(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 214) (Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à 1 heure et ¼
M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’examen des pièces adressées à la chambre :
« Le sieur Antoine-Joseph-Louis Lacroix, commissaire de police à Gand, né à Bruxelles, mais ayant perdu la qualité de Belge, demande la grande naturalisation. »
« Le sieur Joseph-François Villery, lieutenant de la douane à Courtray, né à Olmen (province d’Anvers), d’un père français, demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Les aubergistes, cabaretiers et débitants de boissons distillées, dans les communes d’Iseghem et d’Emelghem, district de Roulers, demandent l’abrogation de la loi du 18 mars 1838, qui établit un impôt de consommation sur les boissons distillées. »
M. Rodenbach – Je dois répéter, messieurs, ce que j’ai dit dans la séance d’hier. Il s’agit d’une pétition de la ville d’Iseghem et de la commune d’Emelghem, situées dans le district de Roulers ; les pétitionnaires demandent qu’on abroge la loi sur les boissons distillées ou qu’on fasse une loi nouvelle ; ils disent, entre autres, que la loi actuelle sur l’abonnement des boissons distillées, est tout à fait favorable aux riches, tout à fait contraire aux intérêts des classes les plus malheureuses de la société ; ils ajoutent même que, lorsqu’on a le malheur d’être pauvre, lorsqu’on vend des boissons en détail, et qu’on n’a pas le moyen de payer l’abonnement, on est incarcéré ; que c’est un crime d’être pauvre, puisqu’on est condamné à la prison lorsqu’on se trouve dans l’impossibilité de payer l’impôt. Je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens et renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.
- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.
« Le sieur Peeters, ancien géomètre, prie la chambre de s’occuper le plus tôt possible de sa réclamation concernant la confection des plans d’alignement et de délimitation des chemins vicinaux. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. de Renesse fait connaître que les bureaux des sections de novembre sont composés comme suit :
le section : Président : M. Lys ; vice-président : M. Lange ; secrétaire : M. de Villegas ; rapporteur des pétitions : M. de Garcia.
2e section : Président : M. Savart ; vice-président : M. de La Coste ; secrétaire : M. de Florisone ; rapporteur des pétitions : M. de Saegher.
3e section : Président : M. Dubus (aîné) ; vice-président : M. Fallon ; secrétaire : M. Henot ; rapporteur des pétitions : M. de Roo.
4e section : Président : M. Duvivier ; vice-président : M. Wallaert ; secrétaire : M. Sigart ; rapporteur des pétitions : M. Zoude.
5e section : Président : M. Cogels ; vice-président : M. Fleussu ; secrétaire : M. Van Cutsem ; rapporteur des pétitions : M. de Naeyer.
6e section : Président : M. Maertens; vice-président : M. Delfosse ; secrétaire : M. de Corswarem ; rapporteur des pétitions : M. M. de Vries.
M. Dedecker présente le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des affaires étrangères.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport ; le jour de la discussion sera ultérieurement fixé.
M. de La Coste – Messieurs, dans la séance d’hier un honorable député de Bruxelles a soulevé des questions de la plus haute gravité ; aussi sincèrement animé que lui du désir que toutes les classes de la société concourent aux dépenses de l’Etat dans une équitable proportion, je ne partage pas cependant en tous points les opinions qu’il a exprimées ; mais comme j’ai déjà eu l’honneur d’indiquer mes vues à cet égard dans d’autres occasions, je n’y reviendrai pas maintenant, et je n’aurais point pris part à la discussion générale si je n’y avais été amené par quelques observations des honorables MM. Osy, Cogels et Rodenbach.
Avant cependant, messieurs, de m’en occuper, je me permettrai d’indiquer ma manière d’envisager la question si contestée de la répartition de la contribution foncière. A mes yeux, nul doute que, le cadastre une fois terminé, il ne peut plus être apporté aucun changement ni à la classification, ni à l’évaluation des propriétés rurales en exploitation, qu’en vertu d’une loi spéciale ; mais, messieurs, lorsqu’une valeur imposable est créée ou périt, en faire l’objet d’un dégrèvement ou d’une surcharge pour les autres propriétés, c’est bien donner de la fixité au contingent, mais c’est imprimé une perpétuelle mobilité à la cotisation. Un domaine est acquis, une maison est incendiée, voici ma cote qui s’élève ; au contraire, si un domaine est aliéné, un édifice est construit, j’obtiens un dégrèvement. Je ne vois à cela aucun motif ni de justice, ni d’intérêt public. Je fixerais volontiers à 10 p.c. le principal de la contribution foncière en réduisant les centimes additionnels. Comme, au surplus, ces questions paraissent devoir faire l’objet d’une discussion spéciale, je me bornerai pour le moment à ces observations.
Je suis d’accord avec les honorables MM. Osy et Cogels, que la loi des sucres a détérioré la position du commerce et de l’industrie qui s’appliquent au sucre exotique, ainsi que la fabrication indigène.
La chambre a eu surtout en vue d’améliorer la situation du trésor, de rendre l’impôt plus productif, tandis que cet impôt, par la franchise dont jouissaient le sucre indigène et la restitution de l’exportation du sucre raffiné, se réduisait à 1/10 des prises en charge : ½ million de francs environ. Si l’on s’était borné à augmenter le droit et à imposer l’industrie indigène, le trésor eût continué à ne percevoir qu’une faible somme sur le sucre exotique au moyen de la retenue du dixième. On ne voyait guère d’autre moyen de prévenir cet inconvénient que d’augmenter la retenue de ½, ou bien de fixer la quotité proportionnelle su sucre raffiné qui donne droit à la restitution, à un taux plus élevé, ou enfin de combiner ces deux moyens.
En les combinant, on pouvait les mitiger, les modérer l’un et l’autre, et ainsi on eût laissé plus de latitude au mouvement commercial. Mais qu’est-il arrivé ? Le commerce ou au moins l’industrie des raffineurs s’est opposé absolument à toute augmentation du rendement, et il paraît que c’est l’industrie des raffineurs elle-même qui a suggéré l’idée de porter la retenue au taux de 4/10, ce qui devait nécessairement la renfermer, ainsi que le commerce du sucre, dans un cercle très-étroit, tracé par la consommation intérieure, surcharger le marché et rendre la concurrence plus vive.
Pour avoir prévu ces résultats, je ne les regrette pas moins ; tout ce que la chambre voudra faire pour les raffineurs d’Anvers et de Gand, je m’y associerai volontiers, pourvu que ce ne soit pas aux dépens de la fabrication indigène.
Si l’industrie indigène périssait, puisqu’elle ne fournira cette année que deux millions quatre cent mille kilogrammes, ce vide pourrait être rempli par une importation de 4 millions, suivie d’une exportation d’un million 400 mille ; ce n’est point là ce qui donnerait à la raffinerie et au commerce un immense développement.
Mais, quoi qu’il en soit, il me semble que la sucrerie indigène a droit de vivre aux conditions qu’on lui a faites après de longs débats qui ont occupé une grande partie de l’avant-dernière session.
Il est vrai que la sévérité de ces conditions a été funeste à quelques entreprises trop vastes, peut-être, et soumises, pour la plupart, aux chances un peu aléatoires des sociétés industrielles ; ces entreprises admettraient un moyen terme quelconque qui leur permettrait de finir avec avantage, puisqu’elles doivent finir ; mais les fabriques qui n’ont point été établies d’une manière dispendieuse, qui ont adopté les procédés les plus perfectionnés et qui joignent à ces avantages un bonne direction agricole, ces fabriques protestent contre toute indemnité au nom de leur avenir industriel, au nom des ouvriers dont elles occupent les bras, au nom de la loi que vous avez faites. Elles vous demandent seulement de ne point aggraver encore leur position.
Il faut se souvenir, messieurs, que la fabrication indigène est soumise à l’exercice, tandis que la raffinerie en est exempte ; c’est pour la première un grand désavantage.
En second lieu, les sirops provenant du sucre exotique servent aux usages domestiques, tandis que les sirops provenant d’un sucre indigène ne sont guère propres qu’à la distillation et payent alors un nouvel impôt. Ceci, joint à la tare accordée au sucre exotique, compense largement ce qui pourrait échapper à l’accise. Ces quantités sont faibles, suivant le département des finances, et je pense qu’elles ont été exagérées, non par M. le baron Osy, mais dans les renseignements qui lui ont été fournis.
Enfin, et M. le ministre des finances doit le savoir, il ne s’opère point, ou il s’opère très-peu d’exportations de sucre indigène avec décharge au compte du fabricant : l’impôt est donc effectif, tandis qu’on ne paye que les 4/10 de l’accise sur le sucre exotique, ce qui réduit dans une forte proportion la différence nominale de droits entre les deux sucres.
Cette différence peut être assimilée à la protection douanière que la chambre vient encore d’accorder au tabac indigène. Si, quant au sucre, elle est donnée dans forme d’accise, c’est entièrement dans l’intérêt de la raffinerie de sucre exotique.
(page 215) En France, la différence d’impôt entre le sucre des colonies et de la mère-patrie n’est que de dix francs et paraît devoir cesser ; mais ce sont deux sucres français ; la concurrence est limitée par la production des colonies françaises, et l’infériorité des qualités de sucre qu’elles fournissent. Quant au sucre étranger, il est soumis à des droits plus élevés ; enfin, un rendement rapproché de la vérité rend le droit effectif.
En Belgique, la sucrerie exotique peut choisir par tout l’univers les sucres les plus riches. Aussi, en 1843, près de la moitié des sucres importés nous sont venus de la Havane, et les quantités dont on se fournissait précédemment aux Pays-Bas ont été prises en Angleterre où il y a un meilleur choix.
La fabrication belge ne le cède point à la fabrication française. Elle a des procédés admirables pour leur simplicité et leurs résultats. Elle ne demande qu’une protection modérée comme nos autres industries, protection qu’elle trouve encore dans la loi actuelle, mais qui n’existerait plus si de nouvelles rigueurs y étaient introduites.
Quant à moi, messieurs, je crains que tel serait le résultat des changements que l’on réclame, et, dans cette hypothèse, je me range à l’avis de la section centrale. S’il y avait cependant réellement moyen, sans empirer la situation de la fabrication indigène, d’améliorer celle de la raffinerie anversoise et gantoise, j’y adhérerais avec empressement.
Je fais des vœux pour que ce moyen soit suggéré par l’enquête instituée par M. le ministre des finances.
Pour ne pas prendre de nouveau la parole dans la discussion des articles, je présenterai encore quelques observations relativement à une autre industrie : celle des bières.
Le discours de M. le ministre des finances qui précède le budget contient, à l’égard de cette industrie, des observations assez menaçantes. On parle ou de formalités nouvelles ou d’une augmentation d’impôts. On signale la diminution progressive du produit de l’accise sur les bières. Mais, pour ne point parler de la réduction du droit sur les vins, qui peut avoir exercé quelque influence sur la consommation des bières, je m’étonne qu’on n’ait pas indiqué, comme motif de cette diminution, le régime vicieux des octrois, dont je me rappelle que M. le ministre des finances, avant de siéger au banc des ministres, avait très-vivement sollicité une réforme.
Si les octrois exagérés étaient réduits sensiblement et les autres dans une progression décroissante, alors je comprendrais que l’on augmentât le droit d’accises sur les bières. Cela se pourrait sans inconvénient. L’Etat pourrait indemniser les villes, en leur abandonnant quelques centimes sur la contribution personnelle ou sur celle des patentes qui seraient déduits sur l’impôt public. Comme l’augmentation du côté de l’Etat s’étendrait sur la généralité du pays, il y trouverait un grand avantage, un avantage beaucoup plus grand que la perte que feraient les villes, perte dont il serait, par conséquent, facile de les dédommager, en réduisant même les charges qui pèsent sur leurs habitants.
Il faudrait surtout réduire les droits exagérés à l’entrée des villes. L’industrie des bières, débarrassée de ses entraves, prendrait du développement. L’Etat y trouverait un nouvel avantage, en réduisant même les charges qui pèsent sur leurs habitants.
J’ai déjà appelé l’attention de la chambre sur ce régime vicieux des octrois. J’ai signalé, entre autres, ce fait que je puis appeler extraordinaire, que les meubles fabriqués à Bruxelles, par exemple, sont soumis, dans d’autres villes, à un droit de 10 p.c. Nous nous récrions contre les droits que les puissances étrangères établissent sur les produits de notre sol, de notre industrie, et voici des droits protecteurs prohibitifs même, qu’il ne dépendrait que de nous ou du gouvernement de faire cesser, et qui subsistent cependant.
Lorsque je fais cette observation à l’égard des meubles, je suis certain de trouver une certaine approbation de la part des députés de Bruxelles. Mais lorsqu’on l’applique aux bières sur lesquelles, dans cette capitale, on impose un droit double, quand elles viennent du dehors, le raisonnement n’est plus trouvé aussi juste, et cependant il est le même.
Il y a, dit-on, compensation en ce que la même ville n’accorde pas de restitution à la sortie des bières. Mais cette compensation est une charge nouvelle pour cette industrie considérée dans son ensemble ; elle atteint ceux des brasseurs de Bruxelles qui travaillent pour l’extérieur.
On parle de la cherté du séjour, et l’on trouve, dans cette circonstance, la nécessité d’une protection pour les brasseurs de l’intérieur ; mais le même raisonnement peut se faire pour presque toutes les industries, et il conduit toutes les villes à s’entourer d’une ligne de douanes au préjudice des industries de Bruxelles même qui en donne l’exemple. C’est un abus contre lequel je ne cesserai de réclamer.
Dans ce moment, nous voyons la sage politique de la Prusse rassembler en un seul faisceau une grande partie des Etats de l’Allemagne, unir une population de 25 millions d’âmes, faire disparaître toutes les douanes qui traversaient l’Allemagne et qui nuisaient à l’industrie générale de cette contrée. Ayons le courage d’en faire autant, pour ces barrières de douanes que les villes élèvent l’une contre l’autre.
M. le ministre de la justice nous avait annoncé qu’il s’occupait de cette question. Je pense, en effet, qu’il a commencé une instruction à ce sujet, mais je l’engagerai à activer cette instruction autant que possible, et à en tirer des résultats positifs, favorables à la liberté de l’industrie, propres, par conséquent, à la faire fleurir dans tout le pays.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, je demande la parole uniquement pour déclarer que je m’associe à toutes les observations qui ont été présentées par l’honorable préopinant, relativement aux octrois.
La question des octrois est examinée avec tout le soin qu’elle mérite ; mais à mesure que l’instruction en avançait on a reconnu combien étaient nombreuses les difficultés qui l’entourent. Il faudra pourvoir par de nouvelles ressources à celles qui manqueront aux villes, par suite des modifications qui seraient apportées au régime des octrois. Du reste, je le répète, cette question s’instruit maintenant avec activité, et dès qu’elle sera parvenue à son terme, le gouvernement s’empressera de soumettre des propositions à la chambre.
