(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 182) (Présidence de M. Liedts)
M. Huveners procède à l’appel nominal à 11 heures et quart.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.
M. Huveners fait connaître l’analyse des pièces adressées à la chambre :
« Le sieur Jacques-Lambert Deceuninck, prépose de deuxième classe, dans l’administration de la douane à Hoogstade, né à Lille (France), demande la naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Jean-Baptiste Cheneau, brigadier dans l’administration des contributions directes, douanes et accises, né à Baelen (province d’Anvers), d’un père français, demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d’enregistrement. »
- Même renvoi.
« Le sieur Cerisier, brigadier des douanes à Vlamertinghe, prie la chambre de considérer sa demande en naturalisation comme non avenue. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Le sieur Pieton, démissionné de ses fonctions de garde forestier du gouvernement, par suite de suppression d’emploi, demande une pension ou une indemnité. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Meleinie demande qu’on établisse une proportion hiérarchique entre les traitements des fonctionnaires et employés des diverses administrations. »
- Même renvoi.
« Le sieur Vanderwerf, ancien militaire et douanier à Gand, prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à obtenir le payement du capital et des intérêts de son fonds de douanier français à Hambourg. »
- Même renvoi.
M. Duvivier informe la chambre que des affaires de famille exigeant son retour immédiat chez lui, il lui sera impossible d’assister à la séance de ce jour.
- Pris pour information.
M. le président – Une proposition de loi a été déposée par l’honorable M. Verhaegen ; elle sera renvoyée immédiatement en sections pour savoir si elles en autorisent la lecture.
M. le président – La discussion générale ayant été close, la discussion est ouverte sur l’art. 1er ainsi conçu :
« Art. 1er. les dispositions de la loi du 29 décembre 1843 (Bulletin officiel, n°928) concernant l’orge et le seigle, continueront d’être en vigueur jusqu’au 31 décembre 1846 inclusivement. »
M. Lys – Messieurs, je n’ai pas pris la parole pour la discussion générale parce qu’il me semblait que le projet était, pour ainsi dire, perdu de vue, qu’il se trouvait noyé dans un déluge d’observations qui lui étaient tout à fait étrangères.
Je vais commencer, messieurs, à discuter l’art. 1er, me réservant, lorsque nous en viendrons à l’art. 2, de répondre à quelques orateurs.
Le projet de loi, en ce qui concerne l’orge, n’a rencontré en principe jusqu’à présent aucune opposition dans cette assemblée. Un membre seulement à fait des observations sur la durée de cette loi ; il veut que l’orge ne puisse entrer en droits réduits que pendant un an, tandis que le gouvernement propose de permettre cette entrée pendant deux ans, c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 1846.
Vous savez, messieurs, les motifs que le gouvernement a fait valoir pour démontrer que l’entrée de l’orge pendant 2 ans est absolument nécessaire. D’abord, l’une de nos grandes industries, vous est-il dit, la fabrication de la bière, réclame un droit très-modéré sur cette matière première, que cette industrie est obligée de demander en grande quantité à l’étranger ; car il résulte du tableau général du commerce extérieur, pendant l’année 1843, publié par M. le ministre des finances, que l’importation de cette céréale s’est élevé à 40,022,941 kilogrammes, ce qui surpasse la moyenne des cinq années précédentes, de 11,919,676 kilogrammes.
La proposition du gouvernement, messieurs, a été adoptée par la commission spéciale à la majorité de 4 voix contre 2. Le besoin de maintenir le droit d’importation sur l’orge à 4 francs est évidemment démontré. Il peut même être mathématiquement prouvé que la Belgique ne peut en fournir suffisamment, que force lui est de s’en procurer à l’étranger.
En effet, quand on voit que nous avons dû en recevoir, une des années précédentes, plus de 56 millions, et en 1843 plus de 40 millions de kilog., il serait difficile de se refuser à continuer l’entrée de cette céréale au droit de 4 fr.
Peut-on dire, messieurs, qu’il aurait été cultivé plus d’orge en Belgique, si le droit d’importation de 14 fr. établi par la loi de 1834, avait été maintenu ? On pourrait le prétendre, messieurs, si vous n’aviez pas eu besoin de recevoir de l’étranger, non-seulement de l’orge, mais aussi du froment, du seigle et de l’avoine. Or il résulte du tableau des importations étrangères qu’en 1843, vous avez reçu, non-seulement 40 millions de kilog. d’orge, mais encore 43,335,000 kil. de froment, 15,633,000 kilog. de seigle et 16,284,000 kilog. d’avoine. Vous voyez donc que vous avez manqué de toute espèces de céréales.
D’après ces considérations, je pense que vous ne voudriez pas nuire à l’une de nos grandes industries, en ne continuant pas l’admission de l’orge au droit de 4 fr. La bière, vous le savez, n’est pas la boisson des classes riches, c’est une boisson tout à fait populaire.
Le gouvernement vous propose encore, par l’art. 1er, de proroger pour deux années les termes de la loi du 29 décembre 1843 en ce qui concerne le seigle.
Vous avez, par cette loi de 1843, fait cesser une anomalie choquante qui se trouvai dans la loi.
Il résulte de la loi de 1834 que, lors même que le froment est libre à l’entrée, le seigle reste soumis à un droit très-élevé bien qu’il nous soit très-nécessaire comme matière première de l’industrie et comme servant à la nourriture des classes pauvres. Or, la loi de 1843, qu’on se propose de proroger pour deux années, permet l’entrée du seigle lorsque celle du froment est autorisée. Mais remarquez que le seigle doit être au prix de 13 fr pour pouvoir entrer libre de droits, lorsque le froment en est aussi exempté.
Le principe de la disposition proposée a été admis, messieurs, par la majorité de votre commission spéciale ; seulement elle n’a admis pour la durée de la loi qu’un terme d’un an. Mais je déclare (et ici j’en parlerai pas comme rapporteur de la section centrale, mais en mon propre nom) que je ne comprends pas pourquoi la majorité n’a pas admis le terme de deux années proposé par le gouvernement. En effet, de quoi s’agit-il ? De faire cesser, je le répète, une anomalie choquante dans la loi de 1832 ; car lorsque le froment est libre à l’entrée, il est à un prix fort élevé, à 20 fr. le seigle suit ordinairement la même proportion, et vous voudriez qu’il ne fût pas libre d’entrée !
Remarquez-le, messieurs ; quand le seigle est à 13 fr. et au-dessus, on eut en permettre l’entrée sans nuire à l’agriculture.
J’espère donc que la chambre admettra l’art. 1er de la loi tel qu’il lui est proposé.
Je me réserve de m’expliquer sur l’art. 2.
M. de Garcia – Messieurs, l’article 1er a pour objet de permettre l’entrée de l’orge et du seigle à un droit inférieur à celui établi par la loi de 1831.
Quant à l’orge, je commence par déclarer que je donnerai mon suffrage au projet du gouvernement. Dans ma pensée, la chose est nécessaire parce que le pays produit trop peu d’orge pour la consommation de l’industrie importante des bières, et parce que ce genre de culture est peu favorable aux progrès de l’industrie agricole. Quant au seigle, je ne puis partager l’opinion du gouvernement. Je crois que le pays produit assez de seigle pour sa consommation ; et y eût-il déficit à cet égard, je n’y verrais pas un motif de réduire les droits.
On a argumenté, messieurs, de l’espèce de désaccord qui existe entre le droit d’entrée qui frappe le froment et celui qui frappe le seigle par soutenir que le seigle devait subir la réduction proposée. Cette argumentation faite par le gouvernement et soutenue par l’honorable rapporteur ne me semble nullement fondée.
(page 183) Pour bien apprécier cette question, messieurs, on doit la considérer au point de vue de l’industrie agricole, au point de vue de cette source inépuisable de la richesse publique et nationale. La culture du seigle, messieurs, est le premier pas vers l’amélioration de la culture en général ; et si la loi de 1834 a établi une sorte de désaccord entre le droit d’entrée sur le froment et celui sur le seigle, ce désaccord a dû être inspiré par l’idée d’apporter une grande amélioration dans notre culture. Il n’en est pas de même de l’orge. L’orge ne produit que du grain et pas d’engrais ; de sorte que la culture de l’orge est généralement nuisible. Le seigle, au contraire, produit des engrais. Cela est tellement vrai, messieurs, que dans bien des baux, la culture de l’orge est interdite, au moins pour l’année de la sortie, parce que le fermier qui reprendrait les terres ne trouverait ni les pailles, ni les éléments utiles et nécessaires à la culture ultérieure. Il en est tout autrement de la culture du seigle, qui conduit à toutes les améliorations de l’industrie agricole. Aussi voit-on le cultivateur intelligent, toutes les fois que la location des terres se fait en vertu d’un bail assez long, se livrer à la culture du seigle et obtenir ensuite des résultats agricoles supérieurs dans tous les genres de céréales.
Je pense donc, messieurs, que le désaccord, que l’anomalie qui semble exister dans la loi de 1834, à l’égard du droit sur le seigle et le froment, est utile à l’intérêt agricole. D’après ces observations, me réservant de m’expliquer sur l’art. 2, je crois devoir combattre la proposition du gouvernement, qui tend à permettre l’introduction du seigle à un prix inférieur à celui admis par la loi de 1834.
Messieurs, n’oublions pas que tout ce qui se dit dans cette assemblée, relativement à la misère qui se manifeste dans nos campagnes. Lorsqu’il s’est agi de la loi sur le domicile de secours, ne vous disait-on pas que tous les pauvres des campagnes refluaient vers les villes ? Eh bien, c’est surtout le pauvre qui cultive le seigle dans notre pays. Car les défrichements incessants qui ont lieu donnent naissance à la culture du seigle. C’est le seul grain qui réussisse dans les bois défrichés. Ne voyons-nous pas encore qu’il s’agit de demander que les bois soient dégrevés de l’impôt foncier, et cela pour arriver à la culture de ces bois ? Eh bien, je le répète, la première culture des terrains boisés, des terrains incultes, des terrains en steppes est celle du seigle. Cette culture est le premier pas, est le véritable progrès de cette richesse nationale. C’est au nom de la classe peu aisée de la société qu’on réclame l’entrée du seigle étranger ; vous atteignez surtout cette classe de la société dont vous prenez les intérêts. C’est cette classe laborieuse et intéressante qui cultive le seigle et livre à l’industrie agricole les terres incultes.
Messieurs, tous ceux qui ont habité la campagne ne peuvent méconnaître cette vérité incontestable et l’influence de cette culture sur les améliorations agricoles. Prenons donc garder de lui ôter une protection utile, protection qui doit concourir à employer, à donner du travail aux bras des habitants de nos campagnes, que l’on dépeignait, il y a peu de jours, comme venant remplir nos cités en demandant l’aumône.
Pour être conséquent, messieurs, il faut poser dans la loi des principes généraux qui aboutissent au but que l’on a en vue.
Je propose donc par amendement de retrancher de l’art 1 le mot seigle, et de réduire l’art. 1er à ces mots :
« Art. 1er. les dispositions de la loi du 29 décembre 1843 (Bulletin officiel n°928), concernant l’orge, continueront d’être en vigueur jusqu’au 31 décembre 1846 inclusivement. »
M. de Theux – Messieurs, s’il s’agissait d’une loi définitive, je ferai valoir de nombreuses considérations à l’appui de l’amendement de M. de Garcia ; mais, comme il ne s’agit que d’une loi temporaire, je me bornerai à ajouter une seule observation à celles que l’honorable membre nous a présentées. Le gouvernement et les chambres font des efforts pour amener le défrichement des bruyères, et spécialement de celle de la province d’Anvers et du Limbourg. A cet effet, on a décrété la canalisation de la Campine et la construction de diverses routes. Pour moi, messieurs, je pense que le moyen le plus puissant pour amener le défrichement des bruyères, c’est de donner des encouragements suffisants à la culture du seigle ; car, ainsi que l’a dit l’honorable député de Namur, le seigle est la seule céréale qui puisse indemniser le cultivateur des frais qu’il fait pour faire produire des terres de qualité inférieure. Vous savez, messieurs, qu’en général la Campine ne produit point de froment, le seigle est la seule richesse de ce pays ; quant aux bois de sapin, il n’en existe déjà que trop, et le prix du sapin est tellement avili, que généralement on est dégoûté d’en semer de nouveau. D’ailleurs, il n’est pas dans l’intérêt du pays de couvrir le vaste sol des bruyères d’immenses forêts de sapins ; je crois que l’on doit tendre bien plutôt à amener une augmentation de population dans la Campine, et ce résultat ne peut être obtenu que par la culture des céréales.
Je le répète, messieurs, je pourrais faire valoir à l’appui de l’amendement de M. de Gracia, de nombreuses considérations. Je pourrais notamment répondre à cette observation qu’il serait dans l’intérêt des distilleries d’avilir le prix du seigle. Assurément, si la production du seigle ne pouvait pas être augmentée, cette opinion aurait quelque apparence de fondement, mais la culture du seigle peut être considérablement augmentée, elle peut être même portée au double de ce qu’elle est aujourd’hui. Il importe donc au pays de produire lui-même cette denrée dont il a besoin pour son industrie comme pour sa consommation ; car si la culture su seigle était abandonnée, les distillateurs pourraient dépendre de l’importation étrangère, et il pourrait arriver un moment où l’étranger ne serait pas à même de leur fournir le seigle dont ils ont besoin.
J’appuie donc l’amendement de l’honorable M. de Garcia.
