(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 277) (Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse fait l’appel nominal à 2 heures un quart.
M. Huveners lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction est en adoptée.
M. de Man d’Attenrode, au nom de la commission des finances, présente divers projets de loi relatifs au règlement des comptes de 1830, 1831 et 1832.
Ces projets seront imprimés et distribués ; le jour de la discussion en sera fixé ultérieurement.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) déclare se rallier à la rédaction proposée par la section centrale.
M. Maertens – Je désirerais obtenir une explication soit de M. le ministre de la justice, soit de M. le rapporteur de la commission, au sujet d’un doute élevé dans une pétition, qui nous a été adressée lundi dernier. Le pétitionnaire expose qu’il est né à Aix-la-Chapelle, de parents appartenant à une commune du territoire cédé ; aux termes de l’article 10 du Code civil, il doit être assimilé à son père ; cet article porte : « Tout enfant né d’un Français en pays étranger est Français ; » il est donc Limbourgeois appartenant à la partie cédée. Depuis 1823, le pétitionnaire est receveur dans l’arrondissement de Bruges ; depuis lors il y a eu constamment son domicile. Il n’a fait aucune déclaration après 1839, parce que, dit-il, des jurisconsultes lui ont assuré qu’il était, de droit, Belge, et qu’il n’avait aucune déclaration à faire, comme se trouvant, avant 1839, sur le territoire resté belge.
Il pose donc d’abord la question de savoir s’il est Belge, oui ou non, indépendamment de toute déclaration ; il demande en second lieu, pour le cas où il n’aurait pas la qualité de Belge, a être admis à faire la déclaration dont il s’agit dans le projet actuellement en discussion. Quant au premier point, celui de savoir s’il est Belge indépendamment de toute déclaration, je crois qu’il ne peut y avoir aucun doute à cet égard ; je crois qu’il ne n’est pas. Quant au second point, je crois que le pétitionnaire est admissible à faire, dans le nouveau délai qu’il s’agit d’accorder, la déclaration prescrite pour conserver la qualité de Belge qu’il a perdue par suite du traité de 1839.
Cependant, messieurs, quoique la question ne fasse pas doute pour moi, puisque le pétitionnaire soulève cette question, et que d’autres personnes peuvent se trouver dans le même cas ; puisque, d’ailleurs, des jurisconsultes ont assuré qu’il n’y avait pas de déclaration à faire, je désirerais connaître l’opinion de M. le ministre sur la question que je viens d’exposer à la chambre.
M. de Villegas, rapporteur – C’est une question d’application que l’honorable membre soulève, et qui pourra être tranchée par le gouvernement, lorsqu’il aura apprécié les faits que l’on vient d’alléguer, en prenant inspection des pièces jointes à la réclamation du fonctionnaire auquel on a fait allusion.
Je pense que le réclamant pourra user du bénéfice de la loi projetée, pourvu qu’il ait transféré son domicile dans une commune belge, avent l’expiration du délai fixé par l’article 1er de la loi du 4 juin 1839, et qu’il l’ai conservé depuis.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Il me semble que la question soulevée par M. Maertens n’est pas douteuse.
(page 278) La personne qui a adressé la réclamation dont on parle est née à Aix-la-Chapelle, d’un père qui était Belge, ou du moins qui, appartenant à la partie cédée du Limbourg, était considéré comme Belge en avril 1839. L’art. 1er de la loi de 1839 est donc applicable à cette personne, puisqu’il porte :
« Art. 1er. Toute personne jouissant de la qualité de Belge, qui perdrait cette qualité par suite des traités du 19 avril 1839… »
Il est évident que cette personne jouissait à cette époque de la qualité de Belge, et était ainsi apte à faire la déclaration dont il est question dans la loi de 1839, pour conserver la qualité de Belge.
La deuxième question de l’honorable M. Maertens est celle de savoir si cette personne était tenue à faire cette déclaration pour rester Belge. Cette question n’est pas plus douteuse que l’autre.
L’art. 1er de la loi de 1839 porte que, pour conserver la qualité de Belge, il faut deux conditions : 1° faire sa déclaration ; 2° transférer son domicile dans le territoire qui restait belge.
La personne dont parle l’honorable M. Maertens, n’a pas fait la déclaration ; elle a continué à habiter le territoire belge. Elle n’a donc rempli qu’une des conditions que la loi impose, c’est-à-dire la condition du domicile en Belgique. Il importe peu que le domicile ait été transféré ou maintenu, car la loi ne s’attache qu’au fait du domicile, et, outre ce fait, elle exige une déclaration indiquant positivement l’intention de rester Belge.
M. Maertens – Je suis satisfait de ces explications.
M. Savart-Martel – Je ne viens pas m’opposer absolument à ce que les habitants du Limbourg et du Luxembourg, dont il s’agit au projet de loi, obtiennent la faveur qu’on sollicite pour eux ; car j’ai pour principe qu’il faut être grand, large et généreux, et vraiment libéral dans l’admissibilité à la qualité de Belge.
S’il était possible, je voudrais voir cesser les différences qui existent de peuple à peuple : ces entraves apportées à la fusion, à l’entente cordiale du genre humain, ces séparations politiques, dignes du moyen âge.
Mais pour statuer, comme on l’exige en ce jour, il existe chez moi un doute grave résultant du texte de la Constitution, que personne, dans cette enceinte, ne veut enfreindre sans doute, même pour mieux faire que laisser.
En effet, reportons-nous à la Constitution du 7 février 1831. Il y est dit, art. 1er : que le Limbourg et le Luxembourg font partie de la Belgique ; il y est dit, art. 4 : que la qualité de Belge s’acquiert, se conserve et se perd, d’après les règles déterminées par la loi civile. »
Le titre Ier du livre Ier du Code civil traite de la jouissance et de la privation de ces droits ; à la lecture, on ne peut douter que les habitants nés dans ces deux provinces étaient Belges par la force même de la Constitution.
Ils ont pu, comme nous, profiter de l’indigénat, aux termes de l’art. 133.
Depuis on nous a soustrait des portions plus ou moins étendues de ces provinces.
En supposant que ce fait, indépendant de la volonté des habitants des portions cédées, leur ait enlevé, de plein droit, la qualité de Belge, il leur serait libre de récupérer cette qualité au moyen des simples formalités imposées par l’art. 18 du Code civil, c’est-à-dire en rentrant en Belgique avec l’autorisation du Roi, et en déclaration qu’ils veulent s’y fixer et qu’ils renoncent à toute distinction contraire à la loi belge ; donc la loi qu’on nous propose serait inutile ; elle serait même dangereuse, car elle mettrait en doute la force législative des art.. 18 et suivants du Code civil.
Mais il y a plus : après avoir admis en principe que les habitants des pays cédés ont perdu leur qualité de Belge sans pouvoir même invoquer l’art. 18, le projet est conçu de manière à leur accorder la faveur, tout exceptionnelle de l’art. 133, qui équivaut à la grande naturalisation, et même sans égard à la nécessité d’un établissement antérieur au 1er janvier 1814 ; en sorte que, sous ce rapport encore, les habitants du Limbourg et du Luxembourg seront traités plus favorablement que les habitants des autres provinces.
Cependant l’article constitutionnel 133 est une exception qui, d’après son texte et son esprit, ne peut jamais être l’apanage des personnes qui ont perdu la qualité de Belge et qui rentrent dans le pays pour la recouvrer.
Cet article est limitatif ; il ne nous est pas permis de l’étendre, à peine de pouvoir modifier aussi les autres articles, en nous arrogeant ainsi la puissance de démolir pièce à pièce tout notre Code constitutionnel.
En vain invoquera-t-on les rétroactes ; il n’en est point d’admissibles contre la Constitution. Nous ne sommes pas ici pouvoir constituant ; et si les circonstances nécessitaient des modifications à la loi des lois, ce sont les formes indiquées par l’art. 131 qu’il faudrait suivre.
Messieurs, je cherche ici la vérité ; je voudrais qu’on me prouvât que la loi proposée n’a rien d’inconstitutionnel ; dans le doute, je devrais m’abstenir, je voudrais qu’on s’occupât aussi de l’influence de cette loi sur le trésor public.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je ne pense pas que l’observation de l’honorable membre soit fondée. En émettant ce doute, il fait le procès à la loi qui a approuvé le traité de 1839, et à celle du 4 juin 1839 qui a accordé aux Limbourgeois et aux Luxembourgeois la faculté de rester Belges en remplissant certaines conditions.
Messieurs, les habitants des parties du Limbourg et du Luxembourg qui ont cessé d’appartenir à la Belgique, ne peuvent évidemment pas, me paraît-il, réclamer la qualité de Belge sans se soumettre aux conditions que la loi belge leur a imposées, et ces conditions ont pu être imposées sans violer la Constitution ; par suite d’un traité sanctionné par une loi, certaines parties du territoire ont été détachées de la Belgique, et comme conséquence nécessaire, leurs habitants ont cessé de faire partie de la famille belge.