M. Delfosse – Messieurs, les orateurs qui ont pris la parole dans les séances précédentes se sont abstenus d’articuler leurs griefs contre la politique du gouvernement. Comme eux, je me propose de me renfermer dans le cercle des questions financières.
Est-ce à dire que les griefs manquent ? Est-ce à dire que la politique du gouvernement ait notre approbation. Non, sans doute ; cette politique est dépourvue de dignité et de franchise, elle s’appuie sur les mauvaises passions, au lieu de s’adresser aux bons sentiments. Nous sommes bien décidés à la combattre.
Il y a, au ministère, des hommes dont je ne conteste ni le talent, ni l’activité ; il y en a, aux bonnes intentions desquels je veux croire. Mais comment se fait-il qu’après avoir accepté pour collègue (première faute), ils aient consenti à subir comme chef un ministre qui paraît n’avoir qu’un but : rester au pouvoir, et qui, pour y rester, se résigne à tout, aux palinodies comme aux humiliations.
Que de projets présentés par lui comme nécessaires, abandonnés ! Que d’échecs ! Que de dures leçons ! Le cabinet actuel, de même que celui qui l’a précédé, est imprégné de l’esprit de M. le ministre de l'intérieur. Dans les occasions importantes, c’est M. le ministre de l'intérieur qui parle, c’est lui qui agit. Ne l’avons-nous pas vu, dans le dernier comité secret, traiter, à lui seul, la question diplomatique, et, passez-moi l’expression messieurs, réduire son collègue des affaires étrangères au rôle de l’avoué donnant lecture des pièces ? L’honorable ministre des affaires étrangères semblait, en vérité, n’avoir pris part au traité que pour y apposer sa signature !
Quand les choses en sont venues à ce point, qu’un ministère se résume en un seul homme, c’est cet homme qu’il faut attaquer, c’est sa politique qu’il faut flétrir. Nous ajournons donc M. le ministre de l'intérieur à la discussion de son budget.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Eh bien, j’accepte l’ajournement.
M. Delfosse – J’arrive à la question financière.
Lorsqu’il s’est agi d’augmenter les traitements de l’ordre judiciaire, M. le ministre des finances a présenté la situation financière sous un aspect satisfaisant. J’ai contesté alors l’exactitude du tableau présenté par le gouvernement ; j’ai dit que la prospérité, tant vantée par M. le ministre des finances, n’était qu’apparente, que je n’y croyais pas.
M. le ministre des finances m’ayant opposé une dénégation, je me préparais à lui répondre, lorsque la clôture de la discussion a été prononcée par la chambre. Vous allez voir, messieurs, que M. le ministre des finances n’aura rien perdu pour attendre, comme M. le ministre de l'intérieur ne perdra rien par l’ajournement du débat politique ; car, depuis, j’ai pu me livrer à des calculs et à des recherches qui m’ont confirmé de plus en plus dans l’opinion que j’avais émise.
Pour bien juger de la situation financière, il ne faut pas s’arrêter aux chiffres, tels qu’ils sont portés dans les budgets. La plupart de ces chiffres sont éventuels, ce sont des calculs de probabilité qu’une foule de circonstances viennent modifier plus tard.
Il faut, pour ne pas s’exposer à de graves erreurs, faire la part des circonstances probables qui peuvent modifier plus tard les prévisions du budget ; et le seul moyen de savoir quelle peut être l’influence de ces modifications, jusqu’où elles peuvent aller, c’est d’étudier avec soin les résultats des exercices antérieurs.
La marche que j’indique et que je suivrai, a été suivie par M. le ministre des finances, alors que des bancs de l’opposition où il siégeait en 1842, il attaquait le système financier de l’honorable M. Smits ; cette marche est aussi celle qui a été constamment suivie par le gouvernement. Lorsque le gouvernement vient nous présenter les budgets, il a soin de nous communiquer les résultats des exercices antérieurs, sur lesquels les prévisions du budget sont basées.
Je déclare d’avance à la chambre, que les chiffres un peu fastidieux, peut-être que je vais lui soumettre, sont tirés de publications faites par le gouvernement ; ce sont des chiffres officiels que personne, et surtout M. le ministre des finances, ne saurait récuser.
Les recherches auxquelles je me suis livré comprennent, messieurs, cinq exercices : ce sont les exercices 1840 à 1844 inclusivement.
Nous voyons dans l’exposé de la situation du trésor au 1er octobre 1840, que le budget des dépenses de l’exercice 1840 s’élevait primitivement à 96,183,90 fr 94 c. ; au 1er septembre 1842, ce chiffre était porté à 105,584,425 fr. 58 c. ; on avait, dans l’intervalle, qui s’était écoulé jusqu’au 1er septembre 1842, accordé sur l’exercice 1840, des crédits supplémentaires s’élevant à la somme de 9,399,034 fr. 64 cent.
Voici quel est la situation de l’exercice 1840 au 1er septembre 1842 : le budget des voies et moyens s’élevait au 1er septembre 1842 à 101,955,569 fr. et les ressources extraordinaires à 70,660,00 fr., total des ressources, tant ordinaires qu’extraordinaires, 172,615,569 francs.
Les dépenses, pour 1840, s’élevaient à la même époque à 105,584,425 fr. 58 c. et le budget spécial pour les travaux publics, à 64,961,456 fr. 1 c. : total 170,545,891 fr. 89 c.
L’excédant des ressources, pour l’exercice 1840, était donc au 1er septembre 1842, de 2,069,677 fr. 11 c. Mais cet excédant devait être augmenté pour diverses causes. Les recettes excédaient les évaluations d’un million 847,316 fr. 60 centimes. On présumait, en outre, qu’il y aurait (page 216) sur les crédits votés une économie de 1,500,000 fr. ; ces circonstances réunies portaient l’excédant des ressources de l’exercice 1840 à 5,416,993 fr. 71 c.
Au 1er septembre 1843, la situation de l’exercice 1840, telle qu’elle avait été présentée le 1er septembre 1842, se trouvait déjà notablement modifiée. L’excédant était réduit à une somme de fr. 1,955,456 24. Il n’était plus que de fr. 3,461,537 47 au lieu de fr. 5,416,993 71.
Voici quelle était la situation de l’exercice 1841, d’après l’exposé de la situation du trésor au 1er septembre 1843 : le budget des voies et moyens, tel qu’il avait été primitivement voté, s’élevait à fr. 101,464,464. les dépenses à fr. 103,791,842 58. L’insuffisance des ressources était de fr. 2,327,378 58. Les crédits supplémentaires accordés depuis le vote des budgets jusqu’au 1er septembre 1843 ont élevé la dépense à fr. 117,419,281 72 ; l’insuffisance au lieu d’être de fr. 2,327,378 58, était, au 1er septembre 1843, de fr. 15,944,817 72.
D’un autre côté, les recettes étant présumées devoir rester au-dessous des évaluations de fr. 180,871 92, et les économies probables étant de 1,500,000 fr., l’insuffisance se trouvait réduite à fr. 14.625,689 64. Les crédits supplémentaires s’étaient élevés, pour l’exercice 1841, au 1er septembre 1843, à fr. 13,617,439 14.
« D’après la situation du trésor, au 1er septembre 1844, l’insuffisance de l’exercice de 1841 a encore été réduite de 992,000 fr., provenant d’une part, de ce que l’économie a été de 2,432,695 fr. 61 c., au lieu de 1,500,000 fr., et de l’autre, de ce que les recettes ont été améliorées d’une somme de 59,619 fr. 36 c. »
Voici les résultats de l’exercice 1842, d’après la situation du trésor au 1er septembre 1844 ; c’est la dernière publication de M. le ministre des finances. Le budget des voies et moyens pour l’exercice 1842 était, primitivement, de fr. 105,900,612 ; le budget des dépenses s’élevait à fr. 105,566,962 81 ; l’excédant des ressources était de fr. 333,649 19. les crédits supplémentaires se sont élevés à fr. 3,401,247 63. l’excédant de ressources dont je viens de parler, s’est transformé en une insuffisance de 3,067,598 44. En outre, les recouvrements étant présumés devoir rester au-dessous des évaluations de fr. 1,395,426 82, et les économies probables étant d’un million, il en résulte une nouvelle insuffisance de fr. 395,426 82, et l’insuffisance totale est de fr. 3,463,025 26.
Voilà les résultats de l’exercice 1843, d’après l’exposé de la situation du trésor au 1er septembre 18444 : le budget des voies et moyens, pour l’exercice 1843, s’élevait, dans le principe, à 109,680,053. les dépenses étaient de 108,835,372. L’excédant de ressources était de 844,680 fr. 95 c. Les crédits supplémentaires ont porté les dépenses à 110,502,025 fr 79 c. ; au lieu d’un excédant, il y a eu une insuffisance de 821,972 fr. 79 c. Les recouvrements étant présumés devoir rester au-dessous des évaluations de 3,991,701 fr. 66 c., et les économies étant de 1 million, il faut ajouter au déficit une nouvelle somme de 2,991,701 fr. 66 c., ce qui le porte à 3,813,874 fr. 75 c., au lieu d’un excédant prévu de 844,680 fr. 98 c. Il est vrai que ce résultat défavorable de l’exercice 1843 a été modifié par les ressources extraordinaires que le traité avec la Hollande a procurées, et qui s’élèvent à environ 30 millions. Ces ressources ont été ou seront employées à la réduction de la dette flottante, mais nous ne pouvons pas en tenir compte pour les prévisions de l’avenir, car ce sont des ressources qui, bien certainement, ne se reproduiront pas.
Voici le résultats de l’exercice 1844, toujours d’après la situation du trésor au 1er septembre 1844, publié par M. le ministre des finances. Le budget des voies et moyens de 1844 s’élevait primitivement à 109,581,084 ; le budget des dépenses était de 110,123,796 fr. 76 c. L’insuffisance était de 542,712 fr. 76 c. Les crédits supplémentaires ont élevé la dépense à 112,359,378 fr. 85 c. Les recettes ont été portées à 114,077,324 fr. par suite de l’émission de 1,110,000 francs de bons du trésor et du bénéfice réalisé sur la négociation de l’emprunt 4 ½ p.c., bénéfice qui s’élève à 3,386,240 fr. ; d’un autre côté, on présume que les recouvrements dépasseront les évaluations de 785,740 fr. 58 c., et on annonce une économie de 4,150,000 fr. provenant principalement des avantages des deux conversions opérées par le gouvernement. L’excédant des ressources de l’exercice 1844 serait donc, d’après cet exposé, de 6,653,685 fr. 73 c. Mais il ne faut pas perdre de vue que M. le ministre des finances vous a dit dans le discours d’ouverture, qu’il devrait demander un crédit supplémentaire de 3,860,865 fr. pour les intérêts accordés à partir du 1er mai 1844 aux souscripteurs de l’emprunt 4 ½ p.c. et pour quelques autres dépenses. Ce crédit a même été demandé dernièrement par un projet de loi sur lequel il y a un rapport de l’honorable M. Cogels.
Je crois, maintenant, messieurs, devoir vous soumettre le résumé des recherches auxquelles je me suis livré sur les exercices 1840 à 1844 inclusivement. Les crédits supplémentaires se sont élevés pour 1840 à 9,399,034 fr. 64 c. ; pour 1841 à 13,617,439 fr. 14 c. ; pour 1842 à 3,400,00 fr. environ ; pour 1843 à 1,646,653 fr. 79 c. Pour 1844 enfin, en y comprenant le dernier crédit supplémentaire dont je viens de parler, ils se sont levés à 6,086,447 fr. 47 c.
Tous les crédits supplémentaires accordés pendant les cinq exercices 1840-1844 se sont donc élevés à 34,149,575 fr. 04 c. ; soit une moyenne par année de 6,829,915 fr.
Mais, pour être juste, je ne dois pas seulement présenter le résultat des crédits supplémentaires demandés pendant les cinq exercices ; je dois aussi présenter le tableau des variations survenues, parce que les recettes ont dépassé les prévisions, ou bien parce qu’elles sont restées en dessous, ou bien aussi parce que certains crédits ont été annulés, parce que certaines économies ont été faites.
Voici ce tableau :
EXERCICE 1840 :
Somme restée en dessous des évaluations : 200,000 fr.
Crédits annulés (économie) : 2,743,966 fr 42 c.
Résultat (favorable) : 2,543,966 fr 42 c.
EXERCICE 1841 :
Somme restée en dessous des évaluations : 121,252 fr. 56 c.
Crédits annulés (économie) : 2,432,695 fr 61 c.
Résultat (favorable) : 2,311,443 fr 05 c.
EXERCICE 1842 :
Somme restée en dessous des évaluations : 1,395,426 fr. 82 c.
Crédits annulés (économie) : 1,000,000 fr
Résultat (défavorable): 395,426 fr. 82 c.
EXERCICE 1843 :
Somme restée en dessous des évaluations : 3,991,701 fr. 66c.
Crédits annulés (économie) : 1,000,000 fr
Résultat (défavorable): 2,991,701 fr 66 c. (Résultat modifié par les ressources extraordinaires que nous avons tirées du traité avec la Hollande)
EXERCICE 1844 :
Somme restée en dessous des évaluations : 785,740 fr. 58 c.
Crédits annulés (économie) : 4,150,000 fr.
Résultat : 4,935,740 fr 58 c. (Résultat dû principalement à l’économie provenant de la conversion des emprunts).
Ce dernier tableau présente, pour les cinq exercices, une amélioration de 10,900,261 fr. 57 c., soit une moyenne, par exercice de 2,180,052 fr 31 c. Déduisant cette moyenne de celle des crédits supplémentaires, qui s’élève à fr. 6,829,915 fr. il reste, en moyenne, pour chaque exercice, une aggravation de fr. 4,649,862.
Si maintenant, on applique cette moyenne à l’exercice 1845 et aux exercices suivants, on arrivera aux résultats que je vais indiquer.
Remarquez bien, messieurs, qu’en appliquant cette moyenne, nous ne ferons que nous placer sur le terrain choisi par le gouvernement lui-même chaque fois qu’il a voulu justifier les prévisions de ses budgets ; comme lui nous jugerons de l’avenir par le passé.
D’après M. le ministre des finances, le budget de l’exercice 1845 se présente comme suit :
Recettes : fr. 111,198,170
Dépenses, fr. 109,961,790
Excédant de recettes : fr. 1,236,380
Mais il y a à déduire de cet excédant :
1° Les 60,000 fr. retranchés par la section centrale avec le consentement de M. le ministre des finances, ci fr. 60,000 ;
2° 300,000 fr. à payer de plus à l’ordre judiciaire pour le 2e semestre de 1845, ci fr. 300,000
L’excédant est réduit à 876,380
Il faut, en outre, tenir compte du déficit probable de 4,049,862 fr 69 c., qui est la moyenne de l’aggravation des cinq exercices antérieurs. L’excédant de recettes de 876,380 fr. annoncé par M. le ministre des finances se transforme donc en une insuffisance probable, très-probable de 3,773,482 fr. 69 c.
