(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 244) (Présidence de M. d’Hoffschmidt)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à 2 heures.
M. Huveners donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces adressées à la chambre :
« Le sieur Clément-François-Emile Garnier, conducteur des ponts et (page 245) chaussées, à Audenarde, né à St-Omer (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Joly, professeur à l’Athénée de Bruxelles, prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Plusieurs débitants de boissons distillées, à Bruxelles, demandent l’abrogation de la loi du 18 mars 1838, qui établit un impôt de consommation sur les boissons distillées. »
- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.
M. Verhaegen – La loi du 22 frimaire an VII, sur l’enregistrement, qu’un savant jurisconsulte (M. Troplong) cite pour la meilleure, ou plutôt la seule bonne entre toutes les lois fiscales, a établi un droit proportionnel sur les obligations, libérations, condamnations, collocations ou liquidations de sommes et valeurs, et pour toute transmission de propriété, d’usufruit ou de jouissance de biens meubles et immeubles, soit entre-vifs, soit par décès (Art. 4). Ce droit est assis sur la valeur, et les quotités en sont fixées par l’art. 69.
Les art. 14 et 15 déterminent la valeur de la propriété, de l’usufruit et de la jouissance des biens meubles et immeubles pour la liquidation et le payement du droit proportionnel.
L’art. 59 dispose qu’aucune autorité publique, ni la régie, ni ses préposés ne peuvent accorder de remise ou modération des droits établis par cette loi, et des peines encourues, ni en suspendre ou faire suspendre le recouvrement sans en devenir personnellement responsable.
L’art. 70 donne la nomenclature des actes qui doivent être enregistrés en débet ou gratis, et de ceux qui sont exempts de cette formalité.
La loi du 22 frimaire an VII n’établissait aucun privilège, et toutes les transmissions de propriété, d’usufruit ou de jouissance de biens meubles et immeubles, soit entre-vifs ou à titre onéreux, soit par décès, n’importe à qui elles profitaient, furent soumises à un droit proportionnel d’enregistrement, impôt qui ne trouve sa source que dans la mutation du droit de propriété dans son passage d’une tête sur une autre.
Le gouvernement voulant faciliter les donations en faveur des pauvres et des hôpitaux, une loi du 7 pluviôse an XII a modéré les droits sur ces donations à un franc pour l’enregistrement et à un franc pour la transcription, c’est-à-dire à un droit fixe de deux francs ; déjà, d’après un arrêté du 15 brumaire, même année, les donations en faveur des hospices n’étaient assujetties qu’à un droit fixe d’enregistrement de un franc.
Un décret du 18 février 1809 veut, art. 11, qu’il ne soit perçu, pour l’enregistrement des actes de donations, legs, ou acquisitions légalement faites, en faveur des congrégations hospitalières, qu’un droit fixe de un franc ; et un décret du 30 décembre 1809 contient une disposition semblable pour les dons et legs faits au profit des fabriques des églises.
Enfin, d’autres exceptions spéciales furent établies par les décrets du 15 novembre 1811 et 6 novembre 1813.
Les dons de l’espèce n’étaient pas autant favorisés sous l’ancien régime. On percevait un droit d’amortissement qui, dans beaucoup de cas, s’élevait au cinquième de la valeur des biens ou 20 p.c. (Voyez Bosquet, v° Amortissement).
Un arrêté (erratum, p. 283) du 31 janvier 1806 établit ou renouvelle des exceptions qui s’appliquaient plus particulièrement aux hôpitaux et aux maisons et écoles de charité, lorsque les biens devaient être employés au logement, à la subsistance et au soulagement des pauvres ou à l’instruction gratuite de la jeunesse.
La loi du 27 décembre 1817 a établi qu’il serait perçu à titre de droit de succession, un impôt sur la valeur de tout ce qui sera recueilli ou acquis dans la succession d’un habitant de ce royaume, décédant après le 31 décembre 1817 et, à titre de mutation, un impôt sur la valeur des biens immeubles situés dans le royaume, recueillis ou acquis en propriété ou en usufruit par le décès de quelqu’un qui n’y est pas réputé habitant et décédant après le 31 décembre 1817 (Art. 1er).
L’art. 17 fixe la quotité du droit de succession et de mutation par décès, d’après le degré de parenté qui existait entre le défunt et ses héritiers légataires ou donataires.
Cette loi qui nous régit encore aujourd’hui, sauf l’abolition de l’article 13, n’établit aucune exception ni privilège en faveur des établissements publics, corporations ou congrégations, quant à l’application et au payement du droit de succession, et dès lors les exceptions introduites en faveur de certains établissements, lorsqu’il s’agit de transmissions de propriétés d’usufruit ou de jouissance de biens meubles ou immeubles entre vifs à titre gratuit, constituent des anomalies qu’il est urgent de faire disparaître.
Déjà le roi Guillaume, par son arrêté du 31 mars 1820, avait pris une mesure administrative pour mettre fin à un privilège que repoussait le principe de la loi du 27 décembre 1817, en attendant qu’il pût être procédé par la législature, à la révision des dispositions existantes sur cette matière.
Voici cet arrêté :
« Considérant que, selon les dispositions législatives encore en vigueur, les donations entre vifs aux établissements d’église et de charité sont exemptes de droit proportionnel, tandis que les donations à cause de mort que reçoivent les mêmes établissements sont assujetties au droit de succession ;
« Voulant, en attendant qu’il puisse être pourvu entièrement à cette irrégularité par la révision des dispositions existantes sur cette matière, introduire l’uniformité requise à cet égard ;
« Vu l’avis de notre conseiller d’Etat, directeur-général des droits d’enregistrement et de sortie et des impositions indirectes :
« Avons arrêté et arrêtons :
« Notre ministre de l’intérieur et du Waterstaat ainsi que les directeurs-généraux du culte catholique et du culte réformé sont chargés d’ajouter dorénavant à leurs propositions d’accorder aux établissements d’église et de charité l’autorisation d’accepter des donations entre-vifs à la condition que ces établissements devront payer à l’Etat un droit égal au droit de succession.
« Nos ministres et directeurs-généraux ci-dessus sont chargés de l’exécution du présent, etc. »
C’est cette uniformité qui a servi de base à la mesure administrative du roi Guillaume, que nous avons eue principalement en vue dans la présentation de notre proposition de loi.
L’art. 1er de la proposition dispose, qu’à partir de la promulgation de loi, les droits sur les donations entre-vifs, à titre gratuit de propriété ou d’usufruit de biens meubles ou immeubles en ligne directe ou collatérale, entre époux et entre personnes non parentes, ainsi que les droits sur les donations faites en faveur des établissements publics, corporations ou congrégations, sous quelque dénomination que ce puisse être, seront perçus selon les quotités y déterminées.
