(Moniteur belge n°172, du 20 juin 1844)
(Présidence de M. Liedts.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et quart.
M. Dedecker lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Washer présente des observations contre les demandes d’augmentation de droits d’entrée sur les tulles. »
- Renvoi à la commission permanente d’industrie.
« Les fabricants et débitants de tabacs à Audenarde présentent des observations contre le projet de loi sur les tabacs présenté par la section centrale. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
M. de Villegas. - Je pense, M. le président, que d’autres pétitions relatives au même impôt ont été insérées au Moniteur. Je demanderai la même faveur pour celle-ci.
Cette proposition est adoptée.
M. Desmet présente un rapport sur une demande en naturalisation ordinaire.
Ce rapport sera imprimé et distribué.
La chambre fixera ultérieurement le jour de la prise en considération.
M. Scheyven (pour une motion d’ordre.) - Dans une des séances précédentes, la chambre a renvoyé, sur ma demande, à la commission d’industrie, une pétition du conseil communal de Waelhen, qui demande que le droit sur l’importation des foins soit augmenté. Je demanderai que la chambre veuille bien inviter la commission à s’occuper, toute affaire cessante, de cette pétition, afin qu’un rapport ou une proposition puisse nous être fait avant que nous ne nous séparions.
Il est urgent, messieurs, que l’on s’occupe de cet objet. Depuis un an les importations ont considérablement augmenté, à tel point que la vente ou la location des herbages qui se sont faites récemment, sont restées de plus de moitié au-dessous des prix qui ont été obtenus les années précédentes.
Les importations nous viennent surtout de la Hollande. Autrefois elles se faisaient uniquement par eau ; mais si les renseignements que j’ai obtenus sont exacts, il paraît qu’elles se font maintenant aussi par terre et surtout dans la Campine.
Peut-être que le gouvernement, en vertu de la loi générale de 1822, pourrait prendre des mesures en l’absence des chambres. Je l’engagerai à examiner la question car notre pays produit assez de foin, et en qualité meilleure que celui qui nous est importé. En attendant je me bornerai à demander que la chambre veuille bien inviter la commission d’industrie à s’occuper, dans le plus bref délai, de l’examen de la pétition dont je viens de parler. Je n’entends pas préjuger ni entrer dans le fond de la question. La commission examinera et fera un rapport ou une proposition, si elle le juge convenable, on demandera le renvoi à M. le ministre de l’intérieur, pour qu’il use du droit que lui confère la loi de 1822. Mais il faut qu’une mesure prompte soit prise, car le droit qui existe n’est qu’un droit de balance de 50 centimes.
M. Desmet. - J’appuie la proposition de M. Scheyven. Ce n’est pas seulement dans la Campine qu’il entre du foin hollandais, mais aussi dans la Flandre orientale et dans d’autres provinces.
Ces foins font une concurrence très nuisible à nos cultivateurs et sont d’ailleurs d’une qualité inférieure à ceux de notre pays.
Vous savez, messieurs, combien l’impôt foncier sur les prairies est élevé. Il est certain cependant que par suite de l’entrée des foins étrangers, il y a diminution sur le prix des prairies.
Je crois donc, comme l’honorable M. Scheyven, que si une augmentation de droits ne peut être votée avant la fin de la session, le gouvernement pourrait user utilement des droits que lui donne la loi de 1822, et j’espère que pour l’armée on donnera la préférence aux foins du pays.
- La proposition de M. Scheyven est mise aux voix et adoptée.
M. Mast de Vries (pour une autre motion d’ordre.) - Messieurs, après la loi sur les tabacs, il ne se trouve à l’ordre du jour que le projet sur les péages du chemin de fer. Ce dernier projet ne peut occuper la chambre que quelques instants ; il est même probable qu’il ne donnera lieu qu’à un appel nominal.
Il est, messieurs, un autre projet qui se trouve dans le même cas, et que je vous demanderai de discuter immédiatement après celui sur les péages du chemin de fer. C’est celui relatif aux créances arriérées du département de la guerre, sur lequel la commission permanente des finances vous a fait un rapport. Il y a, messieurs, des personnes qui depuis quatorze ans sont en débours. Ce projet intéresse presque toutes les localités du pays.
Je demanderai donc que la chambre veuille bien le mettre à l’ordre du jour après celui relatif aux péages du chemin de fer.
- La proposition de M. Mast de Vries est adoptée.
Rapport de la section centrale sur les amendements présentés
M. de Corswarem, rapporteur. - La chambre paraissant peu disposée à adopter un droit qui se rapproche de celui qui a été d’abord proposé par la section centrale, de commun accord avec le gouvernement, la section craint que les amendements présentés par l’honorable M. Zoude, ainsi que par les honorables MM. Lys, de Renesse, Eloy de Burdinne et de Garcia, n’aient pas de chances suffisantes de succès. Persuadée, cependant, que des ressources sont indispensables au trésor public, et ne partageant pas la conviction de ceux qui soutiennent que les prévisions des recettes seront dépassées, la section centrale, par 4 voix contre 2, vient appuyer l’amendement de l’honorable M. Malou, légèrement modifié en quelques-unes de ses dispositions, modifications auxquelles cet honorable membre, présent dans la section, a déclaré se rallier.
La section centrale, par 4 voix contre 2 abstentions, a admis un droit de culture, qu’elle vous propose à l’unanimité de fixer à 100 fr. par hectare, en stipulant qu’il ne sera pas compté pour la formation du cens électoral, afin de ne pas déranger le système des lois électorales.
Elle a cru nécessaire d’introduire cette stipulation dans la loi, parce que tout droit d’accise ayant été rejeté par la chambre, elle a craint que le droit de culture ne fût regardé comme un impôt direct.
L’augmentation du droit de douane nécessite l’adoption d’un droit de culture ; l’insuffisance de nos ressources le demande également ; il est en outre nécessaire comme moyen de contrôle pour connaître désormais son importance réelle. Si l’on n’imposait pas le tabac indigène, la production s’accroîtrait au détriment des produits que l’on attend de l’élévation des droits de douane.
La section centrale n’a pas examiné s’il serait utile de diviser les terres cultivées en plusieurs catégories. Le peu d’élévation du droit, qui ne montera qu’à 4 fr. 50 par 100 kilog., lui a paru rendre cette distinction inutile.
Elle n’a pas adopté cette division, qui entraînerait des difficultés dans le classement des terres cultivées en tabac, disséminées en petites quantités sur une grande partie du territoire du pays.
Par suite de la décision déjà prise par la chambre, quant à l’accise et eu égard au droit beaucoup moins élevé qui est proposé, la section centrale ne renouvelle pas sa proposition d’assujettir les approvisionnements existants à l’augmentation du droit ; et, comme conséquence de cette détermination, elle est d’avis qu’il y a lieu d’exempter de l’impôt les produits de la récolte prochaine. Cette exemption est fondée en équité.
L’art. 2 de la proposition de M. Malou n’a pas été jugé utile ; il présente d’ailleurs des inconvénients dans la formation des relevés statistiques.
La prohibition des tabacs d’Europe à l’entrée par terre, par canaux et rivières, au lieu d’être prononcée d’une manière absolue, est réservée comme faculté au gouvernement.
Voici le projet que vous propose la section centrale :
« Art 1er. Par modification au tarif des douanes, les droits d’importation et d’exportation sur les tabacs seront perçus comme il suit :
« Tabacs en feuilles ou en rouleaux.
« D’Europe, sans distinction (Note (a) : Le gouvernement pourra interdire l’entrée des tabacs d’Europe par certains bureaux des frontières de terre), les 100 kil., sans distinction de pavillon, 12 fr. 50 c. ; droit de sortie, 5 c.
« Varinas, sans distinction de provenance, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 35 fr. ; droit de sortie, 5 c.
« (De Porto-Rico, de Havane, de Colombie, de St-Domingue, des Grandes-Indes et d’Orénoque.)
« Directement des pays de production, les 100 kil., par pavillon national, 15 fr. ; par pavillon étranger, 16 fr. 50 c. ; droit de sortie, 5 c.
« D’ailleurs, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 17 fr. 50 c. ; droit de sortie, 5 c.
« (Autres pays hors d’Europe.)
« Directement des pays de production, les 100 kil., par pavillon national, 10 fr. ; par pavillon étranger, 11 fr. 50 c. ; droit de sortie, 5 c.
« D’ailleurs, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 12 fr. 50 c. ; droit de sortie, 5 c.
« (Côtes.)
« Directement des pays de production, les 100 kil., par pavillon national, 11 fr. 50 c. ; par pavillon étranger, 13 fr. ; droit de sortie, 5 c.
« D’ailleurs, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 14 fr. ; droit de sortie, 5 c.
« (En carottes, en poudre,, hachés ou autrement fabriqués.)
« Sans distinction de provenance, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 40 fr. ; droit de sortie, 5 c.
« (Cigares.)
« Directement des pays hors d’Europe, les 100 kil., par pavillon national, 200 fr. ; par pavillon étranger, 220 fr. ; droit de sortie, 5 c.
« D’ailleurs, les 100 kil,, sans distinction de pavillon, 240 fr. ; droit de sortie, 5 c. »
« Art. 2. Le tabac indigène est imposé à la culture d’un droit de 100 fr. par hectare, qui ne pourra être compté pour la formation du cens électoral.
« Les cultivateurs pourront planter, sans exemption de l’impôt, un are au plus pour leur propre consommation par ménage. »
« Art. 3. Le droit de culture est exigible par douzième de mois en mois, à partir du 1er janvier de l’année qui suivra celle de la plantation.
« Le mode de déclaration des plantations et les autres mesures d’exécution relatives au droit de culture seront réglées par arrêté royal.
« Les plantations non déclarées de mémo que les cultures d’une superficie- de terrain supérieure à celle qui sera déclarée, seront punies d’une amende égale au double du droit de culture. »
« Art. 4. La présente loi sera exécutoire le lendemain de sa promulgation.
« Les plantations de 1844 ne donneront pas ouverture au droit de culture. »
M. le président. - La parole est à M. de Nef.
M. Delehaye. - Je demanderai si le gouvernement se rallie à la proposition de la section centrale. Il est bon que nous sachions, avant la discussion, ce que veut le gouvernement. (Interruption de M. de Roo.)
L’honorable député de Thielt paraît s’étonner de ma question. Il me semble qu’on ne peut en faire une plus légitime. A chaque instant, le gouvernement dévie de la voie qu’il avait d’abord parcourue. Il est nécessaire que nous connaissions enfin ce qu’il veut.
(L’intervention du M. le ministre des finances qui suit est reprise dans le Moniteur belge du 20 juin 1844, à la fin de la séance.) M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, j’avais cru devoir attendre, pour me prononcer, que les honorables auteurs des amendements eussent pris la parole. Je sais que, par suite des propositions de la section centrale, l’honorable M. Zoude se propose de ne pas donner suite au sien.
J’ignore, messieurs, si l’honorable M. Lys maintient sa proposition. S’il en est ainsi, je voterai pour son amendement. S’il ne le maintient pas, force sera alors au gouvernement de se rallier aux propositions de la section centrale.
M. de Nef. - Depuis notre séparation de la Hollande, la fabrication des tabacs s’est considérablement accrue en Belgique.
Vous savez qu’avant, comme après la révolution, les tabacs fabriqués en Hollande ont, en plusieurs localités, obtenu la préférence sur ceux du pays, et que les droits d’entrée sont assez considérables, puisqu’ils peuvent être évalués à environ 35 francs par 100 kilog., y compris les centimes additionnels.
Cependant, malgré cette élévation des droits, quelques milliers de kilogrammes ont été déclarés aux bureaux frontières, et la facilité du transport de cette espèce de marchandise permet bien de supposer qu’une certaine quantité aura également été introduite en fraude.
Si, jusqu’à présent, les fabricants indigènes ont pu, quoique difficilement, lutter contre cette importation, je pense que pour empêcher un certain nombre de fabriques de chômer dans l’avenir, surtout dans les localités voisines de la frontière, le droit sur les tabacs fabriqués en pays étranger doit être élevé à 45 francs les 100 kilogrammes.
M. Manilius. - Messieurs, j’ai eu l’honneur de déposer hier sur le bureau, de concert avec l’honorable M. Osy, un amendement consistant dans la reproduction du projet que le gouvernement nous a présenté en 1842. Je pense, messieurs, que ce projet était ce qu’on pouvait avoir de mieux dans l’occurrence. En effet, comme j’ai eu l’honneur de le dire hier, nous sommes sans loi de douane sur les tabacs ; et la preuve, c’est qu’on a dû recourir à la section centrale pour formules un simulacre de loi, ou, si vous le voulez, une loi improvisée.
Je pense, messieurs, que la chambre ne doit pas trop se presser de voter des lois improvisées, alors surtout que ces lois touchent aux intérêts les plus chers du pays, aux intérêts du commerce, aux intérêts de l’industrie.
Je crois, messieurs, que chaque fois qu’il s’agit de formuler des lois de la sorte, on a recours à tous les intéressés, on examine la question à fond, on consulte les chambres de commerce, on nomme même des commissions spéciales pour s’éclairer.
Qu’arrive-t-il, messieurs, dans ce moment ? Rien de tout cela n’a été fait. On hasarde, en quelque sorte, des chiffres pour donner de quoi nourrir le trésor, sans tenir compte des intérêts qui devraient être défendus avant tout, qui devraient même l’emporter sur les intérêts du trésor.
Je pense, messieurs, que ce peu de mots suffisent. Je crois que ce que j’ai dit hier suffit aussi pour comprendre que nous devons être prudents et que nous ne pouvons voter avec légèreté et ce serait voter avec légèreté que d’admettre des chiffres au hasard.
L’honorable ministre de l’intérieur nous a dit hier que la loi que j’avais invoquée, ne s’occupait pas exclusivement des tabacs, que cette loi comprenait des droits d’entrée sur plusieurs objets, entre autres, a-t-il dit, sur le café. Eh bien, messieurs, je dirai que la loi sur le café n’a pas même été votée ; ou au moins elle ne l’a été que par anticipation, par bienveillance pour le trésor, lorsqu’on s’est occupé du budget de 1842. Cette loi était alors en instruction et l’on a demandé que l’on votât dans le budget le chiffre de 10 fr., parce que dans les sections ce chiffre n’avait pas soulevé une grande opposition. Mais il était bien entendu que cette loi ferait l’objet d’un vote particulier.
Il n’est donc pas exact de dire que la plus grande partie du projet de 1842 a été votée. Il est vrai qu’il s’occupait aussi des comestibles, je crois même qu’il s occupait des homards. Elle s’en est ressentie ; cette loi n’a été qu’une loi de recul.
M. Osy. - Messieurs, j’ai présenté, avec l’honorable M. Manilius, un amendement qui rentre tout à fait dans les idées du gouvernement en 1842. Le projet de loi qui vous avait été présenté à cette époque, était le résultat d’une enquête qui avait été faite dans toutes nos provinces. Toutes les provinces, messieurs, ont trouvé que nous devions maintenir la législation existante, qui établissait sur les tabacs d’Amérique un droit de 2 fr. 50 c. Il n’y a que la Flandre occidentale qui a été d’avis que l’on pouvait légèrement augmenter les droits sur les tabacs, et par 4 voix contre 3, elle avait engagé le gouvernement à ne pas aller au-delà du droit de 4 fr. pour le tabac d’Amérique.