Pour les années qui suivront 1845, il faudra ajouter à cette insuffisance pour l’ordre judiciaire, une somme de 280,000 fr. il faudra y ajouter en outre le montant des recettes extraordinaires portées au budget de 1845, qui ne sont, pas de nature à se reproduire ; elles s’élèvent à 540,000 francs. Le déficit, pour les années qui suivront 1845, sera donc, selon toutes les probabilités, de 4,593,482 fr. 69 c. Mais il faudra en déduire 440,916 fr 67 c. portés à la colonne des dépenses extraordinaires du budget de la dette publique de 1845, et 661,375 fr 66 c. dus pour le canal de Charleroy qui cesseront d’être payés dans le courant de l’année 1846, ce qui le réduira à 3,491,190 fr. 36 c.
Mais ce déficit de 3,491,190 fr. 36 c., de même que le déficit de 1845 serait bien plus considérable encore, si je tenais compte des crédits supplémentaires qui nous seront encore bien certainement demandés pour les exercices 1843 et 1844, exercices qui sont loin d’être clos.
« On nous en annonce déjà pour sept millions et demi encore, non compris celui que j’ai pris dans mes calculs. »
Le déficit serait bien plus considérable encore si je n’avais pas pris dans mes calculs les ressources extraordinaires que la conversion de nos emprunts nous a procurées, ressources qui ont amélioré notablement l’exercice 1844, et qui ne se reproduiront pas chaque année.
On pourra sous doute convertir aussi les emprunts de 1840 et de 1842. Mais les avantages qu’on retirera de cette conversion n’auront pas pour effet de réduire le déficit que je signale, ils serviront seulement à atténuer l’aggravation possible, probable même, de ce déficit ; de même que les avantages de la conversion déjà opérée ont atténué l’aggravation du déficit des exercices antérieurs à 1845.
Que sont, d’ailleurs, les avantages que M. le ministre se promet de la conversion des emprunts de 1840 et de 1842 à coté des dépenses nouvelles que nous serons obligés de faire ? M. le ministre des finances ne l’a pas laisser ignorer dans le discours qu’il a prononcé à l’ouverture de la session. Il y aura, nous a-t-il dit, beaucoup de dépenses qui ne seront pas couvertes par (page 217) le budget des voies et moyens. Combien de millions, en effet, ne faudra-il pas pour l’achèvement des lignes commencées du chemin de fer, et pour la construction de lignes nouvelles ? combien n’en faudra-t-il pas pour les améliorations fluviales ? Si je tenais compte de toutes ces dépenses auxquelles le pays ne pourra échapper, qu’il devra supporter dans son propre intérêt, mais le déficit que je signale serait doublé ! Que dis-je ! il serait triplé peut-être.
Comment avons-nous pu, MM. arriver à cette position fâcheuse d’un déficit qui menace de se perpétuer et de s’étendre ? Comment n’avons-nous pu, en 1844, réduire ce déficit que d’une somme de quatre millions, nonobstant les ressources extraordinaires, produites par les opérations financières du gouvernement ; comment, dis-je, avons-nous pu arriver à cette position fâcheuse ? est-ce que, par hasard, on aurait allégé les charges qui pèsent sur les contribuables ?
Non, messieurs, loin de là : les charges qui pèsent sur les contribuables ont été augmentés chaque année ; elles se sont accrues considérablement depuis 1840, soit par l’effet de lois nouvelles qui ont aggravé les impôts existants, soit par l’effet du développement des affaires.
Permettez-moi, messieurs, de vous exposer les variations que les impôts ont subies depuis 1840 jusqu’en 1844 inclusivement et celles qu’ils subiront en 1845 d’après les prévisions de M. le ministre des finances.
L’impôt foncier s’était accru, de 1840 à 18444, par suite de trois centimes additionnels extraordinaires, de fr. 516,985. Il va s’accroître encore, en 1845, de fr. 609,923. Total : fr. 1,126,908.
L’impôt personnel s’était accru, de 1840 à 1844, de fr. 373,358. Il va s’accroître, en 1845, de fr. 174,900. Total : fr. 548,258.
Le produit des douanes s’est accru, de 1840 à 1844, de fr. 2,037,000. Il va s’accroître, en 1845, de fr. 970,000. Total : fr. 3.007,060.
Le produit des boissons distillées s’était accru, de 1840 à 1844, de fr. 65,000. Il doit s’accroître, en 1845, d’une légère somme de fr. 5,000. Total : fr. 70,000.
Le produit des accises s’était accru, de 1840 à 1844, de 1,883,000. Il va s’accroître de 392,000. Total : fr. 2,275,000.
Les recettes diverses s’étaient accrues, de 1840 à 1844, de fr. 132,000. Elles vont s’accroître, en 1845, de fr. 30,000. Total : fr. 162,000.
Le produit des droits d’enregistrement s’était accru, de 1840 à 1844, de 2,645,000 fr. Recettes diverses 1845 : 42,000 fr. En 1845, il subira une réduction que j’indiquerai tantôt.
Le total des augmentations d’impôts provenant soit de lois nouvelles soit du développement des affaires, de 1840 à 1845, est donc de 9,876,166 fr.
Il y a eu sur quelques articles des diminutions, entre autres sur les patentes, ce qui ne prouve pas que l’industrie soit dans un état bien prospère.
De 1840 à 1844, le produit des patentes a diminué de fr. 71,000.
Le produit des redevance sur les mines de fr. 35,805. Il diminuera en 1845 de fr. 47,880.
Le produit de la garantie sur les matières d’or et d’argent a diminué de fr. 8,000
Le produit de l’enregistrement diminuera, en 1845, de fr. 300,000.
Les recettes diverses on diminué de 1840 à 1844 de fr. 280,500
Total des diminutions : fr. 743,185.
Déduction faite de ces diminutions, on a, pour les charges nouvelles, un résultat net de 9,132,981 fr.
Ajoutez, messieurs, qu’outre ces augmentations considérables des impôts dans l’espace de six années seulement, il y a une économie annuelle de 1,007,088 fr. qui résulte de la conversion de nos emprunts ; et jugez si après cela, il n’est pas déplorable que l’on se trouve en présence d’un déficit qui menace de se perpétuer et de s’étendre.
Aussi a-t-il fallu et faut-il encore maintenir des impôts qui n’avaient été votés que temporairement. C’est ainsi que les trois centimes additionnels votés sur la contribution foncière n’avaient été accordés que temporairement : c’est ainsi que les quatre centimes additionnels extraordinaires accordés sur les droits d’enregistrement et de greffe n’avaient été votés que pour une année. En voulez-vous la preuve, messieurs ? Je vais vous donner lecture de quelques extraits de discours qui ont été prononcés dans la séance du 6 décembre 1842, lorsqu’il s’agissait de frapper les droits d’enregistrement et de greffe de ces 4 centimes additionnels.
L’honorable M. Demonceau, rapporteur de la section centrale, disait :
« On verra, dans le rapport, qu’à la différence du gouvernement, la majorité de la section centrale n’a admis les centimes additionnels qu’à titre de subside extraordinaire et pour une année seulement. »
L’honorable M. Dubus disait aussi :
« D’ailleurs, messieurs, ce qui vous est demandé ainsi par la section centrale, est, je vous le rappelle, demandé non pas comme une augmentation permanente, mais comme un subside extraordinaire pour le budget de 1843, subside extraordinaire d’autant plus motivé pour cet objet-là, que les autres lois de ressources ne produiront pas tout leur effet pour 1843 ; mais seulement pour 1844. »
Vous voyez, messieurs, qu’il était bien entendu que l’on ne votait les 4 centimes additionnels sur les droits d’enregistrement et de greffe que pour une année ; on les votait en attendant la mise en vigueur de nouvelles lois qui devaient augmenter les ressources du trésor. Eh bien, ces lois ont été mises en vigueur, et néanmoins on a laissé subsister les 4 centimes additionnels sur les droits de greffe et d’enregistrement. Et néanmoins on se trouve encore en face du déficit.
Je ne comprends pas, messieurs, que M. le ministre des finances ait pu se faire illusion au point de présenter la situation financière sous un aspect satisfaisant. Est-ce une situation satisfaisante que celle dont je viens de vous dérouler le tableau ? Je crois, moi, que c’est là une situation financière désastreuse. Je ne saurai donc consentir à poser sur la tête de M. le ministre des finances l’espèce de couronne civique qu’il s’est décernée à l’ouverture de la session.
Je serai réduit, quoiqu’à regret, à voter, comme les années précédentes contre le budget des voies et moyens. Je voterai contre ce budget avec d’autant moins d’hésitation que le gouvernement paraît persister à maintenir intacts les impôts qui pèsent sur les classes pauvres et à se montrer hostile à tout impôt qui pourrait frapper le luxe.
Ce n’est pas seulement d’indifférence que nous pouvons accuser le gouvernement ; sa mauvaise volonté, son hostilité sont démontrées par un acte récent. Le conseil provincial de Liége avait voté une taxe sur les voitures de luxe, pour faire face à des dépenses utiles. Eh bien, cette taxe n’a pas été approuvée par le gouvernement. Non-seulement le gouvernement ne veut pas faire le bien ; mais il s’oppose à ce que d’autres le fassent.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, puisque l’honorable préopinant a ajourné à un autre moment ses observations politiques, je me bornerai à la seule déclaration que tous nos efforts ont tendu à rester fidèles aux principes de conciliation et aux règles d’impartialité que nous nous sommes tracées par notre programme. J’ajouterai que nous ne sommes pas associés à un chef, mais à un collègue, et que, si cet honorable collègue a pris particulièrement la parole dans une occasion récente, cela doit paraître bien naturel, puisqu’il s’agissait d’arrangements commerciaux, et que cet honorable collègue a précisément le commerce dans ses attributions. Il est même à remarquer qu’en France de semblables conventions sont présentées aux chambres par le ministre du commerce.
J’en viens maintenant aux observations qu’a faites l’honorable membre sur notre situation financière.
Jamais, messieurs, je n’ai cherche à présenter à la chambre notre situation financière sous un jour trop favorable ; le reproche contraire m’a souvent été adressé, également à tort ; car c’est la réalité que j’ai toujours eu en vue d’exposer. Déjà, dans la dernière session, l’honorable membre avait critiqué les évaluations et les comptes que j’ai présentés. Je pourrais aujourd’hui lui demander lequel de nous deux s’est trompé dans ses appréciations ; il me serait facile de démontrer que c’est l’honorable membre.
Je ferai d’abord remarquer à la chambre qu’à mesure que nous acquerrons de l’expérience, les ministres pourront faire des appréciations plus exactes de la situation financière. Ainsi, messieurs, lorsque l’honorable membre disait : Ab uno disce omnes, pour prétendre que je resterais dans l’ornière du déficit, et lorsque je prouverai que nous en sommes sortis, je n’entends pas critiquer aucun de mes honorables prédécesseurs. La tâche, sous ce rapport, est devenue plus facile, je le reconnais.
Messieurs, lorsque l’honorable membre, en citant les paroles que je viens de rappeler, voulait prouver que de nouveaux déficits nous étaient réservés, il a prétendu qu’ils seraient de 7 millions par année, ou du moins pour l’exercice 1844. Aujourd’hui il veut bien réduire ce déficit annuel à 3,491,000 fr. je n’accepte pas davantage le déficit de 3,491,000 fr. ; il ne se réalisera pas, fort heureusement. Avant de présenter les budgets à la chambre, j’ai eu soin de m’enquérir auprès de tous les départements ministériels des dépenses qui restaient à faire sur l’exercice 1844 ; mes collègues m’ont envoyé les états présentant les dépenses, et elles ont figuré dans la situation du trésor, que j’ai soumise aux chambres en 1843, et dans celle que j’ai présentée cette année.
Messieurs, l’honorable préopinant avait supposé que nous aurions eu, pour l’exercice de 1844, un déficit de 7 millions. Eh bien, je déclare, d’après les probabilités les mieux fondées, que si le chiffre du boni actuel ne se maintient pas, au moins nous aurons un excédant de recettes pour l’exercice courant ; oui, bien loin d’avoir un déficit pour l’exercice 1844, il nous laissera une ressource qui servira à réduire notre dette flottante ; je ne puis en déterminer le chiffre, puisque l’exercice n’est pas encore arrivé à son terme ; mais je le répète, à moins de circonstances tout à fait extraordinaires, il y aura un boni. Je ne parle pas de certaines dépenses qui pourraient être votées pour la construction de nouveaux embranchements du chemin de fer ou pour compléter la double voie ; ce sont là des dépenses qui ne peuvent pas entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’apprécier la situation d’un exercice ; dans le moment actuel, l’excédant est présenté, dans la situation du 1er septembre dernier, à 6,600,000 de fr. ; si nous en retranchons le crédit dont l’honorable membre a parlé, l’excédant est encore d’environ trois millions.
L’année dernière l’honorable membre vous exprimé ses doutes sur la réalité de mes prévisions ; il a bien voulu déclare qu’il admettait qu’elles étaient plus exactes que d’autres prévisions dont il avait entretenu la chambre (page 218) ; néanmoins, il exprimait des doutes très-forts sur quatre articles des prévisions du budget de 1844 ; ces doutes portaient sur la douane, l’accise sur le sucre, les droits de succession, et enfin le revenu du chemin de fer ; sur ces quatre articles il supposait que nous aurions un déficit. Qu’est-il arrivé ? Loin que mes prévisions fussent exagérées, il se trouve que, d’après les recettes probables, en ce moment, ces prévisions seront dépassées d’environ 1,200,000 fr. J’espère que l’honorable membre trouvera là une nouvelle preuve de la modération de mes évaluations et de la vérité que je cherche à introduire dans les comptes que je soumets aux chambres. (Interruption.)
Puisque l’honorable membre tire des inductions du passé et d’un passé auquel je n’ai pas été associé, il m’est permis de dire aussi que l’honorable membre est tombé lui-même dans l’erreur et d’en conclure que cette erreur peut encore se reproduire aujourd’hui, dans ses appréciations, quand il argumente d’un passé qui m’est également étranger, pour juger les résultats probables que j’ai annoncés. Ainsi, messieurs, loin que nous restions dans la fâcheuse position où nous nous sommes trouvés depuis quelques années, d’avoir un déficit permanent, je soutiens que, grâce aux efforts communs des chambres et du gouvernement, nous sommes maintenant arrivés à avoir un excédant de recettes. Toutes les dépenses prévues sont portées dans notre balance ; je n’ai cherché à en exclure aucune, et, s’il en est qui ont échappé à toute prévoyance, nous avons cet excédant pour les couvrir.
