(Moniteur belge n°128, du 7 mai 1844)
(Présidence de M. d’Hoffschmidt, vice-président.)
M. Huveners fait l’appel nominal à 2 heures.
M. de Renesse donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Wautbet de Bouillon prie la chambre de voter un crédit supplémentaire destiné à être distribué en indemnités, pour bestiaux abattus, et demande le rétablissement du fonds d’agriculture. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs propriétaires de charbonnages dans la province de Liège présentent des observations contre le système des droits différentiels.»
« Plusieurs armateurs, négociants et courtiers, établis à Anvers, protestent contre le système de droits différentiels, soumis au gouvernement, par le comité industriel et commercial d’Anvers. »
M. Cogels. - C’est à ma demande qu’a été inséré dans le Moniteur un mémoire adressé au ministre de l’intérieur par quelques négociants d’Anvers qui se sont constitués en comité commercial. C’est contre les principes développés dans ce mémoire que viennent protester un grand nombre de négociants armateurs et courtiers d’Anvers. J’ai demandé l’insertion du premier mémoire, parce que j’ai cru qu’il était nécessaire de nous entourer de tous les renseignements qui pouvaient éclairer la question que nous sommes appelés à débattre.
Par les mêmes motifs, je demande que la pétition reçoive la même publicité.
- L’insertion proposée par M. Cogels est ordonnée.
Les deux pétitions resteront déposées sur le bureau pendant la discussion des conclusions de la commission d’enquête parlementaire.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, ainsi que je l’avais annoncé à la chambre, j’ai fait insérer au Moniteur le tableau des importations et exportations par la Meuse, aussi bien que du côté des Pays-Bas que du côté de la France. Ces tableaux ont été remis au Moniteur samedi soir un peu tard ; ils n’ont pu paraître que ce matin. Je ferai remarquer une faute d’impression qui se trouve au total de la dernière colonne du premier tableau : au lieu de 2,353,697, il faut 3,353,697, et au deuxième, à l’article Tissus, au lieu de 338,281, il faut 1,021,806. Le total reste le même.
M. de Haerne. - Je désire adresser une interpellation à M. le ministre de la justice. J’ai appris, il y a quelque temps, qu’une mesure a été prise par M. le ministre de la justice relativement au travail des prisons. Vous savez que l’on tisse dans les prisons. D’après les cahiers des charges, les années précédentes on devait employer pour ce tissage du fil fait à la main, mais on m’a assuré que, par une mesure récente prise par M. le ministre de la justice, on devra employer désormais du fil à la mécanique. J’ai appris que des fonctionnaires distingués se sont élevés contre cette mesure. Je la regarde aussi contraire aux intérêts de l’ancienne industrie linière et des populations souffrantes que vous avez voulu secourir en leur accordant un subside de 150 mille francs, C’est pourquoi je crois devoir protester contre son adoption, si tant est que mes renseignements soient exacts.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Il est vrai, messieurs, que, dans la prison de Gand, j’ai prescrit de faire un essai de tissage avec du fil à la mécanique, mais pour une très petite quantité, afin de juger la différence que pouvaient présenter les toiles faites avec du fil à la main, et celles faites avec du fil à la mécanique Des réclamations m’ayant été adressées à cet égard par le gouvernement de la Flandre orientale et par la commission administrative de la prison de Gand, il ne sera pas donné suite à l’essai projeté, parce que j’ai reconnu que, pour ce moment, il pourrait avoir des conséquences fâcheuses.
M. Savart-Martel. - Un fait malheureusement certain, c’est que le commerce et l’industrie sont dans un état de malaise et de souffrance dont nous ne prévoyons pas la fin sous l’empire des choses actuelles,
Le devoir de la législature est d’y remédier.
Les traités internationaux, les traités de commerce surtout, ont une grande influence sur la prospérité des peuples C’est donc une question fort grave que celle qui nous occupe ; il importe de la juger sans préoccupation et en grande connaissance de cause.
La diversité d’opinions qui surgit dans le sein de la chambre, n’a rien d’étonnant.
Abstraction faite des intérêts de localité, dont il n’est pas toujours aisé de se défendre, et, en envisageant la question sous le point de vue d’intérêt général, les questions de commerce comme toutes celles d’économie politique, sont de ces choses qui de tout temps ont donné matière à de vives discussions.
Après avoir entendu l’honorable abbé de Foere, qui a si bien étudié la question ; après avoir entendu les honorables MM. Osy et David, et nos autres collègues, hommes spéciaux, qui ont traité la matière avec tant d’aptitude, je pense avoir ouï le commerce transatlantique, le haut commerce proprement dit, et la fabrication.
Leurs opinions doivent avoir nécessairement une grand influence sur ceux qui ne pratiquent point le commerce, qui n’en connaissent guère que la théorie et qui, dénués de toute prévention, cherchent à s’éclairer pour donner un vote consciencieux.
Qu’il me soit permis, messieurs, de vous présenter l’analyse de mes observations. Pour trouver le remède à la déplorable situation du commerce et de l’industrie, on a dû d’abord en chercher la cause.
Cette cause, dont on ne pouvait douter sérieusement, et qui se trouve constatée officiellement par l’enquête parlementaire, c’est que la Belgique, devenue pays de fabrication, sans avoir cessé d’être agricole, est loin de pouvoir consommer ses produits, lors même qu’on lui conserverait ses propres marchés. La Belgique, produisant peu d’articles qui ne soient similaires aux fabricats de nos voisins, il suffit à ceux-ci de repousser nos produits, pour qu’il y ait chez nous un encombrement funeste à tous nos intérêts matériels.
La politique des nations, et, avouons-le, parfois aussi celle des individus, c’est aujourd’hui l’égoïsme, oui, l’égoïsme dans toute la force du terme. Le chacun pour soi, est une maxime des cabinets, c’est la règle de leur conduite.
Ce que nous voulons, nous Belges, pour la prospérité intérieure de notre pays, chaque Etat le veut également pour soi.
Les temps sont passés où l’on pouvait compter sur des sympathies, sur des relations de famille ou liens de parenté, sur l’honneur que s’attribuait le fort en protégeant le faible. L’intérêt de mon gouvernement, c’est l’éternel refrain de la diplomatie, qui, ainsi, a au moins l’avantage d’être sincère.
En supposant que notre jeune nationalité n’excitât point de jalousie ; en supposant qu’elle ait la sympathie de toutes les puissances, il restera toujours vrai, qu’en nous admettant à traiter, on ne le fera qu’en échange d’un bénéfice ; ce sera toujours le contrat (quelques mots illisibles). La réponse à nos demandes sera toujours : Que me donnerez-vous ?
