(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 151) (Présidence de M. Liedts)
M. de Man d’Attenrode procède à l’appel nominal à une heure et un quart ; il lit ensuite le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, j’ai déjà eu l’honneur d’exposer à la chambre que les opérations financières qui ont eu lieu à la suite de la loi du 21 mars 1844 ont amené pour résultat, 1° de réduire le capital de la dette nationale d’une somme de 84,656,000 de fr. ; 2° d’apporter une réduction d’un million dans la rente, et 3° de réaliser un bénéfice d’un million sur l’émission de l’emprunt.
Messieurs, cette dernière opération doit donner lieu à un décompte qui nécessite la demande de quelques crédits supplémentaires : c’est le résultat de ce décompte qui donne le bénéfice net d’un million.
J’ai l’honneur de déposer un projet de loi que le Roi m’a chargé de présenter à la chambre, et qui a pour objet d’allouer les crédits supplémentaires dont il s’agit.
- Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé et distribué.
Sur la proposition de M. le ministre des finances, la chambre le renvoie à la section centrale qui a été chargée de l’examen du budget de la dette publique.
M. Mast de Vries – Messieurs, la commission de comptabilité a été chargée d’examiner une demande de crédit de 65,000 fr. au budget de la chambre pour l’année 1844. Cette augmentation est nécessitée : 1° par la longue durée de la dernière session et 2e par les dépenses des nombreuses impressions qui ont eu lieu. En conséquence, la commission de comptabilité a l’honneur de vous proposer le projet de loi suivant :
« Il est ouvert à l’article unique du chap. IlI, titre II, du budget de la dette publique et des dotations de l’exercice de 1844, un crédit supplémentaire de soixante-cinq mille francs (fr. 65,000), destiné à couvrir les dépenses de la chambre des représentants pendant ledit exercice.
« Mandons, etc. »
- Le rapport sera imprimé et distribué.
M. Mast de Vries, rapporteur – Je propose à la chambre de mettre à l’ordre du jour de lundi le budget de la chambre, ainsi que le projet de loi du crédit supplémentaire.
- Cette proposition est adoptée.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, j’ai promis à la chambre de lui fournir des renseignements sur les réclamations des légionnaires de l’empire, et de lui donner la liste de ces légionnaires, afin que la chambre pût voir, à part la question de droit, quel serait, en fait, le sacrifice imposé au trésor public. Je dépose ces renseignements sur le bureau, et je pense qu’il entre dans les intentions de la chambre de les faire imprimer.
- La commission ordonne l’impression de ces pièces.
M. Fallon – Messieurs, nous avons à regretter la perte récente d’un de nos honorables collègues, M. de Nef. Cet honorable membre faisait partie de la commission qui est chargée de l’examen du projet de loi relatif à la circonscription cantonale. Je demande qu’on veuille bien pourvoir à son remplacement.
- La chambre décide que la commission sera complétée par le bureau.
L’article unique du projet de loi est ainsi conçu :
« Indépendamment des crédits alloués par les lois du 30 décembre 1843, 18 février, 29 mai et 30 juin 1844, il est ouvert au ministère de la guerre, un crédit complémentaire de quatre millions cent trente mille francs, portant les dépenses de l’exercice courant à la somme de vingt-huit millions cent trente mille francs. »
« La présente loi sera obligation le lendemain de sa promulgation. »
M. le président – La discussion est ouverte.
M. Osy – L’année dernière, la commission des finances a eu à examiner plusieurs demandes d’indemnités pour le siège d’Anvers et qui concernent des communes environnant la citadelle. Je demanderai à M. le ministre de la guerre, s’il ne pourra pas bientôt nous présenter un projet de loi, ayant pour objet de satisfaire à ces réclamations qui existent depuis plusieurs années.
M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – Messieurs, dans une demande de crédit supplémentaire qui sera présentée par M. le ministre des finances, se trouvent comprises toutes les questions du genre de celle dont vient de parler l’honorable M. Osy et qui n’ont pu être résolues jusqu’à présent. Je ne sais si les réclamations de l’honorable préopinant sont comprises dans le projet, mais je me suis occupé de la question.
- Personne ne demandant plus la parole, la discussion est close.
Il est procédé à l’appel nominal pour le vote de l’article unique du projet de loi.
Le projet est adopté à l’unanimité des 55 membres qui ont pris part au vote. Il sera transmis au sénat.
Ont pris part au vote : MM. Fallon, Fleussu, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Lesoinne, Liedts, Lys, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Savart-Martel, Sigart, Simons, Thyrion, Van Cutsem, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Brabant, Castiau, Cogels, Coppieters, d’Anethan, de Baillet, de Chimay, de Corswarem, de Florisone, de Foere, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, Deprey, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Terbecq, de Tornaco, de Villegas, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dubus (aîné), Duvivier.
(page 152) M. le président – Le projet du gouvernement consiste en un article unique ainsi conçu :
« Le traitement du président de la cour des comptes est porté de trois mille florins à neuf mille francs, et celui des conseillers et du greffier est porté de deux mille cinq cent florins à sept mille francs. »
La section centrale propose d’amender ce projet de la manière suivante :
« Art. 1er. Le traitement du président de la cour des comptes est porté à huit mille francs ; celui des conseillers et du greffier à six mille francs. »
« Art. 2. Il est interdit, sous peine d’être réputé démissionnaire, à tout membre de la cour des comptes d’exercer soit par soi-même, soit sous le nom de son épouse, ou par toute autre personne interposée, aucune espèce de commerce, d’être agent d’affaires, ou de participer à la direction ou à l’administration de toute société ou établissement industriel. »
M. le ministre des finances (M. Mercier) – M. le président, le gouvernement ne se rallie pas aux amendements de la section centrale.
Messieurs, vous connaissez toute l’étendue des attributions de la cour des comptes, vous savez que les fonctions des membres de ce corps sont à la fois judiciaires et administratives ; en même temps qu’il rend des arrêts, il exerce un contrôle sur toutes les dépenses de l’Etat ; les recettes sont soumises à sa vérification et aucune dépense ne se fait que moyennant son visa préalable. L’importance de ses fonctions assigne dans l’ordre des pouvoirs un rang élevé à la cour des comptes. Cette importance a été reconnue par une loi du 16 septembre 1807, qui attribué à la cour des comptes les mêmes prérogatives qu’à la cour de cassation et lui donne, dans les cérémonies publiques, le rang qui suit immédiatement celui qui est déféré à cette cour.
Cependant le gouvernement ne vous a pas demandé d’accorder aux membres de la cour des comptes le même traitement qu’à ceux de la cour de cassation. Guidé par des motifs d’économe, il n’a demandé de fixer leur traitement qu’à 7 mille francs. Si même on prenait un terme intermédiaire entre le traitement alloué aux membres de la cour de cassation et celui alloué aux membres de la cour d’appel, le traitement des conseillers de la cour des comptes devrait être porté à 7,500 fr. Toutefois, le gouvernement maintient ses premières propositions qui tendent à porter le traitement des conseillers à 7 mille francs et celui du président à 9 mille francs.
Ce n’est pas aujourd’hui que la nécessité, la convenance, surtout, d’augmenter le traitement des membres de la cour des comptes a été reconnue dans cette enceinte.
Déjà en 1835 un honorable membre, prenant l’initiative, a proposé de fixer à 7 mille francs le traitement des conseillers et à 9 mille francs celui du président. En 1838, un de mes honorables prédécesseurs avait déjà soumis aux chambres une proposition tendant à accorder les traitements que je viens d’indiquer aux membres de cette cour. Une commission qui a été composée, il y a quelques années, au département des finances, de membres des deux chambres, avait proposé de fixer le traitement des conseillers de la cour des comptes à 7,500 francs et celui du président à 9 mille francs.
En présence de tous ces précédents et de l’importance bien connue des attributions de la cour, je me plais à espérer que les propositions du gouvernement ne rencontrerons pas d’opposition.
Il me reste à parler de l’art. 2 proposé par la section centrale.
Cet article est ainsi conçu :
« « Art. 2. Il est interdit, sous peine d’être réputé démissionnaire, à tout membre de la cour des comptes d’exercer soit par soi-même, soit sous le nom de son épouse, ou par toute autre personne interposée, aucune espèce de commerce, d’être agent d’affaires, ou de participer à la direction ou à l’administration de toute société ou établissement industriel. »
Je crois, messieurs, que le moment n’est pas opportun pour examiner cette question. Vous êtes saisi d’une loi d’organisation de la cour des comptes. Cette loi comprend un article relatif aux incompatibilités et au cumul. Il est donc préférable, pour discuter la question que soulève l’art. 2 de la section centrale, d’attendre le moment, sans doute très prochain, où le projet sur l’organisation de la cour des comptes présenté à la dernière session pourra être discuté. Je pense qu’il est inutile de se prononcer maintenant sur cet article, et qu’il faut attendre le moment que je viens d’indiquer.
M. Delehaye – Est-ce un ajournement indéfini ?
M. le ministre des finances (M. Mercier) – J’ai dit que ce serait jusqu’au moment très-prochain où la chambre s’occupera du rapport sur le projet d’organisation de la cour des comptes.
M. de Man d’Attenrode – Messieurs, quand la section centrale fut chargée de s’occuper du rapport sur le projet de loi présenté par le gouvernement, relatif aux traitements de la cour des comptes, le gouvernement n’avait pas encore déposé le projet de révision du décret du 30 décembre 1830 relatif à l’organisation de cette cour ; il était dès lors tout simple, que la section centrale, chargée du rapport sur le projet des traitements, y annexât un article tendant à étendre les exclusions déjà établies par le décret du 30 décembre, si elle le jugeait nécessaire.
Mais à présent qu’un projet d’organisation définitive de la cour des comptes a été présenté, il me semble qu’il y a lieu d’ajourner la discussion de l’article propos par la section centrale, et de le renvoyer à la discussion du projet d’organisation définitive ; en effet, cet article nouveau concernant des exclusions se rattacherait beaucoup mieux au projet d’organisation, qui comprend d’autres exclusions.
De plus, je ferai remarquer que la section centrale, chargée d’examiner le projet d’organisation définitive, a adopté et compris, dans le projet qu’elle propose, l’art. 2 du projet en discussion aujourd’hui ; j’appuie, d’ailleurs, les paroles que M. le ministre des finances vient de prononcer.
Pour apprécier convenablement quels doivent être les traitements des membres de la cour des comptes, il est nécessaire de rappeler nos souvenirs sur le rang qu’elle a toujours occupé, et sur la nature et l’importance de ses travaux.
Avant la révolution française, la chambre des comptes de notre pays, appelé alors Pays-Bas autrichiens, avait sa place marquée dans les solennités religieuses, immédiatement après celle qu’occupait le conseil des finances ; en face du côté de l’épître, étaient placés le conseil privé et le conseil de Brabant.
Quant à présent, c’est la loi du 16 septembre 1807 qui règle le rang de la cour des comptes. D’après l’art. 7, elle prend rang immédiatement après la cour de cassation.
