Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 18 juin 1844

(Moniteur belge n°171, du 19 juin 1844)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées la chambre.

« Le sieur Cabarêt, sous-lieutenant au 3ème régiment d’artillerie, prie a chambre de statuer sur sa demande en naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Plusieurs marchands, fabricants et distillateurs dans la commune de Sugny, présentent des observations contre le projet de loi sur les tabacs. »

« Des habitants de Verviers demandent le rejet de ce projet de loi. »

M. David. - Pour répondre au vœu de mes commettants, j’eusse désiré être en mesure de déposer hier la pétition dont le bureau vient de vous donner l’analyse, mais malheureusement je ne l’ai décachetée qu’après la lecture des pièces envoyées à la chambre, parce qu’elle m’a été remise trop tard.

En la déposant aujourd’hui sur le bureau, je viens demander que, comme toutes celles qui ont trait à la loi des tabacs, elle trouve placée parmi les réclamations qui se sont fait jour dans cette assemblée.

Cette pétition est d’ailleurs signée par quatre-vingts intéressés, négociants et boutiquiers de la ville que j’ai l’honneur de représenter. Je puis dire qu’elle se livre à des considérations d’intérêt générales qui ne sont certes pas sans importance.

Je demanderai si la chambre verrait quelqu’inconvénient à ce qu’il fût donné lecture de cette pétition, qui, d’ailleurs, est extrêmement concise et courte.

- La chambre consultée, autorise la lecture.

M. de Renesse donne lecture de la pétition arrivée de Verviers. (Le texte de cette pétition repris intégralement au Moniteur belge, n’est pas intégré dans cette version numérisée).

Après la lecture, M. le président dit que la pétition restera déposée sur le bureau jusqu’à la fin de la discussion de la loi sur les tabacs.


« Le sieur Van Meerven, ancien soldat de l’empire, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur De Cuyper, ancien soldat de la marine royale, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir une pension. »

M. Cogels. - Messieurs, cette pétition n’ayant pas un intérêt général, je n’ose réclamer de la commission un prompt rapport. Cependant la position du pétitionnaire est telle que je me permettrai de recommander sa requête à la sollicitude de la commission.

La requête est renvoyée à la commission des pétitions.


Le sieur Grenier, cultivateur et fabricant de sucre à Brugelette, fait hommage à la chambre de 25 exemplaires de la démonstration mathématique des effets industriels du régime actuel des sucres.

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des affaires étrangères, pour l'exécution du traité de paix

Rapport de la section centrale

M. de La Coste présente le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi tendant à accorder au département des affaires étrangères un crédit spécial de 150,000 francs pour couvrir des dépenses résultant du traité avec les Pays-Bas.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport. Le jour de la discussion sera fixé ultérieurement.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Henot dépose différents rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire

- Ces rapports seront imprimés et distribués. Le vote sur la prise en considération sera ultérieurement mis à l’ordre du jour.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de l'intérieur, pour indemnités

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) présenté un projet de loi tendant à accorder au département des affaires étrangères un crédit supplémentaire de 50,930 fr. pour subvenir pendant l’année 1844 aux dépenses que nécessité l’exécution de la loi du 1er mai 1842, relative aux indemnités à accorder du chef des pertes essuyées par suite des événements de la guerre.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet et le renvoie, sur la proposition de M. le ministre, à la section centrale qui a examiné le budget de l’intérieur.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des travaux publics, pour le canal de la Campine

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) présente ensuite un projet de loi tendant à accorder au département des travaux publics un crédit de 1,110,000 fr. pour la continuation des travaux du canal de la Campine.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet et le renvoi, sur la proposition de M. le ministre, à la section centrale qui a examiné le budget des travaux publics.

Projet de loi établissant un droit sur le débit de tabac

Discussion générale

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, les différents orateurs que vous avez entendus jusqu’à présent, ont paru désirer que le droit sur le tabac indigène fût établi d’après la superficie cultivée plutôt que d’être établi, d’après la production réelle. J’ai toujours pensé que ce dernier mode serait plus juste et je le pense encore. Mais puisque la chambre semble manifester une grande répugnance pour les formalités inséparables de la perception d’un droit sur la production réelle, j’annonce dès à présent pour simplifier la discussion, que je proposerai des amendements, tendant à établir le droit d’après la superficie cultivée et à exempter du droit, toute culture qui n’excédera pas un are.

M. de Muelenaere. - Messieurs, à la fin de la séance d’hier, plusieurs membres ont demandé la clôture. Je conçois toute l’impatience de la chambre ; je conçois qu’elle ait hâte d’en finir. Aussi, messieurs, je n’abuserai pas de vos moments ; je ne réclame que quelques minutes d’attention. La discussion quelque peu longue à laquelle la chambre vient de se livrer, ne sera pas stérile en résultats. Cette discussion renferme pour le gouvernement et pour les chambres d’utiles enseignements. Elle prouve combien est devenue difficile la création de nouveaux impôts ; combien il est difficile de soumettre à une taxe quelque peu élevée une matière qui, au premier abord et avant tout examen approfondi, avait paru éminemment imposable à un grand nombre de membres de cette assemblée. Cette discussion nous apprend aussi avec quelle réserve, avec quelle circonspection nous devons procéder à l’avenir quand il s’agira de voter de nouvelles dépenses.

Il ne faut pas, messieurs, que les contribuables s’y trompent, toute dépense nouvelle amène tôt ou tard un impôt nouveau. Car lorsque l’équilibre entre les recettes et les dépenses du royaume est rompu, c’est un devoir impérieux pour le gouvernement, un devoir impérieux pour les chambres, de reconstituer cet équilibre, fût-ce même au prix des plus grands sacrifices.

Vous savez tous, messieurs, que le déficit dans les finances, lorsqu’il se perpétue, est peut-être un des signes les moins équivoques de la décadence d’un Etat et les jeunes nationalités, comme la nôtre, doivent s’appuyer constamment sur un état financier prospère.

Loin de moi, messieurs, l’idée de blâmer la conduite de M. le ministre des finances. Sous ce point de vue de l’équilibre financier, j’applaudis à ses efforts, j’applaudis à sa sollicitude pour les intérêts du trésor. Je m’empresse également de rendre hommage au zèle de votre section centrale, au zèle et au talent dont son honorable rapporteur a fait preuve dans cette circonstance.

Mais s’il est démontré, messieurs, que la combinaison financière dont nous nous occupons, combinaison inspirée par les intentions les plus pures, s’il est démontré que cette combinaison n’est pas heureuse, si les alarmes que cette combinaison fait naître parmi tous les intéressés, si les vives appréhensions qu’elle a provoquées dans cette enceinte même ne sont pas sans fondements, sont une cause réelle, j’attends à mon tour, du patriotisme de M. le ministre des finances, du patriotisme de MM. les membres de la section centrale, qu’ils ne s’obstineront pas dans la voie dans laquelle ils sont entrés et qu’ils accueilleront avec empressement ce qui me semble être le vœu presqu’unanime de cette chambre.

Quant à nous, messieurs, malgré les dénégations contraires, nous ne contestons pas que le trésor n’éprouve des besoins réels ; nous ne contestons pas non plus que le tabac ne puisse être imposé, mais nous croyons qu’il est d’une sage prévoyance, nous croyons qu’il est d’une saine politique de n’imposer le tabac que dans une proportion et d’après un mode compatible avec l’existence, la prospérité et le développement de cette industrie.

Nous savons d’ailleurs, messieurs, quels que soient les résultats de la loi que nous discutons en ce moment, nous savons que le tabac sera appelé tôt ou tard à contribuer aux charges publiques. Dès lors nous ne voulons pas ajourner cette discussion ; nous désirons, au contraire, que la question reçoive une solution immédiate ; nous exprimons ce désir dans l’intérêt du trésor, mais nous l’exprimons avant tout dans l’intérêt même de l’industrie. Ce qu’il faut à l’industrie, messieurs, c’est la fixité dans les lois fiscales, c’est la stabilité, la sécurité qui sont les bases de ses opérations. Cc qu’il faut à l’industrie du tabac, c’est de ne pas rester sous le coup d’une menace incessante, c’est qu’on ne laisse pas indéfiniment l’épée suspendue sur sa tête, c est enfin qu’on décide sur son sort.

Il ne faut pas perdre de vue que l’industrie du tabac n’est pas encore très ancienne sur notre sol, elle ne date pas de 1830, elle est antérieure à cette époque, mais depuis cette époque, elle a pris chaque année de l’accroissement. Aujourd’hui elle est en voie de prospérité ; cette industrie procure du travail à un très grand nombre d’ouvriers ; elle vit de sa propre vie, elle ne vous demande rien, et à tous ces titres, il me semble qu’elle a droit à vos égards, qu’elle a droit à votre sollicitude.

Messieurs, la question de la culture du tabac a été longuement traitée par une foule d’orateurs. Cette question se présente maintenant sous une nouvelle face, d’après la déclaration que vient de faire M. le ministre des finances. M. le ministre renonce à l’idée de soumettre la culture aux nombreuses entraves auxquelles elle eût été soumise, d’après le projet, toutes ces formalités disparaissent, mais la culture serait soumise à un droit à raison de l’étendue du terrain cultivé.

Messieurs, ce système est incontestablement meilleur que celui du projet de loi. Mais c’est un système qui vient de surgir inopinément et sur lequel beaucoup de membres de cette assemblée ne sont peut-être pas définitivement fixés. Je ne connais pas l’opinion de mes collègues sur la question de savoir si la culture, en raison de la contenance du terrain cultivé, peut sans inconvénient grave être soumise à un certain droit ; toutefois, je pense, quant à moi, que le moment est mal choisi pour soumettre la culture à un droit quelconque ; vous savez que dans le moment actuel, les graines oléagineuses d’Egypte font invasion sur le marché français. La concurrence de ces graines viendra dans très peu de temps porter un coup peut-être très rude à la culture du colza en Belgique.

La culture du lin se trouve maintenant dans un état de souffrance réelle. La situation malheureuse de l’industrie linière place l’ouvrier et le petit cultivateur dans la position la plus pénible, la plus douloureuse. Est-ce à pareille époque que l’on peut songer à frapper d’un droit la culture du tabac, et à priver l’ouvrier et le petit cultivateur déjà si cruellement atteints pas la stagnation de l’industrie linière, des ressources que leur offre la culture du tabac ?

Messieurs, on nous a dit, en faveur d’un droit sur la culture, que la plantation offrait très peu de bénéfices aux cultivateurs, Mais s’il est vrai que la plantation du tabac offre très peu de bénéfice aux cultivateurs, il me semble que c’est un motif de plus de ne pas l’imposer.

Je vous ferai remarquer, en outre, messieurs que la terre qui sert à la culture du tabac paye déjà, en quelque sorte, un double impôt et que c’est d’un troisième droit dont vous allez la grever. Elle paye d’abord la contribution foncière, comme toutes les autres terres ; mais sous le gouvernement précédent, les employés du cadastre ont inventé pour les terres arables un impôt nouveau. Les terres à tabac ont été placées par le cadastre dans une position exceptionnelle, dans une classe à part, dans une classe hors ligne. C’est ainsi que dans le canton de Wervicq, où se fait principalement la culture du tabac, le cadastre a évalué les terres à tabac (sous la qualification hollandaise de tabaks landen), à 24 francs de plus par hectare que les autres terres labourables de première classe. Par conséquent, comme la contribution foncière est une quotité du revenu net, vous voyez, messieurs, que les terres à tabac payent déjà un droit plus élevé que les autres terres labourables de première classe.

Eh bien, cette culture, contre laquelle on a élevé tant d’objections, cette culture même qui ne procure aucune espèce de bénéfice aux cultivateurs, vous allez la frapper d’un nouveau droit, c’est-à-dire qu’elle payera trois droits au trésor. Je crois, d’après cela, que réellement il n’y a pas lieu à soumettre la culture du tabac à d’autres droits qu’à ceux qu’elle paye aujourd’hui.

Messieurs, je me permettrai de dire un mot du régime de l’accise auquel, d’après le projet, on assujettit la fabrication du tabac. Suivant la loi, toutes les formalités spéciales, en ce qui concerne les marchandises soumises à l’accise, seront appliquées au tabac. C’est là, je pense, dans l’esprit des auteurs du projet de loi la conséquence du droit élevé dont on a voulu frapper cette matière. Et, en effet, je comprends que chaque fois qu’un droit s’élève outre mesure, le régime d’accise avec toutes ses formalités peut seul garantir les intérêts du trésor, et que le régime de douane ne comporte par lui-même qu’un droit modéré.

Mais dans ce projet de loi a-t-on bien tenu compte des intérêts de l’industrie et des objections sérieuses qui ont été présentées par les intéressés ? N’est-il pas vrai que ce régime deviendra désastreux pour les matières premières ? N’est-il pas vrai que ce régime entravera la liberté du commerce, la libre circulation, et que cette libre circulation est une des conditions en quelque sorte essentielles de l’existence de l’industrie du tabac ?

En outre, le régime de l’accise avec toutes ses formalités, mais aussi avec un droit élevé, nous garantira-t-il suffisamment de la fraude hollandaise ? C est là une des questions les plus importantes. Partout, messieurs, où l’on donne un appât plus ou moins considérable à la fraude, la fraude se fait : c’est l’expérience de tous les temps, de tous les pays. Vous aurez donc la fraude.

Vous prendrez, dites-vous, des mesures de surveillance ; je le conçois ; ces mesures de surveillance, si elles sont bien prises, pourront empêcher que la fraude ne s’exerce au grand jour, que la fraude ne se manifeste d’une manière scandaleuse ; mais elles n’anéantiront pas complètement la fraude.

Vous ne pourrez, sans doute, pas prendre de mesures plus efficaces, plus sévères que celles qui existent sur la frontière du Midi, que celles qui existent en France. Eh bien, malgré toutes ces mesures sévères de surveillance, la fraude se fait de Belgique en France. D’après M. le ministre des finances lui-même, cette fraude s’élève annuellement à 2,400,000 kilog., et je pense qu’elle va bien au-delà. Vous voyez donc, messieurs, que les mesures les plus actives de surveillance, que les mesures les plus rigoureuses n’empêchent pas la fraude de pénétrer de Belgique en France. Comment empêcherez-vous la fraude hollandaise de pénétrer de Hollande en Belgique ? Il est probable que les chambres ne donneront pas au gouvernement toutes les attributions dont il aurait besoin, tous les pouvoirs qu’il pourrait réclamer pour établir une surveillance aussi sévère que celle qui existe dans un pays voisin ; et cependant, cette surveillance, dans ce pays, est insuffisante pour réprimer les fraudes. De là, je tire la conséquence que la fraude se fera également chez nous. Il est d’ailleurs une espèce de fraude qu’il est impossible de réprimer, M. le ministre des finances en convient lui-même, c’est la fraude qui se fait dans le rayon des douanes par les habitants du rayon même.

Voilà une fraude que, sous aucune législation du monde, vous ne parviendrez à extirper. Les mesures extraordinaires de surveillance que vous serez obligés d’établir sur la frontière seront très coûteuses ; elles absorberont une somme plus ou moins considérable qui devra être prélevée sur le produit de l’impôt.

Une autre observation, et une observation décisive pour moi, c’est que l’établissement du régime d’accise anéantit complètement le commerce interlope, le commerce irrégulier qui se fait sur l’une de nos frontières. Je ne suis pas plus grand partisan que d’autres du commerce interlope ; mais je ne veux pas non plus me montrer plus rigoureux que d’autres, surtout quand ce puritanisme tournerait exclusivement au détriment de l’industrie de mon pays.