Messieurs, je ne puis pas suivre l’honorable membre dans tous les chiffres qu’il a cités ; tout repose sur un seul argument ; il juge de l’avenir par le passé ; j’ai expliqué ces griefs ; ce raisonnement était vicieux. J’espère avoir réfuté suffisamment son allégation, que nous resterions dans les déficits ; les résultats déjà connus pour l’exercice courant prouvent suffisamment en faveur de mes appréciations, puisque la situation est plus favorable en 1844 qu’elle ne l’était à pareille époque de 1843, tout fait croire que, lorsque nous serons arrivés à la fin de l’année 1845, notre position sera encore notablement améliorée.
L’honorable membre nous a reproché l’augmentation des dépenses ; eh bien la seule augmentation un peu considérable, celle qui concerne l’ordre judiciaire, était prévue depuis nombre d’années ; tous les ministères qui se sont succédé depuis 1839 ont tous annoncés cette mesure. Ce n’est donc pas là une augmentation de dépenses qui puisse être attribuée exclusivement au ministère actuel.
Je crois, messieurs, devoir borner là mes observations pour le moment.
M. Delfosse – Je vous prie, messieurs, de remarquer que je n’ai nullement contesté les prévisions de recettes portées au budget de 1845 par M. le ministre des finances. C’est ce qui rend mes raisonnements bien plus forts. Si les prévisions de recettes, telles que M. le ministre des finances les a portées au budget de 1845, ne se réalisaient pas, si les recettes restaient au-dessous des évaluations de M. le ministre des finances, le déficit que j’ai signalé et que je persiste à croire très-probable, ce déficit s’accroîtrait encore de l’insuffisance de ressources qui résulterait de ce que M. le ministre des finances aurait présenté des évaluations exagérées. Je le répète, j’ai admis toutes les prévisions de recettes de M. le ministre des finances pour 1845. Il est vrai que l’année dernière, tout en reconnaissant que M. le ministre des finances avait présenté des évaluations plus modérées que celles de son prédécesseur, j’ai élevé quelques doutes sur la réalisation de quelques-unes de ces prévisions ; mais j’ai en même temps exprimé le désir que mes doutes ne fussent pas fondés. Je ne demandais pas mieux que de voir les recettes s’élever, sans aggravation d’impôts, au-dessus des évaluations de M. le ministre des finances. Je me félicite donc avec lui de ce que les craintes que j’avais exprimées l’année dernière sur ce point, ne se sont pas entièrement réalisées.
C’est justement parce que j’ai vu que M. le ministre ne s’était pas trompé dans ses prévisions de recettes pour l’exercice 1844, que j’ai admis sans contestations ses prévisions de recettes pour l’exercice 1845, mais cette observation présentée par M. le ministre des finances ne prouve nullement qu’il ne faille pas, pour déterminer le déficit qui nous attend, tenir compte des résultats des exercices antérieurs ; il est évident que si les exercices antérieurs sont fortement chargés de crédits supplémentaires, on ne peut pas être admis à soutenir que l’exercice 1845 en sera exempt. Je citerai, à l’appui de ce que j’avance, des paroles prononcées par M. le ministre des finances lui-même, alors que des bancs de l’opposition où il siégeait en 1842, il attaquait le système financier de M. le ministre des finances de cette époque. Voici ce que M. Mercier disait alors :
« L’on sait qu’il n’y a pas d’exemple d’un exercice qui n’ait subi quelque augmentation de dépenses, par suite de crédits supplémentaires ; on ne pouvait donc dire qu’il y eût réellement équilibre entre les recettes et les dépenses, alors qu’aucune somme n’était destinée à parer à l’éventualité des crédits supplémentaires auxquels on devait nécessairement s’attendre. Ainsi, messieurs, un déficit assez considérable s’annonce pour la fin de cet exercice. »
Vous voyez, messieurs, que je n’ai fait, dans les raisonnements que j’ai soumis tantôt à la chambre, que reproduire l’opinion émise en 1842 par l’honorable M. Mercier.
L’honorable M. Mercier vient de dire que je me suis trompé l’année dernière, non-seulement en élevant quelques doutes sur ses prévisions de recettes, mais encore en portant le déficit probable de l’exercice 1844 à 7 millions. Je ne me rappelle pas très-bien la somme à laquelle je portais l’année dernière le déficit, mais enfin j’admets l’exactitude du chiffre de 7 millions indiqués par M. le ministre des finances.
Voyez, a-t-il dit, comme on s’est trompé pour 1844 ; cet exercice, que l’on présentant comme devant amener un déficit de 7 millions, se présente, au contraire, avec un excédant de ressources de 6,653,600 francs.
L’honorable M. Mercier oublie un peu qu’il faut d’abord déduire de cet excédant de ressources 3,860,861 fr. 29 centimes qui sont nécessaires pour payer les intérêts à partir du 1er mai 1844 de l’emprunt 4 ½ p.c. et pour couvrir quelques autres dépenses. Ensuite, comme le disait fort bien M. Mercier en 1842, nous pouvons nous attendre à de nombreuses demandes de crédits supplémentaires pour l’exercice 1844. Quand cet exercice sera-t-il clos ? Il ne sera clos qu’à la fin de 1846 ; l’on peut donc encore nous demander des crédits supplémentaires pour l’exercice 1844, et pendant le reste de l’année courante, en 1845 et pendant toute l’année 1846. M. le ministre des finances oserait-il nous répondre que les 2,792,000 fr. qui restent aujourd’hui comme excédant, ne seront pas absorbés par les crédits supplémentaires ? Je crois que l’on pourrait aller beaucoup plus loin ; je crois que l’on pourrait soutenir que les crédits supplémentaires qui seront encore demandés pour l’exercice 1844, s’élèveront bien au-delà de 2,792,000 fr. ; on ne saura si je me suis trompé l’année dernière en évaluant le déficit probable à 7 millions, que lorsque nous serons arrivés à la fin de 1846. Alors seulement on pourra faire le compte, alors seulement on pourra voir qui se sera trompé. Mais alors même que je me serais trompé, cela proviendrait des ressources extraordinaires que M. le ministre des finances s’est procurées au moyen de la négociation et de la conversion des emprunts. Ce sont là des ressources que je n’ai pas comprises et que je n’ai pas dû comprendre dans mes calculs ; quand j’ai parlé du déficit probable, je n’ai entendu parler que du déficit qui résulterait du cours ordinaire des choses et qui était indiqué par les résultats des exercices antérieurs. Je ne pouvais, certes, pas connaître d’avance le taux auquel M. le ministre des finances négocierait l’emprunt 4 et demi pour cent.
Vous voyez, messieurs, que les observations fort incomplètes que M. le ministre des finances vient de vous présenter ne diminuent en rien la force des considérations que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, le chiffre de 3,860,861 fr. 29 c., cité par l’honorable préopinant ne s’applique pas exclusivement à l’exercice actuel ; c’est une moyenne qu’il a tirée d’un certain nombre d’exercices, et le bénéfice fait par la conversion de l’emprunt n’influence que très-faiblement cette moyenne ; il ne peut certes pas amener la différence entre 7 millions et 3,860,000 fr. D’ailleurs, il a déduit lui-même du boni les crédits demandés, et dès lors le boni n’exerce plus qu’une très-faible influence en résultat ; son argument tombe donc presque entièrement.
J’avais été au-devant de l’objection faite par l’honorable préopinant lorsqu’il est venu citer quelques-unes de mes paroles. J’avais dit que je m’étais enquis, avec le plus grand soin, des crédits supplémentaires qu’on pourrait avoir à réclamer ; que mes collègues s’étaient associés à moi pour faire ces recherches, et que, par conséquent, il y a tout probabilité que les comptes sont exacts. Et d’ailleurs depuis l’année dernière, notre position générale s’est améliorée de quatre millions ; il en résulte que l’année dernière, j’ai également présenté un tableau aussi rigoureusement exact que possible, plutôt qu’en exagérant les avantages de la situation financière. Voilà encore une nouvelle preuve du peu de fondement de l’appréciation de l’honorable membre, qui a, du reste, gardé le silence sur les résultats favorables déjà obtenus ; l’année dernière, j’ai présenté une situation moins satisfaisante ; il se trouve qu’elle s’est améliorée depuis lors ; si j’avais exagéré le bien, comme on me l’a reproché alors, il se trouverait qu’aujourd’hui j’aurais à accuser un état de choses moins favorable. C’est le contraire qui a eu lieu.
M. Osy – Messieurs, j’ai entretenu hier la chambre d’un seul objet. Aujourd’hui, j’aurai plusieurs observations à faire, tant à M. le ministre des finances qu’à M. le ministre de l'intérieur, du chef du commerce.
Lors de la discussion de la loi des tabacs, M. le ministre des finances avait excessivement rembruni la situation financière. Plusieurs honorables collègues et moi, nous avons combattu alors la situation financière présentée par le ministre ; j’ai dit qu’il y avait peu de franchise, de la part du gouvernement, d’apporter ici une loi qui excitait la répulsion générale du pays, en appuyant son adoption sur les besoins du trésor. Je suis charmé de voir aujourd’hui que nos prévisions ont été plus exactes que celle de M. le ministre des finances. Par là, nous avons soustrait une industrie très-utile au pays à un impôt trop-onéreux.
En ce qui concerne l’augmentation de la somme pour le foncier, je partage l’opinion de plusieurs honorables collègues : on aurait dû défalquer la somme que produisent en plus le Limbourg et le Luxembourg, depuis l’achèvement des opérations cadastrales dans ces deux provinces, du chiffre total que nous payons pour l’impôt foncier. Si je vote aujourd’hui la somme demandée par le gouvernement, c’est sous la réserve que, lors de la révision des opérations cadastrales, nous examinerons s’il ne convient pas de diminuer le contingent des autres provinces, jusqu’à la concurrence de l’augmentation produite par le Limbourg et le Luxembourg, depuis que ces deux provinces sont cadastrées.
Je dois adresser maintenant un reproche à l’administration des finances, c’est d’être fiscale à l’excès. Lors de la mise à exécution de la loi des droits différentiels, on nous avait accordé, par arrêté royal, six à sept jours pour les déclarations. Cet arrêté a été signée le 21 juillet, et il n’a été promulgué et connu du public que le 25 ; le délai pour les déclarations ne devait donc courir que du jour où la loi, ainsi que les arrêtés d’exécution avaient été connus. Tout le commerce à Anvers l’avait entendu ainsi ; tout le monde s’est refusé à payer à partir du jour de la publication de la loi, c’est-à-dire (page 219) à partir du 25 du mois ; de manière que le terme fatal était le 1er et le 2 août. Qu’a fait M. le ministre des finances ? M. le ministre a envoyé par exprès l’arrêté royal, ainsi que la loi promulguée le 25 et il a demandé l’exécution le 26 et le 27. Tout le commerce a réclamé. M. le ministre des finances a fait examiner ces réclamations par ses avocats, et il a tranché la question dans son sens, en disant que le commerce devait payer. Il a donné des ordres en conséquence à la douane. Le commerce devait naturellement satisfaire à la demande de M. le ministre des finances, et tous les négociants ont payé.
Mais le commerce ne s’est pas tenu pour battu, et il a continué ses réclamations. M. le ministre des finances a maintenu sa décision ; le commerce, n’ayant pas d’autre voie légale, a dû attaquer le gouvernement ; samedi il y a huit jours, la cause se trouvait au rôle ; on allait plaider ; l’avocat des négociants était sûr de son fait, eu égard à tous les antécédents ; et M. le ministre des finances, après avoir tenu en échec le commerce depuis le mois de juillet jusqu’à samedi, il y a huit jours, le jour même l’avocat du trésor demande la radiation des causes, et le lendemain on rembourse aux négociants. Je demande s’il est permis de tourmenter ainsi le commerce. Cette conduite de l’administration des finances me paraît bien légère. Cette administration se montre véritablement par trop fiscale.
Je dois parler maintenant d’un autre objet, qui est très-important, et qui concerne M. le ministre de l'intérieur, puisque ce ministre est, d’après ce que vient de dire M. le ministre des finances, le chef du commerce.
Le commerce a encore payé sur protêts pour différents arrivages, parce que M. le ministre de l'intérieur donne à la loi des droits différentiels une interprétation à laquelle le commerce ne peut pas consentir. Le but que nous avons voulu atteindre, c’est de favoriser les importations des lieux de production. La chambre de commerce d’Anvers, dans l’intérêt du commerce, a fait des réclamations à plusieurs reprises auprès de M. le ministre de l'intérieur. Après un délai de plusieurs mois, M. le ministre a trouvé que pour quelques objets tels que les bois de teinture, etc., le commerce avait raison, et il a donné gain de cause au commerce par un petit arrêté royal, et on lui a remboursé les payements qu’il avait fait sur protêts. Mais M. le ministre de l'intérieur et le commerce ne sont pas d’accord sur l’interprétation à donner à la loi quant à l’article « Cuirs ».
Le ministre de l’intérieur prétend qu’il a raison ; le commerce prétend, de son côté, qu’on ne peut interpréter la loi autrement qu’il ne fait. Dans cet état de choses, il me paraît qu’il y a lieu de soumettre la question à la législature ; car je ne pense pas qu’il appartienne à M. le ministre de l'intérieur de lever seul l’ambiguïté que peut présenter la loi. L’interprétation donnée par le ministre est contraire au but principal que nous avons voulu atteindre, celui de favoriser les importations directes, d’abord par pavillon national, puis par pavillon étranger, contre les importations des entrepôts d’Europe.
Je demanderai donc à M. le ministre de l'intérieur, qu’il examine cette affaire avec la plus grande attention, et qu’il fasse à la chambre une proposition qui ne donnera pas lieu à une longue discussion. Par là, le commerce ne sera plus dans la nécessité de plaider à chaque instant, et de payer sur protêt.
Après l’adoption des droits différentiels, M. le ministre des finances, de son autorité privée, a enlevé au commerce les entrepôts fictifs dont il était en possession, non-seulement depuis 1830, mais depuis la loi de 1822. Le commerce a fait des réclamations pressantes, et il a prié M. le ministre des finances d’en faire l’objet d’un prompt examen. Si M. le ministre ne s’est pas encore livré à cet examen, je le prie de s’en occuper le plus tôt possible.
J’ai une autre observation à faire maintenant. Depuis l’adoption du traité de paix avec la Hollande, il reste encore beaucoup de questions financières à traiter. Nous avons reçu de la Hollande des sommes considérables pour cautionnements, pour consignations et pour la caisse de retraite. C’est par une loi que M. le ministre des finances doit faire rentrer au trésor les sommes que nous avons avancées, depuis 1830, sur les fonds qui viennent de nous être restitués par la Hollande. Il faut déterminer la part de ces fonds qui doit rester définitivement acquise au trésor, et la part qui revient ceux des intéressés qui n’ont pas été remboursés.