Cet article, qui n’est que la reproduction des dispositions législatives existantes, sauf l’ajoute des mots : « ainsi que celles faites en faveur des établissements publics, aux corporations et congrégations, sous quelque dénomination que ce puisse être », n’a pas besoin de développement ; l’ajoute se justifie par la nécessité de faire disparaître une anomalie que d’autres ont signalée avant nous.
Nous avons cru néanmoins devoir maintenir une seule exception en faveur de certains établissements qu’une pensée philanthropique a instituée, et qui rendent journellement des services éminents aux classes souffrantes ; il sera peut-être convenable d’établir une semblable exception pour les transmissions de biens par décès.
Pour la fixation des droits, il nous a semblé juste de les mettre en rapport avec les droits de succession, établis par la loi du 31 décembre 1817, et de les déterminer d’après le degré de parenté existant entre le donateur et le donataire ; les motifs qui ont prévalu, lors de l’adoption de l’art. 17 de la la loi du 27 décembre 1817, sont les mêmes qui doivent militer pour une transmission entre-vifs à titre gratuit.
Les articles 2 et 3 sont empruntés aux lois du 22 frimaire an VII et du 27 décembre 1817 ; ils n’ont pas besoin de développement.
L’article 4 détermine la valeur de la propriété, de l’usufruit et de la jouissance des biens immeubles pour la liquidation et le payement des droits.
Il nous a paru que le mode le plus régulier était de prendre pour base le revenu connu à la matrice cadastrale et de le multiplier par 35, pour établir la valeur vénale ; ce chiffre, loin d’être exagéré, serait trop modéré dans quelques localités où la valeur vénale s’établit par la multiplication du revenu cadastral au denier 40 et même 45. Nous croyons avoir pris le terme moyen.
L’art. 5 laisse aux parties le soin de faire l’évaluation des objets mobiliers. Nous croyons inutile de le développer ; il eût été très-difficile d’adopter un autre mode, et d’ailleurs la loi peut bien avoir quelque confiance dans une indication que l’acte même de donation doit renfermer.
L’art. 6 dispose que les actes de donations entre-vifs, à titre gratuit, de la propriété de biens immeubles, devront être transcrits au bureau de la conservation des hypothèques du lieu de la situation ; c’est là une conséquence de la loi du 3 janvier 1824 qui exige cette formalité pour tous les actes emportant mutation entre-vifs de biens immeubles.
L’art. 7 défend à toute autorité publique d’accorder remise ou modération des droits établis par la loi, ni d’en suspendre ou faire suspendre le recouvrement.
Cette disposition se justifie par l’art. 112 de la Constitution, et n’a pas besoin de plus grands développements.
L’article 8 est une disposition qui se rencontre dans toutes les lois modificatives, et dont l’utilité est généralement reconnue.
Messieurs, depuis longtemps nous avons la conviction que la base de nos impôts est mauvaise et surtout qu’elle est injuste ; tous les ans nous avons demandé la révision de notre système financier, conformément à l’art. 139 de la Constitution ; le gouvernement est resté sourd à nos réclamations.
Il ne nous restait donc d’autre moyen que d’avoir recours à l’initiative parlementaire ; mais cette initiative, nous devons l’avouer, présente de graves difficultés ; nous n’avons pas à notre disposition tous ces documents statistiques, tous ces renseignements de détails qui sont indispensables pour pouvoir bien apprécier les résultats possibles d’un projet de loi.
En nous bornant aujourd’hui à une proposition qui, toute simple qu’elle soit, a un double but, celui de faire cesser une anomalie signalée depuis longtemps, et de créer de nouvelles ressources au trésor, destinées à remplacer des impôts odieux, nous croyons avoir rempli notre tâche, alors surtout que le gouvernement s’obstine à rester dans l’inaction.
Puissent mes honorables collègues, mettant à profit leurs connaissances spéciales, suivre mon exemple, et concourir avec moi à faire disparaître de notre code financier des impôts qui pèsent de tout leur poids sur les classes laborieuses du pays !
- La proposition est appuyée.
M. Eloy de Burdinne – Messieurs, avant d’émettre mon opinion sur la proposition dont vous venez d’entendre les développements, je prie son honorable auteur de nous dire s’il entend appliquer l’augmentation de (page 246) droit d’enregistrement à toutes les donations, quels que soient les individus qui les recueillent, ou s’il entend seulement en faire l’application aux donations en faveur de mainmortes. Sa réponse décidera de mon vote pour ou contre.
M. Verhaegen – J’aurai l’honneur de répondre à l’honorable préopinant que, s’il avait lu ma proposition, il aurait vu qu’elle s’applique à toutes les donations avec l’échelle de proportion que j’ai établie dans mon projet de loi.
M. Eloy de Burdinne – L’honorable auteur de cette proposition ayant déclaré que l’augmentation proposée est applicable à toutes les donations, malgré la répugnance que j’éprouve de m’opposer à la prise en considération de ce projet de loi, en acquit de mon devoir je crois devoir le combattre.
J’entre en matière.
Messieurs, en vue d’augmenter les revenus de l’Etat, l’honorable M. Verhaegen vous propose d’imposer une nouvelle charge à faire supporter par la propriété.
Il vous propose de frapper d’un droit plus élevé que celui existant les donations des immeubles, comme si la propriété immobilière n’était pas déjà assez chargée, tant directement qu’indirectement ; on oublie que la propriété, dont le revenu est de 170 millions, paye les treize sixièmes des impôts, tant directement qu’indirectement, tandis que le revenu de l’industrie, du commerce et autres branches de revenu de la fortune belge, est de 1,700,000,000 qui paye seulement les trois seizième restants ; est-il juste de surcharger une classe, la classe des propriétaires, et de favoriser les autres ? Tous ne devons-nous pas contribuer à la dépense de l’Etat en proportion de nos moyens, comme le disait naguère l’auteur de la proposition en discussion, l’honorable M. Verhaegen ? L’Etat ne protège-t-il pas toutes les classes de la société, toutes les industries ? J’en excepte l’industrie agricole, qui paraît destinée, en Belgique, à payer des impôts pour venir au secours de ses sœurs cadettes, qui sont protégées sur une grande échelle en Belgique. Où prend-t-on l’argent pour accorder cette protection ? C’est bien certainement sur les 80 millions de francs que paye à l’Etat la propriété immobilière belge.