Lorsque je vois une nation voisine favoriser l’exportation de ses spiritueux, de ses eaux-de-vie, je ne vois pas pourquoi nous irions détruire un commerce interlope, un commerce irrégulier. Sans votre intervention, sans aucune espèce d’encouragement de notre part. Ce serait véritablement une concession que nous ferions à la régie française, une concession toute gratuite dont le gouvernement français ne nous tiendrait aucun compte, parce qu’il nous dirait que nous avons pris ces mesures chez nous dans notre intérêt.

On a répondu que le régime d’accise ne serait établi que sur la frontière où l’on aurait à craindre la fraude. Cette déclaration pourrait jusqu’à certain point nous satisfaire, nous habitants de la Flandre occidentale. Il me semble que cela placerait le gouvernement dans une position dans laquelle il ne pourrait pas se maintenir longtemps, il résulterait de là que vous établiriez le régime de l’accise sur la frontière du Nord, là où le gouvernement hollandais a intérêt à ce que vous ne l’établissiez pas et que vous ne l’établiriez pas sur la frontière du Midi, là où le gouvernement français a intérêt à ce que vous l’établissiez. Vous vous mettriez dans un état d’hostilité envers les deux peuples et dans un sens opposé, vous les placeriez tous les deux en dehors du droit commun. C’est là une position qui n’est pas tenable.

Je conçois que nous établissions chez nous le système commercial et industriel qui convient le mieux à nos intérêts ; nous ne devons consulter pour cela que nos intérêts, mais à une condition, c’est que nous traitions toutes les nations de la même manière. L’expérience est là pour prouver que bientôt le régime de l’accise serait établi sur toutes les frontières, car une fois que le trésor trouverait une ressource considérable dans l’impôt sur le tabac, il ne pourrait pas renoncer au régime de l’accise sur la frontière du Nord, et il l’établirait sur la frontière du Midi. Car vous seriez assailli de réclamations auxquelles vous ne résisteriez pas. J’ai pour moi les précédents. Vous savez que, dans les dernières années du gouvernement déchu, la France avait été mise, pour ses vins, dans une position exceptionnelle. La France vous a adressé des réclamations, vous avez reconnu ces réclamations fondées, et la France est rentrée dans le droit commun.

La Hollande a été placée quant à son bétail dans une position exceptionnelle. Vous êtes saisis d’un projet de loi qui tend à faire rentrer la Hollande dans le droit commun. Tout cela prouve qu’un gouvernement, avec les meilleures intentions, ne peut pas se maintenir dans une position qui a quelque chose d’injurieux, quelque chose d’offensant pour les autres nations.

On a fait contre le commerce interlope, contre le commerce irrégulier, une objection qui m’a paru faire une certaine impression dans cette assemblée. On a dit que ceux qui exportaient en France nos tabacs, importaient aussi en Belgique des marchandises prohibées, que s’ils avaient une cargaison de départ, ils avaient aussi une cargaison de retour.

Eh bien, permettez-moi de vous le dire, c’est là une grave erreur. Que l’on consulte les habitants de la frontière, que M. le ministre lui-même consulte tous les employés de la douane, je m’en rapporte volontiers à leur déclaration, on verra que ceux qui exercent ce commerce interlope de tabac n’importent aucune marchandise prohibée. Cela est naturel, parce que, comme la surveillance est active, sévère en France, il faut une grande liberté d’action pour pouvoir infiltrer des tabacs belges. Il en résulte que l’homme qui se livre à ce commerce doit jouir de toute sa liberté d’action ; pour cela il ne peut pas se trouver en état de suspicion à l’égard des employés belges. S’il se livrait la fraude, il serait en état de suspicion, et cela l’empêcherait d’exercer la fraude du tabac. Tous les employés savent que ceux qui emportent des tabacs en France n’importent pas de produits français en Belgique. Je ferai de plus observer que ce commerce interlope s’exerce non seulement sur le tabac, mais sur plusieurs autres articles de l’industrie du pays. Nous ne savons pas pourquoi, par un scrupule exagéré, nous irions renoncer à ce bénéfice, quand les autres nations se montrent beaucoup moins délicates à notre égard.

Messieurs, j’ai la conviction, ayant suivi très attentivement cette discussion, que la chambre ne soumettra le tabac qu’à un droit de douane et même à un droit modéré, qu’elle n’admettra pas le régime de l’accise. Dès lors, je pense qu’il devient assez inutile de s’occuper de la question du recensement. Il me semble que le recensement n’est guère compatible avec un simple droit de douane, que le recensement est la conséquence de l’établissement d’un droit élevé et surtout du régime d’accise. Toutefois, j’en dirai deux mots. Un honorable orateur, au début de la séance d’hier, a traité cette question ex professo.

Tous les principes qu’il nous a exposés sont des principes incontestables. Mais si on ne peut pas contester ces principes, ne peut-on pas, avec quelque raison peut-être, contester leur application ? Y a-t-il une analogie parfaite entre les cas cités par l’honorable orateur et l’espèce qui nous occupe en ce moment ? Toutefois, je n’ai pas besoin d’examiner cette question. Il n en reste pas moins vrai que la mesure du recensement est une mesure extrême, c’est une de ces mesures qui ne peut se justifier que par des circonstances extrêmes et par la plus impérieuse nécessité. Or, il me semble que nous ne nous trouvons pas dans cette position, dans ces circonstances d’une nécessité impérieuse, urgente.

D’ailleurs, M. le ministre ne semble avoir indiqué la mesure du recensement que parce qu’il établissait un droit de consommation. On pouvait dire avec quelque apparence de fondement qu’il était juste que toutes les matières non consommées fussent soumise au droit. Mais dès que l’impôt cesse d’être un droit de consommation, qu’il n est plus qu’un simple droit de douane, rien ne pourrait justifier une mesure aussi extraordinaire que celle du recensement.

Au surplus, en pratique, cette mesure est d’une exécution, sinon impossible, du moins extrêmement difficile. Pour ceux qui se sont donné la peine de lire les divers mémoires qui nous ont été distribués, il est incontestable qu’elle ne pourrait recevoir son exécution qu’avec les plus grands dommages pour le fabricant, qu’avec une perte considérable sur sa marchandise, perte qui ne tournerait nullement au profit du trésor. C’est là une chose que nous devons éviter. Nous n’avons pas le droit, il ne nous appartient pas de causer un dommage à un fabricant ; nous avons le droit de lui demander une taxe pour alimenter le trésor, mais non de lui occasionner des pertes sans profit pour le trésor, ce serait là une chose injustifiable de notre part.

Dès lors je pense que la mesure du recensement sera abandonnée par M. le ministre lui-même, et qu’il se bornera à un droit de douane. Je voterai dans ce sens.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, dans le discours que vous venez d’entendre, l’honorable M. de Muelenaere envisage la question du droit à la culture d’une manière absolue : N’aggravez pas, dit-il, les charges qui existent déjà à la culture du tabac. Mais notre intention n’est pas de rendre la situation de la culture du tabac moins favorable qu’elle n’est aujourd’hui. L’honorable membre ne tient pas compte de l’augmentation du droit sur le tabac étranger. Si nous venions proposer d’imposer la culture du tabac sans frapper le tabac exotique d’une augmentation de droit, je comprendrais l’argumentation de l’honorable membre ; mais comment peut-on faire un raisonnement en oubliant un des termes indispensables de ce raisonnement, à savoir le droit imposé sur l’objet similaire de production étrangère ? Toute l’argumentation de l’honorable membre serait juste, si le droit sur le tabac exotique restait le même. Je serais d’accord avec lui si le droit sur le tabac exotique n’était pas augmenté ; dans cette hypothèse nous aurions tort, mille fois tort de demander un impôt au tabac indigène. Ainsi, la question n’est pas de savoir si l’on doit laisser le tabac indigène dans sa position relative ; mais s’il faut améliorer cette position et jusqu’à quel point.

Je suppose qu’on adoptât un droit très modéré, celui de 20 fr., de 15 fr. ou même de 10 fr. Dans l’une de ces hypothèses, pourrions-nous nous dispenser de demander quelque chose au tabac indigène ? Nous ne le pourrions pas. Adoptât-on le droit le moins élevé, il faudrait demander un certain impôt au tabac indigène.

Si vous n’augmentez le droit que de 10 fr., en supposant la production de 2,200 kil. par hectare, cela fera 220 fr. de protection par hectare, plus les additionnels. Je ne pense pas qu’il entre dans les intentions de la chambre d’accorder cette nouvelle protection, préjudiciable au trésor ; car il peut arriver qu’au lieu d’augmenter les ressources de l’Etat, on les diminue, parce qu’avec une protection très forte, la production du tabac indigène ne manquerait pas de s’accroître ; elle n’absorberait pas, à la vérité, toute la consommation du pays ; il y a des habitudes créées ; beaucoup de consommateurs préfèrent le tabac étranger. Néanmoins, la production pourrait s’étendre considérablement.

J’ai déjà fait remarquer qu’en Prusse, où la culture de cette plante est extrêmement ménagée, le tabac indigène entre pour moitié dans la consommation. Au résumé, il serait contraire aux intérêts du trésor d’exempter une telle industrie de tout impôt, alors qu’on augmente le droit sur le tabac exotique.

Quant au droit d’accise qui est proposé, il ne soumet les marchandises à aucune formalité dans l’intérieur du pays, à aucun exercice, sauf dans le rayon des douanes. Il prévient la fraude de l’étranger. Le commerce interlope est maintenant alimenté (j’en ai déjà fait l’observation) par le sucre et le sel qui sont soumis à un droit d’accise. Jamais on ne s’est plaint dans le rayon des douanes, que l’accise fût une entrave pour le commerce. Il en sera de même pour le tabac soumis au même régime.

J’ai promis que, si on le jugeait nécessaire, une exception serait faite à ce régime pour les frontières où nous n’avons pas à craindre l’infiltration du tabac étranger.

D’un autre côté, le régime de l’accise a cela de favorable qu’il permet à l’administration d’accorder des termes de crédit aux négociants et fabricants, et de restituer le droit à la sortie.

On a objecté que la restitution des droits pourrait avoir des inconvénients quant au tabac ordinaire. Mais elle est tout au moins indispensable pour les cigares. Je ferai observer que le commerce régulier d’exportation des cigares prend chaque année de nouveaux développements ; qu’en 1843 l’exportation des cigares s’est élevée à 1,700,000 francs ; que si nous n’admettons pas la décharge du droit à l’exportation, nous courons risque de détruire ce commerce.

Je demande donc, par ces motifs, qu’on maintienne le régime de l’accise, qui, du reste, je le répète, ne soumet le contribuable à aucune formalité dans l’intérieur du pays, à aucun exercice.

Les mesures relatives à la circulation et au dépôt des marchandises sont communes au régime de douane et au régime d’accise.

Le régime d’accise présente plus d’avantages pour le commerce et l’industrie. Je sais que plusieurs fabricants ont déclaré qu’ils ne demandaient pas la restitution du droit. Peut-être ne fabriquent-ils pas pour l’exportation régulière. J’ai vu des fabricants qui m’ont déclaré, au contraire, que si l’on ne restituait pas le droit d’accise, ils se verraient probablement forcés de transporter ailleurs leur industrie.

Quant au commerce interlope, je répondrai à l’honorable M. de Muelenaere que la différence énorme de droit et de prix entre nos tabacs et ceux de l’étranger est une garantie que ce commerce ne souffrira pas du tout, que, d’un autre côté, la différence trop faible à l’autre frontière, est un obstacle aux infiltrations de tabac étranger.

Mais, dit-on, puisque dans un pays où la douane est très bien organisée, on ne peut empêcher la fraude, comment avez-vous la prétention de la réprimer à notre frontière, ou nous n’avons pas les mêmes moyens d’action ? La raison en est simple, c’est que le prix étant douze fois plus fort d’un côté, on ne voudra pas, pour un bénéfice de 2 fr., courir les mêmes risques que pour un bénéfice de 24 fr.

Telle est la raison pour laquelle nous ne devons pas craindre l’infiltration étrangère, alors que le commerce interlope pourra cependant être conservé. L’appât pour la fraude est dans la proportion de 1 à 12. La fraude prend une intensité proportionnée à l’appât qui lui est offert.

J’ai déjà exprimé mon opinion quant au recensement. J’ai été surpris d’entendre l’honorable M. de Muelenaere supposer que l’opération du recensement porterait un préjudice à la fabrication. L’honorable membre ne peut ignorer avec quelle modération se fait en général dans notre pays le service de l’administration des accises.

J’ai eu à mettre à exécution une loi extrêmement compliquée, la loi relative à la surveillance de la fabrication du sucre de betterave, Je pourrais invoquer, à cet égard, le témoignage des fabricants. Chaque fois qu’il y a eu une plainte légitime, on y a fait droit.

Ici il s’agit d’une simple déclaration des fabricants. Ce ne sera qu’en cas de suspicion de fraude, qu’on poussera plus loin le recensement. Les fabricants, les négociants feront leur déclaration. L’administration ne permettrait certainement pas qu’ils fussent molestés.

M. de Corswarem, rapporteur. - La déclaration que vient de faire M. le ministre des finances, qu’il renonçait au droit sur la production du tabac indigène, pour l’adapter à la contenance, change singulièrement la position où la discussion s’est traînée jusqu’aujourd’hui. Celle qu’il a faite aussi que les plantations de moins d’un are seraient exemptées de tout droit, change également toute l’économie dans la loi. Je crains fortement, pour ma part, que cette latitude ne donne lieu à une fraude très étendue. Ceux qui voudront planter du tabac loueront des pièces d’un are de plusieurs propriétaires séparément et, au lieu de planter 50 ares en une pièce, ils planteront 50 ares en 50 pièces. Ils se trouveront ainsi affranchis du droit et rendront la loi illusoire sous le rapport de la plantation.

Cependant, puisque le gouvernement renonce à percevoir le droit sur de telles plantations, la section centrale évidemment moins fiscale, ne proposera de les imposer.

J’ai surtout demandé la parole dans la séance d’hier, pour réfuter quelques erreurs dans lesquelles étaient tombés mes honorables contradicteurs, et entre autres l’honorable M. de Haerne, qui s’est principalement attaché à critiquer précisément tout ce que j’avais dit. Il a commencé par demander pourquoi je proposais d’imposer le tabac indigène, tandis que je n’avais pas proposé d’imposer le bois indigène. Il nous a dit que j’aurais dû proposer un droit sur le bois indigène en même temps que je l’ai proposé sur le bois étranger, mais que j’aurais dû proposer en faveur du bois indigène une protection de 6 1/2 p. c., comme je la propose en faveur du tabac. Si je n’ai pas proposé d’imposer le bois indigène, c’est qu’il l’est à 25 p. c. de sa valeur, et que le droit que j’ai proposé sur le bois exotique, est loin d’équivaloir au droit que paie le bois indigène.

Il a ensuite attribué l’étrange aberration dans laquelle j’étais tombé, selon lui, à mon ignorance de la matière. Il n’y a pas de générosité à me le reprocher ; je l’avais avoué le premier. J’ai commence par dire, lorsque j’ai été désigné pour faire partie de la section centrale, que je ne connaissais rien à la matière, qu’il m’avait fallu commencer par en apprendre le premier mot.

Il nous a dit qu’un grand nombre d’ouvriers se priveraient plutôt de nourriture que de tabac. Un membre l’a interrompu en disant : « On impose bien le sel. » L’honorable membre a répondu que le sel n’était pas en discussion. Je le sais, mais, je le regrette ; j’aurais voulu qu’il eût été en discussion en même temps que l’impôt sur le tabac, et qu’on eût pu dégrever le sel d’une partie de ce que rapportera l’impôt sur le tabac. Ainsi on aurait amélioré la position de l’ouvrier.

