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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 25 janvier 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 587) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et un quart.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le conseil communal de Mechelen demande la construction du chemin de fer d’Ans à Hasselt par Tongres. »

« Même demande des conseils communaux de Herderen, Millen, Roclenge ; du bourgmestre et du curé de Rouckom, des bourgmestres et échevins d’Eben-Emael, Wonck, Bassenge. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.


« Le sieur Auger, major honoraire pensionné, demande qu’on lui accorde la pension dont jouissent les décorés de la croix de Fer. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l’intérieur.

Motion d'ordre

Eboulement du tunnel ferroviaire de Cumptich

M. de La Coste – Je demande pardon à l’assemblée de distraire un moment son attention des grandes questions qui la préoccupent. Mais il s’agit aussi d’une question de confiance, non pas envers le ministère, mais envers un de ses ouvrages, je veux parler du tunnel de Cumptich.

Dans une séance précédente, l’honorable M. David a déjà appelé sur cette question l’attention de la chambre. Il a adressé une interpellation à M. le ministre des travaux publics. Je n’ai pas pris part au débat sur cet incident, parce que j’ai voulu être informé auparavant de l’impression qu’il a produite dans les localités environnantes. Cette impression est une impression d’alarmes. Ces alarmes, je ne veux pas les augmenter. Je voudrais, au contraire, qu’elles fussent calmées. C’est l’objet de l’interpellation que je vais adresser à M. le ministre des travaux publics.

Ces alarmes vont jusqu’à reproduire l’idée qu’il ne faudrait pas un tunnel en cet endroit, mais un passage à ciel ouvert. Je ne tranche pas cette question, mais je demande qu’il soit fait une enquête sévère, et qu’elle soit confiée non seulement aux ingénieurs, préposés d’ordinaire à l’exécution et à la surveillance des travaux, mais qu’on y adjoigne d’autres hommes de l’art à l’égard desquels on ne puisse craindre l’influence d’aucune préoccupation, d’aucun sentiment d’amour-propre, qu’on y adjoigne même des personnes étrangères à l’administration ; par exemple des membres de la députation, le commissaire de district, le bourgmestre de Tirlemont.

Je ne détermine pas sur qui le choix du gouvernement devrait tomber ; mais je demande une telle adjonction pour que l’enquête exerce une influence d’autant plus grande sur le public, sur les personnes surtout qui habitent les localités voisines du lieu où l’événement s’est passé.

Je prie M. le ministre des travaux publics de faire connaître à cet égard les intentions du gouvernement.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Le gouvernement a devancé ce que l’honorable préopinant demande de lui.

Je me suis empressé d’ordonner une enquête spéciale.

La commission d’enquête est composée de l’inspecteur-général des ponts et chaussées, du directeur de l’administration des chemins de fer et de quelques ingénieurs ayant des connaissances spéciales en cette matière. Cette commission d’enquête m’a déjà soumis un rapport.

Je dois déclarer à la chambre que l’accident survenu au souterrain de Cumptich n’a pas du tout l’importance qu’y a donnée l’honorable préopinant. Cependant l’interruption dans les travaux sera plus longue que je n’avais cru d’abord.

L’honorable M. de La Coste demande que j’adjoigne à cette commission d’enquête spéciale quelques personnes en dehors de l’administration, afin de produire un effet moral sur l’opinion.

J’examinerai si cette adjonction produirait un effet moral, ou si, au contraire, elle n’alarmerait pas, à cause de la solennité dont on entourerait cette enquête.

Du reste, je ne me prononce pas sur cette question. J’aurai soin de l’examiner.

L’honorable M. de La Coste nous a dit que beaucoup de personnes croyaient qu’on pourrait, au lieu du souterrain de Cumptich à réparer, faire une tranchée à ciel ouvert. Messieurs, ce sera là l’un des points qu’examinera la commission spéciale ; non pas de savoir si l’on supprimera complètement le souterrain de Cumptich, mais de savoir, si, au point où l’éboulement a eu lieu, il ne faudrait pas, au lieu d’une réparation, faire une tranchée à ciel ouvert.

Je n’insisterai pas sur ces détails qui sont purement administratifs. Mais je dirai de nouveau à l’honorable membre que la commission d’enquête qu’il demande existe, et que j’examinerai avec soin si l’adjonction de personnes étrangères à l’administration doit avoir lieu.

M. de La Coste – Je remercie M. le ministre des travaux publics des explications qu’il vient de donner, et si je prends de nouveau la parole, c’est pour répondre à une observation qu’il a faite, et qui semble indiquer qu’il craindrait d’augmenter les alarmes en donnant à cette enquête toute la solennité possible. Je ne veux pas dicter au gouvernement la marche qu’il doit suivre, mais je pense que plus on donnera à l’examen de solennité et de publicité, mieux on atteindra le but que l’honorable ministre et moi voulons également atteindre.

M. Lys – Vous vous rappellerez, messieurs, qu’il y a environ un an le bruit courait que le souterrain de Cumptich menaçait ruine. Je crois qu’alors M. le ministre des travaux publics est venu nous dire qu’il avait ordonné une enquête. Cependant vous voyez que, malgré les assurances qu’il nous avait données, le souterrain s’est en partie éboulé.

Je crois donc qu’il faut prendre, à cet égard, les mesures les plus promptes et les plus prudentes ; je pense, quant à moi, qu’on pourrait établir tout le passage à ciel ouvert ; il en résulterait peut-être un peu plus de travail ; mais je ne crois pas que l’élévation de la montagne soit assez forte pour conserver un souterrain. Du reste, je m’en rapporte à ce que décidera M. le ministre des travaux publics, et je le prie de remarquer que c’est par un grand hasard providentiel que l’éboulement n’a pas eu lieu au moment du passage d’un convoi, par le mouvement que ce passage occasionne.

M. d’Hoffschmidt – Il y a quelques années qu’on nous a demandé des fonds destinés à établir la seconde galerie du tunnel de Cumptich. Je demanderai à M. le ministre si les travaux de cette seconde galerie sont assez avancés ou si nous devons encore attendre longtemps l’établissement de cette seconde voie qui, comme on peut en juger, est réellement indispensable.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Les travaux du second tunnel sont fort avancés. Dans quelques mois il sera complètement achevé.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l'exercice 1845

Discussion générale

M. le président – Avant d’accorder la parole aux orateurs inscrits, je désire savoir s’il est bien entendu que, lorsque cette discussion sera close, il n’y aura pas une seconde discussion sur la question de principe posée par l’honorable M. Osy. (Non ! non !)

Il est donc entendu que la discussion générale close, on ne pourra plus avoir la parole que sur la position de la question. Il en sera tenu acte au procès-verbal.

Une seconde question que je désire voir décider, c’est de savoir s’il y aura, après la discussion politique, une discussion générale sur le budget lui-même. Quelques membres m’ont manifesté le désir qu’il en fût ainsi.

- La chambre décide que cette seconde question est réservée.

M. Lebeau – Je demande à faire aussi une observation sur l’ordre de nos discussions.

D’après les précédents de la chambre, il a été établi que, pour donner aux discussions une marche plus régulière et plus logique, on entendrait alternativement un orateur pour et un orateur contre la proposition que l’on discute.

Je conviens que lorsqu’il ne se présente pas d’orateurs soit pour, soit contre, il y a nécessité de continuer la liste des inscriptions, dût-on entendre trois ou quatre orateurs à la suite des autres, parlant dans le même sens. Mais si ceux qui veulent parler dans un sens différent se réservaient de le faire à la fin de la discussion, je ne voudrais pas voir là une tactique, parce que je n’aime pas supposer des intentions pareilles à aucun de mes honorables collègues, mais il y aurait cependant là quelque chose d’anormal. Pour ramener la discussion à ce qu’elle doit être, il faudrait, dans ce cas, accorder la parole à ceux qui demanderaient à parler contre après chaque orateur qui aurait été entendu pour, alors même que ceux qui demanderaient la parole pour combattre le cabinet auraient déjà été entendus.

M. le président – Par suite de la proposition faite par M. Osy, la liste des orateurs se trouve intervertie en ce sens que ceux qui se sont fait inscrire pour combattront maintenant la proposition en discussion, tandis que ceux qui se sont fait inscrire contre appuieront cette proposition.

M. Cogels – Je pense, M. le président, que l’ordre des inscriptions devra rester tel qu’il était avant la proposition de M. Osy. Les membres qui sont inscrits pour, sont inscrits pour le budget, ou plutôt pour le cabinet ; ceux qui sont inscrits contre, sont inscrits contre le budget, contre le cabinet.

M. Lebeau – J’insiste sur ma motion qui, si je ne me trompe, a pour elle les précédents de la chambre ; j’en appelle au souvenir de mes honorables collègues. Je dis que si cinq ou six orateurs étaient décidés à parler dans le même sens les uns après les autres, lorsque la liste des inscriptions des orateurs parlant dans le sens contraire serait épuisée, il ne serait pas juste de les entendre sans contradiction aucune. Je demande que, dans ce cas, M. le président adresse à l’opinion à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir la question de savoir si personne, même parmi ceux qui ont déjà eu la parole, ne désire répondre. C’est le seul moyen d’établir une véritable controverse et de ne pas entendre à la suite les uns des autres des orateurs qui ne présenteraient que les mêmes arguments.

M. le président – Ainsi, quand la liste des orateurs sera épuisée, je demanderai, chaque fois qu’un membre aura parlé, si personne ne demande la parole contre, même parmi les membres qui auraient déjà été entendus. (Assentiment.)

(page 588) M. d’Hoffschmidt – Mon opinion, messieurs, sur la question de cabinet que nous avons à résoudre, diffère de celle de plusieurs honorables collègues avec lesquels je me trouve ordinairement d’accord. La chambre comprendra dès lors qu’il m’importe de faire connaître les motifs qui me dirigent dans cette grave circonstance.

En prenant la parole dans ce débat, je n’ai d’autre désir que celui d’accomplir les devoirs que ma position de député m’impose, et la chambre croira, j’espère, à ma sincérité, car je n’ai rien à demander aux faveurs du pouvoir, je n’ai rien à demander non plus aux influences électorales.

Messieurs, ce n’est pas la première fois que le budget de l’intérieur soulève des discussions politiques et des orages parlementaires ; depuis plusieurs années, c’est là le triste privilège dont il semble être en possession. Dans la session dernière, vous le savez, un débat politique a déjà eu lieu à propos de ce budget ; mais alors il a porté presque exclusivement sur M. le ministre de l'intérieur et sur sa politique, en laissant pour ainsi dire à l’écart les autres membres du cabinet.

Aujourd’hui le débat a pris de plus vastes proportions : une déclaration de solidarité, dictée sans doute par une inspiration généreuse, engage le cabinet tout entier.

A la session dernière, je n’ai pas pris part au débat politique ; mais je me suis abstenu, et j’ai fait connaître les motifs de mon abstention. J’ai déclaré que je n’étais pas hostile au cabinet tout entier…

M. Verhaegen – Je demande la parole.

M. d’Hoffschmidt – Mais que je ne pouvais émettre un vote qu’on aurait pu considérer comme une approbation donnée à la politique suivie depuis 3 ans par M. le ministre de l'intérieur. L’opinion que j’ai exprimée alors, je la conserve encore aujourd’hui.

Cette déclaration m’oblige, messieurs, à donner des explications à la chambre sur mon abstention de l’année dernière et sur la position que j’ai prise vis-à-vis de M. le ministre de l'intérieur depuis la formation du ministère actuel. Je me placerai ensuite sur le terrain où nous a appelé l’honorable ministre de la justice. Je m’occuperai de l’ensemble du ministère, car, je le reconnais, c’est là le véritable terrain parlementaire.

Lorsqu’en avril 1843 le ministère subit un remaniement presque total, j’ai vu avec peine M. le ministre de l'intérieur rester en quelque sorte à la tête des affaires ; j’aurais désiré un changement complet de cabinet ; je l’aurai désiré dans l’intérêt même de cette politique de conciliation que l’on cherche à faire prévaloir, et qui, chaque année, est réclamée par le discours de la Couronne et par les adresses en réponse à ce discours. Dans mon opinion, la présence de l’honorable M. Nothomb dans le cabinet devait nuire singulièrement aux idées de rapprochement qu’on voulait propager ; je ne pouvais comprendre, je l’avoue, comment celui qui, par ses antécédents, était en hostilité flagrante avec toute une opinion, et qui en même temps paraissait être devenu fort indifférent à l’autre opinion, pouvait être l’agent heureux de la conciliation entre les partis.

Il est vrai, messieurs, que l’honorable M. Nothomb apportait au cabinet le concours d’un magnifique talent et une connaissance approfondie des affaires ; mais n’a-t-il pas aussi amené à sa suite contre le ministère, et le cortège de ses redoutables adversaires, et les griefs qu’on élève contre lui, et les défiances dont il est l’objet ? N’a-t-il pas rendu la position de ce cabinet moins nette, et celle de ses collègues plus difficile ?

La preuve de ce que j’avance, messieurs, je n’irai pas la chercher bien loin ; je la trouve dans les débats orageux que nous avons chaque année dans cette enceinte, dans ceux qui se renouvellent constamment depuis le commencement de cette session. Je la trouve dans ce qui s’est passé à l’occasion du traité du 1er septembre, traité que je considère comme si avantageux au pays, et dont la discussion fût pourtant si fâcheuse pour le ministère. Je la trouve aussi dans ce que les budgets des autres départements sont discutés chaque année avec calme, sans irritation, et votés à la presqu’unanimité, tandis que le budget de l’intérieur soulève les débats les plus violents et rencontre toujours, au vote sur l’ensemble, une forte minorité. Je la trouve enfin dans les attaques formidables de la gauche, dans le silence et l’indifférence de la droite.

Voilà, messieurs, ce qui explique, à mes yeux, les difficultés de la situation tout entière ; voilà aussi ce qui explique la position que j’ai prise l’année dernière après une discussion qui a été toute personnelle à M. le ministre de l'intérieur.

Mais, cette année, le débat politique a pris, je le répète, un tout autre caractère. Ce n’est plus de l’honorable M. Nothomb seul qu’il s’agit ; c’est du cabinet tout entier. Or, je n’hésite pas à le dire, il y a dans le ministère des hommes qui m’inspirent une grande confiance, il en est qui sont mes amis politiques, qui ont la même opinion politique que moi et dont on ne peut contester ni la capacité, ni l’aptitude nécessaire à leur position. On conçoit dès lors qu’il m’est impossible de me déclarer leur adversaire.

Ce ne sont pas cependant des affections personnelles qui me guident uniquement dans cette grave circonstance ; d’autres considérations puissantes viennent s’y joindre dans mon esprit.