L’année dernière, j’ai parlé du million de l’agriculture. M. le ministre des finances avait promis d’examiner la question Nous avons fait des avances depuis 1830, et il est juste que le trésor soit remboursé. Il faut également régler cet objet par une loi. On ne peut laisser cela à l’arbitraire du gouvernement.
De même, d’après le traité avec la Hollande, nous avons une prétention de 600 et des mille fr., à charge de deux provinces pour leur contribution dans la construction d’un canal fait par le gouvernement hollandais.
Voilà un objet qu’il faut régulariser. Voulez-vous décharger les deux provinces de cette contribution ? Faites une proposition, on l’examinera. Nous devons rembourser cette somme à la Hollande, sauf à la récupérer sur les deux provinces en question. Je demande qu’on se hâte de régulariser cet objet par une loi, qu’on demande aux chambres l’autorisation de faire cadeau de la somme aux provinces ou de la récupérer sur elles. Nous ne devons pas laisser cette question indécise, l’abandonner à l’arbitraire du gouvernement.
Maintenant je demanderai un renseignement à M. le ministre des finances. Je commence par dire que je ne suis pas sûr du fait. Mais les antécédents de quelques années inspirent de la défiance. Cette défiance m’oblige à adresser ma question à M. le ministre. J’espère qu’il me répondra catégoriquement. Vous savez que lors de l’achat de la malheureuse « British Queen », vous n’aviez pas fait les fonds. Le ministre des finances a dû avouer comment il avait payé ; faute de crédit voté par vous, la cour des comptes n’aurait pas autorisé le payement ; on a dit : Nous avons pris l’argent sur le fonds des cautionnements.
Messieurs, nous n’avons aucun moyen de surveillance sur les dépôts et consignations. Les fonds de cautionnements et de l’amortissement, c’est un dédale où nous ne connaissons rien. J’ai demandé la création d’une commission de surveillance, comme celle qui existe en France, et que la cour des comptes, qui doit connaître toutes les dépenses et toutes les recettes du pays, pût y porter ses investigations. Je demande que cela soit fait dans le plus court délai. En consultant ce qui se passe en France, cela est très-facile à faire. M. le ministre me dira sans doute : Attendons la loi sur la comptabilité générale de l’Etat pour nous occuper de cela. L’année dernière nous nous sommes occupés de ce projet. Mais depuis l’ouverture de cette session, le président de cette section centrale n’a pas pu nous convoquer, parce que les budgets devaient passer avant tout.
Je ferai observer que je demande la nomination d’une commission dont les fonctions seraient gratuites. On pourrait la composer de membres de la chambre et du sénat et d’un membre de la cour des comptes. C’est le seul moyen d’avoir un contrôle efficace. Comme je viens de le dire, l’achat de la « British-Queen » a été fait sur les fonds des cautionnements ; je demanderai si on n’a pas fait une avance de deux millions à une société d’Anvers, chargée de faire des exportations de cotonnades pour Gand ? Nous avons voté une somme pour garantir les pertes dépassant 10 p.c., mais n’avons jamais autorisé l’avance de capital quelconque. On a parlé tout à l’heure de Santo-Thomas, et ceci s’y rattache. Sur les deux millions, 1,200 mille francs seraient rentrés au trésor et la société anversoise devrait encore aujourd’hui 800 mille francs. La Compagnie de Santo-Thomas doit avoir demandé des fonds au gouvernement, et ne les ayant pas obtenus, elle aurait demandé de pouvoir assigné sur cette société les 800 mille francs. Le gouvernement aurait refusé et il aurait bien fait.
Quand on a adressé, à cet égard, une interpellation à M. le ministre des finances, il a dit que nous devions attendre que le gouvernement saisit la chambre de la question. Quoi ! quand le gouvernement prend un arrêté pour engager les communes, les bureaux de bienfaisance à entrer dans une spéculation, pour compromettre l’argent des pauvres, contrairement aux dispositions d’un décret de l’empire de 1810, on refuse de donner des explications !
D’après ce décret, il n’est pas possible d’engager dans des spéculations les fonds des communes et des bureaux de bienfaisance, on peut jusqu’à une certaine somme les employer en fonds publics ou en rentes, mais jamais dans des spéculations. Or, ici c’était une véritable spéculation.
Il n’y a, nous dit M. le ministre de l'intérieur, que quatre ou cinq communes qui aient souscrit. Je suis charmé que les communes et les bureaux de bienfaisance aient été plus sages que le gouvernement. Je suis heureux que nos bourgmestres et nos états provinciaux aient montré cette prudence. Je demande la production de la liste des bureaux de bienfaisance et des communes qui ont signé et des états généraux qui ont autorisé les souscriptions. Nous avons une province qui a défendu à la députation d’autorité aucune souscription. Je rends grâces à cette province d’avoir donné cette leçon au gouvernement !
Pour faire plaisir à je ne sais qui on engageait les pauvres à jouer ! Quand un arrêté pareil paraît, est-ce que les députations ne comptent pas sur la sanction de leur autorisation, puisque c’est un arrêté royal qui les convie en quelque sorte ? J’aurais voulu que tous eussent fait comme celle de Liége.
L’arrêté royal sanctionnait d’avance ce que feraient les états provinciaux. Il est un autre reproche que j’ai à faire. Comment ! vous engagez les communes et les bureaux de bienfaisance à prendre part à une spéculation, et c’est le ministre de l’intérieur seul qui signe l’arrêté ! Je rends grâce à M. le ministre de la justice de n’avoir pas contre-signé cet arrêté, qui est un acte coupable. Si des souscriptions avaient eu lieu par suite de cet arrêté, le remboursement des sommes perdues pourrait être exigé de celui qui l’a signé. Je ne puis assez flétrir une pareille action, car, messieurs, on a voulu détourner l’argent sacré du pauvre pour le jeter dans les hasards du jeu.
Le projet de loi n’est pas présenté, dit M. le ministre. Mais nous le connaissons tous, nous savons que depuis le mois de juillet on a dit : Vous aurez votre emprunt, je vous garantis que je présenterai le projet à la chambre. Quand le gouvernement fait une semblable promesse, il doit savoir ce qu’il fait et la tenir ; s’il ne le fait pas, il trompe et la société à laquelle il a fait la promesse, et les tiers qui traitent avec elle. Je connais des particuliers et des sociétés qui ont donné de l’argent sur votre promesse. Il nous faut une explication franche et entière sur cette affaire. Je connais beaucoup de personnes qui ont fait des affaires avec cette société et qui doivent savoir à quoi s’en tenir.
Je demanderai à M. le ministre des finances ou à M. le ministre de l'intérieur, si réellement une avance de 2 millions a été faite à une société d’Anvers et sur quoi on a pris les fonds.
Quant à l’exécution de la loi des droits différentiels, je ne veux pas entrer ici dans le détails des réclamations du commerce, je me borne à demander au ministre d’expliquer ces réclamations, pour ne pas en venir à un procès. S’il y a un doute, qu’un projet de loi nous soit présenté pour le résoudre nous-mêmes, car ce n’est pas au gouvernement qu’il appartient de le faire.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je demande la parole pour répondre à l’honorable M. Osy, relativement à l’arrêté du 31 mars 1844. (page 220) Cet honorable membre m’a félicité bien à tort de n’avoir pas signé cet arrêté, car il a été délibéré en conseil, et s’il a été contre-signé par M. le ministre de l'intérieur seul, c’est que son objet rentrait spécialement dans les attributions de mon collègue. Néanmoins il n’a été soumis au Roi qu’après avoir été, je le répète, délibéré et approuvé par le conseil des ministres. Cet arrêté devait être signé par M. le ministre de l'intérieur seul ; il n’a pas, en effet, la portée que lui attribue l’honorable M. Osy, et pour le démontrer, il suffit d’en lire l’article premier. Cet article porte :
« Art. 1er. Une liste de souscription sera déposée dans toutes les communes du royaume, par les soins des administrations locales. Cette souscription sera ouverte aux conditions fixées par la décision du conseil-général de la compagnie belge de colonisation, dans sa séance du 6 février dernier.
« Les communes, les institutions de bienfaisance et les corporations sont, quant à la ratification de leur souscription, soumises à l’autorité compétente. »
Ainsi, d’après cet article, le dépôt d’une liste de souscription dans les communes était seulement autorisé ; mais ce dépôt autorisé ne remplaçait pas l’autorisation nécessaire aux communes et aux bureaux de bienfaisance pour acquérir des lots, et verser les sommes destinées à ces acquisitions. Le paragraphe de l’article contient à cet égard une réserve formelle.
Pour apprécier cet arrêté, il ne faut pas considérer l’art. 1er isolément, mais il faut le rapprocher des autres articles et du rapport fait par le conseil général de la compagnie de colonisation, d’après lequel on voit que la moitié des sommes versées par les souscripteurs devait être employée à l’achat de toiles et autres produits de l’industrie. Le gouvernement ne pouvait pas se refuser à permettre le dépôt des listes de souscription dans les communes, alors que les souscriptions devaient procurer un débouché pour les produits liniers. Si le gouvernement avait refusé de laisser déposer les listes de souscription dans les communes, ne lui en aurait-on pas fait un grief ? Ne lui aurait-on pas dit qu’il repoussait les moyens qui lui étaient offerts de venir en aide à l’industrie et de faciliter l’exportation de ses produits ?
Le gouvernement a donc cru devoir autoriser le dépôt des listes de souscription dans toutes les communes. Mais pour qu’il fût bien entendu que le dépôt de la liste n’avait pour but que de faciliter les souscriptions pour les particuliers, et n’avait pas d’autre portée, le paragraphe de l’art. 1er ajoute :
« Les communes, les institutions de bienfaisance et les corporations sont, quant à la ratification de leur souscription, soumises à l’autorité compétente. »
Ainsi la validité des souscriptions des communes ou des bureaux de bienfaisance était subordonnée à une ratification ultérieure. Il restait à examiner, dans chaque cas spécial, si la souscription devait être ratifiée après avoir apprécié les avantages et les inconvénients que présentait l’acquisition des terrains offerts aux souscripteurs.
D’après le projet du conseil général de la compagnie, les souscriptions des communes et des établissements de bienfaisance ne devaient avoir d’effet qui si elles étaient approuvées par l’autorité compétente dans les trois mois, à partir de la clôture de la souscription. Ainsi la compagnie elle-même ne demandait pas une autorisation générale et immédiate, et le gouvernement, en permettant le dépôt des listes, se réservait le temps et la faculté d’examiner ultérieurement la question, quant aux communes et aux établissements de bienfaisance, et de n’autoriser les souscriptions que s’il lui était prouvé qu’elles étaient avantageuses, et pour l’institution de bienfaisance et pour l’industrie, et notamment pour l’industrie linière. On chercherait donc en vain dans l’arrêté une autorisation de souscrire pour les bureaux de bienfaisance et pour les communes.
Du reste, quant aux bureaux de bienfaisance et aux hospices, ce n’était pas la députation du conseil provincial qui devait donner l’autorisation, mais c’était le gouvernement lui-même. (Rires sur quelques bancs).
Je ne sais ce qui peut exciter le rire de l’honorable M. Castiau. Je fais cette observation en réponse à ce que disait l’honorable M. Osy, que les députations permanentes devaient croire, en voyant l’arrêté du 31 mars 1844, que le gouvernement approuvait la souscription des établissements de bienfaisance et que les députations avaient dû ainsi se montrer disposées à les autoriser facilement ; j’ai voulu montrer à l’honorable membre que cette crainte n’était pas fondée quant aux établissements de bienfaisance.
Je pense que l’arrêté du 31 mars ne mérite pas les critiques dont il a été l’objet de la part de l’honorable M. Osy, et qu’il est loin d’avoir la portée que lui prête l’honorable membre.
Je suis seulement convaincu que, si le gouvernement n’avait pas accueilli la demande qui lui était faite, de laisser déposer dans les communes, les listes de souscription, on n’aurait pas manqué de lui en faire un grief, et de dire qu’il était hostile à une société qui pouvait produire des résultats utiles, et qu’il paralysait les efforts qu’elle faisait pour venir au secours d’une industrie souffrante.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’honorable M. Osy a fait à l’administration des finances le reproche de fiscalité, et cela à propos d’une question de promulgation de lois.
Toujours jusqu’à présent, le terme de la mise à exécution de la loi a pris cours à dater de la signature royale. C’est la règle suivie jusqu’à ce moment. C’est aussi l’opinion d’un jurisconsulte auteur des commentaires sur le législation belge, publiés sous le nom de Pasinomie.
Il se peut que l’on ait eu tort. Cependant jamais il n’est parvenu au gouvernement aucune réclamation sur cette marche.
Lorsqu’est intervenu l’arrêté-loi du 21 juillet, les mêmes instructions ont été données aux employés, chargés de son application. C’est à ce sujet que, pour la première fois, des réclamations sont parvenues au gouvernement. Mais je dois faire connaître que l’assignation des intéressés n’a été donnée au gouvernement qu’en septembre. Jusque-là le gouvernement n’était pas appelé à se prononcer. Les instructions ont été données en ce sens, puisque c’était la règle qui avait été constamment mise en pratique ; après avoir reçu les réclamations des intéressés, j’ai demandé l’avis des avocats de l’administration et de M. le ministre de la justice. La question a été présentée comme douteuse. L’ayant jugée telle, je l’ai résolue à l’avantage du commerce.
Je ne vois pas qu’il y ait là un grief à articuler contre l’administration des finances, qui avait agi d’après tous les anciens précédents.
L’honorable membre ne trouvera pas une loi dont l’exécution n’ait pas pris cours à dater de la signature royale.
Dans ce cas spécial, et eu égard au doute existant, j’ai cru pouvoir décider la question en faveur du commerce. Je ne vois pas qu’il y ait là une marque de fiscalité. Aussi longtemps que la question n’avait pas été présentée comme douteuse, je ne pouvais procéder d’une autre manière.
L’honorable membre semble vouloir porter devant la chambre toutes les questions d’administration, discutées entre la chambre de commerce d’Anvers et le gouvernement. Je ne crois pas devoir le suivre dans cette voie ; sur la question des entrepôts francs, je suis en rapport avec la chambre de commerce d’Anvers. Des membres de cette chambre de commerce ont désiré avoir une conférence avec moi ; cette conférence aura lieu. La question pourra se débattre alors.
J’ai lieu de supposer que l’honorable membre n’a pas pris connaissance d’un projet de loi soumis à la chambre depuis quelques jours, et qui embrasse toutes les questions financières traitées avec le gouvernement des Pays-Bas, puisqu’il a parlé de fonds qui ne peuvent être aliénés qu’en vertu d’une loi, bien qu’ils soient déjà mentionnés dans ce projet.