Voici ce que disait le rapporteur de cette loi en la présentant au tribunal :
« Cette considération dont il l’environne (il entendait parler de l’empereur Napoléon), cette honorable assimilation qu’il lui donne pour le rang et les prérogatives avec sa cour suprême de justice, convient éminemment à un établissement unique qui, impassible et pur comme la loi dont il sera l’organe, sera juge de la fortune publique, de celle de tous les comptables qui, dispensant l’honneur et le blâme, rendra prompte et éclatante justice à qui il appartiendra, mais sera le surveillant et l’ennemi-né et perpétuellement actif de toutes espèces d’erreurs, de fraudes et de dilapidations. »
Dans les temps anciens, les attributions des chambres des comptes furent loin d’être aussi nombreuses qu’elles le sont depuis le système moderne de la centralisation.
Sous le gouvernement des Pays-Bas, le système en vigueur était de dérober les opérations financières aux regards, aux investigations du pays, parce que ces opérations étant contraires à ses intérêts, et il était parvenu à en faire quelque chose d’indéchiffrable ; sous un régime d’une nature pareille, le rôle d’une chambre des comptes était peu difficile ; ses travaux ne devaient pas être accablants ; le pays avait peu de choses à en attendre.
Depuis 1830, la mission de la cour des comptes a été modifiée entièrement ; on a voulu lui confier un contrôle sérieux ; ses attributions se sont étendues ; son travail s’est accru du mouvement immense et progressif qui a été donné aux travaux qui tendent à améliorer la situation du pays, et depuis 1830, son personnel a été diminué, ses traitements ont subi des réductions.
L’ordre judiciaire, dont on vient de vous plaider si vivement la cause, a cependant mieux été traité en 1832, que ne le fut la cour des comptes à la fin de 1830 ; les traitement du gouvernement des Pays-Bas lui furent maintenus, et la cour des comptes chargée d’attributions plus compliquées, fut réduite, quant à son personnel et quant à ses traitements.
Vous me permettrez, messieurs, de fixer un instant votre attention sur ce qui fait l’objet des travaux de la cour des comptes.
Quand on songe que toutes les opérations financières de l’Etat viennent aboutir à la cour avec les pièces justificatives à l’appui, que presque tous les actes du gouvernement se résument en recettes ou en dépenses ; quand on songe que les opérations doivent y être vérifiées somme par somme, article par article ; quand on songe qu’il ne s’opère pas une recette, par une dépense dans le royaume qui ne doive passer sous les yeux de la cour chargée d’en apprécier la légalité, l’on concevra facilement quels sont les détails immenses et les pièces innombrables sur lesquels elle est appelée à se prononcer et combien ses travaux réclament de zèle, d’activité et d’intelligence !
Voici un petit résumé de ces détails :
Ses opérations, quant à la vérification de la recette, commence à partir du prélèvement de l’impôt sur le contribuable et des virements qui s’en opèrent de caisse en caisse dans tous les rameux de la comptabilité jusqu’à ce qu’il fasse retour à la circulation en acquit des dépenses publiques.
Quant à la dépense, elle commence à partir de l’humble taxe pour déposition de témoins, qui se justifie taxe par taxe ; de la solde du soldat qui se vérifie quatre fois l’an dans les feuilles de revue, soldat par soldat et jour par jour ; du traitement de tous les employés, fonctionnaires et magistrats, qui se renouvelle et se justifie de mois en mois, de trimestre en trimestre, une première fois à la liquidation préalable, une seconde fois après le payement réel accompli ; des pensions civiles et militaires, qui donnent lieu à la même et double vérification ; des intérêts de cautionnement et de la dette publique, du salaire des ouvriers travaillant en régie au chemin de fer, aux routes, rivières et canaux ; du salaire des détenus travaillant dans les ateliers des prisons, des remises et non-valeurs sur les contributions, jusqu’aux dépenses les plus importantes des travaux publics et de toutes les administrations générales.
Ajoutons encore le contrôle des budgets, les livres d’imputation à tenir à cet effet, les mandats à liquider journellement, le contrôle des budgets des provinces, la liquidation des dépenses provinciales ; les livres d’imputation de ce service, la comptabilité et les comptes des hôpitaux et des boulangeries militaires, des prisons où des ateliers sont montés ; les livres de la dette publique, l’enregistrement, le visa et la signature des obligations d’emprunt, plus de 2 millions de titres ont été, depuis 1831, soumis à cette formalité ; les transferts au livre de la dette inscrits ; les conversions d’emprunts, la vérification des coupons d’intérêts échéant tous les semestres, la vérification et la comptabilité des titres amortis ; l’enregistrement et le visa des titres de cautionnements ; l’enregistrement, le visa et le contrôle des (page 153) bons du trésor ; la comptabilité et la tenue des livres de ces divers services ; la vérification des remboursements ; la vérification des comptes de consignation, du payement des intérêts, du remboursement des capitaux ; la vérification de la comptabilité de la recette et du remboursement du fonds des tiers ; l’apurement des comptes des comptables ordinaires et extraordinaires ; la vérification du compte général de l’Etat ; les observations à soumettre de ce chef à la chambre des représentants ; enfin, la correspondance journalière avec tous les ministres, les administrations générales, les gouverneurs, les députations des conseils provinciaux, ainsi qu’avec les comptables et dépositaires des deniers publics ; et, par-dessus tout, le maintien ou l’introduction des bonnes règles de l’unité financière, chose la plus importante et la plus difficile à obtenir : tels sont en substance, les travaux annuels de la cour des comptes, qui n’a pas encore reçu jusqu’ici tous les développement de ses attributions.
J’ai dit plus haut que le personnel de la cour des comptes avait été réduit ; en effet, d’après la loi du 21 juin 1820, elle se composait de seize membres, le président compris. La cour des comptes, telle qu’elle a été organisée en 1830, ne compte plus que 7 membres, y compris le président. Cependant la Belgique constituée forme plus que la moitié du royaume des Pays-Bas, et les traitements ont été réduits de 4,000 fl. à 2,500 fl., ce qui fait une réduction de 1,500 florins.
Je ne vous entretiendrai pas longuement de la position des membres de la chambre des comptes avant la révolution française.
Le président jouissait alors d’un traitement de 8,000 fl., et les conseillers d’un traitement de 3,000 fl.
Ils jouissaient, en outre, de grands avantages ; tel que : exemption des impôts de consommation, exemption du droit de barrières, émoluments s’élevant à environ 500 fl., et honoraires extraordinaires pour l’audition des comptes provinciaux et communaux.
Tout cela est réduit, pour le moment, à un traitement de 2,500 fl. pour les conseillers et pour le greffier, et la valeur de l’argent est diminuée considérablement.
J’ajouterai qu’à cette époque le greffier jouissait d’émoluments considérables. Le greffier de la cour des comptes en France, jouit encore de ces avantages, avec un traitement de 15,000 fr.
Le greffier de la cour belge, malgré un travail immense, ne jouit d’aucun émolument, tandis que les greffiers des autres corps jouissent de cet avantage.
Je citerai le greffier du conseil des mines qui jouit de 6,000 francs de traitement et de 2,000 francs d’émoluments environ, et cela pour un travail peu considérable relativement à celui du greffier de la cour des comptes.
L’honorable M. Fallon dit que c’est une erreur, que le traitement du greffier du conseil des mines n’est que de 5,000 francs ; eh bien, alors, il lui restera encore un traitement de 7,000 fr., en y comprenant les émoluments ; maintenant, cet honorable membre assure que les émoluments sont loin de s’élever à 2,000 fr. ; eh bien, soit ; mais on ne contestera pas que le travail de greffier de la cour des comptes est définitivement plus considérable.
Le greffier de la cour belge a d’abord 2 heures à consacrer chaque jour, rien qu’à la signature des actes de la cour, et il est le pivot sur lequel se meut cette grande institution. Lorsqu’il s’agit d’un emprunt tel que le dernier, celui relatif à la conversion de la rente, croirait-on qu’une opération de ce genre lui prend 80 jours de signature ? Eh bien, je suppose qu’il emploie 5 heures par jour à ce fastidieux travail ; notez que ceci est d’une exactitude mathématique ; le dernier emprunt se constitue de 200,000 titres ; je suppose qu’il soit possible d’en signer 500 par heures, et qu’il y consacre 5 heures par jour, en déduisant les jours fériés, cette signature exige trois mois. Si l’on remarque, ensuite, que le greffier n’a pas l’appui d’un commis-greffier, qu’il lui est en quelque sorte impossible de prendre des vacances, peut-être pourra-t-on se faire une idée des travaux auxquels astreint cette position.
Messieurs, la loi assigne à la cour des comptes un rang immédiat après la cour de cassation.
La position de ses membres est précaire, puisqu’elle est mise en question tous les six ans.
Ils n’ont aucune chance d’avancement, aucune chance d’obtenir une position supérieure.
Cette position les exclut du corps législatif ; cette position exige un dévouement complet à des devoirs pénibles, assidus ; elle leur interdit de remplir aucun emploi, auquel est attaché un traitement ou une indemnité sur les fonds du trésor, ou d’être directement ou indirectement intéressés ou employés par une entreprise sujette à comptabilité envers l’Etat ; on veut plus encore ; on veut renchérir sur ces garanties, on veut les empêcher d’intervenir dans des sociétés ou des établissements industriels. L’intérêt de nos finances exige encore que la cour des comptes ne se recrute que d’hommes capables, indépendants ; vous avez voté un traitement de 6,000 fr. aux conseillers des cours d’appel ; les traitements des conseillers de la cour de cassation ont été maintenus à 9,000 fr. ; vous jugerez, j’en suis convaincu, qu’un traitement de 7,000 fr. n’est pas trop élevé pour les conseillers de la cour des comptes. C’est le chiffre qu’avait proposé mon honorable ami M. Dumortier en 1835, dans son projet d’organisation définitive de la cour des comptes ; c’est le chiffre qui a été adopté par la section centrale chargée d’examiner le projet du gouvernement déposé l’année dernière concernant cette même organisation. Fixer le traitement des conseillers à 7,000 fr., c’est le fixer à un chiffre inférieur à ce qu’il était avant 1830 ; c’est le fixer à un taux inférieur de plus de moitié à celui des conseillers de la cour de Paris, qui ont 15,000 fr. de traitement.
J’appuierai aussi le traitement de 9,000 fr. pour le président ; il est convenable que le président ait 2,000 fr. de plus que les conseillers ; l’avantage dont il jouit du chef d’un logement, ne doit pas, ce me semble, lui faire donner un traitement inférieur à sa position ; inférieur au traitement d’un conseiller en cassation ou d’un président de cours d’appel.
Ce logement n’est qu’un avantage tout extraordinaire, et qui ne fait que compenser les immenses avantages dont il jouissait autrefois. Veuillez vous rappeler que le président de la cour des comptes à Paris jouit d’un traitement de 30,000 fr. 9,000 fr. sont certainement d’un traitement modeste, eu égard à cette haute position.
Messieurs, veuillez m’accorder encore un instant votre attention. Vous vous étonnerez peut-être du zèle avec lequel je viens ici me poser en défenseur de la cour des comptes. Je tiens à vous en dire les motifs.