La loi de juin 1839, qui a été votée immédiatement après le traité du 19 avril 1839, a reconnu cette vérité ; mais pour en atténuer les conséquences, elle a accordé aux Limbourgeois et aux Luxembourgeois la faculté de rester Belges, en remplissant certaines conditions.
Comment contester les principes consacrés par cette loi ?
Une partie du territoire limbourgeois et luxembourgeois passant sous la domination des Pays-Bas, les habitants de ces territoires pouvaient-ils rester Belges en continuant à habiter les territoires cédés ? Evidemment, non. Cependant on a voulu leur donner les moyens de conserver la qualité de Belge ; mais on y a mis pour condition qu’ils indiquassent d’une manière bien positive leur intention de ne pas changer de patrie.
Il me semble donc que la loi qui vous est soumise et qui n’est, je le répète, que la reproduction de la loi de 1839, n’est pas contraire à la Constitution. Cette loi est-elle nécessaire ? L’honorable M. Savart, pour établir qu’elle ne l’est pas, invoque l’art. 18 du Code civil qui dit que « le Belge qui aura perdu sa qualité de Belge, pourra toujours la recouvrer en rentrant en Belgique avec l’autorisation du Roi, et en déclarant qu’il veut s’y fixer et qu’il renonce à toute distinction contraire à la loi française. »
Ainsi, l’art. 18 du Code civil, fait uniquement pour les cas ordinaires, soumet les Belges qui ont perdu cette qualité à une déclaration. Cette déclaration est également exigée par le projet actuel ; seulement on régularise la manière de la faire, en disant que le gouvernement devra la recevoir.
L’art. 18 veut que l’on ait fixé son domicile en Belgique ; nous n’exigeons pas davantage. Mais, remarquez-le bien, l’art. 18 exigeait, de plus l’autorisation du Roi, de manière que, d’après cet article, invoqué par l’honorable M. Savart, il dépendrait du gouvernement de refuser l’autorisation à certains individus de devenir Belges. Ainsi, la position que cet honorable membre voudrait faire aux Limbourgeois et aux Luxembourgeois serait bien moins favorable que celle que leur offre le projet actuel, puisqu’il dépendrait du gouvernement de refuser l’autorisation.
Je pense donc, messieurs, alors que l’art. 18 que nous discutons et qui est fait pour un cas spécial, alors que l’art. 18 est fait pour les cas ordinaires, est nécessaire et avantageuse aux Limbourgeois et aux Luxembourgeois qui ont laissé expirer le délai fixé par la loi de 1839.
Messieurs, la question que soulève l’honorable M. Savart, relativement à l’indigénat, a déjà été tranchée par des arrêts de la cour de cassation. Cette cour s’est occupée des Limbourgeois et des Luxembourgeois appartenant aux parties cédées et qui n’avaient pas fait de déclaration, bien qu’ils fussent en Belgique ; et elle a reconnu que, par suite du traité du 19 avril 1839, les personnes appartenant aux parties cédées, bien que restant en Belgique, n’étaient pas Belges, si elles n’avaient pas fait la déclaration.
Ainsi nos tribunaux et la cour suprême elle-même ont déjà décidé la question dans un sens qui rend nécessaire la loi que nous proposons maintenant à la chambre.
M. Savart-Martel – Je vois avec peine qu’on ne lève pas mes doutes. La Constitution seule doit nous guider ici.
Je ne conteste point que la cour suprême aurait décidé que les Limbourgeois et les habitants du Limbourg, partie cédée, étaient tenus à la déclaration de l’art. 133, mais cet arrêt ne tranche point la question qui appelle l’attention de la chambre sur une loi dont peut-être on n’apprécie pas suffisamment la portée.
M. de Muelenaere – Messieurs, je crois que M. le ministre de la justice n’a pas bien saisi l’observation qu’a faite l’honorable M. Savart, et qu’il vient de renouveler.
Voici, si je ne me trompe, le raisonnement de l’honorable M. Savart : D’après l’art. 133 de la Constitution, les étrangers domiciles en Belgique ne pouvaient réclamer la qualité de Belge qu’autant qu’ils eussent habité la Belgique antérieurement au 1er janvier 1814. Or, dit l’honorable M. Savart, les Limbourgeois et les Luxembourgeois, ayant perdu leur qualité de Belges par l’acte du traité, ne pourraient, aux termes de la Constitution, réclamer cette qualité, qu’autant qu’ils prouvassent qu’ils étaient domiciliés en Belgique antérieurement au 1er janvier 1814. Voilà, je crois, toute l’objection de l’honorable M. Savart.
Mais je vous prie de remarquer, messieurs, que l’art. 133 de la Constitution parle des étrangers. Il dit que les étrangers qui ont habité la Belgique antérieurement au 1er janvier 1814, pourront réclamer la qualité de Belge ; moyennant une simple déclaration, ces étrangers, en vertu de la Constitution, obtenait l’indigénat.
Evidemment, messieurs, il y a beaucoup de Limbourgeois et de Luxembourgeois qui, peut-être, ne pourraient pas prouver qu’ils habitent la Belgique telle qu’elle est aujourd’hui constituée, antérieurement au 1er janvier 1814 ; mais c’est précisément en faveur de ceux qui n’ont pas habité la Belgique telle qu’elle se trouve constituée, avant le 1er janvier 1814, que vous faites votre loi ; c’est au profit des Limbourgeois et des Luxembourgeois qui, en 1839, habitaient un territoire devenu étranger au royaume de Belgique.
Messieurs, il y a, me semble-t-il, cette remarque essentielle à faire : c’est que les Limbourgeois et les Luxembourgeois, en faveur de qui vous allez voter cette disposition sont dans une position beaucoup plus défavorable vis-à-vis de nous que les étrangers qui, même avant 1814, habitaient la Belgique. Car enfin ces Limbourgeois et ces Luxembourgeois ont été Belges jusque au moment du traité ; ils ont été nos frères ; ils faisaient partie du même royaume avec nous. C’est par un acte entièrement indépendant de leur volonté qu’ils sont devenus étrangers. Il me semble dès lors qu’il devient indispensable (page 279) de venir au secours de ces anciens frères et de leur donner au moins la faculté de redevenir ce qu’ils étaient auparavant, et ce qu’ils n’ont cessé d’être que par un acte indépendant de leur volonté.
Dès lors, il me semble que la loi qu’on nous propose de prolonger est tout à la fois une loi de justice et une loi de faveur pour nos anciens frères, et je lui donnerai volontiers mon assentiment.
M. Dumortier – Messieurs, je donnerais très-volontiers mon assentiment au projet de loi qui vous est soumis, si je n’y voyais quelques inconvénients que je vous demande la permission de vous signaler.
A la suite du traité des 24 articles, le gouvernement nous a présenté un projet de loi pour accorder aux personnes qui cessaient de faire partie de la Belgique la faculté de conserver la qualité de Belge. Je me suis opposé à cette loi, messieurs, en faisant remarquer à la chambre qu’il y aurait nécessairement des personnes qui ne la connaîtraient pas, et qui, par cela seul, perdraient leur qualité de Belge. Les ministres d’alors, c’étaient, si je me souviens bien, l’honorable M. de Theux, l’honorable M. Nothomb et l’honorable M. Willmar, ont prétendu que l’on aurait des délais suffisants pour remplir les obligations qu’imposait la loi, et que, par conséquent, on avait toute garantie dans le vote de cette loi.
La loi, messieurs, a été votée. Ainsi, un délai de quatre ans a été accordé aux personnes des parties cédées du Limbourg et du Luxembourg, pour faire la déclaration, au moyen de laquelle elles conservaient la qualité de Belge ; et, comme nous faisions remarquer alors que des personnes pourraient omettre de faire cette déclaration, on nous disait : Si des personnes commettent cette omission, elles feront comme celles qui ont omis de faire leur déclaration en vertu de l’article 133 de la Constitution ; elles demanderont la naturalisation, et les chambres, prenant en considération que ce n’est pas par leur fait, mais par un oubli, qu’elles n’ont pas fait la déclaration, leur accorderont facilement la naturalisation.
Nous sommes arrivés, messieurs, au terme du délai accordé par la loi de 1839, et nous voyons que plusieurs personnes n’ont pas fait leur déclaration. Il est effectivement à ma connaissance que plusieurs personnes ne l’ont point faite ; et je ne pense pas que c’est pour toutes les personnes qui ne l’ont point faite qu’on est venu vous présenter le projet dont nous nous occupons. Parmi ces personnes, j’en connais qui se trouvaient pensionnées par la Belgique. C’étaient spécialement des Limbourgeois qui, ayant servi sous les drapeaux de l’empire et du royaume des Pays-Bas, avaient demandé leur retraite et avaient été mis à la pension.
