décide que les écoles normales privées peuvent être adoptées par le gouvernement. La loi porte encore qu’il y aura des cours normaux, autrement dits, des pédagogies attachées aux écoles primaires supérieures. Voilà donc trois catégories d’institutions dans lesquelles il faut aller chercher (et vous verrez tout à l’heure que la loi en fait une obligation) les futurs instituteurs primaires en Belgique. L’article 10 de la loi porte : que quatre ans après sa promulgation (or, la loi, comme vous le savez, est du 23 septembre 1842), ainsi, le 23 septembre 1846, il faudra que les communes choisissent leurs instituteurs parmi les candidats qui justifieront d’avoir suivi, pendant au moins deux ans, les cours normaux, soit dans une école normale du gouvernement, soit dans une école normale privée adoptée, soit dans une de ces pédagogies qui doivent être attachées aux écoles primaires supérieures, mais dont aucune n’est encore organisée à l’heure qu’il est. Seulement à l’école primaire supérieure de Bruxelles, il y a, pour me servir des termes de M. le ministre, « un commencement d’adjonction » ; je dirai tout à l’heure en quoi il consiste. Voyez, maintenant, messieurs, où en sont les choses : le 23 septembre 1846, chaque commune devra prendre ses instituteurs dans une de ces écoles normales ou dans l’une des pédagogies attachées aux écoles primaires supérieures. Les écoles normales gouvernementales existent depuis plus d’un an, l’une à Lierre, l’autre à Nivelles. Tout le monde sait que c’est aux instituteurs des campagnes en grande partie que ces écoles sont destinées. C’est précieux, j’en conviens, mais dans nos villes les pédagogies ou les cours normaux attachés aux écoles primaires supérieures, sont créés précisément pour que, dans les villes et dans les environs, les jeunes gens puissent venir puiser dans ces cours l’instruction qui doit les rendre dignes de devenir un jour instituteurs, pour qu’ils ne soient pas obligés d’aller à Lierre ou à Nivelles. Eh bien, il y a ici une lacune à combler.
Voyons comment cette dernière tâche a été remplie. Les écoles normales du clergé, au nombre de 6 ou 7, ont été adoptées, conformément à la loi, et sur leur demande elles ont été adoptées, si je ne me trompe pas, dès le 17 décembre 1843 ; ainsi, quant à celles-là, elles sont parfaitement en règle : le 23 septembre 1846, chaque élève pourra faire voir qu’il a fréquenté les cours non pas seulement pendant deux ans, mais pendant trois ans, et que par conséquent il est apte à être nommé instituteur. Les élèves des écoles normales du gouvernement seront également aptes à se présenter le 23 septembre 1846. Mais il n’en est pas de même des cours normaux des pédagogies qui doivent être adjoints aux écoles primaires supérieures : ces pédagogies ne sont pas encore établies. Les communes seront donc dans l’impossibilité de choisir leurs instituteurs parmi cette classe si intéressante de jeunes gens qui fréquenteront les cours normaux des écoles primaires supérieures.
L’année dernière, j’avais déjà appelé l’attention de M. le ministre de l'intérieur sur ce point. Et alors il m’a dit : « Comment ! vous êtes membre du bureau de l’école primaire supérieure de Bruxelles, et vous ignorez comment cette affaire a marché ? »
Mais savez-vous, messieurs, ce que l’on a fait ? On a accordé aux jeunes gens qui suivent la classe supérieure de l’école de Bruxelles des bourses ; et pourquoi ? Ce n’est pas pour suivre les cours de la pédagogie ; car elle n’est pas établie ; c’est pour suivre les cours de la classe supérieure ; c’est afin qu’ils se rendent aptes à suivre les cours normaux quand ils seront organisés.
On a trouvé mauvais que je fisse une interpellation. Un an s’est écoulé ; je la fais de nouveau.
Je demande à M. le ministre de l'intérieur, s’il peut faire cette déclaration que, quoique les cours normaux à l’école supérieure n’aient pas été organisés, les jeunes gens qui fréquentent cette école et qui ont obtenu des bourses pour se préparer à ces cours normaux pourront, quatre ans après la mise à exécution de la loi de 1842 se présenter et dire : « Nous avons suivi les cours de l’école supérieure, nous demandons à jouir de la même faveur que les élèves des écoles normales du gouvernement et du clergé. Nous demandons à être admis à concourir pour l’obtention des emplois d’instituteurs qui viendraient à vaquer. ». Cette prétention serait-elle admise ?
Voilà la demande formelle que je fais.
S’il n’en est pas ainsi, de ce que M. le ministre aurait tardé à organiser les cours normaux, il résultera que ces élèves seront privés du bénéfice de leurs études.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il faut s’entendre sur ce que signifient les cours normaux à adjoindre aux écoles primaires supérieures. Il ne s’agit pas de faire de véritables écoles normales. On peut seulement adjoindre à une école primaire supérieure, par province, des cours de pédagogie, adjonction qui aurait pu avoir lieu de suite, si l’on avait eu des élèves ayant suivi avec fruit tous les autres cours de l’école primaire supérieure.
Ceux qui pensent qu’il fallait commencer par établir des cours normaux, en même temps qu’on créait les écoles primaires supérieures demandent l’impossible.
Il y a à l’école supérieure de Bruxelles un certain nombre de jeunes gens qui suivent les cours de la première section, qui jouissent de bourses, et qui ont accepté la vocation d’instituteurs ; ils ont annoncé cette intention. Ils sont particulièrement recommandés aux professeurs et surtout au directeur. Dès que leurs études seront achevées, on leur donnera le cours de pédagogie dont ils ont besoin. Dès que leur instruction sera ainsi complète, ils pourront être instituteurs.
Je répondrai donc à l’honorable membre que, dès que les études de ces jeunes gens seront assez avancées, ils recevront le complément de leur instruction dans des cours de pédagogie qui pourront être donnés très-prochainement.
J’entends dire à côté de moi : Pourquoi n’a-t-on pas, dans le Luxembourg, adjoint des cours normaux aux écoles primaires supérieures. Mais remarquez que ces écoles sont organisées depuis très peu de temps dans le Luxembourg. Il y a dans ces écoles des boursiers qui ont accepté la vocation d’être instituteurs. Dans l’une de ces écoles seulement, probablement dans celle de Virton, on donnera un cours de pédagogie. On ne pouvait procéder autrement.
Le gouvernement avait le droit d’établir 27 écoles primaires supérieures ; (page 853) 24 sont établies, à l’heure qu’il est. Certainement le temps n’a pas été perdu.
Il reste un complément à donner, à quelques-unes de ces écoles, par l’adjonction de cours de pédagogie. C’est ce qu’on fera ; on ne peut aller ni plus vite ni plus loin.
L’honorable membre peut être rassuré sur l’avenir des élèves qui fréquentent le cours de l’école primaire supérieure de Bruxelles. Le complément de leur instruction leur sera donné par l’enseignement pédagogique ; on s’occupe d’eux autrement que des autres élèves ; on s’attache constamment à leur enseigner les méthodes.
Il y a là un malentendu. On croit que les cours normaux doivent être tels qu’ils comprennent l’ensemble d’une institution normale. C’est une erreur. Relisez la discussion ; on n’a entendu que des cours de pédagogie qui complètent l’enseignement donné jusque-là.
M. Dumortier – Je crains que cette discussion ne modifie la loi du 23 septembre 1842. Cette loi a décrété l’établissement de deux écoles normales de l’Etat. Je n’étais pas favorable à l’établissement de ces deux écoles.
J’aurais préféré que l’on suivît, pour les écoles-modèles, le système adopté sous le gouvernement précédent. Vous savez que, sous le gouvernement précédent, ces écoles devaient servir, pendant les vacances, pour les cours normaux, c’est-à-dire que tous les professeurs devaient se réunir pour se former de plus en plus dans l’art d’enseigner, et que les jeunes gens qui se destinaient à l’enseignement pouvaient assister à ces conférences.
Ce régime n’a pas prévalu. On a établi deux écoles normales.
Maintenant, si j’ai bien compris M. le ministre de l'intérieur, on transformerait les 27 écoles primaires supérieures en 27 écoles normales. (Dénégation de la part de M. le ministre de l'intérieur.) Ajoutez à cela les deux écoles normales de l’Etat et les sept écoles ecclésiastiques. Cela fait un total de 36 écoles normales.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’ai dit le contraire.
M. Dumortier – Je le sais ; mais tel est à mes yeux le résultat de l’adjonction des cours normaux.
Il résultera de là de grandes dépenses pour le trésor public.
On adoptera ainsi pour l’instruction primaire le système qu’on a adopté pour les écoles militaire, vétérinaire et de génie civil ; c’est-à-dire qu’on formera un bien plus grand nombre d’élèves qu’on ne peut en placer. Cela présente un très-grand inconvénient ; car les jeunes gens qui ne peuvent suivre la carrière à laquelle ils se sont destinés par leurs études sont impropres à toute autre carrière.
Je pense, quant à moi, que l’article de la loi sur l’enseignement primaire qui est relatif aux cours de pédagogie ne doit pas être entendu dans ce sens, qu’il y aura pendant les vacances un cours dans lequel tous les professeurs de l’arrondissement viendront se former de plus en plus aux méthodes d’enseignement. Mais comment voulez-vous établir auprès de toutes les écoles primaires supérieures un cours de pédagogie ? Il faudra donc adjoindre à chacune de ces écoles un professeur de plus. Car vous n’exigerez pas de vos professeurs actuels qu’ils donnent un cours de pédagogie ; je sais ce qui se passe dans quelques localités, et déjà les professeurs sont surchargés de besogne. Il vous faudra donc créer 27 nouveaux professeurs. Mais alors que deviendront vos écoles normales ? Voulez-vous ce système ? Je ne m’y oppose pas ; mais, dans ce cas, supprimez les écoles normales.
L’honorable M. Orts vous a parlé des instituteurs à nommer dans les villes. Je crois, messieurs, que pour devenir instituteur dans une ville, il ne suffit pas d’avoir étudié la langue française et les éléments des mathématiques, en un mot, d’avoir suivi un cours d’instruction primaire. Je crois qu’il est à désirer que les personnes qui deviennent instituteurs dans les villes, aient suivi les cours d’un collège, qu’ils aient fait preuve de connaissances littéraires et scientifiques. Car, s’ils ont appris simplement ce qu’ils doivent enseigner, ils pourront se trouver embarrassés à la moindre observation d’un élève, et il arrivera que l’élève deviendra le professeur, et le professeur l’élève.
Il est donc à désirer que les personnes qui, dans les villes, sont nommées instituteurs dans les écoles créées par le gouvernement, aient fait d’assez fortes études. Je ne prétends pas qu’il ne faille nommer que des candidats ou des docteurs en philosophie, mais il faut choisir, en un mot, des instituteurs qui en savent plus que ce qu’on enseigne dans des écoles primaires ; et je crois qu’un jeune homme qui sortirait d’une école primaire supérieure quelconque, pour devenir professeur, ne serait généralement qu’un professeur de second ordre.
Je crois donc, messieurs, que nous dévions singulièrement ici de ce que veut la loi sur l’enseignement primaire. Encore une fois, on a voulu des écoles normales et des écoles modèles ; mais on n’a pas voulu que ces écoles modèles devinssent des écoles normales, et elles deviendraient des écoles normales, su l’on y joignait des cours de pédagogie. Ce qu’on a désiré, et je maintiens que c’est ce qu’on a voulu par la loi, c’est que, pendant les vacances, il fût ouvert des cours de pédagogie pour les instituteurs de l’arrondissement qui viendraient s’y perfectionner dans les méthodes d’enseignement. Mais transformer les écoles primaires supérieures en écoles normales, ce serait un double emploi ; et dans ce cas, je demanderai la suppression des écoles normales. Peut-être même ce système ne serait-il pas plus mauvais.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je prierai l’honorable membre de lire l’art. 33 de la loi. Il suppose l’intention au gouvernement et par conséquent la possibilité d’adjoindre aux 27 écoles primaires supérieures des cours normaux. La loi ne le permet pas. Le gouvernement peut adjoindre des cours normaux à une école primaire supérieure par province. Ainsi le maximum serait de 9. La question est de savoir si le gouvernement doit user de cette faculté dans toutes les provinces, et notamment s’il faut établir de ces cours normaux à proximité des écoles normales.
J’ai aussi expliqué ce qu’il faut entendre par des cours normaux. Il ne s’agit pas de transformer dans chaque province une des écoles primaires supérieures en école normale, il s’agit seulement d’adjoindre à l’une de ces écoles dans chaque province des cours de pédagogie, de manière à ce que des élèves ayant fréquenté les cours de l’école primaire supérieure avec la vocation de devenir instituteur, trouvent le complément de l’enseignement nécessaire dans l’adjonction de ces cours de pédagogie.
Relisez la discussion, vous verrez que c’est ainsi que la loi a été entendue. L’honorable préopinant s’effraye donc d’une chose qui n’est pas possible aux termes de la loi.
M. Orts – Je comptais, messieurs, faire l’observation que vient de présenter M. le ministre de l'intérieur. Il ne peut être question d’adjoindre des cours normaux qu’à une école primaire supérieure par province.
L’honorable M. Dumortier, messieurs, voudrait que les instituteurs des écoles primaires dans les villes eussent des connaissances beaucoup plus étendues que celles que la loi exige. Quelles sont les connaissances que doivent posséder les instituteurs primaires ?
Ils doivent être parfaitement au courant des matières dont la loi de 1842 rend l’enseignement obligatoire dans les écoles primaires supérieures.
Il faut que non-seulement ils connaissent parfaitement ces matières, mais qu’ils soient initiés aux méthodes. Car c’est là ce qu’il y a de plus important dans l’instruction primaire comme dans l’enseignement secondaire et dans l’enseignement universitaire. Le tout n’est pas de savoir ; le plus important, c’est le savoir faire. Un instituteur serait un puits de science ; s’il ne possédait pas à fond les méthodes d’enseignement ; s’il ne savait pas faire comprendre à ses élèves ce qu’il doit enseigner, ce serait une véritable nullité.