M. Rodenbach – Je m’oppose, messieurs, à l’amendement de l’honorable député de Namur. D’abord, vous savez que les classes ouvrières en Belgique ne sont pas très heureuses ; eh bien, dans beaucoup de provinces on mange ½ seigle et ½ froment ; si vous permettez au prix du seigle de s’élever trop fortement, vous allez augmenter le prix du pain des malheureux. Je concevrais la proposition s’il entrait en Belgique une grande quantité de seigle ; car je pense qu’il faut protéger l’agriculture, ; je suis aussi grand partisan de l’agriculture qu’aucun des honorables préopinants : j’habite la campagne, et suis en contact avec ceux qui s’occupent d’agriculture ; mais je veux aussi voir à bon compte le pain des ouvriers, des tisserands et des fileuses, car c’est là une condition essentielle pour que nos industries puissent soutenir la concurrence étrangère.
J’ai dit, messieurs, que je concevrais la proposition, s’il entrait une quantité considérable de seigle dans le pays ; eh bien, combien s’en importe-t-il ? Il en est entré, une année, 15 millions de kil. mais les autres années il en est entré moins. Il me semble qu’une importation aussi peu considérable ne justifie nullement l’amendement.
Messieurs, dans une précédent séance, j’ai commis une erreur : j’ai dit que, pour laisser entrer six millions de kil. de froment, il ne fallait qu’un demi-jour ; c’était un jour et demi que je voulais dire. J’ai ajouté que la Belgique manque pour dix jours de nourriture en céréales ; je suppose que les six millions de kil., dont il s’agit de permettre l’importation, suffisent à la consommation d’une dizaine de jours ; eh bien, je pense que l’on doit bien laisser entrer de quoi nourrir la population pendant deux jours de plus que ce qui est strictement nécessaire. Il est certain que nous ne produisons pas tout le froment dont nous avons besoin, et dès lors il faut laisser entrer une certaine quantité de froment étranger. Cette observation s’applique encore bien plus au seigle, et je ne conçois pas que l’on s’oppose à une mesure qui peut amener tout au plus une importation de 15 millions de kil. de seigle, qui est la nourriture principale des classes inférieures.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, cette disposition a été votée l’année dernière sans contestation ; elle avait donné lieu à très-peu d’observations en 1842, où elle a été introduite pour la première fois. Voici, messieurs, quels ont été les motifs de cette innovation. La loi du 31 juillet 1834 présente une anomalie qu’on ne saurait nier ; on a supposé que le prix rémunérateur du seigle devait être de 15 fr., tandis qu le prix rémunérateur du froment est, comme vous le savez, de 20 fr. Partant de là on a dit : Quand le prix atteindra 20 fr. pour le froment, il y aura liberté d’entrée ; quand le prix du seigle atteindra 15 fr., il y aura liberté d’entrée.
Eh bien, messieurs, il n’y a aucun équilibre entre ces évaluations, c’est-à-dire qu’il n’est pas exact de prétendre que le prix rémunérateur du froment étant de 20 fr., le prix rémunérateur du seigle doit être de 15 fr. ; lorsque le prix rémunérateur du froment est de 20 fr., le prix rémunérateur du seigle ne doit être que de 12 fr. ou de 12 fr. 50 c., je veux bien mettre 13 fr. mais 15 francs c’est évidemment trop. Il est donc arrivé que l’entrée du froment était libre, tandis que le prix du seigle n’avait pas atteint 15 fr. et que le seigle demeurait, par conséquent, exclu en vertu de la loi de 1834. Nous avons demandé l’autorisation de faire cesser cette anomalie, et en vertu de cette autorisation il a été pris un arrêté royal ; cette disposition, je puis le dire, n’a donné lieu, dans le pays, à aucune réclamation.
Dans le cours de cette année le cas d’application ne s’est pas présenté, le froment n’ayant pas atteint le prix de 20 fr. ; il est très probable qu’il en sera de même cette année ; mais si, contre toute attente, le prix du froment atteignait 20 fr., vous vous retrouveriez en présence de la même anomalie, que le seigle, n’ayant pas atteint le prix de 15 fr., ne pourrait pas être introduit, tandis que le froment pourrait l’être. En un mot, c’est une correction qu’il est nécessaire de faire à la loi de 1834 ; nous demandons l’autorisation temporaire dont il s’agit, parce que nous croyons que, dans des questions de ce genre, il faut procéder avec la plus grande circonspection.
Mais je réitère à la chambre l’assurance que la disposition, votée une première fois en 1842, votée de nouveau en 1843, et appliquée par l’arrêté royal du 25 décembre 1842, n’a donné lieu à aucune réclamation et n’a alarmé personne.
M. Dumortier – Je viens appuyer l’amendement de l’honorable M. de Garcia. Il me semble que vous ne pouvez y refuser votre assentiment. Quelles sont, en effet, les circonstances dans lesquelles on a introduit dans la loi la disposition exceptionnelle, relative au seigle, que l’on veut introduire ? C’est lorsque la récolte de seigle, il y a deux ans, avait complètement manqué. En présence de ce fait, on a cru devoir faciliter, favoriser l’introduction du seigle étranger en Belgique. Cette disposition a été prise pour une circonstance extraordinaire et exceptionnelle. La circonstance a cessé ; il faut rentrer dans l’état normal ; car nul ne contestera que la récolte du seigle n’ait été très abondante.
S’il y avait doute sur ce point, j’en appellerais au discours du Trône, qui a félicité le pays sur l’importance de la récolte obtenue cette année.
Je dis donc que nous ne pouvons maintenir, pour deux années surtout, une disposition prise comme mesure exceptionnelle en présence d’un déficit de la récolte. Le jour où ce déficit a cessé, il est juste et légitime que l’on reste dans l’état normal.
Maintenant M. le ministre de l'intérieur se base sur une donnée complètement inexacte. Selon lui, quand, par l’effet de la loi sur les céréales, le froment devient libre à l’entrée, il faut, par une conséquence rigoureuse, que le seigle puisse le devenir aussi. Cela ne me paraît nullement logique. La récolte de froment peut manquer, et celle du seigle être favorable, ou vice versa, la récolte du seigle peut être très-riche et celle du froment (page 184) manquer complètement. Je ne vois pas de motif d’assimilation absolue entre les deux céréales. Puisque deux échelles différentes sont établies pour le seigle et le froment, il est bien naturel de suivre cette voie logique qui mène à des résultats analogues pour les deux espèces de céréales. On a dit que, dans la loi sur les céréales, que si le prix du froment arrivait à un maximum de 20 fr, l’entrée en serait également libre. Maintenant on veut que, si le prix du froment arrive à un maximum de 20 fr., le gouvernement puisse autoriser la libre entrée du seigle, pourvu que le prix du seigle ait atteint un maximum de 13 fr. Cela est-il juste, quand le seigle est abondant et que le froment a manqué ? Cela me paraît complètement illogique.
Je comprends la proposition qui est faite pour l’orge, puisqu’il paraît démontré que la Belgique ne produit pas assez d’orge. Mais je ne la comprends pas pour le seigle. Pourquoi le cultivateur étranger ferait-il entrer ses produits en Belgique sans payer l’impôt foncier ?
Car c’est à cela que revient le système du gouvernement. La proposition qu’on fait ici, ne tend à autre chose qu’à faire entrer les seigles étrangers, sans leur faire payer l’impôt foncier. Or, tout hectolitre de céréales cultivées sur le sol belge, paye au trésor public, taux moyen, un demi-franc de droit, et vous voulez donner à l’étranger la faveur de ne rien payer ! Est-ce que l’agriculture vous est devenue indifférente ? Je ne puis le croire. Pour moi, je continue à regarder l’agriculture comme la branche la plus importante de la richesse publique en Belgique.
Maintenant, je rencontrerai l’observation de l’honorable M. Rodenbach. Vous allez, dit l’honorable membre, augmenter le prix du pain du malheureux, vous allez rendre la condition du pauvre plus onéreuse.
Si la question était aussi claire que le suppose l’honorable M. Rodenbach, je conçois qu’elle aurait une grande portée. Mais veuillez remarquer une chose : c’est que dans tous les pays la condition de l’ouvrier est plus ou moins favorable si l’industrie est plus ou moins florissante. Or, qu’est-ce qui fait fleurir l’industrie ? c’est manifestement l’agriculture.
La Belgique se compose d’au moins deux millions d’hectares de terres cultivées. Quand les céréales sont abondantes, quand le fermier peut faire un bénéfice de quelques francs sur chacun de ces deux millions d’hectares, c‘est autant qu’il donne aux fabriques et aux manufactures, et partant aux ouvriers. On ne paraît pas assez pénétré de cette haute considération d’économie politique : lorsque la culture donne au pays un franc de plus par hectare, c’est une somme de deux millions de plus qu’elle verse dans le pays. Si l’hectare rapporte dix francs de plus, c’est vingt millions de francs gagnés pour le pays, et les manufactures en profitent. Je sais qu’il ne faut pas sous doute pousser les conséquences de ce principe jusqu’aux dernières limites, car on arriverait à l’absurde ; mais on tomberait également dans l’absurde en les méconnaissant. Il faut rester dans la limite des faits. Or, les faits démontrent que lorsqu’un cultivateur peut retirer quelque profit de sa culture, l’industrie devient florissante, le fermier et le cultivateur achètent les produits de la manufacture, et la condition de l’ouvrier s’en ressent d’une manière favorable.
Aucun système ne peut être considéré d’une manière absolue, nous devons considérer les faits dans leur ensemble. Nous devons faire en sorte que l’agriculture continue à être florissante. A qui vous adressez-vous pour la majeure partie de vos impôts, sinon à l’agriculture ? et vous voudriez donner à l’agriculture étrangère un privilège, au détriment de l’agriculture du pays ! Quand il s’est agi de la question des bois, on a fait valoir avec beaucoup de raison qu’il n’était pas juste que les bois étrangers ne payassent pas l’impôt foncier que payent les bois cultivés dans le pays. La même chose existe pour les céréales : il est injuste de faire entrer les céréales étrangères sans les astreindre à un droit tout au moins équivalant au droit de culture de nos propres céréales… Je ne connais qu’une seule exception ; c’est lorsque le salut public, lorsque la nécessité bien urgente, bien démontrée des classes ouvrières, exige impérieusement l’introduction des céréales étrangères, hors de là, notre premier devoir est de favoriser l’agriculture, qui sera toujours la mère nourricière de la Belgique.
Vous voyez donc, messieurs, qu’il n’existe aucun motif qui doive nous porter à voter la disposition que M. le ministre de l'intérieur réclame pour le seigle ; cette disposition peut devenir entre les mains du gouvernement, une arme funeste pour l’agriculture. D’un autre côté, est-il juste de proroger de deux années la loi qu’on vous demande ? Mais faites-y attention, la loi que nous votons est une espèce de loi de rectification de la loi générale des céréales. Or, une semblable loi doit toujours être subordonnée aux circonstances, et comme ces circonstances se modifient d’année en année, en raison de la récolte du pays, il faut qu’une loi de ce genre soit votée chaque année.
En résumé, j’appuie la proposition de mes honorables collègues, MM. de Garcia et de Theux, tendant à ce que le seigle soit écarté de l’art. 1er, et je demande ensuite qu’on substitue le délai du 31 décembre 1845 à celui du 31 décembre 1846, demandé par le gouvernement.
- L’amendement de M. Dumortier est appuyé ; il fera partie de la discussion.
M. de Garcia – Messieurs, M. le ministre de l'intérieur, pour combattre mon amendement, s’est borné à reproduire un argument qui avait été présenté par M. le rapporteur ; il a dit que, dans la loi de 1834, il y avait une anomalie entre le droit d’entrée du froment et du seigle. Je suis convenu de cette anomalie, et je me suis demandé si elle ne doit pas être conservée. Or, je crois avoir démontré que cette anomalie est précieuse à la question agricole. Je crois que la culture du seigle est un grand pas vers l’amélioration de la culture ; je pense qu’en favorisant la culture du seigle, vous favorisez la culture de toutes les céréales. Si M. le ministre de l'intérieur connaissait la position spéciale de la province de Namur et de trois à quatre autres provinces du royaume qui ont une parfaite analogie avec celle-ci, il saurait que le seigle est une culture indispensable pour l’amélioration de la culture en général.
On parle sans cesse de favoriser le défrichement des bruyères, d’améliorer nos steppes et nos terres incultes ; mais il faut être conséquent, il faut faire converger les moyens pour atteindre le but. Or, si vous voulez arriver à quelque résultat utile, posez des principes, favorisez la culture du seigle ; et comment pouvez-vous la favoriser ? C’est en maintenant une protection indispensable pour la culture du seigle ; c’est en maintenant ce qu’il vous plait d’appeler une anomalie dans la loi de 1834, anomalie que je considère, moi, comme un bienfait de la loi.
Faites-y attention : il existe en ce moment une crise agricole, et à moins de faire le sourd et l’aveugle, il est impossible de la nier ; elle existe depuis l’année dernière. M. le ministre m’a répondu, à la vérité, que les dispositions existantes n’ont excité aucune réclamation. Mais avez-vous oublié les réclamations qui ont surgi de tous les points du pays, lorsque vous avez voulu modifier la loi de 1834 ? Ne vous ont-elles pas obligé, ainsi que vous en faites l’aveu dans l’exposé des motifs de votre projet, à retirer la loi modifiant la loi générale des céréales ? et vous avez bien fait de la retirer, car elle aurait été rejetée par les deux chambres.
Messieurs, c’est à regret que j’ai entendu hier qu’on applaudissait à la loi actuelle au fond, parce qu’elle ouvrait une brèche à la loi de 1834. Cette manifestation vous décèle peut-être la pensée du ministère, la portée de la loi et le désir de porter atteinte à la faible protection accordée par la loi de 1834, et d’atteindre d’une manière indirecte le but qu’il se proposait dans le projet de loi retiré ; ce but est de porter atteinte à la protection accordée à l’agriculture. Je n’insisterai pas sur la nécessité de cette protection ; l’honorable M. Dumortier l’a suffisamment établie ; je dirai seulement à la chambre : Craignez d’y porter atteinte.