La pension de ces personnes a été liquidée à charge du trésor belge ; ces personnes étaient nées dans le Limbourg et même dans certaines parties du Limbourg qui avaient anciennement appartenu à l’Autriche ; elles n’avaient pas cru devoir faire la déclaration, parce qu’elles se regardaient comme Belges. Eh bien, ces pensions ont été transférées au grand-livre de la dette hollandaise ; mais si la loi est adoptée, que va-t-il arrivé ? C’est que ces personnes ne manqueront pas de faire la déclaration dans le délai qu’il s’agit d’accorder, que dès lors elles seront Belges et que, par conséquent, le trésor belge devra payer leurs pensions, qui cependant sont mises à la charge de la Hollande par le traité. (Interruption.)
J’entends un honorable collègue et ami dire que la loi n’a point d’effet rétroactif, mais la loi que nous faisons est une loi rétroactive par sa nature même.
M. Osy – Lisez l’art. 2.
M. Dumortier – Cet article est ainsi conçu :
« Les personnes qui useront de la faculté accordée par l’article qui précède, jouirons, mais pour l’avenir seulement, de tous les avantages accordés aux Belges de naissance. »
Eh bien, messieurs, cette disposition est une injustice, car enfin nous savons pourquoi on fait la loi : c’est pour un ancien ministre qui a présenté la loi de 1839 et qui ne s’y est pas conformé. Pourquoi donc faire ainsi une loi de faveur ? Vous voulez accorder un avantage à une seule personne, tandis que vous frappez de malheureux habitants de ces provinces, qui ont servi la révolution, qui ont versé leur sang pour la Belgique, et qui seront forcés de demander une pension à celui qu’ils ont combattu. Lorsque vous traitez ainsi ces personnes, est-il juste d’accorder à un seul homme la faculté d’obtenir les plus hautes fonctions de l’Etat, fonctions que la Constitution ne permet de conférer qu’aux belges de naissance et à ceux qui ont obtenu la grande naturalisation ? Je crois que la chambre n’admettra jamais un semblable système.
D’un autre côté, messieurs, on accorde un délai de trois mois à compter du jour de la publication de la présente loi. C‘est encore une mesure que je ne puis admettre : ceux qui sont prévenus qu’on va faire une loi pour les tirer d’embarras, ceux-là s’empresseront de faire la déclaration ; mais en sera-t-il de même de ceux qui ne sont pas au courant de ce qui se passe dans les coulisses du gouvernement ? Ceux-là pourront bien laisser passer les trois mois sans connaître la loi. Et qu’on ne vienne nous dire que tout homme doit connaître la loi, car la loi que nous faisons a précisément pour but de venir en aide à ceux qui n’ont pas connu la loi de 1839.
Je crois, messieurs, que si l’on veut admettre le principe de la loi, il vaudrait beaucoup mieux voter une disposition portant que tout habitant des parties cédées du Limbourg et du Luxembourg, qui a continué à résider sur le sol belge et qui désire y rester domicilié, est belge par le seul fait de cette résidence. Il y aurait là quelque chose de large, quelque chose de grand ; il y aurait là une mesure conforme à ce que nous devons faire pour nos frères du Limbourg et du Luxembourg ; cela vaudrait mieux, à coup sûr, que d’accorder, ainsi qu’on le propose, un délai tellement court que peu de personnes pourront en profiter. Dans tous les cas, je dis que si l’on veut accorder une faveur aux uns, il faut également accorder cette faveur aux autres ; il faut surtout l’accorder aux habitants du Limbourg et du Luxembourg qui doivent nous être le plus chers, à ceux qui ont porté les armes pour la défense du territoire, pour la défense de notre nationalité.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Messieurs, je ne pense pas que la crainte de l’honorable M. Dumortier soit fondée en ce qui concerne le nombre des individus qui, profitant de la loi en discussion, pourraient venir réclamer de la Belgique une pension qu’ils touchent maintenant sur le trésor hollandais ; en effet, messieurs, aux termes de l’art. 1er, la loi n’est applicable qu’aux personnes qui, avant l’expiration du délai de la loi de 1839, ont transféré leur domicile dans une commune belge ; or, je pense que ceux qui reçoivent une pension du trésor hollandais, auront la plupart fixé leur domicile en Hollande. D’après les lois de ce pays, un individu qui jouit d’une pension ne peut pas, je pense, habiter à l’étranger ; ainsi, en règle générale, celui qui habiterait la Belgique ne pourrait pas toucher une pension dans les Pays-Bas.
M. Dumortier – Je demande la parole.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – On dira peut-être qu’il y a une exception, quant aux pensions à payer en vertu du traité, dont l’art. 38 porte :
« Les pensions accordées par le gouvernement belge depuis le 1er novembre mil huit cent trente, jusqu’à l’époque de la remise aux Pays-Bas du duché de Limbourg et du grand-duché de Luxembourg, à des personnes nées sur ces territoires et qui n’auront pas déclaré vouloir rester Belges, en conformité des lois belges sur la matière, seront à la charge du trésor néerlandais.
« Les pensions accordées par le gouvernement belge depuis le 1er novembre mil huit cent trente, à des personnes nées sur les territoires dont il est question dans le paragraphe précédent et qui auront déclaré vouloir rester Belges, en conformité des lois précitées, seront à la charge du trésor belge. »
Mais cet article ne semble rien décider quant à l’obligation du domicile pour conserver la pension.
L’honorable M. Dumortier a dit que la loi en discussion est proposée à l’occasion d’un ministre belge qui ne s’était pas conformé à la loi de 1839, quoiqu’il l’eût présentée lui-même.
Ce n’est pas seulement un ministre qui usera du bénéfice de la loi ; mais plusieurs personnes se trouvent dans une position semblable. Ce n’est donc pas seulement à l’occasion d’un ministre, mais c’est à l’occasion de toutes les autres personnes que la loi a été présentée. La plupart de ces personnes ont été induites en erreur par la loi de 1839. Comme je le disais tantôt, ces personnes ont pensé que la loi n’était applicable qu’à ceux qui habitaient les parties cédées et qui transféraient leur domicile en Belgique, mais qu’elle n’était pas applicable à ceux qui habitaient la Belgique et qui avaient continué de l’habiter après la cession d’une partie du Limbourg et du Luxembourg. C’est par cette erreur que plusieurs personnes qui étaient dans la nécessité de faire la déclaration ne l’ont pas faite ; elles ont ainsi perdu le droit qui aurait pu leur être assuré en usant du bénéfice de la loi de 1839.
Le ministre auquel l’honorable M. Dumortier a fait allusion se trouve dans la même position. Cette loi lui sera applicable. Elle n’a pas été présentée en vue de ce ministre, mais en vue de toutes les personnes qui, ayant été induites en erreur, ont négligé de remplir les formalités prescrites par la loi pour conserver la qualité de Belge.
Puisqu’on a parlé de cette circonstance, je dois en indiquer une autre.
Le ministre dont l’honorable M. Dumortier a fait mention se trouve à l’étranger. Aux termes de la loi de 1839, il devait faire la déclaration que son intention était de rester Belge. Cette déclaration, il l’a faite en temps utile ; mais il était à l’étranger ; il a pensé qu’il pouvait faire cette déclaration devant un agent diplomatique. Cette déclaration n’a pas été considérée comme valide, parce qu’elle devait être faite devant le gouverneur de la province où le déclarant était domicilié. Il a pensé que c’était une espèce d’acte d’état-civil et que dès lors un agent diplomatique pouvait remplacer le gouverneur, comme il peut remplacer l’officier de l’état-civil. Voilà la cause de l’erreur où est tombé ce ministre, et cette erreur était bien pardonnable. Si la loi avait été faite pour lui, elle pourrait donc se justifier facilement.
La loi que nous proposons n’est applicable, comme je le disais tout à l’heure, qu’aux Belges qui avaient transféré leur domicile en Belgique, et qui l’avaient conservé depuis 1839. Pour que cette loi leur doit applicable, ces personnes devront faire une déclaration.
L’honorable M. Dumortier ne voudrait pas cette déclaration, il pense que la résidence seule devrait suffire. Il me paraît nécessaire d’exiger une déclaration, alors surtout que vous en avez exigé une par la loi de 1839. Je ne conçois pas pourquoi l’on traiterait avec plus de faveur les personnes qui ont négligé de faire la déclaration prescrite par la loi de 1839, que celles qui se sont soumises à cette loi.
Quant au délai, je pense que celui de trois mois est suffisant. C’est un délai de faveur qu’on accorde aux personnes qui sont dans la position des 14 ou 15 individus qui ont fait des réclamations relativement à l’oubli de la déclaration qui leur était imposée. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’augmenter ce délai.
Lors de la loi de 1839, on avait proposé un délai de six mois ; quelques membres avaient alors proposé un délai de six ans ; on s’est arrêté à un délai de quatre années ; il me semble qu’un dernier délai de trois mois (page 280) est suffisant. Cette loi aura toute la publicité nécessaire ; de manière qu’après un délai de trois mois, je ne pense pas qu’aucun intéressé puisse encore prétexter cause d’ignorance. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’accorder un délai plus long.