Mais dans les écoles primaires supérieures auxquelles sont adjoints des cours normaux, à quoi formera-t-on les jeunes instituteurs ? On les initiera aux méthodes d’enseignement, soit qu’on adopte la méthode simultanée, celle de Pestalozzi, qui est généralement suivie dans les écoles de notre pays, soit qu’on préfère la méthode mutuelle, la méthode lancastérienne. C’est donc la méthodologie qu’on leur enseigne principalement ; il faut qu’ils soient parfaitement exercés dans ce qui fait la base de l’instruction primaire, qu’ils aient fait dans cette carrière les progrès les plus marquants et obtenu les certificats les plus favorables, pour mériter d’être choisis par les autorités communales, instituteurs primaires.
Messieurs, je désire que l’on organise le plus tôt possible les cours normaux près d’une des écoles primaires supérieures de chaque province. Comme on l’a fait observer, la loi ne va pas plus loin, et encore, elle dit qu’il « pourra » être établi des cours normaux. Mais je désire qu’on fasse largement usage de cette autorisation. Car, tous les jeunes gens qui veulent s’adonner à l’instruction, ne peuvent pas aller étudier, à grands frais, soit à Lierre, soit à Nivelles. Ce sont généralement des jeunes gens qui ont obtenu des bourses qui fréquentent les écoles normales établies dans ces deux localités.
J’aurais donc désiré que les cours normaux fussent complètement organisés près de l’école primaire supérieure de Bruxelles. Mais je prends acte de la déclaration qu’a faite M. le ministre de l'intérieur, que les jeunes gens qui fréquentent les cours supérieures de cette école, et qui, depuis plus d’un an, jouissent d’une bourse pour se perfectionner, seront considérés comme aptes à devenir instituteurs en septembre 1846. Cela est très-important pour eux. Cela est aussi très-important pour l’école même de notre province.
Je crois que l’on aurait pu organiser les cours normaux plus tôt ; et cela pour une excellente raison, c’est que ces jeunes gens à qui on a donné des bourses pour continuer leurs études, se trouvaient déjà dans les cours supérieurs comme les jeunes gens qui sont allés à Nivelles et à Lierre, ou même ceux qui ont été reçus dans les écoles normales ecclésiastiques ; personne n’arrivait là tout formé ; c’étaient les jeunes gens sortis, plus instruits, des écoles primaires, qui ont formé le premier noyau de toutes ces institutions normales.
Du reste, je remercie M. le ministre de l'intérieur de la déclaration positive qu’il a faite en ce qui concerne les jeunes boursiers, qui se destinent à suivre le cours normal près de l’école primaire supérieure de Bruxelles, dont je recommande la prompte et complète organisation à M. le ministre de l'intérieur.
M. Castiau – Messieurs, avant de clore la discussion générale, j’ai une simple question à adresser à M. le ministre sur l’inexécution de la seule disposition libérale que renferme la loi de 1842 sur l’enseignement primaire. Je lui demanderai pourquoi il a laissé, jusqu’ici, sans organisation les concours établis par cette loi dans chaque canton ?
La loi de 1842 ne s’est pas contentée de poser le principe du concours ; elle avait poussé le soin jusqu’à déterminer la composition des jurys chargés de présider à ces concours.
Que devait donc faire M. le ministre ? Il lui suffisait de faire ce qu’il fait en ce moment, ouvrir la loi et assurer l’exécution textuelle de ses dispositions.
Il n’en a rien fait cependant. Cette exécution toute matérielle, tout mécanique, il l’a négligée. Des concours existaient, entre les écoles primaires, dans la plupart de nos provinces. Ces concours ont été supprimés, et jusqu’ici rien n’annonce de la part du gouvernement l’intention de les remplacer et d’exécuter le vœu de la loi.
J’insiste pour connaître, à cet égard, les intentions de M. le ministre et (page 854) les causes du retard dont je me plains. Si j’attache la plus grande importance à la réorganisation des concours pour l’enseignement primaire, c’est que j’ai pu apprécier, dans la province à laquelle j’appartiens, les heureux résultats de cette institution et les progrès qu’elle avait déterminés parmi les instituteurs comme parmi les élèves. C’est le Hainaut, messieurs, qui a eu l’honneur d’organiser cette utile institution, et de prendre une initiative que la plupart des autres provinces se sont empressées de suivre. Tout est bouleversé maintenant ; les concours provinciaux sont supprimés. Le gouvernement a-t-il, oui ou non, abandonné le projet de les réorganiser conformément à la loi nouvelle ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – En effet, l’art. 29 de la loi porte que des concours pourront être institués, mais il fallait avant tout instituer les diverses autorités nouvelles que suppose la loi ; il fallait aussi examiner l’état de chaque école dans les communes, le concours n’a pu être institué l’année dernière ; nous ferons en sorte qu’il ait lieu au moins dans quelques cantons cette année, il faudra un nouveau règlement ; cela est beaucoup plus difficile qu’on ne suppose, mais l’idée du concours n’est nullement abandonnée.
M. Devaux – Messieurs, je ne répèterai pas, cette année, ce que j’ai déjà dit souvent sur le chapitre de l’instruction publique.
C’est une circonstance remarquable, que l’administration de M. le ministre de l'intérieur, que l’absence de trace qu’elle laissera dans l’enseignement. L’exécution de quelques dispositions de la loi sur l’enseignement primaire paraît seule attirer son attention.
Quant à l’enseignement supérieur, il serait difficile d’y découvrir quelqu’impulsion de la part du gouvernement.
M. le ministre de l'intérieur s’est borné à exécuter l’article de la loi du 27 septembre 1835, relatif au concours universitaire. Quand il y a de places vacantes, il nomme telle quellement à ces places : là se bornent à peu près les effets de sa sollicitude.
Le rapport qu’il nous a fait encore, cette année, sur les universités donne la mesure de l’intérêt qu’il porte à ces établissements. Si l’on avait à rendre compte d’un haras ou de la situation d’une caserne, on ferait à peu près un rapport semblable. Quant à la partie intellectuelle, à la partie morale de l’enseignement, il n’en est, pour ainsi dire, pas question ; il est impossible à ceux qui lisent ce document, de se faire une idée de l’état de l’enseignement dans les universités. Quelle est la branche florissante ? quelle est la branche languissante ? Où y a-t-il progrès ? où y a-t-il décadence ? Qu’y a-t-il à désirer il est impossible de le savoir ; on rend compte du personnel et du matériel, etc. ; mais l’enseignement lui-même est oublié. Il paraît que cela ne regarde pas le gouvernement.
Je pourrais vous dire comment quelques cours sont suivis, comment quelques nominations sont faites ; mais il me répugne à entrer dans ces questions qui touchent aux personnes.
Dans l’enseignement moyen, nulle trace encore de l’action du gouvernement. M. le ministre de l'intérieur s’est borné à modifier, à détériorer, suivant moi, une très-belle institution, celle du concours entre les collèges. L’année dernière, je vous ai fait voir avec quelle capacité ce concours est régi ; j’ai excité l’hilarité de l’assemblée ; je pourrais, si je voulais, me donner encore ce plaisir cette année, car les bévues se succèdent, seulement elles changent de forme. Chaque année, ce concours est une espèce de preuve de l’incapacité administrative du gouvernement. Ainsi, par exemple, au concours de 1844, les élèves de seconde avaient à faire une version grecque et une narration sur un sujet donné.
Il viendrait à l’esprit de toute personne qui s’est occupée d’enseignement, qu’il est nécessaire de mettre entre les deux compositions un jour au moins de repos, pour ne pas tendre outre mesure l’esprit des élèves. Que fait le gouvernement ? Il leur fait faire, dans une même matinée, une narration sur l’enfant prodigue au XIXè siècle, et une version grecque. Si M. le ministre de l'intérieur voulait seulement consulter son médecin, il lui dirait qu’une aussi longue excitation, accompagnée de l’émotion inséparable de cette lutte solennelle, excède les forces physiques des enfants et doit, à plus forte raison, nuire à leur travail. Si on enfermait les plus habiles d’entre vous et qu’on leur fît écrire à la fois un discours sur un sujet donné et une version grecque d’une page d’impression, je crois qu’ils pourraient être fort embarrassés. (On rit.)
Je disais qu’on avait donné aux élèves un sujet de narration française ; ce sujet était l’enfant prodigue au XIXè siècle. Pour le dire en passant, il me semble qu’un pareil choix est peu convenable. Que peuvent être les détails de la vie de l’enfant prodigue au XIXè siècle ? Je ne crois pas que ce soit sur de tels tableaux qu’il faille attirer l’attention des enfants. Il leur a fallu sans doute beaucoup d’efforts pour gazer certaines parties du sujet. Je ne sais pas si, en ayant l’air d’emprunter un sujet aux livres saints, on a voulu faire sa cour à quelqu’un ; mais, dans tous les cas, le choix est peu convenable.
Quant à l’instruction primaire, qu’a fait le gouvernement ? Il a nommé des inspecteurs cantonaux ; je reconnais que, dans les grandes villes, il y en a de capables ; mais, ailleurs, il y en a aussi qui le sont fort peu, et qui, bien certainement, n’ont pas été choisis à raison de leur aptitude à ces fonctions. On nous a donné tout à l’heure lecture d’une lettre adressée à un journal par un inspecteur cantonal. M. le ministre de l'intérieur, par sa réponse, a prouvé qu’il est peu exigeant à l’égard de la capacité des inspecteurs. Suivant lui, dans les provinces flamandes, on pouvait être inspecteur cantonal et écrire d’une manière ridicule en français. Je crois que M. le ministre de l'intérieur juge mal les provinces flamandes ; je les connais assez pour savoir qu’on peut y trouver des inspecteurs cantonaux en état d’exprimer leurs idées en français, sans exciter l’hilarité. Je crois que, quand il s’agit d’inspection d’écoles, on peut exiger que l’homme chargé de cette inspection sache exprimer ses idées en français, sans faire rire son auditoire.
La tâche principale du gouvernement était d’organiser les écoles normales et les cours normaux. On nous a rappelé la disposition de la loi, aux termes de laquelle les conseils communaux doivent nécessairement choisir leurs instituteurs parmi les élèves des écoles normales ou des cours normaux, quatre ans après la promulgation de la loi. M. le ministre de l'intérieur a commencé par attendre plus d’une année avant d’organiser les écoles normales du gouvernement ; il attend encore pour organiser les cours normaux. Que résultera-t-il de là ? C’est que, lorsque le délai fixé par la loi sera expiré, les écoles du gouvernement ne pourront pas fournir aux communes des instituteurs en concurrence avec les écoles normales épiscopales ; les communes ne pourront pas non plus fixer leur choix sur des candidats formés dans les cours normaux, parce que ces cours ne sont pas organisés.
M. le ministre de l'intérieur a donc eu tort de ne pas organiser ces cours. Il est inexact de dire que les écoles primaires supérieures doivent d’abord former des élèves pour les cours normaux ; car ces cours normaux sont destinés à être suivis par des élèves autres encore que les élèves nouvellement formés par les écoles primaires supérieures. D’ailleurs, beaucoup d’écoles supérieures sont d’anciennes écoles qui n’ont guère fait que changer de nom, et elles ont d’anciens élèves prêts à suivre les cours normaux. On aurait donc pu organiser ces cours depuis longtemps.
Je crois que, pour qu’il y ait loyauté dans l’exécution de la loi, il sera indispensable, lorsqu’arrivera le terme des quatre ans, de le proroger. En effet, l’art. 10 de la loi du 23 septembre 1842 suppose des écoles normales du gouvernement, des cours normaux pouvant fournir des instituteurs aux communes ; cet article n’a pas voulu sans doute que les conseils communaux dussent nécessairement choisir leurs candidats parmi les élèves des écoles normales épiscopales. Il en serait cependant ainsi de fait, si on ne venait pas à proroger le terme. En effet, les écoles normales de l’Etat n’ont été organisées qu’au mois de novembre 1843. Vous savez qu’une école normale ne se peuple pas du jour au lendemain ; il faut un certain temps pour que les élèves y viennent.
Le cours complet d’étude, dans une école normale, est au moins, je pense, de trois ou quatre ans ; il en résulte que les élèves entrés dans l’une des deux écoles normales de l’Etat, fût-ce même dès l’ouverture de l’établissement, n’auraient pas, à l’échéance du délai fixé par l’art. 10 de la loi, achevé leurs cours. Il serait donc impossible aux conseils communaux de choisir des instituteurs parmi des élèves des écoles normales ayant complété leurs études.
Je sais bien que l’art. 10 dit qu’il suffit d’avoir suivi les cours d’une école normale pendant deux ans pour pouvoir être nommé ; mais il est évident que les candidats sortis des écoles normales du clergé, et qui auront eu trois ou quatre ans pour se former, auront plus de chances d’être nommés que ceux qui auront suivi seulement pendant deux ans les écoles normales de l’Etat.
Je le répète donc, avant que le délai prescrit par l’art. 10 de la loi organique de l’instruction primaire vienne à expirer, il sera juste, il sera indispensable de le renouveler pour deux ans.
Le gouvernement a eu tort de ne pas commencer par l’organisation des écoles normales ; l’article 10 domine tellement la loi qu’il fallait, avant tout, s’en occuper, ainsi que des cours normaux, qui, je le répète, ne sont pas seulement destinés aux élèves des écoles nouvellement établies en vertu de la loi, mais à toutes les personnes ayant acquis la capacité nécessaire pour les suivre. J’engage le gouvernement à examiner la question que j’ai soulevée et à voir si, l’année prochaine, il n’y aurait pas lieu de proroger le délai fixé par l’art. 10 de la loi d’instruction primaire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable membre, en ce qui concerne l’instruction primaire, trouve que beaucoup de choix d’inspecteurs civils ont été malheureux. J’aurais désiré qu’on eût pu trouver partout dans les campagnes des hommes très-capables, déjà initiés aux méthodes, s’étant occupés depuis longtemps d’instruction primaire. Malheureusement, ces choix ont été quelquefois impossibles ; il a fallu accepter dans certains ressorts des campagnes, pour inspecteurs civils, des personnes qui jusque-là ne s’étaient pas occupés d’instruction publique. Je dois en convenir, ces personnes font en ce moment leur apprentissage. Je regrette que ce ne soient pas de véritables fonctions publiques avec traitement. Alors on aurait pu, là où on ne trouvait pas sur les lieux des hommes capables, en envoyer d’autres localités ; on aurait eu à mettre à la disposition des inspecteurs cantonaux de véritables traitements. Le législateur ne l’a pas voulu, et n’a pas voulu faire de la mission d’inspecteur une place proprement dite, c’est une mission très-faiblement indemnisée. Cependant le gouvernement a fait ce qu’il pouvait pour avoir des hommes sinon déjà capables, du moins disposés à faire l’apprentissage nécessaire.