Pour combattre ma proposition, l’honorable M. Rodenbach a invoqué l’intérêt de la classe pauvre, qui ne se nourrit que du pain de seigle. Cette objection ne repose que sur des mots. Quiconque connaît la vérité des faits ne peut ignorer qu’aujourd’hui la nourriture du peuple n’est pas le pain de seigle. Cela fût-il, ce que je dénie dans l’intérêt du peuple, il faudrait encore, par les considérations que j’ai présentées, favoriser la culture du seigle, pour arriver à celle du froment. On nous dit : le seigle est la nourriture du pauvre ; mais, messieurs, en favorisant la première, vous favorisez la production de toutes les autres céréales ; et, par une conséquence meilleure, vous favorisez le bien-être général de toutes les classes de la société.
Je n’insisterai pas davantage sur ces considérations. Je crois avoir démontré que la culture du seigle est favorable au développement de l’agriculture et j’espère que la chambre votera l’amendement que j’ai eu l’honneur de lui soumettre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je demande la permission à la chambre de ramener la question à ses véritables limites ; il ne s’agit pas ici de détruire la loi de 1834, il s’agit, selon moi, d’en prescrire la rectification. La question est de savoir si la loi renferme une anomalie, c’est sur ce point que porte tout le débat, et c’est sur ce point que je vais le replacer.
La loi de 1834 dit que, lorsque le prix du froment a atteint 20 fr., il y a liberté d’entrée ; elle dit encore que lorsque le prix du seigle aura atteint 15 fr., il y aura liberté d’entrée pour le seigle. Si le prix rémunérateur pour le froment est de 20 francs, le prix rémunérateur pour le seigle ne peut être de 15 francs ; ou bien, en renversant la proposition, si le prix rémunérateur pour le seigle est de 15 fr., il se trouvera que le prix rémunérateur pour le froment doit être de plus de 20 francs, de 22 fr. 50, ou du moins de 22 fr.
Je le répète : la différence entre les prix du seigle et du froment est de 5 francs ; on prétend que cette différence doit être de plus de 5 fr. qu’il faut une différence de 7 fr. au moins, c’est-à-dire que si le prix rémunérateur reste fixé à 20 fr., le prix rémunérateur pour le seigle est de 13 fr. ; ou bien, que si vous laissez le prix rémunérateur du seigle à 15 fr. il faut élever le prix rémunérateur du froment et le fixer à 22 francs.
Un membre – Pourquoi ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Parce que les mercuriales des marchés ont démontré que telle est la valeur proportionnelle de ces denrées.
M. Dumortier – M. le ministre veut-il me permettre une observation ? Sous le gouvernement hollandais on a fait une enquête dans laquelle on a examiné les grandes bases de l’entrée des céréales étrangères pendant les 14 années du gouvernement hollandais, et on a trouvé que la proportion était comme 3 est à 4. Voilà ce qui a déterminé la chambre à voter la loi de 1834.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je dis que là est toute la question. Si on prétend que les deux prix du seigle et du froment sont bien établis l’un par rapport à l’autre, la loi devient sans objet. Mais voici ce qui est arrivé depuis le vote de la loi de 1834. Pendant trois années l’entrée du froment s’est trouvée libre ; quoique le froment fût à 20 francs et plus, le seigle n’a pas atteint le prix de 15 fr. et il est resté soumis au droit, que je puis appeler prohibitif, de la loi de 1834.
Voilà le fait postérieur à l’exécution de la loi, qui s’est présenté. Cela est arrivé trois années de suite : l’entrée du froment était libre et l’entrée du seigle reste de fait prohibée. C’est là un fait très-grave et dont on est autorisé à tirer la conclusion qu’il y a une anomalie dans la loi.
(page 185) Je suis étonné que cette disposition soulève une si grande opposition quand aucun difficulté n’a été signalée, lorsqu’en 1842 la disposition a été présentée pour la première fois.
On avait donné des pouvoirs au gouvernement, pouvoirs renouvelés à la fin de 1843 ; voici comment il en a usé dans les deux occasions :
Le froment était, en 1842, libre à l’entrée ; le prix du seigle dépassait 13 francs ; un arrêté royal du 25 décembre 1842 a déclaré que l’entrée du seigle était également libre. Il a ajouté que cette exception de droit cesserait le jour où le prix du seigle retomberait au-dessous de 13 francs ou bien où l’entrée du froment cesserait d’être libre.
En 1843 l’état des choses n’était pas le même ; le froment n’était pas libre à l’entrée, le prix du seigle n’était pas de 13 francs et au-dessus ; il a été déclaré, par l’arrêté royal du 24 janvier 843, que l’exception du droit d’entrée sur le seigle ne serait applicable que lorsque le froment redeviendrait libre de droit et que le prix du seigle serait de 13 francs.
On a exigé les deux conditions.
J’ai rappelé les faits. J’ajoute en terminant, que ce n’est qu’ici que j’ai appris les réclamations auxquelles cette disposition donne lieu. Je n’ai reçu aucune réclamation par la voie administrative.
M. Osy – Je viens combattre l’amendement de l’honorable M. de Garcia.
M. Dumortier vient de dire qu’une enquête faite sous le gouvernement hollandais avait eu pour résultat d’établir que la valeur du seigle et du froment était comme 3 est à 4. S’il voulait voir l’enquête faite en Belgique depuis 1836 jusqu’en 1843, il verrait que la moyenne entre le froment et le seigle est de 62 ½ p.c. Dans l’année de la plus grande cherté en 1839, où le froment a été non-seulement libre de tout droit, mais où le prix a toujours dépassé 23 et 24 fr. et a presque atteint 25 fr., jamais le seigle n’est arrivé au prix de 15 fr. Cette année-là la différence a été de 77 p.c. En 1840 la différence a été de 65 p.c., de sorte que d’après l’enquête de 1836 à 1843, la moyenne a été de 62 ½. Le gouvernement aurait dû dire : La moyenne de la proportion est 20 à 12.
On a combattu le chiffre de 12 ; nous admettons celui de 13 qui a été adopté en décembre 1842. ce chiffre a même été adopté alors sans observation. Depuis il n’a donné lieu à aucune réclamation. Je crois que l’expérience, non des quinze années du régime hollandais, mais de 1834 à 1843, doit nous servir de guide, car la culture a changé de 1815 à 1843.
Il résulte de ces faits que, quand le seigle est à 13 fr., et que le froment est libre à l’entrée, nous devons autoriser l’importation du seigle. C’est dans l’intérêt de la culture et des classes pauvres.
M. Dumortier – Et du port d’Anvers.
M. Osy – Je crois avoir donné assez de preuves de dévouement au pays pour qu’on ne suppose pas que, quand je prends la parole, je le fais toujours dans l’intérêt du port d’Anvers. Je dis que nous avons la preuve que la différence entre le seigle et le froment a été jusqu’à 77 p.c. Or, le gouvernement ne propose pas cette limite, qui serait celle de 12 fr.. ; il vous propose le chiffre de 13 fr.
Je voterai contre l’amendement de M. de Garcia et pour la proposition de la section centrale.
M. Coghen – Messieurs, comme disposition temporaire, en attendant la révision de la loi des céréales, je voterai la proposition du gouvernement. La loi des céréales demande une révision, qui est nécessaire, car elle contient des anomalies que successivement on a tâché de corriger par des lois temporaires. Mais je crois qu’il serait mieux dans l’intérêt de l’agriculture, du commerce et du consommateur, d’avoir une loi invariable et uniforme pour tout le pays. Si j’appuie la proposition du gouvernement, c’est que j’y trouve la garantie que, quand le seigle sera au-dessus de 13 francs et le froment libre à l’entrée, alors seulement il y aura libre entrée du seigle.
La proportion entre la valeur du seigle et celle du froment, d’après les mercuriales de deux siècles que j’ai consultées lors de la discussion de la loi de 1834 dont j’étais rapporteur, est comme 2 est à 3.
J’ai soumis à cette époque des documents officiels ; je ne pense pas qu’on puisse en contester l’exactitude.
Messieurs, il est évident que la culture du seigle est d’une haute importance pour le pays. Il est évident que vous ne pouvez pas parvenir à obtenir du froment de terres nouvellement cultivées, si pendant quelques années on n’a pas cultivé du seigle. Vous ne pouvez pas non plus espérer d’obtenir avec avantage d’autres céréales dans la Campine. Un autre motif important pour maintenir une protection en faveur de cette culture, et la nécessité de la favoriser, c’est que la paille qu’on en retire est indispensable au cultivateur.
Un honorable membre m’interrompt en disant : « Et les propriétaires ! » Je pense que le sort de la classe pauvre se lie intimement à celui des propriétaires. Je ne crains pas le bas prix des céréales par suite de l’abondance des récoltes dans le pays, parce qu’il y aura alors toujours de l’occupation, du travail pour l’ouvrier, et les quantités récoltées dédommagent les fermiers. Ce que je redoute, c’est que les contrées qui ont des produits considérables, et ne payant aucun impôt, viennent déverser, faute de consommation chez eux, leurs produits sur nos marchés et les y vendre à tout prix.
La fortune publique est vivement intéressée à empêcher cette concurrence ruineuse ; elle exige une protection réelle pour la plus grande et la plus importante industrie de la Belgique. L’intérêt des classes pauvres, des travailleurs, aussi bien que celui du trésor et du propriétaire, nous fait un devoir de ne pas nous écarter de ce que la prudence commande. Il est évident que l’avilissement du prix des céréales, résultat de la concurrence étrangère sur nos marchés, est une calamité. Tout le travail se ralentit ; la consommation des produits fabriqués diminue et le trésor en éprouve un mécompte ; les 22 millions qui figurent au budget des voies et moyens, comme produit de l’enregistrement, successions, etc., subiraient une véritable réduction.
Je doute si c’est un bien pour la classe peu fortunée, de voir les céréales à des prix trop bas ; un prix normal et modéré est préférable à un excessif bon marché, suivi d’une hausse inévitable. Je connais les besoins, les habitudes et les privations de la classe la plus nombreuse, aussi je la défendrai toujours et je crois que lorsque le grain est à trop bas prix, elle dépense le peu d’économie que cette baisse lui procure à se créer de nouveaux besoins, de nouvelles habitudes, et comme il n’est pas donné à l’homme de décider des récoltes, lorsqu’elles sont malheureuses une baisse inévitable vient aggraver la position du pauvre, parce que qu’il gagne suffit à peine pour lui procurer le pain nécessaire à son existence ; il doit abandonner toutes les habitudes qu’il a prises et qui sont devenues des besoins ; il éprouve plus de privations, se croit plus malheureux, et le mécontentement en est la suite.
J’appuierai la proposition du gouvernement comme mesure provisoire, espérant qu’il sera présenté un projet de loi qui fixera définitivement la législation des céréales.
M. Lys – Je comprendrais l’utilité de l’amendement si le pays produisait la quantité de seigle nécessaire pour sa consommation. Mais remarquez que nous avons reçu en 1842 plus de 16,000,000 de kilog. et en 1843 15,633,816 kilog. de seigle étranger. Ce qui prouve que le pays ne produit pas la quantité de seigle qui lui est nécessaire.
On nous dit que, quand le froment est rare, le seigle peut être abondant. Ce sont là des exceptions : il faut consulter la règle générale et non des exceptions fort rares. Je dis que quand le froment est abondant le seigle est abondant, que quand le froment est rare, le seigle l’est également.
Il résulte de là que, quand le seigle est abondant, il se vend au-dessous de 13 fr. ; donc l’entrée de cette céréale ne peut alors être libre.
Mais nous dit l’honorable M. de Garcia, je désire beaucoup que le peuple mange du froment.
Remarquez que nous ne voulons pas, par cette loi, l’empêcher de manger du froment.
Mais quand le froment est très-cher, il peut beaucoup moins en manger qu’il ne pourrait manger du seigle à bon marché. Cela rappelle le mot de cette reine de France : « Le peuple, dites-vous, manque de pain. Que ne mange-t-il de la brioche ? »
On sait que le seigle est absolument nécessaire à la population ouvrière, que c’est la nourriture des gens de la campagne, des personnes peu aisées. Il est prouvé qu’il y a une anomalie dans la loi. Il y a lieu de la faire disparaître. L’entrée du froment a été libre pendant plusieurs mois. Pendant tout ce temps, le seigle n’a pu entrer. Est-ce une bonne politique ? Pendant tout ce temps-là, le peuple a payé fort cher pour manger du froment ; il est évident qu’il aurait payé en proportion beaucoup moins cher pour manger du seigle, si l’entrée n’en avait pas été empêchée par l’anomalie de la loi.
On dit : Vous donnez à l’étranger des sommes considérables, en exemption d’impôt sur un produit qu’il introduit chez vous. C’est une erreur. Ce n’est pas l’étranger qui profite de la diminution du droit. C’est vous-mêmes : c’est le pauvre, qui, si le droit était maintenu, payerait le pain encore beaucoup plus cher. On peut dire cela d’une production qui n’est pas d’une nécessité absolue ; alors on peut diminuer ses besoins. Mais quand il s’agit d’un produit indispensable, alors ce n’est plus l’étranger, mais le consommateur qui paye le droit.