Cependant, nous ne sommes pas riches ; déjà nous nous sommes imprudemment dépouillés, nos moyens d’échange sont fort restreints ; que faire ? Parmi nos voisins, il existe une nation éminemment commerçante, et dont la bonne foi, en matière de commerce, est devenue proverbiale. Cette nation a besoin de nos produits, de nos fabricats, de notre trop plein, comme nous avons besoin de son commerce. Et sans revenir ici sur ce qui a été dit dans le comité général, je puiserai mon opinion dans les œuvres les plus célèbres de la diplomatie.
En 1814, les souverains alliés, voulant fonder la paix de l’Europe sur des bases solides et presque immuables, s’occupèrent spécialement des intérêts matériels de la Belgique et de la Hollande. Convaincu que la Belgique était pays de fabrication, et la Hollande, pays éminemment commerçant, ils confondirent les intérêts des deux pays dans une même nationalité pour leur prospérité commune, en composant une même famille de ceux qui avait besoin d’acheter, et de ceux qui avaient besoin de vendre.
Au point de vue les intérêts matériels, la Belgique et la Hollande devaient prospérer. L’une fabriquait, l’autre achetait et exportait ; et, en effet, la prospérité commerciale en fut le résultat.
Cette leçon de l’expérience est au-dessus de toutes les théories.
Malheureusement, il n’y a rien de parfait en ce monde, et si nos intérêts matériels avaient été compris par le congrès européen, on ne peut en dire autant de nos intérêts moraux qui avaient été froissés, ou au moins négligés.
Les événements de 1830 ont rétabli nos intérêts moraux, soit ; mais au peuple ne suffit point la moralité, il lui faut aussi du pain.
La séparation est un fait, dont je ne dois pas rechercher ici les causes. Partant de ce fait accompli, des actes, transactions et traités qui en ont été les conséquences, et qui constituent ce jourd’hui notre droit public, je sens que cette grave circonstance, et le temps qui s’est écoulé depuis lors, ont modifié les rapports commerciaux ; je sens que nous ne pouvons guère espérer pour nos intérêts matériels tous les mêmes avantages qu’avant 1830.
Cependant, les deux pays sont encore limitrophes ; leurs voies de communication sont restées les mêmes, elles se sont même améliorées depuis 1815.
La Belgique est restée pays de production ; et la Hollande n’a point cessé d’être une nation essentiellement commerçante.
Si la position est restée la même l’intérêt, à peu de chose près, doit être le même. Si de 1815 à 1830, la Hollande a prospéré en achetant les fabricats belges ; si la Belgique a prospéré en déversant ses produits en Hollande, pourquoi n’en serait-il plus de même ?
Or, si au point de vue commercial, les relations des Belges avec les Hollandais étaient utiles à l’un et à l’autre, il me semble naturel de chercher à les renouer, plutôt que de courir le hasard d’expéditions lointaines avec notre modeste marine, composée d’une centaine de bâtiments.
Nous sommes en paix et amitié avec nos anciens frères du royaume des Pays-Bas ; tous nos différends se trouvent réglés de gré à gré ; les relations de bon voisinage y sont en pleine observance ; de tous nos voisins, la Hollande me paraît donc la nation qui aurait le plus d’intérêt à traiter avec nous.
Le divorce, qui fut réglé transactionnellement, ne peut être une cause de répulsion ; car si, en général, l’intérêt est la mesure des actions, c’est surtout dans les opérations commerciales que prédomine cette vérité.
Le commerce vit d’actualité, et se préoccupe peu de l’intérêt des dynasties ; d’autre part, les gouvernements européens, les gouvernements constitutionnels surtout ont à cœur, avant tout, les intérêts matériels de leurs pays ; rien ne doit faire supposer qu’il en serait autrement en Hollande.
D’après ce qui précède, et en prenant égard à ce qui nous a été dit et répété par plusieurs de nos honorables collègues, je ne puis être favorable aux droits différentiels, que s’il m’était démontré qu’on ne peut traiter avec la Hollande. Jusqu’ici je ne vois point qu’on ait fait, à cet égard, aucune tentative sérieuse.
Je crains que le système de droit différentiel ne remédiera point à l’état déplorable du commerce et de l’industrie. Je crains que ce système nous expose à des représailles susceptibles de nuire encore à nos intérêts matériels. Et, comme le disait, il y a quelques jours, l’honorable M. Lesoinne, je crains de sacrifier le certain à l’incertain.
Nous ne faisons point ici de la diplomatie, j’exprime mon opinion sans craindre que mon vœu, rendu public, puisse nuire à sa réalisation ; car, indépendamment que je n’ai point la pensée que mon opinion puisse avoir quelque portée hors de cette enceinte, je crois que, pour réussir, la franchise convient ici plutôt que l’adresse diplomatique. Machiavel ne serait plus de nos jours qu’un homme fort ordinaire.
La Hollande connaît ses intérêts, elle connaît aussi les nôtres ; et c’est précisément parce que je lui attribue cette double connaissance, que je crois à la possibilité de traiter. Certainement, il entre dans les talents de la diplomatie, de saisir l’occasion d’un traité, et même de la faire naître ; mais la position de la Hollande, comme la nôtre, sont percées à jour. Il n’y a point de secrets, surtout si l’on admet la prémisse de ma thèse : nous avons besoin de la Hollande, et la Hollande, et la Hollande a besoin de nous. Je voudrais qu’on s’occupât sérieusement de cette position commerciale.
L’art. 68 de la constitution investit le gouvernement de tous les pouvoirs à cette fin, sauf la ratification des chambres. Jusqu’ici nous avons été malheureux dans nos tentatives, il est vrai, nous l’avons été notamment dans le traité fait avec la France en 1842 ; d’abord le principe n’aurait jamais reçu mon approbation, car nous concédions 4 fois plus que nous n’obtenions : 1° son application a été faussée en ce qui concerne nos toiles ; 2° son interprétation enfin qui a été changée dans l’intérêt de la France, après plusieurs mois d’exécution franche et loyale, n’est ni équitable, ni conforme aux règles du droit ; espérons que nos intérêts seront soutenus dorénavant avec plus de fermeté, et surtout que nos traités ne seront plus abandonnés aux chances des interprétations...
Tout est grave dans les traités internationaux ; mais le faible qui contracte avec le puissant, doit surtout se tenir sur la défensive.
Si l’on avait dit aux chambres que nos toiles ne seraient point reçues pour la fourniture des armées françaises, où l’on n’admettrait uniquement des toiles traversées par une ligne de coton rouge, qu’en vain nous fabriquerions aussi avec une ligne de coton rouge, que pareille toile serait repoussée de la France sons le singulier prétexte que le coton est prohibé ;
Que, de plus, non seulement la France, mais des tiers Etats pourraient invoquer, interpréter et commenter le traité, il est douteux que le parlement eût consenti la ratification.
Permettez-moi, messieurs, de rappeler en peu de mots ce que je disais le 29 novembre 1842, Moniteur n°333, à l’occasion du traité avec l’Espagne.