Quand on veut démolir, il importe de songer d’abord comment on pourra reconstruire. Or, sur ce point, je suis loin d’avoir mes apaisements. Je me demande, en cas de retraite totale du cabinet, quels seraient les hommes qui remplaceraient au pouvoir ceux qu’on veut en renverser ? quel sera le système, quel sera le programme du futur ministère ? Eh bien, je pense que sur ce point il n’y a pas un seul membre de la chambre, qui ait une opinion bien arrêtée. Tous ignorent quels sont les hommes qui prendront les rênes du gouvernement ; quelle sera la composition du futur cabinet. Si ce sera un ministère mixte ou un ministère homogène ? Cette question d’avenir, si importante cependant, reste absolument dans le vague. Il n’en est pas cependant ainsi, en semblables circonstances, chez les peuples qui sont nos aînés dans la pratique du gouvernement représentatif.

En Angleterre, les whigs savent parfaitement que s’ils renversent sir Robert Peel, c’est sir John Russel et sa politique qui viendront au pouvoir.

En France, si l’opposition parvient à triompher de M. Guizot, elle n’ignore pas qu’elle appelle ainsi au pouvoir M. Molé ou M. Thiers.

Ici, au contraire, il paraît qu’il s’agit de renverser au hasard, car je ne sache personne qui se présente pour succéder aux ministres actuels. (Interruption.)

On dit qu’il s’en présente ; je serais charmé qu’on me les désignât ; moi je n’en connais pas. Je sais que plusieurs noms fort honorables sont mis en avant ; mais est-on sûr de l’acceptation des personnes qu’on désigne ? Quant à moi, j’ai des raisons de croire que plusieurs d’entre eux déclineraient la mission qu’on veut bénévolement leur confier.

Je sais aussi que l’on a fait circuler la liste d’une combinaison ministérielle, prise dans une seule opinion. Je n’ai jamais considéré cette liste comme sérieuse. Cependant, par suite des embarras de la situation, la formation d’un cabinet exclusif est possible ; elle est même probable après le renversement du cabinet actuel. Or, je le déclare, un semblable cabinet ne me conviendrai pas ; il n’aurait pas mon appui dans cette chambre.

Messieurs, je crois, en effet, que le règne des ministères exclusifs n’est pas encore arrivé. Je persiste, en effet, dans l’opinion que j’ai toujours émise : c’est qu’avec la composition actuelle des chambres, lorsque les deux opinions s’y divisent en deux fractions à peu près égales, il faut que les deux opinions soient représentées dans le cabinet.

Je dis même, messieurs, que c’est là une condition indispensable de son existence. En effet, messieurs, un ministère exclusif ne serait-il pas exposé à voir sa marche entravée par une opposition ardente ? ses efforts paralysés par des luttes continuelles ? Dans la situation actuelle, un ministère exclusivement libéral, aurait-il, par exemple, des chances de durée, lorsque cette opinion est encore en minorité dans les deux chambres ? Et un ministère exclusivement catholique, appuyé par une majorité trop faible, ne soulèverait-il pas une opposition formidable, les orages parlementaires les plus violents, et au lieu d’amener cette conciliation que l’on désire, ne répandrait-il pas partout la division et n’éterniserait-il pas la lutte des partis ?

Il est possible, cependant, messieurs, que les conditions normales de l’avènement d’un ministère exclusif se présentent un jour : c’est, si l’une des deux opinions obtenait, dans cette chambre, une majorité puissante, et que, par conséquent, l’autre opinion ne serait plus qu’une faible minorité. Mais alors, c’est la nation qui l’aurait voulu et qui aurait proclamé sa volonté par la voie électorale ; et cette volonté, il faudrait bien s’y soumettre.

Quant à moi, messieurs, je me suis toujours prononcé pour une politique d’union et de conciliation, politique qui est conforme à mes principes et à mon caractère. Mais j’ai toujours voulu en même temps que cette politique fût digne, impartiale, indépendante, et surtout qu’elle ne cachât pas, sous de faux semblants d’impartialité, son asservissement à un parti.

En Belgique, messieurs, les opinions ne sont pas aussi tranchées que dans d’autres pays constitutionnels. Nous n’avons pas ici de parti républicain opposé à un parti royaliste ; nous n’avons pas de parti radical luttant contre une puissante aristocratie. Nous n’avons plus même, je crois, de parti anti-dynastique. Sur toutes les grandes questions de nationalité, d’attachement au Trône et à la dynastie, ainsi que sur les grands principes qui servent de base à notre régime constitutionnel, les opinions sont d’accord. Les causes de division entre les partis ne sont donc pas assez profondes, pour que toute idée de conciliation soit irrévocablement bannie.

Je ne puis, en conséquence, qu’approuver le ministère d’avoir proclamé que ces idées servent de base à sa politique.

Il est vrai, messieurs, que le ministère qui a précédé celui-ci, que le ministère du 13 avril 1841 avait aussi inscrit sur son programme les mots de conciliation, d’impartialité, d’indépendance, et cependant ce ministère, je l’ai combattu. Mais ce programme, nous avons toujours soutenu qu’il ne l’avait pas fidèlement exécuté. Ce programme était sage et gouvernemental ; la conduite du ministère d’alors fut faible et partiale.

En avril 1843, ce ministère fut profondément modifié. Cinq ministres nouveaux ont remplacé cinq ministres démissionnaires. Ce changement, tout incomplet qu’il fut, a été, il faut le reconnaître, à l’avantage de l’opinion libérale ; elle doit trouver plus de garantie dans le ministère actuel que dans le ministère qui l’a précédé.

Quels furent, en effet, les deux grands griefs de l’opposition contre le ministère du 13 avril 1841 ? Le premier fut sa conduite dans les élections de 1841 ; le second fut sa conduite dans la réforme de la loi d’organisation communale.

Aux élections de 1841, le ministère chercha à éliminer de la représentation nationale les hommes les plus éminents de l’opinion libérale, des hommes qui avaient rendu de grands services à la patrie.

Dans la discussion de la loi d’organisation communale, il subit une volonté qui n’était pas la sienne, et nous eûmes alors, comme le disait un de mes honorables amis, nous eûmes le spectacle d’un gouvernement en dehors du ministère.

Ces deux fautes capitales ne se sont pas renouvelées depuis la formation du ministère actuel.

Des élections ont eu lieu en 1843 ; je pense qu’aucun des membres, soumis alors à la réélection, ne peut accuser le gouvernement d’avoir travaillé à son élimination.

Du reste, on diffère beaucoup, messieurs, sur la question de savoir jusqu’où doit aller l’intervention du gouvernement dans les élections. J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer mon opinion sur ce point dans cette enceinte ; j’ai toujours pensé que l’action du gouvernement devait être purement persuasive (page 589) ; qu’il ne devait pas agir par promesse ou par menace, que ce serait alors de la corruption électorale. Eh bien, c’est cette doctrine que nous trouvons appliquée, en 1843, dans la circulaire d’un de nos ministres à ses subordonnés. Or, je désire vivement, dans l’intérêt du gouvernement lui-même, que cette doctrine soit encore appliquée aux élections de 1845.

Nous approchons, messieurs, de l’époque de ces élections ; dans quelques mois, les électeurs vont avoir à se prononcer sur leurs mandataires et sur le système gouvernemental. Ces circonstances ne sont-elles pas aussi de nature à exercer une certaine influence sur la question ministérielle ? Je soumets cette question à l’appréciation de mes honorables amis. Je conçois cependant, messieurs, que dans la situation actuelle beaucoup d’hommes sages et modérés, animés d’un esprit gouvernemental, désirent une modification du cabinet. Il est, en effet, dans les gouvernements constitutionnels, un moment où un ministre a fait son temps, quelque capable qu’il puisse être ; où sa capacité est paralysée par l’opposition qu’il soulève ; où sa présence n’est plus qu’un embarras, une cause permanente d’irritation et de lutte perpétuelle ; où son impopularité devient même nuisible à la dignité et à la considération du pouvoir.

Dans la situation actuelle, je conçois donc les désirs qui se manifestent en ce sens ; mais, je le déclare en même temps, je verrais à regret la retraite de tous les membres du ministère, et je ne puis m’associer à un vote qui entraînerait nécessairement cette conséquence. Je préfère encore le ministère actuel à l’avènement probable d’un ministère exclusif, hostile à l’opinion libérale, d’un ministère qui amènerait inévitablement à sa suite, tant dans cette chambre qu’au dehors, l’irritation et la guerre des partis, d’un ministère enfin, tel que celui que MM. les ministres des affaires étrangères et de la justice n’ont pas craint de qualifier de fatal au pays.

Messieurs, je n’en dirai pas davantage. J’ai voulu seulement motiver mon vote ; j’ai voulu qu’on ne pût lui donner une autre signification que celle que je viens de lui donner moi-même.

M. Verhaegen – Messieurs, si j’accepte comme sincère les paroles prononcées au nom du ministère, au moins aujourd’hui la question de cabinet est définitivement posée ; mais qu’il me soit permis de le dire, il n’y aura de la sincérité dans cette position que pour autant que le ministère adopte les observations qu j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre dans une précédente séance, lorsqu’il ne s’agissait encore que d’un incident. S’il en était autrement, la question de cabinet ne serait qu’une nouvelle mystification à ajouter à tant d’autres.

Lorsqu’une question de cabinet est posée, franchement et sans arrière-pensée, il faut que le ministère laisse à ses agents une entière indépendance ; il faut qu’avant le vote il les dégage de tout lien envers lui ; qu’il leur dise qu’en acceptant la chambre comme juge de sa conduite, il ne récuse pas les fonctionnaires publics qui y siègent, il faut qu’il les rassure sur le résultat de leur vote quel qu’il soit ; il faut, en un mot, qu’il rétracte certaines opinions qui s’était produite naguère dans cette enceinte, et d’après laquelle les votes des agents du gouvernement siégeant dans la chambre ne sont libres que dans les questions qui ne se rattachent pas à une existence ministérielle.

Messieurs, j’avais, dans une séance précédente, fait sur ce point une interpellation formelle au ministère ; le ministère s’est tu, je suis donc autorisé à croire qu’il adhère au principe que j’ai développé.

Osons le dire, messieurs : quelle que soit l’indépendance de caractère qui guide chacun des membres de cette assemblée, il y a cependant derrière cette indépendance de caractère, une dépendance de position résultant des antécédents même que M. Nothomb s’est permis dans des circonstances solennelles.

Ces observations, messieurs, étaient indispensables d’après la composition de la chambre. Que le ministère accepte franchement la lutte et qu’il consente que la chambre toute entière, sans en excepter les fonctionnaires publics, se prononce et sur ses actes et sur ses tendances.

La question de cabinet étant ainsi nettement posée avec les garanties que nous réclamons pour les fonctionnaires publics, et tous les membres du cabinet s’étant déclarés solidaires, ce n’est plus d’un seul ministre, c’est du cabinet tout entier que nous avons à nous entretenir.

Je ne m’occuperai donc plus spécialement de M. le ministre de l'intérieur. Trop souvent, j’ai présenté dans cette enceinte les griefs personnels que j’avais contre lui ; trop souvent, ces griefs ont été développés par d’autres orateurs, sans toutefois que le succès ait couronné nos efforts communs. Je ne pourrais, en effet, dire à M. le ministre de l'intérieur que ce que je lui ai répété à satiété ; d’ailleurs, comme la question n’est plus une question de personnes, mais une question de cabinet, j’aurai à parler plus tard des actes de M. le ministre de l'intérieur, depuis l’entrée de ses collègues au pouvoir ; mais ce sera alors pour formuler des griefs contre le cabinet tout entier.

Messieurs, si je ne vous parle pas en ce moment de M. Nothomb personnellement, j’ai toutefois à vous entretenir de chacun de ses collègues. Et d’abord j’ai à vous parler de M. le ministre des finances, qui est venu prendre place à côté de M. le ministre de l'intérieur.

S’il n’y avait eu que la présence seule de M. Mercier au banc ministériel, c’eût été une raison suffisante pour éveiller ma méfiance contre le cabinet.

La réponse au moins imprudente qui a été faite par M. Mercier à un de mes honorables amis, m’engage à vous dire sur son compte toute ma pensée.

A en croire M. Mercier, il n’y avait pour lui aucun inconvénient à prendre place dans le cabinet à côté du ministre de l’intérieur. « Jamais, il n’avait attaqué personnellement M. Nothomb, jamais, quand il se trouvait parmi nous, il ne s’était occupé de questions politiques ; ses allures étaient toujours franches et nettes, aucun antécédent ne devait l’arrêter. » Voilà à peu près ce qu’il a dit dans la séance d’avant-hier.

Mais M. Mercier a-t-il oublié ce qui s’est passé ?

Faut-il donc que je vienne lui rafraîchir la mémoire ? Comment, M. Mercier ! vos attaques n’étaient pas directement dirigées contre M. le ministre de l'intérieur ? Comment ! vous ne vous occupiez pas de discussions politiques ; ce que vous disiez dans la séance du 16 mars, n’avait rien de commun avec la politique ! Il n’y avait là rien d’hostile au ministre de l’intérieur au sort duquel vous alliez vous associer ! Quoi ! tout cela se réduisait à des questions de détails insignifiantes en elles-mêmes !

Puisqu’il le faut, je rappellerai à M. Mercier les paroles qu’il a prononcées dans la séance du 16 mars 1843, et que j’ai extraites du Moniteur. C’était dans la discussion de la loi sur les fraudes électorales, loi tout à fait politique, loi, dans tous les cas, que l’honorable M. Mercier avait rendue lui-même politique par ses faits et par ses gestes, loi d’autant plus politique, dans l’intention de M. Mercier, que c’était lui qui, au nom de l’opinion libérale, en avait pris l’initiative, par sa motion du 14 décembre 1842, renouvelée en termes plus explicites le 21 janvier 1843. C’était alors la seule loi politique à l’ordre du jour. Encore une fois c’est M. Mercier qui a provoqué, en notre nom, la discussion qui a eu tant de retentissement, c’est lui qui, dans nos réunions, avait réclamé l’honneur de l’initiative.

Voici ce que disait l’honorable M. Mercier dans la séance du 16 mars :

« Si aujourd’hui la division des partis est plus vivace que jamais, ce n’est pas à l’insuffisance des lois qu’il faut attribuer cet état de choses ; si des symptômes de surexcitation se manifestent, c’est que les partis sont abandonnés à eux-mêmes sans qu’un pouvoir modérateur, entouré de la confiance du pays, vienne, par une sage influence, s’interposer entre eux ; c’est qu’on ne croit pas à l’impartialité, à la fermeté de ceux qui sont à la tête des affaires (et il a accepté cette tête) ; c’est que le cabinet n’exerce aucun ascendant moral sur la nation.