Toujours, messieurs, j’ai éprouvé un penchant prononcé à soutenir ceux qui jouissent de peu d’appui.
Cette institution, dans l’intérêt si délicat de nos finances, tient de la loi une position en quelque sorte isolée ; elle a le désavantage de n’avoir, en dehors de la compagnie qui la constitue, aucune ramification hiérarchique ; elle a le désavantage d’avoir des devoirs à remplir, qui indisposent ceux qui ont le monopole des faveurs ; elle n’a qu’un avantage, sans doute très-grand à mes yeux : c’est de pouvoir se dire qu’elle rend et qu’elle est appelée à rendre d’immenses services au pays ; mais cet avantage est trop souvent stérile, et je ne veux pas qu’un pays comme le nôtre, célèbre par sa loyauté, méconnaisse les services qu’on lui rend.
A qui donc, si ce n’est à nous, incombait le devoir de soutenir un corps, sans le concours duquel notre prérogative si précieuse de voter les recettes et les dépenses, se résume en un blanc seing, en un vote de confiance illimitée, accordé aux ministres.
Entraîné, je ne sais comment, par un sentiment irrésistible, je me suis laissé aller à l’étude aride et pénible de notre système de comptabilité financière. Ces études m’ont rapproché naturellement de la cour des comptes ; j’y ai trouvé du zèle, du désintéressement, des connaissances profondes ; j’ai appris à apprécier les services que ce corps est appelé à nous rendre ; j’ai pensé que je lui devais l’appui de ma faible voix ; j’ai pensé qu’en soutenant la cour des comptes, je soutenais les intérêts des contribuables. J’espère que mes paroles rencontreront quelque écho dans cette enceinte
- M. Vilain XIIII remplace M. Liedts au fauteuil.
M. Rodenbach – L’honorable préopinant et M. le ministre des finances ont proposé l’ajournement de l’art. 2. J’appuie également cet ajournement, mais il me semble qu’on devrait renvoyer cet article 2 à la section centrale qui a été chargée d’examiner la loi d’organisation de la cour des comptes.
M. de Man d’Attenrode – C’est ce que nous proposons.
M. Rodenbach – Il me semble qu’on n’a proposé que l’ajournement. Je demande le renvoi à la section centrale qui a été chargée de l’examen de la loi d’organisation de la cour des comptes. Cela est plus rationnel.
M. le président – Le rapport de la section centrale est déjà déposé depuis l’année dernière, et cet article figure textuellement dans le projet de loi qu’elle a présenté.
M. Osy – Ayant fait partie de la section centrale et de la minorité quant aux chiffres qu’elle propose, je dois dire quelques mots pour appuyer la proposition du gouvernement. Par la loi que nous avons discutée hier, nous avons augmenté le traitement des membres de la cour d’appel ; et, comme la cour des comptes occupe un rang intermédiaire entre la cour de cassation et les cours d’appel, nous devons augmenter le traitement des conseillers, du président et du greffier de cette cour. Quand nous voyons le travail dont sont chargés les membres de la cour des comptes, l’ordre qui y règne, la facilité avec laquelle nous obtenons les renseignements les plus exacts, je pense que nous ne pouvons pas trouver trop élevés les chiffres proposés par le gouvernement. Je voterai pour leur adoption
Quant à l’art. 2, je ne vois pas d’inconvénient à le renvoyer à la loi générale d’organisation de la cour des comptes, sur laquelle l’honorable M. de Man d’Attenrode a fait un rapport et où la disposition de l’art. 2 se trouve reproduite dans les mêmes termes.
- La discussion générale est close.
M. le président donne une nouvelle lecture de l’article unique du projet du gouvernement et de l’art. 1er du projet de la section centrale.
M. Delfosse – Je demanderai à l’honorable rapporteur s’il n’a rien à dire pour défendre le projet de la section centrale. Elle a probablement eu quelques raisons pour réduire les chiffres du gouvernement ; il me semble qu’elle devrait nous les communiquer.
M. Delehaye, rapporteur – La section centrale ne peut pas dire autre chose que ce qu’elle a dit dans son rapport. Après l’augmentation qui a été accordée aux membres des cours d’appel, il me semble qu’il y aurait eu contradiction à ne pas accorder une augmentation aux membres de la cour des comptes qui nous rendent des services très-signalés. Quoiqu’en principe j’ai été porté à ne proposer que 6 mille francs par suite des arguments qu’on a fait valoir, je ne suis pas éloigné de porter ce chiffre à 7 mille francs. Cependant je ne trouve pas la même raison pour augmenter le traitement du président ; car il a, indépendamment du traitement pécuniaire, l’avantage d’être logé aux frais de l’Etat. Ce logement doit avoir une certaine valeur. Un président dans la position de celui de la cour des comptes doit dépenser deux mille francs au moins pour bien se loger ; il a de plus d’autres avantages assez considérables qui sont attachés à l’habitation ; le chauffage et l’éclairage. Par ces motifs, je serai assez disposé, pour ma part, (page 154) à ne pas augmenter le traitement du président de la cour des comptes au-delà de 8,000 fr.
Chacun de vous, messieurs, a pu apprécier les services que la cour des comptes rend au pays et à ses représentants, en leur facilitant leurs recherches et leurs études. C’est à la persistance de la cour à signaler tous les abus, que nous devons l’extirpation d’un grand nombre de ceux qui ont tant fait crier. Il n’est pas de fait un peu grave dénoncé à la chambre qui n’ait été signalé par la cour des comptes. Toutes les fois que des empiétements ont été tentés, ils ont rencontré la cour des comptes, qui jamais n’a reculé devant son devoir. C’est ainsi que des payements ayant eu lieu, que la cour des comptes regardait comme illégalement faits, ils ont été signalés par elle à la chambre. Sans sa vigilance, tous ces faits seraient peut-être passés inaperçus. Eu égard à ces considérations, non comme rapporteur (car je n’ai aucune mission pour cela), mais comme membre de la chambre, je serai disposé à accorder 7,000 francs aux conseillers en maintenant à 8,000 fr. le traitement du président, parce qu’il a, comme complément, des avantages particuliers.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – C’est par la raison qu’a donnée l’honorable préopinant que le traitement du président de la cour des comptes n’est fixé qu’à 9 mille francs dans le projet du gouvernement ; si la cour des comptes n’est pas l’égale de la cour de cassation, elle occupe un rang intermédiaire entre cette cour et la cour d’appel ; c’est par ce motif que vous portez le traitement des conseillers à la cour des comptes à 7,000 fr., tandis que celui des conseillers des cours d’appel n’est fixé qu’à 6,000 fr. Par la même raison le traitement du président de la cour des comptes devrait être plus élevé que celui des présidents des cours d’appel. Or, le traitement de ces derniers est de 9,000 fr. Il est vrai que le président de la cour des compte occupe un hôtel qui lui est attribué, et c’est ce qui nous a déterminé à ne pas dépasser le chiffre de 9,000 fr.
Si ce motif n’existait pas, ce traitement devrait être porté à 11,000 ou 12,000 fr.
M. Verhaegen – Je voulais faire l’observation qui a été faite par M. le ministre des finances. On a été d’accord sur un point : c’est que la cour des comptes devait être placée entre les cours d’appel et la cour de cassation. On a fixé le traitement des conseillers à la cour d’appel à 6,000 fr., celui des conseillers à la cour des comptes à 7,000 fr. Il convient donc d’établir une différence analogue entre le traitement du président de la cour des comptes et celui des présidents des cours d’appel. Le traitement des présidents des cours d’appel est de 9,000 fr. Il ne serait pas hors de proportion de fixer à 11,000 fr. le traitement du président de la cour des comptes. On propose de le fixer à 8,000 fr., parce qu’il y a un logement attribué au titulaire de ces fonctions. Mais ce logement est très-accessoire, puisque le siège de la cour, les bureaux et les archives se trouvent placés dans l’hôtel auquel on fait allusion. Ce ne sera donc pas trop de lui accorder 9,000 fr., alors que vous êtes obligés de faire une différence avec les présidents des cours d’appel.
M. Delehaye, rapporteur – La section centrale a pensé qu’un traitement de 8,000 fr., accordé au président de la cour des comptes, serait supérieur à celui des présidents des cours d’appel. En effet, un président de la cour des comptes, pour se loger convenablement à Bruxelles, dépenserait au moins 2,000 fr., et il lui faudrait un mobilier de 15 à 20,000 fr. Si vous tenez compte du logement et des avantages qui y sont attachés, à savoir une partie du mobilier, le feu et la lumière, vous reconnaîtrez que vous lui faites une position de 11,000 fr., au moins, et par conséquent une position supérieure à celle des présidents des cours d’appel.
Vous avez également fixé, pour le traitement des conseillers, un chiffre plus élevé que pour les cours d’appel, 7,000 fr., au lieu de 6,000 fr. ; mais les conseillers des cours d’appel sont inamovibles ; tandis que les fonctions des membres de la cour des comptes ne sont que temporaires. Il est vrai que, s’ils remplissent leurs devoirs, ils sont maintenus.
Je crois qu’il convient de leur interdire de se livrer à quelque affaire que ce soit.
Le président de la cour des comptes est un homme que j’estime infiniment et qui n’a cessé d’être utile au pays. Si je propose de ne lui accorder que 8,000 fr., c’est que les avantages attachés à cette position en élèvent le chiffre à 11,000 fr.
Je suis donc d’accord avec l’honorable M. Verhaegen.
M. Coghen – Les services rendus au pays par la cour des comptes sont incontestables. J’ai été à même d’apprécier, au commencement de la révolution, les immenses services et l’utilité de cette institution de garantie.
Dès 1832, l’on a reconnu que le traitement des membres de la cour des comptes était inférieur à ce qu’il convenait d’accorder à des fonctionnaires occupant une position aussi élevée. Depuis lors, on a toujours été d’accord que le traitement attaché à ces fonctions importantes n’était pas suffisant.
La proposition qui vous est faite de fixer à 7,000 fr. le traitement des conseillers me paraît convenable, sans avoir rien d’exagéré.
Quant au président, je crois que 9 mille fr. est également un traitement très-modéré. Si le président a le logement et quelques autres avantages, ces avantages sont tout à fait insignifiants. L’hôtel est occupé par les bureaux et les archives. La présence du chef de la cour des comptes me paraît indispensable. Elle a été exigée dans l’intérêt public, obligation qui ne peut être aujourd’hui opposée pour fixer le traitement du président à un taux inférieur.
L’amovibilité des membres de la cour des comptes aussi bien que de son président est un motif de plus pour bien les rétribuer ; car je ne sais quel est l’homme capable ayant une position dans le monde qui voudrait, pour des avantages insignifiants et temporaires, accepter cette position.
Je voterai donc pour le traitement proposé par le gouvernement pour le président et les conseillers.
M. Zoude – Je désire rectifier l’erreur où est tombé l’honorable rapporteur. Il est vrai que M. le président de la cour des comptes est logé aux frais de l’Etat ; mais je me suis assuré que le chauffage et la lumière sont à ses frais. C’est l’exacte vérité.