Il a soutenu que le café était bien plus imposable que le tabac. Je ne suis pas du tout de cet avis. Ceux qui connaissent les habitudes de la classe pauvre dans le royaume savent que partout le café est sa boisson indispensable. Depuis longtemps, la bière est interdite à l’ouvrier des campagnes et au petit cultivateur. Pendant quinze ans, j’ai occupé une position honorable, qui m’a souvent mis en contact avec ces personnes et qui m’a fourni l’occasion de m’assurer de ce que je viens de dire.

Il nous a dit aussi : « Hier, l’honorable rapporteur de la section centrale et le ministre des finances ont parlé de la contrebande ; ils ont dit qu’il fallait extirper ce commerce immoral. J’ai été surpris de ce qui a été dit à cet égard. »

Messieurs, je ne l’ai pas dit, je n’ai pas parlé d’extirper le commerce immoral de la contrebande. Au contraire, j’ai dit qu’avec un droit de 30 fr. le commerce de la contrebande pourrait toujours se faire, je l’ai prouvé par des chiffres, et je le répète encore.

En France le tabac de cantine, aux prix réduits dans les départements de la première zone, coûte 200 fr les 100 kil. Aujourd’hui dans note pays le tabac de Virginie ne coûte plus que 68 fr. La chambre de commerce de Gand vous l’a dit : les tabacs livrés à l’exportation sont mi-partie des tabacs étrangers, mi-partie des tabacs indigènes. Ils paient donc 28 fr. de droit. Ajoutez ces 28 fr au prix de 68 fr. cela fera 96 fr. De 96 à 200 fr. il y a une différence de 104 fr. par 100 kil., qui permettra encore d’exporter par infiltration comme on l’a fait jusqu’à présent.

Lorsque je dis que le tabac de Virginie coûte 68 fr., j’entends parler du prix moyen, car il y en a qui ne coûte que 55 fr. et sur celui-là l’exportateur aura un bénéfice de 117 fr., dont il faut réduire à la vérité les frais d’infiltration en France.

On craint beaucoup, messieurs, qu’en imposant le tabac dans notre pays, nous ne fassions un avantage à la France. Mais, messieurs, en lui faisant ces avantages, y perdons-nous quelque chose ? Si c’était à notre détriment, je m’y opposerais ; mais le gouvernement n’y perd rien ; il n’y a que le commerce interlope qui, j’en conviens y perdrait quelque chose.

Mais a-t-on examiné ce que c’est que le commerce interlope ? C’est un mot honnête dont on se sert pour designer une chose qui ne l’est pas. Le commerce interlope n’est que la contrebande, ce n’est que la fraude, et je ne sais jusqu’à quel point nous devon encourager cette fraude, qui évidemment démoralise les populations qui s’y livrent. Qu’elle se fasse par suite de quelques dispositions qui se trouveraient dans notre loi, il faut bien le tolérer ; mais faire nos lois en vue de favoriser la fraude au détriment d’un pays voisin, c’est une immoralité internationale, pas autre chose. Je conviens qu’en matière commerciale nous n’avons pas à nous louer de la France ; mais sous d’autres rapports nous lui avons des obligations et de très grandes obligations. Nous savons quels services elle nous a rendus ; nous ignorons quels services elle peut être appelée à nous rendre encore. Il ne faut pas indisposer une nation dont on peut avoir à réclamer des services.

Pour ce qui a rapport aux formalités, l’honorable M. de Haerne vous a dit aussi que l’obligation de l’emballage dans les entrepôts fictifs apporterait des entraves aux cultivateurs, que cette obligation leur causerait des pertes considérables. Messieurs, la loi dit que le cultivateur, pour placer ses tabacs dans son entrepôt fictif, devra l’enfermer dans des boucauts, des barriques ou autres emballages. Mais qu’entend-on par autres emballages ? Ce sont des caisses, des sacs, des balles à café, tous les objets qu’on aura sous la main, pourvu qu’il y ait quelque garantie pour l’administration qu’on ne peut pas extraire le tabac qu’ils contiendraient.

S’il est nécessaire de faire subir au tabac une manipulation, le cultivateur demandera l’autorisation de l’employé qui se trouve le plus près du lieu, et cette autorisation ne se refusera jamais dès qu’il y aura nécessité.

L’honorable M. de Haerne nous a dit ensuite que le prix du tabac indigène était de 80 fr. par 100 kil., pour nous prouver quels bénéfices donnait la culture de cette plante à ceux qui s’y livrent. Je voudrais, messieurs, que le prix du tabac fût de 80 fr. ; mais il s’en faut de beaucoup qu’il en soit ainsi. Les pétitions qui nous sont arrivées le portent à 75 fr., et dans ce cas, il s’agit du bon tabac dans lequel on ne comprend pas les trillures, les feuilles de pied. En France, dans le département du Nord, on n’a paie que 66 fr. le bon tabac. J’en connais de bon dans le Limbourg, qu’on offre à 52 fr. et qu’on ne peut vendre à ce prix. Je conviens que probablement ce tabac n’est pas d’une qualité égale à celle des tabacs des Flandres, mais la différence n’est pas tellement grande, qu’il ne vaille au moins les trois quarts de celui des Flandres.

L’honorable M. de Haerne, pour prouver encore l’utilité de la culture du tabac, nous a dit qu’après la récolte du tabac, on fait trois récoltes sans engrais ; on récolte le colza, et souvent la même année le navet ; ensuite vient le froment, puis le seigle ou le trèfle, le tout sans aucun engrais.

Messieurs, le tabac est la plante la plus épuisante que nous connaissions. Le colza et le navet sont aussi deux plantes très épuisantes, et il est impossible de les cultiver la même année sur le même terrain si on leur fait succéder le froment. Le colza ne se récolte qu’à la fin de juin. On ne peut semer le froment que quand les navets sont récoltés. Et quand sème-t-on le froment ? à la fin de septembre ou au commencement d’octobre. Il faudrait donc que le navet fût semé et récolté entre le 1er juillet et le 1er octobre. Or je doute que dans notre pays la végétation soit assez rapide pour qu’on puisse faire une récolte en aussi peu de temps.

On nous dit qu’après le froment se sème le trèfle ou le seigle, sans engrais. Pour moi, je n’ai jamais vu semer le trèfle sans engrais. C’est à tel point qu’on le retourne ordinairement pour semer le froment sans ajouter de l’engrais.

L’honorable M. de Haerne vous a dit encore : « Si l’honorable rapporteur peut prévoir avec certitude que le goût changera tellement qu’on se contentera exclusivement du tabac exotique, j’admets que la culture du tabac disparaîtra. »

Messieurs, il n’est pas difficile de faire changer un goût dès qu’on lui donne un aliment plus agréable que celui auquel il est habitué. Aujourd’hui les clases pauvres se contentent de pain noir au goût duquel elles sont habituées ; mais qu’on leur donne du pain blanc et je garantis que leur goût changera immédiatement, il en sera de même si vous voulez substituer le tabac d’Amérique à celui d’Europe, dont le goût est infiniment moins agréable.

L’honorable membre nous a dit aussi que la culture du tabac se fait en famille, sans frais de main-d’œuvre. Mais en quoi consiste la richesse du pauvre ? Elle consiste dans le travail de ses mains, dans la main-d’œuvre. Si, au lieu de se faire payer cette main-d’œuvre, il l’emploie à son propre usage, il n’en retire rien et perd ce qu’un autre lui aurait payé. Il n’emploie donc pas gratuitement, quand même il le fait pour son propre usage.

L’honorable M. de Haerne nous dit aussi que la vente du tabac indigène est forcée au 31 mai, et que cette vente forcée au 31 mai met le cultivateur dans le plus grand embarras parce qu’il devra absolument se défaire de ses tabacs à cette époque, et que le négociant spéculera sur le cultivateur. Messieurs, c’est une véritable erreur. Au 31 mai, le cultivateur qui n’aura pas vendu pourra vendre à toutes les époques. Seulement, s’il n’a pas vendu au 31 mai, il déposera son tabac dans les entrepôts fictifs, dans les emballages qu’on dit si coûteux et consistant en barils, caisses, sacs ou balles à café. Il peut le conserver ainsi jusqu’à ce qu’il trouve à le vendre avantageusement, et ce n’est pas le cultivateur qui paye les droits, c’est le fabricant, et il ne les paye qu’à mesure que le droit est perçu sur le consommateur par le débitant.

Il nous a dit plus loin que le droit proposé sur le tabac mis en fabrication est de 50 p. c. de sa valeur. Il admet donc que le tabac étranger ne vaut que 60 fr. Tantôt l’honorable membre nous a dit que le tabac indigène valait 80 fr. Il y a donc, d’après lui, une différence de 20 fr. entre le tabac étranger et le tabac indigène, et ce dernier vaudrait 1/3 de plus que l’autre, tandis que le contraire est vrai.

Messieurs, la valeur du tabac étant, en moyenne, de 75 fr., l’impôt, à raison de 30 fr., fait 40 p. c. de la valeur. Mais l’impôt sur le sel est 450 p. c. Ainsi le sel est 11 fois plus imposé que le tabac. Et l’on trouve ce droit proposé, sur ce dernier, exorbitant.

L’orateur auquel je réponds, nous a dit aussi qu’en France le tabac se vend bien 2 fr. au consommateur, mais que les débitants le reçoivent de la régie à 1 fr. 70 c. et qu’ils peuvent le livrer au même prix aux fraudeurs. Si un débitant français osait faire un tel trafic, s’il osait faire concurrence à ses voisins, sa destitution arriverait par le télégraphe. Le gouvernement n’entend pas que ses agents se nuisent l’un à l’autre. D’ailleurs, le débitant français ne livrera pas ses tabacs au prix qu’il les paye ; les 30 c. de différence entre le prix de 1 fr. 70 c. et celui de 2 fr. sont ce qui constitue ses appointements. Ses bénéfices.

L’honorable M. de Haerne nous a dit encore que c’est la crise commerciale de l’Amérique qui a fait baisser les prix. Mais depuis que la crise est passée, les prix ont constamment haussé. Ils ont baissé d’autant plus que la production a augmenté. Et cette augmentation croit notablement depuis que la crise est passée.

Selon l’honorable M. de Haerne, la culture diminue en Virginie. J’en conviens, mais elle y diminue dans la même proportion qu’elle augmente dans les Etats plus méridionaux. Les tabacs des Etats plus méridionaux approchant davantage de celui de la Havane et de St.-Domingue sont préférés aux Etats-Unis, même à celui de Virginie ; c’est la raison pour laquelle la culture de cette plante tombe dans cette dernière contrée, et pour laquelle notre culture aura de la peine à se soutenir contre la concurrence des tabacs étrangers qui détruisent ceux de Virginie sur le lieu de leur production.

L’honorable M. de Haerne nous dit que la culture s’étend dans le Kentucky et le Missouri : mais faites attention, ajoute-t-il, qu’en s’étendant de ce côté, elle s’éloigne des rives du Mississipi, et que les frais de transport augmentent. C’est tout le contraire ; le Mississipi coule entre le Kentucky et le Missouri et non pas près de la Virginie qui est sur la baie de la Chesapeake et l’Océan Atlantique septentrional.

Il nous a dit aussi qu’il ne nous arrive pas des tabacs de Russie quoiqu’il nous en arrive d’Ukraine. Je me suis encore trompe sur le chapitre de la géographie, ou l’Ukraine est dans la Russie, Or dans le tableau du commerce nous trouvons qu’en 1842, il nous est arrivé 466,000 kil., c’est-à-dire un million de livres de tabacs d’Ukraine et autres pays d’Europe.

Il nous a dit que j’étais tombé dans une erreur complète en avançant qu’on avait exporté des tabacs d’Amérique de 1838 à 1840, quoi qu’alors ils fussent plus chers qu’ils ne le seraient aujourd’hui avec l’augmentation du droit. Il nous a assuré que pendant ces années on a remplacé les tabacs d’Amérique à cause de l’élévation de leur prix par d’autres et qu’on a eu recours aux tabacs de Hollande, d’Amersfort et de la Gueldre. Mais, messieurs, les prix de ces tabacs ont été constamment plus élevés encore que ceux des tabacs d’Amérique, et, par conséquent, nos exportateurs n’ont pu avoir recours aux tabacs de Hollande. En effet, messieurs, voici les prix des tabacs depuis 1838 jusqu’en 1842 (a : tabac d’Amersfort ; b : tabac de Virginie) :

1838 : (a) 1 fr. 26 c. ; (b) 0 fr. 84 c.

1839 : (a) 1 fr. 44 c. ; (b) 1 fr. 25 c.

1840 : (a) 0 fr. 76 c. ; (b) 1 fr. 12 c.

1841 : (a) 1 fr. 19 c. ; (b) 1 fr. 06 c.

1842 : (a) 1 fr. 20 c. ; (b) 0 fr. 91 c.

Je crois, cependant, que pour 1840, l’honorable membre a eu raison de dire qu’il y avait erreur, car il est impossible que, d’une année à l’autre, le prix ait diminué aussi fortement, pour remonter l’année suivante dans une proportion également forte.

Une chose étonnante, messieurs, c’est la diminution considérable subie par l’importation du tabac d’Amersfort. Cette importation n’est pas seulement diminuer, mais elle a entièrement cessé.

Voici, messieurs, les chiffres de l’importation des tabacs d’Amerfort :

1838 : 1,400,000 kil..

1839 : 2,000,000 kil..

1840 : 600,000 kil.

1841 : 389,000 kil.

1842 : 300,000 kil.

1843 : rien.

Voici maintenant les chiffres de l’importation des tabacs de l’Amérique septentrionale, qui a été constamment en augmentant :

1838 : 2,200,000 kil.

1839 : 1,900,000 kil., à peu près la même quantité.

1840 : 3,800,000 kil.

1841 : 4,560,000 kil.

1842 : 8,700,0000 kil.

L’honorable membre nous a dit aussi que mon raisonnement tendait à ceci : Imposez toujours, il n’en résultera aucun mal. Mais, messieurs, c’est là me prêter un raisonnement absurde ; je n’ai rien dit de semblable ; je dis, au contraire, qu’un droit de 35 fr. sur les tabacs étrangers serait trop élevé, qu’il fallait adopter un chiffre moindre.

Je crois, messieurs, que la chambre est fatiguée, et je bornerai ici mes observations, quoique j’en aie encore beaucoup à faire.

- La clôture est demandée.

M. Rodenbach (contre la clôture). - Messieurs, il s’agit ici d’une industrie extrêmement importante, d’une industrie qui opère avec 15 millions. Il me semble dès lors, qu’il faudrait entendre les 2 ou 3 orateurs qui sont encore inscrits. Je désire, quant à moi, expliquer les motifs de mon vote. Je me prononce contre la loi, et si je ne puis faire connaître maintenant mes motifs, je m’en expliquerai à l’occasion des articles.

M. Devaux. - Messieurs, vous remarquerez que si vous prononciez la clôture maintenant, la discussion finirait par deux orateurs qui ont appuyé le projet de loi. Il est dans les usages de la chambre que lorsque les ministres ont parlé on entend un orateur d’une opinion contraire. Or le dernier orateur a parlé dans le même sens que M. le ministre des finances qui l’avait précédé. J’aurais fait cette observation lorsque l’honorable M. de Corswarem a pris la parole, mais je ne prévoyais nullement que l’on eût demande la clôture après l’avoir entendu. Si l’on adoptait un antécédent semblable, il faudrait qu’à l’avenir MM. les ministres prissent la place des orateurs pour, et qu’après eux on accordât la parole à un orateur contre. On ne peut pas clore une discussion après avoir entendu deux orateurs parlant dans le même sens.