On est revenu sur l’article ridicule de cet inspecteur de la Flandre orientale, pour incriminer tous les choix du gouvernement. Il me suffit de dire que cet inspecteur est le chef d’un établissement très-connu ; le gouvernement pouvait-il dès lors douter de la bonté du choix qu’on lui proposait ?
Quant à l’instruction moyenne, on a critiqué les modifications apportées au concours. Je dirai que ces modifications ont été indiquées par des personnes qui doivent inspirer toute confiance. Si deux épreuves ont eu lieu le même jour, c’est une tentative que l’on avait demandée.
(page 855) Quant à l’instruction supérieure, il trouve que le gouvernement, dans le rapport annuel, devrait se livrer à des considérations, à des appréciations. L’honorable membre a faut, chaque année, depuis 1836, la même critique. Il voudrait que le gouvernement déclarât que telle branche de l’enseignement est forte, telle autre faible.
Je défie un ministre de déclarer que, dans une université de l’Etat, il y a telle faculté qui l’emporte sur telle autre ; que tel cours est facilement donné. Je crois qu’un ministre ne doit pas faire des déclarations de ce genre. Ce sont des détails dont il doit s’enquérir ; il y a dans l’administration des renseignements, dont il a besoin, qu’il se fait remettre, mais qu’il ne peut pas livrer, à ce point, à la publicité.
M. de Haerne – J’ai demandé la parole pour donner quelques explications relativement à ce qui a été dit dans la discussion. Il me semble que plusieurs honorables préopinants sont tombés dans l’erreur, quand ils ont supposé que les écoles prises en général, qui ne sont pas sous la directeur du gouvernement, appartiennent par cela seul au clergé. On a dit que l’enseignement n’était plus indépendant, parce qu’il n’était plus sous la direction du gouvernement. Je ne m’étendrai pas à faire ressortir l’espèce de renversement d’idées que je rencontre dans ces expressions, car en toute autre matière on appelle indépendant ce qui n’est pas sous le contrôle du gouvernement. Ici on semble croire que, pour qu’une institution d’instruction soit indépendante, elle doit être sous la direction exclusive du ministère. Il me semble qu’il y a là une contradiction dans les termes. Il faut être conséquent et ne pas renverser la signification des termes donnés par le dictionnaire.
Examinons les faits s’il y a accaparement de la part du clergé, en ce qui regarde l’instruction primaire. Je parle avec une certaine prédilection de l’instruction primaire, parce que j’exerce les fonctions d’inspecteur ecclésiastique pour l’arrondissement de Courtrai. J’ai l’honneur de vous dire que, dans toute l’arrondissement de Courtrai, il n’y a pas une seule commune qui n’ait plusieurs ou au moins une école qui ne dépend pas du clergé. Il est vrai que ces écoles sont religieuses ; mais est-il quelqu’un dans cette chambre qui ose dire que l’instruction doit être séparée de la religion, que l’atmosphère de l’école ne doit pas être religieuse. Je dis que l’instruction est religieuse dans ces écoles, et elle doit l’être.
Il est vrai que les écoles dont je viens de parler n’étaient pas toutes des écoles communales avant la promulgation de la loi sur l’instruction primaire. Plusieurs, un grand nombre ont été adoptées par le gouvernement, mais ce n’étaient pas là des écoles du clergé, c’étaient des écoles indépendantes du clergé et du gouvernement. Aujourd’hui, par suite de l’agrégation, elles sont plus dépendantes du gouvernement que du clergé. Voilà le véritable état des choses dans l’arrondissement de Courtrai qui comprend 44 communes. Je parle de l’arrondissement d’instruction et non de l’arrondissement administratif ou judiciaire. L’arrondissement d’instruction est une réunion de plusieurs cantons ; dans tout cet arrondissement, je le répète, il n’y a pas une seule commune qui n’ait plusieurs ou à tout le moins une école indépendante du clergé. Je respecte trop ces instituteurs pour dire qu’ils ne sont pas indépendants ; mais ils sont religieux, et voilà tout. Je crois pouvoir ajouter qu’il en est généralement ainsi.
Messieurs, on a parlé aussi de l’instruction moyenne. On a semblé croire que les collèges gouvernementaux ou communaux allaient tomber dans les mains du clergé. Messieurs, le clergé ne désire qu’une chose, c’est que dans les collèges comme dans les écoles primaires la direction soit religieuse ; pour le reste, il laisse une action libre au gouvernement et aux communes ; et je pense que les choses doivent se passer ainsi.
Un honorable préopinant, en parlant des concours qui se font entre les collèges, a critiqué le gouvernement sur plus d’un point. Ces concours, en effet, laissent beaucoup à désirer ; à certains égards, je suis d’accord avec l’honorable M. Devaux ; mais je crois qu’il n’est pas entré dans sa pensée de vouloir jeter du blâme sur le sujet de l’enfant prodigue, adopté dans l’un de ces concours ; si j’ai bien compris, il a blâmé le choix et non le sujet lui-même. Il a dit que c’était un sujet emprunté à l’histoire ancienne ; il est dans l’erreur, c’est un apologue ou une parabole de l’Evangile. Le choix était malheureux au XIXe siècle, car il est bien à craindre qu’un élève un peu lancé dans le monde, qui eût lu trop de romans, ne travaillât ce sujet dans le style des « Mystères de Paris ». Ce serait là, à mes yeux, une profanation.
Je suis d’accord avec l’honorable M. Devaux, on aurait mieux fait de respecter ce sujet, on aurait mieux fait d’en prendre un autre, par une raison supérieure, c’est que le sublime de l’Evangile, on doit l’admirer, on ne doit pas chercher à l’imiter, parce qu’il est inimitable.
Pour parler de l’instruction, en général, et des diverses tendances qu’on y remarque, je croire pouvoir finir, en rappelant à la chambre les principes que j’ai émis dans le temps sur cette matière. Au congrès et en 1832, j’ai eu l’occasion de parler, à plusieurs reprises, de l’instruction publique ; j’ai dit que, dans cette matière, il fallait respecter avant tout la liberté, qu’elle devait rester sauve, avoir toute son action, recevoir tout son développement en matière d’instruction, comme en matière de presse ; en un mot qu’elle devait rester libre comme l’expression de la pensée en général, sous quelque forme qu’elle se produise.
J’ai dit, en second lieu, que pour suppléer à l’insuffisance du régime de liberté, à l’inaction qui se rencontre quelquefois par suite du développement de la liberté, pour remédier à la négligence dans laquelle on tombe, le gouvernement doit s’interposer, aux termes de la Constitution ; la loi tend à faire disparaître certains défauts, certains abus, certaines lacunes, et, à cet égard, son action est très-salutaire. Je vous dirai que le cas s’est présenté quand on a mis à exécution la loi sur l’instruction primaire. Je pourrais citer des exemples par lesquels je prouverais que l’intervention du gouvernement a été d’une très-grande utilité, non-seulement pour organiser l’instruction, mais pour faire disparaître des faits qui froissaient plus ou moins la morale. J’applaudis donc à la loi et à l’exécution qu’elle a reçue.
Messieurs, j’ai soutenu dans la première période de ma carrière parlementaire qu’on doit consulter, en troisième lieu, le principe d’économie. Ce principe est d’une bien grande importance pour les communes et les villages. Savez-vous pourquoi dans bien des communes il n’y a pas d’école communale, et qu’on se contente d’une école reconnue ou adoptée par le gouvernement ? C’est parce que les fonds manquent, parce qu’il y a insuffisance de ressources, et lorsqu’on voit qu’il y a un instituteur privé qui donne bien l’instruction, souvent on s’en contente, et l’on a raison.
Je le répète donc, lors de mes premiers pas dans la carrière parlementaire, tels ont été les principes que j’ai toujours émis.
Je crois que ce sont les véritables principes, les principes conformes à la Constitution, et j’y tiens toujours.
M. Dumortier – On vient de faire une question au sujet de laquelle j’ai déjà eu plusieurs fois l’honneur de vous entretenir. C’est la question des examens des collèges.
Lorsque l’honorable M. Rogier a organisé les examens, une justice rigoureuse, des soins tout particuliers, y présidaient. Mais, depuis trois ans, ces examens ont donné lieu dans plusieurs localités à des observations très-graves, à des plaintes très-vives. En général, dans le public et surtout dans le public professoral, on regarde la manière dont se passent les examens depuis quelques années comme propre non pas à fortifier les études, mais à décourager les bons professeurs. On se plaint du mode employé, des préférences pour tel ou tel établissement, de la manière dont tous les examens ont été passés, de ce que le jury d’examen, après avoir décerné les prix, a vu le gouvernement donner d’autres prix encore.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’était sur la demande du jury.
M. Dumortier – Pardon ; je tiens des membres du jury que ces prix ont été décernés après leur séparation.
Dans le courant de l’année dernière, plusieurs d’entre nous ont présenté des observations sur la marche adoptée depuis plusieurs années. On avait promis d’y faire droit ; on ne l’a pas fait.
L’an dernier, la question qui faisait l’objet du concours n’était pas de nature à être traitée par des jeunes gens qui ont fait leur rhétorique. On avait posé une question de roman et pas une question de littérature. C’est méconnaître complètement le but de l’enseignement moyen. Pour rendre égales toutes les chances du concours, il faudrait faire un cours de romans ; on pourrait alors interroger les jeunes gens sur une question posée comme dans un roman moderne. Ce n’est pas ainsi que les choses doivent se passer. Sans vouloir décrier aucune littérature, nous pouvons dire que la littérature des athénées doit être sérieuse, et reposer sur les préceptes puisés dans les écrivains de l’antiquité, qui sont des maîtres et des modèles, en fait de littérature sérieuse.
Je dis qu’il n’y a pas de garanties pour les athénées dans la manière dont se passent les examens. Chose très-curieuse, il arrive très fréquemment que les établissements notés comme ayant la moyenne la plus élevée, avec tous leurs élèves, n’ont aucun prix. Cependant ils devraient espérer, sans aucun privilège, pouvoir figurer pour une part honnête dans les prix.
Il est réellement nécessaire de prendre une mesure pour régler de quelle manière se feront les examens.
Pourquoi ne met-on pas les questions dans une urne, et ne les tire-t-on pas au sort ?
Ensuite, pour le grec, il y a quelquefois jusqu’à 5 ou 6 fautes dans un thème qu’on donne. Quand on fait un examen, on doit commencer par savoir ce sur quoi on examine. Il ne faut pas commettre des fautes qui mettent l’élève dans l’embarras ; car ne pouvant supposer une faute, il s’égare dans de vaines recherches.
Je désire que cet abus cesse enfin d’exister.
Dans les sciences, c’est la même chose : on donne souvent pour matière d’examen dans les sciences des questions telles qu’elles ne constituent pas le point culminant d’un examen scientifique, qui sont des matières élémentaires. C’est ce qu’on a fait, notamment, pour les mathématiques supérieures.
Est-ce favoriser le développement des sciences dans le pays ? Evidemment non. Si, en Belgique, des établissements ne sont pas assez avancés pour suivre les autres, il faut plutôt les forcer à marcher en avant que forcer les plus avancés à reculer.
Voilà cependant ce qui résulte du système adopté depuis quelques années.
En résumé, parmi tous les professeurs, il n’y a qu’une seule opinion, c’est que, dans tout cela, il n’y a pas de garantie.
J’ai entendu dire que l’on avait constaté que, dans le dernier examen, les devoirs présentés par les élèves avaient été corrigés de la même main. Un rapport a dû être fait sur ce point à M. le ministre de l'intérieur. L’établissement dans lequel cet abus a eu lieu a obtenu le prix du concours.
Vous voulez faire des examens entre les divers athénées et collèges. Commencez par les mettre sur la même ligne. Y sont-ils, lorsque la personne appelée à diriger l’enseignement moyen est membre d’un collège.
Ce point est l’un des plus délicats, en fait d’instruction publique. De là dépend l’avenir de notre enseignement moyen. Il faut que la plus rigoureuse justice préside aux examens ; il ne faut pas que le gouvernement puisse être soupçonné d’avoir favorisé tel ou tel établissement, aux dépens d’un autre, d’avoir donné au concours, en vue de favoriser un seul établissement, des matières sortant du cercle des études et qui ne figuraient pas dans le programme des études.
J’insiste sur ces observations, parce que le développement de l’enseignement (page 856) dépend en grande partie des encouragements qu’on y donne. Si vous les donnez mal, vous découragez les jeunes gens qui étaient peut-être appelés à faire la gloire du pays et des hommes d’une moindre valeur intrinsèque obtiennent des encouragements qu’ils ne méritaient pas.
J’insiste sur le moyen que j’ai proposé, le tirage au sort des questions qui seraient déposées dans une urne. On préviendrait ainsi le reproche de « camaraderie » ; car on a été jusque-là.
Il est, je pense, indispensable que cette matière soit révisée. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s’il compte présenter un projet de loi à cet égard. Il me répondra peut-être : nous règlerons cela dans la loi sur l’enseignement moyen. Pour moi je suis porté à croire cette loi indéfiniment ajournée ; en effet, jusqu’ici les lois d’instruction avaient toujours figuré dans le discours de la Couronne ; à cette session, elles n’y figurent pas. Ce qui me fait supposer qu’on ne compte pas s’en occuper.
Mais la question des examens est urgente. Il serait à désirer qu’une disposition législative intervînt pour donner aux établissements d’instruction publique toutes les garanties qu’on est en droit d’exiger, puisque l’avenir des établissements d’instruction dépend en grande partie de ce point important.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je dois repousser avec force tout soupçon de fraude, de connivence. C’est la première fois que j’entends exprimer un soupçon de ce genre.