M. Dumortier – Messieurs, je dois rectifier une erreur de fait dans laquelle est tombé M. le ministre de la justice, lorsqu’il pense que si les anciens officiers dont j’ai parlé avaient continué à habiter la Belgique, ils perdraient leurs droits à la pension en Hollande. Eh bien, je pourrais signaler nominativement plusieurs officiers, nés dans les parties cédées du Limbourg et du Luxembourg, qui ont épousé des femmes belges, qui ont formé des établissements en Belgique, qui ont vu leur pension radiée du grand-livre de la Belgique, pour être transférée, par suite du traité, au grand-livre des pensions hollandaises, et qui cependant n’ont pas cessé d’habiter la Belgique. Comment cela s’est-il fait ? je l’ignore ; mais le fait est que la chose existe ; il y a beaucoup d’officiers en Belgique qui se trouvent dans ce cas.
Maintenant la Hollande, à la suite de réclamations qui lui ont été adressés (et j’ai été moi-même porteur de quelques-unes de ces réclamations, que M. le général Goblet a bien voulu accueillir avec bienveillance), la Hollande, dis-je, a consenti à tolérer la résidence de ces officiers sur le sol belge.
M. Donny – C’est par un traité.
M. Dumortier – C’est possible ; mais enfin il ne faudrait qu’une disposition de la Hollande pour obliger ces officiers à rentrer dans ce pays ; ils devraient ainsi abandonner leurs établissements et traîner avec eux leurs femmes et leurs enfants, pour aller vivre chez une nation dont ils ont voulu se séparer, ou bien ils devraient perdre leurs droits à la pension qu’ils touchent sur le trésor des Pays-bas.
Si nous faisons une loi de faveur, elle doit être une loi de faveur pour tous. Le seul motif pour lequel le gouvernement hollandais a consenti au transfert des pensions de ces officiers belge au grand-livre de Hollande, c’est que ces officiers n’ont pas fait, en Belgique, la déclaration prescrite par la loi de 1839. Or, les personnes qui sont encore en fonctions et qui n’ont pas fait la déclaration se trouvent dans une position identiquement la même. Je le répète, ce serait avoir deux poids et deux mesures que d’accorder aux uns ce qu’on refuserait aux autres. Si l’on veut conserver aux habitants des parties cédées du Limbourg et du Luxembourg des droits à redevenir Belges, il faut qu’on fasse de même pour qu’on soit large pour tout le monde. Loin de moi la pensée de donner les mains à des mesures qui puissent nuire aux intérêts de nos anciens frères du Limbourg et du Luxembourg. Il y a plus : d’après les explications que vient de donner M. le ministre de la justice, l’agent diplomatique dont il est question, avait fait, semble-t-il, une déclaration valide, lorsqu’il l’avait faite devant l’agent diplomatique. Il faut prendre les choses comme elles peuvent être : lorsqu’on est à deux cent lieues de la capitale, on ne peut pas faire une déclaration devant un gouverneur belge, et dans ce cas, l’agent diplomatique lui-même remplace le gouverneur belge. Cette déclaration, faite en ces termes, était, me paraît-il, une déclaration valide, pourvu qu’elle ait été faite dans le délai prescrit par la loi.
M. d’Hoffschmidt – Messieurs, le projet de loi dont nous nous occupons, a pour but de relever de la déchéance les personnes qui se trouvent dans le cas de l’art. 1er de la loi du 4 juin 1839 et qui n’auraient pas fait la déclaration prescrite par cet article.
La loi de 1839 était destinée à combler une espèce de lacune du traité du 19 avril 1839. En effet, l’on ne s’était pas occupé, dans ce traité, de la position future des habitants des parties cédées : la loi du 4 juin 1839 avait donc bien dû pourvoir à cette lacune que ne présentaient point, par exemple, les traités faits, en 1814, après la chute de l’empire. Dans le traité de Paris, si je ne me trompe, on avait accordé un délai de six années aux habitants des territoires détachés de la France pour faire une déclaration analogue à celle dont nous nous occupons maintenant. Ainsi, même avec le délai de trois mois que le projet en discussion tend à accorder, nous serions encore moins généreux envers les habitants des parties cédées qu’on ne l’était par le traité de Paris en 1814.
Aussi l’honorable M. Dumortier trouve-t-il qu’un délai de trois mois n’est pas suffisant ; aucune observation, ni proposition n’a été faite dans la commission relativement à ce délai. Mais si l’on pensait qu’il fût convenable de porter ce délai à six mois ou même à un an, les membres de la commission, je pense, ne s’y opposeraient pas.
Je ne sais si je dois m’occuper des doutes constitutionnels qu’a soulevés l’honorable M. Savart ; déjà, il lui a été répondu sur ce point, et l’honorable membre a paru satisfait de cette réponse. Dans la commission, nous n’avons pas, j’en conviens, examiné cette question constitutionnelle ; nous avons cru qu’elle était formellement tranchée par la loi du 4 juin 1839, loi que le projet actuel ne fait que proroger.
D’ailleurs, la situation qui se présentait était tout à fait exceptionnelle ; elle ne pouvait pas, dès lors, rentrer dans le droit commun, et il était bien nécessaire, dans une circonstance pareille, de porter des dispositions exceptionnelles au Code civil.
Je n’en dirai pas davantage sur le projet de loi, qui me paraît destiné à obtenir l’assentiment presque unanime de la chambre. C’est en quelque sorte un dernier appel que nous faisons à nos anciens concitoyens, pour les mettre à même de conserver la qualité de Belge. Je pense qu’un pareil projet de loi ne peut guère rencontrer d’opposition.
M. de Garcia – Messieurs, les observations qui ont été présentées par l’honorable M. Dumortier n’ont pas, au fond, pour but de combattre le principe de la loi qui nous est soumise ; il me semble, si j’ai bien compris, que l’honorable membre ne critique la loi que parce qu’elle n’a pas toute la portée qu’il désirerait lui voir. La portée que l’honorable M. Dumortier veut donner à la loi aurait évidemment un résultat beaucoup plus étendu que celui qu’on avait en vue, elle aurait un effet rétroactif sur des actes et des faits accomplis. Il s’agirait de donner aux personnes qui n’ont pas fait la déclaration prescrite par la loi du 4 juin 1839 et pensionnées à charge du trésor des Pays-Bas ; il s’agirait, dis-je, de leur donner non-seulement le droit de récupérer la qualité de Belge, mais encore de leur donner le droit d’obtenir leur pension à charge du trésor belge, et, par suite, de décharger le trésor hollandais des pensions mises à sa charge par les traités. Il résulterait de là un grave préjudice pour notre trésor.
J’admets le principe général de la loi, et l’honorable M. Dumortier l’admet aussi ; mais je pense qu’il est difficile d’accueillir l’extension indiquée par l’honorable membre.
Je veux bien faire une loi, mais je ne veux pas qu’elle entraîne une pareille conséquence pour le trésor de la nation. Je ne conçois pas comment l’honorable M. Dumortier, qui est toujours le défenseur des intérêts du trésor, insiste pour qu’on donne une telle portée au projet de loi…
M. Dumortier – Je demande la parole.
M. de Garcia – Vainement, objecte-t-on que la loi présentée sera sans effet à l’égard des citoyens pensionnés et appartenant au territoire cédé, puisqu’en profitant du bienfait de la loi pour récupérer la qualité de Belge, ils seront exposés à perdre leur pension à charge du trésor hollandais. Je ne puis nier la justesse de cette réflexion, mais je ne la trouve pas de nature à renverser des faits accomplis. Un traité ayant fixé le sort des personnes de cette catégorie, je ne sais comment vous voudriez mettre maintenant à la charge de la Belgique des pensions dues par la Hollande. Un seul moyen équitable vous reste, ce serait de provoquer un nouveau traité avec la Hollande, pour stipuler en notre faveur une indemnité, à raison des pensions que nous prendrions à notre charge et à la décharge du trésor des Pays-Bas. Si dès aujourd’hui vous consacriez dans la loi le principe du payement de ces pensions par le trésor belge, le gouvernement des Pays-Bas ne serait pas fort disposé à traiter avec vous. J’avoue que je n’ai pas assez de confiance dans la bienveillance de ce gouvernement pour croire qu’il nous tiendrait compte des pensions dont nous nous serions chargés tout à fait gratuitement, et, je dois en convenir, j’en agirais ainsi à la place du gouvernement hollandais. D’après ces considérations, je repousse l’extension que l’honorable M. Dumortier veut donner à la loi.
Je n’en dirai pas davantage. Ce n’est qu’à ce point de vue que je voulais exprimer mon opinion sur les effets de la loi en discussion. Pour le surplus, la loi aura mon assentiment.