M. Dumortier. - Il me semble, messieurs, qu’on ne peut pas refuser d’entendre un orateur qui doit parler dans un sens contraire aux observations présentées successivement aux deux orateurs précédents. Il s’agit d’établir un impôt et j’espère que la chambre ne refusera pas d’entendre un orateur opposé à cet impôt. Je demanderai que l’honorable M. Devaux puisse présenter ses observations. Quant à moi, je suis inscrit aussi, mais je renoncerai à la parole.

M. de Haerne. - Je désirerais répondre quelques mots à l’honorable M. de Corswarem.

M. de Corswarem. - Alors je demanderai à continuer mes observations. Je ne me suis arrêté que parce qu’il me semblait que la chambre était fatiguée.

M. de Haerne. - Ce ne serait que pour donner quelques explications relativement à un fait quasi personnel. J’ai été très mal compris par l’honorable M. de Corswarem. Je n’ai pas voulu diriger contre lui la moindre accusation.

Je me suis emparé de quelques-unes de ses paroles que j’aurais peut-être mieux fait de négliger. Dans tous les cas, si j’ai prononcé un seul mot qui ait pu blesser l’honorable membre, je le rétracte avec empressement. Vous comprenez, messieurs, que devant répondre immédiatement au discours de l’honorable rapporteur, il me soit échappé quelques paroles peut-être un peu trop vives, mais je le déclare de nouveau, il a été loin de ma pensée de dire la moindre chose de blessant pour l’honorable membre.

- La clôture est mise aux voix ; l’épreuve est douteuse ; en conséquence la discussion continue.

M. Devaux. - Je regrette, messieurs, que lorsque nous avons abordé cette loi, nous n’ayons pas été mis en présence d’une situation financière nettement déterminée et bien éclaircie. Nous connaissons la situation du trésor telle qu’elle était au mois de septembre de l’année dernière, mais de cela il y a dix mois ; depuis lors des événements financiers ont eu lieu, et la situation est considérablement modifiée. Nous avons en ce moment à voter un impôt nouveau, et nous n’avons sur la situation financière actuelle que les renseignements assez vagues et incomplet, que M. le ministre des finances nous a donnés hier. Je regrette qu’une partie de ces renseignements ne se trouve pas, ainsi que la chambre l’avait décidé, dans la partie du il qui nous est parvenu ce matin. (Interruption.) Je n’en fais pas un reproche à M. le ministre des finances, je pense bien que cela provient de l’impression du il, mais je regrette de n’avoir pu examiner ces renseignements à loisir.

Une autre circonstance regrettable, messieurs, et qui rend la situation du trésor incomplète, circonstance à laquelle je puis dire cette fois que le gouvernement n’est pas étranger, c’est que l’on n’a pas encore voté toutes les parties du budget des dépenses ; il reste à voter un budget considérable, et sur lequel, il ne faut pas se le dissimuler, un grand nombre de membres de cette chambre croient pouvoir opérer de fortes réductions. Quant à moi, messieurs, vous connaissez mon opinion, je n’admets des réductions sur le budget de la guerre qu’autant qu’elles se concilient avec une organisation forte de l’armée ; mais il n’en est pas moins vrai qu’un fraction nombreuse de cette assemblée fonde sur la discussion du budget de la guerre de grandes espérances d’économies.

Ainsi, messieurs, au lieu d’avoir cette fois au moins un budget de dépenses bien arrêté, nous sommes encore obligés, comme au commencement de la session, de voter des voies et moyens avant de connaître le chiffre exact et de définitif de nos dépenses générales.

Dans la séance d’hier on a fait valoir des considérations très importantes sur le danger que présente l’existence d’une dette flottante considérable. Personne n’est plus convaincu que moi des dangers que cette institution présente en cas de crise ; mais je vous avoue que lorsque j’ai entendu l’honorable M. Meeus parler en termes si chaleureux de la nécessité d’y parer, je me sois fait une question, je me suis demandé : Avons-nous encore une dette flottante, et si nous en avons une, quel en est le chiffre, et combien de temps s’écoulera-t il avant qu’elle soit éteinte ? C’est là une question extrêmement importante et sur laquelle je n’ai point mes apaisements. M. le ministre des finances, dans son rapport à l’appui des budgets, nous a accusé un déficit définitif de 9 millions. Or, pour couvrir ce déficit, nous avons voté une consolidation de 10 millions de dette flottante.

La réserve de l’amortissement, s’élevant, je crois, pour cette année seule à 4 ou 5 millions (je n’en ai pas le chiffre sous les yeux) cette réserve doit désormais être affectée lorsque les fonds sont au-dessus du pair à l’extinction de la dette flottante. De plus, nous avons voté une loi d’après laquelle le gouvernement doit vendre des domaines jusqu’à concurrence d’une somme de 10 millions qui doit également servir à l’extinction de la dette flottante. Voilà donc 24 ou 25 millions que nous avons votés alors qu’il n’y avait qu’un découvert de 9 millions. Il y avait, à la vérité, un autre découvert provisoire dont le chiffre m’échappe dans ce moment, mais qui n’était que temporaire, attendu qu’il existe des valeurs négociables pour le couvrir ; il faut seulement le temps de les réaliser. Cela est si vrai que M. le ministre des finances n’a porté au budget que 500,000 fr. pour les intérêts de la dette flottante.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - J’ai expliqué cela.

M. Devaux. - M. le ministre nous a dit, en effet, que c’était parce qu’il avait en caisse 12 millions d’un autre emprunt, mais il a ajouté que de ces 12 millions il en reste encore 11 en caisse.

Ainsi, ce qui reste encore de la dette flottante n’est pas de nature à nous inspirer un si grand effroi. Toute la dette flottante est bien plus que couverte dans l’avenir.

M. le ministre des finances, dans les explications qu’il nous a données hier, m’a paru faire un singulier calcul. Il a dit : « Vous avez consolidé 10 millions de dette flottante. » D’abord M. le ministre ne peut pas nier que pour ces 10 millions le danger dont a parlé hier l’honorable M. Meeus, n’existe plus, mais M. le ministre des finances dit que la conversion de ces dix millions de dette flottante en dette consolidée occasionne un accroissement de dépenses de 550,000 francs savoir : 450,000 francs pour les intérêts, et 100,000 francs pour l’amortissement. D’abord, ne parlons pas de l’amortissement, car il est réservé ; les fonds de l’amortissement sont destinés à l’extinction de la dette flottante. Quant aux 450 mille francs de l’intérêt, c’est certainement une dépense à faire, mais si vous payez l’intérêt de dix millions de dette consolidée, vous ne payerez plus l’intérêt des dix millions de dette flottante que vous aurez convertis en dette consolidée. Il n’y a donc pas là un accroissement de 450 mille francs.

Dans les mêmes explications, M. le ministre des finances, en répondant à l’honorable M. de Naeyer, dit :

« L’honorable M. de Naeyer a fait mention de valeurs qui doivent éteindre la dette flottante. Ces valeurs existent, il est vrai, mais si nous éteignons la dette flottante au moyen de ces valeurs, nous perdrons les intérêts de celles-ci, intérêts qui figurent maintenant au budget des recettes, de sorte que la situation restera la même. »

Cela n’est pas exact pour toutes les valeurs, cela n’est pas exact pour la réserve de l’amortissement, par exemple, cela n’est pas exact pour la vente des domaines que le gouvernement peut faire quand il voudra ; si la vente des 10 millions de domaines ne se fait pas, c’est que le gouvernement n’a pas présenté la loi d’exécution. Or les domaines ne rapportent pas le même intérêt que coûte la dette.

Enfin, M. le ministre des finances dit encore dans ses explications :

« Si nous le voulons, nous pourrions au moyen de capitaux, au moyen de sommes provenant de nouvelles aliénations de biens domaniaux, équilibrer pendant 8 ou 10 ans nos budgets sans demander un accroissement de charges. Mais c’est précisément cet état de choses qui a été si sévèrement blâmé plusieurs fois et que nous ne voulons pas maintenir. »

M. le ministre des finances a raison de ne pas vouloir consacrer à des besoins ordinaires les capitaux, mais puisqu’il convient que pendant 8 ou 10 ans, les capitaux nous rentreront, il faut bien qu’on fasse un usage quelconque de ces capitaux. Il est évident que l’emploi de ces capitaux améliorera d’autant la situation financière, quelque emploi que vous lui donniez.

Notre situation a encore cela d’incomplet, que nous ne savons pas si la loi que le gouvernement présente est la seule loi à l’aide de laquelle il veuille établir l’équilibre, entre les recettes et les dépenses. Ainsi, dès le commencement de cette session, M. le ministre des finances nous a indiqué, comme un de ses moyens financiers, une loi sur les successions. Aujourd’hui que nous devons voter un impôt, il eût été utile de connaître en même temps tous les moyens que le gouvernement se propose de présenter : il eût été utile de savoir dans quelle proportion la loi sur les successions doit combler le vide qu’on dit exister.

Un honorable membre, M. de Mérode, dans une séance antérieure, m’a mis assez longuement en scène ; il a reproduit les observations fort étendues que j’avais faites, dans une autre circonstance de cette session, pour démontrer l’utilité d’amener une situation régulière dans nos finances. Je ne pense pas que l’intention de l’honorable membre ait été de me mettre en contradiction avec le vote qu’il supposait que j’allais émettre sur la loi. Je crois ne m’être pas engagé aussi loin ; je désire vivement que notre situation financière soit régulière.

M. de Mérode. - Vous avez parlé d’une réserve.

M. Devaux. - Je vais y arriver. Je ne me suis pas engagé à marcher en aveugle, je ne me suis pas engagé à couvrir les déficits, sans que l’existence et l’étendue de ces déficits soient clairement démontrées.

L’honorable M. de Mérode me dit : « Vous avez parlé d’une réserve. » C’est vrai : je désire vivement que le gouvernement, pour le temps de guerre, ait une réserve aussi bien en écus qu’en hommes et en armes. Mais, je dois le dire, depuis l’ouverture de cette session, il s’est passé un fait qui m’a montré que cette idée pouvait devenir d’une réalisation très difficile, qu’il serait possible que sous prétexte de créer une réserve, on créât tout autre chose. Nous avions une réserve de prévoyance pour l’extinction de nos emprunts, nous avions une caisse d’amortissement qui devait éteindre nos emprunts en 37 ans. Qu’est-il arrivé ? à la première proposition qui a surgi dans cette enceinte, le gouvernement s’est hâté d’abandonner la réserve ; le fonds d’amortissement a été confisqué ; nos emprunts qui devaient s’éteindre en 37 ans, sont devenus des emprunts quasi-perpétuels, car le fonds d’amortissement, en réalité, n’est pas seulement suspendu ; à mon avis, il est confisqué, tant que les actions seront au-dessus du pair. Cela me rend très prudent en fait de réserve ; je voudrais bien encore créer une réserve pour le temps de guerre, à la condition que la destination de cette réserve fût assez bien garantie pour qu’elle ne pût en être détournée.

Dans tous les cas, messieurs, je ne pense pas que, pour désirer une situation financière régulière, on soit condamné a accepter, les yeux fermés, toute espèce de lois fiscales : ce serait passer d’un extrême à un autre. Quant à moi, je n’aime pas les extrêmes, j’ai toujours tâché de m’en garder.

Ce qui est en question, d’ailleurs, c’est bien moins le chiffre que le mode de l’impôt, que le système. Ce mode, ce système, tel qu’il nous est présenté, est-il sage ? est-il prudent ? Je ne le crois pas. Le tabac est une matière imposable, cela est vrai pour tout le monde, dans une certaine proportion. Mais qu’a fait le gouvernement ? S’emparant de cet aveu, le gouvernement, au lieu d’agir avec prudence, avec modération et graduellement, s’est abattu sur le tabac, il a frappé d’estoc et de taille, il a atteint tous les intérêts à la fois, il a atteint la fabrication, la culture, le débit, par contrecoup, l’importation, l’exportation et jusqu’aux approvisionnements. Cela n’est ni prudent, ni sage ! Ce n’est pas ainsi que le gouvernement doit marcher en fait d’impôts. Soumettre tout à coup à une loi d’accise mille fabricants, 15 ou 2,000 débitants, tous les cultivateurs qui se livrent à cette production, je dis que ce n’est pas là une mesure prévoyante et raisonnable, que c’est d’ailleurs semer la fraude dans tout le pays, c’est la semer dans nos campagnes.

On peut quelquefois rendre un très mauvais service au fisc en l’enrichissant ; je croirais lui avoir fait un présent funeste, en votant la loi qui nous est demandée. Car quoi de plus funeste et de plus facile cependant, que de réveiller cette hostilité, cette animosité passionnée du contribuable, du peuple, contre le fisc qui a existé à d’autres époques et qui, si heureusement n’existe plus qu’à un degré très faible depuis 1830 ?

Messieurs, il faut le reconnaître, la Belgique a été admirable depuis 1830, dans la régularité qu’elle met à payer l’impôt, dans la soumission extrême qu’elle a montrée pour toutes les lois fiscales émanées de cette chambre. Ces dispositions sont extraordinairement heureuses ; elles n’existent pas dans tous les pays. Je vous rappellerai un fait, c’est celui de la péréquation cadastrale. La péréquation cadastrale était toute une révolution dans la contribution foncière. Ce grand changement, introduit graduellement, s’est passé sans murmure ; il s’est accompli sans qu’on en ait parlé, et, pour ainsi dire, sans que d’autres que les intéressés s’en soient aperçus. Voyez, au contraire, ce qui s’est passé en France, quand on a voulu y introduire une espèce de péréquation dans la contribution personnelle, quand on a voulu y opérer le recensement ; rappelez-vous les désordres qui ont eu lieu, et voyez la différence entre les dispositions du peuple dans les deux pays. Eh bien, ces dispositions, il faut les conserver ; ce sentiment, une seule loi, une seule tendance bien marquée du gouvernement, peut la faire disparaître. C’est surtout dans les temps de crise que ces dispositions du peuple sont utiles. Rappelez-vous quel rôle a joué l’impôt, la mouture, dans l’affaiblissement, dans la chute du gouvernement des Pays-Bas, quel rôle ont joué les droits réunis dans l’affaiblissement et la chute de l’empire.

On dit que la loi actuelle diffère de l’impôt mouture et des droits réunis ; mais, aussi, nous ne sommes plus en 1822, nous ne sommes plus en 1810 ; les exigences de l’opinion, nos habitudes de liberté sont bien autre ; qu’à cette époque ; ce qui était supporté alors révolterait aujourd’hui, parce que, heureusement, nous avons faits de grands progrès dans le sentiment de nos droits, dans les habitudes et l’usage de nos libertés !

Ces bonnes dispositions du contribuable en Belgique, sont dues à un législation paternelle, peu sévère, à l’adoucissement de la forme de l’impôt ; et surtout, on peut le dire à l’honneur de cette assemblée, à la modération, à la sagesse, et à la prudence des deux impôts nouveaux. La forme dans les impôts emporte souvent le fond ; la forme dans les impôts est presqu’aussi importante que le fond.

Je crois qu’il est une considération que désormais l’administration financière ne doit pas perdre de vue, c’est qu’il sera très difficile, à l’avenir, d’étendre à des industries nouvelles le régime de l’accise. Le système de l’accise au fond, est un système qui n’est pas de notre temps ; les industriels soumis à l’accise, c’est la partie sacrifiée, je dirais presque la partie esclave de l’industrie. Etre assujetti à admettre l’administration chez soi, dans le secret de sa fabrication, dans son domicile, quand l’administration le juge convenable, la nuit ou le jour, c’est là un régime exceptionnel. Si ce régime se maintient pour certaines industries, c’est le fait des temps, c’est qu’il a été introduit, il y a longtemps, lorsque nos idées sur le gouvernement et sur les pouvoirs étaient tout autres qu’elles ne le sont aujourd’hui lorsque ni la liberté, ni l’industrie n’avaient l’expérience qu’elles ont aujourd’hui. Mais, pour l’avenir, je crois qu’il sera très difficile, en Belgique, d’étendre ce régime à des industries nouvelles de quelque importance. Ce sera beaucoup peut-être d’y maintenir celles qui le subissent aujourd’hui. Si, l’année dernière, on a pu étendre ce régime au sucre indigène, c’est qu’il s’agissait d’une industrie jeune, menacée de mort, qui avait dû savoir depuis longtemps qu’elle y serait astreinte un jour et qu’il y aurait eu privilège pour elle à ne pas être soumise au régime de l’accise qui frappait les autres sucres.

