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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 14 juin 1844

)(Moniteur belge n°167, du 15 juin 1844)

(Présidence de M. d’Hoffschmidt.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi,

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners fait connaître l’analyse de la pièce suivante.

« Les médecins, chirurgiens et accoucheurs, établis dans l’arrondissement d’Audenaerde, demandent l’abolition de l’impôt-patente auquel sont assujettis ceux qui exercent l’une des branches de l’art de guérir. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur les patentes.


M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) transmet à la chambre cinq demandes en naturalisation, avec renseignements y relatifs.

- Renvoi à la commission des naturalisations.

M. Lejeune. - J’ai l’honneur de déposer deux rapports sur des demandes en naturalisation.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

La chambre fixera ultérieurement le jour où elle s’occupera de la prise en considération.

Nomination des membres du jury d'examen universitaire

M. Dumortier (pour une motion d’ordre). - Au commencement de la séance d’hier, mon honorable ami, M. Dubus, a fait une proposition que je crois devoir reproduire, c’est de procéder à la nomination des membres des jurys par deux scrutins, au lieu de quatre. Le premier comprendrait tous les titulaires ; le deuxième tous les suppléants. Toutes les fois que nous pouvons simplifier les opérations de la chambre, il est évident que nous le devons. Il est inutile de consacrer quatre heures à des scrutins, quand nous pouvons les faire en deux heures.

L’année prochaine, lorsqu’il s’agira de remplacer les six membres sortants des jurys, nous pourrons ne faire qu’un scrutin.

Aujourd’hui je propose de faire deux scrutins : l’un pour les titulaires, l’autre pour les suppléants.

- La proposition de M. Dumortier est mise aux voix et adoptée.

Nomination des titulaires

Nombre des votants, 61.

Majorité absolue, 31.

Doctorat en droit

MM. Peteau, conseiller à la cour de cassation, et Demonceau, ancien membre de la chambre des représentants, professeur à l’université de Louvain, ayant obtenu, le premier 43, le second 42 suffrages, sont proclamés membres titulaires.


Candidature en droit

MM. Molitor, professeur à l’université de Gand, et Picard, professeur à l’université de Bruxelles, ayant obtenu, le premier 53, le second 42 suffrages, sont proclamés membres titulaires.

M. Namur, professeur à l’université de Bruxelles, a obtenu 16 suffrages.


Doctorat en médecine

MM. de Block, professeur à l’université de Gand, et François, professeur à l’université de Louvain, ayant obtenu chacun 42 suffrages, sont proclamés membres titulaires.


Candidature en médecine

MM. Lebeau, professeur à l’université de Bruxelles, et Frankinet, professeur à l’université de Liége, ayant obtenu chacun 42 suffrages, sont proclamés membres titulaires.


Sciences

MM. Quetelet, directeur de l’observatoire de Bruxelles, secrétaire perpétuel de l’Académie, et Martens, professeur à l’université de Louvain, ayant obtenu, le premier 43, le deuxième 42 suffrages, sont proclamés membres titulaires.


Philosophie et lettres

MM. de Coek, professeur à l’université de Louvain, et Tandel, professeur à l’université de Liège, ayant obtenu chacun 42 suffrages, sont proclamés membres titulaires.

Nomination des suppléants

Nombre des votants, 59.

Majorité absolue, 30.

Doctorat en droit.

MM. Delcour, professeur à l’université de Louvain, et van Hoegaerden, conseiller à la cour de cassation, ayant obtenu, le premier 41, le deuxième 42 suffrages, sont proclamés suppléants, le premier pour M. Demonceau, le deuxième pour M. Peteau.


Candidature en droit

MM. Orts fils, professeur à l’université de Bruxelles, et Kemmeter, professeur à l’université de Gand, ayant obtenu, le premier 39, le deuxième 45 suffrages, sont proclamés suppléants, le premier pour M. Picard, le deuxième pour M. Molitor.


Doctorat en médecine

MM. Lutens, professeur à l’université de Gand et M. Hubert, professeur à l’université de Louvain, ayant obtenu, le premier 43, le second 42 suffrages, sont proclamés suppléants, le premier pour M. de Block, le deuxième pour M. François.


Candidature en médecine

MM. de Roubaix, professeur à l’université de Bruxelles, et Vaust, professeur à l’université de Liége, ayant obtenu chacun 42 suffrages, sont proclamés membres suppléants, le premier pour M. Lebeau, le deuxième pour M. Frankinet.


Sciences

MM. Meyer, professeur à l’université de Bruxelles et Vanbeneden, professeur à l’université de Louvain ayant obtenu le premier 43, le deuxième 40 suffrages, sont proclames membres suppléants, le premier pour M. Quetelet, le deuxième pour M. Martens.


Philosophie et lettres

MM. Hallard, professeur à l’université de Louvain et Schwartz, professeur à l’université de Liége ayant obtenu chacun 43 suffrages, sont proclamés membres suppléants, le premier pour M. de Cock, le deuxième pour M. Tandel.

Projet de loi établissant un droit sur le débit de tabac

Discussion générale

M. le président. - Le premier orateur inscrit est M. Castiau.

M. Castiau. - Messieurs, dans la séance d’hier, cinq orateurs ont été entendus. Ces cinq orateurs ont tous attaqué le projet de loi, qui n’a trouvé qu’une seule voix pour le défendre, celle de la partie la plus intéressée, celle de M. le ministre des finances. Il me semble, messieurs, qu’il y aurait peu de générosité à continuer la discussion dans cet état de choses. Je voudrais donc savoir s’il ne se trouve pas dans l’assemblée quelque membre qui veuille prendre la défense du projet, et si dans tous les cas l’intention de M. le rapporteur n’est pas de répondre aux nombreuses objections élevées tout à la fois contre le projet du gouvernement et contre le projet de la section centrale.

M. de Mérode. - Je suis inscrit pour le projet.

M. le président. - La parole est à M. de Mérode.

M. de Mérode. - Messieurs, lorsqu’un ministre des finances cherche à équilibrer les recettes et les dépenses, à réparer les brèches faites au trésor de l’Etat, par l’excès d’abandon, de mollesse et d’imprévoyance du passé ; loin de lui rendre sa tâche pénible, loin de le harceler de reproches, d’attaques injustes, de qualifications odieuses données à ses projets au détriment de la chose publique, ceux qui portent au pays un amour tant soit peu raisonné devraient encourager les louables efforts de ce ministre, non pas toujours en adoptant sans réserve ses combinaisons financières, mais en les traitant d’une manière sérieuse, en leur appliquant une analyse sincère, en indiquant les moyens réels de les améliorer ou de les remplacer par d’autres plus favorables et non moins productives. Mais telle n’est pas malheureusement la disposition des esprits. Le dévouement d’apparat aux contribuables est beaucoup plus commun que le dévouement véritable à leurs intérêts. Les épargner dans le présent sans s’inquiéter de leur avenir est un rôle bien plus facile, plus agréable, plus souvent récompensé d’applaudissements aveugles que le rôle contraire, infiniment plus généreux toutefois, quoiqu’il paraisse persécuteur et avide aux yeux de la multitude, trop aisément trompée par les déclarations. On oublie toujours qu’il ne s’agit plus de trésor royal, de sommes arrachées au peuple pour servir le luxe d’une cour fastueuse ou l’esprit de conquête, propres à satisfaire l’orgueil d’un souverain. Notre fisc est un fisc vraiment national. Plus il est réduit, plus la nation est dans l’impuissance, soit de produire des créations d’utilité générale, soit de maintenir ses moyens de défense et d’ordre intérieur, soit de rétribuer convenablement certains fonctionnaires, comme les juges de paix, dont les devoirs sont augmentés, tandis que leurs traitements restent au-dessous d’une équitable rémunération ; en un mot, l’armée, l’ordre judiciaire, les travaux publics, les prisons, les hospices d’aliénées, tout demeure en souffrance, lorsque les ressources pécuniaires de l’Etat manquent à leurs besoins.

S’il est une charge rude et ardue pour le chef du département des finances, obligé de payer tout le monde, c’est assurément de solliciter devant les chambres les moyens de recette équivalant aux dépenses. Que gagne-t-il personnellement à ce labeur ingrat ? Rien certes ! Dès lors, pourquoi la manie de dénigrement outré, sans mesure, sans justice, s’attache-t-elle comme une lèpre pleine d’âpreté sur tout ministre essayant de remplir le trésor public, afin qu’il puisse suffire aux exigences publiques ? Pourquoi ? Parce qu’elle est conforme à une triste faiblesse du cœur humain, la servitude envers la puissance du jour, tantôt prince, tantôt peuple, qu’il faut ménager, flatter ou louer, fût-ce à son détriment, pour gagner ses bonnes grâces.

Après tout, pourtant, le peuple, et par peuple j’entends la généralité des habitants d’un pays, ne recule pas devant les sacrifices qu’on lui demande, quand on en justifie l’emploi. Or, l’emploi que l’on fait chez nous des deniers publics, sauf quelques abus, est légitimé. Il n’est admis qu’après franche et complète discussion. Ainsi, quant à ce qui me concerne, chaque année je réclame contre le déficit de 3,500 mille francs que laisse la recette des chemins de fer ; je sollicite des augmentations de tarif qui réduiraient certainement ce déficit, si les chemins de fer appartenaient à une compagnie et étaient administrés par l’intérêt particulier. Mais quand, après de longs débats, mes observations demeurent stériles, je suis forcé d’admettre des recettes d’autre nature, et parmi les substances propres à les fournir, aucune n’est plus convenable que le tabac exotique et indigène. Vous voulez conduire à perte des voyageurs, des marchandises ; raison ou fantaisie, vous le voulez, je le vois, je dois donc vouloir les moyens de payer ce cadeau, ce bienfait, cette magnificence, peu importe la qualification qu’on puisse appliquer au système admis malgré moi. Le ministre des finances doit accepter nos œuvres. Il n’est pas maître de ne pas en solder le prix. Ne le blâmez donc pas des peines qu’il se donne pour récolter quand vous mangez. Mais ce n’est pas ce que veut la spéculation mercantile. A Anvers, le commerce ne vous parlera que de réduire les prix de transport vers Cologne. Demandez l’impôt possible à prélever sur les objets de consommation venant de l’étranger, demandez de quoi payer ce transport économique, si coûteux pour l’Etat, on se récriera.