M. de Villegas – Il est inutile, je pense, de répondre encore aux observations qui ont été présentées par l’honorable M. Savart. Le reproche d’inconstitutionnalité qu’il a fait à la loi n’est pas fondé, ainsi qu’il a été démontré par le discours de M. le ministre de la justice et par celui de l’honorable M. de Muelenaere. Il est évident qu’il ne s’agit pas ici de l’art. 133 de la Constitution qui n’est applicable qu’aux étrangers établis en Belgique avant le 1er janvier 1814, mais uniquement d’accorder un nouveau délai aux Limbourgeois et Luxembourgeois dont nous avons été séparés à la suite des traités de 1839, qui n’ont pas cessé d’habiter la Belgique, mais qui ont négligé de faire la déclaration d’indigénat, ou de nationalité, conformément à la loi.
Ce n’est donc pas un nouveau principe que l’on soumet à la sanction de la législature. Accordera-t-on un nouveau délai pour faire la déclaration, oui ou non ? Voilà la question à résoudre. A ce point de vue, la solution de la question ne peut pas être douteuse. L’exposé des motifs, indépendamment des raisons alléguées dans le rapport, démontre la nécessité de faire quelque chose en faveur de nos anciens frères qui n’ont pas fait la déclaration de nationalité, par des circonstances indépendantes de leur volonté.
Un honorable préopinant a pensé que la loi soumise à nos délibérations pouvait avoir un effet rétroactif. Je ne suis pas de son avis. Le principe de non-rétroactivité, qui est de droit commun, est déjà proclamé dans l’art. 2 du projet du gouvernement ; ensuite, j’aurai l’honneur de faire remarquer à l’honorable M. Dumortier que le Luxembourgeois ou le Limbourgeois qui néglige de faire sa déclaration dans le délai fixé par la loi devient étranger et ne peut acquérir ou recouvrer la qualité de Belge qu’en vertu de la disposition spéciale. Il va sans dire que, dans ce cas, les personnes qui useront de la faculté accordée par le projet de loi, ne jouiront que pour l’avenir seulement des avantages de l’indigénat.
M. Dumortier pense que la loi devrait dispenser les Limbourgeois et les Luxembourgeois de faire la déclaration voulue par la loi et que la naturalisation pourrait leur être accordée en masse.
Il me permettra de croire que telle n’a pu être la pensée, ou la portée de la loi ; il ne s’agit, ainsi que je l’ai fait observé précédemment, que des Limbourgeois ou Luxembourgeois qui ont transféré leur domicile en Belgique avant le 8 juin 1843, qui l’ont conservé depuis, mais qui ont négligé de faire leur déclaration en temps utile. Ensuite, cette déclaration n’est pas assujettie à des formalités gênantes. Il suffira, aux termes de la loi de 1839, que l’intéressé se présente devant l’autorité compétente, et que là il produise un certificat de translation de domicile et manifeste sa volonté de vouloir user du bénéfice de la loi.
Ensuite, l’honorable M. Dumortier ne remarque-t-il pas qu’il ne peut pas accorder l’indigénat à celui qui n’implore pas cette faveur et qui peut avoir intérêt à ne pas la réclamer ?
Quant au délai que l’honorable préopinant dit être trop court, je ferai remarquer qu’il s’agit ici d’un délai de faveur, que le nombre de ceux qui (page 281) demandent à être relevés de la déchéance encourue est très-petit, et qu’il est à croire qu’il n’augmentera que dans une faible proportion. Aussitôt que la loi aura reçu toute sa publicité, les dernières déclarations ne tarderont pas à être faites à l’autorité administrative. Du reste, si, dans la discussion des articles, l’insuffisante du délai est démontrée, nous examinerons les propositions qui seront faites à cet égard.
M. Fallon – Je ne sais si j’ai bien compris l’honorable M. Savart, mais la réponse qu’on lui a faite, ne me parait pas lever d’une manière satisfaisante les scrupules qu’il a exprimés. Je ne pense pas que la loi que nous faisons puisse relever les habitants des parties cédées du Limbourg et du Luxembourg de l’omission de la déclaration prescrite par l’art. 133 de la constitution. Si cette loi était applicable aux habitants des parties cédées de ces provinces, qui ne se sont pas conformés à l’article 133, nous accorderions aux habitants des parties cédées un avantage que nous refusons aux habitants de la Belgique. S’il est bien entendu que la loi qui nous est soumise n’est pas applicable aux habitants des parties cédées, qui ne se sont pas conformés à l’art. 133, il faut qu’on insère dans la loi une disposition qui l’exprime formellement.
M. Dubus (aîné) – Je viens appuyer les observations de l’honorable M. Fallon, et je crois qu’on peut les appuyer du texte même de la loi du 4 juin 1839. Dans le projet qui vous est soumis, il ne s’agit que de proroger le délai accordé par la loi du 4 juin 1839. or, quels étaient ceux auxquels s’appliquait cette loi ? Voici comment est conçu l’article 1er :
« Toute personne jouissant de la qualité de Belge, qui perdrait cette qualité par suite du traité du 19 avril 1839, pour la conserver, etc. »
Il ne s’agissait que des personnes qui jouissaient de la qualité de Belge, qui étaient exposées à la perdre et qui voulaient la conserver. Or, les personnes qui n’avaient pas fait la déclaration voulue par la Constitution, ne jouissaient pas de la qualité de Belge ; elles l’avaient perdue, irrévocablement perdue. La loi de 1839 ne s’appliquait donc pas à elles ; la nouvelle loi ne leur serait pas plus applicable. Je pense donc que la difficulté, puisée dans l’art. 133 de la Constitution ne se présente pas dans le cas actuel.
Quant aux observations qui se reportent à l’art. 2 du projet, je pense que ce serait violer les principes que de donner à la loi que vous allez faire, un effet rétroactif, en ce sens que les personnes qui ont perdu la qualité de Belges pour n’avoir pas fait la déclaration voulue par la loi du 4 juin 1839 pourraient faire cette déclaration de manière à être censées Belges depuis l’époque du traité. Vous n’avez pas le droit de prendre une pareille disposition, vous porteriez atteinte à des droits acquis.
Si, à défaut de faire la déclaration prescrite par la loi de 1839, ces Luxembourgeois ou Limbourgeois ont perdu la qualité de Belge et ont cependant été témoins dans des testaments, ces testaments sont nuls ; en vertu de la loi que vous feriez, en leur donnant la latitude que propose un honorable membre, vous valideriez ces testaments, vous enlèveriez aux héritiers du sang le droit de succession pour l’attribuer à ceux désignés dans les testaments. Ce serait une disposition monstrueuse qui excède vos pouvoirs.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Il me paraît évident que l’art. 133 de la Constitution, ou plutôt la loi que nous discutons, qui n’est que la reproduction de la loi de 1839, ne peut pas être appliquée à des étrangers qui n’auraient pas fait la déclaration voulue par la constitution, puisqu’ils n’étaient pas Belges en 1839, et que la loi n’a été faite que pour ceux qui jouissaient de la qualité de Belge. Mais comme on l’a fait observer, les Limbourgeois et les Luxembourgeois n’ont pas eu de déclaration à faire aux termes de l’art. 133 ; car ce n’est pas comme Luxembourgeois ou Limbourgeois mais comme étrangers qu’ils auraient dû faire la déclaration prescrite par l’art. 133.
On parle de droits acquis et d’effet rétroactif. La loi dit, article 2, qu’elle ne peut pas avoir d’effet rétroactif, c’est-à-dire que ce n’est que pour l’avenir que les individus dont il s’agit jouiront des avantages accordés aux Belges de naissance. Cet article doit s’entendre comme vous l’a indiqué l’honorable M. Dubus. Il est évident que si dans l’intervalle qui s’est écoulé entre le moment de la ratification du traité et l’instant où la déclaration sera faite par les individus qui demandent à recouvrer la qualité de Belge, ces individus avaient assisté comme témoins à des actes publics, ces actes pourraient être argués de nullité, si la qualité d’indigène était nécessaire pour être témoin à ces actes. La question de rétroactivité a été soulevée par l’honorable M. Dumortier ; à l’occasion des pensions, il a demandé, en présence de l’article 2, quelle serait la position d’individus appartenant aux parties cédées du Limbourg et du Luxembourg, qui voudraient obtenir par déclaration subséquente la faculté d’être Belges. Il a demandé si ces individus recevraient leur pension du trésor belge ou du trésor néerlandais. L’art. 68 du traité dit :
« Les pensions accordées avant le 1er septembre 1830 à des Néerlandais qui, domiciliés dans les provinces méridionales, à cette époque, ont continué à demeurer en Belgique, seront à la charge du trésor néerlandais ou grand-ducal.
« Les pensions accordées avant le 1er novembre 1830, à des Belges qui, domiciliés dans les provinces septentrionales à cette époque, ont continué à demeurer dans les Pays-Bas ou le grand-duché de Luxembourg, seront à la charge du trésor belge.