Je sens que la chambre doit être impatiente d’en finir ; aussi, ne veux-je point passer en revue tous les détails de la loi. Son caractère général a été assez signalé. M. le ministre des finances s’est défendu du reproche d’avoir obéi à des suggestions étrangères. Je ne renouvellerai pas cette accusation, mais je dirai qu’elle prouve que la loi a un caractère qui n’est pas du pays ; quelle que soit son origine, elle a un caractère qui répugne au caractère, aux mœurs belges. C’est un système que nous devons, je pense, arrêter dès les premiers pas, pour empêcher des froissements entre le gouvernement et le peuple ; nous devons nous montrer très prudents, très difficiles, en fait d’extension de l’accise ; il faut surtout que les mesures de ce genre que l’on propose, ne viennent pas effrayer simultanément une multitude d’intérêts. Si l’on avait proposé telle mesure modérée et isolée sur le tabac, elle n’aurait pas soulevé ces vifs débats, ni toute cette émotion dans le pays.

Mais tout atteindre à la fois, frapper de quatre ou cinq côtés en même temps, ce n’était pas là agir comme un gouvernement raisonnable doit le faire. Il est, messieurs, une disposition sur laquelle je ne puis pas me taire, une disposition devant laquelle j’ai de la peine à garder tout le sang-froid dont je voudrais ne pas me départir, c’est l’article 60, celui qui soumet à l’impôt les approvisionnements qui se trouvent dans les magasins. Je ne veux pas examiner la question en théorie, je ne veux pas examiner ici, en principe, ce qui en est de la rétroactivité. Je ferai, à cet égard, pour le moment, toutes les concessions qu’on voudra, je dis que nous sommes en présence de quelque chose de plus qu’un principe théorique, de quelque chose qui impose d’autres devoirs. Nous sommes en présence d’un principe récemment et solennellement proclamé par le gouvernement, auquel le sceau royal a été attaché. Il y a à peine quelques mois, la même question se présente à l’égard des marchands de vin. Nous diminuons l’accise sur le vin, il s’agit de savoir s’il sera fait application de la réduction aux approvisionnements. Cette application est défavorable au gouvernement ; il combat la rétroactivité, il la combat au nom de l’intérêt du commerce, dit-il, pour le seul intérêt du commerce, pour le préserver dans l’avenir de l’application défavorable du principe de la rétroactivité ; et pour arriver à ce but, il prend une mesure, légale sans doute, mais la plus extraordinaire, la plus extrême qu’il puisse prendre dans le cercle de la légalité, un refus de sanction d’une résolution adoptée par les deux chambres. Le gouvernement proclame devant tout le pays qu’il repousse le principe de la rétroactivité, que pour ne pas l’appliquer d’une manière défavorable au commerce, il ne veut pas le lui appliquer d’une manière favorable,

Quelques mois s’écoulent et une déclaration si solennelle, délibérée en conseil des ministres, revêtue de la signature du Roi, est foulée aux pieds ; mais les industriels ont aujourd’hui le droit de vous dire : Les approvisionnements, vous m’avez permis de les faire sans crainte, je devais compter sur la déclaration du gouvernement ; je ne devais pas supposer qu’il manquerait à sa parole, à sa signature ; qu’il violerait sa promesse. Cette promesse est dans l’arrêté de refus de sanction, elle est dans les considérations que vous avez fait valoir contre la mesure de la restitution.

Dans le premier cas, vous avez renié solennellement le principe dé la rétroactivité lorsqu’il est défavorable au fisc ; dans le second, le principe que vous avez renié, vous le mettez en pratique, parce que cette fois sou application favorise l’intérêt fiscal ! Que voulez-vous donc que pensent du gouvernement tous ceux que la mesure va atteindre ? A-t-on juré de détruire tout ascendant moral du pouvoir ? Quelle idée veut-on que le pays se fasse de la morale de ceux qui le gouvernent ?

Quelle était donc la sincérité du gouvernement quand il déclarait qu’il ne voulait pas restituer aux marchands de vin l’accise perçu sur leurs approvisionnements, dans la crainte qu’un jour le principe de la rétroactivité ne fût dommageable au commerce ? Ne serait-on pas autorisé à croire qu’il se jouait du pays ?

On a dit autrefois que si la vérité était bannie de la terre, elle devrait trouver un asile assuré dans la bouche du pouvoir. Voudrait-on donc retourner l’adage et faire dire aujourd’hui de la fausseté ce qu’on disait de la vérité autrefois ?

Je ne comprends pas qu’en présence d’un antécédent si récent, si solennel, si décisif, on ait eu l’audace d’écrire une pareille disposition dans le projet de loi ; je ne comprends pas que dans un conseil des ministres, quand le même homme y domine comme il y dominait lors du refus de sanction, je ne conçois pas qu’on ait passé sur des considérations de cette gravité, que le gouvernement ait consenti à passer pour être sans foi, sans parole aux yeux du pays !

Un changement de ministère ne suffit pas pour un tel changement de principe quand l’honneur du gouvernement est engagé vis-à-vis des contribuables. Or l’engagement était formel. Si un jour le gouvernement croit que ce principe est faux, qu’il est nécessaire d’en revenir, ce ne peut être de longtemps ; s’il le voulait aujourd’hui, la première chose à faire était de restituer aux marchands de vin l’excédant de l’accise, et, s’il ne le pouvait plus, l’honneur lui commandait d’attendre pour revenir au principe de la rétroactivité qu’il pût commencer par en faire une application favorable au commerce : c’était la seule voie honorable pour revenir du principe qu’il avait lui-même posé, si tant est qu’il croie devoir en revenir un jour.

Messieurs, tout le monde est frappé d’une chose c’est que depuis quelque temps des mesures imprévues, extraordinaires, dont quelquefois on ne devine pas les motifs, sont tout-à-coup présentées, qui vont exciter de vives émotions, tantôt d un côté, tantôt de l’autre, tantôt dans une opinion, tantôt dans une autre opinion, l’une dans un intérêt, l’autre dans un autre intérêt ; et quand ainsi le pays a été vivement ému, tout aboutit au même dénouement, tout aboutit à des actes de contrition et de repentir. Ai-je besoin de vous rappeler la loi sur le jury universitaire, qui est venue faire subitement explosion ici ? Vous savez quel honorable repentir l’a suivie. Ai-je besoin de vous rappeler l’arrêté du transit sur les bestiaux ? Vous n’avez pas oublié avec quelle humilité il a été retiré. Ai-je besoin de rappeler la brillante campagne entreprise par M. le ministre de l’intérieur contre les entrepôts hollandais ? Vous savez par quelle éclatante retraite elle a été terminée, non seulement aux yeux du pays, mais, ce qui est plus malheureux, de l’étranger. Aujourd’hui, c’est le tour de la loi des tabacs ; si bien que l’opposition, pour faire la guerre au gouvernement, n’aurait pas autre chose à faire que de soutenir contre lui, jusqu’au bout, ses propres projets. Pourquoi toutes ces hardiesses suivies de toutes ces humiliations ? Pourquoi ? Tout cela provient d’une seule source.

Si le gouvernement faisait ce que tout gouvernement doit faire, si le gouvernement avait de vraies convictions, s’il avait quelque souci de sa dignité, les projets, avant d’être lancés dans cette assemblée, seraient soigneusement élaborés ; on y attacherait une responsabilité sérieuse ; le ministère se sentant engagé, intéressé d’honneur à ses projets, ne s’engagerait pas à la légère ; au-dehors, on ne rechercherait pas si le gouvernement a un tel ou un tel motif secret pour les présenter ; on croirait que le gouvernement a eu des motifs sérieux ; on ne prendrait pas toutes ces lois pour des expédients devant finir par des expédients ; on ne croirait pas qu’il suffit de faire peur au gouvernement pour le faire céder ; mais on fait des projets à la légère, auxquels, d’avance, on se promet de ne pas tenir, pour peu qu’on y trouve d’inconvénients ; le conseil des ministres les admet sans responsabilité sérieuse et collective. Chacun y a toujours en perspective la ressource des expédients ; les projets de loi, ce sont des ballons d’essai qu’on abandonne à leur sort dès qu’on les voit un peu compromis.

De là toutes ces témérités et toutes ces reculades, car rien de plus facile que les témérités à qui a toujours l’intention préconçue de reculer devant le premier danger. De là, dans le public, cette irritation croissante, dangereux précédent ; les réclamations prennent une forme de plus en plus vive ; ce n’est pas une fois, c’est chaque jour que vous voyez ces réclamations prendre une forme inaccoutumée. Messieurs, on ne marche pas longtemps dans cette voie sans arriver à de malheureux résultats.

M. le ministre des finances vous a cité des antécédents de son administration d’une autre époque, pour justifier des actes d’aujourd’hui, mais il oublie une grande différence entre les deux époques.

C’est qu’aujourd’hui le cabinet a renié la politique, il a renié lui-même ses convictions publiques ; le cabinet s’est posé exclusivement comme cabinet d’affaires ; dans son programme il a annoncé qu’il était arrivé non avec des vues politiques, mais pour résoudre des questions militaires, des questions commerciales, des questions financières. Les questions militaires je ne sais quand il les résoudra, il s’est montré peu pressé d’en aborder la discussion.

Quant à la solution des questions commerciales, l’histoire des entrepôts hollandais et celle du transit du bétail nous ont donné la mesure des convictions commerciales du cabinet. Les tabacs étaient destinés à nous donner un exemple de la manière dont il résout les questions d’impôts. Quant aux questions politiques, je n’ai pas besoin de rappeler le jury universitaire dont les souvenirs sont si accablants qu’on n’ose plus même en parler aujourd’hui. M. le ministre de l’intérieur nous en a dit quelques motifs en comité secret, au début de sa valeureuse entreprise contre les entrepôts, il nous a dit alors que son attitude dans cette affaire, si le public la connaissait, serait de nature à effacer l’impression de la discussion du jury universitaire ; vous savez comme cette attitude s’est maintenue et combien la compensation de la discussion du jury universitaire a été, sous ce rapport, heureuse.

Je ne veux pas encourager le gouvernement à marcher dans cette voie, je voterai pour le rejet de tout le système en 60 articles de M. le ministre des finances. Je désire que la chambre substitue une mesure simple et modérée qui ait un caractère tout opposé. Elle donnera au gouvernement une sévère leçon ; elle lui apprendra qu’elle exige d’un ministère, dans ses rapports avec la législature et avec le pays, plus de dignité, plus de conviction, plus de prévoyance que n’en a la politique actuelle. Elle lui apprendra que quand un gouvernement a donné sa parole au pays, il ne doit pas y manquer.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, à entendre l’honorable préopinant dans son extrême sévérité, il semblerait que ce n’est que d’aujourd’hui que le gouvernement est obligé de modifier des projets présentés aux chambres. Chacun sait cependant qu’il est très rare que la chambre adopte des projets de loi de quelqu’importance, surtout des projets financiers, sans y introduire de nombreuses modifications.

Comment ! parce que nous avons annoncé que nous nous occuperions d’intérêts matériels, que nous chercherions à améliorer nos finances, que nous nous efforcerions d’introduire un système commercial favorable au développement de la richesse publique, il faut, d’après l’honorable député de Bruges, ou que nos propositions soient telles que la chambre les agrée toutes sans modification aucune, ou que nous soyons considérés comme des hommes sans convictions. J’ai prouvé, dans cette discussion, que j’avais des convictions, l’énergie suffisante pour les soutenir contre de nombreux et violents adversaires. Si je cède devant la majorité, je ferai ce qu’ont fait beaucoup de mes prédécesseurs ; ma conduite ne mérite pas plus de blâme que la leur en semblable circonstance. Le plus ou moins d’hostilité d’un membre de l’opposition n’ajoute rien au fait.

Ce n’est pas moi qui prendrai l’initiative de citer les actes de l’un ou l’autre de mes prédécesseurs ou de ministres qui ont dirigé d’autres départements. Mais lorsqu’on représente comme une chose nouvelle l’acceptation de changements adoptés par la chambre, je suis forcé de rappeler, que c’est là un fait qui s’est produit très souvent.

Quant à la mesure de rétroactivité, qui a paru exciter une si vive indignation chez l’honorable membre, je dirai que la constitution seule a posé les principes immuables que les ministres présents et les ministres futurs observeront constamment. Mais j’ajouterai que sur les questions gouvernementales que la constitution n’a pas tranchées, les ministres qui se succèdent peuvent différer d’opinion ou se trouver dans des circonstances qui influent sur leur détermination.

Au reste, on parle comme si la caisse du gouvernement n’était pas celle de la nation, comme si le gouvernement, qui demande qu’on impose les approvisionnements existants, ne le demandait pas au profit du pays, au profit des contribuables eux-mêmes. On peut ne pas partager l’opinion du gouvernement sur ce point. Mais je ne vois pas qu’il y ait lieu à faire éclater de pareils mouvements d’indignation.

L’honorable M. Devaux nous a parlé de la situation financière qu’il semble ne pas connaître. Je serai plus bienveillant pour lui qu’il n’a été envers moi. Je crois qu’avec très peu de peine il apprécierait cette situation. Elle a été, du reste, exposée dans tous ses détails, il y a quelques mois. Les faits qui l’ont modifiée depuis lors, ont reçu la plus grande publicité. Il était donc très facile à l’honorable membre, avec la sagacité qu’on lui connaît, de se rendre compte de la situation actuelle. D’ailleurs, je l’ai de nouveau exposée dans la séance d’hier.

L’honorable membre fait observer qu’il ignore si la dette flottante existe encore. Il a parlé de valeurs à notre disposition qui pourraient éteindre cette dette. Mais il sait très bien que je n’en ai pas la libre disposition ; qu’en tout cas, si les chambres adoptant la loi qui sera présentée, autorisaient le gouvernement à réaliser ces valeurs, cette opération ne pourra être faite que dans un laps de temps assez long.

Quant à son observation sur l’aggravation de 550,000 fr. qui résultera de la conversion en dette consolidée d’une partie de la dette flottante, ce n’est pas d’une manière absolue que je me suis exprimé à cet égard dans notre dernière séance. Ces 550,000 fr. représentent dans la balance de nos budgets, les intérêts de 11 à 12 millions du dernier emprunt resté en caisse jusqu’à ce moment. Or, chaque jour le département des travaux publics dispose de cette somme. Cette année, je n’ai porté au budget de la dette flottante que 500,000 fr. ; il n’en serait plus de même pour l’exercice prochain, et le chiffre serait bien plus élevé si j’avais laissé subsister les 10 millions de dette flottante, parce que le restant de l’emprunt sur lequel dispose chaque jour M. le ministre des travaux publics aura dans quelques mois été retiré des caisses de l’Etat.

C’est dans ce sens que j’ai parlé d’une augmentation de dépenses ; personne n’a pu s’y méprendre. J’ai établi une corrélation entre ces deux faits. L’honorable M. Devaux en a envisagé un d’une manière tout à fait isolée, et s’est livré ainsi à des observations qui n’étaient pas fondées.