Il en sera de même à Liége, où l’on veut l’amélioration de la Meuse, des stations plus multipliées, plus commodes. Pour le obtenir, on invoque tantôt humblement, tantôt hautement l’intervention gouvernementale. S’agit-il de recettes nécessaires à ces dépenses, on reste muet si plutôt on ne crie bien fort. Je sais que quelques représentants veulent réduire l’armée, prélever sur elle tout ce qu’ils donneront ailleurs ; c’est là du moins un système logique, il a l’avantage de ne pas être inconséquent, de ne pas prétendre à la popularité prise de toute main.

Reste à savoir si une agglomération d’industriels, de propriétaires, de cultivateurs, sans force militaire relative à leur nombre, constitue en Europe une nation digne de respect, si ce n’est pas plutôt un sol mis à l’engrais pour le premier occupant, un pays réduit à la condition d’eunuque bien nourri, Pour moi, je recule devant une sorte de bien-être humiliant, je ne me rallie pas au genre de philanthropie par lequel l’Europe méridionale, si elle l’adoptait, deviendrait probablement la proie des cosaques et du despotisme, militairement organisé, qui écrase la Pologne et ne néglige rien de ce qui concerne le premier élément de la puissance chez toute nation.

Hier, M. Osy nous a présenté le tableau le plus agréable de notre situation financière ; elle a fait sans doute certains progrès, cependant voici ce que nous disait, au commencement de cette session, un de nos collègues, dont chacun reconnaît le mérite distingué, et qui, certes, n’est pas le compère du ministère actuel :

« Jusqu’à présent et surtout dans les premières années de notre régime nouveau, nous avons eu, je ne dirai pas des raisons légitimes, mais au moins un motif, une excuse pour ne pas entrer dans une voie financière complètement normale. Nous étions dans la situation d’un fils de famille gêné dans ses affaires qui, ayant un héritage à attendre, croit pouvoir escompter un peu l’avenir. Aujourd’hui le règlement de comptes avec la Hollande est fait. Nous sommes sur un terrain nouveau, dans une phase nouvelle, le moment est venu de nous faire une position de finances normale et régulière.

« La régularité en matière de finance est une vertu toute belge. Il n’est peut-être pas de nation qui, dans la vie privée, pratique plus que le Belge la régularité financière. Tâchons que, dans la gestion des affaires publique, la Belgique porte aussi les vertus de son caractère propre. Portons-y aussi la régularité la plus rigoureuse.

« Si je cherche les causes du découvert qui existe aujourd’hui, j’en trouve surtout cinq qui me frappent ; d’abord, c’est l’évaluation exagérée des recettes ; depuis quelques années on est entré dans un système d’évaluations exagérées et il y a eu de ce chef dans les recettes, comparativement aux évaluations, un déficit de 5 millions depuis deux années seulement. Il faut donc nous montrer sévère désormais dans les évaluations des recettes. Il faut surtout ne pas permettre qu’on évalue les recettes d’après les augmentations espérées dans les revenus, par suite de l’augmentation probable de la prospérité du pays, d’après des espérances que chacun aime à nourrir. Une seconde cause de l’existence du découvert, c’est ce que j’appellerai les crédits supplémentaires, c’est-à-dire les crédits votés après le vote des budgets. En 13 ans il a été voté après les budgets 42 millions de crédits supplémentaires, et combien a-t-on voté d’augmentations d’impôts après les budgets ? Si j’en prends la somme, elle est négative, les diminutions l’emportent au contraire de deux millions sur les augmentations.

« Une troisième cause, selon moi, est l’usage suivi jusqu’à ce jour de voter le budget des voies et moyens avant le budget des dépenses.

« Une quatrième cause, c’est que nous ne nous occupons pas spécialement du déficit qui peut exister ; c’est que dans aucune partie de nos budgets ne figure un article qu’on appelle le découvert le déficit, et qu’ainsi toutes nos lois financières se votent sans qu’il en soit question.

« Enfin, une cinquième cause du découvert, c’est la facilité si séduisante que nous donne la dette flottante. Ce n’est pas seulement comme irrégularité financière que la dette flottante doit nous effrayer, elle doit nous préoccuper surtout en vue du danger extrême qu’elle ferait peser sur nous dans un moment de crise.

« Il faut au pays pour les moments de crise extérieure une réserve en hommes, la réserve de l’armée ; il lui faut des forteresses bien entretenues, il lui faut une réserve d’armes, des arsenaux bien fournis, niais il lui faut de plus et surtout une réserve en écus ; je crois que nous devons pousser de toutes nos forces le gouvernement dans cette voie. »

Voila, messieurs, ce que vous disait, dans la séance du 16 décembre, et dans un discours remarquable qui fut attentivement écouté, l’honorable M. Devaux.

Or, je le demande, est-ce pousser le gouvernement dans la voie si sagement indiquée par l’orateur précité, que de ne chercher dans un impôt modéré prélevé sur une matière de consommation de fantaisie, comme le tabac ; de ne chercher, dis-je, que ses inconvénients, de le comparer aux droits réunis de l’empire, exercés avec la rigueur d’un régime despotique, lorsque la tribune comme la presse étaient muettes et ne pouvaient signaler aucun abus de pouvoir ? Non, c’est au contraire décourager le gouvernement, l’entraver dans l’accomplissement d’un devoir sacré pour lui, du devoir de payer les dépenses par des recettes, et non plus par des bons du trésor et des emprunts, enfin du devoir de former une réserve pour un temps de crise ; car la paix éternelle ne nous est point promise et garantie par la Providence.

On vient aussi reprocher au ministre de poser des questions, de chercher à s’entendre avec la chambre ; mais si, aux difficultés d’une question financière qui déjà réunit contre elle les préventions inhérentes aux mesures fiscales, on joignait encore les difficultés d’un débat politique, il est évident que l’avortement de tout projet utile au trésor public deviendrait inévitable ; car il réunirait constamment contre lui non seulement les adversaires de l’impôt considéré en lui-même, mais encore ceux qui l’approuvent au fonds, mais qui ne voudraient pas que leur vote fût considéré comme une adhésion au cabinet. Un ministre n’est pas un duelliste perpétuel devant tenir toujours au poing l’épée de parti politique et ferrailler sans relâche pour continuer sa vie ministérielle. Quand il présente une loi de finances, il doit songer au trésor qui lui est confié, obtenir ce qui est possible selon la situation des esprits ; et j’ajoute qu’en telle matière ceux qui peuvent prétendre tôt ou tard à un portefeuille, ceux qui ne renoncent point à prendre part à la direction de l’Etat, seraient très imprudents si, pour satisfaire un esprit d’étroite opposition, ils se créaient de futurs et cruels embarras.

Si vous rejetez aujourd’hui un moyen de recette qui, presque partout, figure au premier rang des revenus publics, comment le présenterez-vous à l’avenir, quand vous-même en éprouverez le besoin ? Nos prisons, nos aliénés, nos dépôts de mendicité réclament des subsides nouveaux. Si les malheurs de la partie la plus affligée du peuple vous touchent, sachez que des phrases de philanthrope ne les soulageront pas ; mais bien les ressources financières sociales. Aussi, pour mon compte, je persiste à désirer qu’on les applique à ce genre d’amélioration, et non pas constamment à des stations, à des doubles voies de chemin de fer, un peu plus commodes que les simples voies. Lorsque l’on aura visité la Cambre ou la prison de Tournay et bien d’autres demeures analogues, et même plusieurs casernes, on se convaincra facilement que ceux qui, de temps à autre, attendent à une station de croisement le convoi qui vient en sens inverse, n’éprouvent pas un mécompte bien douloureux ; et, pourtant, cette légère souffrance d’ennui, cette gêne éventuelle des voyageurs ou promeneurs, qui n’empêchent pas l’active exploitation du chemin d’Aix-la-Chapelle à Cologne, excitent bien plutôt la sollicitude que les tortures matérielles du pauvre ouvrier sans travail, obligé de chercher un refuge dans un dépôt de mendiants, ou la démoralisation des enfants de ceux-ci, entassés sans précaution, sans espace suffisant dans ces mêmes réduits.

Voulant donc que la Belgique conserve son armée, améliore ses casernes, ses hôpitaux, ses établissements de répression, facilite l’agriculture à l’aide de petites routes, qui manquent encore à la plupart des communes rurales, j’admets un impôt productif sur le tabac exotique et indigène ; prêt, cependant, à adopter les ménagements nécessaires à l’industrie qui s’exerce sur tous deux.

Si le trésor public n’obtient pas complètement de ce tribut restreint les sommes dont il a besoin pour subvenir aux charges, je suis persuadé que M. le ministre des finances peut trouver encore d’autres ressources, par exemple, dans un droit de succession même en ligne directe appliqué aux héritiers uniques. Lorsqu’un héritage n’est pas sujet à division, que le mort saisit immédiatement le vif, il est clair que celui-ci peut payer une taxe à l’Etat, une taxe assez forte même, puisqu’il jouit seul de la fortune de ses parents, qu’il ne subit aucun embarras, aucun frais d’estimation de lots à former.

J’entends dire souvent : Prenez où il y a de quoi prendre. Eh bien nulle part on ne trouve plus que chez l’unique héritier dont la condition est hors ligne, comparée à celle de l’héritier multiple, souvent exposé à des frais de justice lorsqu’il se trouve en partage avec des mineurs.

Rien n’empêcherait non plus qu’on fît solder une taxe de soixante francs pour leur première voiture, aux personnes qui tiennent équipage, indépendamment de ce qu’elles payent pour leurs chevaux. Je n’attache pas une majeure importance au bénéfice fiscal qui en résulterait ; néanmoins prenant un peu de divers côtés on finit par obtenir plusieurs centaines de mille francs, sans trop pressurer les uns et les autres. Mais lorsqu’un particulier dépense pour le public, en fêtes, en grandes réunions de société, il faut bien se garder de crier au luxe et d’imposer sa magnificence, car elle profite à une multitude d’ouvriers et d’ouvrières de ville qui attendent de là leur salaire, leurs moyens de vivre, comme je l’ai trop bien appris pendant l’hiver qui suivit la révolution de 1830.