Cette conduite est-elle équitable ? Est-elle juste ? Personne, j’en suis persuadé, n’oserait le soutenir.
Si l’Etat protège le commerce et l’industrie (ce fait est incontestable), alors pourquoi les industries ne sont-elles pas soumises à des impôts en rapport avec leurs revenus ? Pourquoi voit-on toujours frapper des surcroîts de charges la propriété foncière, dès qu’on a besoin d’une augmentation de recette ? Je ne puis, messieurs, en attribuer la cause qu’à l’absence, dans cette chambre, de véritables défenseurs de la propriété. Je crois devoir me borner à ces observations, pour motiver mon vote, qui sera négatif sur la prise en considération de la proposition qui nous est soumise.
Je réserve d’autres moyens faire valoir, le cas échéant.
J’ai dit.
- La prise en considération est mise aux voix et prononcée.
M. le président - La proposition et les développements qui l’accompagnent seront imprimés et distribués à tous les membres.
- La chambre en ordonne ensuite le renvoi aux sections.
M. le président – Avant de passer au second objet à l’ordre du jour, je dois informer la chambre que je viens de recevoir une lettre de l’honorable M. de La Coste, par laquelle il annonce qu’étant encore souffrant, il ne peut prendre part aux travaux de la chambre.
- Pris pour notification.
M. Osy – Messieurs, j’ai vu avec plaisir le résultat de la conversion du premier emprunt. Tout le monde y a consenti sans réclamation, et on a pu faire cette opération sans argent. J’ai vu aussi avec satisfaction que notre emprunt pour les 80 millions rachetés de la Hollande a également réussi et que nous avons pu soulager le trésor de la différence des intérêts. Cependant, je regrette que la majorité de la chambre n’ait pas adopté les idées que plusieurs honorables collègues et moi avions émises, et n’ait pas adopté la réduction à 4 p.c., d’autant plus que, dans un pays voisin, cette opération a parfaitement réussi. Mais c’est une affaire consommée. Cependant, comme à la session prochaine, nous devrons nous occuper de la réduction de l’intérêt de l’emprunt de 80 millions, j’engage le gouvernement à examiner s’il ne faut pas plutôt le convertir en 4 p.c. qu’en 4 ½ p.c. C’est une chose qui devra nous être soumise à la session prochaine.
Messieurs, j’ai maintenant à vous entretenir du crédit de 210,000 fr. pour intérêt de la somme de sept millions pour les indemnités décrétées en 1842.
Le gouvernement a cru devoir continuer la mission de cette commission jusqu’à la fin de 1846. Je suis convaincu du zèle des membres de cette commission pour accélérer la liquidation. Cependant, je vois avec peine qu’il faille cinq ans pour la terminer, car elle a commencé en 1842, et elle durera jusqu’à la fin de 1846.
Je demanderai au ministère s’il n’a pas reçu des réclamations des intéressés, et s’il n’y aurait pas moyen de leur accorder un soulagement sans léser en rien les intérêts du trésor.
Tous les ans nous votons les intérêts qui restent sans emploi. La commission doit connaître le chiffre des réclamants et des réclamations. Il doit se monter à une somme ne dépassant pas 50 p.c. de la somme allouée.
Je demanderai s’il ne serait pas possible de payer par provision à ceux dont la réclamation est liquidée ainsi qu’à ceux dont les réclamations le seront successivement, un premier dividende de 40 p.c. Comme, bien certainement, on obtiendra 50 p.c., on pourrait leur donner 40. Cela ferait beaucoup de bien aux personnes qui, depuis 14 ans, sont en souffrance. Si elles devaient attendre encore deux ou trois ans, elles seraient obligées ou de vendre à un prix très-bas ou de se jeter dans les mains des usuriers. Je demanderai à M. le ministre si, au fur et à mesure des admissions des réclamations, on ne pourrait pas accorder 40 p.c. aux réclamants. Quand toutes les réclamations seraient liquidées, on pourrait leur remettre le solde définitif.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’ai reçu, en effet, beaucoup de réclamations d’intéressés dans la répartition de la somme votée pour les pertes résultant de la révolution. Je partage la manière de voir de l’honorable préopinant en ce sens que je désire qu’on puisse payer une provision aux réclamants ; j’ai fait, à ce sujet, une proposition à la commission. J’attends la réponse. Il me serait impossible de me prononcer ici maintenant, la question ne dépendant pas entièrement du gouvernement.
M. Malou – Messieurs, il y a quelques semaines, les journaux de la localité la plus intéressée à l’exécution de la loi du 1er mai 1842, ont publié une pétition dans le sens de la demande de l’honorable M. Osy. Je pense qu’en étudiant la loi du 1er mai 1842 et l’arrêté d’exécution, on peut se convaincre qu’il n’est guère possible d’effectuer aujourd’hui un payement définitif, même à ceux qui ont obtenu une liquidation définitive. Il y a deux espèces de créances comprises dans la loi de 1842 : celles de moins de 300 francs et celles de plus de 300 francs. Les premières se payent en argent et on paye tous les jours celles qui sont définitivement admises. Les créances de plus de 300 francs doivent être payées en rentes 3 p.c. La loi fixe la valeur de ces titres : ils sont de 1,000 francs, 200 et 250 francs. Est-il possible de délivrer un titre de rente avant que toutes les créances ne soient liquidées ? Je ne le pense pas, parce qu’une réduction doit avoir lieu sur toutes ces créances. Il a paru qu’on arriverait au même résultat en délivrant des titres provisoires de reconnaissances de liquidation. Voici les données qui peuvent servir à établir ces titres de liquidation provisoire. On connaît la valeur de la totalité des réclamations, on connaît également la somme allouée par la loi du 1er mai 1842. Déjà aujourd’hui on peut reconnaître, d’après l’état des liquidations admises et non admises, quelle est la valeur minimum des créances. Si, par exemple, des réclamations ont été formées pour 16 millions, la somme allouée étant de 8 millions, il est évident que dans l’hypothèse la plus défavorable, toutes les créances non jugées encore étant même admises, il est évident que, dans cette hypothèse, les réclamations admises ont droit au moins à 50 p.c. L’utilité de la délivrance d’un titre provisoire consiste en ceci : les intérêts profitent à toute la somme, mais les personnes dont la créance est liquidée, ne peuvent pas le faire servir à des engagements qu’elles pourraient contracter. Si on leur délivrait des titres provisoires, elles pourraient les aliéner avec valeur certaine, ou les faire servir comme garantie à d’autres engagements. Je me permets de recommander ce mode à l’attention du gouvernement, et comme le ministre vient de dire que la chose ne dépend pas entièrement de lui, je le recommande également à la commission de liquidation.