« Si la question était entière, au lieu de réduire nos droits d’entrée sur les produits espagnols, j’aurais proposé de doubler, de tripler même les droits établis par nos tarifs sur les vins, les huiles, les oranges et les autres fruits, provenances du royaume d’Espagne.
« Je déplore d’autant plus cette convention, qu’elle nous lie dorénavant pour nos lois de douane.
« En procédant ainsi avec les divers Etats, on va brider à jamais le commerce de la Belgique ; petit à petit nous perdrions même l’espoir d’un meilleur avenir.
« La Belgique est un pays éminemment agricole et manufacturier, toutes les questions qui se rattachent à ces intérêts sont vitales, même pour notre indépendance. Ce n’est donc point en vain que j’ose invoquer toutes les opinions.
« Et puis, si les Etats avec lesquels nous devons traiter n’ont à consulter que leur intérêt pour se régler envers nous, je ne conçois point l’utilité de ces nombreux agents diplomatiques qui figurent au budget pour des sommes considérables : de simples consuls nous suffiraient.
« Le Belge est l’ami de tous les peuples ; tous devraient donc le traiter favorablement. On ne peut en douter cependant ; on nous traite presque partout en vrais parias.
« Parce que nous paraissons faibles et généreux, nos hauts et puissants amis nous écrasent ; les Etats de second ordre les imiteront, et bientôt nous ne serons plus considérés en Europe que comme consommateurs. Nous avons assez souffert, hâtons-nous de sortir de cette position déplorable.
« Abandonnons le système de concessions généreuses ; révisons nos lois de douane avec cette préoccupation que nous sommes entourés des ennemis de notre industrie. Ne craignons point de heurter les autres Etats ; soyons convaincus qu’on ne nous accordera jamais que ce qu’on ne pourra nous refuser. »
Ce que je disais alors s’applique, me semble-t-il, et à plus forte raison à notre position actuelle, et appuie mon opinion qu’il faut traiter avec la Hollande, puisqu’elle a besoin de nous comme nous avons besoin d’elle.
Messieurs, puisque j’ai la parole, et qu’il s’agit en ce moment surtout du commerce d’outre-mer, je désirerais savoir ce qu’est devenu notre grand pensionnaire, la British-Queen ? Je ne pense pas qu’on ait l’intention de l’employer dans l’ordre des droits différentiels.
Quant à moi, je fais des vœux pour qu’on soit enfin débarrassé de ce pensionnaire qui coûte fort cher à l’Etat, et qui certainement n’a point gagné sa pension.
Si je ne me trompe, il avait été question de le revendre, ou de le démolir, qu’on s’en débarrasse donc à tout prix, hormis qu’on puisse l’utiliser en lui coupant la queue. (Hilarité générale.)
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet d’Alviella) - J’aurai l’honneur de présenter à la chambre, avant la fin de la session, un rapport relativement à l’objet dont l’honorable M. Savart vient de vous entretenir, en terminant son discours.
M. Rogier. - On peut ajourner les plaisanteries jusqu’à la présentation de ce rapport.
M. Desmaisières. - Je n’ai jamais varié d’opinion en ce qui concerne le système de législation industrielle, commerciale et agricole, que la Belgique doit adopter si elle ne veut pas continuer à se bercer d’illusions et à jouer le rôle de dupe qu’elle a joué jusqu’ici en grande partie, depuis 1830, vis-à-vis des autres nations.
Toujours, messieurs, depuis 12 ans que j’ai l’honneur de faire partie de cette chambre, on m’a vu sur la brèche, quand il s’agissait de défendre le système protecteur. Aujourd’hui, nous avons l’espoir, mes honorables amis et moi, de voir partager notre opinion par la presque unanimité, sinon par l’unanimité de cette chambre.
J’ai demandé la parole, messieurs, pour soutenir le principe du projet de loi, parce que ce principe repose sur le système protecteur. Cependant je dois avouer franchement que je n’aurais pas demandé la parole, si je n’avais pas entendu tous les orateurs qui ont parlé jusqu’ici, aussi bien ceux qui se sont prononcés contre le projet que ceux qui se sont prononcés en sa faveur, appuyer, avant tout, leur opinion sur les intérêts de l’industrie et de l’agriculture, c’est-à-dire, sur les intérêts du travail national. Cette unanimité de la part des adversaires du projet de loi comme de la part de ses défenseurs, doit me faire espérer que les conclusions de détail qui seront prises par la chambre, ne méconnaîtront en rien les intérêts de nos diverses industries et de toutes les branches de notre agriculture. C’est dans cet espoir, mais dans cet espoir seulement, que j’ai demandé la parole en faveur du projet de loi.
Messieurs, il ne s’agit pas ici purement et simplement des intérêts de nos ports, il ne s’agit pas uniquement de l’intérêt de notre port métropolitain, de notre port d’Anvers ; la prospérité de ce port importe sans doute beaucoup à la prospérité générale du pays, nous l’avons tous reconnu quand nous avons voté la loi du remboursement du péage sur l’Escaut et la convention avec la société du chemin de fer rhénan, que j’ai eu l’honneur de soumettre à vos délibérations en qualité de ministre des finances ; mais nous n’avons pas eu alors et nous n’avons pas encore actuellement à nous occuper isolément du développement de la prospérité du port d’Anvers. Il ne s’agit pas non plus uniquement des intérêts du deuxième de nos ports, du port de Gand, auquel les traités que nous avons contractés avec la Hollande, cette même loi de remboursement du péage sur l’Escaut, la construction du canal de Zelzaete, la construction du canal latéral à celui de Terneuzen, et les améliorations qui ont été et seront encore nécessairement apportées au régime des eaux de l’Escaut et de la Lys présagent, selon moi, un bel avenir de prospérité ; il ne s’agit pas purement et simplement de chercher à rendre au port de Bruges, cette antique ou du moins une partie de cette antique et immense prospérité dont il ne lui reste plus aujourd’hui que le simple commerce d’échange de sel contre des lins, des écorces et autres matières premières du pays ; il ne s’agit pas non plus de n’envisager que les intérêts des ports d’Ostende et de Nieuport, en faveur desquels nous avons pris des mesures pour favoriser la pêche nationale, auxquels, à celui d’Ostende surtout, il faut en convenir, la révolution a été très favorable, et que nous avons favorisé, en outre, par les grands travaux d’amélioration que nous avons exécutés, tant au port d’Ostende qu’aux divers cours d’eau qui composent la navigation belge vers Dunkerque, améliorations auxquelles, je le reconnais, ces ports ont encore droit d’en voir ajouter de nouvelles dans l’intérêt général du pays. Enfin, il ne s’agit pas uniquement des intérêts du port futur de Liége, dont je suis heureux, quant à moi, d’avoir en quelque sorte posé la première pierre, en obtenant de la législature les fonds nécessaires à l’exécution de la dérivation de la Meuse combinée avec une station du chemin de fer dans l’intérieur même de la ville de Liége. Il s’agit, avant tout, des intérêts généraux du pays, des intérêts de toutes nos branches d’industrie, d’agriculture et de commerce, c’est-à-dire, en un mot, de chercher à protéger, à favoriser le travail national.