M. Castiau. - Messieurs, je le reconnais avec l’honorable préopinant, c’est une tâche difficile et fâcheuse pour un ministre des finances de présenter des projets de loi qui ont pour effet d’aggraver les charges publiques. Mais plus cette tâche est difficile et pénible, et plus il importe que le fonctionnaire qui dirige le département ne s’y résigne qu’autant qu’il y soit poussé par la plus impérieuse, par la plus irrésistible des nécessités.

Un orateur, messieurs, vous a dit hier en commençant son discours : « Les lois de finances sont des lois de confiance. »

Le vote de ces lois est un vote de confiance. Ces prémisses posées, je croyais que l’honorable orateur auquel je fais allusion, serait arrivé aux conséquences qui découlaient naturellement de ces prémisses ; je croyais qu’il allait prendre prétexte de cet exorde pour examiner toute la politique ministérielle, pour voir si dans tous les actes du ministère il ne s’en trouvait pas qui justifiassent ce refus de confiance qui semblait devoir être dans sa pensée. J’avais cru un instant, pour tout dire, que la question politique allait faire évanouir devant elle la question fiscale.

Malheureusement, il n’en a rien été. Des prémisses ont été proclamées ; les conséquences ont été négligées. On a posé ou plutôt on a indiqué en quelque sorte la question de confiance, la question ministérielle ; puis on s’est empressé de passer à côté de cette question et de se réfugier dans l’examen de la question fiscale.

Je regrette, messieurs, que cet honorable orateur ne soit pas resté sur le terrain où il semblait s’être placé de prime abord ; je le regrette, parce que l’occasion était favorable pour se livrer à l’analyse, à l’examen des actes du gouvernement, pour trouver dans le projet qui nous était soumis de nouveaux griefs à faire valoir à l’appui des griefs de toute nature qu’il pouvait invoquer contre le ministère.

Car on vous l’a déjà dit : Dans ce projet de loi et dans cette discussion nous retrouvons le caractère d’imprévoyance et de contradiction reproché déjà cent fois au gouvernement. Et ce n’est pas sur M. le ministre des finances seulement que doit retomber la responsabilité de ces contradictions. On a été sévère, messieurs, pour M. le ministre des finances dans la séance d’hier, on s’est efforcé impitoyablement de le mettre en contradiction avec lui-même. On a oppose à ses opinions de 1838 les opinions qu’il défendait en ce moment. Mais M. le ministre des finances n’était pas seul responsable de ces contradictions ; le reproche devait retomber, et avec autant de raison, sur le cabinet tout entier. Car c’est le cabinet qui, dans cette circonstance, se trouve en contradiction formelle avec les promesses qui nous avaient été faites au commencement de la session, le jour même de son ouverture et dans cette enceinte.

Si vous consultez vos souvenirs, vous vous rappellerez, messieurs, que des promesses et des promesses solennelles avaient été faites dans cette enceinte. Notre situation financière avait été présentée dans le discours du Trône, sous le jour le plus favorable. Les assurances les plus heureuses et les plus séduisantes nous étaient données. On nous disait que l’on parviendrait à rétablir l’équilibré entre les recettes et les dépenses du trésor, que 1’on parviendrait à rétablir cet équilibre en ménageant les intérêts du contribuable. On nous disait qu’on y parviendrait par des réductions sur les dépenses et subsidiairement par des combinaisons financières qui devaient nous être soumises par M. le ministre des finances.

Voilà, messieurs, les promesses qui nous avaient été faites. On devait ménager l’intérêt des contribuables ; on devait arriver à rétablir l’équilibre par des réductions sur les dépenses. Comment ces promesses sont-elle été tenues ?

A quelques jours de là M. le ministre des finances vous présentait son projet de budget. Dans ce projet M. le ministre nous signalait un déficit qu’il était nécessaire de couvrir. Cependant il rassurait en même temps ceux qui comptaient sur l’exécution des promesses du discours du Trône, il annonçait qu’on ferait face facilement à ce déficit en faisant rentrer au trésor les sommes qui en étaient détournées par la fraude, et en apportant de légères modifications à des droits d’accises et de douanes ; modifications tellement légères, vous disait-on, qu’elles seraient à peine perceptibles pour les consommateurs.

Comment, messieurs, toutes ces promesses, toutes ces assurances ont-elles été tenues ? Comment M. le ministre des finances lui-même a-t-il répondu à l’engagement qu’il avait pris lors de la présentation de son budget, d’apporter une extrême réserve dans les propositions qu’il voulait vous soumettre ? C’est, messieurs, en vous présentant le projet de loi qui vous est soumis en ce moment. Et il faut ici en revenir au projet primitif pour caractériser, comme il convient, cette déplorable combinaison financière.

Ce projet de loi avait pour effet de frapper d’un droit équivalant à une sorte de confiscation l’industrie et la culture des tabacs. Ce projet de loi avait même pour but d’interdire la culture du tabac. Car il fallait une autorisation préalable, et il était bien entendu que si on avait le droit de l’accorder, on avait aussi celui de le refuser.

Le projet primitif allait plus loin encore ; car il déclarait que la culture du tabac ne pourrait avoir lieu que sur des parcelles de terrain d’une étendue inférieure de 15 ares. C’était la prohibition de la petite culture, de la culture des classes ouvrières.

Et à la suite de ces exagérations financières, de ces prohibitions, de ces atteintes à l’industrie, au commerce, à l’agriculture et à la propriété, arrivait l’exercice ; l’exercice avec toutes ses rigueurs, avec toutes ses tracasseries, et toutes ses intolérables vexations ! l’exercice qui, ainsi qu’on vous l’a dit hier, devait s’étendre sur la population tout entière.

A l’occasion de ce projet de loi, messieurs, le mot de droits réunis a été prononcé dans cette enceinte. On s’est récrié contre cette expression. On a prétendu qu’on abusait des mots, que l’on voulait exhumer je ne sais quel épouvantail, pour soulever les préventions populaires. Eh bien, je trouve que l’expression était encore au-dessous de la vérité, et qu’il aurait fallu une expression plus énergique pour l’appliquer au projet primitif du gouvernement.

La régie des tabacs en France est sans doute un fait violent et brutal, parce qu’il consacre la dépossession d’une industrie en faveur du gouvernement. Mais ce fait accompli, du moins la nation et le pays échappent aux atteintes oppressives de la fiscalité. Ici on nous laissait une liberté, mais une liberté qui aurait été plus dure et plus vexatoire que le monopole lui-même. Car cette liberté, il fallait la payer par des vexations, par des tracasseries de toute espèce, par des surveillances de tous les instants. Il fallait la payer par le droit d’exercice qui devait peser de tout son poids et de toute son iniquité sur la production, sur les fabricants et les débitants, toutes les provinces, sur tout le pays, sur toutes les classes et sur toutes les familles ; car, sous le prétexte de rechercher la fraude, on aurait pu, insolemment, violer tous les domiciles.

Messieurs, qu’est-ce donc qu’il y avait de si odieux dans l’institution des droits réunis ? Qu’est-ce donc qui avait soulevé contre cette institution les répugnances populaires ? Mais c’est précisément ce droit d’investigation, cette intervention des agents de la fiscalité dans les affaires privées et dans le domicile des citoyens ; c’était cette violation du domicile, cette visite de tous les instants, cette inquisition fatigante qui avaient soulevé et irrité tous les pays et toutes les classes contre ce régime odieux.

Eh bien, ce qu’il y avait de plus odieux dans l’institution des droits réunis se trouvait aggravé encore dans le projet primitif qui nous a été soumis. Car, je le répète, ce projet avait pour effet de faire peser une inquisition universelle, une perpétuelle menace de violation de domicile, non seulement sur les planteurs, sur les fabricants et les débitants de tabacs, mais encore sur les classes étrangères à cette industrie, lorsqu’on aurait pu supposer l’existence de débits frauduleux.

Aussi, vous savez quel accueil a été fait à ce projet ; quels soulèvements, quelles résistances il a provoqués !

La section centrale a senti le besoin d’en modifier le caractère exorbitant et impopulaire, et M. le ministre des finances lui-même s’est empressé de déserter des combinaisons qui, dans l’intérêt de son caractère et dans l’intérêt du gouvernement, n’auraient jamais dû être soumises à l’examen des chambres.

Mais, quelque modifié que soit le projet dans les conclusions de la section centrale, je ne crois pas moins de mon devoir de le repousser, et de le repousser d’abord d’une manière absolue par la question préjudicielle qui a déjà été tracée devant vous, par l’examen de notre situation financière.

Et c’est ici que se place naturellement la réponse que je dois aux principales observations de l’honorable comte de Mérode, qui a voulu vous prouver la nécessité pour nos finances, de recourir à des moyens extraordinaires et à l’adoption pure et simple du projet, pour combler le déficit qu’il pense exister dans les caisses du trésor. C’est M. le ministre lui-même qui a fait l’évaluation de ce déficit dans l’exposé des motifs du budget des finances. Il évaluait alors à près de trois millions ce déficit annuel. Mais, ainsi qu’on vous l’a fait remarquer déjà, dans le déficit et dans les dépenses qui devaient l’entraîner, se trouvaient des dépenses qui n’offraient aucun caractère permanent. La plupart des dépenses, à l’exception du traitement de la magistrature, qui figurait dans l’évaluation ministérielle, avaient un caractère purement temporaire. Il était donc parfaitement inutile de recourir à des impôts permanents et réguliers pour faire face à des charges qui ne devaient pas tarder à disparaître.

Ce déficit, quel qu’il fût, permanent ou temporaire, était, ainsi qu’on vous l’a fait remarquer déjà, couvert et au-delà, par les ressources extraordinaires mises depuis le commencement de nos travaux, à la disposition du gouvernement. Déjà l’on vous a cité la loi sur le sel, la loi de conversion, les droits différentiels, les revenus du chemin de fer perdant le premier trimestre de 1844. Je citerai à mon tour les produits des impôts indirects et surtout des droits de succession qu’on prétend singulièrement augmentés pendant les deux mois qui viennent de s’écouler. Le fait est-il vrai ? C’est à M. le ministre à le déclarer mais s’il est vrai, pourquoi ne pas venir nous l’annoncer et s’obstiner à nous présenter sous de sombres couleurs une situation financière qu’on nous présentait comme si favorable au début de la session ?