Que deviendront, en cette circonstance, les nombreux ouvriers de nos fabriques ? Comment l’industrie nationale pourra-t-elle lutte contre l’industrie étrangère ? Si les vivres sont chers, la journée devra être augmentée. Alors vos fabriques ne pourront plus lutter contre les fabriques étrangères, car le prix de revient sera beaucoup plus élevé qu’il ne le sera en pays étranger.
Je crois donc que la proposition du gouvernement est fondée ; je crois qu’elle fera disparaître une véritable anomalie ; car, je le répète, il est fort étrange que, quand l’entrée du froment est libre, l’entrée du seigle soit prohibée.
L’entrée du seigle sans droit, quand l’entrée du seigle se fera sentir, ne pourra avoir lieu que quand le seigle sera à 13 fr. et au-dessus. L’agriculture ne peut donc en souffrir.
Nous avons besoin du seigle étranger. Tant que ce besoin se fera sentir, la production du seigle du pays ne pourra souffrir de l’introduction du seigle étranger.
M. Rodenbach – Je suis de l’avis de l’honorable M. Coghen que, lorsque le grain est à vil prix, c’est un malheur pour l’agriculture et pour le pauvre ; car l’agriculteur ne peut faire travailler quand il ne peut tirer de ses grains un prix convenable. Cela a une influence heureuse sur le commerce, en ce que l’agriculteur qui fait bien ses affaires fait acheter ; l’industrie et le commerce s’en ressentent.
D’autre part, quand les vivres sont très-chers, c’est un immense malheur. Mieux vaut pour le pauvre, et sous tous les rapports, un prix raisonnable.
Depuis trois ou quatre ans, la misère a diminué dans le district de Roulers. Lorsque j’ai entretenu la chambre de cette misère, l’on me taxait d’exagération. Je n’étais que dans le vrai. Pour rester dans le vrai, je dois déclarer que, grâce à la diminution du prix de la vie animale et au progrès de l’industrie (page 186) de la fabrication des toiles qu’on accuse de rester stationnaire, la misère a diminué.
Je ferai remarquer que l’entré du seigle ne sera libre que s’il atteint le prix de 13 fr. ; or, il ne l’atteindra pas, on peut le supposer. Dans ce cas, les 15 millions de kilog. de seigle étranger qui paraissent nécessaires à notre consommation payeront ce droit.
Plusieurs membres, et notamment l’honorable M. de Garcia, ont prétendu qu’on ne mangeait pas de seigle en Belgique ; c’est une erreur. Dans la Flandre, malgré sa richesse, on consomme du seigle, notamment dans la Flandre occidentale. J’en appelle aux représentants de cette province. 200,000 habitants mangent moitié seigle, moitié froment.
Il semblerait, d’après ce qu’on a dit, que le pain serait à vil prix ; il n’en est rien. A Paris, où le grain vaut 17 fr. 50 c., le pain est taxé à 31 c., le kilog. ; il est taxé à Bruxelles à 36 c. Dans plusieurs de nos grandes villes, le pain est taxé bien au-dessus du tarif des mercuriales. Pour moi, je crois qu’il y aurait avantage pour la classe pauvre à ce que le pain ne fût plus taxé par les autorités locales. C’est ainsi que cela se pratique en Angleterre. Je crois que la taxe du pain n’aboutit qu’à le faire payer plus cher.
M. de Theux – Je n’aurai que peu d’observations à faire en réponse à celles qui ont été présentées sur l’amendement de l’honorable M. de Garcia.
Je regrette qu’on ait saisi la chambre d’un amendement à la loi de 1834, dans une circonstance où cet amendement n’a pu être suffisamment apprécié, et où conséquemment l’attention de la chambre n’a pas été attirée sur l’importance de la modification.
Le résultat d’une telle disposition est de préparer insensiblement le pays à un changement de la loi de 1834, sans avoir assez médité le changement qu’on veut y apporter : c’est de créer un préjugé défavorable à la loi.
M. le ministre de l’intérieur dit que les dispositions de la loi de 1842 et de l’arrêté pris pour son exécution, qui autorise la libre entrée du seigle au prix de 13 fr. n’ont donné lieu à aucune réclamation. C’est possible ; cela tient aux circonstances dans lesquelles ces dispositions ont été prises. Mais lorsqu’il a présenté un projet de loi de révision de la loi de 1834, des objections très-fortes ont été faites contre ce projet. Des pétitions spéciales, en ce qui concerne le seigle, ont été adressées à la chambre ; des observations importantes ont été faites par un grand nombre de membres de cette chambre. Ces objections et celles relatives au froment, ont été tellement puissantes, que le ministre s’est vu forcé de retirer son projet. Il est donc inexact de dire qu’il est généralement admis que la différence entre le prix du seigle et celui du froment doit être de 13 à 20 francs. C’est une proportion que nous contestons ; nous faisons toutes nos réserves pour la discussion du fond.
Je pourrais ajouter qu’un honorable membre vient de me communiquer les mercuriales du marché de Tirlemont de 1728 à 1755, et qu’il en résulte que la proportion du prix du seigle avec celle du froment est, en moyenne, de 3 à 4.
Vous voyez qu’il ne faut pas légèrement admettre des amendements à la loi de 1834, mais qu’il faudra discuter à fond lorsque nous serons saisis d’un projet de révision.
Une autre observation qui a été présentée, c’est que le prix du seigle n’a pas atteint le taux fixé par la loi de 1834, pour que l’entrée en soit libre, alors que le froment a atteint ce taux Faut-il en conclure que les bases de la loi de 1834 sont vicieuses ? Non, sans doute. La seule conséquence qui soit certaine, c’est qu’il y a eu moins d’insuffisance quant au seigle que quant au froment. Car si l’insuffisance eût été égale, le seigle eût atteint le taux de 15 fr. fixé par la loi de 1834, et la libre entrée aurait eu lieu.
En effet, nous voyons que les importations de seigle se bornent généralement à un chiffre peu élevé.
Est-il impossible d’augmenter la culture du seigle ? Evidemment non. Il y a des landes dans le pays. Les chambres ont voté des sommes considérables dans le but d’en assurer le défrichement. Comment obtiendra-t-on ce résultat ? Par la culture des céréales, et surtout du seigle, seule céréale que l’on puisse d’abord cultiver dans ces landes.
Les chambres ont eu raison d’en agir ainsi ; en effet ; dans tout pays bien organisé on cherche à féconder les richesses stériles du pays. Nous avons des milliers d’hectares de landes, qui sont des richesses stériles, et qui ne peuvent être fécondées que par la culture et par la construction de routes et de canaux.
Le gouvernement montrerait beaucoup d’inconséquence dans sa conduite, si, d’une part, il entravait la culture du seigle, alors que, d’autre part, il fait des efforts pour amener le défrichement des landes et augmenter la population du pays.
Je terminerai en faisant une observation qui, je crois, est à la connaissance de beaucoup d’entre nous : c’est qu’il se manifeste depuis plusieurs mois une baisse considérable dans les propriétés foncières, à tel point que le taux de la baisse a été porté à un sixième dans plusieurs localités.
On sait que les foins et les bois n’ont presque plus de valeur ; il y a aussi un commencement de dépréciation des céréales. Il faut donc agir avec beaucoup de réserve, et ne pas se laisser aller à un entraînement dangereux. Ce serait un entraînement dangereux que de dire que le seigle est la principale nourriture du pauvre. J’ai déjà fait observer, dans une autre discussion, que, dans les grands centres de population, dans la population manufacturière, c’est le froment qui est la nourriture du peuple.
Si le froment est la nourriture du peuple, dans les parties du pays où c’est la culture principale, le peuple profite aussi des travaux agricoles. Or, le travail est bien plus considérable lorsque le prix des céréales est avantageux.
Du reste, jamais je ne donnerai mon assentiment à des mesures qui auraient pour résultat de porter à un taux excessif le prix du froment et du seigle. Tout ce que je demande, c’est qu’on ne dérange pas à la légère la proportion établie par la loi.
M. de Tornaco propose à l’amendement de M. Dumortier un sous-amendement, consistant à borner à une année les effets de la loi pour le seigle seulement.
- Il est procédé au vote par division.
La prorogation de la loi pour l’orge et le seigle, avec les modifications proposées par la section centrale, est successivement mise aux voix et adoptée.
La proposition de limiter les effets de la loi au 31 décembre 1845 est adoptée pour le seigle et rejetée pour l’orge.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Par suite de ces votes, on pourrait rédiger l’article comme suit :
« Art. 1er. Les dispositions de la loi du 29 décembre 1843 continueront à être en vigueur jusqu’au 31 décembre 1845 inclusivement en ce qui concerne le seigle, et jusqu’au 31 décembre 1846 inclusivement en ce qui concerne l’orge. »
- La rédaction proposée par M. le ministre est adoptée.
M. le président – L’art. 2 est ainsi conçu :
« Art. 2. La loi du 6 juin 1840 (Bulletin officiel, n°33) est remise en vigueur pour un terme indéfini, aux droits d’entrée fixés par l’art 8 de la loi du 6 juin 1839 (Bulletin officiel, n°262). »
M. Delfosse a présenté un amendement ainsi conçu :
« Les grains dont l’importation est permise par les deux lois précitées pourront entrer par les bureaux à désigner par le gouvernement, à proximité des marchés d’Aubel et Berneau. »
- La parole est à M. Delfosse pour développer son amendement.
M. Delfosse – Messieurs, la loi du 6 juin 1839, en permettant l’entrée de 6 millions de kilog. de grain, au moyen du payement du quart des droits établis, avait deux intérêts en vue : l’intérêt de la partie cédée du Limbourg, et l’intérêt de l’approvisionnement du district de Verviers. Un troisième intérêt est venu se mêler aux deux autres et les a fait en partie oublier.
Il y avait, à cette époque, dans la chambre, un ministre du Roi, né dans la commune d’Aubel, qui montrait une grande sollicitude pour sa commune natale :
« A tous les cœurs bien nés que la patrie est chère ! »
et qui fit insérer dans la loi : que les grains dont l’importation était permise, entreraient par les bureaux à désigner par le gouvernement, à proximité du marché d’Aubel. Tels sont les termes insérés dans la loi du 6 juin 1839.
Jusqu’alors deux marchés, légalement institués, avaient concouru à l’approvisionnement du district de Verviers : c’étaient le marché d’Aubel et le marché de Berneau. Le marché de Berneau ne trouva pas de défenseur dans la chambre, il fut oublié et sacrifié. On sacrifiait en même temps, sans s’en douter, les parties du Limbourg cédées, qui sont plus rapprochées du marché de Berneau que du marché d’Aubel. On sacrifiait aussi les communes du district de Verviers qui trouvaient plus d’avantages à s’approvisionner au marché de Berneau qu’au marché d’Aubel.
Il est temps, messieurs, de faire cesser l’injustice involontaire que la chambre a commise en 1839, qu’elle n’a commise que parce que le lamentable état de choses ne lui a pas été exposé. Il est temps de faire cesser le monopole que le marché d’Aubel a obtenu en 1839 et qu’il a su conserver jusqu’à ce jour.
Le moment est d’autant plus opportun pour permettre au marché de Berneau de concourir comme autrefois avec le marché d’Aubel, que nous allons doubler la quantité de grains dont l’entrée est permise au moyen du payement du quart des droits établis. La part qui restera au marché d’Aubel est encore assez forte ; elle dépassera, suivant toutes les prévisions les 6 millions de kil. qui lui avaient été accordés en 1839. Car le marché de Berneau, quoi qu’il fasse, ne parviendra pas à acquérir l’importance du marché d’Aubel.
J’espère que mon amendement sera appuyé par le gouvernement et par M. le rapporteur de la section centrale. Je prie MM. les ministres de remarquer que je leur laisse le soin de fixer les quantités qui pourront entrer par chacun des bureaux que le gouvernement désignera. Je leur laisse aussi le soin de prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer de l’origine et du mode de transport des grains qui entreront.
Je prie M. le rapporteur de la section centrale de se rappeler que la mesure que je demande a été sollicitée dans une pétition adressée à la chambre par les administrations communales de vingt-sept communes, dont dix appartiennent au district de Verviers, et que l’administration communale de la ville de Verviers a adhéré plus tard à cette pétition. Les dix communes du district de Verviers qui ont signé la pétition sont celles de Saint-André, Roland, Battice, Sulemont, Charneux, Herve, ville natale de M. le rapporteur, Timister, Dison, Grand-Rechain et Xhendelesse.
Le but principale de la mesure que le gouvernement nous propose, est de faire baisser le prix des grains dans le district de Verviers. Eh bien, la réouverture du marché de Berneau situé près de la route de Battice, route qui se prolonge jusqu’à Verviers, produira inévitablement cet effet, par la concurrence qu’elle fera naître. C’est là ce qui explique l’adhésion que des communes très-importantes du district de Verviers ont donnée à la pétition. Un autre but de la mesure proposée par le gouvernement, c’est de favoriser la partie cédée du Limbourg. Eh bien, en ouvrant le marché de Berneau, une partie des 12 millions de kilogrammes de grain qu’il s’agit de laisser (page 187) entrer à des droits moins élevés, on répartira la faveur d’une manière plus équitable entre les diverses communes de la partie cédée du Limbourg. Car le monopole accordé au marché d’Aubel était aussi une espèce de monopole pour les communes de la partie cédée qui se trouvent rapprochées du marché d’Aubel.
Vous voyez, messieurs, que tout se réunit pour appuyer mon amendement. On ne peut nier la justice des plaintes que la commune de Berneau, et avec elle beaucoup d’autres communes, font entendre ; on ne peut nier que l’intérêt d’une partie du district de Verviers et du Limbourg cédé exige que ces plaintes soient écoutées.