Messieurs, c’est aussi ce que vous avez pensé quand vous avez institué la commission d’enquête. Il suffit, pour vous le rappeler, de vous relire la proposition que vous ayez adoptée et par laquelle vous avez institué cette commission. Vous m’avez chargé, ainsi que mes honorables collègues : 1° d’examiner la situation actuelle du commerce extérieur dans ses rapports avec l’industrie et l’agriculture du pays ; 2° de nous enquérir si la législation actuelle était insuffisante ; et 3°, en cas d’affirmative, de présenter les bases du système commercial et naval qu’il conviendrait d’établir dans l’intérêt de la nation.
Ainsi, il est évident par le simple énoncé de cette proposition, que vous avez voulu, avant tout, chercher à favoriser les intérêts généraux du commerce, de l’agriculture et de l’industrie.
On a dit dans une autre séance, messieurs, que les membres de la commission d’enquête et particulièrement son président, ne pouvaient demander aujourd’hui qu’en examinant le projet de loi en discussion, on s’occupât surtout des intérêts de l’agriculture et de l’industrie, puisque la commission d’enquête avait complètement séparé la question industrielle et agricole de la question commerciale. Il me suffira, messieurs, de vous lire trois lignes du rapport que j’ai eu l’honneur de vous présenter au nom de la commission d’enquête dans le mois de février 1841 pour vous faire voir qu’il n’en est rien. Voici, messieurs, ce que la commission d’enquête vous a dit alors par mon organe :
« Afin de pouvoir plus promptement vous soumettre notre rapport, nous l’avons divisé en deux parties dont chacune a été traitée par un rapporteur spécial, mais qui ont été coordonnées ensuite dans l’esprit et l’opinion de la majorité de la commission. »
Ainsi vous le voyez, messieurs, c’est purement et simplement pour pouvoir vous présenter plus tôt ses conclusions, que la commission d’enquête a partagé son travail entre deux rapporteurs, et elle en a coordonné les deux parties, du moins quant à la question de principe et aux intérêts qu’il s’agissait de satisfaire.
La commission a même si peu entendu écarter la question industrielle que, lorsque j’ai été chargé du travail relatif à la première partie du rapport, c’est-à-dire à la partie industrielle et agricole, j’ai été en même temps chargé de traiter la question des traités de commerce et d’union douanière. Mon entrée au ministère a ensuite obligé la commission de me remplacer par mon honorable collègue et ami, M. Zoude. Mais quand bien même il en serait autrement, n’a-t-il pas toujours été reçu dans cette chambre que l’on n’était pas tenu par les opinions qu’on avait émises, soit dans les sections centrales, soit dans les commissions ?
Déjà depuis l’enquête, des conclusions nombreuses ont été prises par la législature en faveur de diverses industries. Le gouvernement lui-même, dans le projet qu’il vous a présenté, n’a pas perdu de vue les intérêts de plusieurs de nos industries, et cela, parce qu’il est impossible de séparer la question industrielle de celle des droits différentiels à établir. Je n’ai besoin, pour vous en convaincre, que de citer quelques passages des observations présentées par M. le ministre de l’intérieur à l’appui de son projet :
Au premier article déjà, fanons de baleines, le gouvernement vous signale deux inconvénients, et dit ensuite : « Le tarif nouveau remédie à ces deux inconvénients, dont le premier est préjudiciable à l’industrie qui travaille chez nous, les fanons de baleine. »
Quand il en vient aux bois non sciés, il vous signale que le tarif actuel sur cet article, a deux inconvénients principaux : « 1° celui de favoriser, etc. ; 2° celui d’être trop faible eu égard aux intérêts du trésor et des propriétés boisées du pays. »
Pour les bois de chêne courbes en grume, il vous dit : « On a principalement en vue ici de favoriser les constructions navales en facilitant l’entrée des bois de chêne courbes, etc. »
Pour les bois sciés : : »Depuis longtemps on se plaint d’une part, que cette industrie n’est pas assez protégée par le droit actuel de 4 fr. par tonneau ; d’autre part, qu’à la faveur de ce droit minime pour un objet travaillé, le Nord nous envoie des bois de mauvaise qualité qui, non seulement sont d’un mauvais emploi pour les constructions, mais qui, étant vendus en quelque sorte à vil prix, nuisent essentiellement au placement de nos propres bois de menuiserie et de charpente. »
Pour les bois d’ébénisterie, le gouvernement vous dit : « Comme complément de la tarification sur le bois d’ébénisterie, il a paru rationnel de rendre, conformément à la proposition de la chambre de commerce d’Anvers, les droits d’entrée sur les meubles plus protecteurs.
Il en est ainsi, messieurs, de presque tous les articles du tarif proposé par le gouvernement. Je ne pousserai donc pas plus loin ces citations. Il me suffit d’avoir démontre que le gouvernement lui-même n’a pas perdu de vue, dans le projet qu’il nous présente, les conclusions de détail à l’égard de certaines industries.
D’ailleurs, messieurs, il est des industries pour lesquelles le gouvernement était seul à même de prendre des conclusions de détail. Ainsi, pour ce qui concerne l’industrie drapière et l’industrie cotonnière qui n’ont cessé de demander avant tout une meilleure répression de la fraude, la commission d’enquête ne pouvait encore connaître quels étaient les effets de la loi du 6 avril 1843, et par conséquent, n’était pas en état de prendre des conclusions sur ce point. Le gouvernement pouvait seul connaître quels étaient les effets de cette loi et présenter à la chambre des conclusions de détail.
Messieurs, nous insistons pour que les intérêts des grandes industries, et même toutes les industries du pays ne soient pas perdus de vue dans les conclusions que nous allons prendre à l’égard des droits différentiels, parce que, je le répète encore, tous les industriels et commerçants que nous avons interrogés lors de l’enquête, ont été unanimes pour demander qu’avant tout il soit satisfait aux intérêts de l’industrie et de l’agriculture, qu’avant tout, ce fût le travail national que l’on prît en considération.
Messieurs, le, tableau général du commerce du pays en 1842 renseigne que des tentatives, et des tentatives assez considérables d’exportation, ont en lieu de la part de certaines grandes industries souffrantes. Je vois, en effet, à la page 380 de ce tableau, que l’industrie cotonnière, voulant profiter du bas fret qu’amenaient pour compléter les chargements nos exportations de sucres raffinés vers les villes anséatiques, a essayé d’y exporter de ses produits, et voici ce qui est arrivé : En 1837 on a exporté vers les villes anséatiques pour 1,752,341 francs de tissus de coton ; en 1838, pour 1,368,840 fr. ; en 1839 cette exportation est tombée à 9,764 francs, en 1842 elle a été de 25,483 francs.