Un ancien ami politique de M. Mercier, et qui se dit encore son ami politique aujourd’hui, s’est exprimé dans la même séance de la manière suivante :

« Je dirai à mon tour, disait l’honorable M. d’Hoffschmidt, je dirai à l’honorable M. Nothomb : est-ce notre faute à nous si vos actes sont devenus l’objet de notre défiance et de notre suspicion ? Est-ce notre faute à nous si les hommes les plus modérés de l’opinion libérale, si les administrateurs de votre talent, si vos anciens amis, si nous tous enfin nous ne pouvons pas vous suivre dans la ligne de conduite que vous avez adoptée ; mais la faute, songez-y bien, la faute est à vous. Votre programme, l’avez-vous observé ? Il nous promettait un ministère mixte, un ministère de conciliation ; eh bien ! vous n’avez pas tenu vos promesses. Comment alors eussions-nous pu vous suivre ? Il aurait donc fallu faire violence à nos convictions, et quant à moi, je ne le ferai jamais pour personne. »

M. d’Hoffschmidt, dans la session de 1841-1842, disait encore :

« Le résultat le plus certain des événements d’avril, c’est d’avoir suscité des animosités nouvelles, c’est d’avoir causé une division plus profonde entre les deux grandes opinions qui existent en Belgique, c’est d’avoir rendu leur conciliation beaucoup plus difficile. »

Et son langage n’a jamais varié. Dans la discussion du budget des voies et moyens de 1843, il s’exprimait ainsi :

« Je regrette le système politique du ministère comme nuisible aux intérêts du pays.

« Si, après avoir voté bon nombre de lois, expédié bien des affaires, nous trouvons le pays plus mécontent, les haines politiques plus vives, la division des esprits plus profonde, le trésor public plus obéré, le pouvoir moins considéré, aurions-nous donc des félicitations à adresser au ministère et à son système gouvernemental ?

« Les vices de son origine, la conduite partiale tenue par lui dans les élections de 1841 lui rendaient nécessairement le rôle de conciliation impossible. »

Et aujourd’hui, à en croire l’honorable préopinant, tout serait changé comme par enchantement ; le pays ne serait plus mécontent, les haines politiques seraient calmées, la division des esprits aurait cessé, le trésor serait remis à flot, le pouvoir aurait reconquis sa considération ; tout serait au mieux, et cependant la direction du pouvoir est restée ce qu’elle était avant la seconde entrée de M. mercier au ministère, car celui qui dirigeait les affaires à cette époque est encore celui qui les dirige aujourd’hui.

Il n’y a eu dans tout le discours que je viens d’entendre que des mercuriales contre un seul homme, dont cependant on vante le talent ; et ces mercuriales, M. Nothomb a été obligé de les entendre dans la bouche d’un homme qui se dit encore l’ami politique de M. Mercier, de M. Mercier qui lui a été signalé naguère comme son plus cruel ennemi, alors qu’il était déjà assis avec lui sur le banc ministériel !

M. le ministre de l'intérieur sera-t-il enfin convaincu que l’homme qui a trahi ses anciens amis cherche encore en ce moment à trahir un ou plusieurs de ses nouveaux collègues ?

Messieurs, il semble que M. Mercier ait aujourd’hui tout oublié. Ne se rappelle-t-il plus que le discours qu’il a prononcé dans la séance du 16 décembre 1842, lui avait été inspiré par des idées communes ; que ce n’étaient pas seulement ses inspirations à lui, mais nos inspirations à nous tous, qu’il avait mises à profit ? L’opinion de M. Mercier était-elle donc autre que la nôtre, je pourrais dire que la mienne ; car jamais M. Mercier n’a trouvé qu’en présentant telle ou telle thèse, j’étais allé trop loin ; au contraire, en me félicitant de ma modération dans certaines circonstances, il m’engageait à franchir les limites que je m’étais imposées ; mais, messieurs, (page 590), c’est que les hommes changent avec les temps et que les temps amènent des positions.

Messieurs, il n’y a qu’une différence entre mon ancien ami et moi : c’est que lui est changé et que moi je suis resté le même : je dis mon ancien ami, car force m’a été de rompre des relations qui, dans mon opinion, seraient devenues compromettantes ! Quoi, M. Mercier a oublié tout ce qui s’est passé entre nous ! Comme je le disais tantôt, c’est lui qui a réclamé l’honneur de l’initiative de cette proposition de loi, de sa nature, de son essence politique, c’est lui qui, au mois de décembre 1842, parlant au nom de l’opinion libérale, est venu en jeter les bases dans cette enceinte, c’est lui qui l’a développée au mois de janvier suivant, et il ose répudier tous ses antécédents !

Messieurs, M. Mercier ne m’accusera pas de sortir des bornes parlementaires. J’avais à lui répondre concernant des assertions que j’ai trouvées dans le Moniteur, et que je ne pouvais pas laisser inaperçues ; j’étais dans le cas de la légitime défense.

Messieurs, les principes qui m’ont guidés dans le but que j’avais à poursuivre en commun avec M. Mercier et d’autres amis politiques, je puis les avouer hautement ; et quant à moi, je n’y ai jamais failli. M. Mercier ne pourrait pas en dire autant.

Messieurs, mes adversaires politiques eux-mêmes me rendront la justice d’avouer que, quand j’ai fait de l’opposition, je l’ai faite de conviction, sans arrière-pensée, et sans qu’il dût en résulter pour moi aucun profit personnel. Lorsque sur ces bancs, à côté de M. Mercier, je prenais part à des discussions chaleureuses, je n’avais rien à attendre de la chute d’un cabinet, ma position était telle qu’on ne pouvait pas suspecter mes intentions, et si en ce moment je fais encore de l’opposition, tout le monde sait bien que je n’ai rien personnellement à gagner au renversement du cabinet ; que je resterai après ce que j’étais avant. C’est parce que mon opposition est désintéressée et qu’elle n’est que le résultat d’une conviction profonde que j’ai le droit de tout dire et de parler haut.

M. Mercier qui toujours avait été d’accord avec nous, qui avait puisé ses inspirations dans nos réunions de la rues de l’Escalier, M. Mercier vient aujourd’hui tout travestir, et donne à ses amis un démenti par une conduite qui devient vraiment inexplicable. – Quoi ! M. Mercier, nous aurions été les ressorts que vous auriez mis en mouvement ! votre discours du 16 mars n’aurait été qu’une manœuvre ! nous aurions été assez crédules pour nous en rapporter à vos protestations, et quand vous auriez atteint votre but il vous aurait été permis de nous abandonner et nous aurions dû vous laisser jouir en paix de votre portefeuille !

Messieurs, ce qui est digne de votre attention toute spéciale, c’est un petit rapprochement de date. Vous savez que c’était le 16 mars 1843 que M. Mercier tenait le langage que je vous ai fait connaître, et c’est le 16 avril, juste un mois après que ce même M. Mercier est venu s’asseoir à côté de M. Nothomb, dont il avait si amèrement condamné la politique, je dirai même qu’il avait poursuivi de ses sarcasmes et de son mépris !

Que répondra à cela M. Mercier ? Dira-t-il que, dans l’intérêt du pays, il a dû faire violence à ses convictions ? A une autre époque, M. Mercier avait donc aussi fait violence à ses convictions, en se plaçant à côté d’autres collègues qu’il répudie aujourd’hui ? Naguère aussi il avait profité de la chute du ministère de Theux ; cette chute lui avait valu le portefeuille des finances. C’était la récompense de son opposition d’alors, et il n’aurait pas dû oublier ceux qui l’avaient placé sur le pavois.

Mais l’excuse de M. Mercier est inadmissible, d’après ce que nous a dit M. Nothomb ; la chose est vraiment curieuse. M. Nothomb nous disait dans la séance d’hier : « J’ai donné ma démission avec tous les membres de l’ancien cabinet, et, pour entrer dans le cabinet actuel il a fallu l’autorisation formelle donnée par mes anciens collègues, et la demande tout aussi formelle des collègues actuels. Dès lors, comment aurais-je pu persister à ne pas vouloir rester aux affaires ? »

Ainsi, c’est M. Mercier qui s’est mis à genoux devant M. Nothomb, si M. Nothomb, dit vrai, et j’aime à le croire cette fois, c’est M. Mercier dont vous connaissez l’opinion à l’égard de M. Nothomb qui s’est mis à genoux pour le prier de rester aux affaires. Le spectacle est vraiment édifiant !

Après ce que je viens de dire je n’ai plus rien à ajouter sur ce point, les hommes sont jugés !

M. Mercier donnera-t-il un démenti à M. Nothomb ? Ou acceptera-t-il la position que M. Nothomb lui a faite ?

Mais ce n’est pas seulement dans des discours que je trouve de la part de M. Mercier ce revirement d’opinions que je lui reproche malgré moi. Il y a des faits nombreux qui viennent à l’appui de mes assertions ; et pour abréger (car le temps nous presse) je n’en citerai qu’un seul, mais très-significatif. M. Mercier se rappelle-t-il qu’à certaine époque il combattait, et plus violemment qu’aucun autre, l’élection d’un de ses collègues qu’il a appuyée depuis ?

Si l’on me force à donner des explications, je pourrais les donner.

Plusieurs membres – Donnez-les.

M. Verhaegen – Personne ne peut se tromper sur le fait. Si M. le ministre des finances me met dans la nécessité de donner des explications, je les donnerai, mais alors sans réserve aucune. Pour le moment, je n’irai pas plus loin. J’attendrai la réponse de M. Mercier.

Et, messieurs, était-ce le moment de venir nous parler de certaines élections, comme l’a fait tout à l’heure l’honorable M.d’Hoffschmidt ? Il fait au premier ministère de M. Nothomb le reproche d’avoir procédé avec partialité dans les élections. « C’était des hommes notables de l’opinion libérale, a-t-il dit, qu’on avait voulu écarter. Mais quand d’autres hommes sont venus se placer à côté de M. Nothomb, il n’en a plus été ainsi. Depuis lors, il y a eu loyauté, franchise. Tout a marché au mieux. » Si je ne me trompe pas, c’est alors que certains honorables membres, mais d’une autre opinion que celle à laquelle nous avons l’honneur d’appartenir ont laissé leur mandat sur le terrain électoral.

Je conclus de là que l’homme qui dirige nos affaires et au sort de qui vous vous êtes tous associés, MM. les ministres, a voulu abattre toutes les têtes pour ne régner que sur des cadavres.

M. le président – C’est sans doute dans l’improvisation que ces expressions sont échappées à l’honorable préopinant.

M. Verhaegen – Figure de rhétorique, M. le président ! (Hilarité générale et prolongée.)

Je ne veux pas aller plus loin, et je m’arrêté en ce qui concerne M. Mercier.

Je crois, messieurs, être dans de justes limites ; j’ai défendu mon opinion contre les attaques d’un ancien ami. Je me réserve de revenir sur ce point, si M. le ministre des finances m’en fournit l’occasion.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je demande la parole.

M. Verhaegen – Oh ! Je n’ai pas fini. (On rit.)

Il y a au ministère un autre homme aux convictions duquel je rendais naguère hommage ; car je ne refuse pas mon estime à ceux qui ne partagent pas mes opinions. L’honorable M. Dechamps n’avait pas encore été l’objet de mes attaques. Je le considérais dans ce ministère qu’on appelait autrefois ministère mixte, et que le ministre de la justice appelle aujourd’hui homogène, comme le représentant d’une opinion à laquelle il se faisait honneur d’appartenir. Si ses convictions étaient restées, depuis son entrée au ministère ce qu’elles étaient avant, je n’aurais eu peut-être aucun reproche à lui adresser, je n’aurais pas partagé ses opinions mais je lui aurais conservé mon estime, tout en le combattant franchement et noblement ; car, j’aime à le dire, je ne considère pas comme des ennemis personnels, soit au dehors soi au-dedans de cette chambre, mes adversaires politiques. Ces messieurs me rendront à cet égard la justice qui m’est due ; j’aime beaucoup mieux (et je le dis encore) j’estime beaucoup plus un adversaire politique franc et loyal qu’un ancien ami transfuge qui spécule sur son apostasie ! Disons-le ouvertement, celui qui abandonne une opinion pour en embrasser une autre ne sera pas éloigné d’abandonner cette autre opinion lorsque son intérêt l’exigera.

Mais l’honorable M. Dechamps est-il resté ce qu’il était ? C’était peut-être à ses amis politiques à lui adresser les premiers reproches. Mais je puis dire cependant à l’honorable membre, sans aller trop loin, que dans la discussion de la loi sur le jury universitaire, le spectacle qu’il nous a offert n’a pas été édifiant. Nous savons aujourd’hui que le projet de loi, concernant les jurys d’examen, comme tous les autres projets de loi, avait été présenté de commun accord, qu’il avait été discuté en conseil des ministres. C’est M. Nothomb qui nous l’a appris. Tous les ministres d’ailleurs se sont déclarés solidaires. Ainsi l’honorable M. Dechamps avait sa part dans le projet de loi sur le jury ; si le projet de loi avait son assentiment, il devait le défendre ; car ses convictions devaient être unes ; elles devaient rester les mêmes ; s’il en était autrement, il devait se retirer.

Ce n’est que lorsque ses amis lui ont fait représentation qu’au lieu de sortir du ministère, ce qui était son devoir, il a quitté le banc ministériel pour reprendre son ancienne place d’où il a entendu en amateur toute la discussion, bien résolu de redescendre au banc ministériel, après la discussion et le vote.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je demande la parole.

M. Verhaegen – Quelle que soit l’estime que j’ai professée pour l’honorable M. Dechamps, pour un adversaire politique que je croyais sincère, cette estime a cessé et a été remplace par un autre sentiment, et je suis convaincu qu’il manquait à l’honorable M. Dechamps cette fermeté qui est indispensable à l’homme d’Etat.

Pour éviter des redites, je ne reviendrai pas sur les observations qui ont déjà été faites sur certains autres revirements de l’honorable M. Dechamps. Son changement d’opinion dans la loi communale et dans les lois électorales justifie encore l’opposition que je lui fais en ce moment.

Nous avons ensuite, au banc des ministres, deux hommes à l’égard desquels nous avions fait nos réserves, sur le compte desquels nous avions suspendu notre opinion. Nous ne voulions pas faire une opposition quand même, une opposition systématique et tracassière et nous l’avons prouvée en mainte circonstance. Nous avions dit que nous attendrions les honorables MM. d’Anethan et Goblet à leurs actes. Je crois que ces honorables ministres n’ont jamais eu à se plaindre de nos procédés à leur égard ; mais des actes nous ont donné la conviction que ces messieurs, pas plus que leurs collèges, ne méritaient notre confiance.

Commençons par l’honorable M. Goblet. Qu’a donc fait pour notre opinion l’honorable général, qui, d’après les insinuations que j’ai entendues hier, n’était entré dans le ministère que pour donner des garanties à l’opinion libérale ? Le gage à donner à l’opinion libérale, c’était d’après la présentation du projet de loi sur les jurys d’examen.