M. Lys – Messieurs, je propose de substituer à l’art. 2 de la loi qui vous est proposée, la rédaction suivante :
« Indépendamment de la quantité de 6 millions de kil. de céréales dont l’entrée est permise dans le district de Verviers par l’art. 8 de la loi du 6 juin 1839, il pourra être importé au même droit et pour la même destination une nouvelle quantité de 6 millions de kil.
« Le gouvernement pourra, si les intérêts du pays l’exigent, suspendre en tout ou en partie les effets de la présente disposition.
« Cette importation de 12 millions s’effectuera, à raison d’un million par mois, par les bureaux à désigner par le gouvernement. »
Veuillez remarquer, messieurs, que mon amendement présente cet avantage qu’il pourra avoir pour effet de réduire l’importation des céréales. Car si un million de kil. n’a pas été introduit dans le courant d’un mois, la partie restante ne pourra être importée dans les mois suivants. Il arrivera donc que, loin de s’élever à 12 millions de kil., l’importation, dans certaines années, ne s’élèvera pas à la moitié.
La disposition qui vous est présentée, messieurs, tend à satisfaire aux pressants besoins d’un district industriel qui ne produit pas de céréales, tout en donnant une marque de souvenir à nos anciens frères du Limbourg. Je dis, messieurs, d’un district qui ne produit point de céréales, parce qu’il en produit une si petite quantité, qu’elle ne peut entrer en ligne de compte.
Reportons-nous un instant, messieurs, à ce qu’était le marché d’Aubel avant le traité de 1839. Aubel se trouvait placé au centre d’une population très-considérable. D’un côté, il y avait des manufactures et des pâturages ; de l’autre, il n’y avait pour ainsi dire que des terres en labour. Il s’est vu tout à coup privé, par le traité de 1839, de tout le terrain qui était composé de terres labourables ; il s’est vu réduit à des pâturages et à des manufactures.
Vous avez voulu, messieurs, remédier à cet état de choses par la loi de 1839, en accordant l’entrée, au quart du droit, d’une quantité de 6 millions de kilogrammes de grains. Vous avez voulu par là accorder un avantage aux habitants de la partie cédée du Limbourg. Par la loi de 1840, l’importation a été augmentée.
Ce même remède, messieurs, est encore nécessaire aujourd’hui ; car, remarque-le bien, pendant que le prix du seigle était, dans la première semaine d’octobre, à 10 fr. 50 c., dans tout le pays, il était à Aubel de 13 fr. 62, c’est-à-dire de 3 fr. 12 c. plus élevé.
Si l’on avait dû ajouter à ce prix les trois quarts du droit dont ces grains ont été exemptés, et si l’on calcule pour Verviers les frais de transport, le seigle aurait été à Aubel de 15 fr. 78 c. et à Verviers à 16 fr. 58 c.
Je dis, messieurs, qu’il n’y a pas de terres labourables dans le district de Verviers. Et en effet, messieurs, il est passé en proverbe que tous les produits en céréales dans le district de Verviers ne suffisent pas pour nourrir la volaille du district (On rit.)
Qu’oppose-t-on, messieurs, à la demande qui vous est faite ? Pourvoyez-vous, dit-on, aux marchés de Tirlemont et de Louvain ; mais on perd de vue que l’on ruine complètement un grand et beau village qui aurait toujours joui d’une prospérité considérable si l’on avait pas abandonné une partie du Limbourg ; on perd de vue que, si l’on ruine ce village et si on le ruine volontairement, il faudra bien lui accorder une indemnité. Et, en effet, lorsque vous avez lésé les intérêts d’établissements particuliers, vous avez donné des indemnités bien considérables à ces établissements, et vous voudriez n’être tenus à aucune indemnité envers un village que vous auriez ruiné par l’exécution du traité ! Vous ne voudriez pas même consentir à une disposition qui a pour but de conserver à ce village la position où il se trouvait avant le traité ! On nous indique de nouveaux marchés ; mais on ne change pas de marchés aussi facilement, il faut du temps avant que les marchands de grains puissent s’approvisionner à de nouveaux marchés ; nos marchands ne sont pas connus sur les marchés de Louvain et de Tirlemont, et dès lors, ils n’y trouveront pas le crédit qui leur est nécessaire ; les relations ne sont pas établies avec ces marchés, tandis qu’elles existent avec Aubel.
Mais pouvez-vous croire qu’on puisse établir d’un jour au lendemain un marché dans la ville de Verviers ? Pensez-vous qu’on puisse ainsi rencontrer des négociants, qui viennent tout à coup s’établir, faire des frais considérables de déplacement et d’établissement, et abandonner ceux qu’ils possèdent au village d’Aubel ?
On perd encore de vue, messieurs, les promesses qui ont été faites en 1839 aux Limbourgeois. Ne leur avez-vous pas dit : « Nous resterons les fils d’une même mère, les rejetons d’une même race ». Il faut avouer que si l’opinion de nos adversaires pouvait prévaloir, la Belgique ne serait plus une mère, elle deviendrait plutôt une bien mauvaise marâtre. N’avez-vous pas promis aux Limbourgeois tous les avantages que vous accordiez aux Luxembourgeois ? Aujourd’hui le traité avec le Zollverein a maintenu tous les avantages accordés aux Luxembourgeois et vous anéantiriez tous ceux que vous avez donnés aux Limbourgeois ! (Interruption.) Ils seraient tellement anéantis que l’honorable baron Osy a dit qu’il proposerait de rapporter la loi de 1839, et il a ajouté que cinq années suffisaient pour ménager la transition. Eh bien, messieurs, je dis que l’avantage que vous accordez aujourd’hui aux Limbourgeois est un avantage bien léger, ou plutôt qu’en définitive c’est à vous-mêmes que vous faites cet avantage. Il est démontré, en effet, que votre pays ne produit pas assez de céréales ; la preuve vous en a été donnée ; vous avez vu qu’en 1843, vous avez dû faire venir de l’étranger 40 millions de kilogrammes d’orge, 43 millions de kil. de froment, 15 millions de kilogrammes de seigle et 16 millions de kilogrammes d’avoine.
Ce prétendu avantage que vous faites aux Limbourgeois n’en est donc pas un ; car lorsqu’il s’agit de matières premières, d’objets de nécessité absolue, c’est n’est point l’étranger qui paye l’impôt, mais c’est le consommateur. Il en est de même du sel, par exemple ; le sel et le pain sont des objets dont on ne peut restreindre la consommation. S’il s’agissait d’objets manufacturés, ce serait l’étranger qui payerait l’impôt, car on pourrait diminuer la consommation de ces objets ; mais il en est tout autrement des céréales. Que vous importe, en effet, qu’il entre 12 millions de kilog. de froment par la frontière du Limbourg ou que ces 12 millions de kilog. entrent par un autre point, par un port de mer, par exemple. Quel avantage y trouverez-vous ?
Et c’est ici que je rencontre l’objection de l’honorable M. Osy. Il faut convenir que l’honorable membre, qui toujours fait des calculs si exacts, a oublié, dans cette circonstance, la base sur laquelle il les fonde. En effet, l’honorable membre est venu dire que les douze millions de kilogrammes qui entreraient par la frontière du Limbourg, feraient une perte annuelle de 400,000 fr. pour l’Etat. Or, il est démontré, par le rapport que M. le ministre des affaires étrangères a lu hier, qu’il est entré en Belgique, pendant deux ans, 101 millions de kilogrammes de céréales, et, sur cette quantité, le trésor a perçu 1,800,000 fr. soit 2 p.c.
Or, si l’on applique la même règle aux deux millions de kilogrammes qui entreraient par la frontière du Limbourg, il en résulterait que ce droit rapporterait tout au plus 7,000 fr. ; or, de 400,000 fr. à 7,000 fr., il y a une grande différence. C’est donc un avantage que vous maintenez pour la partie cédée du Limbourg, et c’est un avantage qui ne vous coûte absolument rien.
L’entrée de 12 millions de céréales par la frontière du Limbourg est très-avantageuse pour la Belgique même. Toutes les céréales qui entrent par cette frontière, sont consommées entièrement dans l’arrondissement de Verviers, et je dis qu’il est impossible qu’elles soient consommées autre part que dans cet arrondissement ; les frais de transport seraient trop considérables. On dit que ces céréales sont amenées dans l’intérieur du pays, cela n’est pas exact. On ignore qu’entre La Planck et Aubel, il y a des chemins impraticables qui excluent les transports autrement qu’à dos de cheval ; de mauvais chemins existent également dans la partie cédée du Limbourg. Je le répète, tout le grain qui entre par cette frontière se vend à Aubel, est et ne peut être consommé que dans le district de Verviers.
Je dis donc que si le droit était payé sur les 12 millions de kil. de céréales, cet impôt pèserait entièrement sur le district de Verviers, et voyez alors comme vous nuiriez à l’industrie de ce district ; car il ne faut pas se faire illusion à cet égard ; lorsque le prix du pain est très-élevé, il faut nécessairement augmenter la journée de l’ouvrier, et quand vous augmentez la journée de l’ouvrier, il restera certain aussi que vous fabriquez ne pourront plus soutenir la concurrence avec les fabriques étrangères, puisque le prix du revient sera plus élevé ; or, nous devons tendre constamment à travailler bien et à bon marché.
Ainsi, pour moi, ce seul motif serait suffisant pour que je votasse la loi telle qu’elle nous est proposée. Les autres motifs vous ont été développés en comité secret, et je crois devoir me borner à ce que j’ai dit.
Messieurs, quant à l’amendement de mon honorable ami M. Delfosse, je ne pourrai certainement pas le repousser, puisqu’il est dans l’intérêt de la localité de Verviers. Mais j’ai remarqué que plusieurs membres de la chambre s’opposent à l’introduction des 12 millions de kil. dans la supposition que cette quantité de grains excède les besoins du district de Verviers, et qu’une partie en refluerait sur les autres marchés de Belgique. Je viens de démontrer que cette crainte n’est nullement fondée, eu égard aux localités par lesquelles le grain entre maintenant ; je crains donc que la commune de Berneau étant rapprochée de la Meuse, et des communications pouvant avoir lieu plus facilement, on ne fasse opposition à l’amendement de mon honorable ami ; il faut que le gouvernement puisse être assuré que les grains qui entrent du duché de Limbourg, ne puissent être détournés du district de Verviers ; il faut que le gouvernement ne prenne aucune mesure qui pourrait donner lieu à détourner les grains du district auquel ils sont destinés, et cette certitude existe pour l’introduction qui a lieu par les bureaux de La Planck et de Teuven. Du reste, je dis dans mon amendement : « par les bureaux qui pourront être indiqués par le gouvernement. »
M. de La Coste – Messieurs, il n’y a proprement en discussion en ce moment que l’extension qu’on vous propose de donner à la loi de 1839 ; la disposition primitive n’est point l’objet de vos débats. Cependant, il faut avoir égard aussi à celle-ci ; il s’agit de six millions ajoutés à six millions, et même à neuf millions. Ceci ne doit pas être perdu de vue ; car par de faibles augmentations successives on pourrait arriver à des quantités très-considérables.
Ceci posé, messieurs, j’aurais l’honneur de vous présenter quelques observations, à l’appui des propositions de MM. Osy et Cogels. L’honorable M. Osy limite à une année l’extension demandée ; l’honorable M. Cogels à deux années. Je demande également une limitation, quant au temps ; j’appuierai (page 188), en outre, la proposition de l’honorable M. Lys, en ce qui concerne la limitation des quantités à un douzième par mois, tant par rapport aux six millions déjà accordés qu’à ceux que l’on accorderait encore.
Je répondrai en même temps à des observations qui m’ont été adressées. Et d’abord, puisqu’on a rattaché la loi en discussion à la convention linière, je rappellerai que j’ai voté pour cette convention, et je le ferai encore, si les mêmes raisons subsistent et si l’occasion s’en présente. Elle contenait cependant des dispositions très-onéreuses, et notamment celle sur laquelle l’honorable M. Cogels a fort à propos appelé l’attention de la chambre ; il vous a signalé les entraves auxquelles a été soumis notre régime d’octrois et qui sont bien plus contrariantes pour nous qu’elles ne sont utiles pour la France. Il serait bon que le ministère prît note de ces observations pour tâcher d’obtenir un changement à cet égard ; mais, quoi qu’il en soit, cet exemple vous fait voir tout l’inconvénient qu’il y a à mêler la diplomatie dans notre politique intérieure, dans le règlement de nos intérêts domestiques.
Cette disposition était surtout onéreuse à l’arrondissement auquel j’appartiens ; il devait en résulter une aggravation de ces charges d’octroi qui pèsent si particulièrement sur quelques industries de l’arrondissement de Louvain. Malgré cela, j’ai voté pour la convention, et pourquoi ? Je l’ai dit alors : parce que j’admets la solidarité de tous les intérêts nationaux ; mais cette solidarité serait une véritable duperie, si on ne répondait à la sympathie que par l’indifférence.
C’est maintenant au nom de cette solidarité que je réclame également l’appui des membres de la chambre, et notamment de ceux qui appartiennent aux provinces que la convention linière tendait à soulager, que je réclame leur appui, dis-je, en faveur de deux des intérêts principaux, en faveur de deux moyens d’existence des populations qui m’ont conféré l’honneur de siéger ici : le commerce et l’agriculture.
Messieurs, le commerce des grains et l’agriculture sont souvent en opposition. La dispositions que nous discutons a opéré un prodige : elle a réuni ces deux intérêts, en les blessant l’un et l’autre. On répond à cela : Ce n’est pas une blessure, c’est une chose indifférente ; qu’est-ce que 6 millions de kilogrammes ?