Vous voyez, messieurs, qu’il ne suffit pas toujours de voter des lois qui mettent à la disposition de l’industrie des navires pour exporter les produits, car nos exportations de sucre qui étaient en 1837 de 6,800,000 francs, ont encore été en 1842 de 6,187,000 francs. Et pourquoi, malgré cela, n’avons-nous pas continué à exporter nos tissus de coton ? C’est parce que nous n’avons pas mis l’industrie cotonnière à même, en lui donnant le marché intérieur, de fabriquer dans les conditions de qualité et des prix voulus pour l’exportation, dans des conditions telles qu’elle puisse lutter contre l’industrie étrangère qui est venue de suite lui faire une rude concurrence.
Messieurs, j’ai entendu avec étonnement, quelques orateurs préconiser encore dans cette enceinte la liberté commerciale. Je croyais que personne aujourd’hui ne prendrait plus la parole pour soutenir ce système, et que l’expérience ainsi que l’enquête elle-même auraient éclairé tout le monde sur ce point.
Que nous a-t-on dit, messieurs, en faveur du système de la liberté commerciale ? En opposition à tous les nombreux pays que nous avons cités pour prouver combien la pratique du système protecteur a amené de bonheur et de prospérité matérielle chez les nations qui savaient s’employer, on nous a cité deux contrées : la Suisse et la Saxe.
Quant à la Suisse, messieurs, je ne crois pas devoir répéter ce qui vous en a été dit. Tout le monde sait que ce pays est dans une position tout à fait exceptionnelle et que toutes les fois qu’il a voulu se livrer à des fabrications, dont les nations industrielles qui les mettaient en pratique, voulaient conserver le monopole, il a immédiatement été empêché de s’y livrer, parce qu’on inondait son propre marché de produits similaires, et que l’on amenait ainsi la ruine de toutes les fabriques que l’on avait commencé à élever.
D’ailleurs, messieurs, le sort de la Suisse est-il si à envier ? Ne l’avons-nous pas toujours vue si peu prospère, qu’elle était obligée de vendre ses hommes comme soldats pour la défense des intérêts d’autres pays ? N’en avons-nous pas eu nous-mêmes un exemple en Belgique avant la révolution de 1830 ? Ne voyons-nous pas encore aujourd’hui une foule de Suisses venir exercer leurs métiers chez nous, parce qu’ils ne trouvent pas de quoi vivre dans leur pays ?
Quant à la Saxe, messieurs, c’est encore le tableau du commerce de 1842 qui va répondre.
Nous avons reçu de la Saxe, en 1842, pour une valeur de 1,631,354 francs, et, dans cette somme, il y avait pour 1,422,968 fr. de laine, qui est une matière première. Mais nous avons exporté en Saxe pour une valeur de 4,764,476 fr., et, dans cette somme, il se trouvait pour 3,689,709 fr. de draps et autres tissus de laine, fabriqués avec une partie de cette même laine probablement que nous avait fournie la Saxe.
Voila, messieurs, la grande prospérité qu’amène chez un peuple la liberté commerciale. En Belgique, nous ne pratiquons le système protecteur qu’à demi, et nous recevons de la Saxe, qui pratique la liberté commerciale, des matières premières que nous transformons en produits fabriques et que nous transportons chez elle.
(Erratum Moniteur belge n°130, du 9 mai 1844 :) On a prétendu, messieurs, que l’Angleterre qui a inscrit longtemps la peine de mort dans son code douanier, s’était trouvée fort mal du système protecteur, et que, depuis quelques années, elle l’abandonnait.
Nous avons vu, messieurs, il y a quelques années, et beaucoup de membres de cette chambre auront eu occasion de parler avec eux, des hommes d’Etat anglais, sans doute très distingués, venir nous prêcher la liberté commerciale, venir essayer de profiter des idées de liberté qui étaient alors dans toutes les têtes, pour nous engager à pratiquer aussi la liberté commerciale. Mais en même temps, messieurs, nous les avons vus renforcer chez eux le système protecteur, même à notre égard. On vous en a déjà cité plusieurs preuves, et entre autres, on vous a rappelé que nous n’avions pour toute exportation de produits fabriques en Angleterre que pour quelques mille francs de chicorée, et que l’Angleterre s’était hâtée de prendre des mesures pour nous enlever cette importation.
Voilà, messieurs, comment l’Angleterre est revenue au système de la liberté commerciale ; voilà comment elle a abandonné le système protecteur, qui ne lui a fait sans doute aucun mal. Car si elle est aujourd’hui la première nation industrielle, c’est sans aucun doute à son système protecteur qu’elle le doit.
Messieurs, on s’étonne souvent de la persistance que mettent nos grandes industries à demander une meilleure répression de la fraude. Mais, messieurs, c’est que pour ces grandes industries la répression de la fraude est la première des protections et, pour vous en faire juger, je n’ai qu’à vous présenter le bilan de l’industrie cotonnière vis-à-vis de la fraude. Il est facile à établir.
Nous avons, messieurs, 4 millions de consommateurs en Belgique, On calcule qu’en France (et cela est appuyé sur des données statistiques exactes) la consommation en tissus de coton s’élève à 17 fr. par individu. Bien qu’il soit reconnu qu’en Belgique on consomme plus qu’en France, je veux bien cependant ne porter la consommation individuelle en tissus de coton dans notre pays qu’à 12 fr. Multipliant 4 millions par 12, nous arrivons à un marche intérieur de 48 millions de fr. en tissus de coton.
Voulez-vous savoir, messieurs, quelle est la part de nos fabriques dans ce marché intérieur ? Le tableau général du commerce nous apprend que nous importons annuellement en Belgique, terme moyen, 6 millions de kilog. de coton en laine. Ces 6 millions de kilog. ne sont pas seulement employés par les fabriques de tissus, mais aussi par les fabriques de bonneterie et d’autres objets dont le coton fait partie. Mais admettons que ces millions entrent entièrement dans la fabrication des tissus. Il est reconnu, et j’ai puisé ces renseignements à des sources très respectables, que nous donnons en Belgique à chaque kilog. de coton en laine que nous convertissons en tissus de moindre valeur (on sait que le défaut de protection pour les tissus fins ne nous permet de fabriquer que des tissus communs), une valeur de 4 fr. 75 c. environ, je prends 5 fr. Nous produisons donc pour 30 millions de tissus de coton.
Sur ces 30 millions, nous en exportons annuellement cinq millions en Hollande et pour ses colonies. C’est là tout ce qui nous reste de nos anciennes et importantes exportations. Retranchant 5 millions de 30 millions, il reste pour la part de nos fabriques dans le marché intérieur 25 millions ; et ce marché intérieur étant de 48 millions, il en résulte évidemment que l’industrie étrangère lui fournit pour 23 millions. Or elle n’en fournit que 3 à quatre millions en payant les droits ; il reste donc pour la fraude 19 à 20 millions.