Ensuite, messieurs, et alors même qu’on viendrait établir qu’il existe d’autres dépenses nécessaires et impérieuses telles que quelques-unes des dépenses dont vient de parler l’honorable M. de Mérode, dépenses relatives aux prisons et aux hospices, dépenses auxquelles je m’associe de tout cœur, eh bien, alors encore se présentait le projet indiqué non par des membres de l’opposition, mais par le gouvernement, par le cabinet lui-même, le projet d’opérer des réductions dans nos dépenses. Cette promesse, je le répète, se trouvait dans le discours d’ouverture.

Quelles sont donc les réductions de dépenses dont le gouvernement entendait parler ? Sur quoi voulait-il faire porter ces réductions ? S’agissait-il de l’état-major beaucoup trop nombreux et trop chèrement rétribué du chemin de fer ? Est-ce sur l’armée que devaient retomber les réductions promises ? C’est ce que nous ignorons. Mais enfin, des promesses ont été faites, elles ont défaites d’une manière solennelle ; il faut bien que nous sachions aujourd’hui ce qu’elles sont devenues et si l’on entend ou non les remplir.

Tout cela fût-il insuffisant, fallait-il encore créer pour le trésor d’autres ressources, pourquoi ne pas s’en tenir aux moyens indiqués par M. le ministre lui-même ? Pourquoi M. le ministre des finances a-t-il abandonné son premier projet, de faire rentrer d’abord au trésor les sommes qu’il disait en être détournées par la fraude ? M. le ministre des finances nous a souvent parlé du sentiment du devoir qui l’anime ; mais ce devoir, si des sommes sont en effet détournées du trésor par la fraude, son devoir n’est-il pas de réprimer la fraude avant de jeter la perturbation dans les intérêts industriels et agricoles ? N’était-ce pas là pour lui la première et la plus impérieuse des obligations ? On a parle des fraudes commises dans la perception des droits de succession, dans la perception de la contribution personnelle, on nous a annoncé des projets de lois sur ces matières. Que sont donc devenus ces projets de lois qui devaient avoir le pas sur tous les autres ? Sur tous ces points, messieurs, je désire que M. le ministre des finances veuille bien nous donner une réponse et justifier, s’il est possible, les inconséquences et les contradictions qu’on lui reproche.

Mais, messieurs, ce n’est pas seulement pas ces moyens préjudiciels et des fins de non-recevoir que j’entends combattre le projet de loi en discussion ; j’entends le combattre d’une manière absolue, parce que j’en repousse le principe autant que les crédits d’exécution.

On vous l’a dit, messieurs, l’impôt proposé aura pour effet de peser sur la consommation. Je sais bien qu’avant d’atteindre le consommateur il anéantira une industrie florissante, et portera la plus grande atteinte aux intérêts agricoles, mais, en définitive, lorsque l’agriculture et l’industrie auront été frappées par la loi, il y aura nécessairement renchérissement du tabac, et par suite une charge nouvelle pour la consommation.

Eh bien, j’ai déjà eu, à diverses reprises, l’occasion de combattre l’établissement de taxes sur la consommation.

J’ai déjà déclaré que ces charges sont iniques en principe et odieuses dans leurs moyens d’exécution. Elles sont iniques en principe, car elles réclament la somme d’impôt pour une même quantité de produit consommés, quelle que soit la position de l’individu qui consomme, qu’il soit riche ou pauvre, millionnaire ou simple ouvrier. Elles sont odieuses dans leurs moyens d’exécution, parce qu’elles ne peuvent être perçues qu’à l’aide de ces vexations de l’exercice qui répugnent à nos mœurs et à nos droits ; elles sont encore odieuses parce qu’elles traînent à leur suite en permanence la fraude, la contrebande et la démoralisation.

Et ici, messieurs, l’impôt de consommation qu’on nous propose répugne d’autant plus à mes sympathies qu’il porte sur un objet de consommation, répandu surtout parmi les classes inférieures. A cet égard, je m’associe aux paroles énergiques et chaleureuses prononcées dans la séance d’hier par notre honorable collègue. M. Verhaegen. C’est encore sur les classes inférieures, c’est sur les classes ouvrières que va retomber presque toute la charge de l’impôt proposé. Il s’agit d’un produit qui, pour le riche, était naguère un objet de dédain, qui n’est pour lui aujourd’hui que l’objet d’un caprice d’un jour, mais qui, pour les classes inférieures, est devenu un objet d’impérieuse nécessité, qui pour elles est placé en quelque sorte sur la même ligne que la nourriture et le pain. L’impôt que l’on propose frapperait donc encore une fois les classes inférieures, alors qu’il épargnerait les classes riches, celles qui, en raison et en justice, devraient supporter la plus large part de tous les impôts, puisque seules elles peuvent les payer avec leur superflu.

M. le ministre des finances a cru renverser toutes ces objections en disant que le consommateur ne se plaignait pas. Le consommateur ne se plaint pas : mais qui donc l’atteste ? Le consommateur ne se plaint pas ! Et quand il vous est arrivé une pétition par laquelle on vous demandait la suppression des droits indirects et le remplacement de ces droits par une capitation proportionnelle à la fortune, cette pétition n’a pas même eu les honneurs d’une discussion ; elle a été repoussée par l’ordre du jour. Les consommateurs ne se plaignent pas ! Mais attendez donc que votre loi soit mise à exécution, attendez que le renchérissement du tabac soit arrivé ; attendez que la loi ait déployé tous les moyens de vexation et d’arbitraire, qu’elle ait écrasé une industrie réservée à un brillant avenir, qu’elle ait dépouillé l’agriculture de l’une de ses principales ressources, qu’elle ait amené la clôture de nos fabriques et la suspension des travaux des ouvriers qui en vivent, et alors peut-être l’explosion du mécontentement universel sera telle que toute la puissance gouvernementale de nos six ministres ne parviendra pas à l’étouffer et qu’ils se briseront contre l’irritation générale.

Si aujourd’hui les consommateurs ne se plaignent pas, ainsi que l’annonce M. le ministre, il en est qui se plaignent vivement et avec justice : ce sont les industriels, qui seront les premiers frappés par les dispositions spoliatrices de la loi. Ceux-là se sont plaints parce qu’il s’agit de leur industrie, d’une question de vie ou de mort, et la question conserve ce caractère malgré les légères modifications introduites dans le projet par la section centrale. Quoique le droit ail été réduit de 5 fr., il est encore tellement exagéré, qu’il aura pour effet d’écraser l’industrie et la fabrication du tabac, qui n’existe surtout que par la facilité des exportations.

Je sais, messieurs, que l’on a prétendu qu’avec l’augmentation du droit, l’industrie du tabac allait se trouver dans la position où elle se trouvait en 1839 et 1840. « Le prix du tabac, a-t-on dit, en y joignant le droit nouveau, ne sera pas plus élevé qu’il ne l’était alors. » Mais, messieurs, si la cherté du tabac existait pendant ces deux années, elle n’était pas limitée à la Belgique, elle s’étendait à tous les pays de production.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Pas dans les limites de la régie.

M. Castiau. - La régie n’a rien à faire ici. Le prix du tabac, même dans la zone la plus rapprochée de la frontière belge, était encore tellement élevé, qu’il excédait toujours les prix du tabac belge. Mais il ne s’agit pas de la France, il s’agit ici de la Hollande et de l’Allemagne, des pays qui pouvaient nous faire concurrence : je dis que ces pays se trouvaient alors dans la même position que la Belgique ; le tabac était aussi cher pour eux que pour nous. Maintenant qu’allez-vous faire ?

Vous allez grever le tabac belge d’un droit de 40 fr., d’un droit égal à la moitié de la valeur du produit ; mais les nations où le tabac ne sera pas grevé de ce droit, la Hollande, l’Allemagne n’auront-elles pas la préférence ? notre industrie pourra-t-elle soutenir la concurrence comme en 1839 et 1840 ? Votre loi renversera donc l’industrie belge au profit de l’industrie hollandaise et au profit aussi du monopole français. Et qu’on ne vienne pas prétendre qu’on remédiera à tous les inconvénients signalés par les industriels, en restituant à l’exportation les droits perçus à l’entrée. C’est là le remède indiqué par le projet de loi ; mais, il faut bien le dire, ce remède serait cent fois pire que le mal lui-même.

Si vous adoptez en effet le système de la restitution du droit à la sortie, le système des primes d’exportation, qu’arrivera-t-il ? C’est que vous verrez reparaître les abus qui ont contraint le gouvernement de supprimer la prime d’exportation pour le sucre exporté par les frontières de terre. Vous verrez les primes d’exportation devenir des primes de contrebande, vous verrez passer et repasser sans cesse les mêmes ballots de tabac comme jadis on voyait passer et repasser les mêmes caisses de sucre, et le trésor, au lieu de profiter de l’impôt, finira par payer en primes d’exportation beaucoup plus qu’il ne percevra. Du reste, on sait très bien que les primes d’exportation ne pourraient être accordées au commerce dont il s’agit, et dès lors ces primes d’exportation sont un véritable leurre ; ces primes ne pourront, dans aucun cas, recevoir d’application ; car elles ne pourraient s’appliquer qu’à des transports de 50 kilog. de tabac, et elles entraîneraient des formalités incompatibles avec les moyens suivis en ce moment pour l’exportation d’une partie des produits de cette industrie. C’est donc, ainsi que je le disais, un véritable leurre, et rien de plus.

Maintenant, messieurs, que l’industrie belge des tabacs est placée ainsi par l’impôt, dans l’impossibilité de soutenir la rivalité de l’industrie étrangère, qu’arrivera-t-il de notre agriculture, qui mérite bien aussi la sollicitude de la chambre ? Mais elle est atteinte du même coup ! Vous frappez l’agriculture d’un droit évalué à 372 fr. par hectare.

Et bien ce droit est un droit véritablement prohibitif, c’est une sorte de confiscation. C’est pour le cultivateur l’impossibilité de se livrer désormais à cette culture ; car dans l’état actuel des choses, le cultivateur a peine à faire face aux frais de toute nature auxquels il est astreint, frais de culture, d’engrais, de fermage etc. ; déjà cette culture languit et dépérit chaque jour ; l’impôt sera pour elle le coup de grâce. Comment encore une fois le cultivateur pourrait-il payer au fisc une somme de près de 600 fr. à l’hectare ?