Vous pouvez faire des lois ; mais il y a une chose que vous n’éviterez jamais.
On cite des exemples mal choisis et des fautes de grec. Mais voyez ce qui se passe en France. Je me suis plaint il y a deux ans aussi vivement qu’ont pu le faire les honorables membres des fautes de grec. J’ai vu que la même inadvertance avait été commise en France.
Pourquoi ne tire-t-on pas au sort les questions ! Sans doute on pourrait tirer au sort les questions qui doivent être traités à Bruxelles. Pour les autres, il serait impossible de le tirer au sort publiquement. (Interruption).
Il y a une première épreuve écrite dans chaque collège ; ensuite ceux qui y ont pris part et qui ont obtenu au moins 550 points viennent subir à Bruxelles une deuxième épreuve orale. La première de ces épreuves est surveillée dans le collège par un délégué d’un autre collège. Les questions sont donc envoyées de Bruxelles cachetées ; elles doivent être ouvertes le même jour dans les divers collèges. Il faut que jusque-là elles restent inconnues. Sans cela, chaque élève pourrait se préparer.
Ainsi le tirage au sort est impraticable ; pour la première épreuve à moins qu’il n’eût lieu en présence d’un certain nombre de personnes tenues à garder le secret. J’examinerai si de nouvelles garanties peuvent être données. Mais je repousse tout soupçon de connivence.
M. de Theux – Il y a quelques années, la chambre, dans une adresse en réponse au discours du trône, a exprimé le vœu que les concours fussent réglés par la loi. Je crois qu’il est temps de réglementer cette matière par la loi. Nous n’avons pas voulu dans les premières années, insister sur la confection d’une loi ; nous avons voulu que l’expérience portât ses fruits et nous éclairât.
Mais si nous persistons à penser que les concours sont utiles, si nous continuons d’allouer des fonds, nous devons prendre une mesure législative pour régler ces concours.
Jusqu’à présent, messieurs, un très-petit nombre d’établissements ont pris part aux concours ; ce sont principalement des établissements subsidiés par l’Etat. Mais si le concours est aussi utile qu’on le prétend, je crois que nous devons faire en sorte que tous les établissements y prennent part, ou, au moins, que le concours présente des garanties telles que tous les établissements soient disposés à y prendre part. Je conviens, messieurs, qu’il ne dépend pas de nous de les obliger à concourir ; mais il dépend de nous de tracer, par la loi, des garanties telles que tous les établissements puissent se présenter avec une égale confiance.
Sous ce rapport donc, j’appuierai très-volontiers les dernières observations qui vous ont été présentées par l’honorable M. Dumortier. Je crois que c’est là un objet d’une très-haute importance.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est pour la première fois, messieurs, que l’on soulève la question de savoir s’il ne faut pas une loi organique du concours d’enseignement moyen. Jusqu’à présent, et c’est le seul point, si ma mémoire est bonne, que l’on avait traité en 1841, on avait supposé qu’il fallait l’autorisation écrite dans la loi d’établir le concours d’enseignement moyen. On n’avait pas été au-delà ; on n’avait pas supposé qu’il fallait une loi organique complète. (Interruption.)
Je ne veux pas de malentendu ; c’est pour cela que je présente ces observations.
Faut-il, pour le concours d’enseignement une loi organique complète ? Mais, dès lors, il faudra pour l’enseignement moyen ce que vous n’avez pas cru nécessaire pour l’enseignement supérieur. Dans la loi d’enseignement supérieur, il est dit simplement que le gouvernement est autorisé à établir un concours entre les universités. Voilà tout ce qui exigé par cette loi. Si donc vous voulez une loi organique du concours de l’enseignement moyen, vous allez plus loin pour cette branche d’enseignement que vous n’êtes allés pour l’enseignement supérieur.
M. Dumortier – Je crois que M. le ministre de l'intérieur se trompe lorsqu’il dit que c’est la première fois que la question de savoir s’il faut une loi organique du concours pour l’enseignement moyen est soulevée dans cette enceinte. Comme vous l’a dit mon honorable collègue M. de Theux, ce n’est pas la première fois que cette question est soulevée. Elle l’a été lors de l’adresse de 1841, et alors la chambre non-seulement a soulevé la question, mais a émis un vote affirmatif sur ce point.
M. le ministre de l'intérieur nous dit : Faut-il une loi organique complète ? En ce cas, vous serez plus sévère que pour le concours universitaire. Messieurs, je ne pense pas qu’il s’agisse jamais de faire une loi organique complète. Mais on peut, dans une loi organique, jeter des bases dont le gouvernement ne puisse dévier et dans le cercle desquelles des arrêtés royaux interviendront pour l’organisation du concours.
Cela, messieurs, est d’une absolue nécessité. En effet, M. le ministre de l'intérieur vient de nous dire de quelle manière on procédait dans le concours. Comment ce concours a-t-il lieu entre les élèves des divers athénées et collèges ? D’abord a lieu un concours par écrit. Puis vient un concours oral.
Vous voyez comme chaque ministre apprécie différemment les choses. Lorsque l’honorable M. Rogier était au département des travaux publics, auquel était adjointe alors l’instruction publique, et lorsqu’il organisa le concours entre les établissements d’enseignement moyen, il n’y avait qu’une épreuve écrite. Et cela était extrêmement sage ; car ce n’est que par le concours écrit qu’il peut y avoir comparaison absolue, parce qu’alors les questions sont les mêmes pour tous les élèves.
Qu’a-t-on fait ensuite ? On a introduit le concours oral. D’abord on a accordé à ce concours le tiers des points et les deux tiers au concours écrit ; et il y avait encore là quelques garanties. Mais ensuite on a réglé les choses de telle manière que le concours par écrit ne compte plus que pour un nombre de points inférieur au concours oral ; c’est-à-dire que le concours identique pour tous les élèves est compté pour un nombre de points infiniment moindre que celui qui est différent pour chaque élève.
Qu’arrive-t-il, messieurs, dans le concours oral ? C’est qu’on pose des questions différentes à chaque élève, et il ne peut en être autrement ; car tout élève ayant le droit d’assister à tout le concours pour le contrôler, vous ne pouvez poser au second élève les mêmes questions qu’au premier. Il faut donc, par la nature des choses, que les questions soient différentes, et vous le savez fort bien, il y a impossibilité absolue de poser dans la même matière deux questions présentant la même difficulté. Je pourrais indiquer des questions posées à un élève et des questions posées à un autre élève dans la même science, et qui différaient complètement quant au degré de difficulté. Ainsi, on demande à un élève quelles étaient les principales villes qui bordaient un fleuve d’Europe, et à un autre élève quelles était les villes qui bordaient un ancien fleuve d’Asie. Je demande s’il y a de la comparaison entre ces deux questions. Demandez à un élève quelles sont les villes qui bordent la Seine ou l’Escaut, il vous répondra très-facilement. Mais demandez-lui les villes qui bordent le Tigre et l’Euphrate, la question est toute différente. Voilà, cependant, comme a lieu le concours oral ; et la question difficile est comptée pour le même nombre de points que la question facile.
Il n’y a donc plus de concours réel possible avec ce système. Il n’y a plus de pondération entre les divers établissements. Il y a plus, messieurs, on tire souvent des séries au sort, et les élèves qui font partie de la seconde série peuvent se trouver fréquemment dans des conditions très-défavorables vis-à-vis des autres. Tout cela, messieurs, n’est pas de la rigoureuse impartialité ; cela ne peut pas en être. Je dis qu’il n’y a de concours réel possible entre les élèves des athénées et collèges qu’au moyen de l’épreuve écrite.
Voulez-vous cependant, pour plus de garantie, soumettre à Bruxelles, à un second concours les élèves qui se sont le plus distingués dans le premier ? Je le veux bien ; mais soumettez-les encore à un concours écrit ; mettez-les en loge, et que les questions soient identiques pour tous. Mais encore une fois, aussi longtemps que vous poserez des questions différentes pour chaque élève, les uns se trouveront dans une position beaucoup plus favorable que les autres.
Cela est tellement vrai, messieurs, que si vous prenez le nombre de points que les élèves ont obtenu dans le concours écrit, vous verrez que ceux qui étaient les premier dans ce concours sont rejeté bien loin dans le concours oral. Cependant, ils avaient fait leurs preuves, et ils les avaient faites dans des questions qui étaient les mêmes pour tous.
Vous voyez, messieurs, combien cela devient grave. Je conçois que le concours oral compte pour le tiers des points ; mais s’il compte pour plus de moitié des points, il n’y a plus réellement de concours. Je crois, quant à moi, que plutôt que de continuer un pareil système il vaudrait mieux supprimer le concours.
Si l’on veut des concours, messieurs, et certainement on peut en tirer de grands résultats, il faut qu’ils se fassent dans les règles de la plus rigoureuse justice. Alors le pays saura quels sont les établissements qui méritent sa confiance ; il saura quels sont les jeunes gens qui ont mérité la palme académique. Mais établir des concours où on laisse une si grande part à l’arbitraire, c’est ce que je ne puis admettre, c’est ce qui est contraire à tout ce qui se pratique dans les sciences et les lettres.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, on n’a pas fait cette part pour le concours écrit et pour le concours oral. Les prix et les accessits sont décernés aux élèves qui ont obtenu le plus grand nombre de points dans les deux épreuves. Mais pour être admis à l’épreuve orale, il faut avoir obtenu au moins 550 points dans l’épreuve écrite.
La question est donc celle-ci : faut-il une épreuve dans l’établissement et une seconde épreuve à Bruxelles. Je crois, sauf meilleur avis, les deux épreuves nécessaires. Cette question serait-elle résolue par la loi que l’on demande. J’en doute. Je doute que, pour l’enseignement moyen, on puisse aller plus loin que pour l’enseignement supérieur.
L’article 32 de la loi sur l’enseignement supérieur se borne à dire que (page 857) la forme et l’objet du concours sont déterminés par des règlements. Néanmoins je veux bien examiner la question.
M. de Theux – Messieurs, je ferai d’abord remarquer que le concours, en ce qui concerne les jeunes gens qui ont fréquenté les universités, n’a pu être établi qu’en vertu d’une disposition spéciale de la loi sur l’enseignements supérieur. Je suppose qu’on me répondra qu’il suffirait d’une semblable disposition dans la loi organique de l’enseignement moyen. Messieurs, à mon avis, l’analogie n’est point parfaite.
En ce qui concerne les études universitaires, nous avons, pour établir le mérite respectif des différents établissements, le jury qui confère les grades universitaires à divers degrés. Voilà le véritable concours entre les universités, ou au moins pour l’enseignement moyen. Mais semblable épreuve n’existe pas quant à l’enseignement moyen ; tout reste à l’arbitraire de M. le ministre de l'intérieur.
Messieurs, quel est le but essentiel du concours en matière d’enseignement moyen ? C’est, à mon avis, d’établir, autant que possible, de l’uniformité dans l’enseignement moyen libre et dans l’enseignement moyen donné, soit aux frais de l’Etat, soit aux frais des communes.
Voilà quel serait le grand résultat du concours ; or, aussi longtemps que le concours ne sera pas entouré de quelques garanties, je doute fort que les établissements libres consentent à se soumettre spontanément à cette épreuve.
Je crois donc qu’il y a des motifs très-graves pour demander que l’organisation du concours soit établie d’une manière légale. Quand je dis d’une manière légale, je n’entends pas que la loi entre dans des détails minutieux. Je conçois que bien des choses doivent être abandonnées à l’administration. Mais je désirerais que l’on établît quelques bases qui offrissent plus de garanties dans le concours.
M. Devaux – Messieurs, je dirai un mot à l’honorable M. de Haerne, c’est que je crois avoir faire comprendre que si j’ai critiqué en passant le sujet donné en composition, ce n’était nullement à cause de la source dont il était tiré, mais surtout parce qu’il s’agissait d’adapter ce sujet aux mœurs du XIXè siècle.
Messieurs, je ne sais pas s’il serait facile de régler les concours d’instruction moyenne par une loi.
Ce qui arrive doit tout au moins convaincre M. le ministre de l'intérieur qu’il devrait s’attacher, s’il veut conserver ce pouvoir pour l’administration, à faire justice aux réclamations fondées, et réellement il y en a eu plusieurs. Mais je ne sais quel amour-propre on y met ; on ne veut pas revenir à ce qui était bien ; on veut faire à toute force autrement qu’un prédécesseur, et de là il arrive que les réclamations se multiplient de plus en plus.
Aussi l’observation de l’honorable M. Dumortier sur l’épreuve orale est très-fondée. Il est certain, messieurs, que l’épreuve orale ne doit pas compter pour plus que l’épreuve écrite, qu’elle doit compter pour moins et même pour très-peu de choses si elle ne doit pas être supprimée tout à fait.
L’épreuve orale est déjà très-difficile pour les jeunes gens qui sortent des universités. Mais des enfants comparaissant devant des hommes qu’ils n’ont jamais vus, dans une ville étrangère, peuvent être paralysés par la timidité. Cela est tout au moins vrai pour les enfants arrivant d’une ville éloignée. Il en est de très-jeunes, et les parents n’aiment pas à les laisser coucher à Bruxelles plus qu’il ne faut ; ils les envoient au dernier moment, de sorte qu’ils sont fatigués et qu’ils ont ainsi un désavantage, comparativement à ceux de Bruxelles.
Il est extrêmement important que le concours porte sur la dernière année d’études, la rhétorique qui est le résumé et le produit de toute l’instruction de collège. Ce qui importe surtout, c’est que l’élève, au moment où il quitte le collège, ait une instruction complète. Qu’il soit un peu plus ou un peu moins fort dans les classes inférieures, cela ne présente pas le même intérêt que le résultat définitif.
Le gouvernement a voulu faire concourir toutes les classes. Il y avait peut-être quelque chose d’utile dans cette idée, mais pourquoi ne pas concilier les deux choses ? Pourquoi ne pas dire que la rhétorique concourra toujours, et établir ensuite un tirage au sort pour les autres classes, ou les faire concourir à tour de rôle.