Messieurs, cette objection, tant sous le rapport commercial que sous le rapport agricole, semble indiquer qu’on n’a pas fait assez attention à l’immense influence qu’exercent, dans certaines circonstances, des quantités comparativement petites. C’est une remarque qui se trouve consignée dans les plus savants ouvrages qui ont traité la matière. Qu’on me permettre de l’appuyer par un fait : au printemps dernier, j’ai eu des conférences avec des négociants de Louvain ; ils s’applaudissaient de l’essor qu’avait pris le commerce des grains. J’eus récemment la curiosité d’examiner quelle était la quantité de grain qui avait été, pour ainsi dire, le noyau de cette activité commerciale : combien pensez-vous qu’il avait été déposé de grains en 1844 à l’entrepôt de Louvain ? Cette quantité n’excédait pas 4 millions de kilog. Je ne dis pas que le commerce des grains à Louvain, se soit borné à cette quantité en 1843 ; mais voilà toute celle qui était déposée à l’entrepôt, à cette époque de mouvement et de vie.
Je reviendrai tout à l’heure sur cette observation, à l’égard de l’agriculture ; mais auparavant, je m’arrêterai un moment à ce qui a été dit dans l’intérêt des consommateurs de Verviers. Messieurs, si ces observations sont fondées, pourquoi n’étend-on pas la même faveur au reste de la population ?
Un honorable orateur a dit, à la séance d’hier, tout en blâmant le ministère, qu’il appuierait sa proposition, parce que c’était une brèche à la loi de 1834. Mais, si cette loi est mauvaise, ce n’est pas une brèche qu’il faut y faire, c’est d’une réforme qu’elle a besoin. Cette observation s’adresse moins à l’honorable membre qu’à ceux dont émane le projet que nous discutons. S’ils condamnent la loi de 1834, ce n’est point une brèche qu’ils devraient y faire. Quand une loi si importante est en cause, je voudrais les voir sur la brèche, pour la défendre ou pour en conquérir l’amélioration.
Il y a une grande différence entre la position de l’honorable membre et celle du ministre. L’honorable membre est défavorable à la loi sur les céréales ; mais, en général, il n’est partisan des mesures prohibitives et restrictives pour aucun genre d’industrie. Je ne lui en fait pas un reproche ; je les considère comme étant en elles-mêmes un mal ; mais elles sont amenées par notre situation vis-à-vis des autres peuples, par les besoins de votre industrie. La loi des céréales est une partie du système général de protection.
M. le ministre de l'intérieur, dans la discussion des droits différentiels, a proclamé le principe que la protection était le droit commun. Cette protection, il la doit à l’agriculture, comme aux autres industries.
Mais, dit-on, qu’est-ce que l’introduction de 6 millions de kilogrammes pour l’agriculture ? Messieurs, ce n’ était rien en 1843 ; c’était peu de chose, quand on vous a présenté la loi en discussion à l’heure qu’il est, c’est devenu quelque chose et peut-être avant peu, ce sera beaucoup, ce sera trop ! Et que de misères une crise agricole n’amènerait-elle pas ?
Messieurs, je vous l’ai déjà dit, je ne considère l’agriculture que comme une des grandes industries nationales, je ne m’en constitue pas le défenseur spécial ; mais quand la question est débattue, souvent on ne veut voir que le propriétaire. Or, derrière le propriétaire, j’aperçois la classe laborieuse des campagnes, tout comme en sens inverse entre l’ouvrier des fabriques et nous, je vois les entrepreneurs des fabriques, je vois les sociétés anonymes. Il est peut-être heureux qui y ait, entre la classe agricole et nous, des propriétaires dont la voix sait se faire entendre. D’ailleurs, quand je me place, par la pensée, dans le lieu de mon domicile, au milieu des campagnes soigneusement cultivées, et que je jette les yeux autour de moi dans un rayon assez étendu, je ne découvre guère de grands propriétaires ; j’en vois qui sont riches de huit ou dix hectares de terre, j’en vois d’autres qui ne possèdent qu’un hectare ou un demi-hectare.
Dans une crise agricole, je désire que nous n’en ayons pas à craindre dans ce moment, dans une telle crise, ce sont les petits propriétaires qui souffrent : les plus grands peuvent, au contraire, en profiter, en achetant 50 p.c. dé bénéfice des terres qui ont été acquises par les laboureurs, en grande partie sur leur crédit et non avec leurs deniers.
On a dit, et je suis parfaitement de cet avis, qu’il fallait tenir la balance entre les différents intérêts qui sont en jeu dans cette question ; c’est pour cela que je ne veux pas mettre cette balance entre les mains d’un pouvoir étranger. Je veux que notre gouvernement se réserve exclusivement une question aussi délicate, afin qu’il puisse la résoudre au seul point de vue de l’intérêt du pays.
L’amendement de M. le ministre de l'intérieur ne me satisfait donc pas. Je n’y vois aucune amélioration sérieuse. Il décèle la pensée de perpétuer cette concession faite aux dépens du commerce de l’agriculture, cette concession qu’on appelle une brèche à la loi des céréales, cette concession qui empêchera peut-être les améliorations que cette loi réclame, même dans le sens de ceux qui la croiraient trop protectrice ; et il décèle la pensée de tenir cette concession en réserve comme compensation pour quelque chose de futur et d’inconnu.
Il me semble, qu’en accordant, au contraire, ce qui est demandé pour un temps limité, on atteint parfaitement le but qu’on doit se proposer ; on ne met le gouvernement dans aucun embarras ; on lui permet de satisfaire à des engagements pris sans nous consulter ; on a du temps devant soi, et l’on peut dans l’intervalle chercher d’autres expédients. En un mot, rien n’est compromis, et nous avons la perspective de rentrer, à l’égard de la loi des céréales, dans la liberté de notre appréciation, dans la plénitude de nos droits législatifs, sans avoir rien à démêler avec un gouvernement étranger, gouvernement que je respecte, mais qui enfin n’est pas celui du pays. Il faut que cette question appartienne exclusivement au Roi et aux chambres.
M. le ministre de l'intérieur a aussi proposé, par amendement, de constater l’origine des blés importés. Je ne m’y oppose point, mais je crois ceci illusoire. La limitation proposée par l’honorable M. Lys me paraît beaucoup plus efficace. Peut-être faudrait-il aller plus loin ; mais en limitant à un douzième par mois, on empêcher beaucoup mieux les abus que par un certificat d’origine. Comme la concession n’est pas demandée à la Belgique en faveur du commerce étranger, mais dans l’intérêt d’une contrée voisine de nos frontières et pour la seule consommation du district de Verviers, cette restriction n’a rien de contraire à l’esprit de la mesure, et ne s’écarte en rien du but que l’on veut atteindre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je prends la parole parce que je ne veux pas qu’une observation faite par l’honorable M. Cogels dans le comité secret, que l’honorable préopinant y a cru devoir relever, fasse naître des illusions. On vous a signalé dans la convention du 16 juillet un article qui du reste n’avait pas passé inaperçu. C’est l’article par lequel le gouvernement belge s’oblige à empêcher l’augmentation des octrois des villes, en ce qui concerne les vins. Cette disposition est absolument nécessaire. Voici pourquoi. Vous avez accordé au gouvernement français la réduction d’un quart de l’accise sur le vin ; si on avait pu augmenter d’autant l’octroi des villes (et c’est ce qui serait arrivé sans la disposition qui l’interdit), la concession faire au gouvernement français se serait trouvée complètement éludée.
Ceci est tellement vrai que, dans la convention du 16 juillet, il a fallu comprendre et le droit de douane, et le droit d’accise et le droit d’octroi des villes. Si on avait omis un de ces trois droits, on aurait pu éluder la réduction faite sur l’un en la reportant sur les deux autres ou sur l’un des deux autres ; par exemple, si vous aviez pu augmenter le droit de douane, vous éludiez la réduction consentie sur le droit d’accise. Le gouvernement français s’est trouvé amené à demander qu’on n’augmentât pas l’octroi des villes sur le vin, pour que la réduction accordée sur l’accise ne devienne pas illusoire. On a cédé. Le gouvernement français avait omis dans un article du traité de parler de l’octroi des villes, et il est arrivé qu’on a augmenté l’octroi dans la proportion de la réduction accordé sur l’accise. Vous voyez qu’il ne faut pas se bercer d’illusions. Cette observation n’avait pas échappé au gouvernement ; pour que la concession, en ce qui concerne les vins, fût réelle, il fallait que le gouvernement et les villes, le budget de l’Etat et les octrois municipaux fussent liés, quant aux droits d’entrée et de consommation. Si le gouvernement faisait auprès du gouvernement français une réclamation pour demander qu’on modifiât la convention à cet égard, nous pouvons vous dire à l’avance que cette réclamation serait sans succès.
L’honorable préopinant part d’une idée trop absolue ; il voudrait que l’on pût faire un traité avec l’étranger sans qu’on se trouvât lié quant à ce qui tient au ménage intérieur. C’est là une chose impossible. Je vous défie de faire un traité sans vous trouver lié à l’intérieur pour l’un ou l’autre intérêt. S’il n’en était pas ainsi, je vous demande où vous iriez chercher les éléments des traités. Cette doctrine, je la repousse, elle est inapplicable ; et l’honorable préopinant, qui a une si longue expérience des affaires, s’il veut y réfléchir, reconnaîtra lui-même qu’il est impossible de faire de traités sans se lier à l’intérieur ; que les intérêts intérieurs sont forcément attirés dans le domaine de la diplomatie.
Je crois, messieurs, que, par l’amendement proposé, je satisfais à tous les scrupules. Cependant, je reconnais que le but que j’ai en vue est atteint par l’amendement de l’honorable M. Lys. Pour moi, je ne m’arrêterai pas à une (page 189) question de forme ; du moment que le but est atteint, le gouvernement peut se regarder comme satisfait.
M. Osy – Messieurs, avant de parler de l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer, je dois répondre un mot à l’honorable M. Lys. M. Lys a combattu les calculs que j’avais présentés dans une séance précédente . J’avais dit que si les 12 millions de kilog. dont il s’agit de permettre l’importation au ¼ du droit, arrivaient par mer, ces 12 millions de kilog., auraient payé environ 400 mille fr. En disant cela, je suis parti de la supposition que le prix du froment serait en dessous de 20 fr., car il est évident que si le prix atteignait 20 fr. ou dépassait ce chiffre, il n serait rien payé du tout, pas plus à Anvers qu’à la frontière du Limbourg. Or, comme il existe une espèce de crise, il est très-probable que les prix seront pendant un an ou deux tellement bas, que la différence atteindra réellement le chiffre que j’ai indiqué.
D’après des calculs données par M. le ministre de l'intérieur à l’appui du projet de loi, l’importation du froment, depuis 1835 jusqu’à 1842 inclus, ne s’est élevée, année commune, qu’à 17 millions de kilogrammes ; d’un autre côté, on a exporté pendant la même période 2 millions de kilogrammes par an, ce qui réduit l’importation de ces huit années à une moyenne de 15 millions de kilogrammes. Quant au seigle, l’importation en a été de 4,800,000 kilog., et l’on a exporté 3,600,000 kilog., de sorte qu’il n’y a, en définitive, qu’une importation de 1.200,000 kilog. Maintenant de cette importation de 15 millions de kilogrammes de froment dont je viens de parler, il faut retrancher 1 million de kilogrammes, au moins que nous exportons en farines, et dès lors il n’est plus livré à la consommation que 14 millions de kilogrammes par an. Je maintiens donc entièrement les calculs que j’ai présentés à la chambre et qui, je le répète, reposent sur cette supposition que le prix du froment soit en dessous de 20 fr.
Il me reste, messieurs, quelques mots à dire à l’appui de mon amendement.
J’aurais désiré pouvoir combattre le principe de la loi pour l’introduction des grains du grand-duché ; mais d’après les communications qui nous ont été faites, je ne puis refuser mon vote au principe non pour un temps indéfini, mais seulement pour un terme à fixer, soit au 31 décembre 1845, ou, comme le propose M. Cogels, au 31 décembre 1846 ou peut-être pour un terme intermédiaire. Ce que je veux, ce de ne pas donner indirectement mon approbation à des stipulations ou promesses qui ne nous sont pas soumises régulièrement et je ne veux pas violer l’art. 68 de la Constitution.
Je veux que tout reste dans son entier, et en fixant une époque pour la prorogation de la loi, je ne nuis pas aux négociations à intervenir avec les nations voisines, et je veux aussi que dans un temps peu éloigné nous puissions examiner l’exemption pour le district de Verviers, sans aucune autre préoccupation, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, par la marche peu franche et inconstitutionnelle du gouvernement. Et je vous avoue que je donne mon approbation à l’introduction des 6 millions de kil., sous une contrainte morale ; mais au moins nous devons en limiter le terme, et c’est le but de mon amendement ou celui de l’honorable M. Cogels.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, j’ai demandé la parole pour rectifier un fait allégué par l’honorable membre, ou plutôt pour donner une explication sur ce fait. L’honorable membre a présenté la moyenne des importations faites en Belgique depuis huit ans, mais j’ai déjà fait remarquer à la chambre que, depuis huit ans, les choses ont changé ; ce n’est pas sur les huit, mais sur les quatre dernières années qu’il faut établir une moyenne, c’est-à-dire qu’il faut prendre pour point de départ l’époque du traité du mois d’avril 1839 ; or, depuis 1839, la moyenne n’a pas été de 11 à 12 millions de kilog., comme on vient de le dire, mais elle a été, pour le seigle et le froment de 47 millions de kilog.