Eh remarquez-le, messieurs ce n’est pas seulement le droit de 600 fr. qu’on exige, le fisc ne se paie ni de promesses ni d’espérances, il lui faut quelque chose de plus assuré, Il y a ici une suspicion qui plane sur les cultivateurs ; il faut, pour satisfaire aux désirs insatiables de la fiscalité, que le cultivateur vienne déposer un cautionnement préalable de la somme qui serait payée pour le droit.

M. le ministre des finances a beaucoup parlé de la facilité qu’aurait le cultivateur à trouver un cautionnement de 500, 1,000, 1,500 fr. pour un ou trois hectares de tabac cultivé. Ceci pourrait être facile pour le cultivateur propriétaire ; mais pour le cultivateur fermier qui peut à grand’peine faire face aux frais de culture et de fermage, qui est presque toujours endetté, qui ne peut payer qu’avec le produit de sa récolte, qui est obligé d’attendre la vente de sa récolte pour rentrer dans ses fonds, il y aura là pour lui une impossibilité matérielle contre laquelle se briseront tous les efforts de son activité.

On aura la ressource des cautions personnelles, me dit M. le ministre des finances, mais nous sommes dans un siècle où de semblables services se rendent assez difficilement. D’ailleurs, la fiscalité, de son côté, apporte assez de rigueur dans l’acceptation de ces cautions personnelles. On n’aime guère à entrer sur tous ces points en conflit avec elles.

La crainte de la responsabilité écartera les cautions personnelles ; et l’on peut assurer d’avance que si l’on en trouve, elles seront presque toutes impitoyablement repoussées par les agents de la fiscalité.

Si jamais le cultivateur parvient à trouver un cautionnement, alors seulement commencera la série de vexations auxquelles il sera en lutte depuis le jour de la plantation jusqu’au jour de la vente de sa récolte : déclaration préalable, plantation, écimage, destruction des plantes-mères, dénombrement des feuilles, pesage du tabac, pesages aux recensements, prises en charge, visites domiciliaires, que sais-je ? On veut, en quelque sorte, transformer tous les cultivateurs en négociants ; bientôt on les obligera à tenir des livres, et à les tenir en partie double, quand malheureusement l’expérience vient démontrer qu’une moitié peut-être de nos fermiers, privée d’éducation, ne pourra pas même contrôler les déclarations des employés.

Voilà plus qu’il n’en faut, ce semble, pour prouver que le projet de loi aura pour effet de porter une atteinte aussi grave aux intérêts agricoles qu’aux intérêts industriels. Il sera matériellement impossible aux fermiers de payer un droit aussi exorbitant que celui dont il est question en ce moment : il ne pourra non plus trouver une caution personnelle ; les dernières formalités conservées dans le projet de la section centrale suffiront pour jeter le dégoût dans les campagnes, et enlever à l’agriculture la ressource qu’elle trouvait pour ses assolements, dans la culture du tabac.

Et quand l’agriculture aura abandonné la culture du tabac et que l’industrie, qui l’exploite, sera ruinée, que deviendront alors les trois millions rêvés par M. le ministre des finances ? Je crains bien, en vérité, que ces 3 millions ne s’évanouissent en fumée comme la matière qui est l’objet de la loi en discussion.

En effet, M. le ministre des finances oublie dans cette circonstance un des premiers principes de l’économie politique, pratique. C’est que l’exagération des taxes a pour effet de resserrer la consommation, et partant d’en diminuer le revenu.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Oui, quand il y a exagération ; mais ici il n’y a pas excès.

M. Castiau. - Il n’y a pas exagération ! Mais l’exagération ne résulte-t-elle pas des longues explications que je viens de donner ? Il n’y a pas exagération ? Mais le droit qu’on veut établir surpasse la moitié de la valeur du produit qu’on veut imposer ! Et ce n’est pas de l’excès ! Je prétends que c’est là plus que de l’exagération, c’est une véritable confiscation ; je prétends que c’est là un abus révoltant, que c’est l’atteinte la plus violente portée à la propriété de l’industrie. Je dis qu’il est profondément inique d’établir un impôt égal à la moitié de la valeur de l’objet imposé. Messieurs, quand il s’agit de l’expropriation de la moindre parcelle de terre pour cause d’utilité publique, il faut l’intervention de la loi et des juges ; il faut des expertises et des indemnités préalables, et ici vous iriez confisquer une industrie et une branche importante d’agriculture sans indemnité et sans transition, et vous viendriez dire qu’il n’y a pas excès ! Moi je répète que c’est un abus intolérable, que c’est un attentat contre la propriété de l’industrie, et qu’il est de la dignité et de la justice de la chambre de le repousser avec vigueur et unanimité.

Je reviens, messieurs, à la pensée que je développais, quand j’ai été interrompu par M. le ministre des finances. Je disais que la taxe dont on veut frapper à la fois et le tabac indigène et le tabac étranger aurait pour effet de rendre à peu près nul le produit que M. le ministre des finances espère.

Ce qu’il restera de la taxe, sera absorbé par les frais de perception et les dépenses du nouveau personnel qu’il faudra créer. M. le ministre des finances a, cette fois, par trop réduit dans ses prévisions les frais de cette perception. Si je ne me trompe, il est allé jusqu’à prétendre, au sein de la section centrale, que cette dépense n’excèderait pas 2 p. c. Eh bien, il est encore un fait démontré, avec l’évidence des chiffres, c’est que les frais de perception des impôts indirects qui exigent une surveillance aussi compliquée s’élèvent, dans tous les pays, de 20 à 25 p. c.

M. le ministre des finances s’est ingénié à soutenir que les employés qui surveillent aujourd’hui l’accise sur les sucres, pourront être détournés de cette occupation (qui les retient seulement pendant quelques mois de l’année) et être préposés à la surveillance de l’accise sur le tabac.

Mais M. le ministre des finances a oublié que la surveillance de l’accise sur les tabacs est une surveillance de tous les jours de l’année ; car elle s’étend à la fois à la culture, à la fabrication et au débit. Est-ce que les quelques employés préposés à l’accise du sucre pourraient jamais surveiller tous les planteurs, les 1,200 fabriques qui existent et les 14,000 débits qu’on compte dans ce pays ? Est-ce qu’ils pourraient suffire pour cette opération du recensement général des tabacs existants en Belgique en ce moment, opération qui devra comprendre non seulement tous les magasins et les entrepôts, mais toutes les habitations où l’on supposera des dépôts frauduleux de tabac ?

Il faudrait presqu’autant d’employés qu’il y a de consommateurs, car le tabac pourra disparaître des magasins, et s’éparpiller dans le pays tout entier avant l’exécution de la loi. Comment atteindre la fraude industrielle ? Une armée, une nuée d’employés ne pourrait y suffire ; et les trois millions expirés parviendraient à peine à solder cet innombrable personnel.

Et puis, il y a encore une chose que M. le ministre des finances n’a pas fait entrer en ligne de compte c’est la fraude qui sera le résultat inévitable de la loi et qui se jouera de la surveillance de la fiscalité. Cette fraude, vous ne pouvez pas l’atteindre ; cette fraude existera, quelles que soient les mesures de précaution que vous preniez ; elle s’exercera d’abord sur les frontières ; les nations voisines qui ne seront pas grevées de la taxe qu’on nous propose aujourd’hui, viendront nous inonder de leur tabac.

Puis la fraude s’exercera dans l’intérieur du pays et pour la culture elle s’exercera à chaque pas et, à chaque moment, elle s’exercera avant le dénombrement des feuilles, au moment de l’écimage, lors de la destruction des plantes-mères, lors du pesage ; elle s’exercera sans cesse, et toujours elle se produira sous toutes les formes, et fera le désespoir de la fiscalité et de ses agents les plus actifs.

Et ici, c’est encore l’autorité de l’expérience que nous invoquons à l’appui de nos prévisions.

En France, avant l’adoption du régime du monopole, on s’était prononcé pour le régime que M. le ministre des finances voudrait imposer à la Belgique. On avait essayé du régime des taxes avec toutes les mesures de surveillance que M. le ministre des finances vient proposer. Eh bien, quel résultat ce régime a-t-il produit ? C’est que la fraude a été tellement active, les contestations ont été tellement nombreuses, qu’on a été placé dans l’alternative, ou d’abandonner ce régime, ou d’en arriver au monopole. C’est ce qu’atteste un ancien ministre des finances de France, M. Humann. Voici les paroles de ce fonctionnaire, prononcées dans la séance de la chambre des députés du 5 janvier 1835 :

« Messieurs, j’ai eu connaissance de ce qui s’est passé sous le régime des taxes. J’ai examiné les réclamations sans nombre, les procès sans fin auxquels avait donné lieu ce régime. C’est, pour ainsi dire, en désespoir de cause que Napoléon établit le monopole ; il ne l’établit qu’après de longs débats au conseil d’Etat. Or, si le gouvernement impérial, dans sa toute puissance, n’a pu laisser subsister le régime des taxes, vous étonnerez-vous, messieurs, si nous vous demandons la conservation du monopole ? » (Humann, séance du 5 janvier 1835.)

Quant à moi, je ne veux ni du régime des taxes, ni du régime du monopole vers lequel le régime des taxes est un acheminement inévitable. Je repousse donc le projet de loi qui nous est soumis. Je le repousse d’une manière absolue. Je le repousse au nom de l’industrie qu’il doit frapper de mort. Je le repousse au nom de l’agriculture qui verrait s’échapper l’une de ses principales ressources. Je le repousse surtout au nom et des classes inférieures et des consommateurs sur lesquels retomberait la charge nouvelle qu’il s’agit d’établir aujourd’hui.

Qu’il me soit permis, en terminant, d’invoquer une dernière autorité, celle de la constitution elle-même.

Notre constitution voulait la révision de nos lois financières ; elle avait déclaré qu’on aurait à s’en occuper immédiatement.