Cependant, le gouvernement, croyant pouvoir faire quelque chose de plus, proposa, au mois de novembre 1842, un projet de loi tendant à élever les droits d’entrée sur différents objets, et entre autres sur le tabac. Le droit sur cet article était porté à 5 francs. La section centrale, dont le rapport fut présenté le 22 décembre, approuva le projet, et si l’on n’avait pas eu en vue les droits différentiels, il n’y a pas de doute que l’année dernière la loi n’eût été votée. Alors le tabac n’eût été frappé que d’un droit de 5 fr., droit qui était déjà le double de ce qui existait auparavant. Remarquez, messieurs, que lorsque le gouvernement a proposé la loi dont je viens de parler, les besoins du trésor étaient bien plus grands qu’aujourd’hui. Que proposait alors l’honorable M. Smits, pour combler le déficit du trésor ? Il proposait des centimes additionnels à la contribution foncière et à la contribution personnelle. Vous savez, messieurs quel a été le résultat de cette proposition. Le gouvernement avait présenté, en outre, une loi sur la bière, qui devait augmenter les recettes de 1,500,000 fr. Le gouvernement a trouvé convenable de retirer cette loi. (Interruption.) On a déclaré que la loi était retirée. On nous avait présenté, de plus, une augmentation sur divers autres objets tels que les riz, les fruits et les tabacs ; les droits sur les riz et sur les fruits ont été augmentés par la loi sur les droits différentiels, qui a été votée la semaine dernière. Reste donc le tabac. Eh bien, messieurs, je suis persuadé que vous ne pouvez pas établir un impôt sur la culture du tabac. Cependant, si vous adoptez l’amendement de M. Malou, qui établit un droit de 10 fr. sur les tabacs étrangers, vous donneriez à la culture une protection de 257 fr. par hectare, en évaluant les produits à 2,000 kilog. par hectare. Or, comme je ne veux pas d’un impôt sur la culture, il m’est impossible de me rallier à l’amendement de l’honorable M. Malou, parce que je suis convaincu qu’avec un droit de 10 fr. sur le tabac exotique, vous seriez obligés d’en venir, d’ici à très peu d’années, à un droit à la culture. C’est pour ce motif, messieurs, que, de concert avec l’honorable M. Manilius, j’ai proposé un amendement qui rentre tout à fait dans l’esprit du projet de 1842.
Je suis convaincu, messieurs, que le droit de 40 fr. proposé par l’honorable M. Malou sur le tabac fabriqué, que ce droit provoquera un grand commerce interlope sur notre frontière du Nord. Je ne pourrai donc pas adopter le chiffre de 40 fr. pour le tabac fabriqué.
Si nous adoptons un droit de 5 fr. sur les tabacs des Etats-Unis, je suis persuadé, messieurs, que, grâce à nos communications actuelles vers le Rhin, nos exportations de tabac fabriqué vers l’Allemagne et surtout vers la Suisse augmenteront considérablement. Vous savez messieurs, que la Suisse est encore mieux située pour le commerce interlope avec la France, avec la Savoie, avec les Etats autrichiens et même avec la Bavière. Le droit de 5 fr. nous permettrait donc de concourir avantageusement avec la Hollande, Brême et Hambourg. Je suis persuadé, d’ailleurs, que par toutes les voies indirectes, le droit de 5 fr. rapporterait au trésor plus qu’un droit de 10 fr., qui nous mettrait dans l’impossibilité de lutter avec la Hollande et les villes anséatiques, qui anéantirait infailliblement notre commerce avec l’Allemagne et la Suisse ; je crois donc pouvoir dire que le droit de 5 fr. qui nous laisserait un grand commerce d’exportation, donnerait lieu à des produits bien plus grands sur une foule d’impôts tels que les droits de port, de pilotage, les péages sur le chemin de fer et d’autres revenus, et que, par conséquent, le droit de 5 fr. donnerait au trésor un produit plus considérable qu’un droit de 10 fr.
Ne perdons pas de vue, messieurs, que l’industrie des tabacs a acquis, depuis 1830, une très grande importance. Nous avons aujourd’hui plus de 300 fabriques et 14 mille débitants, et je suis persuadé que l’industrie des tabacs occupe au moins 40 à 50 mille personnes, de plus le commerce interlope qui se fait sur la frontière de France donne beaucoup d’occupation aux habitants des provinces qui souffrent aujourd’hui par suite de l’état fâcheux où se trouve l’industrie linière.
Il m’est donc impossible de donner mon assentiment à un droit sur la culture ; et pour être conséquent avec moi-même, je ne pourrai appuyer, pour le tabac exotique, qu’un droit de 5 fr., c’est à-dire du double de ce qui existe aujourd’hui.
M. Cogels. - Messieurs, par la résolution que vous avez prise hier en écartant le droit d’accise, vous avez écarte de fait tout droit de douane élevé ; car, de l’aveu même du gouvernement, ainsi que vous pouvez le voir à la page 8 du rapport de la section centrale, ce n’était que pour assurer le recouvrement du droit de 35 ou de 30 fr., que l’on regardait le régime de l’accise comme indispensable. Dès lors la section centrale a pu revenir facilement sur la résolution qu’elle avait prise antérieurement. Il n’était plus question d’un droit de 30 fr. On a trouvé qu’un droit de 20 fr. serait également trop élevé. On a trouvé même que le recouvrement d’un droit de douane de 15 fr. ne serait pas assuré ; c’est là ce qui a conduit la majorité de la section centrale à se rallier au chiffre de 10 francs propose par l’honorable M. Malou. Je parle du chiffre de 10 fr., parce que je m’attache principalement au droit établi sur les qualités de tabac les plus médiocres, sur les tabacs des Etats-Unis, parce que les autres n’entrent que pour une très faible part dans nos importations.
Il m’a été impossible, messieurs, de me rallier, dans la section centrale, au chiffre de 10 fr., parce que je n’étais pas complètement rassuré avec un droit de 10 fr. sur l’exemption complète que l’on pourrait accorder à la culture. En effet, messieurs, par un droit de 10 fr., ainsi que vient de le dire l’honorable M. Osy, vous donnerez à la culture une protection de 237 fr. par hectare, tandis qu’avec le droit actuel, la protection n’est que de 65 fr. Il y aurait donc là une augmentation de 190 fr. à peu près. Je sais bien que si l’on considère les bas prix des tabacs d’Amérique, il n’y a pas de protection réelle pour les tabacs indigènes mais le cultivateur suit ses anciennes habitudes, il ne calcule pas exactement, il ne calcule pas le plus souvent qu’en se livrant à une autre culture et en remplaçant les exportations de tabac indigène par un commerce de tabac exotique, il obtiendrait peut-être un résultat meilleur. Il est une autre considération encore qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que des goûts se sont formés, et que, malgré la supériorité que plusieurs personnes se plaisent à reconnaître aux tabacs des Etats-Unis, d’autres personnes préfèrent le tabac indigène. (Interruption). Il y a, messieurs, des personnes qui préfèrent ces tabacs de haut goût. Je sais bien que ce n’est pas la généralité, mais toutes les circonstances que je viens de citer, réunies, maintiennent la culture du tabac indigène qui, sans cela, aurait disparu sans aucun doute devant le bas prix des tabacs d’Amérique.
Eh bien, messieurs, c’est pour éviter la nécessité d’un droit à la culture que je me suis opposé au chiffre de 10 fr. proposé par l’honorable M. Malou, et que je me serais rallié au chiffre proposé par l’honorable M. Smits ; mais bien certainement de préférence à celui qui a été présenté en dernier lieu par les honorables MM. Osy et Manilius. Maintenant, messieurs, la question du droit à la culture a été posée la dernière dans la section centrale, parce que, naturellement, la solution en dépendait entièrement du chiffre du droit de douane qui aurait été admis. Le chiffre de 10 fr ayant été adopté par 4 voix contre 2 la section centrale a reconnu qu’il devenait, sinon tout à fait indispensable, au moins utile d’établir un droit à la culture, quand ce ne serait que pour pouvoir constater l’importance que prendrait la culture, pour voir si, par suite de l’établissement d un droit de douane plus élevé, la culture du tabac indigène ne prendrait pas une plus grande extension, chose que le gouvernement devait nécessairement constater, parce qu’il devait s’assurer si l’élévation du droit sur le tabac exotique, en développant la culture du tabac indigène, ne nuirait pas aux revenus du trésor. Je pense donc, messieurs, que si la majorité de la chambre veut effectivement que la culture reste affranchie de tout droit, reste affranchie de toute entrave, il n’y a pour elle d’autre parti à prendre que d’adopter soit l’amendement de l’honorable M. Smits, soit l’amendement de MM. Osy et Manilius. Si, au contraire, elle veut un chiffre de 10 fr., je pense qu’elle ne pourra pas se dispenser de frapper la culture d’un droit quelconque.
M. Rodenbach. - Messieurs, nous sommes en présence de six amendements et d’un rapport de la section centrale. Si j’ai bien entendu la lecture de ce rapport, la section centrale fait a peu près la nième proposition que l’honorable députe d’Ypres, sauf qu’elle propose, pour les tabacs venant de pays d’Europe, un chiffre de 12 fr. 50, tandis que l’honorable M. Malou proposait 15 fr., et sauf une autre différence extrêmement importante, c’est que la section centrale propose un droit à la culture de 100 fr. par hectare. En ce qui concerne les tabacs étrangers, j’adopterai, soit la proposition de l’honorable M. Malou, soit la proposition oc la section centrale ; mais je n’admettrai, en aucun cas, un droit à la culture. Je croyais, messieurs, que, par le vote d’hier, vote émis par 64 membres contre 17, la chambre avait fait justice d’un impôt sur la culture, impôt qui serait infiniment plus odieux que tout ce qui peut avoir été proposé depuis la révolution, impôt que je ne croyais pas susceptible d’être présenté dans une chambre belge. Qu’est-ce, en effet, messieurs, qu’il y avait de plus odieux dans les droits réunis de Napoléon ? Ce n’était pas seulement l’impôt sur les tabacs, c’était surtout le droit à la culture. Lorsque les gabelous de ce temps-là se sont répandus dans les campagnes, pour surveiller la culture, pour peser les tabacs, pour compter les feuilles, le peuple les a chassés à coups de bâton. (Dénégations sur quelques bancs.) Oui ! oui ! cela a eu lieu, je le sais pertinemment.
D’ailleurs, la proposition de la section centrale, d’imposer la culture, doit donner lieu à une injustice. Je vais vous le prouver en peu de mots. D’abord, les terres sont bonnes ou mauvaises. Il y a des terres où une plante récoltée pèse un quart de livre ; sur d’autres terres, la plante ne pèse qu’un demi-quarteron. Ainsi, votre impôt est injuste, inique, parce qu’il n’y a pas d’égalité dans le droit ; l’un paiera 15 p. c., l’autre 30 p.c. Il est impossible, d’après la proposition de la section centrale, que vous fassiez une répartition juste.
Je donne la préférence à un droit de 10 fr. p. c. par 100 kil. Je pense qu’avec ce chiffre, il sera très difficile de frauder. La preuve, c’est que les cafés en fèves qui payent maintenant 10 fr. les 100 kil., ne s’introduisent pas frauduleusement en Belgique. Je sais bien que, sur l’extrême frontière, les Hollandais importent en fraude une certaine quantité de café brûlé de médiocre qualité. Mais, je le répète, la fraude ne s’exerce pas sur les cafés en fèves non brûlés ; nous n’avons jamais entendu de plainte à ce sujet. Or, j’ai la conviction que si l’on ne fraude pas le café en fève, on fraudera moins encore le tabac en feuilles dont 100 kilog. occupent plus de volume que 100 kilog. de café.
D’après cela, j’admettrai le chiffre de 10 fr. qui, si je m’en rapporte aux calculs de l’honorable M. Malou, produira au-delà d’un million. Or, un million doit suffire. Lorsqu’il n’y aura pas beaucoup d’excédant, nous aurons des économies dans les dépenses. Déjà sur la conversion de la rente, il y a une augmentation d’un million et demi ; le chemin de fer rapportera un demi-million de plus que l’année dernière ; il y aura un surplus de recettes de 3 à 400,000 fr., sur le sel et sur le sucre.
Les prévisions du budget des voies et moyens seront outrepassées. Je rends justice à M. le ministre des finances ; il n’a pas exagéré les prévisions des recettes ; donc nous n’avons pas besoin de demander plus d’un million à l’industrie du tabac pour combler le déficit de 3 millions annoncé par M. le ministre lui-même.
Messieurs, je l’ai dit hier, l’industrie du tabac est la sixième des industries du pays. Cette nouvelle industrie, qui existe seulement depuis 1830 (car avant la révolution, elle était nulle pour ainsi dire) comporte aujourd’hui 15 millions par an.
Passons en revue toutes nos grandes industries, et voyons si nous ne devons pas ménager cette nouvelle industrie.
D’abord l’industrie linière, qui était une industrie, y compris la culture du lin, comportant autrefois 100 millions, est tombée aujourd’hui à 60 millions. L’industrie qui suit immédiatement l’industrie linière, est l’industrie houillère ; elle est de 40 millions. Nous avons, après cela l’industrie drapière et l’industrie métallurgique qui rapportent chacune 20 millions. L’industrie cotonnière rapporte 20 millions. Vient enfin l’industrie du tabac qui rapporte 15 millions, et nous voulons anéantir en quelque sorte cette industrie ! Ménageons-la bien plutôt, car il y a déjà assez de misère dans le pays ; conservons avec soin ce que nous avons encore ; car sinon, au lieu de faire bénir la révolution, nous finirons par la faire regretter ; je suis homme de la révolution ; je dis que si vous accablez le peuple d’impôts, si vous détruisez l’industrie du pays, on fera regretter la révolution (dénégations) ; oui, je le répète, on fera regretter la révolution…
Je dis donc qu’un droit de 10 fr. par 100 kilog n’est pas un chiffre exagéré ; il produira au-delà d’un million. Je trouve que le chiffre de 20 fr. proposé par M. Zoude est exagéré et qu’il n’est pas admissible. Je ne pense pas non plus que la chambre puisse admettre l’amendement de l’honorable M. Smits. Quant à l’amendement proposé par M. Lys et trois autres députés, il propose un droit qui me paraît exorbitant, et donnerait peut-être lieu à la fraude. Je crois qu’il faut s’arrêter à un droit de 10 fr. Le gouvernement recevra le droit et n’aura pas besoin d’un droit sur la culture.
M. Pirmez ; - Je pense que de la manière dont on y va, le droit sur les tabacs sera bientôt réduit à rien. La section centrale vient de proposer une diminution considérable ; l’honorable M. Cogels et d’autres membres renchérissent encore beaucoup sur cette diminution, parce que, disent-ils, on ne peut pas imposer la culture. Mais pourquoi ne peut-on pas imposer la culture ?
Messieurs, lorsque l’émotion que produit toujours l’établissement d’un nouvel impôt se sera calmée, lorsque le bruit que font et font faire les intéressés aura cessé, il restera une vérité qui se fera de nouveau jour dans cette chambre, comme elle se fera de nouveau pour dans le public. Cette vérité est que le tabac est une matière éminemment imposable.
M. de Haerne. - Je demande la parole.
M. Pirmez. - Nous n’avons qu’à voir le produit que cet article rapporte dans les pays voisins. Or, il n’a a pas de comparaison entre l’impôt perçu dans ces pays, et celui que propose le gouvernement lui-même sur le tabac.
Si vous ne mettez pas un impôt sur le tabac, vous le mettrez sur autre chose, car vos déficits demandent des impôts.
Vous dites que vous ne voulez pas imposer la culture du tabac. Cependant, vous voulez mettre un droit quelconque sur le tabac étranger. Quel que soit ce droit, il opérera toujours sur le tabac indigène. Si vous haussez la valeur du tabac étranger, nécessairement vous augmentez, dans la même proportion, la valeur du tabac indigène. Par conséquent, la culture du tabac indigène augmentera dans une certaine proportion. Attendez-vous, pour imposer le tabac indigène, que cette culture ait pris du développement ? Mais vous donnez ainsi une force considérable contre vous-mêmes, contre le trésor public. Vous avez déjà de la difficulté imposer le tabac indigène, que sera-ce quand cette culture aura pris du développement ?
Si vous aviez ainsi opéré sur le sucre indigène, lorsque l’on a commencé à cultiver la betterave, combien n’auriez-vous pas là de ressources pour le trésor ? Vous aviez un impôt très populaire à recevoir, celui sur les sucres. Cela vous donnerait de grandes ressources qui vous manquent aujourd’hui.