L’année dernière, parmi les classes supérieures, c’est la deuxième, l’avant-dernière, qui a concouru, c’est-à-dire les élèves qui finiront leurs études cette année-là. Cette classe ne peut naturellement pas s’attendre à concourir de nouveau en 1845. Eh bien, messieurs, savez-vous quel en est le résultat ?
J’ai consulté des professeurs, et ils m’ont dit que la classe de rhétorique travaille moins cette année que les années précédentes. C’est que le concours est un grand stimulant, et ce simulant venant à manquer, les élèves s’affaissent. Il semble que le grand événement de leur vie de collège soit passé, et que le reste n’offre plus que peu d’intérêt.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Rien ne prouve que la rhétorique ne concourra pas cette année.
M. Devaux – Mais c’est M. le ministre de l'intérieur qui désigne maintenant une des trois classes supérieures, et il ne désignera certainement pas la classe qui a concouru l’année dernière, sans cela il y aurait une classe qui concourrait deux fois et d’autres qui ne concourraient pas.
Il serait plus rationnel de faire concourir la rhétorique chaque année et de la faire concourir, non pas sur des matières tirées au sort, mais sur les quatre ou cinq branches principales de l’enseignement ; alors les administrations communales connaîtraient la force de leurs établissements.
Aujourd’hui, les professeurs peuvent leur dire : Le sort a désigné une classe. Il y a toujours dans un établissement des classes faibles et des classes plus fortes. Mais si vous faisiez concourir, chaque année, la classe de rhétorique, cette excuse n’existerait plus, il y aurait une mesure pour les administrations communales, elles connaîtraient la force de leurs établissements, et elles pourraient prendre les mesures nécessaires pour renforcer les études, si elles sont faibles.
D’un autre côté, les élèves auraient toujours en perspective le concours ; ils sauraient qu’ils ne peuvent y échapper. Je crois, messieurs, qu’il y a des motifs très-fondés pour en agir ainsi. Je l’ai dit plusieurs fois, d’autres membres l’ont dit également. J’engage M. le ministre de l'intérieur à consacrer une heure ou deux heures par année, à l’examen de ce qui concerne les concours, et à ne pas abandonner cet objet à des subalternes. S’il veut examiner la question avec impartialité, il reconnaîtra qu’il y a des réclamations fondées. Qu’il assemble autour de lui deux professeurs de chaque collège, qu’il les entende et qu’il s’éclaire de leur avis. C’es questions sont assez importantes pour que le gouvernement les examine avec quelque attention.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je prie l’honorable préopinant d’être bien convaincu qu’il n’y a de ma part aucun amour-propre. Il a de nouveau appelé l’attention du gouvernement, comme l’avait fait l’orateur précédent, sur deux points : Faut-il deux épreuves, l’une écrite, dans chaque établissement, l’autre orale, à Bruxelles ? L’année dernière, il avait fait la même observation. J’ai consulté des professeurs, et ils m’ont engagé à maintenir la double épreuve comme nécessaire. La deuxième question qu’il a renouvelée cette année, c’est celle de savoir s’il ne faut pas invariablement considérer la rhétorique comme désignée. L’honorable membre a bien voulu reconnaître qu’il était bon d’admettre aussi la possibilité de l’appel au concours d’autres classes, par exemple, des classes inférieures. J’ai déjà dit pourquoi l’on avait abandonné le système de désigner invariablement la classe de rhétorique. Si l’on désigne invariablement la classe de rhétorique, c’est la classe dont on s’occupera de préférence. L’enseignement moyen ne consiste pas uniquement dans la classe de rhétorique ; cependant on s’occuperait exclusivement de la classe de rhétorique ou plutôt de quelques élèves de cette classe doués d’heureuses dispositions, toutes les autres parties de l’enseignement seraient négligées. J’ai encore consulté les professeurs, et ils ont approuvé l’idée de maintenir ce qui est introduit par l’arrêté du 26 septembre 1844. d’après cet arrêté, les classes sont divisées en deux sections ; on tire au sort une classe, et le ministre désigne ensuite une classe dans la section où le sort n’en a pas désigné. Ainsi, par exemple, si le sort désigne une classe inférieure, le ministre désigne alors une classe supérieure, soit la rhétorique, soit la seconde.
Néanmoins, on peut former une commission de professeurs choisis, non pas dans tous établissements, car 27 établissements se sont présentés, et si l’on prenait deux professeurs dans chacun de ces établissements, la réunion serait évidemment trop nombreuse ; je veux bien soumettre la question à une commission de professeurs ou consulter les établissements mêmes. Vous voyez bien qu’il n’y a aucun parti pris de ma part. Je me suis beaucoup occupé par moi-même de cette question, mais je veux bien l’instruire de nouveau.
Si des améliorations peuvent être apportées, au concours, ces améliorations seront faites même pour cette année.
Si, par exemple, on me démontrait que le meilleur mode a été celui qui a été suivi la première année, je reviendrais au mode de la première année.
Je persiste toujours à croire qu’une loi organique des concours de l’enseignement moyen serait, jusqu’à un certain point, une inconséquence et que dans tous les cas la chose serait presque impossible. Si l’on se bornait à indiquer quelques bases, ce serait au fond comme si l’on n’avait rien fait. Néanmoins j’examinerai aussi la question.
M. Delfosse – M. le ministre de l'intérieur nous avait fait, l’année dernière, une promesse qui a eu le sort de beaucoup d’autres promesses de M. le ministre de l'intérieur. Il avait promis de donner aux universités de l’Etat les doubles ou au moins une partie des doubles qui se trouvent à la bibliothèque royale. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur pourquoi cette promesse n’a pas été tenue.
Je suis fâché de devoir le dire, le gouvernement montre, en général, trop peu de sollicitude pour les universités de l’Etat. Dernièrement encore, il a fait des nominations qui ont donné lieu aux plaintes les plus vives et les plus fondées. Parmi les professeurs qui ont obtenu de l’avancement, il en est dont je me plais à reconnaître les titres, mais il en est aussi dont la capacité est fort contestée ; il en est qui ont peu ou point d’élèves ; il en est même un auquel on a dû retirer le cours dont on l’avait chargé, et cependant on les a préférés à d’autres professeurs d’un mérite généralement reconnu et qui ont su se concilier les sympathies de nombreux élèves. En vérité, si M. le ministre de l'intérieur avait conspiré la perte des universités de l’Etat, il ne conduirait pas autrement. Je n’en dirai pas davantage sur ce point, je sais tout ce que les questions de personnes ont de délicat, mais M. le ministre de l'intérieur doit me comprendre, les plaintes dont j’ai parlé, ont dû arriver jusqu’à lui. Je l’engage fortement à mettre à l’avenir plus de discernement, je ne veux pas me servir d’un mot plus dur, dans les nominations qui seront faites.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il ne m’est possible, messieurs, que de répondre à la première observation de l’honorable membre. Il suppose d’abord que j’ai promis, il y a un an, de distribuer les doubles entre les bibliothèques des deux universités de l’Etat. J’ai dit que les doubles devraient être distribués, selon moi, entre les deux universités de l’Etat, mais je n’ai pas pu faire une promesse positive. J’ai même dit qu’il y avait une question de légalité. J’ai dit que je ne savais pas si le gouvernement avait le droit de faire cette distribution. Du reste, je n’ai pas été à même d’examiner définitivement (page 858) la question, car il faut d’abord que le triage se fasse à Bruxelles.
D’ici à deux mois, je pense, le transfert sera achevé. Alors les ouvrages de la bibliothèque de Bruxelles seront réunis à la bibliothèque Van Hulthem. Nous verrons ensuite ce qu’il faut faire des doubles, et le gouvernement examinera, entre autres, la question de droit, celle de savoir s’il peut disposer des doubles par un acte administratif ; ce sont des meubles, et à la rigueur on peut soutenir que le gouvernement peut disposer des meubles de l’Etat, et ce sens qu’il peut les assigner à tel ou tel établissement de l’Etat, car au fond ce n’est pas disposer des doubles que de prescrire que ces doubles seront placés à Liége ou à Gand, dans une institution de l’Etat.
M. Dumortier – L’honorable M. Delfosse désire que les doubles résultant de la réunion de l’ancienne bibliothèque de Bruxelles à la bibliothèque de l’Etat, soient déposés dans les bibliothèques des universités de Gand et de Liége.
Je ne puis m’associer à ce vœu, pour deux motifs. D’abord, si l’on envoyait ces doubles aux universités de l’Etat, ce serait, dans la plupart des cas, faire un double emploi, les bibliothèques de l’Etat étant déjà en possession de ces ouvrages. En second lieu, les bibliothèques des universités de l’Etat appartiennent aux villes où ces établissements sont placés, et l’Etat alloue annuellement des subsides considérables pour l’alimentation des bibliothèques, à la décharge des villes ; nous devrions encore les enrichir par-dessus le marché. Ce serait trop fort…
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – La partie ancienne des bibliothèques des universités de l’Etat, là où ce fonds appartient à la ville, reste la propriété de la ville ; mais les nouvelles acquisitions demeurent la propriété de l’Etat. Or, il y a des bibliothèques qui sont presqu’uniquement composées de nouvelles acquisitions.
M. Dumortier – Je crois qu’il y aurait une plus sage répartition à faire des doubles de la bibliothèque de l’Etat ; il faudrait les distribuer entre les diverses villes du royaume qui ont ouvert des bibliothèques, et qui y consacrent annuellement des sommes assez considérables. Ce serait là un encouragement légitime aux villes qui s’imposent des sacrifices pour répandre les lumières dans le pays. Les dons de livres qu’on leur ferait seraient proportionnés aux sommes qu’elles affectent aux dépenses de leurs bibliothèques. Parmi ces villes, il y en a qui consacrent à ce service quatre et même cinq mille francs par an. N’est-il donc pas juste que ces villes obtiennent un équivalent de ces sacrifices ?
Je ne pense pas, dès lors, qu’il y ait lieu à admettre la proposition de l’honorable M. Delfosse.
M. Delfosse – Je suis vraiment surpris des observations qui viennent d’être faites.
M. le ministre de l'intérieur, qui ne trouvait, l’année dernière, aucune difficulté à donner les doubles de la bibliothèque Royale aux universités de l’Etat, qui a même promis de les donner, on peut consulter le Moniteur, il fait foi de ce que j’avance, M. le ministre de l'intérieur met en doute aujourd’hui s’il lui est permis de donner les doubles de la bibliothèque Royale aux universités de l’Etat ; il ne sait pas s’il a le pouvoir de faire passer un livre d’une bibliothèque de l’Etat dans une autre bibliothèque de l’Etat : en vérité, c’est là un scrupule édifiant. Oh ! si M. le ministre de l'intérieur n’avait jamais commis de faute plus grande que celle-là, s’il n’avait jamais commis d’abus de pouvoir, il peut être bien sûr qu’il n’y aurait pas contre lui d’opposition dans cette enceinte.
Ce n’est pas seulement M. Nothomb qui a promis de donner aux universités de l’Etat les doubles de la bibliothèque Royale ; la même promesse a été faite dans le temps par M. de Theux, alors qu’il était ministre de l’intérieur. (Dénégations de M. Dumortier.) Je suis surpris que M. Dumortier me fasse un signe de dénégation ; il me semble que M. de Theux, qui est ici présent, pourrait s’expliquer lui-même sur le fait que j’avance. Une dénégation de cet honorable membre aurait beaucoup plus de valeur que celle de M. Dumortier. Voilà ce qui s’est passé : Un jour M. de Theux était venu demander des fonds pour l’achat d’une bibliothèque particulière très-importante. Quelqu’un lui demanda ce que l’on ferai des doubles. M. de Theux répondit : « On les donnera aux universités de l’Etat. »
L’honorable M. Dumortier nous a dit tantôt : « Mais si l’on donne les doubles de la bibliothèque Royale aux universités de l’Etat, il pourra se dire que les universités de l’Etat auront aussi des doubles. » Il va sans dire, messieurs, que je ne réclame pour les universités de l’Etat que les ouvrages qu’elles n’ont pas encore.
S’il y a dans les doubles de la bibliothèque Royale des ouvrages que les universités de l’Etat possèdent déjà, je consens volontiers à ce qu’on les donne aux villes qui font des sacrifices pour se créer une bibliothèque ; j’appuie sur ce point et dans cette limite les observations de M. Dumortier. Mais je prie cet honorable membre de ne pas perdre de vue que ce que l’on fait pour les universités de l’Etat, on le fait pour le pays tout entier.
M. de Theux – Messieurs, on m’a interpellé sur la déclaration que j’aurais faite, il y a quelques années, lors de la discussion du projet de loi relatif à l’acquisition de la bibliothèque Van Hulthem. Je n’ai pas à cet égard un souvenir assez précis pour donner une affirmation. Il faudrait consulter la discussion. Je crois cependant que parmi les emplois « possibles » des ouvrages en double, j’ai indiqué celui qui a été signalé par l’honorable préopinant.
- La discussion générale sur le chapitre XIX (Instruction publique) est close.
« Art. 1er. Traitement des fonctionnaires et employés des deux universités de l’Etat – Bourses – médailles et subside pour le matériel : fr. 621,800. »
- Adopté.
« Art. 2. Frais des jurys d’examen pour les grades académiques et dépenses du concours universitaire : fr. 79,100 »
La section centrale propose de faire de cet article deux articles distincts qui seraient ainsi libellés :
« Art. 2. Frais de jurys d’examen pour les grades académiques : fr. 64,100. »
« Art. 3. Dépenses du concours universitaires, y compris les frais d’impression des mémoires couronnés : fr. 15,000. »
La discussion s’ouvre sur l’article 2 (nouveau).
M. de Man d’Attenrode – Je profite, messieurs, de la discussion de cet article pour rappeler au gouvernement qu’il est des membres du jury d’examen pour les grades académiques, qui ont siégé en 1844, qui n’ont pas encore reçu l’indemnité que la loi leur alloue ; ces membres ont été obligés à des dépenses ; il me semble que si le crédit alloué est insuffisant, il serait convenable que M. le ministre fît la proposition d’un crédit supplémentaire.
J’ai encore un mot à dire : puisque j’ai la parole, j’en profiterai pour communiquer à M. le ministre de l'intérieur un scrupule constitutionnel concernant la composition des jurys d’examen.