Le devoir de M. le ministre des finances, ce devoir si souvent invoqué par lui, était donc de préparer cette révision et de changer les bases désormais condamnées de notre système actuel des taxes publiques. Jusqu’ici rien ne nous annonce qu’on ait seulement mis à l’étude cette question de réforme ; loin de là. M. le ministre des finances va maintenant prendre dans les diverses combinaisons financières qui nous régissent les combinaisons les plus désastreuses pour les aggraver encore. Il est temps d’en finir avec ces tendances d’immobilité et de routine et de répartir d’une manière plus équitable la charge des taxes publiques.

Vainement, a-t-on répété, à diverses reprises, que le tabac était une matière imposable, qu’elle devait payer sa dette à l’Etat. On a répondu, vingt fois déjà, que le tabac, le tabac indigène surtout, supportait, à l’aide de l’impôt foncier, sa part des charges publiques.

N’est-il pas, d’ailleurs, d’autres matières imposables, plus facilement et plus équitablement imposables que le tabac ? L’honorable M. de Mérode vient de vous en citer quelques-unes et d’indiquer pour le trésor de nouvelles ressources. Cet appel ne sera-t-il donc pas entendu des chambres et du gouvernement, il vous a parlé des droits qu’on pourrait établir dans certains cas sur les successions en lignes directes, du droit dont on pouvait frapper les voitures de luxe.

Qu’on développe cette pensée, qu’on entre dans cette voie, et l’on trouvera encore bien d’autres matières imposables, les chevaux et les domestiques mâles, qui ne sont pas assez fortement imposés, les livrées, les armoiries, les glaces, la vaisselle d’argent, que sais-je enfin, toutes les manifestations de la vanité, de la richesse et du luxe.

C’est là, c’est au revenu et au luxe qu’il faut s’adresser maintenant, Et qu’on ne nous réponde pas, comme toujours, que ce sont là des idées théoriques irréalisables ; ce sont, au contraire, des systèmes éprouvés par l’expérience et adoptés dans divers pays, même dans des pays soumis à l’absolutisme. Comment donc, ce système ne serait-il pas enfin tenté chez un peuple soumis à l’égalité civique, et où chacun devrait subir les charges financières de l’Etat en proportion de ses facultés et de ses richesses ? Marchons donc enfin, marchons résolument à la réalisation de ces réformes aussi utiles qu’équitables. Ne craignons pas de suivre l’exemple de l’Angleterre, qui semble appelée à nous devancer dans la voie des reformes financières, comme elle nous avait d’abord devancée dans la voie des réformes politiques.

Si en Angleterre on est parvenu à demander chaque année au luxe 26 millions, et au revenu plus de 100 millions, on pourrait, ce me semble, en Belgique, dégrever, sinon faire disparaître quelques-uns des impôts les plus impopulaires, tels que l’impôt sur le sel qui est bien autrement odieux encore que celui qu’on veut mettre sur le tabac, en demandant quelques millions au luxe, au revenu, à l’opulence.

M. de Corswarem, rapporteur. - Messieurs, la tâche de vous présenter son rapport, qui m’a été imposée par la section centrale, a été bien lourde pour moi. Je me suis trouvé dans l’obligation de devoir traiter une matière qui m’était complètement étrangère. J’ai dû commencer par en étudier les premiers éléments, et lorsque j’ai cru les avoir compris, je ne me suis attaché qu’à les expliquer le plus clairement et le plus simplement qu’il m’a été possible. J’espérais avoir à peu près atteint ce but, mais j’étais en erreur, je m’étais flatté sans raison. La manière dont plusieurs dispositions du projet de loi ont été interprétées par quelques honorables membres de cette assemblée, prouve que je n’ai pas réussi à me faire comprendre. Quelque peu encourageant que ce début soit pour moi, j’aurai pourtant le courage de remplir jusqu’au bout ce que je regarde comme mon devoir. Ce courage, je le puise dans ma conviction profonde, je le puise dans mon amour pour la justice et le bien-être de mon pays, Je le puise encore dans l’attention toute particulière avec laquelle tous les honorables membres de la section centrale ont examiné le projet et dans la sincérité consciencieuse avec laquelle chacun d’eux a cru à son vote.

Je dois convenir que j’ai été bien péniblement surpris d’entendre, à l’ouverture de la discussion, en demander la clôture. Refuser de discuter un projet de loi de cette importance, eût été, à mon avis, une véritable inconvenance, eût été dire à la nation que dès que nos travaux commencent à nous fatiguer nous préférons donner notre temps à nos loisirs ou à nos affaires particulières, plutôt qu’à ses intérêts,

La chambre, heureusement, ne s’est pas fourvoyée en prenant la fausse voie dans laquelle on voulait l’engager à entrer ; elle a prouvé que, quelle que soit la lassitude qui l’accable, elle est toujours disposée à donner tous ses soins aux intérêts du pars, et il est satisfaisant de voir qu’elle se maintient dans ces dispositions, seules dignes d’elle, pour examiner avec la plus grande attention toutes les dispositions essentielles du projet important soumis à ses délibérations.

On a été mal venu à vouloir étouffer la discussion sous le vain prétexte que le projet de loi n’était que le renouvellement des droits réunis de l’empire. Je prie les honorables membres qui lui ont si légèrement donné cette qualification, de vouloir être bien persuadés que dans la section centrale il ne s’est trouvé aucun membre qui n’eût, pour le rétablissement des doits réunis, autant d’aversion que qui que ce soit de toute l’assemblée.

Je prie encore ces honorables membres de vouloir être bien persuadés que la majorité de la section centrale n’a fait présenter à la chambre que le résultat de délibérations longues et consciencieuses : résultat qu’elle croit ne devoir atteindre qu’un but juste et équitable.

Quelles preuves plus convaincantes de l’intention de cette majorité peuvent être fournies que le travail matériel élaboré par elle ? Elle s’est réunie dix-neuf fois. Dans les dix-neuf séances elle a fait des observations qui ont d’abord décidé M. le ministre des finances à supprimer, changer ou modifier dix-huit articles du projet par lui primitivement présenté. Toutes ces suppressions et modifications n’ont eu d’autre but que de simplifier les formalités produites par ce projet, que la section centrale trouvait trop nombreuses. M. le ministre a présenté ensuite le projet modifié par lui et inséré dans le rapport, en regard de celui de la section centrale. Les délibérations de cette dernière ont alors porté sur ce projet modifié. Elle a trouvé qu’il contenait encore des formalités trop nombreuses et trop compliquées, et, pour le simplifier davantage, elle en a supprime dix-huit articles, remplacé trois et modifié quinze. Voilà les preuves de sa prédilection pour les formalités compliquées et nombreuses, rétablissant les droits réunis, qui vous a été signalée par quelques honorables membres.

Les effets et les intentions de la section centrale n’ont pas empêché l’honorable M. Castiau, et je le remercie au nom de tous les membres de la section centrale, de la justice qu’il a bien voulu leur rendre, malgré toute la bizarrerie qu’il y a à remercier quelqu’un de ne pas être injuste.

Je ne m’attacherai pas davantage à faire ressortir l’injustice de cette accusation passionnée et je vais essayer de vous donner quelques explications sur les points que le rapport n’a pas réussi à faire généralement comprendre, ainsi que sur la véritable portée des propositions de la section centrale.

Pour la clarté de la discussion, je traiterai ces différents points dans l’ordre où M. le ministre des finances a posé les questions de principe sur lesquelles nous sommes appelés à voter.

Mais avant de décider ces questions de principe, il en est d’autres que nous devons examiner préalablement. Ce sont celles de savoir si le trésor a besoin de nouvelles ressources, et où ces ressources peuvent être le plus équitablement puisées.

Lors de la discussion du budget des voies et moyens pour l’exercice courant, l’honorable M. Delfosse, dans sa rigidité de calculs et de raisonnements, nous a prouvé que depuis 4 ans les impôts ont été augmentés fr. 7,256,938, et qu’il faudrait les augmenter encore, en prédisant que le déficit pour 1844 serait de 3 millions. Cette prédiction s’est trouvée de la dernière exactitude. M. le ministre des finances l’a exposé dans son discours à l’appui du budget des recettes et dépenses et l’a répété dans l’exposé des motifs du projet de loi qui nous occupe.

Outre les fonds nécessaires pour remplir ce découvert, d’autres ressources ont dû être cherchées pour faire face la construction de nouveaux grands ouvrages de communication et à l’achèvement d’autres, ainsi qu’à l’amélioration de la position de la magistrature si longtemps et si justement réclamée dans cette enceinte. Voilà donc la nécessité de ressources nouvelles, non pas simplement justifiée, mais impérieusement réclamée. A ce propos, je dois cependant dire en passant, que je m’opposerai à l’amélioration de la position des magistrats, autant que je la désire, si elle n’est précédée de la circonscription définitive des cantons parce que, avant de me décider sur l’élévation du traitement leur revenant équitablement, je veux connaître l’importance et l’étendue du travail qu’ils auront à faire, des devoirs qu’ils auront à remplir.

Ainsi que l’honorable M. Delfosse nous l’a dit, depuis 4 ans les impôts ont été augmentés de fr. 7,256,938, et le tabac n’a pas supporté la moindre part de cette augmentation. Dés lors on est naturellement amené à examiner s’il doit continuer à jouir de ce privilège d’immunité, ou si des objets primitivement plus imposés que lui, et récemment frappés d’une augmentation d’impôt, doivent l’être de nouveau.

Dans son exposé des motifs, M. le ministre des finances nous dit : Le gouvernement nous a demandé que le découvert de 3 millions dans le budget courant fût comblé par un impôt sur le tabac. Pour ma part, j’ai trouvé que c’était trop exiger de cette plante et que lui faire produire 2 millions, y compris les droits de douane actuellement existants, devait suffire. J’ai dit plusieurs fois à la section centrale, les honorables collègues avec lesquels j’ai eu l’honneur de siéger se le rappelleront sans doute, que le bois étranger devait contribuer pour un demi-million à couvrir le déficit. C’est en vue d’atteindre ce but que j’avais proposé sur le bois des droits de douane qui out été combattus par les défenseurs du tabac et rejetés par la chambre. Ce n’est donc pas avec surprise, mais cependant avec beaucoup de peine, que j’ai appris au commencement de la discussion, de la bouche de M. le ministre des finances, que le bois étranger, d’après le tarif adopté ne produira pas plus que ci-devant.