Jugez, messieurs, si en présence de pareils chiffres nous ne devons pas demander à grands cris une répression plus efficace de la fraude que celle qui existe actuellement. Ne trouveriez -vous pas dans cette répression le moyen d’indemniser la grande industrie cotonnière de la gêne que lui a fait éprouver la révolution en lui faisant perdre ses débouchés aux Indes hollandaises et sur le marché hollandais lui-même.
J’espère donc, messieurs, que dans les conclusions de détail que vous allez prendre, vous saurez tenir compte des intérêts de cette grande industrie, ainsi que de ceux de toutes nos industries nationales, et que vous ne voudrez pas surtout les exposer à des représailles sans fournir au gouvernement le moyen de rendre ces représailles inefficaces, en les compensant par une plus grande part dans le marché intérieur.
M. Lys. - Le but de l’enquête était d’examiner d’abord la situation du commerce extérieur dans ses rapports avec l’industrie et l’agriculture du pays ; il s’agissait dès lors de doter la Belgique d’un système législatif commercial, qui aidât au développement de nos relations avec les nations étrangères ; il s’agissait d’assurer l’avenir et la prospérité du pays.
Le gouvernement nous a fait des communications franches, j’aime le croire, mais qui, en réalité, ne nous ont appris que ce que nous savions depuis longtemps. Mais les négociations avec les puissances qui nous avoisinent ont-elles été dirigées convenablement ? Il m’est permis d’en douter, lorsque je me rappelle certaines négociations, où nos envoyés n’avaient aucun plan arrêté à l’avance, agissaient pour ainsi dire à l’aventure, prétendant devoir attendre les communications qu’on leur ferait pour se fixer sur ce qu’ils avaient à demander. Lorsque je me rappelle le motif qui a dirigé le ministère, lors de la concession au Zollverein des avantages accordés à la France pour l’entrés de ses vins et de ses soieries, confidence de M. le ministre de l’intérieur, faite après que M. le ministre des affaires étrangères avait attribué cette concession à tout autre motif ; le gouvernement a-t-il communiqué franchement à la Hollande les mesures qu’il entendait prendre à son égard, si elle refusait de faire à la Belgique, les concessions commerciales, que l’état des deux pays permettait dans leur intérêt commun ; l’un étant essentiellement industriel, et le haut commerce étant l’apanage de l’autre ? Le huis clos continué inutilement pendant dix jours, me donne lieu d’en douter.
La marche que le gouvernement a prise pour cette discussion me paraît tout à fait contraire à l’industrie du pays ; et, en effet, messieurs, l’on vous engage à commencer par accorder des faveurs au commerce maritime, en établissant des droits différentiels, au lieu de débuter par assurer à l’industrie le marché intérieur ; et on vient vous dire que c’est là agir dans l’intérêt de l’industrie !
Pour protéger le commerce maritime, il faut accorder un privilège, une espèce de monopole aux armateurs belges, et c’est ce que vous faites en établissant des droits différentiels !
Vous empêchez par là l’industriel de se procurer les matières premières au plus bas prix possible, car il ne pourra plus se pourvoir, selon les occurrences, tantôt dans les pays de provenances, tantôt dans les pays de dépôt, des objets dont il aura besoin ; il ne pourra plus profiter des baisses que peut produire dans les entrepôts de l’Europe l’encombrement des produits transatlantiques et la nécessité de les réaliser ; la concurrence ne pouvant plus s’établir, l’industriel ne pourra plus faire ses approvisionnements où le bon marché l’appelle.
Par ce fait seul, vous privez l’industriel d’un bénéfice réel, vous le frappez d’un impôt, vous l’empêchez de lutter avantageusement contre les productions similaires des autres contrées industrielles ; car il ne pourra plus céder ses produits aux consommateurs à un prix inférieur, ni même à prix égal, à celui de ses concurrents. Et quand établissez-vous cette gêne ? Dans un moment où vous n’avez pu, jusqu’à présent, lui assurer le marché intérieur.
Cette marche est tout à fait contraire aux notions les plus simples en matière d’économie politique. Elle ne peut avoir qu’un seul résultat, c’est de donner un certain essor progressif à votre marine marchande, mais tout à fait momentané, ainsi que je le démontrerai ; elle est impuissante pour procurer des débouches à l’industrie pour l’exportation de ses produits. Il fallait, au contraire, finir par où vous commencez, il fallait d’abord rendre votre industrie prospère, en lui assurant le marché intérieur, et, pour y parvenir, il faut accorder à l’industrie une protection convenable nullement outrée, mais nécessaire ; il fallait garantir cette protection contre la fraude, en vous servant des mêmes moyens que vos puissants voisins ; le bon marché aurait suivi la production et celle-ci la protection, l’abaissement dans les prix en aurait été la suite ; garantissez-lui le marché intérieur et vous la verrez bientôt prospère, se présenter et soutenir la concurrence avec succès dans les contrées lointaines ; car alors la production augmentera, et elle sera accompagnée de perfectionnement dans la qualité, et de réduction dans le prix. C’est ce qui est arrivé en France. Voyez le rapport de M. Zoude, page 2.
L’expérience a démontré que les mesures prises jusqu’à ce jour, ne suffisent pas pour réprimer la fraude. La preuve en est, et le gouvernement ne peut l’ignorer, que le négociant belge reçoit la marchandise étrangère livrée dans son magasin, le fraudeur se contentant de la prime accordée à la sortie du pays, dont elle provient.
Le système protecteur de la France et de l’Allemagne garantit, au contraire, le marché national aux industriels de ces contrées. Vous le savez de reste, nous ne pouvons rien introduire par fraude en France ; il en est de même aujourd’hui pour l’Allemagne, il n’y a plus d’établissement pour la fraude, depuis le système admis par la Prusse, système qui a obtenu l’assentiment général, sans exciter aucune réclamation, et à la suite duquel on n’a plus cherché à frauder, car il est devenu impossible de trouver des fraudeurs.
C’est le système prussien dont nous avions conseillé l’essai au gouvernement, mais il a préféré des demi-mesures, qui ne produiront jamais rien. Et en effet, messieurs, ce ne sont pas les fraudeurs personnellement qu’il faut atteindre, ce sont les établissements de fraude, et ce sont ces derniers que le système prussien a atteints, par la seule crainte inspirée de l’application contre eux des peines comminées par la loi.
Lorsque le marché intérieur sera assuré à votre industrie, vous parviendrez à faire des traités de commerce avec vos voisins. Les concessions respectives donneront lieu, de part et d’autre, à réduire le degré de protection, car vous ne l’aurez établie que par voie de réciprocité ; et je le répète, l’état prospère de votre industrie lui permettra de faire des essais dans les contrées lointaines.