M. Delehaye – On l’avait dit à mes côtés, et comme le gouvernement ne l’avait pas contesté, je croyais que c’était vrai. Mais du moment que l’honorable M. Zoude affirme le contraire, je n’insiste pas.
M. Dubus (aîné) – Je suis étonné de ne voir en délibération que le projet de la section centrale et le projet du gouvernement, puisque la chambre a été saisie d’un autre rapport ; celui fait par l’honorable M. de Man d’Attenrode, au nom de la section centrale, chargée d’examiner le projet de loi d’organisation de la cour des comptes.
Cette section centrale a fait une proposition relative au traitement de la cour des comptes ; cette proposition devait faire partie de la délibération. Sans cela on l’aurait virtuellement acceptée ou rejetée, sans l’avoir mise en délibération.
Voici la proposition qui avait été faite à cette section centrale :
Président ; fr. 9,000
Conseillers et greffier, fr. 7,000.
Je remarque dans le rapport dont je viens de prendre rapidement lecture, que le chiffre de 9,000 francs a été rejeté par quatre voix contre une. Je remarque que le chiffre de 7,000 fr. pour le traitement des conseillers n’a été admis que par trois voix contre deux, qui voulaient réduire le chiffre à 6,000 fr.
Je viens d’entendre deux honorables membres de la section centrale exprimer leur opinion. Tous deux ont admis le chiffre de 9,000 fr., tandis que, dans la section centrale, il n’y a eu qu’une voix pour le chiffre de 8,000 fr. Cependant on veut passer au vote, sans qu’aucune explication ait été donnée, tandis qu’il en a été demandé dans le sein de la section centrale.
Je remarque également, dans le rapport de la section centrale chargée de l’examen du projet de loi relative à la fixation des traitements, que, s’il y a eu partage sur le taux du traitement, ça n’a pas été entre les chiffres de 7,000 fr. et de 6,000 fr., mais entre les chiffres de 6,000 fr. et de 6,500 fr. Aujourd’hui, je n’entends parler que de 7,000 fr.
Quant à moi, je me prononce pour le chiffre le moins élevé. Je crois que, si la chambre adoptait ce chiffre, elle ne serait aucunement inconséquente avec le vote qu’elle a émis sur le traitement des conseillers des cours d’appel. La circonstance que la cour des comptes a la préséance sur les cours d’appel n’emporte pas nécessairement cette conséquence qu’il y aurait une différence de traitement.
Il suffit, pour assimiler le traitement, qu’en appréciant la position et le traitement des fonctionnaires, vous puissiez constater que vous faites une chose convenable en leur accordant le même traitement. Or, si vous prenez en considération les études nécessaires pour être apte à remplir l’une et l’autre fonctions, vous devez reconnaître qu’un traitement de 6,000 fr. suffisant pour les conseillers des cours d’appel, doit également suffire pour les fonctions de conseiller à la cour des comptes.
Quant au traitement du président, le fixer à 8,000 fr., en lui assurant l’avantage de la jouissance d’un hôtel à Bruxelles, aux frais de l’Etat, c’est lui donner, selon moi, un traitement suffisant.
Rappelez-vous que, quand vous ne pouviez accorder un hôtel aux ministres, vous leur donniez une indemnité de logement de 4,000 fr.
- M. Liedts remonte au fauteuil.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ne crois pas que la proposition faite par la section centrale, qui a été chargé d’examiner le projet de loi d’organisation de la cour des comptes, doive nous arrêter.
Le projet de loi qui avait été présenté par le gouvernement, ne faisait aucune mention du traitement de la cour des comptes. Si, à l’occasion du rapport qui vous a été fait sur ce projet de loi, la section centrale s’est occupée de la question des traitements, je pense qu’on ne peut trouver là un motif de ne pas prendre une résolution sur un projet présenté par le gouvernement, mis à l’ordre du jour depuis longtemps, et sur lequel un rapport spécial a été fait.
Du reste, le rapport dont on vient de parler est antérieur à la discussion qui a eu lieu sur les traitements de la magistrature. Cette discussion peut avoir modifier l’opinion de plusieurs honorables membres.
M. Dubus (aîné) – Les deux rapports ont la même date. Le rapporteur est le même pour les deux projets de loi.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Mon observation porte, non pas sur le rapport de l’honorable M. Delehaye, mais sur le rapport fait par l’honorable M. de Man d’Attenrode, qui est relatif au projet de loi d’organisation de la cour des comptes. Ainsi mon observation subsiste telle que je l’ai présentée.
La loi que j’ai citée n’assigne même pas à la cour des comptes un rapport inférieur à la cour de cassation ; elle porte que la cour des comptes jouit des mêmes prérogatives ; et comme les deux corps ne peuvent marcher sur la même ligne, elle établit que la cour des comptes prend rang immédiatement après la cour de cassation.
Messieurs, il faut examiner non-seulement les connaissances préalables que doivent posséder certains fonctionnaires, mais aussi l’importance de leurs attributions.
La cour des comptes a le contrôle de toutes les dépenses de l’Etat ; les (page 155) recettes sont soumises à sa vérification ; elle a, en quelque sorte, entre les mains la fortune de tous les comptables de l’Etat, car elle prononce en dernière analyse sur toute leur gestion.
Ce sont là les fonctions de la plus haute importance, et c’est ce qui doit être pris en grande considération lorsqu’il s’agit de déterminer les traitements des membres de cette cour.
Je rappellerai, en outre, qu’on doit avoir aussi égard à cette circonstance, et déjà l’honorable M. Coghen vous l’a fait observer, que les fonctions des membres de la cour des comptes sont temporaires, en ce sens que ces fonctions sont sujettes à réélection ; que c’est un motif encore, s’il n’en existait pas d’autres assez pressants, pour traiter ces fonctionnaires un peu plus favorablement.
Quant à l’hôtel qu’habite le président, en supposant que cet hôtel puisse être considéré comme ayant une valeur locative assez élevée, où donc est-il exigé qu’un fonctionnaire qui aurait 8,000 francs de traitement, doit occuper un hôtel de 5 ou 4,000 francs de loyer ? Il ne faut pas considérer le loyer qu’on pourrait attribuer à cet hôtel, pour l’ajouter au chiffre nominal du traitement qu’on accorde au président. Car si l’on ne donnait pas un hôtel au président, il pourrait se loger plus modestement. C’est dans l’intérêt de la dignité de ce corps qu’on a affecté un hôtel à son habitation.
Je pense donc, pour me résumer, que nous ne devons pas avoir égard au dernier rapport qui a été fait, attendu que l’on n’avait pas à se prononcer, dans ce dernier rapport, sur les traitements. Il y avait, sur ce point, un projet spécial présenté, et le rapport était fait.
Du reste, le gouvernement ne se rallie pas davantage aux propositions que contient le rapport de l’honorable M. de Man qu’à celles que contient le rapport de l’honorable M. Delehaye.
M. de Man d’Attenrode – Messieurs, les paroles que l’honorable M. Dubus vient de prononcer exigent de moi une explication, en ma qualité de rapporteur du projet de loi relatif à l’organisation définitive de la cour des comptes. Il semblerait, d’après ces paroles, que je serai en contradiction avec moi-même, parce que je viens défendre les chiffres proposés par le gouvernement ; tandis que dans le projet dont je suis rapporteur, on en propose de plus bas. Je ne suis pas, messieurs, en contradiction avec moi-même. J’ai voté à la section centrale le chiffre de 9 mille fr. pour le président et celui de 7 mille fr. pour les conseillers et le greffier.
D’ailleurs, messieurs, il me semble qu’un vote dans une section centrale ne lie pas pour le vote définitif. La discussion peut changer notre opinion ; son but est de nous éclairer ; et parce qu’à la suite de la discussion un membre croira devoir voir autrement qu’en section, il ne sera pas pour cela en contradiction avec lui-même.
L’honorable M. Dubus vous a dit qu’un traitement égal à celui des conseillers des cours d’appel devait suffire pour les membres de la cour des comptes. Mais, messieurs, la chambre a admis dans sa dernière discussion, que les traitements devaient être réglées d’après l’étendue des services rendus. Or, il me semble que le discours que je viens de prononcer est de nature à vous donner une idée de ce que sont les travaux de la cour des comptes. D’ailleurs, le ressort de la cour des comptes s’étend à tout le pays, tandis que le ressort d’une cour d’appel ne s’étend qu’à deux ou trois provinces. Il me semble donc qu’il y a lieu d’accorder à un membre de la cour des comptes un traitement plus considérable qu’à un membre de cour d’appel.
M. Osy – Messieurs, ayant fait partie des deux sections centrales, je désire donner une explication à l’honorable M. Dubus. En examinant la loi sur l’organisation de la cour des comptes, nous avons pensé qu’il serait possible que cette loi fût discutée avant celle sur les traitements de la magistrature et sur les traitements de la cour des comptes, et que dès lors il était convenable de fondre les deux articles du projet présenté par la section centrale, dont l’honorable M. de Man d’Attenrode était rapporteur, dans le projet de loi sur l’organisation de la cour des comptes.
Nous n’avons donc pas débattu les chiffres, nous avons simplement reporté dans la loi dont nous nous occupons les dispositions présentées par une autre section centrale.
J’avais insisté, dans ma section, pour le chiffre de 7,000 fr. A la section centrale, on n’a pas mis ce chiffre aux voix ; on a voté sur le chiffre de 6,500 fr, auquel je me suis rallié comme étant le plus élevé. Mais ayant toujours pensé qu’il fallait aussi bien donner une augmentation, en maintenant la même proportion, aux conseillers de la cour des comptes qu’aux conseillers des cours d’appel, je crois être conséquent en me ralliant aux propositions du gouvernement.
M. Dubus (aîné) – Messieurs, vous seriez dans l’erreur si vous pensiez que, lorsque la section centrale a proposé de fixer le traitement du président de la cour des comptes à 8,000 fr., et celui des conseillers et du greffier à 6,000 fr., elle n’était pas fixée sur le chiffre auquel il convenait d’établir le traitement des conseillers des cours d’appel. Car, à l’exception d’un seul membre, c’est la même section centrale, qui venait de s’occuper de la loi sur les traitements de l’ordre judiciaire, qui a proposé de fixer à 6,000 fr. celui des conseillers de la cour des comptes.
J’insiste, messieurs, sur l’observation que j’ai faite. Il ne suffit pas d’établir une différence de rang entre deux corps pour en induire par cela seul une différence de traitements, lorsque du reste, dans la comparaison des connaissances préalables nécessaires et des travaux qui pèsent sur chacun des fonctionnaires, vous trouvez un motif suffisant d’assimiler les traitements. Quant à moi, je trouve dans cette considération un motif suffisant d’assimilation. En conséquence, je ne voterai pas pour un chiffre supérieur à 6,000 fr.