On vient de parler d’un impôt sur les successions en ligne directe, mais attendez. Vous voyez donc qu’il ne reste plus d’autres ressources pour le trésor qu’un impôt sur le tabac. A l’instant j’aurai l’honneur de vous exposer combien cette matière a été jugée imposable par une foule de membres de cette assemblée et par tous les corps constitués qui ont été consultés à ce sujet.

Les partisans du privilège pour le tabac nous ont dit : Les ressources nouvelles ne doivent pas être cherchées dans des impôts nouveaux, mais dans des économies. Pour ma part, j’ai prouvé que je voulais en trouver dans des économies ; mais plusieurs des plus ardents défenseurs du tabac ne l’ont pas voulu et l’ont empêché.

Je voulais bien donner une pension honorable et proportionnée aux services que la patrie en avait reçus, aux ministres qui, jusqu’aujourd’hui, ont gouverné l’Etat, parce qu’ils l’ont dirigé à travers mille écueils, pendant les circonstances les plus difficiles, parce que leur habileté a consolidé notre indépendance et parce que la nation eût été ingrate à leur égard, s’ils n’eussent pas été convenablement récompensés. Mais je ne voulais pas qu’une récompense égale fut accordée à ceux qui désormais dirigeront le gouvernement lorsque toutes les difficultés de la question politique seront tranchées, et lorsque la plupart des difficultés inhérentes à l’établissement de nos institutions intérieures seront aplanies. La position de ceux-là sera bien plus agréable et plus facile que ne l’aura été celle de leurs prédécesseurs, et, comme ils ne seront pas appelés à rendre des services égaux à la patrie, je voulais que leur récompense fût inégale, mais plusieurs des défenseurs du tabac ne l’ont pas voulu. Je sais bien que cette économie qu’ils n’ont pas voulue comme moi, n’exercera pas encore de sitôt la moindre influence sur nos finances ; mais, cependant, dans un avenir quelconque, elle exercera une influence certaine, et il est prudent de prévoir toutes les éventualités.

Il est encore une autre économie que j’ai voulu faire, et que plusieurs des ardents défenseurs du tabac n’ont pas plus voulu que la première. Je veux parler du taux d’intérêt auquel notre emprunt a été converti. Vous savez tous que j’ai demandé la conversion en 4 p. c. au lieu de 4 1/2, en soutenant que par là nous aurions obtenu une économie de plus de 400 mille francs par an. Un des plus fervents défenseurs du tabac soutint que je proposais l’impossible ; aussi ma proposition fut-elle rejetée sans avoir été presque examinée. J’avais fait ce que je croyais un devoir pour moi et je fus bientôt consolé du mauvais accueil fait à ma proposition par les faits qui se sont passés depuis. Vous savez tous combien les créanciers de l’Etat ont accepté avec empressement, du 4 1/2 au pair, en remplacement de leurs titres à 5 p. c. Cet empressement de leur part, le cours de nos fonds au moment de la conversion, et ce qui s’est passé dans un pays voisin avec ce qui s’y passe en ce moment, m’autorise presqu’à croire que je n’ai pas eu tort dans cette circonstance. Peut être suis-je dans l’erreur ; je demande cependant à mes honorables adversaires de me permettre d’y rester.

Ce que nous voyons aujourd’hui en Hollande m’autorise à tenir ce langage. Là il ne s’agit plus de convertir du 5 en 4 1/2, comme nous venons de le faire. Le gouvernement y propose de convertir le 5 et le 4 1/2 en 4. Il n’y a pas le moindre désaccord sur la facilité avec laquelle se fera cette opération ; mais un grand nombre des financiers les plus habiles de la Hollande, et les Hollandais sont habiles financiers, chacun en conviendra, soutiennent que la réduction en 4 ne suffit pas, que la réduction en 3 1/2 n’est même qu’une demi-mesure, et que la conversion doit se faire en 3. Si donc le gouvernement hollandais propose de réduire en 4 p. c. toute sa dette publique constituée à un taux plus élevé, tandis que d’habiles financiers soutiennent que cette conversion peut se faire avantageusement en 3 p. c., il est permis de croire que la Belgique, dont les finances, Dieu merci, sont en meilleur état que celles de sa voisine, eût réussi à convertir son taux d’intérêt en 4 p. c. et faire l’économie notable que je désirais obtenir et dont mes honorables adversaires n’ont pas voulu.

Mais c’est trop de digression, revenons-en au point qui nous occupe.

La première question que nous avons à résoudre est celle de savoir si le tabac est une matière imposable et s’il convient de lui faire supporter plus de droits que ceux dont il est grevé dans ce moment.

Cette question a été résolue affirmativement par tous les corps constitués qui ont été appelés à émettre leur opinion à son sujet.

Je ne pourrais, sans me livrer à de grandes recherches, vous rappeler combien de fois et par quel grand nombre de membres des deux chambres législatives, le tabac a été signalé comme matière essentiellement imposable, avant ma récente entrée dans cette enceinte. Mais depuis que j’ai l’honneur de siéger parmi vous, je l’ai entendu signaler comme tel lors de la discussion du budget des voies et moyens pour l’exercice courant, par les honorables Eloy de Burdinne, de Man d’Attenrode, Dumortier, Castiau et Verhaegen. Ces derniers, il est vrai, ne demandaient qu’un impôt sur les cigares et les tabacs de luxe.

Lors de la discussion de la loi sur le sel, l’honorable comte de Mérode nous a dit avec beaucoup de raison : « Le tabac ne paye rien au trésor, en retirant l’exemption du droit au sel employé pour sa fabrication, on en tire quelque chose, en attendant qu’on puisse en tirer davantage. »

Voyez, à la suite du rapport, ce que disent au même sujet les différentes commissions d’agriculture et chambres de commerce du pays. Voir rapport, folio 95, 99, 103, 107, 109, 111,113, 114, 115, 122, 130, 133, 137, 145, 146, 157, 159.

Toutes les opinions émises conviennent donc unanimement que le tabac est une matière essentiellement imposable.

Pour ma part, je pense que s’il n’y avait pas un déficit au budget, le tabac devrait encore être imposé, par raison de justice, afin de pouvoir dégrever les matières de première nécessité, telles que le sel, qui est imposé à 40 p. c. de sa valeur.

Afin de nous détourner de l’intention d’imposer le tabac, on n’a pas eu seulement recours à l’obsession ; comme l’a dit M. le ministre, on a employé jusqu’à des moyens répréhensibles, qui, je l’espère, n’ont été mis en œuvre que par des hommes incapables de juger la portée des expressions qu’on leur a prêtées. Une pétition, dont on nous a adressé des exemplaires en ajoutant qu’elle était revêtue de 1,052 signatures, se termine en ces termes :

(Ici l’orateur donne lecture de la fin de la pétition.)

Ce principe admis, il reste à décider le montant de l’impôt qu’il convient de faire supporter au tabac.

Le gouvernement proposait primitivement de le fixer à 45 fr. par 100 kilog., répartis sur la fabrication et le débit. Ce taux fut rejeté par la section centrale qui le trouva trop élevé en même temps qu’elle trouva le mode de perception trop compliqué et trop vexatoire. M. le ministre des finances, par son projet amendé, réduisit de 5 fr. le droit de fabrication, mitigea celui de débit et proposa d’en simplifier considérablement le mode de perception. La section centrale jugea qu’il demandait encore trop, elle n’admit qu’un droit d’accise égal à celui demandé à la fabrication et repoussa celui proposé au débit. Elle en agit surtout ainsi par aversion pour toute formalité gênante ou compliquée, malgré la tendance vers le rétablissement des droits réunis qu’on lui a prêtée si gratuitement.

Nous voici donc amenés à rechercher si le taux de 30 francs par 100 kilogrammes de tabacs étrangers est trop élevé ou non.

Lorsque, par la loi du 25 mai 1838, vous avez grevé ce tabac d’un droit de 2 fr. 50 c. les 100 kilog., les intéressés vous ont alors, tout comme aujourd’hui, crié merci et miséricorde ! Voici comment le rapport tant cité de l’honorable M. Mercier, s’exprime à leur égard : Ce droit de 2 fr. 50 c. était, selon les intéressés, une question de vie ou de mort pour leur industrie ; son adoption était un arrêt d’anéantissement pour leur commerce. Cet arrêt, vous l’avez impitoyablement prononcé et chose étonnante, le condamné dûment exécuté n’est pas mort. Loin de là, depuis lors il n’a fait que croître et embellir, il a commencé à se porter de mieux en mieux, tellement que de son aveu même, il n’a jamais été aussi brillant, ni aussi prospère, qu’il ne l’est aujourd’hui.

Le projet déposé à la chambre, le 10 novembre 1842, par lequel le gouvernement ne demandait qu’une augmentation de droits de 2 fr. par 100 kilog. souleva de nouveau les cris de mort et de merci, mais avec tant de violence, qu’ils réussirent à faire reculer la chambre qui n’admit pas, à cette époque, cette faible augmentation de 2 fr.

L’exagération dans les plaintes des intéressés d’alors, vous donne la mesure de la réalité des plaintes des intéressés d’aujourd’hui. Il faut cependant convenir qu’ils sont en progrès. Alors ils disaient que le tabac ne pouvait supporter aucune majoration de droit, aujourd’hui ils conviennent qu’il peut, sans inconvénient, supporter par 100 kilog. un droit variable selon les localités et les intérêts, paraît-il.

Ainsi, la commission d’agriculture de la Flandre occidentale propose un droit de 40 fr. par 100 kilog. de tabac exotique et de 150 fr. par hectare de tabac indigène, c’est-à-dire moins de 7 fr. par 100 kilog. faisant une différence de 35 fr. en faveur de ce dernier, parce que cette commission produit de l’indigène et pas de l’exotique.

Pour la même raison, celle de Brabant demande une différence de 15 fr. en faveur du tabac indigène, et supposant qu’elle consente comme la précédente à soumettre ce dernier à un droit de 7 fr.., ce sont 22 fr. qu’elle propose sur l’exotique. Celle du Hainaut propose sur les tabacs exotiques un droit de 25 fr à 30 fr. par 100 kilog. et prouve par chiffres que la vente laissera 135 fr. par 100 kilog. pour frais de fabrication et bénéfice.