En faisant la proposition qui concerne le fonds de l’agriculture, nous n’avons pas cru, tant s’en faut, faire aucun tort à l’intérêt agricole ; nous voulons, au contraire, allouer à l’agriculture, sans aucune contribution, ce qui lui était accordé par le fonds d’agriculture, moyennant une charge assez lourde ; la question sera examinée, lors de la discussion du projet ; mais, je le déclare maintenant, nos intentions ont été méconnues hors de cette enceinte tout aussi bien que par l’honorable membre ; nous avons dégrevé l’agriculture d’une charge qu’elle supportait antérieurement, bien loin de la priver d’une ressource utile.
Quant à la commission de surveillance de la caisse d’amortissement, dont l’honorable membre a parlé, le rapport de la section centrale sur le budget des voies et moyens contient un passage qui y est relatif ; j’ai promis à la section centrale, non d’ajourner cette question jusqu’à la discussion du projet de loi sur la comptabilité, mais de préparer un projet de loi avant la fin de cette année. Ce projet est préparé.
L’honorable membre a demandé des renseignements sur une avance de 2 millions faites à une société dont le siège est à Anvers.
Il demande si un prêt a été fait. Déjà il a été question plusieurs fois de cette avance, qui est de 1,500,000 fr. C’est en 1839 qu’elle a été faite, dans un moment où l’industrie cotonnière était dans la détresse ; c’est alors que le gouvernement a fait une avance qui, d’après mes souvenirs, doit être de 1,500,000 fr. Je crois me rappeler qu’il en a été question plus d’une fois dans cette chambre. Il reste environ 6 à 700,000 fr. à rembourser. En ce qui concerne la société de colonisation dont l’honorable membre vient encore de vous entretenir, je dois répéter ici que le gouvernement a des motifs très-sérieux de ne pas entamer cette discussion en ce moment. Ces motifs vous seront exposés ; vous les apprécierez. Nous ne voulons pas éluder la discussion ; mais faut-il nécessairement qu’elle soit engagée à un instant, à un jour donné ? Attendez au moins que la question vous soit présentée.
M. Delehaye – Messieurs, depuis quelques temps je m’aperçois que le gouvernement ne pose pas un seul, acte, même le plus contraire aux lois, qu’il n’invoque les intérêts de l’industrie de l’une ou de l’autre Flandre. Lorsque, contrairement aux dispositions de la loi, il a permis l’introduction de 6 millions de kilogrammes de céréales du Limbourg, c’était encore dans l’intérêt des Flandres. Lorsqu’il a cru convenable de faire une convention avec l’Allemagne (et permettez-moi d’anticiper un peu ici sur une discussion prochaine), il a compris dans cette convention des stipulations à l’égard des cotons ; prochainement, il viendra encore nous dire que c’est dans l’intérêt des Flandres. Messieurs, c’est une chose étrange ! constamment on invoque l’industrie des Flandres, et constamment aussi, on pose des faits qui lui portent les coups les plus mortels.
Messieurs, j’ai demandé la parole, et je vous l’avoue, je l’ai fait contrairement à la résolution que j’ai prise ; je ne m’attendais pas à parler dans cette discussion. Mais puisqu’on m’a en quelque sorte forcé à sortir du silence, je me permettrai aussi d’examiner quelques-unes des actes du ministère.
Messieurs, selon moi, l’un des actes du ministère les plus dignes de la désapprobation de toute la chambre, est celui qu’il a posé dans l’affaire du Guatemala, et ce que vient de vous dire M. le ministre de la justice ne peut qu’augmenter, si c’est possible, l’indignation que la conduite du gouvernement doit inspirer.
Quoi ! cet arrêté qui a été publié partout, qui a été affiché dans toutes les communes, vous ne l’avez pris qu’après une réunion du conseil des ministres ! Ce sont tous les ministres qui devaient connaître mieux que nous (page 221) la sotte combinaison qui a donné naissance à cette colonie, et la triste situation de celle-ci, qui ont consenti à ce que pareille proposition fût faite aux communes ! Et après avoir délibéré sur cet objet important, après avoir consenti à ce que les communes fussent engagées à souscrire, ils viendront vous dire aujourd’hui que ces communes ne peuvent avoir été induites en erreur ; qu’il fallait qu’un autre pouvoir approuvât la résolution qu’elles prendraient !
Je soutiens que vous avez réellement engagé les communes à s’intéresser à cette souscription ridicule. Que M. le ministre de la justice veuille bien me dire, lui qui a défendu l’acte du gouvernement, quelle différence il y a entre le conseil qu’il a donné aux communes, convaincu qu’il compromettait leurs intérêts, et l’espoir chimérique d’un bénéfice illusoire, d’un avantage incertain dont parle l’art. 405 du code pénal ! Je sais bien que l’intention du gouvernement et surtout celle des actionnaires en cette malheureuse combinaison, est très-bonne ; mais dans l’absence de l’intention mauvaise, l’espoir que le gouvernement a fait naître, constituerait, à la rigueur, le fait dont parle l’article précité. Le particulier qui aurait une mauvaise intention et qui poserait de pareils faits, serait répréhensible aux yeux de la loi ; vous aviez la conviction que la colonie de Santo-Thomas était une combinaison ridicule.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Pas du tout.
M. Delehaye – Comment, pas du tout ? Mais je vous plains sincèrement, M. le ministre, si vous en doutez. Vous n’avez pas la conviction qu’il s’agit d’une combinaison ridicule. Mais, si je voulais citer des faits qui sont parvenus à ma connaissance, je vous en donnerais des preuves irréfutables ; mais vous connaissez ces faits aussi bien que moi. D’ailleurs, pour qu’il y ait colonie, il faut que le gouvernement intérieur vous appartienne, et vous y êtes étrangers. Le gouvernement délibère en conseil des ministres, et après il engage les communes et les bureaux de bienfaisance qui ont souscrit, l’on fait pour donner un placement avantageux à leurs fonds, pour acquérir des profits. Vous avez donc posé un fait de nature à inspirer une confiance qui ne devait pas exister.
Je sais que les profits qui auraient pu résulter de la souscription n’étaient pas pour le gouvernement ; je sais encore que l’intention du gouvernement n’était pas de s’approprier, en tout ou en partie, la fortune des communes ; mais si ces profits avaient dû être pour le gouvernement, et si son intention avait été mauvaise, évidemment, il tombait sous l’application de cet article ; c’était un véritable abus de confiance. L’acte du gouvernement est donc répréhensible ; il l’est parce qu’il dénote de sa part beaucoup de légèreté ; il l’est, parce qu’il a compromis les intérêts de ceux qu’il engageait à s’intéresser dans une combinaison ruineuse.
M. le président – M. Delehaye, vous ne mesurez pas la valeur de vos paroles. L’article auquel vous faites allusion, suppose une intention criminelle. En supposant que le gouvernement se soit trompé, vous ne pouvez pas attaquer ses intentions.
M. Delehaye – Je remercie M. le président de son observation. Cependant, je dois dire qu’il est dans l’erreur ; je n’ai pas incriminé les intentions du gouvernement ; j’ai dit que les bénéfices ne devant pas être pour le gouvernement, l’acte qu’il a posé ne tombe pas sous l’application de la disposition que j’ai citée. Du reste, il est des faits qui se rapprochent si évidemment de ceux qui tombent sous l’application di code pénal, qu’on ne peut s’empêcher d’établir la comparaison.
Puisque j’ai la parole, je me permettrai de faire quelques autres observations.
Dans le discours qu’il a prononcé dans la séance d’avant-hier, M. le ministre des finances, après avoir étayé son système qui a pour objet de faire voir que la Belgique est dans un état très-prospère, s’est occupé de la question industrielle et commerciale du pays, et il a dit que la Belgique, quoique n’occupant que le quatrième rang sous le rapport de l’impôt, dépassait toutes les autres nations sous le rapport des exportations. J’ai pris note de cette allégation, et pour être bien convaincu que je ne me trompe pas, j’ai eu recours au Moniteur ; j’ai trouvé qu’il avait rendu cette fois fidèlement l’opinion de M. le ministre.
M. le ministre des finances suppose donc qu’eu égard à la population, la Belgique est le pays qui exporte le plus. Mais M. le ministre n’a pas pris garde que dans la masse de nos exportations, il se trouve beaucoup de produits qui ne nous appartiennent pas, qui nous viennent d’autres pays et que nous exportons en transit. Le gouvernement ne tient absolument aucun compte de ce fait.
Comment se fait-il, d’ailleurs, qu’alors que nos exportations sont si considérables, nous voyions toutes nos industries se ruiner. L’industrie linière, pour laquelle M. le ministre vient de témoigner une si vive sympathie, est aux abois. Nos exportations de toiles en France diminuent tous les ans, et si ce n’étaient les exportations de fils, je serais le premier à engager le gouvernement à mettre un terme à la convention du 18 juillet. L’industrie cotonnière, vous le savez tous, est à la veille de sa ruine complète ; et par un de ces systèmes de philanthropie si naturels au ministère, il vient de vous proposer l’établissement d’entrepôts francs. Or, dans un pays industriel, est-il sage, est-il prudent d’engager les pays voisins à venir déposer dans des entrepôts francs des produits similaires à ceux de notre industrie ? Est-ce par intérêt pour l’industrie cotonnière que vous engagez l’Angleterre et l’Allemagne à venir déposer leurs cotons dans vos entrepôts ?
Parlerai-je de l’industrie des sucres ? Mais, on vous l’a dit, elle est entièrement ruinée. Sur la place de Gand plusieurs maisons ont fermé leurs fabriques ; sur la place d’Anvers, les cinq sixièmes des raffineries ne travaillent plus. Et malgré ces faits, M. le ministre doit encore prendre des renseignements ; il trouve que l’expérience n’est pas suffisante.
C’est lorsque nos principales industries sont réduites à ce point, messieurs, qu’on vient nous dire que la Belgique est plus avancée que tous les pays voisins, sous le rapport des exportations ! En vérité, messieurs, je crois que le ministère ne cherche qu’à tromper le pays, qu’il ne s’attache qu’à une seule chose, à conserver ses portefeuilles et à obtenir le vote de ses budgets. Et qu’il me soit permis de faire connaître toute mon opinion. Depuis la révolution, je ne crains pas de le dire, jamais ministère n’a été l’objet de tant de récriminations, de tant de répulsion. A cet égard, interrogez tout le pays ; le gouvernement est frappé d’une impopularité complète, et il faut en convenir, il s’en est rendu digne par sa conduite.
L’honorable M. Verhaegen vous a cité hier un autre fait sur lequel je dois revenir ; il a fait allusion à ce qui s’était passé à l’égard des entrepôts francs. Quelle a été la conduite du ministère dans cette affaire ? Il engage la signature royale, il soumet à la chambre un projet qui est repoussé par tout le monde, qui a jeté à Gand une consternation générale, qui serait de nature à détruire ces sentiments d’affection qui lient les gantois à leur souverain, sentiments si bien mérités.
M. le président – Veuillez vous abstenir de faire intervenir le nom du Roi dans nos débats.
M. Delehaye – M. le président, si vous ne m’aviez pas interrompu, j’aurais achevé ma phrase, et vous auriez vu que je ne disais rien de contraire au règlement.
Je disais que la conduite du gouvernement était de nature à détruire l’affection sincère et bien méritée que nous nourrissons pour le souverain. Qu’est-il arrivé, messieurs ? C’est que le chef de l’Etat a dû reconnaître que le ministère l’avait induit en erreur.
M. le président – Je dois m’opposer à ce que vous mêliez le nom du Roi dans nos débats. Vous avez devant vous un ministère responsable ; il vous est libre de critiquer ses actes, mais non de faire intervenir le nom du Roi.
M. Delehaye – C’est précisément parce que j’ai devant moi un ministère responsable que je tiens ce langage.
Messieurs, il y a deux ans nous avons vu en Espagne un ministre vouloir poser un acte qui n’avait pas l’assentiment du chef de l’Etat. A-t-on donc voulu renouveler cet exemple ? Quoi ! on présente un projet qui, de l’aveu même de celui au nom duquel il est présenté, est un projet injuste, et vous voulez que je n’attaque pas un pareil projet ? Ne m’est-il donc pas permis, en faisant allusion à un acte du gouvernement, de démontrer qu’il a eu recours à des subterfuges pour l’obtenir ? Lorsque ce projet de loi a été soumis à la chambre, le ministère vous a dit que, par suite de quelques modifications, il avait obtenu l’assentiment de Gand et de Bruges : cette allégation était contraire à la vérité. Qui m’assure qu’il n’a pas employé les mêmes moyens pour obtenir la signature royale ? Je dois donc protester contre cet acte qui m’oblige à faire intervenir un nom que j’entoure de tout mon respect.
Messieurs, je me résume. Je déclare que je voterai contre le budget des voies et moyens, parce que j’ai la conviction que le ministère ne vit que pour lui-même ; qu’il n’a nul souci des intérêts du pays, et que, lorsqu’il invoque les intérêts des Flandres, ce n’est chez lui que leurre et duperie pour obtenir quelques voix de plus. En effet, messieurs, dans toutes les négociations avec l’Allemagne, qui, je le reconnais, contient des dispositions sages et utiles pour quelques provinces, c’est l’intérêt des Flandres qui a été sacrifié. Si l’on n’avait pas accordé une faveur à l’Allemagne pour ses cotons, on n’aurait pas dû accorder cette même faveur à la France.
Ainsi, par cette convention, vous avez indisposé la France contre nous ; vous avez détruit ces liens d’affection qui nous unissaient ; et non-seulement vous avez détruit ces liens, mais vous avez encore frappé l’une de nos plus belles industries, l’industrie des cotons !
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, l’honorable préopinant cède à une singulière préoccupation lorsqu’il vient vous dire que le gouvernement « a décrété l’établissement des entrepôts francs ». Le gouvernement vous a présenté un nouveau système d’entrepôts, comprenant entre autres, l’établissement d’entrepôts francs. C’st vous qui examinerez cette question qui examinerez ce projet de loi, de concert avec le ministère ; il s’agit d’un projet de loi.