M. Cogels – Messieurs, dans le rapport que la section centrale m’a chargé de vous présenter, nous nous sommes félicités de l’heureux succès de la conversion et de l’emprunt. Nous avons eu soin de le dire, l’économie sur le service des intérêts n’a pas répondu à toutes les exigences ; mais l’événement a démontré que faire plus qu’on n’a fait eût été chose tout à fait impossible. Mon honorable ami, M. le baron Osy, vient de nous citer ce qui s’est passé en Hollande. C’est là ce que je citerai à mon tour, pour prouver que la Belgique ne devait pas faire ce que la Hollande à fait d’abord, et qu’elle ne pouvait pas faire ce que la Hollande a fait ensuite.
Les premières tentatives de conversion ont été faites en Hollande à un taux extrêmement onéreux. Au mois de mai 1843 la première proposition de conversion était de 141 fl. 3 p. pour cent florins 5 p.c. et de 139 fl. 3 p.c. pour 100 fl. 4 ½ p.c. Ce projet fut rejeté par la chambre. La seconde tentative était de donner 108 fl. 4 p.c. pour 100 fl. 5.p.c. Ce projet fut encore rejeté. C’est à la suite de ces tentatives infructueuses qu’eut lieu, au commencement de 1844, l’emprunt volontaire qui s’effectua avec un succès si admirable. Ce fut le témoignage le plus éclatant de ce que peut le patriotisme de la nation hollandaise ; car ce n’est qu’en réunissant les efforts de tous les individus, qu’on est parvenu à résoudre le problème qu’on avait considéré comme insoluble, celui d’équilibrer les recettes et les dépenses du royaume des Pays-Bas.
C’est après le succès merveilleux de cette opération que l’on fit le premier essai de la conversion. Et, notez bien qu’alors le trésor avait à sa disposition de très-fortes sommes qui lui permettaient de faire aux porteurs du 5 p.c. des offres réelles. Cependant que fit-on ? On marcha avec beaucoup de prudence ; car l’arrêté du 13 avril ouvrit un emprunt de 35 millions de florins, à 4 p.c., avec fl. 57 par mille de bonification sur le 5 p.c. à convertir, et au taux de 95 p.c. pour les versements en espèces, mais avec deux mois de jouissance et ¼ p.c. de commission, ce qui réduisait le taux à 94 p.c. environ.
Eh bien, la conversion n’eut qu’un succès partiel, car sur 35 millions il ne fut souscrit que 5 millions et demi pour être versés en espèces et 16 millions et demi pour être versés en titres 5 p.c. Il fallut donc faire un nouvel appel, mais on retarda ce nouvel appel jusqu’à ce qu’on se fût bien assuré du payement par la Belgique, des 40 millions qu’elle devait à la Hollande. Le trésor ajoutait ainsi encore une fois 40 millions aux sommes qu’il pouvait offrir aux porteurs. C’est ainsi que l’on est parvenu à faire successivement (page 247) la conversion en 4 p.c. d’abord à 95, puis à 96, puis à 97, puis finalement à 97 ¼.
Mais, pendant ce temps, la progression du crédit public avait marché, et la seule chose que nous devons prendre en considération, c’est le taux auquel la Hollande a fait sa première conversion, époque à laquelle se terminait la nôtre. Or, je pose en fait qu’une conversion au pair en 4 ½ p.c., garanti pendant huit ans seulement contre une nouvelle conversion, est mille fois plus avantageuse qu’une conversion en 4 p.c. à 94 p.c. ; car alors l’intérêt n’est plus de 4, mais de 4 et une fraction, et si vous ajoutez à cet intérêt l’amortissement, vous arriverez à ce résultat qu’avec une semblable conversion le service de la dette publique aurait coûté autant qu’il coûte maintenant. Ensuite vous seriez privés par là des chances qui ont sont offertes maintenant, de faire dans huit ans une nouvelle conversion et d’opérer ainsi une nouvelle économique sur les intérêts de la dette.
Mais, messieurs, je vous le demande, aurions-nous pu faire une conversion en 4 p.c. au taux de 94. Il est impossible de le dire, puisque la chose n’a pas été tentée, mais j’ai eu des relations avec des banquiers qui devaient être associés à la grande puissance financière qui convoitait cette opération ; et, d’après ce que j’ai pu apprendre, le maximum de ce que la Belgique eût obtenu n’était guère de 92 p.c., c’est-à-dire, 92 net ; car on assure quelquefois 96 p.c., taux nominal dont il faut déduire une commission, une jouissance d’intérêt, ce qui finalement s’élève à 4 ou ½ p.c. Je dis donc que la conversion s’est faite d’une manière aussi favorable qu’elle pouvait se faire ; et, ce qui le prouve, c’est que le nouveau fonds, donné en échange, est encore à peu près au taux où il était, lorsque l’opération s’est faite.
Quant aux nouvelles conversions à faire, nous avons, pour l’emprunt de 1840, deux années devant nous. Il faut espérer que d’ici là le progrès du crédit public ira toujours croissant et que nous pourrons, en effet, opérer cette nouvelle conversion à des conditions plus favorables que celles auxquelles nous avons fait la dernière.
Nous avons dit un mot des conversions futures, dans le rapport, parce qu’il est utile que les porteurs d’obligations soient avertis des conversions, je ne dirai pas dont ils sont menacés mais qu’ils auront nécessairement à subir, à moins qu’il ne survienne des événements extraordinaires ; mais nous prononcer dès à présent sur le taux auquel ces conversions devront se faire, ce serait une chose imprudente.
Nous ne devons pas certainement favoriser l’agiotage : nous ne devons pas faire en sorte que les obligations 5 p.c. sujettes à la conversion s’élèvent au-dessus de la valeur réelle ; mais nous ne devons pas non plus jeter la terreur parmi les rentiers, provoquer le déclassement des obligations ; car ce n’est qu’en les maintenant entre les mains des rentiers, des détenteurs sérieux, que nous pourrons, comme pour l’emprunt 5 p.c. ancien, assurer le succès des conversions futures que nous méditons.
Quant aux indemnités, les honorable MM. Osy et Malou vous ont exposé leurs vues ; la section centrale a partagé complètement les vues de ces deux honorable membres. Elle demande aussi que l’on donne aux propriétaires des créances déjà liquidées, un à-compte aussi considérable qu’on pourra l’établir, sans s’exposer à payer trop.