Le tabac, quoi qu’on en dise, est imposable et populairement imposable, pas pour le moment, à cause du bruit que l’on fait. Mais quand on reviendra à la raison, au sang-froid, on verra que le tabac doit être imposé. Tout avantage accordé à la culture indigène est un grand embarras pour l’avenir, lorsqu’on voudra établir un impôt de quelqu’importance.
M. Eloy de Burdinne. - Un honorable préopinant vous a dit que les amendements qui vous sont soumis étaient improvisés, et qu’il n’était pas prudent de voter des lois par improvisation. J’aurai l’honneur de faire observer que le projet de loi est en discussion ici depuis huit jours et qu’il a été discuté en sections. Je crois que les membres de la chambre qui ont suivi les travaux de leur section, ont eu tous les moyens de se pénétrer de l’importance et de la nécessité de frapper le tabac. Ils ont été à même de faire les observations nécessaires pour écarter du projet de loi les vices que chacun à cru y reconnaître.
Je crois que la majorité de la chambre est d’avis qu’il faut frapper la consommation du tabac, avec d’autant plus de raison, que l’Etat a besoin de ressources.
On trouve trop élevé un impôt de 10 ou de 5 fr. sur le tabac exotique. On considère le tabac comme un objet de première nécessité. A plus forte raison, doit-on trouver énorme le droit sur le café, qui certes est un objet de première nécessité ; car la consommation du café marche avant celle du tabac.
Dans tous les pays du monde, on considère le tabac comme un objet de luxe.
L’honorable M. Osy vous a parlé d’un impôt de 5 fr. Il a prétendu qu’un impôt de 5 fr. serait plus favorable qu’un impôt de 10 francs. Cinq francs et même rien serait plus avantageux au commerce d’Anvers, qui est insatiable (on rit), après avoir obtenu du gouvernement toutes les faveurs : 1° un chemin de fer jusqu’à Cologne ; 2° un service de navigation à voies vers les contrées transatlantiques pour le transport des marchandises ; 3° British-Queen, que maintenant on voudrait bien céder (On rit) ; 4° 800,000 fr. pour le remboursement des péages sur l’Escaut ; 5°et les droits différentiels !
Le commerce d’Anvers me rappelle ces enfants prodigues qui, après avoir obtenu de leurs parents tout ce qu’ils peuvent leur donner, finissent par leur demander la lune.
L’honorable M. d’Huart avait présenté, il est vrai, un projet de loi tendant à établir un droit de 2 fr 50 c. sur le tabac. Mais depuis lors, les temps sont bien changés. Notre situation financière est bien plus délabrée qu’elle ne l’était alors.
M. Dumortier. - Cela n’est pas exact.
M. Eloy de Burdinne. - Oui, messieurs, quoi qu’en dise l’honorable M. Dumortier.
Il y a trois mois, la situation du trésor se présentait, à lui, sous les couleurs les plus sombres ; aujourd’hui, dans ses heureuses mains, le cuivre devient or.
M. Dumortier. - Je n’ai pas changé de langage.
M. Eloy de Burdinne. - Je prie l’honorable M. Dumortier d’avoir un peu de patience. Il me répondra avec beaucoup de facilité. Il n’en manque pas.
Comment, on adopterait un droit de 5 fr. sur 100 kilog. de tabac, c’est-à-dire 5 p. c., quand nous percevons 450 p. c. sur la consommation du malheureux, le sel.
Un membre. - Mais vous espérez bien que cet impôt sera réduit.
M. Eloy de Burdinne. - Sans doute. Quand nous serons à même de réparer cette injustice, je ne doute pas que nous ne le fassions
M. Lebeau. - Vous ne parlez pas du pain.
M. Eloy de Burdinne. - Laissons M. Dupin tranquille, il n’est pas membre de cette chambre. (On rit.)
L’honorable M. Osy vous a exprimé toute sa sympathie pour le commerce interlope. Je suis étonné qu’il se constitue le défenseur d’un commerce aussi peu moral. C’est que, sans doute, il ne l’apprécie pas comme moi. Cependant, il doit le connaître mieux que moi.
L’honorable M. Osy a dit qu’il ne voulait pas frapper la production du pays. Je voudrais que l’on pût s’en dispenser. Je voudrais voir disparaître la contribution foncière qui est un impôt sur la production du pays. S’il était possible de s’en passer, je ne voudrais pas d’impôt ni sur la bière, boisson non pas du pauvre, car il ne peut en boire, mais de la classe ouvrière intermédiaire ; voila où je voudrais voir porter les réductions.
L’honorable M. Osy a changé d’opinion, il est devenu le défenseur de l’agriculture. Lorsque nous avons discuté la loi sur les sucres, il était moins partisan de l’agriculture qu’aujourd’hui. Il voulait qu’on établît sur le sucre indigène un droit aussi élevé que sur le sucre exotique. Le sucre indigène est le produit de la culture comme le tabac. Maintenant, il ne veut pas qu’on impose du tout le tabac indigène, à une condition, bien entendu, c’est qu’on n’établira sur le tabac étranger qu’un droit de 5 fr.
Pour mon compte, je suis d’avis de protéger tous les produits de mon pays. Je le répète, je voudrais un moyen de n’avoir aucun impôt à charge du producteur belge. Quand il s’agit d’impôts, nous devons chercher à les prélever sur l’étranger qui nous importe ses produits ; le trésor a besoin de ressources. Je consentirai donc à l’établissement d’un droit à la culture du tabac indigène, pour autant cependant que le droit sur le tabac indigène sera établi de manière que le tabac indigène puisse soutenir avec avantage la concurrence contre le produit similaire étranger.
De tous les amendements, je ne puis admettre que celui de l’honorable M. Lys.
L’amendement de l’honorable M. Malou ne donnerait pas au trésor les ressources dont il a besoin. En effet, n’est-il pas ridicule de percevoir quatre millions sur la consommation du sel, et de se contenter de 1,500,000 fr. sur la consommation du tabac, qui est en général une consommation de luxe ?
Je ferai une observation. Je veux exempter de l’impôt le tabac que le cultivateur cultive pour sa consommation. Mais je ne veux pas que l’homme opulent puisse fumer sans payer un impôt à l’Etat assez élevé.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je crois nécessaire de donner à la chambre quelques renseignements pour la mettre à même d’apprécier jusqu’à quel point il faut imposer le tabac indigène, quel chiffre il y a lieu d’adopter pour cet impôt.
Aujourd’hui le droit sur le tabac exotique est de 3 fr. 40 c., y compris les centimes additionnels. Avec ce droit, la culture du tabac indigène ne jouit par hectare que d’une protection de 75 francs, en supposant que chaque hectare produise 2,200 kil.
Faut-il maintenant augmenter cette protection ? La section centrale l’a pensé, et le gouvernement s’est rallié, sous ce rapport, à la proposition de la section centrale. La moyenne des droits qui résulta de l’amendement de M. Malou, donnerait au tabac indigène une protection de 300 fr. environ par hectare. Ainsi la protection relativement à celle qui existe aujourd’hui serait accrue de 225 fr. Je veux bien admettre, avec plusieurs honorables membres, qu’aujourd’hui le tabac indigène soutient difficilement la concurrence avec le tabac étranger. Mais faut-il, pour le mettre dans une position telle qu’il puisse la soutenir, lui donner une protection de 225 fr. de plus que celle dont il jouit en vertu de la législation existante ? Il y a aujourd’hui une protection de 75 fr. par hectare, et par suite des dispositions de l’amendement de la section centrale, et de M. Malou, elle s’élèverait à 300 fr. La section centrale en proposant un droit de 100 fr. à la culture, réduit la protection à 200 fr., c’est-à-dire à 125 fr. de plus qu’aujourd’hui. Voilà quelle serait la position du tabac indigène. Quant au mode adopté par la section centrale, c’est à la superficie, mode extrêmement simple qui n’occasionnera aucun embarras au cultivateur. Elle va plus loin, elle exempte de tout droit la culture qui n’excède pas un are. Avec de telles modifications, je ne croyais pas que l’on se serait encore opposé à l’impôt sur la culture du tabac. Je pense que si on n’adopte pas dès à présent un droit à la culture, nous nous créerons de grands embarras pour l’avenir. Un honorable membre disait qu’on verrait les résultats de la loi, que si la culture prenait de l’extension, il serait toujours temps de l’imposer. Si déjà aujourd’hui que la culture ne s’exerce que sur 1,100 hectares, l’impôt à la culture rencontre de si vives résistances, que sera-ce si la culture vient à se développer ? Je crois que jamais occasion plus belle ne se présentera de mettre un impôt très léger à la culture, que celle où l’on quadruple le droit sur le tabac exotique. Il y a là une grande marge pour améliorer la production indigène, tout en la frappant d’un impôt léger. Je bornerai la pour le moment mes observations.
M. Dumortier. - Je ne m’étonne pas que le gouvernement insiste pour obtenir l’établissement d’un droit à la culture du tabac indigène. L’échec d’hier a besoin d’une voie d’appel, comme on veut revenir au système que vous avez écarté hier, il faut poser des principes au moyen desquels on puisse ramener l’échafaudage de vexations que vous avez à si bon droit renversé hier. Comme ce qui caractérise ces vexations, ce sont les mesures contre la culture, mesures qui sont la reproduction des droits réunis, vous concevez que si le gouvernement parvenait à obtenir le vote du principe, il aurait une grande satisfaction, puisqu’il pourrait espérer en obtenir un jour l’application. C’est pour cela que je viens de nouveau m’opposer à l’établissement d’un droit sur la culture, que je regarde comme inique, comme contraire à nos institutions, et qu’on ne trouve pas dans les pays comparables au nôtre. Comment le ministère peut-il nous proposer un droit sur la culture du tabac ? Pourquoi ne nous en proposerait-il pas sur les autres produits du sol ? Qu’arriverait-il si le ministère proposait un droit sur la culture du froment ou du lin ? car un bonnier de froment ou de lin rapporte plus qu’un bonnier de seigle.
M. Eloy de Burdinne. - Il y a un droit sur la culture de la betterave.
M. Dumortier. - La culture de la betterave n’est pas imposée, c’est la fabrication du sucre qu’on impose ; c’est si vrai que, quand la betterave est cultivée sans être fabriquée en sucre, elle n’est pas imposée. L’impôt sur le sucre de betterave est payé par le fabricant et non par le cultivateur. Voilà la grande différence. Il n’y a pas d’impôt sur la culture de la betterave, mais bien sur le sucre extrait de la betterave, quand ce sucre est extrait ; mais quand on ne l’extrait pas, il n’y a pas d’impôt. Jamais vous n’auriez voulu frapper d’un impôt la culture de la betterave. La chambre n’y aurait jamais consenti.
Ce qu’on vous propose est le deuxième tome de cette proposition à laquelle la chambre n’aurait jamais donné son assentiment. C’est un jalon qu’on plante en attendant qu’on puisse rétablir l’échafaudage d’iniquité que vous avez écarté à la séance d’hier. Ce qu’on vous propose est un retour sur le vote d’hier ; c’est un retour sur le principe qui a dirigé votre vote d’hier. C’est pour cela que, pour mon compte, je crois devoir m’y opposer de tous mes moyens.
M. le ministre des finances vient d’avouer que le tabac indigène supporte difficilement la concurrence du tabac exotique. Je suis heureux de cet aveu. Déjà dans la première séance j’ai eu l’honneur de signaler des faits. Je prendrai la confiance de rappeler de nouveau votre attention sur ce point, qui domine la discussion actuelle ; c’est que le tabac indigène se vend 20 fr. plus cher que le tabac d’Amérique de qualité analogue. Je pourrais expliquer pourquoi, mais je devrais entrer dans des considérations agricoles qui nous mèneraient trop loin ; contentons-nous du fait. Le tabac indigène se vend 20 fr. plus cher que le tabac exotique de qualité analogue. Je défie qu’on démontre le contraire. Tous les cultivateurs et négociants en tabac ont déclaré ce fait, qui est incontestable. La différence est donc de 30 à 40 p. c.
Quoi ! c’est lorsqu’une industrie nationale est dans un pareil état, vis-à-vis des produits étrangers, qu’on vient parler de la protection qu’on veut lui donner en l’accablant de charges nouvelles ! C’est se jouer des mots que de parler de la protection qu’on accorde à celui qu’on frappe de mort. Je ne comprends pas qu’on parle de protection quand on écrase, quand on opprime. Je dis que l’industrie du tabac a droit à la sollicitude de la législature, comme toutes les autres industries.
Vous avez admis un droit différentiel sur les bois étrangers ; ce droit différentiel a été voté dans l’intérêt agricole, parce que le bois étranger se vendait à meilleur marché que le produit de notre sol, que le bois du pays, et que le bois du pays payait l’impôt foncier, tandis que le bois étranger ne le payait pas. Cette considération s’applique aux tabacs, car les terres plantées en tabacs payent non seulement l’impôt foncier de première classe, mais encore un quart en sus. Et c’est, quand cette culture se trouve déjà ainsi frappée, qu’on veut la surcharger d’un impôt de 100 fr. en parlant de la protection qu’on lui accorde !
Je repousse cette protection, je n’en veux pas. Laissez la culture des tabacs telle qu’elle est, elle ne vous demande rien. La protection que vous lui offrez est dans les mots, tandis que l’oppression est dans les choses.
Mais, vous dit-on, le système qu’on vous propose n’amènera aucune espèce d’embarras pour l’agriculture. Il faut, pour avancer une pareille assertion, se mettre singulièrement à côté des faits. Vous avez entendu le rapport de la section, centrale et l’énumération de toutes les pénalités et des amendes qu’elle propose ; et c’est quand on propose des pénalités et des amendes semblables sur la culture qu’on dit qu’on la protège !
Un membre. - Ce sont des fraudeurs.
M. Dumortier. - Et pour l’exercice que nécessitent ces pénalités, ces amendes, ne sera-t-il pas nécessaire d’aller dans les jardins voir si la culture n’a pas dépassé l’are qu’on permet de cultiver sans être soumis au droit ; ne faudra-t-il pas mesurer le terrain, faire des estimations, et n’en résultera-t-il pas des vexations ? (Interruption). Que ceux qui m’interrompent mettent la main sur la conscience ; si on venait leur demander de visiter leur maison pour voir si elle ne recèle pas de fraude, ils se révolteraient ! Ce que vous repousseriez pour vous, vous l’accepteriez pour le cultivateur, et vous dites que cela ne causera aucun embarras ! C’est faire bon marché de la culture qui vous fournit la majeure partie de vos revenus. Et pour quelle somme propose-t-on tout ce cortège de vexations ? Pour une somme de 110 mille fr. par an. C’est pour une somme de 110 mille fr. par an, car vous venez de l’entendre de la bouche même de M. le ministre des finances, on cultive aujourd’hui 1,100 hectares de terres en tabacs. Si on n’avait pas d’arrière-pensée, si on ne voulait pas revenir sur la mesure inique que vous avez écartée hier, voudrait-on pour 110,000 fr. frapper les cultivateurs d’un impôt qui les soumettra à toutes les tracasseries de l’exercice ; voudrait-on rendre le gouvernement odieux pour un produit de 110 mille fr. ?
J’appuie les observations de l’honorable M. Rodenbach. Il est un fait certain, c’est qu’il est impossible d’établir un impôt plus odieux que celui qu’on présente sur les tabacs, parce que, dans la campagne, il n’est pas de petit paysan qui ne cultive du tabac pour la consommation de sa famille.
Ainsi, messieurs, on fera constater chez tous ces paysans ce qu’ils cultivent. Vous devrez avoir pour cela des agents financiers, qui vous coûteront plus que l’impôt ne vous rapportera. Car je défie le gouvernement de faire exécuter la loi sans demander pour plus de 110,000 francs d’employés supplémentaires.
Ainsi, vous le voyez, on vous propose une mesure de vexation uniquement pour le plaisir de la vexation et cela dans un but caché, dans le but de rétablir un système que nous avons écarté hier.