On a parlé diversement de l’opinion de certains ministres sur le but de la présentation. Mais quant à l’honorable M. Goblet, il se la rappellera fort bien, il n’en a pas fait mystère ; le projet de loi qui devait être une satisfaction donnée à l’opinion libérale était une des conditions de son entrée au cabinet. C’était un pas de droite à gauche ; les expressions dont s’est servi M. le général Goblet en maintes circonstances le prouvent à l’évidence.

Nous aurions donc à témoigner à l’honorable général Goblet toute notre reconnaissance, s’il avait amené à bon port la loi sur les jurys d’examen ; nous aurions à le féliciter. Mais, malheureusement, il semble que le contact gâte les hommes. La conduite tenue par l’honorable M. Goblet dans la discussion de cette loi a tout bouleversé. La loi a été complètement contraire à (page 591) à ce qu’il avait annoncé ; son opinion première, il l’a abandonnée ; nous qui défendions la prérogative royale, nous qui dans cette circonstance nous étions montrés gouvernementaux, nous qui sommes restés gouvernementaux, nous avons été abandonnés ; les ministres, y compris M. Goblet, ont reculé et nous ont laissés sur la brèche.

Si M. Goblet s’était retiré à cette époque du ministère, il aurait emporté avec lui nos sympathies et nos regrets ; il serait resté ce qu’il nous avait annoncé devoir être dans le principe. Mais il a changé, ce n’est pas nous qui l’avons abandonné ; c’est lui qui a abandonné ceux vers lesquels il voulait faire un retour.

J’arrive à M. le ministre de la justice. Bien longtemps, messieurs, et d’une manière très favorable, je dois le dire, j’avais connu l’honorable M. d’Anethan. J’avais eu foi dans ses promesses, j’avais pensé que le nouveau ministre de la justice pouvait faire quelque chose en prenant part au gouvernement du pays. Mes amis et moi nous avons tenu à son égard la même réserve que nous avons tenues à l’égard du général Goblet. Nous ne nous sommes pas arrêtés à quelques circonstances insignifiantes ; nous n’avons pas suspecté ses intentions. Nous avons attendu des faits, et les faits sont venus nous donner la conviction que le contact qui avait gâté d’autres avait aussi gâte M. le ministre de la justice.

D’abord, ce qui m’a fait faire des réflexions sérieuses, c’est cette place d’avocat général à la cour de cassation qu’on a laissé vacante pendant neuf mois. Il serait difficile à M. le ministre de la justice de nous donner une raison quelconque de cette vacature.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Une fort simple.

M. Verhaegen – J’attendrai les explications et je n’en dirai pas davantage pour le moment sur ce point.

Mais ce que je reproche spécialement à M. le ministre de la justice, c’est d’avoir suivi cette voie fâcheuse, et qui discrédite le gouvernement dans la collation des places et surtout de places de notaires. Ce n’est plus au mérite, ce n’est plus à l’ancienneté que l’on s’attache. Les places sont devenues un moyen de s’affermir au pouvoir ; les places sont devenues des ressorts électoraux.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Cela n’est pas exact.

M. Verhaegen – Puisque nous parlons de notaires, je dirai que, lorsque j’ai vu paraître certaines circulaires de M. le ministre de la justice, celle du 16 novembre 1843, je croyais réellement à un changement de système pour la collation des places de notaires. Cette circulaire était dictée par des sentiments de loyauté et d’équité qui devraient faire la base de tous les systèmes ministériels, et je ne suis pas fâché de vous en donner lecture, pour vous démontrer ensuite que M. le ministre de la justice, après avoir si bien dit, a mal fait. Car les actes qui ont suivi cette circulaire ne répondent pas à ses paroles, et c’est surtout cette circonstance, messieurs, qui m’a fait changer complètement d’opinion sur le compte de M. le ministre de la justice.

Cette circulaire porte :

« Nos lois ne permettent la transmission à prix d’argent d’aucun office ou charge dont les titulaires sont nommés par le gouvernement. »

L’arrêté du 16 mars 1831 a posé, en ce qui concerne spécialement le notariat, des principes dont le maintien rigoureux est impérieusement réclamé par des considérations d’intérêt public et pour l’avenir de cette institution elle-même.

« Cependant il arrive souvent que, bien que la démission pure et simple du titulaire fût exigée, que des arrangements ont été conclus entre lui et l’un des candidats qui pouvaient aspirer à le remplacer et que l’on a invoqué ces arrangements comme titre à l’obtention de la place.

« Cet abus se généralise de jour en jour, il s’est parfois étendu à d’autres fonctions, telles que celles d’avoué, de huissier et de greffier. Si le gouvernement avait égard à de semblables arrangements, il ne serait plus libre dans la collation des places qui ne sont point vénales, et que les titulaires ont obtenu à titre gratuit. Les candidats peu favorisés de la fortune pourraient difficilement aspirer à des fonctions qui, sans autre cause de préférence que le mérite personnel ou les services rendus, et s’ils parvenaient à ces fonctions ce ne serait qu’après avoir fait des sacrifices, ou contracté des dettes qui les placeraient dans un position gênée, dès le début de leur carrière. Ces inconvénients graves m’engagent à vous faire connaître ma détermination, de maintenir la rigoureuse application des principes ci-dessus posés.

« Dès que les candidats sauront que ces conventions contraires à la loi, loin d’être un titre pour eux, seront plutôt un obstacle à leur nomination, il est à espérer qu’ils éviteront de les conclure et que les abus que j’ai signalés ne se reproduiront plus. »

C’était, messieurs, une circulaire modèle ; c’était réellement proclamer les vrais principes de justice et de loyauté. On pouvait dire que c’était là le véritable langage d’un ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je ne m’en suis pas écarté.

M. Verhaegen – Je vais prouver le contraire ; je n’ai qu’à ouvrir le Moniteur. Je tiens, dans cette circonstance solennelle, à ne rien dire dont je ne puisse apporter les preuves.

Cette circulaire si belle, messieurs, et que moi-même je vante bien haut, a-t-elle été suivie de résultats ?

Pour procéder comme le voulait l’honorable ministre de la justice, lorsque un notaire veut se démettre de ses fonctions, il doit donner sa démission d’une manière pure et simple. Cette démission doit être connue de tous ceux qui ont des droits à faire valoir pour obtenir la place vacante. Les autorités doivent être consultées sur la demande des candidats. La chambre des notaires donne son avis ; le procureur du Roi donne le sien, le procureur général, le gouverneur sont consultés, et ce n’est que lorsque l’on a sous les yeux toutes les requêtes, tous les avis, que l’on examine alors quel est celui des candidats qui présente le plus de garanties, celui qui a le plus de mérité ; celui qui, à raison de son âge, à raison de sa position d’ancienneté, a le droit de venir remplacer celui qui se démet. Si c’est un notaire d’une ville secondaire qui renonce à sa place, il se présente des notaires de campagne ; si c’est un notaire d’une ville principale, viennent comme candidats des notaires de villes moins importantes.

C’est là, messieurs, ce que proclamait M. le ministre de la justice le 16 novembre 1843, et le 29 décembre suivant il nomme dans une ville principale, le commis d’un notaire qui donnait sa démission mais non purement et simplement, et il fait cette nomination en acceptant, par le même arrêté, la démission. De sorte, messieurs, qu’il n’y a eu ni démission préalable, ni avis donné. Ouvrez le Moniteur du 29 décembre et vous y verrez un arrêté nommé M…, candidat notaire, à une place de notaire dans une ville du Limbourg, en remplacement de M… dont la démission est acceptée. Je ne nomme pas les personnes, j’ai des raisons pour ne pas les nommer, et la chambre approuvera ma réserve.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Nommez-les.

M. Verhaegen – Si on le veut, je les nommerai. (Non ! non !)

M. Delfosse – On n’a qu’à ouvrir le Moniteur.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – C’est ce que je vais faire.

M. Verhaegen – C’est le 29 décembre 1843, que, dans une ville principale, un candidat notaire, obtenant la préférence sur tous les notaires des villes accessoires, de campagnes, et sur les plus anciens candidats, est nommé en remplacement de celui dont il dirigeait le bureau, et dont le même arrêté acceptait la démission !

Vous aviez dit, M. le ministre, que ces fonctionnaires ne devaient pas se mettre dans le cas de faire des dettes pour arriver à cette position. Eh bien ! j’ai à ajouter que tout ce que vous avez voulu éviter par votre circulaire est arrivé.

La chambre me tiendra compte de ma réserve, et si, dans ma réplique, on veut que je donne des explications, je les fournirai. Du reste, le Moniteur est là.

Voilà, messieurs, de quelle manière a procédé M. le ministre de la justice après sa circulaire-modèle.

Je disais, messieurs, que les places n’étaient plus données aux plus méritants, mais qu’elles devenaient des moyens électoraux, je puis dire encore qu’elles deviennent autre chose dans les mains de nos hommes d’Etat. Il me peine de devoir le dire, messieurs, mais mon mandat m’y oblige, c’est encore M. le ministre de la justice, d’accord avec tous ses collègues (car ils sont solidaires de tous ces actes), qui vient de donner au pays un exemple fâcheux d’une préférence accordée à un homme au détriment d’une foule d’ayant droit et en même temps au détriment du trésor public.

Nous avions à Bruxelles des receveurs qui touchaient un tantième d’après une échelle de proportion décroissante. Il fallait une place ! Comment s’y est-on pris ? On a divisé une recette. Le titulaire de cette recette n’avait pas demandé sa démission on la lui a donnée, et la pension en a été la conséquence. L’Etat y perd doublement. Et qui nomme-t-on à cette place ? Croyez-vous que ce soit un receveur d’une ville accessoire, un receveur d’une commune rurale, un des nombreux candidats qui y ont des droits, un de ces hommes signalés par le décret du gouvernement provisoire de 1831, pour lesquels le congrès avait à bon droit établi une préférence ? Non, on donne la préférence à un homme qui n’avait jamais occupé de fonctions sous notre gouvernement, on donne la préférence à un frère de M. le ministre de la justice.

M. Mercier a l’air de repousser mes allégations ; mais c’est un acte qui émane de lui, c’est un acte de complaisance de sa part, enfin c’est un acte dont tout le ministère est responsable, et cette nomination, je le dis à cette tribune, cette nomination est injustifiable.

En voilà assez, pour le moment, en ce qui concerne M. le ministre de la justice.

Dirai-je quelque chose de l’honorable ministre de la guerre ? (Interruption.)

Je ne suis encore ici qu’à la partie vraiment politique de la discussion, et j’aurai pu passer sous silence ce qui concerne M. le ministre de la guerre. L’honorable général du Pont, auquel je n’ai jamais refusé mon estime, le général du Pont n’est pas un homme politique ; je ne pense pas qu’il soit plus homme politique que ne l’était le général Evain, que ne l’était le général de Liem, que ne l’était feu le général Buzen.

Le général du Pont qui, comme on le disait hier, peut avoir de très-bonnes intentions pour l’armée, et qui nous aurait rencontré comme un de ses défenseurs ; car je le déclare tout haut, je défendrai le budget de la guerre cette année, comme je l’ai défendu les années précédentes, le général du Pont aura-t-il les moyens de faire prévaloir son opinion ? Si le cabinet restait debout il arriverait au général du Pont ce qui est arrivé au général de Liem.

Cependant, tout en rendant justice aux intentions du général du Pont, quant à l’armée, en général je ne puis pas laisser passer un grief que j’ai contre son administration et sur lequel je prie l’honorable général de fixer son attention. Les nominations au choix m’ont péniblement affecté. Les nombreuses nominations au choix ont, d’après moi, déçu bien des espérances fondées, semé bien des méfiances. Il résulte de ces nominations qu’une centaine de capitaines (et je ne vais pas trop loin) sont signalés au pays et à l’étranger comme incapables de remplir le poste de lieutenant-colonel, et ainsi de suite.

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – C’est l’exécution de la loi.

(page 592) M. Verhaegen – C’est là le seul reproche que j’adresse actuellement à M. le ministre de la guerre, et je ne pense pas que l’honorable général ait lieu de se plaindre de mon observation.

Voilà, messieurs, ce que j’avais à dire à chacun des ministres. Vous aurez été étonnés peut-être que je n’aie rien dit spécialement contre M. le ministre de l'intérieur. Mais, messieurs, je lui en avait trop dit les années précédentes. N’avais-je pas déroulé tous les griefs que j’avais à faire contre M. Nothomb, et vraiment j’aurais cru me manquer à moi-même, manquer à mon caractère, manquer à mon opinion, si j’étais venu reproduire ces griefs toujours nombreux, toujours vivaces, car en définitive, tout cela n’a rien produit ! Oui, M. Nothomb, vous avez eu des échecs, de nombreux échecs, des échecs très-significatifs. Mais ces échecs, qui auraient engagé tout autre ministre à se retirer, vous ont laissé parfaitement tranquille sur votre siège. Tout se réduisait à des paroles et ces paroles restaient complètement perdues.

Je dois le dire franchement, messieurs, si la discussion n’était pas placée sur le terrain où elle se trouve, mon Dieu, j’aurais abandonné M. Nothomb à son sort ; j’aurai gémi des résultats de son administration pour le pays, mais j’aurais dit à la majorité : « Je fais partie de la minorité, » et la position de la minorité est belle aujourd’hui ; la minorité a signalé souvent à la chambre et au pays les griefs qu’elle avait à faire valoir contre le ministère. Elle a démontré qu’il ne s’agit ici ni des intérêts de la droite ni des intérêts de la gauche, mais qu’il s’agit d’une question de haute moralité politique, qu’il s’agit de savoir si le scepticisme politique cessera et s’il y aura enfin au pouvoir des hommes appartenant à n’importe quelle opinion, mais, au moins que l’on puisse avouer, que l’on puisse combattre sérieusement et noblement s’ils s’écartent de la ligne tracée. J’aurais dit à la majorité : Vous avez en mains les moyens de briser le ministère ; le pays tout entier demande que vous le brisiez ; la minorité n’a pas le même pouvoir, elle doit rester spectatrice du résultat ; si vous assumez la responsabilité du maintien du cabinet, soit je n’ai plus d’objections à faire. Mon opinion ne peut qu’y gagner. Nous avons fait notre devoir, vous ne voulez pas faire le vôtre : à chacun donc la responsabilité de ses actes. Voilà le langage franc et loyal que j’aurais tenu.

Messieurs, la discussion s’est agrandie, les griefs que nous avons à faire valoir contre chacun des membres du cabinet sont devenus des griefs contre l’être moral qu’on appelle le ministère, car tous sont solidaires. Je n’ai fait valoir encore que quelques-uns des motifs d’opposition que j’ai contre chacun des ministres ; je me réserve, lorsque je prendrai plus tard une deuxième fois la parole, de résumer tous les griefs généraux que j’ai contre le cabinet tout entier.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ne suivrai pas l’honorable préopinant dans la série de griefs qu’il a articulés contre moi ; je lui demanderai seulement si le programme que nous avons arrêté est conforme aux exigences de la situation, conforme aux véritables intérêts du pays et si ce programme n’a pas été fidèlement rempli par nous ? Là se trouve la véritable question parlementaire. Je relèverai cependant une allégation qui a servi de base à la première partie du discours de l’honorable M. Verhaegen. L’honorable membre a prétendu que j’avais déclaré que je n’avais pris aucune part aux discussions politiques. Cela est inexact ; le contraire ressort des paroles que j’ai prononcées dans une précédente séance et qui sont reproduites au Moniteur.