Nous n’avons pu obtenir de la commission de liquidation le chiffre exact des réclamations liquidées ou restant à liquider, enfin le maximum du chiffre possible des liquidations. Mais d’après des chiffres que j’ai obtenus d’une manière officieuse, je crois que, dans tous les cas, les porteurs de créances peuvent espérer plus de 50 p.c.
Je ne vois donc aucun inconvénient à mettre en pratique le moyen suggéré par l’honorable M. Malou, d’autant plus qu’il y a parmi les ayants droit non pas seulement des capitalistes, de riches négociants, mais aussi de malheureux cultivateurs qui ont maintenant recouvré leurs propriétés, qui ont le sol, mais qui n’ont pas de quoi le mettre en exploitation.
Vous savez que le fermier doit avoir une mise dehors. Ce n’est que quand il aura touché un à-compte, qu’il pourra cultiver le sol déjà soustrait à l’inondation depuis quelques années, et celui qui sera mis à sec l’année prochaine ; car il y a encore des parties inondées.
Il n’y aurait que cette classe de créanciers, qu’elle devrait exciter toutes les sympathies de la chambre. Quand ce ne serait que pour elle, il faudrait adopter le principe (qu’il faut d’ailleurs généraliser ; car il ne faut jamais d’exception), qui vient d’être mis en avant par l’honorable M. Malou.
- La discussion générale est close.
La chambre passe à la discussion des articles.
« Art. 1er. Annuité de l’inscription au grand-livre des rentes créées sans désignation de capital, portée au nom de la ville de Bruxelles, en vertu de la loi du 4 décembre 1842 : fr. 300,000.
« Art. 2. Annuité de l’inscription portée au même grand-livre au profit du gouvernement du royaume des Pays-Bas, en exécution du § 1er de l’art. 63 du traité du 5 novembre 1842 : fr. 846,560.
« Art. 3. Intérêts des capitaux inscrits au grand-livre de la dette publique à 2 ½ p.. en exécution des paragraphes 2 à 6 inclus e l’article 63 du même traité : fr. 5,502,540 78 c.
« Intérêts du restant de l’inscription portée à ce grand-livre, en exécution du § 7 dudit art. 63 : fr. 440,916 67 c.
« Total : 5,943,557 45 c.
« Art 4. Frais relatifs à cette dette : fr. 3,000
« Art. 5 Intérêts de l’emprunt de 30,000,000 francs à 5 p.c. autorisé par la loi du 18 juin 1836 : fr. 1,200,000
« Dotation de l’amortissement de cet emprunt : fr. 300,000
« Total : fr. 1,500,000
« Art. 6. Frais relatifs au payement des intérêts et à l’amortissement du même emprunt : fr. 3,400
« Art. 7. Intérêts de l’emprunt de 50,858,800 fr., 3 p.c., autorisé par la loi du 25 mai 1838 : fr. 1,525,524.
« Dotation de l’amortissement de cet emprunt : fr. 508,508
« Total : fr. 2,034,032
« Art. 8. Frais relatifs au payement des intérêts et à l’amortissement du même emprunt : fr. 34,000
« Art. 9. Intérêts de l’emprunt de 86,940,000 francs, à 5 p.c., autorisé par la loi du 26 juin 1840 : fr. 4,347,000
« Dotation de l’amortissement de cet emprunt : fr. 130,000
« Art. 10. Frais relatifs au payement des intérêts et à l’amortissement de cet emprunt : fr. 130,000
« Art. 11. Intérêts de l’emprunt de 28,621,718 fr. 40 c., à 5 p.c., autorisé par la loi du 29 septembre 1842 : fr. 1,431,085 92 c.
« Dotation de l’amortissement de cet emprunt : fr. 286,217 18 c.
« Total : fr. 1,717,303 10 c.
« Art. 12 Frais relatifs au payement des intérêts et à l’amortissement dudit emprunt : fr. 45,000
« Art. 13 Intérêts à 4 ½ p.c. sur un capital de 95,722,000 fr., montant approximatif des obligations dont l’émission a été autorisée par la loi du 21 mars 1844 (Bulletin officiel, n°42) : fr. 4,307,490
« Dotation de l’amortissement de cette dette : fr. 957,220.
« Total : fr. 5,264,710.
« Art. 14. Frais relatifs au payement des intérêts et à l’amortissement de la même dette (art. 2 de la loi du 21 mars 1844).
« Art. 15. Intérêts de l’emprunt de 84,656,000 fr. à 4 ½ p.c. autorisé par la loi du 22 mars 1844 (Bulletin officiel, n°44) : fr. 3,809,520
« Dotation de l’amortissement de ce emprunt, à ½ p.c. du capital : fr. 423,280
« Total : fr. 4,232,800
« Art. 16. Frais relatifs au payement des intérêts et à l’amortissement du même emprunt (art. 2 de la loi du 22 mars 1844) : fr. 13,000
« Art. 17. Intérêts à 3 p.c. sur 7,000,000 de fr. montant approximatif des obligations à créer pour le payement des indemnités pour pertes causes par les événements de guerre de la révolution (fr. 210,000)
« Art. 18. Frais relatifs à l’émission et au payement des intérêts des mêmes obligations : fr. 5,000
« Art. 19. Intérêts et frais présumés de la dette flottante sur une émission éventuelle de 5,000,000 de francs : fr. 150,000
« Art. 20. Intérêts de la dette viagère : fr. 5,714.
« Art. 21. Intérêts à payer aux anciens concessionnaires de la Sambre canalisée : fr. 12,500
« Art. 22. Indemnité de reprise à payer à la société concessionnaire du canal de Bruxelles à Charleroy, aux termes de l’art. 26 de la convention du novembre 1834, entre cette société et le gouvernement : fr 661,375 66 c.
« Art. 23. Indemnité annuelle pour travaux à exécuter au canal de Terneuzen (art. 20 et 23 du traité du 5 novembre 1842), 23,000 florins : fr. 52,910 05 c.
« Art. 24. Rachat des droits de fanal mentionnés au § 2, de l’art. 18 du traité du 5 novembre 1842, 10,000 florins : fr. 21,164 02 c. »
- Ces articles sont successivement mis aux voix et adoptés sans discussion.
« Art. 1er. Anciennes pensions ecclésiastiques tiercées : fr. 270,000
« Pensions civiles et autres accordées avant 1830 : fr. 136,000
« Id. civiques : fr. 184,000
« Id. militaires : fr. 1,940,000
« Id. de l’ordre Léopold : fr. 23,000
« Id. des veuves et orphelins de l’ancienne caisse de retraite : fr. 530,000
« Arriérés de pensions de toute nature : fr. 5,000
« Total : fr. 3,088,000 »
M. Malou – Messieurs, la loi générale sur les pensions civiles et ecclésiastiques a décidé la division du grand-livre des pensions. On a voulu que les pensions accordées par chaque département ministériel, fussent portées aux budgets de ces départements, et on l’a voulu, pour rendre la responsabilité (page 248) de la collation des pensions plus sérieuse, le contrôle des chambres plus facile.