L’honorable M. Pirmez a trouvé tout à l’heure que le tabac était une matière éminemment imposable. C’est, messieurs, ce qu’on ne cesse de nous répéter depuis longtemps. Mais nous sommes tous d’accord sur ce point ; il n’y a ici qu’une seule opinion à cet égard : tout le monde est d’accord que le tabac est une matière éminemment imposable. Mais le tabac, comme toutes les autres matières doit être imposé dans les limites du nécessaire, dans les limites des besoins du trésor public et dans les limites du possible. Or. Messieurs, je vous ai démontré l’autre jour que le trésor public était loin d’avoir aujourd’hui les besoins qu’il avait au mois de novembre dernier. Mais avant de revenir de nouveau sur cette question, je rencontrerai une objection présentée par l’honorable M. Pirmez.
Pourquoi, dit-il, ne pas imposer la culture ? Pourquoi ne pas élever les droits sur les tabacs ? Si vous ne le faites pas, la culture augmentera, et il arrivera pour le tabac ce qui est arrivé pour le sucre indigne : on ne pourra l’imposer davantage.
Je dirai d’abord à mon honorable collègue que la culture du tabac n’est pas de nature à pouvoir augmenter progressivement comme il le pense. Le motif en est bien simple, c’est l’énorme différence du prix de vente des tabacs indigènes comparé avec le prix des tabacs d’Amérique, lorsqu’il est constant que le tabac du pays est infiniment plus cher que les tabacs d’Amérique. Il faut convenir, messieurs, que, dans aucun état de choses, cette culture n’est de nature à se développer, à moins qu’on ne rende les conditions égales, et pour rendre les conditions égales, établiriez-vous sur le tabac étranger un droit de 20 fr. ? Mais je dis qu’alors même la culture du tabac indigène n’augmenterait pas, parce que le tabac indigène n’est nullement propre aux usages auxquels doivent servir les tabacs étrangers. Il n’est guère destiné qu’à l’usage des pauvres. Vous parlez souvent des pauvres ; mais ayez-en donc pitié au moins dans cette circonstance. Le tabac du pays ne peut remplacer celui qui est consommé par les classes riches.
Ainsi, messieurs, il n est pas possible que ce développement ait lieu. Quant à ce qui est de la comparaison avec les sucres, messieurs, mais encore une fois, il n’y a ici aucune espèce de similitude.
M. Eloy de Burdinne. - Je demande la parole.
M. Dumortier. - En effet, messieurs, ce qui a toujours été la cause de grands embarras dans la question des sucres, c’est le droit de remboursement que l’on accorde à la sortie du sucre fabriqué dans le pays, remboursement qui amène un préjudice de plusieurs millions pour le trésor. Mais ici il n’est pas question d’établir quelque chose de semblable. Nous voulons sur le tabac étranger un droit de douane qui ne nuise nullement à l’exportation, et que, par conséquent, nous pussions recevoir non seulement sur le tabac qui se consomme en Belgique, mais aussi sur le tabac que nous envoyons à l’étranger.
Le tabac est un produit éminemment imposable. Nous sommes tous d’accord sur ce point. Mais avons-nous besoin, parce qu’une matière est imposable, de la frapper aujourd’hui jusqu’à la dernière limite ? Là est toute la question.
Je tiens, messieurs, à ce que la chambre se pénètre bien de cette vérité, que la situation financière actuelle n’est pas du tout la situation du mois de novembre dernier. Lorsque nous nous sommes réunis, il y avait dans le trésor un déficit de trois millions, cela était constaté. Mais, depuis lors, les choses ont bien changé. On perd de vue toutes les lois que nous avons votées depuis huit mois que nous sommes réunis.
Messieurs, les deux lois sur la conversion des emprunts amèneront nécessairement pour le trésor une amélioration de deux millions annuellement. Ce chiffre, c’est M. le ministre des finances lui-même qui vous l’a indiqué. Ainsi, le déficit de trois millions, déficit que présentait notre budget, se trouve, par la conversion de ces deux emprunts, réduit à un million.
Nous avons ensuite voté des lois sur le sel et sur les eaux-de-vie qui, d’après les chiffres donnes par M. le ministre des finances lui-même lors de leur présentation, doivent encore rapporter trois à quatre cent mille francs annuellement. Nous avons voté la loi des droits différentiels qui comprend l’augmentation d’impôt sur les bois et la suppression des 10 p. c. pour les matières d’industrie ; il en résultera une augmentation de recette qui, au minimum, s’élèvera à 500,000 francs.
Ainsi, par les lois que nous avons votées, nous avons équilibré, à peu de choses près, les recettes avec les dépenses.
Il y a plus, messieurs. M. le ministre, en répondant dernièrement à mon honorable collège M. de Naeyer, est convenu que l’impôt sur les successions avait déjà rapporté, depuis le 1er janvier, un demi-million de plus que les prévisions. Voici, messieurs, les expressions de M. le ministre des finances :
« Il y a, comme on l’a dit, une augmentation sur les droits de succession ; elle est de 499,000 fr. »
Et pourquoi, messieurs, cette différence entre les recettes et les prévisions ? C’est que M. le ministre des finances actuel avait réduit outre mesure les provisions sur les droits de succession, et cela à cause que, sous le ministère précédent, il avait vivement attaqué l’honorable M. Smits sur l’élévation du chiffre qu’il supposait devoir être atteint. M. le ministre n’a pas voulu se mettre en opposition avec lui-même. Mais les recettes sont venues donner un démenti à ses prévisions et justifier celles de l’honorable M. Smits.
Il y a donc jusqu’ici un demi-million de plus que les prévisions, c’est M. le ministre des finances qui l’avoue, et nous avons probablement encore quelque chose à attendre des sept mots qui restent à écouler.
Vous le voyez donc : les recettes couvrent aujourd’hui les dépenses.
D’un autre côte, vous savez, messieurs, que le chemin de fer nous a rapporté, dans les quatre premiers mois de l’année, près d’un million de plus que dans les quatre premiers mois de l’année précédente. Il y a lieu d’espérer que, dans les huit derniers mois, vous obtiendrez encore un million d’excédant de revenu.
Il est donc incontestable que te trésor public n’est pas dans une situation comparable à celle où il se trouvait à l’ouverture de la session. Il y avait alors un déficit de 3 millions. Ce déficit est comblé et par les lois que nous avons votées et par l’élévation de certains revenus, à laquelle on pouvait ou l’on ne pouvait pas s’attendre.
Ces arguments, messieurs, ont été tellement frappants, que M. le ministre a cherché à les détourner dans ses discours. Que dit M. le ministre ? Et ici je vous prie de prêter grande attention. Ces 3 millions, dit-il, n’établissent qu’un équilibre rigoureux, sans laisser aucun excédant pour couvrir les dépenses éventuelles.
Voila donc le motif pour lequel on vous demande les droits sur les tabacs : c’est afin d’avoir un excédant pour couvrir des dépenses éventuelles. Mais nous ne devons pas, nous, législateurs, voter ainsi à la légère des sommes pour couvrir des dépenses éventuelles. Il n’est pas d’un bon gouvernement, il n’est pas d’une bonne législature de voter des recettes avant de savoir à quelles dépenses on les appliquera. Les dépenses éventuelles, peut-être les accepterons-nous ; mais, peut-être aussi les rejetterons-nous.
Messieurs, hier l’honorable M. Lys vous a parlé de divers travaux que l’on réclamait encore. On réclame, vous a-t-il dit, des canaux, on réclame des routes, on réclame le chemin de fer de Jurbise. C’est alors que je demanderai la parole.
Je laisserai aux députés des localités, que doivent traverser les canaux et les routes auxquels l’honorable M. Lys a fait allusion, le soin de répondre en ce qui les concerne. Mais quant au chemin de fer de Jurbise, je puis donner à l’honorable membre l’assurance que non seulement cette construction ne sera nullement onéreuse au trésor, mais qu’elle lui amènera un admirable revenu, qui s’élèverait à deux ou trois fois la somme qu’on y consacrerait. Ainsi, ce n’est pas là une dépense pour le trésor, c’est un placement de capitaux. Si le trésor public ne veut pas se charger de cette construction, il y a une compagnie qui en demande la concession au gouvernement et qui s’en chargera.
Ainsi, vous le voyez, nous ne demandons aucun sacrifice au trésor. Car lorsqu’il s’agit d’une construction, pour laquelle il serait contracté un emprunt à 5 p. c. et qui rapporterait 12 à 17 p. c., il n’y a pas de sacrifice.
Messieurs, dois-je répondre à ce qu’a dit l’honorable M. Eloy de Burdinne ? Cet honorable membre, qui paraît toujours se porter le défenseur de l’agriculture, me paraît avoir oublié sa mission. Je me trompe, il l’a parfaitement remplie car sa mission ne paraît être que de protéger la culture de la Hesbaye ; et comme dans la Hesbaye on ne cultive pas le tabac, il paraît que cette culture touche extrêmement peu le représentant de l’agriculture.
Mais que veut l’honorable membre ? Il veut arriver à réduire les droits sur le sel, il lui faut naturellement une réduction considérable, une réduction qui, sans doute, serait de 50 p. c.
M. Eloy de Burdinne. - Au moins.
M. Dumortier. - J’entends mon honorable collègue dire qu’il veut que cette réduction soit au moins de 50 p. c. Or, que rapporte la loi sur le sel ? Elle rapporte 4 millions. La réduction serait donc au moins de deux millions. Maintenant, que demande l’honorable M. Eloy de Burdinne quant au tabac ? Il demande l’établissement d’un droit de cent francs par hectare, c’est-à-dire d’un impôt de 110,000 fr., et cela pour arriver à supprimer une recette de deux millions. Il faut avouer que c’est une singulière manière de raisonner. Je ne pense pas qu’entre les mains de l’honorable membre, le cuivre se changera en or ; je crois, au contraire, que l’or se changerait en cuivre.
Evidemment, messieurs, ce sont là des arguments qui ne tiennent pas ; évidemment, vouloir établir un impôt de 110,000 fr. afin de supprimer une recette de 2 millions, c’est une chimère, c’est une utopie. Je crois messieurs, que vous présenter ces chiffres, c’est condamner le système en lui-même.
Messieurs, je viens de vous démontrer que la protection dont parle M. le ministre des finances, n’est pas une protection, mais une vexation. J’ai eu l’honneur de vous démontrer à diverses reprises et je reviens encore sur cet argument, que le trésor n’est pas du tout dans la situation comparable à celle du mois de novembre, que dès lors nous n’avons pas de besoins très considérables, et que M. le ministre lui-même a déclaré que ce qu’il demandait était pour couvrir les dépenses éventuelles.
Eh bien, il serait sage, il serait prudent de savoir ce que sont ces dépenses éventuelles, avant de voter des impôts pour les couvrir.
Je voterai cependant pour une augmentation des droits sur les tabacs ; mais, je le déchire, je n’entends admettre qu’un chiffre modéré ; car il faut, messieurs, réserver quelque chose pour l’avenir, il ne faut pas épuiser tout d’un coup toutes les matières imposables, car alors si de nouveaux besoins se font sentir plus tard, vous n’auriez plus rien à imposer.
Je pense donc, messieurs, que nous devons voter un chiffre très bas pour le tabac exotique et quant à un droit sur la culture, ce n’est pas pour 110,000 fr. qu’il faut exposer 3 millions de Belges aux vexations des agents du fisc.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je regrette, messieurs, que l’honorable préopinant, pour soutenir son opinion, ait cru devoir attribuer au gouvernement une arrière-pensée et se soit livré à des suppositions peu bienveillantes. Il nous a dépeint le système proposé par la section centrale comme devant entraîner des vexations de toute espèce. Ce système il ne le croit pas compatible avec un droit de douane, et il suppose qu’on veut revenir tôt ou tard à un droit d’accise. Messieurs, ce système existe en Prusse et jamais il n’y a provoque la moindre réclamation.
J’ai interrompu l’honorable M. Dumortier pour citer la betterave, et je lui dirai que les cultivateurs de betteraves demandaient avec instance qu’on les imposât d’après la superficie cultivée.
M. Dumortier. - Jamais les cultivateurs n’ont demandé cela.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Ce que je dis est très exact. En général, les fabricants de sucre de betterave sont cultivateurs et ils demandaient avec instance que le droit fût établi d’après la superficie. S’ils avaient cru que ce mode dût les exposer à tant de vexations, ils n’auraient, certes, pas insisté aussi vivement pour qu’il fût adopté.
L’honorable membre ajoute : « Nous ne voulons pas de votre protection ! » Mais alors contentez-vous de la protection actuelle et subissez un droit proportionné à l’augmentation que va subir le tabac exotique. Or, dans ce cas, ce n’est pas 100 fr. mais c’est 225 fr. qu’il faudrait établir par hectare. En ne demandant que 100 fr., nous ajoutons à la protection actuelle 12 fr. par hectare.
Aujourd’hui l’honorable membre présente la situation financière comme étant très brillante. Dois-je, messieurs, reproduire ici tous les renseignements au moyen desquels je crois avoir prouvé que si la situation s’est améliorée, elle n’est pas encore telle cependant, que de nouvelles ressources ne soient pas impérieusement nécessaires. L’honorable membre a cité un passage d’un de mes discours, où je parlais des produits du droit de succession. J’ai, en effet, messieurs, comparé dans cette enceinte les produits des 5 premiers mois de cette année aux produits des 5 premiers mois de 1843, et j’ai trouvé une différence en plus de 199,000 fr. ; mais si l’honorable membre a bien voulu jeter un coup d’œil sur les tableaux que j’ai fait insérer au Moniteur, il aurait vu que le droit de succession présente, non pas un excédant, mais un déficit, comparativement à mes prévisions. (Interruption.)
J’ai déjà dit plusieurs fois que l’on ne peut guère tirer d’induction des produits d’un impôt pendant les 4 ou 5 premiers mois de l’année, mais dans tous les cas l’argument de l’honorable M. Dumortier tourne entièrement contre lui-même, puisque les cinq premiers mois de l’année, non seulement ne présentent pas un excédant, mais accusent un déficit comparativement aux prévisions du budget. Ce déficit est de plus de cent mille francs.
Je ne conçois pas que l’honorable membre s’oppose à ce que la chambre vote les ressources nécessaires pour rétablir l’équilibre dans nos finances ; lui, qui a soutenu dans plusieurs circonstances, avec un grand nombre de nos honorables collègues, qu’il était sage d’avoir toujours un certain excédant de recettes sur les dépenses, parce qu’il y a des dépenses qui échappent à toutes les prévisions, parce que l’expérience nous a appris que jamais le gouvernement ne parvient à indiquer, au mois de novembre, toutes les dépenses qui se présentent dans le courant de l’année, quelle que soit sa bonne volonté à cet égard.
Quant aux pénalités dont a parlé l’honorable préopinant elles sont extrêmement douces, puisque pour une culture non déclarée, l’administration se bornerait à exiger le double droit. Je pense que de semblables pénalités ne méritent pas les réflexions dont elles ont été l’objet de la part de l’honorable membre.
Je répète, messieurs, que par suite de l’adoption du projet de la section centrale, la protection dont jouit le tabac indigène sera plus que doublée et que la culture ne sera nullement soumise à des formalités gênantes. Le système, en effet, est très simple et l’on exempte même du droit toute culture qui ne dépasse pas un are. C’est encore là un fait dont l’honorable membre ne me semble pas avoir tenu compte. (Interruption.)
L’honorable membre demande quel sera le système de surveillance, Evidemment on n’ira pas faire des visites chez tous les cultivateurs dans tous les jardins. Ou ne fera des visites que lorsqu’on aura appris d’une manière indirecte et avec quelque certitude qu’il y a fraude. Il n’est d’ailleurs pas fréquent, messieurs, de trouver des andins pouvant contenir plus d’un are de culture de tabac et les jardins, en général, ne sont pas des enclos. Il n’y aura donc pas d’exercice à proprement parler. Ce ne sera que dans le cas où la fraude serait pour ainsi dire certaine et connue d’avance que la vérification se fera.
Plusieurs membres. - La clôture.