Ne pensez point, messieurs, qu’il suffise d’avoir des moyens d’exportation, qu’il suffise d’arriver dans les contrées transatlantiques pour trouver facilement le débit de la marchandise exportée. Mes honorables amis, MM. Lesoinne et David, tous les deux industriels et commerçants, vous ont renseigné le véritable état des choses, que leur propre expérience leur a permis d’apprécier ; je viens, à mon tour, appuyé par quarante années de relations intimes avec les fabricants de mon district, vous confirmer leurs avancés.
Ce n’est pas d’aujourd’hui, messieurs, que l’industrie belge a fait des essais de commerce dans les contrées lointaines ; mais, jusqu’à présent, il n’a appartenu qu’à des maisons puissantes de faire de pareils essais, parce qu’ils ne sont pas toujours suivis de succès.
L’industrie linière a été dans la situation la plus gênée ; lorsqu’elle fut privée tout à coup de ses relations avec la France, la Belgique fut couverte de fabricats français, et alors la fabrique de Verviers fut forcée de faire des essais a l’étranger.
Fort heureusement notre commerce avec la Hollande fut prospère, parce qu’avant 1830 nous y étions protégés, et même depuis la révolution nous conservâmes nos relations, en transitant par la Prusse.
La Néerlande fermant les yeux sur les certificats d’origine, les commissionnaires italiens continuèrent à visiter nos fabriques ; mais le besoin d’exporter, à défaut de possession du marché intérieur que la France chargeait de ses produits, força nos fabricants à envoyer en commission une quantité considérable de nos fabricats dans les pays étrangers. Ils les dirigeaient vers Naples et les contrées transatlantiques, et ce fut la une cause de ruine pour bon nombre d’entre eux. Les industriels avaient besoin de recevoir des avances qui leur étaient faites par les commissionnaires à concurrence de moitié et même des deux tiers de la valeur ; mais, après cela, soit défaut de vente, soit encombrement de produits ou mauvaise foi de ces commissionnaires, la marchandise restait invendue ; le commissionnaire voulant rentrer dan ses fonds, forçait les fabricants à lui donner main libre pour la vente, et, en définitive, il perdait souvent la moitié ou le tiers de la valeur de sa marchandise.
Tel est, messieurs, le sort des relations avec les contrées lointaines, lorsque vous n’avez personne sur les lieux pour défendre vos intérêts, et telle est la position du commerce en général. Quelques maisons puissantes peuvent seules obtenir des résultats plus favorables en y formant des établissements permanents ; mais ce sont là des positions privilégiées, que le commerce moyen et à plus forte raison le petit commerce ne peuvent pas atteindre.
M. le ministre a bien voulu nous communiquer ce qu’il avait appris de notre consul rétribué à Syngapore. J’ai vu avec plaisir qu’il avait été chargé d’une mission en Chine, qu’il avait remplie à la satisfaction du gouvernement ; je me rappelle avec satisfaction de l’avoir présenté dans le temps à M. le comte de Theux comme méritant la confiance de M. le ministre des affaires étrangères pour ce poste qu’il sollicitait. Ce rapport, messieurs, vous donne la preuve du danger d’envoyer des fabricats dans les contrées lointaines, car il donne avis de ne pas en expédier, le marché en étant tellement encombré, que la vente ne peut avoir lieu qu’avec perte.
M. le ministre nous a aussi informés qu’il y avait un consul non rétribué à Canton.
Je n’ai pas l’honneur de le connaître et je ne doute nullement qu’il ne réunisse tout ce qui convient à sa haute position.
Mais nous savons tous qu’un consulat non rétribué n’est recherché que pour la position honorable dans laquelle on est placé.
Nous savons tous qu’un consul non rétribué est un négociant faisant ses propres affaires, ou attaché à des maisons de commerce dont il gère les intérêts.
Les consuls non rétribués ne peuvent dès lors que bien secondairement travailler pour l’intérêt général, et je crois qu’il est de celui de l’industrie de placer dans des contrées lointaines ou transatlantiques des consuls rétribués ; car le commerce a besoin de leurs renseignements, puisque la plupart des industriels ne peuvent y établir des comptoirs et ne peuvent se déplacer qu’à grands frais et en négligeant leurs affaires.
Le premier soin du gouvernement était, comme je l’ai dit, messieurs de prendre, avant tout, les mesures nécessaires pour assurer à l’industrie le marché intérieur.
L’établissement des droits différentiels ne pouvait venir qu’en seconde ligne ; sinon, loin de favoriser l’industrie, ils deviennent une charge pour elle.
Et, en effet, vous ne possédez aujourd’hui qu’une marine marchande d’une centaine de bâtiments.
En leur accordant un privilège, un monopole, vous faites renchérir les matières premières, car ils ne suffisent pas pour vos approvisionnements, et d’ici à plus d’une année cette insuffisance continuera.
Voilà donc une preuve incontestable que, pendant tout ce temps, vous faites renchérir les matières premières, ou, ce qui est la même chose, vous empêchez les fabricants d’aller les prendre à meilleur marché dans les entrepôts d’Europe.
J’ajouterai que votre marine marchande s’augmentant, elle ne sera pas plus avantageuse à l’industrie, si vous admettez le système présenté par le gouvernement, et, à plus forte raison, celui de l’honorable M. de Foere.
Je dirai plus, avec l’honorable M. David, que cette marine marchande ne profitera pas à la masse des armateurs, et sera nuisible à l’Etat. Elle va augmenter considérablement, j’en conviens, et cette construction de navires sera une charge bien onéreuse pour le pays, si les avantages accordés aux constructeurs continuaient à exister. Mais, au nombre de ces constructeurs, ou au nombre des bâtiments nationalisés, ne rencontrerez-vous pas des spéculateurs anglais, auxquels des armateurs belges ne feront que prêter leur nom ? et pourrez-vous alors espérer que ces navires viendront exporter les produits de votre industrie ? Evidemment non ; ces armateurs partiront sur lest, des ports belges et iront dans les ports anglais charger des marchandises anglaises, qu’ils transporteront dans les pays transatlantiques et vous ramèneront des produits coloniaux des lieux de provenance, qu’ils viendront décharger à Anvers.
Aucun des produits de votre industrie n’aura été exporté, il y aura en échange des produits anglais, contre lesquels vous soutenez déjà une concurrence difficile et vous recevrez, en payant la prime, des denrées coloniales, sans autre échange que vos écus.
Vous ne doutez point, messieurs, que bon nombre de spéculateurs anglais saisiront cette circonstance et le gouvernement anglais leur accordera au besoin sa protection ; ils viendront, je le répète, faire partie de la marine belge, partiront sur lest d’Anvers, iront charger des fabricats en Angleterre, pour les échanger contre des produits coloniaux qu’ils rapporteront à Anvers. La Belgique paiera une prime pour tel arrivage, qui n’aura exporté aucun de ses produits.