Cette loi a été exécutée, c’est-à-dire que dans les budgets des divers départements ministériels, on a portée une partie des pensions qui figuraient au titre des « Rémunérations ».
Il est des pensions, je le reconnais qui ne peuvent pas être divisées entre les divers départements ministériels : telles sont les pensions civiles accordées avant 1830. Mais je pense que le gouvernement agirait d’une manière conforme à l’esprit de la loi générale sur les pensions civiles, s’il attribuait au ministère de la guerre le chiffre des pensions militaires, qui s’élève à 1,940,000 fr. Le même motif existe pour les pensions civiques et pour les pensions de l’ordre de Léopold. Là aussi il y a un contrôle à exercer par les chambres ; il y a une responsabilité à encourir par le gouvernement.
Je ne fais pas de proposition formelle ; mais je crois devoir appeler l’attention du gouvernement sur mes observations, et je pense que l’année prochaine on pourra régulariser le budget des rémunérations dans le sens que je viens d’indiquer.
M. Dumortier – Messieurs, je partage complètement l’opinion que vient d’énoncer mon honorable collègue et ami M. Malou ; mais je ne vois pas pourquoi la loi ne s’exécuterait pas dès maintenant. Puisque la loi a prescrit la division du livre des pensions, il me semble qu’il est juste de commencer par exécuter cette loi et de renvoyer ce chapitre à chacun des budgets des divers départements. C’est alors que nous verrons réellement le montant de chaque budget. Car en réalité, pour savoir ce que coûte chaque département ministériel, il faut ajouter à son budget le chiffre des pensions qui s’y rapportent et qui figurent au chapitre des « Rémunérations ».
Si vous examinez le chapitre des pensions, messieurs, vous verrez que, depuis la révolution, certaines stipulations de pensions se sont considérablement réduites. Ainsi, à l’époque de la révolution, les pensions ecclésiastiques s’élevaient à près d’un million ; elles ne sont plus que de 270,000 fr. Vous en connaissez les motifs, messieurs ; cela vient principalement de ce que les pensions accordées aux anciens moines et aux religieux qui appartenaient aux couvent supprimés, lors de la révolution française, devaient être tiercées, et après avoir été tiercées, reprenaient leur intégralité et s’éteignaient au fur et à mesure de la mort des titulaires. Or, tous ces titulaires étant fort âgés aujourd’hui, il en résulte que chaque année il y a diminution successive et rapide dans ces pensions.
Cependant, malgré une diminution aussi considérable, le chiffre total des pensions s’est prodigieusement accru ; car il s’élève maintenant à près de 3 millions. Les pensions militaires seules, avec celles de l’ordre de Léopold, s’élèvent à 2 millions. Les pensions civiles s’élèvent à 136,000 fr. ; les pensions civiques, celles de la révolution, à 184,000 fr. ; celles de la caisse de retraite, à 530,000 fr. plus 5,000 fr. pour les arriérés.
Il me semble, messieurs, qu’il serait juste de diviser cet article et de le renvoyer à chaque budget auquel chacun des paragraphes se rapporte. Nous verrions ainsi chaque année l’augmentation que subissent les budgets du chef des pensions. Et cela n’est pas sans importance, messieurs ; car il n’arrive que trop souvent qu’un ministre, pour créer une place qu’il désire accorder à un favori, donne une pension, et souvent plusieurs pensions ; de manière que l’Etat se trouve grevé de deux charges : d’un traitement pour le titulaire et d’une pension pour celui qui se retire ! Combien de titulaires, messieurs, ont été mis à la retraite, qui auraient pu exercer encore leurs fonctions pendant un grand nombre d’années !
Je dirai aussi, messieurs, quelques mots au sujet des pensions civiques.
Il est très-regrettable que l’on ait été, dans la collation de ces pensions, d’une sévérité excessive. Il est à ma connaissance que plusieurs des braves volontaires qui ont combattu pour la révolution et qui ont constitué l’Etat, se trouvent dans une position vraiment affreuse, qu’il faut souvent attribuer à leur bravoure même.
Messieurs, nous avons accordé des fonds pour indemniser ceux qui ont souffert des pillages de la révolution, nous en avons accordé pour les poldres ; nous en avons accordé pour l’entrepôt d’Anvers ; nous en avons accordé pour fermer une foule d’autres plaies de la révolution.
Eh bien, la plaie la plus saignante, la plaie la plus sacrée de la révolution, celle produite par le sang versé pour la patrie, est encore ouverte.
Je ne veux dire que ce peu de mots dans ce moment. Lorsque nous en viendrons au budget de l’intérieur, j’appellerai l’attention de la chambre sur cette question. Je montrerai à la chambre qu’il existe aujourd’hui des hommes qui ont fait des actes signalés de bravoure, qui ont été à la révolution les chefs des volontaires lorsqu’on marchait à la conquête du territoire, et qui aujourd’hui se trouvent dans la position la plus fâcheuse. Je prouverai à la chambre qu’il en est de même qui se trouvent dans les dépôts de mendicité. Voilà de ces choses qui font saigner le cœur. Nous avons de l’argent pour récompenser les services civils et nous n’en avons pas pour rémunérer les braves qui nous ont faits ce que nous sommes.
Messieurs, c’est parce que j’ai l’intention d’appeler l’attention de la chambre sur ce point, que je lui indique dès aujourd’hui les observations que j’aurai l’honneur de lui présenter.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, l’honorable membre qui a pris le dernier la parole, semble croire que le gouvernement s’est écarté de la loi que nous avons votée récemment sur les pensions, en portant quelques articles au budget de la dette publique, et non au budget des différents départements ; quant à l’honorable M. Malou, qui a parlé avant lui, telle n’a pas été son observation. Il nous a rappelé que la dernière loi renferme une disposition par suite de laquelle il doit être porté aux budgets des divers départements les pensions que cette même loi concerne, et a ajouté, qu’il convenait que, par analogie, les autres pensions, bien que régies par d’autres lois, fussent également portées aux budgets des divers départements, et notamment en ce qui concerne les pensions militaires.
Cette observation sera sérieusement examinée par le gouvernement lors de la formation des budgets qui seront présentés à l’avenir ; quant à présent, il n’a du moins été dérogé à aucune disposition légale.