M. Lys. - J’ai un changement à faire à mon amendement. Je voudrais donner quelques explications à cet égard.
M. Malou. - J’ai proposé un amendement ; j’en ai donné hier les développements, mais je me suis fait inscrire pour répondre aux objections qui ont été faites. Si l’on prononçait la clôture, je ne pourrais pas répondre un seul mot à tout ce qui a été dit contre mon amendement.
M. Savart-Martel. - Je pense, messieurs, que le droit de douane dont on veut frapper le tabac doit être nécessairement modéré.
Aux raisons qui déjà vous ont été données, j’en ajouterai une qui, pour moi, serait décisive.
J’ai refusé l’accise, et je ne saurai même admettre un impôt sur le tabac indigène. Or, en frappant d’un droit élevé le tabac exotique, ce serait nous forcer à frapper aussi nos produits agricoles ; car il paraît admis en principe que la protection due à l’industrie indigène doit être mis en rapport avec les droits d’entrée sur le tabac étranger.
On nous l’a dit hier, dans le cours de nos débats (et pour moi c’est une vérité aussi claire que le jour), l’impôt à la culture ou à l’occasion de la culture, aura pour effet de faire cesser en Belgique la plantation du tabac, industrie qu’on devrait cependant favoriser.
Il faut apprécier l’esprit qui domine dans nos campagnes, la force des habitudes, la répugnance à se mettre en relation avec les agents du fisc, trop souvent intraitables, et, surtout, la répugnance de simples cultivateurs pour des opérations aléatoires et chanceuses.
Il faudrait n’avoir jamais mis les pieds chez nos laboureurs, pour croire que vous les trouverez disposés à risquer une mise envers le fisc de cent francs au bonnier (taux auquel on paraît aujourd’hui vouloir réduire l’impôt), pour obtenir l’autorisation de cultiver le tabac à leurs risques et péril.
Vous aurez beau dire et répéter au cultivateur que sa position est singulièrement améliorée par l’augmentation du droit de douane, il ne verra que la somme qu’il doit éroger, et vous ne vaincrez pas sa répugnance à jouer cette espèce de loterie. C’est bien assez pour lui de courir les risques du temps et des saisons.
Convenons-en ce qu’on veut ici, c’est faire cesser la plantation, c’est son expulsion du territoire de la Belgique. Et pourquoi cet acheminement contre cette branche d’industrie agricole ?
Messieurs, l’on parle souvent dans cette enceinte des égards que nous devons à la position de classes malheureuses.
Il ne vous échappera pas qu’en augmentant le prix du tabac et en faisant tomber la culture indigène, ce sont ces classes que vous finirez par grever encore. Les prix importent peu aux gens aisés, mais ils entrent pour beaucoup dans la dépense de l’ouvrier, des petits ménagers et de la classe infime de la société.
Je n’examinerai point si c’est un bien ou un mal que les prolétaires aient contracté cette habitude : cette habitude existe ; elle est passée dans les mœurs du pauvre, plus encore qu’elle n’est pratiquée par le riche, vous chercheriez en vain à la faire cesser. Ce serait abuser des instants de la chambre que de lui démontrer cette vérité.
Le projet cherche à pallier, il est vrai, ce que la mesure peut avoir d’odieux, en accordant une plantation gratuite de vingt pieds de tabac au maximum. Mais, je me demande d’abord si chaque citoyen peut planter vingt pieds gratuitement ? En cas d’affirmative, votre droit sur la culture est chimérique ; vous n’obtiendrez rien.
Si, au contraire, vous n’accordez ce droit qu’à certaines personnes, vous constituez alors un privilège, ce que défend la constitution. La chambre remarquera d’ailleurs que ce n’est pas même la loi, mais le gouvernement qui donnerait ce privilège.
Quant au planteur, il peut, pour sa propre consommation, planter jusqu’à concurrence de 150 pieds. Pourquoi les ouvriers des villes n’auraient-ils pas ce même avantage ? Sont-ils hors la loi ?
Déclarer que l’on sera exempt d’impôt, tandis que l’autre en supportera tout le poids, c’est constituer un privilège, et un privilège des plus odieux.
De ce qui précède, je tire la conséquence que par cela même qu’il ne doit pas y avoir d’impôt à la culture, ou à l’occasion de la culture, je ne puis allouer qu’un droit de douane modéré.
Le tabac indigène ne demande qu’une chose ; c’est qu’on lui laisse la vie ; jusqu’ici il a vécu en bonne intelligence avec le tabac exotique ; qu’il en soit encore de même.
Je le déclare dès ce moment, comme précédemment, je repousserai de toutes mes forces un droit sur le tabac indigène ; et par conséquent je n’accorderai qu’un droit de douane peu élevé.
On calcule, en effet, qu’après avoir fait tomber cette industrie au profit de produits étrangers, il sera facile de tirer un gros tribut sur le droit d’entrée ; cela me paraît vrai, si tant est que la Hollande et la France même ne viennent pas frauduleusement s’emparer de nos marchés.
Mais cela me paraît vexatoire, injuste, antipatriotique et contraire même aux premiers principes d’économie politique qui ordonnent de favoriser la production indigène et l’exploitation, de manière à ne recevoir en échange que les objets dont ce pays ne pourrait se passer.
L’Etat doit réserver pour ses propres sujets le travail, la main-d’œuvre et l’industrie ; c’est un principe.
Il doit pousser au bien moral et matériel, au bien-être de ses ministres ; il leur doit, avant tout, ses marchés intérieurs.
Depuis quelque temps, nous faisons précisément le contraire.
Préoccupés de l’idée de remplir le coffre-fort de l’Etat, nous avons tué l’âme de nos plus belles industries (le sucre indigène) qui ne coûtait pas un centime au pays, afin d’obtenir beaucoup d’argent par l’entrée du sucre exotique. Le sucre, qui ne nous coûtait rien car depuis la plante, matière première, jusqu’à la dernière fabrication, tout restait chez nous, nous l’avons détruit et pour obtenir par des bras étrangers des produits similaires, nous portons au-delà des mers des millions qui seraient restés au planteur, au fabricant et à de nombreux ouvriers, et tout cela pour augmenter les droits de douane.
Aujourd’hui, nous allons agir de même à l’égard du tabac. On s’inquiète peu d’asservir l’agriculture, de lui ravir l’un des plus beaux produits ; on ne veut y voir qu’une question fiscale. Indirectement, et sous le spécieux prétexte d’une protection, on met le tabac hors la loi ; on le déclare presque indigne de vivre, et cela pour nous arracher cent dix à cent douze mille francs.
Et dans quel moment veut-on froisser ainsi l’agriculture et la priver de sa liberté ? Quand on la grève de centimes provinciaux et communaux et de rôles supplémentaires qui excèdent parfois le principal des impôts ; quand la culture du lin est anéantie ; quand la fabrication du sucre indigène a presque disparu ; quand nos graines oléagineuses sont repoussées des marchés étrangers ; quand les céréales sont au plus bas prix ; quand nos ouvriers sont sans travail !
M. le président. - La parole est à M. Lys pour développer le sous-amendement proposé par cet honorable membre à l’amendement qu’il a présente avec MM. Eloy de Burdinne, de Garcia et de Renesse.
M. Lys. - Messieurs, l’amendement que nous avons eu l’honneur de présenter hier, porte l’impôt sur les tabacs étrangers, à 12 fr. 50, sauf à y ajouter les centimes additionnels, ce qui équivaudrait à 14 fr. 50. Je maintiens cet amendement. J’avais proposé d’imposer la culture à 150 fr. par hectare ; je réduis cet impôt à 100. J’ai aussi exempté la culture d’un are et au-dessous. Pour les cigares, je m’en rapporte à ce qu’a proposé la section centrale. Je croyais que cet amendement obtiendrait quelque faveur dans cette assemblée, car ce que je propose est au-dessous de ce que les fabricants de tabac eux-mêmes vous ont proposé dans le temps. Vous n’avez qu’à revoir la pièce qui vous a été distribuée et qui est émanée des fabricants, négociants et débitants de Menin, Bruxelles, Liège et du pays de Chimay. Voila comment ces messieurs s’expriment.
« Ces principes posés, voilà ce que nous proposons :
« 1° Un droit d’accise sur les terres à tabac, à raison de 2 fr. par are, droit à payer par quart, tous les trois mois après la récolte.
« Un are rapportant 20 à 22 kilog., l’impôt ne sera réellement que de 9 à 10 fr. par 100 kilog.
« Il y aura ainsi une différence entre les tabacs étrangers et les indigènes assez forte pour protéger l’agriculture.
« 2° En admettant l’évaluation de 3,000,000 kilog, ce serait un produit de 270,000 fr., si on ne récolte que 2 ou même 1,000,00, il n’y aura pas perte pour le trésor. Car la consommation restant toujours la même, le déficit de la récolte serait remplacé par des tabacs étrangers qui payent un plus fort droit.
« Nous demandons, en outre de l’impôt sur la terre, un droit de douane sans effet rétroactif de quinze francs par 100 kilog. sur les tabacs étrangers. Ce mode d’impôt, une fois adopté, toutes les difficultés sont levées.
« Ces droits sur la terre et à l’entrée ne seraient pas assez élevés pour favoriser la fraude de la Hollande en Belgique, et ne tendront pas à détruire complètement le commerce interlope. »
Ainsi, les fabricants eux-mêmes venaient proposer un impôt de 15 francs par 100 kilog. Eh bien, l’impôt que je propose, y compris les centimes additionnels, ne serait que de 14 fr. 50 c. par 100 kilog. Je suis donc encore au-dessous de ce que les fabricants eux-mêmes demandent.
Quant à l’agriculture, en proposant 100 francs par hectare, il y aura un avantage évident, car la protection est de 324 francs par hectare ; ma proposition n’établissant que 100 francs, il y a là une énorme différence, une différence de 224 francs.
Je conviens que l’impôt sur la culture produira très peu de chose, mais j’espère qu’il arrêtera l’essor de cette culture. Cet impôt servira au moins de contrôle. L’on pourra constater facilement le mouvement que produira à l’avenir l’agriculture.
Ma proposition est plus favorable à l’agriculture que ne l’est la proposition de la section centrale elle-même. La section centrale ne vous propose qu’un droit de 10 francs sur les tabacs étrangers ; moi, au contraire, je vous propose un droit de 12 fr. 50 c. ; il résulte donc nécessairement de ma proposition un avantage pour la culture.
On dit continuellement dans cette assemblée que nous devons protéger l’agriculture, que nous devons, par suite, protéger la culture du tabac, la culture d’autres plantes étrangères. Mais remarquez que si vous continuez à protéger ainsi la culture des plantes étrangères, l’on négligera nécessairement la culture des céréales, Aujourd’hui déjà l’on vous dit que la quantité des céréales produite dans le pays ne suffit plus à la nourriture des habitants. A plus forte raison, viendra-t-on vous tenir ce langage, lorsque vous aurez augmenté considérablement la culture des plantes étrangères ; et alors l’on vous demandera de laisser entrer les céréales étrangères et de supprimer une partie des droits qui les frappent. De cette manière, au lieu de favoriser l’agriculture, vous lui aurez beaucoup nui.
Je crois que l’impôt que je propose sur la culture ne lui nuira nullement. Il n’y a ici aucune formalité, aucune vexation quelconque... Qu’on ne vienne pas dire que les visites qu’on pourrait faire pour voir si les plantations n’excèdent pas un are, n’excèdent pas la quantité déclarée ; que ces visites, dis-je, donnent des vexations. Vous avez bien d’autres visites aujourd’hui. Ne devez-vous pas ouvrir toutes les portes de vos appartements quand il s’agit de la contribution personnelle ? Les fabricants de sucre, les distillateurs, les brasseurs ne sont-ils pas continuellement soumis à des visites ? Pour le cultivateur, ce n’est pas dans l’intérieur de sa maison qu’on se rendra, on se bornera à visiter son champ.
Enfin, tout le monde convient que le tabac est éminemment imposable ; tout le monde le dit ; mais lorsqu’il s’agit de l’imposer, on n’est nullement d’accord. Vous craignez d’imposer sur cet objet un impôt de 12 fr. 50 c. les 100 kilog. Qu’on ne dise pas que ce soit un objet de première nécessité ; si vous ne voulez pas l’imposer aujourd’hui, l’année prochaine, nous viendrons dire : Nous voulons qu’on diminue l’impôt sur la bière, sur le sel, ce sont des objets de première nécessité. Je dis que vous devez imposer le tabac, non pas pour en empêcher la culture ni la fabrication, mais d’une manière modérée, de manière à ce que l’impôt produise de 12 à 1,500,000 fr. ; si vous ne le faites pas, il sera impossible de réduire plus tard les impôts qui pèsent sur les objets qui servent à la nourriture de la classe pauvre.
M. Zoude. - Le rapport de la section centrale m’a convaincu plus profondément encore que le droit de 20 fr. que j’ai proposé, n’avait rien d’exagéré. Cependant, en présence des dispositions de la chambre, je déclare retirer mon amendement, mais je suis incliné à croire que ce n’est qu’un ajournement.
M. Delfosse. - La chambre est fatiguée et je considère la discussion comme épuisée. Je me bornerai donc à présenter une observation qui me paraît essentielle et qui s’applique à l’amendement de la section centrale, à l’amendement de l’honorable M. Malou, à l’amendement de l’honorable M. Smits et à l’amendement des honorables MM. Manilius et Osy. Tous ces amendements établissent un système de droits différentiels pour les tabacs ; ces amendements supposent par conséquent l’adoption de la loi sur les droits différentiels. Si le gouvernement nous donne l’assurance que la loi sur les tabacs ne sera pas promulgué et mise en vigueur avant la loi des droits différentiels, je n’ai pas d’objection à présenter contre la forme des divers amendements dont je viens de parler, mais il pourrait arriver que le sénat jugeât à propos d’adopter cette loi-ci avant la loi des droits différentiels ; et il y aurait de bonnes raisons pour que le sénat suivît cette marche. D’abord, la loi doit procurer des ressources au trésor ; ensuite, comme elle sera très courte, par suite du rejet du système du gouvernement, elle ne donnera certainement pas lieu à une longue discussion. Le sénat, désireux de procurer des ressources au trésor, et prévoyant les longueurs de la discussion de la loi des droits différentiels, pourrait fort bien juger à propos de voter immédiatement la loi des tabacs, et d’ajourner pour quelque temps la loi des droits différentiels. Il faut prévoir ce cas. La loi que nous faisons ne doit rien préjuger.
Si nous adoptions les amendements tels qu’ils sont présentés, et si le sénat votait la loi avec ces amendements, il en résulterait que nous aurions le nouveau système des droits différentiels pour le tabac seul et nous l’aurions sans les dispositions insérées dans la loi des droits différentiels. Ainsi, il y a dans cette loi une disposition concernant les relâches à Cowes ; il y a aussi une disposition relative à l’entrée par la Meuse d’une certaine quantité de tabacs ; si la loi spéciale était votée avant la loi générale, nous aurions un nouveau système de droits différentiels pour le tabac seul, et nous n’aurions pas les dispositions qui règlent ou qui atténuent ce système : ce serait là un résultat que la chambre doit empêcher.
Si le gouvernement ne nous donne pas l’assurance que la loi sur les tabacs ne sera pas promulguée avant la loi des droits différentiels, il est donc désirable que les auteurs des divers amendements les modifient en ce sens que le système des droits différentiels ne serait pas préjugé.
S’ils ne le faisaient pas, je me verrais dans la nécessité de présenter un sous-amendement. J’attendrai les explications qui seront données sur ce point.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il est indispensable de donner à l’honorable membre l’assurance qu’il demande. L’intention du gouvernement est que la loi générale des droits différentiels et la loi spéciale qui vous est soumise en ce moment, soient discutées par le sénat dans le cours de cette session.