Vous aurez remarqué peut-être, que des étrangers ont été admis à en faire partie.
Cependant l’article 6 de la Constitution a arrêté le principe suivant :
« Les Belges seuls sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions qui peuvent être établies par la loi pour des cas particuliers. »
Il est donc évident que l’étranger ne peut être admis à exercer un emploi public en Belgique qu’en vertu d’une disposition formelle de la loi.
Il est vrai que l’article 31 de la loi du 27 septembre 1835 confère au gouvernement le droit d’appeler au professorat des étrangers d’un talent éminent.
Voilà une éruption établie par la loi.
Mais ni la loi du 28 septembre 1835 concernant l’enseignement supérieur, ni celle du 8 avril 1844 n’en établissent d’autres.
On m’objectera peut-être que, puisque la loi a permis de nommer des étrangers au professorat, elle permet implicitement de les appeler au jury d’examen.
Mais cette conséquence me semble insoutenable ; elle n’est, à coup sûr, pas légale ; car il est un principe élémentaire de droit, qui dit que les exceptions ne s’étendent pas.
Or, admettre les étrangers au jury, parce que la loi permet de leur confier les chaires de nos universités dans certains cas, c’est ajouter une exception nouvelle, que la loi n’autorise pas. C’est marcher, d’exception en exception, contrairement à l’article 6 de la Constitution, dont la disposition est si formelle.
Lors de la discussion de l’art. 31 de la loi du 27 septembre, qui permet au gouvernement d’appeler au professorat des étrangers d’un mérite éminent, l’honorable M. Dubus (aîné) fit part à la chambre d’un doute constitutionnel sur l’exception que posait cet article.
Il avait peine à y trouver l’exception pour les cas particuliers, dont parle la Constitution.
Le ministre de l’intérieur répondit que les conditions même exprimées dans l’article en faisaient une disposition exceptionnelle.
Personne ne songea alors à donner à cette disposition une extension, dont elle n’est pas susceptible.
D’ailleurs l’analogie, qui semble exister entre les fonctions du professorat et celles de membres du jury d’examen, n’est qu’apparente ; il n’y a aucune analogie entre leurs résultats.
Les fonctions de professeurs ne consistent qu’à exposer, à expliquer des faits, des doctrines, des questions scientifiques et littéraires, des questions de droit.
Les cours ne sont pas même obligatoires pour les élèves des universités de l’Etat.
On peut se dispenser d’y assister, et obtenir des grades.
Les fonctions des membres du jury d’examen sont d’une tout autre gravité.
On y a attaché un si grand prix, que la loi a stipulé que les trois pouvoirs concourraient à le composer.
En effet, le jury d’examen confère les droits définis par les articles 64 et 65 de la loi du 27 septembre 1835.
Les grades qu’il confère sont la condition, en quelque sorte indispensable, de toute carrière publique. Ses membres prêtent le serment exigé des fonctionnaires.
Il suffit encore, pour se convaincre que le jury exerce un emploi public, un ministère public, de se rappeler la dernière discussion concernant la nomination des membres du jury.
Que fit-on alors pour écarter l’intervention de la législature ? on invoqua surtout le principe, que le jury remplit un emploi d’administration générale, auquel le Roi nomme en vertu de l’art. 66 de la Constitution.
Et si la législature a sanctionné le mode actuel, c’est que le même article 66 permet à la loi d’établir des exceptions.
Messieurs toujours nous nous sommes scrupuleusement conformés au texte de la Constitution et aux dispositions légales pour la composition du jury ; il me reste former le vœu que l’interprétation donnée à la loi soit la même pour les trois pouvoirs qui ont la mission d’y concourir.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, l’honorable préopinant a agité la question de savoir si un étranger, nommé comme professeur dans une université, peut être nommé membre du jury.
Le gouvernement a toujours résolu la question affirmativement. Plusieurs fois, des professeurs étrangers ont été compris dans le jury, et aucune réclamation ne s’est élevée. Je crois que l’exclusion des étrangers, notamment dans les universités de l’Etat, présenterait de graves inconvénients. Ce serait véritablement placer les professeurs étrangers dans une condition d’infériorité à l’égard de leurs collègues, et je reculerais devant une conséquence de ce genre.
Je sais qu’un crédit supplémentaire est nécessaire pour les frais du jury d’examen, quoique, l’année prochaine, on ait réduit les indemnités. La chambre sera prochainement saisie d’un projet de loi, tendant à obtenir ce crédit. Il a fallu comprendre dans la même loi d’autres crédits supplémentaires et notamment pour le fonds d’agriculture.
- L’article 2 (nouveau) est mis aux voix et adopté.
L’article 3 (nouveau) est mis aux voix et adopté sans discussion.
« Art. 4 (ancien art. 3). Frais d’inspection des athénées et collèges. »
- Adopté.
« Art. 5 (ancien art. 4). Subsides annuels aux établissements d’enseignement moyen et industriel (écoles de Gand et de Verviers), autre que les écoles d’art et métiers et les ateliers d’apprentissage : fr. 200,000 »
La section centrale propose, sur ce chiffre, une réduction de 10,000 fr.
M. le président – Le gouvernement se rallie-t-il à cette réduction ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’ai dit à la section centrale que je me ralliais à cette réduction, parce que les subsides qui seront accordés pour la première fois en 1845 ne devront pas l’être intégralement. Je ne renonce donc pas à l’idée de reproduire le chiffre de 20,000 francs dans le projet de budget de 1846. Par suite de la réduction, l’augmentation du crédit pour 1845 n’est que de 22,000 francs au lieu de 32,000.
M. Sigart – Messieurs, il existe à Mons une école provinciale des mines. Cette école se trouve dans un état financier très-peu satisfaisant ; je demanderai à M. le ministre de l'intérieur, si le gouvernement ne pourrait pas lui venir en aide. Il est à remarquer qu’aucun des grands établissements d’instruction publique, alimentés par le trésor public, ne se trouve dans le Hainaut : Université à Gand et Liége ; école de navigation à Anvers et Ostende, école des mines à Liége, école militaire à Bruxelles, école vétérinaire à Bruxelles, école du génie civil à Gand, etc., conservatoire de musique à Bruxelles et à Liége, académie des beaux-arts à Anvers.
Je pourrais grossir la nomenclature des établissements que je viens de citer, qui reçoivent 1,027,300 fr.
Je ferai encore une remarque, c’est que l’école dont il s’agit n’est pas organisée, ou doit cesser d’être organisée de manière à faire concurrence à celle de l’Etat qui existe à Liége. L’école des mines du Hainaut est fondée surtout dans l’intention de former des employés pour les établissements industriels, tandis que l’école de Liége a pour but de former des ingénieurs.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je répondrai qu’en effet l’établissement dont il s’agit est au nombre de ceux en faveur desquels on prélèvera un subside sur le chiffre dont il s’agit. Cependant il me serait impossible de prendre un engagement ; on pourrait passer en revue tous les établissements d’instruction, et il me serait impossible de répondre d’une manière satisfaisante à toutes les questions qu’on m’adresserait.
M. Fleussu – Messieurs, comme plusieurs honorable membres, j’appellerai votre attention sur l’instruction moyenne. Je recommanderai à la sollicitude du gouvernement cette instruction qu’il doit soutenir de tous ses efforts sous peine de la voir tomber et de voir les établissements communaux passer en d’autres mains. C’est pour ces motifs que j’appuie l’augmentation proposée ; j’ajouterai même que j’ai quelque regret que la section centrale ait opéré une réduction sur la somme primitivement demandée par M. le ministre de l'intérieur. Je le regrette, parce que je désire que le gouvernement ait tous les moyens possibles de venir en aide aux municipalités qui veulent soutenir des établissements d’instruction moyenne. En attendant qu’une loi ait déterminé l’influence que devra exercer le gouvernement dans l’instruction moyenne et réglé la part d’intervention qui sera attribuée à l’Etat, je désire qu’il soit mis à même de venir au secours des municipalités qui font de très-grands efforts en faveur de l’industrie moyenne. Il est vrai qu’il y a beaucoup à faire pour améliorer cette instruction, que les études sont très-faibles. Dans les rapports qu’on nous a fait tous les ans sur les études universitaires, on se plaint surtout d’une chose, c’est que les élèves arrivent dépourvus des connaissances nécessaires pour profiter des leçons des universités.
Il faudrait remonter à la source de cet abus et y porter remède. Les uns l’attribuent à ce qu’on enseigne trop d’objets à la fois, que l’attention est portée à la fois sir trop de matières différentes.
D’autres pensent qu’on admet dans les universités des jeunes gens qui ne sont pas suffisamment préparés, qui sont trop jeunes. C’est une observation que j’ai pu faire, ayant l’honneur d’être membre d’une commission de surveillance d’un établissement fondé par une commune ; il arrive que des jeunes gens, avant d’avoir terminé leurs études, quittent le collège et vont s’inscrire aux universités ; et les professeurs, au lieu de leur enseigner la haute littérature ancienne, sont obligés de descendre leurs cours aux proportions des cours humanitaires. Il faudrait chercher un remède à cela ; il faudrait que les professeurs des universités enseignassent la littérature ancienne au lieu de se borner à de simples explications telle qu’on les donne dans les collèges.
Mais il suffit qu’on se présente dans une université pour qu’on vous admette sans vous interroger. C’est là un grand mal. Je voudrais que pour être admis dans une université libre, aussi bien que dans une université de l’Etat, on dût produire un certificat constatant qu’on a fait ses études humanitaires dans un établissement et que ceux qui aurait fait des études privés fussent soumis à un examen. La liberté d’enseignement n’apparaît pas ici sous son beau côté. Les universités veulent se donner de l’importance par le nombre des élèves qui lui suivent ; alors on admet tous ceux qui se présentent. J’aimerais mieux qu’elles se donnassent de l’importance par le mérite qui distinguerait leurs élèves. Par exemple, je voudrais qu’il ne fût pas permis de quitter le collège en troisième ou en deuxième pour aller d’inscrire dans une université et qu’on ne fût admis dans une université que sur le certificat du préfet des études dans un établissement connu, ou après avoir passé un examen si on a fait des étude privées.
On a beaucoup parlé des concours entre les établissements de certaines municipalités, et surtout des concours qui ont eu lieu entre les établissements subventionnés par l’Etat. Cette mesure, qui a été vivement critiquée dans le temps (je félicite l’honorable M. Rogier de l’avoir prise), a produit de bons résultats. Elle a donné beaucoup d’impulsion aux études, elle a ranimé le zèle des professeurs, ainsi que l’activité des élèves. Elle a eu un autre avantage, celui d’établir l’harmonie dans le programme des études. Ainsi, dans le collège de Liége, il a fallu pour ne pas succomber dans les concours, établir une sixième latine. On en a senti la nécessité, parce que les élèves de 4e qui n’auraient eu qu’une année d’étude de latin, n’auraient pas pu soutenir la concurrence avec des élèves ayant deux années d’études. Sous ce rapport, les concours ont produit d’heureux résultats, parce qu’il y a maintenant harmonie dans les études. De plus, ces concours ont donné une heureuse impulsion aux études.
Lorsque l’honorable M. Rogier a établi les concours, on s’en est alarmé, vivement alarmé ; on a prétendu que cette mesure était attentatoire à la liberté d’enseignement, à la Constitution même, on en a fait un grief contre le cabinet dont il faisait partie ; et voilà que cette même mesure que n’a pas osé répudier son successeur, est réclamée par toute la chambre ; on demande qu’elle soit organisée par une loi pour que tous les établissements d’enseignement moyen puissent avoir la même confiance dans les examinateurs. C’est une défiance que je suis étonné de voir alléguer contre le gouvernement par un honorable membre qui siège à droite. Nous reprochons, nous, au gouvernement de trop favoriser certains établissements fondés sur les auspices de la majorité, et un membre de la majorité lui dit : Si nos établissements n’ont pas concouru, c’est que vous ne leur inspirez pas assez de confiance. Remarquez qu’une loi ne nous donnera pas plus de confiance, car tout dépendra de la manière dont la loi sera exécutée ; et si vos établissements sont malheureux dans les concours, vous pourrez toujours accuser le ministère d’avoir favorisé tel ou tel établissement.
On a agité plusieurs autres questions, on a demandé s’il ne serait pas bon de supprimer l’épreuve orale. Je crois qu’on aurait tort de lui donner trop d’importance, mais il y aurait peut-être un autre danger à la supprimer entièrement. Ans les matières écrites, on a craint qu’une main étrangère dictât la réponse ; pour plus de garanties, on a voulu soumettre le concurrent à l’épreuve orale. Là, il est en présence des questions qu’on lui adresse, il doit tirer de lui-même les réponses qu’il fait. Il y a donc un terme moyen à prendre.
Il ne faut pas donner trop d’importance aux épreuves orales, mais il y aurait quelque danger à les supprimer entièrement.
Tantôt, j’ai parlé d’un collège auquel je vous ai dit que j’étais plus ou moins directement attaché ; j’espère que le gouvernement voudra se souvenir de l’existence de ce collège, qui dans la distribution des fonds alloués au budget, n’a eu qu’une très-faible part. Ce collège, cependant, est assez connu par les élèves qu’il a produits et par les succès qu’il a obtenus dans les concours. Cependant, il n’a, dans la distribution des fonds à la disposition du gouvernement que 6,500 fr. Si vous le mettez en regard d’établissements de même importance, vous verrez qu’il est vraiment maltraité.
A Bruxelles, le collège reçoit un subside de 25 mille fr. du gouvernement ; Bruges reçoit 10 mille fr. ; Arlon, 10 mille ; c’est cependant un très-petit établissement à côté du nôtre ; Hasselt reçoit 10 mille fr. ; Namur, 20 mille ; Mons, 8 mille ; mais en revanche, Tournay en reçoit 18 mille. A Anvers, il est question de réédifier le collège et de lui donner 10 mille fr. ; Liége ne reçoit que 6,500 fr. !
Je n’envie pas à ces localités ce qu’elles reçoivent de plus que la ville de Liége, mais nous sommes en droit de nous plaindre d’être laissés dans une si humiliante infériorité dans cette distribution.