Il est vrai que notre dette flottante pourra successivement se réduire par l’aliénation des biens domaniaux. Mais là encore je rappellerai que cette aliénation ne peut avoir lieu que successivement, dans la proportion d’un million par an. En dépassant cette proportion, ou risquerait d’avilir le prix des domaines à aliéner.

L’honorable préopinant a souvent insisté sur la nécessité de créer une bonne position financière sous le point de vue politique et surtout pour suffire aux exigences de la sûreté de l’Etat. Je ne prétends pas, pour cela, qu’il doive adopter aveuglément toutes les lois d’impôt proposées. Chacun a le droit de critiquer les projets présentés. Mais il me paraît qu’avec de pareils sentiments, il devait joindre ses efforts à ceux des honorables membres qui veulent que le tabac produise des ressources de quelqu’importance, sauf à indiquer un autre système.

Vous frappez, nous dit l’honorable membre, le tabac de toutes les manières : à la consommation par le droit d’accise, à la culture par un droit de débit. Mais l’ensemble de ces droits ne forme qu’un droit fort modéré, si on le compare aux droits existants dans les pays voisins.

Si j’ai subdivisé ainsi le droit, c’est qu’ainsi nous le rendons moins sensible à chaque classe de redevables ; 40 fr. distribués en droit de débit et de consommation affecteront moins la production et le commerce qu’un droit unique.

Du reste, je rappelle que nous ne pouvons raisonner d’une manière absolue ; que, pour apprécier un droit et nous rendre compte de son degré d’élévation ou de modération, nous devons le comparer à ceux qui existent dans les autres pays. J’ai déjà rappelé que le droit proposé est la douzième partie de celui qui existe en France, la 24ème partie du droit qui est établi en Angleterre. Je ne pense pas qu’on puisse attacher à un tel droit un caractère d’exagération. Dans presque tous les pays de l’Europe, il est infiniment plus élevé.

L’honorable membre fait observer qu’on peut augmenter le droit successivement, graduellement. Dans d’autres circonstances on s’exprime tout différemment ; un autre reproche a été adressé maintes fois à l’administration : Vous ne laissez, disait-on, aucun repos à l’industrie ou au commerce ; chaque année, ce sont de nouvelles augmentations de droit. Il vaut mieux établir ce droit en une fois que de revenir chaque année à la charge. Je me rappelle que ce reproche nous a été adressés, ce n’est par l’honorable préopinant (je ne pourrais l’affirmer) c’est du moins par l’un de ses honorables amis.

L’honorable préopinant a rappelé que la péréquation cadastrale avait eu lieu, sans provoquer beaucoup de réclamations. Mais qu’on n’oublie pas qu’elle était attendue et prévue depuis 40 ans. Depuis 40 ans on s’occupait des travaux du cadastre, et chaque propriétaire foncier devait s’y attendre.

Quant aux difficultés que le recensement a rencontrées dans un autre pays, nous savons tous qu’elles furent principalement dues aux manœuvres d’une opposition violente.

- La discussion générale est close.

Discussion des questions de principe

« Le tabac sera-t-il soumis à un droit d’accise ? »

La chambre, sur la proposition de M. le ministre des finances (M. Mercier), passe à la question suivante : « Le tabac sera-t-il soumis à un droit d’accise ? »

M. Malou. - Il est bien entendu que si la question était résolue négativement, on pourrait proposer immédiatement un droit de douane.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je ferai remarquer que la quotité du droit d’accise est réservée.

La question : « Le tabac sera-t-il soumis à un droit d’accise ? » est mise aux voix et résolue négativement par 64 voix contre 17.

Ont répondu oui : MM. d’Anethan, Dechamps, de Renesse, de Sécus, d’Hoffschmidt, Dumont, Goblet, Jonet, Liedts, Lys, Mercier, Nothomb, Pirmez, Pirson, Vilain XIIII, Zoude, de Corswarem.

Ont répondu non : MM. Cogels, Coghen, David, de Brouckere, de Chimay, Dedecker, de Florisone, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Nef, Deprey, de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Tornaco, Devaux, de Villegas, B. Dubus, Dumortier, Duvivier. Eloy de Burdinne, Fallon, Henot, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Malou, Manilius, Mast de Vries, Meeus, Morel-Danheel, Orts, Osy, Rodenbach, Rogier, Savart-Martel, Scheyven, Sigart, Simons, Smits, Thienpont, Thyrion, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Volxem, Verhaegen, Verwilghen, de Haerne, Brabant, Castiau.


« L’augmentation consistera-t-elle en un accroissement des droits de douane ? »

M. le ministre des finances (M. Mercier) - M. le président, je crois qu’il y aurait lieu maintenant de poser la question suivante :

« L’augmentation consistera-t-elle en un accroissement des droits de douane ? »

M. Rodenbach. - Il me semble, messieurs, qu’on ne peut répondre sur une pareille question. Si l’on me demandait : Voulez- vous accorder un droit de 14 à 15 fr. par 100 kil, de tabac, je dirais non, parce que ce droit serait exorbitant, et qu’il forcerait le gouvernement à imposer le tabac indigène. Or je ne veux pas imposer le tabac indigène parce que je crois que ce serait poignarder une industrie de 15 millions.

Messieurs, la Hollande a préféré faire des emprunts, imposer l’abatage que d’imposer le tabac, parce qu’elle a voulu conserver cette industrie.

Cette industrie, messieurs, n’était en Belgique, avant la révolution que de 4 à 5 millions ; elle est arrivée aujourd’hui à 15 millions ; elle est devenue la sixième de la Belgique ; nous devons donc la protéger et non l’anéantir.

J’admettrais, au contraire, un droit de 10 fr. par 100 kilog.

M. le président. - Il ne s’agit pas dans ce moment du chiffre du droit.

M. Rodenbach. - Je suis dans la question ; j’ai le droit de parler. Je dis, messieurs, que j’admettrais un droit de 10 fr. mais que je n’en admettrais pas un de 15 fr.

M. le président. - M. Rodenbach, vous vous trompez. Il ne s’agit pas de discuter le fonds de la question, mais de savoir si la chambre veut passer à son examen.

M. Rodenbach. - On ne peut procéder à l’examen de cette question, car on peut y répondre oui ou non, suivant le chiffre du droit.

M. le président. - Voici un amendement que vient de déposer l’honorable M. Zoude :

« Les tabacs communs d’Amérique non fabriqués sont assujettis au droit de douane de 20 fr. par 100 kil.

« Le tabac d’Ukraine et autres lieux d’Europe est assujetti au droit de 30 fr. par 100 kil. »

M. Zoude. - Cette proposition rentre dans la question posée par M. le ministre des finances. M. le ministre demande que l’on examine d’abord si l’on augmentera les droits de douane, sauf à les fixer plus tard sur les chiffres.

M. Malou. - Messieurs, il est impossible de poser cette question. Elle se rattache à la première qui n’a pas été posée.

On demandait par la 1ère question : « L’impôt sur le tabac sera-t-il augmenté ? », et par la 3ème on demande : « L’augmentation consistera-t-elle en un accroissement de droit du douane ? » Ainsi la première question n’ayant pas été posée, il est impossible de poser la troisième.

Messieurs, il y a plusieurs amendements déposés au bureau. Je viens d’en acheminer un vers sa destination. Il me paraît que le projet du gouvernement n’existant plus, la discussion pourrait s’établir sur les divers amendements.

L’observation de l’honorable M. Rodenbach est d’ailleurs parfaitement fondée : si l’on mettait aux voix ave un changement de rédaction, la 3ème question, je répondrais négativement tout en étant partisan d’une augmentation de droits de douane, parce que je ne sais pas où un vote affirmatif m’entraînerait. Je pourrais avoir cédé à former une majorité, et il s’en formerait ensuite contre moi, une autre qui voudrait des droits plus forts.

Il faut donc procéder par la discussion des amendements.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je n’insiste aucunement pour que la question que j’ai posée soit mise aux voix. Puisqu’il y a divers amendements déposés, on votera sur ces amendements.

M de Brouckere. - M. le ministre des finances avait demandé que l’on mît aux voix la question de savoir si le tabac sera frappé d’un droit de douane plus fort que celui qui existe aujourd’hui. L’honorable M. Rodenbach a demandé la parole pour lui prouver qu’il était impossible de mettre cette question aux voix par oui ou par non, et selon moi, il a eu parfaitement raison, parce que, comme l’honorable M. Rodenbach, je résous la question affirmativement, st l’on présente un certain chiffre, et négativement si l’on en présente un autre.

Il me semble que, maintenant que l’établissement d’un droit d’accise est rejeté, la discussion doit être ouverte sur le point de savoir si l’on augmentera les droits de douane. Ce n’est pas un vote qu’il faut, c’est une discussion ; et après cela nous n’aurons qu’une seule manière de voter, c’est en présentant des chiffres et l’on mettra d’abord aux voix le plus élevé. Ainsi, si j’ai bien compris, le chiffre le plus élevé serait maintenant celui de 20 fr. Si le chiffre est, comme je le suppose, rejeté, on descendra à un autre chiffre, jusqu’à ce qu’on arrive à celui sur lequel il y aura majorité.

M. le président. - D’autres amendements viennent d’être déposés.

Le 1er est de M. Malou. Il est ainsi conçu :

« Art. 1er. Par modification au tarif des douanes, les droits d’importation et d’exportation sur les tabacs sont fixés comme il suit :

« Tabacs en feuilles ou en rouleaux.

« D’Europe, sans distinction (Note (a) : Les tabacs d’Europe sont prohibés à l’entrée par terre, canaux et rivières, par la frontière du Midi), les 100 kil., sans distinction de pavillon, 15 fr.

Vaninas, sans distinction de provenance, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 50 fr.

(De Porto-Rico, de Havane, de Colombie, de St-Domingue, des Grandes-Indes et d’Orénoque.)

Directement des pays de production, les 100 kil., par pavillon national, 15 fr. ; par pavillon étranger, 16 fr. 50 c.

« D’ailleurs, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 17 fr. 50 c.

« (Autres pays hors d’Europe.)

« Directement des pays de production, les 100 kil., par pavillon national, 10 fr. ; par pavillon étranger, 11 fr. 50 c.

« D’ailleurs, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 12 fr. 50 c.

« (Côtes.)

« Directement des pays de production, les 100 kil., par pavillon national, 14 fr. 50 c. ; par pavillon étranger, 13 fr.

« D’ailleurs, les 100 kil,, sans distinction de pavillon, 14 fr.

« (En carottes, en poudre, hachés ou autrement fabriqués.)

« Sans distinction de provenance, les, 100 kil., sans distinction de pavillon, 45 fr.

« (Cigares.)

« Directement des pays hors d’Europe, les 100 kil., par pavillon national, 200 fr. ; par pavillon étranger, e2’20 fr.

« D’ailleurs, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 240 fr. »

« Art. 2. Dans aucun cas, le droit à l’importation ne pourra être inférieur à 50 c. par expédition. »

M. le président. - Le second amendement est de l’honorable M. Smits. Le voici :

« Tabacs en feuilles, côtes ou rouleaux.

« D’Europe, sans distinction de pavillon, les 100 kil. 12 fr. 50 c. ; droit de sortie 5 c.

De Portorico, de la Havane, de Colombie, de St-Domingue, d’Orénoque et des Grandes-Indes directement des pays de production, les 100 kil., par pavillon national, 12 fr. 50 c. ; par pavillon étranger, 14 fr. ; droit de sortie 5 c.

« D’ailleurs, sans distinction de pavillon, les 100 kil., 15 fr. ; droit de sortie, 5 c.

« De Brésil, de Virginie, de Maryland et de l’Amérique septentrionale, les 100 kil., par pavillon national, 7 fr. 50. ; par pavillon étranger, 9 fr., droit de sortie, 5 c.

« D’ailleurs, sans distinction de pavillon, les 100 kil. 10 fr. ; droit de sortie, 5 c.

« Côtes.

« Directement des pays de provenance, les 100 kil., par pavillon national, 11 fr. 50 c. ; par pavillon étranger, 13 fr. ; droit de sortie, 5 c.

« D’ailleurs, sans distinction de pavillon, les 100 kil., 14 fr. ; droit de sortie, 5 c.

« Varinas, sans distinction de provenance, les 100 kil., 30 fr. ; droit de sortie, 5 c.

« Tabacs fabriqués.

« En carottes, en poudre, hachés ou autrement fabriqués, les 100 kil. sans distinction de pavillon, 35 fr. ; droit de sortie, 5 c.

« Cigares, des pays de provenance, les 100 kil., par pavillon national, 200 fr. ; par pavillon étranger, 220 fr, droit de sortie, 5 c.

« D’ailleurs, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 240 fr. ; droit de sortie, 5 c. »

M. le président. - En voici un autre signé par MM. Lys, de Renesse, de Garcia et Eloy de Burdinne :

« Les droits de douane établis par les tarifs en vigueur sur les tabacs étrangers sont augmentés de 12 fr. 50 par 100 kil.

« La plantation du tabac est frappée d’un impôt à concurrence de 150 fr. par hectare. »

M. le président. - Maintenant, messieurs, permettez que je pose la question.

Nous ouvrons la discussion sur ces différents amendements. Lorsqu’elle sera close, je mettrai successivement aux voix ces amendements dans l’ordre qui sera déterminé par l’assemblée.

M. Dumortier. - La question du droit d’accises vient d’être tranchée par la chambre. Or, c’est le droit d’accises qui seul a donné naissance au droit à la culture. Ce droit n’est pas autre chose qu’un droit d’accise. Si donc on insistait pour un droit à la culture, ce serait renouveler une discussion épuisée.

Quant au mode à suivre dans la discussion, je crois qu’il faut aborder l’examen des divers amendements, qui ne sont pas du tout aussi compliques qu’on le pense.

M. Zoude. - Messieurs, dans la séance d’hier il nous a été démontre que si le trésor n’était plus dans la gêne, sa situation, au moins, était encore loin l’être aussi prospère que quelques orateurs se sont efforcés de vous la présenter.

D’un autre côté, l’honorable M. Meeus vous a fait sentir que la position politique du pays exigeait impérieusement que le trésor eût une réserve assez importante ; que nous ne pouvons vivre au jour le jour : que ce n’est pas au moment du danger qu’il faut penser à se créer des ressources. Nous ne savons que trop ce que nous ont coûté celles que nous avons dû nous procurer dans des temps critiques.

Nous ne pouvons d’ailleurs disconvenir qu’il est des dépenses vivement et fortement réclamées, que nous ne pouvons plus guère ajourner : telles sont les routes, dans des localités déshéritées du chemin de fer, des inondations à prévenir, des rivières à curer, des canaux à creuser. On vous a signalé la Meuse, dont les travaux sont urgents et nombreux ; un canal réclamé depuis longtemps, par la ville d’Alost, pour utiliser la Dendre et la mettre en communication avec le bassin houiller du Hainaut ; l’achèvement du canal de Meuse et Mosette, qui devait être ouvert à la navigation en 1832, et dont la révolution a interrompu les travaux.

Les chemins de fer de Jurbise et de Hasselt dont l’utilité n’est plus contestée.

L’augmentation du traitement de l’ordre judiciaire et de celui de plusieurs fonctionnaires de l’ordre administratif. A la vérité, on objecte quand une place est vacante, 50 postulants se présentent, et qu’on n’a que l’embarras du choix. Mais supprimez l’indemnité des membres de la représentation nationale et des citoyens les plus recommandables n’en brigueront pas moins l’honneur de siéger dans cette chambre. Cependant le congrès, mû par de hautes considérations, a voulu que les représentants jouissent d’une indemnité mensuelle.