Je ferai remarquer à l’honorable préopinant que la difficulté qu’il soulève, n’a peut-être pas, en réalité, l’intérêt qu’il y attache. En effet, comparons le système des droits différentiels, tel qu’il résultera de la loi des tabacs qui vous est soumise, avec le système des droits différentiels, tel qu’il résulterait de la loi de 1822. Que cela ne vous étonne pas, il y a un système de droits différentiels, d’après la loi de 1822, c’est la remise des 10 p. c. Eh bien, il y a des cas où le droit le plus élevé ne présente précisément que cette différence de la remise de 10 p. c. Vous allez voir à l’instant même. Prenons la première espèce de tabacs :
« Tabacs en feuilles de Porto Rico, etc.
« Pavillon belge, 5 fr. 00
« Pavillon étranger, 6 fr. 50 »
Différence, 1 fr. 50
C’est précisément 10 p. c. Il n’y a donc pas cette grande innovation qu’un semble craindre.
Allons plus loin. Deuxième espèce de tabac exotique : c’est précisément la grande masse des tabacs exotiques, qu’on appelle tabacs américains qui sont indiqués sous la rubrique plus générale : Tabacs en feuilles ou en rouleaux.
D’autres pays hors d’Europe (que Porto Rico, Havane, etc.), par pavillon belge venant du pays de production 10 fr.
Ajoutez un fr. pour le pavillon étranger, vous aurez 11 fr. Le droit proposé est 11 fr. 50, c’est-à-dire 50 centimes de plus. Je fais cette observation pour prouver à l’honorable préopinant que son objection n’a pas toute l’importance qu’il y attache. S’il veut parcourir les autres catégories du tarif, il s’assurera que le chiffre différentiel équivaut aux 10 p. c. accordés en vertu de la loi de 1822 ; on ne les excède que de très peu de chose.
Je ne puis que répéter que le gouvernement fera son possible pour que les deux lois soient discutées et votées par le sénat pendant cette session.
M. Malou. - L’honorable M. Delfosse, dans les observations qu’il a présentées tout à l’heure, considère la discussion comme épuisée ; je ne puis partager son avis ; je dirai même que la question la plus importante que soulève le projet de la section centrale n’a pas même été touchée. Cette question, je l’ai soumise à la section centrale, elle a été résolue immédiatement. Cependant elle est très grave ; c’est celle de savoir si on peut, au mépris de la constitution, établir un impôt direct qui ne fasse pas partie du cens électoral. Voilà la question résolue par la section centrale dans l’espace de quelques minutes et qu’on déciderait ici par la clôture, Cette question serait résolue dans le sens que je considère comme inconstitutionnel.
Quel a été le sens du vote d’hier ? Vous avez décidé qu’il ne serait pas établi de droit d’accise, c’est-a dire une contribution indirecte sur le tabac. Quel impôt voulez-vous établir sur la culture ? Ou vous revenez sur le vote d’hier, ou vous établissez un impôt direct. Si vous établissez un impôt direct, comment échappez-vous à l’article 47 de la constitution ? Ainsi, une question constitutionnelle très grave vous est soumise en ce moment et l’on n’y a pas encore touché. On a invoqué un précédent à cet égard, on a invoqué ce qui s’est fait dans la loi relative aux débitants de boissons distillées. Veuillez vous rappeler messieurs, les discussions qui ont eu lieu à cette époque, veuillez vous rappeler la minorité très forte qui s’est prononcée contre cette exception, veuillez comparer ensuite ce qu’on propose aujourd’hui avec ce qui a été admis alors.
Je ferai d’abord une observation générale. Quelle est la cause du droit politique dans notre pays ? C’est le payement de l’impôt quand il est imputable à un individu. Si les accises ne donnent pas naissance au droit électoral, c’est parce que l’on ne peut pas imputer à un individu le payement de l’impôt, cause constitutionnelle du droit politique.
En 1838 l’on s’est demandé si l’impôt sur les débitants de boissons distillées était direct ou indirect. Si j’ai bonne mémoire, on a été déterminé à admettre l’exception par cette considération que le droit d’accise était le principe de l’impôt, mais qu’il y avait impossibilité de le percevoir sans forme de supplément d’accise.
Tout autre chose est l’impôt payé par un tel à raison d’un fait posé par lui. S’il en est ainsi, comment contester que l’impôt sur la culture du tabac, tel qu’il est proposé, ne soit un impôt direct. Je n’examinerai pas si d’autres motifs tirés de la classe et de la position des personnes n’ont pas influé sur le vote de 1838. Je crois qu’ils y ont eu une large part. Prenons garde cependant de nous engager dans cette voie, car elle est très dangereuse. Si, par une loi, par deux lois, vous venez dire : Tel impôt que j’établis ne fera pas partie du cens électoral, pourquoi ne pas le dire demain de tel impôt qui aujourd’hui en fait partie ? On ne doit pas dévier de ce principe, que lorsque l’auteur du payement d’un impôt est connu, en retour du payement, il y a droit politique acquis.
L’honorable M. Sigart me demande à qui j’imputerai le payement. La réponse est tacite : à celui qui le fait. Celui qui payera complétera ou formera son cens électoral au moyen de cet impôt. Ainsi de deux choses l’une : en présence du vote d’hier, ou vous ne pouvez pas imposer la culture, ou si vous l’imposez d’une manière directe, dans ce dernier cas vous devez accorder à celui qui paye l’impôt, le droit politique que la constitution y attache, Pour moi, je me prononce contre l’impôt sur la culture du tabac ; je ne veux pas, à l’occasion d’une loi qui a pour objet de créer de nouvelles ressources, rompre l’équilibre des éléments électoraux qui existent dans le pays. Dans l’opinion où l’on me place quelquefois et en ayant égard à la nature de l’impôt proposé, peut-être y a-t-il quelque mérite à faire cette déclaration ?
Un droit à la culture ? Est-ce une chose sérieuse qu’on propose ? Pourquoi propose-t-on ce droit ? Pour avoir un revenu brut de 115 mille fr. ! Que devez-vous faire pour percevoir ce droit ? Créer une armée qui pèsera sur le pays, car on plante aujourd’hui 1,150 hectares en tabac. Ne faudrait-il pas au moins deux employés d’accise par village pour savoir si on ne plante pas de tabac ? Rien n’empêche d’en planter : on peut en planter chaque jour dans toute la Belgique. Si je voulais imposer le tabac, ce serait à condition d’en abandonner le produit, à forfait, à M. le ministre des finances, sous la condition de surveiller la culture et après une promesse formelle qu’il ne nous demanderait pas de crédits supplémentaires pour acquitter l’excédant des frais que nécessiterait la surveillance.
Vous devrez surveiller tous les terrains ouverts, les jardins fermés, et surtout ceux qui sont clos de murs ; car il y a une foule de villages où le terrain peut produire du tabac. J’avais donc raison de dire que l’impôt sur la culture n’est pas une chose sérieuse. Je ne crois pas qu’on puisse proposer un pareil impôt, et qu’on puisse le soutenir en présence des faits que nous connaissons. Mais dans quelle position dois-je me placer ? Est-ce qu’en présence de l’impôt, la culture ne diminuera pas ? faut méconnaître l’esprit de nos populations agricoles pour dire que non. L’impôt restreindra la culture de moitié, par cela seule qu’il existe.
Vous aurez beau dire au cultivateur que le produit le couvrira de l’impôt en présence de cet impôt, il ne voudra pas s’exposer aux éventualités physiques et commerciales et la culture sera réduite de moitié, détruite peut-être par le fait seul de l’établissement de l’impôt, quand même le cultivateur pourrait le retrouver plus tard.
Il y a, dit-on, insuffisance de ressources, et il faut créer une réserve : étrange réserve ! c’est quelque chose d’admirable que cet impôt pour forcer une réserve ! Supposez qu’on ne consomme que la moitié de l’impôt en frais de surveillance : en cent ans, vous aurez cinq millions. Mais il fallait, dit-on, un moyen de contrôle au gouvernement, on ne sait ce qui peut arriver : la culture peut se développer beaucoup. Prenez des renseignements statistiques. Comment avez vous fait pour connaître le développement qu’avait pris la culture ? Vous vous êtes adressés aux bourgmestres, et, au moyen de renseignements pris à la volée, vous avez su ce qu’on cultivait Demandez des renseignements d’une manière plus exacte, contrôlez-les, et vous verrez si ces effets s’accordent avec votre opinion ou avec la mienne. Mais n’imposez pas la culture pour en connaître l’importance. Je pourrais dire encore c’est un argument qui n’est pas sérieux.
M. Verhaegen. - Est-ce que vous parlez de l’enquête de la gendarmerie ?
M. Malou. - Non, je ne parle pas de l’enquête spontanée de la gendarmerie, mais de celle demandée pour faire le tableau joint au rapport de la section centrale ; je ne voulais pas rappeler l’autre enquête.
Les formalités, dit-on, sont très simples. On ne se plaint pas en Prusse où elles existent. La raison est facile à saisir : pourquoi on ne se plaint pas en Prusse, c’est qu’on ne peut pas s’y plaindre. On ne se plaint pas non plus à Constantinople, comme on a dit près de moi. Lorsqu’on entend comparer ainsi un peuple à un autre, on dirait vraiment que nos ministres nous arrivent directement des pays transatlantiques. Il faut méconnaître les changements qui se sont opérés dans nos institutions, dans l’opinion du pays, pour ne pas reconnaître que le gouvernement belge n’aura d’existence, de durée, qu’à condition d’avoir de la popularité, et qu’il n’aura de la popularité qu’à raison de la douceur du régime des impôts.
C’est par l’impôt que le gouvernement se fait surtout sentir aux classes inferieures de la société. La classe supérieure songe plus aux droits politiques ; elle y tient. Les classes inferieures ne trouvent guère qu’il y a un bon gouvernement, que quand elles peuvent payer l’impôt, que quand elles le payent facilement sous un régime très doux. Toute proposition d’impôt qui viendrait détruire, parmi les populations, la popularité dont le gouvernement a besoin pour vivre, ne doit jamais être faite par lui. Ce serait compromettre en même temps les intérêts du pays.
Il me reste à dire un mot (car je dois reconnaître que si la discussion n’est pas épuisée, la chambre du moins est fatiguée) de l’observation de forme présentée par l’honorable M. Delfosse. Je me l’étais faite, et même je l’ai poussée plus loin. J’aurais voulu donner à mon amendement une forme telle qu’il vînt s’enchâsser comme pièce de rapport dans la loi des droits différentiels. Mais c’était subordonner le sort d’une loi à une autre. Vaut-il mieux, dans l’hypothèse où la loi des droits différentiels serait venue après la loi des tabacs, laisser subsister une bizarrerie, en ce sens que le tabac aurait un droit différentiel spécial ? Vaut-il mieux voter le chiffre normal, c’est-à-dire le chiffre du droit pour les importations du lieu de production, sous pavillon national, et se borner à ajouter une disposition d’après laquelle la différence établie par la loi des droits différentiels serait appliquée au tabac.
Cela m’est assez indifférent, J’ai la conviction que le sénat, saisi de deux projets de loi aussi importants, les examinera immédiatement. Si donc une anomalie doit exister, elle sera du moins de courte durée.
L’observation qu’a faite M. le ministre de l’intérieur, en réponse à l’honorable M. Delfosse ne me paraît pas exacte. En fait, elle n’est exacte que pour une seule qualité, le tabac fin. Mais déjà pour la plus grande quantité, il y a une différence de moitié.
Pour les cigares, la différence est énorme. Le droit est de 100 fr. ; déduction 10 fr., tandis que nous portons le droit différentiel a 20 fr. Ainsi 200 fr., 220 fr., 240 fr.
Je me bornerai à dire que si j’ai présenté l’amendement sous cette formule, c’est que pour que le système pût être facilement compris. J’ai voulu, dans toutes les hypothèses, concilier cette loi avec la loi des droits différentiels. La forme m’est donc indifférente. Mais je tiens beaucoup au fond, aux principes constitutionnels (que je n’aurai pas, j’espère, invoqués en vain) et à la liberté de l’agriculture.
Ici je me permettrai de faire une dernière observation. Lorsqu’il se présente une industrie qui donne lieu à un mouvement de 20 millions, elle excite à bon droit les sympathies de la législature, et l’agriculture qui compte non pas par millions, mais par milliards, ne pourrait exciter l’intérêt de la législature !
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je ne disconviens pas que la question constitutionnelle que l’honorable membre vient de soulever ne mérite une attention sérieuse. Cependant, je ferai remarquer que le point de départ de l’honorable membre est que la chambre aurait rejeté le droit d’accise, que, par conséquent, il ne pouvait plus s’agir maintenant d’un droit de consommation.
L’honorable membre a mal interprète le vote de la chambre ; la première des questions que j’ai posées est relative au tabac exotique seulement puisqu’elle consiste à demander s’il y aura une augmentation de droit sur le tabac. Comme le tabac indigène n’a pas été imposé jusqu’à présent, il est évident qu’il ne s’agissait là que de son similaire étranger, il en est de même de la seconde question qui n’est que la conséquence de la première. La quatrième question, au contraire, concerne exclusivement le droit sur le tabac indigène ; elle est donc indépendante de celle qui est relative au droit d’accise. Il faut considérer les diverses questions dans leur ensemble.
Je fais ces observations pour prouver que nous n’avons rien préjugé sur la nature d’un impôt à la culture du tabac, et que le vote émis n’empêche aucunement de le considérer comme droit de consommation ; il sera, dans ce cas, analogue à l’impôt payé par les débitants de boissons. Si les chambres ont reconnu que ce dernier impôt ne doit pas être compris dans le cens électoral, elles doivent admettre le même principe à l’égard d’un droit de consommation du tabac, quel que soit le mode de sa perception. C’est à raison des difficultés que présentaient les autres moyens d’asseoir ce droit, qu’on l’établit d’après la superficie. Ce n’en est pas moins la consommation que l’on a voulu atteindre.
On nous objecte qu’il faudra une armée d’employés pour surveiller la culture. Mais je demanderai, à mon tour, si le droit de 4 fr. par 100 kil. sera un tel appât à la fraude, que l’on doive s’attendre à un grand nombre de fausses déclarations, ou de plantations dissimulées ; il est fort inutile que nous ayons des employés en résidence dans toutes les communes. Mais elles sont tous les jours parcourues par les agents de l’administration des accises.
Un droit si minime ne nécessitera aucune espèce de recherche, aucun accroissement de personnel. D’ailleurs, on ne cache pas un hectare de terre comme un ballot de marchandises.
Si je soutiens la nécessité d’établir ce droit, c’est que je crains les conséquences d’une trop forte protection qui va donner inutilement de l’extension à la production du tabac indigène et réduire les ressources qu’on attend de l’impôt. C’est dans l’intérêt du trésor public que j’appuie la proposition de la section centrale ; si elle ne fournit pas un produit considérable, elle prévient une perte sensible dans l’avenir. En n’imposant pas du tout le tabac indigène, alors qu’il y a un droit sur le tabac indigène, on se crée, je le répète, des embarras qu’on aura de la peine à surmonter plus lard.
L’honorable membre qui exprime sa sympathie pour l’agriculture, ne doit pas supposer que le gouvernement ait moins de sollicitude pour elle : ses intérêts lui sont très précieux, mais il ne veut pas lui donner une fausse direction.
Si on se laissait dominer par la seule idée d’acquérir de la popularité, on n’oserait proposer un impôt : jamais on n’eût osé. Soutenir celui qui frappe les sucreries indigènes, qui établit un contrôle sur la fabrication du sucre de betterave, et qui prescrit des formalités qui, par leur nature, ne peuvent qu’être désagréables pour les intéressés. De telles craintes perpétueraient les déficits dans nos finances ; il est impossible d’établir les impôts, sans des formalités plus ou moins gênantes pour le contribuable ; c’est une condition à laquelle il faut bien se résigner.
M. Delfosse. - Je propose le sous-amendement suivant :
« L’augmentation, s’il en est voté une par la chambre, ne portera que sur les droits d’entrée actuellement existants : elle sera appliquée aux chiffres du tarif des droits différentiels, au moment où ce tarif sera mis en vigueur. »
Je dois me borner en ce moment à présenter un sous-amendement en termes généraux. Je ne pourrai le préciser que quand je saurai quel amendement la chambre aura adopté.