Comme le gouvernement aura maintenant à sa disposition une somme assez forte, j’espère qu’il voudra bien augmenter le subside accordé au collège de Liège. Cet établissement figure au budget de la ville pour 43,456 fr. et il y a beaucoup de dépenses nécessaires qu’on ne fait pas faute de fonds. Pour un établissement comptant 400 et des élèves, un seul professeur d’histoire ne suffit pas ; il en faudrait deux, un pour faire les classes élémentaires, (page 860) et un autre pour les classes plus élevées. Que résulte-t-il de cet état de choses, c’est que le professeur qui fait la classe élémentaire devant prendre pour la faire ses heures qu’il devrait consacrer au cours supérieur d’histoire, les élèves en souffrent. Pour les mathématiques, on aurait besoin d’un troisième professeur, ce n’est pas assez d’un professeur pour enseigner les mathématiques élémentaires. Il me paraît qu’une ville qui fait une dépense de 43,456 fr. pour l’enseignement moyen devrait avoir dans la distribution des subsides accordés pour cet objet une part plus en rapport avec les sacrifices qu’elle s’impose. J’espère que M. le ministre voudra bien au moins mettre le collège de Liége sur la même ligne que ceux des autres chefs-lieux de province.
M. Osy – Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur si, sur les 190,000 francs qui sont pétitionnés, il pourra accorder les 10,000 fr. que demande la ville d’Anvers pour son athénée. Jamais, depuis 1830, elle n’a reçu le moindre subside pour l’instruction publique. Elle dépense à ce titre au-delà de 100,000 fr. Elle demande 10,000 fr. pour augmenter ses classes. Pourra-t-on les lui accorder ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Si la chambre vote l’augmentation de 22,000 francs, comme je l’ai dit tout à l’heure, on pourra accorder de nouveaux subsides et en augmenter d’autres. Mais il est impossible de dire si Anvers pourra obtenir de prime abord 10,000 fr. Il est impossible même avec une augmentation de 22,000 fr. de donner 10,000 fr. à Anvers, 10,000 fr. à Hasselt, et d’augmenter le subside de Liége.
M. Osy – Avant d’augmenter les subsides des villes qui en ont déjà, il faudrait en accorder à une ville qui n’a rien reçu depuis 1830. M. le ministre pourrait prendre cet engagement, avant de prendre l’engagement d’augmenter le subside des autres villes.
- L’article 5 est adopté avec le chiffre de 190,000 fr.
« Art. 6. Indemnités aux professeurs démissionnaires des athénées et collèges : fr. 5,000. »
« Art. 7. Frais d’inspection – frais des écoles normales et des écoles primaires supérieures. – Dépenses des cours normaux – Encouragements, subsides aux communes et secours. – Bourses pour les élèves-instituteurs des écoles normales adoptées : fr. 672,000. »
M. Huveners – Messieurs, les dispositions de la loi sur l’instruction primaire relatives aux subsides, n’ont pas été bien comprises, elles ont été mal exécutées, au grand détriment des instituteurs et même de l’enseignement primaire : j’ai demandé la parole pour présenter quelques considérations sur cette partie de la loi qui me paraît tellement claire, tellement précise, que je ne conçois pas les difficultés qu’elle a fait naître.
La loi que nous avons votée à la presqu’unanimité, avait pour but principal de rendre l’enseignement primaire aussi générale que possible ; le législateur a voulu que toutes les communes de la Belgique fussent dotées d’une école primaire, il a voulu que tous les Belges pussent participer aux bienfaits de l’instruction, et pour atteindre ce but, il a obligé tous les Belges à intervenir d’une manière égale, d’une manière équitable dans les dépenses. C’est ainsi qu’en prenant pour point de départ le statu quo de 1842, le législateur a voulu que dorénavant aucune allocation, soit communale, soit provinciale, ne pourrait être inférieure aux crédits votés aux budgets de 1842.
Ceci posé, le législateur a voulu que les communes votassent une somme égale au produit de deux centimes additionnels au principal des contributions directes, avant qu’il y eût obligation, de la part de la province, d’intervenir dans les dépenses. Enfin, les provinces sont obligées d’allouer une somme égale au produit de deux centimes additionnels avant d’avoir droit aux subsides de l’Etat.
Cependant il a été entendu que, par forme de transition, l’Etat pourrait continuer les subsides aux provinces dont les sacrifices n’atteignent pas le produit de deux centimes additionnels.
Voilà, en fait de subsides, toute l’écononie de la loi. Voir les art. 20-24 de la loi organique de l’instruction primaire.
Il en résulte aussi clairement que possible que, lorsque les communes et la province ont alloué des sommes égales au produit de deux centimes additionnels, l’Etat ne peut se refuser à parfaire, au moyen de subsides, tout ce qui est nécessaire, c’est-à-dire tout ce qui est constaté comme tel par les budgets communaux, dûment approuvés par l’autorité supérieure.
Je disais que la loi n’a pas été bien comprise, que la loi a été mal exécutée ; je tiens à prouver ces assertions ; mais je déclare que j’ai moins en vue de critiquer le passé que de prévenir le retour des inconvénients que j’aurai l’honneur de signaler ; car je ne me fais pas illusion sur les difficultés inhérentes à une première organisation.
La plupart des communes (je n’entends parler que des communes qui ont voté des sommes égales ou supérieures au produit de deux centimes additionnels), la plupart des communes n’ont pas voté des sommes suffisantes pour l’enseignement primaire, craignant, à tort sans doute, de trop grever leurs budgets ; d’autres ont augmenté les traitements des instituteurs dans des limites raisonnables, mais les députations permanentes se sont refusées à toute augmentation.
Les instituteurs appartiennent généralement à une classe de la société qui ne peut, qui ne devrait pas attendre le paiement de ce qui leur est dû ; néanmoins les instituteurs du Limbourg n’ont touche leurs traitements pour 1843, que dans le courant du mois de septembre dernier ; je doute beaucoup qu’ils soient payés en ce moment pour 1844.
Au lieu de recevoir ce qui leur revenait en toute justice, ils ont à peine reçu la moitié de ce qu’ils touchaient avant la loi, dont le but fut d’améliorer leur position ; de plus, ceux qui n’avaient pas encore été subsidiés, parce qu’on attendait la mise en exécution de la loi, avant de se prononcer sur leurs requêtes, n’ont absolument rien reçu.
Il est vrai que M. le ministre, ayant enfin reconnu l’insuffisance de la somme qu’il avait accordée, a mis une nouvelle somme de 7,000 fr. à la disposition de la province, ce qui élève à 22,000 francs le subside de l’Etat (voir le tableau annexé au rapport de la section centrale). J’ai lieu de croire que cette somme sera suffisante pour l’exercice de 1843, et je remercie M. le ministre de s’être exécuté pour cet exercice ; mais je prends la liberté de faire remarquer à M. le ministre, qu’une pareille somme pour 1844 ne suffit pas, qu’il est temps que la loi soit franchement exécutée ; j’espère donc que l’Etat donnera toutes les sommes nécessaires et légalement constatées ; j’espère que toutes les autorités feront leur devoir, et que le gouvernement prêchera d’exemple.
Je termine par une considération qui est de la plus haute importance : si l’on veut un bon enseignement primaire, il faut, avant tout, assurer une existence honorable aux instituteurs, il leur faut un traitement dont ils puissent subsister ; sans cela, la loi organique, règlements, inspections civiles et ecclésiastiques, etc., tout cela est en pure perte ; il faut donc que les autorités communales portent à leurs budgets les sommes nécessaires, il faut que les députations, après avoir consulté les inspecteurs provinciaux et cantonaux, allouent, portent même d’office aux budgets communaux tout ce qui est nécessaire pour atteindre le but, que nous voulons tous : un bon enseignement primaire.
On objectera peut-être qu’un pareil système entraînera à de trop grandes dépenses. Si au lieu de lésiner sur les sommes réclamées par les provinces qui se sont franchement exécutées, on n’augmente pas contrairement à la loi les subsides des provinces dont les sacrifices n’égalent pas le produit d’un demi centime additionnel, si, en un mot, la loi est exécutée comme elle doit l’être. Je pense que la somme portée au budget pourra suffire à tous les besoins ; mais supposons qu’il n’en soit pas ainsi, est-ce trop que six centimes additionnels (deux communaux, deux provinciaux, et je suppose deux de l’Etat) pour un objet aussi important que l’enseignement primaire, dont tous les Belges profitent ? Je le proclame hautement, je voterai avec plaisir, et je pense que tous les amis de l’instruction et du progrès voteront de grand cœur tout ce qui sera demandé en faveur de l’enseignement primaire, pourvu que la nécessité en soit démontrée.
- L’art. 7 est mis aux voix et adopté.
« Art. 8. Subsides pour l’enseignement à donner aux sourds-muets et aux aveugles : fr. 20,000. »
- Adopté.
La chambre passe au chapitre XX, Lettres, sciences et arts. La discussion est ouverte sur l’ensemble de ce chapitre.
M. Rogier – J’ai quelques observations à présenter sur l’ensemble du chapitre XX.
Ce chapitre est l’un des plus importants du budget de l’intérieur. Avec l’instruction publique, il forme en quelque sorte la partie intellectuelle, civilisatrice du budget.
Le budget de la direction des lettres, sciences et arts s’élève à 561,250 fr. C’est de ce chef seul une administration importante. Elle l’est plus encore par son objet même et par le grand nombre d’établissements qui s’y rattachent. Ces établissements sont-ils, à tous égards, dans un état satisfaisant ? La chambre l’ignore.
Aucun rapport spécial n’a été présenté à la chambre sur les établissements scientifiques, littéraires et artistiques, qui figurent au chapitre XX, soit que la section centrale n’en ait pas demandé, soit qu’on n’ait pas cru opportun d’en fournir ; et avant de voter de pareilles sommes, il conviendrait qu’elle fût éclairée sur cette situation.
Les tristes découvertes que la chambre a été amenée à faire dans un établissement de la capitale doit la tenir en garde contre la marche imprimée aux institutions d’un autre genre qui sont sous la direction du département de l’intérieur.
S’il faut en croire certains renseignements qui ont transpiré dans le public, l’anarchie et la zizanie qui ont été révélées dans l’administration de l’école vétérinaire se reproduiraient à peu près avec le même caractère dans divers établissements scientifiques, littéraires ou artistiques, qui dépendent de l’administration des beaux-arts.
Je sais que je touche à une matière délicate ; aussi, je ne l’aborderai qu’avec circonspection. Des questions de personnes s’y trouvent plus ou moins engagées. Mais quand on a à contrôler une administration, force est bien de s’occuper des personnes, car on n’administre pas sans elles. L’administration n’est pas un rouage qui marche seul.
A partir de la tête de l’administration, que trouvons-nous ? C’est une expression consacrée que « la république des lettres ». Eh bien, la « république des lettres » fleurit au département de l’intérieur ; je vais trop loin, il y a « république, mais sans présidence ». (On rit.) Sans direction aucune.
M. le ministre de l'intérieur, dans le but de faire, suivant les uns, une économie, suivant les autres, une gracieuseté, a mis à la tête de cette administration un homme fort respectable d’ailleurs, mais qui, selon moi, présente pour l’administration un défaut essentiel, capital, c’est qu’il n’est pas salarié. C’est un « administrateur-amateur », sur lequel par conséquent ni ministre ni secrétaire-général ne peuvent avoir aucune action. Dès le principe, j’ai critique à ce point de vue cette nomination ; j’ai dit que, pour avoir un administrateur responsable et agissant, il fallait faire choix d’un fonctionnaire qui reçut un traitement, et non pas d’un homme qui fût dans une position indépendante exceptionnelle vis-à-vis du ministre. En même temps, j’ai rendu (page 861) hommage au désintéressement et aux bonnes intentions du titulaire honoraire.
Depuis lors, l’état des choses, au point de vue administratif, s’est aggravé. A côté du titulaire honoraire, il y avait un ancien chef de bureau ; ce chef, chargé des affaires courantes, a été appelé aux fonctions de greffier du conseil des mines et n’a pas été remplacé.
Ainsi, pas de directeur responsable, plus de chef de bureau ; et, en fait, toute l’administration des lettres, sciences et arts, se trouve confiée aux soins d’un commis.
Je ne rechercherai pas si les vices qui existent dans divers établissements qui se rattachent à cette direction proviennent d’un défaut de surveillance et d’action de la part de son chef.
Nous n’avons pas à demander compte à ce fonctionnaire, parce qu’il est hiérarchiquement subordonné au ministre ; et parce qu’il n’a, en quelque sorte, aucun compte à rendre à personne, ne recevant aucun denier de l’Etat.
Mais sans vouloir trop presser M. le ministre sur ce point, je lui demanderai s’il pourrait prendre sur lui de présenter un rapport sur le conservatoire de musique, sur la bibliothèque de l’Etat, sur les archives du royaume, sur l’école de gravure, un rapport où il mentionnerait ouvertement l’état de ses relations avec les administrations de ces établissements, et l’état des relations entre les personnes mêmes qui s’y trouvent attachées.
Je crois que M. le ministre de l'intérieur serait très-embarrassé pour nous présenter un rapport complet.
Pour ne citer qu’un établissement, pourrait-il nier que l’administration de la bibliothèque ne se trouve, au point de vue des personnes, dans un état de complète anarchie ?
La bibliothèque de l’Etat demande des soins tout particuliers, non pas seulement à raison des sommes qu’elle coûte, mais à raison des services qu’elle pourrait rendre, si elle était bien administrée. Il est impossible que l’indiscipline qui règne dans cet établissement ne soit un obstacle à sa prospérité, à son utilité.
Il est à regretter que M. le ministre de l'intérieur n’accorde pas de soins plus assidus à un pareil établissement. La surveillance qu’il exige ne jetterait peut-être pas un grand éclat sur l’administration de M. le ministre de l'intérieur. Mais on n’est pas ministre, seulement pour briller dans les luttes parlementaires ou pour produire de temps à autre d’énormes mémoires dont on gratifie le pays et l’étranger. Il ne faudrait pas faire de la littérature à soi tout seul. Il faudrait fortement diriger, efficacement encourager tous les établissements littéraires, scientifiques et artistiques. Selon moi, la sollicitude de M. le ministre n’est pas assez grande pour ces divers établissements.