C’est, messieurs, ce que chacun de vous peut vérifier. Lorsque la première fois j’ai présenté cette observation, j’en ai tiré la conséquences que les parties du Limbourg et du Luxembourg qui n’appartiennent plus à la Belgique lui fournissaient une certaine portion de céréales avant la mise à exécution du traité de 1839, et que cette quantité devait être plus forte que celle de 12 millions qui, par suite de la loi en discussion, pourrait être importée en Belgique au quart du droit général. On peut conclure de ces rapprochements que l’agriculture se trouvera, même après l’adoption de la loi, dans une position plus favorable qu’avant la conclusion du traité.
M. de Garcia – Messieurs, je regrette sincèrement de me trouver encore dans la nécessité de combattre l’art. 2 présenté par le gouvernement, en ce qui concerne l’augmentation de la quantité de céréales qui pourra entrer en Belgique, sous payement du quart du droit normal. On ne doit pas se le dissimuler, l’industrie agricole est dans un moment de crise ; c’est là une chose qu’il est impossible de se cacher ; dans cet état de choses, l’on conçoit tout naturellement que l’art. 2, tel qu’il est proposé, ouvre mal à propos la porte à l’importation des céréales étrangères, et ici M. le ministre de l'intérieur ne dira pas qu’il n’y a pas eu de réclamations à cet égard. Le gouvernement a présenté un projet de loi qui atténue la protection accordée à l’agriculture par la loi de 1834. Personne n’ignore les réclamations que ce projet a fait surgir de toutes parts.
Je crois, messieurs, que dans la présentation de ce projet, le gouvernement n’a suivi, ni quant au fonds, ni quant à la forme, la ligne de conduite dont il n’aurait pas dû s’écarter. En ce qui concerne le fond, je pense que le moment n’est pas arrivé pour autoriser l’entrée des céréales jusqu’à concurrence de douze millions de kilogrammes ; j’aurai conçu que l’on eût voulu conserver le statu quo, c’est-à-dire permettre l’importation de 6,00,000 de kil. au quart du droit ordinaire ; lorsque le trésor est en déficit, lorsque l’agriculture est menacée d’une crise, je ne m’explique point une semblable proposition, si ce n’est par la convention faite avec la Hollande. Pour procéder rationnellement et constitutionnellement, je pense qu’avant tout on eût dû soumettre à notre approbation cette convention. Dans l’état actuel des choses, nous nous trouvons en présence de deux questions essentiellement distinctes, dont l’une lie notre liberté d’action sur l’autre. Aujourd’hui, il faut en convenir, nous ne sommes pas libres de fixer notre opinion sur la question de la protection due à l’industrie agricole du pays. D’un autre côté, comment se fait-il que le gouvernement nous présente dans une même loi des dispositions qui n’ont aucune espèce d’analogie ? L’article premier n’est qu’une disposition administrative qui, dans d’autres pays, et surtout en France, serait prise par ordonnance ; cependant, à côté d’une pareille mesure, on nous propose une loi définitive, je dis une loi définitive, puisqu’aux termes de la proposition de M. le ministre, il s’agit de remettre en vigueur, pour un terme indéfini, la loi du 6 juin 1840. Or, est-ce bien dans une loi transitoire et purement administrative qu’il faut insérer des dispositions définitives, des dispositions qui tiennent à des traités internationaux ? Evidemment, ce n’était pas ici la place de cette disposition.
Je crois que le gouvernement aurait dû nous présenter d’abord la convention, et si cette convention recevait l’approbation de la chambre, nous soumettre ensuite la loi actuelle comme conséquence de cette convention. Nous ne sommes vraiment pas libres dans l’appréciation des diverses questions qui nous sont soumises sans ordre et sans discernement. Dans cet état, messieurs, je me vois, à regret, je le répète, obligé de critiquer la conduite que le gouvernement a suivie dans cette circonstance.
Revenant sur le fond de la question, je vous demanderai, messieurs, si le moment est bien choisi pour permettre l’entrée des céréales étrangères jusqu’à concurrence de 12 millions de kilogrammes et de le faire en créant un monopole au profit d’une certaine localité ? L’honorable M. Delfosse nous a dit que la loi qui permettait l’importation de 6 millions de kilogrammes constituait un monopole au profit d’Aubel ; l’honorable membre veut étendre ce monopole à d’autres marchés, mais il n’en subsistera pas moins relativement à tout le reste du pays.
Il y quelque chose d’étrange et de vraiment inconséquent dans cette conduite du gouvernement. L’année dernière il nous présente une loi sur les droits différentiels pour favoriser la marine et l’industrie nationale, et dans le moment actuel il vous présente un projet de loi qui est tout à fait contraire aux intérêts de cette marine. A-t-il de la raison, de la sagesse et de la conséquence politique dans une conduite pareille ? Je ne me suis jamais donné pour un homme d’Etat, mais j’avoue que je ne puis m’expliquer cette manière d’agir. Selon moi, l’établissement d’un droit différentiel devait être utile au pays, et le ministère le pensait sans doute aussi, puisqu’il a fait passer une loi à cet effet. Comment se fait-il que, par l’art. 2 de la loi actuelle, il détruise une partie de la protection qu’il voulait donner à la marine nationale ? Peu importe que les grains n’aient pas été soumis au droit différentiel, la mesure proposée n’en est pas moins contraire à l’encouragement de notre marine. Au surplus, comme je le pensais lors de la discussion de la loi sur les droits différentiels, les céréales auraient dû être comprises dans cette loi ; on aurait ainsi atteint un but doublement utile, on aurait protégé deux branches de la richesse nationale : la marine et les productions du sol et de l’industrie.
Je crois, messieurs, avoir démontré que, sous le rapport du fond et de la forme, la disposition de la loi qui nous occupe est inopportune ; cependant, n’étant pas libre de voter comme je voudrais, lié, enlacé comme je le suis par les amendements pris par le gouvernement, je ne pourrais qu’appuyer l’amendement de l’honorable M.Osy, qui limite à un an la disposition de l’art. 2 de la loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne puis pas me résigner au blâme que m’adresse l’honorable préopinant. Le gouvernement n’a rien fait d’étrange dans cette circonstance. L’honorable préopinant se plaint d’être lié, d’être sous l’emprise d’une contrainte morale ; mais, messieurs, on est toujours jusqu’à un certain point sous l’empire d’une contrainte morale lorsqu’il s’agit d’arrangements internationaux ; on ne pourrait échapper à cette position qu’à une condition, ce serait d’exiger qu’aucun engagement ne fût pris sans qu’avant toute convention, avant toute promesse, les chambres eussent été consultées. Or, c’est là ce que n’exige pas le régime constitutionnel ; il n’exige que la ratification subséquente.
Le gouvernement, qui a pris des engagements en cas de non-ratification, subit toutes les conséquences de la non-ratification. Voilà pour le gouvernement ; d’un autre côté, lorsque la ratification des engagements pris n’a pas lieu, le pays subit toutes les conséquences du refus de ratification, c’est-à-dire que, si à la concession promise à l’étranger se rattachent des avantages pour le pays, le refus de cette concession entraîne la perte des avantages qu’elle devait assurer au pays. Voilà, messieurs, comment tous les droits sont saufs ; mais je ne puis admettre cette doctrine nouvelle d’après laquelle il y aurait, de la part du gouvernement, manœuvre, conduite déloyale.
M. de Garcia – Je n’ai pas dit cela.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Le mot a été prononcé par un autre membre.
Le gouvernement peut prendre des engagements vis-à-vis d’une puissance étrangère, il le peut à ses risques et périls, et il n’est tenu qu’à demander la ratification de ces engagements. La ratification, les chambres ont le droit de la refuser, et si elles la refusent, le ministère subit les conséquences de ce refus ; le pays les subirait également en ce qu’il serait privé des avantages que l’exécution de ces engagements devait lui procurer ou lui conserver.
(page 190) Voilà, messieurs, la véritable doctrine constitutionnelle, voilà la vérité des faits et des principes.
M. Osy (pour un fait personnel) – Lorsque M. le ministre de l'intérieur a prononcé le mot de « conduite déloyale », il s’est tourné vers moi ; je ne me suis pas servi de cette expression. J’ai dit que la conduite du gouvernement avait été peu franche et inconstitutionnelle
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je n’accepte pas ce reproche. Le gouvernement a le droit de prendre un engagement et de le faire connaître en temps et lieu. Voilà ce que porte la Constitution.
Un membre – Sauf l’approbation des chambres
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Eh bien, il demande cette approbation. Un intérêt intérieur suffisait pour justifier la disposition qui se rattache à un intérêt extérieur, et, sous ce rapport, je l’ai justifiée par les considérations que j’ai présentées dans le comité secret..
M. Delfosse – Deux de MM. les ministres ont pris la parole ; je regrette qu’aucun des deux n’ait cru devoir s’expliquer sur mon amendement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je le ferai immédiatement, si vous le voulez.
M. Delfosse – Volontiers.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable M. Delfosse, auteur d’un des articles additionnels, a cité de mémoire l’art. 8 de la loi du 6 juin 1839. Sa mémoire ne l’a pas bien servi. Il a supposé que l’art. 8 de cette loi portait que l’on pourrait importer des céréales par plusieurs bureaux à proximité d’Aubel. C’est une erreur, cet art. 8 porte : « Les grains de toute espèce qui seront importés de la partie détachée du Limbourg dans le district de Verviers, par le bureau qui sera désigné à cette fin à proximité du marché d’Aubel. »
M. Delfosse – C’est ce que j’ai dit.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je crois que vous avez dit les bureaux.
Depuis lors la loi du 6 juin 1840 a non-seulement doublé la quantité, en la répartissant toutefois par mois, mais elle a autorisé le gouvernement à ouvrir plusieurs bureaux.
Le premier bureau ouvert à la suite de la loi de 1839 était celui de La Planck ; on en a ouvert un second, celui de Teuven.
La loi du 6 juin 1840 a cessé d’être en vigueur pour ce qui concernait la quantité nouvelle de 6 millions de kil. Mais on ne l’a pas considérée comme abrogée en ce qui concerne l’ouverture du second bureau, et ce second bureau est resté ouvert.
Je crois aussi qu’il faut qu’il y ait plusieurs bureaux ouverts. Mais l’autorisation nécessaire pour cela résulterait de la disposition telle qu’elle vous a été soumise par le gouvernement. Il y est dit que la loi du 6 juin 1840 est remise en vigueur. Elle serait remise en vigueur non-seulement pour la quantité nouvelle des 6 millions de kil. mais aussi pour l’ouverture de nouveaux bureaux ; il est donc au fond satisfait, par la proposition du gouvernement, à l’amendement de l’honorable M. Delfosse.
L’honorable membre croit qu’il faut donner d’une manière formelle l’autorisation au gouvernement. Cela n’est pas nécessaire.
Il est toujours bien entendu que l’ouverture de nouveaux bureaux doit se faire dans l’esprit de la loi ; esprit qu’il est impossible de méconnaître. Il faut que les céréales importées soient destinées au district de Verviers, et l’honorable M. Lys a eu soin de le dire formellement dans la nouvelle rédaction qu’il vous a proposée.
Je répète donc que l’amendement de l’honorable M. Delfosse serait inutile, si vous adoptiez la rédaction première proposée par le gouvernement.
M. Delfosse – Messieurs, il paraît que je n’ai pas été bien compris par M. le ministre de l'intérieur. D’après la loi du 6 juin 1839, les six millions de kilogrammes de grains ne peuvent entrer que par un bureau situé « à proximité du marché d’Aubel ». Le gouvernement est lié par cette loi, il ne dépend pas de lui de désigne un autre bureau. Il y a privilège pour le marché d’Aubel, et exclusion pour celui de Berneau. Voilà ce que j’ai dit, et voilà ce que je veux faire cesser par mon amendement.
Il est bien vrai que la loi du 6 juin 1840, qui permettait, pour un temps limité, l’entrée de 500,000 kil. de grains par mois, n’ a pas reproduit les termes de la loi du 6 juin 1839. La loi du 6 juin 1840, qu’il s’agit de remettre en vigueur, n’exigeait pas que les bureaux à désigner par le gouvernement fussent « à proximité du marché d’Aubel », mais elle exigeait que les grains fussent importés, « de la partie cédée du Limbourg, dans le district de Verviers », et l’on pouvait soutenir que, le marché de Berneau, ne se trouvant pas dans le district de Verviers, était fermé aux grains dont l’importation était permise par cette loi tout comme aux grains importés en vertu de la loi du 6 juin 1839.
Le monopole du marché d’Aubel, consacré en termes formels par la loi du 6 juin 1839, paraissait résulter implicitement de la loi du 6 juin 1840 ; c’est ainsi que le gouvernement a entendu la chose, puisque les bureaux qu’il a désignés, pour l’exécution de ces deux lois, sont situés à proximité d’Aubel.
Ce privilège accordé au marché d’Aubel est, je l’ai déjà dit, contraire à la justice et au but que l’on s’est proposé lorsque l’on a permis l’importation en Belgique d’une certaine quantité de grains de la partie cédée du Limbourg.
Le marché de Berneau a tout autant de titres à la sollicitude du gouvernement que le marché d’Aubel ; il y a des communes du Limbourg cédé qui sont trop éloignées d’Aubel pour pouvoir y conduire leurs grains ; il y a aussi des communes du district de Verviers, surtout celles qui se trouvent à proximité de la route de Maestricht à Battice, qui ont le plus grand intérêt à pouvoir s’approvisionner au marché de Berneau ; les frais de transport que ces communes ont à supporter lorsqu’elles prennent leurs grains à Aubel absorbent entièrement les avantages de l’importation exceptionnelle autorisée par la loi.