L’argument tiré du nombre de postulants aux emplois est donc peu concluant pour repousser les augmentations de traitement que réclament l’importance et la dignité de plusieurs emplois.

Eh bien, messieurs, si la nécessité de nouvelles dépenses est suffisamment constatée, la nécessite de créer des ressources l’est également ; or, quel impôt pouvoir ajouter aux impôts déjà existants, si vous négligez celui du tabac ?

On vous a cité le luxe, tel que celui des voitures, des domestiques, des livrées, mais quelles seraient les premières victimes de ces lois somptuaires ? La classe ouvrière elle-même. L’honorable comte de Mérode vous a parlé souvent de la profonde misère dans laquelle cette classe avait été plongée lorsque le luxe avait disparu momentanément de Bruxelles, au commencement de la révolution. Ce qui est arrivé alors se représentera de nouveau si vous frappez le luxe, et croyez-vous que parmi ceux qui l’affichent, il n’en est pas beaucoup qui ne demandent pas mieux que de saisir ce prétexte pour s’en épargner la dépense ?

Mais le tabac fait les délices du peuple ; eh bien, fournissez du travail à l’ouvrier, il pourra alors se procurer les délices du tabac ; garantissez-lui le marché intérieur et n’appelez pas les étrangers à venir le partager, ne salariez pas au détriment de nos ouvriers la main-d’œuvre étrangère ; voila ce que vous demande la classe ouvrière, et lorsque vous lui aurez fourni les moyens de gagner, elle saura se procurer les jouissances que vous lui dites si nécessaires. Ravivez l’industrie et le commerce et cessez de nous bercer des rêves creux de liberté commerciale, ne cherchons plus à donner de leçons à la vieille Europe, imitons-la, profitons des leçons de son expérience.

Chez toutes les nations le tabac fournit une ressource précieuse au trésor public, et c’est parce qu’il contribue, pour sa part, aux charges de l’Etat que j’ai l’honneur de vous proposer mon amendement.

La moyenne des quantités importées, distinction des deux années des plus fortes et des plus faibles importations, est de 6,200,000 kil., ce qui, d’après l’amendement de l’honorable prince de Chimay, ne donne qu’un revenu de 620,000 fr. A la vérité il laisse en-dehors les varinas, Havane, etc., mais ces exceptions réunies ne s’élèvent guère qu’à 10 mille kilog., dont le droit, fût-il porté à 50 fr., n’augmenterait le produit que de 50 mille francs.

Par mon amendement, le droit de 20 fr. procurerait au trésor une ressource de 1,300 mille francs, ou un million au-delà du revenu actuel,

M. Malou. - Messieurs, dans la discussion générale qui vient d’être close, je me suis prononcé pour une augmentation modérée du droit de douane, et pour une exemption de tout droit à la culture. Partageant cette opinion avec l’honorable prince de Chimay, qui a déposé, non pas un amendement mais le principe d’un amendement, je me suis attaché, en prenant le même point de départ, à formuler en quelque sorte le système dont l’honorable prince de Chimay avait posé la base.

Tout système d’impôt de douane repose, nécessairement sur les qualités dont il entre le plus dans la consommation. Ces qualités sont les tabacs d’Amérique, c’est-à-dire Virginie, Kentucky et Maryland. Ces tabacs ont été imposes en 1838 de 2 fr. 50 c. En portant le droit à 10 francs, nous le quadruplons ; nous le portons à huit fois ce qu’il était avant 1838.

Ainsi dans un espace de 6 années le droit aura été porté à 8 fois ce qu’il était auparavant.

J’ai peut-être tort messieurs, en admettant une augmentation comme celle-là, de dire qu’elle est modérée. En effet, c’est beaucoup oser, c’est peut-être compromettre le mouvement et par là même les produits. Cependant, messieurs, à raison des conditions dans lesquelles l’industrie existe, je pense que nous pouvons sans crainte porter à 10 fr. le droit de douanes sur les tabacs d’Amérique. Je dirai dès à présent que les 16 p. c. additionnels existant pour tous les objets soumis au tarif des douanes sont maintenus et que le droit de 10 fr. revient ainsi à 11 fr. 60 centimes.

La loi de 1838 a porté le droit à 5 fr. pour les tabacs fins et pour les tabacs d’Europe, à 25 fr. pour les varinas, à 30 fr. pour les tabacs fabriqués et à 100 fr. pour les cigares. Il est nécessaire d’augmenter le droit sur ces différentes qualités dans une certaine proportion, mais quelle proportion faut-il suivre ? Faut-il suivre une proportion arithmétique, c’est-à-dire, augmenter chacun de ces droits d’un même chiffre ? Faut-il suivre une proportion géométrique et quadrupler tous les droits établis en 1838, comme nous quadruplons le droit de 2 fr. 50 c. ? Je crois que nous ne devons suivre ni l’une ni l’autre de ces proportions. Vous faites trop peu pour les droits élevés en suivant la proportion arithmétique, vous faites trop pour ces mêmes droits en prenant la raison géométrique.

Ainsi pour les cigares, en quadruplant le droit de 100 fr., vous arriveriez à 400 fr., ce qui serait exorbitant. J’ai cru devoir adopter un système intermédiaire, j’ai quadruplé les droits les moins élevés, j’ai triplé les droits moyens et doublé les droits les plus forts. C’est en appliquant ainsi un multiplicateur qui décroît d’une unité chaque fois qu’après avoir pris pour les tabacs communs le chiffre de 10 fr., j’arrive pour les tabacs fins à 15 fr., pour le vaniras à 50 fr., et pour les cigares à 200 fr.

Jusqu’a présent, messieurs, je n’ai parlé que du droit normal, mais j’ai combiné mon amendement avec le projet de loi voté récemment par la chambre, et dans la discussion de laquelle il a été convenu qu’en ce qui concernait les tabacs, on se bornerait à voter des différences en faveur du pavillon national et des provenances directes. Ces différences, je les ai rigoureusement maintenues.

Il y a une légère déviation au principe en ce qui concerne les tabacs fabriqués. Pour doubler ce droit, il faudrait le porter à 60 fr. ; j’ai craint qu’en l’élevant à ce taux on ne favorisât trop la fraude, et que, par là même, on ne diminuât les produits de l’impôt.

Je sais, messieurs, qu’en matière d’impôt, on ne peut pas raisonner, comme on le fait trop souvent ; dire : il faut faire produire telle somme à tel objet imposable. Cependant, je comprends aussi que la chambre tienne à connaître quel est le produit probable qui résulterait de l’adoption d’un système.

Pour l’amendement que j’ai l’honneur de proposer, j’ai fait le calcul en me plaçant dans deux hypothèses différentes. Dans l’une j’ai pris le mouvement commercial ou, pour mieux dire, le chiffre des mises en consommation de l’année 1843 pour tous les tabacs indistinctement ; dans l’autre j’ai pris les mises en consommation de 1843 pour tous les tabacs, excepté pour les tabacs communs qui forment la presque totalité des mises en consommation, les quantités, je les ai puisées dans les documents annexés au rapport de la section centrale. Quant au droit, lorsqu’il y a distinction de pavillon et de provenance, j’ai pris la moyenne des trois chiffres, supposant ainsi qu’un tiers arrivera directement sous pavillon national, un tiers directement sous pavillon étranger et un tiers des entrepôts d’Europe.

Je conviens que telle ou telle de ces prévisions ne se réalisera pas, mais je ne sais quelle autre base on pourrait suivre pour asseoir une opinion sur la probabilité des produits de l’impôt. On ne peut pas supposer que tout sera introduit par navires nationaux venant directement des lieux de production. On ne peut pas supposer non plus que tout arrivera soit des lieux de production sous pavillon étranger, soit des entrepôts d Europe. Dès lors il me semble que la base que j’ai adoptée est la plus juste.

Voici, messieurs, les calculs que j’ai établis, en suivant les principes que je viens d’indiquer :

(Note du webmaster : le Moniteur reprend ensuite une série de tableaux statistiques, desquels il ressort que l’augmentation du produit de l’impôt résultant de l’amendement serait de : 1,083,662 fr. (1ère hypothèse), 835,583 fr. (2ème hypothèse)).

Ainsi, messieurs, dans la première hypothèse, l’augmentation serait de 1.083,662 fr. ; dans la deuxième hypothèse, l’augmentation serait de 835,583 fr.

Comme je n’ai la parole que pour développer mon amendement, je ne veux pas combattre directement celui de l’honorable M. Zoude. Je ferai cependant remarquer qu’en ne se bornant pas à quadrupler le droit, mais en le portant de 2 fr. 50 c. à 20 fr., on risque fort d’avoir beaucoup moins qu’avec le chiffre de 10 fr. Nous savons tous que c’est un axiome en matière d’impôt, que 2 et 2 ne font pas 4, je crois fort qu’ici 2 et 2 ne feraient pas même 3.

Je ne fais, messieurs, aucune proposition quant à la culture. En effet, le droit que je propose pour les tabacs étrangers n’est pas tel qu’il soit probable que la culture du tabac indigène se développe beaucoup sous le régime de la loi nouvelle. S’il arrive cependant que la culture prît un très grand développement et que, par conséquent, le produit de l’impôt vint à décroître, on pourrait imposer aussi la culture, mais dans le moment actuel, je crois que cette mesure est complètement inutile. La culture est, je pense, suffisamment limitée par la différence des produits et par la différence des circonstances dans lesquelles les produits arrivent sur le marché belge.

Que peut-on espérer, d’ailleurs, d’un droit à la culture ? Le droit que les honorables MM. Lys et autres membres proposent, est de 150 fr. par hectare. Eh bien, messieurs, le produit de ce droit serait minime. Le droit serait perçu peut-être sur 450 hectares ; le produit serait donc d’environ 170 mille francs. Serait-ce la peine de gêner considérablement les populations agricoles d’une grande partie du royaume ? Mais il y a plus, messieurs ; le droit de douane rentrerait intégralement au trésor, sans qu’il y eût un centime de plus à dépenser. Une grande partie du droit établi sur la culture, la moitié peut-être, serait absorbée par les frais que nécessiterait le recouvrement de l’impôt.

Ainsi, pour une somme de 60 à 75,000 fr. peut-être, vous gêneriez la culture, vous la paralyseriez, sans aucune utilité pour le pays ou plutôt au grand préjudice de ses intérêts.

Je ne puis accepter la comparaison que M. le ministre des finances a encore reproduite tout à l’heure entre le droit qui existe en France et en Angleterre, elle droit qu’il s’agit d’établir en Belgique. Il ne faut pas comparer ce qu’on peut établir ici avec ce qui existe dans d’autres pays ; mais il faut comparer ce qu’on peut établir dans le pays avec ce qui existe dans le pays ; il faut procéder graduellement, pour ne pas détruire une industrie qu’on veut seulement imposer.

Il me reste à dire un mot de la disposition particulière qui se rapporte au tarif. Cette disposition a déjà fait l’objet de quelques observations dans la discussion générale.

Le monopole existe en France. Lorsqu’il a été établi on ne permettait pas aux cultivateurs français de planter pour l’exportation. Plus tard, par la loi du 28 avril 1816,on lui a donné cette faculté ; aujourd’hui cette faculté peut être retirée, sans que les intérêts de la régie française soient le moins du monde froissés. Je crois au contraire, qu’en supprimant en ce qui nous concerne la culture pour l’exportation, nous ferions chose agréable à la régie française. En effet cette culture donne lieu à la fraude, elle nécessite des frais de surveillance, sans qu’il en revienne le moindre bénéfice.

L’article 2 de l’amendement se trouve reproduit d’après la loi de 1838. Je ne sais si M. le ministre des finances en reconnaîtra la nécessité : il est d’ailleurs peu important

- L’amendement de M. Malou est appuyé

M. le prince de Chimay. - Je déclare retirer mon amendement et me rallier à celui de l’honorable M. Malou.

M. le président. - La parole est à M. Smits, pour développer son amendement.

M. Smits. - Messieurs, par la proposition que j’ai en l’honneur de soumettre à la chambre, je me rapproche beaucoup de la proposition que j’ai faite en 1842 comme ministre des finances ; je me rapproche aussi de la proposition de la commission d’enquête, qui avait demandé d’abord un droit de 7 fr. 50 et qui ensuite s’est bornée à demander un droit de 5 fr. pour les tabacs. Cependant pour procurer des ressources au trésor, j’élève à 7 fr. 50 le chiffre de 5 fr. proposé en 1842 pour les tabacs communs, et à 12 fr. 50 le droit pour les tabacs fins. Je crois que nous ne pouvons pas aller au-delà de ces chiffres.

En effet, le droit sur le tabac n’est que de 70 cents (1 fr. 50 environ) en Hollande ; or, du moment où nous voterions un chiffre plus fort que celui que j’indique, il est à craindre que la Hollande ne nous fournisse exclusivement le tabac par infiltration.

Nous devons, messieurs, prendre la position du pays telle qu’elle est ; d’un côté nous avons la France, l’Allemagne, assujetties au régime prohibitif ; mais d’un autre côté, nous avons la Hollande, soumise au régime de la liberté commerciale, la Hollande où les articles coloniaux sont très peu imposés. Dans cet état de choses, quelle doit être notre politique commerciale, ou mieux, notre politique douanière ? C’est, je pense, de favoriser nos exportations régulières et irrégulières mêmes vers la France et l’Allemagne, c’est d’empêcher que des importations irrégulières ne se fassent de Hollande en Belgique, au détriment de notre commerce et de notre industrie.

Si les tabacs étaient assujettis en Hollande à un régime d’accise, on pourrait alors élever notablement le chiffre de nos droits, car là où existe un régime d’accise, les exportations ne peuvent se faire que par certains bureaux déterminés. Or, ces bureaux se trouvent en face de nos bureaux, et dès lors les infiltrations frauduleuses ne sont pas à craindre ; mais quand les objets de consommation ne sont assujettis qu’à un droit de douane extrêmement faible, alors les négociants acquittent le droit, ils ont la libre jouissance de leurs marchandises, et ils ont toute la frontière pour leurs exportations. Si donc nous voulons que l’impôt produise, il faut que nous nous tenions dans des limites extrêmement modérées. Je ferai remarquer encore qu’en nous tenant dans ces limites, nous évitons de stipuler dans la loi le système de drawback, car, d’après ma proposition, j’exclus la restitution de droit, et vous savez, messieurs, que cette restitution donne toujours lieu à certains abus qui sont nuisibles au trésor public. Cependant il faudrait l’admettre si le droit était élevé.

Par ma proposition, je supprime également tout impôt sur la culture. Et ici j’invoquerai le témoignage de M. le ministre des finances qui a dit tout à l’heure qu’avec un droit de 20 fr, et même de 10 fr., il faut un impôt sur la culture. Cela est juste. (Dénégations de la part de quelques membres.) Permettez-moi de m’expliquer : je dis que si vous avez un droit de 10 fr., il faut un impôt sur la culture, parce que évidemment la protection pour les tabacs indigènes deviendrait trop forte.

M. Rodenbach. - Non ! non ! Je demande la parole.

M. Smits. - L’honorable M. Rodenbach pourra me répondre. Je le prie donc pas m’interrompre. Je dis que le tabac indigène, s’il était trop protégé par des droits trop élevés sur le tabac exotique, serait insensiblement préféré à ce dernier, que les importations diminueraient, et partant les revenus du trésor. Or, je ne veux pas que, dans la loi de douane que nous discutons, on pose le principe d’un impôt sur la culture, parce que si le germe de ce principe était déposé dans la loi, d’ici à quelques années vous retourneriez au système d’accises que vous venez de repousser.