Celle du Limbourg estime qu’il convient de frapper les tabacs étrangers d’un fort droit d’entrée.

La chambre de commerce d’Ypres voudrait frapper d’un fort droit de prohibition les tabacs étrangers à leur entrée par terre.

Celle de Namur pense qu’un droit de 12 fr. ne nuirait pas sensiblement à la fabrication et au commerce.

Celle de Gand pense qu’on peut faire payer par le tabac exotique 1,200,000 fr. de droits à l’entrée, sans dire ce qu’elle ferait produire par ceux du pays.

Celle de Bruges propose un droit différentiel, variant de 30 fr. à 50 fr. sur les tabacs fabriqués ; de 10 fr. à 20 fr. sur ceux en feuilles et de 150 fr. à 200 fr. sur les cigares.

La chambre de commerce de Bruxelles propose un droit de douane de fr. 16.

Celle de Louvain pense que, sans froisser les intérêts et sans soulever la moindre réclamation fondée, les tabacs peuvent rapporter à l’importation 1 million de plus qu’actuellement.

Celle de Charleroy propose, indépendamment des droits existants, des droits d’entrée de :

fr, 20 par 100 kil. de tabac brut,

fr. 100 par 100 kil. de tabac fabriqué,

et de fr. 200 à 300 par 100 kil. de cigares.

Et tout autre une licence de fr. 10 à 300 fr. sur chaque débit.

Les fabricants, négociants et débitants de Menin, Bruxelles, Liége et le pays de Chimay, proposent un droit sur la culture de fr. 200 par hectare et de fr. 15 par 100 kil. de tabac indigène.

L’opinion de cette dernière chambre de commerce est d’autant plus remarquable que c’est justement de son arrondissement, celui de Charleroy, qu’il s’infiltre le plus de tabac en France.

Les adversaires du projet le combattent surtout parce qu’il nuira à notre commerce interlope.

Il importe donc d’examiner en quoi consiste ce commerce interlope et jusqu’à quel point il sera entravé. M. le ministre estime que ce commerce opère sur 2,400,000 kilog., ce qui ferait plus de 6,500 kil. par jour. Au-delà de 14,000 livres transportées journellement à dos d’homme à la barbe des douaniers français, dûment prévenus du fait et parfaitement aguerris dans leur service, me paraît une quantité presque incroyable ; au reste je l’admets, puisque le gouvernement nous l’indique et que la même quantité est constatée d’après M. Léon Faucher, par les calculs de l’honorable M. Delehaye. Supposons donc que 2,400,000 kilog. s’infiltrent annuellement en France, ces tabacs, d’après la chambre de commerce de Bruges, chef-lieu de la province qui en produit le plus, sont mi-partie indigènes et mi-partie exotiques.

Les droits sur 100 kilog. ainsi mélangés sont ainsi de 28 ;

Jusqu’au 19 septembre 1836, le prix du tabac de cantine a été en France dans la première zone, de 120 ;

Le prix du Virginie, qui est le plus commun d’Amérique, était en 1830 en Belgique, de 115 ;

Il n’y avait donc qu’une différence de 5 fr.

Et on infiltrait, non à cause de la différence de prix, mais à cause de la différence de goût. Cette dernière cause dominera toujours la première : quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, le goût du meilleur tabac indigène ne sera jamais aussi agréable que celui du plus commun d’Amérique.

Par l’ordonnance du 9 septembre 1836, le prix du tabac a été élevé dans la première zone à 160 fr. et il y est resté à ce prix réduit jusqu’au 27 août 1839.

En 1839 le tabac le plus commun d’Amérique, le Virginie, coûtait en Belgique 125 fr.

Et on a activement infiltré, quoique la différence ne fût que de 35 fr.

Par l’ordonnance du 27 août 1839, le tabac de cantine a été porté en France dans la première zone à 200 fr.

Depuis 1839 les prix ont constamment baissé en Belgique.

En 1840, le Virginie coûtait 112 fr., différence 88 fr.

En 1841, 106 fr., différence 94 fr.

En 1842, 89 fr., différence 111 fr.

En 1843, 83 fr., différence 117 fr.

Aujourd’hui il est à 68 fr. Augmenté de 28 fr. pour droit, il coûterait 96 fr., différence 104 fr.

Remarquez bien que 68 fr. est le prix moyen du gouvernement. Il y a du Virginie bien fabriqué qui ne coûte en ce moment que 55 fr. Augmenté de 28 fr. pour droit il coûterait 85 fr., différence 117 fr.

Ainsi la différence en faveur de l’exportation belge est, outre le droit, plus que doublé de ce qu’elle a été jusqu’en 1839, et notablement plus élevée qu’elle ne l’a été en 1840 et 1841.

Prétendre, en présence de tels faits, que le commerce interlope sera anéanti, est nier l’évidence.

On objectera peut-être que la baise des prix, pendant ces dernières années, doit être attribuée à la crise financière des Etats-Unis. Cette objection pouvait être spécieuse au moment de la crise et immédiatement après, mais elle ne l’est plus, car la crise est passée et plus nous nous en éloignons, plus le prix du tabac baisse. La véritable cause de cette baisse est l’augmentation toujours croissant de la production. Ci-devant on ne cultivait du tabac en Amérique que dans les localités voisines de la mer, d’une rivière navigable ou d’une autre voie de communication. Mais aujourd’hui l’accroissement incessant de population et la multiplicité des moyens de transport nouvellement créés aux Etats-Unis ont étendu la culture jusqu’aux extrémités de ce vaste pays et y ont plus que triplé la production. Ce n’est pas tant cette culture qui ne s’est principalement faite jusqu’à ces derniers temps que dans l’Ohio, le Maryland, le Kentucky, la Virginie, la Caroline et la Géorgie, commence à se faire aussi dans les nouveaux Etats de l’Alabama, du Mississipi et des Florides.

On y pousse la culture avec d’autant plus d’ardeur et de succès que ces contrées plus rapprochées de la Havane, de Cuba et de Saint-Domingue, produisent du tabac dont la qualité se rapproche de celle de celui de ces îles et est infiniment supérieure à celle du tabac des autres Etats de l’Union. La production va aussi sans cesse en augmentant au Brésil et dans la Colombie, surtout sur les bords de l’Orénoque.

Le tabac est originaire de ces pays, il n’est pas nécessaire de l’y planter tous les ans comme ici, d’engraisser le sol à grands frais, de le cultiver et faire sécher à force de peines. Dans l’Amérique il est vivace, il y pousse donc de lui-même dans les terres vierges, on n’a presque qu’à le ramasser comme on ramasserait du bois dans les forêts, et la température plus élevée qu’ici le mûrit et le dessèche naturellement sans frais ni peines.

Ce n’est pas seulement en Amérique, mais aussi en Europe que la production s’est accrue au-delà de tout ce qu’on peut s’imaginer. Le gouvernement de la Russie, sans cesse occupé à développer toutes les richesses de ce vaste empire et à procurer à son immense population le plus de bien-être matériel possible, engage constamment les populations voisines de l’Ukraine à cultiver le tabac, en leur montrant quels bénéfices il rapporte aux Ukrainiens.

Il a déjà si bien réussi dans cette tentative que le tabac se cultive aujourd’hui en grand et avec le plus brillant succès en Crimée, dans la Chersonèse et dans toutes les provinces avoisinant la mer d’Azov. Les Cosaques, non plus demi-sauvages comme nous les avons vus en 1814, mais actifs, intelligents, civilisés comme ils le sont aujourd’hui, font produire de l’excellent tabac à tout le littoral au Don.

Partout, dans les pays situés sous un climat plus doux que le nôtre, la production du tabac augmente d’une manière incroyable, et plus cette augmentation ira en croissant, plus les prix des produits iront en diminuant.

Il n’y a donc pas la moindre crainte que le droit proposé anéantira le commerce interlope, car la différence qui existera de plus en plus entre les prix de la régie et ceux des tabacs étrangers, permettra toujours d’infiltrer ces derniers en France.

M. le ministre des finances nous a formellement déclaré que, pour ne pas entraver le commerce interlope, le régime des accises ne serait pas appliqué à la circulation du tabac, dans le rayon de la douane sur nos frontières du Midi. L’honorable M. Cogels prétend que, dans l’avenir, le gouvernement ne sera pas libre d’exécuter cette déclaration de M. le ministre. Si telle est sa crainte, que ne propose-t-il un article additionnel à la loi stipulant formellement ce que M. le ministre a déclaré ? Quant à moi, si j’étais partisan du commerce interlope, et que je n’eusse pas foi dans la déclaration d’un ministre, un amendement en ce sens serait déjà déposé de ma part sur le bureau. Je croirais remplir mon devoir ; et, devant l’accomplissement de mon devoir, quelque désagréable qu’il puisse être pour moi, je ne recule jamais.

Je dois cependant vous dire que je ne suis pas partisan du commerce interlope. D’abord, parce que ceux qui importent frauduleusement du tabac dans un pays voisin, importent frauduleusement d’autres marchandises dans le nôtre. L’honorable M. Delehaye a hautement eu raison de nous dire dans la séance du 23 mai dernier que c’est la fraude qui nous introduit surtout les tissus étrangers. Oui, les mêmes fraudeurs qui emportent du tabac de Belgique y apportent, de France, de la bonneterie, des soieries, des toiles de Cambrai, qui font concurrence à celles des Flandres ; des cotons suisses qui font concurrence à ceux de Gand ; des tapis, qui font concurrence à ceux de Tournay ; des draps et casimirs de Sedan et de Louviers, qui font concurrence à ceux de Liége et de Verviers ; des tissus de laine teints et imprimés, qui font concurrence à ceux de Bruxelles et autres localités ; tous articles faciles à porter, et assujettis à l’entrée dans notre pays, à un droit de fr. 300 par 100 kilog., c’est-à-dire, décuplé de celui proposé sur le tabac. Ces fraudeurs feront donc dix fois plus de tort à notre trésor, qu’ils ne procureront de profit aux expéditeurs de notre tabac, le tout indépendamment de la question de moralité à laquelle je ne toucherai pas.

- La séance est levée à 4 heures 1/2.