Vous ne serez plus étonnés de ne pas voir l’Angleterre s’opposer à votre système de droits différentiels ! elle y donnera son assentiment, comptant vous remplacer en Hollande pour la fourniture de fabricats.
Voilà, messieurs, à quoi vous mènent directement et le projet du gouvernement et le projet de l’honorable M. de Foere. Ajoutez que la grande masse des navires nationaux ou prétendus tels, amènera une telle concurrence, que les véritables armateurs belges subiront des pertes par suite de cette concurrence outrée.
Le projet de l’honorable M. Cassiers, rectifié, serait sans doute préférable, et présenterait des avantages, si on n’accordait des primes qu’aux bâtiments quittant les ports de la Belgique, avec une certaine quantité de produits belges.
Et c’est avec de pareils projets, messieurs, que l’on veut faire courir des chances ruineuses à notre industrie, que l’on ose l’exposer à des représailles, qui pour la Hollande seule priverait l’exportation annuelle de vos fabricats d’une valeur de 18 millions.
Je n’entrerai point dans l’examen de cette question grave, des représailles ; si elles seraient ou non fondées ; du plus ou moins de chances qu’il y aurait de les voir exercer ; il me suffit qu’il y ait possibilité même éloignée ; mais ne vous faites pas illusion, messieurs, les représailles peuvent être exercées, injustement si vous voulez et je ne dirai point comment elles seront dirigées, pour qu’on ne puisse m’accuser un jour d’avoir donné des indications nuisibles ; mais les souffrances de l’industrie en seraient la suite inévitable.
L’honorable M. de Foere a beau nous exhorter à la patience, à la persévérance, à souffrir momentanément pour arriver à une position plus heureuse. Il a beau nous répéter souvent qu’il n’y a pas de causes sans effets ni d’effets sans causes ; ses projets sont loin d’être à l’abri de contestations fondées, les effets de ses projets sont controversés par le gouvernement lui-même ; il est facile pour un homme riche, pour un fonctionnaire public, pour un membre du clergé, d’apprécier les causes, et de voir arriver les effets dans le lointain, l’homme riche a sa fortune, les fonctionnaires et le clergé sont salariés, mais l’ouvrier n’a que le produit de sa journée pour se procurer le nécessaire à la vie, et le fabricant ne peut lui payer ce produit qu’en compensation du travail dont il a besoin. S’il est forcé de fermer ses ateliers ou même d’en diminuer l’activité, vous aurez beau exhorter l’ouvrier à la patience, rappelez-vous cette vérité : Ventre affamé n’a pas d’oreilles.
Je ne vous parlerai pas de colonies, nous avons assez de charges sans en créer de nouvelles ; je ne vous parlerai pas de marine militaire, indispensable pour protéger votre marine marchande qui, sans cela, ne peut avoir qu’une existence précaire, que la première bourrasque balaiera de la surface des mers. Vous avez bien assez de votre armée de terre sans rechercher une armée de mer.
J’ai cherché à vous démontrer, messieurs, que votre premier soin doit se porter vers votre industrie en lui assurant le marché national ;
Que ce premier objet accompli, les traités de commerce ne vous seront plus refusés, qu’alors seulement vous pourrez donner tous vos soins au commerce extérieur ;
Que chercher aujourd’hui à établir des droits différentiels, ainsi que le gouvernement le propose dans l’intérêt prétendu de l’industrie, c’est, au contraire, lui porter des entraves, en augmentant le prix des matières premières, et l’empêcher de soutenir la concurrence avec les produits similaires de nos voisins ;
Que ces faveurs pour la marine marchande ne peuvent être dans aucun temps, telles qu’elles sont proposées, d’aucune utilité quelconque à l’industrie, qu’elles ne seront pas même avantageuses aux armateurs.
Enfin, messieurs, la marine marchande jouit déjà d’une protection que l’industrie réclame, et que des armateurs belges reconnaissent être suffisante. Elle est favorisée de l’importation exclusive du sel, d’un avantage sur l’introduction des sucres et du thé, de la déduction de dix pour cent sur les droits d’entrée de toutes autres marchandises ; du commerce exclusif de la pêche nationale, avec exemption du droit sur le sel employé à la salaison du poisson ; enfin de différentes primes et exemptions de droit.
Elle peut donc attendre le terme que nous fixons pour une augmentation de protection, et ne pas exposer l’industrie à être privée, par voie de représailles, de débouchés faciles, avec peu de chance de perte, comme le sont nos relations avec la Hollande,
L’industrie belge ne livre au hasard que ce qu’elle peut perdre sans nuire à ses obligations. L’honneur l’arrête dans ses opérations mercantiles, et le gouvernement tend aujourd’hui à lui faire courir la chance de perdre un débouché annuel de 18 millions de fabricats, dont la réalisation est facile et certaine, contre la chance de voir augmenter des relations difficiles et dangereuses qui, aujourd’hui, ne s’élèvent pas au quart de cette valeur. Je ne puis partager cette matière d’agir ; et je voterai contre la loi, dirigé, non par un intérêt de parti, ni par un intérêt de clocher, mais par l’intérêt général.
Avant de terminer, je demanderai au ministère pourquoi il tarde si longtemps de soumettre à la législature l’arrêté royal concernant les fils et tissus de laine et autres. La session est fort avancée ; pareil arrêté concernant les fers a, depuis longtemps, reçu l’approbation des chambres ; pourquoi ce retard ? Je l’ignore ; mais l’intérêt de plusieurs provinces en souffre. Le provisoire, en fait d’industrie surtout, donne de mauvais résultats.
Je demanderai aussi à M. le ministre des affaires étrangères s’il a des rapports de notre chargé d’affaires aux Etats-Unis et de notre consul à New-York, relatifs à nos relations commerciales avec l’Amérique. Je fais cette demande, messieurs, parce que nous avons remarque cette année à Verviers des négociants américains qui sont venus y faire des acquisitions en draps. Je serais heureux d’attribuer cette visite aux renseignements donnés par ces messieurs.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je compte être à même de présenter dans quelques jours le projet de loi tendant à régulariser l’arrêté du 14 juillet. Si la présentation ne s’en est pas faite plus tôt, c’est parce que nous voulions recueillir des renseignements sur l’application que cet arrêté a reçue. Nous pouvons, dès à présent, en constater, nous n’hésitons pas à le dire, les bons effets. En cela nous serons d’accord, je pense, avec l’honorable préopinant.
M. Manilius. - Messieurs, nous attendons la réalisation de la promesse que vous a faite M. le ministre des finances, de nous présenter un rapport sur les effets de la loi pour la répression de la fraude. Je crois qu’il doit être à même de nous fournir ce rapport. Je désirerais qu’il le déposât le plus tôt possible ; il nous serait très utile dans la discussion actuelle.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je donnerai incessamment à la chambre des renseignements sur l’application de cette loi.
- La séance est levée à 4 heures.