J’ajouterai encore que le pays n’a pas grand intérêt à voir augmenter la culture du tabac. Je reconnais que cette culture est utile, mais elle ne doit pas prendre un trop grand développement ; lorsque le pays est déjà dans la nécessité d’importer une masse de céréales et d’exporter à cet effet beaucoup de ses capitaux, elle n’a pas besoin d’encourager la culture d’autres plantes.

Je me bornerai à ces seules considérations, sauf à reprendre la parole plus tard. En attendant je ferai remarquer à la chambre que mon amendement procurera certainement au trésor une nouvelle ressource de 750,000 francs d’après les mises en consommation des années antérieures.

- L’amendement de M. Smits est appuyé. Il fera partie de la discussion.

M. le président. - Un amendement a été déposé et signé par MM. Lys, de Renesse, de Garcia et Eloy de Burdinne.

La parole est à M. Lys pour développer son amendement.

M. Lys. - Messieurs, je développerai en peu de mots l’amendement que mes trois honorables collègues et moi, avons eu l’honneur de présenter.

Je crois que, par l’impôt que cet amendement tend à établir, le commerce interlope ne souffrira nullement de la position qu’il a prise ; je crois que l’établissement du nouvel impôt ne provoquera pas non plus la fraude du côté du Nord.

Remarquez que l’impôt sur la culture que nous avons l’honneur de proposer ne peut nullement nuire à l’agriculture ; s’il n’en était pas ainsi, eussiez-vous vu au bas de l’amendement la signature de l’honorable M. Eloy de Burdinne ?...

M. Eloy de Burdinne. - Je demande la parole. (On rit.)

M. Lys. - En effet, on suppose qu’un hectare planté de tabac produit 2,200 kilog. ; eh bien, d’après le droit de 12 fr. 50, sans parler du droit existant actuellement, sans parler des centimes additionnels, cela équivaut à 275 fr. pour 2,200 kilog. de tabacs étrangers. Ainsi, en imposant la culture à 150 fr., il reste 125 fr. en faveur de l’agriculture ; donc, beaucoup plus de la moitié, si vous ajoutez le droit actuel et les additionnels.

Je sais que l’impôt sur la culture ne produira pas une somme considérable, mais j’en fait sentir la nécessité parce que si vous n’imposez pas la culture, et si vous imposez le tabac exotique, vous ferez augmenter la culture dans une telle proportion que votre impôt sur le tabac exotique ne produira rien ou ne produira que très peu de chose.

Enfin, si nous voulons faire des dépenses, il faut nécessairement trouver des ressources. Au premier jour, on viendra vous demander une foule de nouvelles dépenses. L’on vous demandera le chemin de fer de Jurbise.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. Lys. - Un autre vous demandera le chemin de fer de Hasselt ; un troisième vous demandera la dérivation de la Meuse ; un quatrième réclamera des améliorations considérables à la navigation de ce fleuve. Ce sont là des dépenses immenses, et je crois que les représentants des contrées où ces travaux d’amélioration doivent s’exécuter, sont très intéressés à ce que les finances de l’Etat puissent aussi obtenir une amélioration, sans quoi les honorables représentants de ces contrées doivent craindre de ne pas voir leurs demandes accueillies.

M. Eloy de Burdinne. - Je suis un de ceux qui ont pris l’initiative de la demande d’un droit sur le tabac, mais quand je l’ai fait, c’était avec l’intention de voir réduire de moitié l’impôt sur le sel. Si donc je consens à frapper d’un droit le tabac cultivé en Belgique, qui est, par conséquent, un produit de notre agriculture, c’est que j’ai l’intention, en frappant un produit de la terre, de donner une compensation aux cultivateurs, aux habitants des campagnes ; je veux qu’une partie de l’augmentation de recettes que produira le tabac serve à réduire de moitié l’impôt sur le sel. Si on ne trouve pas moyen de réduire cet impôt, il est certain qu’à l’avenir je refuserai mon vote à tous les budgets. Mais ici je suis conséquent avec moi-même. Quand il s’est agi de l’impôt sur le sucre, j’ai consenti à ce que le sucre indigène payât un impôt, mais un impôt modéré, compare à celui qui pèserait sur les produits étrangers. Ici encore je demande que le tabac exotique paye un droit élevé. J’ai réduit mes prétentions ; je les avais portées plus haut que celles qui se trouvent dans la proposition que j’ai signée avec d’honorables collègues, où le tabac indigène est frappé du tiers du droit que payera le tabac étranger. Je bornerai là pour le moment mes observations. Si j’ai demandé la parole, c’est que l’honorable Lys m’avait présenté comme un défenseur de l’agriculture, qui cependant consentait à l’établissement d’un impôt sur la culture du tabac. Je tenais à faire observer que c’était à la condition d’une réduction d’impôt sur le sel, ce qui sera un avantage et pour l’agriculture et pour la fabrication des tabacs qui emploie beaucoup de sel.

M. Manilius. - J’ai demande la parole pour adresser une interpellation au gouvernement, pour prier M. le ministre de nous dire devant quel projet nous sommes. Continuons-nous à discuter la loi qui vient de recevoir un échec, ou bien en revenons-nous au projet de loi de 1842 ; car ce projet est pendant devant la chambre, il a été complètement instruit, un rapport a été fait par l’honorable M. Zoude. Ce projet avait de plus été l’objet d’une enquête de la part du gouvernement. Si le gouvernement le retire, je le reprendrai et je proposerai de le présenter comme amendement au projet en discussion. Si le gouvernement ne le retire pas, j’insiste pour que la discussion porte maintenant sur ce projet. La loi actuelle n’était pas une loi de douane, c’était une loi d’accise. Le système d’accise ayant été rejeté, nous devions en revenir à la loi de douane. Je pense que l’honorable M. Nothomb, qui nous a présenté ce projet pour balancer la perte que l’on ferait sur les droits de sortie dont il proposait la réduction doit se le rappeler.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le projet de loi qui vous a été présenté le 10 novembre 1842, portait sur les articles suivants : Café, Fers gruaux et Orge perlée, quelques poissons, riz, tabacs. Les cinq premiers articles sont devenus l’objet de lois spéciales ou ont passé dans les droits différentiels ; de sorte que si l’honorable préopinant reprenait ce projet, ce ne pourrait être que pour ce qui concerne le dernier article, l’article Tabac, l’article non converti en loi.

M. Manilius. - Avant de reprendre ce projet, je veux savoir s’il est retiré. Je me garderai de le reprendre avant que l’arrêté de présentation ne soit rapporté. Mais je présenterai un amendement dans ce sens.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - M. le ministre des finances et moi avons déclaré que le projet de 1842 était devenu sans objet par la présentation d’autres projets dont la chambre est saisie.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je demande que les divers amendements soient renvoyés à la section centrale qui a examiné le projet de loi sur le tabac. Ces amendements sont compliqués. La chambre ne peut pas en apprécier la portée. Il est indispensable que nous ayons un rapport de la section centrale. J’ai annoncé comment je proposerais d’établir un droit à la culture, je formulerai un système que je communiquerai à la section centrale et à la chambre.

M. Dumortier. - Je demande la parole sur la motion de M. le ministre des finances.

Je pense, messieurs, que le renvoi proposé traînerait la discussion singulièrement en longueur et serait sans objet utile. En effet, que ferait la section centrale ? Elle n’a plus rien à faire. Elle a été saisie d’un projet de loi, elle a fait son rapport, elle termine son mandat. Si le renvoi était ordonné, vous seriez obligés de suspendre la discussion pendant plusieurs jours. Si la section centrale vous faisait demain son rapport, elle n’aurait plus eu le temps d’examiner assez les amendements pour éclairer la discussion. Mieux vaut continuer dès maintenant cette discussion. Bien que les amendements paraissent compliqués, ils sont en réalité d’une extrême simplicité.

En effet, la base principale consiste dans les grosses importations, Or, que nous propose-t-on ? Sur les tabacs venant de l’Amérique, M. Smits propose un droit de 7 fr. 50, M. Malou un droit de 10 fr., M. Eloy de Burdinne un droit de 15 fr., et M. Zoude un droit de 20 fr. M. Manilius annonce qu’il reprendra une proposition du gouvernement qui mettait le droit à 5 fr. Voilà les propositions dans leur partie essentielle, le reste consiste dans les augmentations sur les tabacs de qualité supérieure, les cigares, les Varinas, Portorico, Havane, mais l’importation de ces tabacs est fort peu considérable, il faut voir la loi, le droit là où ils se trouvent ; or le droit à percevoir est sur les tabacs de l’Amérique septentrionale. Pour cela on vous propose les droits que je viens d’indiquer.

Maintenant, messieurs, quel sera le résultat de ces amendements. Il est facile de le prévoir. Le droit actuel est de 2 fr. 50 c. A ce taux nous recevons 300 mille francs et au-delà. M. le ministre a établi une moyenne de 253 mille francs. Mais dans sa moyenne, il a compris les années de crise. Pour avoir une moyenne juste, il faut écarter ces années malheureuses. Eh bien, dans les dernières années, le tabac a rapporté au-delà de 300 mille francs au droit de 2 fr. 50 c. Et, bien, si on adoptait l’amendement de M. Smits sur les tabacs communs sans tenir compte de l’augmentation sur les qualités supérieures, nous aurions un produit de 900 mille francs, au lieu de 300 mille. Avec l’amendement de M. Malou, le produit serait de 1,200 mille fr., avec celui de M. Eloy de Burdinne, non compris le droit de culture de 150 fr. par hectare que lui, défenseur de l’agriculture, voudra bien, j’espère, retirer, le produit serait de 1,800 mille fr.

M. Rodenbach. - Sans compter la fraude.

M. Dumortier. - Je prouverai quand on en sera à la discussion, qu’au taux proposé par M. Malou la fraude est impossible. Je me borne à faire remarquer qu’il ne fait pas renvoyer les amendements ; que les chiffres proposés, bien que paraissant compliqués, sont d’une très grande simplicité, si on considère que la base du droit est le tabac de l’Amérique septentrionale. Il me semble qu’en présence de pareils chiffres, au lieu de les renvoyer à l’examen le la section centrale, on pourrait les soumettre au vote dès à présent.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Les observations que vient de présenter l’honorable préopinant me démontrent de plus en plus la nécessité d’un examen calme et réfléchi des propositions soumises à la chambre. L’honorable membre suppose que la consommation peut être évaluée à raison des importations de 1842 et 1843. S’il en est ainsi, j’affirme qu’il y aura les plus grands mécomptes. L’exposé des motifs indique le chiffre maximum de la consommation annuelle. Si l’on établit la moyenne sur un plus grand nombre d’années la consommation ne sera que de six millions y compris le tabac qui s’exporte, mais non compris le tabac indigène, puisque l’honorable membre ne l’impose pas.

Je donne ces explications, parce que je ne veux pas que ma responsabilité soit engagée. Il est certain que si la chambre adopte l’amendement de l’honorable M. Malou, il n’y aura qu’une augmentation de 620 mille fr. d’après une consommation de six millions de kilogrammes. Mais comme les honorables membres ne veulent pas qu’on perçoive l’impôt sur les approvisionnements, le produit ne sera que de 500 mille francs pendant les deux premières années.

Je demande le renvoi à la section centrale, sans interrompre la discussion. Je crois que les honorables membres de la section centrale sont assez familiarisés avec ces questions pour faire demain le rapport.

Ainsi, la discussion ne souffrirait aucun retard.

Quant à moi, je me mets à la disposition de la section centrale pour lui donner les renseignements qu’elle jugera utile de me demander.

M. Cogels. - Je crois le renvoi à la section centrale des amendements qui ont été déposés parfaitement inutile. Le vote que la chambre vient d’émettre à complètement renversé l’œuvre de la section centrale.

La section centrale avait admis le droit d’accise, parce qu’elle avait voté un chiffre élevé. C’était précisément pour en rendre le recouvrement possible qu’elle avait dû, malgré l’opposition de plusieurs de ses membres, se prononcer pour le droit d’accise. Maintenant qu’il n’est plus question de cela, qu’il ne s’agit plus que d’une augmentation du droit de douane, et de la quotité de cette augmentation, je ne pense pas qu’il y ait quelque utilité dans le renvoi à la section centrale.

C’est par la discussion générale qu’on pourra éclairer cette question, lorsque les amendements auront été imprimés, que nous aurons pu les étudier à loisir et les méditer.

Plusieurs membres. - Mais pourquoi s’opposer au renvoi ?

M. Cogels. - Parce que la section centrale devrait se déjuger.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Ce qui a dominé la section centrale, c’est le désir de donner à l’Etat des ressources nouvelles. Elle avait atteint son but par le droit d’accise. Bien que la chambre ait repousse le droit d’accise, la section centrale n’oubliera pas, j’en suis convaincu, que la création de ressources nouvelles est encore le but qu’elle doit se proposer.

C’est dans ce sens que je demande le renvoi à la section centrale, sans interrompre la discussion. Chaque membre pourra apprécier les motifs allégués par la section centrale en faveur de l’une ou l’autre opinion. C’est un moyen de nous éclairer. D’ailleurs, le rapport de la section centrale ne liera personne.

M. Mast de Vries. - Puisqu’il est impossible de voter aujourd’hui, je ne vois pas pourquoi l’on ne renverrait pas à la section centrale. Vous aurez le rapport demain à midi.

M. Malou. - Il ne faut pas qu’il y ait de malentendu. La section centrale fera-t-elle son rapport, de sorte que la discussion puisse continuer demain ?

De toutes parts. - Oui !

M. Malou. - La section centrale pourra-t-elle, en présence des difficultés de l’impôt à la culture, nous soumettre un système coordonné ?

Plusieurs membres. - Certainement.

D’autres membres. - C’est impossible.

M. Malou. - Je dis aussi que c’est impossible. Dès lors, le renvoi même est impossible.

Il n’y a qu’une question de chiffres, et je ne crois pas qu’il soit dans les usages de la chambre de renvoyer à une section centrale des questions de chiffre plus ou moins élevé. Je conçois le renvoi pour coordonner des systèmes, des principes. Mais renvoyer à une section centrale la question de savoir si l’on votera 10, 7, ou 5, et surtout à une section centrale qui a proposé le droit d’accise, etc., je dis que c’est inutile. Nous devons nous attendre à lui voir proposer 20 francs.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - La raison donnée par l’honorable préopinant est que la section centrale ne pourrait pas d’ici à demain coordonner un système d’impôt à la culture. Cet argument n’est pas admissible. Si la section centrale ne peut coordonner un tel système, la chambre n’étant saisie d’aucun rapport, le pourra moins encore.

Plusieurs membres. - L’impôt à la culture est incompatible avec le droit de douane.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - C’est une erreur.

Si vous voulez établir un droit de douane de 20 fr., parce que le droit d’accise a été rejeté, sera-ce une raison pour qu’il n’y ait pas de droit à la culture ? Non, assurément.

L’observation de l’honorable M. Malou n’est qu’une fin de non-recevoir, qui empêcherait la chambre d’apprécier le véritable état des choses.

M. de Haerne. - Le renvoi à la section centrale me paraît inutile. La section centrale optera pour l’un ou l’autre chiffre qu’elle vous proposera. D’honorables membres pourront proposer, par amendement, de nouveaux chiffres ; il faudra donc les renvoyer encore à la section centrale.

- Le renvoi des amendements à la section centrale est mis aux voix par assis et levé ; il est prononcé à une faible majorité.

M. Rodenbach. - On a demandé le renvoi à la section centrale. Mais je crois que la chambre a jugé, et que la section centrale ne peut plus s’occuper d’un droit d’accise. Cela est décidé.

Un grand nombre de membres. - C’est évident.

M. Dumortier. - Il est bien entendu que demain, avec ou sans rapport, la chambre n’entend pas ajourner la discussion. (Adhésion.)

- La séance est levée à 4 heures et 1/2.