M’est-il permis, messieurs, de relever le singulier langage que vous venez d’entendre ? Le ministère aurait, d’une manière subreptice, obtenu la signature royale ? mais jamais semblable langage n’a été entendu dans cette chambre ! Le projet sur les entrepôts peut, comme tout autre projet, être modifié. Si telle ou telle ville offre d’accomplir toutes les conditions que suppose l’entrepôt franc, lui refuser cet entrepôt franc serait peut-être une injustice. Voilà les paroles qu’on a pu adresser aux députations qui se sont présentées à Bruxelles. Je dis, messieurs, qu’avec un semblable langage il n’y aurait d’indépendance, ni pour la Couronne, ni pour le ministère. Je ne veux pas m’appesantir sur ce point ; je répète, seulement, que si l’on suivait l’honorable membre dans la voie où il vient d’entrer, il n’y aurait plus de liberté d’action, ni pour la royauté, ni pour un cabinet quelconque. Le projet de loi vous a été présenté comme projet de loi ; vous le discuterez et vous y ferez les modifications qui vous paraîtront justifiées ; ces modifications, le ministère examinera s’il peut les accepter sans détruire le principe, mais il faut aussi une liberté entière à vos délibérations. De quel droit l’honorable membre vient-il dire que le projet est déjà jugé et condamné par le pays ? C’est porter atteinte à la liberté de vos délibérations. (Interruption.)
(page 222) Je dis que ce projet atteste un grand progrès de la part du gouvernement et de la part de l’opinion publique, qui s’y est généralement associée. (C’est vrai ! c’est vrai !) Et si je pouvais à mon tour qualifier les doctrines de l’honorable préopinant, je dirais que s’il repousse ce projet, c’est qu’il professe les doctrines les plus rétrogrades en matière d’industrie et de commerce.
Du reste, nous avons usé de nos droits en présentant ce projet ; ce projet a reçu l’adhésion de presque toutes les chambres de commerce ; eh bien, messieurs, vous le discuterez librement, et vous verrez si vous devez vous associer à la condamnation très-isolée dont il a été l’objet.
Un membre – Il est déjà modifié.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il n’est pas modifié dans son principe ; le principe des entrepôts francs est maintenu, mais il a été reconnu que, si Gand et Bruges veulent faire les sacrifices nécessaires pour remplir les conditions que les entrepôts francs supposent, les entrepôts francs leur seront accordés, après discussion devant les chambres, c’est-à-dire que le ministère ne s’opposera pas à cette extension du système des entrepôts francs. Ce système ne devait s’appliquer qu’à deux villes ; si deux autres villes prouvent qu’elles sont dans une position telle qu’il puisse également leur être appliqué, justice leur sera rendue. Voilà, messieurs, ce qui a été dit, et il n’y a aucune contradiction dans ces paroles.
Oui, messieurs, ce serait là un déplorable précédent, si désormais le gouvernement ne pouvait plus soulever aucune question ; s’il ne pouvait plus porter loyalement, franchement une question devant vous, sans qu’au même instant on soulevât du dehors je ne sais quelle prétendue réprobation qui viendrait gêner le gouvernement dans l’exercice de son droit d’initiative, et vous-mêmes dans la liberté de vos discussions.
L’honorable membre a cru aussi devoir anticiper sur la discussion du traité du 1er septembre. C’est encore là chercher à faire naître des préventions contre un acte qu’il ne m’appartient pas de discuter en ce moment, mais qui devrait être soums à vos délibérations sans que du dehors on cherchât à porter atteinte à la liberté de votre examen. Il ne faut pas ainsi donner son opinion personnelle pour ce qu’on appelle l’opinion générale : personne de nous n’a le droit de venir ici présenter son opinion individuelle comme étant l’opinion générale ; l’opinion générale n’a chargé personne dans cette assemblée de la représenter.
Lorsque nous discuterons le traité du 1er septembre, nous prouverons que l’exception relative aux cotons, en ce qui concerne l’Allemagne, a dû être faite ; que si elle n’avait pas été faite quant au coton en provenance allemande, elle aurait dû l’être en faveur des cotons de provenance française ; l’exception pour l’Allemane n’a pas rendu nécessaire l’exception pour la France ; l’exception temporaire pour la France était nécessaire par la position dans laquelle nous nous trouvons vis-à-vis du gouvernement français. Je ne veux pas en dire davantage pour le moment sur ce point.
J’arrive enfin à la question toute spéciale sur laquelle mes collègues ont déjà donné des explications, la question de la colonisation de Santo-Thomas.
Il y a, messieurs, chaque année, une certaine émigration dans ce pays et dans les pays voisins ; régulariser cette émigration, lui donner un but plus certain, est-ce là une action qu’il faille condamner comme on l’a fait tout à l’heure ?
Le but de cette entreprise est évidemment louable. Quant aux moyens qui peuvent être employés pour l’atteindre, il ne m’appartient pas de les discuter devant vous en ce moment ; des intérêts de tiers y sont engagés, il s’agit d’un établissement privé ; lorsqu’on viendra demander le concours de l’Etat en faveur de cet établissement, il perdra son caractère d’établissement privé ; alors il tombera dans le domaine de la discussion publique ; mais nous n’en sommes pas encore là, et jusqu’à ce que nous y soyons arrivés, nous devons nous abstenir de discuter ici des intérêts qui sont encore des intérêts privés.
L’honorable ministre de la justice a déjà montré quel est le véritable caractère de l’arrêté du 31 mars. Cet arrêté annonce le fait de l’ouverture d’une souscription ; mais, pour prendre part à cette souscription, les communes et les institutions de bienfaisance continuent à avoir besoin de l’autorisation de l’autorité supérieure. Cela a été dit surabondamment dans l’arrêté, car il n’était pas même nécessaire de l’y ajouter. Au sénat, j’ai été interpellé à cet égard au mois de juillet dernier, et je n’ai pas hésité à dire que les autorités chargées de la tutelle, soit des communes, soit d’établissements quelconques, conservaient cette tutelle et qu’elles l’exerceraient pleinement, librement, sans aucune intervention de la part du gouvernement.
Du reste, messieurs, vous savez ce qui est arrivé ; on vous l’a déjà dit hier : trois souscriptions ont eu lieu, une par le bureau de bienfaisance, une par un conseil de fabrique, et une par une commune ; la première était pour deux lots, la deuxième pour un lot, et la troisième, également, pour un lot. Il n’a pas été donné suite à ces souscriptions. Il est donc vrai de dire qu’en fait les effets de l’arrêté du 31 mars ont été nuls.
Maintenant, messieurs, cet arrêté est-il aussi ridicule qu’on le suppose ? Mais, entre autres, il y était dit que chaque commune qui souscrirait, aurait le droit de faire transporter à la colonie les habitants qui demanderaient à s’y rendre. Ceci se rattachait à cette idée que je regarde moi comme une grande idée, l’idée de régulariser l’émigration.
J’ignore, messieurs, quel sera le sort de cette entreprise de Santo-Thomas ; nous ignorons encore s’il y aura lieu de donner suite ou non aux engagements éventuels et provisoires pris envers la compagnie ; jusqu’à ce qu’une décision ait été prise à cet égard, jusqu’à ce qu’une loi soit présentée à la chambre, je n’hésite pas à dire que la compagnie n’est encore qu’un établissement privé, à l’égard duquel nous devons garder la plus grande réserve. Si une demande est faite aux chambres pour cet établissement alors il tombera pleinement dans le domaine de vos discussions et il devra en subir toutes les conséquences.
Je le répète, messieurs, nous avons des raisons, non pas dans notre intérêt, mais nous avons des raisons pour demander que cette discussion ne soit pas poussée plus loin, pour demander que l’on garde, à l’égard de cet établissement, la réserve à laquelle ont droit tous les intérêts particuliers.
L’honorable M. Osy, en ce qui concerne le commerce, m’a aussi adressé une interpellation dans des termes très-peu obligeants qui lui sont habituels. Je suis maintenant le chef du commerce. Je suis devant vous, messieurs, le ministre de l’intérieur ayant dans mes attributions le commerce ; il est inutile d’inventer pour moi des qualifications nouvelles ; je n’ai dans cette chambre que les qualifications officielles.
Je regrette que l’honorable membre n’ait pas précisé la réclamation dont il nous a entretenu et qui était relative aux cuirs ; cette réclamation a été examinée par moi avec tout le soin que j’apporte à l’examen des affaires. Si j’ai cru devoir maintenir mon opinion, c’est parce que je l’ai regardée comme fondée, mais puisque l’honorable membre m’y engage, je consens volontiers à examiner de nouveau la question. Ce que je ne puis admettre, c’est cette doctrine : que chaque fois qu’une loi présente un doute relativement à l’exécution, il faut recourir aux chambres ; avec cette doctrine, messieurs, vous feriez de l’administration toute l’année ; vous feriez, de plus, de l’autorité judiciaire ; vous seriez à la fois pouvoir exécutif, et pouvoir judiciaire. Si l’exécution d’une loi présente une grave difficulté, lorsque la gravité a été constatée par les arrêts des tribunaux ou même, dans certaines circonstances, par des actes administratifs, alors on peut recourir aux chambres, mais on ne doit le faire qu’exceptionnellement. Admettre d’une manière générale la doctrine de M. Osy, cela vous entraînerait, je le répète, à ne faire toute l’année qu’exercer le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif.
M. Castiau – J’ai cru d’abord que M. le ministre de l’intérieur allait suivre le système auquel il nous a habitués ; en entendant la première partie de son discours, j’ai cru que, comme il en a l’habitude, il se serait placé à côté de la question principale pour l’éluder ; j’ai cru qu’il allait encore esquiver les embarras de sa position. Je croyais qu’il allait laisser prudemment à l’écart Guatemala et sa colonie pour aller se réfugier, se cacher en quelque sorte dans les entrepôts francs d’Anvers, de Gand, de Bruges et d’Ostende. Maintenant je dois me hâter de lui rendre justice et annoncer que ma prévision ne s’est pas réalisée.
M. le ministre de l'intérieur, après avoir pendant assez longtemps éludé, dans ses explications, la question principale, s’est enfin décidé à se placer en présence de cette question.
Ce n’était pas pour répondre à M. le ministre de l'intérieur que j’avais demandé la parole ; je ne comptais pas prendre part à ce débat, je regrette même de m’y être engagé malgré moi, mais j’ai été pris à partie directement par M. le ministre de la justice qui a incriminé, non pas même ma parole, mais un sourire que je n’avais pu réprimer. Il m’a demandé l’explication de ce sourire ; je lui dirai franchement que si je me suis permis de sourire à un passage de son discours, c’est que je ne trouvais pas dans ses paroles la gravité qu’il apporte ordinairement dans les discussions ; c’est que son argumentation ne me paraissait pas sérieuse.
J’ajouterai que le rôle auquel il s’est condamné de défendre la conduite du gouvernement dans cette circonstance, que ce triste rôle de justifier ce qui, est réalité, est injustifiable, était bien fait pour exciter un sourire, non pas d’hilarité, mais un sourire de profonde pitié.
Comment, du reste, accueillir autrement que par un sourire le moyen invoqué par M. le ministre de la justice pour justifier l’intervention du gouvernement dans cette affaire, l’excitation malheureuse jetée par le gouvernement au sein des conseils communaux et des administrations de bienfaisance ? Que nous disait, en effet, M. le ministre ? « Ne vous trompez pas sur la portée de l’arrêté royal ; il n’autorisait pas de plein droit les communes, les hospices, les bureaux de bienfaisance, à prendre des actions de la société de colonisation. Ils n’en étaient pas moins soumis à la nécessité d’obtenir l’autorisation de l’autorité supérieure. » Mais quelle était donc cette autorité supérieure qui devait prononcer sur les prises d’actions ? Cette autorisation supérieure, c’était le gouvernement lui-même ! Est-ce qu’un tel argument n’était pas de nature, je le demande, à exciter l’hilarité de l’homme le plus sérieux ? Quoi ! c’est le gouvernement qui provoque la souscription, qui pousse les communes à souscrire, et vous venez parler ensuite du contrôle de l’autorité supérieure quand cette autorité supérieure est le gouvernement lui-même, qui est ainsi juge et partie dans la question. On ne pouvait sans doute pas s’attendre à ce que le gouvernement vint détruire son propre ouvrage. N’avait-il pas donné à l’entreprise la plus éclatante des adhésions ? Comment donc aurait-il pu venir ensuite refuser l’autorisation pour des actes dont il avait provoqué, imposé presque l’accomplissement ? Et ce n’était pas seulement à l’égard des hospices et des bureaux de bienfaisance que le gouvernement s’était ainsi constitué juge et partie, c’était encore à l’égard des communes elles-mêmes, car enfin le contrôle de la députation permanente est lui-même soumis au contrôle du gouvernement. C’était donc le gouvernement qui restait, en définitive et dans tous les cas, juge et appréciateur de mesures dont il s’était rendu le complice en les plaçant sous la protection d’un arrêté royal. N’est-ce donc pas une véritable dérision de venir prétendre que les intérêts des communes et des bureaux de bienfaisance étaient protégés par la nécessité de recourir à l’autorité supérieure (page 223), quand c’était cette autorisation supérieure elle-même qui avait pris l’initiative, et hautement patronné cette déplorable entreprise ? N’était-ce pas cette autorité supérieure elle-même qui prenait en quelque sorte les membres des administrations publiques par la main, pour les entraîner dans cette voie de spéculation, de prodigalité et de perdition ? Et par là ne garantissait-elle pas d’avance non-seulement l’autorisation du gouvernement, mais encore toutes les sympathies ministérielles ?
Mais, dit M. le ministre de l'intérieur dans les explications qu’il a données pour venir en aide à son collègue de la justice, le gouvernement devait intervenir pour régulariser l’émigration. C’est derrière ce grand et difficile problème de l’émigration qu’il veut s’abriter aujourd’hui pour dissimuler les fautes du gouvernement. Oui, sans doute, le moment viendra où il faudra bien s’arrêter à l’examen de la question de la colonisation. Mais si le gouvernement voulait s’en occuper, il devait le faire dans son indépendance, au lieu de se traîner honteusement à la suite de l’esprit de spéculation et d’agiotage peut-être.
Le tort du gouvernement, le tort du ministère, c’est de s’être rendu le complice d’opérations purement individuelles ; c’est d’avoir placé sous le patronage du pouvoir et le manteau de l’intérêt général des spéculations d’intérêt privé ; c’est d’avoir tenté d’engloutir dans des spéculations, les biens des communes et les biens autrement sacrés encore des bureaux de bienfaisance et des hospices, car,ainsi qu’on l’a dit, c’était là, le patrimoine du pauvre, la dernière ressource du malheureux.
« Mais, nous dit M. le ministre de l'intérieur, qu’importe, après tout, l’appel qui a été fait par le gouvernement ? Cet appel n’a été suivi d’aucune espèce de résultat. Trois prises d’actions seulement ont eu lieu. » Que dois-je conclure de ce fait ? C’est que les administrations dont on avait tenté la cupidité, ont été plus prévoyantes que le ministère lui-même ; mais l’excitation, et l’excitation la plus énergique, n’en est pas moins venue de la part du gouvernement ; oui, le gouvernement, en cette circonstance, nous a fait assister au plus déplorable spectacle de l’anarchie administrative ; s’il n’a pas mérité d’être traduit devant un tribunal correctionnel, du chef d’escroquerie, comme le pensait l’honorable M. Delehaye, il a mérité du moins d’être frappé d’interdiction.