Je dirai encore, en réponse à l’honorable M. Dumortier, qui est impossible, dans l’état actuel des choses, en supposant même qu’on maintienne dorénavant l’article tel qu’il figure au budget en discussion, qu’il se commette des abus, puisqu’aucune pension civile ne peut plus être accordée sans que le montant en soit compris au budget du ministère auquel ressortissait le fonctionnaire admis à la retraite. Du reste, je le répète, nous examinerons s’il y a lieu de porter aux différents budgets celles des pensions qui figurent au budget de la dette publique.
- L’article 1er est mis au voix et adopté.
« Art. 2 Remboursement à faire au trésor néerlandais, en exécution du § 7 de l’art. 68 du traité du 5 novembre 1842, pour arrérages de pensions du 1er janvier au 31décembre 1845 : fr. 36,402 12 c. »
- Adopté
« Art. 3. Traitements d’attente (wachtgelden) : fr. 39,000
« Traitements ou pensions complémentaires (toelagen) : fr. 40,700
« Secours annuels (jaarlyksche onderstanden) : fr : 5,600
« Total: fr 85,300 »
M. Osy – Messieurs, l’année dernière, on nous a présenté un projet de loi comprenant tous les arriérés de tous les ministères, afin que nous sachions ce que nous avons encore à payer.
Certainement, d’après le traité de paix avec la Hollande, nous devons les toelagen et les wachtgelden ; mais parmi ceux à qui nous les devons, il en est beaucoup qui pourraient encore remplir des fonctions. Je demanderai au gouvernement s’il ne serait pas possible de donner à ces personnes le choix d’accepter une place ou de renoncer leur toelage. Je crois que de cette manière, sans manquer en rien au traité, nous pourrions dégrever le budget de l’Etat d’une somme assez considérable. Il est évident que des toelagen et des wachtgelden ne sont pas des pensions, ce sont des traitements d’attente, et si on offre une place à la personne qui reçoit un traitement d’attente, cette personne doit accepter la place qui lui est offerte ou renoncer à son traitement d’attente. J’appelle toute l’attention du gouvernement sur cette question importante.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Parmi les personnes qui jouissent actuellement de wachtgelden, il en est peu qui pourraient encore remplir des fonctions publiques. Quelques-unes reçoivent des toelagen à titre de supplément de traitement ; je conviens que le gouvernement serait en droit de leur enjoindre d’opter entre la simple toelage qu’ils conserveraient, et le traitement attribué à leur emploi ; mais il est des traitements qui, dans ce cas, devraient être augmentés dans une certaine proportion. Du reste, ce sont des questions que nous devrons examiner plus particulièrement lorsque nous discuterons les projets de loi dont l’honorable M. Osy vient de parler.
M. Cogels – Effectivement, messieurs, nous voyons figurer dans l’arriéré deux projets de loi, dont l’un a pour but de faire droit aux réclamations de plusieurs anciens employés du chef de traitements d’attente, de suppléments de traitement, wachtgelden et toelagen ; l’autre projet est relatif aux pensions réclamées par plusieurs employés qui ont servi l’Etat sous le gouvernement précédent, et qui, je ne dirai pas ont reçu leur démission, mais qui ont été démissionnés violemment de leurs fonctions par suite d’événements de force majeure.
Je n’entreprendrai pas maintenant de me prononcer sur la validité de ces réclamations ; c’est lorsque le projet de loi sera produit devant la chambre que cette question pourra être appréciée, mais il me paraît que l’on devrait au moins rendre cette justice aux réclamants, d’examiner leurs réclamations et de faire les rapports sur les projets de loi qui nous sont présentés. Il y a déjà assez longtemps que ces projets figurent à l’arriéré ; cependant ils ne demandent pas un examen bien long, et il serait très-facile de présenter les rapports.
M. Savart-Martel – Messieurs, la section centrale s’est réunie quelques jours avant les vacances pour s’occuper du projet de loi dont on vient de parler. La question est fort grave.
Avant de se décider, la section centrale m’a chargé de lui soumettre un rapport sur les faits et sur les divers points de droit qui doivent nous diriger. Je suis prêt à lui soumettre le produit de mes recherches. C’est sans doute l’examen du budget qui a retardé la nouvelle réunion. Je ne doute point que sous peu de temps un rapport officiel pourra être présentée à la chambre, qui sera mise ainsi à portée de décider.
M. Osy – L’objet, messieurs, est fort grave. Il est vrai que nous devons exécuter strictement le traité de paix avec la Hollande, mais rappelons-nous ce qui s’est passé : le gouvernement des Pays-Bas, lors de l’établissement du caissier général de l’Etat, a laissé aux anciens receveurs généraux, le choix de rester au service de l’Etat ; c’est ce que quelques-uns ont fait ; d’autres sont entrés au service de la Société Générale et le gouvernement leur a donné des toelagen. Parmi ceux qui sont restés au service (page 249) de l’Etat, il s’en trouve qui ont des appointements très-élevés et qui touchent, en outre, un traitement d’attente qui leur a été donné par le gouvernement hollandais. J’en citerai un, dont je ne dirai pas le nom, mais qui a, d’après mes calculs, un traitement de 8 à 10 mille francs comme agent du trésor, et qui touche de plus, depuis 1840, une toelage de 3 mille florins, si je ne me trompe ; de sorte qu’il a un traitement de 16 mille francs environ. Je dirai à ce fonctionnaire : Je ne puis vous donner que 8 à 10 mille fr., en votre qualité d’agent du trésor, y compris la toelage. Et si cela ne lui convenait pas, il ferait ce qu’il voudrait. Il n’est pas possible que nous payions 16 mille francs à un agent du trésor.
Je conçois que ceux qui ne sont pas au service de l’Etat reçoivent des toelagen, mais je ne conçois pas que les fonctionnaires reçoivent des toelagen en sus de leurs appointements. Eh bien, messieurs, des fonctionnaires réclament, du chef d’arriérés de toelagen et wachtgelden depuis 1832 jusqu’en 1840 une somme de plus de 700,000 fr. Je crois qu’il est plus que temps que le gouvernement examine la liste des personnes qui touchent des traitements d’attente, afin de les retirer à celles qui occupent des fonctions et d’offrir des places à celles qui n’en ont pas, quoique pouvant en remplir.
M. Dumortier – Messieurs, la question que vient de soulever l’honorable M. Osy est une question très-grave ; il s’agit, ni plus ni moins, de consacrer un principe d’après lequel l’Etat devrait payer une somme de 700,000 fr. à titre d’arriérés.