M. Delehaye, rapporteur – Messieurs, il est très-vrai que les mêmes considérations qui avaient engagé la section centrale à fixer les traitements des conseillers des cours d’appel à 6,000 fr. l’avaient aussi déterminée à n’allouer que 6,000 fr. pour les membres de la cour des comptes. Je vous avoue que j’avais aussi voté pour le chiffre de 6,000 fr. ; mais, comme je l’ai déjà dit, de nouvelles observations ont été émises dans cette enceinte, et je vous avoue que, malgré mon désir d’introduire dans les budgets toutes les économies possibles, je n’hésiterai pas, en présence des attributions des membres de la cour des comptes, à leur allouer un traitement de 7,000 fr.
Je reconnais, comme l’honorable M. Dubus, qu’il faut tenir compte des études préalables et des sacrifices que doit faire un magistrat pour siéger à la cour d’appel. Mais au point de vue des intérêts de la société, et surtout des intérêts de la chambre, nous avons d’autres considérations à examiner.
N’importe-il pas que les membres de la cour des comptes qui statuent toujours sur des questions d’intérêt matériel, sur des questions d’argent, soient placés dans une position assez élevée pour qu’aucun soupçon ne puisse s’élever sur eux ? Remarquez, messieurs, que tous les jours les membres de la cour des comptes statuent sur des différends entre le gouvernement et des entrepreneurs ; les personnes appelés à décider ces questions, méritent certainement la plus grande confiance de notre part. N’est-ce pas un motif suffisant pour porter à 7,000 fr. les traitements des membres de la cour des comptes ?
Il faut aussi tenir compte de la position précaire que vous faites aux membres de la cour des comptes. Leur mandat ne dure que six ans : il est possible qu’au bout de ce temps ils ne soient pas réélus. Peut-être les aurons-nous obligés à quitter une carrière pour entrer à la cour des comptes ; en ne les réélisant pas, vous leur ôtez pour le moment tout avenir.
Je sais qu’on dira qu’il était libre à eux de ne pas entrer dans ces fonctions. Mais aussi il se peut qu’un membre de ce corps soit trompé dans son attente, et qu’après avoir rempli fidèlement son mandat, il se le voie enlever par un corps politique.
Nous ne devons pas perdre de vue cette considération. Il ne faut pas mettre un fonctionnaire dans une position telle qu’il ait à regretter d’avoir embrassé une carrière où il rend d’aussi utiles services.
Voilà, messieurs, les motifs qui me déterminent à émettre un vote différent de celui que j’ai émis à la section centrale. Je dois, d’ailleurs, féliciter mes honorables collègues s’ils ne se trompent jamais. Quant à moi, il m’est arrivé d’avoir une opinion, et de la modifier à la suite d’une discussion.
- La discussion est close.
Le chiffre de 9,000 fr. pour le traitement du président, est mis aux voix et adopté.
Le chiffre de 7,000 fr. pour le traitement des conseillers et du greffier est aussi adopté.
L’ensemble de l’art. 1er est adopté.
M. le président – Nous passons à l’art. 2 proposé par la section centrale. Il est ainsi conçu
« Art. 2. Il est interdit, sous peine d’être réputé démissionnaire, à tout membre de la cour des comptes d’exercer soit par soi-même, soit sous le nom de son épouse, ou par toute autre personne interposée, aucune espèce de commerce, d’être agent d’affaires, ou de participer à la direction ou à l’administration de toute société ou établissement industriel. »
M. le ministre des finances a demandé l’ajournement de la discussion de cet article jusqu’à celle du projet de loi sur l’organisation de la cour des comptes.
M. Delehaye, rapporteur – Messieurs, j’ai eu l’honneur de faire connaître hier à l’assemblée les motifs qui nous a engagés à introduire dans le projet de loi sur la magistrature une disposition analogue à celle que nous allons discuter. Ces motifs, messieurs, militent plus puissamment encore lorsqu’il s’agit des membres de la cour des comptes.
Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, il peut arriver que la cour des comptes ait à régler un différend entre le gouvernement et un établissement quelconque. Si le hasard voulait qu’un membre de la cour des comptes fût intéressé dans cet établissement, comment voudriez-vous qu’il eût cette indépendance si nécessaire pour pouvoir juger en véritable magistrat, sans éprouver une influence quelconque ?
Jusqu’à présent, messieurs, on n’a pas contesté le mérite de cet article ; le gouvernement lui-même n’a rien dit pour le combattre ; il s’est borné à demander l’ajournement. Mais, si la disposition est bonne, utile, pourquoi différer de l’adopter, alors surtout qu’une disposition tout à fait semblable a été admise hier par la chambre et que tous nous avons encore présents à l’esprit les motifs qui nous ont portés à la voter ? Si l’ajournement ne devait être que de quelques jours, alors je ne m’y opposerais pas ; mais qui peut vous assurer que la loi sur l’organisation de la cour des comptes sera discutée dans un bref délai ? Le projet dont nous nous occupons en ce moment nous a été présenté il y a deux ans. Qui nous garantit qu’il ne s’écoulera pas encore deux autres années avant que nous ne discutions le projet d’organisation ? D’ailleurs, la demande d’ajustement ne repose sur rien, et la disposition est nécessaire et utile ; elle est d’autant plus nécessaire que, dans une circonstance assez remarquable, la chambre a émis une opinion très-peu favorable à une certaine association, de la direction de laquelle un membre de la cour des comptes fait partie. Je pense que ce motif seul suffirait pour nous faire adopter l’article proposé par la section centrale. Nous obligerions ainsi le membre dont il s’agit à renoncer à la direction de cette société.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – L‘honorable membre n’a sans doute pas prêté attention lorsque j’ai indiqué les motifs qui me faisaient demander l’ajournement. J’ai dit que le projet de loi sur l’organisation de (page 155) de la cour des comptes, qui a été présenté par le gouvernement, renferme un article relatif à différentes incompatibilités, et qu’il serait peu régulier de déterminer certaines incompatibilités dans la loi sur les traitements et d’en déterminer d’autres dans la loi d’organisation. L’honorable M. de Man vient de vous rappeler, messieurs, que la disposition dont il s’agit se trouve reproduite dans le projet de loi d’organisation tel qu’il est présenté par la section centrale. L’honorable M. Delehaye demande si ce projet sera discuté sous peu de jours. Je suis persuadé qu’il le sera, non pas précisément sous peu de jours, mais probablement d’ici à un mois ou six semaines. Les deux projets ont été présentés dans le cours de la dernière session ; les rapports sont faits, et je ne vois pas que la loi sur l’organisation de la cour des comptes soit tellement compliquée qu’on ne puisse la discuter sous peu.
M. de Man d’Attenrode – L’honorable ministre des finances vient d’émettre l’opinion que le projet de loi sur l’organisation définitive de la cour des comptes pourra être discuté bientôt. Je pense que ce projet ne pourra pas être examiné que de concert avec le projet de loi sur la comptabilité de l’Etat dont il forme, en quelque sorte, un chapitre. Or, il est impossible de fixer en ce moment, d’une manière précise, l’époque de la discussion de ce projet.
M. Lys – Messieurs, une très-longue discussion a fait apprécier le mérite d’une disposition analogue adoptée, hier, pour la magistrature ; nous avons tous présents, à la mémoire les raisons qui ont été données pour ou contre cette disposition. Nous savons, d’un autre côté, comme vient de le dire l’honorable rapporteur, qu’un membre de la cour des comptes fait partie de l’administration d’une société anonyme. Or, puisque nous avons adopté la disposition dont il s’agit, en ce qui concerne les membres des cours et tribunaux, je ne vois pas pour quel motif nous tarderions à l’admettre également pour les membres de la cour des comptes.
Je m’oppose donc à l’amendement demandé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous remarquerez, messieurs, que, quoique M. le président eût déclaré qu’il ne s’agissait que de l’ajournement, on a cependant discuté le fond de la question ; s’il m’est permis d’aborder également le fond, il me sera extrêmement facile de démontrer que la position n’est pas la même entre la magistrature ordinaire et la cour des comptes, qui n’est qu’un corps électif.
Le motif principal pour lequel on a interdit aux membres de la magistrature de prendre part à la direction de sociétés anonymes, c’est que le magistrat, par son inamovibilité, échappe à toute espèce de contrôle. Il n’en est pas de même de la cour des comptes, corps électif, dont les membres doivent, de 6 en 6 ans, comparaître devant vous pour être soumis à une réélection. On a été jusqu’à citer presque nominativement un membre de la cour des comptes ; mais ce membre a été récemment réélu, et si l’on avait trouvé qu’il y eût réellement de graves inconvénients à ce qu’un membre de la cour des comptes fût directeur d’une société anonyme, il aurait fallu ne pas lui donner un nouveau mandat.
Un membre – On connaissait le projet de la section centrale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il ne faut jamais considérer les projets comme étant déjà devenus des lois.
Lorsqu’on dit, messieurs, que la question a été discutée hier, qu’elle est épuisée, on se trompe ; il faut une discussion toute nouvelle, car je prétends que les positions ne sont pas identiques. Si vous trouvez qu’il peut y avoir des abus, eh bien, à l’occasion vous ne réélirez pas ce membre.
Si je pouvais continuer à discuter le fond, j’indiquerais encore d’autres dissemblances. Je vous dirais, par exemple, que le magistrat inamovible ou même nommé sans terme, a une position définitivement acquise, tandis qu’un membre d’un corps électif, n’a qu’une position précaire ; que dès lors, vous pouvez bien exiger du magistrat qu’il renonce à toute autre ressource ; mais que vous ne pouvez pousser jusque-là vos exigences à l’égard des membres d’un corps électif. Voilà, messieurs, une autre raison pour ne pas mettre sur la même ligne les magistrats et les membres de la cour des comptes. Vous devez, à l’égard de ceux-ci, apprécier les circonstances, et si des abus sont possibles, vous avez toujours la faculté de les faire cesser, puisque vous pouvez ne pas réélire le membre de la part duquel les abus pourraient venir. C’est là le véritable remède, et ce remède vous l’avez entre les mains.
Je n’en dirai pas davantage ; puisque l’ajournement a été proposé, il faut s’abstenir de discuter le fond de la question. Si l’ajournement est rejeté, nous aborderons la question au fond ; mais je crois que l’ajournement doit être adopté ; car, dans le cours de la session, nous aurons l’occasion de discuter cette incompatibilité qui, en ce qui concerne les membres de la cour des comptes, se présente avec un caractère tout autre que celui qu’elle offrait hier lorsqu’il s’agissait des magistrats inamovibles ou nommés à vie.
M. Delehaye, rapporteur – M. le ministre de l'intérieur appuie l’ajournement par cette considération que la disposition qui a été adoptée pour la magistrature inamovible, ne doit pas nécessairement être admises pour la cour des comptes, qui est un corps électif ; mais je ferai remarquer à M. le ministre de l'intérieur que la disposition votée hier par la chambre s’applique aussi bien aux membres amovibles de l’ordre judiciaire qu’aux membres inamovibles. Cet argument de M. le ministre n’est donc pas fondé.
M. le ministre de l'intérieur nous dit que récemment nous avons donné un nouveau mandat aux membres de la cour des comptes, et que, si nous avions jugé alors que la position de l’un de ces membres pourrait donner lieu à des abus, nous n’aurions pas dû le réélire ; mais M. le ministre de l'intérieur sait-il si plusieurs membres de la chambre n’ont pas été amenés à voter comme ils l’ont fait, précisément parce que la disposition qui nous occupe était proposée ? Si ces membres avaient pu prévoir que l’on ajournerait indéfiniment cette disposition, je suis convaincu qu’ils n’auraient pas donné leur voix à la personne dont il s’agit.