« Les pensions accordées par le gouvernement belge depuis le 1er novembre 1830 jusqu’à l’époque de la remise aux Pays-Bas du duché de Limbourg et du grand-duché de Luxembourg à des personnes nées sur ces territoires et qui n’auront pas déclaré vouloir rester Belges en conformité des lois belges sur la matière, seront à la charge du trésor néerlandais. »
« Les pensions accordées par le gouvernement belge depuis le 1er novembre 1830 à des personnes nées sur les territoires dont il est question dans le paragraphe précédent, et qui auront déclaré vouloir rester Belges en conformité des lois précitées, seront à la charge du trésor belge. »
Il est évident que les personnes qui ont fait la déclaration en vertu de la loi de 1839, doivent toucher leur pension à charge du trésor belge. Comme la loi que nous faisons n’est que la reproduction de la loi de 1839, les personnes qui feront la déclaration qu’elle prescrit toucheront leur pension à la charge du trésor belge, à la condition qu’ils aient été pensionnés par la Belgique depuis le moi de novembre 1830. Un délai avait été accordé par la loi de 1839. ce délai est prolongé. La déclaration faite par suite de la prolongation du délai doit avoir les mêmes conséquences que si elle avait été faite dans le délai antérieurement fixé, et je ne pense pas que la défense de donner à la loi un effet rétroactif puisse s’appliquer aux pensions à toucher par les Belges sur le trésor belge.
M. Fallon – Il m’est impossible d’admettre le système que vient de présenter l’honorable ministre de la justice. Je ne puis concevoir que, par l’effet de la loi que nous allons voter, nous relevions de la déchéance les titulaires des pensions à charge de la Hollande, que nous prenions les pensions à notre charge.
J’espère que l’honorable M. Dumortier présentera un amendement pour qu’on ne puisse donner cette portée à la loi.
M. Huveners – Je demanderai à M. le ministre de la justice si les personnes âgées de plus de 21 ans et nées en Belgique, dont les parents appartiennent par leur naissance au Limbourg ou au Luxembourg cédé, sont obligées de faire la déclaration pour conserver la qualité de Belge ?
Il y a dans le Limbourg beaucoup de personnes dans ce cas ; les unes ont fait la déclaration, les autres ne l’ont pas faite. Si les parents vivent, ils doivent faire la déclaration pour conserver la qualité de Belge ; les enfants majeurs nés, et demeurant en Belgique, sont-ils obligés de faire la déclaration ?
M. de Villegas, rapporteur – Lisez l’art. 9 du Code civil.
M. Dumortier – Je suis très-satisfait des observations qu’a présentées M. le ministre de la justice et de la manière dont il interprète la loi. Je trouve cette interprétation fort juste ; car dès que vous accordez aux habitants des territoires cédés le droit de faire la déclaration, tous, qu’ils soient pensionnés ou non, ont ce droit ; l’art. 63 déclare que ceux qui auront fait leur déclaration dans le délai fixé par la loi, auront leurs pensions à charge de la Belgique. Il va donc sans dire que ces Belges, qui n’ont jamais cessé d’être considérés comme tels, qui sont mariés et demeurent en Belgique, profiteront du bénéfice du traité et rentreront dans leur position normale.
Mon honorable collègue et ami M. de Garcia a dit qu’il ne comprenait pas comment, moi, défenseur du trésor, je présentais des observations tendant à mettre des sommes à charge du trésor. Il est vrai que je suis toujours le défenseur du trésor ; mais, avant tout, je suis le défenseur des droits des citoyens. Si des individus qui ont versé leur sang pour la cause nationale ont acquis des droits, je regarde les droits du trésor comme très-secondaires, alors surtout qu’il s’agit de pensions d’officiers, ne s’élevant pas à un chiffre très-considérable.
On a soulevé la question des individus qui auraient pris part à des actes publics, quoiqu’ils n’eussent plus la qualité de Belge. Cette question est extrêmement grave en présence des faits qui ont été signalés. En effet, on vient de me dire qu’il n’y a pas seulement un ministre à l’étranger qui a perdu la qualité de Belge, mais qu’il y en a deux. Comment ont-ils pu recevoir des actes en vertu de leurs offices ? Tous les actes de mariage, tous les testaments qui ont été passés devant ces agents sont donc nuls ! Je n’ai pas l’honneur d’être avocat. (On rit.) Je me borne donc à indiquer cette qualité.
Il ne me paraît pas possible que dans les légations européennes auxquelles ces personnes appartiennent, il n’y ait pas eu, depuis qu’elles ont perdu la qualité de belge, des actes de mariage à passer. Ceux qui ont contracté mariage devant ces agents diplomatiques, devaient leur supposer la qualité de Belge. Je demande que l’on examine cette question, qu’on apaise nos scrupules.
La conséquence à tirer de ces faits, c’est que le gouvernement devrait procéder avec moins de légèreté, quand il s’agit du choix de nos agents diplomatiques à l’étranger. Jamais il n’aurait dû nommer ministres à l’étranger deux personnes dont la qualité de Belge est si contestable, à qui cette qualité est à bon droit contestée. Quand on envoie des agents à l’étranger, on doit savoir s’ils possèdent la qualité de Belge ; car les personnes qui se présentent à l’étranger pour contracter mariage n’iront pas s’enquérir si ces agents possèdent la qualité de Belge. Voilà cependant des mariages contractés de bonne foi, qui sont entachés de nullité par suite de la légèreté du gouvernement.
Espérons qu’il profitera de cette leçon et que désormais ce sera avec une réserve extrême qu’il procédera au choix des agents diplomatiques à l’étranger.
Je demande que cette question soit examinée ; car si ces mariages sont nuls, le gouvernement aura sans doute des mesures à prendre, des avis à transmettre à ceux qui les ont contractés de bonne foi.
Ce qui arrive vous prouve le danger de faire des lois pour régulariser la position de quelques personnes. On ne recueille que des embarras.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je répondrai d’abord à l’interpellation de l’honorable M. Huveners.
Si j’ai bien compris cet honorable membre, voilà le cas auquel il a voulu faire allusion : Un individu est né en Belgique de personnes appartenant, par leur naissance et leur domicile, aux parties cédées, et qui seraient étrangères (page 282) à défaut de déclaration. Quelle sera la nationalité de cet individu ? Evidemment, il aura la nationalité de son père, s’il n’a pas fait, dans le délai fixé par la loi, ou dans l’année qui suit sa majorité, la déclaration prescrite par le Code civil. Mais on lui accorde maintenant la faculté de la faire dans un nouveau délai.
Je conçois les inconvénients de l’opinion que je soutiens, mais c’est pour les faire cesser que nous faisons la loi ; c’est pour régulariser la position où se trouve non pas un ministre, mais un grand nombre de personnes qui n’ont pas fait cette déclaration.
L’honorable M. Fallon ne partage pas mon opinion relativement à l’art. 68 du traité de 1842. Je pense cependant que l’honorable membre ne peut pas contester que toutes les personnes reprises à l’art. 68 du traité, tant qu’elles se sont trouvées dans le délai de la loi de 1839, n’aient pas réclamer le bénéfice de l’art. 68.
Je demanderai à l’honorable membre pourquoi il ferait une différence entre la loi actuelle, quant à ses effets, et la loi de 1839, dont elle n’est que la reproduction. Je ferai, du reste, observer à l’honorable membre qu’on ne peut avoir des craintes fondées qu’il y ait des réclamations nombreuses ; car la loi exige une condition ; elle n’est pas applicable à tous les Limbourgeois et à tous les Luxembourgeois, mais seulement à ceux qui sont domiciliés en Belgique. Il y en a très-peu, je pense ; et ne pas les appeler au bénéfice du traité, ne serait-ce pas une injustice ?
Ces personnes indiqueront d’une manière positive l’intention de profiter du bénéfice de la loi ; on ne leur en ferait profiter que d’une manière incomplète, si on ne leur accordait pas la faculté de recevoir du trésor belge la position à laquelle leurs services leur ont donné droit.
Remarquez que ce sont des pensions, accordées depuis 1830 par le gouvernement belge, en vue des services rendus en Belgique, et à des personnes qui manifestent maintenant formellement l’intention de rester Belges, intention qu’elles n’avaient manifestée que d’une manière indirecte et incomplète en établissant leur domicile en Belgique.
Je ne pense pas que ce serait une charge bien onéreuse pour le trésor belge, puisque les conditions sont telles qu’il y a peu de personnes qui les rempliront.
Si la chambre déclare que tel n’est pas le sens de la loi, elle n’aura rendu qu’une demi-justice.