Je n’ai point déclaré que je n’avais pas pris part aux discussions politiques mais j’ai fait observer que dans ces discussions je n’avais point attaqué personnellement l’honorable M. Nothomb. J’ai exprimé l’opinion, opinion consciencieuse, que le ministère de cette époque, tel qu’il était composé n’était pas de nature à pouvoir amener la conciliation des partis, à laquelle on faisait appel dans cette même discussion que l’honorable membre a citée. Quant aux débats qui ont eu lieu à l’occasion des fraudes électorales l’honorable membre a rappelé que j’avais alors revendiqué l’honneur de les dénoncer dans cette assemblée ; je suis loin de le contester ; mais la chambre n’aura pas oublié non plus, je l’espère, que je n’ai pas rattaché à cette révélation une question de parti.

M. Dumortier – Le contraire est bien évident pour tous les membres de la chambre.

M. le président – N’interrompez pas.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – La chambre tout entière, à l’exception de l’honorable interrupteur, se rappellera et attestera que je n’ai point rattaché à cette révélation une question de parti. J’ai répété, et mes discours sont là pour le prouver, j’ai répété plusieurs fois dans le cours de la discussion que je n’attribuais ces fraudes à aucun parti exclusivement. (Interruption.) Je m’étonne que l’honorable député de Tournay veuille contredire ce qui est consigné au Moniteur, ce qui peut être vérifié à l’instant même Je n’ai point attribué à un parti exclusivement les fraudes que j’ai signalées ; j’ai dit que des fraudes graves, nombreuses, se commettaient, que ces fraudes méritaient de fixer l’attention de l’assemblée et du gouvernement, qu’elles tendaient à vicier le régime représentatif ; ce que j’ai dit alors, si les mêmes circonstances se renouvelaient, je le dirais encore aujourd’hui, et comme membre du gouvernement, je me hâterais de porter remède au mal.

Messieurs, ainsi que je l’ai rappelé tout à l’heure, j’ai pensé que le ministère, tel qu’il était composé, ne pouvait amener la conciliation des partis ; j’ai indiqué les fautes que ce ministère me paraissait avoir commises. A la formation du nouveau cabinet, nous avons, de concert, arrêté un programme basé sur des principes d’union, d’impartialité et de conciliation ; nous l’avons adopté avec la ferme résolution de ne jamais nous en écarter ; nous voulions l’exécuter franchement et nous l’avons fait : dans les élections, dans cette chambre et dans l’administration publique, ces principes n’ont cessé de présider à notre conduite. Les seules questions qui soient dignes d’être agitées dans cette enceinte sont celles qui se rapportent à notre programme et à son exécution ; c’est sur ce terrain que l’on doit se placer. Dans les élections, nous avons fait un appel à la modération, nous avons agi avec une entière impartialité ; j’ose le déclarer de nouveau dans cette chambre, et je ne crains pas d’être démenti ; c’est parce que notre programme a été fidèlement rempli que l’honorable M. d’Hoffschmidt et d’autres parmi nos anciens amis qui n’appuyaient point le cabinet précédent, déclarent donner leur adhésion au cabinet actuel.

L’honorable M. Verhaegen a critiqué quelques faits d’administration. Il a parlé de la division des recettes de la ville de Bruxelles ; cette division, messieurs, a été faite dans un but purement administratif, et non dans l’intention de créer des positions pour telles ou telles personnes. Deux receveurs de la ville de Bruxelles sont en ce moment même et depuis plusieurs mois en instance près de mon département pour obtenir leur pension de retraite ; ils peuvent attester par des certificats revêtus de signatures honorables, qu’ils ne sont plus en état de remplir personnellement leurs fonctions. Eh bien, dans l’intérêt du trésor, j’ai refusé jusqu’ici d’accepter leur démission. Vous voyez donc, messieurs, qu’il n’y avait aucune nécessité de créer des positions pour qui que ce soit, comme on l’a supposé ; je pouvais admettre ces fonctionnaires à la retraite, et dès lors j’aurais eu plusieurs emplois importants à ma disposition.

La recette de la ville de Bruxelles, dont a parlé l’honorable M. Verhaegen a été divisée, je le répète, dans un but purement administratif, dans l’intérêt du trésor. La division des bureaux trop importants a, du reste, été commencée, il y a environ six ans ; à cette époque, on a partagé en deux bureaux la recette de l’enregistrement de Bruxelles, qui a été jugée trop considérable pour n’en former qu’un seul ; plus tard d’autres divisions ont été faites ; la recette des douanes et accises a été également partagée, parce qu’elle était aussi trop compliquée. Maintenant, à mesure que de fortes recettes des contributions directes viennent à vaquer, l’intérêt bien entendu de l’administration exige que l’on suive le même principe à leur égard ; l’expérience a déjà prouvé l’utilité de cette mesure ; un bureau qui a été divisé il y a environ deux ans, produit déjà une augmentation de 25,000 fr. provenant de ce que les titulaires de ces emplois peuvent mieux s’occuper des détails de leurs attributions et mettent fin à des fraudes qui se pratiquaient antérieurement. Quant à la personne qu’on n’a pas craint de nommer dans cette discussion, elle jouissait d’un traitement d’attente assez élevé, pour services rendus à l’Etat, dans une administration que nous n’avons plus aujourd’hui ; c’était dans les colonies où elle avait exercé des fonctions supérieures avant 1830 ; c’est en raison de ces fonctions qu’elle jouissait d’un traitement d’attente de 2,500 fr.

C’est donc dans l’intérêt du trésor qu’il fallait lui donner une position. Quel département devait la lui conférer ? Cela importe fort peu : il s’agissait d’une mesure purement administrative, d’une mesure d’économie ; du reste, on a exagéré en dehors de cette enceinte le revenu net de l’emploi auquel cet ancien fonctionnaire a été appelé ; ce revenu n’est pas de 8,000 francs ;, comme on l’a prétendu, mais seulement de 5,000 fr. environ ; de manière que le fonctionnaire dont il s’agit remplira réellement cette place pour un supplément de 2,500 fr., puisqu’il jouissait déjà d’un traitement d’attente de 2,500. fr. Je soutiens que j’ai fait acte de bonne administration en allégeant le trésor d’une charge qui pesait sur lui ; je rappellerai d’ailleurs qu’un grand nombre de membres de la chambre nous avaient maintes fois recommandé avec raison de chercher à remplacer, dans l’intérêt du trésor, les anciens fonctionnaires qui jouissaient encore d’un traitement d’attente.

Pour me résumer sur la question essentielle à mes yeux, je dis que si l’honorable Verhaegen ne veut sincèrement que la politique de conciliation, la politique d’impartialité et de modération, il n’a pas de reproche à m’adresser, car je le déclare avec une entière confiance, il n’est aucun acte, posé par moi depuis ma rentrée au pouvoir, qui n’ait point ce caractère. Je ne crains pas que le contraire puisse jamais être démontré.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, j’ai hésité de répondre au côté personnel du discours de l’honorable M. Verhaegen. Dans la revue qu’il a faite de chaque département ministériel, il a mis, à mon égard, tant de réserve, que j’étais plutôt tenté de le remercier que de lui répondre ; j’aurais désiré qu’il eût mis autant de convenances parlementaires à l’égard de mes autres collègues.

Je vais tâcher cependant de reconquérir, s’il est possible, le respect que l’honorable M. Verhaegen avait autrefois, et qu’il n’a plus pour mes convictions.

Mes convictions sont restées les mêmes, messieurs ; personne plus que moi ne doit être à l’aise, pour expliquer comment je suis entré dans le cabinet actuel. Vous le savez tous, messieurs ; j’avais défendu, pendant deux années, le principe politique que l’honorable ministre de l’intérieur avait inauguré dans son programme de 1841 ; ce principe, je l’avais défendu contre le ministère de 1840.

J’avais fait, publiquement, à cette tribune, une autre alliance avec l’honorable ministre de l’intérieur. Comme rapporteur de la section centrale, sur la loi importante de l’instruction primaire, j’ai attaché mon nom à côté de celui de M. le ministre de l'intérieur, à cette loi de politique intérieure. Ainsi, messieurs, il n’y avait entre lui et moi aucune incompatibilité politique, et j’ai pu entrer dignement et rester dignement son collègue dans le cabinet actuel.

L’honorable M. Verhaegen m’a rappelé ce qui s’est passé lors de la discussion de la loi sur le jury d’examen ; je le remercie de me fournir l’occasion de me justifier complètement, et je le ferai en peu de mots.

(page 593) Messieurs, lors de la discussion même du projet de loi, j’ai expliqué les motifs pour lesquels j’ai cru devoir remettre mon portefeuille entre les mains du Roi. A la rigueur, d’après la déclaration faite par M. le ministre de l'intérieur au sein du cabinet, et renouvelée par lui à cette tribune, que cette question serait restée ouverte (pour me servir d’une expression anglaise) ; à la rigueur, dis-je, j’aurais pu rester membre du cabinet pendant la discussion même ; j’aurais pu faire ce que fit, lors de la discussion d’une autre grande loi, de la loi communale, l’honorable M. Ernst, si je ne me trompe : il a cru pouvoir rester assis sur le banc ministériel, tout en ne partageant pas l’opinion de ses collègues.

Si je suis sorti du ministère, c’était pour reconquérir une plus grande liberté de parole et d’influence, et pour laisser une plus grande liberté à mes amis politiques.

Quoi que puisse croire l’honorable M. Verhaegen, ma démission a été sérieuse ; et en effet : si la loi présentée par le ministère avait réuni une majorité dans cette chambre, je ne serais pas rentré, je ne pouvais pas rentrer dans le ministère.

Il y a plus : si mes amis politiques, après avoir adopté le projet que j’avais défendu avec eux dans cette enceinte, n’avaient pas accepté la déclaration faite par M. le ministre de l'intérieur ; si la majorité, comme elle en avait le droit parlementaire, avait dit au ministère, alors que je n’en faisais plus partie : Vous ne faites pas de cette loi une question de cabinet, mais nous en faisions une pour nous même ; la confiance que nous vous avons accordée, nous vous la retirons ; si la majorité avait pris cette attitude, je ne serait pas rentré, je n’aurais pas pu rentrer dans le ministère.

Mais chacun reconnaîtra que l’attitude de mes amis politiques n’a pas été telle, sauf peut-être celle de M. le comte Vilain XIIII. On a accepté la déclaration de M. le ministre de l'intérieur, et au sénat les organes de la majorité ont fait une manifestation en faveur de la reconstitution du cabinet.

Eh bien, si je n’étais pas rentré dans le cabinet, n’aurais-je pas assumé sur moi seul la responsabilité que d’autres n’avaient pas voulu prendre ? Et j’aurais assumé la responsabilité isolée de la chute probable du cabinet la veille même de la grande discussion du système commercial, que le pays attendait avec impatience. On aurait pu me reprocher d’être la cause de l’ajournement de cette discussion importante ; on aurait pu m’accuser, à bon droit, de légèreté et d’inconséquence. C’est ce que je n’ai pas voulu.

Messieurs, mon intention était de ne répondre qu’à la partie personnelle du discours de l’honorable M. Verhaegen ; mais puisque j’ai la parole, je saisirai cette occasion d’entrer dans le fond même du débat.

Messieurs, je désire plus vivement que personne que le vote politique que la chambre est appelée à émettre, nous dise si nous pouvons compter sur un appui assez formel pour rendre le gouvernement fort et respecté, pour que les affaires du pays ne soient pas entravées par l’hostilité des uns et par l’hésitation ou l’indifférence des autres. (Très-bien ! très-bien !)

Nous avons posé des actes importants avec le concours de la majorité ; ce concours devra nous être conservé. S’il devenait douteux, nous ne pourrions accomplir la tâche qui nous a été imposée, et nous ne pourrions pas spécialement résoudre cette grande question d’intérêt national, la question de l’armée, à laquelle l’avenir de notre existence politique est attaché.

C’est donc plus encore de l’appui moral de la majorité que de ses votes, que nous avons besoin pour diriger utilement les intérêts confiés à notre responsabilité.

La majorité des deux chambres a accepté la pensée politique écrite dans notre programme et que nous avons défendue avec elle tant de fois contre l’opposition.

C’est de concert avec cette majorité, que les actes essentiels sur lesquels un ministère doit être jugé, ont été posés par nous.

Je ne crois pas qu’elle veuille répudier ce principe politique et désavouer ces actes, car ce serait se désavouer elle-même. Je crois moins encore qu’elle nous fasse un procès de vague suspicion, en dehors de nos principes avoués et de nos actes publics. Mais son vote et son attitude nous diront si nous pouvons rester assis sur ces bancs avec dignité, avec la confiance, que les graves devoirs attachés aux fonctions ministérielles, nous pourrons les remplir.

En 1841, M. Lebeau, désespérant des majorités compactes et fortes, croyait pouvoir diriger les affaires du pays avec une majorité de quatre voix, en dehors des voix ministérielles. Pour nous, si faibles, si impuissants, la majorité nous a permis jusqu’ici d’être plus exigeants. Je regarderais notre mission comme bien difficile si nous n’avions que quelques voix flottantes et indécises pour soutien.

C’est pour cela, messieurs, que nous avons, non pas jeté une provocation à la chambre, mais accepté le débat politique, que l’opposition nous offrait ; nous l’avons fait simplement, loyalement, sans forfanterie comme sans réticence.

Messieurs, je ne connais que deux manières de combattre loyalement un ministère, c’est de l’attaquer dans la pensée politique qui a présidé à sa formation, dans les principes politiques de la majorité qui le soutient, dans les actes qu’il a posés, actes considérés dans leur valeur même, dans leur ensemble, dans les résultats qu’ils ont produits.

Je croyais n’avoir à me défendre que sur ce terrain des principes et des faits, et je m’y serais senti à l’aise, quelle que pût être la vivacité, la violence même de l’opposition.

Mais c’est ce que l’opposition ne veut pas. Nos actes, elle ne les envisage pas en eux-mêmes, dans leur signification vraie et générale, mais par le petit côté des incidents et des fausses interprétations. Quel est l’acte, messieurs, auquel, avec un peu d’habilité de rhéteur, on ne puisse attacher une fausse interprétation ?

L’opposition a trouvé un mot pour cette situation : c’est ce qu’elle appelle examiner la « moralité des actes », c’est ce que je nomme, moi, le côté personnel des actes que l’on décore de ce nom de moralité. (Interruption.)