La preuve qu’il ne s’en occupe pas avec assez de zèle, avec assez de soin, je la trouve dans l’état d’anarchie administrative où se trouvent plusieurs d’entre eux.
Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien mettre l’ordre dans ces divers établissements je n’ai pas besoin d’entrer dans plus d’explications. Je crois qu’il me comprendra parfaitement ; c’est peut-être même un service que je lui rends en ce moment, en l’excitant à plus d’activité, à plus de fermeté dans la direction de cette branche importante de son administration
En attendant, je demande qu’avant la discussion du budget de l’année prochaine, un rapport détaillé soit fait par M. le ministre sur l’état des divers établissements qui s’y rattachent. La chambre pourra juger alors où réside la cause des abus, et s’il y a lieu d’y porter remède.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, on semble adopter à mon égard une marche toute nouvelle. Je ne m’en plains pas. On veut que, pour chaque partie du budget, le gouvernement rende compte de tous détails administratifs, qu’il explique même sa position vis-à-vis de tous ses agents, qu’il entre dans des questions de personnes. L’honorable membre a lui-même compris que c’était aborder des matières très-délicates. Aussi n’irai-je pas plus loin qu’il n’a été lui-même. (Interruption.) J’irai même moins loin.
On demande, pour l’avenir, des rapports sur tous les établissements qui sont administrés directement ou indirectement par l’Etat. Je ne me refuse pas à faire ces rapports ou à les faire faire ; j’y mêlerai le moins de littérature possible, je ferai connaître l’état réel de ces établissements.
Je m’occupe avec toute la sollicitude qu’un ministre doit apporter aux affaires, de tous les établissements qui dépendent du ministère de l’intérieur. Certes, il ne faut pas exiger l’impossible d’un ministre. Cependant, je serais à même, s’il le fallait de rendre compte immédiatement de la situation de tous les établissements qui dépendent du ministère de l’intérieur.
J’examine, messieurs, les règlements qui ont été rédigés, il y a plus ou moins longtemps, pour chacun de ces établissements. Il y a des articles qui sont tombés en désuétude depuis nombre d’années ; d’autres dispositions présentent des défectuosités. Mon intention est de réviser, de compléter certains règlements.
J’exigerai, entre’autres, que des rapports soient annuellement adressés au gouvernement tant par les chefs de chaque arrondissement que par les commissions directrices, rapport qui n’ont pas toujours été faits jusqu’à présent. Ces rapports pourront être publiés, et de cette manière il pourra être satisfait à la demande de l’honorable préopinant.
Je pense avec lui qu’il ne faut pas faire de l’administration dans la chambre et que précisément pour éviter qu’on y fasse de l’administration, il faut faire certaines publications. Aussi les ferais-je, mais je ne puis pas les faire à moi seul. Il me faut un certain temps pour faire entrer non seulement les directeurs, mais aussi les commissions administratives qui ne reçoivent aucun genre d’indemnité, dans cette voie qui est beaucoup plus laborieuse.
Voilà donc, messieurs, ce qui sera fait à l’avenir. Quant au présent, je dois repousser les insinuations de l’honorable membre. Il n’y a pas d’anarchie dans les établissements, et notamment dans celui qu’il a cité. Prend-il pour de l’anarchie les jalousies qui peuvent exister d’homme à homme ? Ces jalousies sont presque inévitables. Que les agents soient jaloux l’un de l’autre, je le déplore ; mais la seule chose dont je m’occupe, c’est que ces jalousies ne nuisent pas au service ; je ne reculerai pour cela devant aucune mesure.
Si donc l’honorable membre a peut-être voulu dire qu’il y a de la jalousie entre tel et tel agent, qu’il serait à désirer qu’il y eût de meilleurs rapports personnels entre ces agents, il ne m’est pas permis d’examiner jusqu’à quel point l’assertion est vraie ou non. Mais ce que je déclare, c’est que je ferai toujours en sorte que ces jalousies ne nuisent pas à la marche du service. L’honorable membre a trop d’expérience des hommes et des affaires pour ne pas savoir que lui-même a été souvent témoin de jalousies de ce genre. Il a sans doute fait marcher l’administration malgré ces jalousies, c’est aussi ce que je ferai.
L’honorable m’a succédé dans un autre département ; il voudra bien me rendre cette justice que j’ai su maintenir et même introduire l’ordre dans des administrations plus vastes que celles qui me sont confiées aujourd’hui. J’ai su y maintenir l’ordre, et j’ai suivi au ministère de l’intérieur mes anciens principes. En cela je ne suis que resté fidèle à moi-même.
Je repousse donc cette opinion qu’on voudrait accréditer maintenant : c’est que le ministère de l’intérieur ne s’occuperait que de politique, que de luttes parlementaires et que les affaires seraient entièrement négligées. C’est un reproche que je repousse. Et quant à l’anarchie, je saurai faire en sorte que si des germes d’anarchie se trouvaient dans des rivalités de personnes, l’anarchie elle-même ne se produise pas dans l’administration.
M. Dumortier – Messieurs, j’ai demandé la parole lorsque j’ai entendu l’honorable M. Rogier parler de l’anarchie qui existerait dans tous les établissements dont il est question au chapitre en discussion. Appartenant moi-même à deux de ces établissements, à l’académie des sciences et à la commission royale d’histoire, je crois pouvoir déclarer qu’il n’existe aucune espèce d’anarchie dans l’une ni dans l’autre de ces institutions…
M. Rogier – Je n’ai pas parlé de ces établissements.
M. Dumortier – J’avais demandé la parole lorsque l’honorable membre parlait de l’anarchie qui régnait en général dans les établissements dont il s’agit au chapitre XX, et peut-être l’aurai-je mal compris. Du reste, chaque membre de la chambre reçoit les publications des deux institutions auxquelles je viens de faire allusion, et peut voir les travaux qu’elles produisent.
Puisque j’ai la parole, messieurs, je dois dire quelques mots en faveur d’une personne que l’on a injustement attaquée : c’est l’honorable directeur des lettres, sciences et arts. Cet honorable directeur n’est pas rétribué.
Mais quel mal y a-t-il à cela ? Tant mieux pour le trésor public, si le gouvernement trouve une personne qui ait assez de dévouement pour remplir gratuitement de pareilles fonctions et les exercer d’une manière aussi honorable que M. le comte de Beaufort, qui, j’en puis donner l’assurance, les remplit aussi bien que personne ne pourrait faire. Au reste, la question n’est pas là. Les institutions qui se trouvent confiées à ses soins, marchent-elles bien ou mal ? Certes, personne ne pourrait contester qu’elles ne marchent très-bien. Tout ce qui a rapport aux lettres, sciences et arts ne peut être mieux dirigé. M. le comte Amédée de Beaufort, lui-même, encourage les arts, non-seulement par les soins qu’il donne à son administration, mais aussi par les sacrifices personnels qu’il ne cesse de faire. Loin donc de devoir être censurée, son administration ne mérite que des éloges.
En France, messieurs, la direction des arts est aussi confiée à un homme très-distingué, à M. le baron Tailor, et les choses n’en vont pas plus mal. Si M. le comte de Beaufort a bien voulu exercer ses fonctions sans traitement, la Belgique n’a qu’à s’applaudir de ce qu’un homme d’un aussi grand mérite a bien voulu donner un tel exemple de dévouement à la chose publique. Je crois qu’il serait à désirer que nous eussions beaucoup de personnes qui voulussent montre le même dévouement ; il en résulterait une grande diminution dans les budgets, et des réductions considérables dans les dépenses publiques et dans les impôts.
Quant à ce qui est des autres établissements, j’ignore ce qui se passe dans leur intérieur. Cependant il me paraît qu’en général les établissements scientifiques en Belgique marchent d’une manière extrêmement remarquable. Ainsi notre conservatoire de musique a fourni plusieurs talents qui ont fait connaître d’une manière très-avantageuse le nom belge à l’étranger. Quant aux archives, dernièrement encore nous avons vu les résultats admirables, je dirai prodigieux, d’un voyage qu’a entrepris M. Gachard, voyage pénible dans lequel il a fait preuve du plus grand dévouement. Je puis dire que les recherches qu’il a faites, que les pièces qu’il est parvenu à se procurer sur notre ancienne histoire, formeront une des publications les plus importantes que l’on puisse faire pour la Belgique.
Quant à la bibliothèque royale, elle s’augmente, s’enrichit de jour en jour, par les soins de son savant bibliothécaire. Elle fait aujourd’hui l’admiration de l’étranger.
Notre école de gravure a déjà produit de brillants résultats, et il n’y a nul doute qu’au moyen des efforts que l’on fait chaque jour, en ce qui la concerne, elle n’en produisent de plus brillants encore.
Quand cette école a été établie, on ignorait chez nous ce que c’était que la gravure. La Belgique, qui cependant avait fourni les meilleurs graveurs (page 862) à l’époque ancienne, en possédait à peine. Aujourd’hui, messieurs, nous avons des jeunes gens d’un grand mérite, qui reproduiront les chefs-d’œuvre d’art avec un talent distingué, et ce que je désire, c’est que l’on puisse compléter notre école en y adjoignant un professeur spécial pour la gravure à la manière noire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est ce qu’on examine.
M. Dumortier – J’en suis charmé, car il est vraiment fâcheux de voir que, tandis qu’en France, il ne paraît aucun tableau de quelque mérite qui ne soit immédiatement gravé et répandu ainsi dans toute l’Europe, en Belgique tous les plus grands chefs-d’œuvre de nos artistes n’aient pas trouvé à être gravés, à l’exception peut-être d’un tableau de notre illustre peintre Wappers, qui a été exposé avant la révolution. C’est le « Bourgmestre de Leyden. ». Mais aucune des productions qui font la gloire et l’honneur de la Belgique moderne n’a pu être connue à l’étranger, parce que nous ne possédons pas de graveurs à la manière noire. Je suis donc charmé d’apprendre de M. le ministre de l'intérieur que l’on s’occupe de l’adjonction à notre école d’un professeur de graveur à la manière noire.
Messieurs, il y aurait peut-être quelque chose de plus à faire. Nous pourrait-on développer davantage encore notre école de gravure ? Ne pourrais-on faire en sorte que les grands traits de notre histoire fussent reproduits sur certains objets de fabrication, de manière que chaque paysan, chaque petit particulier pût faire un cours d’histoire dans sa chaumière ?
Ainsi, messieurs, je vois que sur presque tous les produits de fabrication anglaise, sur les étoffes de soie, sur les étoffes de coton, sur les assiettes même, on représente des traits d’histoire nationale. Pourquoi n’en ferait-on pas autant dans notre pays ?
Je désire pour mon compte, au point de vue de la nationalité, qu’on puisse populariser tous les grands sujets de notre histoire, et je crois, que sous ce rapport, l’école de gravure pourrait rendre de grands services si l’on y introduisait la gravure à la manière noire. On pourrait ainsi, je le répète, rendre notre école de peinture beaucoup plus populaire encore qu’elle ne l’est, dans le pays et à l’étranger où le nom de nos plus grands artistes est à peine connu. En effet, nous avons vu, il y a deux ans, que deux tableaux faits dans notre pays, par MM. Gallait et de Bieffe, ont été mené en triomphe dans toutes les villes de l’Allemagne, et nous avons appris avec une grande surprise que les noms des auteurs de ces tableaux, noms si populaires chez nous, étaient à peine connus en Allemagne. Incontestablement ce voyage triomphal a jeté le plus grand relief de gloire sur la Belgique. Eh bien, messieurs, notre école de gravure pourrait contribuer puissamment à faire connaître à l’étranger les chefs-d’œuvre de nos artistes, elle pourrait rendre à l’école flamande la juste célébrité dont elle jouissait autrefois.
M. Maertens, rapporteur – L’honorable M. Rogier a adressé une interpellation au rapporteur de la section centrale. Il a désiré savoir si la section centrale a réclamé de M. le ministre de l'intérieur des renseignements sur le chap. XX et si ces renseignements ont été fournis. Je déclare à l’honorable membre que tous les renseignements provoqués par les diverses sections ont été demandés à M. le ministre de l'intérieur et que M. le ministre s’est empressé de satisfaire à toutes ces demandes. C’est ainsi qu’on verra, par la lecture de mon rapport, que des états détaillés ont été fournis relativement à toutes les sommes employés l’année dernière pour les lettres, les sciences et les arts. Ces tableaux se trouvent déposés sur le bureau, comme on peut également le voir en prenant lecture de mon rapport. Je regrette beaucoup que l’honorable membre n’ait pas lu plus attentivement mon rapport ; je regrette surtout qu’il n’ai pas pu, dans le temps, se rendre dans la section dont il faisait partie. Alors il aurait pu réclamer là les renseignements qu’il demande aujourd’hui pour la première fois, alors aussi la section centrale se serait empressée de réclamer ces renseignements de M. le ministre, elle n’aurait rien négligé pour les obtenir, afin de pouvoir les présenter à la chambre.
Communication du gouvernement (compte-rendu des opérations du chemin de fer pendant l’année 1844)
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, je dépose sur le bureau le compte-rendu des opérations du chemin de fer pendant l’année 1844. Je demanderai à la chambre l’autorisation de faire imprimer ce compte-rendu en deux parties : d’abord le texte, qui comprend toutes les pièces relatives à l’exploitation et dans lequel on entre dans les plus minutieux détails. La seconde partie se composerait des annexes à l’appui du texte du compte-rendu.
Je demande cette autorisation, messieurs, parce que le texte pourra être imprimé et distribué avant la discussion de mon budget, tandis que les annexes, comprenant des tableaux très-étendus, demanderont un temps assez long pour être imprimés et une surveillance fort minutieuse. Je pense que cette partie ne pourra être distribuée que vers la fin de la semaine prochaine. J’espère toutefois qu’elle le sera avant que nous en arrivions au chapitre du Chemin de fer, mais je ne puis pas cependant le garantir formellement. Quoiqu’il en soit, les membres de la chambre aimeront d’avoir sous les yeux, avant la discussion du budget, le texte même du compte-rendu, qui renferme d’ailleurs tous les détails relatifs à l’exploitation.
M. Maertens présente divers rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
La séance est levée à 4 heures ¾.