Mon sous-amendement s’appliquant à la plupart des amendements qui ont été présentés, je ne puis, en attendant la décision de la chambre sur ces divers amendements, faire voter qu’un principe.
Il est essentiel de décider que le vote de la loi actuelle ne préjugera rien pour ou contre l’adoption du système des droits différentiels. Cela est dans l’intérêt du gouvernement lui-même. Si vous introduisez dans la loi des tabacs une disposition qui suppose l’adoption de la loi des droits différentiels, le sénat ne pourra s’occuper de la première de ces lois, avant d’avoir voté la deuxième ; mais cette dernière loi dont la chambre s’est occupée pendant sept semaines, donnera sans doute lieu au sénat à une longue discussion. Si donc vous introduisez dans la loi des tabacs des dispositions qui supposent l’adoption de la loi des droits différentiels, vous retardez l’adoption de la loi des tabacs, vous privez le trésor des ressources qu’il compte obtenir par cette loi.
Il n’y a pas le moindre inconvénient à rendre la loi des tabacs tout à fait indépendante de celle des droits différentiels. Ceux qui veulent une augmentation des droits d’entrée sur les tabacs, la veulent sans aucun doute indépendamment de la loi des droits différentiels, leur intention n’est pas que cette augmentation dépende du vote affirmatif ou négatif que le sénat sera appelé à émettre sur le système des droits différentiels.
Il n’y a pas, je le répète, le moindre inconvénient à adopter mon sous-amendement. S’il est adopté, on aura décidé dès aujourd’hui quelle sera l’augmentation des droits d’entrée actuellement existants, et l’on aura décidé en même temps que cette augmentation qui sera de 5, 10 ou 15 fr., s’appliquera à tous les chiffres du tarif des droits différentiels, si ce tarif est mis en vigueur.
L’honorable M. Malou a bien voulu reconnaître la justesse de mes observations, mais il m’a en même temps adressé un léger reproche ; selon lui, j’aurais eu tort de dire que la discussion était épuisée. Messieurs, lorsque j’ai dit que la discussion était épuisée, j’ai voulu dire qu’après la longue discussion qui a eu lieu, chacun de nous a son opinion fixée, chacun de nous sait quel doit être son vote. Mais je n’ai pas entendu par là porter des limites aux ressources d’esprit de l’honorable M. Malou ; je reconnais volontiers que l’honorable membre pouvait encore présenter de nouvelles considérations à l’appui de son opinion, et c’est effectivement ce qu’il a fait.
M. le ministre de l’intérieur n’a pas rendu la même justice à mes observations. Il a dit que ma proposition n’a pas précisément l’importance que je lui ai donnée. Et pourquoi ? Parce qu’il existe déjà un système de droits différentiels en vertu de la loi de 1822, et parce que l’avantage dont le pavillon national jouit en vertu de cette loi ne serait guère augmente par la loi sur les tabacs.
Mais M. le ministre de l’intérieur a perdu de vue un point important : la loi de 1822 n’établit une remise de 10 p. c. qu’en faveur du pavillon belge ; elle n’établit pas, en ce qui concerte les tabacs, de faveur pour les provenances directes. Cette faveur n’est établie que par la loi sur les droits différentiels, qui est soumise au sénat.
Je pense, messieurs, que ma proposition ne présente pas le moindre inconvénient, elle a l’avantage de laisser toutes les questions intactes, elle est toute dans l’intérêt du trésor. On ferait donc bien de s’y rallier.
M. Eloy de Burdinne (pour un fait personnel). - Messieurs, l’honorable M. Dumortier, avec la courtoisie qui le distingue, et sans doute comme académicien, a bien voulu me dire que lorsqu’il était question d’agriculture, je ne défendais que les intérêts de la Hesbaye. Messieurs, mon habitude n’est pas de défendre des intérêts de clocher. Peut-être, sous ce rapport, l’honorable membre pourrait-il s’appliquer son compliment à lui-même plutôt qu’à moi.
Jamais je n’ai traité les intérêts particuliers de ma localité, je traite les intérêts généraux, et les intérêts de l’agriculture des Flandres et du Hainaut sont les intérêts de l’agriculture à quelque localité qu’elle appartienne. Quant à la question du tabac, je crois que je défends mieux les intérêts de l’agriculture que ne le fait l’honorable M. Dumortier.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, dans la séance d’hier, la chambre a décidé à une forte majorité que le tabac ne serait pas soumis au droit d’accise. Ce vote a été suivi de la présentation de plusieurs propositions tendant à fixer les chiffres des droits de douane qui seraient établis sur les tabacs exotiques. En même temps on a proposé de frapper le tabac indigène d’un impôt à l’hectare de terres cultivées.
Il s’agit donc maintenant, pour la chambre, de fixer les chiffres des droits de douane dont seront frappés les tabacs et étrangers, et de décider si, d’après ces chiffres, il y a lieu de frapper également le tabac indigène d’un droit quelconque, et quelle sera la hauteur de ce droit.
Quant au tabac étranger, je dirai d’abord que je m’attache exclusivement ici à l’espèce qui entre en très grande quantité en Belgique, celle qui est aujourd’hui tarifée à 2 fr. 50 par 100 kil. Je crois que cette qualité de tabac entre pour les sept huitièmes dans la consommation. les autres qualités qui supportent des droits plus élevés, ne sont pas à prendre maintenant en considération, parce qu’elles n’entrent qu’en quantités très faibles.
Ainsi le droit dont est aujourd’hui frappée l’espèce de tabac étranger qui alimente pour la presque totalité la consommation, est de 2 fr. 50 c. les 100 kilog.
On propose d’élever ce droit, les uns à 6 fr., les autres à 7 fr 50 c. d’autres à 10 fr . d’autres à 15 fr. On avait proposé aussi 20 fr. ; mais ce dernier amendement a été retiré.
Je pense, messieurs, que le tabac étranger peut supporter sans inconvénient un droit de douane de 10 fr. Je voterai pour ce droit de 10 fr. qui ne me paraît pas exagéré. C’est donc le chiffre de l’amendement de mon honorable ami M. Malou que j’admettrai.
Un droit plus élevé, un droit de 15 fr. par exemple, pourrait peut-être présenter quelques dangers comme favorisant la fraude. D’un autre côté la situation actuelle de nos finances n’exige pas que nous allions jusque-là, et je pense surtout que nous devons procéder avec une grande prudence et que ce n’est qu’après avoir reconnu par l’expérience quel serait l’effet de ce droit de 10 fr., qui paraît modéré, que nous pourrions plus tard, si la nécessite nous en faisait une loi, et si nous reconnaissions par l’expérience que cela est praticable, établir un droit plus élevé.
Ce droit de 10 francs, messieurs, c’est déjà le quadruple des droits actuels. Ainsi c’est déjà une augmentation notable, et je crois que nous devons nous arrêter là.
Mais en supposant que l’on fixe à 10 francs le doit de douane dont serait frappé le tabac étranger, y a t-il lieu à frapper également d’un droit le tabac indigène ? Cela revient, messieurs, en d’autres termes, à cette question : un droit de douane de 10 francs par 100 kil. forme-t-il une protection trop forte pour le tabac indigène ?
Il me paraît, messieurs, que ce n’est pas une protection trop forte ; qu’elle est à peine suffisante : que nous ne pouvons pas faire moins pour protéger la culture indigène.
Je me prononce donc, d’après ces motifs, contre la proposition de la section centrale, d’établir sur la culture du tabac indigène un droit de 100 fr. par hectare
Messieurs, sur cette question, nous devons, me semble-t-il, accorder quelque importance aux renseignements que nous fournissent les commissions d’agriculture, qui ont dû fixer principalement leur attention sur la situation de la culture du tabac et sur la protection qu’elle réclame. Or, je pense qu’on peut considérer ces commissions comme étant unanimes pour réclamer une augmentation, et une augmentation considérable de protection pour le tabac indigène.
Des différentes commissions d’agriculture, celle, messieurs, qui paraît la plus défavorable à la culture indigène du tabac, qui lui est même tout à fait hostile, c’est la commission d’agriculture du Limbourg. Elle déclare, en effet, que l’on peut, sans inconvénient, supprimer la culture du tabac. Elle ne lui porte aucune sympathie. Elle ne la considère comme aucunement utile au pays. Mais en même temps elle fait remarquer que dans tout le Limbourg, il ne se cultive qu’un hectare et demi en tabac. De sorte que les cultivateurs du Limbourg sont ici entièrement hors d’intérêt.
Cependant, messieurs, la commission d’agriculture du Limbourg dit elle-même qu’au prix où sont descendus les tabacs exotiques, le tabac indigène ne peut plus entrer en concurrence, et qu’à moins d’une protection toute spéciale, cette culture ne tardera pas à disparaître.
Ainsi, vous voyez qu’elle reconnaît, de la manière la plus formelle, que la culture du tabac indigène a besoin, pour se soutenir, d’une protection beaucoup plus forte que celle qui résulte du tarif actuel.
La commission d’agriculture de Namur réclame aussi une protection pour la culture indigène. Et cependant le tabac n’est presque pas cultivé dans cette province. Elle fait remarquer qu’autrefois cette culture y était assez florissante ; mais que ce sont les droits réunis établis par la France que l’ont fait en quelque sorte disparaître, et qu’elle n’a pu se rétablir depuis. Aussi on cultive à peine, je crois, deux hectares en tabac dans la province de Namur. Mais elle regrette vivement la disparition de cette culture, et elle demande une protection qu’elle résume de cette manière : « Etablir un droit élevé sur les tabacs étrangers et exempter de tous droits les tabacs indigènes. » En un mot, elle ajoute qu’ « il convient de protéger et de favoriser cette culture par tous les moyens possibles. »
Quant aux provinces dans lesquelles le tabac est cultivé, là messieurs, les commissions d’agriculture réclament avec énergie une protection efficace, au moyen d’un droit assez élevé sur le tabac étranger. La commission d’agriculture du Hainaut veut que cette protection s’élève de 25 à 30 fr. par 100 kilogrammes ; celle du Brabant dit qu’elle doit être au moins de 15 fr. par 100 kilog ; la commission de la Flandre occidentale consent à un droit de 150 fr. par hectare sur la culture ; mais remarquez, messieurs, pour autant qu’on établisse un droit de 40 fr. par 100 kilog. sur le tabac exotique. Je vous prie de comparer ces deux droits et de considérer les produits que la culture du tabac donne dans la Flandre occidentale. C’est là que l’on fait les plus grands sacrifices d’engrais pour obtenir de forts produits, c’est là que, suivant les pièces qui nous ont été distribuées, un hectare produit 2,200 kilog. Eh bien, un droit de 130 fr. par hectare alors que l’hectare rapporte 2,200 kilog. ne revient pas à 7 fr. par 100 kilog. Comparez un droit de 7 fr. sur le tabac indigène à un droit de 40 francs sur le tabac exotique, vous verrez que cette commission d’agriculture réclame une protection de 33 fr. par 100 kilog.
Quand à la commission d’agriculture de la Flandre orientale, elle convient que le tabac est une matière imposable, mais elle soutient que la loi qui augmentera l’impôt sur le tabac ne doit atteindre que le tabac exotique. Elle demande donc également, à titre de protection, que le tabac indigène soit libre de tout droit. Vous voyez donc, messieurs, que les commissions d’agriculture sont unanimes pour réclamer une protection convenable en faveur de la culture indigène. Et, en effet, messieurs, la situation de la culture indigène, telle qu’elle nous a été présentée, réclame cette protection. Il est reconnu (et les détails dans lesquels entrent les commissions d’agriculture en font foi) il est reconnu que, par suite de la concurrence que les tabacs exotiques font au tabac indigène, la culture de celui-ci a diminué d’année en année, qu’elle est maintenant singulièrement réduite. Il faut donc, pour la soutenir, non pas même pour la développer, mais pour l’empêcher de disparaître entièrement, il lui faut, dis-je, une protection assez considérable.
Les tabacs indigènes se vendent encore et se vendent même à des prix plus élevés que les tabacs exotiques. Ce fait pourra paraître étrange, mars il ne l’est plus lorsque l’on considère que le tabac indigène est indispensable à nos fabricants pour les mélanges au moyen desquels ils comparent les qualités de tabac, dont ils trouvent le plus grand débit. Voilà pourquoi ils se résignent à payer le tabac indigène plus cher que les tabacs étrangers. Sans cette circonstance toute particulière, le tabac exotique aurait déjà entièrement tué la culture du tabac indigène. Or, messieurs, devez-vous permettre un pareil résultat ? Devez-vous refuser à la production indigène une protection qu’elle nous demande et sans laquelle elle ne peut pas vivre ? Vous ne pourriez vous y déterminer qu’autant qu’il fût vrai que la culture du tabac est une mauvaise culture, qu’elle est défavorable à la Belgique, qu’elle épuise les terres qui pourraient être plus utilement ensemencées en céréales.
Or j’ai bien entendu une assertion à peu près semblable de la part de la section centrale et je l’ai même retrouvée dans l’avis de la commission d’agriculture du Limbourg, province dans laquelle le tabac n’est point du tout cultivé ; mais les provinces dans lesquelles on cultive le tabac n’avouent nullement le fait ; loin de là, les commissions d’agriculture des Flandres, du Hainaut, du Brabant reconnaissent la culture du tabac comme éminemment favorable (ce sont les expressions de la commission du Brabant) à l’amélioration et au progrès de l’agriculture. « La culture du tabac, dit-elle, de même que celle de toutes les plantes qui exigent beaucoup d’engrais et un travail fréquent de la main de l’homme, est essentiellement favorable à l’amélioration du sol. Cette plante épuise d’autant moins le sol, continue-t-elle, que le planteur, dans le but d’augmenter la dimension et le nombre des feuilles, enlève toujours la tige qui doit produire la semence : l’on sait que l’époque de la formation de cette semence est le moment où la terre doit faire le plus de sacrifices à la plante qu’elle nourrit. » Cette commission classe le tabac parmi les plantes précieuses qui fournissent au cultivateur les moyens de varier les assolements et d’empêcher le retour trop fréquent de certaine culture.
Je ne dirai pas, messieurs, ce que disent les autres commissions d’agriculture ; mais je déclare que plusieurs d’entre elles présentent la culture du tabac comme éminemment favorable à l’agriculture, à l’assolement et à l’amélioration de la terre, bien loin de l’épuiser. Je le répète, ce n’est que la commission d’agriculture du Limbourg, province où l’on ne cultive pas le tabac. qui émet cette assertion, que le tabac épuise la terre, qu’il est défavorable à l’agriculture.
Ainsi, messieurs, il faut une protection et une protection efficace pour la culture indigène. Cette protection serait-elle trop forte si on la portait à 10 francs par 100 kilog. ? Messieurs, je ne le pense pas, et j’appellerai votre attention sur les chiffres qui avaient été fixés par un tarif étranger, et sur lesquels M. le ministre des finances s’est appuyé dans son exposé des motifs. Pour obtenir les droits qu’il réclamait, M. le ministre des finances a fait valoir les droits dont les tabacs sont frappés en Prusse. Quels sont ces droits, messieurs ? C’est un droit de douane de 40 francs par 100 kilog. et un droit à la culture de 66 francs par hectare sur le tabac indigène. Mettez ces deux droits en rapport. Je suppose qu’en Prusse, l’hectare ne rapporte pas 2,200 kilog., comme dans la Flandre occidentale. D’après les pièces qui vous ont été distribuées dans la Flandre orientale et dans le Hainaut, les produits ne seraient que de 15 à 1,600 kilog. par hectare. Eh bien, supposons qu’en Prusse, l’hectare ne rapporte que 1,500 kilog., un droit de 66 francs par hectare reviendrait donc à fort peu chose, à 3 ou 4 francs, par 100 kilog., tandis que le tabac étranger est frappé d’un droit de 40 francs. Ainsi, en Prusse, il y a au moins 35 francs par 100 kilog. de protection pour le tabac indigène.