Je ferai remarquer à l’assemblée que l’article en discussion contient trois espèces de rétributions différentes ; traitements d’attente (wachtgelden), pensions supplémentaires (toelagen) et secours annuels (jaarlyksche onderstanden). Vous voyez déjà, par les seules expressions de secours annuels, qu’il ne s’agit pas là d’une pension. C’était une véritable aumône que le roi Guillaume faisait à certains particuliers. Lorsque j’ai eu l’honneur d’être rapporteur de la section centrale, en 1831 ou 1832, nous avons examiné avec le plus grand soin les listes des personnes qui touchaient ces rétributions, et nous avons trouvé des choses vraiment étranges ; ainsi on avait donné une toelage, ou un subside annuel à un abbé pour un sermon qu’il avait prononcé sous le roi Guillaume.
On connaît un traitement d’attente à un monsieur pour la perte qu’il a faite de droits féodaux, sans doute en attendant qu’ils fussent rétablis. Il est présumable qu’il l’attendra longtemps.
Vous concevez que de telles dispositions ne peuvent jamais tomber à charge du budget ; ce sont des aumônes, des charités du roi Guillaume, mais dont nous ne sommes nullement responsables.
Une autre catégorie est celle des traitements supplémentaires. Remarquez bien que c’est là le chiffre le plus élevé.
Admettons, pour un instant, que la Belgique se soit engagée, en vertu du traité de 1839, à payer les traitements d’attente d’une manière absolue (ce qui est sujet à contestation), la Belgique ne s’est pas engagée à payer des suppléments de traitement. Je ne sais pourquoi elle payerait ces suppléments à des personnes qui ont déjà des traitements très-élevés.
Dans le nombre il se trouve d’anciens fonctionnaires qui ont jusqu’à 8 ou 10 mille francs de traitement et qui réclament en outre non-seulement des suppléments de traitement, mais encore des arriérés s’élevant jusqu’à 75 mille francs. Tout cela mérité un sérieux examen.
Je ne veux pas examiner maintenant la question de savoir jusqu’à quel point les chambres peuvent être liées par la décision d’un tribunal qui nous condamne à payer ce que pendant 8 années, nous avons rejeté avec connaissance de cause.
M. le ministre de la justice a pris l’engagement de présenter une loi sur les conflits. C’est quand nous serons saisis de cette loi, quand nous aurons examiné le rapport dont l’honorable M. Savart est chargé, que nous pourrons résoudre ces diverses questions.
Mais je dois rappeler qu’en mars 1832, la première fois que nous avons examiné cette question, des membres de la chambre, aujourd’hui conseillers à la cour de cassation, ont formellement déclaré que la Belgique n’était pas redevable, d’une manière absolue, des sommes qu’on veut lui faire payer. Par suite, la chambre s’est bornée à accorder de simples gratifications, c’est-à-dire en quelque sorte une aumône. La Belgique n’a pas voulu que ceux qui touchaient des traitements sous le roi Guillaume fussent dans un dénuement absolu ; mais elle ne leur a pas reconnu des droits ; elle a, au contraire, reconnu, en 1832, qu’ils n’avaient pas de droits absolus à un traitement.
Pour mon compte, je regrette que le gouvernement ait aussi légèrement présenté à la chambre l’adoption de ces dispositions, dont plus de la moitié, dans aucune hypothèse, ne pouvait tomber dans les termes du traité, et ait grever ainsi le trésor public inutilement et en quelque sorte perpétuellement de sommes considérables, et se soit exposé à des réclamations comme celles qui vous sont adressées, et qui s’élèvent à 700,000 fr.
- L’art. 3 est mis aux voix et adopté.
« Art. 1er. Intérêts des cautionnements versés en numéraire dans les caisses du trésor public de l’Etat, pour la garantie de leurs gestions respectives, par des fonctionnaires comptables de l’Etat, par des receveurs communaux, des receveurs de bureaux de bienfaisance, par des préposés de l’administration du chemin de fer, des courtiers, des agents de change, etc., soumis à fournir un cautionnement ; et par des contribuables, des négociants, des commissionnaires, etc., pour garantie du payement de droits de douanes, d’accises, etc., dont ils pourraient être éventuellement redevables au trésor public : fr. 340,000
« Arriérés des intérêts sur des exercices clos : fr. 5,000
« Total : fr. 345,000
« Art. 2. Intérêts des consignations faites dans les caisses du trésor public de l’Etat : fr. 70,000
« Art. 3. Intérêts et remboursements des consignations antérieures au 1er octobre 1830 : fr. 15,000 »
« Article unique. Liste civile (mémoire) : fr. 2,751,322 75 c.
« Article unique. Sénat : fr. 24,000
« Article unique. Chambre des représentants : fr. 406,350 fr.
« Art. 1er. Membres de la cour : fr. 43,386 20
« Art. 2. Personnel des bureaux : fr. 71,000
« Art. 3. Matériel et dépenses diverses : fr. 16,900
« Art. 4. Pensions : fr. 1,200
« Total : fr. 132 486 20 c »
M. le président – Nous allons passer à la discussion du texte du projet de loi. Ce texte est ainsi conçu.
« Art. 1er. les budgets de la dette publique et des dotations pour l’exercice 1845, sont fixés :
« Le budget de la dette publique à la somme de 32,057,128 fr. 70 c.
« Le budget des dotations à la somme de 3,301,258 fr. 95 c.
« Art. 2. le présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1845. »
- Ces deux articles sont successivement adoptés sans discussion.
On passe à l’appel nominal pour le vote sur l’ensemble du projet de budget de la dette publique et des dotations.
Le budget est adopté à l’unanimité des 48 membres qui ont pris part au vote.
Il sera transmis au sénat.
Ont répondu à l’appel nominal : MM. Castiau, Cogels, d’Anethan, David, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, de Florisone, de Foere, de Haerne, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de Villegas, Donny, B. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Goblet, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Lejeune, Lesoinne, Lys, Malou, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Pirson, Rodenbach, Savart, Sigart, Simons, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Van Volxem, Verhaegen, Vilain XIIII, Zoude et d’Hoffschmidt.
- La chambre met à l’ordre du jour de demain un projet de crédit supplémentaire au budget de la dette publique pour l’exercice 1844 ; le projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à faire l’échange, à Londres, des titres à 4 ½ p.c. contre les obligations de l’emprunt de 100,800,000fr. et de celui de 1,481,487 fr. 48 c. à 5 p.c. soumis à la conversion en vertu de la loi du 21 mars 1844 ; éventuellement le budget du département des finances pour l’exercice 1845.
La séance est levée à 4 ½ heures.