Les tuteurs des communes, dans cette circonstance, n’ont que trop mérité eux-mêmes d’être mis en tutelle. Il résulte, en effet, de l’imprudente tentative du gouvernement et du refus des communes de s’y associer, il résulte de cette perturbation de tous les rôles et de tous les devoirs, que le dernier conseil communal du pays, en refusant sa participation, a révélé cent fois plus d’intelligence, de prudence et de prévoyance que nos hommes d’Etat, que nos cinq ministres se réunissant en conseil pour entraîner toutes les administrations publiques du pays dans des voies de ruine.
En terminer, messieurs, je renouvellerai la réclamation déjà produite à diverses reprises pour obtenir la communication de la convention consentie par le gouvernement, et celle de toutes les pièces relatives à cette malheureuse affaire ; la résistance du gouvernement sur ce point nous prouve que trop les embarras de sa position.
Qu’on cesse de venir nous répondre que le moment n’est pas venu encore, qu’il faut attendre ; que des motifs sérieux s’opposent au dépôt immédiat de la convention. Nous, messieurs, nous avons des motifs et des motifs graves et sérieux aussi, pour exiger la production immédiate de cette pièce. Nous en avons besoin, parce que ce document est de nature à devenir le chef principal de l’acte d’accusation, qu’il serait bien temps de formuler contre M. le ministre de l'intérieur. Puis, s’il faut en croire des renseignements qui arrivent et circulent de toutes parts, la prétendue colonisation serait maintenant dans un état complet de désarroi ; 5 à 600 de nos concitoyens seraient retenus malgré eux sur une terre inhospitalière. Il y a là des Belges, des frères, qui réclament, en ce moment peut-être, notre appui et notre intervention. Il s’agit pour eux peut-être d’une question de vie ou de mort, et nous ajournerions indéfiniment l’examen de ces graves intérêts ! Nous avons ici, messieurs, des devoirs d’humanité et de justice à remplir ; nous devons encore une fois protection à tous nos concitoyens, partout où ils se trouvent. C’est aujourd’hui qu’il faut agir ; demain il sera trop tard peut-être ! Que la chambre exige donc impérieusement et sans se laisser imposer par les expédients de MM. les ministres, qu’elle exige impérieusement la production de toutes les pièces relatives à cette affaire, car elle paraît assez grave à elle seule pour briser le ministère qui doit en porter la responsabilité.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, quand on a d’autre but que de briser un ministère et de dresser des actes d’accusation, on est toujours disposé à donner aux faits les plus simples une portée qu’ils n’ont pas. Je prie l’honorable membre de lire en entier la convention dont il parle…
Un membre – Nous ne l’avons pas.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Elle a été publiée par les journaux.
Un membre – Pourquoi ne pas la produire ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Nous n’avons pas à la produire devant cette chambre. Ce serait donner à cette convention un caractère qu’elle n’a pas. Nous ne la produirons pas devant cette assemblée. Quand nous saisirons la chambre de cette question, nous en accepterons toute la responsabilité. Jusque-là, la chambre n’est pas officiellement saisie de la question ; l’Etat belge n’est pas engagé.
Ce serait de notre part une grave imprudence que de vous saisir, dans l’état actuel des choses, d’une convention à laquelle nous ne donnons pas le caractère d’engagement définitif et absolu que semble lui attribuer l’honorable préopinant. Voilà ma seule réponse.
Du reste, si l’honorable préopinant veut dresser un acte d’accusation, nous ne sommes pas arrivés à la clôture de la session. D‘ici à cette époque, les événements marcheront et éclaireront le gouvernement sur leurs résultats qu’il faut attendre de la colonisation de Santo-Thomas, et sur la nature des propositions que les circonstances peuvent l’appeler à faire à la chambre.
M. Osy – M. le ministre de l'intérieur m’a fait un reproche de n’avoir pas été très-grâcieux à son égard en l’appelant le chef du commerce. J’ai pu me permettre cette qualification, puisque M. le ministre des finances nous a appris tout à l’heure que c’est comme chef du commerce que M. le ministre de l'intérieur a pris part à la dernière discussion politique, à la place de M. le ministre des affaires étrangères. Je ne puis donc accepter le reproche de M. le ministre de l'intérieur.
Je croyais que M. le ministre de la justice n’avait pas pris part à l’arrêté qui autorisait les bureaux de bienfaisance et les fabriques d’église à prendre des actions dans la société de colonisation. Je l’en avais félicité. Il vient de nous apprendre qu’il a donné, dans le conseil, son consentement à cette mesure ; je dois donc retirer le compliment que je lui avais adressé, tout en exprimant mon étonnement que M. le ministre de la justice n’ait pas contre-signé un arrêté qui évidemment concernait son département.
On nous dit qu’il est dangereux de parler aujourd’hui de cette affaire. Je ne parle pas de la société en elle-même, je ne parle que des actes connus. Je dis que c’est déjà une faute grave de la part du gouvernement d’avoir autorisé les souscriptions. On a invité des commissaires d’arrondissement à engager les communes à souscrire…
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ce n’est pas exact.
M. Osy – Mais les communes n’ont pas répondu à et appel, et il est heureux que la nation se soit montrée plus sage que le gouvernement.
Comme nous passons maintenant en revue tous les actes posés par le gouvernement, il est à propos de parler de l’affaire de la société de colonisation. Pour ce qui est de la convention en elle-même, nous attendrons que le gouvernement nous fasse connaître les motifs sur lesquels il s’appuie pour la justifier. Mais je dis que promettant et en ne tenant pas, l’on trompe la société et des tiers. Or, sur la foi de la convention, des tiers ont fait des avances de fonds. Le ministère aurait donc dû s’enquérir du voeu de la chambre, avant de poser cet acte.
Il me reste à parler de l’arrêté du 21 juillet. M. le ministre des finances nous dit que les arrêtés ont été constamment exécutés à partir du jour de la signature royale. Eh bien, si le gouvernement avait cette opinion-là, il a encore commis une grande faute ; la clôture de la session a été prononcée le 17 juillet ; le 18, le sénat était assemblé et a voté la loi des droits différentiels ; donc, dans le système de M. le ministre des finances, la session était close dès le 17, et cependant le 18, le sénat votait encore la loi des droits différentiels. Le gouvernement, dans cette circonstance, aurait dû faire ce qu’avait fait un cabinet précédent, le cabinet de 1840, et dire dans l’arrêté que la session serait close à tel ou tel jour où les travaux législatifs devaient être terminés, selon toutes les probabilités.
Au reste, M. le ministre des finances a reconnu qu’il s’était trompé, puisqu’il a fini par satisfaire aux réclamations du commerce d’Anvers.
La réponse que M. le ministre des finances a faite à l’interpellation que je lui ai adressée, relativement à l’avance de deux millions, n’est pas satisfaisante. Je vais préciser l’objet de la question. Depuis 1839, nous avons annuellement voté une somme de 200 et quelques milliers de francs pour garantir, jusqu’à concurrence de 10 p.c., les pertes qu’il pouvait y avoir sur des exportations de marchandises. Mais je défie M. le ministre des finances de me montrer un seul budget où la chambre aurait voté le capital de 2 millions qui a été avancé à une société. Car le ministre a avoué lui-même qu’effectivement cette somme a été avancée. A la cour des comptes, il n’y a rien qui indique sur quel fonds cette somme a été imputée. Peut-être, encore, qu’à l’exemple de ce qu’on a fait pour la British-Queen, on aura prélevé cette somme sur les fonds de la caisse des consignations.
J’étais donc bien informé, en disant qu’on avait fait une avance de 2 millions à une société, avance sur laquelle on doit encore aujourd’hui un somme de 200,000 fr. Je demande à M. le ministre des finances de nous dire où il a pris cet argent.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, je m’étonne que le fait sur lequel revient l’honorable M. Osy, lui soit inconnu. C‘est dans la grande crise de 1839 qu’on a mis à la disposition d’une banque d’Anvers une somme de 1,500,000 fr., destinée à favoriser les exportations. Je ne sais si la somme entière a été versée. Le fait a été plusieurs fois signalé dans cette chambre.
M. Manilius – Ce n’est pas ce fait là.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est un fait qui remonte à l’exercice 1839 ; le versement a-t-il été régulièrement fait ou non ? D’après les principes qui ont été posés dans cette chambre, cette affaire a été irrégulière comme celle de la British-Queen à laquelle elle est antérieure. Je croyais que cet fait était très-connu de la chambre ; il n’appartient pas au cabinet actuel.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je regrette de ne m’être pas expliqué tout à l’heure assez clairement pour être compris par l’honorable M. Osy, quand j’ai répondu à la demande qu’il m’avait faite pourquoi je n’avais pas contre-signé l’arrêté du 31 mars. Je répéterai que cet arrêté n’a pas été contre-signé par moi, parce qu’il n’engageait en aucune espèce de façon ni les intérêts des bureaux de bienfaisance, ni les intérêts des hospices, ni les intérêts des fabriques d’église. Le deuxième paragraphe de l’art. 1er l’établit de la manière la plus évidente, puisque pour empêcher qu’on ne puisse induire de l’autorisation du dépôt de la liste de souscription (page 224) que les établissements de bienfaisance étaient autorisés à souscrire, on a eu soin d’ajouter que la ratification de la souscription restait soumise à l’autorité compétente, qui devait nécessairement s’entourer de tous les renseignements propres à décider, en pleine connaissance de cause.
L’honorable M. Castiau trouve que ce que j’ai dit à ce sujet ne mérite qu’un profond sentiment de pitié. Je n’en persiste pas moins à dire que l’approbation ultérieure et définitive était subordonnée à un examen spécial et à la justification de certaines conditions offertes par la compagnie elle-même.
M. Castiau – L’examen aurait dû être préalable.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – L’examen aurait dû être préalable sans doute si, dans l’arrêté, s’était trouvée l’autorisation de souscrire. Mais comme, dans l’arrêté, ne se trouvait pas cette autorisation ; que l’arrêté, au contraire, ne préjugeait rien, il me paraît évident que l’intérêt des établissements de bienfaisance et des hospices était suffisamment garanti par l’examen qui devait précéder la ratification de chaque souscription particulière.
J’ajouterai qu’aux termes de l’art. 3, il y avait des justifications à faire par la compagnie avant que les fonds fussent versés.
Un membre – Que dit cet art. 3 ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Que la commission devait justifier de l’emploi de la moitié du montant de la souscription en acquisition de produits du pays pour l’exportation.
L’établissement qui aurait voulu souscrire aurait demandé l’autorisation au gouvernement ; le gouvernement n’aurait autorisé que quand la compagnie aurait justifié qu’elle était prête à exporter pour la moitié du montant de la souscription, et il aurait exigé des garanties pour être assuré de l’exportation.
L’arrêté n’exigeait le concours immédiat que de l’autorité commune, il devait donc être contre-signé par le ministre de l’intérieur seul, bien qu’il ait reçu l’approbation de tous les ministres.
Je crois que ces considérations et surtout la lecture de toutes les dispositions de l’arrêté et du rapport du conseil d’administration suffisent pour justifier l’absence de ma signature, et pour prouver que cet arrêté, entendu comme il doit l’être, ne mérite pas le blâme dont il a été l’objet. Il n’attirera pas au ministère l’application de l’art. 405 du code pénal ni la réprobation générale dont l’a menacé M. Delehaye.
J’ai maintenant un mot à répondre à l’honorable M. Osy, relativement à l’époque où les lois sont obligatoires. Il a dit que l’observation de M. le ministre des finances mettait le ministère en contradiction avec lui-même, et, pour le prouver, il s’est appuyé sur ce qui s’est passé lors de la clôture des chambres. L’honorable membre a confondu une loi avec un arrêté.
La loi de 1831, qui fixe l’époque où les lois deviennent obligatoires, n’est relative qu’aux lois, et non aux arrêtés royaux. Quant aux arrêtés royaux, un arrêté du gouvernement provisoire du 5 octobre 1830 , indique quand ils deviennent obligatoires ; et un avis du conseil d’Etat, du 23 prairial an XIII, reconnu encore en vigueur par un arrêt de la cour de cassation, détermine certains arrêtés qu’il suffit de notifier pour qu’ils deviennent obligatoires. L’arrêté royal de clôture rentre dans cette dernière catégorie ; il devient obligatoire au moment où il est notifié au corps délibérant auquel il s’adresse. En répondant à l’honorable M. Osy, M. le ministre des finances a donc soutenu un principe légal et ne s’est nullement mis en contradiction avec ce qui a été fait par le ministère dans la circonstance rappelée par M. Osy.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, le traité du 5 novembre 1842, que vous avez approuvé par une loi du 3 février 1843, a placé, par ses articles 26 et 28, le canal de Terneuzen sous un régime spécial ; ce régime, le gouvernement croit qu’il est équitable de l’appliquer aux canaux d’Ostende à Bruges et à Gand. Le Roi a chargé les ministres des finances, des travaux publics et de l’intérieur de vous présenter un projet de loi ainsi conçu :
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« Sur le rapport de nos ministres de l’intérieur, des finances et des travaux publics ;
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Nos ministres de l’intérieur, des finances et des travaux publics présenteront aux chambres, en notre nom, le projet de loi dont la teneur suit :
« Art. 1er. L’exemption de tous droits résultant de l’art. 26 du traité du 5 novembre 1842 (Journal officiel, n° ) pour la navigation intérieure du canal de Terneuzen, sera appliquée, pour le parcours des canaux d’Ostende à Bruges et à Gand, aux navires venant par ces canaux de la mer en Belgique et vice-versâ.
« Art. 2. Les tarifs actuels des canaux d’Ostende à Gand et à Bruges seront, quant à la navigation intérieure sur ces canaux, réduits dans la proportion indiquée pour le canal de Terneuzen par le § 3. de l’art. 28 du traité du 5 novembre 1842.
« Art. 3 Le gouvernement pourra suspendre, en tout ou en partie, l’effet des dispositions qui précèdent, à l’égard des navires des pays où la navigation belge sera soumise à des surtaxes.
« En ce qui concerne les droits de pont sur le canal de Gand à Bruges, les dispositions des art. 1 et 2 ne recevront leur application qu’à l’expiration des baux courants, sauf résiliation, à l’amiable, pure et simple, de ces baux.
« Donné à Laeken, le 27 novembre 1844.
« Léopold,
« Par le Roi : les ministres de l’intérieur, des finances et des travaux publics.
« Nothomb, Mercier A. Dechamps. »
M. le président – Ce projet et les motifs qui l’accompagnent seront imprimés, distribués et renvoyés à l’examen des sections.
- La séance est levée à 4 h. ¾.