En ce qui me concerne, je le déclare, si j’avais pensé que les membres de la cour des comptes auraient été autorisés à rester perpétuellement à la tête de sociétés anonymes, j’aurais été le premier à refuser mon suffrage au membre auquel j’ai fait allusion. En vérité, je ne comprends pas l’argument de M. le ministre de l'intérieur ; un membre de la cour des comptes se trouve dans une position qui est de nature à pouvoir entraîner des abus ; la chambre est appelée à renouveler la cour des comptes ; elle maintient ce membre parce qu’elle est saisie d’une proposition tendant à faire cesser de semblables abus, et lorsqu’il s’agit d’adopter cette proposition, on vient lui opposer ce qu’elle a fait dans cette circonstance ! Il faut le dire, le raisonnement de M. le ministre de l'intérieur, ordinairement si juste, est ici complètement en défaut.
Ce n’est pas seulement, messieurs, la section centrale dont j’ai l’honneur d’être l’organe qui vous a fait cette proposition ; une autre section centrale vous l’a également présentée ; la mesure est d’ailleurs tellement utile, le mérite en est tellement incontestable, que le gouvernement n’a trouvé aucun argument pour le combattre. Il y a plus : tout ce qu’a dit M. le ministre de l'intérieur prouve la nécessité de ne pas laisser plus longtemps la question indécise. D’ailleurs, l’ajournement qui vous est demandé serait presque un ajournement indéfini ; il est, en effet, très-probable que nous ne pourrons pas nous occuper dans cette session du projet relatif à l’organisation de la cour des comptes. Nous sommes déjà saisis d’une infinité de projets qui n’admettent point de retard ; nous avons les budgets, nous avons diverses lois transitoires, nous avons la question des entrepôts.
L’année prochaine doivent avoir lieu les élections ; c’est ce qui indubitablement rapprochera le terme de la session. On peut donc présumer que la chambre ne pourra pas s’occuper, dans le cours de la session, du projet de loi relatif à l’organisation de la cour des comptes. Il est donc nécessaire que la chambre vote aujourd’hui l’art. 9 du projet de loi en discussion.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, l’honorable préopinant n’a pas rencontré la principale observation sur laquelle j’ai motivé l’ajournement, à savoir qu’une loi d’organisation de la cour des comptes est présentée à la chambre, et que ce projet renferme une disposition sur les incompatibilités. Le rapport est même fait sur le projet. Il n’y a donc pas tellement péril en la demeure, que nous ne puissions attendre quelques jours. Si mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur a donné tout à l’heure quelques raisons sur le fond, c’était parce qu’on prétendait qu’il y avait parfaite identité entre ce qui a été fait pour l’ordre judiciaire, et ce qui doit se faire pour la cour des comptes ; mais son intention n’a pas été de discuter la question d’une manière complète. En effet, de l’amovibilité des membres de la cour des comptes découlent des conséquences qu’on pourrait encore faire valoir, si l’on voulait, en ce moment, épuiser le sujet ; il est inutile que nous nous prononcions sur la question aujourd’hui, nous demandons seulement que, puisque la chambre est saisie et d’un projet de loi et d’un rapport sur la matière, la chambre ajourne l’art. 2, ajournement qui ne préjuge rien, ni sur la pensée du gouvernement, ni sur celle de la chambre.
M. Delfosse – Messieurs, on paraît généralement reconnaître que c’est un abus qu’un membre de la cour des comptes puisse faire partie des sociétés anonymes. Si c’est un abus, pourquoi ne pas le redresser maintenant ? Pourquoi attendre, pour le faire disparaître, la discussion d’une loi qui ne sera peut-être discutée qu’à une époque fort éloignée ?
M. le ministre des finances a une singulière manière de raisonner ; il nous dit : « Ajournez l’art. 2 du projet, parce qu’il y a dans un autre projet une disposition à peu près semblable. » Mais pourquoi M. le ministre des finances ne raisonnait-il pas ainsi, lorsqu’il s’agissait d’augmenter les traitements des membres de la cour des comptes ? Il aurait dû nous dire alors : « Il y a dans le rapport de la section centrale chargée d’examiner le projet de loi d’organisation de la cour des comptes une disposition relative aux traitements. Attendons la discussion de la ce projet. »
M. le ministre des finances n’ayant pas proposé l’ajournement de l’art. 1er, il a mauvaise grâce à demander l’ajournement de l’art. 2, qui en est le corollaire.
Pourquoi a-t-on interdit le commerce aux membres de l’ordre judiciaire ? parce qu’on a amélioré leur position, augmenté leur traitement. Précédemment, les membres de l’ordre judiciaire pouvaient vous dire : « Notre traitement est insuffisant, il faut que nous le complétions par un commerce quelconque, par un autre travail. » On a fait disparaître cette objection des membres de l’ordre judiciaire, en améliorant leur position, et on leur a dit : « Vous ne vous livrerez plus à des actes de commerce, le traitement qu’on vous accorde doit vous suffire ».
Ne sommes-nous pas en droit de dire la même chose aux membres de la cour des comptes ? ne viennent-ils pas d’obtenir de la chambre une augmentation de traitement plus forte que celle que nous avons accordée à l’ordre judiciaire ? Si l’on a considéré l’augmentation des traitements des membres de l’ordre judiciaire, comme une raisons suffisante pour interdire à ces magistrats les actes de commerce, à plus forte raison doit-on les interdire aux membres de la cour des comptes, dont la position va devenir bien meilleure.
J’avais tout à l’heure renoncé à la parole, parce que mon honorable ami, M. Delehaye, avait présenté l’observation que je voulais soumettre à la chambre ; je voulais répondre aussi à M. le ministre de l'intérieur, qui avait objecté l’inamovibilité des membres de l’ordre judiciaire, pour établir une différence entre eux et les membres de la cour des comptes. Je voulais répondre, comme l’a fait mon honorable ami, M. Delehaye, qu’on interdit les (page 157) actes de commerce même aux membres de l’ordre judiciaire, qui ne sont pas inamovibles.
Mon honorable ami, M. Delehaye, a fait valoir une autre raison qui me paraît beaucoup moins concluante ; il a invoqué en faveur de l’adoption de l’art. 2, l’avis conforme de deux sections centrales. Mon honorable ami oublie que deux sections centrales s’étaient opposées aussi au chiffre de 7,000 fr., et même au chiffre de 5,500 fr. demandé pour les conseillers de la cour des comptes ; et cependant mon honorable ami a voté ce chiffre de 7,000 fr.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, le motif qu’on a allégué pour demander la discussion immédiate de l’art. 2, c’est toujours l’identité des positions. Evidemment, il n’y a pas identité. Il est très-vrai qu’on ne peut pas invoquer le principe de l’inamovibilité en faveur de tous les magistrats à qui la loi votée hier interdit la direction de toute société anonyme ; mais tous les magistrats dont il s’agit sont nommés sans terme. Les membres de la cour des comptes ne sont ni inamovibles, ni nommés sans terme. Ce qu’on vous demande de faire maintenant, c’est un acte de défiance envers vous-mêmes ; ce qu’on vous demande, c’est de vous lier vous-mêmes. Eh bien, je dis qu’il est inutile que vous vous liiez vous-mêmes. Le remède, quand il y a abus, vous l’avez : la cour des comptes est entre vos mains ; vous pouvez même révoquer les membres de la cour des comptes ; mais il est inutile de recourir au moyen extrême de la révocation. Le mandat des membres de la cour des comptes cesse de six en six ans, et par la simple prétérition, le membre de la cour des comptes qui aurait commis un abus se trouve, par le fait de sa non-réélection, avoir définitivement perdu ses fonctions. (Interruption.)
Je dis qu’il peut y avoir des abus ; vous êtes juges du fait en appréciant toutes les circonstances. Et je ne fais pas ici d’hypothèse. Je suis peiné d’être obligé en quelque sorte de citer un nom propre, mais j’y suis amené par le cours de la discussion. Messieurs, il y a quelques années, il doit vous en souvenir, vous n’avez pas réélu le greffier de la cour des comptes. Il était de notoriété publique que ce fonctionnaire, dont je ne conteste pas du reste la capacité, et dont je n’entends nullement attaquer le caractère, que ce fonctionnaire, dis-je, était intéressé dans un grand nombre de sociétés ; vous ne l’avez pas réélu. Si vous trouviez, avec l’honorable M. Delehaye, qu’il y a encore abus en ce moment à l’égard d’un membre de la cour des comptes, eh bien, le mandat de ce membre de la cour des comptes viendra à cesser dans quatre ans, je pense : vous ne le réélirez pas.
Mais il y a plus : n’a-t-on pas dit hier que l’article n’a pas d’effet rétroactif ? Il est donc prouvé que, quoique vous fassiez, quand même l’article serait immédiatement voté, encore ne recevrait-il pas son application immédiate, c’est-à-dire que ce membre de la cour des comptes aurait le temps de prendre un parti jusqu’à l’expiration de son mandat… (Non ! non !...) Alors il faut s’expliquer ; je comprendrais dans ce cas l’urgence ; s’il y a abus, vous voulez que justice soit faite immédiatement, que la réparation soit immédiate. Mais je croyais, ou ma mémoire me sert mal, je croyais qu’on avait dit que l’art. 17 de la loi relative à la magistrature, ne recevrait son application que dans l’avenir. (Interruption.)
Voici mon observation : L’article recevrait-il immédiatement son application en ce sens que tout membre de la cour des comptes qui se trouverait être directeur d’une société anonyme serait tenu, le jour de la promulgation de la loi, de donner sa démission de directeur, sous peine de se trouver démissionnaire de plein droit de ses fonctions de membre de la cour des comptes ? Voilà la question.
M. Delehaye – C’est l’opinion de la section centrale. Il serait démissionnaire de plein droit de ses fonctions de membre de la cour des comptes.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Eh bien, vous donnez alors à l’article un sens différent de celui que vous avez donné hier à l’art. 17 de la loi relative à l’ordre judiciaire.
Un membre – On a dit hier qu’un membre de l’ordre judiciaire pourrait conserver un intérêt dans une société, mais non la direction de cette société.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Si j’ai bien compris, on a dit hier que l’art. 17 ne recevrait son exécution à l’égard des magistrats de l’ordre judiciaire que pour les cas nouveaux qui viendraient à se présenter. (Interruption. Non ! non !)