Ce que l’on veut, c’est passionner les esprits, c’est rendre la situation violente, afin d’en faire remonter la cause au ministère ou à quelques membres du ministère, c’est fatiguer ainsi et décourager la majorité.

Pour cela, il faut descendre aux accusations personnelles, comme vient de le faire l’honorable M. Verhaegen, il faut incriminer les intentions et toucher aux caractères. Il faut, non pas discuter, mais flétrir, non pas combattre des ministres, mais les déconsidérer, réduire des débats qui, dans l’intérêt de tous, devraient rester dignes, à une misérable question de personnes.

L’honorable M. Lebeau a semblé déplorer hier de devoir attaquer les ministres dans la loyauté de leurs intentions et dans leur probité politique. Il l’a fait en paroles amères auxquelles ses antécédents nous avaient peu habitués. J’ai à le regretter bien plus pour lui que pour nous.

N’avez-vous pas été affectés péniblement, messieurs, pendant le discours de M. Lebeau, au souvenir de ce qui s’est passé en 1833 ? C’était un spectacle étrange de voir M. Lebeau, comme s’il avait perdu toute mémoire, même la mémoire du cœur, la reconnaissance, de le voir déverser sur M. Nothomb, son ancien défenseur, les mêmes accusations, les mêmes paroles flétrissantes que M. Gendebien avait déversées sur lui quand M. Nothomb le défendait. M. le ministre de l'intérieur aurait pu relire sa belle défense pour sa propre illustration.

C’est la première fois depuis la révolution, à dit M. Lebeau, qu’on a vu l’opposition descendre jusqu’à incriminer ainsi les intentions et les caractères.

Ecoutez, messieurs, ces belles paroles de M. Nothomb en 1833, et vous demanderez comment M. Lebeau a pu oublier le passé à ce point :

« Cet homme, qui est à votre banc, disait-on en parlant de M. Lebeau, est celui sur qui, depuis deux ans, on appelle toutes les haines, à qui, dans nos grandes luttes parlementaires, on a imputé tous les actes de haute trahison, que la presse a successivement condamné à parcourir toute l’échelle pénale. Est-il une accusation que la tribune, que la presse se soient interdite ? Dans cette enceinte, les expressions les plus flétrissantes, les comparaisons les plus odieuses n’ont pas été punies par un rappel à l’ordre ; en dehors de cette enceinte, la presse s’est vautrée dans la calomnie, elle a épuisé, contre l’homme qu’on vous dénonce, toutes les ressources de la langue ! »

Le temps a fait justice de ces accusations personnelles contre M. Lebeau. Les haines sont tombées, et il est resté de cette époque le souvenir du talent que M. Lebeau à déployé et celui des faits qui lui ont valu la reconnaissance du pays.

Pense-t-on que le temps aussi ne fera pas justice à ceux ou à celui qu’on accuse aujourd’hui ? Ces haines aussi tomberont, croyez-le, et l’avenir consolera des passions et de l’amertume du présent. (Sensation.)

Messieurs, des circonstances que j’ai toujours regrettées m’ont placé, en 1840, dans l’opposition qui a amené la chute du cabinet alors aux affaires. J’ai combattu ce cabinet dans le principe même de sa formation. Je voyais en lui l’avènement d’une politique nouvelle, le signal d’un changement de majorité parlementaire que je considérais comme une révolution dans l’Etat et comme devant être fatale au pays. Mais jamais il ne m’est échappé une parole blessante contre eux ; j’ai toujours témoigné pour leur talent et leur caractère le respect, j’allais dire la sympathie que je leur devais ; et quand le ministère posa un acte important, celui de l’établissement d’une ligne de bateaux à vapeur, je leur prêtai sincèrement le concours non-seulement d’un vote silencieux, mais de ma parole.

L’honorable M. Lebeau m’a remercié plusieurs fois dans les graves débats de 1840, de la loyauté, de la convenance de l’opposition que je lui faisais ; je regrette de ne pouvoir adresser aujourd’hui à l’honorable M. Lebeau les mêmes remerciements.

Je vous ai dit tout à l’heure, messieurs, qu’on ne combattait au fond ni les actes essentiels que nous avons posés, ni les principes qui ont présidé à la formation du ministère, et qui ont dicté son programme.

En effet, parmi les lois importantes qui vous ont été présentées, et qu’une grande majorité a accueillies, deux faits sont dominants, deux actes ont particulièrement marqué ces deux sessions : la loi des droits différentiels, base de notre politique commerciale future, et le traité du 1er septembre.

Nous fait-on un grief de la loi des droits différentiels ? Nous fait-on un grief du traité du 1er septembre ? Eh ! mon Dieu, non. L’honorable M. Delfosse a bien voulu reconnaître que la loi des droits différentiels était un acte important.

M. Delfosse – J’ai parlé de succès.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est mieux.

M. Delfosse – D’ailleurs, ce que j’ai dit de cette loi, je l’ai dit en me plaçant au point de vue de la majorité, non au mien.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Soit donc un succès. Mais l’honorable membre n’a pas voulu faire honneur de ce succès au ministère, il a voulu en faire honneur à la chambre, à l’auteur de la proposition d’enquêté et à la commission d’enquête elle-même. Ici, je me permettrai de revendiquer, pour ma part, une partie de cet honneur, comme rapporteur du projet d’enquête et comme membre de la commission.

N’avons-nous pas vu un chef de l’opposition… ?

Plusieurs membres – Il n’y a pas de chef de l’opposition.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Si vous l’aimez mieux, un membre considérable de l’opposition, qui s’était, en 1841, vivement opposé aux principes de la loi des droits différentiels, venir en 1844 l’accepter de nos mains ?

L’opinion publique, il faut le dire, a été étonnée de voir le traité du (page 594) 1er septembre accepté par la presque unanimité des deux chambres, après qu’on avait soulevé contre ce traité tant de passions et de clameurs. Mais le pays ne savait pas que tout ce bruit n’était pas soulevé contre le traité, dont M. Lebeau s’est félicité comme d’un fait heureux pour le pays, mais contre le ministère qui l’avait signé.

Il fallait trouver le moyen d’accueillir le fait comme heureux et de pouvoir en même temps blâmer le ministère.

Pour cela, on s’est emparé des incidents. L’incident sur la loi des droits différentiels, c’est l’exception en faveur de la Hollande. Or, on vous l’a déjà répété,cette exception a été admise par la chambre à l’unanimité moins une voix. Pour ce grand grief, nous avons donc la chambre toute entière pour complice.

L’incident du traité du 1er septembre, vous le connaissez bien, c’est la déclaration faite par M. le ministre de l'intérieur relativement à l’art. 19 du traité.

On a dit, messieurs, que cette déclaration de M. le ministre de l'intérieur avait été téméraire, qu’elle avait été un mensonge pieux, qu’elle avait eu pour but de tromper la chambre et d’enlever le vote sur le traité.

L’honorable M. Devaux, qui s’est fait l’organe principal de cette accusation contre M. le ministre de l'intérieur, a-t-il oublié un autre traité conclu à une autre époque et contre lequel l’opposition a formulé la même accusation ?

Le ministère de M. Lebeau, en 1831, avait posé aussi un grand acte qui restera comme le traité du 1er septembre restera. Il avait porté devant le congrès le traité des 18 articles qui, malheureusement, n’a pas survécu à nos désastres du mois d’août. Eh bien, messieurs, l’honorable M. Lebeau n’a-t-il pas été traqué, c’est le mot, par une opposition qui ne voyait dans ce traité que la manière dont il avait été négocié, que les déclarations que l’opposition d’alors appelait aussi et trompeuses et téméraires, comme le ministère est accusé aujourd’hui de la manière dont le traité du 1er septembre a été négocié, et de la déclaration relative à l’article 19 ? Losrque l’honorable M. Gendebien fulminait, comme il le disait, l’anathème de l’impopularité sur un grand coupable, quels étaient les griefs de politique extérieure ?

Il accusait le ministère d’avoir trompé le congrès en négociant secrètement les 18 articles, à peu près comme nous avons été accusés d’avoir sourdement négocié le traité avec le Zollverein.

Le deuxième grief, c’était d’avoir trompé le congrès et le pays par deux déclarations téméraires et mensongères (c’était le langage de l’opposition) : la première, le 17 février 1831, en déclarant que la carrière des protocoles était désormais fermée, tandis que 60 protocoles ont suivi cette déclaration. La seconde, qui a eu un si grand retentissement dans le pays, c’est lorsque M. le ministre des affaires étrangères promit à la tribune que la Belgique conserverait le Luxembourg et qu’elle n’aurait pas la dette, qu’il en donnait pour garants et nos droits et la parole du prince.

Cette déclaration était, certes, autrement audacieuse, autrement téméraire que celle de M. le ministre de l'intérieur, mais la différence, c’est que le succès aura couronné la déclaration de M. le ministre de l'intérieur, tandis que, malheureusement, le succès n’a pas couronné la déclaration de l’honorable M. Lebeau.

Ce qui est arrivé pour le traité des 18 articles est arrivé, et cela devait être, pour le traité du 1er septembre. Eh bien, je le demande aux amis de l’honorable M. Lebeau, comment appelaient-ils alors l’opposition qui s’attaquait à l’auteur des 18 articles par le petit côté des incidents et des fausses interprétations ? Ils l’appelaient une opposition mesquine, étroite, injuste ; et de quel nom, messieurs, me sera-t-il permis d’appeler l’opposition qui s’attaque aussi, par le petit côté de incidents et des fausses interprétations, aux ministres qui ont signé le traité du 1er septembre ?

Ainsi, messieurs, je le répète, nos actes on ne les combat point en eux-mêmes; on les accepte ; ils ont été adoptés non-seulement par la majorité ordinaire de la chambre, mais ils ont obtenu le concours de ceux qui nous combattent avec le plus de passion. On attaque nos actes, comme je viens de le faire, par les incidents, et non en face.

Oui, messieurs, nous voulons bien être jugés sur nos actes considérés dans leur valeur même et dans leur véritable portée. La situation financière et industrielle du pays, il nous est permis de croire que nous l’avons améliorée.

Mais à côté, ou plutôt au-dessus de nos actes, il y a des principes qui ont présidé à la constitution du ministère, qui ont présidé à la rédaction de son programme. Ce principe, messieurs, vous le connaissez ; M. Malou l’a exactement défini, dans une séance précédente ; ce principe, c’est celui qui refuse de prendre pour point de départ de la formation des ministères et du classement des majorités, la division des partis en catholiques et libéraux.

Eh bien, sur ce principe, l’opposition n’a-t-elle pas été vaincue ? ce qu’elle avait déclaré une impossibilité en 1840, ce qui avait été l’objet de tous ses défis, est cependant arrivé. Nous avons eu un renouvellement complet de la chambre en 1841 et en 1843. la majorité est restée au fond la même. Messieurs, la défaite de l’opposition sur le terrain des principes politiques qui ont été l’objet de si vives luttes pendant deux années, cette défaite est telle que si, demain le ministère actuel disparaissait, notre principe, notre programme ne tomberaient pas avec nous. Si demain le ministère actuel disparaissait, vous n’auriez ni un ministère libéral, ni un ministère catholique, qui ne sont, ni l’un ni l’autre, en rapport avec la situation et les vœux du pays ; vous auriez un ministère ayant le même programme que nous et s’appuyant comme nous sur la même majorité composée des fractions modérées des deux grandes opinions qui divisent le pays. L’opposition aurait à recommencer la même guerre contre d’autres hommes.

On nous a parlé de franchise politique, de sincérité politique, de probité politique ; on a fait, à ce point de vue, l’histoire des deux ministères qui se sont succédé depuis 1841 ; la chambre me permettra de faire, à mon tour, l’histoire de l’opposition, au même point de vue, pendant les quatre années qui viennent de s’écouler, et nous verrons, messieurs, si la franchise politique, si la sincérité politique sont bien les vertus de l’opposition. Je n’aurai besoin pour cela ni de récriminations, ni d’incidents, ni de petits faits, ni d’insinuations blessantes pour personne. Non, messieurs, j’irai au fond des choses pour examiner ce qu’on appelle la moralité des actes, je n’aurai qu’à rappeler les faits généraux incontestables pour tous.

L’opposition, depuis quatre ans, a adopté deux thèmes différents, j’allais dire deux thèmes contradictoires. Jusqu’aux élections de 1843, c’était la majorité qui était le but de ses attaques, l’objet direct de ses accusations ; le ministère n’était combattu que pour avoir sauvé la majorité en 1841, en évitant la dissolution, et pour avoir été son dernier complice depuis. C’était alors, il vous en souvient, la majorité réactionnaire, la majorité rétrograde, la majorité cléricale qui voulait détruire une à une toutes les libertés politiques du pays, qui avait voté la loi communale, qui avait dicté la loi du fractionnement, qui visait au monopole de l’enseignement, qui prétendait revenir à la mainmorte et à la dîme, qui s’appuyait surtout sur le clergé politique dont l’action électorale excitait une grande irritation dans le pays tout entier. On nous rappelait alors à tous moments la restauration, la loi d’amour de M. de Peyronnet, le nom de M. de Villèle. On représentait la majorité comme étant sur la pente, au bas de laquelle la droite royaliste de la restauration avait trouvé une révolution.

N’était-ce pas là le thème de l’opposition pendant les années qui se sont écoulées, de 1841 à 1843 ? Les souvenirs ne sont pas si éloignés pour qu’on l’ait oublié.

Les discussions irritantes, passionnées, surgissaient à tous propos à cette tribune.

Ces discussions, messieurs, ont subitement cessé après les élections de 1843. La majorité réactionnaire et rétrograde a complètement disparu des débats. La majorité n’a plus été cette grande coupable des années précédentes ; on l’a complètement amnistiée pour ne plus attaquer que le ministère.

Le pourquoi de ce que M. le ministre de l'intérieur appelait hier manœuvre parlementaire, mais ce pourquoi n’est ici une énigme pour personne. Ce pourquoi, je vais vous le dire. (Mouvement.)

En 1841, la gauche s’est créée un moment la majorité. Nous sommes 49, disait-on. Elle n’a pas cru à la reconstitution de la majorité mixte, catholique-libérale en 1841. A chaque élection, on prophétisait avec une grande assurance la chute de la majorité, et l’avènement de la gauche libérale.

On se croyait fort : on était franc, et c’était la majorité que l’on voulait ouvertement renverser.

Chaque élection vint donner un démenti à ces prophéties et à ces espérances. La majorité dont on annonçait chaque jour la chute n’a pas changé dans son ensemble et l’opposition l’a encore aujourd’hui devant elle !