L’honorable M. Dumortier a parlé des effets rétroactifs de la loi ; il a demandé que l’on réfléchît sur les conséquences de la loi que nous allons voter, sur les effets qu’elle peut produire, parce qu’elle pourrait avoir pour résultat d’invalider certains actes. Mais si l’on ne votait pas la loi, les actes ne seraient pas pour cela valides ; ces actes resteraient nuls, à cause de l’absence de qualité des témoins au moment de la passation de ces actes. Ainsi, ce n’est pas la loi qui ôtera à ces actes leur force et leur valeur ; elle ne leur rendra et ne peut pas les rendre valides sans porter atteinte à des droits acquis.
Je sais très bien que l’application de ce principe de non rétroactivité pourra avoir des conséquences très-graves pour certaines personnes ; mais ce n’est pas, je le répète, parce que vous allez voter cette loi que ces conséquences existeront. Il y a plus : Si vous ne votiez pas la loi, ces conséquences pourraient à l’avenir exister pour d’autres personnes ; car il pourrait encore arriver que certaines personnes croiraient pouvoir assister à des actes, et que d’autres, pour cacher qu’elles n’ont pas fait la déclaration, continuassent à agir comme si elles l’avaient faite. Ainsi, si nous ne pouvons faire cesser le mal pour le passé, nous pourrons le faire cesser pour l’avenir, et c’est déjà beaucoup.
Je reconnais donc, avec l’honorable M. Dumortier, que le principe de non rétroactivité peut avoir des conséquences extrêmement graves ; néanmoins, on ne peut pas violer ce principe, qui sert de garantie à tous les droits acquis. Resterait, au reste, pour valider certains actes, la loi Barbarius-Philippus, dont on a parlé tout à l’heure.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, j’admets aussi l’interprétation donnée par M. le ministre de la justice, sur le cas posé par l’honorable M. Huveners. (Interruption). Il s’agit d’un individu âgé de plus de 21 ans, né dans un village belge ou resté belge, mais d’un père qui, par suite du traité de 1839, cesse ou cesserait d’être Belge. Que doit faire cet individu né dans un village belge, et dont le père devient étranger ? J’ai consulté, je dois le dire, beaucoup de jurisconsultes sur un cas de ce genre, et tous m’ont répondu qu’il n’y avait rien à faire, qu’il restait Belge de plein droit.
J’ai, au contraire, conseillé à une personne qui se trouvait dans ce cas (une voix : c’était vous !), de faire une déclaration, et elle a fait cette déclaration. Je pense qu’elle a très-bien fait (On rit) ; mais je dois dire qu’il n’y a peut-être que deux déclarations de ce genre. En effet, je connais une seconde personne à qui j’ai également conseillé d’en faire une et qui était le frère de la première (On rit de nouveau) ; et il m’a fallu prier le gouverneur devant qui devait être faite la déclaration de cette autre personne, de la recevoir ; je me suis dit que si la déclaration était surabondante, dans tous les cas elle ne nuirait pas.
J’insiste sur ce fait, et très-sérieusement, parce que je crois que l’interprétation donnée par M. le ministre de la justice, interprétation que j’adopte, n’a pas été généralement admise, et qu’aux quatorze personnes, à qui, dit-on, la loi que vous allez faire s’appliquerait, il faut ajouter un grand nombre de personnes qui se trouvent dans le cas signalé par l’honorable M. Huveners.
M. de Garcia – Messieurs, la loi qui nous occupe semblait d’abord n’avoir qu’une portée insignifiante, une portée uniquement de bienveillance ; mais d’après les observations qui ont été présentées, elle a pris des proportions d’un haut intérêt. En présence de l’art. 2 de la loi, messieurs, je pensais qu’elle ne devait avoir aucune espèce d’effet rétroactif. L’honorable M. Dumortier a soulevé la question de savoir si les fonctionnaires publics pensionnés à charge du trésor des Pays-Bas, et appartenant par leur naissance au territoire cédé, aurait droit, moyennant la déclaration dont il est question dans la loi, à obtenir, à charge du trésor belge, la pension qu’ils reçoivent aujourd’hui du gouvernement néerlandais ; l’honorable membre demandait si telle était la portée de la loi. On lui répondait à peu près de tous les bancs : Non, la loi ne peut pas avoir cette portée ; lisez l’art. 2, vous verrez qu’elle n’aura aucun effet rétroactif. Cependant, contrairement aux expressions de la loi et au texte formel de l’art. 2, M. le ministre de la justice vient de donner évidemment à la loi un effet rétroactif ; car les pensions mises à la charge du trésor des Pays-Bas, parce que les citoyens qui les ont obtenues appartenaient au gouvernement de ce pays, sont réellement un fait accompli ; un fait tellement accompli, qu’en vertu des traités solennels acceptés par les gouvernements des Pays-Bas et belge, la pension des fonctionnaires, dont s’agit, se trouve, en droit comme en fait, à charge du trésor hollandais.
Eh bien, M. le ministre vient vous dire le contraire ; il prétend que la loi n’aura pas d’effet rétroactif, et en même temps, il prétend que si de personnes pensionnées à la charge du trésor des Pays-Bas, font la déclaration, la Belgique devait payer leur pension. Cependant, M. le ministre soutient, d’un autre côté, que la loi actuelle ne doit pas avoir de rétroactivité. Il admet le principe de non rétroactivité au point de vue de la nullité de certains actes, à raison desquels il faut être Belge pour y figurer comme témoin. Sur quoi peut-on justifier cette distinction de non rétroactivité ? Je ne puis le concevoir. N’est-il pas évident que le droit à une pension et l’obligation de la servir sont des faits aussi accomplis que les nullités qui peuvent se trouver dans certains actes ?
J’avoue que je ne comprends pas la distinction de M. le ministre, et si vous l’adoptiez, je n’hésite pas à dire que vous donneriez un effet rétroactif à la loi.
Si l’on voulait atteindre le but que s’est proposé l’honorable M. Dumortier, il faudrait proposer un amendement, et déclarer dans la loi que les citoyens appartenant aux parties cédées du Limbourg et du Luxembourg, qui récupéreront la qualité de Belgique, auront droit à se faire payer par le trésor belge la pension qui leur est payée par le trésor des Pays-Bas. Tout au moins faudrait-il supprimer de l’art. 2 les mots : « sans pouvoir avoir d’effets pour l’avenir ». Mais, si la loi reste telle qu’elle est, je crois que jamais le gouvernement ne pourra se permettre d’accorder de pension à ceux qui feront la déclaration en vertu de cette loi. Car enfin on ne peut pas nier que ce ne soit un fait accompli que celui de la pension accordée et liquidée à charge du trésor des Pays-Bas. Poser nettement la question, c’est la résoudre, c’est démontrer l’exactitude des conséquences qui doivent s’ensuivre.
M. Vanden Eynde – Messieurs, en présence des observations diverses qui ont été faites dans le cours de la discussion, j’ai besoin de déclarer que je faisais partie de la commission qui a été nommée par le bureau pour examiner le projet.
Cette commission a eu trois séances. Dans la première, la commission s’est bornée à se constituer ; dans la seconde, un membre a soulevé la question de savoir s’il ne fallait pas une disposition spéciale pour les enfants mineurs, c’est-à-dire qu’il a soulevé le cas de l’art. 2 du projet de la commission.
Une troisième séance a eu lieu. A cette troisième séance n’ont assisté que deux membres ; j’ai été empêché, de même que deux autres membres, d’y prendre part. C’est à cette troisième séance que le projet qui vous a été soumis a été arrêté.
M. d’Hoffschmidt – Je demande la parole.
M. Vanden Eynde – Je crois que cela est exact.
Lorsque j’ai vu le rapport de la commission, j’ai conçu des doutes sur la constitutionnalité du projet, comme j’en ai conçu sur la constitutionnalité de la loi du 4 juin 1839, dont le projet est destiné à proroger le délai.
D’autres objections très-importantes viennent d’être soulevées, entre autres par l’honorable M. Dumortier, sur la rétroactivité de la loi, et à cet égard je dirai, en passant, que je partage l’avis de l’honorable M. de Garcia. Je pense, comme lui, que sur ce point il ne peut, en droit, y avoir aucun doute. Il n’y a pas un tribunal du royaume qui jugerait autrement cette question.
Je crois donc, messieurs, que ce projet n’a pas été assez mûri et qu’il serait prudent de le renvoyer à la commission qui vous a fait rapport, pour qu’elle examine si, en présence des observations qui ont été présentées aujourd’hui, il n’y aurait pas lieu d’y apporter quelques modifications. Il importerait surtout d’examiner si, en présence du traité des 24 articles dont on a voulu combiner les dispositions avec celles du traité de Vienne de 1815, la loi du 4 juin ne devenait pas inutile, et si elle n’était pas inconstitutionnelle.
Je ne m’explique pas sur ce point ; mais je voudrais que cette question, comme les diverses autres qui ont été soulevées, pussent être examinées et qu’on pût faire un rapport supplémentaire à la chambre.
Je propose donc formellement que le projet en discussion soit renvoyé à la commission pour en faire l’objet d’un rapport ultérieur.