Je connaissais trop bien l’intérêt que M. le rapporteur de la section centrale porte au district de Verviers pour ne pas être sûr qu’il appuierait mon amendement ; je m’attendais donc à l’adhésion de cet honorable collègue ; mais j’ai été, je l’avoue, surpris de l’objection qu’il a présentée, non pas comme sienne, mais au nom de ceux qui se montrent opposés à la loi.
On pourrait objecter, a dit l’honorable M. Lys, qu’il y aurait trop de facilités pour faire refluer les grains du marché de Berneau dans un autre district de Verviers.
Je ferai d’abord remarquer à l’honorable membre que je ne m’oppose nullement à ce que le gouvernement prenne des mesures pour que les grains du Limbourg, vendus au marché de Berneau, soient dirigés vers le district de Verviers. Je lui dirai ensuite que l’on ne peut pas sérieusement craindre qu’ils prennent une autre direction. Pourquoi permet-on une importation exceptionnelle de grains ? parce que, c’est la raison qu’on donne, les grains sont plus chers dans le district de Verviers qu’ailleurs. Eh bien, n’est-il pas évident que ceux qui achèteront des grains au marché de Berneau les dirigeront de préférence vers le district où ils pourront en obtenir le prix le plus élevé. Veuillez ne pas perdre de vue, messieurs, qu’il y a une bonne route, une route facile qui conduit de Berneau dans le district de Verviers.
Il faut croire que M. le rapporteur n’attache pas lui-même une grande valeur à l’objection qu’il a présentée, puisqu’il vient de déposer un amendement qui ressemble fort au mien.
M. le rapporteur propose, comme moi, de faire cesser le monopole légal accordé au marché d’Aubel ; d’après l’amendement de M. le rapporteur, le gouvernement ne serait plus lié, il pourrait désigné d’autre bureaux que ceux qui se trouvent à proximité d’Aubel ; il pourrait en désigner à proximité de Berneau.
La seule différence qu’il y ait entre l’amendement de M. le rapporteur et le mien, c’est que M. le rapporteur, tout en faisant disparaître le monopole de la loi, permet au gouvernement de le laisser substituer en fait, tandis que moi je le fais disparaître en fait comme en droit. Le gouvernement était lié pour le monopole. M. le rapporteur veut le rendre entièrement libre, moi je veux le lier pour la concurrence.
Je pense avoir démontré que la concurrence entre les marchés d’Aubel et de Berneau est une chose fort désirable et j’engage MM. les ministres à ne pas s’opposer à ma proposition, bien qu’elle limite quelque peu leurs pouvoirs.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, l’honorable préopinant est convenu lui-même que l’amendement de l’honorable M. Lys est conçu dans le même esprit que le sien. J’ajouterai que le gouvernement a l’intention de donner à la loi une exécution conforme à l’amendement de l’honorable M. Delfosse ; nous préférons l’amendement de l’honorable M. Lys, parce qu’il donne plus de latitude pour réprimer les abus, s’il venait à s’en commettre. Si, après avoir ouvert un bureau dans les environs de Berneau, comme le demande l’honorable M. Delfosse, le gouvernement apprenait que les grains importés par ce bureau prennent une autre destination que celle qu’on veut leur donner par la loi, son devoir serait de le supprimer ou de le transférer ailleurs.
J’espère qu’après ces explications, l’honorable M. Delfosse n’insistera pas sur son amendement dont le but est rempli, pour autant que son exécution ultérieure ne donne pas lieu à des abus ou à une application différente de celle que nous avons tous en vue, et j’engage l’honorable membre à se rallier à l’amendement de l’honorable M. Lys.
M. Delfosse – Je prends acte de la promesse que M. le ministre des finances vient de faire. Il résulte de cette promesse que le gouvernement désignera, pour l’entrée des grains, un ou plusieurs bureaux, situés à proximité du marché de Berneau. C’est tout ce que je voulais ; je reconnais, du reste, avec M. le ministre des finances, que si cette mesure donnait lieu à des abus, il faudrait aviser à les faire cesser.
- La clôture est demandée par plus de dix membres.
Plusieurs membres demandent la parole contre la clôture.
M. Lys, rapporteur – Il me semble, messieurs, que vous devriez entendre le rapporteur de la section centrale. On a fait valoir des arguments auxquels je dois répondre. Je ne tiens pas ordinairement l’assemblée bien longtemps ; je m’expliquerai en peu de mots.
M. de Garcia – J’ai aussi des arguments à rencontrer ; je pourrai même demander la parole pour un fait personnel.
D’ailleurs, la question est assez grave pour qu’on remettre la suite de la discussion à lundi, et dès lors je m’oppose à la clôture.
M. de Tornaco – Je désirerais que la discussion continuât. Je ne tiendrai d’ailleurs pas longtemps les moments de la chambre ; je n’ai qu’une simple demande à faire à M. le ministre des finances pour obtenir plus de garanties encore pour l’amendement de l’honorable M. Delfosse.
M. Cogels – Je ne m’oppose pas à la clôture ; mais si elle n’est pas prononcée, je réclamerai mon tour de parole.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. le président – Quant au principe de l’art. 2, il n’y a qu’un seul amendement, c’est celui de l’honorable M. Lys.
Les autres amendements supposent l’adoption du principe ou le modifient en ce qui concerne le délai.
(page 191) Si aucun autre mode n’est proposé, je vais mettre d’abord aux voix la nouvelle rédaction du principe que propose l’honorable M. Lys.
- Le 1er paragraphe de l’amendement de M. Lys est mis aux voix et adopté.
M. le président – Vient maintenant le délai.
Deux amendements ont été présentés, l’un par M. Osy et l’autre par M. Cogels. Le premier propose de limiter la durée de l’art. 2 à un an, et le second de limiter cette durée à deux ans.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je demande la parole sur la position de la question.
J’en demande pardon à l’honorable président, ce n’est pas précisément un terme indéfini que le gouvernement demande. La disposition est subordonnée à la disposition nouvelle que j’ai proposée, et qui décide qu’elle cessera ses effets le jour où l’article additionnel au règlement du 2 mai 1843, sur la Meuse, sera sans objet.
Pour abréger, je ne m’occuperai que des amendements. Il y en a trois : l’un qui fixe la durée de la disposition à un an ; l’autre qui fixe cette durée à deux ans, et un troisième, qui est le § 2 de l’amendement de l’honorable M. Lys, paragraphe qui concerne aussi la durée et qui porte que le gouvernement est autorisé à suspendre en tout ou en partie, si les intérêts du pays l’exigent, la disposition qui précède.
Commencera-t-on par mettre aux voix l’amendement de l’honorable M. Osy, ou celui de l’honorable M. Cogels, ou celui de l’honorable M. Lys ? Je crois qu’il faut commencer par l’amendement de l’honorable M. Lys, parce que c’est le chiffre le plus élevé.
M. Dumortier – Il ne s’agit pas ici de chiffre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je dis que c’est le chiffre le plus élevé, d’après une expression consacrée dans nos débats.
Si vous ne suivez pas cette marche, on pourra se trouver embarrassé. Ainsi, quant à moi, je voterai pour l’amendement de l’honorable M. Lys ; s’il est rejeté, je voterai pour celui de l’honorable M. Cogels. Si, au contraire, on commence par l’amendement de l’honorable M. Osy, je voterai contre ; mais arrivé à l’amendement de l’honorable M. Cogels, je me trouverai dans l’embarras. On éviterait cet embarras à chacun de nous en commençant par la proposition de l’honorable M. Lys.
Un membre – Ce n’est pas possible.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Pourquoi cela ? on a procédé ainsi dans un grand nombre de cas. C’est par la disposition la plus large qu’il faut commencer.
M. Osy – D’après tout ce qui a été dit dans la discussion, je me rallier à l’amendement de M. Cogels. Cela simplifiera la discussion mais toutes les réserves que j’ai faites s’appliquent aussi à l’amendement auquel je me rallier.
M. Cogels – D’après la déclaration que vient de faire l’honorable M. Osy, il n’y a dans le fait qu’un seul amendement. Car la disposition de l’honorable M. Lys, ou pour mieux dire la seconde partie de la disposition qu’il a présentée, ne peut être considérée comme un amendement. Cette disposition est conciliable avec mon amendement comme elle le serait avec le terme indéfini. J’accorde très-volontiers au gouvernement la faculté de suspendre les effets de la loi, même pendant les deux années de durée que nous lui donnerons, s’il le juge utile aux intérêts du pays. Mais je ne peux laisser au gouvernement la faculté d’être seul juge de la question de savoir si la loi doit avoir une durée indéfinie. Voilà comment mon amendement se concilie très-bien avec la deuxième partie de la disposition de l’honorable M. Lys, à laquelle je me rallie.
M. Dumortier – Je ne pense pas, messieurs, que nous puissions admettre la manière de procéder proposée par M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l'intérieur demande que l’on mettre d’abord aux voix l’amendement de l’honorable M. Lys, attendu que c’est le chiffre le plus élevé ; mais il n’y a pas ici une question de chiffre, il y a une question de délai.
Remarquez bien, messieurs, que les précédents de la chambre et le règlement lui-même nous ordonnent de mettre d’abord aux voix les amendements qui s’écartent le plus de la proposition principale. Or, quel est l’amendement qui s’écarte le plus de la proposition principale ? Manifestement c’est l’amendement de MM. Cogels et Osy ; c’est donc lui qui doit être le premier aux voix.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je vois que l’on donne maintenant un sens tout autre à la disposition présentée par l’honorable M. Osy. La proposition de l’honorable M. Osy, dans l’esprit de son auteur, était exclusive de la fixation de terme. C’est aussi ce que j’ai supposé.
Maintenant cette disposition reçoit un tout autre caractère. Elle s’applique même au terme de deux ans. Je dis que c’est donner à cette disposition un sens tout à fait différent de celui qu’on a voulu lui donner ; c’est lui ôter toute sa portée.
M. de Brouckere – Je croyais que l’honorable M. Cogels avait exposé l’état des choses d’une manière si nette qu’il était impossible de ne pas céder à son argumentation.
M. le ministre de l'intérieur nous dit qu’il n’entrait pas dans l’intention de l’honorable M. Lys de mettre un terme à la faculté qu’il voulait accorder au gouvernement. Mais c’est précisément par ce motif qu’il faut d’abord mettre aux voix l’amendement de l’honorable M. Cogels, parce qu’il va plus loin que la proposition de l’honorable M. Lys, qu’il est en quelque sorte un sous-amendement à cette proposition, qu’il modifie le projet de loi plus fortement.
Il est donc impossible, sans manquer à toute espèce de logique, de ne pas commencer par mettre aux voix l’amendement de l’honorable M. Cogels pour en venir ensuite à celui de l’on M. Lys.
- La chambre, consultée, décide qu’elle accorde la priorité à l’amendement de M. Cogels.
M. le président – Je mets aux voix l’amendement de MM. Cogels et Osy.
Plusieurs membres – L’appel nominal.
- L’amendement de MM. Osy et Cogels est mis aux voix par appel nominal.
63 membres prennent part au vote.
33 répondent oui.
32 répondent non.
En conséquence, l’amendement est adopté.
Ont répondu oui : MM. Castiau, Cogels, Coghen, de Baillet, de Brouckere, de Chimay, Dedecker, de Garcia, de La Coste, de Man d’Attenrode, de Meester, de Mérode, de Naeyer, de Roo,de Sécus, de Theux, de Tornaco, Devaux, Dumont, Dumortier, Fallon, Lange, Lebeau, Osy, Pirmez, Sigart, Simons, Thyrion, Troye, Vanden Eynde, Verhaegen, Verwilghen et Vilain XIIII.
Ont répondu non : MM. d’Anethan, David, Dechamps, de Florisone, Delfosse, d’Elhoungne, de Meer de Moorsel, de Renesse, de Terbecq, Dubus (aîné), Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Jadot, Kervyn, Lesoinne, Liedts, Lys, Maertens, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Pirson, Rodenbach, Savart, Smits, Van Cutsem, Van Volxem, Wallaert et Zoude.
Les deux derniers paragraphes de l’amendement de M. Lys sont mis aux voix et adoptés.
La disposition additionnelle, proposée par M. le ministre de l’intérieur, et conçue en ces termes : « Il sera constaté que les céréales à importer sont originaires du duché du Limbourg » est mise aux voix et adoptée.
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le troisième jour après sa promulgation. »
- Adopté.
La chambre met le second vote de la loi à l’ordre du jour de mardi prochain.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, la loi du 3 février 1843 dispose qu’il sera procédé dans un terme de dix ans à l’aliénation des biens domaniaux jusqu’à concurrence d’une somme de dix millions. J’ai l’honneur de déposer un projet de loi tendant à donner un commencement d’exécution à la loi que je viens de rappeler.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je suis également chargé de déposer un second projet de loi, ayant pour objet l’acquisition de quelques parcelles à ajouter au domaine de Tervueren.
- Ces deux projets seront imprimés et distribués ; la chambre les renvoie à l’examen des sections.
M. le président – Il s’agit de fixer l’ordre du jour de lundi.
M. Rodenbach – Je demande que lundi il n’y ait pas de séance pour permettre aux membres de la chambre d’étudier le budget des voies et moyens qui est à l’ordre du jour de mardi.
Des membres – L’appel nominal sur cette proposition.
- Il est procédé à l’appel nominal.
La chambre décide, par 40 voix contre 9, qu’il y aura lundi séance publique, et elle fixe cette séance à deux heures.
M. le président – Nous aurons à l’ordre du jour de lundi les pétitions et les naturalisations.
M. Dumortier – Le droit de pétition devient nul. Le règlement stipule que nous devons consacrer au moins un jour par semaine aux pétitions et nous ne le faisons pas.
M. le président – Elles sont en première ligne à l’ordre du jour de lundi.
- La séance est levée à trois heures et demie.