La dissolution des chambres que le ministère de 1840 avait demandé dans le but avoué de modifier la majorité parlementaire, cette dissolution a eu lieu en fait. Le renouvellement complet des chambres s’est effectué en 1841 et en 1843. Cette dissolution de fait n’a pas eu lieu à la faveur d’une tempête politique, mais par le jeu régulier de nos institutions. Cependant la majorité est restée debout ; et les plus confiants désespèrent de la voir modifiée en 1845.

Ces faits firent tomber beaucoup d’illusions. L’opposition s’était sentie moins forte, et comme je vous l’ai dit l’année dernière, elle devint moins franche ; mais elle devint plus habile.

Elle comprit que ce n’était plus sur les ruines de la majorité qu’elle pouvait renverser le ministère ; elle changea de thème, elle changea de tactique parlementaire, passez-moi le mot. Elle voulut isoler de la majorité le ministère ou quelques membres du ministère.

C’est ce qu’elle essaya. Mais, pour cela, messieurs il fallait nécessairement renoncer aux griefs de 1841 et de 1842. Pour jeter des défiances dans la majorité, on ne pouvait plus dire à M. le ministre de l'intérieur ce qu’elle lui a répété pendant deux ans : Nous voulons votre chute, parce que vous vous traînez à la remorque de l’opinion catholique, parce que vous êtes l’esclave de la majorité ; nous voulons votre chute, parce que vous avez sauvé la majorité de 1841, en évitant la dissolution, en vous mettant en travers du mouvement libéral qui se produisait ; nous voulons votre chute, parce que vous avez fait la loi communale, parce que vous avez subi la loi du fractionnement, parce que vous avez fait des nominations politiques lors des renouvellements des conseils communaux, parce que vous avez fait la loi sur l’instruction primaire et que vous l’avez surtout organisée, dans l’inspectorat et dans les écoles normales, d’après les vues et les désirs du clergé, parce qu’en un mot, disait M. Devaux, vous vous êtes mis à la suite des passions d’un parti que vous n’avez pas même l’excuse de partager.

Ressusciter ces griefs, messieurs, mais c’était attaquer le ministère dans la majorité ; mais c’était forcer la majorité à se lever, à répondre à l’opposition et à soutenir le ministère ; mais c’était lier le sort du ministère à celui de la majorité !

Or, c’était le contraire que l’on voulait. Il a donc fallu ménager la majorité, laisser là tous ces griefs que l’on avait si hautement, si ouvertement articulés ; il a donc fallu, comme on l’a dit hier, cacher son drapeau sous son banc, sourire à la majorité, feindre l’oubli et la réconciliation, et n’avoir plus de haine et de colère que contre le cabinet ou quelques membres du cabinet.

Il a fallu pour cela trouver un thème nouveau, adopté pour le but nouveau qu’on voulait atteindre.

Ce thème, messieurs, dont on avait besoin, on ne l’a pas inventé. Ce (page 595) thème, on l’a trouvé tout fait dans des souvenirs parlementaires. Il n’a fallu pour cela que se reporter à 1833. Alors, l’opposition, par l’organe de M. Gendebien, et plus tard, par l’organe de M. Ernst, n’accusait-elle pas le ministère de M. Lebeau d’être un ministère de bascule, caressant et jouant tour à tour les partis, n’ayant ni drapeau ni couleur ? Mais, messieurs, tous les griefs de l’opposition à cette époque, et qui se résumaient, il vous en souvient, dans les mots de « juste milieu » et de « doctrinaires », tous ces griefs, ne sont-ils pas les mêmes au fond que ceux que l’on jette maintenant au ministère et à M. le ministre de l'intérieur en particulier, sous le nom d’absence de franchise politique, de scepticisme politique ?

Ce thème, messieurs, est adroit ; il est habile, j’en conviens ; c’était le seul possible pour parvenir au but auquel on tendait. Mais, après cela, comment l’opposition peut-elle avoir la prétention de nous donner, en phrases vertueuses, des leçons de moralité, de sincérité et de probité politique ?

Dans un pays voisin, messieurs, vous savez comment on a appelé, comment on appelle les tentatives de l’opposition pour former une coalition que je ne me permettrais certes pas de juger ici, mais dont le but serait, non pas de changer les principes du gouvernement, mais de substituer des noms propres à d’autres noms propres. On les a appelées intrigues ! Et bien, ce nom aurait dû être inventé pour la situation, telle que l’opposition voudrait la faire chez nous ; mais cette tentative de l’opposition sera vaine et ne trouvera pas de réponse sur d’autres bancs.

Messieurs, il ne faut pas ici entre nous de malentendu. On a parlé de loyauté ; eh bien, qu’on en use du moins. On laisse croire que l’obstacle à une réconciliation plus réelle réside dans le ministère actuel ou dans quelques-uns des membres du ministère actuel. On nous dit que d’autres noms serviront mieux à l’exécution fidèle de notre programme, que les défiances s’adressent plutôt à certains hommes qu’aux principes mêmes ; que la mission que nous avons acceptée, la mission d’asseoir le gouvernement du pays sur une majorité conciliatrice au point de vue des partis, pourra mieux être accomplis par d’autres que par nous.

Eh bien ! messieurs, qu’on le déclare hautement à cette tribune. S’il est vrai que des membres considérables de l’opposition ne veulent rendre, permettez-moi ce mot, ne veulent rendre leur épée qu’à d’autres qu’à nous ; s’il est vrai que la chute du cabinet doit amener à la majorité et au gouvernement des hommes qui en ont fait la gloire et la force ; oh ! dites-le, et je déclare pour ma part que demain je me retirerai, que je sacrifierai ma position, si tant est qu’on puisse appeler cela un sacrifice, et que je le ferai de grand cœur pour obtenir un tel résultat.

Mais si c’est la situation parlementaire elle-même que l’on veut miner et détruire ; si c’est le système qu’on a défendu depuis quatre ans, je me trompe, depuis quatorze ans, que l’on veut renverser sous des noms propres, si c’est pour renouveler demain contre la majorité la guerre de 1841 à 1843, plus vive, plus violente, avec moins d’obstacles, qu’on ait la franchise de le déclarer. Il n’y aura plus d’équivoque entre nous, et personne du moins ne pourra se plaindre d’avoir été trompé. (Très-bien ! très-bien !)

M. de Corswarem (pour un fait personnel) – Le notaire remplacé le même jour qu’il avait obtenu sa démission auquel l’honorable M. Verhaegen a fait allusion, sans vouloir le nommer, c’est moi. Je viens de m’en assurer dans le Moniteur du 9 décembre 1843 qu’il a cité. Je ne lui sais pas gré de sa réserve ; s’il eût la franchise de me nommer, il m’aurait épargné les peines d’une course à la bibliothèque pour vérifier le fait.

Celui qui m’a remplacé avait été mon premier clerc pendant quatorze ans, et se trouvait être le plus ancien candidat de la province. La preuve que M. le ministre a fait un bon choix en le nommant, c’est que, dès la première année de ses fonctions, il a reçu beaucoup plus d’actes que je n’en recevais habituellement. Cela prouve, à la dernière évidence, jusqu’à quel point ce notaire jouit de la confiance publique.

Quelques jours avant cette nomination, un notaire avait vaqué à Tongres, chef-lieu judiciaire, car Hasselt, où je résidais, n’est, au point de vue notarial, qu’un chef-lieu d’arrondissement, et non un chef-lieu de province, comme l’a dit l’honorable M. Verhaegen. Tous les candidats et tous les notaires de la province qui désiraient changer de position avaient demandé le notariat de Tongres ; une instruction complète avait eu lieu au sujet de chacun d’eux ; les titres de tous étaient donc connus, et M. le ministre se trouvait à même de pouvoir prononcer, avec une parfaite connaissance de cause, sur les droits de chacun d’eux.

Si les autorités eussent été consultées de nouveau, elles n’auraient pu que répéter mot pour mot ce qu’elles avaient déjà dit au sujet de chaque candidat, et une émission nouvelle de leur avis n’eût constitué qu’un double emploi de ce qu’elles avaient dit quelques jours auparavant.

Il est donc inexact de dire que cette nomination a eu lieu sans que les autorités compétentes aient été consultées.

Et il serait plus inexact de dire que cette nomination n’a pas obtenu l’approbation du public, car aucun des nombreux clients qui m’honoraient de leur confiance ne l’a abandonné, et beaucoup d’autres, dont jamais je n’avais fait les affaires, sont venus se confier à lui. Jamais je ne rencontre un de mes nombreux amis sans entendre les louanges de celui qui m’a remplacé dans des fonctions que je n’ai abandonnées que parce que ma santé, trop délabrée, ne me permettait plus de les remplir. Et si M. le ministre de la justice venait à Hasselt, je suis bien certain qu’il recevrait des félicitations pour m’avoir donné un successeur aussi digne, par ses connaissances, son exactitude et sa probité, de l’estime générale du public.

C’est dans un but électoral que de pareilles nominations ont eu lieu, dit l’honorable M. Verhaegen. Il veut sans doute faire entendre par là que j’étais le candidat du ministère. Eh bien, messieurs, il verse, sous ce rapport, dans l’erreur la plus complète. Avant mon élection, je n’étais connu d’aucun des ministres et n’en connaissais pas un seul.

Si le ministère a pris quelque part aux élections de l’arrondissement qui m’a fait l’honneur de m’accorder son mandat, il m’est permis de croire qu’il ne l’a pas fait en ma faveur, car la majorité des fonctionnaires publics n’a pas voté pour moi ; elle a joint ses voix à celles des amis de l’honorable M. Verhaegen.

M. d’Hoffschmidt (pour un fait personnel) – Messieurs, dans le discours que j’ai prononcé au commencement de cette séance, je n’ais pas attaqué l’honorable M. Verhaegen ni ses intentions. J’ai donc dû m’étonner du langage qu’il a tenu à mon égard. J’ai lieu de m’étonner de ce qu’il s’est donné la peine de lire un recueil en quelque sorte de mes discours qu’il a cherché à m’opposer.

Je n’ai rien à rétracter, messieurs, des discours que j’ai prononcés sur l’ancien ministère. Mais l’honorable préopinant a oublié de vous citer un fait, c’est que depuis que j’ai prononcé ces discours, une modification ministérielle très-large a eu lieu. Cinq ministres ont été remplacés par cinq hommes nouveaux.

Je sais bien que l’honorable préopinant n’a tenu aucun compte de ce changement. Mais, quant à moi, j’ai cru y trouver des garanties d’impartialité qui, selon moi, n’existaient pas auparavant. Je n’ai donc pas pensé, jusqu’à présent, que, parce qu’il se trouvait dans le ministère un homme qui n’aurait pas toute ma confiance, pour lequel j’aurais des défiances politiques, je devais voter contre le ministère tout entier, dont les cinq sixièmes, qu’on me permette de répéter ces mots, ont ma confiance.

Ce langage que j’ai tenu tout à l’heure, et qui m’a valu les attaques de l’honorable membre, n’est que la reproduction de celui que nous avons tenu l’année dernière avec plusieurs de mes honorables amis. Je n’ai pas changé depuis lors ; ainsi, je le répète, je ne devait pas m’attendre aux attaques qui m’ont été adressées.

Messieurs, je le sais parfaitement ; lorsqu’on ne partage pas toutes les inspirations de l’honorable préopinant, on est immédiatement exposé à être accusé de changer d’opinion, de trahir son opinion. On est même aussitôt exposé à perdre son estime. L’honorable M. Mercier, l’honorable M. Dechamps, l’honorable M. Goblet, l’honorable M. d’Anethan n’ont-ils pas perdu l’estime de l’honorable M. Verhaegen comme il vient de le déclarer lui-même.

M. Verhaegen – Je demande la parole.

M. d’Hoffschmidt – Quoique puisse en penser l’honorable membre, mon opinion politique est toujours telle qu’elle a été ; cette opinion est celle d’un libéralisme modéré, d’un libéralisme tolérant, unioniste et conciliateur. Je ne sais si c’est là celle de l’honorable M. Verhaegen. Si telles sont ses opinions, je serai toujours charmé, quant à moi, d’être d’accord avec lui. Mais s’il n’en est pas ainsi, il ne doit pas trouver étrange que je ne sois pas toujours d’accord avec lui tant sur les hommes que sur les choses.

Quant à moi, je le répète, je n’ai jamais varié dans mes principes ; et ni les attaques ni les insinuations dont mes discours pourraient être l’objet, ne me feront changer ma règle de conduite. Car elle n’est dictée, je prie l’honorable membre de le croire, que par les inspirations de ma conscience.

M. Verhaegen – Et moi aussi, messieurs. J’ai demandé la parole pour ce qu’on appelle un fait personnel.

Je ne sais dans quelle partie de mon discours l’honorable préopinant a trouvé des attaques. J’ai cité des faits et je devais les citer. Je vais vous en dire la raison.

M. Mercier, répondant au discours de mon honorable collègue M. Delfosse, avait parlé de ses amis d’autrefois, et il vous avait dit que plusieurs de ses amis lui étaient restés. Il s’agissait donc de faire la part à chacun de nous.

L’honorable M. d’Hoffschmidt était autrement l’ami de l’honorable M. Mercier, comme moi aussi j’étais son ami. J’ai regretté, et je le dis de nouveau, j’ai vivement regretté d’avoir dû rompre ces relations d’amitié ; mais avec les principes, je dois le dire, je ne compose jamais. L’honorable M. d’Hoffschmidt se trouve dans une autre position ; il était l’ami de M. Mercier, il est resté l’ami de M. Mercier ; il était libre, l’honorable M. d’Hoffschmidt de rester l’ami de M. Mercier ; je n’ai pas blâmé ce qu’il a fait sous ce rapport, mais j’ai voulu dessiner la différence qu’il y avait entre l’honorable M. d’Hoffschmidt, certains de mes amis et moi.

Nous étions tous d’accord autrefois : il n’y avait pas cette nuance qu’on veut établir maintenant. N’étions-nous pas tous unis ? Est-ce que dans nos réunions les mêmes principes ne dominaient point, et n’ai-je pas le droit de dire à l’honorable M. d’Hoffschmidt ce que je disais tantôt à l’honorable M. Mercier : Ne serions-nous donc de la même opinion que lorsqu’il s’agit de démolir, et lorsque la démolition est faite, faut-il alors que quelques-uns, pour en tirer leur profit, abandonnent ceux qui les aidaient à exécuter le plan concocté en commun ? Voilà ce que je demandais à l’honorable M. Mercier, et voilà ce que je demande à M. d’Hoffschmidt. Ces messieurs, à cette époque, pensaient non-seulement comme ceux de mes amis politiques auxquels on voudrait aujourd’hui donner le nom de libéraux modérés, ils pensaient comme moi, mes principes étaient les leurs, leur but était le mien. Ce qui doit me consoler et ce dont je puis me glorifier, c’est que moi je ne recherchais rien ; ce que je faisais était le résultat d’une conviction profonde, et à ce titre je puis parler plus haut que d’autres.