Quoi qu’il en soit, je dis que les positions sont tout à fait différentes ; le membre de la cour des comptes n’est ni inamovible, comme le sont les conseillers et les juges, ni nommé sans terme, comme le sont les membres du parquet. Ce sont des fonctions électives qui, de plein droit, cessent de six ans en six ans, et vous avez de six ans en six ans à examiner s’il faut ou non honorer de la réélection les membres de la cour des comptes. Si vous trouvez, comme cela s’est déjà présenté, qu’un membre de la cour des comptes, à raison de la multiplicité des occupation que ses fonctions de directeur d’une société anonyme peuvent lui donner, de la dépendance dans laquelle elles peuvent le placer, si vous trouvez, dis-je, qu’il y a abus, le membre de la cour des comptes ne sera pas réélu. Voilà le véritable remède ; l’arme que vous demander, vous l’avez, vous la tenez. Si vous allez plus loin, c’est un acte de défiance que vous posez envers vous-mêmes, ce sont des précautions que vous prenez contre vous-mêmes.
J’ai dit tout à l’heure qu’il y avait un autre motif de dissemblance ; c’est que le membre de la cour des comptes n’étant pas nommé sans terme, peut par là même être amené, jusqu’à un certain point, à conserver d’autres ressources ; il n’est pas sûr de sa réélection, vous le forcez donc à quitter la position de directeur d’une société anonyme ; et cependant, par un coup de majorité, par une simple prétérition, il perd sa place de membre de la cour des comptes, lui qui a fait auparavant le sacrifice de ses fonctions de directeur de cette société anonyme ; lui qui, pour cela, peut avoir renoncé à des ressources importantes. Voilà un motif qui ne se présente pas pour les positions inamovibles qu’on a fait valoir tout à l’heure, en disant que la question étant la même, les souvenirs d’hier étant encore récents, il y avait lieu de trancher également maintenant cette question, je dis que ces considérations n’existent pas. Je viens de démontrer que la question se présenter pour la cour des comptes avec un tout autre caractère que pour la magistrature.
M. Jadot – M. le ministre des finances vient de répéter ce qu’il avait dit d’abord, que la discussion du projet de loi d’organisation de la cour des comptes aurait lieu dans quelques jours et c’est là le motif pour lequel il demande l’ajournement.
Il ne faut pas que la chambre s’y trompe. L’honorable M. Delehaye et l’honorable M. de Man l’ont déjà dit : la discussion du projet d’organisation n’aura pas lieu de sitôt, elle n’aura pas lieu dans cette session. Je suis persuadé que la section centrale reconnaîtra qu’il y a lieu de fondre en une seule loi les deux projets relatifs à la comptabilité générale et à l’organisation de la cour ; d’ailleurs, les deux lois réunies ne formeront pas encore un système complet de comptabilité, elles contiennent des lacunes qu’il faudra combler et qui ne le seront certainement pas dans cette session, et la question qui nous est soumise doit être décidée le plus tôt possible.
On nie l’abus qui a motivé la proposition de l’art. 2. C’est un doute qu’il est urgent de lever. M. le ministre de l'intérieur nous renvoie à la réélection du membre de la cour auquel on le reproche, c’est-à-dire qu’il faut maintenir cet abus jusqu’alors. En vérité, je n’y comprends rien.
Je voterai contre l’ajournement.
M. de Man d’Attenrode – Messieurs, je maintiens ce que j’ai dit tout à l’heure, qu’il me semble plus régulier d’ajourner l’art. 2 pour rattacher à la loi d’organisation de la cour des comptes toutes les dispositions qui concernent les incompatibilités. Si vous vouliez rattacher une partie de ces incompatibilités à une loi spéciale, ce serait déclarer qu’il y a péril en la demeure, qu’il y a des abus auxquels il est urgent de porter remède. Or, je ne pense pas que ce péril existe, je ne pense pas qu’il y ait des abus ; je pense, au contraire, que la cour des comptes remplit parfaitement son devoir. Pour vous décider à voter aujourd’hui cette disposition, on cherche à faire croire qu’on ne discutera pas cette année la loi sur la comptabilité.
Moi, j’espère qu’on la discutera encore pendant cette session. La section centrale n’est pas encore réunie à cause des travaux en sections relatifs à l’examen des budgets ; mais aussitôt cet examen terminé, la section centrale se réunira, j’espère. L’examen de cette loi ne sera pas si long que quelques membres semblent le croire ; chargé du fardeau, trop lourd peut-être pour moi, de rapporteur de la section centrale, j’ai consacré une partie de mon été à étudier cette question difficile. Il est temps de sortir notre comptabilité du gâchis où elle se trouve ; il est urgent de poser des règles pour y parvenir. La section centrale fera son devoir, et je suis convaincu que la chambre ne reculera pas devant le sien.
M. Delfosse – Il paraît que M. le ministre de l'intérieur a mal compris la réponse que l’honorable rapporter de la section centrale a faite hier à l’honorable M. Castiau. Cet honorable membre avait demandé si la loi aurait un effet rétroactif. L’honorable rapporteur a répondu ce que nous aurions répondu tous : « Non, la loi n’aura pas d’effet rétroactif, elle ne dispose que pour l’avenir. » M. le ministre de l'intérieur paraît croire qu’il résulte de cette réponse que les magistrats de l’ordre judiciaire qui se sont livrés jusqu’à présent à des actes de commerce ou qui ont fait partie de l’administration des sociétés anonymes pourront rester dans la même position. Evidemment non ; aussitôt que la loi sera mise en vigueur, les magistrats qui se livreraient à des actes de commerce ou qui ont fait partie de l’administration de sociétés anonymes devront se soumettre aux dispositions de la loi nouvelle. Dans quel sens mon honorable ami a-t-il dit que la loi n’aurait pas d’effet rétroactif ? Dans ce sens que les peines disciplinaires ne seront pas applicables aux magistrats qui ont posé jusqu’à présent des actes de commerce. On ne peut pas entendre autrement la réponse de l’honorable M. Delehaye à l’interpellation de l’honorable député de Tournay.
M. Delehaye me fait un signe affirmatif. J’étais convaincu que sa réponse n’avait pas pu être entendue autrement..
M. le ministre de l'intérieur persiste à faire une distinction entre les membres de la cour des comptes et les magistrats amovibles de l’ordre judiciaire ; il nous dit que les membres de la cour des comptes n’étant nommés que pour un certain nombre d’années, on ne peut pas exiger d’eux qu’ils renoncent à une position, à un commerce. Mais n’est-il pas évident pour tous qu’un membre de la cour des comptes qui remplira convenablement ses fonctions, peut être aussi sûr d’une réélection qu’un magistrat de l’ordre judiciaire amovible peut être sûr de n’être pas révoqué par le gouvernement ?
Il y a même plus de garanties pour les membres de la cour des comptes que pour les magistrats amovibles ; la chambre ne laissera pas facilement écarter un membre de la cour des comptes. Il faut peu de chose, au contraire, pour déplaire à un ministre. Nous avons plus d’un exemple de révocation de magistrats amovibles. Nous pourrions en citer. Je suis convaincu que si la chambre n’avait pas contre un membre de la cour des comptes des griefs plus sérieux que le gouvernement n’en avait contre certains magistrats qui ont été révoqués, la réélection ne serait pas douteuse.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je puis avoir mal compris (page 158) hier ; cependant, sans vouloir pousser l’amour-propre trop loin ; permettez moi une simple réflexion. L’honorable préopinant dit que : Lorsqu’on a répondu que la loi n’avait pas d’effet rétroactif, on a voulu reconnaître que les peines disciplinaires ne seraient pas appliquées pour les faits antérieurs à la loi. Comment a-t-il pu entrer dans la pensée de quelqu’un que les peines disciplinaires pourraient être appliquées pour des faits réputés innocents avant le vote de la loi. (Interruption du côté où siège M. Castiau.) Je me permettrai de répéter l’expression que j’entends de ce côté ; cela n’aurait pas de sens. Pour donner un sens à la réponse de l’honorable rapporteur, j’ai dû penser que toutes les positions subsisteraient ; c’est-à-dire qu’un magistrat qui se trouverait, au moment de la loi, directeur d’une société anonyme pourrait continuer à l’être. Je n’en conclus pas que le magistrat nommé avant la loi pourrait encore prendre la direction d’une société anonyme quelconque ; j’ai cru qu’on voulait reconnaître que le magistrat qui se trouverait directeur ou administrateur d’une société anonyme pourrait conserver ses fonctions quant à cette société. Si ce n’est pas là le sens de la réponse, me servant de l’expression de l’honorable M. Castiau, qui m’a interrompu, la réponse n’aurait pas de sens ; car il ne pouvait entrer dans la pensée de personne qu’on pût appliquer pour le passé les peines disciplinaires portées par la loi. Voilà comment s’explique le malentendu.
M. Verhaegen – Messieurs, j’ai voté pour l’augmentation du traitement des membres de la cour des comptes, mais j’ai été guidé surtout par la considération qui fait la base de l’art. 2. Je dirai même que je n’aurais pas voté d’augmentation si je n’avais pas eu la garantie de cet article 2.
M. le ministre de l'intérieur vient de faire une réponse à mon honorable ami M. Delfosse, d’après laquelle j’ai lieu de croire qu’il n’a pas compris l’argumentation de l’honorable membre. Je pense que mon honorable ami a voulu dire, et c’est là le véritable argument, qu’en matière de commerce et d’industrie, il ne s’agit pas d’un fait isolé, mais de faits successifs, de faits qui se renouvellent tous les jours, et qu’en s’appliquant à ces faits qui se renouvellent, la loi n’a pas d’effet rétroactif ; ou, elle rétroagirait si elle s’appliquait à des faits déjà perpétrés, elle ne rétroagit pas quand elle ne s’applique qu’à des faits nouveaux ayant la même origine.
Une industrie se compose de faits successifs qu sont perpétrés tous les jours. Le magistrat qui aura posé un fait de commerce avant la loi, ne sera pas frappé par elle, mais celui qui continuera à en poser de nouveaux, tombera sous son application ; c’est évident, et c’est là ce qu’a voulu dire mon honorable ami M. Delfosse.
Hier, M. le ministre était d’accord sur ce point, et aujourd’hui il soutient le contraire (Recours au Moniteur) ; d’ailleurs, le principe de la loi serait sapé si tous les magistrats intéressés dans des opérations commerciales ou industrielles pouvaient impunément continuer ces opérations pendant toute la durée de leurs fonctions. Je le demande, est-il dans l’intention de la chambre de donner un brevet d’impunité à tous les magistrats qui font acte de commerce et d’industrie ?
Maintenant, messieurs, y a-t-il une exception à faire pour les membres de la cour des comptes ? Je ne fais pas ici une question de personnes, c’est une question de principe que je traite, et elle est de la plus haute importance. Comment ! un magistrat inamovible ou amovible ne pourra s’occuper d’aucune opération commerciale ou industrielle, et des membres de la cour des comptes, si haut placés par l’importance de leurs fonctions, pourraient être intéressés dans un commerce ou une industrie ! Cela n’est pas possible.
M. le ministre de l'intérieur trouve une différence entre les magistrats de l’ordre judiciaire et ceux de la cour des comptes ; les uns sont nommés à vie, dit-il, les autres n’exercent que des fonctions temporaires. Que M. le ministre ne s’y trompe pas : les juges sont nommés à vie ; mais les membres du parquet, les greffiers et tous les autres fonctionnaires de l’ordre judiciaire ne sont pas nommés à vie, ils sont nommés seulement jusqu’à révocation. On avait proposé au congrès de les nommer à vie ; MM. Fleussu et Destouvelle se sont opposés à cette proposition, et cela par le motif qu’en les nommant à vie, on aurait paralysé l’action du gouvernement. Cette proposition n’a pas été admise.