C’est cependant là, messieurs, l’exemple que M. le ministre des finances a invoqué dans son exposé des motifs. La protection que vous propose mon honorable ami ne serait pas le tiers de ce qu’elle est en Prusse, ni de ce qu’elle devait être d’après les commissions d’agriculture de la Flandre occidentale et du Hainaut ; elle serait même inférieure au tiers de celle que réclame la commission d’agriculture du Brabant. Je crois, messieurs, que, d’après ces divers renseignements, on peut tenir pour constant que cette protection n’est pas exagérée.
Au lieu de cela, messieurs, que vous propose la section centrale ? D’une part un droit de 10 fr. sur les tabacs étrangers, d’autre part un droit de 100 fr. par hectare de culture indigène. A combien reviendrait ce droit de 100 fr. par hectare ? Si l’hectare produit 2,200 kil. comme dans la Flandre occidentale, cela reviendrait à 4 fr. 55 c. par 100 kil. ; mais si l’hectare ne produit que 1,600 kil. comme dans la Flandre orientale et dans le Hainaut, cela reviendrait à 6 fr. 25 c. Ainsi, d’une part 6 fr. 25 c. et d’autre part 10 fr. ; il y aurait donc une protection de 3 fr. 75 c., cela me paraît dérisoire et dans le cas où la récolte viendrait à manquer, au lieu d’une protection, ce serait un impôt qui ruinerait le cultivateur.
J’ai entendu M. le ministre de finances estimer assez haut la protection actuelle et celle qui serait donnée à la culture par l’adoption du projet de la section centrale. Pour faire cette estimation, M. le ministre a pris une moyenne. Je ne sais sur quoi il prend cette moyenne, mais je pense que lorsque nous avons à considérer cette protection, nous n’avons pas à nous occuper des espèces de tabac qui ne font aucunement concurrence au tabac indigène, qui sont tout à fait dissemblables, qui satisfont à d’autres besoins ; nous ne devons avoir égard qu’aux espèces qui font véritablement concurrence à la culture indigène. Or, il est reconnu par tout le monde que ces espèces sont celles qui entrent maintenant dans le pays, avec un droit de 2 fr. 50 c. Or, c’est là une protection tout à fait dérisoire, et si vous portez cette protection de 2 fr. 50 c. à 3 fr. 75 c., elle sera encore dérisoire. Ce n’est pas là ce que demandent les commissions d’agriculture, c’est-à-dire, une protection efficace et qui permette à la culture de se soutenir, car, on nous la présente comme ne pouvant pas se soutenir dans l’état actuel des choses.
D’un autre côté, messieurs, vous avez à considérer la question sous le point de vue de l’intérêt du fisc. Ce droit de 100 fr. par hectare ne rapporterait qu’une somme fort peu considérable, et cette somme sera encore réduite par les frais de surveillance ; elle sera tellement réduite, que réellement ce ne serait pas la peine de frapper d’un impôt le tabac indigène. Le droit devant se percevoir sur 1,100 hectares, il rapporterait 110,000 fr., et s’il se réduit de moitié par les frais de perception, le trésor ne percevra plus que 55,000 fr. Certes, la chambre n’entrera pas dans un tel système pour donner au trésor un revenu de 55,000 fr. ! Et cela dans quelle circonstance ? Dans une circonstance qui a donné à la section centrale l’occasion de soulever une question constitutionnelle des plus graves, celle de savoir si cet impôt comptera ou ne comptera pas dans le cens électoral. Il est évident, pour moi, que c’est un impôt direct que vous votez. L’impôt dont on frappe le tabac exotique est un droit de douane mais l’impôt dont vous frappez la culture à raison de tant l’hectare, est un impôt direct. On ne saurait donner une définition de l’impôt direct, qui ne s’appliquât pas à celui-là. Or, la constitution veut que tout impôt direct compte dans le cens électoral, et l’on vous propose de déclarer que cet impôt ne comptera pas dans le cens électoral. Je ne saurais admettre une semblable disposition. Je ne la voterai dans aucun cas et j’engage beaucoup la chambre à laisser cette question de côté, en refusant son assentiment à un impôt sur le tabac indigène.
De toutes parts. - Aux voix ! aux voix !
M. le président. - On demande la clôture.
M. Smits (contre la clôture). - Je comprends que la chambre est fatiguée ; je désire cependant dire quelques mois pour prouver à l’assemblée qu’avec un droit de 10 fr., il faut de toute nécessité un impôt sur la culture. (C’est le fond ! aux voix ! aux voix !)
M. de Haerne. - Je m’oppose à la clôture. J’ai plusieurs observations à présenter, que, selon moi, il importe que je communique à la chambre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous pourrez les présenter au second vote. (Aux voix ! aux voix !)
- La discussion est close.
M. le président. - L’amendement de M. Zoude étant retiré, je crois qu’il y d’abord à mettre aux voix l’amendement de MM. Lys et consorts, qui propose le chiffre plus élevé.
M. Lys. - Je demande la division.
M. Malou. - Je ne comprends pas l’application de cet amendement. Ainsi, il y a aujourd’hui un droit de 100 fr. sur les cigares. Ce droit sera-t-il porté à 112 fr. 50 c. ?
M. Lys. - J’ai déclaré que je m’en rapportais à la proposition de la section centrale pour les cigares.
M. Malou. - Mon observation est au moins parfaitement exacte pour les tabacs fins ; partout où un droit est établi, par la loi de 1838, l’amendement tend à ajouter 12 fr. 50 c.
M. le président. - Vous discutez l’amendement.
M. Malou. - Pardon ; je veux préciser le sens de l’amendement pour montrer dans quel ordre on doit voter.
Il y a en présence le chiffre de 10 fr. proposé par la section centrale et celui de 15 fr. proposé par M. Lys. Ne pourrait-on pas voter sur la base du système, mettre aux voix d’abord le chiffre de 15 fr., et ensuite celui de 10 fr. ?
M. Lys. - Je n’ai pas proposé 15 fr.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je pense qu’on pourrait procéder de la manière indiquée par l’honorable M. Malou, c’est-à-dire voter d’abord sur les droits essentiels. J’avais commencé par croire aussi que le droit proposé par M. Lys était de 15 francs ; mais d’après les explications que cet honorable membre a donnés tout à l’heure, j’ai dû reconnaître qu’il se bornait à demander un droit de 12 fr. 50 c.
M. Delfosse. - Aux termes du règlement, les sous-amendements doivent être mis aux voix avant les amendements ; j’ai présenté un sous-amendement qui s’applique à presque tous les amendements. Mon sous-amendement devrait donc avoir la priorité. Mais je pense que M. le ministre de l’intérieur a l’intention de faire une déclaration qui m’engagera probablement à attendre le second vote.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je considère la proposition de l’honorable M. Delfosse comme une réserve qu’il fait. Je crois qu’il faut examiner cette question d’ici au second vote. Il y a sans doute une considération d’une certaine gravité : nous ne devons pas avoir l’air de faire violence au sénat.
Je crois que l’honorable M. Delfosse peut, pour aujourd’hui, se contenter de cette déclaration.
M. Delfosse. - Je me contente, pour le moment, de la déclaration que M. le ministre de l’intérieur vient de faire.
M. Dumortier. - Je pense que nous simplifierions beaucoup la question de la priorité à donner dans le vote des diverses dispositions, si l’on mettait d’abord aux voix tous les amendements étrangers à la proposition de la section centrale, proposition qui est la proposition principale.
M. Dubus (aîné). - Il s’agit de voter des chiffres, et d’après les précédents de la chambre, il faut d’abord mettre aux voix les chiffres les plus élevés, car ceux qui veulent ces chiffres, sont mis par là à même, dans le cas où ils seraient rejetés, de voter les chiffres qui suivent immédiatement. Je pense qu’on devra voter par division ; qu’on devra s’occuper d’abord des droits de douane à établir. Ce n’est qu’après qu’on aura fixé ce chiffre, qu’il y aura lieu de décider s’il y aura un impôt sur le tabac indigène, et quel sera le chiffre de l’impôt.
M. Rodenbach. - Je demande que l’on mette d’abord aux voix la question de savoir si l’on mettra un droit à la culture. De cette manière, tout le monde aura une pleine liberté dans son vote.
M. Mast de Vries. - Moi, je pense qu’il faut commencer par mettre aux voix le droit de douane, et en premier lieu le droit le plus élevé ; moi qui admettrai un droit de douane de 10 francs, par exemple, je devrais admettre un impôt à la culture, si on votait un droit de douane plus considérable.
- La chambre consultée décide qu’elle ne commencera pas par voter la question de savoir s’il y aura un impôt à la culture. Elle décide ensuite qu’elle votera par division ; c’est-à-dire qu’on mettra d’abord aux voix le chiffre le plus élevé sur les importations du tabac des pays hors d’Europe ; le chiffre proposé par la section centrale est de 10 fr., et celui proposé par MM. Lys et consorts est de 12 fr. 50 c. les 100 kil.
- Le chiffre de 12 fr. 50 est mis aux voix et n’est pas adopté.
La chambre adopte ensuite le chiffre de 10 fr.
Les autres parties de l’amendement de la section centrale sont successivement mises aux voix et adoptées.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la question de savoir si on mettra un droit à la culture.
- L’appel nominal étant demandé, il est procédé à cette opération.
En voici le résultat
83 membres répondent à l’appel ;
36 répondent oui ;
47 répondent non.
En conséquence, la question est résolue négativement.
Ont répondu oui : Lys, Mercier, Nothomb, Osy, Pirmez, Pirson, Sigart, Smits, Thyrion, Troye, Vanden Eynde, Vilain XIIII, Zoude, Cogels, d’Anethan, David, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de La Coste, de Man d’Attenrode, de Meester, de Mérode, de Nef, de Renesse, de Terbecq, d’Hoffschmidt, Dolez, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Lange, Lejeune.
Ont répondu non : Lesoinne, Malou, Manilius, Mast de Vries, Meeus, Morel-Danheel, Orts, Dubus (aîné), Rodenbach, Rogier, Savart-Martel, Scheyven, Simons, Van Cutsem, Vandensteen, Van Volxem, Verhaegen, Verwilghen, Brabant, Castiau, Coghen, Coppieters, de Baillet, de Chimay, de Florisone, de Haerne, Delehaye, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Muelenaere, de Naeyer, Deprey, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Tornaco, Devaux, De Villegas, B. Dubus, Dumont, Dumortier, Jadot, Jonet, Kervyn, Lebeau, Liedts.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Il y a encore une disposition qui ne se rapporte pas à la culture qui doit être soumise au vote de la chambre.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
M. Malou. - Dans la discussion générale il a été question plusieurs fois du danger d’importations considérables de tabacs, venant des entrepôts d’Europe ou d’entrepôts flottants. J’avais annoncé que j’indiquerais un moyen de prévenir ces importations. Je crois que l’on peut établir en principe dans la loi que l’augmentation qui en résultera aura effet à dater d’un jour déterminé, du jour de notre vote, par exemple. Je sais toutes les objections de principe qu’on peut faire contre cette disposition, je reconnais que c’est de la rétroactivité. Mais il ne faut pas que la législature ait pour les principes un amour platonique, il faut avoir de l’amour pour les principes en tant qu’ils sont la garantie de droits. Or, nous ne lésons aucun droit, nous avertissons que les importations faites à partir de telle date seront soumises à l’augmentation de droit, si la loi est votée.
Je demanderai à M. le ministre des finances si une disposition en ce sens ne pourrait pas être insérée dans la loi.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Cette disposition serait inefficace. Le droit de douane se paye immédiatement lors de la déclaration en consommation. Il serait impossible de distinguer les tabacs soumis au droit depuis la date déterminée dans la loi. Quant au déclarant, rien ne serait plus facile que d’éluder une semblable disposition, en faisant faire la déclaration par une personne insolvable, par un ouvrier. Cette disposition ne peut donc être admise. S’il s’agissait de termes de crédit, la chose serait plus facile, parce qu’aussi longtemps que le terme n’est pas expiré, l’administration connaît le débiteur et peut exercer un recours contre lui, mais il n’y a plus de débiteur quand le droit est acquitté.
M. Cogels. - J’avais demandé la parole pour faire la même observation que M. le ministre des finances, car la chose est impraticable. Je voudrais qu’on pût appliquer la loi dès aujourd’hui, mais vous ne pouvez pas refuser la déclaration d’un insolvable qui acquitte les droits, et, une fois les droits acquittés, vous ne pouvez pas suivre la marchandise.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’on pourrait aussi faire faire la déclaration par un étranger qui voudrait acquitter les droits. Une caution, nous ne serions pas admis à la demander, nous ne serions pas autorisés par la loi à l’exiger. Tout ce que nous pouvons faire, c’est d’engager le sénat à s’occuper immédiatement de cette loi ; je ne connais pas d’autre moyen.
M. Dumortier. - Ce n’est pas la première fois qu’on introduit dans une loi une mesure semblable à celle que propose l’honorable M. Malou. Plusieurs fois, quand nous avons voté des augmentations de droit, dans l’intérêt du trésor, nous avons admis une disposition semblable.
M. Cogels. - Citez une loi.
M. Dumortier. - Un honorable député d’Anvers me dit : Citez une loi ; je sais qu’une disposition de cette nature ne conviendrait pas à Anvers. Mais je suis certain que nous avons procédé ainsi plusieurs fois. Je ne puis pas citer de loi, je n’ai pas dans la tête la date de toutes les lois que nous avons votées depuis 12 ans, mais j’en appelle à la mémoire des membres qui siègent depuis longtemps dans cette enceinte.
Je ne m’arrêterai pas aux objections qu’on a faites, car le gouvernement pourrait toujours demander une caution aux personnes qui voudraient faire une déclaration d’importation. Il n’y aurait pas rétroactivité puisqu’il serait connu qu’à partir du vote d’aujourd’hui, le tabac importé payera le nouveau droit : ce qu’il faut éviter, ce sont les importations frauduleuses.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - J’accepterais la proposition qui est faite, si je la jugeais praticable. Je ne connais pas de précédent de cette nature. Dans la circonstance, la mesure serait inefficace dans ses effets, ce serait une disposition oiseuse.
M. Malou. - Je n’avais pas fait de proposition formelle. Mais, en exécution de ce que j’avais dit, j’ai cru devoir appeler l’attention de la chambre sur cet objet. Après les observations de M. le ministre des finances, bien que je ne les reconnaisse pas comme fondées, je ne crois pas devoir insister.
Un honorable membre m’a suggéré une idée que je soumets à la chambre, Ne faudrait-il pas introduire une loi générale, de principe, portant que toute augmentation d’impôt courrait à dater de tel ou de tel acte d’élaboration de la loi, par exemple, à dater du vote de l’une des chambres ? (Réclamations.) ou si l’on veut de la présentation du projet de loi. (Nouvelles réclamations.)
Mais c’est la loi qui serait adoptée dont l’effet se reporterait à l’époque de la présentation du projet de loi.
Je me borne à soumettre cette idée au gouvernement. Il y a peut-être quelque chose à faire pour prévenir des inconvénients dans l’avenir.
M. de Mérode. - Il me semble que dans des circonstances semblables le gouvernement devrait convoquer le sénat dans les 24 heures. Le chemin de fer offre un moyen de transport assez rapide pour que ce soit possible. La loi pourrait être votée par le sénat le même jour qu’elle sera votée ici.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le sénat est convoqué.
- L’article 2 est adopté.
Sur la proposition de M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb), la chambre fixe le second vote à après-demain.
M. Huveners dépose le rapport sur le projet de loi de crédit ayant pour objet la continuation des travaux du canal de la Campine.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution du rapport, et, sur la proposition de M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) fixe à demain la discussion de ce projet de loi ainsi que de la loi relative aux péages du chemin de fer.
M. Rogier. - Une fois que ces lois seront votées, la chambre se propose-t-elle de s’ajourner ? Dans ce cas, j’appellerai l’attention du gouvernement sur l’absence de crédit pour le département de la guerre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est pour cela que nous avons proposé de fixer à demain le second vote de la loi sur les tabacs.
Il est probable que demain nous pourrons faire une communication à la chambre.
- La séance est levée à 4 heures 1/2.