Messieurs, je n’ai pas attaqué l’honorable M. d’Hoffschmidt, j’ai rappelé ses discours ; s’il s’en plaint, c’est qu’il y a dans ses discours quelque chose qui ne lui convient plus aujourd’hui, car, certes, il n’y aurait pas de mal à rappeler quelques-uns des discours qu’il a prononcés et qui étaient très-bien (page 596) écrits, très bien débités. Du reste, ce que M. d’Hoffschmidt a dit en 1842 et en 1843, il l’a rappelé l’année dernière, lorsqu’il a motivé son abstention. Il ne pouvait donc pas trouver mauvais que je le rappelasse à mon tour. Il n’y a pas eu d’aigreur dans mes paroles ; j’attachais aux relations d’amitié que j’avais avec l’honorable M. d’Hoffschmidt autant de prix qu’à celles que j’avais avec l’honorable M. Mercier ; seulement des positions incompatibles avec mes opinions nous ont séparés.

Maintenant, un seul mot à M. de Corswarem. Je n’ai pas prononcé son nom ; j’ai cité un fait ; j’en ai appelé au Moniteur ; c’est lui-même qui s’est nommé ; je le regrette, car tout ce qu’il a dit confirme la justesse de mon objection contre M. le ministre de la justice.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, je ferai remarquer qu’il y a cette différence entre l’honorable M. Verhaegen et mon honorable ami M. d’Hoffschmidt, que le premier ne veut voir qu’un seul fait : quelle que soit la conduite du ministère après ce fait, l’opposition violente de M. Verhaegen ne cessera pas ; ce fait, c’est la composition du cabinet. L’honorable membre ne veut tenir aucun compte de mes actes politiques ou administratifs ; quels qu’ils soient, il condamne le ministère ; il n’a signalé aucun fait qui soit contraire à notre programme ; aucun acte de partialité, aucun acte de parti de notre part. Mon honorable ami M. d’Hoffschmidt, au contraire, rend justice aux services que nous avons pu rendre et à l’impartialité qui a présidé à notre conduite politique et administrative depuis deux ans à peu près que nous sommes au pouvoir. Voilà pour quel motif cet honorable membre et d’autres honorables amis accordent leur appui au cabinet dont je fais partie.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Messieurs, l’honorable M. Verhaegen m’ayant attribué une certaine part dans la série de griefs qu’il a articulés contre le ministère, je dois vous demander la permission de répondre quelques mots à ce qu’a dit l’honorable membre.

Je dois d’abord exprimer mon regret que les actes posés par moi depuis mon entrée au ministère, et qu’il me sera du reste, facile à justifier, m’aient fait perdre la confiance que l’honorable membre dit avoir eue d’abord en moi, et aient diminué la bonne opinion qu’il avait bien voulu concevoir sur mon compte.

L’honorable membre, en commençant son discours, a parlé de promesses que j’avais faites et que je n’avais pas tenues. (Interruption de la part de M. Verhaegen.) Si le Moniteur reproduit exactement les paroles de l’honorable M. Verhaegen, on y trouvera qu’il m’a reproché de ne pas avoir tenu certaines promesses que j’aurais faites. Messieurs, les seules promesses que, comme ministre, j’ai pu faire, et les seules que j’ai faites, sont inscrites dans le programme du ministère, et je pense que ces promesses ont été fidèlement tenues.

Deux griefs ont été articulés contre moi par l’honorable M. Verhaegen. Le premier consiste en ce qu’une place d’avocat-général à la cour de cassation est restée vacante pendant quelques mois. Je demanderai d’abord si le service de la cour de cassation a souffert, et c’est, je pense, la seule chose dont il faille se préoccuper, car je ne veux pas porter à cette tribune des questions de personnes. Le retard qu’a éprouvé la nomination d’un avocat-général à la cour de cassation s’explique par l’importance même des fonctions dont il s’agit, par l’examen très-long et très-consciencieux auquel on s’est livré, des titres des différents candidats. L’honorable membre ne nous fera pas sans doute un grief du choix qui a été fait ; je pense, au contraire, qu’il ne peut que l’approuver et féliciter le gouvernement de la nomination à laquelle il s’est arrêté. Est-ce un grief sérieux qu’un retard de quelque temps pour arriver en définitive à une nomination qui ne mérite que l’approbation ? Je ne sais pas vraiment s’il valait la peine de le relever.

Le deuxième grief est plus général, bien que l’honorable membre n’ait cité qu’un seul fait. Il a critiqué la manière dont se faisait la collation des emplois. Il a avancé que l’on ne faisait aucune attention ni à l’ancienneté, ni au talent, ni au mérite des candidats ; que l’on n’avait en vue que les services électoraux qu’ils pourraient rendre ; que c’était, en un mot, un système corrupteur que nous avions introduit.

Messieurs, je pourrais appliquer à ce qu’a dit l’honorable M. Verhaegen ce que disait hier l’honorable ministre de l’intérieur : c’est que le reproche n’est pas nouveau. Ce reproche, messieurs, était déjà adressé en 1833 au ministère d’alors. On l’articulait à cette époque dans les termes les plus formels. Ainsi, l’honorable M. Dumortier disait, en critiquant les nominations de notaire et d’avoués qui avaient été faites :

« Corruption par la peur, par les promesses, par les récompenses, voilà votre système. Vous avez été, pour assurer votre triomphe, jusqu’à saisir le moment des élections pour accorder des places de notaires et d’avoué !..

« M. Lebeau – Alors le tribunal est complice de notre système, car je ne nomme qu’après lui.

« M. Dumortier – Ne m’interrompez pas.

« M. Devaux – Vous interrompez trop souvent vous-même pour avoir le droit de faire une telle recommandation.

« M. Dumortier – Il ne m’est jamais arrivé de vous interrompre, et je vous prie de me laisser continuer. Vous avez nommé un notaire à Tournay pour favoriser autant que cela était en vous l’élection de M. Goblet.

« M. Rogier – Cela n’a pas mal réussi !

« M. Dumortier – Si cela n’a pas réussi, ce n’est pas votre faute, c’est que la population a flétri votre système en se prononçant contre vous de la manière la plus éclatante. »

Ainsi, messieurs, le reproche qui nous est adressé aujourd’hui par l’honorable M. Verhaegen l’était déjà avec tout aussi peu de fondement, j’en suis persuadé en 1833, au ministère d’alors. Je dénie de la manière la plus formelle, les allégations de l’honorable M. Verhaegen ; j’affirme d’une manière tout aussi formelle que, dans la collation des places, j’ai toujours égard aux titres et au mérite des candidats ; je pourrais invoquer à cet égard le témoignage non-seulement de tous les fonctionnaires qui, à raison de leurs fonctions, sont consultés sur le mérite des candidats qui sollicitent les places vacantes, je pourrais également en appeler au témoignage des représentants de la nation qui, à différentes reprises, viennent me parler de ces nominations ; je leur ai toujours répondu que le plus digne serait nommé et toujours aussi j’ai tenu cette promesse.

L’honorable M. Verhaegen a bien voulu faire l’éloge de la circulaire que j’ai adressée le 16 novembre 1843. il a loué le principe qui servait de base à cette circulaire. Ce principe est encore le mien dans toutes les circonstances ; je l’ai appliqué, et je continuerai à l’appliquer de même.

L’honorable M. Verhaegen n’a parlé que d’une seule nomination, et qu’il me soit permis de dire d’abord que, si une seule nomination est critiquée comme contraire aux principes que j’ai posés, ce serait une déviation bien exceptionnelle eu égard aux nominations si nombreuses qui ont eu lieu depuis deux ans.(Interruption de la part de M. Delehaye.) J’entends l’honorable M. Delehaye qui veut bien m’interrompre chaque fois que je prends la parole, j’entends l’honorable M. Delehaye dire qu’il y en a encore bien d’autres. Eh bien, je le défie d’en citer d’autres.

M. Delehaye – Et la nomination de Somerghem ?

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Veut-on élever une discussion personnelle ? veut-on que j’apporte ici tous les dossiers pour justifier une à une toutes les nominations que j’ai proposées depuis mon entrée au ministère ? Si je pouvais entrer dans une semblable discussion, il me serait extrêmement facile de justifier la nomination dont parle l’honorable membre, mais je pense que la chambre ne permettra pas que j’entre dans un débat de cette nature.

Plusieurs membres – Non, non.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je le répète, l’honorable M. Verhaegen n’a cité qu’un seul fait, c’est la nomination d’un notaire qui a été faite le 29 décembre. L’honorable. M. de Corswarem a déjà répondu : mais qu’il me soit permis d’ajouter quelques mots relativement à la démission de l’honorable M. de Corswarem que je puis nommer, puisqu’il s’est d’abord nommé lui-même. La démission de l’honorable membre a été donnée un mois ou deux, je pense, avant qu’elle n’ai été acceptée. (Interruption.) Je ne pense pas que l’honorable M. Verhaegen prétende savoir mieux que moi ce qui se passe dans nos bureaux.

M. Verhaegen – Je parle de l’arrêté.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – L’arrêté est l’acte d’acceptation de la démission. Je le répète, la démission a été donnée longtemps avant. L’honorable M. de Corswarem a exprimé le désir d’être replacé par son premier clerc ; son premier clerc avait été chez lui pendant quatorze ans.

M. de Corswarem – C’était aussi le plus ancien de la province.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – La demande de ce premier clerc, nommé Vandersmissen, a fait l’objet d’une instruction spéciale, et je dois le déclarer, toutes les autorités consultées ont été unanimes pour appuyer la demande du sieur Vandersmissen. (Interruption.)

L’honorable M. Verhaegen me dit qu’il n’y a pas eu présentation. Je suis fâche de devoir donner un démenti formel à l’honorable membre : il y a eu une triple présentation de la part du procureur-général, du premier président et du gouvernement. Si l’honorable M. Verhaegen ne croit pas à mes paroles, je l’engage à passer dans mon cabinet ; là, je lui mettrai les pièces sous les yeux. (Nouvelle interruption.)

La chambre des notaires, me dit-on, n’a pas été consultée. Depuis que je suis au ministère, les chambres de notaires ne sont plus consultées, et la loi de ventôse n’oblige pas de les consulter. Je ne les consulte que dans les cas où il s’agit de créer ou de supprimer une place de notaire.

Maintenant, la démission de M. de Corswarem, acceptée par le même arrêté qui nomme son successeur, constitue-t-elle une déviation des règles de la circulaire du 16 novembre 1843 ? Non, certainement. Que voulait la circulaire ? Elle avait pour but d’empêcher qu’il n’y eût transmission de places à prix d’argent, et je pense que le caractère de l’honorable M. de Corswarem répond suffisamment à l’espèce d’inculpation que lui adresse M. Verhaegen, en supposant,t qu’il y a eu un trafic entre M. de Corswarem et son clerc.

M. de Corswarem – Non, jamais !

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – L’honorable M. Verhaegen a fait observer que, dans ma circulaire, je rappelais l’arrêté du 16 mars 1831. or cet arrêté justifie pleinement celui du 29 décembre, que l’honorable membre incrimine.

On lit, en effet, dans cet arrêté :

« Considérant que si l’esprit des lois organiques du notariat permet d’accueillir avec quelque faveur le vœu d’un ancien notaire, pour un fils ou un clerc qui, réunissant d’ailleurs les conditions requises, aura été longtemps associé à ses travaux et à la confiance de sa clientèle, cette exception ne peut être érigée en principe général. »

L’honorable M. Verhaegen a également parlé de la nomination du frère du ministre de la justice à une place de receveur. L’honorable membre a vivement critiqué cette nomination. Il semble, d’après l’honorable M. Verhaegen, qu’une proscription doive frapper les frères ou les parents, des ministres. La chambre croira sans doute avec moi qu’un proscription pareille ne doit pas plus exister que le népotisme ; or, je laisse à la chambre à apprécier si un ministère pose un acte de népotisme, un acte bien coupable, en confiant au frère d’un ministre une modeste place de receveur, alors que celui-là, ancien fonctionnaire supérieur, jouissait déjà d’un traitement d’attente élevé.

M. Delehaye (pour un fait personnel) – M. le ministre de la justice a dit que je me permettais de l’interrompre quelquefois. En effet, messieurs, (page 597) il m’est arrivé encore aujourd’hui d’interrompre M. le ministre de la justice ; et pourquoi ? à cause du ton d’assurance avec lequel M. le ministre allègue comme vrais les faits les plus inexacts.

Ainsi, M. le ministre de la justice, répondant à une accusation de l’honorable M. Verhaegen, vous a dit que le système suivi par lui à l’égard de M. de Corswarem n’existe nulle part. Eh bien, chose étonnante ! depuis que M. le ministre de la justice est aux affaires, presque toutes les nominations des notaires dans la Flandre orientale, ont été faites dans des vues électorales…

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je le nie.

M. Delehaye – Puisque vous me provoquez, je vais citer un fait entre plusieurs autres.

Vous avez nommé aux fonctions de notaire, dans le canton de Somerghem, un homme fort estimable d’ailleurs, mais qui était seulement notaire depuis quelques années, tandis que la place était sollicitée par un notaire beaucoup plus ancien, et en faveur duquel militaient d’autres considérations très-puissantes.

Mais ce n’est pas tout : en nommant ce notaire à Somerghem, vous lui avez donné pour successeur, dans son ancienne résidence, un notaire…

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Le plus ancien de la province.

M. Delehaye – Ce n’est pas le plus ancien de la province, et je puis l’affirmer. J’ai été procureur du Roi à Gand ; il n’est pas dans la Flandre orientale un seul candidat que je ne connaisse beaucoup mieux que ne le connaît M. le ministre de la justice.

Mais, chose assez étrange ! M. le ministre de la justice vient de se vanter d’avoir supprimé la prérogative dont étaient investies les chambres des notaires, de présenter des candidats. Et pourquoi a-t-il supprimé cette prérogative ? mais précisément parce que le corps des notaires est un corps indépendant. Le corps des notaires n’a nul besoin de captiver la bienveillance du gouvernement, il est seulement intéressé à ce que les candidats qu’il présente offrent toutes les garanties pour faire honneur au corps. Les personnes que M. le ministre de la justice consulte, peuvent être fort honorables, mais enfin ce sont ses subordonnés. Pourquoi M. le ministre de la justice, depuis son entrée aux affaires, a-t-il supprimé une prérogative dont le corps des notaires a joui depuis son organisation ? Jusqu’en 1843, les chambres des notaires ont toujours été consultées en pareil cas.

M. le président – La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

Des membres – A lundi !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, je suis prêt à répondre à l’interpellation de M. Verhaegen concernant les fonctionnaires publics ; je suis prêt également à donner les explications que j’ai promises au sujet de la lettre de la compagnie de colonisation. Cependant je ne m’oppose pas à ce que la discussion soit remise à lundi.

- La séance est levée à 4 heures.