Ainsi les membres du parquet, les greffiers et autres fonctionnaires des cours et tribunaux qui exercent jusqu’à révocation sont dans la position des magistrats proprement dits. Pourquoi donc feriez-vous une exception pour les membres de la cour des comptes ? Cette question n’en est pas une, ou plutôt elle en est une en ce sens qu’elle est le corollaire de l’augmentation des traitements.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable préopinant a supposé que j’ai développé un système sur l’application de la disposition votée hier. J’ai simplement rappelé une explication qui a été donnée.
Il a été déclaré que la disposition n’aurait pas de sens rétroactif. Mais dans quel sens fallait-il entendre cette déclaration ? On nous a répondu que la déclaration ne s’appliquait qu’aux peines disciplinaires ; c’est-à-dire que les peines disciplinaires ne pouvaient atteindre les magistrats pour des faits antérieurs à la loi.
Soit, j’accepte cette interprétation de l’interprétation d’hier.
Maintenant tout malentendu vient à cesser et je m’en félicite. Mais je dois dire, avec l’honorable M. Castiau, qui m’interrompait tout à l’heure, qu’ainsi restreinte, cette déclaration ne me paraît plus avoir de sens.
M. le président – Depuis le commencement on discute la question d’ajournement et le fond. Je fais cette observation afin que si la discussion est close, on ne demande plus la parole sur le fond.
M. de La Coste – Je n’espère pas ajouter beaucoup de lumières à celles qu’on a déjà répandues dans la discussion. Mais je dois exposer à la chambre l’embarras dans lequel me met l’honorable rapporteur de la section centrale. En thèse générale et sauf à examiner à quelle époque il conviendra de fixer l’application du principe, je ne me suis pas éloigné d’adopter l’opinion qu’à défendue l’honorable rapporteur. Mais, je le répète, il m’a mis dans un assez grand embarras ; il a parlé d’un membre de la cour des comptes qui appartiendrait à telle ou telle société que la chambre, selon lui, n’approuve pas. En admettant le principe proposé, vous allez, nous a-t-il dit, obliger ce membre à quitter immédiatement la société dont il s’agit. Il aurait fallu ajouter : « ou à quitter immédiatement la cour des comptes. »
L’honorable rapporteur nous met ainsi dans la position de trancher en séance publique une question personnelle, dont nous avons coutume de faire l’objet d’un scrutin secret ; il nous appelle virtuellement à défaire ce que nous avons régulièrement fait.
Pour moi, je désirerais que la question fût indépendante de toute question de personne, que l’on s’occupât du principe considéré en lui-même. La direction qu’a prise la discussion, me fait donc désirer que la question soit ajournée.
D’ailleurs, comme l’a dit l’honorable M. de Man, il n’y a point péril dans la demeure. La chambre a, pour ainsi dire, décidé qu’il n’y a avait pas urgence, lorsqu’elle a nommé les membres actuels de la cour des comptes ; elle ignorait alors, en effet, quand la loi dont nous nous occupons serait discutée. Nonobstant cela, la chambre a choisi les membres de la cour y compris celui auquel on a fait allusion. Elle n’a donc pas vu une objection très-grave dans la circonstance dont on s’occupe maintenant ; car elle ne s’y est point arrêtée, quoiqu’elle ne sût pas combien durerait l’état de choses résultant de cette nomination.
C’est d’après ces motifs que, si la question d’ajournement est posée, je la résoudrai positivement.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Un honorable député de Bruxelles vient d’argumenter sur le mot « inamovibilité ». Il nous a fait observer que les membres du parquet n’étaient pas inamovibles. Ici, messieurs, il faut faire une distinction.
La magistrature assise est inamovible, c’est-à-dire que ces magistrats ne peuvent jamais être révoqués.
Les membres du parquet sont révocables. A moins de circonstances extraordinaires, quoiqu’ils ne soient pas inamovibles, ils ne sont pas révoqués. On peut les considérer généralement comme étant nommés à vie, c’est-à-dire sans terme. Sauf de rares exceptions, ces fonctionnaires amovibles exercent leurs fonctions jusqu’à ce qu’ils réclament eux-mêmes leur pension. (Réclamations.)
Cette distinction est bien réelle en fait. La plupart des fonctionnaires, à de très-rares exceptions près, exercent leurs fonctions jusqu’à ce qu’ils réclament leur pension. C’est un fait positif qui ne peut être contesté.
Il faut donc distinguer entre les fonctionnaires nommés pour un terme déterminé, comme les membres de la cour des comptes, qui sont nommés pour six ans, et les fonctionnaires nommés sans terme.
C’est à cause de cette position différente des membres de la cour des comptes qu’on peut ne pas les assimiler, quant aux incompatibilités, aux membres de la magistrature qui sont nommés pour un terme indéfini.
J’appelle l’attention de la chambre sur cette distinction et surtout sur cette circonstance que les membres de la cour des comptes doivent conserver des moyens d’existence pour le cas où la chambre ne les maintiendrait pas en fonctions.
M. Dumortier – La question soulevée n’est pas une question de durée de fonctions. La question n’est pas là ; voilà où elle est : Est-il convenable qu’un membre de l’ordre judiciaire appartienne, soit comme directeur, soit comme administrateur, à une société anonyme, parce que cette société anonyme ou une société qui a des droits analogues peut comparaître devant lui ? Cette question touche aux intérêts des citoyens.
Est-il convenable qu’un membre de la cour des comptes soit intéressé dans les opérations d’une société anonyme, alors que cette société ou une société concurrente peut avoir des intérêts opposés à ceux du trésor public ?
Par le même motif que nous avons trouvé convenable qu’un membre de l’ordre judiciaire ne pût siéger dans les affaires où il a un intérêt direct, l’intérêt de l’Etat, l’intérêt du trésor public ne doit pas permettre qu’un membre de la cour des comptes puisse siéger lorsqu’il s’agit de prononcer entre le trésor public et une société à laquelle il apparient, ou une société analogue.
Je suppose que le gouvernement ait vendu la British-Queen à une société anonyme dont un membre de la cour des comptes ferait partie ; il aurait intérêt à sanctionner la vente qu’aurait faite le gouvernement sans le concours des chambres.
La cour des comptes est une émanation de la chambre des représentants. De toutes les institutions nées de la révolution, c’est celle qui rend à l’Etat le plus de services ; elle lui rend des services de tous les jours.
Il importe que les membres de la cour des comptes ne soit pas placés entre leur intérêt et celui du trésor public. C’est aux membres de la chambre à voir s’ils veulent subir ces conditions.
Quand la cour des comptes a constaté que l’intérêt du trésor a été méconnu, il faut qu’elle soit toute-puissante pour réprimer l’abus. C’est pourquoi le congrès a voulu un visa « préalable ». Ce visa ne peut avoir d’effet qu’autant que la cour des comptes sera dans les conditions d’une indépendance absolue, non-seulement vis-à-vis du gouvernement, mais encore relativement à toutes les affaires sur lesquelles elle est appelée à prononcer.
Je pense donc qu’il convient d’adopter la proposition de la section centrale.
(page 159) Je ne puis admettre qu’il convienne d’ajourner notre décision ; car si elle est dans l’intérêt de la chose publique, elle ne saurait être trop prompte. Ce serait faire naître des abus qu’il serait plus tard difficile de faire cesser. Mieux vaut les prévenir en adoptant de suite la disposition proposée. C’est dans ce sens que je voterai.
- La clôture de la discussion est demandée et prononcée.
Il est procédé au vote par appel nominal sur la proposition d’ajournement.
63 membres prennent part au vote.
38 votent contre l’ajournement.
25 votent pour.
En conséquence, l’ajournement n’est pas adopté.
Ont voté contre l’ajournement : MM. Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Huveners, Jadot, Lange, Lebeau, Lesoinne, Lys, Manilius, Mast de Vries, Morel-Danheel, Orts, Osy, Rodenbach, Savart, Sigart, Thyrion, Vanden Eynde, Verhaegen, Wallaert, Zoude, Brabant, Castiau, de Baillet, de Corswarem, de Haerne, Delehaye, Delfosse, de Meester, de Roo, de Saegher, de Tornaco, de Villegas, Dubus (aîné), Dumont, Dumortier et Liedts.
Ont voté pour l’ajournement : MM. Goblet, Kervyn, Mercier, Nothomb, Pirmez, Simons,Van Cutsem, Vilain XIIII, Cogels, Coghen, d’Anethan, Dechamps, de Florisone, de La Coste, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, Deprey, de Renesse, Desmaisières, de Terbecq, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny et Duvivier.
L’article 2, proposé par la section centrale, est mis aux voix par appel nominal.
63 membres prennent part au vote.
53 votent l’adoption.
8 le rejet.
2 s’abstiennent.
En conséquence, l’article est adopté.
Ont voté l’adoption : MM. Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Huveners, Jadot, lange, Lebeau, Lesoinne, Lys, Manilius, Mast de Vries, Morel-Danheel, Orts, Osy, Pirmez, Rodenbach, Savart, Sigart, Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Verhaegen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Brabant, Coghen, de Baillet, de Corswarem, de Florisone, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, Deprey, de Renesse, de Roo, de Saegher, Desmaisières, de Terbecq, de Tornaco, de Villegas, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dubus (aîné), Dumont, Dumortier, Duvivier et Liedts.
Ont voté le rejet : MM. Goblet, Kervyn, Mercier, Nothomb, Simons, d’Anethan, Dechamps et de Mérode.
Se sont abstenus : MM. Castiau et Cogels.
Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Castiau – J’aurais adopté la proposition que la chambre vient de sanctionner, si elle s’était appliquée seulement aux membres de la cour des comptes. Je croyais, avec la majorité, qu’il ne convient pas que ces membres exerçassent des actes de commerce et d’industrie incompatibles avec leurs devoirs.
Mais, comme la prohibition ne s’arrêtait pas au membre de la cour des comptes et qu’elle s’étendait à son épouse et à tous ceux qu’on voudrait comprendre dans la qualification des personnes interposées ; comme, d’un autre côté, elle serait, suivant les dernières explications de M. le rapporteur, entachée de ce vice de rétroactivité, que je regrette de n’avoir pas assez formellement combattu hier, je n’ai pu admettre cette disposition, et j’ai dû m’abstenir.
M. Cogels – Messieurs, d’après les explications qui ont été données par un honorable député de Tournay, il m’a paru qu’on voulait donner à l’article une extension qu’il ne comportait pas. J’avais demandé la parole pour faire voir qu’il disait trop ou qu’il disait trop peu. J’ai voulu me réserver de donner ces explications lors du second vote.
M. le président – Des amendements ayant été introduits dans la loi, le second vote doit être renvoyé à lundi.
M. d’Huart – Je proposerai de fixer ce second vote à demain, après celui sur le projet relatif aux traitements de la magistrature.
- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.
La séance est levée à 4 heures.