M. le président – La discussion est ouverte sur la proposition incidente de M. Vanden Eynde.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Messieurs, je ne m’opposerai pas au renvoi du projet à la commission, pour en faire un examen ultérieur (page 283). Mais je pense qu’on pourrait formuler dès à présent un amendement qui serait de nature à concilier toutes les opinions. On craint, paraît-il, le nombre des pensions qui pourraient être mise maintenant à la charge de la Belgique, et qui, antérieurement déjà, se trouvaient à la charge de la Hollande. On pourrait, me semble-t-il, excepté du bénéfice de la loi les individus dont les pensions ont déjà été liquidées par la Hollande.
M. Dumortier – Ils sont tous dans ce cas.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Pardonnez-moi. Il peut être question de personnes dont les pensions n’ont pas été liquidées du tout.
On pourrait peut-être ne pas prendre à la charge de la Belgique les pensions liquidées par les Pays-Bas ; les individus, ainsi pensionnées, seraient censées avoir renoncé à faire valoir leurs droits envers la Belgique, ou on déclarerait la loi applicable seulement à ceux qui viendraient réclamer une pension en Belgique sans en avoir obtenu préalablement une dans les Pays-Bas.
M. Huveners – Messieurs, j’ai fait mon interpellation parce que je partage l’opinion de M. le ministre de la justice. Il est un grand nombre d’habitants du Limbourg et du Luxembourg qui se croient Belges et qui, d’après ma manière de voir, qui est conforme à celle émise par M. le ministre, ne le sont pas ; je me félicite donc d’avoir fait l’interpellation relativement à la position de ces personnes, et si le gouvernement persiste dans son opinion actuelle, je le prie de donner à la loi en discussion la plus grande publicité possible, surtout par la voie du Mémorial administratif, afin que tous les intéressés puissent profiter de cette occasion pour acquérir la qualité de Belge qu’ils ont perdue sans s’en douter.
M. de Theux – Puisqu’il s’agit de renvoyer le projet à la commission, je ne présenterai pas de nouvelles observations, mais j’appelle l’attention de la commission sur la portée du projet de loi en ce qui concerne les pensions.
M. d’Hoffschmidt – Je ne viens pas m’opposer au renvoi du projet à la commission, car il a été présenté dans le cours de la discussion des observations importantes qui peuvent nécessiter ce renvoi et mériter un nouvel examen ; mais je viens donner quelques explications, puisqu’un honorable membre de la commission est venu en quelque sorte faire l’historique des travaux de cette commission et se plaindre qu’elle ait adopté une des dispositions du projet lorsqu’il n’était pas présent. Je ne conteste point l’exactitude de ce qu’a dit cet honorable membre : la commission a eu, en effet, trois séances ; dans la première, elle s’est constituée ; dans la seconde, elle a discuté le projet et adopté des modifications ; elle est ensuite tombée d’accord sur la question de la position des mineurs, qui avait été soulevée par un membre de la commission dont M. Vanden Eynde ne partageait pas l’opinion. Et la rédaction adoptée en dernier lieu pour l’art. 2 a été approuvée par la majorité de la commission. Les choses se sont donc passées conformément aux règles ordinaires.
M. de Brouckere – Messieurs, je crois que nous sommes d’accord pour reconnaître qu’il convient de renvoyer le projet à la section centrale pour qu’elle examine les questions qui ont été soulevées aujourd’hui. En ce qui me concerne, je partage tout à fait l’opinion qui a été développée et défendue par M. le ministre de la justice ; seulement je dois faire une observation ; par suite de l’idée qu’il vient d’émettre, on pourrait introduire dans le projet un amendement d’après lequel on exclurait de la faveur qu’il s’agit d’accorder aux retardataires, les personnes dont la pension aurait été liquidée en Hollande Je désirerais beaucoup aussi que les pensions que la Hollande paye à ces personnes pussent rester à sa charge s’il n’en résultat pour les pensionnés aucun préjudice ; mais voici à quoi vous les exposez : ces pensionnés, qui voudraient redevenir Belges, ne pourraient plus le devenir, ne pourraient plus même résider en Belgique si le gouvernement hollandais jugeait convenable de les faire rentrer en Hollande. (Interruption.)
Voici, messieurs, le fait dans toute sa simplicité : ce sont des personnes nées dans la partie cédée et résidant en Belgique, mais comme elles n’ont pas fait de déclaration, la Hollande paye aujourd’hui leur pension et leur a permis, jusqu’ici, par une espèce de tolérance, de résider en Belgique ; si vous ne comprenez pas ces personnes dans le texte de la loi et si vous laissez leur pension à la charge de la Hollande, il en résultera que, du jour au lendemain, le gouvernement hollandais pourra les forcer de rentrer en Hollande ; eh bien, je dis que cela me paraîtrait extrêmement sévère à l’égard de ces pensionnés qui auraient le désir de résider en Belgique et de conserver la qualité de Belge.
Je crois, du reste, qu’il suffira d’avoir soulevé la question ; la commission probablement priera M. le ministre de la justice de se rendre dans son sein ; la question sera débattue, éclaircie, et nous pourrons nous prononcer en connaissance de cause.
J’appuie le renvoi proposé par M. Vanden Eynde.
M. Vanden Eynde – Je dois, messieurs, rectifier un fait qui aura probablement échappé à l’honorable président de la commission, M. d’Hoffschmidt. Dans la seconde séance, à laquelle j’ai assisté, une question a été soulevée relativement à la position des mineurs ; cette question a donné lieu à un examen ultérieur ; on a nommé le rapporteur, et il était convenu que le rapporteur conférerait avec M. le ministre de la justice, pour savoir quelles étaient les personnes qui avaient à faire la déclaration, et quelle était la position de ces personnes ; M. le rapporteur devait ensuite communiquer à M. le ministre de la justice la question soulevée par un membre en ce qui concerne les mineurs, dont il est parlé à l’art. 2 du projet de la commission ; voilà tout ce qui avait été décidé ; mais aucune décision formelle n’avait été prise sur aucun des articles du projet.
M. de Villegas, rapporteur – J’ignore dans quelle intention l’honorable M. Vanden Eynde renouvelle ses observations. Je dois à la vérité de déclarer que les explications données par l’honorable M. d’Hoffschmidt sont exactes en tous points. Dans la seconde séance de la commission, un amendement s’était fait jour. J’ai communiqué à M. le ministre de la justice l’idée de cet amendement, que son auteur n’avait pas formulé par écrit, et c’est de concert avec l’honorable chef de ce département que j’ai présenté à la commission la rédaction de l’art. 2, rédaction qui a été approuvée.
M. d’Hoffschmidt – Je ne dirai plus qu’un mot, c’est que nous sommes tombés d’accord sur la rédaction proposée avec M. le ministre de la justice et trois membres de la commission sur cinq qui la composent. Je crois donc que cela suffisait pour que le rapport pût être présenté à la chambre.
- Le renvoi à la commission est mis aux voix et adopté.
M. de Villegas – Par suite de la décision que la chambre vient de prendre, je crois qu’il serait à désirer que les membres qui auraient des amendements à présenter voulussent bien les déposer immédiatement, afin que la commission puisse examiner toutes les propositions simultanément.
M. le président – Nous avons à l’ordre du jour de demain le budget de la justice et des naturalisations. A quelle heure la chambre veut-elle se réunir ?
M. Manilius – Le samedi il y a ordinairement peu de membres présents ; ne conviendrait-il pas de remettre la discussion du budget de la justice à lundi, à moins qu’il soit entendu que l’on ne passera pas demain au vote des articles ?
M. de Brouckere – Je me permets d’insister pour qu’il y ait séance demain, car il est déjà arrivé plusieurs fois qu’il n’y avait pas séance le lundi, et si nous allions prendre l’habitude de ne pas nous réunir le samedi, nous finirons pas ne plus avoir que quatre séances ; il vaut mieux se réunir le samedi un peu plus tôt et finir également plus tôt, afin que les membres qui veulent s’absenter puissent partir par le convoi de quatre heures.
Je demanderai qu’on fixe la séance de demain à 11 heures.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – J’appuie la proposition de M. de Brouckere, et j’insiste pour que le budget de la justice soit maintenu à l’ordre du jour de demain.
M. Vanden Eynde – Le rapport n’a été distribué qu’hier soit à dix heures ; il faut cependant que nous puissions l’examiner. Je demande que la discussion soit remise à lundi.
M. le président – Quant à l’heure de l’ouverture de la séance de demain, je me permettrai de faire remarquer que si nous nous réunissons à midi, nous recevrons probablement le rapport sur le budget de l’intérieur, ce qui sera peut-être impossible, si la séance est ouverte à onze heures.
- La chambre décide qu’elle se réunira demain à midi, et met à l’ordre du jour : 1° le budget de la justice ; 2° les projets de naturalisation.
La séance est levée à 4 heures et demie.